L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE
DU MEME AUTEUR
Les premiers hommes et les temps préhistoriques. 2 vol. gr. in- s
avec 244 figures dans le texte et 12 planches 35 francs.
5524-82. ~ CORBElL. Typ. et siér. Crété
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MAHgblS DE NAUAILLAC
L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE
The New World is a great mystery.
Avec 21» figurer dans le tnxie.
PARIS
{j. MASSON, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE l'aCADÉMIE DE MÉDECINE
120, Boulevard Saint-Germain, en face de l'École de Médecine
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Droits de traduction et de reproduction réservés.
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PRÉFACE
Les questions préhistoriques excitent depuis quelques années
un légitime intérêt ; la surprise, Tincrédulité même avaient
accueilli les premières révélations sur l'antiquité de la race
humaine, sur la contemporanéité de l'homme avec les pachy-
dermes, les édentés gigantesques qui peuplaient le globe à l'é-
poque quaternaire. Bientôt les preuves se sont multipliées avec
une si éclatante évidence, que le doute n'a plus été possible et
aujourd'hui nous pouvons affirmer que dans des temps, dont
nous sommes séparés par une série incalculable de siècles,
l'homme habitait notre continent, déjà bien vieux au moment
de son apparition. Aucune chronologie ne peut mesurer ces
temps ; aucun calcul ne peut les supputer ; l'histoire et la tra-
dition sont muettes ; c'est par des travaux qui tiennent du pro-
dige, par les inductions les plus précises, que l'on est arrivé à
trouver quelques traces d'un passé presque fabuleux, à saisir
quelques vestiges de ces rudes pionniers, les ancêtres du genre
humain. Leur berceau primitif était selon toute apparence situé
en Asie ; c'est de là, que par des immigrations successives, dont
la durée défie toute science, ils se sont répandus sur l'Europe,
fuyant le froid et cherchant des régions plus fertiles ou des pays
plus giboyeux.
Vers le même temps, des hommes sortis probablement de la
même souche erraient dans le Nouveau-Monde, sur les bords
de l'Atlantique et du Pacifique. Comme leurs contemporains
VI PREFACE.
Européens ou Asiatiques, ils étaient nomades, et ne connais-
saient d'autres abris que les cavernes ou les rochers. Quelques
silex informes leur servaient à la fois d'armes et d'outils ; et leur
état social misérable et dégradé ne peut mieux se comparer qu'à
celui connu dans nos régions, sous le nom d'âge de pierre. Par
une de ces grandes lois, que la science ne peut méconnaître, au
milieu d'une faune et d'une flore absolument différentes, des
hommes semblables par leur charpente osseuse, semblables par
leur intelligence et leurs conceptions, parcouraient au même
moment les forêts tropicales de l'Inde et les froides régions du
Canada, chassaient l'ours et le renne sur les rives du Delaware
et du Mississipi, comme sur celles de la Seine ou de la Tamise.
Ce n'est pas tout ; les habitants de ces continents séparés par
l'Océan, séparés par des déserts en apparence infranchissables,
passeront par les phases d'une civilisation identique. Aux noma-
des succèdent les sédentaires ; ils s'établissent sur les rivages de
la mer, sur les rives des fleuves qui leur fournissent en abon-
dance la nourriture qu'ils aiment ; ces kjôkkenmôddings, ces
amas de. débris de toute sorte, attestent la longue durée de leur
habitation. Les siècles se déroulent, des besoins nouveaux se
font jour ; des goûts artistiques se révèlent, mais par une bizar-
rerie étrange, c'est à la terre seule que les Américains deman-
dent tout d'abord leurs matériaux ; de là, ces pyramides, ces
tumuli, ces mounds construits aA^ec une régularité mathéma-
tique et auxquels parfois leurs constructeurs s'efforcent de don-
ner la forme humaine ou bien celle des animaux qui les entou-
rent. Des dangers menacent ces hommes, ils n'hésitent pas à
placer leurs demeures sur des rochers presque inaccessibles, à
vaincre des difficultés de construction qui paraissent insurmon-
tables aux hommes du xix^ siècle. Des villes s'élèvent, des monu-
ments dont les ruines imposantes sont encore debout attestent
l'aptitude de ces races dont on commence seulement à con-
naître l'existence.
Si les mounds et les cliff-houses, les villes sans nom et les
temples sans dieux, ne peuvent nous donner la moindre certi-
PREFACE. VII
tude sur leurs constructeurs ou sur la date de leur érection, ils
nous permettent du moins de connaître les mœurs, les usages,
les coutumes, les conceptions religieuses de ces anciens habitants
de l'Amérique. Déjà nous pouvons dire, qu'au moment de
l'arrivée des Espagnols, la première en date des invasions de
l'Europe, la civilisation des Américains lentement développée
durant des siècles ne le cédait en rien à celle de leurs vain-
queurs.
Dans un précédent travail, j'ai raconté l'âge de pierre en
Europe, les premières étapes des vieux habitants de notre con-
tinent ; la bienveillance avec laquelle cette étude a été reçue
m'engage à la continuer, à retracer ces mêmes temps en Amé-
rique, à rechercher les premières lueurs d'une civilisation, fille
ou sœur de la nôtre, et à poursuivre ces recherches jusqu'au
XVI'' siècle de notre ère. Des travaux remarquables facilitent ma
tâche ; c'est surtout aux Etats-Unis, que ces travaux se sont mul-
tipliés ; de nombreuses associations étudient avec ardeur ce loin-
tain passé ; des musées ont été fondés, où déjà l'on peut admirer
des collections importantes ; des explorations sont dirigées avec
une énergie et une persévérance auxquelles on ne saurait refuser
un légitime hommage. Le succès a couronné ces efforts ; chaque
jour amène les découvertes les plus curieuses, les résultats les
plus inattendus. Ce sont ces recherches, ces découvertes que je
désire faire connaître aux lecteurs Français ; mais il faut bien
ajouter que, quelle que soit leur importance, quel que soit l'inté-
rêt qu'elles excitent, dans l'état actuel de la science, je le dis au
début de ce travail, comme je le répéterai en terminant, elles ne
sauraient encore comporter de conclusion. Je ne sais rien d'aussi
fatal à la science vraie, que les hypothèses hasardées, les théories
applaudies par la foule et démenties le lendemain par les faits :
« Quand on est aussi faible dans ses connaissances que nous
le sommes, disait récemment M. Virchow (1), on doit être plus
modeste dans ses théories. »
(1) Congrès anthropologique de Francfort-sur-le-Mein, août 1882.
VIII PREFACE.
Cette ignorance ne saurait nuire, il semble, aux études pré-
historiques ; Tobscurité qui les enveloppe est de nature au con-
traire à stimuler l'effort des penseurs, et je ne sais pas, pour ma
part, de plus magnifique spectacle que cette marche ascendante
de rimmanité qui se poursuit à travers le temps et à travers
l'espace. Chaque connaissance acquise, chaque progrès accompli,
deviennent le point de départ de connaissances nouvelles, de
progrès nouveaux qui forment à jamais le glorieux patrimoine
des générations.
Un sentiment plus élevé encore se dégage de ces études, c'est
une profonde reconnaissance envers Celui qui a créé l'homme,
qui l'a fait capable de si grandes choses, qui lui a accordé une
telle puissance et une telle intelligence. La science libre et forte
ne saurait renier son auteur.
Paris. 7 octobre 1882.
L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE
CHAPITRE I
L'HOMME ET LE MASTODONTE
L'existence du continent américain était inconnue aux Égyp-
tiens et aux Phéniciens, comme aux Grecs et aux Romains.
Nous ne trouvons rien, ni chez les historiens, ni chez les géo-
graphes, qui permette d'affirmer que les peuples anciens soup-
çonnassent même un grand continent au delà de l'Atlantique,
et quelques vagues récits, quelques hypothèses hardies, inter-
prétées plus tard à l'aide de faits accomplis, ne peuvent tenir
lieu de preuves sérieuses. M. de Guignes a cherché à établir
que, dès le cinquième siècle de notre ère, des communications
existaient entre la Chine et l'Amérique; les hommes du Nord,
selon des légendes où un peu de vérité se mêle à beau-
coup de fable, seraient arrivés dans la Nouvelle-Angleterre,
vers l'année 1000; et sur des cartes dressées au quatorzième et
au quinzième siècle, des terres et des îles aux contours incer-
tains figurent pour la première fois au delà de l'Océan. Les
Esquimaux communiquaient librement d'un continent à l'autre,
dans les régions circumpolaires ; mais ces hommes étaient aussf
inconnus que les habitants de l'Amérique eux-mêmes. Nous
De Nadaillac, Amérique. 1
2 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
verrons dans la suite de cette étude tout ce qui a été dit sur les
rapports qui ont pu exister entre l'ancien monde et le nouveau.
Bornons-nous à dire ici que c'est du seizième siècle seule-
ment que datent les premières notions positives sur ces terres
nouvelles, sur ces peuples mystérieux. A côté du nom à jamais
glorieux de Christophe Colomb (1), il faut placer ceux de Jacques
Cartier, de Jean et de Sébastien Cabot, d'Amerigo Vespuce, de
Magellan, de Pizarre et de Fernand Cortès, de celui-ci surtout
qui établit le premier d'une manière incontestée la suprématie
européenne.
(ortèsdébar- Cortès débarqua à l'embouchure de la petite rivière de
(|ue sur le '■
sol du Tabasco, dans le golfe du Mexique, et livra successivement
Mexique. '-' ^ '
deux batailles aux Indiens (2), qui prétendaient s'opposer à sa
marche. La seconde eut lieu le 18 mars 1519; elle fut san-
glante et longtemps disputée. La victoire resta aux Espagnols :
Cortès planta sur le sol américain son grand étendard en
velours noir brodé d'or, portant une croix rouge au milieu de
flammes bleues et blanches, avec cette légende en latin : Amis,
suivons la croix, et si nous avons la foi, nous vaincrons par ce
signe. C'était la prise de possession de l'Europe ; à partir de
ce moment les destinées du Nouveau Monde furent indissolu-
blement unies h. celles de nos régions (3).
(1) Christophe Colomb partit de Paies auprès de Séville le 3 août 1492 ; après une
navigation de soixante-dix jours, il débarqua sur l'île de San Salvador.
(2) Colomb estimait, selon les idées de son temps, que la terre qu'il voyait devant
lui était le littoral des Indes ; de là le nom d'Indes occidentales et aussi celui d'In-
diens donné aujourd'hui encore aux habitants, comme si la postérité avait tenu à
honneur de perpétuer l'illusion du grand navigateur.
(3) Toutes les questions préhistoriques touchant l'Amérique ont été traitées par de
nombreux écrivains. Une bibliographie complète exigerait des volumes, nous nous
contenterons de citer : Atwater, Description of the Antiquities of Ohio ; \es intéres-
sants mémoires publiés par le Smithsonian Institute, et parmi eux Squier et Davis,
Ancient Monuments of t/ie Mississipi Valley ; Antiquities of the State of New-
York, et Lapham, Aiitiquities of Wisconsin. — Schoolcraft, Eist. andStat. Informa-
tions 7-especting the Indian Tribes of the United States, 6 vol. — Baldwin, Ancient
America. — Wilson, The Prehistoric Man. — Waldeck, Voyage au Yucatan. —
Charnay, Cités et ruines américaines, avec une préface de VioUet-le-Duc. — Stephens,
Central America, 1 vol. — Prescott, Conquest of Mexico ; Conquest of Peru. — Jones,
Antiquities of the Southern Indians. — Morton, Crania Americana. — Nott and Glid-
don, Types of Mankind. — Foster, Prehistoric Races of the United States. — Bras-
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 3
Au seizième siècle, l'Amérique était habitée de l'Océan Populations
»• ¥1 1- 1 11 k t • ■1*'" Nouveau
Arctique au cap Horn, des rivages de 1 Atlantique à ceux du Monde.
Pacifique, par des millions d'hommes offrant des types ana- etiawore.
logues, des caractères semblables à ceux des hommes de l'an-
cien continent. Toutes les nuances de la coloration se retrou-
vaient parmi eux, depuis le blanc rosé des habitants des Cor-
dillères des Andes, des vallées formées par l'Amazone ou de
l'île Sainte-Catherine, jusqu'au noir de suie de quelques tribus
de la Californie ou de la Floride, des indigènes de l'île de
Saint-Vincent, ou bien des Charmas qui habitaient les rives
sud du Rio de la Plata (1). Au Nord les Esquimaux étaient
petits; au Sud les Patagons étaient remarquables par leur
haute stature (2). Certaines tribus Indiennes se composaient
d'individus aux membres grêles, aux extrémités fines; d'au-
tres étaient robustes, fortement constitués. Chez les uns la
tête était ronde ; chez d'autres, au contraire, la dolichocéphalie
était prononcée. Les uns avaient le système pileux très déve-
loppé; chez les autres il l'était fort peu. Les uns rasaient leur
tête, les autres laissaient pousser toute leur chevelure. Il serait
long d'énumerer les différences de types et de races que devaient
rencontrer les Européens, en pénétrant pour la première fois sur
le continent Américain.
Ces hommes vivaient au milieu de mammifères, d'oiseaux,
de poissons, de reptiles inconnus dans nos climats. Le lama (3)
était leur seul animal domestique ; ils l'utilisaient comme bête
de somme; ils se nourrissaient de sa chair; ils se vêtaient
seur de Bourbourg, Histoire des nations civilisées du Mexique et de l'Amérique cen-
trale, 4 vol. — Southall, Récent Origin of Man. — Short, The North Americans of
Antiquity. — Tylcr, Researches on the Primitive History of Man. — Squier, Peru,
Incidents of Travel and Exploration in the Land of the Incas. Avant tout, il faut
mentionner l'important ouvrage de H. Bancroft, The Native Races of the Pacific Sta-
tes of North America, 5 vol.
(1) Nott and Gliddon, Types of Mankind. — Broca, Pruner-bey, Bul. Soc. Anfh.,
1862. — Ameghino, La Antiguedad del Hombre en el Plata, t. I, p. 71.
(2) Topinard, Rev. d'Anth., 1878, p. 511.
(3) Le lama {Auchenia), ruminant de la famille des Camélidés. Il se rapproche du
chameau par la structure particulière do son estomac. Son habitat est au sud de la
Cordillère des Andes. Le guanaco et la vigogne sont des variétés de la même famille.
4 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
de sa laine. Les bœufs, les chameaux, les chèvres, les moutons,
les chevaux, les ânes leur étaient inconnus. Le chien, notre
fidèle compagnon, paraît aussi leur avoir été étranger (1). 11
était mal remplacé par le coyotte (2) ou loup des prairies, que
l'on parvenait à conserver en captivité et même jusqu'à un
certain point à dompter ; les grands félidés étaient représentés
par le jaguar (3), le lynx (4), le puma (5) dont l'habitat s'éten-
dait depuis le Canada jusqu'à la Patagonie, par l'ocelot (6) qui
hantait le Mexique, le Pérou et le Paraguay ; les ursides, par
un petit ours noir (7) et par un autre d'une taille et d'une force
prodigieuses (8). Tous les deux offraient de notables différences
avec ceux que pouvaient connaître les Espagnols. Les singes
eux-mêmes, si nombreux dans l'Amérique du Sud, ne res-
semblaient en rien à ceux de nos continents. Tous avaient
une queue longue et prenante, dont ceux-ci étaient dépourvus.
La différence de la végétation était non moins caractéristique.
Les arbres étaient d'espèces étrangères à l'Europe et à l'Asie.
Le maïs était la seule céréale cultivée dans les deux Améri-
ques. Les Indiens ne connaissaient point le blé, le seigle,
l'orge, l'avoine, le millet ou le riz; ils possédaient en revan-
che un haricot d'une autre variété que le nôtre, le manioc (9),
(1) On cite cependant certaines espèces que l'on peut ranger parmi les canidés ; on
les appelait xulos au Nicaragua, tzomes dans le Yucatan, techichis au Mexique. On les
châtrait, puis on les engraissait ; ainsi préparés ils étaient regardés comme une nour-
riture délicate.
(2) Lupus cagottus (Smith). Nous lisons dans une description de la Virginie publiée
en 1649 : « The Wolf of Garolina is the dog of the woods. The Indians had no other curs
before the Christians came amongst them. They are Tnade domestic. They go in great
droves in the night to hunt dear which they do as the best pack of hounds. »
(3) Felis Onca (Linné) ; vit dans l'Amérique du Sud.
(4) Felis Canadensis (Geof. St-Hil.) ; il est connu sous le nom de loup-cervier et sa
peau formait un des principaux produits de la compagnie de la Baie de Hudson. Les
indigènes mangent sa chair; elle est blanche et insipide.
(5) Felis concolor (Illiger).
(6) Felis Pardalis (Linné).
(7) Ursus Americanus. Son habitat est dans l'Amérique du Nord.
(8) Ursus ferox. Il entraînait facilement un bison pesant plus de mille livres. Ces
ours étaient encore assez nombreux en Californie, il y a une vingtaine d'années. Les
Indiens les chassaient et en venaient à bout avec leur redoutable lasso.
(9) Les racines de manioc fournissent une fécule connue sous le nom de tapioca.
L'HOMME. ET LE MASTODONTE. 5
le tabac (1), la tomate, le poivre, qui ont été pour nous de pré-
cieuses acquisitions.
Les Américains, qui se soumettaient successivement aux vain-
queurs étrangers, parlaient des centaines de dialectes diffé-
rents. M. Bancroft compte plus de six cents de ces dialectes,
de l'Alaska jusqu'à l'isthme de Panama (2); M. Ameghino (3),
huit cents dans l'Amérique du Sud. La plupart, il est vrai, sont
de simples dérivés de langues mères, comme l'aymara et le
guarani. Nous donnons ces chiffres sur lesquels il est difficile
de s'entendre ; la linguistique manque de règles précises ; cha-
cun peut donc soit les augmenter, soit les diminuer, selon la
manière dont il envisage la question. Pour n'en citer qu'un
exemple, certains philologues portent à treize cents les langues
de l'Amérique du Nord, tandis que Squier réduit à quatre cents
celles des deux Amériques (4).
Ces dialectes offraient une disparité totale de mots à côté
d'une grande analogie de structure (5). « En Amérique, dit
(1) On prétend que le tabac fut importé pour la première fois en Europe en 1588,
par sir Walter Raleigh.
(2) T/ie Native Races of the Pacific States, t. III, p. 557. Ces dialectes peuvent se rame-
ner à quatre familles distinctes : 1" l'Esquimau, qui offre de grandes analogies avec
les langues européennes et reste étranger aux idiomes américains ; 2° le Tinneh parlé
au nord des montagnes Rocheuses et s'étendant dans l'Alaska, les possessions anglai-
ses, rOrégon, la Californie et le Texas ; 3° VAztec ou le Nahua que l'on retrouve dans
toute l'Amérique centrale. Les remarquables poèmes de Nezahualcoyotl, roi de Tezcuco,
sont écrits dans cette langue. 4° Le Maya-Quiché, selon toute probabilité, la langue la plus
ancienne de l'Amérique centrale, dominait dans le Yucatan, le Qiiapas et le Guatemala.
Les Indiens du Yucatan la parlent encore, assure-t-on, de nos jours ; et le Senor Orozco
y Berra nous apprend que tous les noms géographiques de la Péninsule appartiennent
au Maya [Geog. de las Lenguas de Mex, p. 129).
(3) La Antiguedad del Nombre, t. I, p. 77. M. Ameghino cite ce fait curieux que,
dans certaines tribus, les femmes parlent un dialecte distinct de celui des hommes.
Il est plus probable que les expressions seules diffèrent selon les sexes.
(4) Nott and Gliddon, Ti/pes of Mankind. Squier prétend que 187 mots dans ces
400 dialectes sont communs à des langues étrangères ; 104 se retrouvent dans les lan-
gues asiatiques ou australiennes, 43 dans les langues de l'Europe, et 40 dans celles de
l'Afrique.
(5) « Other peculiarities common to ail American languages might be mentioned,
such as reduplications, or a répétition of the same syllable to express plurals; the use
of fréquentatives and duals ; the application of gender to the third person of the verb ;
the direct conversion of nouns, substantive and adjective, into verbs and their conju-
6 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
M. de Ilumboldt (1), depuis le pays des Esquimaux jusqu'aux
rives de FOrénoque, et depuis ces rives brûlantes jusqu'aux
glaces du détroit de Magellan, les langues mères entièrement
différentes par leurs racines ont, pour ainsi dire, une même
physionomie. On reconnaît les analogies frappantes de struc-
ture grammaticale, non seulement dans les langues perfec-
tionnnées, mais aussi dans les langues extrêmement grossières.
Des idiomes dont les racines ne se ressemblent pas plus que
les racines du slave et du basque ont les mêmes ressem-
blances que l'on retrouve dans le persan, le grec, le sanscrit
et les langues germaniques. »
Ces idiomes étaient polysynthétiques (2) et agglutinants (3),
le signe en général d'un état rudimentaire de civilisation ;
ils étaient cependant plus riches que ne le ferait sup-
poser l'absence de tout développement intellectuel (4). Leur
diversité peut s'expliquer par le mélange fréquent des races,
les migrations, les coutumes nouvelles, les idées nouvelles qui
pénètrent peu à peu chez les peuples même les plus dégra-
dés ; plus encore par l'instabilité et la mobilité aujourd'hui
reconnues des idiomes sauvages. Des missionnaires affirment
qu'ils ont trouvé absolument transformé, après dix ans d'ab-
gation as such ; peculiar generic distinctions arisiug from a séparation of animate from
inanimate beings. » (Bancroft, l. c, t. III, p. 556.)
(1) Cité par Prichard, Histoire naturelle de l'homme, trad. Roullin, t. II, p. 75.
^2) Galatin [Trans. Am. Ethn. Soc, t. I, chap. m) définit une langue polysynthé-
tique, celle où l'on exprime par un seul mot tout ce qui modifie le sujet ou l'action,
ou bien encore plusieurs idées complexes ayant un rapport naturel entre elles. La
langue aztèq\ie est une des plus étranges en ce genre. Citons le mot Amatlacuilo-
litquitcutlaxlahuilli, qui veut dire : paiement reçu pour avoir porté un papier sur lequel
on avait écrit ; ou bien encore Wi7iitawtgeginoliskawlungtanawnelitisesti, qui, traduit
en français, signifie : ils auront bientôt fini d'accorder des faveurs éloignées à toi ou à
moi.
(3) Une langue agglutinante est celle où l'on place les racines à côté les unes des
autres pour former des mots différents sans changer leur construction. « Casi todas
las lenguas americanas son polisilâbicas o aglutinativas, es decir que difieren esencial-
mente del grupo de lenguas monosiiâbicas del Asia oriental y de las lenguas a flexion
que hablan los pucblos arianos. » (Amegliino, /. c, t. I, p. 7G.)
(4) Nous ne saurions partager l'avis du chanoine Farrar {Familles of Speech, p. 134
etsuiv. London, 1873) qui prétend que la richesse que l'on admire dans les anciennes
langues américaines n'est qu'un moyen de dissimuler leur pauvreté.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. ^
sence, le langage des tribus qu'ils visitaient de nouveau (1).
La différence dans la civilisation de ces hommes n'était guère
moins remarquable. Elle ne saurait cependant nous surpren-
dre : car à la même époque des diversités tout aussi radicales
existaient chez les races européennes, et subsistent même de
nos jours, malgré la fréquence des communications. Parmi les
peuples de l'Amérique, les uns étaient riches, industrieux,
adonnés à l'agriculture ; ils avaient un gouvernement organisé,
des villes, des lois, un système religieux, une puissante hiérar-
chie sacerdotale. En rendant compte à l'empereur Charles-Quint
d'une reconnaissance envoyée dans la province de Quacalco,
Cortès lui mandait que les rives du fleuve (2) étaient parse-
mées de grandes et nombreuses cités. « Toute la province,
ajoutait-il, est fort plane, riche et abondante en toutes les
productions du pays (3). » Sur bien d'autres points, il pouvait
signaler une situation non moins florissante. A côté de ces
peuples, que l'on ne saurait mieux comparer qu'aux antiques
nations de l'Asie, habitaient d'autres races, en contraste complet
avec eux; des Indiens sédentaires et agricoles vivant en
commun, dans des pueblos semblables par leurs dispositions
à des ruches d'abeilles; les Algonquins et les Apaches, sauvages
nomades se nourrissant d'herbes ou de racines, quand la
chasse ou la pêche leur faisaient défaut; les Aléoutes couverts
de hideuses peintures, ne connaissant que leurs passions bru-
tales et ignorant un lien même temporaire de mariage (4). Ces
hommes adoraient les animaux, le serpent ou le hibou, par
exemple, le tigre dans le Honduras, l'écureuil dans l'île de Van-
couver. Ce n'était même pas là la limite extrême que pouvait
atteindre la dégradation humaine; chez certaines tribus cali-
forniennes, hommes et femmes erraient absolument nus dans
(1) D' Cari Gûttler, Naturforschung und Bihel. Freiburg im Brisgau, 1877.
(2) Le Coatzacualco, rivière de l'isthme de Tehuaatepec, à l'extrémité sud de la pro-
vince de Vera-Cruz.
(3) Carta segunda de Relacion ap. Lorenzana, f"» 91-92.
(4j On rapporte que la pluralité des hommes existait chez eux et qu'une femme
pouvait avoir à la fois plusieurs maris.
8 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
leurs forêts, n'admettant ni lois, ni dieux, ni chefs, et sans autre
abri que la cime des grands arbres ou la caverne qu'ils dispu-
taient aux animaux.
L'Amérique du Sud ne présentait pas des contrastes moins
frappants. A côté des Péruviens, le peuple le plus riche et le
plus avancé en civilisation des deux Amériques, les barbares
Querandis occupaient les territoires actuels des républiques de
l'Uruguay et de Buenos-Ayres. Don Pedro de Mendoza débarqua
le 2 février 1535 à l'embouchure du Roi Chuelo, où il fonda le
Puerto de Santa-Maria-de-Buenos-Aires. Un de ses compagnons
a raconté son expédition (1) et ses longues luttes contre des sau-
vages qui ne connaissaient que les armes de pierre, la fronde
avec laquelle ils lançaient des bolas^ et le lasso si redoutable dans
leurs mains. L'extrême Sud était moins civilisé encore, et de
vastes déserts étaient parcourus par des sauvages nomades, tou-
jours en lutte les uns contre les autres et disputant aux animaux
leur gîte et leur subsistance.
Espagnols Tcls étaient les peuples sur lesquels les Européens allaient se
Portugais, jeter comme sur une proie livrée à leur avidité. Tandis que
Certes soumettait l'Amérique centrale, Pizarre renversait le
trône des Incas ; les compagnons de Mendoza, les Solis, les
Gaboto, les Cabeça de Yaca remontaient le Rio de la Plata, le
Paraguay, le Parana ; leur valeur et leur énergie assuraient à
l'Espagne le magnifique empire colonial qui a duré jusqu'au
dix-neuvième siècle. Pourquoi faut-il qu'une indigne cruauté
et un sombre fanatisme aient déshonoré leur gloire?
Les Portugais n'étaient pas moins actifs, et les deux nations
se disputaient le Nouveau Monde avec une féroce ardeur (2).
Le 9 mars 1500, Alvarez de Cabrai quittait le Portugal à la tête
(1) Un soldat allemand, Ulrich Schmidt, qui faisait partie de l'expédition, en a con-
servé un récit intéressant. Il a été imprimé en 1567 à Francfort-sur-le-Mein, sous le
titre de Wahraftige Beschreihung aller und Mancherley Sorgfaltigen Schiffarten
auch vicier unbekandten erfudnen Landshaften. On peut aussi consulter Ruy Diaz
de Guzman, Historia del descubrimento, conquistas y poblacion del Rio de la Plata.
(2) Il faut lire, sur la part prise par les Portugais dans la découverte du Nouveau
Monde, un excellent travail de M. L. Cordeiro, inséré dans le premier volume du
Compte rendu du Congrès des Américanistes tenu à Nancy en 1875.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 9
d'une flotte de treize vaisseaux, pour se rendre dans les Indes par
le cap de Bonne-Espérance. Après avoir dépassé les îles du Cap-
Vert, il navigua à l'ouest pour éviter le calme plat qui régnait
sur les côtes de la Guinée. Le hasard le servit au delà de ses espé-
rances; six semaines après son départ, il abordait à Porto-Se-
guro ; le Brésil était découvert (1), et il avait l'honneur de donner
à sa patrie une contrée seize fois plus vaste que la France (2). Le
pays était habité par les Tupis, de race guaranie (3). Ces hommes,
réunis en peuplades dans des villages composés ordinairement
de quatre vastes tonnelles de verdure, formant au centre une
place carrée, vivaient absolument nus, se servaient avec dex-
térité de leur arc et se nourrissaient du produit de leur chasse.
Une étrange parure les défigurait ; la lèvre inférieure des
hommes était perforée par une cheville en bois ou bien par
une pierre de jade, dont le poids la faisait pendre d'une façon
hideuse (4).
Quelques années après (5), Magellan découvrait le détroit qui
porte son nom. Un Itahen, Antonio Pigafetta, qui l'accompagnait,
raconte (6) que le grand navigateur ayant dû hiverner dans la
baie de Saint-Julien, on lui amena un Indien surpris par ses
matelots. Cet homme, dit notre chroniqueur, était bien formé
(1) Il serait possible qu'avant cette époque les Français eussent abordé sur quel-
ques points du Brésil ; voici ce que rapporte Bergeron [Hist. de la navigation. Paris,
1630, p. 107): « Toutesfois nos Normands et Bretons maintiennent les premiers avoir
trouvé ces terres-là, et que de toute ancienneté ils ont trafiqué avec les sauvages du
Brésil au lieu dit depuis Port- Real. Mais faute d'avoir gardé par écrit la mémoire de
cela, tout s'est mis en oubli ; ce pays fut appelé par les Portuguais terre de Sainte-
Croix à cause d'une croix que Cabrai y fit solennellement arborer ; mais nos Français
lui ont donné le nom de Brésil, pour ce que ce bois y croist en abondance en certains
endroits. » On peut aussi consulter un mémoire de M. Gaffarel {Congrès des Améri-
canistes, Luxembourg, 1877, t. I).
(2) La superficie du Brésil est de 8,750,000 kilom. carrés.
(3) D' Couto de Magahaës, 0 Selvagem, Rio-de-Janeiro, 1876. Les Guaranis peu-
plaient également la République Argentine, l'Uruguay et le Paraguay.
(4) De nos jours encore cette hideuse coutume se conserve chez les Botocudos, peu-
plade sauvage et cannibale du Brésil.
(5) De 1519 à 1522.
(6) Primo Viaggio intomo al gloho navigazione sulla squadra di Magagliano.
Milano, 1800. — Moreno, Les Paraderas de la Patagonie {Rev. d'anth., 1874).
iO L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
quoiqu'un peu plus grand qu'un homme ordinaire, son visage
était peint en rouge (1), et le contour de ses yeux en jaune; il
était habillé avec la peau d'un animal à tête et oreilles de mulet,
col et corps de chameau, jambes de cerf et queue de cheval.
Il portait une espèce de chaussure faite avec la peau du même
animal, et tenait à la main un arc court et gros avec une poi-
gnée de flèches à pointe de pierre blanche ou noire. » C'était un
Tehuelche auquel Magellan imposa le nom de Patagon, à raison
de la taille de son pied qu'agrandissait encore la forme de la
chaussure qu'il portait.
Avant l'arrivée des Européens, la Guyane était habitée par
une multitude de petites tribus indigènes qui souvent n'étaient
composées que de quelques familles. Les plus avancés parmi
ces hommes cultivaient des champs de manioc, dont les ra-
cines suffisaient à leurs besoins. Leurs arcs et leurs hamacs en
fil de coton constituaient toute leur richesse. L'autorité de leurs
chefs était presque nulle et leur ignorance religieuse si grande
qu'on ne pouvait même les accuser d'idolâtrie. Ils n'avaient
qu'une idée fort vague d'un bon et d'un mauvais esprit, et leur
unique plaisir était de s'enivrer au moyen d'une boisson fabri-
quée avec des racines de manioc que les vieilles femmes mâ-
chaient et qu'elles faisaient ensuite fermenter (2).
Nous n'avons pas à poursuivre le récit de ces grandes décou-
vertes ; il nous faut revenir ^ux compagnons de Cortès, et dire
les nouveaux sujets d'étonnement qui les attendaient. Jusque
dans les contrées les plus éloignées, jusque dans les forêts sécu-
laires qui couvraient le Chiapas, le Guatemala, le Honduras,
le Yucatan, et où il fallait le plus souvent se frayer un passage,
la hache à la main, des statues, des colonnes, des hiéroglyphes,
des villes détruites, des palais abandonnés, des ruines grandioses
surgissaient de tous côtés, muets témoins de siècles écoulés et
de races disparues. Partout les Conquistadores pouvaient cons-
tater une civilisation autrement ancienne et probablement su-
(1) Les femmes avaient l'habitude de se peindre également les seins en rouge.
(2) Ïernaux-Gompans, Notice hist. sur la Guyane française. Paris, 1843, p. 35.
L'HOMiME ET LE MASTODONTE. 4i
périeure à celles des peuples qu'ils soumettaient; et aussi les
luttes, les guerres, tristes fléaux de l'humanité dans tous les
temps et sous tous les climats.
Trois siècles environ avant la venue de Cortès, les Aztecs,
qui devaient être vaincus par lui, s'étaient établis dans l'Ana-
huac (1) ; après des luttes fort vives et des défaites qui les avaient
momentanément abattus, ils y avaient fondé Tenotchitlan (2)
qui était devenu leur capitale. Il est presque impossible de fixer
les limites exactes de leur empire qui s'étendait de l'Atlantique
au Pacifique, dans les pays qui forment aujourd'hui le Mexique
et une partie des Etats-Unis (3). Ces limites variaient sans cesse
par la soumission d'une tribu, par la révolte d'une autre qui
retrouvait une indépendance éphémère. Il est même douteux
que cet empire fût autre chose qu'une confédération de tribus
de race Nahuatl, comme les Aztecs eux-mêmes ; parmi ces
peuples, les Acolhuas et les Tepanecs paraissent avoir été les
plus importants.
Ce qui est plus certain, c'est que leur domination, dure pour
leurs sujets, était peu solide. Cortès trouva des alliés fidèles
parmi les tribus mécontentes, parmi les chefs irrités des injures
qu'ils avaient subies ; et ce fut grâce à leur concours qu'il par-
vint à briser la puissance de Montezuma (4). Ces tribus des-
cendaient vraisemblablement des Toltecs, qui, comme nous le
verrons, avaient envahi le Mexique avant les Aztecs (5). Notre
(1) Le nom d'Anahuac, très improprement appliqué à l'Empire mexicain, était général
à tout pays situé auprès d'un lac ou d'une grande étendue d'eau (Brasseur de Bour-
bourg. Ruines de Pulenqué, ch. ii, p. 32j.
(2) Nom indien de la ville de Mexico.
(3) Bancroft (/. c. ,t. II, p. 94), acceptant les données de Clavigero, place ces limites
entre le 18' et le 21* parallèle sur les rives de l'Atlantique, et entre le 14* et le 19" sur
celles du Pacifique.
(4) Nous suivons l'orthographe adoptée en France. Le vrai nom du chef vaincu par
Cortès était Moctheuzema IL
(5) Sahagun est le premier historien qui mentionne les Toltecs. Leur véritable nom
reste encore incertain. Celui que nous leur donnons dérive de Tollan ou Tula leur
capitale. Depuis M. de Humboldt, on a voulu voir en eux les constructeurs de ces
villes mystérieuses qui s'élèvent dans toute l'Amérique centrale où leur empire avait
duré plusieurs siècles. Une tradition longtemps conservée prétend qu'ils descendent
12 L'AMERIQUE PRÉHISTORIQUE.
ignorance reste complète sur cette invasion, que les historiens
modernes placent vers le vi^ siècle de notre ère. Nous savons
seulement que les Toltecs formaient une confédération et que
chacune de leurs tribus obéissait à un chef indépendant (1).
Ces Pélasges du Nouveau Monde, comme les appelle M. de
Humbolt, sont-ils les seuls constructeurs des monuments que
nous aurons à décrire, les premiers habitants des villes en ruines
qui restent sans nom pour leurs descendants ? Cela est très dou-
teux, bien que nous sachions que cette race a marqué plus que
toute autre dans l'histoire de l'Amérique centrale, et que la lan-
gue, les rites religieux et les coutumes des Toltecs se retrouvent
depuis le Rio Gila jusqu'à l'isthme de Panama. Mais, déchirés
par des luttes intestines, décimés par des maladies pestilentielles,
ils ne purent résister aux Chichimecs. Quelques-uns parmi eux
se retirèrent vers le sud et se confondirent avec les Mayas, déjà
établis dans le Yucatan et dont nous aurons aussi à dire la
grandeur. Les Chichimecs sont plus inconnus encore que leurs
rivaux (2), et pour ajouter aux difficultés que nous rencontrons,
leur nom est resté générique pour désigner les tribus insoumises
de la Nouvelle-Espagne. De là, sans doute, l'opinion générale
qu'ils étaient sauvages et barbares. Bancroft les dit de race
Nahuatl ; d'autres, et parmi eux les plus anciens historiens du
pays, sont d'un avis contraire, et prétendent prouver que la
langue qu'ils parlaient était absolument différente de celle des
Nahuas (3). - . .
de sept chefs, sortis des sept caves dont nous aurons occasion de reparler. Le lieute-
nant Maury, dans une lettre de 1850 (Schoolcraft, /. c, t. I), croit que les sept caves
de la tradition étaient sept canots et que ces hommes, les premiers Toltecs, venaient
des îles Aléoutes.
(1) Ixtlilxochitl, Hist. Chichimeca. Kingsborough, Mex.Ant., t. IX. Cet historien des-
cendait par les femmes des anciens rois du pays. Il fut élevé par les Espagnols et se
convertit à la foi catholique. Il vivait encore en 1608.
(2) « I will only mention the people denominated Chichimecs, under which gênerai
name, wcre designated a multitude of tribes inhabiting the mountains North of the val-
ley of Mexico, ail of which were prominently dépendent on the resuit of the chase
for their subsistence. » Bancroft, l. c, t. I, p. 617. — Becker, Migrations des Nahuas,
Congrès des Américanistes, Luxembourg, 1877.
(3) Francesco Pimentel, Lenguas indigenas de Mexico, t. I, p. 154.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 13
Tous ces hommes, Toltecs, Chichimecsou Aztecs, venaient du
Nord (1), et descendaient vers le Sud, fuyant le froid, cherchant
des terres plus fertiles, des climats plus hospitaliers ; ou vaincus
peut-être par des races plus belliqueuses, et chassés par elles,
comme une vague en pousse une autre. Pénétrons donc dans
ces régions du nord, le berceau de la race ÎSahuatl ; nous y trou-
verons des tertres d'une grandeur imposante, des terrassements
immenses, fortifications, temples ou sépultures, d'où le nom de
Mound-Builders (2) qui a été donné à leurs constructeurs et que
nous sommes forcés d'adopter à notre tour, car leur souvenir
a disparu delà mémoire des Indiens rebelles à toute civilisation,
à tout progrès, aujourd'hui les seuls représentants, nous ne
pouvons dire les descendants de ces hommes qui ont couvert de
leurs constructions l'Amérique du Nord, depuis les grands lacs
et le Wisconsin, jusqu'au golfe du Mexique, depuis l'Arkansas
et la Californie, jusqu'à l'Atlantique (3).
Assurément l'Amérique raconte un antique passé ; et sans ac-
cepter les prétentions de nombreux écrivains contemporains (4),
qui veulent qu'alors que l'Europe était habitée par des sauvages
nomades, ne connaissant d'autres armes que quelques misé-
rables pierres à peine dégrossies, l'Amérique était déjà peuplée
par des hommes ayant construit des villes, élevé des monuments,
vivant au milieu d'une civilisation avancée ; il faut bien recon-
naître que cette civilisation, cette organisation sociale n'avaient
pu grandir qu'avec l'aide du temps. Cette richesse qui excita l'ar-
dente convoitise des Espagnols s'était lentement accumulée. Les
monuments du Mexique et du Pérou, ceux plus anciens de l'Amé-
(1) Les plus anciennes traditions mexicaines parlent d'un grand empire au nord du
continent américain, auquel on donne le nom de Huehue-Tlapallan. Nous aurons
occasion de revenir sur cette question.
(2) Littéralement constructeurs de tertres.
(3) Jones, Ant. of the Southern Indians. — Bancroft (t. IV, p. 748) donne une carte
de leur territoire.
(4) Agassiz et Lyell sont à la tête de ceux qui soutiennent la grande antiquité du
continent américain ; ce dernier, dont les chififres paraissent fantaisistes, prétend que
le Mississipi coule dans son lit actuel depuis plus de cent mille ans {Sec07id Visit to
the United States, t. II, p. 188).
14 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
rique centrale, qui frappent les archéologues par leur singu-
lière ressemblance avec les temples et les palais de l'Egypte (1),
les tertres même de l'Ohio et du Mississipi avaient exigé un tra-
vail intelligent, une population nombreuse, une hiérarchie ac-
ceptée, que les siècles seuls peuvent donner. Durant ces siècles,
dont il est impossible de supputer la durée, les peuples dont
nous recherchons les origines avaient été précédés par d'autres
peuples plus ignorants et plus barbares. Ils est certain que, dans
tous les pays du globe, la civilisation a grandi par un progrès
lent et graduel. C'est là une loi constante de l'humanité à la-
quelle il n'est nulle exception. Le temps d'ailleurs n'a pas
manqué à ces transformations, quelque lentes que l'on veuille
les supposer. Les œuvres de l'homme, a dit Lyell, sont comme
des choses d'hier, si nous les comparons aux effets physiques
qui ont successivement formé les montagnes et les vallées, les
rivières et les lacs de notre planète (2).
En résumé, des multitudes de races et de nations ont surgi
sur le sol américain, puis ont disparu, sans laisser d'autres
traces que des ruines, des tertres, quelques silex taillés ou quel-
ques débris de poterie. L'histoire ne peut retenir que des faits
qui reposent sur des monuments écrits, sur des traditions sé-
rieuses : c'est sur ces fondations qu'elle établit la chronologie des
temps, la filiation des nations (3). Ici tout manque. Ceux que nous
croyons pouvoir désigner comme aborigènes étaient peut-être les
vainqueurs d'autres races qui les avaient précédés; puis les vain-
queurs et les vaincus tombent dans un même oubli, et les noms
des uns et des autres sont également effacés de la mémoire des
hommes !
Quels étaient donc ces premiers habitants de l'Amérique?
D'où venaient-ils? Quelles migrations les avaient amenés? Quels
désastres les avaient anéantis? Par quels chemins avaient-ils
(1) On peut consulter sur cette ressemblance : Ensayo de un estudi comparativo en-
Ire le Piramide Egypeias y Meiicanas. Mexico, 1871.
(2) Travels in North America, t. II, p. 33.
(3) Fred. v. Hcllwald, The American Migrations.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 15
pénétré dans ces terres inconnues? Devons-nous admettre des
centres différents de création, elles premiers Américains sont-ils
nés sur la terre même d'Amérique? L'évolution, la sélection,
ces principes qui paraissent si sûrs à l'école moderne, ont-ils
pu produire sur les rives de l'Atlantique et du Pacifique un
homme semblable à l'Européen et à l'Asiatique, semblable par
sa charpente osseuse, semblable par son développement intellec-
tuel? Problèmes immenses qu'il faut poser, problèmes redou-
tables, car ils recèlent à la fois le passé et l'avenir de l'humanité.
Déjà cependant il est permis d'affirmer que les premiers vestiges
de notre race en Amérique et en Europe sont exactement sem-
blables; ce n'est pas le côté le moins saisissant de la question,
que de voir, dans le nouveau monde comme dans l'ancien,
l'homme aborder avec des moyens presque identiques la lutte
pour la vie (1).
Un point est désormais irrévocablement acquis à la science. Lhommc
L'homme a vécu dans nos régions durant l'époque quaternaire ; Amérique^au
il a été le contemporain et souvent la victime de ces grands ani- animaux *de
maux dont les squelettes conservés dans nos musées montrent
la puissance. Nos vieux ancêtres ont dû lutter contre l'ours
et le lion des cavernes, contre le terrible Machaïrodus aux ca-
nines aussi tranchantes que les lames d'un poignard, contre le
mammouth et le rhinocéros tichorhinus ; probablement aussi,
contre VElephas antiquus et le Rhinocéros etrusciis, plus anciens
encore. Les premiers Américains ont été, eux aussi, les contem-
porains d'animaux gigantesques qui, comme leurs congénères
européens, ont disparu sans retour. Il leur a fallu combattre le
mastodonte, le mégathérium (fig. 1), le mylodon (fig. 2), le me-
galonyx, l'éléphant (2), un jaguar plus grand que le jaguar
actuel, un ours non moins redoutable que l'ours des cavernes (3).
(1) Le D' Hamy, Les Premiers Habitants du Mexique.
(2) Klephas Colombi (Owen). On le trouve dans les deux Amériques ; mais il a dis-
paru dans l'Amérique du Nord plus tôt que dans l'Amérique du Sud.
(3) Parmi les espèces fossiles, il faut mentionner les équidés; on trouve des variétés
nombreuses depuis les États-Unis jusqu'à la Plata, et dernièrement on a recueilli dans
la Nebraska les ossements d'un équidé qui diffère peu de l'Equus Caballus, notre che-
race éteinte.
16 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
11 leur fallait, comme nos pères, les attaquer et les vaincre avec
des haches en silex, des couteaux en obsidienne, avec toutes ces
misérables armes dont nous avons été si longtemps sans com-
prendre l'importance. Par une de ces admirables lois de la Pro-
vidence, en Amérique comme en Europe, Tintelligence devait
l'emporter sur la force brutale ; l'animal, malgré ses puissants
moyens d'attaque et de défense, devait être vaincu dans cette
lutte où tout paraissait être en sa faveur, et l'homme faible et
nu devait vivre et se perpétuer.
Fig. 1. — Le Megatherium.
Cet homme n'avait pas seulement à lutter contre les pa-
chydermes et contre les édentés. Les temps oii il a vécu ont
été marqués par des cataclysmes , restés dans le souvenir des
hommes. « Si j'en crois, dit l'abbé Brasseur de Bourbourg (1),
les documents que j'ai été assez heureux pour recueillir, il y a
de ces dates qui feraient allusion à des convulsions antiques de
la nature dans ces régions, à des déluges, à des inondations ter-
ribles, à la suite desquels auraient surgi des montagnes, accom-
val actuel. Parmi les variétés il faut mentionner VHipparion, VAnchiterium, le Pro-
tohippus, VOrohippus, etc., qui paraissent les ancêtres du cheval (Gaudry, les En-
chaînements du moyide animal). Ameghino {la Antiguedad del Hombre, t. I, p. 195)
croit pouvoir déduire de cette série ascendante que le cheval est originaire de l'A-
mérique.
(1) Arch. de la Com. scientifique du Mexique, t. I, p. 95.
L'HOMME ET LE MASTODONTE.
^^
pagnées d'éruptions volcaniques. Ces traditions, dont on trouve
également les traces au Mexique, dans l'Amérique centrale, au
Pérou et en Bolivie, donneraient même à penser que l'homme
existait dans ces diverses contrées lors du soulèvement des Cor-
Fig. 2. — Mylodon robustus.
dillères et qu'il en avait gardé le souvenir. » Parmi ces cataclys-
mes, il faut sans doute placer la période glaciaire qui a joué un
grand rôle dans l'Amérique du Nord et dont on rencontre par-
tout les traces imposantes. Ce sont des rochers striés ou mouton-
nés par le frottement des glaciers, des blocs erratiques immenses,
entraînés par un mouvement irrésistible. Dans la Nouvelle-An-
gleterre on a reconnu des stries glaciaires à trois mille pieds (1)
d'élévation ; dans l'Ohio les plus hautes atteignent quatorze cents
pieds ; dans l'Iowa, le Michigan et leWisconsin, douze cents pieds
environ au-dessus du niveau de l'Océan (2).
(1) Nous avons cru devoir suivre les mesures américaines, qui sont les mêmes que les
mesures anglaises. Rappelons que le pied vaut 0,30 ; le pouce, 0,0253 ; le mille,
1609 mètres.
(2) Col. Whittlesey, Proc. Am. Ass. for the Advancement of Science. Buffalo,
1866.
De Nadaillac, Amérique. 2
Kpoque
ïlaciaire.
18 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
L'action des glaciers descendus de la Sierra Nevada s'est pro-
duite en Californie sur des centaines de milles carrés. On trouve
dans les forêts du Brésil, dans les pays baignés par l'Amazone,
comme dans les vastes savanes de Meta et de l'Apura, des blocs
erratiques de forme conique provenant des grands glaciers des
Andes (i). Agassiz constatait ces mêmes phénomènes en pleine
région tropicale dans les vallées de l'Amazone et du Rio de la
Plata ; à ses yeux ils étaient si considérables, qu'il lui semblait
impossible qu'ils ne se fussent pas étendus sur le continent amé-
ricain tout entier (2).
Le professeur Cook (3) a dressé une carte des glaciers du New-
Jersey. Un immense glacier progressait lentement du nord au
sud, broyant, striant, polissant tout sur son parcours, arrachant
aux roches qu'il rencontrait des blocs pesant jusqu'à vingt tonnes
elles déposant dans une moraine terminale, comme ses témoins
éternels. On reconnaît aujourd'hui encore cette moraine, vaste
amas de débris de roches, de graviers et d'argile, depuis le Ra-
ritan jusqu'au Delaware.
Ces périodes glaciaires paraissent s'être renouvelées à plu-
sieurs reprises. M. Sutton signale deux dépôts parfaitement dis-
tincts dans le Rentucky (4). Selon lui, l'un de ces dépôts serait
antérieur à la formation de la vallée de l'Ohio; le second n'aurait
eu lieu qu'après que la rivière avait creusé son lit actuel. Il y a
quelques années, le professeur Newbury annonçait la décou-
verte, sur les bords mêmes de l'Ohio, d'un Forest-Bed renfermant
les ossements du mastodonte, du mammouth, d'un grand cas-
tor (5) et intercalé entre deux couches de limon dont l'origine
glaciaire ne lui paraissait pas douteuse. Déjà on avait constaté,
auprès du lac Supérieur, des traces non équivoques de ces deux
périodes. La distinction entre elles est facile ; durant la première,
les glaciers se dirigeaient du Nord-Est au Sud-Ouest; durant la
{\)Bul. Soc. Géog., avril 1880.
(2) Voyage au Brésil, trad. Vogeli. Paris, 1869, p. 428.
(3) Geology of New Jersey.
(4) Proc. Am. Âss. for the Advancement of Science. Buffalo, 1876.
(5) Castoroides Ohiensis ? (F ovstev).
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 19
seconde, du Nord au Sud. Pendant l'intervalle assurément très
long qui s'était écoulé entre la première et la seconde irrup-
tion de ces glaciers, l'Amérique du Nord et particulièrement
les territoires qui forment l'État de l'Ohio étaient couverts de
magnifiques forêts, oi^i les mastodontes et les megatheriums
trouvaient à la fois une retraite assurée et l'abondante nourri-
ture nécessaire à leur existence. Les débris de leurs ossements,
mêlés à ceux d'immenses végétaux, sont une preuve sans répli-
que (1). Tout récemment enfin la commission géologique du
Canada (2) constatait à son tour les deux périodes glaciaires ; la
première et la plus terrible devait correspondre à un envahis-
sement général des glaces polaires, l'autre à un développement
postérieur des glaciers locaux.
A quelle époque remontent ces périodes glaciaires ? L'imagi-
nation humaine a peine à concevoir leurs causes ou leur durée;
l'histoire et la tradition restent absolument muettes ; nous sa-
vons seulement qu'au moment où elles prenaient fin, des inon-
dations diluviennes, caractérisées par des torrents impétueux,
achevèrent de former les vallées actuelles, et donnèrent à l'Amé-
rique sa configuration physique, qui depuis ce moment ne s'est
guère modifiée.
L'homme a vécu durant ces tourmentes (3) ; il a résisté à la
rigueur du froid; il a survécu aux cataclysmes; les dernières dé-
couvertes du D"^ Abbott (4) dans les dépôts glaciaires de la vallée
du Delaware (5), auprès de Trenton (New Jersey), paraissent le
(1) American Journal of Science, t. V, p. 240.
^2) Geological Sw^ey of Canada, Report, 1877-8.
(3) « I see no reason to doubt, dit M. Putnam, the gênerai conclusion in regard to
the existence of man in glacial times, on the Atlantic coast of North America. »
(4) Primitive Industry. Salem. Mass, 1881. — Paleolithic Implemenls from the Drift
in the Valley of Delà ware River near Ire/z^on (New- Jersey). Report Peabody Muséum,
1876 et 1878. — Th. Belt, Discovery of Stone Instruments in the Glacial Drift in
North America. London, 1878.
(5) Le Delaware se jette dans l'Atlantique après un cours de 120 lieues. 11 forme
la limite des deux États de Pennsylvanie et de New-Jersey. Certains géologues croient
à la submersion d'une partie du Continent américain à l'cpoque glaciaire. Le Delaware
notamment se jetait à cette époque dans l'Océan auprès de Trenton et cette ville
est aujourd'hui à 120 milles de la mer.
20 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
prouver avec une entière certitude. Dans des alluvions quater-
naires, formées de couches non remaniées de sable et de gra-
vier (1), à une profondeur variant de cinq à vingt pieds, M. Ab-
bolt a recueilli un nombre considérable d'outils évidemment
façonnés par la main de l'homme (fig. 3, 4, 5), et qui offrent
Fig. 3. — Instrument en pierre de
la vallée du Delaware.
Fig. 4. — Grattoir provenant de la
vallée du Delaware.
une grande ressemblance avec les instruments paléolithiques de
nos régions et en particulier avec Jes plus anciens de tous,
ceux de Saint-Acheul ou de Chelles. Ces objets, pointes de lance
ou de flèche, couteaux, poinçons, grattoirs, éclats de toute sorte
ou rejets de fabrication, sont en trap (2), roche argileuse d'ori-
gine volcanique, très dure et très difficile à tailler; aussi les re-
touches sont-elles moins nettement accusées que celles, par
(1) « Why sliould this recently displaced material only yield the rudest forms of
cliipped stone implements, when the surface is litteraly covered in some places, witli
ordinary Indian relies ; not a spécimen of which basas yet occured in this gravel. »
(Abbott, Report, Peabody Muséum. 1876, p. 35.)
(2) Le gisement de trap le plus rapproché de Trenton se trouve à 30 milles plus au
nord.
L'HOMME Eï LE MASTODONTE. 21
exemple, des haches de la vallée de la Somme (1). Ils se ren-
contrent au milieu de boulders, dont quelques-uns atteignent
jusqu'à vingt pieds de diamètre, de roches striées et polies par
l'action des glaces, ou entraînées parcelle des eaux torrentielles.
Un des outils présente des stries absolument analogues à celles
des cailloux au milieu desquels il a été recueilli. C'est là un fait
important ; il convient de ne pas l'omettre.
Fig. 5. — Arme en pierre provenant de la vallée du Delaware.
La découverte de Trenton n'est pas isolée. M. Abbott a trouvé
des objets, où le travail de l'homme est non moins évident sur
différents points du New-Jersey ; et il reste convaincu que des
fouilles scientifiquement conduites amèneraient les mêmes ré-
sultats dans toutes les vallées de cet État. Les îles de la Susque-
hanna ont donné des instruments semblables aux instruments
Scandinaves les plus grossiers (2). Comme ceux de Trenton, ils
ont été fabriqués par des hommes probablement contemporains
(1) H. W. Haynes, The Argillite Implements found in the Gravais ofthe Delaware
River. Boston Soc. of Natural Hist. Jan. 1881.
(2) L. du Prof. Haldeman du 27 sept. 1877. Report Peabody Muséum, 1878, p. 255.
22 L'AMÉRIQUE PREHISTORIQUE.
de l'époque glaciaire et ayant certainement précédé de bien des
siècles la race qui peuplait l'Amérique du Nord lors de l'arri-
vée des Espagnols (1).
Un membre de la commission d'exploration du Mexique,
M. Guillemin Tarayre, annonçait la présence de silex taillés par
l'homme dans des gisements quaternaires (2). Le temps lui man-
quait pour continuer ses fouilles ; mais des découvertes posté-
rieures sont venues confirmer ses prévisions. On a trouvé une
hachette dans le Rio Juchipila, auprès de l'ancienne ville de
Fig. 6. — Hachette des alluvions du Rio Jucliipila.
Teul ; puis dans le Guanajuato une- pointe de lance du type
moUstérien ; sur un autre point une hache semblable à celles de
Saint-Acheul et un grattoir qui rappelle à s'y méprendre ceux
qui remplissent nos musées (fig. 6, 7, 8). Cette dernière pièce a
été recueillie non loin de Mexico, dans des alluvions quaternaires
qui ne présentaient aucune trace de remaniement, et de nom-
breux débris de VElephas Colombi mêlés, aux œuvres de l'homme
attestent la contemporanéité de cet homme et du proboscidien.
(1) Il faut aussi mentionner un marteau en pierre trouvé à Pemberton (New-Jersey j
(fig. 9) ; on a cru y reconnaître le Swastika, ce signe sacré des Ariens qui se retrouve
chez les Hindous, les Persans, les Troyens, les Pelasges, les Celtes et les Germains.
Sur le marteau de Pemberton, il est assez grossièrement exécuté, si tant est qu'on ait
voulu le reproduire.
(2) JVa/wre, 1878, le' sem., p. 262. — Ameghino, Z. c, 1. 1, p. 148.
L'HOMME ET LE MASTODONTE.
23
Ce n'est pas seulement par les silex taillés, œuvre de leurs Amériq..:
mains, que nous connaissons les anciens habitants de l'Amé-
rique. Il a été trouvé sur plusieurs points des ossements humains
associés à de nombreux débris d'animaux disparus (1).
Fig. 7. — Pointe de lance trouvée
auprès de Guanajuato,
Fig. 8. — Grattoir provenant d'une vallée
auprès de Mexico.
Lund fut un des premiers à les signaler (2). Dans une caverne
creusée dans le calcaire et située sur les bords d'un petit lac, le
Lagoa do Sumidouro (province de Minas Geraës, Brésil) (3),
(1) Jadis l'examen était très superficiel et les erreurs inconcevables. Je ne puis en
donner une meilleure preuve que l'acceptation, il y a un siècle et demi, par la Société
royale de Londres, des ossements d'un mastodonte trouvé auprès d'Albany (New-En-
gland), pour des ossements humains {P/iilos. Transactions, t. XXIX, 1714).
(2) On the Occurence of Fossil Human Bones in South America. Nott and Gliddon,
Types of Mankind, p. 350. — Lacerda et Peixoto, Contribuiçoes ao Estudo Anthropo-
logico dos Raças indigenas do Brazil; Archivas do Museu Nacional, Rio de Janeiro,
1876.
(3) Cette caverne est située à trois lieues de Santa Lucia, entre les deux rivières de
Las Velhas et de Paraopeba.
24 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
il mettait au jour des ossements appartenant à plus de trente
individus d'âge et de sexe différents, depuis l'enfant jusqu'au
vieillard décrépit.
Des tètes se rencontraient parmi ces débris ; elles étaient
remarquables par leur forme pyramidale et par l'étroitesse du
front. « Il y avait des mâchoires inférieures, écrivait Lund, quel-
■ Fig. 9. — Marteau en pierre provenant de Pemberton (New Jersey).
ques années plus tard (1), qui n'étaient pas seulement dépourvues
de toutes leurs dents, mais qui étaient tellement usées, qu'elles
ressemblaient à une plaque osseuse, épaisse seulement de quel-
ques lignes. » Plusieurs crânes présentaient un trou de la même
grandeur et toujours de forme oblongue et régulière. Il est pro-
bable qu'il avait été produit par des armes de pierre et que les
blessés n'avaient pu longtemps survivre à ces graves lésions.
Les squelettes (2), confondus dans un extrême désordre qui ex-
(1) Lettre de Lund à Rafn, datée du Lagoa-Santa le 28 mars 1844. Mém. Soc. Roy. des
Antiquaires du No7'd, 1845, p. 49. — Cartailhac, Matériaux pour l'histoire de
l'homme, janv. 1882.
(2) Le mot de squelettes est peut-être impropre ; la plupart des crânes étaient
entassés séparément ; tandis qu'un autre monceau était formé de petits os, tels que les
osselets des doigts et des orteils, les os appartenant au carpe ou au cou-de-pied (L. de
Lund, l, c).
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 25
cluait toute idée de sépulture, gisaient sur la terre rouge, sol
primitif de la caverne. Ils étaient empâtés dans une argile dur-
cie par des incrustations calcaires et recouverts par d'immenses
blocs de pierre, tombés des parois ou de la voûte.
Pêle-mêle avec les ossements humains, on recueillait ceux de
plusieurs espèces encore vivantes dans le pays principalement,
des félidés (1) et des cervidés (2), puis d'autres appartenant à des
espèces émigrées ou éteintes. Citons parmi ces dernières un
singe (3), un rongeur de la taille du tapir (4), un pécari deux
fois plus grand que les pécaris actuels (5), un cheval assez
voisin de notre espèce domestique, un auchenia, un grand chat
qui dépassait de beaucoup la taille du jaguar (6), un mégathe-
rium (7), d'autres encore (8).
Les ossements humains présentaient les mêmes caractères
chimiques que ceux des espèces animales auxquelles ils étaient
associés, soit dans la terre restée meuble, soit dans celle que
des infiltrations calcaires ont transformée en une brèche d'une
grande dureté (9). Sans doute les hommes et les animaux avaient
vécu ensemble; ils avaient péri ensemble, victimes des mêmes
catastrophes dont on ne peut préciser ni l'époque, ni la cause.
C'étaient là les débuts de Lund (10). En poursuivant ses re-
cherches dans la province de Minas Geraës, oii il eut la patience
et l'énergie de fouiller, au milieu de difficultés sans cesse re-
naissantes, plus de mille cavernes, il rencontra de nouveau des
ossements humains (H ) , au milieu d'importants débris d'animaux.
(1) Le Puma {Felis concolori, l'Ocelot (Felis pardalis).
(2) Cervus rufus et C. simplicornis. Dasj/pus longicaudis et D. mirus.
(3) Callitrix primœvus.
(4) Hydrochxrus sulcidens.
(5) Dicotyles.
(6) Felis protopanther.
(7) Acelidotherium (Owen).
(8) Le Ctamijdotherium Humboldtii, édenté de la taille du tapir, le Platyonix
(Lund), entre autres.
(9) De Quatrefages, Congrès anthrop. de Moscou, 1879, p. 6.
(10) Lund consacra quarante-huit années de sa vie à l'étude de la faune fossile du
Brésil.
(11) Six cavernes seulement ont donné des ossements humains.
2fi L'AMÉKIQUE PRÉHISTORIQUE.
Par de longs et minutieux travaux, il parvint à reconstituer qua-
rante-quatre espèces disparues, et parmi elles plusieurs singes,
des hoplophorus, qui atteignaient la grandeur de nos bœufs (1),
et le smilodon, grand carnassier, voisin du machaïrodus qui vi-
vait dans nos climats durant les temps quaternaires.
Lund faisait remonter à une grande antiquité la présence de
rhomme sur le sol américain. « L'habitation de l'Amérique
méridionale, disait-il (2), s'étend non seulement au delà de la
découverte de cette partie du monde, mais très loin dans le temps
historique, probablement même au delà de celui-ci, jusqu'au
temps géologique ; puisque plusieurs espèces d'animaux sem-
blent avoir disparu des rangs actuels de la création depuis l'ap-
parition de l'homme dans cet hémisphère. » Le savant danois
ne s'était arrêté à cette opinion qu'après de longues hésitations,
dont la trace est visible dans ses écrits. Durant les premiers
temps qui suivirent ses remarquables découvertes (3), il datait
seulement des temps historiques les ossements du Lagoa Santa.
M. Gaudry se range, sans hésiter, aux dernières conclusions
de Lund (4). Il croit seulement qu'il faut distinguer dans la ca-
verne de Sumidouro deux couches quaternaires : la première
et la plus profonde est caractérisée par des ossements d'ani-
maux disparus (5) et devait correspondre à l'âge du mammouth
dans nos régions ; la seconde couche est caractérisée par des
espèces plus réceqtes et serait représentée par notre âge du
renne. C'est à cette dernière, qu'il faut rattacher les ossements
humains. Les seules preuves que nous ayions de l'existence de
l'homme au Brésil durant l'époque quaternaire le feraient donc
(\) H. Eiiphratus, H. Selloy, H. Minor. Ce dernier était beaucoup plus petit que
ses congénères. Pictet range les Hoplophorus avec les Glyptodons parmi les Édcntés
{Paléontologie, t. I, p. 273), mais rien ne prouve que l'Hoplophorus, ainsi qu'on
l'a prétendu, eût une cuirasse comme le Glyptodon.
(5) Lettre à Rafn, p. 5.
(3) « A mes yeux, disait M. de Quatrefages à Moscou, Lund a eu incontestablement
l'honneur de découvrir l'homme fossile en Amérique et celui d'affirmer cette décou-
verte à une époque où l'existence de cet homme était regardée en Europe comme plus
que douteuse par les hommes les plus compétents. »
(41 Note ms. citée par M. de Quatrefages, Cong. anthr. de Moscou, 1879.
(6) Le Platyonyx et le Chlamydotherium, par exemple.
L'HOxMME ET LE MASTODONTE. 27
remontera des temps moins anciens qu'en Europe. Mais hâtons-
nous d'ajouter que c'est là une conclusion que des découvertes
nouvelles peuvent facilement modifier.
Dans notre colonie de la Guyane, l'homme existait alors que,
par un afîaissement du sol, les eaux submergeaient une grande
partie de la contrée. On a pu relever ses traces et recueillir des
haches en pierre polie sur les bords du Maroni, du Sinnamari,
de la rivière de Cayenne et de l'Aprouague (1). Déjà Strobel (2)
avait signalé sur les rives de la Plata des poteries du travail le
plus primitif et des flèches en calcédoine qui paraissent avoir
appartenu aux plus anciens habitants de la région, et les para-
deros (3) de la Patagonie avaient donné de nombreuses flèches
triangulaires (fîg. 10) se rapprochant soit des types européens.
Fig. 10. — Pointe de flèche de la Patagonie.
soit des types péruviens (4). Dans des conditions biologiques et
climatériques très différentes, l'homme était arrivé à des créations
absolument semblables. Nous reviendrons souvent sur ce point,
assurément un des plus curieux de notre récit.
Il nous faut raconter les plus importantes de ces dernières dé-
(l) Maurel, jBm/. Soc. anthr., avril 1878.
{Tj Matet'iali di Paletnologia comparata, racolti in Sud-America.V'âvma^, 1868.
(3) Le nom de paraderas vient de parar, séjourner. On a prétendu qu'ils occu-
paient la place d'anciennes habitations, à raison des parties de terrain brûlées qui
y abondent et qui paraissent avoir servi de foyer.
(4) Moreno, les Paraderas préh. de la Patagonie (flew. danthr., 1874).
28 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
couvertes. Il y a plusieurs années, M. Séguin recueillait, sur les
bords du Rio Carcarana (province de Buenos- Ayres), de nom-
breux ossements d'animaux disparus (1): un ours plus grand que
Tours des cavernes (2), un équidé, le mastodonte et le megathe-
rium. Avec ces débris, gisaient des ossements humains, des
fragments de crânes, de mandibules, de vertèbres, de côtes,
d'os longs, se rapportant au moins à quatre individus différents.
La gangue qui les enveloppait était de tous points semblable à
celle qui renfermait les ossements d'animaux ; nul doute sérieux
ne pouvait s'élever sur leur contemporanéité. Il n'en peut être
de même pour quatre instruments en pierre taillée (3) du type
néolithique ; ils avaient bien été trouvés dans la même formation,
mais non dans le même gisement, il convient donc de faire
certaines réserves à leur égard (4).
Découvertes Laissous maintenant parler un autre explorateur, M. Ame-
M.Ameghino. ghiuo (5) ; il uous dira, mieux que nous ne saurions le faire, le
résultat de ses fouilles : « Sur la rive du petit ruisseau de Frias,
aux abords de Mercedes, à vingt lieues de Buenos-Ayres, j'ai
rencontré beaucoup de fossiles humains ; j'en ai trouvé mêlés avec
une grande quantité de charbon de bois, de terre cuite, d'osse-
ments brûlés et striés, de pointes de flèche, de ciseaux et de couteaux
en silex (fig. 11), et une grande quantité d'ossements d'animaux
éteints (6), ayant des stries, des incisions faites évidemment par
(1) Gervais, Journ. de zoologie, t. II, 1872. Les mammifères dont Séguin a retrouvé
les restes sont Y Arctotherium Bonœriensis, VHydrochœrus magnus, le Mastodonte ,
le Megatherium Americanus, le Lestodon trigonidens, YEuryurus rudis et un équidé
indéterminé (Araeghino, la Antiguedad del Hombre en el Plata, t. II, p. 526).
(2) Ursus spelœus. Ses ossements se rencontrent en nombre considérable dans tous
les gisements quaternaires de l'Europe.
(3) Trois sont en quartzite, un en calcédoine.
(4) Une partie des ossements et des silex taillés, recueillis par M. Séguin, ont figuré
à l'Exposition de 1867. Ils appartiennent aujourd'hui au Muséum de Paris.
(5) L. du 31 oct. 1875. Journ. de zoologie, t. IV. — L'homme préh. dans la Plata
{Rev. d'anthr., 1879-1880). — La Antiguedad del Hombre en el Plata, 2 vol. in-S".
Paris, 1881.
(6) M. Ameghino, dans le remarquable ouvrage auquel il nous faut renvoyer nos
lecteurs, donne des détails complets sur la faune et la flore des pampas. Un tableau joint
au tome II montre la faune tertiaire de la Patagonie, la faune du pampéen supérieur
et inférieur, du pampéen lacustre, des alluvions modernes, enfin la faune contempo-
L'HOMME ET LE MASTODONTE.
29
la main de Thomme, des os pointus, des couteaux, des polissoirs
en os. » Plus tard, M. Ameghino découvrait la demeure même
Fig. 11. — Pointes de flèches de la collection Ameghino.
de cet Américain des premiers temps, et cette demeure assez
étrange était la carapace d'un tatou gigantesque, le glypto-
Fig. 12. — Le Glyptodon.
don (1) (fig. 12). « Tout autour de la carapace, ajoute-t-il, il y
avait du charbon, des cendres, des os brûlés et fendus et quel-
raine de la conquête espagnole. A l'aide de ce tableau, il est facile de se rendre compte de
l'apparition et de la disparition des diverses espèces. Les mammifères dont M. Ame-
ghino a reconnu les ossements mêlés à ceux de l'homme sont : le Canis cultridens,
V Hydrochœrus sulcidens, le Reithrodon, le Toxodon Piatensis, un Equus, un Auche-
nia et un Cervus indéterminés, le Mijlodon robustus, le Panochœtus tuberculatus, le
Glyptodon reticulatus et le G. typus (Ant. del Hombre,i. II, ch. x, xi, xivetxv).
(1) Pictet le range dans l'ordre des Édentés et dans la famille des Tatous. Burmeister
{Ann. de Museo publico de Buenos-Ayres) cite un Glyptodon, dont la carapace pré-
sentait un diamètre longitudinal de 1™,64, un diamètre transversal de l'°,32 et une
hauteur de l'^fio.
30 L'AMERIQUE PRÉHISTORIQUE.
ques silex. On voyait agglomérée la terre rougeâtre du sol pri-
mitif. Arrivé à ce niveau, on continua à fouiller et l'on découvrit
un instrument en silex, des os longs de lama et de cerf fendus
et dont quelques-uns portaient des traces évidentes du travail de
l'homme, des dents de toxodon et de mylodon (fig. 2), égale-
ment travaillées. » Plus tard, la découverte d'une autre cara-
pace de glyptodon, dans des conditions à peu près analo-
gues, vint fortifier la conviction de M. Ameghino (1). Au
milieu des pampas, de ces plaines immenses sans un accident
de terrain, sans un arbre, sans un rocher, oii il pût trouver un
abri, pour éviter les attaques des animaux gigantesques qui
erraient autour de lui, l'intelligence de l'homme ne lui fit
pas défaut; il avait creusé la terre, et la carapace d'un tatou
vaincu était devenue le toit de la tanière qui lui offrait une
retraite et quelques moments de sécurité (2).
De longues discussions se sont élevées à la suite des découvertes
de M. Ameghino, Burmeister repoussait la contemporanéit-é
des hommes et des mammifères, dont les ossements gisaient
confondus (3). La Société scientifique argentine refusait même
d'entendre la lecture du mémoire qui les racontait. Nous ne
saurions accepter ces décisions. M. Ameghino affirme que les
ossements des animaux étaient mêlés aux ossements humains ;
les uns et les autres étaient couverts de dendrites produites
par les oxydes de fer et de manganèse du sol. Les mêmes
dendrites se retrouvaient dans les stries (4) ; c'est là une preuve
(1) « El Hombre seguraraento habitaba las corazas de los Glyptodon, pero no siempre
las colocaba en la posicion que acabo de indicar. » [La Antiguednd del Hombre, t. II,
p. 532. — Revue se. publiée par la République française, sous la direction de M. Paul
Bert, 1880.)
(2) Strabon nous dit: « Los Chelenophages couvrent leurs cabanes d'écaillés do tor-
tue. Ces écailles sont de telle grandeur, qu'ils s'en servent quelquefois comme de ba-
teaux. « {Geog., lib. XVI.)
(3) Los Caballos fossiles de la Pampa Argentina. Plus tard M. Burmeister se mon-
tre moins afflrmatif : «Noparece, dit-il, que sean contemporaneos de los animales de
la epoca inferior porque carecemos de pruebas para determinar con seguridad que
hayan vivido simultaneamente. » {Descripcion fisica de la Republica Argentina.)
(4) Ameghino (/. c, t. II, p. 424) donne la liste des animaux auxquels appartenaient
les ossements striés.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 31
évidente que ces stries, qui n'ont pu être que l'œuvre de l'homme,
étaient antérieures à l'ensevelissement des os. D'autres osse-
ments avaient été fendus longitudinalement pour en retirer la
moelle, apointés en forme de flèche ou de poinçon, noircis par
le feu. Le charbon, la terre brûlée étaient les indices certains
du foyer.de l'homme (1) ; les pierres n'ont pu être taillées que
par sa main. Nous croyons donc, comme M. Ameghino, que
l'homme vivait dans l'Amérique du Sud, au milieu d'animaux
disparus depuis longtemps, qu'il chassait les cerfs, les lamas,
lespalœolamas, les nombreux petits rongeurs, dont les ossements
se sont accumulés avec les siens ; qu'il ne craignait même pas
de s'attaquer au glyptodon malgré son impénétrable cuirasse,
au toxodon (2), au megatherium, au mastodonte. Leur chair
servait à sa nourriture, leur peau à ses vêtements, et leurs os
devenaient ses armes et ses outils, quand les silex et lesquartzites,
qu'il fallait souvent chercher au loin, lui faisaient défaut. Tout
cela nous paraît absolument prouvé (3).
Il reste une question importante à résoudre. A quelle époque
remonte la formation des pampas ? A quelle date géologique
devons-nous rattacher le pampéen supérieur où les ossements
humains ont été rencontrés? Darwin considère ce terrain
comme récent, Burmeister comme quaternaire, Bravard et Ame-
ghino comme pliocène. Les opinions ne diffèrent pas moins sur
le mode de formation. D'Orbigny dit que, dans les temps ter-
tiaires, la mer recouvrait la plus grande partie du territoire
argentin; le soulèvement des Andes amena de grands cata-
clysmes et, à leur suite, la formation du dépôt argilo-sableux des
(1) « En algunos puntos se encuentra una gran cantidad de fragmentes informes de
tierra cocida de color ladrilloso. Que es lo que indican ? Son los productos de les
primeros ensayos en el arte ceramico 6 son el simple resultado de la accion del fuego
de un fogon encidido porel hombre de la epoca del Glyptodon » (Ameghino, l. c, t. I,
p. 427.)
(2) Toxodon Platensis (Owen). Le premier a été découvert sur les bords du Rio Negro
à 120 milles au N.-O. de Montevideo ; la longueur de sa tête était de 2 pieds 4 pouces.
Depuis on a cru pouvoir distinguer plusieurs espèces.
(3) La découverte de M. Ameghino n'est pas restée isolée, nous aurons l'occasion
d'en citer une autre (chap. ix).
32 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
pampas. Darwin admet aussi cette hypothèse (1). Lund croit que
les pampas sont des terrains de transport, amenés par une grande
inondation qui couvrit toute l'Amérique du Sud. Bravard veut
y voir le résultat des cendres volcaniques, des sables et des pous-
sières charriés par de violentes tourmentes; d'autres géologues,
le limon apporté dans la période de leurs grandes inondations
par les innombrables ruisseaux qui descendent des Andes. Le
D"" Burmeister nous parle de l'action des glaces. Pour lui les
couches pampéennes sont préglaciaires et postglaciaires, carac-
térisées l'une et l'autre par des faunes différentes ; mais les re-
cherches plus récentes font rejeter avec raison les changements
entiers et rapides, les acteurs entrant ou sortant tous ensem-
ble de la grande scène de la vie. Aucune faune n'a ainsi ni
paru, ni disparu. M. Ameghino nous montre d'ailleurs dans les
couches successives les grands mammifères tels que le smilodon,
le felis lojigifrons, le toxodon, le mastodonte; ces deux derniers
remontent même à une époque relativement récente. L'hoplo-
phorus, le megatherium, le mylodon, que Burmeister classe
parmi les animaux préglaciaires, se trouvent surtout dans le
pampéen supérieur. En revanche, les espèces citées comme ca-
ractéristiques de l'époque postglaciaire se rencontrent à tous les
étages. Sans continuer ici une controverse qui nous entraînerait
trop loin, nous dirons que la formation des pampas a certaine-
ment duré un temps considérable, « largos y largos siglos, » dit
Ameghino ; qu'elle est due à des causes multiples et variées, et
que toutes celles que nous venons d'énumérer, d'autres proba-
blement encore, y ont sûrement contribué. S'il est impossible,
dans l'état actuel de la science, d'établir d'une manière précise
le rôle de chacune de ces causes, il est plus impossible encore
de les dater ; et les difficultés sont d'autant plus grandes, que
les périodes géologiques ne sont pas synchroniques en Europe
et en Amérique et que leur assimilation encore bien imparfaite
(l) Il est remarquable que les dépôts pampéens ne renferment pas de mollusques
marins. C'est une objection grave au système exclusif soutenu par d'Orbigny et Darwin.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 33
demande, si même elle est jamais possible, de longs efforts et
de patientes recherches.
Nous ne pouvons omettre un crâne découvert en 1874, par le
D' Moreno, sur les bords du Rio Negro (Patagonie), à quatre
mètres de profondeur, dans une couche de gravier et de sable
jaune, qu'il dit d'une formation contemporaine de celle du
limon pampéen (1). Bien que ce crâne ne fût accompagné d'au-
cun ossement qui permît de le dater avec quelque certitude,
M. Moreno le regarde comme très ancien et signale sa remar-
quable déformation artificielle, semblable à celle qui a existé
de tout temps chez les Aymaras et qui se rencontrait ainsi à plus
de six cents lieues de leur patrie. M. Broca a aussi appelé l'atten-
tion sur les traces laissées sur le frontal par une ostéite ancienne,
et il n'hésite pas à attribuer cette ostéite à une affection syphili-
tique : c'est là un fait pathologique intéressant.
Déjà M. Moreno (2) avait recueilli dans les anciens cimetières
de la Patagonie de nombreux ossements humains. Qu'ils soient
fort anciens, cela ne fait de doute pour personne ; mais leur âge
réel est bien difficile à fixer avec quelque certitude. Les sque-
lettes étaient le plus souvent assis, la face tournée vers le dehors,
les genoux près de la poitrine, un pied reposant sur l'autre, et les
mains croisées sur les tibias. C'est à peu près la même position
que celle des momies péruviennes. Avec ces squelettes on trouvait
des pointes de flèche très variées de forme, en roches de toute
nature, des petits couteaux en silex, des fragments de .poterie
ornée de lignes, de points, d'ondulations ou de zig-zags, des
boules en grès, en diorite, en porphyre, des mortiers en
pierre (3), différents mollusques, et enfin des os de guanaco et
d'autruche cassés longitudinalement. Quelques-uns des osse-
ments humains étaient teints en rouge. Comme certains Indiens
avaient encore au siècle dernier l'habitude de se peindre le vi-
sage en rouge avant de partir pour une expédition, on a supposé
(1) Bul. soc. anthr., 1880, p. 490.
(2) Revue d'mithr., 1874.
(3) Le plus grand mesurait 345"" de diamètre et 135">ni de hauteur.
De Nadaillac, Amérique. 3
Nord.
34 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
que ces ossements appartenaient à des guerriers tués dans le
combat. Il était utile de citer ces faits; mais il faut ajouter que
les rites funéraires dont ils témoignent ne sauraient remonter
à l'époque quaternaire, ni avoir été pratiqués par les contem-
porains du mylodon ou du glyptodon.
Amérique du Lcs découvcrtcs faites dans l'Amérique du Nord ne seraient
pas moins curieuses, s'il était permis de les accepter avec plus
de confiance. Cette réserve faite, il faut les raconter, ne fût-ce
que pour montrer combien les maîtres de la science eux-mêmes
se laissent souvent entraîner par leur imagination, plus encore
par des idées préconçues. Le comte F. de Pourtalès avait trouvé
en 1848 des mâchoires humaines encore garnies de leurs dents
et une partie des os du pied d'un homme, dans un conglomérat
formé de fragments coralliens ou de coquilles brisées, et enchâssé
dans les rochers à pic qui surplombent le lac de Monroë (Floride),
à 16 kilomètres de la côte. Agassiz (1) avait annoncé le fait au
monde savant; et en calculant que la terre sur ce point ga-
gne sur la mer 30 centimètres environ par siècle, il donnait
comme âge au banc de corail un minimum de 13,300 ans, et
10,000 ans aux ossements qu'il renfermait. Lyell (2), Wilson (3),
bien d'autres savants à leur suite, acceptaient et le fait de la
découverte et les conséquences qui en ressortaient lorsqu'une
lettre du comte de Pourtalès vint mettre fin à une controverse qui
s'était prolongée pendant plusieurs années, en affirmant que les
ossements humains avaient été trouvés, non dans le conglomé-
rat corallien, mais bien dans un calcaire d'eau douce nette-
ment caractérisé par des mollusques encore vivants dans le
lac (4). .-••■'
A Natchez, le docteur Dickson recueillait dans le loess du
Mississipi, à côté d'ossements du mylodon et du megalonyx, l'os
(11 The Lecture of Agassiz. [Mobile Daily Tribune, 14 avril 1855). — Nott and Gliddon,
Types of Mankind, p. 352.
(^) Antiguity of Man, p. Ai.
(3) The Prehistoric Man, p. 12.
(4) Il y rencontra notamment des Ampularia et des Paludina [Americ. Naturalist,
Oct. 1868, t. II, p. 443). '
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 35
du bassin d'un homme (1), noirci comme eux par le temps,
plus encore par la tourbe, où gisaient les uns et les autres.
Cette fois, sir C. Lyell se montra plus réservé ; il reconnut
que cet ossemenl pouvait bien provenir des tombes indiennes
très nombreuses dans les environs, et avoir été entraîné par
les eaux (2). Sir J. Lubbock ne se prononce pas ; mais il s'étend
avec une certaine complaisance sur l'opinion d'Usher qui regar-
dait cet os comme fossile (3). 11 aurait dû citer aussi le savant
Leidy qui réserve, jusqu'à preuve plus complète, et c'est évi
demment le parti le plus sage, toute conclusion sur la con-
temporanéité de cet homme et des mammifères avec lesquels
ses ossements étaient confondus.
Les plaines qui s'étendent de la Nouvelle-Orléans au golfe
du Mexique sont basses et humides. 11 est difficile, quand on
les parcourt, de dire si c'est la terre que l'on voit, ou des
marécages recouverts de plantes aquatiques. Cette solitude sau-
vage, bornée par un horizon stérile, est le séjour des fièvres
perpétuelles, des reptiles, des insectes de tout genre. L'homme
par son énergie est parvenu à vaincre cette nature maudite, et
une des métropoles du Sud s'élève sur des terrains d'alluvion
déposés par le Mississipi, et atteignant sur certains points jusqu'à
cinq cents pieds de puissance. Des tranchées exécutées il y a
quelques années, pour l'établissement d'une usine à gaz, ont mis
au jour plusieurs couches successives d'anciennes forêts. Les géo-
logues ont constaté dix générations d'arbres disparus depuis
des siècles (4). Dans une couche dépendant de la quatrième
forêt, à une profondeur de seize pieds, parmi les troncs d'arbres
et les fragments de bois brûlé gisait un squelette. Le crâne
était recouvert d'un cyprès gigantesque qui avait vécu de longues
(1) Os inominatum. Nott and Gliddon, Types of Marikind, p. 349.
(2) Second visit to America in 1846, t. II, p. 197. — Antiquity of Man, ch. x.
(^)Uhomme préhistorique, trad. Barbier, p. 26. — Southall, Récent Origin of Man,
p. 551. — Short, The Nortfi Americans of Antiquity, p. 114.
(4) Tableau of New Orléans, 1852. —Nott and Gliddon, Types of Mankind,p. 338.
— Lyell, Ant. of Man, p. 44 et 200. — Lubbock, ('Homme préh., p. 261. — Sou-
thall, Récent Origin of Man, p. 470 et 551. — Huxley, la Place de l'homme dans la
nature, note du D' Daly. • • -^
36 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
années après l'homme, puis qui avait succombé à son tour (1).
M. Bennett Dowler, en calculant la croissance et la durée des
diverses couches forestières, porte à 57,600 ans l'âge de ces
débris humains. C'est là un calcul trop hypothétique pour
que nous croyions devoir le discuter. Le D"" Dowler semble
l'avoir compris lui-même, car par un calcul postérieur il
ne porte plus l'antiquité du squelette qu'à 14,400 ans (2).
Pas plus que le premier, ce dernier chiffre ne reposerait sur un
fondement sérieux, si, comme le suppose le D' Fostcr (3), les
prétendues forêts successivement ensevelies n'étaient que les
arbres charriés par le fleuve dans ses crues fréquentes, et
déposés avec les alluvions au point où il déchargeait ses eaux
dans la mer. La même conclusion s'impose si nous admettons
l'opinion du D"^ Hilgard, qui ne veut voir, dans la couche où
reposait le squelette, qu'une alluvion récente.
Dans une mine de sel située sur l'île de la Petite-Anse
(Louisiane), il a été trouvé une natte fabriquée avec des ro-
seaux entrelacés (4). Le sel se rencontre à une profondeur
moyenne de quinze à vingt pieds ; et le fragment de natte
était au niveau des premiers bancs salins. A deux pieds au-
dessus, gisaient des fragments de défenses ou d'ossements d'un
éléphant. L'homme et le proboscidien avaient vécu au même
moment; ils étaient venus mourir au môme point.
Le D' Koch découvrait, sur les bords de la Rivière-Bour-
(1) Le cyprès {Taxodium dislichum) vit très longtemps. Adanson en cite un, auquel
il attribue 5, "200 ans, et le baron de Humboldt parle d'un autre à Chapultepec. déjà
vieux au temps de Montezuma, et qu'il suppose âgé de 6,000 ans au moins.
(2) Nous reproduisons ce calcul d'après un ouvrage récent (Short, The Nort/i Arne-
ricans, p. 123) ; il est difficile de se rendre compte de ses facteurs. Le D'' Dowler attri-
bue la formation du delta à trois époques distinctes : 1" celle des plantes marécageuses ;
2" celle des cyprès auxquels il n'accorde plus que deux générations ; 3° celle des
chênes qui forment la végétation actuelle. Il donne à la première et à la dernière de
ces périodes une durée de 1,500 ans, à la seconde une durée de 11,400 ans basée sur
le diamètre des cyprès et sur les cercles concentriques, qui permettent d'attribuer à
chaque génération une existence de 6,700 ans.
(3) Prehistoric Races, p- 16.
(4) Arundinaria macrospenna. Cette natte est aujourd'hui déposée au musée national
do Washington. ,
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 37
beuse (Gasconade County, Missouri), les débris d'un Masto-
donte (1). L'animal, un des plus grands parmi ceux connus,
s'était embourbé dans les marécages ; entraîné par son poids,
il n'a\ait pu se relever et il était tombé sur le flanc droit.
Des hommes l'avaient aperçu dans cette position ; ils l'avaient
attaqué de loin d'abord, en lui lançant des flèches, des pierres,
des fragments de roche que l'on retrouve en grand nombre
mêlés à ses ossements ; puis, pour en avoir plus facilement raison,
ils étaient parvenus à allumer autour de lui de grands feux
attestés par les cendres qui atteignaient, sur certains points,
jusqu'à six pieds de hauteur. Les flèches, les pointes de lance,
les couteaux étaient certainement l'œuvre de l'homme; les frag-
ments de roche, dont quelques-uns ne pesaient pas moins de
vingt-cinq livres, avaient été apportés de loin. Tout paraît prouver
Texactitude de la scène que retrace Koch. L'année suivante, il
faisait une découverte à peu près semblable dans le comté de
Benton (Missouri). A dix milles environ de la jonction de la rivière
Pomme-de-Terre avec l'Osage, il rencontrait, sous le fémur d'un
mastodonte, une flèche en silex rose, puis un peu plus loin, tou-
jours dans la direction de l'animal, quatre autres flèches (2) qui,
selon toutes les apparences, avaient été lancées contre lui (3).
Très probablement ces observations sont exactes ; malheu-
reusement les faibles connaissances scientifiques de Koch (4),
les exagérations dont il accompagnait son récit, ont jeté tout
(1) Koch avait annoncé sa découverte par de nombreux pamphlets qui n'ont aucune
valeur scientifique. Dana a conservé les titres d'un grand nombre d'entre eu\{Koch's
Evidence on the Contemporaneity of Man and the Mastodonte in Missouri. American
Juiirn. of Science and Arts, May, 1875). On peut aussi consulter Forster {Preh. Races,
p. 62), R!iu{Nort/i Am. Stone Implements, Smith. Cont. 1872) qui admettent l'authen-
ticité de la découverte de Koch, et Short [North Americans) qui la nie. Schoolcraft (/. c,
1. 1, p. 174) dit, en parlant des ossements du mastodonte découverts auprès de la ri-
vière Pomme-de-Terre, qu'ils n'étaient pas pétrifiés, ce qui permet de douter de leur
grande antiquité.
(2) Trois de ces flèches étaient en agathe, une en silex de couleur bleuâtre.
(3) Trnns. of Saint-Louis Acad. of Science, 1857.
(4) Koch était surtout un chercheur habile et persévérant. Les musées de l'Améri-
que et de l'Europe sont remplis du produit de ses fouilles. C'est lui qui a découvert,
entre autres, le magnifique mastodonte du British Muséum.
38, L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
d'abord sur les faits eux-mêmes quelque discrédit. Mais les dé-
couvertes récentes du D' Aughey dans l'Iowa et dans la Nebraska
sont venues les confirmer. Là aussi on a rencontré des ossements
de mastodonte, mêlés à de nombreuses pointes en silex. Muni
de ces faibles armes, répétons-le avec étonnement, l'homme
n'hésitait pas à attaquer l'animal gigantesque et parvenait même
à le vaincre.
Dans la région des Montagnes-Rocheuses, sur divers points
des côtes du Pacifique, on signale de nombreuses traces de la
présence de l'homme. La découverte d'outils ou d'armes, à
plusieurs centaines de pieds de profondeur, dans des couches
diversement stratifiées et ne présentant aucune trace de re-
maniement, implique seulement que le pays était peuplé bien
des siècles avant l'arrivée des Espagnols et que les hommes
qui l'habitaient avaient été les témoins des convulsions de la
nature, des phénomènes volcaniques qui avaient amené des
changements si remarquables. Mais quand les ossements de
l'homme, les produits de sa très primitive industrie, sont
associés à des restes d'animaux, disparus depuis des temps
dont il est difficile de supputer la durée, il est impossible de
ne pas faire remonter l'existence de cet homme à l'antiquité
la plus reculée (1).
Nous constatons ces faits dans la Californie, dans le Colo-
rado (fig. 13), dans le Wyoming, partout où les fouilles ont pu
avoir lieu. M. Voy (2), dans un manuscrit qui, croyons-nous, est
resté inédit, signale de nombreuses et intéressantes découvertes
toutes soigneusement vérifiées. Nous citerons deux mortiers en
pierre trouvés dans un gravier aurifère, auprès de Table Moun-
tain, l'un en 1858, à trois cents pieds de profondeur, l'autre en
1862, à quarante pieds plus bas, au-dessous d'une couche de lave
de cent quatre pieds de puissance; puis à San-Andrès plusieurs
de ces mêmes mortiers qui abondent dans toute la Californie.
Poursuivons une rapide énumération, que nous voudrions en
, (1) Bancroft, /. c, t. IV, p. 697.
(2) Relies of the Stone Age in California.
Fig. 13. — Gorges du Rio Colorado.
40 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
vain moins aride. Le D' Snell parle d'un pendant en schiste
siliceux, et de plusieurs pointes de lance. A Shaw's Fiat, ce sont
des ornements en calcaire et un mortier en granit; auprès de
Sonera et à Kincaid's Fiat, des silex taillés ; à Gold-Spring
Gulch, un plat ovale en granit de plus de dix-huit pouces de dia-
mètre, de deux à trois pouces d'épaisseur et du poids de qua-
rante livres ; à Georges-Town, plusieurs plats à peu près sembla-
bles. Partout ces silex, ces mortiers, ces plats étaient associés à
des ossements de mastodonte, d'éléphant, d'un grand tapir et d'au-
tres mammifères disparus. Une tradition assez constante attribue
ces objets, œuvre évidente de l'homme, à une race sauvage et
anthropophage, disparue comme les animaux au milieu des-
quels elle vivait, et qui n'avait rien de commun avec les In-
diens actuels (1).
Des traces d'anciennes exploitations minières se voient aussi
sur plusieurs points de l'Amérique du Nord ; nous savons seu-
lement qu'elles sont bien antérieures à la conquête espa-
gnole. En Californie on cite des mines de mercure (2) où les
roches se sont effondrées, ensevelissant dans leur chute les
mineurs, dont les squelettes gisent au fond de la mine à côté
de grossiers marteaux de pierre, seuls outils de ces sauvages
ouvriers. Des dépôts calcaires et môme des couches carboni-
fères dans le Michigan portent la trace d'outils à peu près
analogues (3) ; et dans les mines du lac Supérieur, on a recueilli
également de nombreux marteaux (4). Nous reviendrons sur ces
questions; mais déjà nous pouvons dire que de pareils travaux
sont absolument étrangers aux Indiens et doivent être attribués
à une race différente.
Remontons le cours des siècles. M. Berthoud raconte avoir
trouvé des silex travaillés dans des sables tertiaires à Cow's
(1) Bancroft, /. c, t. III, p. 547. Il cite un manuscrit inédit de M. Powers. Nous repro-
duisons [app. A) les principales découvertes connues et la faune qui les accompagnait.
(2) Bancroft, /. c, t. IV, 696. Les Espagnols ont donné à ces mines le nom à'Altna-
den, en souvenir de celles de leur patrie.
(3) Am. Ass. Détroit [Michigan), Xilh.
(4) Am. Ass. Cambridge {Mass.), 1849.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 4l
Creek et auprès de la rivière South-Platte ; avec ces silex, il
recueillait des coquilles qu'il rattache aux plus anciennes
couches du pliocène, peut-être même à celles du miocène. Ce
sont là, il faut en convenir, de faibles témoignages pour at-
tester un fait d'une importance aussi capitale que l'existence
de l'homme durant les temps tertiaires (1).
La découverte qui nous reste à dire a été discutée dans toutes LUonmie
les sociétés savantes de l'Amérique et de l'Europe ; bien que la "mériqu^^
Fig. 14. — Crâne de Calaveras,
solution ne soit pas encore satisfaisante, il convient de donner
les détails qu'elle comporte. En 1857, un fragment de crâne hu-
main associé à des ossements de mastodonte avait été trouvé à
une profondeur de 180 pieds dans les sables aurifères de Table-
Mountain (Californie). Le Rév. C.-F. Winslow s'empressa de trans-
mettre ce fragment à la Société d'histoire naturelle de Bos^
ton (2); mais cette société reconnut qu'il était impossible d'y
attacher aucune importance, parce que l'on ne possédait sur le
(1) M. Berthoud dit avoir trouvé ces objets par 40" lat. nord et 104° longitude ouest
(Philadetphia Acad. of Natural Science, 1872).
(2) Whitney, The auriferous Gravels of Sierra Nevada, p. 264.
i2 L'AMÉRIQUE PRÉHISTOBIQUE.
gisement que les déclarations d'ouvriers fort intéressés à cacher la
vérité (1). Quelques années après, en 1866, M. Whitney, directeur
des explorations géologiques de la Californie, annonçait la décou-
verte d'un crâne, cette fois à peu près complet (fig. 14), à 130
pieds environ de profondeur, dans une couche de graviers auri-
fères, située sur le versant occidental de la Sierra-Nevada (comté
de Calaveras). Le gisement reposait sur un lit de lave et était re-
couvert de plusieurs couches soit de lave, soit de dépôts volca-
niques succédant à des couches de gravier (2). Cette succession
indique clairement de longues périodes agitées, où de puissants
courants ont alterné avec des éruptions répétées. Si les faits que
Ton rapporte sont exacts, depuis l'existence de l'homme, les eaux
(1) Un fragment provenant du môme crâne fut également donné par le Rév. C. F.
Winstovv au Musée des sciences naturelles de Philadelphie.
(2) Nous reproduisons, d'après les Matériaux pour l'histoire primitive et naturelle
de Vhomme, la série des dépôts de haut en bas.
1 . lave noire 40 pieds
2. graviers 3 »
3. lave blanche 30 »
4. graviers 6 »
5. lave blanche 15 »
graviers 25 pieds
lave brune 9 »
graviers 5 »
lave rouge 4 »
graviers rouges 17 »
D'après le propriétaire de la mine, ce serait dans la couche n» 8 que le crâne dont
nous parlons aurait été trouvé. La grande épaisseur des^ couches de lave ne saurait
être un critérium pour juger la durée des éruptions. La lave et les cendres du Vésuve
qui recouvrent Herculanum varient de 76 à 112 pieds. Humboldt a constaté qu'en
1750 l'éruption du volcan de JoruUo au Mexique avait déposé une couche de lave de
500 pieds de puissance. En 1783, le volcan de Skaptar-Jokul en Islande jetait des tor-
rents dont les courants mesuraient une longueur do 45 et de 50 milles. Toute la vallée
de la rivière Skapta sur une profondeur variant de 400 à GOO pieds fut comblée et la
rivière elle-même desséchée. Bischoflfa calculé que le volume de lave produit par cette
éruption dépassait celui du Mont Blanc; et d'autres savants l'estiment à 500 milliards
de mètres cubes. D'après une évaluation peut-être exagérée de ZoUinger, le volume
total des scories et des cendres lancées en 1815, par un volcan de l'île de Sumbava, le
Timboro, à des distances de 600 kilomètres, égalerait deux fois le volume du Mont
Blanc. On a des données plus précises sur l'éruption du Goseguina, petit volcan de
l'Amérique centrale qui, en 1835, fit pleuvoir la pierre ponce sur les campagnes et sur
la mer dans un rayon de 1500 kilom. et rejeta une masse de 50 milliards de mètres cu-
bes de laves et de scories. Rien enfin ne peut rendre l'importance de l'action volcani-
que dans toute la Californie. Celle que nous citons n'en est qu'un très faible exemple.
— Lyell, Prmc. of Geology., t. II, p. 49 et suiv. — Southall, Récent Origin of Man,
p. 555. — Radau, la Constitution intéiHeure de la terre {Rev. des Deux Mondes,
15 oct. 1879). . . ■' -.■.'■:
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 43
ont à plusieurs reprises envahi les lieux où il vivait, et les laves
du volcan en ignition sont venues tarir ces eaux à leur source.
Le crâne était empâté dans une gangue sableuse où adhéraient
quelques autres fragments d'ossements humains, des débris ap-
partenant à de petits mammifères, qu'il a été impossible de déter-
miner, et une coquille de mollusque d'eau douce [Hélix mormo-
num). A côté gisaient des branches de chêne entièrement fossili-
sées. Le puits de mine, d'où le crâne a été retiré, faut-il ajouter,
est depuis ce moment rempli d'eau et toute nouvelle exploration
est devenue impossible.
Si le crâne de Calaveras n'était accompagné d'aucun osse-
ment de mammifère pouvant fixer sa date, il est certain que, sur
d'autres points de la Sierra-Nevada, des graviers identiques ont
donné des ossements d'animaux de race éteinte. Il est tels gise-
ments de la Californie et de l'Orégon, où les débris d'éléphants
et de mastodontes pourraient, selon une expression populaire,
remplir des wagons. A côté de ces gigantesques pachydermes,
on rencontre le Palœolama, l'Élotherium (1), des Bovidés, des
Hipparions, et plusieurs espèces de chevaux. La flore fossile,
dont les empreintes sont fréquentes dans les dépôts argileux,
présente également des différences notables avec la flore ac-
tuelle (2). Nous voyons des charmes, des ormes, des figuiers,
des aulnes, d'autres arbres de nos régions (3) ; on remarque
surtout l'absence complète de ces conifères, qui impriment au-
jourd'hui à la flore californienne son caractère particulier.
M. Whitney rappelle aussi, à l'appui de sa thèse, les instruments
tels que les pointes de lance, les haches en pierre, les mortiers
destinés sans doute à broyer les grains ou les noyaux, qui témoi-
gnent tous de la présence de l'homme, et qui sur bien des points
ont été trouvés ensevelis sous des couches de lave. Voici en quels
termes il annonçait sa découverte à M. Desor : a Le grand inté-
(1) De l'ordre des pachydermes et de la tribu des sulUiens selon Pictet. Nous don-
nons à l'appendice A la liste de la faune dressée par M. Whitney.
(2) M. Lesquereux a pu reconnaître dans la flore des terrains miniers, des formes
appartenant au pliocène et se rapprochant même du miocène.
{Z)App. A. M' r.':.: \ ,.>>>^^;^*V ' iHi
44 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
rêt pour moi à présent est dans les restes humains et dans les
œuvres de m^ain d'homme qui ont été trouvés dans les rochers
tertiaires de la Californie, et desquels j'ai pu vérifier l'existence
durant ces derniers mois. Les évidences se sont maintenant ac-
cumulées avec une telle extension, que je n'éprouve aucune hé-
sitation à dire, que nous avons les preuves non équivoques de
l'existence de l'homme sur la côte du Pacifique, antérieurement
à l'époque glaciaire, antérieurement à la période du mastodonte
et de l'éléphant, dans un temps où la vie animale et la vie végé-
tale étaient entièrement différentes de ce qu'elles sont actuelle-
ment; et depuis lequel il s'est produit sur des roches dures et
cristallines une érosion verticale de deux mille à trois mille
pieds. »
Le monde savant attendait avec une légitime impatience la
confirmation de ces curieuses assertions. M. Desor s'était fait
l'interprète de tous, et en 1872, M. Whitney lui répondait (1) :
« Vous pouvez compter que je publierai ce fait dans tous ses
détails, dès que les cartes nécessaires seront gravées et que j'au-
rai complètement achevé la géologie de la région. On verra alors
qu'il n'y a pas eu de méprise. La simple publication du fait que
des restes humains et des produits de l'industrie humaine ont été
trouvés sous les transformations volcaniques de la Sierra-Ne\'ada
ne prouverait rien, si la structure géologique de la région n'était
pas en même temps déterminée avec assez de précision, pour que
chacun puisse apprécier au point de vue géologique la significa-
tion de cette découverte. Sachez bien que le crâne de Calaveras
County n'est pas un fait isolé ; mais que j'ai toute une série de
cas bien authentiques, oh l'on a trouvé dans la même position
géologique soit des débris humains, soit des objets travaillés. »
Complétant ces renseignements, un géologue de Philadelphie
mandait vers la même époque à M. Tabbé Bourgeois, que
M. Whitney avait recueilli dans les terrains pliocènes de la Cali-
fornie, sur neuf points différents, des ossements humains ou des
(1) Rcv. d'anthr., 1872, p. 760.
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 46
débris de l'industrie de l'homme, et que ces faits étaient destinés
à dissiper toutes les incertitudes (1).
Puis pendant huit ans le silence se fait ; M. Whitney ne publie
aucun détail sur ses découvertes, et les journaux américains ré-
pètent, sans qu'il prenne soin de le démentir, qu'il avait été le
jouet d'une déplorable mystification (2). Ce n'est que récemment
qu'il a cru devoir revenir sur ce sujet dans une conférence à
l'université de Cambridge (Massachussets), puis dans des ouvra-
ges auxquels son nom donne une légitime importance. Il main-
tient toujours l'authenticité de sa découverte ; les enquêtes aux-
quelles il s'est personnellement livré l'attestent ; mais il est obligé
de reconnaître que le crâne a été trouvé par des ouvriers igno-
rants et que nul homme compétent ne l'a vu dans sa position
primitive (3).
La description de ce crâne n'ajoute aucune preuve nouvelle.
Le type se rapproche de celui des Esquimaux et le trait le plus
caractéristique consiste en des arcades sourcilières très proémi-
nentes. L'analyse chimique n'est pas plus affirmative. Elle cons-
tate seulement que le crâne contient de légères traces de ma-
tière animale (4) et que le phosphate de chaux est en partie
remplacé par du carbonate (5).
Nous retenons ces deux faits qui nous paraissent importants
pour la solution de la question. Il est impossible que des traces de
matière animale, quelque faibles qu'on veuille les supposer,
aient pu se conserver durant les temps immenses qui nous sépa-
rent de la période tertiaire. La ressemblance de ce crâne avec les
crânes esquimaux actuels ne serait pas moins étrange, et il est
difficile d'admettre qu'un type ait pu se perpétuer sans modifîca-
(1) Mat., 1873, p. 55.
(•2) « The intelligent portion of the community, dit Short (/. c, p. 125), pronounced
the finder guilty of a scientific fraud and it is not yet a certainty that their décision
was incorrect. »
(3) Whitney, Lecture in Cambridge ; 25 aprii 1878. — T/ie Calaveras Skull, Me-
moirs of the Muséum of Comparative Zoology of Harrvard Collège, t. VI.
(4) « The skull being as nearly deprived of its organic matter, as fossil bones found
in the tertiary period usually are. » (Whitney, /. c, p. 271.)
(5) Whitney (/. c, p. 269) donne le résultat de l'analysé.
46 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
lions appréciables durant des âges incalculables, où tout dans la
nature s'est si complètement transformé (1).
Les conclusions nous paraissent donc simples. Sans doute
l'homme a vécu en Californie , et le récit de M. Whitney
vient s'ajouter aux preuves que nous avons déjà données, pen-
dant que les volcans de la Sierra-Nevada étaient en pleine igni-
tion, avant la grande extension des glaciers, avant la forma-
tion des vallées et des profonds ravins, à une époque où la faune
et la flore étaient complètement différentes de la fauue et de
la flore actuelles. Mais M. Whitney admet lui-même que si
l'éruption de la grande masse des matériaux volcaniques a com-
mencé vers la période pliocène, elle s'est sûrement continuée
durant toute la période postpliocène et même durant les temps
modernes. Toutes dates initiales et finales nous font donc défaut,
et si même il devenait possible de les établir, on ne saurait affir-
mer avec quelque certitude l'absence sur tel point donné de tout
remaniement, alors que le sol a été bouleversé par des convul-
sions aussi terribles que les phénomènes volcaniques. Ceux même
qui admettent l'authenticité du crâne de Calaveras doivent réser-
ver toute opinion sur l'époque à laquelle il remonte, jusqu'à ce
que la question soit plus amplement étudiée au point de vue de
la science seule et en dehors des polémiques passionnées que ces
questions provoquent trop souvent (2).
Mais si nous nous refusons à admettre quant à présent l'exis-
tence de l'homme sur le sol américain durant l'époque tertiaire,
il est difficile de méconnaître les longs siècles qui se sont écoulés
depuis les temps où ces hommes inconnus vivaient au milieu
(1) Il paraît certain, par exemple, qu'aux temps où M. Whitney fait remonter le crâne
do Calaveras, le climat de la Californie était tropical. Proc. California Acad. of Science,
1875, p. 389.
(2) Le prof. Marsh disait en 1877 à Nashville {Am. Ass. for the Advancement of
Scie?ice) : « The évidence as it stands to day, although not conclusive, seems to place
the appearance of man in this country in the pliocène ; and the best proof of this has
been found on the Pacific coast. » Bancroft est moins convaincu (t. IV, p. 703). « The
évidence was sufficient, dit-il, to convince Prof. Whitney and other scientific men,
that this skull was actually found as claimed, although on the other hand some doubt
and not a little ridicule hâve been expressed about the subject, »
L'HOMME ET LE MASTODONTE. 47
d'animaux non moins inconnus qu'eux. C'est, dans l'état actuel de
la science préhistorique, la seule conclusion possible. La suite de
notre récit montrera d'autres races, avec des mœurs différentes,
avec des goûts différents, avec une origine probablement diffé-
rente. L'histoire et la tradition sont muettes sur elles, comme
sur leurs devanciers, et il faut par de longues et patientes re-
cherches démêler quelques faits encore bien obscurs au milieu
d'une nuit complète. Puissentles difficultés de la tâche être notre
excuse, si des erreurs inévitables se glissent sous notre plume.
CHAPITRE II
LES KJÔKKENMÔDDINGS ET LES CAVERNES
Nous disions, en terminant le chapitre précédent, que d'autres
hommes avec des mœurs et des goûts différents, avec une ori-
gine probablement différente, étaient venus prendre la place
des premiers habitants de l'Amérique. Un changement consi-
dérable s'est produit ; nous ne sommes plus en présence de
sauvages nomades, errant sans asile, dans les forêts du Nord,
dans les pampas du Sud : nous allons voir une population
nombreuse et agglomérée, des habitations prolongées aux mêmes
lieux. La différence complète de la faune permet mieux encore
de saisir l'importance du changement accompli et aussi la longue
durée des temps nécessaires à son accomplissement. Si ces hom-
mes, arrivés sans doute à la suite de migrations répétées, restent
encore grossiers et barbares, la permanence de la demeure est
déjà un progrès considérable, et une étude attentive permet
de découvrir les germes d'une civilisation plus avancée qui se
développera plus rapidement encore chez ceux qui viendront
les remplacer.
Tout est important alors que l'on veut se rendre compte de
l'existence de l'homme dans ces temps absolument inconnus hier
encore. A ce point de vue les Kjôkkenmôddings ^ tel est le nom
donné par les savants danois à des amas de débris, de détritus de
toutes sortes accumulés autour de la demeure humaine, méritent
une étude spéciale. Leurs fouilles ont amené dans les diverses con-
LES KJOKKENMUDDINGS ET LES CAVERNES. 49
trées de l'Europe les résultats les plus intéressants. Elles ont mon-
tré la vie de chaque jour, la nourriture, les mœurs, les voyages,
les migrations de ces hommes ; on a pu suivre leurs progrès,
constater leur marche ascendante. Les chercheurs ont recueilli
des haches, des couteaux, des outils de toute sorte, en pierre, en
corne, en os, des fragments de poterie, duhois carbonisé. Au mi-
lieu des cendres de ces foyers abandonnés depuis des siècles, on
a trouvé de nombreux ossements de mammifères et d'oiseaux, des
arêtes de poissons, des coquilles d'huîtres, de cardium, d'autres
mollusques (1) ; tous attestent la résidence prolongée de l'homme.
Les kjôkkenmôddings ne sont pas moins nombreux en Améri- Les Kjôkken-
que, et leurs fouilles, partout où il a été possible de les ten- nombreuv
dans toute
ter (2), ont été des plus fructueuses. D immenses bancs de l'Amérique,
coquilles, lentes accumulations de l'homme, s'étendent sur les
côtes de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Ecosse, du Massachussetts,
de la Louisiane, du Nicaragua, où l'on signale des dépôts qui
remontent à la plus haute antiquité. On les retrouve dans les
Guyanes, au Brésil, dans la Patagonie, auprès des bouches de
rOrénoque, sur les rivages du golfe du Mexique, sur les plages
du Pacifique, comme sur celles de l'Atlantique, et les Shell
Mounds de la Terre de Feu se signalent de loin au navigateur
par la nuance d'un vert plus foncé de leur végétation.
Quelques-uns de ces kjôkkenmôddings présentent des dimen-
sions considérables. Sir C. Lyell en décrit un situé sur l'île Saint-
Simon, à l'embouchure de l'Allamaha (Géorgie), qui couvrait dix
acres de terrain (3), sur une profondeur variant de cinq à dix
pieds. Il était presqu'exclusivement formé d'écaillés d'huîtres, et
les fouilles ont donné des haches, des flèches en silex et quelques
fragments de poterie (4). Un autre situé auprès de l'embouchure
(1) Les Premiers Hommes, t. I, p. 265.
(2) Le compte rendu du congrès préh. tenu à Bologne en 1871 donne une liste assez
complète des auteurs qui ont traité des Kjôkkenmôddings américains. On peut aussi
consulter: lieports Peabody Muséum, t. II; Shell Mounds — Am. Association. Chicago,
1867; Détroit, 1875. — Wyman, American Naturalist, 1868.
(3) L'acre vaut 40 ares.
(4) Second Visit to the United States, t. I, p. 152. — British. Ass., 1859. Adress of
ihe Président.
De Nadaillac, Amérique. 4
80 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
de la rivière Saint-Jean et formé, comme celui visité par Lyell,
d'huîtres d'une dimension extraordinaire, mesure trois cents
pieds de longueur, sur une largeur qui n'a pu être que partiel-
lement reconnue ; mais qui atteint sûrement plusieurs centaines
de pieds. Les kjôkkenmôddings de la Floride et de l'Alabama
sont plus considérables encore. 11 en est un sur l'île Amelia qui
s'étend sur une longueur d'un quart de mille, avec une pro-
fondeur moyenne de trois pieds et une largeur de près de cinq
cents pieds. Celui de Bear-Point couvre soixante acres de terrain ;
celui d'Anercerty-Point, cent ; celui de Santa Rosa, cent cinquante.
D'autres s'étagent en hauteur : Turtle-Mound auprès de Smyrne
est un amas de coquilles d'huîtres atteignant près de trente pieds
d'élévation ; la hauteur de plusieurs autres dépasse quarante
pieds (1). Dans tous c^s kjôkkenmôddings, on a recueilli des
boisseaux de coquilles, bien qu'une grande partie de leur em-
placement reste encore inexploré ; les grands arbres, les racines,
les lianes, les plantes grimpantes les recouvrent d'un fourré
souvent impénétrable.
Tous les Shell Mounds dont nous venons de parler, sont situés
sur le bord de la mer, ou dans son voisinage immédiat. On en
cite cependant un, presqu'exclusivement formé de coquilles ma-
rines, k cinquante milles au delà d^ Mobile. Ce fait semblerait
indiquer un changement considérable dans le relief du sol de-
puis que l'homme a vécu ; car il n'est guère vraisemblable qu'il
eût pris tant de peine, pour transporter au loin les mollus-
ques nécessaires à sa vie quotidienne, alors qu'il lui était si
facile d'établir sa demeure elle-même à proximité du rivage.
M. Jones a exploré quarante kjôkkenmôddings dans l'île
Colonel (Géorgie) (2). L'île tout entière, nous dit-il, est couverte
de Shell Mounds (3). Les fouilles d'amas semblables, très nom-
breux dans le Maine et le Massachussetts et formés principale-
(1) Brenton, Notes on the Floridian Peninsula. Philadelphia, 1859.
(2) Ant. of the Southern Indians.
(3) « The adjacent fields are hoary with Shell Mounds. Soutball, Récent Origin
of Man, p. 548.
LES KJOKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. «^1
ment de coquilles d'huîtres, de moules et de buccins, ont donné
des résultats non moins intéressants. M. Jeffries Wyman a
constaté la rareté des outils en silex, remplacés par des instru-
ments en oS; qui se rencontrent en grand nombre. Les frag-
ments de poterie sont peu communs; leur ornementation, tou-
jours grossière, offre quelque ressemblance avec les plus ancien-
nes poteries de l'Europe ; elle était produite, soit au moyen de
lianes tressées qu'on imprimait sur la pâte molle, soit avec la
pointe d'une coquille ou celle d'un silex (1). Les ossements
d'animaux sont nombreux (2). M. Wyman a reconnu l'élan,
le caribou (3), le cerf de Virginie, le plus commun de tous (4),
le castor, le phoque, la tortue, le grand pingouin, le dindon
sauvage. Sauf le pingouin [Âlca impennis) qui ne se trouve
plus qu'à l'extrême Nord, tous ces animaux vivaient dans le
Maine, aux temps historiques. Le caribou, quoique bien plus
rare que par le passé, se rencontre encore dans la région. Il
faut aussi mentionner le chien (5). De nombreux ossements
portent la marque de ses dents ; il vivait donc avec l'homme
et lui était soumis, autant du moins que pouvait le permettre
son naturel sauvage. Les plus importantes de ces fouilles ont
été faites sous les yeux des anthropologistes américains, lors
de la réunion en 1867, à Chicago, de l'association pour l'avan-
cement des sciences. Un tertre ouvert à cette occasion couvrait
une superficie de dix acres. On y recueillit des coquilles
d'huîtres, des arêtes de cabillaud, des ossements de chien et
ceux d'un grand cervide. Tous ces débris attestaient l'habi-
(1) On a constaté ce mode d'ornementation primitive dans le Missom-i, l'IUinois,
l'Ohio, le Tennessee et la Floride (Refiort Peabod;/ Muséum, 187'2).
(2) Nous reproduisons (App. B) la liste complète des mammifères, des oiseaux, des
reptiles, des poissons et des mollusques trouvés par Jeffries Wyman dans les kjôk-
kenmôddings de Mount Désert, de Gouch's Covc, d'Eagle-Hill et de Colnit-Port.
{3) « The Caribou {Tarandus rangifer) is still found within the confines of Maine;
but the wikl turkey lias become virtually extinct in New England. The Elk is not found
noarer than the Alleghany Mountains and the great Auk has retreated beyond the con-
fines of the United States (Wyman, Repot^t Peabody Muséum, 186S, p. \\).
(4) Cervux Virginianns.
(5) Probablement le Lupus cagottus dont nous avons parlé au chapitre précédent.
S2 L'AMERIQUE PRÉHISTORIQUE.
tation d'un homme vivant exclusivement du produit de sa
chasse et de sa pêche et ne connaissant encore aucune cul-
ture.
Les kjôkkenmôddings se rencontrent aussi fréquemment en
Californie, et les environs de San-Francisco en sont littéralement
couverts. Un d'entre eux, situé auprès de San-Pablo (comté de
Contra-Costa) mesure près d'un mille de longueur sur un demi-
Fig. 15. — Instruments divers en os et en pierre (Californie).
mille de largeur. Les coquilles qui le forment, principalement
l'huître et la moule, ont toutes été exposées à l'action du feu (1).
Les fouilles d'un tertre semblable conduites jusqu'à vingt-cinq
pieds de profondeur, ont donné des pointes de flèche et de
marteaux en pierre. Sous d'autres on a découvert des milliers
d'outils en os (fig. 15) dont les plus plus grands atteignent
jusqu'à huit pouces de longueur: Parmi ces outils gisaient des
débris humains ; ils ont malheureusement été dispersés sans
profit pour la science (2).
Le D' Yates a transmis au Smithsonian Institute à Washington,
la collection complète des objets, trouvés par lui dans le comté
(1) Poster, Prehistoric Races of the United States, p. 163. — Bancroft, l. c, t. IV,
p. 709.
(2) Bancroft, /. c, t. IV, p. 711.
LES KJiJKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 53
d'Alameda (1). Elle comprend plusieurs de ces grands mortiers
en pierre (fig. 16), dont nous avons parlé et dont on ne peut que
conjecturer l'usage, des outils destinés surtout à perforer, des
pipes, et la représentation grossière d'un phallus. Il faut noter
Fig. 16. — Mortier en pierre (Californie). Fig. 17. — Grattoir en quartz.
ce dernier fait, nous verrons que les découvertes de ce genre
sont rares en Amérique ; cette rareté contraste singulièrement
avec les obscénités trop fréquentes de l'art grec ou romain.
Les fouilles de l'Oregon ont été dirigées par M. Schuma-
cher (2). lien a retiré une collection importante de mortiers,
de pipes d'un travail médiocre, de poteries, de petits vases en
stéatite (3), de poignards, de couteaux, de flèches en silex, d'essais
(1) Smithsonian Hepnrt, 18G9, p. 36.
(2) Researches ou the KjÔkkenmôddings ofthe Coast of Oregon and in the Sanla-
Barbara hlnri'h und adjacent Muinlund. Bul. U. S. Geol. Survty, t. III. — Report
Peabody Muséum, 1878.
(3) M. Schumacher a trouvé sur Tile de Santa-Catalina un gisement de stéatite où
les anciens habitants de l'île avaient établi une véritable fabrique de pots et de vases.
Ils se trouvent à tous les degrés de fabrication; et autour d'eux on peut recueillir les
34 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
de sculpture, d'instruments en os ou en test de coquilles. Une
des fouilles a mis au jour trente crânes humains et deux sque-
lettes à peu près complets. Le mort avait été déposé, là où le
vivant avait vécu.
Les kjôkkenmôddings abondent aussi sur l'île de Vancou-
ver (1). On a recueilli au milieu d'amoncellements de coquilles,
des marteaux, des pointes de flèches, des casse-têtes en bois, un
véritable couteau taillé dans un os de baleine. Parmi les débris
gisaient des squelettes. Un d'entre eux portait au bras un bra-
celet formé de coquilles et une Qèche en silex était restée im-
plantée dans un de ses os. A Esquimalt, il a été trouvé un vase à
deux anses ; Tune des anses figure un homme, l'autre le dos d'un
animal. Des vases absolument semblables, comme nous le ver-
rons, se rencontrent fréquemment sous les mounds de l'Amé-
rique centrale. Celui d'Esquimalt doit dater de la môme époque
que les tumuli dont l'île est couverte ; les uns sont construits en
cailloux, les autres en argile et en sable. De grandes pierres plates,
véritables menhirs, sont souvent placées verticalement sur ces
luiiiuli ; des arbres séculaires les couvrent de leur ombrage et
témoignent de leur antiquité. 'Pérre-Neuve fut découverte
en 1491, parle Vénitien Jean Cabot, qui commandait une expé-
dition équipée aux frais de Henri Vil, roi d'Angleterre ; peut-
être, aussi, caria question est restée indécise, parle navigateur
portugais Corte-Real. Ce qui est certain, c'est qu'au moment de
la découverte, l'île était complètement inhabitée. De nombreux
tumuli y attestaient seuls le séjour de l'homme; ces tumuli,
comme les silex taillés qu'ils recelaient, dataient donc d'époques
antérieures à la venue des Européens.
outils ayant servi aies façonner (fig. 17). On cite plusieurs découvertes semblables
dans la Nouvelle-Angleterre. Une carrière do stéatite {Soap Stone) existait à Christiana
(Comté de Lancaster, Pennsylvanie). Il y a été recueilli plus de deux mille outils en
silex et nombre de grosses pierres ayant vraisemblablement servi de marteaux. On
employait les mêmes procédés que dans l'île de Santa-Catalina, la pierre était grossière-
ment excavée sur place, puis retirée du gisement et livrée à l'ouvrier qui achevait de
lui donner la forme voulue.
(1) Ancienf Remaiîis in Vancouver's Isiand, manuscrit cité par Bancroft, /. c, t. IV,
p. 737, 741 et s. .
LES KJOKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 5o
Il faut mentionner les puits fouillés par M, Putnam à Madi-
sonvillc dans la vallée du Miami (1). Ces puits de 3 à 4 pieds
de diamètre et de 4 à 7 pieds de profondeur, sont remplis de
cendres disposées par couches minces et mélangées de gravier
et de charbon. Du sommet à la base, on rencontre de nombreux
ossements de reptiles, de poissons et de mammifères. Les os de
daim, de cerf, d'ours avaient été brisés pour en retirer la moelle;
on recueillait aussi des coquilles, principalement du genre Unio,
percées pour servir d'ornements, des fragments de poterie, des
instruments en os, en bois de cerf ou de daim, des pointes de
flèches, des grattoirs, des marteaux, des haches polies en silex,
des ornements en cuivre, des perles et des pipes en pierre.
Au fond d'un de ces puits, il trouvait une grande quantité de
grains de maïs carbonisés recouverts de fragments d'écorce de
branches d'osier et de nattes également carbonisés (2). Us
attestent une population non seulement sédentaire, mais agri-
cole.
Les sambaciuis sont formés des débris de la nourriture d'un sambaquis
* _ ,^ du Brésil.
peuple, qui avait habile durant des siècles les côtes du Brésil (3).
On y peut lire comme dans un livre, les coutumes, les usages, les
incidents de la vie journalière de cette race disparue ; chaque
couche de coquilles (4) ou de cendres est une page, où les faits
écrits avec la pierre et le feu parlent d'eux-mêmes, et où les dra-
mes de la vie sont retracés par les ossements fracturés des victi-
mes. Il a été retiré d'un amas situé sur les rives du Suguassu de
nombreux débris humains ; les fractures des os indiquent claire-
ment qu'ils avaient été brisés pour en extraire la moelle. L'an-
thropophagie de ces anciens habitants du Brésil ne saurait nous
surprendre, car aujourd'hui encore dans cet Empire, sur tant de
(1) M. Putnam, un des plus éminents anthropologistes des États-Unis, raconte
avoir fouillé plus de quatre cents de ces puits [Hai'vard University, Juue, 1881).
(2) Topinard, Rev. d'nnt/ir., ia.nv. 1881.
(3) Rev. arch., t. XV, 1" série. Paris, 1867. — Ch. Wiener, Estudos sobre los sam-
baquis do nul do Brazil {Archivas do Museu Nacional de Rio de Janeiro, t. I, 1876).
(4) Les mollusques qui les composent sont principalement des testacés bivalves et
des coquilles du genre Corbula; on y rencontre également des huîtres et des buccins.
56 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
points en si grand progrès, on compte dix tribus cannibales,
dont la population s'élève de 70 à 80,000 âmes (1),
Lessambaquis atteignent souvent des hauteurs considérables.
Le capitaine Burton, porté il est vrai à l'exagération, dit en
avoir rencontré un qui n'avait pas moins de cent pieds d'éléva-
tion. Ce qui est certain, c'est que les coquilles qui forment ces
buttes sont assez nombreuses, pour que depuis deux siècles, un
seul sambaqui ait pu fournir, non seulement toute la chaux
nécessaire à la petite ville voisine de Nossa-Scnhora-da-Gloria,
mais encore des quantités considérables pour l'exportation.
Les Dans les régions de la Plata, on rencontre des paraderos qui
offrent quelque ressemblance avec les kjôkkenmôddings. Les uns
et les autres marquent l'emplacement d'habitations humaines, et
l'absence de toute trace d'ensevelissement exclut l'idée des cime-
tières, auxquels on avait prétendu tout d'abord les assimiler.
MM. Moreno et Zeballos les avaient signalés sur plusieurs points
du territoire de Bucnos-Ayres ; M. Ameghino les décrit, à son
tour, sur les rives du Marco-Diaz, du Lujan et du Frias (2).
Sur bien des points, de nombreux ossements de mammifères
sont disséminés^ souvent sur une grande étendue de terrain (3).
Les os longs sont fendus; d'autres portent des stries, des inci-
sions ; presque tous ont subi l'action du feu. Avec ces ossements il
a été recueilli des instruments en pierre, principalement des
pointes de flèches (fig. 18) ou des fragments d'une poterie gros-
sière et mal cuite présentant parfois quelques traces de peinture
Des amas de terre brûlée, des débris de charbon, montrent claire-
ment les foyers de l'homme. Tous les ossements, soit de mammi-
fères, soit d'oiseaux, appartiennent à des espèces qui, comme le
cerf ou le lama, vivent encore aujourd'hui dans l'Amérique du
Sud ; nulle part on ne rencontre les ossements de ces animaux de
race éteinte et disparue, si nombreux au contraire dans les forma-
(1) D' Moure. Les Indiens de lu province de Matlo Grosso. — D' Rath de San-Paolo,
Lettre adressée à l'A7i'/lo- Brazilian Times
{'l) La Antiguedad del Hombre en el Plata, t. I, p. 302 et suiv.
(3j Un paradero sur la rive du Marco Diaz couvre une surface de 600 mètres
sur 400. . , J
LES KJOKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. S"?
tions pampéennes. Les paraderos ne sauraient donc être confon-
dus avec ces formations, et leur date bien postérieure les rappro-
che de celle deskjôkkenmôddings.
Des découvertes récentes (1) viennent donner une certitude de
plus à cette conclusion. Les fouilles d'un tumulus de forme ellip-
tique (2) sur le Parana, auprès du port de Campana. ont mis au
jour une foule d'objets qui indiquent une civilisation déjà en
Fig. 18. — Pointes de flèches des paraderos de la Patagonic.
grand progrès. Ce sont des armes et des outils en silex ou en
granit bleu, souvent d'un travail remarquable, des moulins à
main, assez semblables h ceux encore en usage dans l'intérieur
de l'Afrique (8), des instruments en bois de cerf (4), des sifflets
en bois de venado et surtout un nombre considérable de frag-
ments d'une poterie (5) très supérieure comme exécution à tout
ce que nous avons vu jusqu'ici; quelques-uns de ces fragments
sont peints en rouge, d'autres ornés de dessins ou d'ornements.
Parmi ces poteries, il faut citer des animaux reproduits avec
une grande exactitude et notamment une tête de perroquet
d'une excellente imitation. Les œuvres de l'homme gisaient au
milieu d'amas considérables de gros morceaux de charbon, d'os
de poissons et de mammifères. Il est évident que ce tumulus
(1) Zeballos, Un Tumulus préhistorique de Buenos- Ayres(Rev. d'anthr., 1878,p.577}.
(2) Le grand diamètre mesure 70 mètres, le petit 32 mètres La hauteur est
de S-.Sa.
(3) Livingstone, Exploration du Zambèse, trad. franc., p. 504.
(4) Cerrus Rufus, C. Campestris.
(5) Le D' Zeballos parle de plus de trois mille fragments. Il cite parmi ces poteries
une vingtaine d Ollus (marmites) encore intactes.
58 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
recelait un ou plusieurs foyers primitifs ; puis ces foyers, suivant
une coutume que nous trouvons chez des races bien diverses,
étaient devenus des lieux de sépulture ; la découverte de plusieurs
Kjokkenmôd- squclettcs humaius ne peut laisser de doute à cet égard.
foiméftie Jusqu'ici nous n'avons parlé que des kjôkkenmôddings situés
(ivau douce, sur les rivages de la mer et formés de coquilles marines. De
semblables amas se rencontrent sur les bords des fleuves et des
rivières; ils sont composés de mollusques d'eau douce, ou même
de mollusques terrestres, que l'homme savait au besoin utiliser
pour sa nourriture. Ainsi dans le Brésil, dont nous venons de
parler, des sambaquis se trouvent à soixante kilomètres de la
côte, et le professeur Ilartten décrit un situé àTaperinha auprès
de Santarem, qu'il regarde comme très ancien et qui est exclusi-
vement formé de mollusques fluviatiles mêlés à des fragments de
poterie, à des cendres et à des ossements d'animaux divers (1).
Sur les rives du Mississipi et de ses tributaires, M. White a
également reconnu plusieurs kjôkkenmôddings formés de mol-
lusques fluviatiles, appartenant presque tous à la famille des naï-
ades et principalement au genre Unio. Un succès complet a
recompensé ses recherches poursuivies avec persévérance dans
les Etats de Minnesota, d'Iowa, d'Illinois, de Missouri et d'In-
diana (2). Les amas qu'il a fouillés étaient bien moins considé-
rables que ceux situés sur les bords de la mer ; les plus grands
ne mesuraient guère que cent mètres de longueur, sur quatre
à cinq mètres de largeur et un à deux mètres de profondeur.
Celui de Keosauqua (lovva) repose sur un terrain d'alluvion ; on
y a reconnu des pierres arrachées aux rochers voisins et portant
des traces de feu, des fragments de poterie grossièrement façon-
née, mêlée de gros grains de sable et ornée de lignes tracées
avec une pointe d'os ou de pierre. M. White a recueilli dans
(1) Report Peabody Muséum, 1873, p. 21.
(2) On artificial Shell-Heaps of Fresh Water MoHusks; Am. Association Portland
(Maine), 1873. On cite aussi de très anciens Shell-Heaps dans le Tennessee, notam-
ment à Chattenooga et à Muscle-Shoal. Le colonel Whittlesey, dont le nom fait autorité en
Amérique sur toutes ces questions, regrettait, il y a quelques années, que ces tu-
muli n'eussent pas été fouillés. J'ignore si depuis il a été fait droit à son désir.
LES KJÙKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 59
ce même kjôkkenmôdding des éclats de silex, des pointes de
flèches et une hache en serpentine, puis de nombreux ossements
du cerf de Virginie (1). Ils avaient servi aux repas de l'homme,
car les os longs renfermant la moelle étaient fendus, dans le but
évident de la retirer. A Sabula et à Bellevue (lowa), d'autres
amas permirent à M. White de reconnaître le moyen employé
par ces hommes, pour cuire les mollusques, dont ils faisaient
leur principale nourriture. Ils creusaient dans la terre des
trous ayant environ trente centimètres de diamètre et une pro-
fondeur à peu près égale, et ils y allumaient du feu; des débris
de charbon et de coquilles, trouvés dans chacun de ces trous,
le prouvent sans réplique.
M. Jeffries Wyman décrit les kjôkkenmôddings de la Floride
avec le même soin que M. White a mis pour raconter ceux du
Nord (2). Ce sont pour la plupart des monticules identiques à
ceux de la côte, mais entièrement formés de mollusques d'eau
douce associés à quelques rares ossements du- cerf de Virginie,
de l'opossum, du racoon et à des débris d'oiseaux. Quelques-uns
de ces amas comprennent uniquement des AmpuUaires et des
Paludines (3), peu propres à la nourriture de l'homme et que
les Indiens eux mêmes rejettent avec dédain. Un des plus
remarquables est situé à Silver-Spring, sur la côte ouest du lac
George. C'est le plus grand de tous ceux visités par Wyman,
dans la vallée formée par la rivière San-Juan. Il couvre une
superficie de vingt acres ; sa hauteur est très variable ; tantôt
elle n'atteint pas moins de vingt pieds ; plus loin elle s'abaisse à
deux ou trois pieds, à raison sans doute du nombre des habitants
et de la durée de leur habitation. On a peine à comprendre que
(1) Nous reproduisons à l'App. C, d'après M. White, la liste des principaux mammi-
fères, poissons et mollusques trouvés dans les turauli qu'il a fouillés.
(■2) Fresh Water Shell Heaps of the St-John River, American Naturalist. Jan., 1868.
— Report Peahody Muséum, 1874. Wyman remarque que les plus anciennes couches
des kjôkkenmôddings de la Floride ne renferment jamais de poteries.
(3) Ampullai ia{La.msiTck\Pa'udi}ia (id.). Les unes et les autres sont univalves. Les
premières ne vivent que dans les régions chaudes du globe ; leur coquille est globu-
leuse, ventrue, à bouche vaste bordée par un labre non réfléchi. Les Paludines so
rapprochent des AmpuUaires, mais elles ont une coquille moins allongée.
60 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Thomme ait pu réunir une quantité aussi considérable de ces
mollusques, si peu communs aujourd'hui, soit dans le lac, soit
dans la rivière. Il faut donc supposer qu'ils étaient beaucoup
plus nombreux dans les siècles passés et qu'ils ont disparu dans
la grande lutte pour la vie, qui se poursuit avec une si redou-
table activité dans tous leç temps et sous tous les climats. Ce
n'est pas là un fait exceptionnel ; les huîtres de taille gigantesque
qui forment les immenses dépôts de la rivière Damariscotta,
sont actuellement très rares, et la môme observation a été faite
à Cap-Cod et à Colnit-Port. De tous les mollusques trouvés dans
les kjôkkenmôddings danois, les huîtres étaient les plus abon-
dantes; elles ne comptent plus qu'un petit nombre de représen-
tants dans la Baltique. Une autre conséquence des conditions
biologiques moins avantageuses dans lesquelles les huîtres se
trouvent, c'est que la taille des individus diminue sensiblement ;
il en est ainsi pour les ampullaires et les paludines du lac George
et de la rivière Sa-n-Juan comme pour les huîtres du Maine. Il
serait facile de multiplier ces exemples qui prouvent cet inces-
sant travail de la nature dont nous commençons seulement à
saisir les traces.
Le fait que les hommes qui ont formé ces amas de débris qui
témoignent seuls de leur existence, se nourrissaient de mollus-
ques repoussés par les Indiens si peu difficiles en général sur
leur nourriture, est en rapport avec la grossièreté de leur poterie.
« Parmi les milliers de fragments que j'ai examinés, dit Wyman,
aucun ne présente les traces d'un travail aussi habile, d'une
ornementation aussi élégante, que ceux des mounds du Mississipi
ou que ceux que j'ai moi-même recueillis dans les sépultures de
Cedar-Reys ou dans les kjôkkenmôddings de Fernandina et de
St. John's Bluff sur les bords de la mer. »
Anthropo- Tout prouvc quc la civilisation de ces hommes était peu
phagie.
avancée ; ne nous étonnons donc pas de trouver chez eux le can-
nibalisme. Nous venons de voir son existence chez les tribus no-
mades du Brésil (l). Dès 1861, Jeffries Wyman avait remarqué
(1) « Omnes cum magna voluptate vescuntur », dit Osorio des indigènes du Brésil ea
LES KJOKKENMÔDDINGS ET LES CAVERNES. 61
dans une fouille sur les rives du lac Monroë, des os longs (fémur,
tibia, humérus) appartenant à l'homme, brisés en fragments de
quelques pouces de longueur et confondus avec des ossements
de cerf, brisés exactement de la même façon (1). Son attention
une fois éveillée, il se préoccupa d'une manière particulière
de la question dans ses recherches ultérieures ; et bientôt il
eut dix cas bien caractérisés, qui ne laissèrent aucun doute dans
son esprit sur l'existence du cannibalisme dans la Floride, du-
rant les temps où l'homme accumulait autour de sa demeure
ces amas de débris, auxquels nous avons conservé le nom de
kjôkkenmoddings. Il était évident que ces ossements humains
ne provenaient pas d'une sépulture; aucun squelette n'était
complet; les débris de plusieurs individus étaient confondus dans
le plus extrême désordre ; tous les os et spécialement les os longs
renfermant la moelle étaient brisés, comme les os trouvés auprès
du lac Monroë et dans le même but sans doute que ceux des
animaux, tels que le cerf ou l'alligator, dont ces hommes fai-
saient leur nourriture. Les intéressantes fouilles d'Osceola-
Mound vinrent confirmer encore Wyman dans ses conjectures.
Les débris de l'homme et des mammifères étaient renfermés
dans une brèche très dure, assez semblable à celle des cavernes
qui ont donné dans nos régions de si importants résultats.
Wyman retira de cette brèche deux fémurs, appartenant à deux
individus différents. Sur l'un d'eux, il remarqua une incision
intentionnelle faite autour de l'os pour le briser plus facile-
ment (2). Le savant professeur signale aussi un os humain évi-
demment travaillé trouvé à Ipswich (Massachussetts).
Pendant que Jeffries Wyman prouvait l'existence de l'anthro-
pophagie dans les États du Sud, M. Manly Hardy l'annonçait
parlant de leur goût pour la chair humaine. De Rébus Emmanuelis Régis Lusitaniœ.
Colonise Agrippinje, 1574.
(1) Human, Remuns in the Shell Heaps of the St-John River {East Florida). Canni-
balism. Report Peabody Muséum, t. I, p. 26.
(2) Sur l'autre fémur, l'incision a pu également exister ; mais elle n'est pas assez
apparente, pour que l'on puisse l'affirmer avec certitude. .
62 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
dans la Nouvelle-Angleterre (1). Sous un kjôkkenmôdding
des côtes du Maine, il découvrait trente ou quarante os longs,
fémurs, tibias, humérus, radius, un sternum, un pelvis, deux
crânes humains. Au milieu de ces débris, les vertèbres, les
côtes, les petits os manquaient totalement ; aucun des fragments
humains ne se rapportait aux autres, en sorte qu'il était impossi-
ble de compléter même partiellement un squelette. Les os longs
étaient brisés, et les fouilles donnèrent des os de castor et de
morse mêlés aux ossements humains et brisés comme eux, des
os d'oiseaux, des arêtes de poisson, de nombreuses coquilles
marines, des tessons de poterie, une flèche en silex et une aiguille
en os. Sur divers points des amas de cendres attestaient le
foyer du cannibale, le lieu où il préparait ses misérables
repas.
De tels faits, si tristes qu'ils soient pour l'humanité, ne peu-
vent nous surprendre. Dans les temps historiques, nous voyons
l'homme se nourrir de la chair de l'homme, même au milieu de
l'abondance, et cela alors que la plupart des animaux éprouvent
une singulière répugnance pour la chair d'un animal de leur
espèce. Hérodote raconte le cannibalisme cliez certaines peu-
plades voisines de la Scythie, chez les Androphages et les Isse-
dons par exemple (2) ; Aristote, chez plusieurs peuples des bords
du Pont-Euxin (3) ; Diodore de Sicile, chez les Galates (4) et Stra-
bon dit à son tour : « Les Irlandais plus sauvages que les Bretons
sont anthropophages; ils se font un honneur de manger leurs
parents, lorsque ceux-ci viennent à mourir (o). »
Dans les anciens tombeaux de la Géorgie qui datent du
huitième au deuxième siècle avant notre ère, on trouve des
ossements humains bouillis ou carbonisés , ceux des victi-
mes sans doute dévorées par les assistants, dans les festins
(1) Report Penbody Muséum, 1877, t. II, p. 197.
(2) L. IV, c. xviii, XXVI, etc. Ces peuples habitaient vraisemblablement la Russie cen-
trale.
(3) Politique, L. VIII, c. m, t. II, trad. Thurot, p. 515.
(4) Bibl. his'., lib. V, c. xxxii.
(h) Géographie, liv. IV.
LES KJÙKKENMÔDDINGS ET LES CAVERNES. 63
qui formaient une partie essentielle des rites funéraires (1).
Saint Jérôme, au quatrième siècle de l'ère chrétienne, affirme
avoir vu dans la Gaule, des Attacotes issus d'une sauvage tribu
écossaise, qui se nourrissaient de la chair de l'homme; et cela
alors qu'ils possédaient de grands troupeaux de porcs, de bœufs
et de moutons auxquels leurs immenses forêts fournissaient d'ex-
cellents pâturages (2). Comment s'étonner d'ailleurs de trouver
cet usage dégradant chez des peuplades sauvages, quand au
temps de la splendeur de Rome, les courtisans de l'empereur
Commode, au dire de Galien, mangeaient par un raffinement de
gourmandise de la chair humaine (3) ; et si les kjôkkenmôod-
dings Scandinaves ne fournissent nulle trace d'anthropophagie,
Adam de Brème qui vivait au onzième siècle et qui prêchait le
christianisme à la cour du roi Swen Ulfson, représente les
Danois de son temps comme vêtus de peaux de bêtes, chassant
l'aurochs et l'élan, ne sachant qu'imiter les cris des animaux et
dévorant leurs semblables (4).
Les exemples abondent également en Amérique, et bien
souvent la mort de l'homme était accompagnée de barbares
supplices, inconnus chez les nations des autres continents. Les
récits des voyages publiés par de Bry renferment de longs détails
sur les modes employés par les sauvages des Guyanes pour pré-
parer, pour cuire et pour manger le corps de leurs victimes (5).
(1) Congrès arch. de Knzan, 1877.
(2) « Quid loquar de ceteris nationibus, quum ipse adolescentulus in Galliaviderim
Attacotos, gentein Biitannicam, hnmanis vesci carnibus et quum per sylvas porcorum
grèges et armentorum pecudumque reperiunt, puerorum nates et feminarum papillas
solere abscindere. et bas solas ciborum delicias arbitrari. » Hier., O/ypro, t. II, p. 335,
coll. Migne, t. XXII. Richard de Cirenccster dit que les Attacotes demeuraient sur
les bords de la Clydc, au delà de la grande muraille d'Adrien.
(3) Commode vécut de IGl à 192 après J.-C. Nous empruntons le fait au Diction-
naire des sciences morales et politiques de Bachelet. On pourrait ajouter ces vers de
Juvénal :
Sed qui mordere cadaver
Sustinuit, nil unquam hac carne libentius edit.
(Sat. XV, V. 87.)
(4) Schwedfin's Urgeschichte, p. 341.
(5) Collectiones perigrinationum in Indiam Occif^entalem, XXV partes compre-
hensœ a Th. de Bry et à M. Merian publicatx, Francofurti ad Mœnum, 1590-1634. —
64 . L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Pizarre et ses compagnons dans leur première et inutile tenta-
tive {{) pour gagner le Pérou par Tisthme de Panama, entrèrent
un jour dans un village Indien, dont les habitants efl'rayés s'en-
fuirent précipitamment à leur approche, abandonnant la viande
humaine qui cuisait devant le feu (2). Les Mexicains se livraient
à ces hideux repas à l'occasion de toutes leurs fêtes. Le captif
était abandonné au guerrier qui l'avait fait prisonnier et les amis
du vainqueur invités à un joyeux festin. Ce n'était point là, dit
Prescott(3), le repas de misérables affamés, mais un banquet raffiné
préparé avec tout l'art que les Mexicains savaient y mettre. Les
alliés des Espagnols, lors du siège de Mexico, dévoraient les corps
de leurs ennemis; et les assiégés immolaient en l'honneur du
dieu de la guerre de nombreuses victimes, parmi lesquelles
Cortès put souvent reconnaître à la blancheur de leur peau,
quelques-uns de ses soldats. Ils étaient ensuite dépecés et leur
chair distribuée au peuple.
Les Caraïbes, comme les Fijiens, avaient soin de faire engraisser
les malheureux qu'ils destinaient à leur nourriture (4). L'anthro-
pophagie existait chez les Algonquins, les Iroquois, les Mamis,
les Rickapoos, chez d'autres tribus encore ; et les Jésuites souvent
témoins de ces festins dont la viande humaine faisait tous les frais,
nous en ont conservé le récit (5). On frémit d'horreur à la pensée
des tortures inventées par le génie malfaisant de l'homme. Ces
tortures chez plusieurs tribus Indiennes commençaient plusieurs
jours avant le supplice final; des tisons brûlants étaient appli-
qués sur toutes les parties du corps; les ongles des pieds et des
mains étaient arrachés; la chair était déchirée et des étoupes
enflammées plongées dans les plaies béantes; la peau de la tête
était enlevée et des charbons allumés promenés sur le crâne dé-
Bresil voy. de J. Stadius Hnsus (3= part., p. 71, 81, 89, 125 et 127). — Voy. de
Joannes Lerus liurgundus (3" part., p. 213). On peut aussi consulter les nombreux
faits rassemblés par Wyman, Report Peabody Muséum, 1874.
(1) En 1524.
(2) Prescott, Hist. of the Cnnquesf of Peru, p. 96. London, 1854.
(3) Prescott, Hist. of the Conquest of Mexico. Pliiladelçhia, 1874, t. I, p. 81.
(4) Pierre Martyr d'Anghiera, De Rébus Oceanicis et Orbe A'oco, Décades, I, liv. I.
(i>) P. Hennepin, Descript on de la Louisiane. Paris, 1868, p. 65, 68, 69.
LES KJUKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 65
nudé. Les femmes (1) et les enfants n'étaient par les moins ar-
dents parmi les bourreaux, et quand enfin le misérable expirait,
la poitrine était ouverte, le cœur, s'il était mort en brave, coupé
en morceaux et distribué aux jeunes guerriers de la tribu. Ils
buvaient aussi son sang encore fumant, espérant s'inoculer ainsi
le courage dont il venait de faire preuve. Le tronc, les membres,
la tête, étaient rôtis ou bouillis ; tous se gorgeaient de cette horri-
ble nourriture, et la journée s'achevait au milieu des danses et
des chants, qui terminaient gaiement la fête (2).
De nos jours encore, les marins et les voyageurs racontent des
scènes semblables. Les Apaches traitent leurs prisonniers avec
une férocité égale à celle de leurs ancêtres (3). Les habitants de
la Terre de Feu ont du moins pour excuse leur déplorable exis-
tence, au milieu d'un pays qui ne produit rien de ce qui est né-
cessaire à la vie. Les expéditions de ces misérables sauvages, dont
la description par le capitaine Fitz-Roy est douloureuse à lire (4),
ont toujours pour but de se procurer des prisonniers; quand elles
échouent et qu'ils sont pressés par la faim, les vieilles femmes de la
tribu sont saisies, rôties à un feu ardent et les morceaux distribués
aux guerriers. Si la famine qui poursuit presque toute l'année les
habitants de ces régions déshéritées, peut être leur excuse, nous
retrouvons ce même goût dépravé, au milieu de la nature la plus
riche, au milieu de la végétation luxuriante des tropiques. Hum-
boldt a vu ces scènes sur les bords de l'Orenoque ; à Taïti où les
(1) a On this occasion it is always observed thaï the women are more cruel than
the men. » Schoolcraft, Et/mological Researches respecting the red Men of America,
t. m, p. 189.
(2) La Potlierie, Histoire de l'Amérique, Paris, 1723, p. 23. — Le père Jean de
Brebeuf, Voi/. dans la Nouvelle-France occidentale. Il périt lui-même au milieu des
supplices qu'il avait décrits. — Relation de Barth. de Vimont. Paris, 1642, p. 4G.
(3) Les Apaches, établis auprès des American settlements, sont un peu plus civili-
sés, ils ont renoncé à la chair humaine, et le gouvernement des États-Unis leur fait
distribuer de temps à autre des bœufs. Ces sauvages s'empressent de leur couper les
jarrets, de leur ouvrir le ventre et les hommes se précipitent sur les entrailles fu-
mantes dont ils se gorgent avec délices ! Il est interdit aux femmes de prendre part à
ce festin. — Gregg, Commerce of the Prairies. New-York, 1844, t. II, p. 296.
(4) Voyage of the Adventure and the lieagle, t. II, p. 183 et 189. — Darwin, Voi/.
d'un naturaliste autour du monde, p. 234.
De Nadaillac, Amérique. 5
• 66 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
voyageurs vantaient à l'envi les mœurs douces et affectueuses des
habitants, les hécatombes de prisonniers étaient suivies de repas
de cannibales ; l'honneur de manger Tœil des victimes était réservé
au roi, et le premier nom de la reine Pomaré [Âimata, je mange
l'œil) était un dernier souvenir de son royal privilège (1).
Pour terminer enfin ces lugubres récits, qu'il serait facile
d'étendre indéfiniment, le docteur Crevaux dans une exploration
récente de l'Amazone et de ses principaux affluents, rencontra
plusieurs peuplades anthropophages. Il vit chez les Ouitotos, qui
vivent sur les bords du Yapura, des flûtes fabriquées avec des
ossements humains, et il nous dit avoir surpris un jour, une
vieille femme occupée à préparer son repas ; la tête grimaçante
d'un Indien bouillait dans sa marmite !
Ces faits forment un singulier contraste avec notre civilisation
si brillante, avec les progrès dont nous sommes si justement
fiers. Ils montrent dans quelle dégradation l'homme peut tom-
ber ; les efforts persévérants qui restent à faire pour relever le
niveau de tant de races deshéritées.
A quelle épo- \\ QQ^g f^ut maintenant rechercher l'époque à laquelle peu-
'^^Kj'cîkkên-''^ Vent remonter les kjôkkenmôddings. Les historiens sont muets
•ngs- gyp (jgg amas qui n'avaient guère attiré leur attention, et les
Indiens, quand on les interroge, se contentent de répondre qu'ils
sont bien antérieurs à leur venue dans le pays et l'œuvre d'une
race étrangère, inconnue à leurs pères (2). Par exception, les Ca-
liforniens attribuent un grand kjôkkenmôdding formé de co-
quilles de moules et d'ossements d'animaux, situé à la pointe
Saint-Georges auprès de San Francisco, aux Hohgates, tel est le
nom qu'ils donnent à sept mystérieux étrangers, arrivés par
mer dans leur pays, et qui les premiers bâtirent des maisons et
s'y établirent (3). Les Hohgates tuaient des élans, des morses,
(1) Cong. préh. de Paris, 1867, p. 161.
(2) « It is the uniform testimouy of those who hâve within récent years, been in
communication with the Seminoles, that no traditions of the origin of thèse heaps has
come down to them. They attribute them to a former race who preceded thom in the
occupation ofthe Peninsula of Florida. » Wyman, Report Peabody Muséum, 1868^ p. 16.
(3) Bancroft, l. c, t. III, p. 177.
LES KJÔKKENMÔDDINGS ET LES CAVERNES. 67
des phoques; ils recueillaient les moules très abondantes sur les
rochers voisins, et les débris de leurs repas s'amoncelaient autour
de leurs demeures. Un jour qu'ils étaient à la pêche ; ils aper-
çurent un phoque gigantesque. Ils parvinrent à l'atteindre
avec un harpon ; mais l'animal blessé s'enfuit vers la haute mer,
entraînant rapidement le bateau, vers les abîmes sans fond du
Chareckquin. Au moment où ils allaient être engloutis dans
ces abîmes, où vont ceux qui doivent souffrir le froid perpé-
tuel, la corde se rompit, le phoque disparut et la barque fut
enlevée dans les airs. Depuis ce jour, les Hohgates transformés
en brillantes étoiles ne revinrent plus sur la terre où le kjôk-
kenmôdding reste leur témoin.
Si les traditions se taisent , quelques faits certains peuvent
cependant nous aider à fixer sinon des dates, du moins des limi-
tes extrêmes. Les Shell-Heaps existaient longtemps avant l'arri-
vée des Espagnols, et les mammifères dont ils récèlent les débris
étaient ceux que virent les conquistadores. On n'a trouvé dans
les kjôkkenmôddings, ni dans ceux qui s'élèvent sur les bords
de la mer, ni dans ceux situés sur les rives des fleuves, aucun
ossement des grands animaux de race éteinte ou disparue. On
n'a découvert jusqu'à présent, dans ceux de l'Amérique du Nord,
aucun outil en fer, en cuivre ou en bronze , aucun objet en
or ou en argent. 11 semble donc naturel de placer leur lente for-
mation, entre la disparition de la faune que l'on peut appeler
quaternaire et le premier emploi des métaux.
11 est évident que les kjôkkenmôddings ont été accumulés
par de longues générations. Les amas de coquilles fluviatiles, à
en juger par les objets que les fouilles ont donné, paraissent
plus anciens que ceux formés de mollusques marins. Les Shell
Heaps de la Californie sont probablement plus récents que ceux
de la Floride; et jusque dans des régions voisines les poteries,
les armes, les outils présentent des différences notables qui ex-
cluent toute idée de contemporanéité. Les hommes qui les ont
lentement accumulés appartenaient-ils à des peuples différents,
à des races venues d'autres pays, cela est probable; sans que nous
X
68 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
puissions rien affirmer de positif à cet égard; mais selon une loi
invariable de l'histoire, les vainqueurs devaient occuper la de-
meure des vaincus, jusqu'à ce qu'ils fussent chassés à leur tour, par
d'autres envahisseurs plus vaillants ou plus puissants. Sans doute
on peut objecter, que dans toute l'Amérique, les kjôkkenmôddings
offrent entre eux une grande ressemblance; mais cette ressem-
blance n'a rien ici qui puisse étonner; il est naturel au sauvage de
jeter à la porte de son habitation, autour des lieux où il vit, les ob-
jets inutiles, les débris de toute nature, sans se préoccuper du dé-
sordre ou de la malpropreté. C'est là un fait commun à toutes les
régions du globe. Les voyageurs qui visitent de nos jours les Es-
quimaux (1), les derniers représentants d'une des plus an-
ciennes races américaines, nous disent qu'autour de leurs tentes,
le sol est jonché d'inombrables ossements de morses ou de pho-
ques, dont beaucoup gardent encore des lambeaux de chair en
putréfaction et exhalent l'odeur la plus infecte. Nous avons pro-
bablement là une peinture exacte des mœurs et des usages des
sauvages, qui habitaient l'Amérique aux temps préhistoriques.
Parmi ces hommes, les uns, ceux de Santa Rosa par exemple,
se livraient à la chasse, ils se vêtissaient des peaux des animaux
qu'ils avaient tués ; les nombreuses aiguilles en os sont une preuve
sans réplique de leur industrie. Chez leurs voisins de Bear-Point,
on ne trouve que des mollusques marins, nulle trace d'ossements
d'animaux, nul instrument en os: doit-on en conclure que leurs
vêtements étaient fabriqués soit avec des herbes, soit avec des fila-
ments tirés de l'écorce des arbres? Tel était le costume des indi-
gènes de la Floride, au dire des conquérants espagnols, qui péné-
trèrent les premiers dans le pays. La même différence se fait
remarquer dans les poteries. Les vases des uns sont élégants de
forme et d'ornementation ; les anses reproduisent des figures d'ani-
(1) Il est intéressant de noter la ressemblance dans les temps primitifs des Esqui-
maux avec les habitants des îles Aléoutiennes. Les armes, les outils, les instruments
que les fouilles mettent au jour sont identiques. La diflférence de la faune, celle du
climat, modifièrent peu à peu les coutumes des deux peuples, peut-être aussi leur lan-
gage. W. H. Dale, The Remains of later Prehistoric Man obtained from the Caves of
the Aleutian Islands. Smith. Cont., 1878.
LES KJOKKENMÔDDINGS ET LES CAVERNES. 69
maux des représentations humaines; ils rappellent de tous points
ceux trouvés sous les mounds; chez les autres, au contraire, la po-
terie est toujours mal cuite, grossièrement fabriquée. Dans certai-
nes régions le silex est rare ; les os sont apointés et paraissent avoir
suffi à la défense et à tous les usages domestiques. En général,
les fouilles des kjôkkenmôddings n'ont donné ni une pipe, ni
un fragment qu'on puisse \ rapporter ; ce serait donc plus tard
que l'habitude de fumer, dont nous allons constater de si nom-
breuses traces, a pris naissance. Presque partout, en revanche, on
trouve des ornements, souvent aussi de l'hématite destinée sans
doute au tatouage. Le goût de la parure est inné chez l'homme
alors même qu'il est le plus misérable et le plus dégradé, et ce
goût nous surprend quelquefois par les formes étranges qu'il
revêt. Dans les immenses régions où l'on constate l'accumulation
des débris que nous étudions, les différences doivent nécessaire-
ment être considérables. Aucune conclusion générale, aucune*
théorie absolue ne sont de mise : si elles paraissent prouvées sur
un point, sur un autre nous sommes forcément amenés à une
conclusion contraire à une autre théorie.
Un seul fait permet une appréciation tout au moins approxi-
mative de la date de la formation de certains kjôkkenmôddings.
Il en est qui sont couverts d'arbres gigantesques. Celui de Silver
Spring est couronné de chênes séculaires ; un des plus grands
parmi eux ne mesure pas moins de vingt-six à vingt-sept pieds
de circonférence, il ne saurait, selon Jeffries Wyman (1), avoir
moins de six cents ans d'existence. 11 porte de même, par l'étude
des cercles concentriques, à quatre cents ans l'âge des arbres qui
s'élèvent sur les Shell-Heaps de Blue-Spring et d'Old-Town. Si
ces calculs sont exacts, et ils paraissent tels, ils nous font bien
connaître le moment, où le kjôkkenmôdding a été abandonné,
où l'arbre de la forêt a remplacé la demeure de l'homme ; mais
notre ignorance reste complète sur la date initiale, où l'accumu-
lation des coquilles et des débris a commencé ; c'est là surtout
ce qu'il importe de savoir.
(1) Report Peabody Muséum, 1872, 1. 1, p. 25.
70 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les dépôts de guano du Pérou ont donné des poissons (fig. 19),
des figurines, de grossières idoles en or et en argent, de nom-
breux tessons de poterie (1). Le Peabody Muséum à Cambridge
(Massachusetts) possède vingt ornements en or, provenant des îles
Chincha (2). Ce sont des plaques très minces, disposées en parallé-
logrammes de sept à huit pouces de longueur sur trois à quatre
de largeur, couvertes de lignes pointillées et percées d'un trou,
qui permettait soit de les suspendre au cou, soit de les atta-
cher aux vêtements. L'homme habitait donc ces îles, au moment
où s'accumulaient ces couches, qui ont joué un rôle si considé-
Fig. 19. — Poisson eu argent des îles Chincha.
rable dans notre agriculture moderne; et il se nourrissait sans
doute des innombrables oiseaux de mer qui les peuplaient. Sur
certains points , les couches sont recouvertes de dépôts ma-
rins, qui atteignent jusqu'à deux mètres de puissance. L'étude
géologique du terrain prouve que depuis la présence de l'homme,
ces îles ont été immergées dans les flots puis émergées de nou-
veau, sans que nous puissions nous rendre compte des causes
de ces phénomènes (3). Ces dépôts selon toutes les apparences
remontent aux mêmes époques que les kjôkkenmôddings que
nous venons de décrire; la présence de métaux précieux, tels que
l'or et l'argent, indiquerait bien une époque plus récente ;
mais nous savons que leur emploi est autrement ancien au
Pérou, que dans l'Amérique du Nord ou l'Amérique centrale.
(1) Baldwin, Ancient America. New- York, 1872.
(2) Report Peabody Muséum, 1874, p. 20.
(3) Nous avons traité dans les Premiers Hommes et les Temps préhistoriques toute
la question des mouvements du sol (t. II, p. 319 et suiv.).
LES KJOKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 71
Durant les temps quaternaires, l'Européen habitait les caver- cavemes.
nés formées naturellement, ou agrandies artificiellement, à
mesure que ses besoins augmentaient. Ce sont ces cavernes, celles
du midi de la France ou de la Belgique entre autres, qui nous
ont livré les preuves les plus certaines elles plus intéressantes de
l'existence de cet homme, de ses usages, de sa vie de chaque jour.
En Amérique, les grottes paraissent surtout avoir été utilisées
comme lieux de sépulture, durant des temps dont il est difficile de
fixer la durée. Les plus anciens explorateurs rencontrèrent dans
Virginie, dans le Tennessee, dans le Rentucky des cavernes rem-
plies d'ossements humains (1). D'autres dans la Californie étaient,
rapporte-t-on, couvertes de peintures admirablement conservées,
représentant des hommes ou des animaux étranges ; elles renfer-
maient des milliers de cadavres momifiés (2). On a retiré d'une
caverne située dans la vallée du Rio-Norzas (province de Du-
rango, 3Iexique) un nombre non moins considérable de momies
appartenant à une race très distincte des habitants actuels du
pays. Les objets, déposés auprès de ces momies, étaient deshaches,
des pointes de flèches en pierre, et des vases dont la décoration
remarquable offrait quelque rapport avec celle des poteries
égyptiennes (3). Les Espagnols ne pouvaient contenir leur éton-
nement, à la vue des merveilleux vêtements de plumes dont
étaient couverts les Incas du Pérou dans les grottes, qui leur
servaient de demeure dernière. Mais toutes ces cavernes, si elles
ont véritablement existé, ont été détruites ; tout ce qu'elles ren-
fermaient a disparu ; et nous ne pouvons que présumer l'exagéra-
tion des détails donnés par les Conquistadores. Celles qui subsis-
tent aujourd'hui sont rares et leur exploration des pi us difficiles.
Les unes, celles notamment que l'on rencontre dans le Mexique,
dans le Chihuahua ou dans la Californie, étaient aussi des sépul-
tures et ne gardaient aucune trace d'une habitation antérieure ;
(1) Conant, Foot Prints of Vanished Races, ch. vi.
(2) Glavigero, qui a conservé ces détails, ajoute que ces hommes différaient autant
par leurs traits que par les vêtements, dont ils étaient couverts, de toutes les races que
rencontraient les Espagnols.
(3) Proc. Anthropological Soc. of Washington, 1879, p. 80.
72 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
d'autres avaient été occupées par les Indiens et tous les objets
que l'on pouvait recueillir dataient d'époques récentes (1).
Parmi les cavernes qui peuvent présenter quelque intérêt,
nous citerons celles creusées dans les massifs calcaires qui domi-
nent la rivière Gasconade. Une des plus remarquables est située
dans le comté de Pulaski (Missouri). Elle a été formée dans les
temps géologiques, puis artificiellement agrandie par l'homme;
son ouverture assez difficile d'accès, est perpendiculaire à la ri-
vière. M. Conant y fit exécuter une tranchée de 175 pieds de
longueur, sans atteindre les parois. Les dépôts (2) qui se succè-
dent, ont dû être fréquemment remaniés ; ils sont formés de terres
et de cendres, mêlées à des fragments de poterie et de charbon,
à des silex taillés, h des ossements humains brisés, à un grand
nombre d'instruments en os ou en test de coquille de formes
diverses, mais tous d'un travail grossier (fig. 20). Le sol primitif
était formé d'une argile rougeâtre, où l'on recueillait de nom-
breuses coquilles de moules complètement décomposées. Ces
mêmes coquilles se trouvaient dans les diverses couches, en
quantité véritablement prodigieuse. A deux pieds environ de pro-
fondeur, les explorateurs rencontrèrent un premier squelette
couché sur le dos, puis un autre replié sur lui-même ; un peu plus
loin celui d'une femme d'un âge avancé. Tous étaient dans un tel
état de décomposition que l'on ne put conserver que quelques
fragments, qui ne permirent aucune comparaison utile. Autour
(1) Schoolcraft, Archives of Aboriginal Knowledge, t. IV, p. 217. — Les Navajos,
dit Gallatin, habitaient des cavernes où ils conservaient leurs récoltes {Nouv. Ann.
desvoy., t. CXXXI, 1857).
(2) Nous donnons la série des couches constatées et leur puissance :
h. alluvions 3 1/2 pouces.
i. cendres mêlées do
pouces. charbon 4 »
k. alluvions 7 «
/. cendres 3 «
m. alluvions mêlées à
des fragments de
charbon 20 »
67 pouces.
soit l^jôG.
a. Alluvions mêlées de
cendres et de tes-
sons 18
b cendres 2
c. argile 21/2
</. cendres
e. alluvions
f. argile et cendres mê-
lées
g. Cendres
1/2
1/2
LES KJOKKENMUDDINGS ET LES CAVERNES.
73
des squelettes étaient répandus en grand nombre, des os de daim,
d'ours, de tortue, de dindon sauvage. Les crânes de tous ces
animaux étaient brisés ; évidemment la cervelle formait un mets
recherché. Nous avons certainement là une grotte longtemps
Fig. 20. — Instruments en os de la rivière Gasconade.
habitée par l'homme; la sépulture est-elle un fait accidentel,
ou bien ces hommes avaient-ils été ensevelis auprès de leur
foyer. Nous pencherions vers cette dernière solution ; car c'était
là une coutume chère à bien des peuples primitifs.
Shelter-Cave auprès d'Elyria (Ohio) (1), devait aussi servir'de
retraite aux premiers habitants du pays. A une profondeur de
(1) Sur la rive ouest de Black-River.
74 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
quatre pieds (1), le sol formait une brèche compacte, où étaient
empâtés des ossements d'ours, de loup, de cerf, de lapin, d'écu-
reuil, au milieu desquels on pouvait reconnaître trois squelettes
humains, ceux d'hommes probablement, écrasés dans l'asile qu'ils
avaient choisi, parla chute d'une partie de la voûte. Les crânes
en bon état de conservation furent présentés en 1851 , à la réunion
de l'Association Américaine à Cincinnati. Ils furent malheureu-
sement détruits quelques années après, dans une émeute popu-
laire, avec le Musée du collège Homéopathique, où ils étaient
déposés, et nous ne connaissons aucune indication qui puisse
permettre de les décrire. Un des archéologues les plus distingués
des États-Unis, le colonel Whittlesey, attribue à ces débris une
antiquité de deux mille ans (2) ; mais son calcul paraît trop hy-
pothétique pour qu'il soit nécessaire de le discuter.
Ash Cave dans le comté de Benton (Ohio), est un de ces abris
sous roche, si communs dans le midi de la France ; celui-ci est re-
marquable par un dépôt considérable de cendres, qui couvre une
superficie de cent pieds de longueur, sur une largeur moyenne de
trente pieds. Une tranchée poussée jusqu'à deux pieds et demi de
profondeur, mit à découvert une masse considérable de débris
de toute sorte; des ossements d'animaux propres à la nourriture
de l'homme, des petits bâtons ayant pu servir de flèches, des
tessons de poterie, des noix, des filaments d'herbe. Un squelette
était assis auprès du mur, et on pouvait encore distinguer les
fragments d'écorce dont il avait été enveloppé pour le préserver
sans doute du contact des cendres. Déplus grandes précautions
encore avaient été prises pour un paquet de petites graines (3)
déposées auprès de lui ; elles avaient été soigneusement recou-
vertes d'un lit d'herbes et de fougères, puis d'une étoffe grossière.
Nous ignorons leur signification et le rite auquel elles se ratta-
(1^ A cette profondeur, les fouilles ont du être arrêtées à raison des difficultés
qu'elles présentaient.
(2) (i Judging from the appearance of tlie bones and the depth ofthe accumulation
overthem, two thousand years may hâve elapsed since the human skeletons were laid
on the floor of the cave. » Evidence of the Antiquity of Man in the U. S.
(3) Chenopodium album ?
LES KJÔKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 75
chaient. Nous pouvons seulement ajouter que le professeur An-
drews (1), à qui nous empruntons ces détails, regarde le squelette
comme remontant à une époque très reculée.
Au mois de juin 1878, on explorait un réduit situé dans le Comté
de Summit (Ohio). Il était formé par deux roches, mesurant cha-
cune de quinze à vingt pieds de diamètre et surmontées en guise
de toit, par une troisième roche. Ce réduit, tout ouvert qu'il était
au nord et au sud, avait servi d'habitation à de longues généra-
tions, car, après l'enlèvement d'une faible couche de terre végé-
tale, les archéologues qui dirigeaient les fouilles, rencontrèrent
des amas de cendre, variant de quatre à cinq pieds de puissance.
De nombreux boulders, que les troglodytes n'avaient jnème pas
eu l'énergie d'enlever de leur triste demeure, étaient enterrés au
milieu de ces cendres et avec eux plus de deux cent cinquante frag-
ments de poterie, des os, des coquilles, des armes ou des outils
en pierre. Les vases conservaient les marques de l'écoree et des
fibres du moule en bois, où ils avaient été fabriqués. A mesure
que les fouilles devenaient plus profondes, les poteries étaient
plus grossières et plus massives. Aucun des objets en pierre ne
présentait de trace de polissage ; la plupart d'entre eux devaient
servir de couteaux. Les ossements appartenaient à l'ours, au loup,
auporc-épic, au buffle, au cerf, au racoon, à l'écureuil, au re-
nard, au castor, et aussi au héron et au dindon sauvage. Les os
renfermant la moelle étaient brisés ; quelques-uns grossièrement
apointés; tout annonçait chez ces hommes une civilisation des
plus primitives (2).
Dans la Pennsylvanie, à 82 milles de Philadelphie (3), sur le
front d'une falaise se dressant parallèlement à la Susquehannah,
on rencontre, dans une roche quartzite très dure, une cavité na-
turelle haute de sept pieds environ, ne présentant aucune trace
d'érosion, due soit au travail humain, soit à l'action des eaux.
(1) Report Peabody Muséum, 1877, t. II, p. 48.
(2) Read, £'a?p/o)-ahon of a Rocky Shelter in Boston, Summit County,Ohio. Americ,
Antiquarian. March 1880.
(3) Haldemau, A. RockRetreat in Pennsylvania. Congrès des American istes.Lvixem-
bourg, 1877, t. II, p. 319.
76 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Le sol primitif était formé d'argile jaune, et sur cette argile re-
posait une couche de terreau noir de trente pouces d'épaisseur (1).
La couche entière était riche en reliques humaines et on put y
recueillir plus de quatre cents pointes de flèche en pétrosilex, en
jaspe, en basalte, en argilolite, très rarement en quartzite, qu'il
était facile cependant d'arracher aux roches voisines. Ces flèches
présentent une grande variété de formes, et il est possible de
suivre toutes les phases de la fabrication. Avec les flèches on
trouvait quatre tomahawks perforés, trop minces pour être
autre chose que des insignes d'honneur, des couteaux ou des
éclats dont le côté concave seul était poli (2), des os de tortues
brisés, des Unio provenant de la rivière, trois cents fragments
de poterie, un tuyau de pipe en terre assez semblable à ceux que
nous aurons à décrire en parlant des Mound-Builders, un pilon
enfin et quelques minéraux ferrugineux, rouges ou noirs, qui de-
vaient procurer à ces hommes les couleurs qu'ils recherchaient
et dont le pilon gardait encore l'empreinte. Les fouilles n'ont
donné aucun ossement pouvant être attribué à l'homme. Ceux
qui utilisaient cet abri, n'étaient donc pas des anthropophages ;
ils ensevelissaient les leurs, loin de la demeure oii ils vivaient.
Des ossements humains ont été recueillis dans une caverne au-
près de Louisville (Rentucky). Cette caverne fort spacieuse
offre à son extrémité une déclivité remarquable ; elle n'a
pu être qu'imparfaitement fouillée, à cause du nombre des
serpents à sonnettes, qui effrayèrent les explorateurs les plus in-
trépides. On constata cependant que comme dans la grotte
d'Elyria, les os étaient empâtés dans une brèche formée par les
gouttelettes chargées de calcaire qui suintaient de la voûte, et on
parvint après beaucoup de peines à retirer six crânes presqu'in-
tacts et avec eux un mortier, une hache et une pointe de flèche
(1) Ce terreau, dit M. Haldemann, est d'origine végétale. Le D' Andrews {American
Naturalist, Février 1876) dit qu'il faut 13 siècles pour former 10 pouces de terreau
végétal. A ce compte les premiers dépôts que nous trouvons sur l'argile jaune date-
raient de 4,000 ans ; mais nous avons montré dans les Premiers Hommes, combien ces
calculs sont toujours hypothétiques.
(2) Le côté convexe présente une cannelure et souvent le bulbe de percussion.
LES KJUKKENMUDDINGS ET LES CAVERNES. 77
en silex. Le colonel Wliittlesey attribue à ces crânes une anti-
quité non moins grande qu'à ceux d'Elyria; nous ne pouvons que
donner son opinion en maintenant des réserves nécessaires.
Le voyageur allemand MûUer rapporte l'existence dans la
province d'Oajaca, de cavernes ayant servi d'habitation à une
époque très ancienne ; nous nous contenterons de les mentionner
ainsi que les découvertes faites à High-Rock-Spring auprès de Sa-
ratoga, bien que certains archéologues aient, dès 1839, prétendu
faire remonter à la date exacte de 5470 ans, ces premières traces
des aborigènes Américains (1). Nous avons hâte d'arriver à
des faits plus sérieux que nous fait connaître un excellent rap-
port adressé en 1875 par M. Putnam, aux trustées du Peabody
Muséum (2).
Le savant professeur avait remarqué auprès de Gregson's
Springs (Kentucky) un abri sous roche semblable à ceux que nous
avons mentionnés. Le rocher avait été artificiellement creusé et
le sol était jonché d'ossements d'animaux, de silex taillés, de
fragments de poterie et de charbon. C'était là un début, et ses
recherches poursuivies avec persévérance devaient l'amener à
des découvertes plus importantes (3).
La caverne connue sous le nom de Sait-Cave peut se comparer
à la grotte du Mammouth si célèbre aux Etats-Unis par ses stalac-
tites. Elle comprend, comme celle-ci, une foule de passages que
l'on peut suivre pendant des milles. Dans une des salles plus ou
moins considérables, auxquelles ces passages aboutissent, on re-
connaît des traces certaines du séjour de l'homme. Ce sont les
cendres de nombreux foyers, puis des piles de pierres superpo-
sées avec un trou creusé au centre, où, selon une supposition assez
plausible, on plaçait des fagots de menus bois ou de roseaux, des-
(1) D' Mac-Guire, Proc. Boston Soc. of Natural History, t. II, May 18-39.
(2) T. I, p. 48 et s.
(3) Nous ne citons que pour mémoire diverses cavernes, telles que Sauiider's Cave,
Haunted-Cave, ou une autre située dans le comté de Hart. Bien que les fouilles et
les fréquents remaniements rendent toute conjecture problématique, il est probable
que ces cavernes n'ont jamais servi d'habitation, mais qu'elles ont seulement été uti-
lisées comme sépultures.
78 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
tinés <à éclairer la grotte. En plusieurs endroits on a trouvé de
semblables fagots liés avec des filaments d'ëcorce.
Dans un petit réduit, à trois milles (1) environ de l'entrée de la
caverne, M. Putnam constatait les pas d'un homme chaussé de
sandales, et un peu plus loin il rencontrait les sandales elles-
mêmes fabriquées avec beaucoup d'adresse au moyen de roseaux
entrelacés. Les vêtements étaient tissés avec l'écorce de jeunes
arbres ; des raies noires tracées sur un morceau d'étoffe ainsi
préparée, un fragment de frange également retrouvé dans la
caverne, montraient le goût de ces races pour la parure ; un autre
morceau d'étoffe curieusement réparée témoignait de leur indus-
trie. On recueillait aussi des débris de gourdes, souvent d'assez
grande dimension, et deux pointes de flèche finement travaillées.
Le sol était couvert d'excréments humains ; leur analyse a permis
de présumer que la nourriture des habitants de la caverne était
végétale ; mais les fouilles n'ont donné que quelques coquilles de
moules presque toutes décomposées. La découverte de sandales,
d'étoffes tissées, l'absence d'ossements d'animaux, la longue habi-
tation de la grotte, font supposer une population sédentaire se
livrant aux travaux agricoles et ne dépendant plas exclusivement
de la chasse ou de la pêche pour sa subsistance.
M. Putnam ajoute une remarque importante. Une momie avait
été trouvée en 1813 à Short-Cave (2) et déposée au musée de
Worcester (Massachusetts) ; la comparaison attentive des vête-
ments dont elle était revêtue avec les fragments trouvés à Sait
Cave, a permis de conclure à leur identité. Voici donc une race
qui enterrait avec soin ses morts et dont l'habitat couvrait une
zone étendue. M. Putnam ajoute que quelques circonstances de
l'ensevelissement font croire à la grande antiquité de la momie
découverte à Short-Cave ; il omet malheureusement de nous faire
connaître ces circonstances, nous ne pouvons que résumer son
(1) Nous suivons le rapport de M. Putnam; la distance qu'il donne paraît immense
à moins que l'on ne suppose une autre ouverture qui n'est pas encore dégagée.
(2) Short-Cave est à 8 milles de Mammouth-Cave où l'on place souvent par erreur
la découverte de cette momie.
LES KJOKKENMÔDDINGS ET LES CAVERNES. 79
opinion ; en ajoutant que ces hommes présentaient toutes les
apparences d'une civilisation très supérieure à celle des sau-
vages, dont les kjôkkenmôddings restent les témoins; ils de-
vaient remonter à une antiquité moins reculée.
Quand les cavernes étaient éloignées, quand ces Indiens ne Huttes.
voyaient devant eux que des vastes plaines dénudées, des pampas
sans abri qu'ils osaient à peine traverser, des forêts impénétra-
bles, hantées par des animaux dont ils redoutaient l'approche,
ces premiers habitants de l'Amérique devaient, comme les
hommes que rencontrèrent les Espagnols, comme ceux qui
errent encore dans les déserts de l'Arizona ou du Nouveau-Mexi-
que, habiter des huttes, construites en quelques heures (fig. 21)
et détruites non moins rapidement, quand leurs habitudes no-
mades ou la poursuite du gibier les entraînaient plus loin. Le
colonel Mac-Kee qui parcourut un despremiersla Californie, lors
de l'occupation du pays par le gouvernement des Etats-Unis,
rapporte que les tribus du Nord-Ouest brûlaient, à l'approche de
la belle saison, les habitations construites en peaux et en roseaux,
où ils avaient passé l'hiver, afin de détruire la vermine qui y
avuit largement pullulé. La plupart des hommes de ces tribus
étaient absolument nus ; les femmes et les jeunes filles nubiles
portaient seules un petit jupon, qui allait de la taille aux genoux ;
à tout âge les seins restaient découverts (1).
La disposition des huttes variait sans doute, comme elle varie de
nos jours, de peuplade à peuplade, de tribu à tribu. Les Comanches
plantaient toutes droites les perches qui devaient la soutenir ; les
Lipans, les Navajos (2) les courbaient en cône ; les Apaches les
disposaient en ovale surbaissée (3). Chaque tribu avait sa forme
spéciale, transmise par les ancêtres, et se perpétuant par le défaut
d'initiative, par l'esprit d'inertie, de tout temps caractéristiques
de la race. Aujourd'hui encore, en arrivante un camp abandonné,
(1) Schoolcraft, l. c, t. III.
(2) James Simpson, Journal of a military Reconnaissance from Santa-Fe to the
Navajo Country. Philadelphia, 1852.
(3) Bartlett, Personal Narrative of Exploratiom an l Incidents in Texas, New
Mexico, California, Sonora and Chihuahua. New- York, 1854.
80 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
les huttes permettent de reconnaître facilement à quelle tribu il
appartenait. Les perches étaient recouvertes tantôt de menus
branchages ou de peaux, tantôt d'herbes ou de pierres plates. Le
diamètre de ces habitations était de douze à dix-huit pieds ; leur
hauteur de quatre à huit pieds. Le sol était quelquefois excavé et
la famille obtenait ain§i un gîte un peu moins restreint. Une
LES KjiJKKENMODDINGS ET LES CAVERNES. 81
ouverture triangulaire fermée par un lambeau d'étoffe ou de
peau complétait la demeure (1). D'autres tribus se bornaient à
creuser avec leurs mains un trou dans la terre, puis à le
recouvrir de branchages. Les Indiens du Nouveau-Mexique
étaient plus sauvages encore. Nus, dégoûtants de saleté, ils
erraient durant les fortes chaleurs de l'été auprès des cours
d'eau, cherchant un abri momentané soit dans un ravin, soit
dans une grotte, asile précaire qu'il leur fallait disputer aux ani-
maux. Pour l'hiver, ils construisaient avec des pierres et des
branches d'arbres, un mur circulaire de deux pieds environ de
hauteur. Jamais ils ne fermaient ce triste réduit, tout toit étant
contraire à leurs idées superstitieuses ; et c'est là que serrés les uns
contre les autres, ils cherchaient à se préserver des rigueurs du
froid (2). Les demeures des hommes qui habitaient les parties
centrales du Mexique se composaient de quelques perches, liées
par les lianes d'une végétation si puissante dans les pays tropi-
caux, et recouvertes de feuilles de palmier. Dans les régions plus
froides de la montagne, les murs étaient formés de troncs d'ar-
bres fortement attachés par des roseaux et revêtus à l'intérieur
et à l'extérieur d'épaisses couches d'argile.
Tels étaient les hommes que rencontrèrent les Conquistadores ;
telles avaient vécu sans doute, de longues générations avant leur
arrivée. A côté d'eux vivaient d'autres races plus intéressantes
pour Fhistorien et pour le philosophe : c'est d'elles qu'il faut main-
tenant nous occuper. Le mystère si complet qui les environne,
ajoute encore à l'attrait que la vue des ruines qui signalent leur
passé, suffirait seule à inspirer.
(1) Schoolcraft, /. c, t. IV, p. 213.
(2) Venegas, Noticia de la California y de su Conquista. Madrid, 1757. — « Le abi-
tazione le piu comuni sono certe chiuse circolari di sassi schiolti ed amucchiati, le
quali hanno cinque piedi di diamètre e meno di due d'altezza. » Glavigero, St. délia
California, t. 1, p. 119. Veaezia, 1789.
De Nadaillac, Amérique.
CHAPITRE III
LES MOUND BUILDERS.
L'existence de tertres artificiels dans les vallées du Missis-
sipi, de rOhio, du Missouri, dans celles formées par leurs af-
fluents, avait échappé aux premiers pionniers de l'Amérique,
uniquement préoccupés du butin que convoitait leur insatiable
avidité. Garcilaso de la Vega (1) et le chroniqueur anonyme de la
malheureuse expédition de Hernandez de Soto (2) y font, il est
vrai, quelque allusion ; mais ce ne fut que bien des années plus
tard, quand un commerce régulier fut établi avec les In-
diens (3), vivant au delà des monts AUeghanys, que l'on acquit
quelques notions exactes sur ces monuments grossiers, mais
imposants par leur masse et par leur nombre, les seuls témoins
d'une race dont le nom même reste absolument inconnu (4).
Carver en 1776, Harte en 1791, furent les premiers à signaler
les mounds avec quelque précision; Brackenridge les décrivit
(1) Histoire de la Floride publiée à Lisbonne en 1605, à Madrid en 1723 et traduite
à plusieurs reprises en français.
(1) Histoire de la conquête de la Floride par les Espagnols sous F. de Soto, écrite
en Portugais par un gentilhomme de la ville d'Elvas, traduite en français et publiée
à Paris en 168,'}. On peut également consulter dans la collection Ternaux, le récit du
chapelain de cette expédition qui eut lieu en 1539.
(3) Les indiens eux-mêmes avaient remarqué les mounds ; car ils avaient donné au
Yazoo le nom caractéristique de Rivière des anciennes ruines.
(4) « Whose very existence isleftto tho sole and silent attestations of the rude and
oft imposing monuments, whicli throng the valleys of the west. » Nott and Gliddon,
Types of Mankind.
LES MOUND BUILDERS. 83
en 1814 (1) : « En m'approchant du plus grand d'entre eux,
dit-il, je fus saisi du même étonnement que l'on peut éprou-
ver en contemplant les monuments de l'Egypte. » Plus tard,
MM. Squier et Davies vinrent contrôler les découvertes anté-
rieures avec les procédés exacts de la science moderne. De 1845
à 1847, plus de deux cents mounds furent fouillés par eux et la
description qu'ils donnèrent, publiée par le Smithsonian Insti-
tiite, est encore aujourd'hui le meilleur guide que nous puissions
suivre (2). Cette publication vint donner une impulsion nouvelle
aux fouilles. Entreprises de tous les côtés à la fois, poursuivies
avec ardeur, elles ont produit les objets les plus divers et les
plus curieux. Les monographies les plus intéressantes, les étu-
des les plus sérieuses les ont suivies; notre tâche est de faire
connaître les unes et les autres.
Les mounds sont des monticules artificiels en terre, presque
toujours construits avec une régularité mathématique. Leur
forme est diverse ; ils sont ronds, ovales, carrés, plus rarement
polygonaux ou triangulaires. Leur hauteur varie de quelques
centimètres à trente mètres ; leur diamètre de un à trois cents
mètres (3). Ceux destinés à un rite religieux sont terminés
par une plate-forme, à laquelle on accède par une rampe habi-
lement ménagée ; il n'est possible de gravir les autres qu'au
prix d'efforts souvent pénibles. Tantôt ils sont érigés au som-
met d'une colline; tantôt ils s'étendent irrégulièrement dans
les plaines, souvent sur plusieurs milles de longueur. D'autres
fois, nous les voyons placés symétriquement et renfermés entre
des murailles construites en terre comme les tertres eux-mêmes.
Mais tous, quelle que soit leur forme ou leur grandeur, pré-
sentent entre eux une analogie remarquable; ils appartiennent
évidemment à une même race d'hommes, subissant les mêmes
(1) Views of Lonisiann. Pittsburg, 1814.
(2) Ancient Monuments of the Mississipi Valley, Smith. Cont. ta Knowledge. Phi-
ladelphia, 1847, t. I. — Aich. Americ, t. I. — A. Bradford, Am. Ânt. New-York, 1841,
(3) Le D' Habel {^mith Cont., t. XXII) cite un mound conique, de 3 à 400 pieds de
hauteur auprès de Quito; mais de grands doutes existent sur l'origine de ce mound et
sur son caractère artificiel.
Nombi-e îles
Mounds.
84 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
influences, et agissant sous l'empire des mêmes causes. On les
trouve dans les vallées (1) que nous avons dites, dans celles du
Wyoming, de la Susquehannah, du Yazoo, du Tennessee, sur
les rives du lac Ontario jusqu'au Saint-Laurent, dans toute In
partip ouest de l'État de New- York, dans les États de Missouri,
de Mississipi, de Michigan, de Wisconsin, d'Iowa et de Nebraska.
La Louisiane, les vallées de l'Arkansas et de la Rivière-Rouge
ont été peuplées par les Mound Builders et on signale au-
près de Carthage (Alabama), un groupe remarquable de grands
mounds tronqués, entourés de remblais que la charrue fait cha-
que jour disparaître. Mais dans le sud, les travaux paraissent
moins anciens que dans l'Ohio ou le Mississipi ; les construc-
teurs avaient été graduellement repoussés par une invasion en-
nemie, venue du iNord.
Les tertres ne sont pas moins nombreux dans le nouvel État
de Washington; leur hauteur n'excède guère six à sept pieds
et ils sont disposés comme les carreaux ou les piques dans le
cinq de nos jeux de cartes (2). De semblables tumuli s'éten-
dent sur toutes les côtes du golfe du Mexique, depuis la Flo-
ride jusqu'au Texas. Dans ce dernier État et dans celui de la
Caroline du Sud, on rencontre surtout des tertres coniques, qui
forment une transition avec les teocallis (3) du Mexique, où un
temple vient couronner une pyramide tronquée, cette fois cons-
truite en pierres (4). Dans le Yucatan et dans le Chiapas, des
tertres artificiels servent de base aux monuments remarqua-
bles que nous aurons à décrire et qui étaient déjà vieux lors
(1) D'après les calculs du Prof. Fostev, la vallée du Mississipi compreud une aire
de 2,455,000 milles carrés, mesurant 30° de longitude, sur 23° do latitude {Mississipi Val-
ley. Chicago, 1869, p. 3).
(2) Bancroft, 27ie Native Races of tlie Pacific States of North Amei'ica, t. IV, p. 753.
— Wilkes, United States Exploring Expédition, 1841.
(3) Les Mexicains reconnaissaient un dieu suprême Teut ou Theot; de là le nom do
teocallis, les maisons de dieu.
(4) Brasseur de Bourbourg signale dans la province de Vera-Paz. un grand nombre
de tumuli qui offrent, dit-il, une ressemblance frappante avec ceux du Mississipi. Ils
sont en terre de couleur rougeâtre, et les Indiens les appellent Cnkhay, les maisons
rouges {Hist. des Nations civilisées, t. I, p. 15).
LES MOUND BUILDERS. 85
de la conquête espagnole (1) et Wells rapporte que, dans le
Honduras, les baqueanos (2) trouvent, et cela jusque dans les
forêts où il faut se frayer un passage la hache à la main, des
mounds souvent d'une hauteur remarquable. Chacun de ces
mounds fournit de dix à trente poteries diverses, grossières
comme exécution, mais très curieuses parleur forme et par leur
ornementation (3). Nous voyons des tumuli semblables sur les
bords du grand Lac Salé, dans l'Utah, dans l'Arizona. Ils exis-
tent aussi, mais avec des dimensions moins considérables dans
la Californie, dans l'Orégon, dans les vallées formées par le
Colorado et ses affluents ; et c'est par milliers que M. Taylor
les comptait, du haut d'une éminence qui domine la rivière
Merced. Leur nombre diminue à mesure que l'on se rapproche
de l'océan Atlantique. Rares au delà des Montagnes Rocheuses,
ils le sont plus encore dans l'Amérique anglaise (4).
Telles sont les limites approximatives du territoire occupé
par les Mound Builders. Le nombre, la forme, la disposition de
ces mounds si étranges souvent dans leur conception, si origi-
naux dans leur exécution, les objets que les fouilles ont mis au
jour sont, répétons-le, caractéristiques et ne permettent guère de
les confondre avec les tertres presque toujours destinés à marquer
(I) « The wliole central région is strevvnwith mounds bearing ruined buildings » (Ban-
croft, /. c, t. IV, p. 200). On remarque ces tertres artificiels à Uxmal, à Nohpat, à
Kabah, àLabnah. Les Mayas élevaient toujours un mound, comme fondation do leurs
édifices ; et quand une éminence naturelle existait, ils avaient soin de l'agrandir.
Auprès du port de Silan, on signale deux mounds sur lesquels on aperçoit des ruines
considérables (Stephens, Incidents of Travel in Yucatan. New-York, 1858, t. II,
p. 427 et s.). « Tout près du Rio Lagarto se voient deux pyramides au sommet des-
quelles croissent maintenant des arbres élevés et touffus. » (Baril, Mexique. Douai,
18G2, p. 129.) Le Monte Cuyo auprès de Yalahao, que l'on découvre de loin en mer,
était déjà signalé par le vieux voyageur Dampier comme l'œuvre de l'homme.
['i) Wells les appelle Vaqueras et c'est sur son autorité que nous l'avions répété ; mais
il résulte d'un renseignement qu'a bien voulu nous transmettre M. Ch. Barbier, que
les Vaqueras, gardiens des immenses troupeaux du pays, ne se livrent pas à ces re-
cherches. Tout au plus, peut-on les attribuer aux Baqueanos, qui servent de guides
et d'explorateurs ; mais leur respect religieux pour les sépultures pai-aît à M. Barbier
un grand obstacle à ce que l'on raconte de leurs fouilles.
(3) Ëxplarations af Honduras, p. 533.
^4) Lubbock, ïhamme préhistorique, trad. Barbier, p. 236.
86 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
des sépultures qui se rencontrent dans tous les pays du globe.
C'est parmi ces derniers, qu'il faut classer les mounds que les
voyageurs signalent dans la Colombie anglaise, dans l'île de
Vancouver, au Pérou, au Brésil et jusque dans les pampas de
la Patagonie. Le père Acuna raconte des tumuli innombrables
dans les plaines de Terraba (Costa Rica), centre d'un em-
pire jadis puissant (1). D'autres tumuli non moins nombreux
viennent témoigner d'une vieille histoire dans les déserts
qui s'étendent sur toute la côte des Mosquitos (2). Auprès de
la rivière Balize, des monticules, érigés en l'honneur des morts
et entourés de cercles de pierres rappellent les cromlechs de nos
pays (3). Le D' Zeballos enfin nous donne la description d'un tu-
mulus auprès de Campana (Buenos-Ayres) (4). Ce tumulus avait
2°", 50 de hauteur et ses deux axes mesuraient 79 et 32 mètres.
Les fouilles ont amené la découverte de vingt-sept squelettes.
Autour d'eux gisaient des pointes de flèche, des haches en silex,
des pierres de fronde, et une quantité considérable d'ossements
d'animaux et de fragments de poterie.
Sur d'autres points, les explorateurs racontent des amoncelle-
ments de pierres ; ces amoncellements pourraient bien dater d'é-
poques plus récentes; car de nos jours encore, les Indiens ont
l'habitude de déposer un caillou, en passant près des lieux,
qu'une longue tradition désigne comme la sépulture des an-
ciens chefs. C'est ainsi que les Ozark-Hills sont couverts de cairns
ou murgers (5). On a voulu y voir des postes d'observation. Leur
nombre seul exclurait cette hypothèse et les fouilles ont cons-
tamment donné des ossements humains, qui ne peuvent laisser
de doutes sur leur destination (6).
Nous retrouvons ces cairns dans le Honduras et auprès de San
(1) Harper's Magazine, t. XX, p. 317.
(2) Boyle, A Ride across the Continent, t. I, p. 2!16.
(3) G. Hendcrson, An Account o/' the British Settlement of Hondur<xs. London, 1811.
Frobel, Scveu Years Travel in Central America. London, 1850.
(4) l\ev. d'Anthropologie, 1879.
{h) Habel, Investigations in Central and South AmeiHca. Smith. Cent., t. XXII.
(6) Americ. Ant., Juil. 1879, p. 59.
LES MOUND BUILDERS. 87
Salvador. A trois milles de Toolesboro (lowa), ce sont de vérita-
bles constructions, élevées au moyen deboulders de granit, arra-
chés du lit de la rivière ; le mode seul de construction diffère ;
là aussi, les fouilles ont mis au jour des charbons, des silex tra-
vaillés et des ossements d'animaux carbonisés.
Dans plusieurs des États du Far West, les mounds figurent des
mammifères, des oiseaux, des reptiles et quelques-uns de leurs
hardis architectes n'ont même pas craint d'imiter le corps hu-
main,
L'Ohio paraît avoir été un des centres, d'où les Mound Buil-
ders ont rayonné, à mesure que leur population s'accroissait ou
que la défaite leur imposait une retraite vers des régions offrant
plus de sécurité (1). On y rencontre, il est vrai, moins souvent ces
mounds aux formes étranges ; mais leur nom.bre total est consi-
dérable. On ne saurait l'évaluer à moins de 10,000, celui des
enceintes à moins de 1,500; et on a calculé qu'en addition-
nant dans ce seul Etat, la longueur des tertres de toute sorte éle-
vés par l'homme, on atteindrait un total de .306 milles (2),
Tout le Missouri et en particulier la partie Sud-Est, connue sous
le nom de Swamp-Region (3) sont également couverts de tumuli
innombrables, groupésle plus souvent avec une intention évidente.
Dans l'État de New-York, on compte encore 250 enceintes,
qui rappellent nos fortifications modernes (4). Sur une superficie
de cinquante milles, à la limite des deux États d'Iowa et d' Illinois,
on a relevé plus de 2,500 mounds ; encore ne tient-on pas
(1) Rappelons en passant que c'est à un Français, Cavalier de La Salle, que l'on doit
la découverte de ces vallées de l'Oliio et du Mississipi aujourd'hui si florissantes
(Margry, Elablissements des Français dans l'ouest et te sud de l'Amérique septen-
trionale).
(2) Bancroft, /. c, t. IV, p. 752. — Pidgeon, Ant. Researches. New- York, 1858.
Lewis and Clark, Travels to the Source of ihe Missouri River. London, 1814.
(3) Le Swamp-Region couvre une superficie de 4000 milles carrés et comprend six
comtés entiers et des portions de trois autres. Le sol est formé d'alluvions récentes
recouvrant des couches tertiaires de sable, d'argile et de marne remplies de fossiles
(W. P. Potter, Arch. Remains in S. E. Missouri; Saint-Louis Ac. of. Science, 1880).
(4) Squier, Ant. of the State of New-York. Buffalo, 1851. — Report Peubody Mu-
séum, 1880, t. II, p. 721.
98 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
compte des enceintes en terre (1). Partout un nombre bien su-
périeur a été détruit par les colons et les fermiers, peu soucieux
dans leur dure lutte pour l'existence, de ceux qui les avaient
précédés. D'autres, perdus dans les vastes déserts, dans les im-
pénétrables forêts qui couvrent une grande partie de la superficie
des deux Amériques, nous sonl encore inconnus.
L'étendue du territoire successivement occupé par les Mound
Builders dans l'Amérique centrale, le nombre desmounds qu'ils
ont élevés, prouvent la longue existence de ce peuple. L'im-
portance de quelques-uns des travaux, qui, au dire d'ingénieurs
compétents, exigeraient des mois de travail à plusieurs milliers de
nos ouvriers munis de toutes les ressources de notre grande indus-
trie moderne (2), montre une race organisée, une hiérarchie puis-
sante. La régularité des constructions, l'excellence de la fabrication
des objets découverts, disent enfin, combien le goût artistique était
développé chez ces hommes, dont les fouilles viennent si inopi-
nément nous révéler l'existence.
Los Mo.inds Ce sont les reliques d'un passé éloiarné et inconnu qu'il
de toute sorte
î^ont faut raconter ; c'est par les mounds que nous commencerons et la
coiiloiidiis. * '
confusion de toutes les formes ajoute singulièrement aux diffî-
cuUés de la tâche. Les cônes et les pyramides sont renfermés dans
des enceintes ; les tertres destinés aux sacrifices sont réunis. aux
tumuli ; à côté des figures d'animaux s'élèvent des mounds po-
lygonaux ou triangulaires. Le D' Andrews (3) cite dans une
plaine du comté d'Athènes (Ohio), une réunion de vingt-trois
mounds; sept selon lui étaient destinés à la défense, seize à la
sépulture. Le plus élevé mesurait 40 pieds de hauteur sur
170 pieds de diamètre (4). Dans Pike County (Pennsylvanie),
on voit un carré parfait renfermé dans un cercle construit avec
(1) The American Aniiquarian, 1879.
(2) Les Mound Builders ne possédaient aucune bête de somme. Ces travaux immen-
ses ont donc été faits par l'homme seul.
(3) Report Penbod;/ Muséum, 1877.
(4) On a calculé que la contenance de ce mound était de 437,742 pied.s cubes;
comme on ne voit dans les environs nulle trace d'excavation, on peut supposer que cette
masse de terre avait été apportée de loin.
LES MOUND BUILDERS. 89
Qon moins de régularité ; à Portsmouth, quatre cercles concen-
triques, coupés par de larges avenues exactement orientées. Les
mounds auprès de Saint-Louis formaient les trois côtés d'un pa-
rallélogramme de 300 mètres de longueur sur 200 mètres de lar-
geur. Le quatrième côté était fermé par trois mounds plus pe-
tits (1).
Les mounds de l'Illinois, dit M. de Hass (2), forment une vérita-
ble ville, une vaste et mystérieuse série de monuments. « Surl'au-
Fig. 22. — Mound trianiîulaire.
tre rive du Mississipi, ajoute-t-il, je ne fus pas peu surpris de ne
rencontrer que des sépultures ; partout ailleurs les groupes sont
associés à des murs ou à des circonvallations. » M. Conant (3) ra-
conte un ensemble de tertres situés sur la rivière Root, à vingt mil-
les environ de sa jonction avec le Mississipi (fig.'22). Le mound
principal mesure 12 pieds de hauteur sur 36 pieds de diamètre.
Il est situé au centre d'un cercle dont on peut encore reconnaître
les traces. Les talus qui forment les trois côtés du triangle ont
une longueur égale de 144 pieds, leur diamètre est de 12 pieds
(1) Brackenridge, Views of Louisiana. Saint-Louis est souvent appelé Mound-Citji
à raison du nombre de Mounds qui s'élèvent ou plutôt qui s'élevaient dans ses
environs.
(2) Arn. Association. Chicago, 18G8.
(3) Foot Prints of Vanished Races. Saint-Louis, 1379, p. 30.
90 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
et leur hauteur respective de 3, 4 et 5 pieds. Il est remarquable
que ces hauteurs, prises ensemble, égalent la hauteur du mound
central et qu'en les multipliant entre elles, on obtient la longueur
des côtés du triangle. Ce ne peut être là une coïncidence due au
seul hasard, car on cite divers terrassements de forme carrée ou
parallélogramique, où il a été possible de constater des rapports
semblables, entre la hauteur et la longueur des tertres qui les for-
ment.
Ces faits viennent montrer combien toute classification est dif-
ficile, pour ne pas dire impossible, nous adopterons cependant
celle de Squier; malgré des inexactitudes trop apparentes, elle à
l'avantage de faciliter notre tache en nous fournissant quelques
points de repère et nous étudierons successivement : 1° les tra-
vaux défensifs ; 2° les enceintes sacrées ; 3° les temples ; 4° les ter-
tres à sacrifices ; 5° les tertres tumulaires ; 6" les tertres figurant
des animaux (1).
Trinaux Tout l'espacc qui sépare les Alleghanys des Montagnes Rocheu-
ses est couvert d'une succession de camps retranchés, de fortifi-
cations colossales, généralement exécutées en terre. L'homme
avait su défendre par des redoutes, des murs, des parapets, des
fossés (2), des circonvallations, chaque éminence, chaque delta
formé par la jonction de deux rivières. Ces travaux viennent
témoigner de l'intelligence des peuples que nous avions regardés
(i) M. Short {The North Âmericans, p. 81) donne des divisions un peu différentes.
!a. enceintes de défense.
b. enceintes religieuses,
c. enceintes diverses.
II. Mounds
a. mounds à sacrifice.
b. temples.
c. sépultures.
\ d. postes d'observation.
A ces diverses catégories, il faudrait peut-être ajouter les mounds formés d'adobes
tombés en poussière, restes d'habitations successives.
(2) Le fossé au lieu de longer le rempart à l'extérieur et de multiplier ainsi les obs-
tacles opposés à l'assaillant, est généralement placé à l'intérieur, le Prof. Andrews cite
cependant à Lancaster (Fairfield County, Ohio) un fossé extérieur ; mais il ajoute que
c'est là un fait isolé {Report Peabody Mus. , 1877).
LES MOUND BUILDERS. 9i
pendant si longtemps comme complètement barbares et sauva-
ges; on peut reconnaître un véritable système de forteresses
reliées entre elles, des tranchées profondes, des passages secrets
creusés sous le lit des rivières, des observatoires sur les hau-
teurs, des murailles concentriques pour protéger les entrées et
même des casemates (1). La guerre était évidemment la grande
préoccupation desMound Builders. Toutes les forteresses sont con-
struites dans le voisinage des cours d'eau, et la meilleure preuve
que l'on puisse donner de l'entente ayant présidé au choix
de leur emplacement, est le nombre de villes florissantes, telles
que Newark, Portsmouth, Cincinnati, Saint-Louis, Francfort,
New-Madrid, d'autres encore qui se sont élevées de nos jours
sur ces mêmes points (2).
Bourneville à 12 milles de Chilicothe, est une des enceintes for-
tifiées les plus curieuses de l'Ohio. Elle occupe le sommet d'une
colline escarpée ; les murs par une exception assez rare, sont con-
struits en pierres, posées sans aucune espèce de ciment et offrent
une ressemblance frappante avec les anciens forts préhisto-
riques de la Belgique et du nord de la France (3). L'enceinte
mesure plus de deux milles ; et l'on peut encore distinguer trois
portes défendues par des tertres qui rendaient l'accès plus diffi-
cile. Sur plusieurs points et notamment auprès des portes, les
murailles paraissent avoir été exposées à l'action d'un feu violent
qui a vitrifié leur surface. Des bassins artificiellement creusés
fournissaient l'eau nécessaire aux habitants. Une partie de l'en-
ceinte est plantée d'arbres gigantesques, auxquels on assigne une
durée de 6 à 800 ans.
(1) F. Allen, La très ancienne Amérique. Cong. des Amer. Nancy, 1875.
(2) « The same places, dit le D' Lapham en parlant des tertres du Wisconsin, which
were the seats of aborigiual population being now selected as the sites of embryo
towns and vlllagesbymen of a différent race.» SmithsonianC(intribuiio7is,X.\\\,Y>- 64.
(3) Les Mound Builders se servaient des matériaux à leur disposition, quand les
pierres abondaient, ils les amoncelaient avec la terre pour former leurs murs, mais
jamais ces pierres ne sont équarriesou appareillées et jamais elles ne sont reliées par
un mortier. On pourrait citer plusieurs exemples et notamment un Stone-Fort sur la
rivière Duck auprès de Manchester (Tennessee), où les murs sont des blocs bruts arra-
chés aux rochers voisins. A l'entrée on distingue deux mounds que l'on regarde
comme des postes d'observation.
92 L'AMÉIUQUE PRÉHISTORIQUE.
Autour de ces arbres, on peut reconnaître des troncs en pour-
riture, débris d'autres générations qui parvenues à leur matu-
rité ont péri lentement. Selon certains archéologues, de longs
siècles ont dû s'écouler, depuis que la forêt a remplacé la
demeure de Ihomme ; selon d'autres au contraire, ces arbres
seraient moins vieux qu'on semble le croire. Dans le Wiscon-
sin, dit le D"" Lapham (1), il faut de 54 à 130 ans, pour que le
diamètre d'un arbre grossisse d'un pied. Parmi ceux actuelle-
ment vivants, un très petit nombre dépasse un diamètre de trois
à quatre pieds. M. Lapham en conclut qu'ils ne sauraient être
de beaucoup antérieurs au xvi" siècle.
Fort-Hill (2) permet de se rendre mieux compte encore des tra-
vaux des Mound Builders (fig. 23). Cette forteresse, tel est le vrai
Fig. 23. — Fort-Hill (Oliio).
nom qu'il convient de lui donner, s'élève sur une éminénce qui
domine une petite rivière, le Paint-Creek. Les murs renferment
une superficie de cent onze acres. Au-dessus du ruisseau qui
formait une défense naturelle, ils n'ont guère que 4 pieds de
(1) Tlie Antiquities of Wisconsin; Sndth. Cont., t. VII. — Southall, Récent Origin
of Man, p. 533.
(2) Bancroft, Tlœ Native Races of the Pacific States, t. IV, p. 755.
LES MOUND BUILDERS. «3
hauteur, partout ailleurs cette hauteur est de 6 pieds et leur
épaisseur atteint jusqu'à 35 pieds. Plusieurs portes facilitaient
l'accès. L'une d'elles conduit à une enceinte probablement carrée,
mais dont les murs ont été en grande partie détruits; aucun fossé
ne les défend, et on peut facilement y reconnaître les traces d'un
vaste incendie. Squier place dans cette seconde enceinte, les
demeures des habitants construites en adobes, ou bien simples
huttes couvertes avec des herbes, des branches d'arbres, la peau
des animaux que la chasse avait procurés. A l'intérieur des forti-
fications, on distingue deux petits enclos, l'un semi-circulaire,
l'autre circulaire. C'étaient probablement les lieux consacrés à
des rites religieux ou au conseil des chefs. Ce sont là de pures
conjectures; les mœurs, les rites, le mode de gouvernement de
ces hommes, restent un problème pour nous.
Un des ouvrages les plus curieux laissés par les Mound Buil-
ders est situé dans le Comté de Clarke (Ohio) (1). C^est un fort
couvrant une superficie de huit à dix acres seulement et construit
à l'extrémité d'une colline baignée au sud par l'Ohio, au nord
par un ruisseau large et profond, le Fourteeii mile Creek qui se
jette dans l'Ohio, à une petite distance de là. Ce monticule de
forme conique s'élève à 280 pieds au-dessus du fleuve et pré-
sente de ce côté des parois presque perpendiculaires, sauf sur
un seul point, où se trouve une faille assez considérable, dont
ces hommes avaient vite compris l'importance pour leur dé-
fense. Aussi l'avaient-ils protégé par un mur qui n'atteint pas
moins de 75 pieds d'élévation et qui est construit en pierres
brutes, placées sans mortier ni ciment d'aucune sorte, mais
avec une connaissance parfaite de l'art du maçon. A l'intérieur,
on distingue encore les traces de nombreux mounds coniques
et d'un fossé large et profond. Il ne faut pas confondre ces tra-
vaux avec d'autres situés dans le Comté de Ross et connus sous
le nom de Clark's Works. Ceux-ci comprennent un parallélo-
gramme de 275 pieds sur 177; et à la droite de ce parallélogramme,
(I) Cox, A Remnrkable Ancient Stone Fortin Clarke Counly, Ohio.Am. Ass., Hart-
fort (Connecticut}, 1874.
94 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
un carré parfait couvrant une superficie de seize acres (1).
Les côtés ont 82 pieds de longueur et au milieu de chacun
d'eux on peut reconnaître une porte défendue par un petit
tertre. A l'intérieur se dressent, selon une coutume que nous
aurons souvent l'occasion de signaler, plusieurs mounds de di-
mensions diverses.
Beaucoup de ces ouvrages sont reliés entre eux avec un art
qui nous surprend à bon droit. Squier a cru reconnaître un sys-
tème continu de fortifications, combiné avec une grande intelli-
gence et s'étendant diagonalement à travers l'État d'Ohio, de-
puis les sources de l'AUeghany (2) et de la Susquehannah (3),
dans l'État de New- York, jusqu'au Wabash (4). Le long de la
rivière Big Harpetts (Tennessee), des enceintes en terre cou-
vrent tout le pays (5). La ligne du Grand Miami (6) est défendue
par trois forts situés le premier à son embouchure, le second à
Colcrain, le troisième à Hamilton. A partir de ce dernier point,
d'autres ouvrages s'étendent à une distance de six milles sur le
cours de la rivière, protégeant au nord et à l'ouest, les affluents
du Grand Miami, ou s'échelonnant jusqu'à Dayton et Piqua
pour compléter ainsi la ligne de défense. Tous ces points sont
reliés entre eux par des mounds isolés, élevés le plus souvent
sur des collines d'où la vue pouvait s'étendre au loin (7). On a
voulu y voir, probablement avec raison, des postes d'observa-
tion destinés à surveiller les mouvements de l'ennemi ou à
transmettre des signaux convenus (8). . ,
(1) On estime après de trois millions de pieds cubes la quantité de terre employée
dans ces terrassements. Whittlesey, On the Weapons and Character of the Mound
BuiHers; Boston, Soc. of Natural Histori/, t. I, p. 473.
(2) Une des branches supérieures de l'Ohio.
(3) Fleuve qui se jette dans la baie de Ghesapeake.
(4) Un des affluents de l'Ohio.
(5) D' Jones, Explorations of the aboriginal Remains of Tennessee, Smith Cont.,
t. XXII, p. 4.
(6) Un des affluents de l'Ohio.
(7) Le grand mound de Miamisburgh sur l'Ohio, est un des meilleurs exemples qiië
l'on puisse citer. Il mesure 68 pieds de hauteur et la circonfcreDce à sa base n'est
pas moindre de 862 pieds (Short, The Noi'th A>nerira>'S of Antiq'n'y, p. 52). Auprès
de Circleville, Le Look-out-Mount avec son mound élevé devait servir au même usage.
(8) Force, A quelle race appartenaient les Mound-Builders ; Cong. des Americ.
LES MOUND BUILDERS. 95
Ancient-Fort (1) construit sur la rive gauche du Petit Miami,
à 230 pieds au-dessus du niveau des eaux, forme en arrière de
la ligne de défense dont nous venons de parler, une véritable
citadelle centrale. La longueur de l'enceinte n'est pas moindre
de trois à quatre milles et les murs, sur les points où ils ont
résisté aux ravages du temps, atteignent près de 20 pieds de
hauteur. M. Hosea répétait récemment une remarque souvent
faite, que le tracé de ces murs reproduisait l'esquisse grossière
du continent des deux Amériques (2). Si le fait est vrai, ce ne
peut être là qu'une coïncidence toute fortuite, qui ne mérite
guère que Ton s'y arrête. Le Rev. S. D. Peet, se plaçant à un
autre point de vue, veut y voir le combat de deux serpents mons-
trueux (3) ; c'est là encore un effort d'imagination difficile à
admettre. Ce qui est vraiment sérieux, c'est la somme de travail
exécuté par ces hommes et la remarquable intelligence dont ils
faisaient preuve pour la défense de leur pays.
Nous ne pouvons omettre les ruines d'Aztalan (4), situées sur
un bras de la rivière Rock (Wisconsin). Elles ont été décou-
vertes en 1836 par M. Hyer, qui leur a donné le nom qu'elles
portent, en mémoire d'une vieille tradition des Mexicains qui
faisaient venir leurs ancêtres du pays d'Aztalan dans le Nord (5).
Le trait caractéristique de ces ouvrages est une enceinte en
terre, formant les trois côtés d'un parallélogramme irrégulier,
dont la rivière ferme le quatrième côté. Ils offrent une grande
Luxembourg, 1877, t. I, p. 125. — Rev. S. Peet, The military Architecture, Am. Ant.,
janv. 1881.
(1) Il est situé à 42 milles de Cincinnati. Le Prof. Locke, qui l'a décrit le premier
estimait à 628,000 mètres cubes la quantité de terre entrée dans sa construction
(Foster, Pré/,, (iaces of the U. S., p. 371. — Bancroft, /. c, t. IV, p. 756).
(2) Qîcnrt. Journal of Science, Oct. 1874, p. 289.
(Z) American Antiqua'ian, April 1878. — March, 1880.
(4) Milwaukie Advrtiser, 1837. — Silliman, American Journal, t. XLIV. — La-
pham, Ant. of Wisconsi', p. 41, pi. XXXIV et XXXV.
(5) Le nom d'Aztalan est dérivé de deux mots mexicains, Atl eau, et An près de;
Aztalan, Culhuacan, Aquilasco dans les traditions des Mexicains étaient les villes qu'ils
avaient habitées avant leur migration vers l'Anahuac. Rien de moins certain, faut-il
ajouter, que ces traditions (Bancroft, /. c, t. V, p. 221. 305). Selon l'abbé Brasseur de
Bourbourg Aztalan était situé au nord-ouest de la Californie {Hist. des nat. civilisées,
t. II. 292).
96 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
analogie avec ceux de l'Ohio, mais nous ne trouvons plus cette
régularité si frappante qui distingue en général les travaux des
Mound Builders. Les angles ne sont plus droits ; le côté Nord
a 600 pieds de longueur, le côté Sud 684 pieds, tandis que le mur
Ouest en compte plus du double. La largeur de ces murs
approche de 25 pieds; ils sont en grande partie écroulés, aussi
est-il impossible de décider leur hauteur primitive (1). Citons
une particularité rare et intéressante : ces murs sont renforcés
à des dislances égales, par des arcs boutants ou des bastions.
A l'angle Sud-Ouest enfin, il existe deux petites enceintes, que
l'on peut désigner si l'on veut comme des ouvrages avancés.
Tous ces murs ont été construits avec de la terre mêlée d'herbes
et de joncs, puis soumis sur plusieurs points à un feu violent
destiné sans doute à augmenter leur force de cohésion (2).
En parcourant l'intérieur de l'enceinte, il est facile aujour-
d'hui encore, de reconnaître un nombre considérable de tertres.
Les uns sont des pyramides tronquées s'élevant par étages suc-
cessifs; les autres des tumuli. Un de ceux-ci a été fouillé; et
deux squelettes ont élé mis au jour. On a constaté que les ca-
davres avaient été placés dans une position assise ou repliée.
Les os malheureusement tombèrent en poussière, au moment
même de la découverte et ne permirent aucune étude utile.
La plupart des archéologues regardent Aztalan comme une
position fortifiée ; Lapham seul remarque, et son observation
ne manque pas de justesse, que le point où s'élèvent ces
constructions, dominé qu'il est de tous les côtés, aurait été bien
mal choisi et en contradiction complète avec les traditions de
ces hommes. Dans tous les cas, que ces ruines soient celles d'une
ville ou d'une simple enceinte fortifiée, elles ont dû être rapi-
dement abandonnées, car les fouilles n'ont donné aucun de ces
débris qui prouvent le long séjour de l'homme (3).
(1) Leur hauteur actuelle varie de 30 centimètres à l^jôO.
(2) C'est probablement à raison de ce fait que divers voyageurs ont avancé que les
murs d'Aztalan étaient construits en briques. Il est permis aujourd'hui d'affirmer le
contraire.
(3) Devons-nous voir dans cette habitation de si courte durée, le résultat du carac-
I
I
LES MOUND BUILDERS. 91
M. Putnam, un des plus savants archéologues américains, dé-
crit à Greenwood, auprès de Lebanon (Tennessee), des talus en
terre formant une véritable fortification. 11 put reconnaître
l'emplacement de trois portes, puis dans l'intérieur même
de l'enceinte, de nombreux tumuli sépulcraux et un mound
élevé, formant un cône tronqué aux parois très escarpées et
mesurant 15 pieds de hauteur, sur 150 pieds de diamètre à
sa base (1). Les fouilles ont donné, à deux étages différents,
des pierres calcinées, des cendres, des ossements brûlés,
preuves évidentes de grands feux allumés soit pour des
sacrifices, soit pour des festins funéraires. Les demeures de ces
hommes devaient être des huttes circulaires, dont il est encore
possible de retrouver quelques traces. Les sépultures en géné-
ral étaient éloignées des habitations ; mais par un sentiment
touchant, les enfants étaient enterrés au foyer même de leurs
parents. M. Putnam regarde les habitants de Greenwood comme
une des races les plus civilisées, parmi celles qui ont peuplé
l'Amérique du Nord. Ils cultivaient la terre ; ils ne brûlaient
point leurs morts, comme les hommes de l'Ohio; leur céramique
et leurs ornements témoignent d'un art véritable; on trouve
chez eux le cuivre du lac Supérieur et les coquilles de l'Océan.
Sept perles perforées ont été recueillies dans la sépulture d'un
enfant, le commerce ne leur était donc pas étranger. Tout
annonce une civilisation en progrès.
Sandy-Woods Seulement [^) (Missouri), comprend neuf tumuli
et un nombre considérable d'excavations circulaires entourés
de murs et d'un fossé extérieur (3). Ce fossé communique à
l'Est avec un marais; aussi a-t-on supposé qu'il était destiné à
amener aux habitants l'eau nécessaire à leurs besoins et que
tère superstitieux des Indiens qui pousse ces hommes à abandonner subitement un lieu,
où un malheur imprévu, une épidémie, une défaite par exemple, les avaient frappés?
(1) Report Peabody Muséum, 1878, t. II, p. 339.
("2) W. P. Potter, Arch. Remains in S. E. Missowi. Saint-Louis Acad. of science,
1880.
(3) La hauteur actuelle des murs varie de 2 à 3 1/2 pieds; leur largeur est de 7 pieds
à la base. Le fossé a 3 pieds dans sa plus gi-ande profondeur; sa largeur est de 7 pieds.
De Nadaillac, Amérique. 7
98 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
le mur avait été élevé, plutôt pour l'opposer aux inondations, que
pour les besoins de la défense. Le plus important des tumuli,
dont nous venons de parler est de forme rectangulaire; les
faces Nord et Sud ont 246 pieds de longueur ; les faces Est et
Ouest, 118 seulement. Son élévation, de plus de 16 pieds au nord
est de 19 pieds au sud. Il est couronné par une plate-forme d'accès
assez facile (1) ; cette plate-forme est couverte de nombreux frag-
ments de briques mal cuites, grossièrement fabriquées et por-
tant presque toutes des empreintes d'herbes ou de pailles, mêlées
à l'argile avant la cuisson. Les fouilles exécutées sous ce tertre
n'ont rienproduit. Lesfouilles des autres mounds ont été plus fruc-
tueuses : surtout celles de deux mounds circulaires destinés à la
sépulture des membres de la tribu et qui devaient renfermer
de cent à deux cents squelettes dans chacune de leurs couches (2).
Quelques-uns des cadavres avaient été placés dans une position
repliée, d'autres accroupis sur eux-mêmes, mais le plus grand
nombre était étendu tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, tantôt
sur le côté. On a remarqué que la terre qui les recouvrait,
n'appartenait pas au terrain même, et qu'elle avait dû être
apportée de loin. Ce dernier fait est significatif et témoigne
du respect que ces hommes portaient à leurs morts et de l'im-
portance qu'ils attachaient à leurs rites funéraires. Les vases,
les poteries diverses déposés auprès des cadavres, étaient nom-
breux et on a pu recueillir de huit cent à mille fragments.
Comme à Greenwood, des excavations circulaires marquent
l'emplacement des habitations. Leur profondeur est d'environ
soixante centimètres, leur diamètre de neuf mètres. La présence
exclusive sur certains points d'amas d'argile brûlée, de cendres,
de fragments de charbon, d'ossements d'animaux calcinés,
indique le foyer. Il était le plus souvent au centre même de
l'habitation et la fumée, selon la coutume de nombreuses tribus
(1) Cette plate-forme mesure 108 pieds sur r>l.
(2) La décomposition presque totale des os n'a permis aucune appréciation sérieuse.
Le premier rang de cadavres avait été placé au niveau du sol, le second à un pied
environ plus haut.
LES MOUND BUILDERS. 99
sauvages, devait s'échapper par un trou pratiqué dans le toit.
Toutes les dépressions dont nous venons de parler, sont grou-
pées sans ordre dans l'enceinte. Chacun choisissait au gré de ses
convenances ou de ses besoins, le lieu qui lui plaisait et y élevait
sa demeure.
Les rives de Little-River offrent de nombreux établissements,
présentant des caractères à peu près analogues à ceux que nous
venons de raconter. Ici c'est un mound elliptique (1), entouré
d'un mur et d'un fossé; plus loin est le Moiind-Groîip situé dans
Lew es-Prairie, oii l'on a relevé les traces d'un double mur (2). Sur
d'autres points, on voit des mounds, des levées souvent d'une
grande longueur, destinées à défendre les approches d'une rivière
ou d'une source, des excavations indiquant l'emplacement d'an-
ciennes habitations.
Sur bien des points différents, les travaux de l'homme ont
résisté au temps et ont porté jusqu'à nous la preuve la plus cer-
taine de son existence.
Si nous quittons un instant les Etats-Unis, nous trouvons
auprès de Juigalpa dans le Nicaragua, une suite de tranchées qui
s'étendent sur plusieurs milles de longueur (3). Leur disposition
Fig. 24. — Tranchées à Juigalpa (Nicaragua).
est bizarre (fig. 24); la largeur ordinaire varie de 3 à 4 mètres et
elles présententde distance en distance, des réservoirs ovales, dont
le grand axe atteint jusqu'à 24 mètres. Dans chacun de ces réser-
voirs on compte alternativement deux et quatre mounds. On
ignore le peuple qui a exécuté ces travaux et leur usage. 11
(1) Ce inound mesure 110 pieds et 70 pieds sur chacun de ses axes. Sa hauteur est
de 11 pieds.
(2) Une congrégation religieuse avait utilisé un des mounds de Lewes-Prairie, pour
y édifier une église. A ce moment de nombreux ossements paraissent avoir été disper-
sés ; aussi les fouilles du Prof. Swallow restèrent-elles stériles.
(3) Boyle, A Ride acrossthe Continental. I, p. 212.
100 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
semble probable qu'ils étaient destinés à protéger le pays contre
une invasion ennemie.
Il était impossible d'omettre ces tranchées, que rien ne rap-
pelle dans toute l'Amérique centrale ; nous ne pouvons pas
cependant multiplier des répétitions inutiles et nous nous con-
tenterons d'ajouter que si on rencontre rarement des fortifica-
tions au sud du Missouri, elles sont nombreuses dans l'Iowa, dans
le Wisconsin et dans l'Indiana. Dans ce dernier État et dans
l'Illinois, leur forme se rapproche du carré, dans l'Iowa et dans
le Missouri, elle est le plus souvent triangulaire; mais toujours
on constate la grande régularité des constructions, l'existence
d'un raound central, et autant que l'on peut en juger aujourd'hui,
certains rapports entre la hauteur de ce mound et celle des murs
extérieurs. Sur toutes les rivières qui viennent du Sud et qui se
jettent dans le lac Erié ou dans le lac Ontario, on rencontre aussi
. des forts nombreux ; mais ceux-ci présentent un type bien diffé-
rent de ceux que nous venons de citer; ils sont irréguliers et ne
renferment aucun de ces tertres si caractéristiques du peuple
dont nous recherchons les traces.
Le travail considérable qui a été nécessaire pour l'érection de
ces fortifications, surtout avec les moyens limités que les Mound
Builders avaient à leur disposition, permet d'affirmer, qu'elles
étaient permanentes, et l'œuvre de plusieurs générations succes-
sives. Un des anciens présidents des États-Unis, le général Ilar-
rison, a pu dire avec raison à la Société historique de l'Ohio (1) :
« Assurément ces fortifications n'ont pas été élevées pour arrêter
une invasion subite ; la hauteur des murs, la solidité de leur
construction, montrent que le péril contre lequel ils étaient des-
tinés à protéger les populations, se renouvelait constamment. »
La guerre et la lutte ont été de tout temps le triste apanage de
l'humanité et le nouveau continent ne pouvait pas en être plus
exempt que l'ancien.
(1) Transactions Hist. Soc. of Ohio, 1. 1, p. 263. Le général Harrison ajoutait : « The
three mounds that I hâve examined, those of Marietta, Cincinnati and at tlie niouth
of the Great Miami particularly tlie latter, hâve a military character stamped upon them
which caunot be mistaken. »
LES MOUND BUILDERS. lOi
Ce qui est non moins certain, c'est que de semblables travaux
sont absolument étrangers aux Indiens. « Je n'ai observé chez eux
qu'un seul mode de fortification, écrivait un ancien voyageur (1),
c'est une circonvallation formée de palissades d'une hauteur de
12 à 15 pieds, liées ensemble avec des ouvertures qui permet-
taient aux assiégés de lancer leurs flèches. » En 1855, on signalait
un retranchement élevé sur le Missouri auprès de Coiincil-BliiffSy
par une tribu Indienne, les Aurikarees. Ce retranchement, selon
la tradition constante de leur race, était construit en troncs d'ar-
bres empilés les uns au-dessus des autres (2). Catlin décrit un vil-
lage Mandan , où les habitants étaient abrités par des palissades (3).
Les forts attaqués par Champlain en 1609, étaient défendus par
des pieux enfoncés en terre et reliés par des branches et des
cordes faites de filaments d'écorce. Ce sont de semblables fortifi-
cations que rencontrèrent toujours les Français dans leurs
longues luttes contre les Iroquois. Rien ne ressemble moins, on le
voit, aux travaux des Mound Builders.
Certains terrassements situés principalement dans les Etats de
l'Ouest, montrent clairement par leur mode de construction,
qu'ils n'étaient pas destinés à la défense (4). Les fortifications sont
constamment placées sur des points naturellement indiqués, sur
des hauteurs souvent presque inaccessibles. Les enceintes au con-
traire auxquelles Squier donne, peut-être à tort, le nom d'en-
ceintes sacrées, sont sur les bords des fleuves, dans des vallées
dominées par les collines voisines, inconvénient grave que les
Mound Builders connaissaient et savaient parfaitement éviter
pour leurs travaux défensifs.
Ces enclos, quelle que pût être leur destination, et quelque soit
le nom qu'il faille leur donner, ont toujours une forme régulière,
carrée ou circulaire, plus rarement elliptique ou polygonale.
(1) Cité par Schoolcraft, Archives of Aboriginal Knowledge, t. III, p. 206.
(2) Am. Ass. Worcester (Massachusetts), 1855.
(3) Illustrations of the Mannevs, Customs and Condition of the North American
Indians. London, 1866, 2 vol.
(4) o Great as sorae of thèse works are, laborious as was their construction ; I am
persuaded they never were intended for military defences. » (General Harrison, /. c.)
Enceintes
sacrées.
*0ï L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Toutes les figures sont parfaites ; tous les angles sont droits ; tous
les côtés sont égaux. Les hommes qui les construisaient connais-
saient certainement l'art de mesurer les surfaces et de calculer
les diamètres ou les angles. Les murs varient singulièrement
comme élévation ; on ne peut d'ailleurs que présumer leur an-
cienne hauteur, parcelle qu'ils présentent aujourd'hui. Nous ajou-
terons que ces travaux sont si considérables, ces constructions si
nombreuses, leurs dispositions si variées, qu'il est bien difficile d'en
donner une idée exacte; quelques exemplesnousaiderontàle faire.
Le groupe le plus remarquable est probablement celui de
Newark, dans la vallée du Scioto. Il comprend un octogone cou-
vrant une superficie de 50 acres, un carré de 20 acres et deux
cercles respectivement de 20 et de 30 acres. Les murs du grand
cercle mesurent encore aujourd'hui 12 pieds d'élévation sur une
largeur de 50 pieds à leur base ; ils sont protégés par un fossé
intérieur de 7 pieds de profondeur, sur 35 pieds de largeur.
D'après un relevé fait par le colonel Whittlesey (1), l'ensemble
des constructions couvre une superficie de 12 milles carrés (2) et
la longueur des tertres dépasse 2 milles. Les larges entrées défen-
dues par des talus de 35 pieds de hauteur, par des fossés de
13 pieds de profondeur, les allées, véritables labyrinthes, qui
ajoutent aux difficultés de l'accès, les mounds de forme étrange
dont l'un représente le pied d'un oiseau avec le doigt médian de
155 pieds et les doigts latéraux de 110 pieds de longueur, tout
frappe vivement l'explorateur. Sur ces ruines abandonnées, les
arbres de la forêt ont grandi depuis des siècles ; d'autres les
avaient précédés, leurs troncs gigantesques en décomposition at-
testent leur existence. L'homme, sous l'empire de mobiles restés
inconnus pour nous, a fui les lieux où tout rappelle sa puissance
et son intelligence ; la nature seule maintient la vie par une
vigoureuse végétation.
(1) Ancient Monuments of the Mîssissîpi Valley.
(2) Lubbock {l'homme préh., trad. Barbier, p. 239) dit quatre milles carrés. Ban-
crort(/. c, t. IV, p. 758) adopte ce dernier chiffre. Celui donné par Whittlesey mérite
plus de confiance.
LES MOUND BUILDERS.
i03
A Chilicothe dans le Missouri (1), nous voyons un cercle de
plus de 100 pieds de diamètre et un octogone un peu moins con-
sidérable. Les murs de l'octogone ont, comme ceux de Newark, de
10 à 12 pieds d'élévation et mesurent à leur base 50 pieds. La
hauteur des murs du cercle en partie détruits, n'atteint guère
que 4 pieds 1/2 à 5 pieds. Tout autour de ces enceintes, on peut
encore distinguer un grand^nombre de petits cercles, qui s'élèvent
à peine au-dessus du sol. A Hopeton auprès de Chilicothe, nous
Fig. 25. — Groupe à Liberty (Ohio).
trouvons un cercle et un carré accolés. L'un et l'autre couvrent
exactement une superficie de 20 acres. Ce ne peut être là un
effet du hasard (2).
Nous reproduisons un groupe assez semblable à ceux que nous
venons de décrire et qui permet de s'en rendre mieux compte
(fig. 25). 11 est situé auprès de Liberty (Ohio) et se compose de
(1) Squier, Ane. Monuments of t/ie Mississipi Valley, pi. XVI.
(2) Short, Z. c, p. 49.
104 L'AMÉaiQUE PRÉHISTORIQUE.
deux cercles et d'un carré. Le diamètre du grand cercle est de
1 ,700 pieds, sa superficie de 40 acres ; le diamètre du petit cercle,
de 500 pieds ; la superficie du carré, dont chacun des côtés
mesure 1,080 pieds, de 27 acres. Les murs ne sont accompagnés
d'aucun fossé et la terre qui a servi à leur construction provient,
contrairement à l'usage que nous voyons généralement suivi,
d'excavations creusées à l'intérieur même du cercle (1).
Circleville (Ohio) emprunte son nom à des constructions ana-
logues ; un carré et un cercle se touchent (2). Huit portes placées
aux angles et au milieu de chaque côté, donnent accès au mound
carré ; chacune de ces portes était défendue par un tertre et le
cercle était entouré par un double mur. Ce groupe a déjà été en
grande partie détruit ; beaucoup d'autres malheureusement ont
subi le même sort et il faut se hâter d'étudier ces derniers
témoins d'une civilisation disparue, car la culture les envahit
chaque jour et nul souvenir de ce lointain et curieux passé, ne
saurait longtemps résister aux nécessités de la vie moderne.
Une enceinte construite en pierres, située auprès du Black
Run (Ross County, Ohio) mérite une mention spéciale. Sa forme
est elliptique; le grand axe mesure 246 pieds; le petit axe,
167 pieds. Une seule porte y donne accès et en avant de cette
porte, cinq murs s'étendent en éventail dans la plaine sans que
rien puisse faire présumer leur destination.
Le nombre, l'étendue de ces enceintes, la superficie qu'elles
embrassent, ne permettent guère d'y voir des temples. Nous ne
connaissons aucun culte, ni ancien, ni moderne, aucun rite aux-
quels on puisse les rattacher. Tout au plus pouvons-nous admet-
tre, qu'elles étaient des lieux consacrés, où les prêtres établis-
saient leurs demeures, selon un usage que nous voyons dans
nombre de pays difîérents. M. Fergusson (3) prétend y voir des
bourgades. Le petit enclos, si souvent accolé à un plus grand, était
selon lui la demeure du chef ; les tentes de ses compagnons,
(1) Banci-oft, l. c, t. IV, p. 759. — Short, l. c, p. 48.
(2) Les côtés du carré mesurent 875 pieds ; le diamètre du cercle, 985 pieds.
(3) Les Moîiuments Mégalithiques, trad. Hamard, p. 529.
LES MOUND BUILDEllS. iOo
des membres de sa famille, se groupaient autour de la sienne.
Mais en admettant même que ces hommes vécussent sous des
tentes, ils auraient sûrement laissé des traces de leur séjour, les
kjôkkenmôddings le prouvent à satiété et jusqu'à présent les
fouilles n'ont rien produit, qui puisse justifier une hypothèse,
tout au moins prématurée.
Squier a donné avec plus de raison le nom de temple à des Temples.
pyramides tronquées, au sommet desquelles on arrive par des
Fig. 26. — Pyramide tronquée à Marietta (Oliio).
plans inclinés. Parfois ces pyramides sont à terrasses ou à étages
successifs ; mais quelle que soit la forme qu'elles affectent,
qu'elles soient rondes, ovales, polygonales ou carrées, elles pré-
sentent invariablement à leur sommet une plate-forme, desti-
née probablement au pontife ou au sacrificateur, de là le nom
sous lequel elles sont connues. Ces tertres sont en nombre con-
sidérable à Chilicothe, à Portsmouth, à Marietta (fig. 26) et en
106 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
général dans toute l'étendue de l'État d'Ohio. On les trouve
également dans le Kentucky, le Missouri, le Tennessee et dans
les Etats du Sud (1). Dans le Nord, ils sont plus rares; bien que
l'on en rencontre jusque sur les rives du lac Supérieur, qui
paraît avoir été la limite extrême des établissements des
Mound Builders.
Un des plus remarquables parmi ces mounds, est sans con-
tredit celui de Cahokia (Illinois) (2). Il s'élève au milieu de
soixante autres qui varient de 30 à 60 pieds de hauteur et qui cou-
vrent une superficie de six acres, selon M. de Hass, une super-
ficie double, selon M. Putnam (3). Le grand mound domine
tous les autres; il atteint par quatre terrasses successives, une
hauteur de 91 pieds ; sa base mesure 560 pieds sur 720; la plate-
forme qui le surmonte, 146 sur 310, et on calcule qu'il est entré
dans sa construction 2S millions de pieds cubes de terre (4).
Il a fallu nécessairement de longues années et des milliers
d'ouvriers, pour entreprendre et pour terminer une œuvre aussi
considérable.
Le grand mound était surmonté d'un autre plus petit de forme
pyramidale, qui pouvait avoir 10 pieds de hauteur, et qui a été
détruit, il y a peu d'années. On a trouvé en le démolissant de nom-
breux ossements humains, des éclats de silex, des pointes de flè-
ches, des fragments de poterie grossière et mal cuite, restes d'of-
frandes ou de sacrifices. Les approches du tertre qui jouait
évidemment un rôle important dans l'histoire de ces peuples,
étaient défendues par quatre mounds carrés orientés à l'est,
à l'ouest et au sud-ouest. Ces mounds variaient de 20 à 30 pieds
(1) Garcilaso de ia Vega rapporte que dans la Floride, ces tertres servaient aux
chefs Indiens pour y ériger leurs demeures. Il en cite un, qui n'avait pas moins de
1,800 pieds de circonférence.
{•l) W. de Hass, Am. As. Chicago, 1867. — Putnam, Report Peabody Muséum, t. II,
p. 471 et s. M. Putnam donne le plan actuel et le plan restitué de Caliokia. Il est
connu sous le nom de Monk's Mound parce que Brackenridge qui le visita en 1811, y
plaça par erreur un couvent de trappistes qui était établi sur le mound voisin.
(3) La grande pyramide de Cheops, rappellerous-nous en passant, couvre une super-
ficie de 13 acres.
(4) Force, /. c, dit 20 millions de pieds cubes seulement.
LES MOUND BUILDEKS. 107
de hauteur et sur deux d'entre eux, on avait érigé des pyramides co-
niques assez semblables à celle qui surmontait le mound central.
Le mound de Seltzertown n'est guère moins imposant que
celui de Cahokia. Sa base est un parallélogramme de 600 pieds
sur 400, sa hauteur est de 40 pieds, et la plate-forme, à laquelle
on accède par une rampe, ne mesure pas moins de trois acres de
superficie (1). Sur cette plate-forme s'élèvent trois mounds co-
niques dont le plus grand présente également une hauteur
de 40 pieds, ce qui donnerait à l'ensemble de la construction
une élévation de 80 pieds au-dessus du sol. Ce mound présente
cette particularité curieuse, que tout le côté nord, le plus ex-
posé aux intempéries, est soutenu par un mur de deux pieds d'é-
paisseur construit, selon un mode constamment employé par les
Mexicains, en adobes ou briques séchées au soleil. Quelques-
unes de ces briques ont même conservé jusqu'à nous l'empreinte
des doigts de l'ouvrier qui les avait façonnées (2).
A New-Madrid, un mound de dimensions considérables est
entouré d'un fossé de 5 pieds de profondeur sur 10 de largeur:
et les explorateurs de ce pays encore si peu connu, rapportent
parmi les ruines qui couvrent les bords des rivières et des ruis-
seaux du Missouri, un tertre de forme parallélogramique, domi-
nant tout ce qui l'entoure, comme la cathédrale dans nos villes
s'élève au-dessus de toutes les demeures, bâties à l'ombre de
ses murs (3). Le professeur Swallow décrit un de ses mounds
qu'il prétend fort ancien; son grand axe mesure 900 pieds à sa
base, 570 pieds au sommet. Le fait le plus intéressant révélé par
les fouilles, est l'existence d'une chambre intérieure formée de
pieux en bois d'orme ou de cèdre, plantés verticalement, reliés
entre eux par des fragments de cannes (4) et revêtus d'un enduit
(1) Squier and Davis, Ane. Mon. of the Mississipi Valley, p. 117. — Short, /. c,
p. 72. — Poster, Pi'éh. Races, p. 112.
(2) Le professeur Cox vient de découvrir auprès d'Helena (Philipp's County Arkan-
sas) un mur semblable, l'argile seulement au lieu d'être mêlée d'herbes sèches ren-
fermait de nombreux fragments de cannes.
(3) Conaat, Foot Prints of Vanished Races, p. 60.
(4) Arundinaria Alacrosperma.
108 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
brut à l'extérieur, lissé avec soin et recouvert d'une couche de
peinture rouge à l'intérieur (1). Les fouilles ont donné des dis-
ques en syénite, et de nombreuses poteries, parmi lesquelles
un vase modelé sur un crâne humain, qu'on ne put retirer
qu'en le brisant (fig. 27). Un sycomore de 28 pieds, un noyer
zz-^^
Fig. 27. — Crâne moulé dans un vase en terre.
de 26 pieds, un chêne de 17 pieds de circonférence, couvrent
de leur ombrage un de ces mounds. Nul doute que ces arbres ne
soient postérieurs à son érection; mais combien de temps après
cette érection, la gi-aine d'où est sorti le grand arbre, a-t-elle été
lancée au hasard des vents sur ces terres accumulées (2) ?
Tout semble prouver que les mounds étaient des lieux véné-
rés par les indigènes. Nous venons de voir le fossé qui pro-
tégeait celui de New-Madrid, d'autres fois ce sont des murs sou-
vent assez élevés qui défendent leurs abords. A Matontiple, un
tertre de dimensions considérables et entièrement construit en
terres calcinées par un feu violent, était entouré d'une ceinture
de mounds plus petits. A la jonction de l'Ohio et du Musldn-
gum, on aperçoit deux parallélogrammes, dont les murs ont jus-
(1) lieport Peabodij Ahiseum, 1875, p. 17.
(2) M. Swallow parle aussi d'une dent de Mastodonte trouvée dans le sable stratifié
qui entourait un des mounds. Rien ne permet de présumer l'origine de cette dent.
LES MOUND BUILDEaS. 109
qu'à 27 pieds à leur base. Au centre du plus grand se dressent
quatre pyramides; on arrive par une rampe au sommet de
trois d'entre elles; la quatrième reste inaccessible. Deux le-
vées partent de l'unique porte de l'enceinte située à l'ouest et
descendent jusqu'à la rivière, dont elles semblent défendre les
abords. En raison de ce fait, le général Harrison avait rangé
Matontiple parmi les fortifications. L'absence du fossé caracté-
ristique conduit Squier à une conclusion opposée.
Continuons une rapide et très incomplète énumération. Un
mound s'élève sur les bords de l'Etowah. Sa forme est irrégu-
lière; il couvre trois acres de terrain à sa base et il est flan-
qué de deux mounds plus petits, figurant aussi des cônes tron-
qués, aux parois abruptes (1). Messier- Mound (Géorgie) est érigé
sur une éminence naturelle. La hauteur du monticule artifi-
ciel est de 55 pieds et la plate-forme qui le couronne mesure
156 pieds sur 66. Aucun chemin ne permet l'accès de cette
plate-forme, et l'ascension présente les plus grandes difficul-
tés (2). MM. Bertrand et W. Mackinley (3) signalent aussi
dans l'État de Géorgie, plusieurs tertres coniques formés
d'assises superposées, datant peut-être d'époques différentes.
La pyramide de Rolee-Mokee est remarquable entre tous ;
sa hauteur n'est pas moindre de 95 pieds. Il faut aussi men-
tionner un mound de 23 pieds d'élévation, situé dans Cum-
berland Valley (Tennessee) ; les fouilles n'ont donné ni osse-
ments, ni instruments, ni poteries ; mais à une certaine pro-
fondeur, on a rencontré des pierres disposées régulièrement et
qu'on ne saurait mieux comparer qu'aux cromlechs de l'Irlande
où du pays de Galles. Des découvertes récentes font connaître
un grand tumulus à 25 milles d'Olympia (Washington); si l'on
peut s'en rapporter au récit des explorateurs, sa hauteur se-
rait de 300 pieds et dépasserait de beaucoup celle de tous les
(1) Whittlesey, The Great Mound on Etowah River Am. Ass. Indianopolis, 1871. On
a cru reconnaître autour du mound les traces d'un fossé. Sa hauteur, selon Short
(/. c, p. 82), est de 75 pieds.
(2) Bancroft, /. c, t. IV, p. 267.
(3) Travels in North America, p. 323.
Tertres à sa-
crifices.
HO L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
mounds connus jusqu'à ce jour. Florence (Alabama) montre
une seule pyramide tronquée de 88 pieds d'élévation ; mais elle
mérite une mention, à raison de la régularité géométrique de sa
construction. Chacune de ses faces est orientée avec une pré-
cision qui étonne chez des peuples, que nous nous figurions
jusqu'à ces derniers temps plongés dans une complète bar-
barie.
Nous avons suivi la description des écrivains américains qui
ont eu l'avantage de visiter et d'étudier sur les lieux mêmes
ces monuments d'un autre temps. Tout en acceptant leur clas-
sement à défaut d'un meilleur, nous devons répéter pour leis
temples les réserves que nous avons déjà faites pour les encein-
tes sacrées; rien ne permet de dire avec quelque certitude
qu'ils fussent destinés à des rites religieux, et il est plus pro-
bable que ces rites s'accomplissaient sur les autels, dont nous
allons parler.
Les tertres destinés aux sacrifices affectent tantôt la forme
d'un carré ou d'un parallélogramme, tantôt celle d'un cercle ou
d'une ellipse. Invariablement situés dans une enceinte, ils pré-
sentent le plus souvent des couches horizontales de gravier, de
terre et de sable (1), qui recouvrent un autel toujours placé au
niveau du sol et formé de dalles en pierres plates ou d'argile
durcie soit au soleil, soit au feu (2). La dimension de ces autels
varie à l'infini; nous en voyons qui n'ont guère que quelques
pouces carrés ; d'autres au contraire qui atteignent jusqu'à
50 pieds de longueur sur 15 pieds de largeur. Tous portent les
traces d'un feu violent, et les fouilles fournissent la preuve que les
objets offerts aux dieux, auxquels ces autels étaient consacrés,
devaient être purifiés par les flammes au moment de leur
offrande.
(1) Le Prof. Andrews a prouvé que cette stratification n'est nullement d'un usage
général, comme on le supposait jusqu'ici {The Native Americaiis, p. 83, note 2).
(2) Le D"^ Jones cite dans le Tennessee, un de ces autels sur lequel il était facile do
reconnaître les traces des tiges do canne dans lesquelles il avait été moulé. Par une
exception rare, des cercueils grossièrement fabriqués avec des dalles de pierre brute
étaient rangés autour de l'autel.
LES MOUND BUILDEaS. Hl
Sous un de ces autels, on a relevé des milliers de pointes de
flèches en quartz hyalin, en obsidienne, en manganèse, admira-
blement travaillées. Toutes étaient effritées, brisées par les
flammes, et on ne put après de longues recherches, en recueillir
que trois ou quatre restées intactes. Soiis un autre mound, il a
été trouvé plus de six cents haches, offrant une certaine analogie
avec nos haches acheuléennes (1) ; sous un troisième, deux cents
pipes calcinées et des ornements en cuivre souvent recouverts
de minces feuilles d'argent, tous tordus par la force du feu auquel
ils avaient été soumis; sous d'autres tertres enfin, des fragments
de poterie, des instruments en obsidienne dont on ne peut pré-
ciser l'usage, des aiguilles en ivoire et en os tellement fragmentées
qu'il est impossible de dire leur longueur, des enroulements
découpés dans des feuilles très minces de mica, et percés de trous
réguliers qui devaient permettre de les suspendre.
Cette différence si complète des objets amoncelés auprès de
chacun des autels, et que les fouilles ont mis au jour, est impor-
tante. Les uns ont donné des têtes de lance, des pipes ; les autres,
des fragments de poterie, des aiguilles; quelques-uns, de simples
cailloux, sans trace de travail humain. 11 est probable que les
offrandes variaient selon le dieu que l'on voulait honorer.
Il faut cependant ajouter que dans ces derniers temps, des
doutes se sont élevés sur la destination de ces mounds. Ces autels
au niveau même du sol, enterrés sous des amoncellements de
sable ou de terre, paraissent étranges et sans précédents dans
l'histoire d'aucune des religions connues. On s'est demandé s'il
ne fallait pas voir là des sépultures, où la crémation était le rite
employé (2). Le grand nombre d'objets toujours semblables que
l'on rencontre, me paraît exclure cette hypothèse. C'est un point
que des fouilles ultérieures et de nouvelles découvertes pourront
seules éclaircir.
Peut-être convient-il de ranger parmi les tertres à sacrifices,
(1) Ces haches ont en moyenne 0,15 de longueur sur 0,08 de largeur (Squier, Ane.
Mon. of the Mississipi VnlLey, p. 213).
(2) Conant, Foots Prints of the Vanislied Races, p. 20.
112 L'AMÉaiQUE PRÉHISTORIQUE.
deux groupes récemment découverts dans le Wisconsin (1).
I^e premier est situé dans un bas-fond auprès de la rivière
Kickapoo (fig. 28). La hauteur du mound central qui représente
Fig. 28. — (îroupe auprès do la rivière Kickapoo (Wisconsin).
un cercle rayonnant, n'est guère que de 3 pieds, son diamètre
de 60 pieds, et il est entouré de cinq talus en forme de croissants,
s'élevant à peine à deux pieds au-dessus du sol et présentant à
leur sommet, une surface complètement plane. Les fouilles ont
montré que ces mounds étaient un mélange de sable blanc et
d'argile bleuâtre. Elles n'ont donné qu'un nombre assez consi-
dérable de plaques et de fragments très minces de mica. Le
mica paraît avoir joué un rôle important dans les cérémonies
religieuses de ces peuples, et sa présence est un indice presque
certain de la destination d'un mound.
Le second groupe (fig. 29), situé à une faible distance du pre-
mier, est plus compliqué dans ses dispositions. Il se compose de
de deux cercles (2) séparés par un pentagone et de plusieurs
mounds détachés. Au centre, s'élève un autel, que l'on prétend
avoir été consacré par des sacrifices humains renouvelés deux
(1) Conant, /. c, p. 20.
(2) Le diamètre du grand cercle est de 1200 pieds. ■'
LES MOUND BUILDERS.
113
fois chaque année. Au printemps, le vieillard le plus âgé de la
tribu se présentait volontairement; c'était le plus grand honneur
auquel il pût prétendre. A l'automne, on immolait une femme.
Fig. 29. — Groupe de mounds (Wisconsin)
Si au moment du sacrifice, le soleil était caché par des nuages,
les chairs palpitantes de la victime déposées sur l'autel, y res-
taient jusqu'à ce qu'un de ses rayons vînt les éclairer. C'était là
le signe évident que le dieu agréait le sacrifice qui lui était offert:
aussitôt le peuple s'empressait d'accourir, et se livrait à de
grandes réjouissances. Nous donnons ces détails d'après M. Co-
nant (1), mais il est impossible de ne pas ajouter, qu'ils tiennent
plus du roman que de l'histoire et qu'aucun fait connu ne per-
met d'affirmer leur exactitude.
Les tertres les plus nombreux de beaucoup sont ceux qui s'élè-
vent sur les sépultures. Toujours et partout, l'homme s'est
préoccupé des restes mortels de celui qui fut un homme comme
Tertre»
Tumulaires.
(1) L. c, p. 21. Le D' Habel rapporte cependant que le curé de San Juan Saeata-
peqaes (Chiapas) lui avait affirme qu'aujourd'hui encore, les Indiens immolaient au
printemps une victime humaine au dieu de la pluie. Devons-nous voir là, si ce fait
est exact, un souvenir des coutumes des ancêtres.
De Nadaillac, Amérique. 8
il4 1/AMERIQUE PRÉHISTORIQUE.
lui. L'affection pour des parents ou pour des amis, la pensée d'une
vie future que l'humanité prétend en vain secouer, et qui toute
vague et toute matérielle qu'il faille souvent la supposer, se
poursuit à travers le temps et à travers l'espace, peut-être aussi
le désir de se rendre le mort propice, la crainte de la vengeance
de celui dont on aurait profané le cadavre, tous ces sentiments
sont réunis dans le respect de la mort, que nous trouvons chez les
Fig. 30. — Groupe de tertres sepulcreux.
races les plus sauvages, comme chez les peuples les plus civilisés.
Les mounds sépulcraux, présentant partout une remarquable
analogie, se rencontrent dans toute l'Amérique centrale, dans
des régions aussi éloignées les unes des autres, que le Rentucky
ou la Géorgie, le Missouri ou le New-Jersey (fig. 30). De fréquents
remaniements ajoutent aux difficultés déjà si grandes de leur
étude. A des époques différentes, ils ont été utilisés par les
Indiens et même par les blancs pour la sépulture des leurs ; il
est cependant souvent possible de distinguer les enterrements
secondaires; dans ce cas, les ossements se trouvent à la superficie,
à 18 pouces au plus de profondeur ; tandis que ceux qui dorment
leur dernier sommeil sur le sol naturel, appartiennent incontes-
tablement à la race des constructeurs. Les Indiens n'ont aucune
LES MOUND BUILDERS. 115
tradition qui se rapporte à ces mounds ; ils nient en général
qu'ils soient l'œuvre de leurs ancêtres. M. Brackenridge cepen-
dant, en racontant les fouilles de Big-Moiind (fig. 31), qui s'éle-
vait, il y a peu de temps encore, au milieu des rues de Saint-
Louis, ajoute que les Indiens s'empressèrent de venir enlever les
ossements d'un de leurs chefs. C'est probablement là une excep-
Fig. 31. — Big Mound à St-Louis (Missouri).
tion due à un remaniement récent, dont la tradition s'était con-
servée.
Les mounds se rapportent à des rites bien divers, et l'on trouve
chez les Mound-Builders, toutes les formes de sépulture usitées
en Europe ; le corps était inhumé, tantôt étendu horizontalement,
tantôt replié sur lui-même. Nous avons vu à Sandy-Wood's
Settlement, les diverses positions données au cadavre ; dans le
Comté de l'Union (Rentucky), les corps étaient pour ainsi dire,
empilés les uns au-dessus des autres, sans ordre apparent (1).
La crémation était également un des modes employés. Dans le
Missouri, on recouvrait le corps d'une véritable carapace en terre
glaise ; puis on allumait un immense bûcher (2). M. Gillman
raconte avoir trouvé dans la Floride, les cendres des morts con-
(1) Lyon, Smiih. Cont., 1870.
(2) On cite aussi dans l'Ohio des corps recouverts d'une couche de terre glaise
116 . L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
serves avec un soin pieux dans des crânes humains (1). Au
Kansas, on amoncelait sur le défunt des pierres, qui formaient
avec le temps, un véritable murger (2). Sur d'autres points,
il a été trouvé des squelettes enveloppés de quelques frag-
ments d'un tissu grossier ou de bandelettes d'écorce. Squier
décrit une sépulture fouillée sous sa direction (3) ; le sol avait
été nivelé et une couche d'écorce placée sous le cadavre. Tout
autour gisaient quelques outils en pierre, quelques ornements,
parmi lesquels deux dents d'ours percées; au-dessus du squelette
se trouvaient une nouvelle couche d'écorce soigneusement dis-
posée et des terres amoncelées formant un tumulus.
Sous un mound à Chilicothe, on a découvert le squelette d'une
femme de grande taille, jeune encore et ayant toutes ses dents;
à ses pieds gisaient les ossements d'un enfant ; au-dessous de
ces débris humains, on recueillait une terre grasse et noire,
oii le microscope a révélé des cristaux de sang, et des amas
de cendres. On a supposé que les squelettes, étaient ceux de
victimes égorgées puis brûlées. En continuant les fouilles, on
mit au jour un grand nombre d'autres ossements. Il est difficile
de dire si c'étaient ceux de malheureux immolés pour obéir à
des rites sanguinaires, ou s'ils appartenaient à des hommes sim-
plement ensevelis dans des lieux vénérés. Tous les corps étaient
couchés sur le côté gauche, et on avait placé à côté de chacun
d'eux, un vase rempli d'aliments. Ce sont là des rites funéraires
bien caractérisés.
D'autres explorateurs racontent des cimetières considérables,
des groupes de mounds, oi^i ils veulent voir les sépultures de
grands chefs (4). Nous dirons dans le cours de cette étude les dé-
couvertes les plus importantes en cherchant à faire ressortir les
rites différents dont elles témoignent.
rendue si dure par la cuisson, que ce n'était qu'au prix de grands efforts que l'on par-
venait à l'entamer. Burial Mounds in Ohio. Am. Ant. July, 1879.
(1) Explorations in the Vicinity of Aledo (Florida).
(2) Report Peabody Muséum, t. II, p. 717.
(3) ^/;^ of the Mississipi Valley, p. 164.
(4) Conant, Foot Prints of Vanislied Races.
LES MOUND BUILDERS. 117
Auprès de New Madrid, M. Conant a constaté que les cadavres
étaient placés horizontalement la tête tournée vers le centre du
mound. Deux vases destinés à recevoir de l'eau étaient déposés
à droite et à gauche, et un troisième était maintenu sur la poi-
trine parles bras croisés du mort. M. H. Gillman cite un Biirial-
Mound à Fort Wayne où le mélange confus des ossements
montre la fréquence des remaniements, mais où l'inhumation
était constamment le mode employé (1). Quelques vases en
poterie très fine témoignent d'un art déjà avancé.
Les fouilles exécutées par M. Putnam à Madisonville dans la
vallée du petit Miami (Ohio), ont donné plus de six cents squelettes
de tout âge et de tout sexe. Auprès d'eux, on recueillait des vases
nombreux, dont quelques-uns étaient décorés de dessins tantôt
linéaires, tantôt dentelés (2), des pipes en pierre, des pointes
de flèche, des couteaux, des marteaux, des haches polies, des
ustensiles en os et des ornements en écaille ou en cuivre (3).
Les fouilles de M. Farquharson auprès de Davenport (lowa),
n'ont pas été des moins intéressantes (4); un des mounds présen-
tait un diamètre de 30 pieds et une hauteur de 5 pieds. Les
couches successives à partir du sommet, comprenaient : terre,
1 pied ; pierres apportées du lit de la rivière, 1 pied et demi ;
seconde couche de terre, \ pied et demi; couche de coquilles,
2 pouces ; troisième couche de terre, 1 pied ; seconde couche de
coquilles, 4 pouces. Cinq squelettes horizontalement étendus
reposaient sous cette dernière couche. Le mobilier funéraire se
composait d'une grande coquille marine (5), de deux haches en
cuivre (6), recouvertes d'une étoffe tissée dont il était encore
possible de reconnaître les débris, d'une alêne également en
cuivre, d'une pointe de flèche en silex et de deux pipes dont
(1) Am. Âss. Buffalo, 1876.
(2) Deux vases étaient ornés de médaillons petits et grossiers, figurant des têtes
humaines.
(3) Harvard University. June, 1881.
(4) Ain. Ass. Détroit, Michigan, 1875.
(5) Pyrula perversa.
(6) Ces haches n'avaient jamais servi ; c'était donc bien là un rite funéraire.
118 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Tune représeatait une grenouille. Les ossements humains tom-
bèrent en poussière, dès qu'ils furent au jour et ne permirent
aucune observation. Les objets recueillis dans les autres mounds
de riowa étaient analogues ; on cite deux pipes, l'une représentant
un cochon, l'autre un oiseau ; elles offrent l'une et l'autre, une
grande ressemblance avec celles de l'Ohio. Mentionnons encore
une dent d'ours gris, percée d'un trou de suspension ; un examen
plus attentif a prouvé que ce n'était pas la véritable dent de
l'animal, mais bien une imitation en os. L'esprit d'observation
ne faisait donc pas défaut à ces hommes. Sous un mound situé
auprès de Toolesboro (lowa), on a recueilli une coquille origi-
naire de l'Amérique du Sud (1) transportée bien loin des lieux,
où le mollusque avait vécu.
Le diacre Elliot Frinck parle d'un squelette enterré la tête en
bas (2). Ce serait là un fait curieux, mais tellement exceptionnel en
Amérique comme sur l'ancien continent, que l'on doit supposer
que le mort avait été primitivement placé dans une position
assise ou repliée et que la pression des terres ou la décomposition
cadavérique avaient fait glisser la tête entre les jambes. Dans
le Wisconsin, les morts étaient enveloppés de bandelettes
d'écorce et assis, le visage tourné vers l'Est. Aucune arme,
aucun ornement n'étaient déposés auprès d'eux, elles nombreuses
fouilles exécutées par le D"" Lapham, ne lui ont procuré que
trois vases en poterie fort commune (3). Sur d'autres points, dans
le Tennessee par exemple, de nombreux squelettes qui paraissent
remonter ta l'époque des Mound-Builders, ont été enterrés dans
des cavernes. A 15 miles de Sparte, on a rencontré dans une de
ces cavernes, des débris humains renfermés dans des corbeilles en
jonc artisteftient tressées. Ce n'est point là un fait isolé. Heywood
raconte avoir vu sur le Smith's Fork auprès du Caire, les sque-
lettes d'un homme et d'une femme déposés dans des paniers (4).
(1) American Antiquarian, 1879.
(2) Perkins, Ancient Burial Ground in Swanton {Vermont) Am. Ass., Portland
1873.
(3) Ant. of Wisconsin, Smith. Cont., t. VII.
(4) Jones, Exploitations of the Aboriginal Remains of Tennessee. Smith. Cont.
LES MOUND BUILDERS. H9
Les sépultures les plus curieuses sont celles où le mort était
inhumé tantôt entre des dalles en pierre brute, tantôt dans des
chambres sépulcrales, qui rappellent les Chamhered-Borrows
de l'Angleterre.
Dès 1818 on signalait à Fenton, à 15 miles de Saint-Louis, un
cimetière, où les squelettes gisaient dans des cercueils, formés de
six pierres grossièrement ajustées sans aucune espèce de ciment.
Les plus grands parmi ces cercueils ne mesuraient guère que
50 pouces de longueur ; les corps avaient dû y être placés
roulés sur eux-mêmes. De là la croyance populaire, qui subsiste
encore de nos jours, que le Missouri et le Tennessee avaient été
originairement peuplés par une race de pygmées (1).
D'autres découvertes venaient les compléter. A l'occasion
d'une session de l'Association américaine pour l'avancement des
sciences tenue à Nashville en 1877, plusieurs des mounds si
nombreux dans le Tennessee furent fouillés (2). M. Putnam
constata qu'ils étaient des sépultures et l'œuvre de la race,
dont il avait retrouvé les cimetières dans l'Arkansas, le Missouri
et riUinois (3). Les crânes présentaient la même forme ; les orne-
ments, la poterie, les mêmes procédés de fabrication. Le nombre
de squelettes recueillis était considérable. Leur chiffre fut diverse-
ment évalué de six à huit cents ; une seule de ces sépultures fouillée
sous la direction personnelle du savant conservateur du Peabody
Muséum, en a donné près de cinquante. Les corps, à une excep-
tion près, étaient renfermés entre des dalles plus ou moins
grandes en pierre brute et ces cercueils étaient disposés sans
orientation, par couches successives. Quelques-uns (4) étaient
t. XXII, Washington, 1876. Humboldt signale des faits semblables au Pérou {Voyages
aux régions équinoxiales du Nouveau Continent, t. II, p. 482 et s.).
(1) Conant, /, c, p. 46.
(2) « Numerous stone graves containing human remains are at the présent day,
found along the banks of the rivers and streams in the fertile valleys and around the
cool springs, which abound in the lime stone région of Tennessee and Kentucky. Thèse
ancient repositories of the dead arc frequently surroundcd by extensive earth works
which enclose imposing monumental remains. » D. Jones, l. c.
(3) Report Peabody Muséum, 1878, t. II, p. 203 et s. Ces mounds étaient situés sur
une ferme appartenant à miss Bowling.
(4) Arch. Explorations in Tennessee. Report Peabody Muséum, t. II, p. 305.
120 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
vides, attendant sans doute celui qui devait les occuper. Les corps
étaient étendus horizontalement, et auprès de chacun on avait
placé des poteries de formes diverses (1), des outils en silex ou
en os, des ornements en coquille, derniers souvenirs adressés au
mort. Dans le comté de Maddison (Illinois), on a découvert deux
cists en pierre que M. Bandelier décrit avec précision (2). Ils
forment un rectangle, dont toutes les faces sont des dalles de
calcaire dans leur état primitif et ne présentant aucune trace de
travail humain. Les ossements étaient si mêlés que l'on dût
conclure qu'ils avaient été jetés au hasard dans les cists, après la
décomposition des chairs. Bien que l'antiquité de ces ossements
parût considérable, un des crânes fut reconnu par des juges
compétents, comme se rapprochant du type de la race indienne
actuelle; mais un semblable mode d'inhumation a toujours été
étranger aux Indiens et en admettant même la ressemblance
des crânes, elle ne saurait permettre une affirmation, que tout
vient démentir.
Les Chambered Mounds présentent des travaux plus importants
des dispositions plus compliquées. Nous citerons tout d'abord
un tumulus des plus remarquables, celui de Grave-Creek au
confluent de cette rivière et de l'Ohio (3). Ce tertre de dimen-
sions considérables renfermait deux chambres sépulcrales, l'une
à 30 pieds environ au-dessus de l'autre. Elles avaient été cons-
truites au moyen de poutres, qui en s'effondrant peu à peu,
avaient permis aux pierres et à la terre amoncelées sur la voûte,
d'envahir la surface vide et d'écraser les squelettes qui y
étaient déposés. La chambre supérieure n'en renfermait qu'un
seul; la chambre inférieure deux, celui d'un homme et celui
d'une femme. A côté d'eux, gisaient de nombreux ornements en
mica, des colliers de coquilles, des bracelets en cuivre et quel-
ques fragments de pierre sculptée. De la chambre inférieure,
(1) Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur les poteries très curieuses que
ces fouilles ont donné.
(2) A^n, Ass. Saint-Louis, 1878.
(3) Le tumulus de Grave-Creek est situé dans la Virginie (D"" Joly, Nature, 1873,
t. I, p. 168).
LES MOUND BUILDERS. 421
on pénétrait dans une autre plus grande, où se trouvaient di\
squelettes accroupis, malheureusement dans un tel état de
décomposition qu'il ne purent être soumis à aucun examen
scientifique. On a présumé, que ces restes étaient ceux de mal-
heureuses victimes immolées en l'honneur du chef auquel le
tombeau était consacré.
A Harisonville (Comté de Franklin, Ohio), les fouilles ont
montré des pierres brutes, placées les unes au-dessus des autres
sans aucune apparence de mortier. Après avoir enlevé les terres,
les racines, les détritus de toute sorte qui l'obstruaient, on put
reconnaître une chambre de douze pieds carrés, et à l'extrémité
un foyer encore rempli de cendres et de charbons ; autour de ce
foyer gisaient huit squelettes de tout âge, depuis l'enfant jusqu'au
vieillard. Dans les diverses vallées de la région s'élèvent des
mounds semblables; ils ont donné de nombreux ossements
humains, des instruments en silex et des tessons de poterie. Un
des crânes portait implantée une pointe en silex de six pouces
environ de longueur, qui avait vraisemblablement donné la
mort. Parfois les cryptes étaient voûtées, pour pouvoir mieux
résister à la pression des terres (1). Il est étrange de rencon-
trer chez ces hommes de pareilles connaissances architectu-
rales.
Ces chambres sépulcrales se rencontrent surtout dans les Etats
du centre. Les fouilles du Big-Mound k Saint-Louis dont nous
avons déjà parlé (fig. 31) et qui a été détruit seulement en 1869,
ont montré l'existence d'une crypte, mesurant 30 pieds de
hauteur et 150 pieds de longueur (2). Les murs étaient non plus
en pierres, comme ceux que nous venons de citer, mais en argile
battue et lissée avec soin ; on a supposé que le toit devait être
formé de poutres destinées à supporter le poids des terres.
(1) « Récent explorations of many mounds hâve disclosed a vault walled and arched
with stonc, some of large dimensions with contents similarto those of Utah. » Conant,
Foot Prints of Vanished Races, p. 75.
(2) Brackenridge, Views of Louisiana. Quand les fouilles eurent lieu, cette crypte
avait déjà été entamée ; mais on put encore la reconnaître sur une étendue de 72 pieds.
Conant, /. c, p. 42.
122 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
C'est là une disposition rencontrée dans plusieurs mounds voisins,
datant vraisemblablement de la même époque. Les corps étaient
étendus sur le sol nu, à une égale distance les uns des autres;
toutes les têtes étaient tournées vers l'est. Dans le terreau noir
qui recouvrait les ossements brisés en fragments par la chute
des terres, on recueillait un nombre considérable de coquilles (1)
et des grains de colliers, assez semblables à ceux trouvés dans
l'Ohio et taillés, dans le Busycon perversum très abondant dans
le golfe du Mexique.
(lémation. La crématiou des corps, de nombreux exemples le prouvent
jusqu'à la dernière évidence, a toujours existé chez les Mound-
Builders ; elle a été pratiquée dans les mêmes temps et par
les mêmes peuples que l'inhumation. Ainsi nous venons de
parler des chambres sépulcrales du Missouri; M. Curtiss cite
des groupes importants situés sur les deux rives du fleuve. Il en
fit fouiller trois sous ses yeux ; les cryptes formaient un carré
de 8 pieds sur une hauteur de 4 à 5 pieds; un passage de plu-
sieurs pieds de longueur venait aboutir à une ouverture placée
à l'est. Les murs avaient vers la base une épaisseur de 5 pieds
qui allait en diminuant jusqu'au sommet; ils étaient construits
en pierre, sans mortier, ni ciment d'aucune sorte. Une des
cryptes était fermée par de grandes dalles ; les autres l'avaient
probablement été par des poutres en bois, disparues depuis long-
temps. Chacune d'elles renfermait plusieurs squelettes (2), ayant
tous été soumis à un feu violent. Les ossements humains étaient
mêlés à des cendres, à des fragments de charbon, à des osse-
ments d'animaux qui jonchaient le sol sur une hauteur de plu-
sieurs pouces; parmi ces débris, les explorateurs découvrirent
quelques fragments presque imperceptibles de poterie, des
instruments en silex et une dent de requin. Les fouilles se
poursuivirent sous un grand mound voisin, mais là on ne ren-
(1) Principalement des coquilles de moules très abondantes dans le voisinage et une
petite coquille marine la Marginella apicina (Lamarck).
(2) Dans une de ces cryptes, M. Curtis dit avoir reconnu cinq squelettes, dans une
autre treize. Report Peubody Muséum, t. II, p. 717. Voy. aussi E. P. West, Western
lieview, February 1879.
LES MOUND BUILDERS. i23
contra aucune trace de crémation. Les corps avaient été étendus
horizontalement sur le sol ; et M. Curtiss put recueillir une
précieuse collection d'outils, d'armes en silex, de poteries fabri-
quées avec soin. Quels étaient les rapports entre les hommes qui
enterraient leurs niorts et leurs voisins qui les brûlaient?
Appartenaient-ils aux mêmes races? Vivaient-ils à la même
époque? Nul ne peut répondre avec quelque certitude.
Le Missouri n'est pas le seul point où la crémation existait :
le docteur Andrews cite à Connett's mound près de Douvres
(Comté d'Athènes, Ohio), des ossements humains brûlés qui prou-
vent clairement l'incinération du cadavre (1). Le docteur Lar-
kin arrive aux mêmes conclusions, après les fouilles d'un tertre
dans l'État de New- York (2). M. Lapham a recueilli sous un
des mounds qui s'élèvent dans la vallée de la Pishtaka (3), de
l'argile brûlée, des pierres presque converties en chaux par
l'intensité de la chaleur, des morceaux de charbon, et parmi tous
ces débris, un tibia humain à demi calciné. Squier cite égale-
ment plusieurs cas où les squelettes portaient encore les traces
du feu qui avait consumé les chairs.
On peut encore mentionner un mound de forme ovale, situé
dans la Floride (4). A des profondeurs différentes, variant de 1 à
15 pieds il a été recueilli de nombreux ossements humains indi-
quant toute une série de sépultures : avec ces ossements, on
trouvait plusieurs vases d'une exécution et d'une ornemen-
tation remarquables, quelques éclats de silex et une hache en
pierre. En poursuivant les fouilles, on rencontra des cendres,
et des débris humains à demi consumés; ils avaient été re-
cueillis et placés dans un crâne qui tomba malheureusement en
poussière, dès qu'il eût été mis au jour. Ce n'est point là un
(1) Report Peabody Muséum, 1877, t. II, p. 59. Avant la crémation, le cadavre pa-
raît avoir été placé dans un cercueil de bois. La présence, de nombreux détritus
semblables à ceux que l'on rencontre sous les Kjôkkenmôddings indique l'usage des
festins funéraires.
(2) Report Peabody Muséum, 1880, t. II. p. 722.
(3) The Antiquiiies of Wisconsin.
(4) Gillman, Am. Ass. Saint-Louis, 1878. Les deux axes de la base mesurent res-
dectivement 98 et 88 pieds.
124 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
fait isolé (1), nous avons déjà cité d'autres exemples. Ces crânes
qui témoi^aient certainement d'un rite funéraire particulier,
appartenaient-ils aux hommes dont les corps avaient été brûlés?
Il est difficile de le dire ; car si d'un côté ils n'offrent aucune trace
de feu, de l'autre les recherches les plus actives n'ont donné
aucun fragment crânien, parmi ceux recueillis. Ajoutons que
quelques os longs paraissent avoir été fendus; si ce fait est
exact, et si l'on doit y attacher son interprétation naturelle,
l'anthropophagie, au moins sur certains points, n'aurait pas été
étrangère aux Mounds-Builders (2).
Pour terminer ce qui a trait aux mounds sépulcraux, il faut
raconter des faits encore peu connus et qui font mieux ressortir
les honneurs que les Mounds-Builders rendaient à leurs chefs et
les soins pieux qu'ils apportaient à leurs funérailles. Un groupe de
mounds (fig. 32) s'élève à la jonction du Straddle-Creek et du Plumb-
River (Comté de Carroll, Illinois) (3). Les formes de ces mounds
varient; les uns figurent des cônes, les autres des cercles à divers
degrés de formation. Les fouilles ont donné des cendres et des
résidus de terre noire. On a supposé que c'étaient les sépultures
d'hommes qui brûlaient leurs morts. Chaque famille avait sa
tombe, et quand un des membres mourait, ses cendres étaient
(1) On pourrait citer aussi les fouilles faites en 1874, sous des mounds situés sur le
Mississipi, en face de la ville de Muscatine. Elles ont donné des ossements humains et
au-dessus des ossements des charbons et de la terre brûlée, preuve certaine qu'un
grand feu avait été allumé après l'inhumation. C'est là un autre rite funéraire (Ame-
lican Anliquarian, 1879, 3* trim., p. 99).
(2) La crémation existe encore chez quelques tribus Indiennes de l'Amérique du
Nord. M. John Leconte raconte avoir assisté à une scène de ce genre chez les Coco-
pas, établis auprès du fort Yuma, à la jonction du Colorado et du Gila. Un fossé pro-
fond avait été creusé et le bois empilé, avant que les parents et les amis apportassent
le corps. Les hommes avaient le visage peint on noir ; les femmes hurlaient et chan-
taient tour à tour des hymnes funéraires ; quand le cadavre fut à demi consumé, un
vieillard, des principaux de la tribu, s'approcha et avec un bâton pointu arracha les
deux yeux et les présenta successivement au soleil, en prononçant quelques mots, qui
au dire du guide qui accompagnait M. Leconte, étaient une prière pour le mort. Quand
tout fut terminé et le feu éteint, les assistants rassemblèrent avec soin les cendres et
les ossements calcinés pour les remettre à la famille du défunt. Crémation among
North Ame7-ican Indians. Am.Ass. New-York, 1874.
(3) Gonant, Foot Pt'ints of Vanished Races, p. 17.
LES MOUND BUILDERS.
123
déposées auprès de celles des siens et recouvertes d'une couche
de terre. On continuait ainsi, jusqu'à ce que l'on eût obtenu
un cône de 2 pieds environ de hauteur. Les cercles, les demi-
cercles indiquent les tombes, oii les hôtes n'étaient pas encore
Fig. 32. — Groupe de Mounds à la jonction du Straddle Creek et du Plumb River
(Illinois).
nombreux et que l'extinction ou la dispersion de la famille
n'avaient pas permis de compléter. Nous donnons cette explica-
tion pour ce qu'elle vaut, en ajoutant seulement que des sépul-
tures semblables se trouvent dans toutes les régions à l'ouest
du Mississipi, dans la vallée de l'Ohio, dans le Michigan et
dans plusieurs autres Etats du Nord.
A 250 mètres à peine du groupe dont il vient d'être question,
on en a décou\ert un autre, datant en apparence de la même
époque, où les corps étaient simplement inhumés. Une tradition
veut que ce changement dans le mode de sépulture ait eu lieu,
pour obéir aux prophètes de la tribu, effrayés d'une éclipse du
soleil, arrivée au moment où ils brûlaient le corps d'un de leurs
chefs. Sans attacher à cette tradition plus d'importance qu'elle
ne le mérite, nous dirons seulement que le fait de l'existence
simultanée chez le même peuple de deux rites funéraires, aussi
différents que la crémation et l'inhumation exciterait plus vive-
ment notre surprise, si nous ne connaissions chez les diverses
races européennes bien des exemples analogues.
126 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Ce second groupe (fig. 33), découvert dans le Minnesota, sur
la rive nord du Saint-Pierre, à 60 miles environ de sa jonction
avec le Mississipi présente un aspect plus compliqué. Il comprend
26 mounds régulièrement espacés et formant ensemble un grand
rectangle (1). Le mound central (a) figure une tortue de 40 pieds
de longueur sur 27 pieds de largeur et 12 pieds de hauteur. Il est
presqu'en totalité formé d'argile jaune étrangère au pays et
apportée sans doute de loin. Au nord et au sud, s'élèvent deux
mounds (d) de forme pyramidale en terre rouge, recouverte d'une
légère couche d'humus. Chacun d'eux mesure 27 pieds de lon-
Fig. 33. — Sépulture de la Tortue noire.
gueur, sur une hauteur de 6 pieds environ à sa base. Cette hau-
teur va en diminuant jusqu'à la pointe, qui s'élève à peine au-
dessus du sol. A chaque coin se dresse un tertre circulaire (f) de
12piedsd'élévation,sur 25 pieds de diamètre. A l'est et à l'ouest,
deux tertres allongés (c) de 60 pieds de longueur sur un diamè-
tre 12 pieds. Deux mounds plus petits (e) placés à droite et à
gauche de la tortue, ont 12 pieds de longueur et 4 pieds de hau-
teur. Ils sont formés de sable blanc, mêlé de nombreux frag-
ments de mica, et recouverts d'une première couche d'argile,
puis d'une seconde couche de terre végétale. Les deux tertres (b)
(1) Conant, /. c, p. 18.
LES MOUND BUILDERS. i27
diffèrent comme grandeur : celui du sud avait 12 pieds de hauteur
sur 27 pieds de diamètre ; celui du nord 4 pieds seulement de
hauteur et un diamètre de 22 pieds. Treize petits tertres enfin,
dont les dimensions ne sont pas données, complètent l'ensemble
de ce groupe remarquable, qui a dû coûter à ses constructeurs un
travail d'autant plus grand qu'une partie des matériaux em-
ployés ne se trouve qu'à des distances considérables.
Voici maintenant l'explication donnée par M. Conant. La
tombe principale (a) serait la dernière demeure d'un grand chef;
La Tortue noire; les quatre mounds (f) qui forment les coins du
rectangle, auraient été élevés en signe du deuil de la tribu ; les
tertres secondaires seraient la sépulture d'autres chefs, et les
petits mounds érigés au nord et au sud correspondraient au
nombre de corps qui y avaient été déposés. Les deux tertres en
pointe (d) indiqueraient que la Tortue noire était le dernier de sa
race, et les deux grands tertres, l'importance de cette race et delà
dignité qui lui appartenait. Enfin les deux mounds (e) à droite
et à gauche de la tombe royale marqueraient la sépulture des
prophètes ou des devins qui jusqu'à nos jours ont continué à
jouer un grand rôle parmi les tribus Indiennes. Les fragments
de mica (1) trouvés dans ces tombes seraient l'indication de leur
dignité. On a remarqué en effet que c'était au moyen delà réver-
bération du soleil sur des plaques de mica, que les prêtres obte-
naient le feu sacré toujours entretenu avec un soin superstitieux;
et que que quand le mica se rencontrait dans une sépulture,
il était rarement accompagné d'autres objets, des poteries ou des
silex taillés, par exemple.
De tous les mounds érigés sur le sol américain, les plus curieux
sans contredit, sont ceux qui représentent dés animaux (2). On
les trouve dans l'Iowa, l'Ohio, l'illinois, le Missouri, l'indiana et
(1) Les mines où se rencontre le mica se trouvent priucipalement dans les monts
Alleghanys. Il est certain qu'elles ont été exploitées de toute antiquité dans la Caro-
line du Nord. On ne connaît aucune mine dans lOhio, où le mica a été cependant ren-
contré en grande abondance. [Nature, 1880, T sem., p. 71). — Foster, Prehistoric Races
of the U. S., p. 148.
(2) Ils ont été reconnus et décrits pour la première fois par M. W. Pidgeon, en 1853.
Tertres
animaux.
128 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
en général dans tous les étals compris dans le Far West] mais
le centre principal de ces singulières érections paraît avoir
été le Wisconsin, où on les compte par milliers (1). Ce sont des
hommes dont le corps, la tête, les bras, les jambes sont en-
core reconnaissables, des mammifères, qui atteignent jusqu'à
60 mètres de longueur, des oiseaux (2), dont les ailes ont 30 mètres
et plus d'envergure, des reptiles, des tortues, des lézards de
dimensions colossales; dernièrement encore M, Pidgeon signa-
lait dans le Minnesota, une immense araignée dont le corps et les
pattes couvraient un acre de terrain (3).
Ces tertres de formes diverses, sont groupés sans ordre appa-
rent, tantôt à côté de pyramides ou de cônes tronqués, tantôt
au milieu de cercles ou de parallélogrammes qui les rattachent
aux constructions que nous venons de raconter. C'est toujours
la même pensée, probablement le même rite ; la forme seule
varie. A Pewaukee (Wisconsin), on peut voir réunis sept tortues,
deux lézards et quatre tertres de forme elliptique. Une des
tortues, la plus grande de celles découvertes jusqu'à ce jour, ne
mesure pas moins de 450 pieds. Un peu plus loin, dans Dane
County, on rencontre tout un groupe de quadrupèdes (4), des
bisons scions les uns, des pumas selons les autres. Avec beaucoup
de bonne volonté, on peut reconnaître sur d'autres points, des
élans, des ours, des loups, des panthères, des aigles, des oies sau-
vages, des hérons, voire même des grenouilles. Ce qui est plus cer-
tain, c'est qu'il est facile d'apercevoir de loin ces tertres dans les
vastes plaines de l'ouest, bien que leur hauteur dépasse rare-
(1) Quelques Américanistes ont supposé que les tertres animaux étaient peut-être
flestinés à reproduire le totem ou le signe distinctif de la tribu. Ce signe était le plus
souvent un animal, l'aigle, le loup, l'ours, la tortue, le renard par exemple. Les fai-
bles rapports que nous trouvons entre les Indiens actuels et les Mound-Builders per-
mettent de douter de cette conjecture.
(2) On vient de découvrir récemment des mounds en forme d'oiseaux dans le
comté de Putnam (Géorgie). C'est là un fait intéressant, car jusqu'à présent on ne
connaissait de tertres semblables, que dans les États du Nord et de l'Ouest {Bird
Shape Mounds in Putnam County {Georgia) Ant. Inst. of Great Brilain and Ireland,
1879.
(3) Conant, l. c, p. 9G.
(4) Leur longueur varie de 82 à 114 pieds.
LES MOUND BUILDERS.
129
ment deux mètres et s'abaisse souvent jusqu'à quelques centi-
mètres (1).
Parmi les mounds justement célèbres de l'autre côté de l'At-
lantique, nous choisirons une figure humaine (fig. 34). Il n'est
Fig. 34. — Tertre figurant un homme.
guère possible de se méprendre sur l'intention qui a présidé à
son exécution. Une tradition plus ou moins ancienne, veut que ce
mound ait été érigé en l'honneur d'un chef tué dans un combat.
Le petit tertre placé entre ses jambes, aurait été consacré à la mé-
moire du fils, tué en combattant à côté de son père. On peut
également citer l'Alligator de Granville (Ohio) (fig. 35), la
longueur du corps est de 205 pieds, celle de chacune de ses
pattes de 20 pieds ; le lézard du comté de Licking ; un masto-
donte (fig. 36) (2) situé à une petite distance de la jonction du
Wisconsin et du Mississipi. Ce dernier tertre imite si exactement
les formes et les proportions de l'animal, qu'il paraît impossible
(1) Il convient d'ajouter que les nombreuses fouilles qui ont été tentées sous des
mounds de cette catégorie n'ont jamais rien produit.
(2) On signalait récemment des figures d'animaux grossièrement gravées sur les
parois d'une caverne située dans la vallée de la Crosse auprès de West Salem (Wiscon-
sin) et qui avait longtemps servi d'habitation à l'homme. Parmi ces animaux on a cru
aussi reconnaître le mastodonte {Americ. Antiquarian, avril 1880).
De Nadaillac, Amérique. 9
130 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
que l'artiste ne l'eût sous les yeux, ou tout au moins qu'il n'en
eût pas connaissance par une tradition récente (1).
Secizon. courue cf& ùz ntortôzffrvc
Fig. 35. — Tertre représentant un Alligator (vallée du Mississipi).
Un singe découvert dans le Wisconsin peut avoir 160 pieds de
longueur. Sa queue forme un demi-cercle qui déroulé ne mesu-
Fig. 36. — Tertre figurant un mastodonte.
rerait pas moins de 320 pieds (2). Un oiseau est représenté au
(1) Smilh. Cont., 1872, p. 416.
(2) Foster, Pre/tMfonc Races, p. 101.
LES MOUND BUILDERS. iSt
moment de s'envoler ; sous l'une des ailes on remarque un petit
tertre elliptique. M. Lapham prétend y voir toute une allégorie;
l'oiseau conduit à la terre des esprits, l'âme de celui auquel le
mound était consacré; et cette âme est figurée par le petit tertre
sous son aile (1).
Nous ne saurions omettre le grand serpent érigé sur une
colline qui domine le Brush-Creek (Adam's County, Ohio).
Ses replis donnent une longueur de 700 pieds environ et il
semble avaler un œuf, qu'il tient dans sa gueule et qui est repré-
senté par un tertre elliptique dont le grand axe mesure 160 pieds.
Il est probable qu'ici encore nous sommes en présence d'une
allégorie. Le serpent joue un grand rôle dans la mythologie
des anciens Américains. Nous le voyons représenté sur leurs
poteries (fig. 37). Sur dix-huit coquilles de Pyrula con-
Fig. 37. — Coupe en basalte.
servées au Peabody Muséum, et qui ont servi d'ornements à
ces hommes inconnus, treize portent gravé le corps 'd'un ser-
pent. Le musée de Washington possède une pipe qui représente
une figure humaine portant un serpent roulé autour du cou,
et celui de Mexico un vase remarquable par l'élégance de ses
formes, dont l'anse est formée par un serpent.
Nous avons des exemples plus curieux encore. On rencontre
sur plusieurs points, sans que nous puissions l'interpréter, la
représentation d'un serpent avalant la tête d'une tortue. Les
Dominicains de Mexico ont conservé, au-dessus de leur porte
(1) Ant. of Wisconsin, pi. XLVI, fig. 4.
132 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
d'entrée, un antique bas-relief, où Ton peut voir un serpent
broyant dans ses replis une victime humaine. A Chichen-Itza,
des serpents colossaux sont peints et gravés sur les murs des
palais. Auprès de Jalapa, dans la province de Vera-Cruz, on
distingue un serpent de 15 pieds de longueur sculpté sur
un rocher (1), et ces mêmes serpents se trouvaient sur les bas-
reliefs du temple de Huitzilopochtli, qui remonte au temps de la
grandeur des Aztecs, comme sur les murs des édifices de Cuzco,
témoins de la splendeur péruvienne.
Le nom même des peuples rappelle le culte du serpent. Les
Nahuas, qui partagent avec les Mayas l'honneur des premières
civilisations connues de l'Amérique, sont souvent appelés les
Culhiias ou les hommes de la race du serpent^ et chez les Mayas,
l'Empire de Xibalba était connu sous le nom de l'empire des
Chanes ou des serpents. Ne doit-on pas faire remonter à cette
origine la vénération que certaines tribus Indiennes du Nouveau
Mexique professent encore aujourd'hui pour un serpent à son-
nettes très redoutable, la Vivora Grande? Ils le conservent dans
certaines grottes de leurs montagnes, dont ils cachent l'accès
avec un soin jaloux, et où ils vont, dit-on, l'adorer en secret (2).
Un groupe étrange s'élève sur la rive nord du Wisconsin
(fig. 38) et offre aux explorateurs une véritable énigme (3).
Il comprend un élan de 180 pieds de longueur placé horizon-
talement et une représentation humaine de 160 pieds, per-
pendiculaire au premier. L'homme s'appuie sur un talus de
80 pieds de longueur, sur 6 de hauteur et 27 de diamètre.
Sur la même ligne, on voit une série de tertres gradués de forme
conique ; le plus grand présente le même diamètre que celui
sur lequel l'homme s'appuie. Est-ce là seulement un rapproche-
ment fortuit? C'est ce qu'il est impossible de dire. Les deux
bois de l'élan sont de grandeur inégale et à ses pieds est un de
ces tertres coniques de grande dimension, qui signifient l'ex-
(1) Rivcro, Uist. de Jalapa. Mexico, 1869, t. I, p. 7.
(2) Baiidelier, Ruins of the Pueblo ofPecos.
(3) Conant, l. c, p. 32 et s.
LES MOUND BUILDERS.
i33
tinction d'une race. Ce groupe aurait été, rapporte-t-on, consa-
cré à l'alliance de deux tribus, dont l'élan et le buffle étaient
les totem, ou les armes parlantes. Ces tribus jadis puissantes,
épuisées par de longues et sanglantes luttes, s'étaient réunies
pour la défense commune, et leur alliance est indiquée par la
jonction de la main de l'homme et du pied de l'élan. Les deux
tertres à droite et à gauche étaient des autels, sur lesquels on
offrait chaque année des sacrifices en mémoire de l'union des
deux tribus. Une couche de terre brûlée, de cendres et de char-
Oçjj Q
Fig. 38. — L'homme et l'élan, tertre situé dans le Wisconsin.
bons, atteignant jusqu'à 14 pouces d'épaisseur, paraît justifier
cette destination. Un vieil arbre a poussé ses racines sur les
tertres ; ses cercles concentriques attestent une vie de 424 ans ;
c'est la seule donnée que nous ayions sur l'âge de ce groupe
intéressant.
Plusieurs mounds présentent une variété qu'il faut signaler.
Les animaux, de dimensions à peu près semblables à celles que
nous venons de dire, sont figurés non plus en relief, mais en
creux ; non plus par un tertre, mais par une excavation. Nous
citons le fait, tout en reconnaissant que l'imagination peut ici se
donner libre carrière.
Sur d'autres points^ on nous dit les représentations d'objets
inanimés, une croix sur les bords du lac Michigan (1); dans
(1) Lapham, Ant. of Wisconsin, p. 20 et 39, pi. XXXI, fig. 2 et 3.
134 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
rOhio, une croix cette fois de forme grecque de 27 mètres de
longueur, et portant au centre un grand bassin de 6 mètres de
profondeur. On peut aussi distinguer une croix dans la vallée
formée par la rivière Rock. Ses bras paraissent être égaux;
mais déjà la charrue a commencé son œuvre de destruction, et
il n'est plus possible de s'assurer de leur longueur. Un tertre
sur les bords du Scioto (1) représente un bateau de 48 mètres
de longueur sur 27 mètres de largeur; un peu plus loin, l'explo-
rateur découvre des groupes qu'il peut regarder selon sa fan-
taisie du moment, comme des massues ou comme des pipes.
Nous ne sommes pas disposés à attacher une importance très
grande à des ressemblances probablement toutes fortuites.
Canaux. Mais si nous restons incrédules devant certaines représenta-
tions, que l'on prétend nous faire admettre, il est difficile de se
défendre d'un sentiment d'étonnement, en voyant ces hommes
entreprendre des travaux aussi gigantesques, et les achever par
leur seul nombre et avec leurs seules forces, et cela au moyen de
quelques misérables silex, tout au plus de quelques outils en
cuivre. Le fer et le bronze paraissent leur avoir été toujours
inconnus (1) et sur aucun point du vaste territoire qu'ils ont
occupé, les fouilles n'ont révélé l'existence ou l'emploi d'un
autre métal que le cuivre. Mais cet étonnement redouble,
quand on nous les montre creusant des canaux pour établir des
communications par eau, le signe éclatant d'une population
nombreuse, d'un commerce important, d'une civilisation
avancée (2). On a reconnu récemment dans le Missouri, la trace
de ces canaux. Le D"" C. Swallow, directeur de l'exploration
géologique de l'État, les signalait à l'attention des archéologues
et en décrivait un qui avait 30 pieds de largeur sur 12 pieds de
profondeur. 11 en existe sur divers autres points. Tous sont sys-
tématiquement conçus et exécutés avec une grande intelligence
des difficultés du terrain et sans doute aussi des besoins de la
population. Les tremblements de terre ont oblitéré sur bien des
(1) W. de Uass, Aixh. of tfie Mississipi Valley; Am. Ass. Chicago, 1868.
(2) Conant, /. c, p. 17.
I
LES MOUND BUILDERS. ^35
points leurs tracés, les progrès de la culture nivellent incessam-
ment les levées ; mais il est facile aujourd'hui encore de recon-
naître l'œuvre de l'homme, et on a pu suivre sur un parcours de
soixante-dix milles une série de canaux qui mettaient le Missis-
sipi en communication avec Big Lake, Cushion Lake et CoUins
Lake(l). Sur ces canaux, on naviguait avec des barques, les
Mound-Builders, il est permis aujourd'hui de l'affirmer, savaient
les excaver dans des troncs d'arbres à l'aide du feu (2). C'étaient
les procédés analogues à ceux employés en Europe à l'origine
de la navigation. Des découvertes récentes font également con-
naître les palafittes qui s'élevaient sur les grands lacs du Nord (3).
Partout les mêmes besoins amènent les mêmes efforts de l'in-
telligence, les mêmes créations de l'industrie. C'est là un point
d'une véritable importance.
Quels étaient donc ces Mound-Builders, dont l'existence nous a
été si subitement révélée ? D'où sont-ils venus? Comment ont-ils
disparu ? Ce sont là des interrogations que nous répétons sans
cesse, elles dominent tout notre travail. Avant d'aborder ces
questions si difficiles, si insolubles même dans l'état actuel de
nos connaissances, il faut décrire les poteries, les ornements, les
reliques de toute sorte, qui restent comme les témoins de ces
hommes. Leur étude permettra de mieux saisir les liens qui les
rattachent aux autres races américaines.
(1) Lettre de M. Carlton, citée par Conant, Foot Prinis of Vanished Races, p. 78.
(2) Schoolcraft, Archives of Aboriginal Knowledge, t. I, p. 16.
(3) Am. Antiquarian, Jan. 1881, p. 141.
ancienne.
CHAPITRE IV
POTERIE, ARMES, ORNEMENTS DES MOUNDBUILDERS.
LEUR ORIGINE ET LEURS MIGRATIONS.
r.éramiq.m La céramiquc dans ses produits les plus humbles a été une des
premières créations de l'homme. Les vases étaient indispen-
sables à son alimentation, et si haut que nous puissions remonter,
nous les voyons parmi les reliques qui attestent sa présence. Ils
servaient aux actes religieux, ils servaient aux honneurs funé-
raires et dans des pays bien divers, ils étaient déposés à côté du
mort, selon un rite consacré. Un collège de potiers fut établi
à Rome, par Numa ; une famille de potiers, ouvriers du roi,
est mentionnée dans la généalogie de la tribu de Juda, et l'au-
teur de l'Ecclésiaste les montre assis près de la roue, qu'ils fai-
saient tourner avec leurs pieds. Agathocle, roi de Sicile, offrant
à ses amis des vases en métaux précieux, leur disait qu'ils avaient
été copiés sur des modèles en terre façonnés par lui, alors qu'il
était potier (1) ; et chacun connaît les curieuses poteries décou-
vertes à Troie par le D"" Schliemann. Les plus belles remontent
à la ville de Dardanus, que Tlépolème raconte avoir été détruite
par son aïeul Hercule (2). Mais toutes ces poteries attestent déjà
un art considérable; nous sommes loin sans doute des premiers
produits céramiques; leur fabrication était trop grossière, leur
(1) Diodore de Sicile, liv. XIX.
(2) Iliade, liv. V, v. 642. .
POTERIE. i:n
cuisson trop imparfaite, pour qu'ils pussent se conserver jus-
qu'à nous. L'homme dès les débuts de l'humanité, avait été
frappé de la ténacité et de la plasticité de l'argile humide qui
gisait à ses pieds (1). Le hasard même devait l'amener à la
pétrir; la houle, jouet d'un moment rapidement abandonné,
durcissait aux rayons ardents du soleil. Les creux imprimés avec
ses doigts, imitaient ceux des rochers, ou cet homme allait pui-
ser l'eau qui lui était nécessaire. Ces faits ne pouvaient échap-
per à son observation, à l'esprit d'imitation inné chez nous ; le
feu séchait plus vite que le soleil ces vases grossiers, il apprit
à l'utiliser. La cuisson de ses aliments fut un de ses premiers
besoins, une première distinction entre lui et l'animal; l'instinct,
puis la réflexion devaient le conduire à couvrir de terre les bois,
ou les gourdes qu'il exposait au feu. Goguet rapporte que le
capitaine Gonneville, visitant en 1503 les Indiens, vit chez eux
des vases en bois que l'on recouvrait d'une épaisse couche d'ar-
gile, avant de les présenter à la flamme (2). Cook signale à
Unalashka des vases fabriqués avec une pierre plate, à laquelle
on collait des parois en argile (3). Sur d'autres points on trouve
des vases qui paraissent avoir été durcis en mettant dans la partie
concave des charbons ardents (4). Les indigènes de l'île Murray
font cuire leurs aliments dans un trou creusé en terre qu'ils
ont soin d'enduire d'argile suffisamment pétrie, avant d'allumer
le feu (5). Les Indiens du golfe de Floride modelaient leurs vases
sur des gourdes, et pour ceux d'une capacité plus grande, ils se
servaient de paniers en joncs, en lianes, en cordes même, dont
il est encore possible de reconnaître la marque (6). Quelques-
(1) « Clay is a matei'ial so generally diffased and its plastic nature so casily disco-
vcred, that the art of working it does not exceed the intelligence of the rudest sa-
vage. » Birch, Ancient Pottery, Introduction, p. 1.
(2) Mémoire touchant rétablissement d'une mission Chrestienne dans le troisième
monde, autrement appelé la Terre Australe. Paris, 1663, publié par l'abbô Paulmier de
Gonneville, un des descendants du capitaine.
(3) Voyage dans l'Océan Pacifique, t. II, p. 510.
(4)0npeut voirundecesvasesauPeabodyMuseum.il porte le n° 7,756 du catalogue.
(5) Lubbock, L'Homme pré/i. trad. Barbier, p. 449.
(6) Rau, Indian Potlery. Smith. Cont., 1866. — Tylor, Early Hist. of Mankind,
p. 73. — Proceedings Anth. Soc. of Washington, 1879-80.
138 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
uns ont dû être modelés sur des tissus grossiers, sur des moules
en bois qui disparaissaient dans la cuisson, mais dont les traces
indélébiles subsistent encore aujourd'hui. Bien des systèmes,
ont pu être employés pour la fabrication des premières pote-
ries ; il est probable que tous l'ont été et ont amené ou perfec-
tionné cette utile découverte.
En Amérique, on a trouvé, comme nous l'avons raconté, des
débris de poterie dans les cavernes, ces premières demeures de
rhomme, sous les kjôkkenmôddings qui attestent sa longue rési-
dence ; mais ce sont surtout les mounds, et parmi les mounds,
ceux destinés aux sépultures, qui ont livré les pièces les plus
importantes.
Les vases funéraires remontent à la plus haute antiquité.
Le sentiment de l'immortalité, si profondément gravé en nous,
se révèle avec éclat. L'homme, quelque sauvage, quelque dé-
gradé que l'on veuille le supposer, s'affirme au delà de la vie,
qui s'écoule si rapidement pour lui. Il n'admet pas qu'il doive
disparaître à jamais, comme l'herbe qu'il foule à ses pieds,
comme l'animal victime de ses besoins ou de ses plaisirs. Sa
pensée, sans doute, ne s'élève guère au-dessus des jouissances d'un
ordre tout matériel, au-dessus d'une existence libre de travail et
de soucis ; cette existence, il prétend l'assurer à ceux qu'il a aimés,
dans ce monde inconnu où la mort les conduit. De là, ces
objets nombreux et variés que les tombes nous livrent, comme le
secret des hommes de tous les temps et de tous les pays.
C'est dans les vallées du Missouri et de ses affluents que
l'on rencontre les poteries les plus intéressantes, comme forme
et comme ornementation (1). Le pays avait été habité par une
race d'hommes ayant des villes, un gouvernement, un système
religieux, des goûts artistiques, une race différente de tous points
des misérables Indiens, que les Français, les premiers explo-
rateurs du Missouri et du Mississipi, eurent à combattre. Saint-
(1) E. Evers, Ancient Pottery of Missouri; Saint-Louis Academy of Science, 1880.
- Conant, Fool P'ints of Vanis/ied Races. Saint-Louis, 1879.
POTERIE. 139
Louis (1), une des villes fondées par nos ancêtres, est quelque-
fois appelée Moimd-City à raison du nombre de mounds qui
l'entourent et qui restèrent longtemps, sans même être remar-
qués par les rudes travailleurs, premiers colons du pays. Ces
mounds, à en juger par les objets qu'ils renferment, sont moins
anciens que ceux de l'Ohio ou du W isconsin. Les fragments de
poterie qu'ils ont donnés sont innombrables. On cite un seul
mound, où il a été recueilli plus de mille spécimens (2). Les sé-
pultures fouillées à Sandy-Woods en ont donné à peu près
autant (3). Les nombreux débris trouvés sur certains points du
Michigan ont fait supposer l'existence de véritables fabriques (4).
Les collections de l'Académie de Saint-Louis renferment plus
de quatre mille exemplaires choisis avec soin, et il est cer-
tain qu'un nombre bien autrement considérable a dû être brisé
et dispersé avant que leur importance ne fût soupçonnée. Ainsi
dans l'Etat de Vermont, on ne cite que six vases restés intacts
parmi tous ceux qui ont été découverts (5). Ces fragments
qui ont défié les siècles sont les témoins impérissables de ces
hommes dont le souvenir même était complètement effacé chez
ceux qui les ont remplacés.
La céramique fabriquée en Amérique, comparée à celle de Modes de fa-
l'Europe durant la même période de développement, était évi-
demment très supérieure. C'est là une première remarque qui
s'impose (6). Il est probable aussi que les fragments en grand
(1) Saint-Louis est la ville la plus importante de l'État de Missouri, dont Jeflferson
est la capitale.
(2) On ne doit guère s'étonner de ce nombre. Qui ne connaît à Rome la colline en-
tièrement formée des débris de la potei-ie des anciens Romains, et pour ne citer qu'un
autre exemple, on a trouvé à Arles des fragments en assez grande quantité pour que
les remblais du chemin de fer, qui traverse le pointe nord de la Camargue, eu soient
exclusivement formés sur une longueur de 2 kilomètres.
(3) W. P. Potter, Arch. Remains in S. E. Missouri. Sai7ît-Louis Acad. of Science,
1880.
(4) Gillman, Report Peabody Muséum, t. I.
(5) G. H. Perkins, General Remarks upon the Arch. of Vermont. Proc. Am. Ass,
for the Advancemer.t of Science. Saint-Louis, 1878.
(6) Nous ne connaissons chez aucune des nations occidentales de l'Europe, pas
même chez les lacustres suisses, dont la civilisation, sous certains rapports était très
avancée, ces figurines représentant soit des hommes, soit des animaux.
140 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
nombre, qui restent sans date pour nous, remontent à des époques
reculées. Il est rare qu'ils soient associés à des objets en métal,
et les seules armes des Mounds-Builders étaient des haches, des
couteaux ou des flèches en silex, qui ressemblent, comme forme
et comme travail, à ceux de nos régions, durant ces temps
auxquels les archéologues ont donné le nom d'âge de pierre.
La poterie des Mounds-Builders était façonnée avec une argile
grise assez foncée, tirant quelquefois sur le bleu; pour lui don-
ner plus de consistance, le potier la mélangeait avec du sable,
avec des fragments de coquilles dans le Mississipi, avec des
grains de quartz, de mica ou de feldspath dans le Yermont ;
sur d'autres points, avec de petits nodules de carbonate de
chaux (1). Les vases les plus épais et les plus grossiers étaient
les seuls pour lesquels on négligeait ce soin. Par contre les po-
teries plus fines étaient mêlées de gypse et l'on arrivait ainsi
à dés nuances plus claires. La pâte étant suffisamment pé-
trie et amenée à la forme voulue, l'ouvrier lissait le vase à la
main et le faisait sécher d'abord très probablement au soleil,
plus tard à un feu vif, ce qui ne pouvait amener qu'une cuisson
fort imparfaite. Aussi Squier et Davis, dans leur remarquable
travail sur les mounds de la vallée du Mississipi, affirment-ils
l'existence de véritables fours, destinés à la cuisson de la po-
terie (2). D'autres explorateurs signalent ces mêmes fours auprès
de Cedar-City, qui s'élève sur les ruines d'une vieille ville az-
tèque (3). Mais rien ne prouve qu'ils soient d'une antiquité très
reculée et il est probable que leur construction indiquait un
progrès, que le temps seul pouvait amener. Il ne serait pas non
plus impossible que les anciens Américains ne se fussent servi
d'un procédé, naguère encore en usage chez les Indiens de la
Californie; ils rangeaient les pièces destinées à la cuisson, dans
de grands trous creusés en terre et chauffés à l'aide de feux de
(1) W. de Hass., Arch. of the Mississipi Valley. Proc. Am. Ass. Chicago, 1868.
(2) Ane. Mon. of the Mississipi Valley. — Bancroft dit : « Pottery kilas were found
in tlie South : but that they wore tlie work of the Mound-Builders has not been satis-
factorily proven. » {The Native Races, t. IV, p. 780.)
(3) Remy and Brenchley, A Jourmy to Great Sait Lake City. London, 1861.
POTERIE. 141
bois menu et flambant (1). Il est d'autres hypothèses encore ;
mais pas plus que celles que nous venons de mentionner, elles
ne peuvent donner de certitude.
Ce fut plus tard aussi que les races indigènes de l'Amérique
se servirent du moulage. Ce mode était certainement connu
des Mexicains et des Péruviens; les moules retrouvés sur des
points bien différents ne peuvent laisser de doute à cet égard ;
mais il dut être précédé de longs tâtonnements. Nous avons dit
les gourdes, les paniers en jonc ou en lianes, enduits d'argile
et exposés ensuite à la flamme. Ce furent sans doute là, les
premiers essais; de nombreux tessons que l'on recueille, portent
les marques de leur origine, et dans leur pâte il existe des débris
de charbon provenant évidemment des matières végétales
employées (2). Il serait difficile d'indiquer tous les modes de
fabrication ; on conçoit qu'elle devait sensiblement varier selon
le temps et selon la région. La poterie du Missouri était supé-
rieure à celle de l'Ohio ; celle du Rentucky ou celle de la Vir-
ginie ne peuvent être comparées à celle de l'îllinois; celle du
Michigan est probablement la plus grossière de toutes. Si
même, ce qui est fort douteux, ces poteries remontent à des
époques identiques, les différences qui existent entre elles s'expli-
quent par la rareté, l'absence même de toute communication
entre des tribus, dispersées sur de vastes étendues de territoire
et absorbées par les difficultés matérielles de la vie.
La capacité des vases variait naturellement selon leur
destination. Il en est de quelques centilitres ; il en est de
plusieurs litres. Cockburn, un des rares voyageurs qui par-
vint, au siècle dernier, à traverser le continent, du golfe de Hon-
duras au grand Océan (3), en cite d'une contenance de dix gal-
(1) Schumacher, Reports Peabody Muséum, 1879, t. II, p. 521 et s.
(2) Le prof. Swallow a constaté ce fait dans les fouilles de Big-Mound (fig. 31). Report
Peabodij Muséum, t. I.
(3) A Journey over Land^ from the Gulf of Honduras to the Great South Sea. Lon-
don, 1735. En 1527, quatre des compagnons de Pamfilo de Narvaez, après l'échec de
leurs tentatives de colonisation dans la Floride, allèrent du golfe du Mexique au Pacifique.
Gettepremièreexpédition transcontinentale dura neuf ans et s'accomplit après des soûl-
M42 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Ions (1), et il est possible d'en trouver de plus grands encore.
La roue du potier paraît avoir été inconnue dans l'Amérique
du Nord comme dans l'Amérique du Sud. Cependant en voyant
le fini et la régularité de certaines pièces parvenues jusqu'à nous,
il est difficile de croire que les ouvriers qui les façonnaient
n'eussent aucun moyen mécanique à leur disposition pour ame-
ner une uniformité de pression. Tel est l'avis d'éminents archéo-
logues, après un examen attentif de plusieurs poteries provenant
des fouilles auprès de New-Madrid (2). Malheureusement ces
pièces tombèrent en fragments, dès qu'elles furent exposées à
Fig. 39. — Bouteille cuite au feu provenant d'un mound du Missouri.
l'air. Leur examen est donc désormais impossible et le problème
reste entier.
Les formes très variées des poteries américaines se rapprochent
frances inouïes, dont un des explorateurs Cabeça de Vaca a conservé le récit (Ternaux-
Compans, t. VII, V série). — Perkins, Am. Ass., Buffalo, 1876.
(1; Le gallon équivaut à 4,54 litres.
(2) Conant, Foot Prints of Vanished Races.
POTERIE.
143
curieusement de celles des poteries préhistoriques (1) de l'an-
cien continent, de celles mêmes de nos poteries modernes (2).
Partout, répétons-le, car c'est l'idée dominante de notre travail,
les mêmes besoins ont enfanté chez l'homme les mêmes efforts
de l'intelligence, les mêmes créations de l'industrie. Quelques-
unes de ces poteries sont peintes; les couleurs les plus fréquem-
ment employées sont le noir ou le gris très foncé. On voit
cependant des vases rouges, jaunes, blancs ou bruns ; ces cou-
leurs appliquées en général après la cuisson, ont peu de con-
sistance, et malgré toutes les précautions, elles s'écaillent et
Fig. 40. — Vase trouvé sous un mound de l'Ohio.
s'effacent avec une grande rapidité. Parfois les ornements se
détachent en couleurs différentes, toujours nuancées avec un
(1) On peut comparer notamment les poteries trouvées sous les mounds, à celles
provenant de l'allée couverte de West-Kennct (Wiltshire).
(2) Au mois de mars 1882, on présentait à la Société d'Anthropologie un livre écrit
en japonais et renfermant la description des Shelt-Mounds d'Omory (Japon). Les frag-
ments de poterie abondaient. Leurs rapports avec les poteries des mounds améri-
cains sont très frappants.
144 L'AMÉRIQUE PllÉHISTORIQUE.
goût extrême ; on peut en citer de nombreux et intéressants
exemples (1). Un petit vase de 23 centimètres environ de hau-
teur est orné de lignes noires et rouges sur le goulot, de
lignes noires, rouges et blanches sur la panse. Un autre pré-
sente six cercles concentriques, alternativement rouges et blancs,
et au centre de chacun de ces cercles une croix de Saint-André
de couleur blanche. Une bouteille porte des raies égales brunes,
blanches et d'un rouge éclatant (fig. 39). Un vase provenant de
rOhio, mérite d'être reproduit à raison de son ornementation
compliquée oii l'on prétend retrouver une tête d'oiseau (fig. 40).
Fig. 41. — Alcavazas des tumuli de l'Arkansas.
Il en est de même d'un alcarazas trouvé dans l'Arkansas et dé-
coré d'ossements de morts finement exécutés (fig. 41) (2). Des
(1) Ceux qui s'occupent spécialement de la question, peuvent consulter un travail
récent : D"" Ed. Evers, Contributions lo the Archeology of Missouri. Part. I, Potiery
Salem Massachussetts, 1880. Nous lui faisons de nombreux emprunts.
(2) Nous reproduisons ce vase curieux; mais nous le croyons d'une époque moins
ancienne. Le même motif de décoration se retrouve cependant chez les populations pri-
POTERIE. 145
poteries récemment découvertes et déposées au musée de Saint-
Louis, rappellent, nous dit-on, par les figures qui les décorent,
l'art égyptien ou l'art étrusque (1). Nous aurons l'occasion de
citer dans le cours de cette étude d'autres ressemblances non
moins curieuses et non moins importantes.
On ignore quelle était la substance employée pour la colora-
tion des poteries. Il a été recueilli dans un vase de l'ocre rouge
qui a dû servir à cet usage. Quelquefois les couleurs paraissent
avoir été fixées au moyen d'un vernis, dont on croit retrouver
les traces (2) ; ce procédé était sûrement connu des Mexicains
et des Péruviens; il était plus rarement employé parlesMound-
Builders. La composition de ce vernis est inconnue ; il est seule-
ment certain que le vernis à base de plomb, usité pour nos
poteries modernes, et celui plus compliqué dont on se sert pour
la porcelaine, ont été introduits par les Espagnols et qu'aucune
découverte faite jusqu'à ce jour en Amérique ne permet d'en
attribuer la connaissance à ses anciens habitants (3).
L'ornementation, en général très simple, consistait le plus
souvent en plusieurs rangs de points, tels qu'on peut les voir, '
sur les poteries les plus anciennes de notre continent, exécu-
tés comme ceux-ci, soit avec l'ongle du potier, soit avec l'extré-
mité d'un instrument pointu, un morceau de bois ou une
coquille, qui donnent un trait net et sans bavure. D'autres
fois ce sont des combinaisons plus compliquées, des lignes,
mitives de l'Amérique. Ainsi M. Bancroft cite à Nohpat, dans le Yucatan, une pierre
sur laquelle on avait sculpté des crânes humains et des ossements en croix.
(1) Ces figures ne sont pas encoi'e publiées, nous devons donc nous borner à énon-
cer le fait, en réservant toute opinion jusqu'à plus ample informé.
(2) Bancroft (/. c, t. IV, p. 714) dit : « To this day, some of it retains a very perfect.
glaze. » Gaspar Castano de Sosa {Vem. del Descubrimiento.. . del Nuevo Reino de
Léon, 1590) dit en parlant de la poterie des pueblos du Nouveau-Mexique : « Tienen
mucha loza de los colorados y pintadas y negras, platos, caxetes, saleros, almoficos,
xicaras, muy galanas, alguna de la loza esta vidriada. »
(3) Quelques Araéricanistes citent bien un vase en terre cuite, recouvert d'un vernis
silicate et provenant d'un mound de la Floride ; mais les circonstances de la décou-
verte ne laissent guère de doute sur le remaniement de ce mound. Sur notre conti-
nent, la céramique émaillée se montre dès l'antiquité la plus reculée ; et nous trou-
vons en Egypte, sous les premières dynasties, des vases, des figurines, des amulettes
en faïence vernissée.
De Nadaillac, Amérique. 40
146 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
des cercles, des ellipses, des croissants, des dents de loup, des
chevrons disposés avec goût, de manière à obtenir les effets
les plus heureux (fig. 42). On imprimait quelquefois sur le col ou
Fjg. 42. — Vase trouvé sous uu mound sépulcral du Missouri.
sur la panse du vase, une corde ou une liane. Gillman cite de
plusieurs poteries ainsi décorées, notamment celles trouvées à
Fort-Wayne (1). Quelques vases ont les bords dentelés effrangés;
sur d'autres, les ornements sont en relief (fig. 43). On les obte-
nait, soit en moulant l'argile elle-même, soit en appliquant les
moulures avant la cuisson. Nombre de ces poteries avaient des
anses; et ces anses représentent souvent des oiseaux, des mam-
mifères, tels que le loup, le renard, plus au sud le lama, et
même des figures humaines. Il serait long de décrire toutes ces
variétés ; il est évident que les potiers étaient constarnment
préoccupés de satisfaire les goûts artistiques de la race. Ils pa-
raissent cependant avoir été tenus en médiocre estime, si nous
devons accepter les paroles du Popol-Vuh (2) : « Vous ne serez
(1) Proc. Am. Ass. Bufjfalo, 1876. Ce mode d'ornementation était fréquemment
usité dans le Maine, le Massachusetts, le Missouri, l'Illinois, l'Ohio, le Tennessee et
la Floride. Report Peabody Muséum, 1872.
(2) Le Popol-Vuh, dont le nom peut se traduire par Collection de Feuilles, est écrit
en langue qquiché et fut découvert dans la seconde moitié du seizième siècle par
uu moine dominicain dans un village guatémalien. Il renferme quelques détails
qui se rapprochent singulièrement de la Genèse; aussi a-t-on cru aune adaptation,
par une fraude pieuse, des mythologies indiennes aux dogmes du christianisme.
Tel n'est pas l'avis du frère Ximeuès qui l'a reproduit le premier et qui n'hésite pas
POTERIE.
U7
plus bons qu'à faire des choses en terre cuite, des tourtières ou
des marmites, qu'à cultiver le maïs ; et les bêtes qui vivent dans
les broussailles seront seules votre partage. »
Toute description de ces poteries est difficile sinon impossible.
C'est comme si de nos jours on prétendait décrire tous les objets
qui se rencontrent dans la boutique d'un faïencier en renom.
Nous allons chercher à classer les vases trouvés sous les mounds,
selon la forme de chaque pièce et l'usage auquel elle paraît des-
tinée ; nous aurons du moins ainsi quelques points de repère.
Fig. 43. — Vase provenant des fouilles du Mis-
souri. — Les ornements sont en relief et peints
en rouge de nuances diverses.
Fig. 44. — Bouteille ou vase à gou-
lot d'une finesse remarquable (New
Madrid. Missouri. H. 8 p. 5 1.).
Les vases à goulot sont peut-être les plus nombreux parmi
ceux recueillis, ils servaient probablement à conserver les bois-
sons ; la plupart sont noirs et modelés' avec soin ; ils ont sans
doute fourni l'idée première des vases, dont se servent encore
aujourd'hui les Espagnols et les habitants des républiques his-
I. Vases à
goulot.
à l'appeler l'œuvre du diable. Il a été publié de nouveau à Vienne en 1857, par le
D' C. Scherzer ; et en 1861, l'abbé Brasseur de Bourbourg, qui le qualifiait de livre sacré
par excellence, le donnait à son tour. Le texte primitif n'existe plus; il avait évidem-
ment été écrit ou corrigé après la conquête, car un des chefs Indiens est mentionné
avec son nom espagnol. On ne peut donc, malgré l'avis de M. Brasseur de Bour-
bourg, attacher qu'une confiance très limitée à ce livre.
148 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
pano-américaines pour rafraîchir leurs boissons (fig. 39, 44 et 46).
La porosité de l'argile amène l'évaporation, par suite un ra-
pide refroidissement. Quelques-uns ont un bourrelet à leur
base ; d'autres sont ovoïdes et portent des boutons latéraux per-
cés pour recevoir une corde de suspension. Nous reproduisons
un vase ayant trois pieds (fig. 45) découvert sous un mound du
Tennessee, qui servait de sépulture k un enfant. Il est noir, sim-
plement cuit au soleil; les pieds sont creux et en communica-
Fig. 45. — Vase trouvé dans la tombe Fig. 46.
d'un enfant (Tennessee).
Vase à goulot du Musée do
Saint-Louis.
tion avec le corps du vase (1). On en a trouvé d'autres munis
d'un bouchon également en terre cuite ; un d'eux renfermait
encore les restes d'un liquide rouge qui n'a pu être analysé (2).
(f) Putnam, Report Peabody Muséum, 1878, t. IL— LeD' Habel [Smith. Cont.,t. XXII)
rapporte des vases|;semblables auprès de San Salvador et dans le Nicaragua. Les pieds
renferment de petites boules en terre cuite. Bancroft [l. c, t. IV, p. 19) en cite aussi
sous les huacas de Chiriqui.
(2) Conant, Foot Prints of Vanished Races.
1
POTERIE. 1^9
L'ornementation est très variée et rentre dans celle que nous
venons de décrire. Le musée de Saint-Louis possède, entre autres
Fig. 47. — Vase trouvé dans une sépulture du Missouri.
spécimens, une bouteille (fig. 46) oîi l'on remarque une suite de
renflements et de dépressions qui forment une véritable spirale.
Fig. 48. — Vase avec anses provenant d'un Fig. 49. — Vase à quatre anses de 6 pou-
raound sépulcral du Tennessee. ces de hauteur et de 8 p. environ de
diamètre.
Bien que la forme reste gracieuse, les vases destinés à la cuis-
son des aliments se reconnaissent à la grossièreté de leur fabrica-
tion et de leur ornementation (fig. 42, 47, 48, 49). Ils présentent,
en général, une large ouverture munie quelquefois d'un cqu-
vercle qui devait hâter l'ébullition. Presque tous portent; une
II. Vases des-
tinés à la]
cuisson des
aliments.
150 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ou plusieurs anses, qui permettent de les soulever plus facile-
ment. On en cite un, terminé par une queue semblable à celle
Fig. 50. — Vase de couleur noire, de fabrication et de cuisson grossières, trouvé sous
un mound du Missouri. *
de nos casseroles (fig. 50) ; d'autres ont les bords amincis de
mnnière à former un bec (fig. 51). Plusieurs de ces poteries té-
Fig. 51. — Vase à bec aminci (Missouri).
moignent de leur long usage et conservent les traces du feu sur
lequel elles avaient été placées.
POTERIE. loi
On rencontre assez souvent, dans les fouilles, des vases à panse m. Lampes.
elliptique, en poterie noire, d'une exécution soignée et munis
d'un côté d'une anse qui représente souvent un oiseau, de l'autre
d'un rebord ou d'un bouton destinés à les saisir avec plus de
facilité (f]g. 52). Quelques-uns sont presque entièrement fer-
més et ne possèdent qu'un orifice plus ou moins large ; d'autres
renferment plusieurs petites boules en argile, dont on ne saurait
suggérer l'usage. Ces vases ne paraissent jamais avoir été exposés
Fig. 52. — Vase trouvé dans le Missouri (demi-grandeur).
à la flamme d'un foyer ; de là, la supposition qu'ils pouvaient
servir comme lampes, et leur comparaison avec les lampes
étrusques ou romaines. Ce serait sans doute un fait intéres-
sant; mais il nous paraît des plus hypothétiques ; car les vases de
ce genre, découverts jusqu'à ce jour, ne présentent aucune
trace, soit d'huile, soit d'autre matière graisseuse, servant à
éclairer.
Les terrines ou bassins, en général assez rares, sont, de toutes iv. Tenines.
les poteries conservées au musée de Saint-Louis, les plus gros-
sièrement fabriquées; on a voulu en conclure, mais sans grand
fondement, leur plus haute antiquité. Nous reproduisons deux de
152 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ces terrines (fig. 53 et 54), de forme différente, qui permettent
de se rendre facilement compte de leur usage et de leur mode
Fig. 53. — Bassin avec essai grossier d'orneraçntatioû (diam. 9 p. 8 1.).
de fabrication ; elles sont en terre noire et l'une d'elles porte un
faible essai d'ornementation (1).
V. Coupes, Les coupes qui, sans doute, servaient de vases à boire, sont
Fig. 54. — Terrine trouvée dans le Missouri (1/3 gr.), en poterie noire cuite au soleil,
d'une forme assez rare.
petites, tantôt rondes, tantôt ovales et toujours munies d'une
anse qui représente souvent une tête d'homme ou d'animal. Nous
parlerons plus loin de ces imitations d'objets animés ; contentons-
nous de mentionner ici deux de ces coupes provenant l'une et
l'autre de mounds situés auprès de New-Madrid : l'anse de la
première (fig. 55) est une tête de chouette, qui rappelle, à s'y
(1) Une terrine absolument semblable a été trouvée au camp préhistorique de Ca-
tenoy (Oise).
POTERIE. 133
méprendre, les découvertes de Santorin ou de Troie; celle de
l'autre (fig. 56), d'une exécution très fine, figure un animal, pro-
bablement un lama.
Nous avons dit combien les vases funéraires étaient nombreux;
on a retiré de certains mounds sépulcraux du Missouri jusqu'à
huit cent et mille pièces. 11 est facile de reconnaître un rite
consacré par l'usage ou par la superstition ; ainsi la forme des
\ases varie selon la position qu'ils occupaient à la tête, aux pieds
Fig. 55. — Vase à boii-e à tête de chouette. Fig. 56. — Vase à boire à tête de lama.
OU auprès du bassin du squelette (1). Dans le Tennessee, les vases
étaient constamment placés à la tête du corps ; dans le Missis-
sipi plusieurs renfermaient la nourriture préparée pour le
défunt (2). Il en est de même dans d'autres régions ou les Food-
Vessels, tel est le nom caractéristique qu'on leur donne, sont
remplis de coquilles de mollusques, de moules principalement,
ou de fruits carbonisés parmi lesquels on a cru reconnaître des
raisins sauvages. C'étaient là, sans doute, les provisions pour le
grand voyage. Dans d'autres sépultures, il a été recueilli, soit
une coquille, soit un fragment d'os, soit un petit vase de forme
ovoïde, humbles amulettes, destinées à protéger le défunt.
Certaines urnes enfin devaient renfermer les cendres du mort
après la crémation. Une de celles-ci provenant de fouilles au-
près d'Utah montre la forme la plus usitée (fig. 105).
Le nombre de pipes trouvées sons les mounds est très consi- vu. pipes
(1) Cette position des vases a surtout été constatée à Sandy-Woods Seulement. —
W. P. Potter,. ^ rcA. Remains in S. E. Missouri. Saint-Louis Ac. of Science, 1880.
(2) Conant, Foot Prints of Vanished Races.
154 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
dérable. Nous en reproduisons deux; une d'entre elles, trouvée
dans une chambre sépulcrale du Tennessee , imite à s'y méprendre
celles dont nous nous servons aujourd'hui (fig. 57); l'autre, gros-
sière reproduction de la figure humaine, provient d'un mound
du Missouri (fig. 58).
Le D' Habel cite, auprès de San Salvador (1), deux pipes de
quatre pouces environ de hauteur, sur un diamètre à peu près
égal, couvertes défigures rouges et blanches. Un trou avait été
Fig. r»7. — Pipe provenant d'un raound à chambre Fig. 58. — Pipe en terre cuite
sépulcrale du Tennessee. provenant du Missouri.
ménagé pour l'introduction du tuyau. C'est un fait rare dans ces
régions, où l'usage du tabac était moins répandu que chez les
Mound-Buildcrs (2).
vjii. Imita- Quelques poteries imitent les fruits qui, comme les courges,
fruits. les figues ou les poires ont des formes arrondies. Souvent
on y adaptait un goulot. L'imitation est, en général, exacte ;
l'artiste a pu l'obtenir soit en copiant, soit en moulant le fruit
qu'il avait sous les yeux.
(1) Smithsonian Contributiom, t. XXII. — Ces mêmes fouilles ont donné un nombre
considérable de poteries parmi lesquelles une tête do vieillard assez remarquable.
(2) Oviedo est le premier écrivain espagnol qui parle de l'usage du tabac. Son livre,
Natural Historia de las Indias, a été imprimé à Tolède en 1529.
POTERIE.
455
Ce ne sont pas les seules imitations que les sépultures recèlent;
les mounds du Missouri et du Mississipi ont donné de nom-
breuses représentations soit de l'homme, soit des animaux (1).
Nous pouvons citer le serpent (fig. 59), l'ours (fig. 60), le co-
chon (fig. 61), des poissons (fig. 62), des grenouilles, des tortues
d'une imitation si parfaite qu'on les croirait naturelles (2), des
oiseaux parmi lesquels le hibou , la chouette, le canard. Les
canards surtout sont curieusement étudiés, et les diverses espèces
parfaitement reconnaissables. Il a fallu assurément un temps très
IX. Repré-
sentations
H'anim.iux.
Fig. 59. — Vase à col, de couleur rouge, avec serpent enroulé, provenant des fouilles
du Missouri.
long à l'artiste, pour arriver à une semblable perfection ; plus que
cela, de longues générations d'artistes pour créer l'art lui-même.
Nous ne saurions omettre certaines figures d'animaux trouvées
assez fréquemment sous les mounds. Leur tête se rapproche de
(1) Il est à remarquer que ces représentations ne se trouvent jamais dans les États
de la Nouvelle -Angleterre.
(2) Am. Ant. Jan. 1881.
1S6 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
celle de nos cochons domestiques ; mais ceux-ci paraissent avoir
été inconnus en Amérique avant la conquête espagnole (1). L'es-
pèce qui s'en rapproche le plus est le peccari (2) qui n'a pas de
queue ; tandis que l'animal que nous décrivons en est constam-
Fig. 60. — Vase peint, trouvé sous un mound sépulcral du Tennessee.
ment pourvu et souvent même celte queue est retroussée. D'au-
tres veulent y voir un hippopotame; mais ce pachyderme n'a ja-
mais vécu, que nous le sachions, dans le Nouveau-Monde. L'in-
certitude reste donc complète et le champ ouvert à toutes les
conjectures. La capacité de ces vases varie extrêmement; les
uns sont très petits, en terre jaune et couverts de dessins en zigzag
de couleurs diverses, parmi lesquelles le rouge et le blanc domi-
nent. D'autres, au contraire, ceux trouvés dans l'Etat de Ver-
mont, par exemple, sont d'une contenance de 25 litres. Les plus
(1) Garcilaso de la Vega {los Commentarios Reaies que traten de l'Origen de /os
Yncas, Reyes que fueron del Peru. Lisboa, 1609) dit que les anciens Péruviens avaient
dans leurs montagnes des cochons ressemblant fort à ceux de l'Espagne.
(2) Dicotyles (Cuv.) de la famille des Suilliens.
POTERIE.
157
grands portent quelquefois des masques humains collés sur les
flancs de l'animal. Les animaux ainsi représentés n'ont cependant
Fig. 61. — Vase à anse, figurant la tête Fig. 62. — Vase de couleur jaune claire,
d'un cochon. cuit au four (Missouri).
pas entre eux une telle similitude que l'on puisse y voir, comme
on l'a prétendu, une idole à forme caractérisée. Ajoutons qu'un
Fig. 63. — Vase à boire de 4 p. 7 1. de
hauteur sur 9 pouces dans son plus
grand diamètre.
Fig. 64. — Vase à eau (8 p. 1/2 de h au
teur) trouvé sous un mound auprès
de Belmont (Missouri).
goulot part souvent du milieu du dos et détruit par avance toute
hypothèse de ce genre.
158 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
X. Beprésen- Lgs iniages de l'homme ne font pas non plus défaut. Les unes,
l'Urme*! exécutées avec talent, sont de véritables portraits; chacune
d'elles, quelle que soit la forme du vase qu'elle est destinée à or-
ner, présente un caractère individuel très marqué (fig. 63,
64, 65). Le musée de Saint-Louis possède une bouteille, dont le
goulot a été cassé et qui porte quatre médaillons à figure hu-
Fig. 65. — Vase en terre cuite de cou- Fig. CG. — Figure en terre cuite noire
leurnoire (Missouri). trouvée dans le Missouri (1/3 grand.).
maine incrustés dans la pâte avant la cuisson. Un vase prove-
nant des fouilles si fructueuses de New-Madrid mérite aussi une
mention. Les figures sont, il est vrai, tracées sans art ; mais elles
sont précieuses par l'indication qu'elles offrent des vêtements
portés par les Mound-Builders. Le plus important est une robe
flottante, ou pour mieux dire, une blouse assez semblable aux
nôtres, serrée à la taille et descendant jusqu'aux genoux. Citons
encore un homme couché sur le dos, avec des bras et des jambes
grossièrement imités ; on vidait le vase au moyen d'un goulot
adapté au nombril. Dans une sépulture du Missouri, il a été
recueilli des fragments de poterie, ornés de dessins représentant
des têtes, des bustes et même des corps entiers de femmes. Ces
POTERIE.
159
figures donnent l'idée d'un type élevé, se rapprochant beaucoup
du type caucasique (1).
Fig. 67. — Vase trouvé dans le Missouri. La second visage est accolé au premier et
l'ouverture est située sur le côté (1/4 grandeur).
A côté de ces poteries, il en est d'autres qui se rencontrent par
milliers et qui n'ont rien d'humain. Ce sont de véritables carica-
Fig. 68. — Bouteille représentant une femme.
tures(2) (fig. 66, 67 et 68). Celle qui se trouve le plus souvent re-
(1) Swallow, Âm. Ass. Détroit, 1873, p. 403.
(2) Ces caricatures humaines se rencontrent sur des points souvent très éloignés ;
160 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
produite est une femme accroupie, les seins pendants, les bras
reposant sur les genoux. La répétition si fréquente de cette figure
a fait supposer qu'elle était une idole, une de ces déesses malfai-
santes, dont il fallait désarmer la colère. Mais ici encore la con-
clusion ne paraît guère motivée, puisque ces vases portent
constamment sur la partie postérieure de la tête, une ouverture
qui indique clairement qu'elles servaient de bouteilles. Remar-
quons que jusqu'ici on n'a trouvé qu'un petit nombre de ces
figures lascives, si nombreuses au contraire chez les anciens
peuples de notre continent. Les reproductions soit du phallus,
soit des parties sexuelles de la femme, sont rarement venues
jusqu'à nous (1). C'est là un témoignage important en faveur
de la moralité de ces populations primitives.
La disposition des Mound-Builders à imiter les figures qu'ils
avaient sous les yeux est très caractéristique. La supériorité de
la fabrication de leur poterie ne l'est pas moins. Sil'on compare, en
effet, la poterie provenant des mounds avec celles des popula-
tions lacustres de la Suisse, chez lesquelles on peut supposer un
degré analogue de civilisation, on reste surpris de l'infériorité de
cette dernière. Veut-on d'autres exemples? On a fouillé récem-
ment des tumuli situés sur le champ de tir de l'école d'artillerie
de Tarbes, aux confins des deux départements des Hautes et des
nous mentionnerons entre autres, les poteries trouvées dans l'île d'Omotepec (lac de
Nicaragua).
(1) On en peut cependant citer des exemples. « In altre provincie, dit un des com-
pagnons de Certes, e particularemente in quella di Panuco, adoravano il membro che
portano gli huomini fraie gambo » [Relazione iValcune cose délia Nueva-Spagna). Le
D' Jones {Sînif/i. Cont., t. XXII) cite une pipe imitant un phallus, Heywood un phallus,
trouvé auprès de Chilicothe {Natural and Aboriginat Hist. of Tennessee, p. Il5). On
en connaît aussi provenant du comté d'Alameda (Californie). Sur d'autres points, dans
Smith County, dans l'île de Zapatero, dans le Costa-Rica,on mentionne des idoles por-
tant membrum virile in erectione. Stephens raconte que les ornements de plusieurs
temples du Yucatan représentaient membra conjuncta in coitu. Nous raconterons cer-
taines poteries péruviennes du même genre, mais ce sont là des exceptions. Le père
Kircher cependant {Trans. Ethn. soc, t. I, p. 360) et, après lui, M. Bancroft veulent
y voir l'existence en Amérique d'un culte phallique. Il existait, cela ne peut faire
aucun doute, sur l'Ancien Continent. Les organes externes de la femme étaient exposés
à Eleusis, et c'était sous cette forme que les Egyptiens adoraient Osiris et Isis. (Dulaure,
des Divinités génératrices Paris, 1805. — D'Hancarville, Monuments du culte seo'et
des dames romaines, s. 1., 1784.)
POTERIE. 16!
Basses-Pyrénées ; les fouilles ont donné des vases qui datent
vraisemblablement des Gallo-Romains: ils sont inférieurs comme
pâte, comme fabrication et comme ornementation à ceux des
races américaines. 11 en est de même pour des vases trouvés par
M. Chantre auprès de Samthravo (1). Nous nous bornons à ces
seuls faits ; il serait facile de les multiplier.
11 faut encore remarquer que si les poteries présentent des diffé-
rences considérables comme exécution, alors que le mound où
elles ont été recueillies n'offre aucune trace de remaniement, on
ne saurait, sur ce seul indice, décider qu'elles ne datent pas de
la même époque et que le progrès de la fabrication est la consé-
quence naturelle du développement des goûts esthétiques du
peuple. Nous avons probablement à la fois sous les yeux les pro-
duits du travail d'ouvriers plus ou moins habiles, plus ou moins
intelligents, ou plus simplement encore, les vases des clas-
ses pauvres et ceux des riches. C'est là un fait qui ne mérite
guère d'être discuté ; il est de tous les temps et de tous les
peuples.
Les premiers habitants de l'Amérique devaient être des fii- pip^^ e^
meurs intrépides, à en juger par le nombre de pipes que les fouil-
les ont donné, partout où il a été possible de les entreprendre (2).
Nous avons déjà parlé de celles en terre cuite ; d'autres sont
taillées dans l'ardoise, dans la stéatite (3) (fig. 69), dans le mar-
bre du Potomac, plus souvent encore dans un porphyre très
dur et très résistant de couleur rouge ou brune. Quelques-unes
sont de simples fourneaux de forme toute primitive ; d'autres re-
(1) Mat., avril 1881. — Revue d'Anthr., avril 1881.
(2) Si nous en croyons Bancroft (/. c.,t. II, p. 288), les Américains, au moment de la
conquête espagnole, fumaient aussi des cigarettes et connaissaient le tabac à priser.
Ameghino (/. c, t. I, p. 354) dit à son tour : « Es del dominio publico, que el tabaco
es indigeno de America. »
(3) Par une singulière superstition, les Indiens actuels regardent la stéatite comme
la chair pétrifiée de leurs ancêtres. On a reconnu une carrière de stéatite auprès de
Washington ; la pierre était enlevée iu moy.en de pics en quartzite ; on en fabriquait
des plats et des coupes dont il est facile de trouver les fragments. Cette can-ière est
certainement précolombienne ; mais rien ne permet d'en fixer la date. — Reynolds,
Aboriginal Soap Stone Quames in the District of Columbia. Report Peabody Muséum,
t. II.
De Nadaillac, Amérique. H
pierre.
162 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
présentent des animaux divers: le castor, la loutre, le cerf, l'ours,
le loup , la panthère , le chat sauvage (fig. 70) , la tortue , le racoon ( 1 ) ,
l'opossum (2), l'écureuil, le crapaud et la grenouille, le morse et
le lamantin. Les oiseaux sont peut-être plus nombreux encore ;
Fig. 69. — Pipe en stéalite.
nous pouvons citer parmi eux: le héron, le faucon, le perroquet,
le toucan (fig. 71), le coq de bruyère, le butor. Sur une pipe en
stéatite provenant du Kentucky, on a cru reconnaître un arma-
dillo (3) ; tout récemment enfin, on a trouvé dans l'Iowa une
pipe taillée dans un grès assez tendre et figurant un élé-
phant (fig. 72) qu'il est difficile de méconnaître (4).
Toutes ces sculptures saisissent l'animal dans l'attitude qui lui
est la plus familière et témoignent souvent chez l'artiste d'un
véritable talent. Le héron tient un poisson sous ses pieds (fig. 73) ;
{!) Le racoon, appelé quelquefois raton, Cursus Lator (Linn.), appartient à la famille
des Ursides.
(2) L'opossum, de la famille des Didelphes, est le représentant sur le sol américain
des palœotherium et dos anoplotherium de notre continent.
(3) Dasijpus (Linn.) de l'ordre des Édentés.
(4) Le rev. S. D. Peet annonce dans ÏÂmerican Antiquarian (mars 1880) la décou-
verte d'une autre pipe représentant également un éléphant; la trompe est droite, "et
c'est par un trou habilement ménagé que la fumée s'échappait.
POTEUIE.
163
la loutre porte aussi un poisson ; le faucon déchire de ses griffes
un petit oiseau. On a trouvé sept têtes de morses sous les ter-
Fig. 70. — Pipe représentant un chat sauvage.
très de l'Ohio ; et il ne faut pas croire que ce soient là de§
sculptures grossières, sur lesquelles il est possible de se tromper.
Fig. 71. — Pipe représentant un toucan.
La tête tronquée, le museau épais et demi-circulaire, la lèvre
supérieure, saillante et ridée, les pieds ou nageoires d'une si sin-
164 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
gulière conformation, sont distinctement indiqués et permettent
de reconnaître sans hésitation l'animal (1).
Le perroquet, le toucan, le jaguar, l'éléphant, Tarmadillo, ont
rig. 72. — Pipe en pierre, représentant un éléphant, trouvée dans le comté de Louisa
(lowa).
besoin d'un climat plus chaud que celui de l'Ohio ou du Kentucky ;
le lamantin ne peut habiter que les mers du tropique (2) ; le
Fig.
Pipe figuraui ua liéi'on tenant un poisson (Oliio).
lama que l'on Yoit sculpté sur les rochers qui bordent la Susque-
hannah appartient à la faune du Sud. Tous ces animaux, complè-
tement étrangers aujourd'hui à l'Amérique du Nord, y vivaient
donc à l'époque des Mound-Builders, ou bien ceux-ci avaient ap-
pris à les connaître dans leurs voyages et dans leurs migrations.
Une de ces deux solutions s'impose; quelle que soit celle que
l'on adopte, elle conduit à des conséquences intéressantes.
A Mound-City , on a retiré des fouilles quatre pipes, figurant
(1) Squier et Davis, l. c, p. 252.
(2) Godman, American Nat. Hist., t. II, p. 154.
POTERIE.
165
des profils humains au type 1res caractéristique (fig. 74) (1). L'une
d'elles, sculptée sur une pierre noire, très compacte et très dure,
présente une coiffure étrange, produit probable de l'imagination
de l'artiste, car elle ne se trouve chez aucun peuple ancien ou
moderne. Les cheveux sont nattés, et autour du front on peut
encore voir quinze perles brûlées par le feu. Le visage est cou-
vert de lignes gravées formant un véritable tatouage; la bouche
'ij^kiii*
Fig. 74. — Pipes trouvées à Mound City.
est comprimée, les yeux sont grands, les oreilles percées. Une
autre pipe représente une femme et peut se comparer, comme
travail, aux sculptures mexicaines ou péruviennes qui excitaient
Tétonnement des soldats espagnols (2). Une pipe provenant du
Connecticut figure aussi un buste de femme ; les poignets et
les épaules sont surchargés d'ornements ; une autre, trouvée dans
la Virginie, offre un type que l'on ne saurait mieux comparer
(1) Schoolcraft, /. c, t. I, pi. XIII.
(2) On peut consulter Gaixilaso de la Vega, L c, liv. VI, p. 187. — Pierre Martyr
d'Anghiera, de Novo Orbe, déc. IV. — Clavigero, Hist. antigua de Mej'ico, 2 v. iii-8.
Londres, 1826.
166 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
qu'à l'antique type égyptien ; une pipe du Missouri en grès très
dur représente une tête d'homme avec une barbiche, semblable
à celle que l'on peut voir sur les monolithes assyriens du Musée
Britannique (1). Une de ces pipes enfin, pour ne plus citer que
celle-là, découverte dans l'indiana, porte alternativement sur
ses faces une tête de mort et une tête d'oie.
On a cru longtemps que les Mound-Builders appliquaient leurs
lèvres au trou pratiqué à la base du fourneau et aspiraient
ainsi la fumée; des découvertes nouvelles doivent modifier cette
opinion. Il a été recueilli sur plusieurs points des tubes en
stéatite (2) ; le Professeur Andrews en cite plusieurs en terre
cuite, en pierre, en cuivre, trouvés par lui dans l'Ohio (3). Dans
la Californie, ils sont plus nombreux encore; et le Peabody Mu-
séum possède un de ces tubesqui vient du Massachusetts. Squier
depuis longtemps déjà en signalait de semblables dans la vallée
du Mississipi (4), et des tuyaux en os ont été trouvés jusque dans
les froides régions du Canada. A Swanton (Vermont), un ancien
cimetière a été découvert au milieu d'une forêt, oii des arbres
séculaires en remplaçaient d'autres plus vieux encore ; les fouilles
ont donné de nombreux tubes en cuivre, dont la longueur varie
de trois à quatre pouces (5). La feuille de cuivre avait été étirée,
puis martelée et roulée par un travail qui donne une haute idée
du talent de l'ouvrier. D'autres tubes sont en pierre, sans nul
ornement à l'exception d'un seul, oii l'on voit gravé un oiseau
(fig. 75) rappelant à s'y méprendre les alérions qui figurent dans
les armes de la maison de Montmorency (6). Quelle était la
destination de ces tubes rencontrés sur des points si divers ?
(l)Am. Ant. Jan. 1881.
(2) Schoolcraft, l. c, t. I, p. 93, pi. XXXII et XXXIII.
(3) Explorations of Mounds in S. E. Oliio, Report Peabody Muséum, 1877.
(4) Ancient Monuments oftke Mississipi Valley. Smith. Cont., 1. 1, p. 224, fig. 122, 125.
(5) G. H. Perkias, On an Âncient Burial Ground in Swanton (Vermont). Am. Ass.,
Portland, 1873.
(6) Sous l'oiseau on distingue facilement trois petits signes {Americ. Antiq., Marck,
1880) où l'on a voulu voir des lettres; mais rien jusqu'à présent ne permet de sup-
poser que les Mound-Builders fussent assez avances en civilisation , pour posséder un
alphabet.
POTERIK.
167
M. Putnam croit qu'un grand nombre d'entre eux étaient des
tuyaux de pipe (1) ; d'autres veulent y voir des instruments de
musique; mais plusieurs, ceux trouvés à Swanton notamment, ne
sont pas percés ; ce qui exclut les deux hypothèses et nous laisse
dans une complète incertitude (2).
■N >;s^
»-.
P^.xJ'k.J^J
Fig. 75. — Oiseau gravé sur un tube en pierre (Swanton, Verraont).
Nous nous sommes étendus sur tout ce qui touche aux pipes,
parce qu'après les poteries, ce sont les objets les plus importants
qui ont été trouvés jusqu'ici, et aussi parce que cette disposition à
modeler les figures des hommes ou des animaux est très remar-
quable et ne se trouve à un semblable degré chez aucun autre
peuple.
Outre les figures humaines qui servaient à orner les poteries
ou les pipes, on en rencontre d'autres, qui devaient être les
images des divinités adorées par les premiers habitants de
l'Amérique du Nord. Dans le Tennessee (3), on a trouvé des
(1) C'était aussi l'opinion de Squier après la découverte qu'il avait faite à Chilicothe,
d'un tuyau en ardoise de 13 pouces de longueur, terminé par une embouchure. An-
cient Mon. of the Mississnpi Valley. Voy. aussi Coreal, Voy. aux Indes occidentales.
Amsterdam, 1722, t. I, p. 39.
(2) M. Rau prétend que ces tubes servaient aux opérations des médecins ou des sor-
ciers, si nombreux dans les tribus Indiennes, et le voyageur allemand Kôhl ajoute
qu'il a vu un de ces hommes se servir, pour agir sur son malade, d'un os percé de
l'oie sauvage.
(3) Jones, Smith. Cent., t. XXII, p. 128. — Il est utile de rappeler que ces idoles
présentent le même type que celles fabriquées par les Toltecs.
Idoles.
168 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
milliers d'idoles en pierre, en stéatite, en grès, en terra cotta;
dans Knox Coiinty, il a été découvert une idole taillée dans
la stalactite (1); dans Gumberland Valley, une figure de femme,
sculptée sur du grès brun, de onze pouces de hauteur avec les
organes sexuels très en relief ; dans le Honduras et dans le Gua-
temala, de nombreuses figurines en terre cuite, appelées mahe-
cas par les habitants actuels. Toutes ces idoles présentent un type
assez semblable ; leur exécution est toujours grossière et con-
traste avec celle des poteries.
On rencontre aussi, mais plus rarement, des vases en pierre (2).
Nous en citerons un, provenant d'un mound auprès de la rivière
Tallahalchie (comté de Lafayette, Mississipi), et muni d'un cou-
vercle qui le fermait hermétiquement. Le poids de ce vase,
que l'on regarde comme une urne funéraire, dépasse cent livres;
le travail est remarquable, et plus remarquable encore si l'on
considère les misérables outils que ces hommes avaient à leur
disposition (3).
Mentionnons encore un masque humain de grandeur natu-
relle en pierre dure. Nous savons que les Aztecs fabriquaient des
masques semblables en obsidienne ou en serpentine et les pla-
çaient sur le visage des morts. Le même usage existait proba-
blement dans des régions plus au nord.
C'est par un travail patient, par le frottement d'une pierre
contre une autre, que les Mound-Builders obtenaient leurs
sculptures. Les Mexicains et les Péruviens se servaient des mêmes
procédés, après avoir préalablement dégrossi la pierre à l'aide
d'instruments en obsidienne. Il était naturel que les possesseurs
d'objets si péniblement acquis y attachassent une grande valeur ;
aussi a-t-on trouvé plusieurs pipes raccommodées avec un soin
(1) Sa hauteur est d'environ 20 pouces ; son poids dépasse 37 livres.
(2) On en trouve aussi en stéatite, mais rarement à l'Est des Montagnes Rocheuses.
Quelques-uns de ces vases ont des anses. En Californie on a également recueilli des
coupes en serpentine. Tout était utilisé par ces premiers habitants de l'Amérique, car
dans l'île Santa Barbara, il a été trouvé des plats creusés dans les os des grands cétacés
que la tempête jetait sur le rivage. Ch. Rau, Smith. Cont., t. XXII, p. 37.
(3) Jones, Smit/i. Cont., t. XXII, p. 144, fig. 83.
ARMES ET OUTILS.
169
extrême ; le procédé était très simple : on perçait des trous sur les
bords de la fracture et on y introduisait de petites chevilles en
bois ou en cuivre pour les maintenir.
Les armes des Mound-Builders sont rares, et si nous n'avions
appris à connaître par l'étendue et l'importance de leurs fortifi-
cations, les dangers qui les menaçaient, on pourrait croire à un
peuple pacifique, uniquement préoccupé de ses travaux agricoles
ou des besoins de son commerce. Nous pouvons cependant men-
tionner des pointes de flèche finement travaillées (1), des tètes
Armes tt
outils.
Fig. 76 et 77. — Haches en serpentine.
a. Beard's Mound (Ohio). — 6. Hill Mound (Ohio).
de lance, des poignards (2) et nous reproduisons, parmi nombre
d'autres, deux haches en serpentine (fig. 76 et 77) qui rappellent
à s'y méprendre les instruments néolithiques de nos régions.
« Cette ressemblance est si frappante, dit Squier (3), que nous
sommes tout d'abord disposés à conclure qu'ils sont l'œuvre
(1) M. L. Carr [Exploration of a Mound, Lee Coimiy, Virginia; Report Peabody
Muséum, t. II, p. 90) reproduit une pointe de lance en quartz ite et un poignard en
calcédoine.
(2) Sur certains points on a trouvé de véritables réserves, où de nombreuses flèches
de lance étaient emmagasinées. Am. Ant., Jan. 1881, p. 144.
(3) Ane. Mon. ofthe Mississipi Valley, p. 210.
I?0 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
d'hommes de la même race ; et cette conclusion serait irrésisti-
ble, si nous ne savions que les besoins de l'homme sont partout
les mêmes et l'ont partout conduit à donner à ses outils les mêmes
formes et à s'en servir de la même manière. »
De nombreux couteaux ou poignards sont en obsidienne (1) et
semblables à ceux des Mexicains, qui, au dire de Clavigero,
étaient des ouvriers si experts, qu'ils parvenaient à façonner cent
de ces couteaux en une heure de travail. Les Mexicains inséraient
aussi une double rangée de fragments d'obsidienne dans des
manches en bois très dur et les assujettissaient par des liens et de
la gomme. Cette arme se maniait à deux mains, et les historiens
Espagnols en racontent les redoutables effets (2). Les Mound-
Builders, à en juger par les fragments d'obsidienne disposés
en rangs réguliers, qui se rencontrent souvent dans les sépultures,
devaient posséder une arme à peu près semblable.
Il est presque impossible dans ces temps primitifs de distinguer
les armes des outils. M. de Hass décrit un certain nombre de ces
Fig. 78. — Instrument en serpentine, trouvé sous un mound auprès de la rivière
Big-Harpeth (Tennessee).
derniers en amphibolite, en quartzite, en néphrite, en granit,
tous d'un bon travail (3) ; sur d'autres points, on cite des hameçons
en coquille, des couteaux, des perforateurs, des harpons, des
aiguilles en os, en corne ou en bois de cervide (4). Nous repro-
(1) L'obsidienne, Yltzli des Mexicains, roche vitreuse, d'origine volcanique était
connue de toute antiquité. Pline (1. XXXVI, c. xxxi), raconte que les premiers frag-
ments furent trouvés en Ethiopie par Obsidius, d'où le nom qui lui a été donné. On
la rencontre en quantités considérables au Mexique ; et dans les temps préhistoriques
elle était façonnée non seulement en armes, mais encore en bijoux, en ornements et
même en miroirs .
(2) Le Mahqiiuhwitl, tel est le nom que portait cette arme, est sculpté sur un mon-
tant de porte à Kabah (Yucatan). Bancroft, l. c, t. IV, p. 210.
(3) Arch. of the Mississipi Valley. Am, Ass. Chicago, 1868.
(4) Potter, Arch. Remains in S. E. Missouri. Saint-Louis Acad. of Science, 1880. —
Rau, Smith. Cont., t. XXII, fig. 23G et s. . •
ARMES ET OUTILS.
171
duisons deux instruments d'une forme originale, inconnue en
Europe. Le premier est en serpentine (fig. 78) de 18 pouces de
longueur et poli avec soin; il a été découvert sous un mound,
auprès de la rivière Big Harpeth (Tennessee) ; des outils sembla-
bles ont été trouvés dans la vallée du Cumberland ; d'autres prove-
nant de la Caroline du Sud sont conservés au Musée National de
Washington (1), on ignore leur usage. Le second est en silex et
(
Fig. 79. — Instrument en silex (New Jersey).
vient du New Jersey (fig. 77). Cette forme se rencontre fréquem-
ment en Amérique, et notamment dans l'Ohio, le Wisconsin, la
Pennsylvanie, et l'Etat de New- York (2). Il est probable que,
parmi ces outils, quelques-uns ont dû servir à cultiver la terre ;
il a été trouvé, notamment dans l'Utah, des pierres assez grandes
(1) D' Abbott, Primitive Industry, p. 118.
(2) Rau, A7xh. Coll. of the U. S. Nat. Muséum. Washington, 1876, fig. 09.
172 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
grossièrement taillées et munies de manches en corne ; on les
croit des instruments agricoles (1).
Ornements. Eu décrivant Ics mounds, nous avons parlé des nombreux
objets qui avaient servi, soit d'ornements au défunt, soit d'of-
frandes aux dieux. Ces ornements présentent une ressemblance
frappante dans toutes les régions, où s'élèvent les tertres
artificiels ; on ne saurait distinguer ceux du New Jersey de
ceux du Michigan, ceux de l'Ohio de ceux de la Floride. Ce sont
des perles (2), des coquilles, des cylindres tirés des côtes du
lamantin, des dents perforées d'ours, de chat sauvage, de loup,
de requin, des os de petits oiseaux, des ongles de rapaces, des
bagues en pierre ou en os (3). On a trouvé sous un mound situé
auprès de la rivière Saint-Clair (Michigan), un collier formé de
dents de morse alternant avec des boules de cuivre et des osse-
ments d'oiseau peints en vert. Tout vient rappeler les ornements
qu'affectionnent aujourd'hui encore les Indiens.
Les grains ou boules peuvent se compter par milliers; ils sont
en nacre, en écaille, en pierre, en bois, souvent recouverts d'une
mince feuille de métal (4). Le mica aux reflets brillants jouait, nous
l'avons vu, un grand rôle dans les cérémonies religieuses. Il était
aussi employé à des usages plus vulgaires, tantôt en grandes pla-
ques que l'on suppose des miroirs, tantôt découpé en ovales, en spi-
rales, en pointes de diamant qui servaient d'ornements. A Grave-
Creek (Virginie), il a été découvert plus de cent plaques de mica
percées d'un trou de suspension. Sous un mound situé sur les
bords du petit Miami, on cite plusieurs plaques mesurant jusqu'à
un pied de diamètre placées sur le squelette (5). Les chefs, les
(1) M. Schumacher [Report Peabody Muséum, t. II, p. 271) rapporte qu'un de ces
outils mesure 14 pouces de longueur sur 5 de largeur. Il donne probablement par une
erreur d'impression au manche en corne 5 pieds de longueur.
(2) M. Bancroft rapporte que les Américains se servaient quelquefois de perles pour
imiter les yeux des oiseaux ou des petits mammifères.
(.3) Rau, SmiLh. Cont., t, XXII, flg. 213 et 214.
(4) On a trouvé, près de Nashville notamment, de nombreuses boules en bois recou-
vertes d'une feuille de cuivre, et sous un Stone-Mound du Tennessee, des boucles
d'oreilles, où l'on pouvait reconnaître le même travail.
(5) D' S. Schoville, Cincinnati Quarterly Journal. April 1875.
ORNEMENTS.
173
personnages importants portaient à leur cou des ornements en
test de coquille (1), qui à leur mort étaient déposés dans leur
sépulture. Deux de ces ornements ont été découverts dans le Ten-
nessee ; sur l'un (fig. 80), on distingue quatre tètes d'oiseaux; les
bords du second sont découpés avec une grande élégance. Le mu-
séede Saint-Louis possède plusieurs coquilles semblables : une im-
mense araignée (2) est gravée sur l'une d'elles; sur d'autres, on
s'est efforcé de retracer des figures humaines, et même les scènes
de la vie, un combat par exemple, où le vainqueur, un glaive à
Fig. 80. — Ornement en test do coquille Fig. 81.— Epingle en test de coquille
(Tennessee). (Ely Mound, Virginie).
la main, a le pied posé sur la poitrine de son adversaire. M. Ro-
bertson a recueilli dans une tombe préhistorique de l'île Mackinac,
située entre le lac Michigan et le lac Huron, deux pendeloques
tirées d'une coquille du golfe du Mexique. Ces pendeloques
avaient donc été portées à travers la plus grande partie de l'Amé-
rique du Nord. Le test de coquille servait également à façonner
(1) Les coquilles les plus fréquemment employées étaient le Busycon perversum, la
Pyrula perversa, le Strombus gigas, la Fasciolaria gignntea, la Marginella conaï-
dalis. Cette dernière espèce ne se rencontre plus aujourd'hui que dans les mers de la
Floride.
(2) Cet insecte, sans doute symbolique, est souvent reproduit dans les États du Nord.
n4 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
des grains de collier, des épingles (fig. 81 ), et probablement à bien
d'autres usages.
Parmi les ornements qu'affectionnaient les Mound-Builders, il
faut mentionner des pierres polies venant souvent de régions
éloignées, et percées d'un ou de plusieurs trous de suspen-
sion (1). Quelques-unes de ces pierres, d'un poids assez lourd (2),
Fig. 82. — Pierre taillée trouvée à Swanton (Vermont) ; la base est plate et perforée de
deux trous de suspension (longueur 3 pouces 7 lignes).
figurent des animaux (fig. 82), des oiseaux principalement, pres-
que toujours grossièrement sculptés. On cite un fragment de
marbre blanc qui porte, colorées en rouge, les parties que l'artiste
Fig. 83. — Grains en cuivre Connett's Mound (Ohio) (grandeur naturelle).
tenait surtout à faire ressortir. Il serait difficile de raconter tou-
tes les variétés que les fouilles ont données.
Nous ne pouvons omettre les ornements en métal, d'une im-
(1) Squier a observé que sur les pierres provenant des mounds du Mississipi, les
trous de suspension étaient toujours percés à une distance de 4/5 de pouce. Par une
coïncidence, peut-être fortuite, mais à coup sûr assez bizarre, la même mesure se
trouve exactement reproduite sur des pierres trouvées à Swanton (G. H. Perkins, On
an Ancient Burial Ground in Swmiton {Vermont). Am. Ass. Portland, 1873.
(2) Ce poids excède quelquefois 2 livres.
ORNEMENTS. 175
portance capitale pour l'histoire des Mound-Builders. A Gonnett's
Mound on a recueilli plus de 500 grains de cuiTre (fig. 83), desti-
nés à des colliers ou à des bracelets.
A Circular-Mound^ auprès de la rivière Détroit, des grains
semblables étaient enfilés sur une cordelette fabriquée avec de l'é-
corce. Ils étaient façonnés dans une feuille mince de cuivre décou-
pée, puis roulée sans aucune trace de soudure (1). Sur d'autres
points, les grains étaient de forme ovale et leur fabrication avait
dû offrir des difficultés sérieuses.
Outre les ornements dont nous venons de parler, on rencontre
des celts, des grattoirs, des ciseaux, des couteaux, des pointes
de lance et de flèche de formes diverses, tous obtenus par le
martelage à froid de morceaux de cuivre natif; pour les Mound-
Builders, le cuivre devenait une pierre malléable. A Swanton, i
a été recueilli une hache insérée dans un manche en bois, dont
on peut encore reconnaître les fragments; dans le Wisconsin,
une pointe de lance et un couteau qui se peuvent comparer
à nos armes modernes (fig. 84) ; à Joliet (Illinois), une lame
tranchante; à Fort Wayne, un couteau. On a reconnu sur un
squelette découvert sous un mound, à Zolicoffer Hill, un orne-
ment en cuivre d'une forme très particulière (fig. 85) (2). La croix
qui le surmonte a fait supposer qu'il était d'origine européenne ;
mais le D' Jones signale ce même motif d'ornementation sur
des coquilles gravées et sur des objets en cuivre provenant
également du Tennessee (3). Un squelette retiré d'un des mounds
de Chilicothe portait une croix sur sa poitrine, et une idole
avec une croix gravée sur l'épaule était découverte sous un ter-
tre de la vallée de Cumberland. La croix est reproduite sur un
des bas -reliefs de Palenque et sur les monuments de Cuzco, au
centre même du culte du Soleil. Quand Grijalva débarqua, en
1518, sur la côte du Yucatan, sa surprise fut grande de voirie signe
de sa foi dominer les temples des indigènes (4). Des faits analogues
(1) Andrews, Exp. in S. E. Ohio ; Report Peabody Muséum^ 1877.
(2) Putnam, Arch. Expl. in Tennessee. Report Peabody Muséum, 1878, t. II, p. 307.
(3J Haywood, Expl. of the Aboriyinal Remains of Tennessee; Smith. Cont., I87C.
(4) Herrera, Hist. Gen. de los Hechos de los Castillanos en las Islas y Tierra Firme
176 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
se reproduisent sur toute la terre d'Amérique; il faut les men-
Fig. 84. — Armes en cuivre, trouvées
dans le Wisconsin.
Fig. 85. — Ornement en cuivre,
trouvé dans un Stone-Gave à
Zolicoffer Hill (Tennessee).
tionner, il est impossible d'y attacher quelque importance (1).
del Mar Oceano. Madrid, 1725-30. Dec. II, lib. III, cap. I. Le première édition fut pu-
bliée en 1605.
(1) La croix est dans tous les pays d'une haute antiquité. On la trouve sur les plus
anciens monuments de l'Egypte, où elle signifie la vie éternelle.
ORNEMENTS. 177
Les poteries du Missouri, les curieuses découvertes de M. Put- vêtements.
nam dans le Kentucky (1) nous ont fait déjà connaître les vête-
ments des Mound-Builders; des momies trouvées dans les ca-
vernes des Etats dé l'Ouest, permettent mieux encore d'en juger.
Les cadavres étaient recouverts d'une toile grossière, puis d'une
sorte de filet à larges mailles, où l'on avait placé des plumes
aux couleurs brillantes, enfin d'une troisième enveloppe en peau.
Les anciens habitants de l'Amérique fabriquaient diverses sortes
de tissus (2). Il y a quelques années, les fouilles d'un mound
situé sur la rivière du grand Miami, à deux miles au nord de
Middletown (Ohio), donnèrent plusieurs fragments de loile à
demi consumée, mêlés à des charbons et à des ossements humains
atteints eux aussi par la flamme (3). Cette toile grossièrement
tissée à la main, avait sans doute servi à ensevelir le cadavre
avant la crémation, tout au moins partielle qui avait précédé
l'enterrement. 11 est assez difficile de l'attribuer aux Indiens;
le mound ne présentait aucune trace de remaniement; il était
formé de couches successives d'argile jaune étrangère au pays ;
son érection aurait donc exigé un travail dont ces races sau-
vages sont certainement incapables.
D'autres exemples viennent confirmer celui que nous venons
de citer. On découvrait récemment dans l'Iowa, des haches en
cuivre soigneusement enveloppées dans une étoffe très bien con-
servée (4), et au mois de janvier 1876, les fouilles d'un mound de
rilinois mettaient au jour plusieurs tortues en cuivre martelé
du travail le plus remarquable (5). Ces bijoux, on ne saurait les
appeler autrement, évidemment d'un grand prix, avaient été
successivement entourés d'un tissu végétal, d'une étoffe de cou-
(1) Voy. chap. ii, p. 78.
(2) Une légende du Yucatan fait remonter la découverte de l'art de tisser à une
déesse nommée Ixazalvoh.
(3) Foster, De^crifition of Samples of ancient Ctolhfrom the Mounds of Ohio. Àm.
As s. Albftnt/, 1851.
(4) Short, The North Americans nf Antiquitt/, p. 37.
{h) But. nf the Buffalo Society of Nalural flist. March., 1877. La plus grande de ces
tortues ne mesurait que 2 pouces 1/8 de longueur, et l'épaisseur du cuivre avait été ré-
duite par le martelage à 1/64* de pouce.
De Naoaillac, Amérique. 12
i78 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
leurbrune fabriquée avec du poil, soit de lapin, soitdecervide(l),
enfin d'une dernière enveloppe tirée des intestins d'un animal.
Il était recueilli sous ce même mound, des dents de cervide per-
cées de trous de suspension et recouvertes de plaques très
minces de cuivre. Ces dents étaient enveloppées d'étoffes pa-
reilles à celles que nous venons de décrire.
Les mounds de l'Ohio, dont les fouilles ont été si fructueuses
pour la science, ont aussi donné un morceau de cuir très bien
conservé qui pouvait avoir de 8 à 10 pouces de longueur et qui
était orné de nombreux grains de cuivre de forme ovale. C'était
un fragment de vêtement, ayant appartenu à un Mound-
Builder(2).
Kxpioitaiion Lg cuivrc, dont les Mound-Builders faisaient un si fréauent
des mines. ' t
usage venait des rives du lac Supérieur (3). Les ouvrages des
anciens mineurs sont disséminés sur une région longue de 150
miles, sur une largeur variant de 4 à 7 miles, appelée aujour-
d'hui la zone du Trap. La pointe Kenenaw s'avance en éperon
dans le lac sur une longueur de 70 miles; les gisements de
minerais, qui y abondent, avaient été exploités dans des temps
très reculés ; mais tout vestige était effacé, tout souvenir des vieux
mineurs était perdu, lorsqu'en 1848, les travaux d'une compagnie
minière vinrentles révéler. Laprofondeurdesexcavationstoujours
à ciel ouvert, variait de 20 à 30 pieds, c'était la limite extrême que
ces ouvriers inexpérimentés osaient atteindre ; le cuivre s'y rencon-
traiten masses, variant de quelques grammes à des milliers de kilo-
grammes. Dans une excavation, que les années avaient comblée
par les éboulements de terrain et les détritus végétaux, débris de
plusieurs générations d'arbres, on rencontrait, à 18 pieds environ
de la surface, un bloc de métal mesurant 2 pieds de longueur sur
(1) L'examen microscopique n'a pu déterminer d'une manière satisfaisante la nature
du poil. Nous savons seulement que les Nahuas fabriquaient avec du poil de lapin
une étoffe égale à la soie comme finesse.
(2) School House Mound (Ohio). Andrews, Report Peabody Muséum, t. II, p. 65.
(3) G. Jackson. Geoîogical Report to the U. S. Government, 1849. — Foster and
Whitney, Re/fort on the Geology of tlic Lake Superior Région, part. I, 1850. — Ch.
Whittlesey, A ncie7it Mining on the SItores of Lnke Superior; Am. Ass. Montréal, Ca-
nada, 1857. — Swincford, Reuiew of Ihc Minerai Ressources of Lake Superior, 1876.
MÉTAUX. 179
3 pieds de largeur et 2 pieds d'épaisseur, d'un poids de près de
six tonnes (1). Cette masse était posée sur des rouleaux d'un
diamètre de six à huit pouces, dont les extrémités portaient encore
les marques d'un instrument tranchant. Les mineurs l'avaient
fait monter de cinq pieds environ ; puis ils avaient renoncé h une
entreprise au-dessus de leurs forces ou des moyens dont ils dis-
posaient. Les procédés d'exploitation étaient des plus simples; les
ouvriers allumaient dans la mine de grands feux, et quand le
rocher était friable, ils le brisaient à grands coups de maillet.
On a recueilli plusieurs de ces maillets, les plus lourds pèsent
jusqu'à trente-six livres, et un nombre plus considérable encore
de petits marteaux en serpentine ou en porphyre. M. Rnapp,
qui, le premier de nos jours, a dirigé ces exploitations, raconte
avoir retiré de ces mines, la charge de dix charrettes en outils
de pierre de toute sorte. Dans une excavation plus profonde que
les autres, on rencontrait une échelle toute primitive ; c'était le
tronc d'un jeune arbre, dont les branches coupées à des hauteurs
inégales remplaçaient les échelons ; sur d'autres points, des
pelles, des leviers, des écuelles en bois de cèdre, préservés de la
destruction par l'eau dans laquelle ils baignaient. Partout avec
les outils de pierre, on a découvert des outils en cuivre, portant
pour la plupart les traces d'un long service (2).
Différentes analyses du cuivre du lac Supérieur ont montré son
identité avec celui recueilli sous les mounds. Les unes et les au-
tres donnent la même proportion d'argent ; et l'on sait que ce der-
nier métal se trouve en quantité toujours variable, dans les divers
gisements de cuivre.
Les dépôts de l'île Royale étaient plus riches encore que ceux
de la pointe Renenaw (3). Ils s'étendaient sur une longueur de
quarante miles, et le sol est encore couvert d'excavations an-
ciennes, creusées pour atteindre le minerai. On estime que la
(1) La tonne anglaise usitée en Amérique vaut 10,181 kilogrammes.
(2) Un maillet pesait plus de vingt livres. Comme tous les autres objets en cuivre,
avait été obtenu par le martelage à froid.
(3) H. Gillman, Aiicient Works Isle Royal. Smith. Cont., 1873.
180 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
végétation qui s'élève sur les exploitations minières des grands
lacs, accuse une durée approximative de dix siècles. A l'époque
de l'arrivée des premiers Européens, ces exploitations avaient
cessé depuis plusieurs siècles (1); ce sont les seuls faits chrono-
logiques que nous puissions avancer avec quelque certitude.
Il a été trouvé des traces d'exploitations minières sur plusieurs
autres points de l'Amérique du Nord, dans l'Arkansas, dans
le Missouri, sur les flancs des monts Ozark (2). Le capitaine
Peek a observé auprès de la rivière Ontanogen (3), à une pro-
fondeur de huit mètres, des maillets et d'autres outils en con-
tact avec une veine de cuivre (4). Un peu plus haut gisait le
tronc abattu d'un vieux cèdre ; un sapin en pleine vigueur
entourait le cèdre de ses racines. Ce sapin avait au moins trois
cents ans. A cette durée, il faut ajouter celle du cèdre qu'il rem-
plaçait, puis un temps plus long encore, pour que la tranchée
abandonnée fût remplie par les lentes accumulations des hivers
successifs et offrît aux arbres, la terre végétale indispensable à
leur croissance.
Le cuivre paraît avoir été le seul métal employé d'une manière
usuelle par les Mounds-Builders. On ne connaît nulle découverte
d'or bien authentique ; l'argent était rare et on ne l'a rencontré
jusqu'ici, que sous quelques tertres de Mound-City et là seule-
ment en feuilles très minces qui recouvraient soit des coquilles,
soit des ornements en cuivre et cela avec tant d'art, qu'on ne peut
reconnaître qu'avec beaucoup de peine le travail de l'ouvrier.
Cet argent devait provenir du lac Supérieur où il se trouve
quelquefois en petites masses à l'état natif.
Le fer était inconnu (5) ; telle est l'opinion généralement ad-
(1) Stronck, Repères chronologiques. Cong. des AméricanUtes. Luxembourg, 1877,
t. I, p. 318.
(2) Sclioolcraft, Archives of Aboriginal Knowledge, t. I, p. 101. Des mines de cui-
vre existent également au Mexique; mais rien ne prouve qu'elles aient été exploitées
avant l'arrivée des Conquistadores. F. von Heliwald, Cong. des Americ. Luxembourg,
1877.
(3) Petite rivière de l'État de New-York.
(4) Lubbock, l' Homme préh . ^ ivz.A. Barbier, p. "i.'iS.
[b) « Iron ore and galena occur. but no iron or lead. » Baucroft, /. c, t. IV, p. 778.
MÉTAUX. 181
mise ; et dans les nombreuses fouilles entreprises sur bien des
points et dans bien des régions différentes, il a été impossible
d'en relever le moindre fragment. M. Conant cependant a pré-
tendu prouver le contraire (1) ; en creusant un puits auprès de
Cincinnati, nous dit-il, on rencontra à 94 pieds au-dessous du sol,
un tronc d'arbre qui portait les marques d'un instrument tran-
chant et sur lequel on crut reconnaître quelques traces de rouille.
A Payson Farm (Utah), sous l'un des mounds explorés, un sque-
lette tenait, encore une arme, dont la lame parut être de fer ou
d'acier ; mais sa rapide décomposition ne permit qu'un examen
trop superficiel, pour hasarder une conclusion (2). Une lettre du
professeur Tice, météorologiste distingué, raconte la découverte
dans un des comtés de l'Illinois d'un outil en fer, auquel il attri-
bue une grande antiquité. Un sabre de vingt pouces de longueur,
trouvé sous un mound et présentant un tranchant très affilé est
conservé au Peale Muséum à New- York. Sous un grand tertre
situé à Circleville, gisaient plusieurs squelettes et à côté d'eux
de nombreux objets en pierre et en os, parmi lesquels un manche
en corne d'élan (3) avec une virole en argent. La lame avait dis-
paru ; mais un amas de poussière brune indiquait encore sa
forme et le métal employé. Dans ce même monnd, à côté d'un
autre squelette, qui comme les premiers portait des traces évi-
dentes de crémation, on recueillait une grande plaque de mica
de trois pieds de longueur, sur un pied de largeur : c'était un
miroir enchâssé dans un cadre de fer très mince obtenu par la
fusion et qui se pulvérisa au premier contact de l'air. Ces der-
nières observations dues à M. Atwater_, archéologue distingué qui
assistait personnellement aux fouilles, sont les seules qui méritent
(1) Foot Prints oj Vanished Racs, p. 110.
(2) Amasa Potier, Emeka Sentinel of Nevada-Western Reviem of science nnd In-
duitrij. M. Conant cite ces découvertes comme récentes ; mais il oublie de nous don-
ner leurs dates. L'évidente exagération du récit détruit toute confiance. Nous avons
même hésité à le reproduire, tant il faut se défier des rapports toujours à sensation
des journaux américains.
(3) Alces Mal' ht, Alces antiquorum (Ruppell), Cervus alces, (Linné), l'E/A des Améri-
cains et des Anglais. C'est le plus grand cervide connu, ses bois pèsent quelquefois
jusqu'à 60 livres.
182 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
quelque créance; mais en admettant mêqie leur complète exacti-
tude, ces faits isolés feraient supposer un remaniement et ne sau-
raient contredire les preuves si nombreuses et si positives de
l'absence du fer, à l'état de métal utile, chez les premiers habi-
tants de l'Amérique.
Ces hommes ignoraient aussi tout procédé de fusion (1) et
leurs armes ou leurs outils de cuivre étaient obtenus, nous l'avons
rappelé à plusieurs reprises, par le martelage. Une découverte
récente tendrait à modifier cette opinion et à prouver que sur un
point tout au moins, les Mounds-Builders connaissaient l'art de
fondre les métaux. Des fouilles récentes dans le Wisconsin, ont
donné non seulement des instruments en cuivre fondu, mais
encore les moules qui avaient servi au moulage. Il serait utile
que d'autres faits vinssent confirmer une assertion qui détruit ce
qui était généralement admis jusqu'ici (2).
Culture. Les traccs d'une ancienne culture attribuée aux Mound-Buil-
ders sont nombreuses dans les États de l'Ouest, notamment dans
le Michigan et dans l'Indiana (3). Ce sont des levées parallèles
qui couvrent souvent des superficies considérables, plusieurs
centaines d'acres par exemple, et auxquelles les Américains ont
donné le nom significatif de Garden-Beds. On rencontre ces
mêmes levées dans le Missouri et dans tout le pays à l'ouest du
Mississipi ; elles s'étendent dans les vallées formées par les monts
Ozark, depuis le comté de Pulaski jusqu'au golfe du Mexique au
sud, jusqu'aux rives du Colorado et jusqu'au Texas à l'Ouest ; au
Nord enfin, jusqu'aux territoires formant aujourd'hui l'Etat
(1) « There is no évidence that this métal was ever obtained from ore by smelting...
The Mound-Builders were ignorant of the arts of casting, wolding and allaying » ; Ban-
croft, /. c, t. IV, p. 778.
il) Ces lignes étaient écrites, lors que j'ai eu connaissance d'une lettre de M. Putnam
du 17 novembre 1881, intitulée « Were ancient Implemcnts hamme^-ed or mou'ded
into shope. Le savant professeur conclut comme moi, que l'on n'a jusqu'à prosent, au-
cune preuve sérieuse de l'emploi du moulage. Outre le martelage, ajoute-t-il, ces
hommes se servaient d'un autre procédé, le métal en fusion était roulé entre deux
pierres plates et amené ainsi à la forme voulue.
(3) Schoolcraft, Ancient Garden Beds in Grand River Valley (Michigan), /. c, t. I,
p. 50 et pi. VI. — Conant, /. c, p. 05.
CULTURE. 183
d'Iowa. Leur diamètre varie de dix à soixante pieds; leur éléva-
tion de deux à trois pieds. Les fouilles nombreuses et minutieuses
n'ont donné aucune relique, aucun ossement, aucun fragment de
poterie, aucun amas de cendres ou de charbons pouvant attester
le séjour ou la sépulture de l'homme. On ne saurait donc les
comparer ni aux Rjôkkenmôddings, ni aux mounds sépulcraux.
Le professeur Forshey nous apprend aussi leur existence dans
la Louisiane; là les dimensions sont plus considérables; leur
diamètre varie de trente à cent quarante pieds (1) ; leur hauteur
atteint cinq pieds, pour descendre jusqu'à quelques pouces dans
les marais immenses, qui s'étendent au loin sur les rivages du
golfe. Sur quelques points ces levées se touchent, et entre Gai-
veston et Houston, entre la rivière Rouge et Ouicheta, on les
compte par milliers. En les décrivant devant l'Académie des
sciences de la JN'ouvelle-Orléans, M. Forshey ajoutait : « Ces levées
n'ont pu servir de fondation à la demeure des hommes ; aucun
des animaux fouilleurs connus n'exécute de semblables travaux ;
les ouragans ne sauraient accumuler les matériaux avec une
telle régularité. 11 est impossible de rien dire de précis sur leur
origine, elle me semble inexplicable. » D'autres archéologues
sont plus affirmatifs; pour eux ces levées n'ont pu servir qu'à la
culture et leur but était de remédier à l'humidité du sol,
aujourd'hui encore le grand obstacle que rencontrent les culti-
vateurs, dans les riches plaines de l'Ouest.
Si nous devons en croire certains Américanistes, les Mound-
Builders cultivaient le maïs, les haricots (2), peut-être même la
vigne. Un explorateur récent décrivant les fouilles d'un mound
dans l'Utah (3), rapporte avoir trouvé une poignée de blé, dont
quelques grains soigneusement ramassés, ont donné, l'année
suivante, un épi singulièrement long, portant des grains nom-
breux et d'une forme tout à fait distincte des céréales actuelles ;
mais, nous l'avons déjà dit, tout le récit de cette découverte est
(1) Le diamètre de 140 pieds, faut-il ajouter, ne s'est rencontré qu'une seule fois.
(2) Les frijoli, importés par les Espagnols en Europe.
^3) Amasa Potter. Voy. note 2, p. 181.
184 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
accompagné d'une telle exagération, qu'il est impossible de
l'admettre jusqu'à plus ample informé.
Origine et Eu résumé, durant des siècles, dont il est bien difficile dans
migrations
des Mound- l'état actucl de nos connaissances, de supputer la durée exacte,
Builders. ' ri" '
une môme race couvrait toute la vaste région comprise entre le
Mississipi et les AUeghanys, entre l'Ohio au Nord et le golfe du
Mexique au Sud. Ces populations étaient nombreuses, à en juger
par les constructions qui permettent de les connaître ; homo-
gènes, car partout nous constatons les mêmes rites funéraires et
religieux, les mêmes arts et la même industrie; sédentaires, des
nomades n'auraient élevé ni de semblables temples, ni de sem-
blables retranchements; pastorales et agricoles, la chasse seule
n'aurait pu fournir à leurs besoins; soumises à des chefs, une
autorité despotique était indispensable, pour exécuter les travaux
qui restent leurs témoins ; commerçantes enfin, car sous les mêmes
mounds, on rencontre le cuivre du lac Supérieur, le mica des
AUeghanys, l'obsidienne du Mexique, les perles et les coquilles
du golfe. Tout témoigne que ces hommes, dont nous recher-
chons les traces, s'étaient élevés depuis longtemps au-dessus de la
barbarie des premiers âges et qu'ils étaient parvenus à un état de
civilisation comparative. 11 est certain que, comme chez toutes
les races barbares, dont l'histoire nous permet de suivre l'évo-
lution, cette civilisation n'avait pu se former que lentement et
progressivement.
Quels étaient ces hommes, dont les travaux excitent un si
juste étonnement, nous faut-il maintenant demander? comment
ces constructeurs ont-ils disparu? S'ils étaient autochthones où
ont-ils puisé leur connaissance de l'architecture, des arts utiles,
de l'agriculture? S'ils étaient arrivés par immigration de régions
voisines ou de continents éloignés, quels étaient ces continents?
Quelles étaient ces régions? Par quelle voie les Mounds-Builders
sont-ils venus et comment tout souvenir de leur disparition s'est-il
effacé de la mémoire de leurs vainqueurs ou de leurs succes-
seurs ? On ne peut dissimuler ni la portée de ces questions
pour le passé de la race humaine, ni l'impossibilité actuelle de
ORIGINE ET MIGRATIONS. 185
leur donner une solution même incomplète. Nous ne pouvons
qu'exposer les données du problème et les opinions qui se sont
successivement fait jour.
Deux courants divisent ceux qui se sont plus particulière-
ment livrés à ces études, dont les préoccupations religieuses
viennent malheureusement aggraver les difficultés, déjà si
grandes par elles-mêmes. Pour les uns, les Indiens actuels repré-
sentent les Mound-Builders; les autres au contraire affirment
que les constructeurs des grands tertres ont absolument disparu
et se refusent à admettre que les sauvages barbares et nomades
qui vivent encore dans l'Amérique du Nord, puissent être leurs
descendants. Il convient d'examiner tour à tour les arguments et
les objections qui ne font défaut à aucune des théories mises en
avant.
Ce qui est vrai, c'est que les mounds présentent entre eux
une telle analogie, qu'ils ne peuvent être que l'œuvre d'une race
unique. « They, were ail built by one people » a-t-on dit avec
infiniment de raison (I); ce qui est non moins certain, c'est que
leur érection a nécessité de longs siècles. Les hommes qui ont
exploité les mines du lac Supérieur, qui ont érigé des mounds
tels que ceux de Newark, de Portsmouth, de Cincinati, de Chili-
cothe, de Gircleville, des fortifications comme celles de l'Ohio,
ont longtemps vécu dans ces régions, sans que l'on puisse fixer
les limites exactes de leur occupation. La question de temps est
tellement connexe à celle de l'origine, qu'il est impossible de
les séparer.
Une première remarque s'impose : dans les cavernes et sous Les Mound-
,,,.,,„ Builders ont
les tumuli de 1 Europe on retrouve de nombreux ossements disparu, sans
laisser de
humains, datant souvent de l'antiquité la plus reculée, tandis descendants.
qu'il n'en est pas de même en Amérique. Là, les fouilles ne
donnent le plus souvent que quelques petits amas de poussière
blanche, derniers vestiges de l'homme, et jamais on n'a mieux
compris qu'en les contemplant, la vérité des paroles que l'Église
(1) Conant, /. c, p. 39.
186 L'AMÉllIQUE PRÉHISTORIQUE.
catholique adresse aux fidèles : Mémento Homo, quia pulvis
es. Cette destruction provient-elle de la grande antiquité des
dépôts, ou bien de la constitution chimique du sol et de l'action
qu'elle exerce sur la rapide décomposition des ossements? Il est
difficile de se prononcer; mais il faut remarquer que des osse-
ments humains ont été trouvés sur bien des points de l'Amé-
rique et il est impossible d'admettre une constitution toujours
identique du sol dans les régions, si différentes à tous les points
de vue, où les fouilles ont été tentées.
Il a été également observé que l'on rencontre rarement les
mounds sur les assises inférieures de l'Ohio ou de ses tributai-
res (1). Presque tous sont érigés sur les terrasses formées par les
alluvions les plus anciennes; et quelques-uns ont gardé jusqu'à
nous, les traces des grandes inondations qui ont achevé le creuse-
ment des vallées. On a voulu en conclure que leur érection avait
précédé ces inondations. Ce serait là un fait capital; mais n'est-il
pas plutôt permis de supposer que ces hommes avaient su choi-
sir les emplacements de manière à éviter les grandes eaux, dont
ils avaient appris de bonne heure à connaître les désastreux
effets (2).
Les géants de la forêt ont couvert les terrassements artificiels,
et plusieurs générations d'arbres ont succédé tour à tour (3) à
la demeure de l'homme. Ces changements ont sûrement exigé
un temps très long. « La marche que suit la nature pour re-
mettre la forêt dans son état primitif, après qu'elle a été défri-
chée, est extrêmement lente, disait le général Harrison dans un
(1) La diflférence de niveau entre les hautes et basses eaux est de 35 pieds pour le
haut Mississipi, de 30 à 35 pieds pour le Missouri et de 42 pieds pour l'Ohio.
(2> Des découvertes nouvelles permettent d'ajouter que quelqu'uns des mounds s'é-
lèvent sur le sol formé par les alluvions les plus récentes. Ce fait prouverait que
l'érection des mounds a duré de longs siècles.
(3) Sur plusieurs points on a constaté que des arbres six fois séculaires croissent
sur la poussière d'une forêt préexistante. Les arbres se sont affaissés sur le sol pour
y devenir la proie lente de la pourriture végétale. On aperçoit des aspérités ou des
bosses provenant de la terre qui a été soulevée par les racines au moment de la chute,
c'est la présence de ces bosses qui atteste, sans qu'il soit possible de s'y méprendre,
que la forôt s'est renouvelée. Stronck, Repères chion. de l'Iiist, des Mound-Builders.
— Force, tfie Pre/nsloric Mau., p. 63.
ORIGINE ET MIGRATIONS. 187
discours que j'ai déjà rappelé (1). Les riches terres de l'Ouest
sont, il est vrai, bientôt recouvertes; mais le caractère de la nou-
velle forêt est essentiellement différent, et cette différence per-
siste longtemps. Sur plusieurs points de l'Ohio, sur la ferme
même que j'occupe, on a fait des défrichements à l'époque où le
pays a commencé à être habité. Plus tard les parties défrichées
ont été abandonnées et l'on y a laissé repousser les arbres. Quel-
ques-unes de ces nouvelles forêts ont maintenant plus de cin-
quante ans; mais elles sont si peu semblables à la forêt immé-
diatement contiguë, que tout homme qui réfléchit, doit, en les
voyant, arriver à la conclusion qu'il faudra au moins dix fois cin-
quante ans avant que l'assimilation soit complète. Nous retrou-
vons dans celles qui recouvrent les anciens travaux, toutes les
variétés d'arbres qui donnent à nos forêts une beauté sans égale.
Quand la forêt a été défrichée et qu'elle est ensuite abandonnée
à la nature, elle reste presque homogène et ne consiste souvent
qu'en une, deux ou tout au plus trois essences... Quelle immense
antiquité doivent donc avoir les travaux dont on a si souvent
parlé, recouverts qu'ils sont par des forêts qui se sont renouvelées
au moins deux fois depuis leur abandon. »
Lapham lui-même, si peu disposé à admettre la grande anti-
quité des mounds, n'hésite pas cependant à attribuer au crâne
trouvé par lui à Racine, une date minima de dix siècles (2).
M. Barrandt cite sur la rivière Yellowstone (3), une véri-
table ville, à Mound-Citf/, comme il l'appelle, ayant des ave-
nues parfaitement droites et des tertres construits à des distances
régulières. Une autre ville à peu près semblable sur la rivière
Moreau, renfermait près de deux cents mounds; une troisième
enfin s'élevait sur les bords du Grand Cheyenne (Nebraska).
Dans le Missouri et dans l'Arkansas, on voit aussi des tertres
assez nombreux de forme elliptique, mesurant de cinq à
(1) Trans. Hist. Soc. nf Ohio, t. I, p. 263. — Voy. aussi Arch. American, t. I, p. 306.
(2) The Antiquities of Wisconsin, p. 19.
(.3) Smilh. liepoi't, 1870. La rivière Yellowstone se jette dans le Missouri, après un
parcours de 1,600 kilomètres.
188 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
sept mètres de longueur et ne s'élevant guère que de trente à
cinquante centimètres au-dessus du sol. Tous sont symétrique-
ment rangés, avec des passages se coupant à angles droits comme
nos rues (1). Les fouilles n'ont donné que des charbons ou des
fragments de poterie grossière, ne pouvant fournir aucune indi-
cation utile (2). Cette régularité, cette symétrie sur tant de
points différents, paraissent une réponse péremptoire à ceux qui
veulent attribuer ces travaux aux Indiens, car il est remarquable
que ceux-ci n'observent jamais un ordre semblable dans l'érec-
tion de leurs habitations ou de leurs wigwams. Avant de les
élever ils creusent la terre autour des fondations, l'emplacement
est donc marqué par une excavation, ce qui permet de les distin-
guer facilement des travaux des Mound-Builders. Nous avons
précédemment montré (3) que des différences analogues se ren-
contraient dans les fortifications (4). Les Indiens ne présentent ni
dans leur langage, ni dans leurs mœurs, ni dans leur industrie,
cette unité si frappante chez les races que nous étudions ; ils sont
incapables de creuser des canaux, d'utiliser par le martelage
le cuivre qu'ils rencontrent dans leurs voyages, de fabriquer
des poteries semblables à celles produites par ces hommes
inconnus (5).
Sur aucun point enfin, on ne trouve chez eux une tradition
sérieuse sur l'origine des mounds; nulle part ils ne prétendent
les attribuer à leurs ancêtres (6) ; nulle part ils ne leur témoignent
(1) J. Dille, SmWi. Report, 1866.
(2) Dans les environs, il a été recueilli de nombreuses pointes de flèches en jaspe
et en agate, des haches en syénite et en porphyre ; mais on ne peut établir aucune
connexité entre ces instruments et les mounds {Narrative ufa Journey ncros theCor-
dillera of the Ande-. London, 1825).
(3) Chap. III, p. 101.
(4) « The practice of throwing up an embankment at the foot of pahsades, although
seemingly a very natural one, does not however seem to hâve been noticed among he
Indian tribes of New-York » (Bancroft, l. c, t. IV, p. 750).
(5) « They far exceed anything, dit Squier, of which the existing tribes of Indians
are known to bave been capable. «
(6) Bartram {Travels through North and South Carotina, Georgii etc., Phila-
delphia, 1791) notamment rapporte que les Indiens du Sud attribuent à une race
étrangère les mounds, même ceux sur lesquels leurs chefs avaient établi leur
demeure.
ORIGINE ET MIGRATIONS. 189
le respect superstitieux, dont ils entourent la sépulture des leurs.
Mais il est juste d'ajouter qu'à l'exception des Creeks, il n'est
peut-être pas une seule de ces tribus Indiennes en possession
d'une tradition de quelque valeur sur sa propre histoire, remon-
tant à plus d'un siècle, et que ce fait, tout extraordinaire qu'il
puisse paraître, se rencontre fréquemment chez les races barba-
res, absorbées qu'elles sont par les dures conditions de l'exis-
tence.
Ainsi donc l'ancienneté des mounds, l'unité de leur concep-
tion, la similitude de leur construction, conduisent à la même
conclusion. Entre cette race intelligente et artistique et les
Indiens sauvages et nomades, nul lien n'a pu exister ; les Mounds-
Builders vaincus ont pu être chassés des régions qu'ils habitaient ;
ils ont pu être rejetés vers le sud; ils ont pu disparaître dans de
longues et sanglantes guerres ; ils ont pu être décimés par des
maladies pestilentielles (1); rien ne permet de supposer que les
Peaux Rouges soient leurs descendants dégénérés.
L'opinion contraire est soutenue avec non moins de conviction. Pourdautrcs
S'il est vrai que l'on ne trouve chez les Indiens du INord aucune ^rerZdrens'
construction qui rappelle celles des Mound-Builders, et que preTentent
souvent ils n'ont même pas pour la sépulture de leurs morts, suiiders.
songé à utiliser les tertres qui se dressaient devant eux, tant
leur paresse était indomptable, on peut dans d'autres régions,
citer des faits différents. Les Kickapoo qui habitaient le sud de
l'IUinois, les Shawnees (2) établis auprès de ÎNashville, ensevelis-
saient leurs morts, et cela jusqu'à une période récente, dans des
Stone-Graves. Ce fait, faut-il ajouter, est contesté (3) et fût-il
(1) Les maladies pestilentielles si terribles dans l'antiquité, où nul secours, nulle
précaution hygiénique ne venaient les arrêter, peuvent bien avoir contribué à l'ex-
tinction d'une race. Le Matlaznatl est un fléau cruel qui paraît n'attaquer que les seuls
Indiens. Torquemada dit qu'il enleva 800,000 hommes en 1545 et près de 2 millions
en 1576. Hutchinson raconte à son tour que peu de temps avant l'arrivée de Penn et
de ses compagnons (1682), certaines tribus du Massacbussetts avaient été réduites de
.30,000 à 300 âmes.
(2) Les Kickapoo et les Shawnees ou Chaouanons faisaient partie de la grande tribu
des Lenapes.
(3) Par M. L. Carr notamment. Observations on the Crania from Ihe Stone-Graves
of Tennessee. He/jO't Peabody Muséum, t. II, p. 361 et s.
190 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
exact, rien ne prouverait qu'ils ne se soient pas servis de cham-
bres sépulcrales construites avant leur arrivée dans le pays.
Le témoignage des historiens espagnols est plus important.
Garcilaso de la Vega (1) raconte le mode employé par les In-
diens au moment de la conquête, pour fonder une ville. « Ils
apportent, dit-il, des quantités considérables de terre avec laquelle
ils forment une plate-forme de deux à trois piques de hauteur et
assez large, pour renfermer dix à douze maisons, au besoin
quinze ou vingt. C'est là que logent le cacique, sa famille et ses
principaux serviteurs. Au pied du tertre, ils tracent un carré
conforme à l'étendue qu'ils veulent donnera leur ville, les prin-
cipaux chefs y établissent leurs demeures; le menu peuple enfin,
se groupe autour d'eux. » Plus loin (2), Garcilaso décrit la ville de
Guachoule située auprès des sources de la Coosa, non loin du
pays des Achalaques (3) ; la maison du chef était située sur une
éminence terminée par une plate-forme, ou six hommes pou-
vaient se tenir debout. Ne serait-ce pas là une explication satis-
faisante de l'origine des tertres?
Les témoignages concordants des anciens explorateurs mon-
trent la vallée du Mississipi et plus particulièrement les régions
qui forment aujourd'hui les États d'Alabama, de Floride et de
Géorgie, habitées par des nations belliqueuses qui cultivaient la
terre, vivaient dans des villes fortifiées, érigeaient leurs temples
sur des éminences souvent artificielles et adoraient le soleil.
Ce furent ces hommes qui repoussèrent INarvaez, lors qu'en
1528, il chercha à conquérir la Floride (4). Ce fut contre eux
que Hernandez de Soto lutta quatre ans. Il livra des batailles
meurtrières dans la Floride, la Géorgie, le Tennessee, le Missis-
sipi, TAlabama et l'Arkansas. Partout il trouva une population
(!) Hist. de fa conquête de la Floride, ou Relation de ce qui s'est pas<!é au voyage de
Ferdinand de Soto, pour la conquête de ce pays. La Haye, 1735, 1. 1. p. 136.
(2j L. c, t. I, p. 294. — On peut aussi consulter A. J. Picket, Hist. of Alabama.
Oiarleston, 1851, t. I, p. 8.
(3) Fraction de la tribu des Cherokees.
(i) Il est juste de dire que l'armée de Narvaez ne se composait que do 400 antas-
sins et de 20 cavaliers.
ORIGINE ET MIGRATIONS. 191
nombreuse. Les villes étaient entourées de murailles en terre,
des tours aidaient à la défense que de larges fossés venaient com-
pléter (1).
Squier rapporte à son tour chez les Creeks, les Natchez et les
autres tribus du Sud, des traces de constructions, qui, si elles
ne rappellent pas entièrement les enceintes régulières de l'Ouest,
semblent tout au moins avoir quelque analogie avec elles, et la
description que nous lui empruntons des Chiink-Yards (2), est
certainement une preuve de plus à l'appui de son opinion.
Les Chunk- Yards (3) encore en usage chez les Creeks et qui ont
été tout récemment abandonnés chez les Cherokees, sont des
places rectangulaires, occupant le centre de la ville, fermées sur
les côtt's, mais avec une porte à chaque extrémité. Ces places ont
quelquefois de 8 à 900 pieds de longueur; les plus grandes sont
dans les plus vieilles villes. Toutes sont nivelées et légèrement
excavées. Les terres enlevées ont servi à établir une petite terrasse
basse sur les côtés ; au centre est un monticule peu élevé, sur
lequel se trouve le Chiink-Mat, au sommet duquel est l'objet des-
tiné à servir de cible. Aux extrémités, il y a des pièces de bois
d'environ douze pieds de hauteur, on les appelle les mâts à
esclaves, parce que dans le bon vieux temps, les captifs con-
damnés à la torture y étaient attachés. »
« Immédiatement à l'extérieur de ces places, se trouve une en-
(1) A Pascha, par exemple, à l'O. du Mississipi, les Espagnols trouvèrent une ville for-
tifiée entourée d'un fossé assez large, pour que deux canots pussent y naviguer de
front. Ce fossé avait 9 miles de long et communiquait avec le Mississipi.
(2) Ancient Monuments of the Mùsissipi Valley, p. 120.
(3) Leur nom vient d'un jeu indien. Catlin le décrit chez les Mandansetlui donne le
nom de Tchimgkee [Illustrations oftUe Manners, Customs and Conditions ofthe Norih,
American Indians. Londou, 18G6, t, I, p. 132). Adair avait déjà raconté le Chuny
Lee chez es Cherokees {Hist of the Am. hidin^. London, 1775, p. 401). — Jones
a trouvé le* même jeu chez les Indiens du Sud {A7it. i>f the Southern Indians) Bar-
tram, chez ceux de la Caroline (/. c). M. L. Carr reproduit un grès poli avec soin, do
orme légèrement elliptique mesurant 111 millimètres sur son plus grand axe et
44 mill. d'épaisseur. Cette pierre a été trouvée sous Ely-Mound (Virginie), d'autres
semblables ont été rencontrées sur divers points et on a supposé qu'elles servaient
au jeu favori des Indiens (l<e/)ort Peabolij Muséum, t. II, p. 91). On peut consulter,
sur toutes les questions relatives aux Mound-Builders, un excellent mémoire du rev.
S, D. Pcct, American Antiquarian, 1880.
192 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ceinte circulaire à sommet plat, sur laquelle est élevée la maison
du grand Conseil; à l'autre extrémité, est un tertre carré, égale-
ment à sommet plat, à peu près aussi élevé que le tertre circu-
laire dont nous venons de parler; c'est la place publique. »
Des découvertes récentes sont venues confirmer ce récit (1),
sous un mound de forme conique, situé dans Lel County (Vir-
ginie), mesurant environ dix-neuf pieds de hauteur, sur trois
cents pieds de circonférence à sa base, on a mis au jour un cer-
tain nombre de poteaux en bois de cèdre, disposés à des interval-
les réguliers, de manière à former un cercle, et un poteau beau-
coup plus élevé, placé au centre et destiné sans doute à soutenir
la couverture. C'était la salle du conseil, le lieu de l'Assemblée
de la tribu, assez semblable à celle dont un voyageur du siècle
dernier nous a laissé la description. « C'est, dit-il en parlant
de la chambre du conseil des Cherokees (2), une rotonde assez
spacieuse pour renfermer plusieurs centaines de personnes. Elle
s'élève sur un ancien tertre artificiel de vingt pieds de hauteur;
et la rotonde pouvant avoir trente pieds, donne une élévation
totale de cinquante pieds à partir du sol; mais il convient de re-
marquer que le mound sur lequel la rotonde s'élève, est bien
plus ancien que l'édifice et avait probablement une autre desti-
nation. Les Cherokees sont aussi ignorants que nous pouvons
l'être, du but pour lequel ces tertres artificiels avaient été cons-
truits. »
Ainsi donc les Indiens du Sud auraient non seulement utilisé
les mounds pour l'habitation de leurs chefs ou leurs chambres du
conseil, mais ils les auraient encore imité dans l'établissement
de leurs Chunk-Yards. Ces faits, tout vagues qu'ils sont, avaient
cependant modifié les premières impressions de Squier et
l'avaient amené à une conclusion à laquelle il ne s'attendait
guère, nous apprend-il lui-même, en commençant ses recher-
ches. Dans ses dernières études, il accepte l'opinion que les for-
tifications en terre situées dans la partie occidentale de l'État de
(1) Report Peubodii Mus., t. II, p. 75 et s.
(2) Bartjam, /. c, p. 367 et s. ^ ^
ORIGINE ET MIGRATIONS. 193
New- York, avaient été élevées par les Iroquois et que leur érec-
tion n'avait guère précédé leur découverte (1). Il est vrai qu'il
ajoute qu'il n'y avait pas, au seizième siècle, une seule tribu
Indienne entre l'Atlantique et le Pacifique, sauf les tribus à
demi civilisées du Sud, qui eût les moyens de subsistance suf-
fisants, pour appliquer à des ouvrages improductifs la somme
nécessaire de travail ; il n'en était pas non plus une seule dans
un état social tel, que l'on pût contraindre le peuple à les entre-
prendre. La contradiction que nous voyons partout dans les faits
peut seule expliquer celle qui se rencontre si souvent dans les
conclusions, et même dans celles des hommes les pi us compétents.
Southall relève avec un parti pris très évident tout ce qui lui
semble prouver non seulement l'origine indienne, mais encore
la construction récente des mounds (2). Ses recherches nous mon-
trent les Iroquois ayant un gouvernement qui embrassait cinq
nations (3). Ils se livraient à l'agriculture et surent maintenir
pendant près de deux siècles leur indépendance contre les Hol-
landais et contre les Français. Leur territoire s'étendait du Saint-
Laurent au Tennessee et à l'Ohio; la navigation ne leur était pas
étrangère, et les anciens voyageurs ont rencontré leurs canots
jusque dans la baie de Chesapeake. Dès lors, ils avaient aban-
donné leurs habitudes nomades, et nous possédons des des-
criptions fort exactes de leurs villages et de leurs habitations (4).
Il en était de même sur d'autres points. Au commencement du
dix-septième siècle, Slrachey voyageant en Virginie raconte (5)
qu'il vit les Indiens, habitant des maisons construites en bois, culti-
(1) M. Peet distingue avec raison les travaux dérensifs qui se rencontrent dans
l'État de New- York, de ceux de l'Ohio ; ils présentent de notables différences dans
leur construction et peuvent bien être l'œuvre de races différentes.
(2) Récent Origin of Man, c. xxxvi, p. 530 et s.
(3) Ces cinq nations étaient les Mohawks, que quelques relations françaises appel-
lent aussi Agniers, les Onéïdas, les Onondagas, les Cayngas et les Senecas ou Tson-
nontouas. Ces nations, d'après les Jésuites, comptaient, en 1665, 2,340 guerriers soit
11,700 ^mes, selon les calculs les plus généralement admis pour l'évaluation des
populations nomades.
(4) Voy. notamment le récit de Greenhalgh, qui visita en 1677 plusieurs villages
des Senecas.
(5) Historié of Travaile inio Virginia Britannia (écrit en 1618).
De Nadaillac, Amérique. 13
194 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
vantle maïs elle tabac, récoltant des pois, des haricots et des fruits.
Les Mandans, fixés dans le Haut Missouri, non loin de l'embou-
chure du Yellowstone, creusaient la terre à une profondeur de
deux pieds et y érigeaient leurs cabanes. Ces cabanes, de forme
circulaire, pouvaient avoir un diamètre de trente à quarante
pieds: elles étaient construites en matériaux solides et couvertes
en mottes de terre. Plusieurs familles vivaient ensemble; les lits
rangés en cercle le long des murailles étaient garnis de rideaux,
en peau de cervidés, ayant subi une sorte de préparation. Les
Iroquois, les Natchez, les Delawares, les Indiens de la Floride
et de la Louisiane fabriquaient des vases dont l'ornementation
et la finesse ne le cédaient en rien à la poterie des Mound-
Builders, et les pipes si curieuses dont nous avons parlé se re-
trouvent, plus grossièrement sculptées il est vrai, chez les Peaux
Rouges actuels.
11 y a deux siècles enfin, quand les missionnaires français visi-
tèrent pour la première fois les rives du lac Supérieur, les Chip-
pewas se servaient d'armes et d'outils en cuivre. Ces faits, d'au-
tres qu'il serait facile de multiplier, permettent de croire
que les Indiens avaient possédé autrefois une civilisation supé-
rieure à l'état misérable et dégradé où la défaite, l'arrivée d'une
race envahissante, l'abus de l'alcool, d'autres causes encore, ont
réduit leurs descendants.
Conclusion. Nous avous résumé les diverses opinions, il nous reste à
en tirer, et ce n'est pas sans hésitation que nous le faisons, les
conclusions qu'elles comportent. Les Peaux-Rouges, dans toute
l'Amérique, offrent une variété distincte de l'espèce humaine.
Leur peau est bistrée, allant de la couleur du chocolat à celle du
rouge de cuivre, leurs cheveux sont noirs et raides, leurs yeux
ternes et sans expression, leurs lèvres épaisses, leur front est bas,
leur figure remarquablement longue, l'os maxillaire très pro-
noncé ; les extrémités sont fines et les membres délicats. Aucun
de ces traits caractéristiques n'a varié depuis trois siècles que
nous les connaissons, leur intelligence n'a pas grandi au contact
d'une civilisation supéric^^e, leur esprit paraît incapable de pro-
ORIGINE ET MIGRATIONS. 193
grès et ilç n'ont su comprendre et s'approprier que les vices des
blancs. Nous avons dit la rareté des ossements des Mound-
Builders; il en existe cependant, dont Torigine est indubitable;
nous y reviendrons dans un chapitre spécial, et le seul point
que nous voulons retenir ici, c'est leur peu de similitude
avec ceux des Indiens. « Les résultats de toutes mes obser-
vations, dit le docteur Foster (1), un des hommes qui ont le
mieux étudié la question, me font croire que les crânes des
Mound-Builders sont caractérisés par une conformation générale,
qui les classe à part parmi les races humaines et qui les diffé-
rencie tout particulièrement des Indiens de l'Amérique du
Nord. » Je n'attache pas pour ma part, à la similitude ou à la
différence des ossements et spécialement à celles des crânes,
l'importance que veulent y mettre nos anthropoJogistes les plus
éminents. Trop souvent on rencontre sous le même mound, re-
montant aux mêmes ensevelissements, au milieu des mêmes
silex et des mêmes poteries, des crânes brachycéphales et des
crânes dolichocéphales (2), des crânes au type caucasique et des
crânes au type négroïde. La conformation des têtes peutbien être
une présomption ; elle ne saurait donner une certitude, ni jus-
tifier des conclusions encore prématurées.
Une autre considération me touche plus vivement, comment
une nation sédentaire et civilisée a-t-elle pu devenir sauvage et
nomade? Nous aurions là un fait sans exemple dans l'histoire de
l'humanité; un fait qu'il paraît difficile d'admettre. « A broad
chasm , répéterons-nous avec le docteur Foster, has to be spanned,
before we can link the Mound-Builders to the North American
Indians (3). »
Ces assertions, si vraies qu'elles puissent être, comportent ce-
pendant une distinction. Nous croyons qu'il ne faut pas confondre
les Indiens du Nord, avec ceux que les Conquistadores rencontrè-
(1) Prehisloric Races of the U. S.
(2) Nous avons cité des faits nombreux qui permettent d'arriver en Europe à la même
conclusion. Voy. Les Premiers Hommes et les Temps préhistoriques, t. I, ch. m et
t. II, ch. XII.
(3) Foster, Prehistoric Races of the U. S.
i96 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
rent dans les Etats du Sud et qui étaient dans un état de ciyilisa-
tion assurément plus avancé. On peut supposer que des tribus
sauvages venues du Nord et duNord-Ouestavaienttoutd'abord re-
poussé les Mound-Builders de l'Illinois et de l'Indiana; que ceux
de rOhio, protégés par une solide ligne d'ouvrages permanents,
avaient opposé une résistance plus efficace, mais qu'à leur tour
ils avaient été repoussés au delà du Mississipi; que la guerre
continua dans le Kentucky et le Tennessee, jusqu'au jour où les
débris de cette race antique furent refoulés dans la région qui
borde le golfe ; que là, les vaincus se mêlèrent peu à peu aux vain-
queurs et qu'unis, ils luttèrent avec courage et souvent avec
succès, contre la domination étrangère (1).
Peut-être aussi serait-il possible de retrouver les traces des
Mounds-Builders, chez les Aztecs, où les teocallis en pierre rap-
pellent par leur forme les mounds-coniques; chez les Mayas (2),
dont nous raconterons les remarquables monuments, et qui eu-
rent, eux aussi, à lutter contre de redoutables ennemis (3).
L'invasion indienne ne saurait mieux se comparer qu'à ces in-
vasions barbares, qui précipitèrent la chute de l'Empire romain
et couvrirent l'Europe de sang et de ruines. Nul n'a prétendu
rattacher les grands Romains aux Huns ou aux Germains, il est
tout aussi impossible que les Mound-Builders aient laissé pour
descendants les Indiens du seizième siècle.
Les Mound-Builders ont certainement vécu dans l'Amérique
centrale, durant de longs siècles (4) ; nul doute ne peut exister à
cet égard, mais nous ne connaissons aucune échelle chronomé-
(1) Force, A quelle race npparfenaierit les Mound'Builders {Cong. des Americanis-
tes. Luxembourg, 1877, t. I, p. 121).
(2) M. Robertson raconte qu'il a exhumé un nombre considérable de crânes de
Mound-Builders; et qu'il a toujours constaté un type assez semblable à celui rencontré
dans le Yucatan [Congrès des Americanistes. Luxembourg, 1877, f. I, p. 4-3).
(3) « My examination of the organic and monumental remains and of the works of
art of the aborigènes of Tennessee, establish the fact that they were not the relies
of the nomadic and hunting tribes of Indians existing at the time of the exploration of
the coast and the interior^'of the continent by the white race ; but on the contrary
that they are the remains of a people closely related to, but not identical with the more
civilized nations of Mexico and central America. « Jones, Smith. Cont., t. XXII, p. 88.
(4) Short, North Americans of Antiquitij, p. 101 et s.
ORIGINE ET MIGRATIONS. WT
trique, qui puisse nous permettre de compter ces siècles, d'appré-
cier la durée de ces temps, encore moins de fixer la date initiale
de l'arrivée de ces hommes dans les vallées du Mississipi ou du
Missouri. Les arbres qui poussent sur les mounds de l'Oliio dé-
passent rarement cinq ou six cents ans; dans les vallées de la Flo-
ride, sur les rivages du golfe du Mexique, ils sont moins vieux
encore. Une conclusion est facile: les mounds étaient abandonnés
quand les arbres ont germé. Mais ces arbres n'en remplaçaient-
ils pas d'autres, et pouvons-nous dire le nombre de générations
qui ont disparu depuis l'érection des tertres? Le même problème
s'était posé pour les kjôkkenmôddings; nous sommes obligés à la
même réponse.
Les mounds eux-mêmes ne peuvent rien nous apprendre (1),
Trente siècles ou cinq siècles peuvent également expliquer le dé-
veloppement de la civilisation qu'ils représentent. M. Stronck,
s'appuyant sur des raisons d'une certaine valeur, estimé que la
construction des mounds remonte aux premiers temps de notre
ère ; et qu'ils ont dû être abandonnés entre le sixième et le dou-
zième siècle (2). La limite, on le voit, est large. M. Force (3) en
datant du septième siècle l'époque la plus florissante de ce peu-
ple, si curieux d'élever des ouvrages en terre dans tous les pays où
il s'établissait, M. de Hellwald en nous montrant les Mound-
Builders contemporains de Charlemagne (4), semblent donner
une certaine adhésion à cette hypothèse. M. Short enfin, dans un
excellent ouvrage sur les Américains du Nord, nous dit que mille,
deux mille ans au plus, ont pu s'écouler depuis que les Mound-
Builders ont été forcés d'abandonner les vallées de l'Ohio et de ses
affluents ; sept à huit siècles peut-être depuis qu'ils se sont reti-
rés des rivages du golfe du Mexique. Nous n'avons pas la pré-
tention de concilier ces divergences, et nous nous contenterons
(1^ « An impenotrable mystery hangs over their cntire History. » S. Poet, Americ.
Antiq Mardi, 1880.
(2) Répertoire ci.rori'ilogiquede l'hist. des Mound-Buihlers. Cong. des Americ. Luxem-
bourg, 1877, t. I, p. 312.
(3) A quelle race appartenaient lei Mound-Buildurs.
(4) Cong. des Americ. Luxembourg, t. I, p. 50.
198 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
d'ajouter que ces dates, tout approximatives qu'elles sont, per-
mettent cependant d'apprécier ce que peut être la véritable an-
cienneté de ces races inconnues.
Ce qui est certain, c'est qu'aucune des fouilles exécutées à ce
jour n'a donné un ossement quelconque de ces gigantesques
pachydermes, de ces édentés aux formes étranges, si fréquents
durant les époques antérieures. Ne devons-nous pas en conclure
que ces animaux n'existaient plus lors de la venue des Mound-
Builders ? Un de leurs tertres cependant représente un masto-
donte (fig. 36). Des pipes de l'Iowa figurent un éléphant (fîg. 72).
Il est présumable que ces hommes avaient connu, tout au moins
par tradition, les animaux qu'ils savaient si bien imiter. Ce point,
comme tant d'autres, reste encore bien obscur.
Nous sommes en présence de conjectures plus ou moins spé-
cieuses, d'hypothèses plus ou moins fondées sur l'origine des
Mound-Builders, sur l'époque de leurs constructions, sur les
vicissitudes de leur histoire ; au fond notre ignorance reste
entière. Leur nom même, nous l'avons répété à plusieurs re-
prises, s'est effacé de la mémoire des hommes. Il faut attendre
de l'avenir ce que le présent ne peut nous donner. De nouvelles
découvertes permettront peut-être de retrouver la filiation de ces
races intéressantes, leur point de départ, leurs migrations succes-
sives, et la durée même de leur établissement dans ces régions
de l'Amérique centrale, où tant de travaux curieux restent
comme .leurs témoins impérissables.
CHAPITRE V
LES CLIFF DWELLERS ET LES HABITANTS
DES PUEBLOS.
Le dix-neuvième siècle, qui approche de son déclin, a singu-
lièrement marqué dans l'histoire de l'humanité, et jamais plus
grandes choses ne furent accomplies avec une plus merveilleuse
rapidité. Nous compterons à bon droit, parmi ceux qui ont ap-
porté un glorieux contingent à l'œuvre commune, ces hardis
voyageurs qui ouvrent des continents entiers à la civilisation et
au progrès. En Amérique, comme en Afrique, comme en Asie,
ces pionniers de la science annoncent chaque jour des décou-
vertes nouvelles. La Californie, l'Arizona, le Nouveau-Mexique,
la Nevada, le Colorado, le pays des Mormons, ces régions im-
menses qui couvrent près de deux millions de kilomètres carrés,
étaient, il y a peu d'années encore, absolument inconnues (1).
Elles sont aujourd'hui sillonnées de chemins de fer; demain,
le commerce et l'industrie s'empareront du pays ; des villes popu-
leuses s'élèveront et de nouveaux Etats viendront contribuer au
développement de la république des Etats-Unis, à la grandeur de
(1) La population des divers États cédés en 1847 par le Mexique aux États-Unis
était, d'après le recensement de 1870, de 830,926 âmes ; mais si l'on déduit celle de la
Californie (560,247) très peuplée sur divers points, les environs de San Francisco et
les districts miniers par exemple, il reste un nombre d'habitants très faible. Un second
chemin de fer de l'Atlantique au Pacifique traverse les parties réputées les plus
inaccessibles de l'Arizona et du Nouveau-Mexique ; et dans deux ans, une troisième
voie ferrée viendra probablement encore unir les deux Océans.
200 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ce peuple, dernier venu parmi les nations, et qui est assurément
appelé à jouer un rôle considérable dans l'histoire future du monde.
Fig. 80. — Un caùon du Colorado.
En attendant le brillant avenir réservé à ces États si récem-
ment inscrits surla bannière étoilée, il faut parcourir des pays où
tout est morne et désolé, où les arbres, des pins principalement,
LES CLIFF DWELLERS. 201
sont rares et rabougris, la végétation impuissante et sans vi-
gueur (1) et où la nature semble condamnée à une éternelle so-
litude. Les animaux, eux-mêmes ont abandonné ces terres mau-
dites ; seuls quelques rares Indiens nomades, les plus sauvages et ,
les plus barbares de tous ceux de l'Amérique du Nord, viennent
les animer, ils fuient rapidement devant le voyageur, s'ils ne se
croient pas assez forts pour le dépouiller. 11 faut dépasser le San
Juan, pour arriver aux terres d'alluvion, source certaine d'une
richesse future, dont on ne saurait exagérer l'importance.
Tel n'était pas le passé de ces contrées. Ces canons (2) (fig. 86)
aux gorges profondes, ces vallées arides, couvertes de broussailles
qui s'élèvent à peine à quelques pieds de hauteur, cette nature
morne et inerte présentent le contraste le plus saisissant avec les
ruines qui surgissent à chaque pas et qui témoignent qu'à des
époques, dont il est impossible de supputer la durée ou de pré-
sumer la date initiale, toutes ces régions étaient habitées par
des populations nombreuses, actives et intelligentes. Partout
l'homme avait construit des demeures, des fortifications, des
citernes, de véritables cités ; les rochers eux-mêmes étaient cou-
verts d'hiéroglyphes, de figures peintes ou sculptées; partout cet
homme inconnu avait laissé son ineffaçable empreinte.
Les Espagnols, qui les premiers parcoururent l'Amérique Les puebios.
centrale (3), donnèrent le nom de pneblos (4) à des groupes de
constructions, dont un grand nombre, présentant tous les carac-
(1) Il n'en était pas ainsi autrefois ; les poutres de cèdre que l'on voit encore dans les
Cli/f Houses le prouvent sans réplique. Aujourd'hui on ne rencontre pas une seule
forêt, pas même un seul bois entre les Ci-oss Tlmbers du Texas et les forêts dos Mon-
tagnes Rocheuses, c'est-à-dire sur un parcours de plus de 1500 kilomètres. Ce man-
que de végétation forestière est dû non seulement à la rareté des pluies, mais aussi à
la porosité du sol. Le centre de l'Amérique du Nord est un désert et ce désert est
le double de la superficie de la France.
(?) Nous conservons le vieux nom donné par les Espagnols à ces gorges étroites,
resserrées entre des rochers à pic.
(3) Le Nouveau-Mexique fut définitivement conquis en 1597 et 1598 par don Juan
de Onate. Les premières expéditions espagnoles avaient eu lieu en 1540, sous l'inspi-
ration de Cabeza de Vaca, naufragé sur les côtes du golfe en 1535.
(4; Pueblo signifie bourg ou village, nous avons conservé ce nom générique à l'exem-
ple des écrivains américains.
202 L'AMÉRIQUE PREHISTORIQUE.
tères d'une haute antiquité, étaient déjà en ruines, au moment
de leur marche victorieuse. Ces constructions couvrent, sur une
aire de 200,000 miles carrés (1), les vallées arrosées par le San
Juan, le Rio Grande del Norte, le Colorado Chiquito et leurs
tributaires. Les premiers hommes dont il est possible de re-
trouver les traces, avaient évidemment suivi ces vallées dans leur
marche en avant, s'arrêtant là où la terre était fertile, puis
chassés par de nouveaux venus qui cherchaient, eux aussi, l'eau
et les pâturages. La lutte pour la vie est la loi universelle écrite
dans tous les pays en lettres de sang.
Cabeza de Vaca raconte des pueblosen ruines, d'autres encore
habités (2) ; plusieurs étaient, dit-il, plus grands que la ville de
Mexico. Les maisons, souvent à plusieurs étages en retrait les
uns sur les autres, étaient construites en pierre. Les habitants
occupaient les étages supérieurs (3) ; le rez-de-chaussée, généra-
lement obscur^ servait de magasin, de dépôt pour les vivres ou
pour les fourrages (4). On communiquait d'un étage à l'autre, au
moyen d'échelles; quand l'échelle était retirée, les habitants
jouissaient d'une sécurité relative et pouvaient se défendre contre
des attaques qui devaient être fréquentes, si on en juge par
les innombrables pointes de flèche en silex, en obsidienne, en
agate que l'on rencontre sur tous les points, où ils avaient établi
leurs habitations.
Les constructions étaient presque toujours importantes ; nous
aurons à en décrire qui pouvaient loger des centaines de fa-
milles. Les unes, comme le pueblo de Taos (fig. 87), étaient
situées dans la vallée et quelquefois entourées d'un mur qui
venait compléter la défense ; les autres, le pueblo d'Acoma (5),
(1) Bai'ber, Cong.des Américanistes. Luxembourg, 1877, 1. 1, p. 25.
(2) Quarta Relacion .. CoUecion de Documentas, t. II, p. 475.
(3) Putnam, But. ofthe Essex Institute. December 1880.
(4) Ces soubassements sont désignés par les Espagnols sous le nom de Casas de
Comodidad ou Almacenas. Voy. Castaneda de Nagera, lielation du voij. de Cibola.
(a) '( Y hallamos a un pueblo que se llama Acoma, donde nos parecio habria mas de
sois mil animas. « Ant. de Espcja, Caria, 23 avril 1584. Doc. ineditos del Archiva
de Indias, t. XV, p. 179. On place le pueblo d'Acoma sur le site du village actuel
d'Acuco.
LES CLIFF DWELLERS.
203
par exemple, s'élevaient sur des plateaux nommés mesas, parfois
à plusieurs centaines de pieds au-dessus de la vallée et Ton ne
pouvait y arriver que par des sentiers presque impraticables.
On comprend l'étonnement qui saisit les explorateurs, en
voyant surgir devant eux toutes ces ruines. « Qu'on se figure,
écrit un voyageur récent, une rivière desséchée, encaissée
entre des rochers en grès rouge, escarpés, sans nul accès, et un
Fig. 87. — Pueblo de Taos (Nouveau-Mexique).
homme debout dans cette vallée, contemplant à tous les étages les
habitations de son semblable, tel est le spectacle qui s'offre à nous
ù chaque pas. » « Les preuves sont évidentes, ajoute un autre
voyageur, qu'une population considérable a vécu dans ces dé-
serts. Il est à peine un mile, parmi les six miles qu'il a été mon
lot d'explorer, qui ne fournisse la preuve certaine qu'il a été habité
durant des temps assez longs par des hommes absolument dis-
tincts et assurément supérieurs aux sauvages nomades, qui seuls
le parcourent aujourd'hui (1). » Citons enfin, parmi les récits qui
ne laissent que l'embarras du choix, celui du major Powell,
qui, cette année même, achevait une exploration du Nouveau-
Mexique. 11 raconte sa surprise, en ne voyant pendant des
journées entières que des falaises à pic, pjercées de toutes parts
par des habitations humaines qu'il ne pouvait mieux comparer
qu'aux alvéoles d'une ruche.
(1) Colonel Holmes, Report on theancient Ruins of S. W. Colorado examined du-
ring the summer of 1875 and 1876.
204 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
A côté des Mound-Builders, vivaient donc d'autres hommes,
leurs contemporains peut-être, plus probablement leurs succes-
seurs dans la marche des siècles, et qui, au milieu de diffé-
rences très considérables, ont avec eux un point commun : c'est
l'absolue ignorance oii nous sommes de tout ce qui les con-
cerne. Ici encore, l'histoire et la tradition restent muettes, et
comme pour les Mound-Builders, il faut emprunter le nom de
Cliff-Dwellers (1) que nous leur donnons, aux rochers qui leur
servaient de demeures,
i/eau Sur un seul point nous pouvons nous montrer affirmatifs :
a disparu. * ^
nous connaissons, cà n'en pouvoir douter, une des principales cau-
ses qui ont amené la dépopulation du pays (2). Les fleuves, les
ruisseaux eux-mêmes se sont desséchés ; et on ne rencontre dans
les vallées que les traces déjà anciennes de cours d'eau disparus.
Les pluies du printemps sont courtes et abondantes, elles se
précipitent en torrents impétueux (3), sur un sol imperméable
et un sous-sol rocheux, entraînant tout avec elles et amenant
de fréquentes inondations. Ce moment passé, l'eau persiste rare-
ment dans les arroyos, elle s'évapore avec une grande rapidité.
Dans les autres saisons, la pluie est inconnue, et le climat brû-
lant ajoute aux terribles effets de cette constante sécheresse (4).
Peut-on l'attribuer à des changements géologiques ou climatéri-
ques? Cela est possible ; le colonel Hoffman cite, à 15 miles envi-
(1) Littéralement les hommes (fici habitent les rochers.
(2) Les pluies se repartissent d'une manière très inégale sur le territoire des États-
Unis. 11 tombe en moyenne un mètre d"eau sur les côtes de l'Atlantique depuis le
Maine jusqu'à la Floride. Sur le versant du Pacifique, au nord de San l''rancisco, les
vents d'ouest amènent dos pluies très abondantes qui s'élèvent jusqu'à 2"", ".'G. Des
côtes d(^ l'Atlantique et du delta du Mississipi, la quantité do pluie diminue graduel-
lement, à mesure que l'on s'avance dans l'intérieur des terres. Dans certaines parties
du Texas, du Kansas, du Nebraska, la moyenne de l'eau tombée durant l'année s'a-
baisse à un demi-mètre; dans le Colorado elle n'est plus que de 0'",30. La rareté des
pluies qui viennent arroser toute la partie du territoire comprise entre les plaines du
Far-W'est et le versant du Pacifique, explique la pauvreté de la végétation.
(3) Les Américains ont donné à ces torrents le nom de Washes. A certains moments
et sur certains points, ils atteignent des profondeurs qui varient de 30 à 40 pitds.
(4) Le Congrosa voté des sommes importantes pour le forage de puits artésiens dans
les plaines dénuées d'eau, qui s'étendent du Mississipiau Pacifique. Des millions d'acres
de sable sans valour pourront ainsi être transformés on terres riches et fertiles.
LES GLIFF DWELLERS. 205
ron d'une ville nouvelle, à laquelle on a donné le nom de Pres-
cott (1 ), un arroyo à 40 pieds au-dessus du niveau actuel de l'eau.
C'est là assurément un fait curieux; mais il en faudrait beaucoup
de semblables, pour justifier une affirmation aussi importante, et
il est présumable que, comme en Algérie, la cause la plus sérieuse
de cette sécheresse persistante est la destruction des forêts prati-
quées par les Cliff-Dwellers, avec une insouciance qui n'est éga-
lée que par celle des modernes Américains.
M. Holmes, un des premiers dont l'étude des ruines du Far- Tentative de
classement.
West est véritablement scientifique, adopte un classement qu'il
est utile de reproduire (2).
4°Z,ott'/a/ifl?.v, villages où demeuraient des populations exclusive-
ment agricoles ; les points choisis ét:iient toujours les vallées les
plus fertiles et le voisinage immédiat des rivières.
2° Cave-Dwelliiigs, cavernes artificiellement agrandies, sou-
vent fermées et consolidées par des murs en adobes (3).
3° Cliff-Houses, véritables forteresses, oii se retiraient proba-
blement les habitants des vallées, lorsque quelque danger les
menaçait.
Les habitations des vallées sont les véritables pueblos; elles
forment des parallélogrammes ou des cercles tracés, alors que la
disposition du terrain le permettait, avec la même régularité
mathématique que nous avons constatée dans les travaux des
Mound-Builders. Toutes sont construites en pierres taillées, appa-
reillées avec soin et reliées entre elles par de l'argile délayée
dans de l'eau. Les ruines circulaires, que l'on rencontre fréquem-
ment, sont tantôt des tours destinées à la défense, tantôt des cons-
tructions atteignant jusqu'à 60 pieds et plus de diamètre, renfer-
mant plusieurs séries de petites cellules, et au centre une pièce
souvent à demi-souterraine, à laquelle les Espagnols ont donné
le nom à^estufa (4).
(1) Capitale du nouvel État d'Arizona.
(2) L. c, p. 5. Voy. aussi Jackson, Buins ofS. W, Colorado in ISlband 1877.
(3) Nous avons déjà dit que les adobes étaient façonnées avec de l'argile pétrie, puis
séchée au soleil. Les Indiens actnels bâtissent encore leurs demeures avec ces adobes.
{i) Litténlcment étuve, chambfe de sudation.
206 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
On a beaucoup discuté sur les estufas. Pour les uns, c'étaient
les chambres du conseil, où se réunissaient les principaux de la
tribu pour décider les affaires communes ; pour les autres, des
lieux sanctifiés parla présence du feu sacré, si longtemps l'objet
de la vénération des Indiens (1). Ce qui est certain, c'est que les
estufas se trouvent dans toutes les habitations, même dans celles
situées au-dessus de précipices ou de rochers, qu'on ne pouvait
escalader qu'au prix des efforts les plus pénibles; il est évident
que les habitants des pueblos y attachaient une grande impor-
tance (2). Dans le Nouveau-Mexique et dans le Colorado, on
trouve aujourd'hui encore ces estufas, même dans des villages
chrétiens, où ils sont l'objet d'une terreur superstitieuse, dernier
souvenir peut-être des rites mystérieux des ancêtres (3).
Outre les tours qui s'élèvent au milieu des pueblos, il en est
d'autres généralement rondes, plus rarement carrées ou oblon-
gues (fig. 88), érigées soit sur des points dominant le pays, soit à
l'entrée des canons. Il est évident que c'étaient là des postes d'ob-
servation, où des hommes veillaient constamment pour prévenir
les habitants des dangers qui pouvaient les menacer. L'emplace-
ment de ces postes était toujours admirablement choisi ; un d'en-
tre eux domine toute la vallée du Mac Elmo, et la vue s'étend à
(1) « Thèse estufas, which are used as places of council and for the performance
of their religions rites, are still found at ail the présent occupied pueblos in INew
Mexico. There are six at Taos ; three at each house and they ai-e partly sunk iu the
ground by an excavation. They are entered by a trap doorway in the roof, the descent
being by a ladder. » (Morgan, Peubody Muséum Report, t. II, p. 517. — Am. Ass. Saint-
Louis, 1877.) D'autres ont voulu que les estufas fussent des citernes ; mais le témoi-
gnage de Ruiz tranche la question. Mariano Ruiz vécut longtemps avec les Indiens
Pecos comme un fils de la tribu (Mjo del pueblo). Il rapporte que ces Indiens con-
servèrent le feu sacré dans un estufa jusqu'en 1840, où les cinq familles seules survi-
vantes s'affluèrent à une autre tribu. Le feu était maintenu dans une espèce de four, et
il ne devait jamais émettre de flammes. Ruiz lui-même avait été chargé à son tour de
l'entretenir. Il s'y était refusé, dominé par la crainte superstitieuse des Indiens que
celui qui avait veillé sur le feu sacré et qui abandonnait ensuite ses frères, devait
inévitablement périr dans l'année. A raison de son refus, il ne put jamais pénétrer
dans l'estufa (Bandelier, Report on the Ruins of the Pueblo of Pecos. — Congrès des
Americ, Luxembourg, 1877, t. II, p. 230).
(2) Bancroft, The native Races of the Pacific States, t. I, p. 537-554.
(3) Simpson, Expédition to the Navajo Country, p. 78.
LES GLIFF DWELLERS. 207
plusieurs miles en amont et en aval ; un autre est situé au point
où le Hovenweep se divise en deux branches. Ces tours n'ont ni
portes, ni fenêtres , on n'y pouvait sans doute pénétrer que par
la voûte.
Auprès de quelques-unes des demeures, on a constaté de
longues lignes de murs (1) construits en adobes ou plus sim-
plement encore en terre ; il est probable que c'étaient les
corrals, où ces hommes renfermaient leurs bestiaux. Cette
population était assurément bien plus avancée que les Mound-
Builders.
Les falaises sont formées de roches sédimentaires, de bancs de
grès dur, très résistant à l'action de l'air, et alternant avec des
lits d'une roche coquillère,trèsfriable (2). Cesderniersbancs se sont
désagrégés sous l'influence des agents atmosphériques et ont formé
des poches, des cavités, des grottes de toute dimension au-dessus
desquelles surplombe le grès sus-jacent. D'autres fois les érosions
se projettent sur toute la surface du banc, de façon à laisser une
galerie souvent très longue, mais généralement peu profonde.
Parfois aussi, il se détache de ces falaises un promontoire élevé,
dont l'accès est des plus difficiles.
Les premiers habitants de ces régions ont su utiliser ces dispo-
sitions avec une remarquable intelligence. L'entrée des cavernes
[Cave-Dwellings) était murée par une construction en adobes qui
ne comportait qu'une étroite ouverture servant à la fois de porte
et de fenêtre.
Les Cliff -Hanses (3) prennent la forme et les dimensions de la
plateforme ou de l'anfractuosité sur laquelle ils s'élèvent. La ma-
çonnerie est bien faite ; et c'est merveille de voir avec quel art les
murs sont soudés aux parois du rocher, avec quel soin on a re-
produit dans l'architecture extérieure l'aspect des roches voisi-
nes. Quelques-uns des explorateurs regardent ces maisons comme
(1) L'élévation de ces murs varie de 12 à 18 pieds.
(2) D"" Topinard, Rev. d'Anthropologie, 1878, p. 517.
(3) On a pu voir à l'Exposilion de 1878 les modèles en relief de nombreux ClifT-
Houses. Ils sont aujourd'hui déposés au musée de la société d'Anthropologie.
208 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
plus récentes que les pueblos ou les cavernes. Les seuls objets
Fig. 88. — Tour auprès d'Epsom-Creek.
recueillis, quelques flèches en pierre, quelques outils en silex,
LES CLIFP D^VELLEIlS. 209
quelques fragments de poterie, ne justifient pas cette conclusion.
On a découvert plusieurs sépultures de ce peuple des Clifîs ;
mais la difficulté des fouilles, le danger auquel étaient exposés
les ingénieurs des Etats-Unis n'ont pas permis de multiplier les
recherches. Il a été seulement trouvé un petit nombre d'osse-
ments humains ; toujours, à côté du mort, on avait placé des
armes, des outils, des vases. Comme les Mound-Builders, comme
toutes les anciennes populations de l'Amérique, les Cliff-Dwellers
étaient animés pour leurs morts de l'espérance d'une autre vie;
mais leurs conceptions ne s'élevaient guère au-dessus d'un
bonheur exclusivement matériel.
U faut aussi parler d'enceintes considérables, couvertes de
pierres debout, placées en cercle, comme dans nos cromlechs.
Des fouilles ont été pratiquées dans une de ces enceintes situées
sur la rive gauche du Dolorès. On atteignit rapidement le sol na-
turel non remanié, la surface même du rocher. A six pouces de
profondeur, on avait rencontré une couche de cendres mêlées à
des fragments de poterie, aucun ossement ne permettait de croire
que ce fût là un lieu de sépulture, et l'analyse chimique des cen-
dres n'a constaté parmi elles aucune trace de matière animale,
ce qui exclut toute pensée de crémation (1).
Après avoir résumé les diverses constructions attribuées aux
Cliff-Dwellers, il nous faut entrer dans quelques détails. Ils fe-
ront mieux connaître leur importance.
Le Rio Mancos (2) coule entre des falaises formées de couches RioMancos.
alternatives de calcaire crétacé et d'un dépôt argileux, souvent dé-
sagrégé et enlevé par les eaux. Une des anfractuosités ainsi for-
mées, située à 40 pieds environ au-dessus du niveau delà rivière,
pouvait avoir une profondeur variant de 4 à 6 pieds (3). Sur cet
(1) Jackson, /. c, p. 415, 421 et s.
(2) Le Mancos prend sa source dans les montagnes de la Plata au sud-ouest du Co-
lorado et vient se jeter dans le San Juan. Les autres tributaires du San Juan dont nous
aurons à parler sont la Piedra, los Pinos, las Animas, la Plata, le Mac Elmo, le
Hovenweep et le Montezuma. Ces deux derniers sont presque toujours à sec. Au sud,
le San Juan reçoit le Navajo, le Chaco et le Clielly.
(3) Holmes, /. c, p. 393 et pi. XXXV.
De Nadaiilac, Amérique. 14
210
L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
étroit espace les Clifî-Dwellers
avaient établi leurs demeures.
Sept d'entre elles subsistent
encore et quatre sont assez bien
conservées pourpermettre d'ap-
précier leur mode de construc-
tion. Les murs sont en pierres
reliées avec de l'argile mêlée
de cendres et de charbons (1).
Ce mortier était consolidé par
l'insertion dans les interstices
de cailloux ou de petits tessons
de poterie; on peut encore re-
connaître aujourd'hui sur la
maçonnerie la trace des outils
et même celle des doigts des
ouvriers. Toutes les ouvertures
sont très étroites ; et les portes
et les fenêtres n'ont que quel-
ques pouces dans tous les sens.
Au milieu des ruines, on décou-
vrit une cave obstruée par une
masse de décombres; c'était un
dépôt de vivres dont on put re-
tirer des grains de maïs à demi
calcinés, appartenant à une es-
pèce encore cultivée dans le
pays. Une hache en pierre polie
et quelques fragments de pote-
rie furentles seuls objets donnés
par des fouilles, qu'il était im-
portant de mener rapidement.
(1) Castaneda {Voij.de Cibola, II, c. iv,
p. 168) dit : « Ils n'ont pas de chaux et ils
la remplacent par un mélange de cendres,
de charbon et d'argile. »
Fig. 89. — Cliff-House sur le Mancos.
LES CLIFF DWELLERS.
211
Un autre groupe peu éloigné du premier présente deux étages
de constructions élevées dans les anfractuosités des rochers qui
surplombent larivière à une hauteurde 200 piedse nvironffig. 89).
Les constructions inférieures s'étendent sur un espace libre de
60 pieds de longueur sur 15 pieds dans sa plus grande largeur
(fig. 90). Les murs ont un pied environ d'épaisseur et affleurent
le bord même du précipice. Ils sont établis avec un art extraordi-
naire ; les angles sont réguliers, les lignes ne s'écartent pas de la
perpendiculaire, et si l'on tient compte des difficultés que devait
vaincre le constructeur, pour jeter ses fondations dans une sem-
blable position et à une semblable hauteur, ces habitations
Fig. 90. — Cliff-House sur le Mancos (plan par terre).
aériennes doivent exciter une véritable admiration. Au centre
nous trouvons l'inévitable estufa ; autant qu'il est possible d'en
juger aujourd'hui, on ne pouvait y pénétrer que par une seule
ouverture mesurant 22 pouces sur 30, et encore, pour parvenir à
cette singulière porte, fallait-il ramper dans un véritable boyau
sur une longueur de 30 pieds. Les diverses chambres étaient sé-
parées par des murs de refend, qui n'atteignaient pas le rocher ;
il était donc facile de communiquer, de l'une à l'autre, au moyen
d'échelles mobiles.
Quelques fouilles faites à la hâte ont donné deux vases en po-
terie grossière, fermés par des couvercles en pierre d'un travail
non moinsgrossier. Ces vases d'une contenance de trois gallons (1)
(1) Holmes, /. c, pi. XLIV, leur contenance était de 15,50 litres.
212 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
étaient vides. Un d'eux avait été raccommodé au moyen d'un tes-
son de même couleur collé avec de l'argile agglutinée. Tous les
deux étaient placés sur un lit de filaments d'écorce, recouverts
d'une natte de roseaux tressés (1); c'est une preuve de plus du
prix qu'y attachait leur possesseur.
Entre les deux habitations, le rocher est absolument vertical.
Sur un point, où la pente était un peu moins abrupte, on a cru
reconnaître la trace de quelques marches plutôt ébauchées que
taillées dans la pierre. Pour les hommes de nos jours, elles
facilitent faiblement l'ascension.
A l'étage supérieur, une nouvelle anfractuosité a permis une
nouvelle construction. Cette seconde plate-forme peut avoir
120 pieds de longueur, sur 10 dans sa largeur maxima. Les tra-
vaux paraissent n'avoir jamais été complètement achevés. Les
Cliff-Dwellers furent probablement découragés parles difficultés
insurmontables de l'approche des matériaux.
Les parties terminées avaient été habitées, et les chambres
communiquaient par des portes basses et étroites. Dans une de
ces chambres, les explorateurs crurent reconnaître des traces de
feu ; dans d'autres, les fouilles donnèrent quelques grains de mais,
quelques haricots; malheureusement les explorateurs fatigués
d'une longue marche ne purent ou ne voulurent plus les con-
tinuer.
Quelquefois les demeures des Cliff-Dwellers étaient à une hau-
teur bien autrement considérable. On en cite à 800 pieds au-
dessus du niveau de la rivière (2) ; elles sont si bien cachées que
l'on peut à peine, même avec l'aide d'une longue vue, les distin-
guer du rocher qui les abrite. On se perd en conjectures sur les
moyens employés pour atteindre les points où les constructions
s'élèvent, et pour y transporter les vivres et les objets nécessaires
à la vie (3). On avait même cru longtemps que les habitants
(1) Holmes, /. c, pi. XLV.
(2) Holmes, l. e.,p. 394.
(3) M. Yves {Colorado River of the West) rapporte qu'aujourd'hui encore, les Moquis
bâtissent sur des hauteurs souvent élevées. Ils portent dans des couvertures sur leurs
épaules, les pierres et les terres nécessaires à ces constructions.
LES CLIFF DWELLEIIS.
213
étaient obligés de descendre chaque jour à la rivière, pour y pui-
ser l'eau qui leur était indispensable. Mais de nouvelles recher-
Fig, 91. — Maison à deux étages sur le Rio Mancos.
ches ont fait retrouver, dans les falaises, des sources qui pou-
vaient leur suffire et qu'ils avaient su capter dans des réservoirs
naturels ou artificiellement ao:randis.
Fig. 93. — Cliff-House sur le Mancos, plan parterre.
A un mile plus loin, en suivant toujours les bords du
Rio 3Iancos, M. Jackson découvrait une construction située à
700 pieds au-dessus du niveau de la rivière (fig. 91 et 92). Cette
214 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
construction, à laquelle il a donné le nom de The two Story
Cliff-House, la maison à deux étages, est mieux conservée
que toutes celles qui l'entourent. Une' des chambres mesure
9 pieds sur 10, une autre 6 pieds carrés (1), Ces chambres,
dont les dimensions nous semblent si exiguës, étaient cepen-
dant grandes pour les ClifT-Dwellers; sur un autre point,
M. Jackson cite un espace de 14 pieds sur 6 de largeur et 5 de
hauteur, qui était partagé en deux chambres presque égales. On
n'y pénétrait que par un petit trou carré. Il serait facile de mul-
Fig. 93. — Intérieur de la chambre d'un Cliff-House.
tiplier ces exemples (2). On se demande comment des créatures
humaines pouvaient vivre dans de semblables réduits !
Les murs intérieurs de ces chambres (fig. 93) avaient été end uits
à plusieurs reprises avec de l'argile délayée dans de l'eau. Ce
mortier était placé avec la main ; l'empreinte des doigts de l'ou-
vrier ne peut laisser aucun doute à cet égard. La petitesse des
mains a même fait supposer que le travail était exécuté par des
femmes.
Le même soin était apporté aux enduits extérieurs ; le mor-
(1) La hauteur des constructions est de 12 pieds et une intervalle de 2 à 3 pieds
existe entre les murs et le rocher qui surplombe en guise de toit.
(2) A Montezuma, par exemple, on voit des cellules dont les plus grandes ne dépas-
sent pas 9 pieds 1/2 et dont les plus petites n'atteignent guère que 4 pieds carrés.
LES CLIFF DWELLERS.
215
tier présente des tons gris ou roses absolument semblables à ceux
des roches voisines. Nous ne pouvons dire si c'est là l'effet du
temps, ou si les ouvriers avaient voulu mieux dissimuler les lieux
qu'ils habitaient.
Ces Cliff-Houses étaient-ils uniquement des points de refuge,
où les habitants des vallées se retiraient dès qu'un danger les
menaçait? on serait tenté de le croire, dit M. Holmes, en consta-
Fig. 94. — Pueblo de la vallée de Mac-Elmo (plan par terre).
tant l'absence presque complète d'ossements d'hommes ou d'ani-
maux, de ces rebuts de tout genre si nombreux dans les kjôkken-
môddings, qui sont la preuve d'une longue habitation. Les
enduits sont restés aussi frais et aussi intacts qu'au jour oii ils
furent posés ; ce fait est surtout remarquable dans le Two Story
Cliff-Hoiise, et si cette demeure avait été longtemps habitée, il
faudrait supposer une réparation complète, ayant précédé de peu
la dispersion de la tribu. D'autres explorateurs, il est vrai, parlent
de charbons, de traces de feu attestant la durée du séjour de
l'homme. Les archéologues Américains abordent l'étude de ces
"Vallée du
Mac-Elmo.
216 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ruines avec des idées préconçues qui se reflètent trop souvent
dans les impressions des voyageurs.
La vallée du Mac-Elmo renferme des ruines non moins impor-
tantes que celles que nous venons de citer. Nous reproduisons
(fig. 94) le plan d'une des principales d'entre elles qui aide à se
rendre compte des dispositions générales d'un pueblo. La grande
tourouestufa offre une certaine ressemblance avec les singulières
constructions des îles Baléares auxquelles on a donné le nom
Fig. 95. — Tour sur le sommet d'un rocher dans la vallée de Mac-Elmo.
de Talayoti; elle est construite en pierres brutes et entourée
d'un triple mur(l). Une autre estufa avec des murs de plus de
trois pieds d'épaisseur est située à une des extrémités. Les
chambres ou plutôt les cellules sont rectangulaires et toutes
d'une extrême petitesse.
Ce pueblo est au milieu d'un pays peu fertile, à un mile en-
viron du Mac-Elmo, toujours a sec durant l'été. Les malheureux
(1) L'espace qui sépare les deux murs extérieurs de la tour n'est guère que de
5 pieds. On y compte quatorze cellules.
LES GLIFF DWËLLERS. 217
habitants auraient donc été réduits pendant plusieurs mois de
l'année à aller chercher de l'eau au Dolorès, à une distance de
près de quinze miles. C'est une supposition inadmissible; au-
cune population agricole ne saurait subsister dans de sembla-
bles conditions. « To suppose an agricultural people existing in
such a locality with the présent climate is manifestly absurd, dit
M. Holmes (1), yet every isolated rock and every bit of mesa
within a circle of miles, is strewn with remuants of human
dwellings » (fig. 95). Il faut donc admettre, comme nous l'avons
déjà dit, des changements climatériques importants, depuis les
temps où le pays était peuplé.
La même remarque s'applique avec plus de force encore à
Aztec Spring (Colorado) (2). Ces ruines (fig. 96) situées sur le
Mesa Verde, à une égale distance du Mac-Elmo et du Mancos,
couvrent une superficie de 480,000 pieds carrés et peuvent
représenter \ ,500,000 pieds cubes de maçonnerie.
L'édifice principal forme un rectangle (A) de 80 pieds sur
100, entouré d'un double mur et divisé en trois chambres sépa-
rées. L'épaisseur des murs est de 26 pouces, et ils ont encore de
12 à 15 pieds de hauteur; entre les deux murs il existe vingt
cellules, dont il est difficile de présumer l'usage.
Trois estufas (B, C, D'/ s'élèvent au milieu de l'enceinte;
autant que l'on peut en juger dans leur état actuel, deux d'en-
tre elles pourraient bien avoir été des citernes, destinées à con-
server l'eau nécessaire aux habitants.
Les murs de refend sont en briques crues, les murs extérieurs
en blocs de calcaire fossilifère provenant du Mesa Verde, tous
symétriquement taillés et cimentés avec de l'argile, mélangée
avec la poussière provenant de la décomposition des carbonates
de chaux très abondants dans le voisinage. C'est à ce mortier
sans doute, qu'est due la conservation exceptionnelle des ruines
d'Aztec Spring.
(1) L. c, p. 399.
(2) Le nom d'Aztec Spring a été donné à ces ruines à raison d'une source (E) que
le capitaine Moss raconte avoir trouvée et qui a disparu depuis son voyage.
218
L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Ruines du
Hovenweep.
Le Hovenweep (1), aujourd'hui à sec, coulait autrefois entre des
canons abruptes et désolés. Dans toute la vallée, on voit une
m
□□M
Fig. 96. — Aztec Sprlng, plan par terre.
série de ruines, et partout ces singulières demeures à plusieurs
étages perchées, c'est bien le mot, dans toutes les anfractuosités,
(1) Ce nom est emprunté à la langue utc et signifie cano7t désert.
1
LES GLIFP DWELLERS. 219
sur toutes les terrasses dés falaises. Ici, par une disposition
exceptionnelle, les maisons sont circulaires et leur diamètre ne
dépasse guère 12 à 15 pieds; les angles sont arrondis et les
murs construits en pierres de la grosseur de trois de nos briques
ordinaires. Tout paraît avoir été préparé pour la résistance; les
maisons (1) étaient d'un accès presque impossible, et de petites
tours d'observation avaient été élevées sur les points où elles pou-
vaient aider à la surveillance.
La vallée du Montezuma (2) atteint sur certains points jusqu'à Le canon
• 1 11 T-iii 1 • 1 Montezuma
dix mues de largeur, hlle est couverte de rumes, de tours à
triple enceinte, de mounds formés en grande partie de frag-
ments de poterie brisée. Les falaises qui dominent la vallée
présentent une longue suite de cavernes, d'anfractuosités, d'abris
sous roche, constamment utilisés par l'homme (fig. 97); sur
plusieurs points, on a cru reconnaître des trous creusés dans le
rocher à des distances régulières où l'on pouvait successive-
ment placer les pieds et les mains. C'était le seul mode d'accès ;
aucun arbre de ces vallées n'aurait pu fournir des échelles assez
longues pour parvenir à ces nids d'aigles (3).
11 faut encore noter à Montezuma sept pierres debout qui se
dressent au milieu de ces déserts, comme les menhirs de la Bre-
tagne ou du pays de Galles ; mais des observations ultérieures
feraient croire qu'ils étaient plutôt des piliers destinés à donner
plus de solidité à des constructions défensives. La défense paraît
en effet avoir toujours été la grande préoccupation de ces
hommes; dans un rayon de 15 miles, sur tous les points qui com-
mandaient la vallée ou qui pouvaient servir de poste d'observa-
tion, on voit des blocs arrachés aux rochers voisins et empilés
(1) Sur une terrasse naturelle, mesurant à peine 300 pieds sur 50, et située à la nais-
sance même du Hovenweep, les Cliff-Dwellers avaient trouvé moyen d'élever quarante
maisons diflférentes.
(2) Jackson, /. c, p. 427 et s.
(3) Dans uu de ces abris, les explorateurs découvrirent le squelette d'un homme
enveloppé d'une couverture à grandes raies noires et blanches. Cet homme n'avait
aucun rapport avec les anciens habitants de ces demeures aériennes. Selon toutes les
apparences, c'était un Navajo, victime des luttes incessantes entre sa tribu et les
Utes.
,220 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
les uns sur les autres ; les interstices étaient remplis par des
pierres plus petites qui consolidaient la masse. Tout atteste une
population nombreuse ; elle était indispensable pour l'exécution
de semblables travaux.
Fig. 97. — Maison daus un rocher (Montezuma-Caùou).
le Bio
Chellv.
Les rochers du Rio Chelly renferment des habitations abso-
lument pareilles à celles que nous venons de raconter; nous
sommes condamnés à d'inévitables répétitions pour retrouver
quelques traces dès Cliff-Dwellers, dont ces constructions, quel-
ques fragments de poterie, quelques misérables silex restent les
LES CLIFP DWELLERS. 221
uniques témoins. Au Rio Chelly, comme à Montezuma, comme
sur les rives du Mancos ou du Mac Elmo, les grottes naturelles
ou artificielles, les dépressions, les plus petites anfractuosités ont
été utilisées. Les constructions sont souvent d'une importance
exceptionnelle : ainsi M. Jackson (1) signale, à soixante-dix pieds
d'élévation, des ruines, qu'il appelle a Cave Town, une ville de
cavernes. Elles ont une longueur de 545 pieds, sur une lar-
geur maxima de 40 pieds. Presque toutes comprennent un rez-
de-chaussée et un étage ; une d'elles est même à deux étages ;
on a voulu en conclure que c'était la demeure du chef. Les
murs sont partout de très faible dimension ; leur épaisseur atteint
rarement un pied et souvent elle n'est que de six pouces. Les
pierres sont noyées dans un épais mortier et enduites à l'intérieur
comme à l'extérieur. On a reconnu soixante-quinze chambres
séparées; au centre l'inévitable estufa (2) et, derrière les maisons,
deux petits réservoirs destinés à conserver l'eau. Aucune de ces
demeures ne présente d'autres ouvertures que des fenêtres s'ou-
vrant presque toujours sur des cours intérieures, et les recherches
n'ont pu faire découvrir d'autre moyen d'accès que des blocs
écroulés et des fentes naturelles, dont il était possible de s'aider
pour l'ascension (3). Plusieurs corrals, véritables cours inté-
rieures, sont encore remplis de fumier en poussière. Comment
pouvait-on faire arriver des bestiaux à une semblable hauteur?
Comment parvenait-on à les nourrir sur des rochers escarpés
et sans issue ? Toutes les conjectures sont permises ; aucune, il
faut en convenir, n'est complètement satisfaisante.
Au pied des rochers, on voit de nombreuses pierres debout
entourant des espaces rectangulaires, semblables à celles dont
nous avons parlé. Ici aussi, les fouilles n'ont rien donné qui puisse
faire supposer des sépultures. On a recueilli quelques vases en
(l)i. c, p. 421.
(2) On peut consulter Jackson, l. c, pi. I.
(3) La hauteur des rochers en grès schisteux, qui couronnent ces constructions, n'est
pas moindre de 200 pieds à partir du pied de la mesa. La descente do ce point est
donc autrement difficile que l'escalade en partant do la vallée. La mesa est aride,
désolée et couverte d'une végétation rabougrie.
222 L'AMERIQUE PRÉHISTORIQUE.
poterie rouge, des couteaux, des haches, des poinçons, des pointes
de flèches en silex finement taillées.
Nous reproduisons (fig. 99) une maison située à vingt pieds
d'élévation, à deux miles environ de Cave Town. Il est plus facile
de se rendre ainsi compte des difficultés d'accès et des moyens
employés pour les surmonter. La maison est à un étage, le rez-
de-chaussée mesure dix-huit pieds sur dix; cet étroit espace forme
deux chambres différentes, le premier étage n'en renferme
Fig. 98. — Cave-Town auprès du San-Juan.
qu'une seule. Le rocher qui surplombe sert de toit protecteur (1).
Ruines au Toutc la valléc d'Epsom-Crcek (2) est couverte de ruines, moins
nord du San i \ /
Juan. considérables que celles que nous venons de décrire. Ce sont des
grottes en fumées (fig. 98), des Ciibby Holes, ditM. Jackson, situées
tantôt au bord d'un ruisseau, tantôt plaquées comme des sand-
wichs, — c'est une comparaison que nous empruntons aux Améri-
cains, — dans les anfractuosités du rocher. Ces demeures ne com-
prennent en général qu'une seule chambre, dont les murs sont
enduits avec une telle perfection, qu'aujourd'hui encore le mor-
tier ne présente aucune fissure. L'entrée de la vallée était défen-
(1) On signale, à 8 miles de Cave Town, un autre groupe de constructions analogues
mais de dimensions moindres (Simpson, Exp. in tfie Navojo Country).
(2) La vallée est ainsi appelée dun ruisseau d'eau saumâtro dont les eaux rappel-
lent, protei)d-on, le goût du sel d'Epsom.
LES GLIFF DWELLERS. 223
due par une tour (fig. 86), érigée sur un monticule inaccessible.
Après des efforts réitérés, M. Jackson dut renoncer à y parve-
nir. Une autre tour circulaire, dont les murs écroulés et les
pierres couvertes de mousse et de broussailles attestent l'anti-
quité, s'élève sur la rive opposée du ruisseau (i).
A quelques miles en amont, sur les bords d'un ravin profond,
les ruines donnent l'idée d'une ville fortifiée. Les explorateurs
se trouvaient en présence d'une grande masse de forme rectan-
gulaire, avec des tours reliées entre elles et disposées sur les deux
côtés du ravin de manière à commander toutes les approches.
Le fait dominant chez ces populations paraît avoir été la crainte
d'attaques ennemies; de là, la nécessité pour elles d'être tou-
jours préparées à les repousser (2).
Il faut aussi mentionner les constructions situées sur les rives >aiiés do u
Plala.
de la Plata à vingt-cinq miles de sa jonction avec le San Juan (3),
ne fût-ce qu'à raison de leurs dispositions toutes particulières.
Elles s'étendent irrégulièrement dans la vallée, chaque famille
avait sa demeure ; chaque dieu avait son temple. Tout indique
une civilisation différente de celle que nous avons rencontrée
jusqu'ici. La famille et la propriété individuelle étaient fondées,
et des habitations isolées, telles qu'on peut les voir en parcourant
les divers pays de l'Europe, montrent mieux encore l'indépen-
dance de leurs habitants. « Thèse seem, dit M. Holmes (4), to be
distributed very much as dvvelling bouses are in the rural dis-
tricts of civibzed and peaceable communities. »
Les Cliff -Bouses ne sont pas moins nombreux dans l'Arizona Arùona.
que dans le Nouveau-Mexique ; mais leur emplacement paraît
avoir été moins bien choisi; les fondations sont en pierres; rien
cependant ne permet d'affirmer qu'elles soient plus anciennes
que les murs en adobes qui les couronnent. Nous sommes à la
(1) Le diamètre de cette tour est de 40 pieds.
(2) et The San Juan Valley is strewn wiih ruins, for hundreds of miles; some buil-
dings, three stories high of masonry, ar3 still standing. » {San Francisco Evening Bul-
letin, 8 July 1864.)
(3) A 5 miles au sud de la nouvelle voie ferrée de l'Atlantique au Pacifique.
(4) L. c, p. 388.
224 L'AMÉllIQUE PRÉHISTORIQUE.
limite extrême des pays occupés au Sud par les Cliff-Dwellers, et
Vig. 99. — Cliff-House dans le canon Chelly.
les amas considérables de poterie que l'on rencontre à chaque pas
montrent la longue durée de leur habitation.
LES GLIFF DWELLERS. 225
Parmi toutes ces ruines, la Casa Grande (fig. 100) mérite une
mention spéciale. Elle s'élève sur une petite éminence dans la
vallée du Rio Gila, à deux miles et demi delà rivière, et il paraît
certain qu'elle existai I plusieurs siècles avant la venue des Espa-
gnols, qui en eurent connaissance dès leurs plus anciennes expé-
ditions (1). La première description un peu complète qui nous
soit parvenue est celle du père Mange, qui visita la Casa Grande
avec le père Rino, en 1697 (2). 11 paraît qu'alors l'ensemble
Fig. 100. — Casa grande dans la vallée du Gila.
des ruines comprenait onze bâtiments différents, entourés d'un
mur assez élevé, servant à les protéger. Aujourd'hui ces bâtiments
sont réduits à trois dont un seul est encore dans un état de con-
servation qui permet de l'étudier. Il est construit en adobes de
grande taille (3) et mesure cinquante pieds sur quarante. Les
murs ont cinq pieds d'épaisseur à la base et vont en se rétrécis-
(1) Il est généralement admis que c'est la Casa Grande, que Coronado mentionne sous
le nom de Chichilticalle, la maison rouge.
^2) Doc. Hist. Mex., série IV, t. I, p. 282. — Bancroft, /. c, t. IV, p. 621 et s.
(3) Ces adobes mesurent 4 pieds sur 2.
De Nadaillac, Amérique.
15
226 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
sant vers le sommet (1). L'intérieur est divisé en cinq chambres
(fig. 101) beaucoup plus grandes que celles que nous avons dé-
crites jusqu'à présent. Les chambres centrales ont trois pieds
sur quatorze ; les autres atteignent jusqu'à trente-deux pieds
de longueur sur dix de largeur. Des débris de poutres en bois
de cèdre encore engagés dans les murs prouvent que le bâti-
ment comportait trois étages, quatre peut-être, dans sa par-
Fig. 101. — Casa grande (plan par terre).
tie centrale. On ne voit aucun escalier, rien qui puisse en
tenir lieu ; c'est donc par des échelles que l'on communiquait
d'un étage à l'autre. Un vaste incendie a laissé partout des
traces ineffaçables ; on a supposé qu'il avait été allumé par les
Apaches, les plus sauvages et les plus indomptables de toutes les
tribus indiennes.
La Casa Grande était le centre d'établissements importants.
« Dans toutes les directions, écrit Bartlett, aussi loin que nos re-
gards pouvaient porter, nous apercevions des murs écroulés et
des amas de décombres, débris d'anciennes constructions. » Les
père Mange, Kino et Font racontent aussi que la plaine était
couverte, dans un rayon de deux lieues, de monticules d'adobes
tombés en poussière (2).
Plusieurs acequias, c'est le nom donné aux canaux d'irrigation,
(1) Bartlett, Personal Narrative of Explorations and Incidents in Texas, New-
Mexico, California, Sonora and Chihuahua. New-York, 1854, t. II, p. 271 et s.
(2) Des volumes ne suffiraient pas à décrire toutes les ruines de ces régions,
toutes les populations qui les habitaient. Mentionnons donc simplement celles qui se
trouvent dans les vallées du Rio Salado et de son affluent le Rio Verde. Le Salado se
jeite dans le Gila (VVliipple, Ewbank, and Tiu'ner, Report upon the Indiau Tribes).
LES CLIFF DWELLERS. 227
viennent aussi témoigner de l'industrie des habitants (1). Le père
Mange en mentionne un auprès de la Casa Grande, destiné a rece-
voir les eaux du Gila ; il aurait eu vingt-sept pieds de largeur, sur
dix de profondeur et sur une longueur de trois lieues. CeschitTres,
il faut le dire, paraissent exagérés aux voyageurs plus récents; ils
citent cependant un autre canaldansla vallée du Salado qui aurait
une largeur à peu près égale sur une profondeur de quatre à cinq
pieds. De pareilles entreprises n'arrêtaient donc pas ces hommes,
pas plus que dans d'autres régions ils n'arrêtaient les Mound-Buil-
ders alors qu'elles pouvaient favoriser leur commerce ou leur
agriculture. Elles montrent mieux peut-être que leurs construc-
tions à quel degré de civilisation ces populations étaient arrivées.
11 faut rapprocher de la Casa Grande du Rio Gila, d'au- Lescasas
grandes du
très ruines plus considérables encore, situées dans le Chihua- <"hihuahua.
hua et qui les rappellent de tous points. Ces constructions,
auxquelles les Espagnols ont donné le même nom de Casas
Grandes, doivent être mentionnées ici, car il est évident qu'elles
sont dues aux mêmes races et qu'elles datent de la même épo-
que que celles de l'Arizona.
Les Casas Grandes sont situées dans la vallée du San Miguel,
non loin de la limite actuelle des Etats-Unis et du Mexique. Le
pays est occupé par les Apaches, qui rendent toute exploration
dangereuse (2).
Des amas de décombres, au milieu desquels surgissent des pans
de murailles (3), indiquent l'emplacement ancien de la ville. Les
murs étaient construits en adobes, simplement séchés au soleil.
La longueur de ces adobes était fort irrégulière, leur épais-
seur atteignait vingt-deux pouces ; la largeur des murs appro-
chait de cinq pieds ; ils étaient simplement enduits avec de l'ar-
gile délayée dans de l'eau.
(1) Bancroft, /. c, t. IV, p. 632, 635.
(2) Arleguy, Chron. delà Prov. de S. Francisco de Zacatecas. Mexico, 1737, p. lOi.
— Clavigero, St- Ant. del Messico, t. I, p. 159. — Escudero, Noticins del Estadn de
Chihuahua, p. 234. — Album MexicanOy Mexico, 1849, t. I, p. 374. — Bcrtlett, Per-
sonal Narrative, New- York, 1834, t. II, p. 347.
(3) Quelques-uns de ces pans de murs atteignent jusqu'à 50 pieds de hauteur.
228 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Le bâtiment principal avait 800 pieds de longueur sur les faces
Nord et Sud; 250 seulement sur celles Est et Ouest (1). En
1851 , à l'époque de la visite de Bartlett, il n'existait nulle pierre,
nulle poutre visibles ; l'état de destruction était tel, qu'il ne lui
fut pas possible, de relever la trace d'un plancher ou d'un esca-
lier, ni de constater le nombre ou la hauteur des étages (2). Les
mêmes obstacles s'opposaient à ce qu'il put se rendre compte des
aménagements intérieurs; sur un seul point, il reconnut six cel-
lules de vingt pieds sur dix, et encore cet espace déjà si étroit
était-il rétréci par un petit réduit de trois à quatre pieds de hau-
teur situé à l'extrémité de chaque cellule et dont l'usage reste
inconnu.
Un peu plus loin, d'autres bâtiments entourent une cour car-
rée. Là aussi nous retrouvons ces cellules qui sont un des traits
caractéristiques des Casas Grandes, comme des Cliff-Houses et
des Pueblos. C'est un indice sérieux d'habitudes communes,
partant de l'origine commune de ces populations.
Plus de deux mille mounds existent dans les environs des
Casas Grandes; il est probable qu'ils étaient des sépultures. Les
fouilles n'ont cependant donné aucun ossement humain. Il
a été seulement recueilli quelques haches en silex, quelques gros-
sières figurines en terre cuite et des fragments de poterie, décorée
d'ornements rouges, noirs ou bruns, sur un fond généralement
blanc.
A quelques miles plus loin s'élève une véritable forteresse
construite non plus en adobes, mais en pierres parfaitement ap-
pareillées et posées sans mortier d'aucune sorte. Les murs ont
de dix-huit à vingt pieds d'épaisseur, et on arrive au sommet par
un chemin taillé dans le roc. Rien n'indique, si cette forteresse
avait été érigée pour défendre les Casas Grandes et si même
(1) L'Album Mexicano dit 1380 pieds sur 414. Bartlett, à qui nous empruntons les
chiffres que nous donnons, n'a probablement pas compris dans le total les bâtiments
détachés.
[2) D'autres explorateurs moins consciencieux, prétendent que les bâtiments princi-
paux avaient trois otages et étaient surmontes dune terrasse.
LES CLIFP DWELLERS. 229
elle existait au moment où cette bourgade était florissante.
j-v .. ,, ., i, .j|/~iLe Colorado
Des ruines importantes se voient sur les deux rives du Lo- cbiquuo.
lorado Chiquito, une des branches supérieures du Colorado.
Elles datent d'époques difTérentes, et sur des fondations en pierres
brutes nous trouvons, comme dans l'Arizona, des murs cons-
truits en adobes et en bois. De nombreux tessons d'une poterie
fine et légère, rarement peinte, des fragments d'obsidienne et
de roches en général étrangères au pays, témoignent aussi de
la présence de l'homme (1).
11 faut citer parmi ces ruines une construction mesurant 120
pieds sur 360, et placée sur une éminence isolée : les murs sont
presque entièrement écroulés ; on en voit cependant qui attei-
gnent jusqu'à douze pieds d'épaisseur. A l'intérieur, ce sont
toujours les mêmes petites cellules que nous avons si souvent
racontées. Mentionnons encore un fort, si l'on peut lui donner
ce nom, élevé sur la rive ouest du Beaver-Creek (2).
La rivière coule à travers des canons abruptes, qui présentent
l'aspect de la désolation. Vers le milieu d'une falaise, aux parois
perpendiculaires et sans nul moyen d'accès, à cent pieds d'alti-
tude, se dresse une tour carrée, en pierres admirablement appa-
reillées et pouvant avoir de 30 à 35 pieds d'élévation. Chaque
étage, construit en retrait sur l'étage inférieur, ne renferme
qu'une seule chambre, dont les dimensions varient de 4 à 8 pieds
carrés et la hauteur de 3 à 5 pieds. Les planchers sont en poutres
grossièrement équarries, les ouvertures sont peu nombreuses et
fort étroites. 11 n'était possible d'y pénétrer qu'au prix des plus
grandes difficultés. Dans toute la vallée, jusqu'à Montezuma
Wells, s'élèvent des tours semblables, qu'un voyageur compare
assez justement à des nids d'hirondelles. Il a fallu un travail
inouï, pour transporter les pierres et pour les maçonner, dans de
(1) Sitgreave, Report of an Expédition down the Zuni and Colorado Rivert, p. 8.
Washington, 1853. — Whipple, Report of Explorations near the 35''" parallel. — B.
Môlhausen, Taf/ebuch etne Reisevom Mississipi nnch dem Ktisten der Sud See, Leipzig,
1858.
(2) D"' Hoffmann, Eth'i. Obs. on Indians inhabiting Nevada, California and Ari-
zona. U. S. Ge'il. and Ce' g. Surreij, 1876.
230 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
telles conditions. On se demande quels pouvaient être ces hom-
mes et quel but ils prétendaient poursuivre, sans que nous
puissions répondre à une interrogation qu'il faut si souvent
répéter. • ,. ;• ^ aur
INous ne serions pas au terme des surprises qui nous attendent
dans ces régions, s'il fallait admettre avec une entière confiance
le récit du capitaine Walker, qui dit avoir découvert en 1850,
sur les bords du Colorado Chiquito , une véritable citadelle
située au milieu d'une ville, dont les ruines s'étendent à plus d'un
mile de distance et dont on peut encore reconnaître les rues,
tracées à angle droit (1). « Un ouragan de feu (2), » dit-il,
avait passé sur la ville ; les pierres sont effritées par les flam-
mes, le rocher lui-même sur lequel s'élevait le bâtiment princi-
pal porte des traces de fusion ; tout témoigne de l'intensité de la
chaleur.
Avant de rejeter absolument un récit que nul autre ne vient
confirmer, il faut se rappeler que des témoignages, cette fois
plus sérieux, nous montrent dans le Missouri, sur la rivière
Gasconnade , non loin de Saint- Louis , une ancienne ville ,
avec des places régulières, des rues se coupant à angle droit et
des maisons en pierres brutes, sans trace de mortier. On peut
aussi citer des ruines analogues à Buffalo-Creek et sur la rivière
Osage (3).
Le major Powell vient de remonter, sur un parcours de plu-
sieurs centaines de miles, le grand Colorado, encore si peu
connu (4). 11 raconte, au milieu d'une nature morne et désolée,
les traces d'une population aujourd'hui complètement disparue.
Ce sont à chaque pas des pueblos dans les vallées, des Cliff
Ilouses dans des canons sauvages et pittoresques, au milieu de
rochers d'une hauteur de 1500 mètres, et dont les parois inclinées
sont parfois tellement rapprochées, qu'on est tenté de croire que
(1) San Francisco Herald, 1853, cité par Bancroft, The Native Races, t. IV, p. 64:J,
(2) « A Slorm of fire. »
(3) Conant, Foot Prinls of Vanished Races, p. 71.
(4) Scribner's, Monthly Jan, Feb. March, 1875.
LES CLIFP DWELLERS. 231
Je fleuve s'enfonce dans un souterrain semblable aux tunnels de
nos chemins de fer. Autour de ces habitations abandonnées les
voyageurs trouvèrent des tessons de poterie, des pointes de flèche,
des éclats de silex pareils à ceux recueillis dans toute l'Amérique
centrale.
Nous venons de voir de nombreuses constructions, situées dans
les vallées au pied des Cliff Houses et dont les approches étaient
défendues par des postes et des tours d'observation. Tout parle,
nous l'avons dit à plusieurs reprises, de périls incessants, d'en-
nemis redoutables. Il est d'autres ruines plus considérables, plus
imposantes par leur masse, dont les anciens habitants ne parais-
sent pas avoir été exposés aux mêmes dangers.
Ceux-ci formaient des communautés paisibles, exclusivement
agricoles, où le communisme sous l'autorité d'un chef despo-
tique paraît avoir été le régime dominant. Gregg, qui parcou-
rut tout le Nouveau-Mexique vers 1840, fut le premier à les
décrire (1). « Les ruines du pueblo Bonito dans le pays des
Navajos, au pied des Cordillères, dit-il, comprennent des mai-
sons bâties en dalles de grès, genre de construction actuelle-
ment inconnue dans le pays. Ces maisons sont encore intactes,
bien que leur antiquité soit telle, que l'on ignore absolument leur
origine. »
En 1849, le colonel Washington, gouverneur du Nouveau-
Mexique, organisa une expédition contre ces Navajos qui infes-
taient tout le nord de l'État ; et c'est au lieutenant depuis géné-
ral Simpson, attaché au service topographique de Tarmée, que
nous devons les premiers plans réguliers des ruines que ses sol-
dats rencontraient à chaque pas, en parcourant le canon
Chaco(2).
Le pueblo Bonito est le plus important de ces villages (fîg. 102).
Il convient de le décrire avec quelques détails (3) ; il permet de se
(1) Commerce des Prairies, t. I, p. 284. New-York, 1844. Le pueblo, dont Gregg
parle sous le nom de pueblo Bonito, est probablement le pueblo Pintado.
(2) Report Secretary of War SI" Congress I" Session.
(3) Ruins of Chaco Canon examined in 1877. Jackson, /. c, p. 43?, 440 et s.,
pi. LVIII.
Pueblo du
Canon Chuco.
232 L'AMÉRIQUE PREHISTORIQUE.
rendre compte des autres pueblos, tous semblables dans leurs
principales dispositions. Il faut cependant ajouter qu'ils présen-
tent en général des plans rectangulaires, et qu'ils montrent une
unité de conception que nous ne trouvons pas au même degré
dans le pueblo Bonito.
Ce pueblo, construit sans doute à plusieurs reprises, selon
les besoins du moment, s'élève sous les rochers à pic, qui for-
ment le canon Chaco et forme une demi-ellipse irrégulière
mesurant 544 pieds sur 314. Une cour intérieure est coupée en
LES GLIFF DWELLKRS. 233
deux parties à peu près égales par une rangée de quatre estufas.
Deux ailes sont placées perpendiculairement au bâtiment princi-
pal. L'aile gauche est divisée en trois rangées de chambres paral-
lèles, plus grandes que celles des Cliff' Houses (1) : les murs exté-
rieurs sont en ruines; mais des murs de refend assez bien
conservés atteignent encore le deuxième étage. Cette aile se con-
tinue en quart de cercle, et bien que toute cette partie ait beau-
coup souffert, on peut encore y distinguer cinq rangées de cellules
et neuf cellules à chaque rangée. Mentionnons enfin trois estufas,
à moitié en sous-sol, placés un peu en avant des bâtiments.
A l'aile droite, les murs sont mieux conservés; sur certains
points, ils atteignent.encore 30 pieds de hauteur et on a constaté
jusqu'à quatre étages différents disposés en retrait les uns sur les
autres (2). Cette partie des constructions a paru aux explorateurs
la plus récente de toutes ;quelques-unes des poutres qui soutenaient
les planchers sont encore en place et font comprendre la dispo-
sition des différentes chambres, les plus grandes du pueblo.
Il a été impossible, à raison de l'état de dégradation d'une par-
tie des ruines, de savoir le nombre exact des chambres. Dans
un pueblo voisin, le pueblo Pintado, on en compte cent cinquante ;
tout donne à penser que leur nombre était plus élevé encore
au pueblo Bonito.
Ni les murs intérieurs, ni les murs extérieurs n'offrent une
trace d'escalier ; il est présumable que l'on communiquait d'un
étage à l'autre par des échelles ; c'est le mode encore usité dans
les pueblos actuellement habités. Les fenêtres sont d'une ex-
trême petitesse ; leurs linteaux se composent de morceaux de
bois de cèdre ou de pin à peine équarris et simplement poses les
uns à côté des autres. Les planchers devaient être en bois; ils
ont été en grande partie brûlés par les soldats du colonel Washing-
ton, pour entretenir leurs feux de bivouac.
(1) Elles mesurent de 12 à 20 pieds de longueur sur 12 à 15 de largeur.
(2; Nous trouvons également plusieurs étages aux pueblos voisins. Le pueblo Pin-
tads en compte quatre; le second mesure dix pieds de hauteur, le troisième sept. Le
pueblo de l'Arroyo compte trois étages, on pourrait en citer plusieurs autres.
234 L'AMÉaiQUE PRÉHISTORIQUE.
Les murs du côté Est sont assez bien conservés et s'élèvent à
la hauteur du second étage. De ce côté se dressent deux estufas
les plus considérables du pueblo; leur diamètre est de plus de
50 pieds ; elles étaient situées au milieu de la cour et noyées dans
un massif de maçonnerie qui forme un rectangle de H5 pieds
sur 65. Plus loin des amas de décombres indiquent l'emplace-
ment de constructions, dont il est impossible de dire la desti-
nation ; elles reliaient les estufas à deux autres plus petites, qui
touchaient au bâtiment principal. Dans la cour même, une série
d'excavations remplies de débris de toute sorte fait croire à une
suite de souterrains; il est regrettable que ce point intéressant
n'ait pas été vérifié.
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103. — Modes divers de inaçonnorie employés dans les constructions de la
vallée du Chaco.
La maçonnerie, remarquable en général par le soin et la préci-
sion avec laquelle elle a été exécutée, contraste singulièrement
avec celle que l'on voit aujourd'hui chez les Indiens sédentaires.
On choisissait toujours les pierres les plus grosses, pour encadrer
les ouvertures, et on les dressait à angles parfaitement droits.
Dans les constructions très diverses qui forment l'ensemble du
pueblo Bonito, cette maçonnerie offre de notables différen-
ces (fig. 103) ; elle ne paraît pas dater du même temps; et il est
possible que certaines parties aient été refaites à des époques plus
récentes. Sur plusieurs points, les murs extérieurs sont renforcés
par des rondins de bois de 3 à 4 pouces de diamètre, placés verti-
LES GLIFF DWELLERS. 235
calement, puis par d'autres, ayant 10 à 15 pieds de longueur sur
un diamètre de 6 à 8 pouces, placés horizontalement. Nous re-
trouvons cette disposition dans les îles delà Grèce (1), exposées
aux désastreux effets des tremblements de terre. Les mêmes
causes avaient amené les habitants du Nouveau-Mexique à pren-
dre les mêmes précautions. JNe nous lassons pas de faire ressortir
cette similitude de l'intelligence, cette identité de conception
chez l'homme sur toute la surface du globe. C'est assurément un
des points les plus curieux de notre étude.
11 faut noter aussi le grand nombre d'estufas qui se dressent
de toutes parts au milieu de ces ruines. Mr Jackson en a compté
jusqu'à vingt et une. Elles sont remarquables en général par leur
grandeur et la solidité de leur construction. Presque toutes étaient
à ras du sol, et leur hauteur dépassait celle des autres bâtiments.
On ne leur voit aucune ouverture latérale; il est probable que,
comme au pueblo Pintado, on pénétrait dans l'intérieur par une
ouverture ménagée dans la voûte. La plupart de ces estufas sont
complètement en ruines et leur emplacement seul est marqué
par des amoncellements de terres et de pierres. Celles restées
encore debout prouvent l'intelligence des architectes et l'habileté
des ouvriers. Dans quelques pueblos, elles sont s(?utenues par des
contreforts, destinés à leur donner une plus grande solidité (2).
Chaque découverte montre l'importance de ces estufas. Nous
les avons signalées dans les Cliff-Houses ; nous les voyons dans les
pueblos et aujourd'hui encore elles existent chez les indiens Mo-
quis (3). Ce sont encore là des points de comparaison qu'il con-
vient de ne pas omettre.
En continuant ses recherches, M. Jackson découvrit à l'est,
en dehors de l'enceinte du pueblo, l'emplacement de plusieurs
(1) Les Premiers Hommes et les Temps préhistoriques, t. I, p. 414.
(2} Au pueblo Hungo-Pavie, l'estufa est flanquée de six contreforts qui sont de véri-
tables piliers ; au pueblo Pintado, on en trouve quatre à peu près semblables. Il serait
facile de multiplier ces exemples.
(3) Chez les Moquis, les estufas sont des chambres carrées : elles servent d ateliers
pour le tissage. Les hommes et les femmes s'y réunissent pour éviter la grande cha-
leur du jour, mais plutôt, selon d'autres récits plus croyables, pour se livrer à
leurs rites mystérieux.
236 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
petites constructions, élevées sur un banc de pierres qui formait
l'assise inférieure du rocher. Le banc calcaire avait même été
prolongé par une couche de maçonnerie formée de grosses et de
petites pierres disposées alternativement. Plus loin encore, une
autre masse de ruines plus importantes, comprenant deux estu-
fas, dépendait, selon toute vraisemblance, du pueblo Bonito (1).
Le temps manqua sans doute aux explorateurs pour fouiller
deux amas de cendres qui existaient au sud du pueblo ; il est
bien certain que ces kjôkkenmôddings auraient livré des ob-
jets destinés à mieux faire connaître les vieux habitants du sol
américain.
Parmi les autres pueblos, il faudrait encore citer le pueblo
Una-Vida (2), le pueblo Pintado dont nous avons parlé à plu-
sieurs reprises, le pueblo Weje-Gi, le pueblo Penasca-Blanca (3)
le plus grand de tous après le pueblo Bonito, le pueblo de
l'Arroyo , où l'on peut encore constater l'existence de trois
étages; les planchers sont en branches de saules entrelacées et
chargées de terre battue. Une description détaillée de ces pue-
blos nous entraînerait à une constante répétition. C'est partout
le même genre de constructions, avec leur régularité mathéma-
tique, leurs murs en pierres ou en adobes, et leurs estufas domi-
nant les autres bâtiments. Il faut cependant ajouter que le
pueblo Alto, que l'on aperçoit à peine de la vallée, est situé,
comme les Cliff-Houses, au sommet d'une coUine assez élevée.
On y arrive par un escalier de vingt-huit marches, grossière-
ment taillées dans le roc ; à droite et à gauche on peut distinguer
des trous pour placer la main et pour faciliter ainsi l'ascension.
En arrivant sur la mesa, on est en face d'une construction en
forme de parallélogramme, présentant tous les caractères d'une
(1^ Leur emplacement mesure 153 pieds sur 73.
(2) L'estufa de ce pueblo est une des plus grandes connues jusqu'à ce jour, son dia-
mètre dépasse 60 pieds.
(3) Ce pueblo est en forme d'ellipse ; la cour intérieure mesure 346 pieds sur 269 et
l'ensemble des constructions 499 pieds sur 363. A côté de ces pueblos considé-
rables, il s'en trouve d'autres fort petits. Celui qui porte le n° 9 dans les plans levés
par M. Jackson ne mesure que 78 pieds sur 63 et cependant on y voit deux estufas
et une vingtaine de chambres.
LKS GLIFF DWELLERS. 237
grande antiquité, et probablement, bien antérieure à toutes les
autres constructions de la vallée; Tout auprès, on aperçoit un
immense amas de débris de toute sorte, des tessons de poterie
principalement; les ingénieurs Américains l'ont cubé et esti-
ment sa contenance à 25,000 pieds cubes. Répétons encore nos
regrets que les explorateurs n'aient pu entreprendre des fouilles;
leur résultat eut certainement aidé à l'élucidation des problèmes
que nous cherchons à exposer.
Le voyageur est récompensé des fatigues de l'ascension : du
pueblo Alto, il voit à ses pieds les ruines qui surgissent de toutes
parts dans le canon Chaco ; plus loin s'étend un horizon immense ;
au nord le bassin du San Juan, et la chaîne de la Plata ; à
l'est, la Sierra Tunecha ; au sud, les cimes dentelées et
chargées de neige de la Sierra San Mateo; à l'ouest les monts
Jemez dominés par le Pelado aux glaciers éternels. Tout a
changé ; la nature seule reste immuable, et l'homme du dix-
neuvième siècle jouit du même aspect, à la fois riant et gran-
diose, qui devait charmer l'antique habitant du pueblo.
Au Chettro Rettle, le général Simpson, lors de sa première
exploration (1), put examiner une chambre encore remarquable-^
ment conservée. Nous ne pouvons mieux faire que de lui em-
prunter la description qu'il donne ; elle montre que ces hommes
perdus au milieu de régions d'un abord si difficile savaient cons-
truire leurs demeures avec autant d'art que les peuples que nous
sommes accoutumés à regarder comme les initiateurs de la ci-
vilisation. « Cette chambre, dit-il, a quatorze pieds de largeur sur
dix-sept pieds et demi de longueur; on y pénètre par une porte
qui mesure trois pieds et demi d'élévation. Une autre porte, à
l'extrémité ouest, conduit à une petite pièce attenante, de deux
pieds seulement de largeur et dont la hauteur n'a pu être exac-
tement établie, à raison de la masse de décombres qui l'obs-
truaient. Les murs en pierre sont revêtus d'un enduit assez bien
conservé. Une niche de trois pieds deux pouces de hauteur, sur
(1) Report of the Secretary of voay, 31" Congress !•' Session.
23é L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
quatre pieds cinq pouces de largeur, a été pratiquée dans le mur
du côté sud. On a supposé qu'elle était destinée à servir de foyer;
mais il a été impossible de découvrir aucune trace de cheminée,
la fumée se serait donc répandue dans la chambre. Trois autres
niches existaient dans ce même mur, rien n'explique leur utilité.
Le plafond était soutenu par deux poutres maîtresses, sur les-
quelles on avait posé transversalement un nombre de poutrelles,
rattachées entre elles par des filaments ligneux. Les interstices
avaient été soigneusement bouchés avec des petits cailloux, et
sur cette assise on avait placé des lattes qui présentent l'appa-
rence et l'odeur du bois de cèdre.»
M. Jackson, qui visita ces ruines vingt-huit ans après le géné-
ral Simpson, ne retrouva plus cette chambre située au nord-
ouest de la construction (1) ; mais il en cite d'autres, non moins
curieuses. 11 fallait y pénétrer par des trous pratiqués dans la
maçonnerie; le premier étage seul possédait une série de petites
fenêtres. Les murs du pueblo Chettro Rettle mesuraient 935
pieds de longueur sur 40 de hauteur ; leur cubage donne
315,000 pieds cubes de maçonnerie. Si l'on songe que chacune
des pierres qui entrait dans cette maçonnerie a dû être tirée de
la carrière, amenée à une assez grande distance, équarrie, puis
posée; si on ajoute les poutres qu'il fallait aussi aller chercher au
loin, les ouvertures qu'on devait établir, il est difficile de ne
pas conclure qu'un grand nombre d'ouvriers, dirigés par des
architectes intelligents, ont été employés à ces constructions,
qui, au point de vue tout au moins de l'art du maçon, témoi-
gnent d'une civilisation avancée.
pi.ehios de Lcs mêmcs observations peuvent s'appliquer à un pueblo, situé
Las Animas. _ .
sur les bords de la rivière de Las Animas, un des affluents du
San Juan, à soixante miles environ du Chaco. Ce pueblo a été
visité par l'honorable L. Morgan et décrit par lui avec une scru-
puleuse exactitude (2). Le bâtiment principal, de 368 pieds, et ses
(1) L. c, p. 43a.
(2) On ihe Ruins of a Stone Pueblo on the Animas Hiver in New-Mexico. Am. Ass.,
Saint-Louis, 1877. — Report Peabody Muséum, t. II, p. 536.
LES CLIFF DWELLERS. 239
deux ailes de 270 pieds de loagueur sont les plus élevés de-tous
ceux actuellement connus. Ils comptaient cinq, peut-être même
six étages et soixante-dix chambres ou cellules à chaque étage.
Les murs n'ont jamais moins de deux pieds et atteignent parfois
jusqu'à trois pieds six pouces d'épaisseur. Quelques-unes des
chambres communiquaient entre elles par des trappes ; d'autres
avaient deux portes et quatre ouvertures latérales, assez petites
il est vrai, mais pouvant du moins admettre l'air et la lumière,
luxe jîresque inconnu chez ces populations. Ici aussi, nous
retrouvons les estufas ; il en est deux dans le bâtiment prin-
cipal, une autre dans un bâtiment annexé ; une quatrième enfin,
du diamètre de soixante-trois pieds jet demi, s'élève au milieu
de la cour.
D'autres pueblos presque aussi grands existent dans la vallée
de Las Animas. Cependant M. Morgan estime à 5,000 âmes seu-
lement la population de la vallée, au moment où tous ces pue-
blos étaient habités. Nous reproduisons ce chiffre, bien qu'il ne
repose que sur des bases purement hypothétiques.
A l'autre extrémité du Nouveau-Mexique, il existe des ruines
non moins remarquables (1); et elles offrent avec celles que nous
avons décrites une telle similitude, qu'il est impossible de ne pas
les attribuer aux mêmes races et aux mêmes époques. Ces
pueblos étaient situés dans toute la partie de la Aallée du Rio
Grande, limitée au nord par le Rio de las Frijoles, au sud par
le San Domingo, à l'est par le plateau qui s'étend jusqu'à
Santa-Fé (2).
Nous choisirons parmi ces ruines celles gui se trouvent dans ??'"" '^"
^ ^ Rio Pecos.
la vallée du Rio Pecos, petite rivière qui se jette dans le Rio
Grande (3). M. Randelier a visité récemment cette vallée longue
de vingt à vingt-cinq miles, large de six à huit et située à une
(1) A. F. Bandelier, Report on tite Ruins of the Piieblo of Pecos. Arch. Institute of
America. Boston, 1881.
(2) Capitale de l'État du Nouveau-Mexique. Son altitude est de 6840 pieds au-dessus
du niveau de la mer.
(3) Dans le voisinage on rencontre des placitas célèbres parjeur richesse en mé-
taux précieux et les cerillos, où Ion ti-ouvc les turquoises bleues et vertes.
240 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
altitude de 6346 pieds (1). JNous ne pouvons mieux faire que de
résumer, en nous aidant d'autres sources, la description qu'il
donne des constructions les plus importantes ; nous conserverons
les initiales A et B, sous lesquelles il désigne deux groupes; leur
nom comme leur histoire restent absolument inconnus.
Le pueblo B s'élève sur une mesa qui domine le Rio Pecos.
Ses fondations reposent sur un rocher siliceux et les dispositions
du bâtiment varient selon les sinuosités ou les aspérités du ro-
cher ; elles sont donc loin de présenter cette régularité qui frappe
si singulièrement dans les pueblos du Chaco ou du Mac Elmo. Le
bâtiment mesure 440 pieds de longueur et 63 de largeur maxima.
11 ne comprend nulles ailes latérales, nulle cour intérieure, et
pour la première fois nous rencontrons un pueblo sans estufa.
On est parvenu à compter cinq cent dix sept cellules, séparées
par des murs de refend très-minces. Les plus grandes mesurent
neuf pieds sur seize, les plus petites sept pieds sur neuf. M. Ban-
delier porte leur élévation à sept pieds et demi (2). Comment un
semblable réduit pouvait-il servir à l'habitation d'un être hu-
main (3) ?
On distingue dans la maçonnerie d-es assises fort différentes ;
les unes sont en grès schisteux gris ou rouge, les autres en un
conglomérat formé de nombreux silex variant de la taille d'un
pois à celle d'une noisette. Seule, une partie, que l'on regarde
comme la plus récente, est en adobes d'assez grande dimen-
sion (4). Cette maçonnerie est revêtue à l'intérieur d'un enduit
très soigné, de couleur blanche, dont la composition n'a pu être
déterminée; elle était consolidée par des poutres en cèdre ou en
sapin, noyées dans le mur; ces poutres étaient.à l'état naturel;
(1) Emory, Notes of a Militajv/ Reconnaissance from Fort Leavenworth in Missouri
to San Diego in Ca/ifornia. Washington, 1848.
(2) Si le calcul de M. Bandelier est exact, la hauteur totale du bâtiment aurait été
de 36 pieds.
(3) Castaneda de Nagera, Relation du voy. de Cibola. — Juan Jaravillo, app. VI,
Ternaux Compans, série I, t. IX. — G. Castano de la Cosa, Memoria del Descubri-
miento que... hizo en et Nuevo Mexico; Mexico, 1690, Doc. ined, de los Archivos de
Indius, t. XV, p. 244,
(4) Ces adobes mesurent 1 1 pouces sur G.
\
LES CLIFF DWELLERS. 241
on s'était contenté d'enlever l'écorce. D'autres poutres servaient
à soutenir le plancher formé de broussailles, de rognures de
bois et d'une couche épaisse d'argile délayée; c'est la même dis-
position, que nous avons précédemment racontée. On n'a trouvé
nulle trace ni de portes, ni d'escalier; on arrivait par des trappes'
aux différents étages, en retrait les uns sur les autres. Castaneda,
en racontant une des premières expéditions des Espagnols, celle
de 1540, dont il faisait partie, rapporte que les toits des maisons
formaient des terrasses qui permettaient de se rendre de l'une à
l'autre. Tels, sans doute, avaient été de tout temps les moyens
de communication des habitants. Ajoutons que c'est le mode
encore employé aujourd'hui par les Indiens de Zuni, de Moqui,
d'Acoma ou de Taos; nul changement ne s'est produit dans des
habitudes séculaires.
Dans une des chambres, on a recueilli des cendres et des
fragments de charbon, seuls indices du foyer domestique. Il a été
impossible de reconnaître le mode employé pour faire disparaître
la fumée, peut-être faut-il l'attribuer à l'état de destruction oii
était le bâtiment, car le général Simpson décrit au pueblo de
San Domingo un trou d'échappement placé précisément au-
dessus du foyer (1).
Le pueblo A est situé au nord du pueblo B. Il comprend plu-
sieurs bâtiments (2) entourant une cour (3). Leur périmètre est
de 1190 pieds, et on a compté jusqu'à cinq cent quatre-vingt-
cinq chambres. C'est le pueblo le plus considérable découvert
jusqu'à ce jour. Sa construction ne diffère en rien de celles que
nous avons racontées, on ne voit aucun escalier, aucune fenêtre,
aucun foyer, aucune cheminée et trois petits estufas rappellent
les usages ordinaires de ces populations (4).
(1) Fire Place and Smoke Escape at the Pueblo of Santo Domingo.
(2) La hauteur de ces bâtiments devait être fort différente, ainsi celui de l'est avait
cinq étages, celui du nord deux, celui du sud quatre. Bandelier, /. c, p. 78.
(.3) Les dimensions de cette cour données par Bandelier sont 210 pieds sur 63.
(4) M. E. Lee Childe, dans une publication récente (Correspondant, 10 nov. 1881),
décrit un village indien du Nouveau-Mexique qu'il venait de visiter : « Devant nous, dit-
il,à droite et à gauche, deux rangées de ces habitations en adobes, basses, sans ouver-
De Nadaillac, Amérique. 16
242 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Tout autour des pueblos et dans l'intérieur des diverses cel-
lules, on a recueilli d'innombrables fragments de poterie, des
pointes de flèche, des éclats d'obsidienne, de lave noire, d'a-
gate, de jaspe, de silex, des haches et des marteaux en pierre,
des anneaux en cuivre. Parmi tous ces objets, nous devons
une mention spéciale à plusieurs petites idoles en terre cuite,
assez semblables aux idoles mexicaines. C'est jusqu'à présent le
seul fait connu, qui jette quelque jour sur le culte des habitants
des pueblos (1).
Cette habitation en commun, ces cellules toujours si exacte-
ment semblables, l'absence de toute demeure plus importante,
ont fait supposer que les hommes des pueblos vivaient sous un
régime communiste et égalitaire (2) ; ils formaient certainement
une population agricole ; toute population sédentaire l'est, par la
seule force des choses. Auprès du Rio Pecos, on a pu d'ailleurs
reconnaître des champs cultivés, des traces d'irrigations assez
étendues (3). C'était là sans doute la huerta delpueblo, le jardin
cultivé par le travail commun (4). La propriété collective était
turcs extérieures, ni portes, ni escaliers. Par une échelle mobile et extérieure, on monte
sur des toits plats en terrasse. Toutes les fenêtres et les portes donnent dans une
cour intérieure, où l'on ne peut pénétrer qu'en descendant par une autie échelle.
Chaque maison est ainsi une espèce de petit fort, où l'échelle retirée, ni homme, ni
bête ne peut plus pénétrer... Cette tribu fait partie des Indiens Pueblos qui ont adopté
des mœurs agricoles, cultivent la terre et élèvent du bétail. » Ne croirait-on pas lire une
description des anciennes demeures que nous cherchons à faire connaître.
(1) Ant. de Espojo, El Viaje que hizo en el anno de ochenta y très. Hakluyt, Voya-
ges, t. III. Si nous acceptons le récit de Coronado, Pecos était déjà en ruines en 1540.
Plus tard, sous la direction des Franciscains, le pueblo se releva; on construisit une
église et un couvent, et en 1680, la population dépassait 2,000 habitants. Vetancurt,
Cronica, p. 300. — Bandelier, l. c, p. 120 et s.
(2) Bandelier, /. c, p. 54, 60, 89 et s. — Force, Cong. des Am. Luxembourg, 1877,
p. 16. — « Le lendemain matin, je fus éveillé dès l'aube par un chant étrange, raconte un
voyageur récent. Ayant tiré aussitôt les rideaux de l'ambulance, je distinguai vague-
ment le profil du chef qui se tenait debout au sommet du pueblo. Lorsqu'il eut fini de
chanter, il lança une proclamation. Il l'avait à peine terminée que je vis des figures se
mouvant avec rapidité. On m'expliqua que le chant du chef était un acte d'adoration
et que la proclamation avait pour objet de faire connaître quelle serait, durant la jour-
née, la tâche des différentes familles auxquelles appartiennent les cinq cents personnes
vivant dans le pueblo. » — Le présent peut aider à comprendre le passé.
(3) Des acequias ou grands canaux, et des zanjas, simples fossés d'irrigation.
(4) On reconnaît encore, sur bien des points, le contour des champs où l'on cultivait
LES CLIFF DWELLERS. 243
soumise au même régime que celui généralement adopté au
Mexique, avant la conquête espagnole. La terre, propriété com-
mune, était partagée chaque année entre les différentes familles
qui formaient la tribu et qui étaient probablement unies entre
elles par les liens d'une étroite parenté. Mais chaque famille
restait maîtresse des produits de son travail ; elle récoltait les
grains qu'elle avait semés, les fruits qu'elle avait plantés. Ces
assertions paraissent fondées, car selon Mariano Ruiz, qui
avait demeuré longtemps chez les Indiens Pecos, ce mode de
culture existait encore récemment chez eux ; il a même duré
jusqu'à l'extinction de la tribu, et, pour citer ses propres paroles:
« La tierras son del pueblo, pero cada uno piede vender sus
cosechas. »
Les fragments de poterie sont aussi nombreux chez les Clifl' Poterie, ar-
mes, orne-
Dwellers et chez les habitants des pueblos que chez les Mound- «>ents.
Builders. « Tous ceux qui ont visité ces régions, dit M. Jackson,
sont vivement impressionnés des débris de poterie semés partout
sur leur passage, et cela jusque dans les lieux où l'on n'aperçoit
nul vestige d'habitation humaine. La nature de la poterie a
sans doute permis une durée plus longue que celle des adobes
tombés en poussière. » « C'est par charretées que nous voyons à
nos pieds les fragments de poterie peinte », dit M. Bandelier,
en racontant les ruines du Rio Pecos. « Les anciennes tribus in-
diennes qui ont vécu sur les bords du Rio Gila, ajoute School-
craft (1), ont attesté leur longue résidence par la profusion de
tessons de poterie qu'ils ont laissés après eux. »
M. Holmes est plus explicite encore ; selon lui, le nombre de ces
tessons confond l'imagination. Sur une surface de dixpieds carrés,
mesurée au hasard, il put recueillir des fragments se rapportant
à cinquante-cinq vases différents, jarres ou amphores, plats ou
bouteilles. Toutes les explorations amènent de semblables résul-
tats ; et partout les amas de fragments de toute sorte sont autre-
le mais ; ces champs sont marqués par la puissante végétation d'une robuste variété
d'héliantlies.
(1) Archives of Aboriginal Knowledge, t. III, p. 83.
244 L'AMÉRIQUE PREHISTORIQUE.
ment importants, que ceux que Ton voit auprès des villages
habités aujourd'hui par les Indiens sédentaires. Pour l'expli-
quer, il a fallu recourir à une supposition étrange, les anciens
habitants du pays, dit-on, forcés de fuir devant une invasion
subite, avaient brisé leur vaisselle avant de déserter pour tou-
jours leurs foyers, soit sous l'empire d'une crainte superstitieuse,
soit pour qu'elle ne devînt pas le butin d'un ennemi abhorré.
Fig. 104. — Vases trouvés sur les bords du San Juan.
Ce qui est plus certain, c'est que les poteries trouvées à la sur-
face de la terre ne présentent aucune détérioration, bien qu'elles
aient été soumises depuis des siècles à toutes les intempéries des
saisons. En général, la céramique des Cliff-Dwellers est supé-
rieure à celle des Mound-Builders (fig. 104) ; elle était façonnée
avec une argile fine, très abondante dans le pays ; pour lui donner
de la consistance, on la mélangeait avec une petite quantité de
sable, de fragments de coquilles, ou bien encore avec des no-
dules de terre brûlée et pilée. Souvent, après l'avoir pétrie, le
potier la découpait en lanières minces, qu'il superposait les unes
aux autres en leur donnant, avec la main, la forme qu'il voulait
obtenir. C'est encore le mode employé aujourd'hui dans nos
verreries, pour obtenir les creusets et les pièces de grand appa-
reil. Nous reproduisons (fig. 105) une urne trouvée dans
LES GLIFF DWELLERS. 245
rUtah, auprès d'une construction en adobes, complètement en
ruines (1) ; elle permet de se rendre compte des détails de la fa-
brication. Toutes ces poteries ont passé au feu, et bien que la cha-
leur n'ait jamais été assez intense pour changer la couleur pri-
mitive de l'argile, elles avaient acquis par la cuisson une dureté
qui leur fait rendre, quand on les frappe, un son métallique
très clair. La légèreté était évidemment une qualité recherchée ;
les faces internes et externes étaient lissées avec soin avant la
cuisson, et l'ouvrier arrivait à donner aux parois, même dans
les vases les plus grands, une épaisseur dépassant à peine quel-
ques millimètres. Un grand nombre d'entre eux conservent des
traces de peinture et plusieurs avaient été enduits avec un vernis
Fig. 105. — Urne funéraire trouvée dans l'Utah.
que la vitrification transformait en émail brillant, comparable à
celui de nos produits modernes. On a trouvé sous des mounds
sépulcraux, auprès du grand lac Salé, des poteries inférieures
comme fabrication à celles de l'Ohio ou du Mississipi, qui con-
servent encore cet émail. Ces jarres renfermaient des ossements
humains brûlés ; c'est une preuve de plus de l'existence de la
(1) Ce vase appartient au Peabody Muséum ; sa capacité est de 3 gallons (13,72 litres) ;
la capacité d'un autre vase trouvé auprès d'Epsom Creek n'est pas moindre de 10 gal-
lons (45, 401.).
246 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
crémation à certaines époques et chez certaines peuplades (1).
Le vernis était de couleur noire, bleue ou brune, plus rare-
ment rouge ou blanche. On ignore sa composition; elle devait,
sans doute, varier selon les localités. Nous savons, par exemple,
que les Espagnols rencontrèrent dans les pueblos des vases rem-
plis d'un enduit métallique, prêt à être employé (2) ; et de nos
jours, les habitants du Guatemala se servent d'une gomme rési-
neuse dont ils enduisent la surface de leurs poteries, en les reti-
rant du feu (H). On cite un vase trouvé à Ojo Caliente (Nouveau-
Mexique), encore couvert d'une poudre de mica très fine; ce
pouvait être, là aussi, un des modes usités.
Fig. 106. — Fragments de poterie. '
La décoration est en général exécutée avec une grande préci-
sion ; les ornements se détachent sur les parois, soit en relief,
soit en couleur différente (4); ils sont noirs, par exemple, sur
un fond rouge ou blanc. Quelques-uns des tessons recueillis sont
de couleur bronze ; il est impossible de dire par quels procédés
cette couleur était obtenue (5). Souvent on trouve des fragments
sur lesquels des lignes, des dessins géométriques avaient été tracés,
comme chez les Mound-Builders, avec un instrument pointu,
(1) Bancroft, /. c, t. IV, p. 714.
(2) Castaneda de Nagera, Rel. du voyage de Cibola, Ternaux-Compans, t. IV, 1" série.
(3) Bancroft, /. c, t. I, p. 398.
(4) Ch. Rau, Indian Pottery, Smilh. Çont., 1866, t. XVI.
(5) Putnam, Bul. of the Essex Instituts, 1880.
LES CLIFF DWELLERS. 247
ou avec Tongle du potier; d'autres vases présentent des gra-
vures plus compliquées qui, par une coïncidence assurément
très remarquable, rappellent, à s'y méprendre, celles des Étrus-
ques (fig. 104 et 106). Les dessins des poteries de TArizona
ressemblent aux ornements tracés sur les murs du temple de
Mitla, qui eux aussi rappellent les procédés d'ornementation des
vieux peuples de l'Italie (1).
D'autres fois les poteries sont couvertes de figures humaines et
de représentations d'animaux. On cite sur les bords du Gila un
fragment sur lequel un artiste inconnu avait gravé une tortue,
un autre façonné en tête de singe (2). Les oiseaux abondent :
si, chez les Mound-Builders, le canard semble être le modèle
préféré, chez les Cliff-Dwellers c'est le hibou. En résumé, si la
poterie de ces derniers est supérieure à celle trouvée sous les
mounds, elle est bien autrement supérieure à celle travaillée au-
jourd'hui par les potiers du Rio Grande ou du San Juan. Les
Indiens Moquis ou Zunis savent fabriquer la poterie; mais ils ne
peuvent atteindre ni la régularité des formes, ni l'ornementation
artistique, qui caractérisent la céramique des anciennes popula-
tions du pays.
Quelques instruments en silex ou en roches diverses, généra-
lement polis, sont, avec les poteries, les seules épaves de cette
vieille civilisation, parvenues jusqu'à nous. Les pointes de flèches
se rencontrent fréquemment au pied des Clifî-Houses et autour
des pueblos. Elles témoignent, nous l'avons déjà dit, des luttes où
s'usait la vie de ces hommes, toujours obligés de défendre leurs
foyers. Auprès du Rio Mancos, on a trouvé une hache polie abso-
lument semblable à celles de nos pays (3) ; elle était cachée dans
un des réduits d'un Clifî-House, sous un tas de maïs. Etait-ce une
amulette? Faut-il voir là une réminiscence de la singulière su-
(1) Hoffman, Ethn. Obs. on Indians inhabiting Nevada, Califoiitia a7id Arizona. U.
S. Geol. Survey, 1876, p. 454.
(2) Poster, Prehistoric Rues, p. 249.
(3) Elle avait 8 pouces de longueur, sur 2 pouces 1/2 dans sa plus grande largeur.
Une face présente une légère concavité, l'autre est parfaitement plane. — Holmes, U. S.
Geol. Survey, pi. XLVI.
248 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
perstition dont la hache a été l'objet dans tous les temps et chez
tous les peuples (1) ? Mentionnons encore un grattoir en schiste
siliceux parfaitement poli, il ne pouvait servir qu'à préparer les
peaux, le schiste étant trop cassant pour percer ou pour frapper.
On a aussi recueilli de nombreuses pierres, propres à concasser
les grains. Ce sont des blocs de basalte avec une concavité soit na-
turelle, soit artificiellement agrandie ; nous avons là une nouvelle
preuve que les Clifî-Dw^ellers étaient essentiellement agricoles et
se nourrissaient du produit des champs qu'ils cultivaient.
Il faut enfin citer une natte en joncs (2), d'espèce très com-
mune aujourd'hui encore, sur les bords du Mancos, des cordages
tressés avec les fibres du Yucca, des coquilles du Pacifique, quel-
ques amulettes en pierre ou en turquoise, quelques grains de
colliers; puis notre liste est close. Nous avons dit le nombre très
restreint des fouilles exécutées jusqu'à ce jour, les obstacles qui
arrêtaient les savants Américains, si zélés pour la science ; et
on conçoit que les objets à la surface du sol ne pouvaient
échappera la rapacité des Utes ou des JNavajos, qui errent sans
cesse autour des ruines.
11 est remarquable, qu'à l'exception des anneaux en cuivre
trouvés à Pecos, on n'ait recueilli aucune arme, aucun ornement
en métal (3). Ces objets ont-ils été enlevés par les Indiens? Ou
les premiers habitants du Nouveau-Mexique et du Colorado ne
connaissaient-ils ni le fer, ni le bronze ? Cette dernière hypothèse
est probable, car les poutres grossièrement équarries qui sou-
tiennent leurs demeures paraissent avoir été travaillées à l'aide
d'outils en pierre. Nous ne prétendons toutefois rien affirmer;
c'est encore un point que des fouilles, scientifiquement conduites,
pourront seules résoudre.
Un des traits les plus saillants de la population des pueblos
sculptures, gQut Ics pcinturcs, les sculptures, les gravures sur roches, que
inscriptions r ' i ' o ' x
sur roche.
(1) Les Premiers Hommes et les Temps préhistoriques, t. I, p. 340.
(2) Scii'pus volidus.
(3) « The implements and ornaments are not numerous, include no articles of
any métal whatever, aud do not differ materially from articles now in use among the
Pueblo Indians. » Bancroft, /. c. , t. IV, p. 677.
Pictographie
peintures,
LES CLIFF DWELLERS.
249
Ton rencontre dans le Nouveau-Mexique, l'Arizona et le Colo-
rado (1). Elles ont donné naissance à un mot nouveau, la Picto-
graphie, dont nous demandons la permission de nous servir à
notre tour, bien que nous ne soyions nullement persuadés,
comme certains archéologues américains, que ces hommes ont
Fig. 107. — Blocs erratiques chargés de figures (Arizona).
prétendu retracer ainsi leur propre histoire, les combats auxquels
ils avaient pris part, leurs migrations ou leurs chasses. Les figu-
res sont en général si naïvement tracées, que les descendants
(1) On trouve également ces inscriptions dans le Texas. On cite entre autres celles
de Sierra- Waco, à 30 miles d'El. Paso ^Bancrolt, l. c, t. IV;.
250 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
n'auraient pu, en les contemplant, rien comprendre aux haut?
faits de leurs ancêtres. Il est plus probable que ces figures, si
curieuses qu'elles soient, ne sont le plus souvent que le produit
de la fantaisie du peintre ou du sculpteur.
Ce n'est pas seulement sur les rochers, que se trouvent les re-
présentations qui nous occupent, les nombreux blocs erratiques
de la vallée du Gila sont couverts de grossières figures d'hommes
ou d'animaux (fig. 107) (1). Mais c'est surtout sur les bords du
Mancos et du San Juan et dans les canons qui s'étendent vers
l'Ouest, que ces pictographies abondent. Les unes sont gravées
en creux à une profondeur qui varie d'un quart à un demi-pouce
(fig. 108 et 109) (2). Les autres sont tracées à grands traits en
couleur rouge ou blanche. Les premières, souvent placées à
des hauteurs presque inaccessibles, ont exigé un travail con-
sidérable. Sont-elles l'œuvre des ClifT-Dwellers ? Tout le fait
supposer, car elles se trouvent presque toujours dans le voi-
sinage dej leurs demeures. Ajoutons cependant que les inscrip-
tions et les figures sont très rares auprès des pueblos regardés
comme les plus anciens ; les plus récentes parmi elles pour-
raient bien être postérieures à la conquête espagnole. Leur
apparence seule permettrait de l'affirmer, si l'une d'elles ne
représentait un cheval (3) ; or nous savons que cet animal était
inconnu en Amérique avant l'arrivée des Conquistadores.
Il faut aussi relever la hache symbolique (fig. 109) répétée à
plusieurs reprises dans ces gravures. Sa forme rappelle, à s'y mé-
prendre, les haches gravées sur les monaments mégalithiques
de la Bretagne. C'est encore là un fait curieux, sans qu'il faille
en exagérer outre mesure l'importance.
Parmi les gravures sur roche les plus intéressantes, nousencite-
rons une sur les bords du San Juan, à 10 miles environ de l'em-
bouchure de la Plata. Elle figure une longue suite d'hommes,
d'animaux, et même d'oiseauxaulongcou et aux longues jambes,
(1) Bartlett, Personal Narrative, t. II, p. 11)5, 206.
(2) Holmes, /. c, pi. XLII et XLIII.
(3) Holmes, /. c, pi. XLU, fig. 11.
LES GLIFF DWELLERS.
251
se dirigeant tous du même côté (1). Deux hommes sont debout
dans un traîneau attelé d'un cervide, que l'on peut supposer un
renne; d'autres hommes suivent ou dirigent la marche. Il est
Fig. 108. — Pictographie des bords du San Juan.
évident que ces gravures se rattachent à la migration d'une tribu.
M. Jackson signale également, auprès du Mac Elmo (2), une
falaise couverte, sur une étendue de 60 pieds carrés, de figures
Fig. 109. — Pictographie des bords du San Juan.
d'hommes, de cervidés, de lézards, et M. Bandelier (3), des pic-
tographies, dont le degré d'usure semble attester la haute anti-
quité. Celles-ci, situées auprès des ruines de Pecos, représentent
des empreintes de pas d'homme ou d'enfant, une figure humaine
et un cercle très régulier renfermant des cupules que l'on peut
aussi rapprocher de celles qui existent sur nos mégalithes (4). Sur
(1) Holmes, /. c, pi. XUII, fig. 1.
(2) U. S. Geol. and Geog. Survey.
(3) Ruins of Rio Pecos, p. 92 et s.
(4) Les Premiers Hommes, t. I, p. 277 et s.
252 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
le Puerco et sur la rivière Zuni (1), deux des affluents du Colo-
rado Chiquito, on a remarqué des dessins qui paraissent de véri-
tables hiéroglyphes (2). Leur signification reste inconnue; nous
n'oserions même affirmer que cette signification existe.
Les rochers qui entourent le grand Lac Salé, auprès d'Utah,
la capitale actuelle des Mormons, sont couverts de sculptures qui
rappellent celles de l'Egypte (3). Quelques-unes sont des figures
humaines, de grandeur naturelle, entaillées dans un granit bleu
très dur, à plus de 30 pieds au-dessus du sol. Tout se réunit pour
montrer une somme de travail dont les Indiens actuels sont in-
capables, et des difficultés d'exécution qu'ils ne sauraient sur-
monter. La hauteur, à laquelle se trouvent quelques-unes de ces
sculptures, peut même faire présumer, depuis leur exécution, un
phénomène géologique, tel que la dépression du lac, par exemple.
C'est une hypothèse de plus à ajouter à toutes celles que nous
rencontrons.
Le besoin de reproduire les figures, les animaux, les événe-
ments qui les avaient frappés, d'en préciser le sens par des ins-
riptions, est un des traits les plus caractéristiques des diverses
races américaines. On a constaté sur les rochers de l'Ohio et du
Wyoming des signes, où l'on a cru reconnaître des hiérogly-
phes (4). Parmi ces gravures, une des plus importantes se trouve
dans le comté de Licking ; elle couvre une surface de 50 à 60 pieds
de longueur sur 10 à 12 pieds de largeur. Malheureusement
presque toutes les figures ont été détruites par les immigrants,
et il n'en reste plus que de faibles traces. On cite également
celles de Perrysburg, d'Indépendance (Comté de Ceeyahoga), et
celles du comté de Belmont.Si ce sont vraiment des inscriptions.
(1) C'est sur les bords du Zuni que s'élevaient les sept villes deCibola, visitées en
1540 par Coronado et qui sont restées légendaires.
(2) Môlhausen, Tagebuch einer Reise vom Mississipi nach den Kusten der Sud See.
Leipzig, 1858.
(3) Remy and Brenchley,^ Joumey to the Créât Sait Lake City. London, 1862, t. II,
p. 362.
(4) Whittlesey, Am. ^455. Indianapolis (Indiana}, 1871. - Th. Comstock, Id. Détroit
(Michigan), 1875.
LES GLIFF DWELLERS. 253
il est aujourd'hui impossible de les déchiffrer. Parfois, à côté
de ces signes, on voit gravés un trident, un harpon, un pied
d'ours, une main ou un pied humains (1).
Dans le Vermont, les rochers baignés par la rivière Connecti-
cut sont également couverts de gravures. Sur l'un d'eux on peut
reconnaître une figure humaine ; sur un autre, vingt têtes de
grandeurs différentes (2). Plusieurs portent sur le front deux
rayons, deux cornes, si l'on veut; la figure du milieu en a jusqu'à
six. Les yeux et la bouche sont indiqués par des trous circulaires,
le nez manque presque toujours. Une gravure à Brattleboro est
plus curieuse encore ; elle représente onze sujets différents,
mammifères, oiseaux ou serpents.
Des pictographies semblables, auxquelles on est disposé à ac-
corder une grande ancienneté, se voient sur les parois des caver-
nes du Nicaragua (3). Certaines grottes situées dans les monta-
gnes de la province d'Oajaca témoignent également du travail
de l'homme (4). Mais ici ce sont des peintures assez grossières
tracées à l'ocre rouge. Parmi ces peintures, on distingue des em-
preintes de mains en couleur noire ; elles rappellent celles que
Stephens a remarquées sur les murs en ruines des édifices d'Ux-
mal. M. Pinard, dans son voyage du Sonora, a rencontré de nom-
breuses inscriptions sur rochers (5). Il en décrit une gravée sur
les trois faces d'une roche basaltique, auprès du Rio del Busanig.
Quoiqu'elle soit des plus frustes, on parvient à distinguer sur la
face nord une main humaine, au-dessous deux cercles concen-
triques ; plus bas encore, un groupe de quatre petits cercles au-
tour d'un point central. La partie supérieure porte aussi de nom-
breux petits trous ronds disposés avec une symétrie intentionnelle ;
sur une roche qui s'élève au-dessus de la première, on a tracé
(1) On en cite plusieurs gravées à la profondeur d'un pouce et demi.
(2) La plus grande de ces figures mesure 20 pouces de hauteur, la plus petite 5 pou-
ces. G. H. Perkins, Remarks upon the Arch. of Vermont. Am. Ass. Saint-Louis, 1878.
(3) Report Peabody Mus., 1880, t. II, p. 71fi. — On cite auprès deNihapa un serpent
couvert de plumes. L'imagination de l'artiste s'est donné libre carrière.
(4) Brasseur de Bourbourg, Voy. sur f isthme de Tehuantepec, p. 123.
(5) But. Soc. Geog., sept. 1880.
254 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
plusieurs autres cercles. Ces figures ont évidemment une signi-
fication, toute inconnue qu'elle puisse être pour nous.
Auprès de Cahorca, se dresse un monticule rocheux de
forme ronde, auquel les Papagos ont donné le nom de Kaux-
Ka. C'est un amas de roches empilées, portant sur leurs sur-
faces planes de nombreuses inscriptions hiéroglyphiques. Sur
plusieurs points on peut encore distinguer des hiéroglyphes
plus anciens, une suite de lignes ou de signes symétriques ; ils
ont été en grande partie oblitérés par des inscriptions plus mo-
dernes tracées avec de la peinture blanche.
Ces gravures ou ces peintures se trouvent dans toutes les ré-
gions qui formaient autrefois l'Amérique Espagnole. On les cite
auprès du volcan éteint de Masaya, dans les Etats-Unis de Colom-
bie, sur les bords del'Orénoque, dans le Venezuela, où leur état
de vétusté permet à peine de les reconnaître; sur l'isthme
de Darien, où, dès 1520, les Conquistadores les constataient (1).
Le lieutenant Whipple les décrit sur les rochers de l'Arizona (2),
le professeur Rerr sur les montagnes Noires, auprès des sour-
ces du Tennessee ; et en parcourant les montagnes Blanches,
entre les villes de Colombus (Nevada) et de Benton (Californie)
on rencontre à chaque pas, tantôt des représentations d'hommes
et d'animaux, tantôt des signes indéchiffrables (3). Ni les Pah-
Utes qui occupent le versant californien, ni les Shawnees qui
campent auprès de Colombus, ne prétendent en attribuer l'ori-
gine à leurs ancêtres. A 20 miles environ au sud de Benton, la
route suit un défilé étroit, limité des deux côtés par des rochers
presque perpendiculaires, s'élevant à des hauteurs de qua-
rante à cinquante pieds. Ces murs de pierre sont couverts de
figures ; on ne connaît ni leur origine, ni leur date, et rien jus-
qu'ici n'est venu révéler le nom de ces artistes primitifs.
Les vieux habitants du Tennessee ont laissé, eux aussi, des
(1) Diego Garcia de Palacios, Caria dh'ijada al Rey de Espana, ano 1576.
(2) Government Report on the Pacific Railway Suroey.
(3) Hoffman, EthnoQ. Observ. on Indians inhabiting Nevada, California and Ari-
zona. U. S. Geol. and Geoy. Survey, 1876.
LES GLIFF DWELLERS.
255
peintures sur les falaises qui dominent leurs grands fleuves. Les
unes représentent le soleil ou la lune, les autres des mammifères.
Fig. 110. — Spécimens de gravures sur roche par les Boschismen.
le bison, par exemple (1). Ces peintures ont été exécutées avec de
(1) Jones, Aniiqmties of tfie Southern Indiuns. New-York, 1873, p. 137.
256 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
l'ocre rouge, et comme les sculptures d'Utah, dont nous avons
Fig. 111. — Gravures sur roche trouvées en Algérie.
parlé, elles sont à des hauteurs presque inaccessibles. Un soleil
LES CLIFF-DWELLERS. 257
colossal, gravé sur un rocherqui domine le Big-Harpeth, est visible
à 4 miles de distance. A Buffalo-Creek, ces ouvriers inconnus ont
dessiné tout un troupeau de bisons marchant les uns à la suite
des autres. Le père Marquette, dans son voyage du Mississipi, a vu
des scènes semblables gravées sur les falaises entre l'IUinois et le
Mississipi; et des voyageurs plus récents attestent la fidélité de
son récit (1).
En parlant de l'Amérique du sud, nous aurons à raconter des
peintures, des gravures sur roches pareilles à celles que nous
venons de décrire ; mais là non plus, il ne nous sera possible de
dire, ni ceux qui les ont exécutées, nil'époque où elles remontent.
La seule conclusion à laquelle il est permis d'arriver, c'est la si-
militude qui existe entre les instincts de l'homme dans toutes les
régions du globe et sous tous les climats; partout cet homme,
quelque dégradé qu'on puisse le supposer, retrace avec une va-
nité enfantine, sur les rochers, sur les parois des cavernes, sur
les blocs erratiques, sa propre image ou les scènes qui se passent
sous ses yeux, et à ce point de vue, rien n'est plus curieux que de
comparer aux essais des anciens Américains les gravures exécu-
tées parles Boschismen à l'extrême sud de l'Afrique (fig. 110) ou
celles gravées sur les rochers de l'Algérie (fig. 111). Cette ressem-
blance dans tous les temps et dans tous les pays des goûts, des
instincts, du génie de l'homme est la meilleure preuve que l'on
puisse invoquer, pour le rattacher à une souche commune.
Il paraît certain, nous l'avons déjà dit, que les Clifî-Dwel-
1ers et les habitants des pueblos appartenaient à la même race, cuff-oweî-
Les constructions, qu'elles soient en pierres ou en adobes, sont Très haw"
toujours semblables et toujours régulières ; les chambres sont lAmérique.
partout d'une extrême exiguïté ; l'absence d'escaliers, les trappes
communiquant d'un étage à l'autre, indiquent la vie en com-
mun ; partout nous voyons les estufas, lieux de réunion à la fois
religieux et profanes. Les uns et les autres cultivaient la terre,
(1) Voyages et découvertes du P. Marquette dans l'Amérique septentrionale, The-
veaot, Relation de divers voyages curieux. Paris, 1681. — J. G. Shea, Discovery and
Explorations of the Mississipi Valley, p. 41.
De Nadaillac, Amérique. 17
Quelles sont
les relations
2o8 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
fabriquaient une poterie semblable, se servaient des mêmes
pointes de flèches, des mêmes outils en silex.
Toutes les reliques parvenues jusqu'à nous aboutissent à cette
conclusion. Il semble non moins certain que ces populations diffé-
raient des Mound-Builders de l'Ohio ou du Mississipi, des Mayas
du Yucatan, des Nahuas du Mexique (1). Rien chez eux ne rap-
pelle ces pyramides tronquées, ces tertres en forme d'animaux,
ces amoncellements de terre (2), encore moins les palais, les
temples, les édifices remarquables, œuvre des Mayas ou des
Aztecs. Aucune tradition, aucun souvenir ne sont communs à
ces races différentes (3) ; tout, au contraire, indique leur sépara-
tion (4).
Coronado, le premier Espagnol qui visita ces régions, ne re-
marque aucun rapport entre les Mexicains et les habitants du
Nouveau-Mexique. Le père Escalante, qui parcourut le pays en
1776, plus de deux siècles après Coronado, décrit des ruines au-
jourd'hui inconnues, des pueblos alors habités, actuellement
tombés en poussière, rien dans son récit ne justifie ce que l'on
a appelé de l'autre côté de l'Atlantique la théorie Aztèque (5) ;
(1) Dans les chap. vi et vu nous dirons ce que l'on sait des Mayas, des Nahuas et
des Aztecs. Voy. aussi Short, The Noi't/i Âmericans, p. 275 et s.
(2) On cite cependant, au sud de l'État d'Utah, un mound où le D''Parry a trouvé
plusieurs spécimens de poterie assez semblable à celle dos pueblos. Le D'' Palmer,
à la suite de plusieurs fouilles dans le voisinage, confirme ce fait ; mais il ajoute
que ces mounds sont le résultat de l'éboulement de murs en adobes.
(3) L'absence des pipes si nombreuses chez les Mound-Builders est non moins re-
marquable. Nous reproduisons (fig. 112j la seule pipe trouvée jusqu'à présent dans les
Fig. 112. — Pipe trouvée chez les Cliiï-Dwcllers.
régions habitées par les Cliff-Dwellers. Elle est en terre cuite, et l'orifice d'aspiration
s'ouvre directement dans le prolongement du godet.
(4) « The material relies of the North Mexican group, bear no ressemblance whatever
to either Maya or Nahua cities in the South. » (Bancroft, /. c, t. IV, p. G82.)
(5) Dominguez et Escalante, Diano y Derrotei'o Santa Fe a Monterey, 1776. Doc.
LES GLIFF-DWELLERS. 259
rien ne permet de supposer que le Nouveau-Mexique ait été
peuplé par des colonies parties de l'Anahuac. Deux races bien
distinctes paraissent avoir occupé l'Amérique centrale : les Cliff-
Dwellers à l'ouest et les Mound-Builders qui paraissent se con-
fondre avec les Aztecs à l'est. Ces peuples à leur origine ont bien
pu provenir d'une même souche; mais alors leur séparation
date d'un nombre incalculable de siècles, et aucun fait connu ne
permet soit de l'affirmer, soit de la nier.
Ce qui est vrai, c'est que de nombreux pueblos existaient dans
le Nouveau-Mexique, lors de l'invasion espagnole ; qu'il en est,
comme Zuni, Acoma, Taos, Jemez et Pecos qui ont été habités
jusqu'à nos jours (1). Le lieutenant Wheeler qui visita le pays
en 1858 décrit ainsi les pueblos qu'il rencontre (2). « A la chute
du jour, dit-il, je pus, à l'aide de ma lunette, découvrir à une dis-
tance de huit ou dix miles, deux pueblos des Moquis perchés sur
un rocher et dominant toute la vallée. Les constructions affleu-
raient le précipice; à la distance où j'étais, elles offraient l'ap-
parence d'une ville avec des murailles et des tours crénelées.
L'ensemble se présentait sous un aspect singulièrement pittores-
que. Chacun de ces pueblos est bâti autour d'une cour rectan-
gulaire qui renferme la source d'eau indispensable à la popula-
tion. Les murs construits en pierres n'ont aucune ouverture à
l'extérieur. Il faudrait ou les abattre, ou les escalader pour péné-
trer dans l'intérieur. Les divers étages des maisons sont en re-
trait et on ne saurait parvenir aux étages supérieurs qu'au moyen
de trappes dans les planchers. Chaque bâtiment comprend trois
étages et n'a d'ouverture que sur la cour. Tout l'arrangement est
préparé pour offrir une certaine résistance en cas d'attaque.
Comme la cour et les communications sont communes, les ha-
Hist. Mex., 2* s., t. I. — M. Short (/. c.,p. 331) dit avoir compulsé à la Bibliothèque du
Congrès, à Washington, un manuscrit d'Escalante qui confirme cette conclusion.
(1) Les pueblos des Indiens sédentaires du Nouveau Mexique sont ainsi groupés :
1° entre la frontière de l'Etat d'Arizona et le Rio Grande, Zuni, Acoma, Laguna ;
2° sur les rives du Rio Grande, Taos, Picuries, Tehua, Queres, Tiguas, Piros; 3" à
l'ouest du Rio Grande, Jemez ; 4" à l'est de la même rivière, Tanos, Pecos.
(2) Colorado River of the West, p. 119. — Bancroft, l. c, t. IV, p. 662. — Short,
Nort/i Americans of.Antiquity, p. 330.
260 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
bitants sont réduits à ^ivre entre eux dans une certaine commu-
nauté. ))
' Nous pourrions parfaitement emprunter ce récit pour la des-
cription d'un ancien pueblo ; il aidera à une seconde conclusion
qui s'impose naturellement (1). Le Nouveau-Mexique, l' Arizona,
rUtah, le Colorado et la partie nord du Chihuahua ont été jadis
habités par des populations sédentaires, agricoles, comparative-
ment civilisées et ne différant guère plus entre elles, que ne
diffèrent les habitants actuels des pueblos. Plusieurs siècles
probablement avant l'arrivée des Espagnols, la décadence de ces
races avait commencé; cette décadence a persisté jusqu'à nous,
où quelques Moquis, quelques rares Indiens du Rio Grande re-
présentent seuls ces hommes jadis nombreux et puissants.
Les causes de cette décadence sont multiples. Parmi les plus
sérieuses, il faut sans doute compter les invasions sans cesse
renaissantes des sauvages Apaches, ennemis barbares et dange-
reux, invasions auxquelles les Cliff-Dwcllers opposèrent une lon-
gue et énergique résistance. Finalement, cette résistance fut
impuissante à arrêter le torrent ; ces hommes durent abandon-
ner les demeures qu'ils avaient bâties, les foyers souvent arrosés
de leur sang, pour se réunir à d'autres tribus plus éloignées (2),
qui durent à leur tour se défendre et probablement sans plus
de succès, contre les attaques des mêmes ennemis.
Les Apaches gagnaient chaque jour du terrain ; chaque jour
les Gliff-Dwellers reculaient devant eux. La conclusion était
inévitable. La race vaincue fut rapidement condamnée à la sté-
rilité et à l'impuissance, et malheureusement la conquête espa-
gnole ne pouvait aider à son relèvement. 11 est probable cepen-
dant que les excursions des nomades, quelque dangereuses
qu'elles pussent être, n'auraient pas suffi pour dépeupler le pays.
(1) Bancroft, l. c, t. IV, p. 685.
(2) Les exemples de semblables réunions ne sont pas rares dans l'histoire des Indiens.
Depuis la découverte de l'Amérique, les Tuscaroras vaincus furent admis dans la con-
fédération des cinq nations, les Alabamas, les Uchoes, les Natchez dans celle des
Creeks, et de nos jours les Pecos décimés par la maladie, trouvèrent un refuge chez
une tribu alliée.
LES GLIFF-DWELLERS. 261
Les demeures aériennes d'un accès si difficile, les tours qui dé-
fendaient l'entrée des vallées, la disposition des pueblos qui en
faisait de véritables forteresses, eussent assuré la victoire de leurs
habitants, si une autre cause que nous avons déjà signalée n'était
venue accélérer leur ruine. La destruction des forêts, une sé-
cheresse prolongée, la disparition des cours d'eau changèrent des
terres que la culture avait fertilisées en ces déserts arides, en ces
vallées de sable, que le voyageur parcourt avec tristesse. L'homme
dut fuir des régions où la lutte contre une nature ingrate était
désormais impossible. Il dut reculer devant un ennemi, plus dan-
gereux que les nomades et contre lequel toute résistance était
inutile.
11 était réservé au dix-neuvième siècle de constater ces faits,
absolument ignorés il y a peu d'années encore. Une plus noble
mission est réservée à nos successeurs : c'est à la science de
rétablir ce que la barbarie de l'homme a laissé détruire ; c'est à
la science de rendre la vie à ces contrées déshéritées.
CHAPITRE VI
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE.
Les peupits L'Amérique ne ménage pas les surprises à ceux qui recher-
'«inu-'aîe!'^ chcnt SOU autiquc histoire. Nous avons dit les mounds, si
étranges dans leur forme et dans leur exécution, les demeures,
véritables nids d'aigle, taillés dans des rochers à pic ; les pueblos,
où une population considérable vivait sous un régime commu-
niste. Il faut maintenant raconter une civilisation plus avancée,
des monuments déjà en ruines lors de l'invasion espagnole, des
temples, des palais, des monolithes, des statues, des bas-reliefs
qui rappellent ceux de l'Egypte ou de l'Assyrie, de l'Inde ou de
la Chine. Ces monuments s'étendent sur des régions entières, et
les pionniers qui parcourent, la hache à la main, des forêts
presque impénétrables, se flattant, dansleurnaïf orgueil, de fouler
les premiers ces terres vierges, voient se dresser devant eux des
ruines, des sépultures, témoins irrécusables de peuples inconnus,
de générations disparues. En constatant ces faits, on est con-
fondu de l'erreur d'un historien éminent (1), qui ne craignait pas
d'affirmer qu'il n'existait pas dans toute l'Amérique les vestiges
d'une seule construction antérieure au quinzième siècle.
Les difficultés que nous avons rencontrées à chaque pas se
pressent innombrables, à mesure que notre récit avance. Ici aussi,
nous sommes en présence de peuples sans nom, de races sans
(1) Robertson, History of America. La première édition parut à Londres en 1777.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 263
histoire ; et pour ajouter à ces difficultés, chaque jour des décou-
vertes nouvelles viennent renverser les hypothèses reçues, dé-
truire les suppositions antérieures et réduire à néant les conclu-
sions qui paraissaient les mieux fondées !
Les mythes et les traditions que l'on a recueillis peuvent re-
monter à plusieurs siècles avant Tère chrétienne. Les hiérogly-
phes (fîg. H 3) ne remontent guère aussi loin. Il est difficile sur
d'aussi faibles données de reconstituer un passé, dont l'existence
même était ignorée il y a si peu d'années encore ; et aucun Cham-
pollion n'a pu, jusqu'ici, déchiffrer les énigmes que la pierre a
conservées (1). Avant d'entreprendre l'étude des monuments eux-
mêmes, il nous faut résumer ce que rapportent les historiens
modernes qui se sont efforcés de mettre un peu de lumière, là
011, avant eux, tout était obscurité et chaos.
Un seul fait paraît certain, c'est que des peuples entiers se
sont dirigés^ durant des siècles, du Nord vers le Midi (2), les uns
poussant les autres, comme une vague précipite la vague qui
l'a précédée. Nous ne saurions mieux comparer ces invasions
successives, qu'à celles des races barbares qui, aux premiers
siècles de l'ère chrétienne, se disputaient les lambeaux de l'em-
pire romain ou mieux encore à celles des Aryas, qui du fond de
(1) Le douzième siècle de notre ère est la limite de nos très incomplètes connais-
sances historiques sur l'Amérique. Au delà il est quelques faits ethnologiques, mais
rien qui puisse constituer une tradition vraiment sérieuse ; puis quelques légendes
où des fables souvent grossières tiennent plus de place que la réalité Les fantaisies
avec de tels éléments ont pu se donner libre carrière. L'abbé Brasseur de Bour-
bourg {Popol-Vuh, Int.) dit que, 955 avant J.-C, il y avait déjà dans l'Amérique
centrale une propriété constituée. La chronique de Clavigero {St. det Messico, liv. II,
c. i) commence 596 ans avant notre ère. Veytia {Hht. Ant. de Mejico, t. I, c. ii) fait
remonter à lan 2237 après la création les premières migrations des Nahuas, que Va-
lentini {the Katunes of Maya Hist.), par un calcul plus raisonnable, place à i;57 ans
après J.-C. Ixtlilxochitl {Hist. Chichimeca, Kmgshorough, t. IX) donne à son tour l'an-
née 503 de l'ère chrétienne, comme la date de la fondation de Tezcuco. Toutes ces
dates, nous ne pouvons que le répéter, sont purement fantaisistes. Rien ne permet
soit de prouver, soit d'infirmer leur exactitude.
(2) Il convient cependant de citer l'opinion de Bancroft {The Native Races, t. II,
p. 117). « While the positive évidence in favour of this migration, from the south is
very meagre, it must be ad mitted that the southern origin of the Nahua culture is far
more consistent with fact and tradition, than was the North Western origin so long
accepted. »
264 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
l'Asie se jetaient, en hordes serrées, sur l'Inde et sur la Perse,
puis sur les diverses contrées de l'Europe, apportant aux vaincus,
pour prix de leur défaite, une civilisation assurément supérieure
à celle qu'ils avaient possédée jusqu'alors.
Les peuples qui s'établissaient successivement dans l'Amérique
centrale étaient probablement de race Nahuatl. Les études pour-
suivies avec ardeur de l'autre côté de l'Atlantique tendent, de
plus en plus, à rattacher à cette souche unique les Olmecs, les
Toltecs, les Miztecs, les Zapotecs, les Chichimecs et les Aztecs ;
c'est aux diverses branches de cette race conquérante, que sont
dus les monuments en ruines, qui couvrent aujourd'hui encore
le Mexique, le Yucatan, le Honduras, le Guatemala, le Nicaragua
et que nous retrouvons jusque sur l'isthme de Tchuantepec.
LesMayak. Lcs prcuiicrs cu date furent les Mayas, qui eux aussi étaient
sortis originairement de la race Nahuatl. Nous n'oserions cepen-
dant l'affirmer; les traditions, les monuments, les hiéroglyphes
que l'on peut attribuer avec quelque certitude aux Mayas, s'éloi-
gnent de ceux des Nahuas (1), et leur langue présente des
différences non moins notables. Ce dernier fait serait un argu-
ment péremptoire, si on ne savait avec quelle rapidité s'altèrent
et se transforment les dialectes primitivement sortis d'une
souche commune (2), et si, à côté de ces différences, il^n'y avait
lieu de relever de remarquables ressemblances, le monosylla-
bisme des mots et la construction des phrases par exemple (3).
La seule conclusion permise à l'heure actuelle, c'est que si les
Mayas et les diverses branches des Nahuas sortaient de la même
souche, leur séparation avait sûrement précédé de bien des
siècles l'invasion espagnole.
(1) Kingsborough, Ânt. of Mexico, t. III. — Prescott, Hist. of the Conquest of
Mexico, t. I, p. 104. — Bancroft, The Native Races, t. II, p. 772.
(2) Le senor Orozco y Berra a reconnu quinze dialectes se rattachant au Maya.
Parmi eux nous mentionnerons le Quiche, le Tzendal et le Cakchiquel. Le Maya ou
ses dérivés se parlaient dans le Tabasco, le Chiapas, le Guatemala, une partie du San
Salvador, du Honduras et du Nicaragua. On croit aussi en retrouver quelques traces à
Cuba, à Haïti et dans les diverses îles des Indes Occidentales {Geog. de las Lingnas,
p. 98, Mexico, 1864).
(3) Bancroft, /. c, t. III, p. 759.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 26o
Les Mayas vivaient sur les côtes de l'Atlantique ; ils émigrè-
rent, probablement à la suite de défaites, et abordèrent à Cuba.
Fig. 113. — Spécimen des hiéroglyphes de l'Amérique centrale.
Plus tard, ils revinrent sur le continent et s'établirent au Chia-
pas, sur les bords de la rivière Usumacinta, au milieu d'un pays
riche et fertile (1). Leur empire resta longtemps florissant; la
(1) Orozco y Barra, /. c, p. 128.
266 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
domination de leurs chefs ou des rois leurs sujets (1) s'étendait
sur la plus grande partie de l'Amérique centrale (2) ; Nachan, la
ville des serpents; dont les ruines de Palenque attestent la splen-
deur, était leur capitale ; Mayapan, Tulan et Copan, les capitales
des états tributaires qui formaient l'empire de Xibalba ou des
Chanes (serpents) (3).
Telles sont les seules données un peu sérieuses que nous pos-
sédions. Les légendes ajoutent des détails, où quelques faits
vrais se mêlent à bien des fables. L'empire Maya avait été fondé
plusieurs siècles avant notre ère, rapporte-t-on, par un envoyé
des dieux, appelé Votan (4). Les traditions les plus anciennes
le font venir des pays où il fait de l'ombre^ de l autre côté des
mers. A son arrivée les habitants des vastes territoires qui s'éten-
dent entré l'isthme de Panama et la Californie vivaient dans une
condition, que l'on ne saurait mieux comparer qu'à celle des tri-
bus sauvages de l'âge de pierre en Europe. Des cavernes natu-
relles, des huttes faites avec quelques branches d'arbres, leur
servaient d'abri ; ils avaient pour seuls vêtements les dépouilles
des bêtes sauvages que la chasse leur procurait ; ils se nourris-
saient des fruits que la terre produisait spontanément, des racines
qu'ils arrachaient, de la chair crue des animaux, qu'ils dévo-
raient sanglante (5). La légende a conservé jusqu'à nous le
nom des Quinames, géants barbares et sauvages, dont le seul
souvenir frappait encore d'horreur et d'effroi les Indiens, même
durant la domination espagnole (6). Ce sont ces hommes sans
(1) Les Mayas eurent jusqu'à trois royaumes tributaires dont les capitales étaient
Tula ou Tulan que l'on place généralement à deux lieues d'Ococingo, Mayapan dans le
Yucatan et Copan.
(2) Brasseur de Bourbourg, Hist. des nations civilisées, du Mexique et de V Améri-
que centrale. — Bancroft, /. c, t. II, p. 523 et s. ; t. III, p. 460 et s. ; t. V, p. 157 et 231.
(3) Bancroft, l. c, t. V, p. 619. — Brasseur de Bourbourg, le Popol-Vuh.
(4) Votan, le chef du peuple des Chanes, était venu selon la tradition de l'autre côté
de la mer des Antilles ; on place son arrivée dix siècles av. J.-C. Peut-être y a-t-il eu
plusieurs Votan, et les descendants du premier ont-ils conservé son nom comme un
titre d'honneur.
(5) Torquemada, Mon. Iwliana, t. I, c. 15, 20.
(6) « Los Quinametin gigantesque vivian en esta renconada que se dice ahora Nueva
Espana. » Ixtlilxochitl, Relaciones, Kingsborough, A7it. of Mex., t. IX, p. 322. On croit
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 267
doute qui luttaient contre les grands pachydermes, les grands
édentés qui avaient parcouru si longtemps en maîtres les forêts,
les pampas et les marais des deux Amériques.
Toutes les tribus américaines ne paraissent pas avoir vécu,
avant l'arrivée de Votan, dans un pareil état de dégradation.
Des ruines d'une étendue considérable se rencontrent dans le
Guatemala. Ce sont des pierres brutes, d'une dimension com-
parable aux constructions cyclopéennes de la Grèce ou de la
Syrie; aucune tradition ne se rapporte à leur origine. On les
attribue, avec quelque raison, à une race refoulée par la con-
quête et bien supérieure, comme civilisation, aux populations
que Votan rencontrait dans l'Amérique centrale.
Ce fut par la guerre que Votan, placé après sa mort au rang
des dieux, établit sa domination ; ce fut par la guerre, que sa
dynastie affermit son pouvoir. Les légendes ont porté jusqu'à
nous une longue suite de victoires et de défaites, de luttes intes-
tines et de guerres extérieures, d'alliances rompues et de révoltes
des peuples tributaires (1) ; puis, selon la loi générale qui régit
l'humanité, l'empire décline, les invasions se succèdent et les
luttes des Mayas contre les envahisseurs de leur patrie sont celles
d'un peuple vieux et usé, ne sachant plus se défendre contre des
races plus jeunes et plus vigoureuses. Le résultat ne pouvait
être douteux. Parmi les nations soumises, les unes acceptèrent
une domination nouvelle ; les autres se retirèrent dans le Yucatan
aussi avoir retrouvé quelques traces d'une langue plus ancienne que le Maya,- le
Nahua, ou leurs dérivés. « Les Cholulains chantaient dans leurs fêtes, en dansant au-
tour des teocallis, un cantique commençant par les mots Tulanian hululaez, qui n'ap-
partiennent à aucune des langues actuelles du Mexique. Dans toutes les parties du
globe, sur le dos des Cordillères comme à l'île de Samothrace dans la mer Egée, des
fragments de langues primitives se sont conservés dans les rites religieux. » Hum-
boldt. Vues des Cordillères, t. I. p. 115. — Bancroft, /. c, t. III, p. 724.
(1) Un manuscrit traduit par don J. Ferez, intitulé Katunes de V histoire Maya, donne,
selon son traducteur, l'kistoire des Mayas de 14i à 1536 (ap. J.-C), selon le professeur
Valentini qui compte d'une manière différente les Ahnu ou cycles, de 142 à 1544. Les
Katunes ne renferment que les faits de guerre, comme si les périodes de paix eussent
été indignes d'occuper l'attention. Ce manuscrit avait échappé à l'autodafé général
ordonné par les Espagnols en 156!). Le nom de Katunes (de Kat, piei-re et tun, interro-
ger) était donné dans le Yucatan aux pierres gravées, portant des dates ou des ins-
ci'iptions relatives aux événements historiques. Ces pierres étaient incrustées dans les
268 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
et dans le Guatemala, où leurs descendants opposèrent une hé-
roïque résistance aux Conquistadores (1).
Nous ne savons que peu de choses sur la religion, les mœurs
ou les coutumes des Mayas (2). Leurs dieux paraissent avoir été
moins sanguinaires que ceux des Nahuas. L'immolation d'un
chien suffisait pour tel événement, qui chez ceux-ci aurait été
célébré par des hécatombes de victimes. Des sacrifices humains
avaient cependant lieu ; on choisissait de préférence les prison-
niers de guerre ; à leur défaut, les parents s'empressaient
d'amener leurs enfants, comme l'offrande la plus agréable aux
dieux (3). On rapporte aussi une distinction remarquable ; la di-
gnité de sacrificateur était une des plus élevées auxquelles un
Mexicain pût prétendre; chez les Mayas, au contraire, elle était
réputée impure et dégradante (4).
A Chichen Itza (5), ces sacrifices étaient plus nombreux. Une
fosse profonde remplie d'eau avait été creusée au centre de la
ville. Un autel, auquel on arrivait par un escalier taillé dans le
roc, s'élevait au bord même du précipice. Des arbres, des bosquets
l'entouraient de toutes parts; et pour ajouter à l'effroi que ce
lieu inspirait naturellement, un silence perpétuel devait tou-
jours y régner. Aux temps des premiers successeurs de Votan,
pour se conformer aux ordres de l'envoyé des dieux, on n'of-
frait que des animaux, des fleurs ou de l'encens; mais peu à
murs des édifices publics. Tout fait croire que les inscriptions n'étaient pas très an-
ciennes. Salisbury, Am. Ant. Soc, 21 oct. 1879. — Stephens, Yucatan, app., t. I et II.
(1) A. de Remesal, Hist. de la Prov. de S. Vincente de Chynpa. Madrid, 1619,
p. 264. — Juarros, Hist. of the Kingdom of Guatemala. London, 1824, p. 14. — Ban-
croft, /. c, t. I, p. 647 et s. ; t. V, p. 616.
(2) On ne cite que trois manuscrits Mayas. Le codex Peresianus conservé à la
Bibliothèque Nationale, le Codex de Dresde connu depuis le xviii* siècle, longtemps
décrit comme un manuscrit Aztec et qui a été publié dans le grand ouvrage de lord
Kingsborough ; le manuscrit Troano enfin (du Sefior Tro y Ortolano, un de ses posses-
seurs) trouvé à Madrid en 1865. Quelques doutes subsistent à. l'égard de ce dernier et
aussi à l'égard d'un manuscrit ayant figuré en 1881 à l'exposition américaine de Madrid
et que l'on regarde comme une suite du manuscrit Troano.
(3) Diego de Landa, Relacion de los Cosasde Yucatan, p. 166. Paris, 1864.
(4) (( El oficio de abrir el pecho a los sacrificados que en Mexico era estimado, aqui
era poco honroso. » Herrera, Hist. Gen., déc. IV, 1. X, c. iv.
(5) Capitale des Itzas, une des nations Mayas du Yucatan.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 269
peu, le peuple revint à des sacrifices plus odieux; et dans les
années qui précédèrent la chute deVempire de Xibalba, si quel-
que calamité menaçait la nation, si la récolte manquait, si la
pluie, indispensable dans la terra caliente, faisait défaut, la foule
se pressait autour de l'autel et cherchait à apaiser par des vic-
times humaines la colère des dieux. Ces victimes étaient ordinai-
rement des jeunes vierges ; elles marchaient triomphalement
au supplice, revêtues d'ornements somptueux, entourées d'un
pompeux cortège de prêtres et de prêtresses. Pendant que les fu-
mées de l'encens s'élevaient vers le ciel, les prêtres leur expli-
quaient les faveurs qu'elles devaient demander aux dieux, devant
qui elles allaient paraître. Puis, au moment où l'encens s'étei-
gnait sur l'autel, elles étaient précipitées dans l'abîme, pendant
que la foule prosternée continuait ses ardentes supplications.
Au Nicaragua, chacun des dix-huit mois qui formaient
l'année s'ouvrait par des fêtes. Le grand prêtre annonçait le
nombre des victimes qui devaient être immolées et le choix
qu'il avait fait soit parmi les prisonniers, soit parmi les ha-
bitants eux-mêmes (1). Le malheureux ainsi désigné était im-
pitoyablement saisi et étendu sur l'autel; le sacrificateur tournait
trois fois lentement autour de lui, en chantant des hymnes
funéraires ; puis il s'approchait vivement, ouvrait la poitrine,
arrachait le cœur et se baignait le visage dans le sang en-
core fumant. Quand la victime était un prisonnier, on dépeçait
immédiatement le corps ; le cœur appartenait au grand prêtre,
les pieds et les mains aux chefs, les cuisses au guerrier qui
avait eu l'honneur de la capture, les entrailles aux sonneurs
de trompette ; les membres étaient distribués au peuple ; on
suspendait enfin la tête à une branche d'arbre, comme un
religieux trophée. Si c'était un enfant, offert ou vendu par
ses parents, le corps était enterré, l'usage ne permettant pas
aux assistants de se nourrir de la chair d'un des leurs. Ces
sacrifices qui remontaient à la plus haute antiquité durè-
(1) Pierre Martyr d'Anghiera, De Orbe novo, déc. VI, lib. VI.
270 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
rent jusqu'à la conquête. Herrera (1) rapporte que plusieurs
prisonniers espagnols furent ainsi dévorés, et Albornoz ajoute
que, dans le Honduras, les Indiens finirent par s'en abstenir,
la chair de ces étrangers étant trop dure et trop coriace.
Les sacrifices étaient toujours suivis de plusieurs jours de
fêtes, de danses, de festins, d'ivresse brutale (2). Les maris
devaient s'abstenir de tout commerce avec leurs femmes et les
dévots se perçaient la langue, les oreilles, diverses parties de
leurs corps et barbouillaient de leur sang les lèvres et la
barbe des idoles (3). D'autres fois, le sang était tiré du mem-
bre viril, et on en arrosait des grains de maïs que les assistants
se disputaient avec ardeur dans une pensée aphrodisiaque (4) ;
au Guatemala, on sacrifiait, avant tout combat, une femme et
une chienne. L'horreur qu'inspirent ces détails sera notre
excuse pour ne pas les multiplier. Nulle part plus que chez
les premiers Américains, la barbarie humaine ne s'est donné
plus libre carrière et la cruauté des bourreaux n'était égalée
que par le stoicïsme des victimes.
Ces dieux, que l'on prétendait honorer par ces odieux sacri-
fices, restent inconnus pour nous, et jusqu'à présent on ne sait
que peu de choses de la mythologie des Mayas. Leurs idoles
représentent tantôt des hommes, tantôt des animaux. Pierre
Martyr parle d'un immense serpent, fabriqué avec des pierres
et du bitume, et érigé dans le Yucatan ; nous savons aussi que les
Itzas, vivement frappés du cheval de Cortès, s'empressèrent de
le modeler en pierre et de le placer parmi leurs idoles.
Les Mayas n'avaient aucune connaissance du fer; le cuivre et
l'or étaient les seuls métaux qu'ils employassent et encore est-il
peu certain qu'ils se servissent d'un procédé quelconque de fu-
(1) Hist. Gen. de los Hechos de los Castillanoi en las Islas e Tierra Firme delMar
Oceano, déc. I, lib. V, c. v ; déc. III, 1. IV, c. vu ; déc. IV, I. VIII. c. ix; 1. XCIV.
(2) Les Mayas connaissaient plusieurs boissons fermentées. Les Itzas en préparaient
une avec un mélange de cacao et de maïs. Sur d'autres points, on faisait fermenter du
miel, du jus d'ananas, des figues ou d'autres fruits.
(S) Ovicdo y Valdes, Hist. gen. y natural de las Indias. Madrid, 1851-4, t. IV, p. 52.
(4) Hen-era, /. c. — Pierre Martyr, Le. ■
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 271
sion. Christophe Colomb, raconte-t-on, rencontra sur la côte du
Honduras une barque chargée de creusets, remplis de métal
fondu et de haches en cuivre que l'on avait été chercher au
loin. L'or était très répandu au moment de la conquête es-
pagnole, et on l'utilisait pour des ornements de toute sorte. Les
armes étaient des frondes, des lances, des flèches, des dards
armés de pointes en silex, en obsidienne, en porphyre, en
cuivre ou en os (1). Les guerriers portaient des vêtements de
coton fortement rembourrés et quelquefois d'un poids si lourd
que le soldat tombé ne parvenait pas toujours à se relever; leurs
boucliers de forme ronde étaient ornés de plumes voyantes et
couverts, soit avec des étoffes de coton, soit avec la peau des ani-
maux qu'ils tuaient. Les peuples Mayas connaissaient la naviga-
tion. Oviedo rapporte que les habitants du Nicaragua se ser-
vaient pour traverser les rivières de balsas, véritables radeaux
formés de cinq ou six morceaux de bois, liés avec des lianes
et supportant un plancher de branches entrelacées (2). Les
Chiapanecs employaient des calebasses pour le même usage.
Sur d'autres points, nous voyons des races plus avancées : les
Guatémaliens creusaient des troncs de cèdre ou d'acajou, et
les canots se comptaient par milliers, sur leurs lacs et sur leurs
rivières. Les habitants du Yucatan utilisaient de la même façon
des troncs d'arbres, et les barques, qu'ils dirigeaient avec une
grande adresse à l'aide de rames, pouvaient contenir jusqu'à
cinquante personnes. On prétend aussi qu'ils avaient des ba-
teaux à voile ; une balsa rencontrée par Pizarre vers le deuxième
degré de latitude, la barque accostée par Christophe Colomb
auraient été ainsi gréées (3) ; mais ces faits sont fortement con-
(1) Cortès, Cartm y Relaciones al Emperador Carlos V. Paris, 1866. — Herrera
{Hist. Gen., dcc. III, 1. IV, c. v et vi) parle d'idoles et de haches en or. CoguUudo
{Hist. de Yucathan, Madrid, 1688) dit à son tour des figurines de poissons et d'oies
et Brasseur de Bourbourg (Hist. des nul. civ., t. II, p. 6i)J des vases finement ciselés
tous en or.
(2) Hist. Gen., t. III, p. 100.
(3) Herrera, Hist. Gen., déc. I, lib. V, c. v. — CogoUudo, Hist. de Yucathan, p, 4.
Aujourd'hui encore, les Haidahs, qui habitent les îles de la Reine-Charlotte, construi-
272 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
testés, et nous savons seulement que cette dernière barque
était de la longueur des galères espagnoles, large de huit
pieds, qu'elle était montée par vingt-cinq hommes et que vers
le milieu on avait construit un toit en joncs, pour garantir du
soleil les femmes et les enfants.
Les demeures de ces hommes offraient la plus extrême va-
riété. Cette variété n'a rien qui puisse surprendre, si nous con-
sidérons la grande étendue de l'empire de Xibalba et les
peuples très divers qui lui étaient soumis. Les Quiches et les
Cakchiquels qui habitaient les terres hautes du Guatemala
plaçaient leurs villes, comme les Cliff-Dvvellers, sur des points
d'accès difficile et les entouraient de murs élevés et de fossés
profonds. Grijalva et Cordova, les premiers Espagnols qui pa-
rurent sur les côtes du Yucatan, parlent de maisons bâties en
pierres reliées avec du mortier de chaux, de toits en roseaux ou
en feuilles de palmier, parfois môme en dalles de pierre (1),
Ces maisons n'avaient point de porte, et chacun pouvait entrer
et sortir librement.
Dans le Nicaragua, les murs, comme ceux des jacals des
Indiens, étaient en cannes. Les maisons des chefs étaient érigées
sur des plates-formes artificielles, ayant souvent plusieurs pieds
de hauteur. Cortès nous apprend (2) que celle qu'il habitait,
auprès du golfe de Dulce, se composait d'un simple toit
soutenu par des poteaux. Les temples, par une exception qu'il
faut noter, n'étaient guère plus somptueux que les demeures
des hommes. Ils étaient construits en bois et couverts en
roseaux. Les images des dieux reposaient dans des chambres
souterraines fort obscures. Devant chaque temple s'élevait une
sent dos barques semblables qui peuvent contenir jusqu'à cent personnes, et ils ne
craignent pas avec ces barques d'entreprendre de longues navigations.
(1) Juan de Grijalva, Cronica de la Ordende N. P. S.Augustin. Mexico, 1624. — « Las
casas son de piedro y ladrillo, con la cubierta de paja o rama, y dun alguna de lanchas
de piedra. » Gomara, Hist. de Mexico, Anvers, 1554, f" 23. — « The houses were of stone
or brick and lyrae very artificially composed. To the square courts or first habitations
of their houses, they ascended by ten or twelve steps. The roof was of reeds or stalks
ofherbs. » Purchas, His Pilgrimes, London, 1625-6.
(2) Cartas, p. 268, 426, 447.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 273
pyramide tronquée, semblable à celles de la Floride ou du
Mississipi. C'était là que les sacrifices s'offraient, à la vue de tout
le peuple (1).
Nous avons résumé tout ce qui est actuellement connu du
peuple Maya. Les temples, les palais, dont les ruines sont en-
core debout, diront mieux ses goûts artistiques et son organi-
sation sociale; avant d'aborder leur étude, il nous faut parler
des Nahuas qui se précipitaient à leur tour sur des pays dont
la renommée publiait la richesse.
Il faut comprendre, nous l'avons dit, sous le nom de Nahuas, Les Nahuas.
les tribus évidemment de même origine, qui dominèrent suc-
cessivement l'Anahuac (2). Les Toltecs (3) furent les premiers à
établir un gouvernement régulier qui s'étendit peu à peu sur les
pays voisins. Ils arrivèrent vers le sixième siècle de notre ère ;
plus tard, ils furent remplacés par les Chichimecs, qui à leur tour
devaient être vaincus par la coalition des Aztecs, des Acolhuas
et des Tepanecs. Enfin les Aztecs, vainqueurs de leurs alliés, res-
tèrent les seuls maîtres du Mexique jusqu'à la conquête espagnole.
Du sixième au seizième siècle, la domination Nahuatl [présente
donc trois périodes distinctes, celle des Toltecs, celle des Chichi-
mecs et celle des Aztecs. Entre ces temps, il faut placer de nom-
breuses invasions de peuplades qui, poussées comme par une
force irrésistible, se précipitaient vers ce centre commun (4).
Ces peuplades appartenaient à la même race ; toutes parlaient
des dialectes se rattachant à la même souche (5), C'est là un
(1) Oviedo, Hist. Gen., t. IV, p. 37. — Pierre Martyr, déc. VI, lib. V.
(2) Le préflx A placé devant Anahuac paraît être l'abréviation d'Atl, eau. Anahuac se
traduirait donc par le pays des Nahuas sur l'eau. Il est difficile de fixer l'étendue de
ce pays ; il a varié considérablement selon les temps. Nous pensons qu'il faut le res-
treindre entre 18" et 21" sur l'Atlantique, enti-e 14" et 19° sur le Pacifique. Becker,
On the Migration of ihe Nahuas ; Cong. des Americanistes .\^\i\&Taho\xr%, 1877.
(.3) Le nom même de Toltecs, que nous reproduisons, faute d'un meilleur, ne repose
que sur des données fort insuffisantes. Sahagun, un des plus anciens historiens espa-
gnols, fut, croyons-nous, le premier à l'employer. Hist. Gen. de las Cosas de Nueva
Espana.
(4) M. Bancroft énumère avec son exactitude ordinaire ces diverses peuplades ; nous
ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur (TAe Native Races, t. II, p. 103 et s.).
(5) Ce point a été et est très contesté : « From acareful examination ofthe early au-
De Nadaillac, Amérique. 18
274 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
point important; l'identité ou la parenté des langues est un
fait ethnologique incontestable qui établit la parenté des na-
tions (1).
Tout ce passé est peu connu ; à partir de la destruction de
l'empire de Xibalba, les données de la chronologie sont des plus
confuses; et l'histoire de l'Amérique centrale est enveloppée dans
un profond mystère, qu'il n'a été possible de pénétrer que très
imparfaitement.
Les anciennes races américaines gardaient la tradition' de
longues migrations, dont le souvenir est conservé dans leurs
hiéroglyphes et dans leurs pictographies. Selon ces traditions,
c'était d'une contrée située au JNord ou au Nord-Ouest que venaient
les Nahuas (2). Ce pays appelé Huehue-Tlapallan dans le Popol-
Vuh ; Tulan Zutivapav d'autres historiens (3), serait le même que
le pays A' Amaquemecan, le lieu d'origine des Chichimecs.
Ferdinand Alva de Ixtlilxochitl, descendant chrétien des rois
du pays, a prétendu retracer l'antique histoire de sa race (4). Il
est trop facile d'y retrouver les influences religieuses des mission-
naires espagnols, pour que son récit mérite une grande créance.
Sept familles selon lui furent sauvées du déluge. Leurs descen-
dants après de longs et pénibles voyages se fixèrent à Huehue-
Tlapallan, pays fertile et agréable à habiter, ajoute notre histo-
rien (5). Leur séjour fut long et mêlé de fortunes diverses; ils
furent enfin obligés de quitter leur patrie d'adoption à la suite de
défaites multipliées, et c'est alors qu'ils descendirent vers le sud
thorities, I can but entertain the opinion that the Toltec, Ghichimec and Aztec langua-
ges are one. » Ces conclusions de M. Bancroft {l. c, t. III, p. 724) sont aussi les
miennes.
(1) F. von Hellwald, T lie American Migrations. Smith. Coût., 1866.
(2) C'est la version de tous les historiens espagnols et nous citerons parmi eux
Duran, Veytia, Torquemada, Vetancurt, Clavigero. M. Bancroft cependant (t. V, p. 219,
616 et s.) fait venir ces différentes populations du sud. Nous sommes obligés de dire
que les raisons qu'il donne ne paraissent nullement concluantes.
(3) On a cherché à identifier Tulan-Zuiwa, avec les sept caves qui jouent un grand
rôle dans les traditions aztèques.
(4) Relaciones et Hist. Chichimeca. Kingsborough. Ant. of Mex., t. IX.
[h] Bancroft {Le, t. V, p. 208, 218) résume toute cette histoire plus légendaire que
sérieuse.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 275
pour se créer une patrie nouvelle. Le fait dominant de toutes les
•légendes recueillies est l'arrivée d'étrapgers blancs, barbus, por-
tant des vêtements noirs, selon toutes les probabilités des mis-
sionnaires Bouddhistes (1) qui vinrent prêcher aux Nahuas des
Fig. 114. — Quetzacoatl. (Musée ethnographique du Trocadéro.)
doctrines nouvelles (fig. 114). Nous n'avons sur ce point que les
données les plus vagues et les plus confuses, et nous savons seule-
ment que le chef de ces hommes fut appelé Quetzacoatl [le ser-
pent couvert de plumes) (2) et adoré par les populations comme
(1) Nous dirons au chap. x, tout ce que l'on rapporte sur les missionnaires Bouddhistes.
(2) Les premiers écrivains espagnols ont voulu voir dans Quetzacoatl saint Thomas,
qui des Indes serait passé en Amérique. Les légendes qui le concernent sont nombreu-
ses et leur diversité permet de supposer qu'on lui attribue les actions imaginaires ou
276 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
l'incarnation de Tonacateatl, le serpent-soleil, le créateur de
toutes choses, le dieu suprême de la mythologie Nahuatl. C'est
à Quetzacoatl que se rapportent tous les mythes, toutes les tradi-
ng. 115. — Quetzacoatl.
lions des Nahuas; de nombreux temples lui étaient dédiés ; ses
attributs étaient sculptés sur les bas-reliefs, et son image (fig. 115)
se trouve sous les aspects les plus divers, en terre cuite ou en
réelles de plusieurs dieux Mayas ou Nahuas. Tout est confusion à cet égard. Bancroft,
/. c, t. III, p. 4.^0-451 et s. — Muller, Amerikanischen Urreligionen. Basel, 1867,
p. 486 et s.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 277
pierre, sur tous les points où des fouilles ont été tentées (1)
Les querelles religieuses paraissent avoir été ardentes ; les
luttes renaissaient sans cesse entre les sectateurs du dieu Votan
et les sectateurs du dieu Quetzacoatl, et toujours les vaincus pé-
rissaient dans de cruels supplices, ou étaient réduits à fuir leur
patrie.
Malgré les luttes étrangères et les discordes civiles, la monar- les loitecs.
chie Toltèque est restée dans le souvenir des peuples Nahuas
comme l'apogée de leur grandeur. Les Toltecs, nous dit-on,
étaient grands, bien proportionnés, de couleur jaune clair; les
yeux étaient noirs, les dents très blanches, les cheveux noirs et
luisants, les lèvres épaisses, le nez aquilin et le front fuyant. Ils
avaient la barbe peu fournie, et peu de poils sur le corps ; la bouche
avait une expression de douceur, le front était sévère. Ils étaient
braves, mais cruels, ardents à la vengeance et sanguinaires dans
leurs rites religieux. Intelligents, disposés à s'instruire, ils avaient
les premiers créé des routes et construit des aqueducs ; ils savaient
utiliser certains métaux, filer, tisser et teindre les étoffes ; tailler les
pierres précieuses ; bâtir de solides demeures, avec des pierres
liées par de la chaux ; établir de véritables villes, ériger enfin des
tumuli que nous ne pouvons mieux comparer qu'à ceux des
Mound Builders (2). C'est à eux que la reconnaissance populaire
attribue l'invention de la médecine ; le bain de vapeur, temazcalli,
et certaines plantes (3) auxquelles on supposait des vertus cura-
tives, étaient les remèdes les plus usités. Dans les villes, nous dit-
on, le roi entretenait des hôpitaux richement dotés, oii les pau-
vres étaient admis et soignés gratuitement (4).
(1) Tous les musées de l'Europe et de l'Amérique sont remplis des représentations
de Quetzacoatl; celles du Louvre ont été décrites par M. de Longpérier (Notice sur les
monuments exposés dans la salle des Ant. Américaines). Le nouveau musée ethnolo-
gique du Trocadéro n'est pas moins riche, grâce à l'obligeance de son savant direc-
teur, le D' Hamy. Nous avons pu lui emprunter une curieuse figure de Quetzacoatl
(fig. 114) représenté assis, les jambes croisées, comme les images de Bouddha.
(2) Bancroft, /. c, t. I, p. 24.
(3) « Casi todos sus maies curan con yei-uas. » Gomara, Hist. de Mexico, Anvers,
1554, f 117.
(4) {< En las cuidades principales... habea hospitales dotadas de rentas y vasallos,
278 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les données que l'on possède sur le commerce de ces peuples
sont assez vagues. On sait cependant qu'il était important. A cer-
taines époques de l'année, de véritables foires se tenaient à
Tollan et à Cholula ; les produits des régions baignées par les
deux Océans s'y rencontraient à côté de nombreux objets, fabri-
qués par les Toltecs eux-mêmes. Ces objets étaient des plus variés ;
si le fer leur était complètement inconnu, les Toltecs travaillaient
l'or, l'argent, le cuivre, l'étain et le plomb (1). Leur orfèvrerie
est restée célèbre, et le petit nombre d'ornements précieux échap-
pés à la rapacité des Conquistadores excite encore une légitime
admiration. Ils abattaient les arbres avec des haches en cuivre,
ils sculptaient les bas-reliefs et les hiéroglyphes avec des outils
en pierre (2). On utilisait pour cet usage le silex, le porphyre, le
basalte et surtout l'obsidienne, l'w^/z des Mexicains. Les émerau-
des (3), les turquoises, les améthystes, dont on rencontrait sur
divers points des gisements abondants, étaient recherchés pour
la parure des hommes et des femmes. On fabriquait à Cholhula
une poterie renommée, les vases et les ustensiles nécessaires
pour les usages de chaque jour, des encensoirs et d-es idoles pour
les temples des dieux, des ornements communs pour le peuple.
Les armes des Toltecs rappelaient celles des Mayas. Comme
ceux-ci, ils portaient des vêtements rembourrés en coton, vérita-
bles armures impénétrables aux flèches et aux javelots. Leur
bouclier rond chimalli était formé de bambous légers et flexibles ;
ceux des chefs étaient ornés de plaques d'or, insignes de leur r^ing.
La crémation des cadavres paraît avoir été très anciennement
usitée. On rapporte que les Nahuas brûlaient les corps de
leurs chefs, pour pouvoir transporter leurs cendres comme des
reliques sacrées, dans leurs longues migrations ; Ixtlilxochitl cite
un roi Chichimec tué à la guerre et dont le corps fut brûlé sur
donde se resabian y curaban los enfermes pobres. » Las Casas, Hist. Apol. Msc. cxii
cité parBancroft, t. II, p. 597.
(1) Ixtlilxochitl, Relaciones. Kingsborough, t. IX, p. 332.
(2) Prescott, Conquest of Mexico, t. I, p. l40.
(3) « Gli smeraldi erano tanto comuni, che non v'era signore che non ne avesse. »
Clavigero, St. Ant. del Messico, t. II, p. 206-7.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 279
le champ de bataille (1). Le corps de Topiltzin, le dernier roi de
race Toltèque, fût également brûlé. Pour les gens du peuple,
l'enterrement était le mode usuel (2) ; telle était la destination des
centaines de tumuli qui existent aujourd'hui encore auprès de
Teotihuacan (3). Chez les Chichimecs, au contraire, la crémation
était Fusage général (4). Des sacrifices humains (5) accompagnaient
les funérailles ; les femmes étaient brûlées vives sur le bûcher
de leurs maris ; et elles acceptaient avec joie cette mort cruelle,
car elle leur ouvrait la première sphère céleste, oii elles devaient
suivre leurs époux. Si elles se refusaient à ce sacrifice, leur vie
future devait s'écouler dans le Mictlan, séjour triste et solitaire.
Les Toltecs formaient une grande confédération de tribus,
sous le gouvernement de chefs héréditaires. Par une condition
assez étrange et dont nous ne savons aucun autre exemple dans
l'histoire des peuples, les rois ne pouvaient régner que durant
un cycle d'années [Xuihmolpillï). Ce cycle était fixé à 52 ans, et
dès que ce terme assez long, il faut en convenir, était arrivé, le
roi descendait du trône et remettait à son successeur les orne-
ments royaux. Une autre obligation, peu en rapport avec les
mœurs des Nahuas, chez qui le concubinage était licite, était im-
posée au roi; il ne pouvait avoir qu'une seule femme, et si elle
mourait avant lui, il lui était interdit de se remarier, et même
d'entretenir une concubine. Un second mariage était aussi
interdit aux reines (6).
Les traditions qui restent de la magnificence des monarques
Toltèques sont intéressantes. Le palais de Quetzaeoatl (7) renfer-
mait quatre salles principales ; la première s'ouvrait à l'est et
(1) Relaciones. l. c, p. 325, 327, 332, 388.
(2) « La gente menuda comunmente se enterrana. » Gomara, /. c, f" 308.
(3) Sahagun, Hist. Gen., t. III, 1. X, p. 141. — Ixtlilxochitl, /. c, p. 327.
(4) Torquemada, Monarquia Indiana. Madrid, 1723, t. I, p. 60, 72, 87.
(5) Les victimes étaient généralement des prisonniers faits à la guerre. On immo-
lait aussi aux funérailles royales ceux qui étaient nés dans les cinq jours complémen-
taires de l'année réputés de mauvais augure. Ixtlilxochitl, /. c, p. 379 et 388. — Veytia,
Hùt. Antigua de Mejico. Mexico, 1836, t: III, p. 8 et s.
^6) Bancroft, t. II, p. 265.
(7) Nous aurions déjà dû remarquer que la terminaison tl, si caractéristique dans les
mots de la langue Nahuatl, se retrouve dans les dialectes indiens de la côte du Pacifique.
280 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
était appelée la salle dorée ; les murs étaient couverts de plaques
. d'or finement ciselées ; la salle des émeraudes et des turquoi-
ses était à l'ouest et, comme son nom l'indique, les parois étaient
incrustées de pierres précieuses d'un éclat incomparable ; les
murs de la salle du sud étaient ornés de coquilles aux couleurs
brillantes, enchâssées dans des plaques d'argent ; la salle du nord
enfin était en jaspe rouge travaillé avec goût. Dans un autre palais,
les murs de chacune des salles disparaissaient sous des tentures de
plumes ; dans l'une, les plumes étaient jaunes, dans une autre
bleues, arrachées aux ailes d'un oiseau appelé Xeuhtototl; dans
la salle du sud, les plumes étaient blanches ; rouges dans celle du
Nord(l).
^'^ raecs!^''' ^ ^^^^ ^^^ Toltecs, daus les régions montagneuses du Nord du
Mexique, vivaient de nombreuses tribus sauvages (2). Ces hommes,
pour la plupart de race Nahuatl, et partis des mêmes lieux d'ori-
gine que les Toltecs, étaient plongés dans une complète barbarie.
Ils méprisaient^toute espèce de culture et leur unique occupation
était de poursuivre le gibier à travers les forêts qui couvraient
une grande partie de leur territoire et jusque sur la cime des
plus hautes montagnes. Toute viande leur était bonne, le loup,
les félidés, la belette, la taupe, la souris ; à leur défaut, les lézards,
les couleuvres, les sauterelles, les vers de terre (3). Les historiens
espagnols rapportent qu'au xvi® siècle ils erraient complètement
nus, ou vêtus seulement d'une (peau de bête, qu'ils jetaient sur
leurs épaules avec le poil en dedans en hiver, en dehors en été.
La plupart habitaient des cavernes, des anfractuosités de rocher;
quelques-uns d'entre eux, cependant, savaient se créer une
demeure, soit en plaçant un toit en feuilles de palmier sur des
poteaux enfoncés dans la terre, soit en empilant des troncs
d'arbres reliés par des lianes. Là où le bois faisait défaut, ils le
remplaçaient par de l'argile séchée au soleil et découpée en
(1) Sahagun, Hùt. Gen., t. III, 1. X, p. 107.
(2) Les Pâmes, les Otomies, les Pintos, les Michocaques et les Tarascos étaient les
principales tribus confondues sous le nom général de Chichimecs.
(3) Jos. de Acosta, Hist. naturahj moral de las Yndias. Sevllla, 1580.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 281
adobes. A l'intérieur de ces misérables huttes, pendaient quel-
ques nattes en jonc, qui avec des gourdes et des poteries de fabri-
cation fort grossière, composaient tout leur mobilier ; sur ces
poteries cependant, un certain sentiment artistique se fait déjà
jour, et des figures noires, exécutées non sans goût, se détachent
souvent sur un fond rouge.
Constamment en lutte avec leurs voisins, ils se livraient à des
invasions fréquentes et ils savaient repousser avec énergie toute
attaque sur leur propre territoire. Leurs armes étaient l'arc, la
sarbacane avec laquelle ils projetaient de petites balles en terre
cuite qui causaient de dangereuses blessures ; et surtout une
massue, qui était entre leurs mains une arme redoutable (1).
Les guerriers portaient à leur ceinture un os, et sur cet os, en
témoignage de leur bravoure, ils faisaient une marque pour
chaque ennemi qu'ils avaient tué. Les prisonniers étaient traités
avec une cruauté inouïe ; ils périssaient dans les plus horribles
supplices. Souvent le vainqueur les scalpait vivants encore, sur
le lieu même du combat, et cette chevelure sanglante devenait
un glorieux trophée. Les têtes des victimes étaient portées en
triomphe dans tous leurs campements, au milieu de danses et
de réjouissances jqui célébraient la victoire. On comprend l'hor-
reur et l'effroi avec lesquels les Toltecs considéraient ces
nomades, ils les appelaient des barbares, des buveurs de sang,
à raison de leur goût pour le sang de leurs victimes et de leur
habitude de se nourrir de lambeaux de chair pantelante. Cette
réputation avait survécu à leur défaite, et après la conquête
espagnole, Zarfate (2) les citait comme « les plus grands homi-
cides et les plus grands voleurs de toute la terre. » Le nom même
de Chichimec, dont on prétend faire remonter l'étymologie à
chichi, chien (3), était* une grave injure.
Tout grossiers qu'ils étaient, les Chichimecs avaient un culte.
(1) Ixtlilxochitl, Hist. Chic, l. c, p. 214. — Gomara, l. c, p. 298. — Torquemada,
/. c, p. 38.
(2) Reproduit par Alegre, Hist. de la Compania de Jésus en Nueva Espana. Mexico,
1841, t. I, p. 281.
(Z) Bancroft, /. c, t. II, p. 126.
282 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Ils adoraient le soleil, comme le dieu suprême (1) ; ils adoraient
aussi la foudre représentée par le dieu Mixcoatl [le Serpent des
nuages) qui, semblable au Jupiter antique, était figuré avec des
traits à la main (2).
Presque toutes ces tribus indépendantes, toujours en guerre
les unes contre les autres, obéissaient à des chefs nommés par
elles. Quelques-unes ne reconnaissaient aucune autorité et se
contentaient d'élire un guerrier, pour les conduire au combat.
Certaines lois paraissent cependant avoir existé parmi ces
races sauvages : les enfants ne pouvaient se marier sans le con-
sentement des parents, et la violation de cette règle entraînait
la mort des coupables. Le mariage était nul si, au lende-
main des noces, le mari déclarait que sa femme n'était point
vierge. Herrera rapporte encore que les Chichimecs ne pou-
vaient avoir qu'une seule femme ; il est vrai qu'ils la répudiaient
sous le plus léger prétexte, pour la remplacer par une autre.
Ces femmes étaient de véritables esclaves; à elles incombaient
tout le travail de la maison, la préparation des aliments, le tis-
sage de quelques grossières étoffes, la fabrication des nattes et
de la poterie, l'abatage des arbres, le transport du bois et de
l'eau nécessaires à la famille. Les devoirs rie la maternité n'in-
terrompaient pas leurs pénibles labeurs ; pendant qu'elles s'y li-
vraient, elles se contentaient de suspendre un panier à un arbre
et d'y déposer leurs enfants qu'elles allaitaient souvent jusqu'à
six ou sept ans.
Telle est la peinture que font les historiens, des barbares qui
devaient vaincre les Toltecs. Ce qui paraît plus étrange en-
core, c'est que les vainqueurs adoptèrent immédiatement les
usages, les mœurs, la civilisation des vaincus ; et que la monar-
chie Chichimèque ne fut à tout prendre que la continuation
de la monarchie Toltèque. Pouvons-nous admettre que vers la
(1) Alegre, /. c, t. I, p. 279.
(2) On l'appelle aussi Iztac Mixcoatl, le serpent blanc nébuleux; des recherches
récentes font supposer qu'il était le même que Taras, le dieu suprême des Tarascos, ou
Comaxtli, le dieu des Teochichimecs. Brenton, tfie Myths of the New World. New-
York, 1868.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 283
fin du onzième siècle, ou au commencement du douzième, à la
suite de révolutions et de luttes encore inconnues, ces tribus
sauvages obtinrent la suprématie et dominèrent à leur tour l'A-
mérique centrale ? et n'est41 pas plus naturel de croire à une con-
fusion dans les récits des chroniqueurs espagnols, seules sources
où nous puissions puiser. Cette confusion s'explique. Le nom de
Chichimec fut également appliqué et aux tribus barbares du
Nord et aux rois de Tezeuco. Ce seraient ces derniers, alliés peut-
être à quelques tribus nomades, qui furent les véritables vain-
queurs des Toltecs.
La civilisation des Tezeuans n'était ni moins brillante, ni ^esiezcuans.
moins avancée que celle des nations qu'ils étaient destinés à
soumettre. Les rois de Tezeuco étaient aussi magnifiques que les
rois Toltèques. Ixtlilxochitl (1) donne un tableau exagéré peut-
être de leurs palais, de leurs jardins, des lacs qu'ils avaient créés
à grands frais, de l'aménagement ^es forêts réservées à leurs
chasses. Il nous a conservé le nom des villes chargées du ser-
vice royal. Vingt-huit parmi elles devaient fournir les hommes
destinés à l'entretien des palais ; cinq autres, les serviteurs atta-
chés à la personne même du monarque, huit provinces envoyaient
les jardiniers, les forestiers et les laboureurs (2).
La puissance du roi Chichimec qui allait envahir les pays
Toltèques, se montre plus encore par le nombre de ceux qui le
suivaient dans cette invasion. Xolotl avait sous ses ordres, selon
notre historien (3), 3,202,000 hommes ou femmes, et encore
a-t-il soin d'ajouter qu'il ne comprend point parmi eux les enfants
qui accompagnaient leurs mères. Torquemada (4), sans se dissi-
muler que son récit peut paraître exagéré, rapporte que les pein-
(1) Hist. Chichimeca. Kingsborougb, Ant. of Mex., t. IX, p. 251.
(2) Tezeuco était bâtie sur la rive orientale du lac de Mexico ; les eaux se sont retirées,
et la ville moderne est à plusieurs miles de distance. Il reste peu de traces de sa gran-
deur passée. Mayer parle de substructures en adobes, couvrant des carrés de 400 pieds.
On les regarde comme les fondations d'anciennes pyramides ; tout autour on a re-
cueilli des fragments de poterie, de nombreuses idoles, des éclats d'obsidienne et di-
vers autres débris.
(3) L. c, p. 337, 375.
(4) Monarquia Indiana, 1. 1, p. 44.
284 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
tures historiques qui attestent ces faits énumèrent un million de
guerriers sous les ordres de six grands chefs et de vingt mille ou
même de vingt-deux mille chefs d'un rang inférieur. Ce n'est pas
de nos jours seulement, que des nations entières se ruent les unes
sur les autres (1).
Les Toltecs affaiblis par le luxe, les plaisirs, les débauches les
plus honteuses, décimés par des maladies pestilentielles, aban-
donnés par des alliés qu'ils avaient opprimés, par leurs propres
sujets eux-mêmes, qui à la suite d'un schisme religieux avaient
émigré en grand nombre, vers des régions plus favorisées, mon-
trèrent dans ce dangersuprême une énergie virile. Leur roi Acxtitl
appela aux armes tous ses sujets ; les vieillards et les enfants s'ar-
mèrent; la reine Xochitl, mère du roi, fut tuée après avoir vail-
lamment combattu à la tête d'une légion d'amazones. Ces efforts
étaient tardifs; les Toltèques furent complètement défaits et pres-
que exterminés après des combats répétés, qui durèrent plusieurs
jours (2). Tolan leur capitale fut pris ; le pays se soumit et Xolotl
prit le titre de Chichimecatl Teciihtli, le grand chef des Chichi-
mecs (3). Pour affermir sa puissance, il divisa son nouvel empire
en plusieurs provinces, qu'il donna en fief à ses principaux offi-
ciers à la condition de lui rendre hommage, et par une politique
habile, il voulut que son fils aine Nopaltzin épousât une prin-
cesse issue des rois Toltèques (4).
Il n'entre pas dans notre intention de raconter l'histoire de
l'empire Chichimèque (5). C'est une suite de révoltes, de guerres
(1) Rien n'est plus obscui* que la date de cette invasion. Veytia [Hist. Ani. Mej.,
t. II, p. 7) fixe à 1117 la victoire des Chichimecs. Ixtlilxochitl semble confondre les
faits, ou du moins il leur donne plusieurs dates différentes variant de 962 à 1015
{Ant. ofMex., t. IX, p. 208, 337, 395, 451). Clavigero parle de 1170. D'autres historiens
veulent que la chute de l'Empire Toltèque ait précédé l'invasion Chichimèque. Ils
sont aussi peu d'accord sur les faits que sur les dates.
(2) Nous suivons le récit donné par Ixtlilxochitl; celui de Veytia (Hist. Ant. Mej.,
t. I, p. 302-3) présente de notables différences. Il en est de même de celui de Brasseur
de Bourbourg (Hist. ries nat. civ., t. I, p. 405 et s.).
(3) Ses descendants ajoutèrent à ce titre pompeux celui de Huactlatohani, Seigneur
du monde.
(4) Brasseur de Bourbourg, /. c, 1. 1, p. 236.
(5) Nous citerons parmi les empereurs Chichimecs qui succédèrent à Xolotl, Nopaltzin
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 285
sanglantes, de conspirations et de bouleversements, qui devaient
aboutir, en 1431, à la triple alliance des Aztecs, des Acolhuas et
des Tepanecs, puis au triomphe éphémère des Aztecs vainqueurs
de tous leurs rivaux.
Les Tepanecs et les Acolhuas avaient été les alliés fidèles de Les Aztecs.
Xolotl dans ses attaques contre les Toltecs, et leurs chefs devin-
rent les vassaux du nouvel empire. Ils étaient depuis longtemps
établis dans l'Anahuac, lorsque les Aztecs y arrivèrent. Les
uns et les autres faisaient vraisemblablement partie de ces
nombreuses immigrations qui se succédèrent dans l'Amérique
centrale (1). Ces hommes venaient tous d'un pays auquel les
récits unanimes des chroniqueurs donnent le nom d'Azllan.
Où était cette terre, cette officina gentium, qui durant cinq
siècles et plus, envoie vers le Sud de véritables nations, parlant
toutes le même langage, acceptant les mêmes rites, les mêmes
fables cosmogoniques, obéissant les unes et les autres à des col-
lèges sacerdotaux strictement hiérarchisés, ayant les mêmes di-
visions du temps, les mêmes peintures hiéroglyphiques, le même
goût pour noter et enregistrer les événements ; des hommes qui se
comprennent sans difficultés et qui reconnaissent entre eux une
origine commune ? Il est peu de points plus obscurs et plus con-
troversés que la situation d'Aztlan. On a voulu tour à tour la
chercher en Californie, dans le Mississipi, le Nouveau-Mexique,
la Floride, le Zacatecas, dans d'autres régions encore. Toutes ces
hypothèses ont été mises en avant et toutes peuvent se soutenir ;
rimportance de la question est assurément considérable, car
s'il existe un lien entre les Nahuas elles Mound-Builders, c'est à
Aztlan qu'il faut le chercher (2).
son fils, Tlotzin-Pochotl qui régna de ISO.'i à 1357, Ixtlilxocliitl qui mourut vers 1419,
Tezozomoc qui usurpa la couronne sur le fils d'Ixtlilxochitl et qui régna 8 ans, Maxtla
enfin qui s'empara de la couronne en assassinant son frère aîné. Voy. Bancroft, L c,
t. V, ch. V, VI et VII.
(1) Bancroft, l. c, t. V, p. 305. — F. von Hellwald, The American Migration, Smith.
Cont., 1866.
(2) Brasseur de Bourbourg {Hist. des nat. civilisées, t. II, p. 292) place Aztlan on
Californie. Humboldt {Vues des Cordillères, t. II, p. 179 et Essai polit, sur le roy. de
la Souv.-Espagne, t. I, p. 53) vers 42° de latitude. Poster {Preh. Races, p. 340).
286 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les Aztecs étaient partis d'AzlIan en même temps que les peu-
ples qui les avaient précédés dansTAnabuac; mais la tradition
veut qu'ils s'arrêtèrent longtemps à Chicomoztoc (1). Ce ne fut
donc que bien plus tard, entre 1186 et 1194, si nous adoptons la
date que donne le Codex Chimalpopoca (2), qu'ils s'établirent à
Chapultepec.Leurscommencementsfurent difficiles; vaincus par
leurs voisins, avec qui ils étaient en guerre continuelle, ils fu-
rent forcés de quitter le pays où ils s'étaient établis et de se
réfugier au milieu de marais presque inaccessibles, oii surgis-
saient çà et là quelques misérables îlots de sable. Ce fut sur un
de ces îlots qu'ils fondèrent Tenotchitlan ou Mexico (3). La chasse
et la pêche ne pouvaient longtemps suffire à une population qui
s'accroissait rapidement. A force de travail, ils arrivèrent à créer
des jardins flottants, où poussaient le mais et d'autres plantes (4).
Puis l'eau du lac étant saumâtre, ils obtinrent, moyennant un
Vetancurt [Teatro Mexicano, p. II, p. 20) parlent du Nouveau- Mexique. Fontaine
(How the World was peopled, p. 14!)) regarde les mounds du Mississipi comme les
témoins des migrations aztèques. Prichard {Nat. fiist. of Man. t. II, p. 514-6) voit
dans les Moquis les derniers descendants des Aztecs. Bandelier dit, en parlant de
Chicomoztoc (les sept caves). « Thèse caves are in Aztlan, a country which we ail
know to to be towards the North and connected with Florida. » (Heport Peabody
Mus., t. II, p. 95 et s.) Clavigero {St. Ant. del Messico, t. I, p. 156) cite le Colo-
rado comme l'eau que tous les récits disent avoir été traversée par les émigrants,
tandis que Boturini {Idea de una nueva hist. gênerai de la America Septentrional,
p. 126-8) prétend qu'il s'agit du golfe de Californie. Bancroft (/. c, t. V, p. 322)
enfin, qui veut voir Aztlan dans le sud et rapproché de l'Anahuac, conclut ainsi :
« We hâve no means of determining in a manner at ail satisfactory, whether Aztlan
and Chicomoztoc were in Central Amerrica or in the of Zacatecas and Jalisco; nor
indeed of proving that they were not in Alaska, in New Mexico, or on the Mississipi. »
(1) M. Bancroft reproduit toute la marche des Aztecs ; on a cru voir dans Chicomoztoc
les sept caves célèbres dans toutes les légendes. En général, on place Chicomoztoc au
môme lieu qu'Aztlan.
(2) En 11 40 ou en 1189 selon deux dates différentes données par Ixtlilxochill ;
en 12'»5 selon Clavigero; en 1298, selon Veytia, Gama et Gallatin ; en 1331 selon
Gondra. La marge, on le voit, est large. Le Codex Chimalpopoca est daté du
22 mai 1538. On peut consulter Bancroft {l. c, t. V, p. 192) qui donne sur toute la
question des détails intéressants.
(3) On place cette fondation vers 13v5. Dùrancité par Bancroft (/. c.,t. I, c. iv-vi.) —
Veytia, Hist. ant. de Méjico, t. II, p. 156. — Torquemada, Mon. Ind., t. I, p. 92,
288 et s. — Ixtlilxochitl, /. c, t. IX, p. 461. — F, de Alvaredo Tezozomoc, Cron.
Mexicnna, Kingsborough, t. IX.
(4) Bandelier, Rep. Peabodij Mus,, t. Il, p. 403.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 287
tribut annuel, le droit de chercher sur la terre ferme l'eau douce
qui leur manquait complètement.
Tels furent les humbles commencements des Aztecs ; leur his-
toire devient ensuite plus confuse encore que celle des peuples
dont nous avons parlé (1). Il semble qu'à mesure que nous ap-
prochons de la fin de ce drame sanglant, la tradition elle-même
s'efface. Comme sous la domination Chichimèque, nous voyons
des séries de guerres et de révoltes, de luttes et de soumissions (2),
au milieu desquelles, la puissance des Aztecs grandit toujours.
Leur alliance avec les Acolhuas et les Tepanecs contre le dernier
empereur chichimèque Maxtla, et la défaite de celui-ci, furent
pour eux des étapes nouvelles. A la suite de la victoire, une con-
fédération s'établit entre les vainqueurs. Nezahualcoyotl, fils
d'ixtlilxochitl, sur lequel Tezozomoc avait usurpé la couronne,
prit à son tour le titre de Chichimecatl Teciihtli. Tezcuco était sa
capitale ; la capitale des Tepanecs fui Tlacolpan ; celle des Aztecs,
comme nous l'avons vu, Tenotchitlan.
A partir de ce moment les Aztecs prirent un rapide essor ;
des marais où ils avaient trouvé un refuge après leurs premiers
désastres, leur puissance s'étendit jusqu'aux rives des deux
Océans. Leurs conquêtes n'étaient dues qu'à leurs armes victo-
rieuses ; aucune ville n'acceptait volontairement leur joug ; au-
cune nation ne recherchait leur alliance. Les peuples durement
opprimés par des gouverneurs étrangers, accablés de taxes
odieuses (3), pressurés par les commerçants mexicains, très ex-
(1) Une des causes de cette confusion est la rivalité constante des deux royaumes
de Tenotchitlan et de Tezcuco et le peu de soin qu'ont mis les premiers chroniqueurs
Espagnols pour distinguer les faits relatifs à chacun des deux pays.
(2) Brasseur de Bourbourg donne un récit très complet (/. c, t. III, p. 194 et s.). Mal-
heureusement il est inexact sur une foule de points. Les principales guerres soutenues
par les Aztecs furent à l'ouest contre le royaume de Michoacan, habité par les Taras-
cos, rameau des Toltecs ; et contre les Miztecs et les Zapotecs au sud.
(3) On payait les tributs en nature, ils se composaient de grains, de vêtements de
coton, de pipes, de joncs, d'aromates, d'objets les plus divers. Certaines villes du Paci-
fique étaient tenues d'envoyer chaque année 4,000 balles de plumes, 2< 0 sacs do cacao,
4(1 peaux de tigre, et 160 oiseaux d'une espèce rare. Les Zapotecs étaient astreints à
40 plaques d'or d'un poids fixé et à 20 sacs de cochenille. Des tribus nomades de-
vaient fournir des urnes remplies de poudre d'or. Les villes du golfe du Mexique en-
288 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
perts en ce genre de trafic, se révoltaient sans cesse. Chaque ré-
volte nouvelle était noyée dans le sang ; et des milliers de victimes
humaines périssaient sur les autels de Mexico en l'honneur de la
victoire. On comprend, en lisant ces détails, la haine des vaincus
et le dévouement que montrèrent les alliés de Cortès (1).
Mexico, dont les premières maisons avaient été quelques misé-
rables huttes en roseaux ou en terre, grandissait avec la puissance
de ses habitants, et bientôt elle fut une ville digne de l'empire,
dont elle était la capitale (2). De tous les côtés s'élevaient les palais
des rois, les temples des dieux indigènes ou étrangers (3) ; car,
comme dans la Rome antique, les divinités des peuples vaincus
devenaient celles des vainqueurs. Des travaux plus utiles ne fai-
saient pas défaut. Des chaussées édifiées par les nations, tribu-
taires ou alliées, permettaient des communications faciles, que
venaient compléter des ponts larges et construits selon les règles
de l'art (4). Une digue de 7 à 8 miles de longueur, sur une lar-
geur qui varie dans les divers récits de 30 à 60 pieds, était destinée
à mettre Mexico à l'abri des inondations (5). Des aqueducs ame-
voyaient 20,000 balles de plumes, 6 colliers d'émeraudes, 20 anneaux en ambre ou en
or et 16,000 charges de caoutchouc. Tous devaient contribuer au tribut, et ceux qui étaient
trop misérables pour le faire étaient tenus de fournir un nombre déterminé de serpents
ou de scorpions. On raconte que Alonso de Ojeda et Alonso de Mata, cités parmi les com-
pagnons de Cortès, comme ceux qui entrèrent les premiers dans le palais royal de
Mexico, aperçurent des sacs empilés avec soin. Ils s'empressèrent de s'en emparer,
espérant déjà un riche butin. Ces sacs étaient pleins de poux et faisaient partie du
tribut d'une province. Torquemada (/. c, t. I, p. 461) à qui nous empruntons ce fait
ajoute : « Ai quien diga, que non eran Piojos sino Gusanillos ; pero Alonso de Ojeda en
sus Mcmoriales lo certiflca de vista, y lo mismo Alonso de Mata. » On peut aussi con-
sulter Tezozomoc, Cron. Mex., Kingsborough, t. IX. — Clavigero, .S^ ant. del Messico,
t. I, p. 275. — Bancroft, /. c. , t. II p. 233 et 234.
(l)Bancroft, l. c, t. V, p. 481.
(2) Les rois ou cliefs mexicains jusqu'à la conquête espagnole furent Itzcoalt -j- 1440,
Montezuma I" f 1469, Axayacatl -j- 1481, Tizoc f 1486, Ahuizotl f 1503, Montezuma II
f 1520.
(3) Torquemada assure qu'il y avait plus de quarante mille temples ou teocallis à
Mexico.
(4) « Hay sus puentes de muy anchas, y muy grandes vigas juntas y recias y bien
labradas, y taies que por muchas délias pueden passar diez de caballo juntos k la
par. » Cortès, Cartas, p. 203.
(5) Veytia, t. III, p. 247. —Torquemada, t. I, p. 157. — Clavigero, t. I, p. 233. —
Brasseur de Bourbourg, t. III, p. 228. .
LES PEUPLES DE L'AMERIQUE CENTRALE. 289
naienlTeau nécessaire aux habitants, et dès 1446, cette eau était
conduite par dés tuyaux en terre cuite de Chapultepec à la ca-
pitale.
La prospérité deTezcuco ne le cédait en rien à celle de Mexico, Les rois de
^ -"^ _ _ , Tezcuco.
et la figure de deux de ses rois vient relever la monotonie de l'his-
toire de l'Anahuac. Grâce à la sage administration de Nezahual-
coyotl, Tezcuco était devenu le centre des arts, des sciences, de la
culture intellectuelle (1). Le roi était lui-même un poète distingué.
Ixtlilxochitl , son descendant direct, a conservé quelques-unes de
ses poésies, célèbres encore au temps de la conquête. Nous ne
voulons reproduire qu'une strophe, tirée d'une ode sur les vicis-
situdes de la vie (2), où le roi, faisant un retour sur lui-même,
s'écrie : « Non, tu ne seras pas oublié, non, le bien que tu as fait
ne sera pas perdu pour les hommes; car le trône que tu oc-
cupes n'est-i] pas le don du dieu sans égal, le puissant créateur
de toutes choses, celui qui fait et qui abaisse les princes et les
rois ? » Nous ne pouvons continuer cette citation ; disons seule-
ment que les strophes suivantes montrent les mêmes sentiments,
que nous sommes étonnés de trouver chez un homme, trop faci-
lement considéré comme un barbare ; elles respirent le dédain
des grandeurs, dont le roi avait su apprécier le néant ; elles
permettent d'accepter jusqu'à un certain point le récit des his-
toriens espagnols, qui affirment que Nezahualcoyotl adorait un
dieu unique et invisible, dont l'image ne pouvait être retracée
par les mortels.
(1) Sahagun raconte l'éducation donnée aux fils et aux filles du roi. Il cite un dis-
cours adressé par Nezahualcoyotl à ses enfants, remarquable par l'élévation des senti-
ments qui s'y montrent.
(2) Quatre odes sont reproduites dans le recueil de lord Kingsborough (t. VIII,
p. 110-115). L'une est une imprécation contre Tezozomoc qui avait usurpé le
trône des ancêtres de Nezahualcoyotl, une autre est l'ode sur les vicissitudes
de la vie, dont nous reproduisons un fragment; la troisième, récitée à un festin,
est une comparaison entre les rois de l'Anahuac et les pierres précieuses. La qua-
trième enfin célèbre la dédicace d'un palais royal et s'étend sur la nature périssable
de la grandeur terrestre. Bancroft (t. II, p. 494) donne une traduction anglaise de
deux de ces odes. F. W. v. Millier {Reisen in den Vereinigten Staten Canada
und Mexico. Leipzig, 18G4, t. III, p. 128-141) reproduit deux autres odes qui étaient
restées inconnues.
De Nadaillac. Amérique. 19
290 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Nezahuacoyotl mourut vers 1472; il laissa un seul fils légi-
time, mais plus de cent enfants de ses concubines ; ce fils,
Nezahuapilli, lui succéda ; il se montra, comme son père, habile ta
la guerre, d'une justice, toujours sévère, souvent inexorable, mi-
séricordieux pour les petits, généreux pour ses sujets. Comme son
père, il était adonné aux plaisirs, et l'on rapporte qu'il avait
dans ses palais plus de deux mille concubines (1). Parmi ses
femmes était une fille d'Axayacatl, roi de Mexico; elle était
fort jeune, et il lui avait été assigné un palais particulier, jusqu'à
ce que le mariage pût être consommé. Elle passait pour fort
belle et le roi lui faisait de fréquentes visites; chaque fois, il
remarquait, dans la salle où elle se tenait, un nombre plus con-
sidérable de statues couvertes de riches habits; ne voulant pas
contrarier les goûts de sa femme, il ne faisait aucune réflexion.
Un jour il vit au doigt d'un de ses principaux courtisans l'anneau
de la reine. Ses soupçons s'éveillèrent, et le soir même il se rendit
au palais de Chalchiuhuenetzin. La reine dormait, selon les affir-
mations de ses suivantes. Nezahuapilli pénétra dans sa chambre ;
une poupée, revêtue des habits de la reine, avait pris sa place dans
le lit royal. Le roi, dont les soupçons étaient justement éveillés,
poursuivit ses recherches et, dans une pièce secrète du palais, il
vit la jeune reine complètement nue, dansant avec trois de ses
principaux officiers. Les statues étaient celles de ses amants, et
elle avait voulu , par un étrange caprice, les faire représenter
dans le costume qu'ils portaient, la première fois qu'ils avaient
obtenu ses faveurs. La punition fut terrible; malgré le respect
dû à son rang, la reine fut étranglée ; et avec elle périrent ses
amants, les femmes attachées à son service et plus de deux mille
personnes convaincues de complicité, ou de connaissance à un
degré quelconque de ses désordres (2).
Ce n'est pas le seul exemple de sévérité que l'histoire rapporte
de INezahualpilli. Son fils aîné avait montré des talents remar-
(1) Il avait également plusieurs femmes légitimes. La fille d'Âxacayatl, dont nous
parlons, était du nombre, ainsi que trois nièces de Tizoc.
(2) Torquemada, 1. 1, p. 184. — Ixtlilxochitl, Hist. Chichimeca, l. c.,p. 265, 267, 271.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 291
qiiables comme généraL II était le favori du roi qui venait de lui
conférer le titre de Tlatecatl, le plus grand honneur que pût re-
cevoir un Tezcuan. Un jour il fut accusé d'avoir parlé trop libre-
ment à une des concubines de son père. Le roi voulut interroger
les coupables, et le fait étant prouvé, il n'hésita pas à appliquer
une loi qu'il avait faite ; il condamna son fils à mort et le fit
exécuter malgré les supplications de ses courtisans (1). Un autre
de ses fils avait commencé la construction d'un palais, sans en
avoir obtenu l'autorisation et sans s'être fait remarquer, à la
guerre, par une des actions qui seules donnaient aux princes le
droit de posséder un palais séparé ; il le fit également exécuter.
Quelques années après, Tezozomoc, beau-père de Montezuma,
fut accusé d'adultère ; les juges, par égard pour le roi de Mexico,
l'avaient seulement condamné au bannissement. Nezahualpilli
le fit étrangler, à la grande irritation des rois ses alliés (2).
Les dernières années de la vie du roi de Tezcuco furent tristes;
une prophétie, à laquelle les Tezcuans ajoutaient une grande
confiance, assurait que le dieu Quetzacoatl reviendrait sur la
terre, sous les mêmes traits que lors de sa première apparition.
Les temps marqués par cette prophétie étaient arrivés et coïnci-
daient avec le débarquement des Espagnols. L'esprit supersti-
tieux du roi fut singulièrement frappé de ce fait. Dès lors,
il s'enferma dans son palais, ne s'occupa plus des affaires publi-
ques et refusa même de recevoir ceux à qui il avait confié la
direction de l'Etat. Sa mort, que l'on place en 1515, fut longtemps
ignorée, et une légende formée autour de son nom s'est perpétuée
jusqu'à nous; les Tezcuans prétendaient que la mort n'avait pu
l'atteindre et qu'il s'était retiré à Amaquemecan, le pays de ses
ancêtres (3).
La mort de JNezahualpilli, la mésintelligence qui éclata entre
(1) Torquemada, Mon. Ind., t. I, p. 165.
(2) Iitlilxochitl, l. c.
(3) Torquemada, t. I, p. 216. — Ixtlilxochitl, Hist. Chic. p. 28-2, 388, 410. — Tezozo-
moc, Kingsborough, t. IX. p. 178. — Fray Diego Duran place sa mort en 1509. Hist. de las
Indias de la Nueva Espana, écrite entre 1567 et 1581 et publiée à Mexico par D. Ra-
mirez en 1867.
292 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ses fils, servaient les projets ambitieux de Montezuma. 11 fut, un
instant, le maître incontesté de l'Anahuac; mais la fortune l'aban-
donna rapidement; il ne sut ni résister aux Espagnols, ni traiter
avec eux, ni obtenir le dévouement de son peuple. L'empire
des Aztecs était condamné, et l'Anahuac, comme le Nouveau-
Monde tout entier, allait appartenir à d'autres races à qui par
d'impénétrables décrets l'avenir de l'Amérique était réservé.
Religion et L'idéc religicusc, autant que l'on peut en juger aujourd'hui, se
rencontre chez toutes les races américaines, avec les contrastes les
Fig. 116. — Idole en terra cotta.
plus frappants. Certaines peuplades n'avaient pu dépasser le féti-
chisme, la forme la plus dégradée et la plus primitive du culte.
L'idolâtrie, qui dominait chez les nations de l'Amérique centrale,
était déjà une forme plus élevée; le sauvage adore la vague de
la mer, l'arbre de la forêt, l'eau de la fontaine, l'étoile du firma-
ment, la pierre du chemin ; il investit de pouvoirs surnaturels le
premier objet qui frappe ses yeux ou son imagination. L'idolâtre
lui est supérieur ; il adore non la matière elle-même, mais le
dieu du soleil, de la mer, de la forêt, de la fontaine ; souvent
il revêt ce dieu, devant lequel il tremble, de formes humaines
(fig. 114, 115, 116), et il lui prête les passions qui sont dans son
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 293
propre cœur. Le monothéisme, au point de vue purement philo-
sophique, est un progrès considérable. On a prétendu que les
Aztecs adoraient un dieu invisible, Teotl, le maître suprême (1);
mais ce fait est contesté, et tout prouve au contraire que le poly-
théisme existait chez eux et même un polythéisme très inférieur^
comme conception, à celui que l'histoire nous montre chez les
Egyptiens ou chez les Grecs (2). Le nombre des divinités secon-
daires était très considérable ; chaque tribu, chaque famille,
chaque profession avait ses patrons, et croyait honorer ces dieux
Fig. 117. — Couteau en obsidienne à l'usage des sacrificateurs. (Musée
du Trocadéro.)
par des jeûnes sévères, une chasteté prolongée, des bains, des
purifications, souvent aussi par de cruelles mortifications.
C'est ainsi, qu'avant de célébrer la fête du dieu Camaxtli, les
prêtres étaient tenus à une rigoureuse abstinence, qui ne durait
pas moins de cent soixante jours, et pendant tout ce temps ils
devaient se percer la langue avec des centaines de petits bâtons
pointus variant de un à trois centimètres de diamètre (3).
(1) « The Aztecs recognised the existence of a suprême Creator and Lord of the
universe. » Prescott, the Conqw^st of Mexico, t. I, p. hl.
(2) « Their Mytbology, as far as we knovv it, présents a great number of unconnected
Gods, without apparent System or unity of design. » Gallatin, Am. Ant. Soc. Trans.,
t. I, p. 3.Î2.
(3) Las Casas, Hist. Apologetica de las Yndias Occidentales, c. clxxii et clxxv.
Kingsborough, t. VIII.
294 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les fêtes religieuses étaient fréquentes chez tous les peuples de
race Nahuatl, et chacune d'elles était accompagnée de sacrifices
humains. A telle fête, selon un rite strictement observé, des
enfants à la mamelle étaient offerts au dieu qui présidait à
la pluie; ils devaient être immolés sur de hautes montagnes,
ou précipités dans le lac qui baigne la ville de Mexico. Le
Fig. 118. — Collier de sacrifice. (Musée du Trocadéro.)
mois suivant, le dieu des orfèvres exigeait des sacrifices non
moins sanglants. Des centaines de misérables captifs étaient suc-
cessivement amenés aux pieds du grand prêtre ; leur poitrine
était ouverte avec un couteau en obsidienne (fig. 117 et 118) ; leur
cœur arraché et offert, tout pantelant encore, à l'idole. A d'au-
tres fêtes, s'il est permis de les appeler ainsi, la peau du malheu-
reux était arrachée ; des gladiateurs s'en revêtaient, pour se
livrer à des combts simulés; ou bien, dans un élan de ferveur,
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 295
des prêtres s'honoraient de porter ces dépouilles (fig. U9 et 120)
jusqu'à ce qu'elles tombassent en lambeaux (1). Le hideux tro-
phée était alors suspendu dans le temple de Yapico, ou, si c'était
un prisonnier pris les armes à la main, rendu à celui qui avait
offert la victime. Les réjouissances en l'honneur de Mixcoatl, le
dieu '^2) de la chasse et du tonnerre, étaient inaugurées par des
battues, où les animaux, daims, coyottes, lièvres, lapins, tom-
Fig. 119. — Prôtre Aztec, revêtu d'une peau humaine.
baient sous les flèches des dévots. Puis venaient les inévitables
sacrifices humains; on allumait enfin un grand feu, où les
hommes jetaient] des pipes ou des vases (fig. 121), les femmes des
fuseaux, dans l'espérance que le dieu leur rendrait leurs offrandes
avec usure, dans la vie qui les attendait au delà de la tombe (3).
(1) • Ils puaient comme des chiens morts, » ajoute Sahagun qui nous a transmis ce
détail.
(2) Peut-être faudrait- il dire la déesse; ce point est très controversé.
(3) Bancroft (t. II, ch. ix et t. III, p. 355-412) donne un détail très exact de ces
fêtes . Nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur désireux de les connaître plus com-
plètement.
296 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Au jour consacré à Xuihtecutli, le dieu du feu, les captifs
étaient portés en triomphe sur les épaules des prêtres, jusqu'à la
plate-forme où s'élevait le teocalli, puis précipités dans un foyer
ardent. La foule accourue de toutes parts se repaissait avec
transport de l'agonie de ces malheureux ; et des danses, des ré-
Fig. 120. — Vase destiné aux sacrifices (la tête est celle d"uu sacrificateur revêtu
d'une peau humaine). (Musée du Trocadéro.)
jouissances, des festins, où la viande humaine (1) était le mets le
plus recherché, terminaient la journée. A Tlascala, un des mois
de l'année était consacré aux plaisirs sensuels. Il était inauguré
(I) Les morceaux les plus délicats étaient réservés aux prêtres. Une partie du cada-
vre devait être rendue à celui qui avait offert le malheureux. Sahagun nous apprend
que cette viande était accommodée avec du maïs. Ce mets s'appelait TlacatlaoUi et le
maître de l'esclave devait s'abstenir d'en manger, car l'esclave était regardé comme un
membre de la famille.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 297
par le sacrifice de nombreuses vierges. D'autres fois, un jeune
homme et une jeune fille, choisis pour leur beauté, étaient entre-
tenus pendant toute une année avec un luxe royal, puis traînés
au supplice, comme des victimes agréables aux dieux.
Telles étaient les fêtes qui se renouvelaient chaque année. Il y
avait aussi les fêtes extraordinaires, une victoire, l'avènement
d'un roi, la dédicace d'un temple; ces derniers événements
étaient fréquents à Mexico, et toujours l'occasion d'hécatombes
de victimes. Si une défaite, une maladie pestilentielle, une famine,
Fig. 121. — Vase trouvé dans l'île de Los Sacrificios.
un tremblement de terre venaient frapper les Aztecs, le peuple
réclamait avec ardeur des sacrifices pour apaiser la colère des
dieux.
La dédicace par Ahuizotl du grand temple de Huitzilopochtli,
en 1487 (1), fut marquée par l'immolation de 72,344 malheu-
(1) La légende de Huitzilopochtli, le dieu de la guerre, mérite d'être rapportée. Une
pieuse veuve vivait à Tula. Un jour qu'elle était au temple, elle vit flotter dans les airs
une petite boule de plumes. Elle la ramassa et la mit dans son sein. A son retour ello
voulut la rechercher; la boule avait disparu. Peu de temps api-ès elle était grosse.
Ses fils, irrités du déshonneur de leur mère, voulaient la tuer, lorsque du fond de ses
entrailles, une voix se fit entendre : « Ne crains rien, ma mère, car tout tournera à ta
gloire ; » et au même instant Huitzilopochtli parut portant sa lance, son bouclier étin-
celant et sa couronne de plumes vertes, et tombant sur ces fils dénaturés, il les mit
tous à mort. De ce jour il fut appelé Tetsauhteoll, le dieu terrible (Bancroft, t. III,
p. 28S).
'2\)8 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
reux (1) ; les prêtres étaient fatigués de frapper ; il fallait successi-
vement les remplacer; mais le peuple ne se lassait pas de cette
effroyable boucherie ; il répondait, par des exclamations de joie,
aux hurlements de ceux qui mouraient (2). Sous Montezuma II,
12,000 captifs périrent, lors de l'inauguration d'une pierre mysté-
rieuse amenée à grands frais à Mexico et destinée à former l'autel
des sacrifices (3). Ces sacrifices touchaient heureusement à leur
fin ; en 1518, au moment même où Juan de Grijalva débar-
quait sur la côte où s'élève aujourd'hui Vera-Gruz, de nombreux
prisonniers furent immolés en l'honneur de la dédicace du tem-
ple de Coatlan. Ce devait être la dernière de ces horribles fêtes ;
les Espagnols vainqueurs s'empressèrent de les abolir (4).
En dehors des sacrifices extraordinaires que nous venons de
raconter, le nombre des victimes qui périssaient dans les satur-
nales annuelles dépasse toute créance. Zumarraga, le premier
évêque de Mexico, dans une lettre datée du 12 juin 1531 et
adressée au chapitre général de son ordre, ne l'évalue pas à
moins de 20,000; Gomara le porte même à 50,000 (5). Ces chiffres
(1) Le Senor Orozco y Berra montre dans les annales du musée national de Mexico,
l'existence de sacrifices humains chez les Juifs, les Egyptiens, les Perses, les Phéni-
ciens, les Pélasges et bien d'autres nations de l'antiquité. Des recherches récentes
permettent aussi de croire que le nombre des victimes a été singulièrement exagéré
par ies historiens espagnols. En admettant même, ce qui nous semble probable, cette
exagération, il faut aller dans l'intérieur de l'Afrique pour voir de pareilles héca-
tombes.
(2) Torquemada, 1. 1, p. 186. — Vetancurt, Teatro Mex., t. II, p. 37. D'autres écrivains
portent le nombre des victimes à 60,460 et celui des spectateurs à plus de six millions
(Bancroft, t. II, p. 577 ; t. V, p. 4i(i).
(3) Les autels destinés aux sacrifices peuvent se ramener à trois types différents :
1° le Tehcatl généralement en obsidienne ou en serpentine, de forme convexe : la poi-
trine de la victime se trouvait ainsi placée de manière à faciliter la tâche du sacrifi-
cateur. Sa hauteur, rapporte Duran [Hist. de las Yndias de Nuevu Espana), atteignait la
ceinture d'un homme, et sa longueur pouvait être de 8 pieds ; 2° le Tema/acat/, pierre
de forme cylindrique, à laquelle était attaché le malheureux qui devait montrer sa bra-
voure, en luttant contre ses assaillants à l'aide d'un bouclier. Dès qu'une flèche l'avait
atteint, il était traîné au tehcatl et son cœur immédiatement arraché par le sacrifica-
teur ; 3" le Cuaufixicalli, pierre concave avec un bassin au centre, où le sang était
recueilli. C'est à ce dernier type, que se rapporte la célèbre pierre découverte à
Mexico en 1791. — Ann. del Musto Nacional, Mexico, 1877 et 1878.
(4) Torquemada, /. c, t. I, p. 186. — Vetancurt, /. c, t. II, p. 46. — Veytia, Hist.
ant. de Mejico, t. III, p. 476.
(5) Hist. Gen. de las Indias. Anvers, 1564.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 299
que contredit Las Casas, dans son célèbre mémoire (1), peuvent
être exagérés; mais les faits subsistent; ils sont indéniables, et ils
montrent à quel point les Aztecs, malgré leur civilisation appa-
rente, étaient restés sanguinaires et barbares. Peut-être étaient-
ils conduits fatalement à ces massacres, par la grande fécondité
de la race, par l'absence d'animaux domestiques et la privation
de viande, qui en était la conséquence. Ce sont là, chez toutes
les races sauvages, les causes premières de l'anthropophagie.
L'espérance ou l'attente d'une vie au delà du tombeau sont vie future.
répandues chez toutes les races humaines. L'homme, quelque
dégradé qu'on le suppose, répugne à la pensée de l'annihilation
complète de son être et aspire à une vie meilleure que celle qu'il
traverse. Avant le christianisme, la conception de cette vie se ré-
sumait en un bonheur tout matériel; elle variait selon le degré
de civilisation ; le Grec rêvait des joies plus pures dans l'Elysée,
que le Musulman sensuel dans les bras de ses houris, ou le
Viking Scandinave au milieu de festins perpétuels. Chez le sau-
vage, la conception d'une autre vie est faible; les notions du
passé et de l'avenir sont, chez lui, si confuses et si vagues, qu'il
est difficile de se rendre compte de ses véritables impressions (2).
Ce qui paraît certain, c'est qu'en Amérique comme chez les na-
tions de l'ancien continent, ces notions variaient de peuplade à
peuplade. Quelques tribus du Pacifique admettaient, avec la vie
future, la pensée d'une rétribution; d'autres croyaient que
l'homme renaissait de ses cendres, pour passer par les mêmes
phases qu'il avait traversées, mais dont le souvenir était à jamais
effacé de sa mémoire. Sur plusieurs points, on trouve l'idée de la
métempsycose. Les Tlascallas de race Nahuatl étaient persuadés
que la hiérarchie sociale se perpétuait au delà du tombeau ; les
gens du peuple étaient transformés en insectes; les chefs en
oiseaux. Les conceptions des Aztecs étaient plus élevées ; ils ad-
mettaient une série de gradations dans le bonheur réservé aux
hommes. Les guerriers morts en combattant devaient immé-
(1) Hist. Apol. de las Yndias Occidentales. Kingsborough, t. VIII.
(2) Tylor, Primitive culture, p. 22.
300 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
diatement habiter la maison du soleil ; les gens plus obscurs
avaient des demeures moins brillantes dans les divers astres
qui peuplent le firmament. Il paraît cependant que ce n'était
pour eux qu'un état de transition, des limbes où ils séjour-
naient avant d'arriver à leur destination finale. Cet état durait
quatre ans, et durant tout ce temps, les parents et les amis
étaient tenus d'offrir au mort des viandes, des vins, des fleurs,
des parfums et d'honorer sa mémoire par des fêtes et par des
danses (1).
Cérémonies Ccs mêmcs idécs se montrent chez toutes les nations d'origine
funéraires. ^
Nahuatl, et elles se reflètent naturellement dans les cérémonies
•observées aux obsèques. Chez les Aztecs, quand un chef mou-
rait, le corps était couvert de manteaux richement brodés et
ornés de pierres précieuses. Pendant que quelques-uns des ser-
viteurs habillaient ainsi le cadavre, d'autres découpaient des
morceaux de papier, en ayant soin de donner à chacun d'eux
une forme particulière et les plaçaient sur le corps du défunt.
Un prêtre versait de l'eau sur sa tête, en répétant les paroles
consacrées par le rite funéraire (2) ; il lui remettait ensuite di-
vers papiers. « Avec celui-ci, lui dis'kit-il, tu seras admis à tra-
verser le défilé des deux montagnes; avec cet autre, tu éviteras
le grand serpent; avec ce troisième, tu mettras en fuite l'alli-
gator; avec ce quatrième, tu franchiras heureusement les huit
grands déserts et les huit collines. » Les manteaux étaient des-
tinés à protéger le mort, contre les vents aussi tranchants que
l'obsidienne, qu'il devrait rencontrer sur sa route. On tuait en-
suite un petit chien, au poil roux, on lui mettait au cou une
laisse de coton et on l'enterrait auprès du défunt. Ce chien
jouait un grand rôle ; il devait guider son maître et l'aider à tra-
verser heureusement le Chicunahuapan, les neuf torrents ; il est
difficile de ne pas voir là une allusion aux neuf firmaments oii les
(1) Bancroft, /. c.,t. II, p. 618. Ces fêtes avaient lieu aux deux mois de Tlnxochimalco
et de Xocotlhuezin. Le premier était consacré aux enfants ; le second aux chefs et aux
guerriers morts les armes à la main.
(2) Brasseur de Bouvbourg, liist. des nat. civilisées, t. III, p. 569.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 301
âmes devaient séjourner durant leurs migrations successives (1).
Des esclaves et des concubines étaient généralement immolés
aux funérailles dun chef; leur devoir était de le servir durant ce
redoutable passage d'un firmament à Fautre. Aux obsèques des
rois Chichimèques, le gardien des idoles domestiques était le
premier sacrifié. Chez les Miztecs, qui habitaient la province
actuelle d'Oajaca, on immolait deux esclaves mâles et trois fem-
mes que l'on avait auparavant stupéfiés avec des boissons nar-
cotiques. Les corps étaient déposés au milieu d'une forêt, et,
quand cela était possible, dans les profondeurs d'une grotte.
Burgoa, qui écrivait il y a deux siècles (2), raconte avoir vu
plusieurs de ces sépultures. De nombreux squelettes couverts de
bijoux, d'ornements d'or ou d'argent, gisaient dans des niches
creusées le long des parois de la grotte. Çà et là, des niches plus
petites étaient destinées aux dieux protecteurs des morts, et leurs
statues existaient encore à l'époque des explorations de Burgoa.
Tout récemment, il a été découvert dans la vallée du Rio Nazas
(prov. de Durango) une caverne d'une étendue considérable;
des milliers de momies appartenant à une race fort différente
des Indiens actuels y dormaient leur dernier sommeil. Chaque
momie était recouverte d'un manteau de feuilles d'agave, riche-
ment coloriées. Les corps paraissaient dans un état de conser-
vation remarquable, la chair avait une apparence de vie, les
cheveux étaient soyeux. Les recherches n'ont donné aucun ob-
jet en métal ; c'est la seule indication que nous possédions sur
l'antiquité de cette sépulture (3). D'autres fois des monuments
somptueux étaient consacrés au mort. C'est ainsi que la grande
pyramide de Mexico, détruite par les Espagnols, avait été élevée,
rapporle-l-on, pour recevoir les cadavres des rois. Ce qui est plus
certain, c'est que les Conquistadores y recueillirent de riches
trésors.
(1) Torquemada, Mon. Ind., t. II, p. 527.— Clavigero, St. ant. del Messico, t. II, p. 94.
(2) Geografica Dexcripcion de la parte septentrionale del Polo Artico de la America
(Oajaca). Mexico, 1674, t. 1 et t. II.
(3) Proc. Anth. Society of Washington, 1879-1880.
302 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Pour les gens du peuple, les funérailles étaient nécessaire-
ment plus simples ; le rite cependant était toujours fidèlement
suivi. Le corps, lavé à trois reprises avec des eaux aromati-
ques, était successivement revêtu d'habits ordinaires, d'habits
et de plumes d'un rouge éclatant ; enfin de vêtements et de
plumes noires. Une pierre {tentell), dont nous ignorons la signi-
fication, était placée entre les lèvres du mort. Des papiers, véri-
tables passeports pour l'autre vie, lui étaient remis avec les
paroles liturgiques. A côté de lui, on déposait un vase rem-
pli d'eau, le chien, compagnon indispensable pour assurer
le voyage, les armes ou les outils de son état; une hache pour
le soldat, une bêche pour le laboureur, un fuseau ou un balai
pour la femme. On couvrait enfin le cadavre du manteau du
dieu patron de sa corporation, ou même, s'il est permis de
croire les écrivains espagnols, du dieu des vices qui avaient si-
gnalé son existence terrestre, ou de la mort qui l'avait frappé (1).
Ainsi le soldat était revêtu du manteau du dieu de la guerre;
le marchand, de celui du dieu du commerce; l'ivrogne, de celui
du dieu du vin ; le noyé, de celui des dieux qui présidaient aux
fleuves; l'adultère, du manteau consacré au dieu des plaisirs
sensuels; quand tout était ainsi préparé, les parents et les amis
apportaient leurs offrandes. C'étaient des fleurs, des aliments,
des vêtements ou des outils, que l'on devait renouveler plu-
sieurs jours de suite. L'idée dominante de ces rites était le
désir d'assurer au défunt une existence semblable à celle qu'il
avait eue sur la terre. On le conduisait enfin à sa dernière de-
meure, une caverne, ou plus simplement encore une fosse
creusée dans la terre.
Il serait difficile de parcourir, même rapidement, les cou-
tumes funéraires observées dans des régions d'une semblable
étendue; elles variaient de nation à nation, de tribu à tribu. Cer-
tains Chichimecs se livraient, après avoir enterré leurs morts, à
(1) Gomara, HUt. ant. de Mexico, ï" 309. — « Vcstivano lo d'un abito corrispon-
dente alla sua condizione, aile sue facolta ed aile circonstanze délia sua morte. » Cla-
vigero {J,. c, t. II, p. 39).
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 303
des danses et à des fêtes qui duraient souvent plusieurs jours (1).
Grijalva découvrit auprès de Tabasco les squelettes d'un jeune
garçon et d'une jeune fille enveloppés dans des toiles de
coton et couverts de bijoux; ils avaient simplement été déposés
dans le sable du rivage (2). Au Yucatan, les cadavres étaient
embaumés, les prêtres retiraient les entrailles et les dépo-
saient dans de grandes amphores ornées, tantôt de têtes hu-
maines, tantôt de têtes d'animaux. Dans le Goazacoalco, pour
ne plus citer que cet exemple, les ossements dépouillés de leur
chair étaient mis dans un panier et placés sur la cime d'un arbre
auprès du domicile même du défunt, pour que celui-ci pût sans
doute, les retrouver avec plus de facilité dans ses migrations
successives (3).
La crémation remonte aux premières tribus nomades, qui créniation,
* -"^ funérailles
pouvaient ainsi transporter plus facilement les restes de leurs an- royales.
cêtres. L'usage persista durant de longs siècles, et à l'arrivée des
Conquistadores, il était encore en honneur sur certains points,
pour les chefs et pour les nobles (4). Les historiens espagnols
nous ont conservé le récit des funérailles royales (5). Le corps,
couvert de vêtements somptueux, était assis sur un trône élevé
et les principaux courtisans venaient tour à tour lui présenter
leurs hommages, comme s'il eût été encore en vie. Ils exal-
taient ses vertus, la douleur que sa mort causait au peuple, et le
priaient d'accepter les présents d'usage. Chaque noble était tenu
d'offrir dix esclaves et cent manteaux d'une magnificence con-
forme au rang qu'il occupait. Les gens du peuple s'avançaient en-
suite avec de moins riches offrandes. C'était enfin le tour des fem-
mes ; et pendant qu'elles présentaient au royal défunt les mets
(1) Sahagun, Hist. gen. de lus cosas de Nueva Espana, t. III, I. X, p. 119.
(2) Chronica de la Orden de N. P. S. Aug. Mexico, 1624.
(3) Herrera, /. c, déc. IV, 1. IX, c. vu.
(4) Brasseur de Bourbourg dit qoe la crémation était en usage chez les Toltecs ;
Torquemada et Clavigero chez les Ghichimecs, et Veytia dans son Hist. antigua de
Meijico, dit que les corps des premiers rois Aztèques furent brûlés.
(5) J. de Acosta, Hist. naturnl y moral de las Yndias, Sevilla, 1590, p. 321 et s. —
Herrera, /. c, déc. III, lib.II, c. xviii. — Ixtlllxochitl, Relaciones, Kingsborough, t. IX,
p. 370.
304 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
qu'il aimait, ses plus vieux serviteurs entonnaient le Miccacuicatl,
ou chant funéraire. C'était le signal des sacrifices humains, l'ac-
compagnement obligé de la cérémonie. Le cinquième jour, après
la mort, la procession se formait pour se rendre au teocalli. Le
cortège était précédé d'une grande bannière, sur laquelle étaient
peints les hauts faits du mort; puis venaient pies prêtres avec des
encensoirs et les serviteurs, portant le corps étendu sur une litière.
Tout autour, marchaient les seigneurs de la cour, revêtus de man-
teaux de couleur sombre, traînant à terre, et couverts de pein-
tures ou de broderies, représentant des têtes ou des ossements de
mort. Les ambassadeurs des rois du pays portaient les armes, les
insignes, les ornements destinés au bûcher. Les esclaves du roi
étaient chargés des vêtements, des objets destinés à son usage,
des mets qu'il aimait. Certains prêtres appelés Coacuiles rece-
vaient le corps à son arrivée au temple. Leurs chants rappe-
laient aux assistants, qu'eux aussi, seraient bientôt des cadavres
inertes, jetés sur le bûcher funéraire, et que leurs bonnes actions
porteraient seules témoignage en leur faveur. Les fonctions de
ces Coacuiles paraissaient si importantes, qu'ils devaient s'y pré-
parer par des jeûnes rigoureux; selon les uns, ils revêtaient en
ces occasions le même costume que le roi défunt. D'autres récits
au contraire les montrent déguisés en démons, portant des robes
couvertes de têtes hideuses, dont les yeux étaient figurés par des
petits morceaux de mica, ou bien encore nus, avec le corps peint
en noir et agitant des bâtons qui devaient servir à attiser le feu.
Le bûcher avait trois pieds de hauteur; le corps y était déposé
et, au moment où les flammes s'élevaient, les assistants devaient
jeter au milieu d'elles les objets qu'ils portaient ; puis de nou-
veaux sacrifices commençaient.
Dans les premiers temps, quelques victimes seulement étaient
immolées; mais la pompe des funérailles grandissant avec le
luxe et la richesse du pays, leur nombre augmenta rapidement.
Nous voyons par exemple que, pour honorer le roi Nezahual-
pilli, on égorgea successivement deux cents hommes et cent fem-
mes. Quelquefois, avant de mourir, un chef désignait celles de
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 305
ses concubines qui devaient le suivre (1). Quand les victimes
étaient rangées autour du bûcher. Un des plus proches parents
du roi leur adressait une longue harangue, pour les remercier
des services rendus au défunt, et pour les engager à le servir
avec la même fidélité, dans le monde nouveau où elles allaient
entrer avec lui. Puis ces malheureux étaient saisis tour à tour
par les prêtres, étendus sur la pierre sacrée : la poitrine était
ouverte, le cœur arraché et jeté sur le bûcher, le cadavre
rapidement enlevé (2).
Quand le corps du roi était entièrement consumé, on éteignait
le feu avec le sang des victimes conservé à cet effet ; les cendres,
Fig. 122. — Urne sépulcrale, trouvée à Huehuetenango (Guatemala).
les ossements calcinés, les débris d'ornements étaient rassemblés
etplacésdans une urne (fig. 112) surmontée d'une effigie du roi,
et cette urne était déposée soit aux pieds du dieu, que l'on voulait
particulièrement honorer, soit de celui qui avait été le protecteur
du défunt.
(1) Dans le Michoacan, sept femmes de naissance noble devaient être immolées à la
mort du roi. L'une était chargée de la garde de l'émeraude sacrée que le roi portait
suspendue à ses lèvres, une autre de celle de ses bijoux ; une troisième devait lui pré-
senter sa coupe. Toutes étaient destinées à le servir et à lui préparer des aliments
conformes au rang, qu'il conservait dans sa vie nouvelle. On choisissait aussi parmi les
esclaves, ceux qui pouvaient être les plus utiles au roi ; mais au lieu de leur ouvrir la poi-
trine et de leur arracher le cœur comme chez les Aztecs, on se contentait d'une mort
plus vulgaire. Ils étaient assommés.
(2) Gomara, qui écrivait au seizième siècle, prétend que la victime était enterrée ;
d'autres historiens, qu'elle était brûlée sur un bûcher voisin.
De Nadaillac, Amérique. 20
306 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
A la fin de la cérémonie, les assistants prenaient part à un
grand banquet; ils étaient tenus de retourner pendant quatre
jours au teocalli, et de renouveler leurs offrandes. Le quatrième
jour, un dernier sacrifice de quinze ou vingt misérables esclaves
terminait la fête. Chez les Chichimecs, elle durait plus longtemps^
et pendant quatre-vingts jours, il fallait recommencer les sacri-
fices et les offrandes.
connaissan- Qu cst étonué dc la sciencc astronomiciue des diverses races
ces astrono- '■
miqiies. quj occupèrcnt successivement l'Amérique centrale. Ces hommes
connaissaient la division du temps, fondée sur le mouvement so-
laire, et bien des siècles avant la conquête, ils possédaient un
système régulier (1). 11 comprenait, chez les Aztecs, des pério-
des de cinquante-deux ans, divisés en cycles de treize ans, expri-
més daps leurs pictographies par des signes hiéroglyphiques.
L'année se composait de dix-huit mois, de vingt jours chacun
et de cinq jours complémentaires, qui passaient pour néfastes
et durant lesquels aucun Aztec n'aurait voulu accomplir un
acte important. Les jours enfin comprenaient des divisions
assez semblables à nos heures. Les calculs de leurs astro-
nomes avaient montré de bonne heure, que l'année de trois cent
soixante-cinq jours ne correspondait pas exactement au mouve-
ment solaire; aussi, bien des années avant que la réforme grégo-
rienne ne fût acceptée en Europe, avaient-ils ajouté treize jours
à chaque cycle de cinquante-deux ans (2). A côté de l'année solaire,
les Mexicains conservaient aussi l'année lunaire, qui paraît
n'avoir servi que pour les fêtes religieuses; elle était divisée en
(1) Ixtlilxocliitl {Helacmies, l. c, p. 322) rapporte qu'en l'an 5097 de la création,
une réunion d'astronomes eut lieu à Hueliue-Tlapallan, et que ce fut eux qui fixè-
rent la division du temps telle qu'elle subsista jusqu'à la conquête. Le prof. Valentini
{The Katunes of Maya History) place ce changement dans la division du temps eu
l'an 29 av. J.-C.
(2) En 1790, des fouilles exécutées à la Plaza Mayor de Mexico, sur l'emplacement
présumé du grand Teocalli détruit par les Espagnols, mirent au jour un bloc de por-
phyre ne pesant guère moins de 23 tonnes. Sur ce bloc était gravé un cercle d'un peu
plus de 1 1 pieds de diamètre qui renfermait les divisions du cycle astronomique des
Aztecs, Il a été reproduit par Charnay, pi. I; Short [The North Americans, p. 409} le
donne d'après lui.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 307
périodes de treize jours qui suivaient les phases de la lune (1).
Chez les Mayas, chez les Toltecs, comme chez les peuples de
rAmérique centrale, les mois étaient également de vingt jours ;
et chez tous, le nombre vingt paraît avoir été la base de leur
système de numération.
La principale arme des Aztecs était la javeline [tlacochtli) , courte . Armes.;
lance en bois dur, dont l'extrémité était armée d'une pointe en si-
lex, en obsidienne, plus rarement en cuivre. Cette pointe était fixée
dans le bois par une fente et maintenue par une corde gommée.
Chaque guerrier portait aussi des dards qu'il lançait de loin, un
arc {tiauitolli) souYeni de plus de cinq pieds de longueur (2), et
des frondes [tematlatl). Le Macuahuitl (3) était une lame en bois
semblable comme forme, aux espadasde dosmanos des Conquis-
tadores. On insérait sur les bords des fragments d'obsidienne aussi
tranchants, ajoutent les Espagnols, que des lames de Tolède (4).
Les coups de cette arme dont les Aztecs se servaient comme d'une
massue, étaient des plus redoutables; mais l'obsidienne se brisait
facilement au premier choc ; et dès lors le macuahuitl devenait
inutile. Le bouclier, qu'il ne faut pas confondre avec celui que les
chefs portaient aux danses et aux processions, était petit, rond et
rembourré de coton (5). Les braves (6), tel était un des titres
des chefs des guerriers, l'attachaient au bras gauche. Ces armes,
on le voit, ne différaient guère de celles des autres Nahuas, que
nous avons précédemment décrites.
Sur certains points, les travaux défensifs étaient importants. FortiCca-
Le mode de fortification usité chez les Mexicains, consistait à
choisir une position naturellement forte, une éminence difficile
d'accès, à agrandir, au besoin, par des terres rapportées, la
(1) Bancroft, t. II, p. 502, 755 et s. — Bandelier, On the Social Organisation and Mode
of Government of the Ancient Mexicans. Report Peabody Mus., t. II, p. 475, 55T et s.
(2) Glavigero,/. c, L. VII, c. xxiti.
(3) De macua main et cuahuiil bois.
(4) El Conquistador anonimo. Coll. Doc. inédits, t. I, p. 373.
(5) Raccolta di Mendoza, coll. Kingsborougli. -
(6) Le titre ou plutôt le grade de brave s'obtenait par une action d'éclat. Les braves,
comme les Indiens actuels, portaient les noms caractéristiques de carnassiers, de grandes
aigles, de flèches ailées et autres semblables.
308 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
plate-forme et à Tentourer soit de murs en pierres soit de palis-
sades. La hauteur de ces murs, celle de l'éminence elle-même
étaient les principaux obstacles opposés à l'ennemi ; le système
des Aztecs se rapproche de celui des Mound-Builders ; c'est une
preuve de plus des liens qui existaient entre les deux races (1).
Vêtements, Lc costume dcs Mcxicains se composait d'une tunique sans
manches {nuepil) attachée sur l'épaule droite et d'une ceinture
[maxtlatl), aux couleurs voyantes. La tête, les bras, les jambes
restaient nus. Les chefs ajoutaient un manteau, dont la longueur
indiquait leur rang; ce manteau était orné de plumes de couleur
qui variait selon la tribu à laquelle ils appartenaient. Clavi-
gero (2) rapporte que les soldats portaient uniquement le maxt-
latl et qu'avant d'aller au combat, ils se peignaient tout le corps
et spécialement le visage en noir. Alvarado dans une lettre adres-
sée à Cortès (3) dit, au contraire que les Guatémaliens, revêtaient
des vêtements rembourrés en coton, qui descendaient jusqu'aux
chevilles. Les chaussures {cactli-cotaras) ressemblaient aux mo-
cassins indiens. On les voit reproduites sur certains bas-reliefs
de Palenque.
Les guerriers portaient en guise de coiffure des têtes de tigre,
de loup, de serpent, imitées en bois et recouvertes avec la peau de
l'animal. La récompense de la valeur à la guerre était le droit
de porter au-dessus des oreilles, une ou plusieurs raies dans les
cheveux. La pictographie a conservé jusqu'à nous ces coiffures et
ces marques d'honneur.
Les chefs s'appelaient, à Mexico, teachcautin^ frères aînés. Us
devaient non seulement conduire leurs soldats au combat, mais
aussi les instruire durant la paix, de leurs devoirs militaires et en
particulier du maniement des armes. Comme insignes de leur
dignité, ils portaient des ornements à leurs oreilles et à leurs
lèvres (4), c'est ainsi qu'ils sont déjà représentés à Palenque et à
Copan.
(1) Tezozoraoc, /. c, c. xc, p. 158-9. Duran, l. c, c. LVi, p. 443.
(2) L. c, 1. VII, c. XXIII.
(3) Lettre du 28 juillet 1524, reproduite par Vcytia, Hist. Ant. de Mejico, t. I.
(4) Duran, /. c, c. xix, p. 169. — Sahagun, lib. IX, c. vi, p. 264.
ment.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 309
On avait constamment représenté le gouvernement Aztèque Gouveme-
comme une monarchie héréditaire, fortement organisée et ap-
puyée sur une noblesse également héréditaire. Les premières no-
tions à cet égard remontent à Cortès lui-même (1). « 11 y a dans
la ville de Mexico, écrivait-il, un nombre considérable de gran-
des et belles maisons, qui sont les résidences de tous les seigneurs
du pays, vassaux de Montez uma. » Les récits presque unanimes des
écrivains espagnols, dominés à leur insu peut-être par les im-
pressions ou les préjugés de leur pays, contribuèrent à établir
cette légende. Les recherches nouvelles permettent au contraire
de croire que le gouvernement était très démocratique et que les
fonctions s'obtenaient par l'élection (2). Le roi, Tlaca-Tecuhtli, le
chef des hommes, le sage vieillard, tels étaient les titres qu'il
portait, était élu à vie. Il est juste cependant d'ajouter que ce
roi était presque toujours choisi dans la même famille. Chez
les Tezcuans, cet office passait du père au fils ; chezles Aztecs, du
frère au frère, de l'oncle au neveu, mais toujours le droit hérédi-
taire, si tant est qu'il existât, devait être confirmé par l'élection.
Le chef suprême pouvait être déposé ; c'est ainsi que Montezuma
fut dégradé et remplacé par son frère Cuitlahuatrin (3).
Un autre chef également élu, portait le titre bizarre de Chihua
Cohuatl, le serpent femelle (4). Il siégeait à côté du roi et il devait
présider à l'administration de la justice et à la rentrée des tributs.
Selon les uns, il ne devait jamais aller à la guerre ; selon d'autres
au contraire, il commandait les Mexicains, tandis que le Tlaca-
Tecuhtli dirigeait les alliés. Celui-ci avait seul le droit de porter
(1) Carta segunda, p. 12 et 13.
(2) Bandelier, /. c, Report Peabody Mus., t. II, p. 95, 475, 657, 600. — M. Bancroft
(t. II, p. 230) et Prescott soutiennent, au contraire, que le gouvernement mexicain était
une monarchie féodale.
(3) Cortès {Carta segunda) n'y fait, il est vrai, aucune allusion ; mais Bernai Diaz de
Castillo {Hist. verdadera de la Conquista de la Nueva Espana, c. xxvi, p. 132), Las
Casas {Brevùsima Relacion, p. 49), Sahagun (L. XII, c. xxi, p. 28), Torqucmada (L. IV,
c. Lxviii, p. 494), Herrera (déc. II, L. X, c. viii, p. 264) sont unanimes à cet égard.
(4) Cette dignité ne paraît avoir existé qu'à partir de l'alliance entre Mexico, Tezcuco
et Tlacolpan. Duran, c. xxiv, p. 205. — Tezozomoc, Chronica, c. xxix, p. 35. — Ixtlilxo-
chitl, Relaciones, Kingsborough, t. IX.
310 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
une touffe de plumes vertes sur la tête, des anneaux d'or aux
oreilles et aux lèvres, une émeraude attachée aux cartilages du
nez, des bracelets d'or et d'autres en plumes rares aux chevilles.
11 ajoutait à son costume de guerre, une grande tresse en plumes
qui pendait jusqu'à la ceinture ; un petit tambour lui servait
dans ces occasions à transmettre ses ordres (1).
Souvent la guerre n'avait lieu que dans le but unique de se
procurer les prisonniers nécessaires pour les sacrifices. Quand
elle était résolue, les Mexicains envoyaient des ambassadeurs
au pueblo, dont ils avaient à se plaindre; les ambassadeurs
portaient, en signe de leur mission, une flèche avec la pointe
tournée en bas et un bouclier attaché au bras gauche (2). Arrivés
à la chambre du conseil, ils exposaient leurs réclamations; si
les chefs du pueblo consentaient à y faire droit, les envoyés
acceptaient les présents qui leur étaient offerts; si, au contraire,
leurs réclamations étaient rejetées, ils s'approchaient du chef de
la tribu, lui peignaient les bras avec de la peinture blanche, lui
posaient des plumes sur la tête et lui offraient un sabre et un
bouclier. Telle était la forme voulue de la déclaration de guerre,
et aussitôt après l'avoir faite, les ambassadeurs devaient se
retirera la hâte, car leur vie courait les plus grands dangers (3).
oiganisation \ yrai dire, ni les Aztecs ni les autres Nahuas ne formaient
sociale. ,
un État, ni une nation, ou même une société politique. C'était
une simple confédération de tribus, composées elles-mêmes
d'une agglomération de clans ou Calpulli (4).
Les Calpulli, véritables familles unies sans doute par les liens
d'une proche parenté, étaient responsables des actes et de la con-
duite de leurs membres. Ceux-ci étaient obligés de se défendre
(1) Duran, /. c, c. xiv et xvi. — J. de Acosta, l. c, c. xxv, p. 441.
(2) Torquemada, /. c, 1. XIV. ch. i, p. 534.
(3) Ixtlilxochitl, Hist. Chic, c. xxxviir. — G. de Mendieta, Hist. Eccl. Indiana.
Mexico, 1870, L. II, c. xxvi, p. 129.
, (4J Bandelier, l. c, p. 557 et s. Cette organisation présente quelques rapports avec
colle qui existait dans le nord de l'Ecosse ou en Irlande. Tous les membres du clan
liés entre eux par une parenté réelle ou supposée et portant le même nom, avaient un
droit collectif sur les terres de la tribu, dont ils jouissaient, moyennant une redevance
annuelle au chef. .
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 311
mutuellement, de venger les outrages faits à l'un des leurs, de
soutenir les vieillards, les infirmes, tous ceu\ incapables de
prendre part au travail commun.
La propriété individuelle n'existait pas, au moins en ce qui
concernait les terres. Celles-ci [Calpulalli) appartenaient aux
Calpulli, qui ne pouvaient ni les échanger, ni les vendre. Elles
étaient partagées à des époques fixes, entre tous les individus
mâles, à la charge de les cultiver et de résider dans les limites
du Calpulli. Certaines terres [tlamilli) étaient réservées aux chefs;
mais ni ces chefs, ni leurs familles n'avaient aucun droit sur
elles, et quand ils quittaient leur charge, elles rentraient dans le
domaine public. D'autres terres [tlatocatlalli) étaient appropriées
au tribut, que chaque CalpUUi devait au roi de Mexico. Elles
étaient cultivées par tous les membres de la famille, elles récoltes
portées dans des granges spéciales. Sauf l'obligation de ce
paiement annuel, les tribus et les Calpulli paraissent avoir été
complètement indépendantes; leurs chefs étaient élus pour la
vie, et nul ne pouvait intervenir dans ces choix ; ils se portaient
presque toujours sur des vieillards qui avaient subi, ou qui
devaient subir une initiation religieuse très sévère, que nous
aurons à raconter. Cet ensemble d'institutions ne présente, on
le voit, aucune trace de féodalité (1).
La famille était fondée sur la mère et uniquement constituée
par les alliances maternelles. Ce ne fut que bien plus tard que
l'on admit la descendance paternelle. Le mariage existait ; il
était interdit de se marier entre proches parents, peut-être même
entre membres du même Calpulli (2). La situation des femmes,
en général, fort méprisées, était dure ; elles devenaient en toutes
choses, la propriété de leurs maris. Cependant le mariage pou-
vait être annulé sur la demande de la femme, pourvu que cette
annulation eût l'approbation du Calpulli, et dans ce cas la femme
retournait à la famille d'où elle était sortie. Tout homme arrivé à
l'âge de vingt ans, était tenu de se marier, et il n'y avait d'ex-
(I) Orozco y Berra, Geographia de las lenguas y car ta ethnografica de Mexico.
[Tj Bancroft, t. II, p. 2SI.
312 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
ception que pour certains prêtres, qui faisaient vœu de chasteté,
en l'honneur des dieux qu'ils servaient. La polygamie n'était
pas interdite ; le mari ou plutôt le maître avait le droit d'avoir
autant de concubines qu'il désirait (1). La nécessité de les
nourrir était le seul frein imposé à son ardeur.
Tout nom patronymique était inconnu [2). La mère à la nais-
sance de l'enfant désignait le nom qu'elle désirait qu'on lui
donnât. Ce nom se rapportait en général soit au mois, où il était
né, soit aux circonstances de sa naissance. Quand il sortait de
l'enfance, Y homme delamédecine (3), qui jouait un rôle considé-
rable parmi les tribus mexicaines, lui imposait le nom sous lequel
il devait être désormais connu. Le guerrier pouvait obtenir
un troisième nom par un acte de bravoure exceptionnelle;
c'était alors le Calpulli qui le lui décernait.
Le Calpulli était aussi chargé de l'éducation des enfants. Un
édifice public [Telpuchcalli] était destiné à cet usage. Tous les
garçons sans exception s'y rendaient; le travail manuel, l'art
de la guerre, le maniement des armes, la danse et le chant for-
maient les bases de l'éducation (4). Ceux parmi les écoliers qui
avaient la force nécessaire, devaient cultiver les terres appar-
tenant aux teocallis et destinés à l'entretien des prêtres et du
culte.
L'esclavage existait chez les diverses tribus de l'Amérique
centrale. L'homme appartenant à un Calpulli qui refusait de se
marier, ou qui ne cultivait pas les terres qui lui étaient allouées,
les prisonniers faits à la guerre, alors qu'ils n'étaient pas sacrifiés
aux dieux, devenaient esclaves (5). Si l'esclave s'échappait,
son maître avait le droit de lui faire porter un collier en bois.
S'il prenait la fuite une seconde fois, il était conduit au tem-
(1) Pierre Martyr, déc. V, c. x, p. 232.
(2) Torqnemada, L. XIII, c. xxii, p. 454 et s.
(3) The Médecine Man., l'homme de la médecine, joue aujourd'hui encore un rôle
considérable, tant chez les Indiens des pueblos que chez les Indiens nomades.
(4) Gomara, Hist. de Mexico. — Sahagnn, Hist. Gen., L. III, c. iv, p. 268; c. v,
p. 269, c. viii, p. 275.
(5) On les appelait tlacolti, littéralement hommes achetés.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 313
pie et immédiatement immolé. Dans le cas fort rare, où il par-
venait à gagner la chambre du conseil, destinée aux chefs
de la tribu, sans être arrêté ni par son maître, ni parles autres
hommes du Calpulli, il acquérait sa liberté (1). L'esclave qui
accomplissait dans un combat un acte de valeur, avait droit non
seulement à sa liberté, mais il pouvait aussi être adopté par le
Calpulli ; dès lors, il devenait un de ses membres, jouissait des
mêmes droits que ses frères et recevait comme eux des armes.
Tant que l'esclave n'était pas ainsi libéré, il faisait à la guerre le
métier de porteur, comme aujourd'hui encore certains nègres
de l'intérieur de l'Afrique. Les bêtes de somme étant inconnues,
les porteurs devaient transporter le maïs nécessaire à la très fru-
gale nourriture des soldats, les tentes et les cordes destinées à les
assujettir, les perches et la paille pour la construction des abris.
Leur métier était fort rude, et en cas de capture par l'ennemi, les
malheureux étaient presque toujours offerts en holocauste aux
dieux.
Chez toutes les nations de race nahuatl, les pénalités étaient
sévères si nous devons en juger par les récits qui nous sont par-
venus, ou parles anciennes peintures conservées à Mexico (2). Le
meurtrier était puni de mort, selon Las Casas (3), de l'esclavage
à perpétuité, selon Duran. L'homme ou la femme qui portaient
les vêtements d'un autre sexe, étaient aussi condamnés à mort.
Le viol, l'inceste, la sodomie, étaient punis de la même peine;
mais pour chaque crime le genre de supplice variait ; l'inces-
tueux était pendu (4); celui qui dans le Michoacan, avait violé
un enfant était empalé; le sodomite était brîilé (5). Celui qui
(1) Mendieta, Hist. Ecc. /nrf.,L. II, c, xxvii, p. 30.
(2) Bancroft, t. II, p. 460 et s, — Bandelier, /. c, p. 623 et s.
(3) Hist. Apol., Ap. Kingsborough, t. VIII.
(4) Torquemada, L. XII, c. iv.
(5) Malgré la sévérité do ce châtiment, la sodomie n'était pas moins commune chez
les Aztecs que chez les anciens peuples de notre continent. « Un certain nombre de
prêtres, dit le père Pierre de Gand {Lettre insérée dans la coll. Ternaux Compans,
r* série, t. X, p. 197), ne pouvaient avoir de femmes, sed earum loco puei'os abuteban-
tur. Ce péché était si commun dans le pays que jeunes ou vieux en étaient infectés ;
ils y étaient si adonnés que même des enfants de six ans s'y livraient. » Il faut pro-
bablement tenir compte de l'exagération de ce récit.
314 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
dans un combat, s'emparait d'un prisonnier fait par un autre,
celui qui était chargé de cultiver les terres des enfants ou des
incapables et qui négligeait ce devoir pendant deux années
consécutives, celui qui volait des objets d'or ou d'argent
consacrés aux dieux, devaient aussi être punis de mort (1).
Il en était de môme pour la séduction d'une femme, ayant
fait vœu de chasteté, ou d'une femme mariée, appartenant
au même Calpulli. La femme adultère était écartelée et ses
membres partagés entre tous les hommes du Calpulli.
La restitution de l'objet volé effaçait le vol ; mais <à défaut de
cette restitution, le voleur devenait esclave pour la vie. Les ca-
lomniateurs avaient les lèvres coupées. Les vieillards âgés de
plus de soixante-dix ans pouvaient seuls s'enivrer; au-dessous
de cet âge, l'ivrogne avait les cheveux rasés et, s'il était revêtu
d'une dignité, il était publiquement dégradé.
Les peines corporelles étaient rares. Il était honteux même
pour un esclave d'être frappé. La pictographie cependant nous
montre un père ou un maître, châtiant un enfant par le fouet.
Des prisons existaient dans les différents teocallis et dans les
édifices publics (2); si nous devons en croire les Conquistadores,
ces prisons étaient des locaux infects, et l'air tellement vicié
que les malheureux y périssaient, rapidement asphyxiés.
Aucune loi écrite ne réglait ces diverses peines; elles étaient
probablement appliquées selon d'anciennes coutumes et devaient
certainement varier chez les diverses tribus.
jNous avons dit que la réunion des Calpulli unis par les liens
d'un territoire commun, de rites religieux communs, d'un lan-
gage commun, formait la tribu (3); elle était gouvernée par un
conseil composé des délégués de chaque Calpulli [Tlatoani, les
orateurs, ou Tcchiitatoca, les chefs parleurs). Ils se réunissaient
au Tecjjan, la salle du conseil, et avaient le devoir de maintenir
(1) Mendieta, l. c, L. II, c. xxix. — Vetancurt, Teutro Mexicano, t. I, p. 484.
(2) Teilpiloyaii ou Tecaltzaqualoyan. Mendieta, l. c, c. xxix, p. 138. — Molina,
Vocabulario in Lengua Castillana y M exicana ; Mexico, 1571, t. II, p. 86-91.
(3) On cite des tribus qui comprenaient jusqu'à vingt Calpulli.
LES PEUPLES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 313
la coutume des ancêtres, avant tout de conserver la bonne har-
monie parmi les Calpulli, tâche fort difficile, au récit des chro-
niqueurs (1).
Dans la tribu, comme dans le Calpulli, aucune charge,
aucune dignité, n'étaient héréditaires. Elles s'obtenaient toutes
par l'élection, à l'exception du titre de Tecuhtli (grand-père) qui se
donnait pour des actes de bravoure devant l'ennemi , pour de longs
et importants services soit au conseil, soit dans les ambassades
dont nous avons dit les périls. Il était aussi possible de l'obtenir
par une série d'initiations, auxquelles devait se soumettre celui
qui prétendait à cet honneur. Pendant quatre jours et quatre
nuits, il était enfermé dans le principal teocalli de la tribu et
soumis au jeûne le plus rigoureux. Des saignées étaient
pratiquées sur toutes les parties de son corps; tout sommeil lui
était interdit; ses gardiens lui arrachaient ses vêtements, le flagel-
laient cruellement, et pour ajouter à sa misère, ils se livraient
devant lui à des festins somptueux, auxquels il devait assister,
^ans perdre un instant son impassibilité. Les quatre jours écoulés,
le novice retournait à son Calpulli, y passait une année entière
dans la retraite et la pénitence la plus sévère, se mutilant et
s'infligeant des tortures corporelles, souvent intolérables. Pen-
dant ce temps, ses frères réunissaient les présents qu'ils étaient
tenus d'offrir aux dieux, aux chefs de la tribu, aux prêtres et
aux hommes de la médecine. A l'expiration de l'année, le futur
TecwA^/z devait se rendre au teocalli et se soumettre de nouveau
aux épreuves qu'il avait déjà subies; elles se terminaient enfin !
par un grand festin, où on lui remettait les ornements, qu'il
avait désormais le droit de porter et qui constituaient, paraît-il,
son unique privilège (2).
Nous avons résumé tous les faits actuellement connus surTorga-
(1) A de Zurita, Rapport sur les différentes classes de chefs de la Nouvelle-Espa-
gjie. Ternau\ Compans, 2* série, t. II.
(2) Sahagun, L. VIII, c. xxxviii, p. 329. — Ixtlilxochitl, Relaciones, app., p. 257. —
Mendicta, L. II, c. xxxviii, p. 156. Il est curieux de retrouver chez les Indiens de l'Ore-
jioque et chez les Yucas, des cérémonies à peu près analogues (Bandelier, /. c, p. C43
et note 171.)
316 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
nisation et le gouvernement des divers peuples appartenant à la
puissante race nathuatl, qui s'étaient successivement abattus sur
l'Amérique centrale et particulièrement sur l'Anahuac. Il nous
reste à raconter les ruines, dont chaque jour fait mieux ressortir
l'importance, qui surgissent sous les yeux du voyageur jusque
dans les déserts et au milieu des forêts réputées impénétrables.
Avant d'aborder ces nouvelles questions, nous ne saurions
omettre une observation, qui ne peut avoir échappé au lecteur.
Tous les progrès dont la démocratie moderne s'attribue et
l'honneur et le profit, existaient chez les peuples de l'Amérique,
bien avant la conquête espagnole ; l'absence de tout principe
d'hérédité dans la propriété comme dans la famille, le commu-
nisme dans le pueblo comme dans le Caipulli, l'omission, si
étrange qu'elle puisse paraître, de tout nom se transmetlant du
père au fils, et pouvant perpétuer chez les descendants la gloire
des ancêtres; l'éducation en commun de tous les enfants, sous la
seule autorité des représentants du Caipulli; l'élection à tous les
offices, à toutes les charges ; l'annihilation de l'individu au profit
de la communauté. Où donc ont abouti ces institutions, que
l'ignorance ou la passion se plaisent à montrer au genre humain,
comme les phares lumineux de l'avenir? A l'anarchie la plus
complète; à des luttes sans fin ni trêve, de tribu à tribu, de
Caipulli à Caipulli; à des haines si intenses, que les Espagnols
apparurent comme des libérateurs et que leur victoire fut due
autant aux services d'alliés, ardents à échapper au joug qui
pesait sur eux, qu'au courage de leurs soldats.
\
CHAPITRE VU
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE.
Dans un précédent chapitre, nous avons résumé ce qu'il lcs ruines de
^ ^ ^ l'Amérique
était possible de savoir sur les races, qui du nord de l'Améri- centrale.
que s'élançaient vers le sud, fondant des empires, bâtissant
des villes, couvrant des régions entières de leurs constructions;
puis disparaissant, sans que l'histoire ait consacré leur nom,
sans que la tradition ait conservé leur souvenir. Pour complé-
ter cette étude, il faut maintenant demander ce qu'ils peuvent
raconter, aux monuments ou plutôt aux ruines, que le temps et
les hommes ont été également impuissants à détruire.
Une première remarque s'impose ; nous ne voyons surgir ces
constructions grandioses, telles que celles de l'Egypte ou de
l'Assyrie, de l'Inde ou de la Chine, que dans des conditions
identiques ; il faut des peuples vivant sous un régime despo-
tique, une race conquérante imposant par la force les travaux
nécessaires à un peuple soumis. Les vainqueurs apportent leur
goût, leurs traditions, leur génie particulier; les vaincus don-
nent les éléments matériels, leurs labeurs et leurs sueurs. Les
études récentes permettent d'affirmer que les mêmes faits se
sont passés en Amérique et que les monuments qui subsistent
encore, n'ont pas eu une autre origine.
Ces études entreprises au prix d'explorations toujours diffici-
les, souvent dangereuses, ont permis de tenter des essais de clas-
sement, de noter les points de ressemblance et de différence ;
318 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
déjà on peut distinguer l'architecture Maya, de l'architecture
Nahuatl, et chez les Mayas eux-mêmes, les édifices du Chiapas
de ceux du Yucatan (1).
Le Chiapas Lcs monumeuts de Palenque (2) comptent à bon droit parmi
Palenque. i \ / i i
les plus remarquables du Chiapas. La yille s'élevait dans la ré-
gion arrosée par l'Usumacinta; c'est là que se sont établis les
premiers immigrants, dont il a été possible de retrouver la trace.
Sa position, au pied des premiers contreforts des montagnes,
sur les bords d'une petite rivière l'Otolum, un des tributaires
du Tulija, était admirablement choisie (3) ; les rues s'étendaient
sur une longueur de six à huit lieues et suivaient irrégulière-
ment le cours des ruisseaux, qui descendaient des montagnes
et fournissaient en abondance aux habitants, l'eau qui leur
était indispensable. Les ruines se présentent aujourd'hui au
milieu de solitudes imposantes qui ajoutent à l'effet qu'elles
produisent. Elles étaient totalement inconnues; Cortès dans une
de ses expéditions passa à quelques miles de Palenque, sans se
douter de son existence, et ce ne fut qu'en 1746, que le hasard y
conduisit un curé du voisinage (4).
La première description est due à José de Calderon, que le
gouvernement espagnol avait envoyé pour les reconnaître (5).
Depuis elles ont été visitées par de nombreux explorateurs;
l'année dernière encore, M. Charnay y est retourné pour la
seconde fois et les estampages des hiéroglyphes qu'il a relevés,
(1) Short, The Novth Americans of Antiquity, p. 340.
(2) Palenque vient d'un mot espagnol qui signifie palissade ; le nom ancien de la
ville est resté inconnu.
(3) A. del Rio, Descripcion del terreno y poblacion antigua, trad. Ang. Londres,
1822. — Capitaine Dupaix, Relation des trois expéditions ordonnées en 1805, & et 1
pour la recherche des antiquités du pays, notamment de celles de Mitla et de Palenque,
3 V. f". Paris, 1833 ; voy. aussi Kingsborough, /. c, t. V et VI. — Waldeck, Voy. arch.
et pittoresque dans la province du Yucatan, f°. Paris, 1838. — Stephens and Cather-
wood. Incidents of Travel in Central America. New- York, 1841. — Idem m Yucatan,
New-Vork, 1858. — Brasseur de Bourbourg, Recherches sur les ruines de Palenque
avec les dessins de Waldeck, f". Paris, 1866. — Bancroft (/. c, t. IV, p. 289 et s.) donne
un index bibliographique très complet, qu'il est utile de consulter.
(4) En 1750 seulement, selon D. Diego Juarros {Hist. of the Kingdom of Guatemala.
London, 1823).
(5) Son rapport est daté du 15 décembre 1764.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 319
figurent au nombre des pièces les plus curieuses du nouveau
musée du Trocadéro.
Parmi les ruines les mieux conservées, nous citerons le palais,
le temple des trois tablettes, le temple du bas-relief, le tempje
de la croix et le temple du soleil (1). 11 en est d'autres encore,
mais moins importantes; Dupaix parle de onze édifices encore
debout; quelques années auparavant, A. del Rio en citait vingt;
Waldeck dit dix-huit et M. Maler, qui visita les ruines de Palen-
que en 1877, fixe cà douze le nombre des temples ou des palais.
Ces contradictions sont plus apparentes que réelles ; elles s'expli-
quent par les impressions personnelles de chaque voyageur et
par les divisions qu'il croit devoir adopter.
Le palais, l'édifice le plus important de Palenque, repose
sur une pyramide tronquée (2) de 40 pieds environ de hau-
teur, et dont la base mesure 310 pieds sur 260. L'intérieur de
cette pyramide est en terre rapportée ; les faces extérieures^sont
revêtues de larges dalles; des escaliers conduisent au bâtiment
principal, qui forme un quadrilatère de 228 pieds sur 180 (3);
les murs, qui ont deux à trois pieds d'épaisseur, sont en bloca-
ges, couronnés par une frise encadrée entre deux corniches dou-
bles. A l'intérieur comme à l'extérieur, ils étaient revêtus d'un
stuc très fin et très résistant, peints en rouge ou en bleu, en noir
ou en blanc. La façade principale s'ouvre à l'est; elle compre-
nait quatorze entrées de 9 pieds environ de largeur, séparées par
des pilastres ornés de figures pleines de mouvement (4) ; au-
dessus de chaque tête sont des hiéroglyphes, incrustés dans le stuc
(fig. 123). Un jour on découvrira sûrement leur clef ; et ce jour-là,
toute l'histoire de Palenque nous sera révélée. De nombreuses
(1) Nous conservons les noms donnés par les divers explorateurs, faute d'en con-
naître de meilleurs.
(2) Des galeries souterraine sont été reconnues dans Tintérieur de la pyramide. Ces
pyramides qui rappellent les travaux des Mound-Buildors, sont le point le plus saillant
de l'architecture de l'Amérique centrale.
(3) Stephens, /. c, t. II, p. 310. — Waldeck, Palenque, pi. 2. — Armen (bas heulige
Mexico) donne le plan par terre et un essai de restauration du temple. — Bancroft
donne également un essai de restauration [l. c, t. IV, p. 323).
(4) Ces figures mesurent plus.de six pieds de hauteur.
320 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
niches en maçonnerie qui existent dans les _ murs méritent une
certaine attention à raison de leur ressemblance avec la lettre T
ou plutôt avec le tau égyptien (1). Waldeck a reconnu sur un
Fig. 123. — Bas-relief en stuc du palais de Palenque.
certain nombre d'entre elles des traces de noir de fumée. Il en
a conclu qu'elles étaient destinées à recevoir des torches ; d'au-
(1) « Quant aux figures de tau, si fréquentes dans les édifices, dans les ornements
des bas-reliefs et même dans la forme des jours, quoiqu'il soit impossible de se pro-
noncer à cet égard dans l'état actuel de nos connaissances, ou ne peut guère s'em-
pêcher de les remarquer. » Jomard, Bul. Soc. géog. de Paris, t. V, 2" série, p. 620. —
Sur un des bas-reliefs du palais reproduit par Bancroft (/. c, t. IV, p. 317), on remar-
que un personnage portant un ornement en forme de tau. Nous citons au chapitre viii
dans la vallée de Yucay (Pérou) des fenêtres ayant également cette forme. On sait que
le tau dans les hiéroglyphes égyptiens signifie la vie. Max Uhlman, Handbuch der
gesanten Mgypstichen AUerthumskunde, t. I, p. 108.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 32i
très pouvaient donner à des salles obscures l'air et la lumière,
dont elles avaient grand besoin.
L'intérieur du palais répond à la magnificence de l'extérieur ;
des galeries formant péristyle s'étendent tout autour de la cour ;
les salles sont ornées de bas-reliefs en granit (fig. 124), figures
bizarres qui atteignent jusqu'à 13 pieds d'élévation. Le dessin,
les proportions anatomiques sont corrects et toutes ont une
expression, qui témoigne de l'habileté de l'artiste; mais le faire
Fig. 124. — Bas-relief du palais de Palenque.
est mou, rond, et accuse plutôt un art en décadence que l'àpreté
d'un art naissant (1).
Ces salles étaient réunies par des corridors ; nous reproduisons
la coupe d'un d'entre eux (fig. 125), qui permet de mieux saisir le
genre de construction. Les architectes de Palenque ignoraient
le plein cintre et les voûtes étaient formées d'assises superposées,
comme dans les monuments cyclopéens de la Grèce ou de l'Italie.
L'ensemble de l'édifice est complété par une tour à trois
étages, mesurant 30 pieds carrés à sa base. Ici aussi nous trou-
vons des décorations symboliques, très riches et encore assez
(1) Viollet-le-Duc, ap. Charnay, Cités et Ruines américaines, Int., p. 74.
De Nadaillac, Amérique. 21
322 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
bien conservées. Rien n'indique l'âge de ce palais ; il était, nous
l'avons dit, abandonné lors de la conquête espagnole, et à cette
époque, aucune des races qui peuplaient le sol américain n'é-
tait capable d'entreprendre de semblables constructions. Il est
cependant possible de fixer certaines limites; ainsi, avec les.
pluies tropicales qui durent pendant six mois de l'année, avec
la végétation arborescente qui remplit toutes les fissures, aucun
monument n'aurait pu subsister durant le nombre de siècles,
que l'on attribue par exemple à ceux de l'Lgypte, et les conjec-
tures les plus hardies ne permettent pas de faire remonter les
1 1
II
1 ' 1
1 1
1 ' -L
1 -r
Fig. 125. — Section d'un corridor double k Palenque
monuments de Palenque plus haut que les premiers siècles de
notre ère (1). M. Charnay, depuis sa dernière visite, n'accepte
même pas une date aussi reculée ; pour lui, tous les monuments
du Yucatan sont dus aux Toltecs et ont été construits entre le
douzième et le quatorzième siècle (2). Il est impossible que
ces ornementations délicates, composées de petits rondins de
ciment appliqués en forme de losange, sur le corps de la mu-
raille, aient pu résister plus longtemps aux effets d'un climat des-
tructeur. Une seconde observation est non moins importante ;
les escaliers sont neufs, les marches sont entières, les arêtes sont
(1) Bancroft (t. IV, p. 362, note 68) rapporte toutes les hypothèses émises sur la
date de la fondation de Palenque ; elles varient, du déluge au quinzième siècle de 1 "ère
chrétienne. La marge, on le voit, est large.
(2) BuL Soc. géog., novembre 1881.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 323
vives ; nulle part on ne voit l'usure, indice certain d'une longue
habitation. La conclusion est forcée ; les Palenquéens, pour des
motifs qui restent ignorés, ont dû évacuer la ville peu de temps
après la construction des principaux édifices.
La grosseur des arbres qui surplombent les toits et les pyrami-
des avait été acceptée jusqu'ici, comme une preuve concluante
de l'antiquité de ces constructions. C'était en s'appuyant sur cette
preuve, que Waldeck parlait de deux mille ans ; M. Larrainzar
citait un arbre des ruines, sur lequel il avait pu, à l'aide du mi-
croscope, compter jusqu'à dix-sept cents cercles concentriques et
auquel il accordait, en se fondant sur les données reçues, une anti-
quité de 1700 ans. Mais voici que M. Charnay apporte des conclu-
sions toutes différentes. 11 avait coupé un arbuste âgé de dix-huit
mois au plus, il constatait dix-huit de ces cercles. Sa première
pensée fut qu'il y avait là une anomalie ; mais après avoir fait
abattre des arbres d'espèce et de grandeur différentes, il vit chez
tous, les mêmes faits se produire dans des proportions semblables.
Ce n'est pas tout : lors de sa première visite à Palenque en 1859,
M. Charnay avait fait abattre des arbres qui obstruaient les rui-
nes, afin de prendre des photographies plus exactes. D'autres
arbres les avaient remplacés ; ils étaient donc âgés en 1881 de
vingt-deux ans ; or sur la tranche de l'un d'eux, de soixante à
soixante-dix centimètres de diamètre, il comptait deux cent trente
cercles concentriques. C'est là un fait de physiologie végétale
curieux ; si son exactitude est reconnue, nous ne saurions,
sous les tropiques, évaluer l'âge des arbres par les mêmes procé-
dés que dans nos régions, et une des preuves les plus sérieuses,
que- l'on puisse invoquer pour l'ancienneté des édifices de Pa-
lenque ferait absolument défaut.
Il serait trop long de décrire les autres monuments de Palen-
que, que l'on désigne sous le nom de temples (1). Nous devons
cependant une mention à l'un d'eux, situé sur l'autre rive de l'O-
(1) Le grand temple de Palenque correspond si exactement à celui de Boro-Boudor,
situé dans l'île de Java, qu'il n'est guère possible de contester sérieusement la commu-
nauté d'origine et la destination de ces deux monuments. fteDwerf'ffdmôour^, avril 18G7.
3:24 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
tolum et connu sous le nom de Temple de la Croix. 11 s'élève sur
une pyramide tronquée et forme un quadrilatère avec trois ou-
vertures de face, séparées par des pilastres massifs, ornés les uns
de hiéroglyphes, les autres de figures humaines. La frise est
également couverte de figures, et parmi celles encore visibles,
Stephens cite une tête et deux torses, qui par la perfection de
leurs formes rappellent l'art grec. Les ouvertures, toutes à angle
droit, donnent sur une galerie intérieure qui communique avec
trois petites chambres. L'une de ces chambres, celle du centre,
renferme un autel qui figure assez bien une caisse ouverte, ornée
d'une petite frise avec encadrement. Aux deux extrémités supé-
rieures de la frise se déploient deux ailes qui rappellent le genre
d'ornementation si souvent employé sur les frontons des monu-
ments de l'Egypte (1).
Au-dessus de l'autel était la tablette de la croix (fig. 126), arra-
chée de son emplacement primitif par la main d'un fanatique qui
voulait y voir le signe sacré de la foi du chrétien, miraculeuse-
ment conservé par les anciens habitants du palais. La tablette
fut enlevée, puis abandonnée, nous ne savons pour quel motif, au
milieu de la foret qui couvre une partie des ruines. Ce fut là que
les Américains la découvrirent, s'en emparèrent et la transpor-
tèrent à Washington, où elle fait partie des collections du musée
national (2). Le centre représente une croix appu\ée sur une
figure hideuse et surmontée d'un oiseau fantastique. A droite, un
personnage debout offre des présents ; à gauche, un autre per-
sonnage dans une attitude recueillie, semble implorer la divinité.
Le costume des deux personnages ne ressemble à rien de ce que
l'on connaît ; au-dessus de leurs têtes, on distingue plusieurs carac-
tères hiéroglyphiques. Une dalle située à droite en est également
couverte. Ces inscriptions sont-elles des prières aux dieux, l'histoire
du pays ou celle du temple, le nom ou la dédicace des fondateurs,
c'est ce qu'il est impossible de dire dans l'état actuelde la science.
(1) Charnay, l. c, p. 417. Nous lui empruntons la plupart de ces détails. — Del Rio,
/. c, p. 17. — Waldeck, pi. XX. —Stephens, l. c, t. II, p. 344.
(2) Ch, Rau, The Valenque Tablet. Smith. Cont., t. XXII.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 325
Au fond d'un sanctuaire récemment découvert par M. Maler
auprès de Palenque (fig. 127, page 326) (1), on voit trois dalles de
pierre sculptées en faible relief. A droite et à gauche sont des
hiéroglyphes; au centre, une croix surmontée d'une tête d'un
aspect étrange, portant au cou un collier avec un médaillon ; au-des-
Fig. 12G. — Tablette de la croix à Palenque.
SUS de cette tête, un oiseau et des deux côtés des personnages qui
rappellent exactement ceux du temple de la Croix. C'était là, un
type hiératique, dont il n'était pas permis à l'artiste de s'écarter.
La présence de la croix à Palenque, sur des monuments anté-
rieurs à l'introduction du christianisme, n'est pas un fait isolé ;*
(1) Nature, 11 octobre 1879.
326 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Tauditeur de justice Palacio vit à Copan, une croix avec un de ses
bras brisés (l);le jésuite Ruiz en cite une dans le Paraguay; Gar-
(1) Carta dirigada al Rey de Espaîïa ano lôîG (publiée à Albany avec une traduction
anglaise en 18G0).
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 327
cilaso de la Vega, une autre à Cuzco ; nous en avons nous-mêmes,
donné plusieurs exemples (1 ). La croix
était regardée comme le symbole de
la puissance créatrice et fertilisante
de la nature, et sur plusieurs points
on l'honorait par des sacrifices de
cailles, d'encens et d'eau lustrale.
Nous ne pouvons quitter les ruines
de Palenque sans mentionner une
statue (fîg. 128) remarquable à plus
d'un titre (2). L'expression du visage
calme et souriante est celle des
statues égyptiennes : la coiffure
rappelle les coiffures assyriennes ;
un collier entoure le cou ; le per-
sonnage presse sur sa poitrine un
instrument et appuie sa main gau-
che sur un ornement ; l'un et
l'autre difficiles à déterminer. Le
socle de la statue porte un cartouche
avec une inscription hiéroglyphi-
que (3) indiquant probablement le
nom du dieu ou du héros à qui elle
était dédiée.
Ces hiéroglyphes présentent une
certaine conformité avec ceux de l'E-
gypte. Nous revenons avec insistance
sur ce point curieux, sans vouloir
cependant résoudre par quelques
ressemblances accidentelles le grand
problème de l'origine des races, encore moins établir que des
(1) Voy. chap. rv, p. 175.
(2) La hauteur de la statue est de dix pieds six pouces ; une autre semblable lui fai-
sait pendant. L'une et l'autre devaient former des pilastres, car un côté est resté brut ;
elles ont été découvertes et reproduites par Waldeck.
(-3) On peut remarquer, dans les divers hiéroglyphes que nous reproduisons, la pré-
Fig 128. — Statue provenant
de Palenque.
328 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
rapports aient existé entre les habitants de l'Egypte et ceux de
l'Amérique centrale à l'époque relativement récente où les mo-
numents de Palcnque ont été érigés,
copan. Deux raccs ont successivement porté le nom de Quiches : les
vieux Quiches d'origine Maya, à qui sont dus les monuments de
Copan et de Quirigua, et les Quiches Cakchiquels qui descen-
daient probablement des premiers, mais qui avaient été modifiés
par de nombreuses immigrations Nahuatl. Ces derniers existaient
encore à l'état de nation, lors de l'invasion espagnole ; ils oppo-
sèrent une vigoureuse résistance aux Conquistadores et leur capi-
tale Utatlan fut prise et détruite.
Copan est aujourd'hui un pauvre village, à une petite dis-
tance des ruines, sa seule réputation est l'excellence de son
tabac qui rivalise avec celui de Cuba. La ville ancienne était
située sur le Rio Copan, affluent duMotagua(l),aupied des mon-
tagnes qui séparent le Guatemala du Honduras (2) ; ses ruines
sont ensevelies depuis longtemps, dans des forêts à la puissante
végétation, où l'on ne peut avancer que la hache à la main ;
de là, l'oubli où elles sont si longtemps restées, et où elles restent
encore malgré l'intérêt qu'elles présentent. Nous les trou-
vons mentionnées pour la première fois dans une lettre adressée
en 1576, au roi Philippe II par Diego de Palacio ; mais c'est à
Stephens, que nous devons la seule description complète qui
existe et c'est à elle que se réfère l'abbé Brasseur de Bourbourg
qui visita deux fois Copan en 1863 et en 1866 (3).
sence de plusfeurs points dans un ordre déterminé et séparés par une barre du reste
de l'inscription; il y a peut-être là une clef pour un Chanapollion futur.
(1) Le Motagua se jette dans la baie de Honduras.
(2) Les ruines sont situées à la latitude de 14''4.V et à la longitude de 90''52'. On
a quelquefois confondu Copan avec la ville qui offrit en 1530 une si héroïque résis-
tance à Hernandez de Ghiaves.
(3) Outre ceux que nous venons de nommer, on cite parmi les explorateurs, Fran-
cisco de Fuentes en 1700; son récit a été publié par Domingo Juarros, A Staiistical
and Commercial Hist. of Guatemala. London 1824, et parle colonel Galindo en 1832.
Bul. Soc. Géog. de Paris, 2' s. 1836, t. V, p. 267. — Stephens et Catherwood visitèrent
les ruines en 1839. Leur ouvrage est intitulé : Views of Ancient Monuments in Central
America, Chiapas and Yucntan f". New- York, 1844. Bancroft donne pour Copan, comme
pour Palenque, un index bibliographique très complet.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 329
Dans leur état actuel, les ruines couvrent une enceinte de
900 pieds sur 1600. Les murs, construits en immenses blocs
de pierre, partiellement détruits par les racines des arbres qui
330 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
les pénètrent de toutes parts, mesurent près de 25 pieds d'é-
paisseur à leur base ; sur certains points, ils s'élèvent en
terrasses et conservent encore quelques traces de peinture.
Le bâtiment principal, connu sous le nom de temple, est situé
au nord-ouest de l'enceinte. Sa forme est celle d'une pyramide
tronquée, dont les côtés ont 624 pieds au nord et au sud, et
809 pieds à l'est et à l'ouest. Les murs, sur la face qui regarde
la rivière, sont perpendiculaires et varient de 60 à 90 pieds de
hauteur; sur les autres faces, ils sont fortement inclinés. Il esta
peine nécessaire de faire ressortir la ressemblance de cette cons-
truction avec les mounds duMississipiet del'Ohio. Les pyramides
étaient consacrées aux dieux des Mayas, comme aux dieux des
Mound-Builders et c'est sur les plates-formes qui les couronnaient
que les uns et les autres prétendaient honorer ces dieux, par des
sacrifices trop souvent sanglants.
En s'éloignant de la rivière, des pans de mur, des terrasse-
ments, des pyramides qu'il a été impossible de reconnaître com-
plètement, s'étendent dans la direction de la forêt ; des montagnes
de décombres indiquent des édifices écroulés, et promettent
une ample moisson aux archéologues futurs (1).
Le grand nombre de statues, d'obélisques, de colonnes
chargées de sculptures et de hiéroglyphes (2), est un des faits
les plus intéressants que nous puissions citer parmi les décou-
vertes de Gopan. JNous donnons une de ces statues (fîg. 130) qui
paraît la plus haute expression de l'art maya et nous ne savons
ce qui doit le plus étonner, de la bizarrerie de la conception, de
la richesse de l'ornementation ou de la finesse de l'exécution. On
peut aussi citer un alligator tenant dans sa gueule une figure
avec une tête humaine et les extrémités d'un animal, et un
crapaud gigantesque, ayant des mains terminées par des ongles
de félide.
(1) Galindo, Am. Ant. Soc. Trans., t. II, p. 547. Dans une des salles du palais, le
colonel Galindo découvrit plusieurs vases en terre rouge renfermant des ossements
mêlés à de la chaux. Bul. Soc. Géog , t. V, 2" série. Paris, 1836.
(2) Ces hiéroglyphes se rapprochent de ceux de Palenque ; comme ces derniers, ils
sont restés indéchiffrables.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 331
Fig. 130. — Statue trouvée parmi les ruines de Copan.
332 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Sur les faces d'une des pyramides comprise dans le périmètre
de l'enceinte principale, on voit des rangées de têtes (fig. 131).
Pour les uns, ce sont des têtes de mort (1), pour les autres, des
singes ; ces animaux sont très nombreux dans la région et pou-
vaient bien être l'objet de la vénération, du culte même des
habitants. Une figure humaine (fig. 132) découverte auprès du
temple, mérite aussi d'être reproduite. Les habitants de Copan
ont laissé leur portrait dans les bas-reliefs, ils l'ont sculpté sur la
pierre dure, ils l'ont modelé en terre cuite. Le désir de perpétuer
Fig. 131. — Tôte de singe sur une pyramide de Copan.
son souvenir est un sentiment inné chez l'homme, nous le
trouvons dans toutes les régions et dans tous les temps.
Le Yucatan entier est couvert de ruines intéressantes. Au
nord, Izamal, Ake, Merida, Mayapan ; au centre, Uxmal,
Kabah, Labnâ et dix-neuf autres villes, dont l'étendue atteste
l'importance ; à l'est, Chichen-Itza, une des merveilles de
l'Amérique. La région du sud surtout celle qui avoisine le
Guatemala, est moins connue ; mais déjà nous savons que la
province d'iturbide réserve de brillantes découvertes aux explo-
(1) Nous avons d'autres exemples de cette décoration. A Nohpat, on a trouvé une
fi-ise chargée de têtes de mort et de tibias en croix. Nohpat pouvait être une ville
aussi considérable qu'Uxmal ; mais les ruines elles-mêmes ont presque entièrement
disparu (Stephens, Yucatan, t. II, p. 348).
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE GEiNTRALE. 333
rateurs (1). La plupart de ces ruines ont été décrites; nous nous
bornerons donc à résumer rapidement les plus importantes parmi
elles.
Une première observation est nécessaire; entre les monu-
ments du Chiapas et ceux du Yucatan, il existe de notables
différences. « Le système de construction à Palenque, dit
M. Viollet-le-Duc, ne consiste pas comme à Chichen-ltza ou à
Uxmal, en des revêtements d'appareil devant des massifs en
blocages ; mais en des enduits de stucs ornés et de grandes dalles
Fig. 132. — Fragment découvert auprès du temple do Copan.
recouvrant les blocages. Le caractère de la sculpture à Palenque
est loin d'avoir l'énergie de celle que nous voyons dans les
édifices du Yucatan ; les types des personnages représentés dif-
(1) « That extensive ruins yet lie hidden in thèse unexplored régions can hardly be
doubted ; indeod it is by no means certain that the grandest cities, even in the sett-
Icd and partially explored part of the Peninsula, hâve yet been described. » (Bancroft,
/. c, t. IV, p. 148.) La prédiction de M. Bancroft s'est vérifiée et pendant l'impression
de ce volume, M. Charnay découvi-ait à la limite de la province de Pachualco et du
pays revendiqué par le Guatemala, une ville en ruines, où se trouvent des monuments
du môme style que ceux de Palenque. L'origine et le nom de cette ville sont absolu-
ment inconnus et M. Charnay s'est cru autorisé à lui donner le nom de Lorillavd-City .
La décoration consiste généralement en une application de stuc, elle est en très mau-
vais état ; l'habile explorateur a pu néanmoins relever cinq bas-reliefs et en prendre
les estampages. Comme à Palenque, on retrouve un symbole cruciforme ; mais il se
rapproche plus de la croix bouddhique que de la croix chrétienne. Hamy, Soc. de
Géog. séance du 2 janvier 1882.
334 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
fèrent plus encore ; ils accusent des traits éloignés de ceux de
la race Aryenne à Palenque ; ils s'en rapprochent sensiblement
à Chichen-Itza. Enfin ce n'est que dans les monuments du Yuca-
tan qu'apparaissent les traditions si sensibles de la structure en
bois (1). »
« Rien ne peut, ajoute Charnay (2) après ses premières explo-
rations, lutter de richesse, de grandeur et d'harmonie avec les
édifices d'Uxmal. Il n'est pas improbable que les fondateurs
des yilles yucatèques descendissent des habitants de Palenque, ou
tout au moins, que leur civilisation ne procédât de cette civili-
sation beaucoup plus ancienne. »
A ces très justes remarques, il faut ajouter qu'à Copan, on
peut déjà constater ces différences. Les sculptures, les orne-
ments qui les surchargent, s'éloignent de ceux de Palenque,
pour se rapprocher de ceux que nous allons décrire à Uxmal
ou à Chichen-Itza. Nous avons donc là, le trait d'union, entre
deux genres de constructions en apparence seulement dissem-
blables.
Uxmal. L'origine du nom d'Uxmal est inconnue. Les ruines sont à une
distance de 35 miles environ de Mérida et couvrent une super-
ficie considérable (3). La Casa del Gohernador (fig. 133), la plus
remarquable de toutes, s'élève sur une éminence naturelle, arti-
ficiellement agrandie au moyen de blocages et coupée par trois
terrasses successives; les parois sont en pierres appareillées, re-
liées par un mortier très dur. La Casa elle-même a 322 pieds de
longueur sur 39 de largeur et environ 26 de hauteur. L'intérieur
comprend un double corridor, dont la section rappelle celle que
nous avons décrite à Palenque (fig. 125) et plusieurs chambres
(1) VioUot-le-Duc, Int.^ p. 97 ap. Charnay, Cités et Ruines américaines. Il faut ce-
pendant relever l'étrange erreur qu'il commet à propos des Aiyens, Rien jusqu'à pré-
sent ne permet de rattacher les races aryennes aux races américaines.
(2) Cités et Ruines am., p. 437.
(3) Waldeck, Voy. pittoresque et arch. dans (a prov. de Yucatan, f°. Paris, 1838. —
Norman, Rumbles in Yucatan. New- York, 1843. — Baron von Friederichstahl, les mon.
du Yucatan; Nouv. Ann. des Voy., 1841. — Charnay, Cites et Rtcinesamér. Paris, 1863.
— Bancroft, The Native Races, t. IV, p. 149. — Short, The North Americans of Ant.,
p. 347.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 335
de dimensions très variables. Les murs de ces chambres sont en
pierres brutes sans trace de peinture, ni de sculpture; sur un ou
deux points seulement, se voient quelques restes de plâtre. Les
portes étaient surmontées de linteaux en bois de sapotillier;
un de ces linteaux, couvert d'ornements finement fouillés, est au
musée de Washington.
Toute la richesse de l'ornementation était réservée pour Is
murs extérieurs. A un tiers environ de la hauteur, une frise
court autour du bâtiment et présente une série de méandres,
d'arabesques, d'ornements de tout genre, d'un travail aussi
capricieux que bizarre (1). Parmi ces ornements dominent les
grecques; ce motif d'ornementation, si connu depuis des siècles
sur notre continent, vient témoigner à son tour du génie de
l'homme, toujours et partout semblable, et cela jusque dans ses
moindres conceptions.
On a cru reconnaître parmi les ornements des trompes d'élé-
phants; ce serait un fait curieux (2), car l'éléphant ne vivait cer-
tainement pas en Amérique, lors de l'érection des monuments
d'Uxmal ; son souvenir s'était conservé par une constante tradi-
tion et peut-être avons-nous là une preuve de l'origine asiatique
de cette civilisation.
D'autres animaux avaient également servi de modèle aux ou-
vriers ; à la Casa de Tortuguas la décoration consiste en une imi-
tation de palissades formées de rondins de bois; sur la frise
supérieure, des tortues saillantes rompent seules les lignes hori-
zontales (3).
Devant le palais, une pierre ronde de plusieurs mètres de hau-
teur, sans ornements, sans trace même d'un travail humain, se
dresse comme une colonne ; d'autres pierres semblables avaient
(1) Brasseur de Bourbourg, Eist. des nat. civ. du Mexique et de CAm. centrale,
t. II, p. 23.
(2) On retrouve ce même ornement à la Casa Grande de Zayi, à une petite distance
d'Uxmal. « J'ai été frappé, dit Waldeck (Foy. /)i7f., p. 74), de la ressemblance qu'of-
frent ces étranges édifices Mayas avec la tête de l'éléphant. » Voy. aussi Humboldt,
Vues des Cordillères, éd. 1810, p. 92.
(3) Viollet-le-Duc, Int., p. C9.
I
336 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
été érigées sur plusieurs points de La ville. On a voulu y voir des
imitations du phallus et conclure de là, au culte phallique des
anciens Yucatèques (1). Ne serait-il pas plus à propos de regar-
der ces pierres comme des gnomons, semblables à ceux que
Fig. 133. — Casa del Gobernador, Uxmal.
nous aurons plus tard à décrire, en parlant des monuments du
Pérou?
La Casa de Monjas passe pour la construction la plus remar-
quable de l'Amérique centrale ; elle offre de grandes ressemblan-
ces avec la Casa del Gobernador. Ici aussi nous voyons le mound
traditionnel, surmonté d'une plate-forme, sur laquelle s'élèvent
quatre bâtiments différents, entourant la cour (2). Ces bâtiments
( 1 ) Brasseur de Bourbourg (/. c, t. IV, p. G7) nous dit que les indigènes appellent ces pier-
res Aq^ picotes et croient qu'elles étaient destinées à servir de poteaux de flagellation.
(2) Les mesures de ces bâtiments données par les différents explorateurs diffèrent
considérablement. Bancroft (t. IV, p. 174) les reproduit. Nous y renvoyons le lecteur-
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 337
renferment 88 chambres assez petites, régulièrement espacées
et rappelant celles des pueblos du Nouveau Mexique ; les murs
intérieurs sont nus ; les portes manquent complètement. Il est
évident que les habitants protégés par leur pauvreté, peut-être
parla sainteté du lieu, vivaient dans une complète sécurité.
Les murs extérieurs sont ornés d'une vaste frise, où l'art des
indigènes se montre dans sa grandeur et dans son origi-
nalité. « Chaque porte de deux en deux, est surmontée d'une
niche merveilleusement ouvragée, que devaient occuper des
statues. Quant à la frise elle-même, c'est un ensemble extraor-
dinaire de pavillons, où de curieuses figures d'idoles ressortent
comme par hasard de l'arrangement des pierres et rappellent les
têtes énormes sculptées sur les palais de Chichen-Itza ; des méan-
dres de pierres finement travaillées, leur servent décadré et don-
nent une vague idée des caractères hiéroglyphiques : puis vien-
nent une succession de grecques de grande dimension, alternées
.aux angles de carrés et de petites rosaces d'un fini admirable (1). »
On a calculé que toutes ces sculptures couvraient une superficie
de 24,000 pieds carrés; aucune ne se ressemble et partout
l'artiste a pu donner libre carrière à son imagination.
Le bâtiment de l'Ouest est le plus remarquable de cet ensemble
de constructions; malheureusement il est en grande partie
écroulé. L'aile gauche, Casa de la Culebra, encore debout, pré-
sente un immense serpent à sonnettes courant sur toute la façade,
dont le corps se roulant en entrelacs, va servir de cadre à des
panneaux divers (2). Le bâtiment du Nord, élevé sur une plate-
forme de 20 pieds environ de hauteur, domine toute la cour (3).
Il était surmonté de treize tourelles (4) chargées d'ornements,
dont quatre seulement étaient encore debout, lors de la visite de
Stephens (5). Sur quelques points, mieux abrités contre les intem-
(1) Charnay, /. c, p. 36S.
(2) Charnay, Z. c, p. 367.
(3) Waldeck, /. c, pi. XIII et XVIII.
(4) Ces tourelles mesuraient 7 pieds de hauteur.
(5) On remarquait sur ces tourelles deux figures avec le pénis en érection, ce fait
serait une confirmation de l'existence du culte phallique à Uxmal.
De Naoaillac, Amérique. 22
338 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
péries, on a constaté des traces de peintures d'un rouge vif et
brillant (1).
On ignore absolument la destination de la Casa de Monjas.On a
supposé que c'était la demeure de nobles vierges mayas, chargées,
comme les vestales romaines ou les mamacunas péruviennes,
de la garde du feu sacré. C'est là une supposition que rien n'au--
torise ni à faire ni à contredire. Parmi les autres édifices d'Uxmal,
nous citerons la Casa del Adivifio (2) élevée sur une pyramide
de 88 pieds de hauteur et construite en blocages noyés dans le
mortier; la Casa del Ena?io (3), le Tolokh-eis ou la montagne
sainte et la pyramide de Ringsborough. A une faible distance de
la ville, on rencontre d'autres ruines datant probablement de la
même époque, présentant la même architecture, et toujours éle-
vées sur des mounds, qui forment une plate-forme inférieure.
C'était évidemment là, un rite consacré; des temples des dieux
il s'était étendu aux palais des rois.
En racontant les kjôkkenmôddings, les mounds, les habitations
des Cliff-Dwellers, il fallait mentionner à chaque page, les ins-
truments en pierre ou en os, les fragments de poterie qui venaient
attester la présence de l'homme. Nous n'avons à raconter au-
cune découverte semblable, ni à Palenque, ni à Copan, ni à
Uxmal, ni dans les autres villes dont nous aurons à parler et,
les fouilles faites jusqu'ici n'ont donné que quelques rares silex
et des débris de poterie plus rares encore. Il est cependant
impossible que des monuments semblables aient été élevés,
sans une population importante et sans une longue habitation.
Pourquoi, les armes, les outils, les vases ont-ils disparu ? pour-
quoi leurs sépultures ne viennent-elles pas rendre leurs osse-
ments ? aucune réponse n'est actuellement possible ; la terre
(1) Stephens, Yucalan, t. II, p. 307.
(2) A la Casa del Adivino, les murs extérieurs avaient été peints eu différentes
couleurs.
(3) La maison du nain, dit Charnay, se compose d'un corps d'habitation avec deux
salles intérieures et d'une espèce de chapelle on contre-bas. Ce petit morceau est
fouillé comme un bijou. « Chef-d'œuvre d'art et d'élégance », Waldeck, /. c, p. 96.
« Loaded with ornaments more rich, more elaborate and carefully executed than thoso
of any other édifice in Uxmal. » Stephens, Yiicatan, t. I, p. 313,
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 339
d'Amérique est un profond mystère ; nous ne pouvons que
réunir les faits, en laissant à ceux qui viendront après nous, le
soin d'en tirer les conclusions.
Les ruines de Rabah et de Labnâ, très rapprochées de celles
d'Uxmal, méritent de nous arrêter un instant. A Kabah une pyra-
mide mesurant 180 pieds carrés à la base et un portique (fig. 134)
Kabah et
Laboà.
Fig. 134. — Portique à Kabah.
qui rappelle les constructions romaines, surgissent devant le
voyageur. Comment ce souvenir de la vieille Rome se trouve-t-il
au milieu des solitudes du Nouveau Monde? et comment ne pas
admirer cette merveilleuse similitude du génie de l'homme arri-
vant constamment à un but identique ? Nous ne nous lassons
jamais de le montrer, c'est un des intérêts de cette étude (1).
(l) Stephens, /. c, t. I, p. 398. — Baldwin, Ancient America. New-York, 187.»
p. 139.
340 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les édifices de Labiîâ n'étaient guère moins remarquables que
ceux d'Uxmal ; malheureusement, leur état de dégradation est
extrême (1). Le bâtiment principal était couvert d'ornements en
stuc qui se brisent et qui disparaissent rapidement. On peut en-
core reconnaître une rangée de têtes de mort, des bas-reliefs
représentant des personnages et un globe d'un diamètre considé-
rable, soutenu par deux hommes, dont l'un est agenouillé. Toutes
ces figures conservent quelques traces de peintures.
A Zayi, la Casa Grande offre trois étages en retrait (2) ; un
escalier mesurant 32 pieds de largeur et assez semblable à ceux
que l'on rencontre sur divers points du Yucatan, conduit jusqu'au
troisième étage.
€iiichcn-itza. Chicheu-Itza (3) une des seules villes qui ait conservé son
antique nom maya, dépendait de l'empire de Mayapan. Lors
de la destruction de cet empire au xv" siècle, elle parvint à
maintenir son indépendance et ce fut seulement deux siècles
après la conquête, le 13 mars 1697, qu'elle fut prise par les
Espagnols et livrée au pillage ; c'est de celte époque que date
sa complète destruction (4),
Sur un parcours de plusieurs miles, ce ne sont que des
mounds artificiels, des colonnes renversées (5), des sculptures
brisées, des lourdes colonnades, qui étonnent par leur étendue,
des amas de décombres, dernière forme de monuments, que
l'homme dans son fol orgueil, s'imaginait édifier à jamais. Ghi-
chen était un des principaux centres religieux du Yucatan;
(1) Stephens, l. c ,X. II, p. 16. — « The summits of the neighbouring hills are cap-
ped with gray brokeu walls for many miles around. » Norman, Rambles in Yucatan,
p. 150.
(2) Le premier étage mesure 265 pieds sur 120 ; le second, 220 sur 60 ; le troisième
enfin, 150 sur 18.
(3) De Chichen ouverture d'un puits et Itza un des principaux rameaux de la race
Maya.
(4) Landa (Ev. de Merida f 1579) Relacion de la^ Cosas de Yucatan, p. .110. — Frie-
dcrichstahl, Nouv. Ann. de Voy., 1841, p. 300 et s. — Stephens, Yucatan, t. II,
p. 282. — Norman, Rambles in Yucatan, p. 104. — Charnay, /. c, p. 339. Le baron de
Friederichstahl visita les ruines en 1840, Stephens et Norman en 1842, Charnay en
1858.
(5) On a pu compter jusqu'à 480 socles de colonnes.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 341
de là son importance, le nombre et la magnificence de ses
temples et de ses édifices (1). Parmi ceux encore debout, on cite
le cirque, le château, le palais des nonnes, le Caracol ou
escargot, le Chichanchob ou la maison rouge : tels sont les noms
sous lesquels ils sont aujourd'hui désignés.
Le cirque n'était probablement qu'un gymnase (2), où les
jeunes gens venaient lutter de vigueur, d'adresse et d'agilité.
Le monument comprenait autrefois deux pyramides parallèles
avec un développement de 110 mètres environ. Celle de gauche,
encore bien conservée, est couverte de peintures. Ce sont des
processions de guerriers ou de prêtres, portant, soit des armes,
soit des offrandes; ils ont la barbe noire, des coiffures étranges
sur la tête, sur les épaules de larges tuniques. Les couleurs em-
ployées sont le noir, le rouge, le jaune et le blanc. Les bas-
reliefs extérieurs sont remarquables ; toutes les figures offrent le
type de la race yucatèque actuelle et sont en contraste complet
avec les têtes en pointe, les fronts fuyants qui sont repré-
sentés à Palenquc et que l'on prétend retrouver encore aujour-
d'hui chez les races inférieures, établies dans la montagne.
Le Palais des Nonnes repose sur un massif de maçonnerie de
32 pieds de hauteur et de 160 sur 112 pieds à sa base. Le bâti-
ment, auquel on arrive par un large escalier, était à deux étages;
les murs sont ornés de riches sculptures, semblables à celles
d'Uxmal (3) et la porte possède une ornementation de cloche-
tons de pierre, que l'on ne saurait mieux comparer qu'aux
constructions chinoises ou japonaises (4). A l'intérieur, se trouve
une salle de 47 pieds de longueur; les murs sont recrépis en
(1) « A city, which I hazard little in saying, raust hâve becn one of the largest the
world lias everseen. » Norman, Ramhles, p. 108.
(•2) Charnay, /. c, p. 340 et s.
(3) « C'est le bijou de Chichen pour la richesse de ses sculptures. » Charnay, /. c.
p. 342.
(4) Un missionnaire protestant (Hardy, Indian Monachism, p. 122) fait ressortir les
rapports entre les édifices de Chichen et les Topes ou les Dagobas des Bouddhistes.
« Les premiers, ajoute-t-il, ressemblent tellement à ce que j'ai vu à Anarajapoura
(ancienne capitale du Ceylan), qu'après avoir jeté les yeux sur la gravure qui repré-
sente ces ruines, je crus tout d'abord avoir affaire à une illustration des dagobas. »
342 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
plâtre; on y distingue encore, bien qu'elles aient beaucoup
souffert, de l'humidité, des hommes couronnés de plumes.
On a donné le nom de château à une pyramide dont la base
mesure 197 pieds sur 202. Sa hauteur est de 75 pieds et elle
est terminée par une plate-forme à laquelle on accède par un
escalier, fermé par une balustrade, couverte de têtes de ser-
pents ; sur cette plate-forme a été érigé un bâtiment (1), dont
la porte principale est tournée vers le nord. Les montants de
Fig. 135. — Montant do porte au château de Chichcn-Itza.
cette porte sont en pierre, et chargés de sculptures. Nous repro-
duisons un des bas-reliefs (fig. 135) qui peut donner une idée
de la figure et de la coiffure des habitants. L'ornement atta-
ché au nez est particulièrement caractéristique. La disposition
intérieure que le plan (fig. 136) permet de juger, diffère de
tout ce que nous avons vu jusqu'à présent.
Le Chichanchob (2) ou la maison rouge (fig. 137), est le monu-
ment le mieux conservé de Chichen . Il comprend un seul
(1) Ce bâtiment mesure seulement 49 pieds sur 43.
(2) Nous ne savons pourquoi les Indiens donnent à cet édifice le nom de la Cuicel,
la prison.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 343
corps de logis, placé sur une pyramide peu élevée, avec trois
portes au couchant, éclairant une galerie de la même longueur
que le palais. Cette galerie donne accès à trois salles, qui n'ont
Fig. 13G. — Plan par terre du château de Chichen-Itza.
a. Piliers carrés au centre de la salie principale ; 6. Colonnes qui supportent la porte du Nord.
de jour que par leurs portes. M. Charnay, qui donne ce détail,
ajoute qu'il n'a jamais remarqué de fenêtres, dans les nom-
breuses ruines du Yucatan qu'il a visitées.
Fig. 137. — Le Chichanchob à Chichen-Itza.
Le Caracol est un bâtiment circulaire dont le diamètre est
de 22 pieds seulement. L'intérieur rappelle les estufas que l'on
voit chez les Cliff-Dwellers et consiste en un massif de maçon-
344 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
nerie avec un double corridor très étroit. Le bâtiment s'élève
sur deux terrasses artificielles superposées l'une à l'autre (1);
un escalier de vingt marches (2) conduit de la première à la
seconde, il est orné d'une balustrade, qui représente des ser-
pents enlacés. Le serpent joue un grand rôle dans l'architecture
de Chichen-ltza. Il se rencontre à chaque pas et il est difficile
de ne pas y voir un symbole religieux.
On ne saurait trop répéter la richesse des sculptures ; l'é-
glise bâtie pour les Indiens, est remplie de bas-reliefs arrachés
aux raines (3). Les peintures sont plus nombreuses encore que
les sculptures ; on peut voir partout de longues processions
d'hommes ou d'animaux, des défilés, des combats, des luttes
de l'homme contre le tigre ou contre le serpent, des arbres,
des maisons (4). Une des peintures, encore visible sur les murs
du cirque, représente un bateau, qui ressemble aux jonques chi-
noises, c'est le seul exemple connu, jusqu'à présent, des procédés
de la navigation de ces anciens peuples (5).
Les hiéroglyphes ne font pas non plus défaut. Leur forme
rappelle ceux de Copan. Comme eux, ils étaient restés indé-
chiffrables et nous ne savons qu'une seule exception que nous
hésiterions même à rapporter, tant elle paraît étrange, si elle
n'arrivait avec, l'autorité d'une société scientifique importante;
celle des Antiquaires américains (6).
Avant de raconter cette découverte, il convient de dire la
légende sur laquelle elle repose. Chaac Mol (7) était un des
trois frères, qui s'étaient partagé le gouvernement du Yucatan.
Il avait épousé Rinich Katmô, princesse d'une merveilleuse
(1) La terrasse inférieure mesure 223 pieds sur 150, la terrasse supérieure 80 pieds
sur 55. Stepiiens, Yucatan, t. II, p. 298.
(2) Les marches ont 45 pieds de longueur.
(3) Charnay, /. c, p. 336.
(4) Stephens, Yucatan, t. II, p. 303, 305.
(5) Stephens dit en parlant de ce bateau : « The greatest gem of aboriginal art
which on the whole continent of America now survives. »
(6) Salisbury, The Mayas, the Sources of their History. Worcester, 1877. — Maya
Arch. Worcester, 1879. — Short, The North Américain, p. 390 et s. — Lettre du
D' Le Plongeon du 15 janvier 1878. Proc. Am. Ant. soc, 21 cet. 1878.
(7) Il est aussi connu sous le nom de Balam, le roi tigre.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 345
beauté, qui excita l'ardent amour d'Aac, un de ses beaux-frères.
Aac, pour obtenir sa main, n'hésita pas à faire assassiner son
mari; mais Kinich resta fidèle à la mémoire de Chaac, et sa
piété conjugale la porta à faire exécuter sa statue et à orner
son palais de peintures, retraçant les principaux événements de
sa vie et les tristes scènes de sa mort. Dans une de ces pein-
Fig. 138. — Bas-relief trouvé par le docteur Le Plongeon à Chichen-ltza.
tures, Aac porte à la main trois lances qui symbolisent les
trois blessures infligées à son frère. On croit reconnaître le
type assyrien dans les personnages principaux représentés aux
trois quarts de leur grandeur naturelle. A côté d'eux on re-
marque d'autres hommes de grande taille, avec des tètes as-
sez petites, des lèvres épaisses, des cheveux crépus; on a pré-
tendu y voir le type négroïde.
346 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Le docteur Le Plongeon qui visita les ruines de Chichen-
Itza en 1875, parvint, raconte-t-il, à déchiffrer une partie des
hiéroglyphes qui accompagnaient les figures; ils lui apprirent
que le tombeau de Chaac Mol se trouvait en un point désigné, à
400 mètres environ du palais. Des fouilles furent entreprises,
et mirent successivement au jour plusieurs bas-reliefs, représen-
tant des félidés ou des oiseaux de proie (fig. 138), une statue de
tigre à figure humaine, à sept mètres plus bas, une urne en pierre,
surmontée d'un couvercle en terre cuite et remplie de cendres
/f5^?:;&
Fig. 139. — Statue de Chaac Mol trouvée à Cliichen-Itza.
qu'on ne paraît pas avoir songé à analyser, une statue enfin figu-
rant un homme couché sur une pierre sépulcrale (fig. 139) (1).
Le type du visage, le costume, la coiffure, ne ressemblent en rien
à ce que nous avons vu soit à Chichen-Itza, soit dans les autres
villes du Yucatan; et pour ne citer qu'un seul fait, les sandales
sont celles que portent à leurs pieds les momies guanches des
îles Canaries.
Le docteur Le Plongeon ne put profiter de l'heureux résultat
de ses fouilles; le gouvernement mexicain réclama la statue; elle
est aujourd'hui déposée au musée national de Mexico.
(1) Cotte statue mesure l'^,bb de longueur sur 0'",80 de largeur et l^.lS de hauteur.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 347
Cette découverte n'est pas isolée ; on connaît plusieurs sta-
tues semblables; une d'elles, qui fait également partie des col-
lections du musée national, a été trouvée à Mexico même(l),
une autre vient de Tlaxcala; un pequeho ChaacMol de Merida.
Cette constante répétition de la même figure sur des points
différents, éloignés les uns des autres, fait supposer qu'elle re-
présente, non un roi légendaire de Chichen-Itza, mais une di-
vinité restée inconnue. Tel est le sentiment de 31, Charnav.
"A Cl/gA - J^
Fig. 140. — Cara Gigantesca trouvée à Izamal.
« La statue du Yucatan, nous dit-il, ne peut représenter un
roi, parce qu'on ne peut admettre qu'un roi du Yucatan fût
vénéré comme une divinité à Mexico ou à Tlaxcala (2). »
11 faudrait de longues pages pour raconter les innombrables
ruines qui couvrent le Yucatan (3), nous ne voulons plus citer
qu'une tête gigantesque, la Cara Gigantesca (fig. 140), remar-
(1) Lettre du Rév. John Butler du 10 octobre 1878. M. Butler regarde la statue
trouvée à Mexico comme plus ancienne que celle de Chichen ; mais, comme il ne
donne pas les raisons sur lesquelles il s'appuie, nous ne pouvons que reproduire sou
opinion. Voy. aussi Short, /. c, p. 399. — Revue d'Ethnographie, t. I, p. 163.
(2) Bévue d'Ethnographie, t. I, p. 107.
(3) Peut-être devrions-nous citer Ako avec ses murs cyclopéens, formés d'énormes
blocs de pierres brutes, que Stephens, un des seuls explorateurs qui les ait visités,
regarde comme les plus anciennes ruines de la région {Yucatan, t. I, p. 127).
Izamal.
348 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
quable par son expression; c'est une sorte de gros blocage, dont
les moellons posés avec art par le sculpteur, ont formé les joues,
la bouche, le nez, les yeux; la tête a été complétée au moyen
d'un stuc assez dur pour avoir résisté aux siècles (1). Cette tète
a été découverte à izamal, une des villes saintes du Yucatan,
où l'on place la sépulture de Zamnà, le compagnon et le dis-
ciple de Votan (2). C'est à lui que les Yucatecs rapportent tous
leurs progrès; la tradition lui attribue l'invention de l'écri-
ture hiéroglyphique et c'est lui qui, le premier, apprit au peuple
à donner un nom aux choses et aux hommes.
Outre la Casa Gigantesca, Izamal possède plusieurs pyrami-
des. Une d'elles mesure de 700 à 800 pieds de longueur et ren-
ferme, comme les pyramides de l'Egypte, plusieurs chambres
intérieures; elle passe pour la construction la plus considérable
de la région (3). Beaucoup de ces pyramides disparaissent chaque
jour. L'évêque Landa en comptait onze ou douze au moment
de la conquête ; déjà, à cette époque, les temples qui les cou-
ronnaient étaient en ruines (4).
Les récits des historiens espagnols (5) ne peuvent laisser de
doutes sur l'existence de routes, établies pour faciliter les
voyages, l'accès surtout des centres religieux. Elles dépas-
saient parfois les limites du Yucatan et s'étendaient dans les
(1) Cette tête mesure 7 pieds de hauteur (Viollet-le-Duc, /. c, p. 4G). M. Charnay
cite une autre tôte de ce même genre cyclopéen, entourée d'ornements étranges; elle
est plus grande que celle que nous reproduisons et atteint 12 p. de hauteur. Dans un
second voyage, M. Charnay découvrit un bas-relief qu'il dit le plus beau de tous ceux
trouvés jusqu'à ce jour. Le sujet principal, malheureusement endommagé, représente
un félin à tête humaine, d'un modèle parfait; à la gauche de l'animal, sont des déco-
rations bizarres qui rappellent les ornements de Palenque et d'Uxmal. Lettre de Me-
rida du 28 janv. 1882. Rev. d'Et/m., t. I, p. 160.
(2) Selon le récit des Indiens, le prophète Zamnà était enterré sous plusieurs pyra-
mides. Celle du Nord-Est (Kab-ul, la main travailleuse) renferme sa main droite; la
tête est enfouie sous la pyramide du Nord [Kinieli-Kakmo, le soleil aux rayons de feu).
Le cœur se trouve sous la troisième, où s'élèvent aujourd'hui une église et un couvent
de Franciscains. Cette pyramide s'appelait Ppapp-hol-chac, la maison des tètes et des
éclairs.
(3) Stcphens, Yucatan, t. II, p. 43'».
(4) Relacion de lai cosas de Yucatan, p. 326.
(ô) Landa, /. c, p. 344. — Cogolludo, Hist. de Yucathan, p. 193. — Charnay, Cités
et Ruines américaines, p. 321.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 349
royaumes voisins de Guatemala, de Chiapas et de Tabasco. Quel-
ques-unes de ces routes étaient pavées, ce sont les CalzadcLs dont
parlent CogoUudo et l'évêque Landa; elles conduisaient à Chi-
chen-Itza, à Uxmal, à Izamal, à Tihoo dont les ruines ont
servi à édifier la ville moderne de Merida. Ces dernières voies
mesurent sept à huit mètres de largeur ; elles sont construites
en blocs de pierre, recouverts d'un mortier très bien conservé
et d'une couche de ciment de deux pouces environ d'épais-
seur. Les rivières étaient franchies au moyen de ponts en
maçonnerie ; Clavigero (1), qui parcourut tout le Mexique au
siècle dernier, dit avoir vu encore debout sur plusieurs points, les
piles massives destinées à les soutenir.
Nous terminerons par une observation générale ce que nous
avons à dire des monuments Mayas. Leur nombre, leurs di-
mensions, le goût qui règne dans leur conception, la richesse
de leur ornementation, frappent l'observateur même le plus
superficiel. Les progrès de ces races encore si peu connues dans
la céramique, le tissage, la broderie, dans tous les arts techni-
ques ou industriels n'étaient pas moins remarquables. Il est in-
contestable qu'au moment de l'arrivée des Espagnols, les In-
diens étaient, à tous ces points de vue, très supérieurs aux
Conquistadores ; mais ceux-ci avaient les chevaux, ils avaient
la poudre, ils étaient surtout doués d'une énergie supérieure.
Les Indiens succombèrent dans une lutte inégale et ils devin-
rent rapidement la proie d'avides étrangers, incapables même
de comprendre la civilisation qu'ils allaient détruire.
Les édifices dus aux INahuas étaient, au dire des histo- Les Nahuas.
riens, plus importants encore que ceux des Mayas. Nous
avons raconté la magnificence de la cour des rois de Tenotchit-
lan et de Tezcuco, leurs palais devaient répondre à cette magni-
ficence ; mais ces monuments de leur grandeur ont péri. La
rage des Espagnols irrités d'une résistance inattendue, le sombre
fanatisme des prêtres et des moines qui accompagnaient l'armée,
(1) Storia antica del Messico, t. II, p. 371.
350 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
furent la cause principale de ces destructions à jamais irré-
parables pour la science. Les ruines qui restent encore debout,
seuls témoins du passé, ajoutent à nos regrets. Il serait impossible
de les décrire, de les énumérer même. Nous choisirons donc
parmi elles, celles qui peuvent servir de type à Tarchitecture
Nahuatl et nous faire le mieux connaître les mœurs et la religion
des Nahuas.
choiuia. La pyramide de Cholula (1) est située dans un misérable
village, à dix miles environ de Puebla de los Angeles. Un tem-
ple magnifique dédié au soleil, selon les uns, à Quetzacoatl, selon
les autres, s'élevait sur la plate-forme qui couronnait la pyra-
mide ; il fut entièrement détruit par Cortès après un combat
livré au pied même du monument. La pyramide encore debout
mesure 1440 pieds carrés et couvre une superficie presque dou-
ble de celle de la grande pyramide de Ghéops ; sa hauteur, selon
Humboldt, était de 177 pieds (2), et on arrivait au sommet par
quatre terrasses successives. Ici la construction n'était plus en
pierres appareillées comme dans le Yucatan, mais en adobes de
quinze pouces environ de longueur, semblables à celles employées
par les Cliff-Dwellers et reliées par un mortier très dur, mêlé de
petites pierres et même de fragments de poterie. Un voyageur
allemand (3) ajoute que les quatre faces avaient été recrépies
avec un ciment analogue à celui dont nous nous servons actuel-
lement.
Les fouilles ont montré la régularité de la construction et ont
mis au jour une tombe en dalles de pierre, soutenues par des
poutres en bois de cèdre. Deux squelettes reposaient dans cette
tombe et à côté d'eux gisaient deux figures en basalte, divers
ornements de peu de valeur et quelques fragments de pote-
(I) Humboldt, Essai pol. sur le roy. de la Nouv.-Espagne. Paris, 1811, p. 239. —
Id., Vues des Cordillères. Paris, 1816, p. 96. — Dupaix, Prewi. £'a;p. Kingsborough, t. V
et VI. — Jones, Smith Cont., t. XXII. — Clavigero, St. Ant. del Messico, t. Il, p. 33.
— Clavigero visita Cholula en 1744, Humboldt eu 1803. — Bancroft (t. IV, p. 471)
donne, selon son excellente habitude, une bibliographie complète.
(rî) Mayer [Mexico as it was, p. 26) dit 204 pieds; Tylor (A7iahuac}, 205 pieds.
(3) Heller, Reisen in Mexiko. Leipsig, 1853, p. 131.
LES RUINES DE L'AMÉUIQUE CENTRALE. 351
rie (1). La pyramide de Cholula était donc un tombeau; mais,
pas plus qu'en Egypte, sa fastueuse construction n'a pu préserver
les ossements de ses hôtes de la profanation redoutée.
Certaines légendes pieuses, dont on retrouve les traces chez
les indigènes, veulent que la pyramide ait été érigée dans la pré-
vision d'un nouveau déluge. Le père Duran donne une autre
version (2) : les hommes éblouis par l'éclat du soleil avaient
tenté d'ériger une tour qui pût atteindre le firmament ; les
habitants des cieux indignés d'une telle audace, détruisirent l'é-
difice et dispersèrent les constructeurs. Les données historiques
ne sont ni plus sérieuses, ni plus précises que les légendes. Les
dates de l'érection de la pyramide varient du septième au dixième
siècle de notre ère. Cholula était alors une ville importante au
pouvoir des Toltecs ; ce serait donc à eux que remonterait cette
construction.
Xochicalco, à 75 miles S.-O. de Mexico, est assurément un des xocMcaico.
monuments les plus originaux du Mexique (3). Au milieu de la
plaine se dresse une éminence conique, dont la base de forme
ovale, mesure deux miles de circonférence et dont la hauteur
est diversement évaluée de trois à quatre cents pieds. Deux tun-
nels percés dans le flanc de la colline, s'ouvrent au nord ; le
premier a été reconnu sur une longueur de 82 pieds, où les
explorateurs ont dû s'arrêter. Le second tunnel pénètre dans le
massif calcaire de la colline, par une large galerie haute de neuf
pieds et demi et qui se continue par divers embranchements sur
(1) Quelques doutes subsistent sur la destination de la pyramide de Cholula. Les
squelettes n'étaient pas déposés au centre du monument, où les explorateurs n'ont point
encore pénétre. Ou a voulu en conclure qu'ils étaient ceux d'esclaves immolés lors de
l'érection ou de la consécration du monument. Pour M. Bandelier, les constructions de
Cholula auraient eu surtout un but défensif (4rc/<. Inst. of America, nov. 1881).
(2) Hist. Ant. de la Nueva Espafia, t. I, c. i (cette histoire a été écrite vers 1585).
(3) Alzate y Ramirez visita Xochicalco en 1777 et publia en 1791, d'une manière fort
inexacte, ses découvertes sous le titre de Desa'ipcion de las Antiguedades de Xochi-
calco. Dupaix et Castaneda visitèrent les ruines en 1831 et la Revista Mexicana, t. I,
p. 539) donne les résultats d'une exploration plus récente, conduite aux frais du
gouvernement mexicain. Enfin parmi les autres explorateurs nous citerons : Hum-
boldt, Vues des Cordillères, t. I, p. 98. — Tylor, Anahuac, p. 189. — Nebel, Viaje
pittoresco y arqueologico sobre la rep. Mejicdna.
352 • L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE,
une longueur de plusieurs centaines de pieds. Le sol est pavé à
une grande profondeur (1) ; les parois sont soutenues par des
murs en maçonnerie, partout où ces travaux ont été nécessaires,
puis recrépies en ciment, et peintes en ocre rouge. La galerie
principale conduit à une salle qui mesure 80 pieds, et telle était
la connaissance pratique de leur art, que les architectes avaient
su ménager deux pilastres, pour donner plus de solidité à la
voûte. Dans un des coins de la salle, s'ouvre une petite rotonde
de six pieds de diamètre, excavée comme la salle elle-même dans
le rocher, et dont le dôme en forme d'ogive frappa singulière-
ment les premiers explorateurs, qui ne s'attendaient guère à
trouver au fond du Mexique, un spécimen de l'art gothique.
A l'extérieur, la colline tout entière est revêtue d'une che-
mise en maçonnerie, formant cinq terrasses successives, d'une
hauteur de 70 pieds, soutenues par des murs couronnés de para-
pets. Dupaix rapporte que l'on arrivait au sommet par un che-
min ayant 8 pieds de largeur. La plate-forme mesure 328 pieds
sur 285. Un temple (fig. 141) s'élevait sur cette plate-forme en
l'honneur d'un dieu inconnu (2) ; le bâtiment de forme rec-
tangulaire était construit en blocs de granit porphyritique (3)
posés sans mortier et avec un tel art, que les joints sont à
peine visibles. Il serait impossible de dire le travail qu'il a
fallu, pour amener ces blocs d'une carrière éloignée et pour les
placer à la hauteur qu'ils occupent.
En 1755, le temple comptait cinq étages, en retrait les uns sur
les autres ; il était couronné par une pierre qui pouvait servir
de siège et qui était couverte, comme le reste de l'édifice,
d'une ornementation aussi difficile à exécuter qu'à décrire (4).
11 est juste d'ajouter que ce n'est pas aux Espagnols qu'il
(1) Le pavage n'a pas moins d'un pied et demi d'épaisseur.
(2) Ce temple mesure 65 pieds de l'est à l'ouest et 58 pieds du nord au sud.
(3) « Porflrdo granitico ». Revista Mex., t. I, p. 648. — « Basalto porfirico ». Nebel. —
« Basait. » Lôwenstcrn, Mex., p. 209. « La calidad de piedra de esta magnifica arqui-
tectura est de piedra vitrificabile. » Alzate, l. c. p. 8.
(4) Une réduction, malheureusement très inexacte du monument figurait à l'exposi-
tion internationale de 1867. Elle a été reproduite dans Vlllustrated London News du
l"juin 1867.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 353
faut imputer la destruction de Xochicalco ; cet acte de vanda-
lisme a eu pour auteur, un propriétaire voisin qui se proposait
d'utiliser les pierres pour les bâtiments d'une manufacture.
Fig. l4l. — Ruines du temple de Xochicalco (Mexique).
Les lonprues guerres qui désolèrent l'Anahuac et qui étaient, à Foniacations
o C i ^ U > Pyramide
vrai dire, l'état normal du pays, avaient amené de vastes travaux ^« ^«°''*-
défensifs ; on a reconnu les traces de ces fortifications à Hua-
tusco dans la province de Vera-Cruz, d'où elles s'étendent sur
une très grande longueur vers le Nord (1). Centla paraît avoir
été un des principaux points choisis pour la défense; les
ruines couvrent la plaine ; mais elles disparaissent chaque
jour, devant les destructions des habitants. Une forêt voisine
cache plusieurs pyramides, qui, grâce à sa protection, sont res-
tées debout (2). Nous reproduisons une d'elles qui peut servir de
type (fig. 142). Les murs sont en pierres appareillées, reliées par
(1) Bancroft. /. c, t. IV, p. 466.
(2) Sartorius, Soc. Mex. Geog. Boletin, 2» Epoca, t. I, p. 821 ; t. II, p. 148.
De Nadaillac, Amérique. 23
334 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
un mortier de chaux; mais la chaux était sans doute rare, et
tout l'intérieur des murs est en moellons bruts, cimentés avec
de l'argile. Partout on avait disposé des niches pour recevoir les
statues ou les symboles des dieux protecteurs.
Fig. 142. — Pyramide à Centla.
Tula.
Ces pyramides sont certainement le fait le plus saillant de
l'ancienne architecture américaine. C'est sur des pyramides
tronquées que les teocallis ou les palais s'élèvent à Palenque
comme à Copan, dans le Yucatan et le Honduras, comme dans
l'Anahuac; elles se dressent devant le voyageur jusque sur
l'isthme de Tehuantepec (1). On peut constater des différences
locales, dont il faut le plus souvent chercher la cause dans la
différence des matériaux à la disposition des constructeurs ; mais
toujours, le type primitif persiste et se relie au souvenir lointain
des mounds, qui des rives de l'Ohio et du Mississipi ont pénétré
dans la Floride, puis dans des régions plus au Sud, où elles res-
tent, comme les derniers témoins des migrations de ces peuples;
Telles sont les principales ruines qui rappellent les Nahuas .
l'incurie, le fanatisme, l'avidité des vainqueurs, ont rapidement
détruit des monuments dont la magnificence avait ébloui les
Espagnols.
Tula (2), l'ancienne capitale des Toltecs, est représentée au-
(1) On signale notamment deux pyramides auprès de Tehuantepec, la plus grande
mesure 120 pieds sur 55 à sa base et 66 pieds sur 30 à la plate-forme qui la couronne,
un escalier n'ayant pas moins de 30 p. de largeur conduit à cette plate-forme.
(2) Il existe plusieurs localités du nom de Tula, Tullia ou Tulan, de là une difficulté
sérieuse. [Popol-Vuh, p. lxxxv et ccliv.) Tula fut, dit-on, détruite par les Chichimecs
en 10C4 et les habitants se réfugièrent à Cholulan, la cité den exilés. Cette dernière
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 355
jourd'hui par un pauvre et chétif \illage à 30 miles au N.-O. de
Mexico; de sa grandeur passée, elle n'a conservé que son nom.
Cinq siècles avant la conquête « cette célèbre et grande
ville, dit Sahagun (1), partagea la fortune adverse de Troie ».
Les ruines qui subsistaient ont disparu à leur tour, et des fouil-
les exécutées en 1873 n'ont donné qu'une idole monstrueuse et
deux colonnes en basalte. Une de celles-ci (fig. 143), couverte
Fig. 143. — Colonne provenant de Tula.
d'ornements finement exécutés, est intéressante, en ce qu'elle
nous fait connaître le mode d'assemblage avec tenons et mor-
taises employé par ces hommes très avancés déjà dans tous les
procédés techniques (2). D'autres ruines peu importantes se
ville prit à son tour un rapide essor, car les Espagnols, rapporte-t-on, lui donnèrent le
nom de Rome, à raison de la splendeur de ses monuments.
(1) Hist. de las cosasde Nueva Eipaiia, prol. al lib. VIII.
{'2) Soc. Mex. Geog., Boletin, 3*Epoca, t. I, p. 185. « Le Toltèque employait indif-
féremment la pierre mélangée de boue et de mortier pour l'intérieur des murailles, le
ciment et la chaux pour les revêtir. Il employait la brique cuite et la pierre taillée
pour le roTêlement intérieur, la brique et la pierre pour ses escaliers et le bois pour ses
toitures. Il connaissait le pilastre que nous avons trouvé dans ses maisons; il avait la.
3o6 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
rencontrent dans les environs, mais ne nous apprennent rien
sur l'antique Tula. Telle était la situation, lorsque des décou-
vertes récentes sont venues révéler des faits qui, s'ils étaient
confirmés, seraient d'une importance capitale, pour l'histoire du
passé de l'Amérique.
M. Charnay, dans l'exécution d'une mission qui lui était con-
fiée par le gouvernement français, s'est rendu à Tula et a fait
fouiller sous ses yeux des tumuli, des montagnes de décombres
probablement, qui recouvraient depuis de longs siècles les
reliques des anciens Toltecs. Une habitation ainsi exhumée se
composait de 24 chambres, de 2 citernes, de 12 corridors et de
15 petits escaliers, « d'une architecture extraordinaire et d'un in-
térêt palpitant », s'écrie avec enthousiasme l'heureux explo-
rateur (1).
« Ce n'est pas tout, ajoute-t-il, au milieu d'échantillons de
terres cuites de toute espèce, depuis les plus grosisières, em-
ployées à la construction, telles que briques, tuiles, conducteurs
d'eau, jusqu'aux plus fines servant aux usages de la famille, j'ai
recueilli des émaux, des fragments de faïence et de porcelaine et,
chose plus singulière, un goulot de verre avec l'irisation des an-
ciennes verreries romaines. »
Parmi ces débris gisaient des ossements de ruminants gigan-
tesques (des bisons peut-être ?) dont les tibias ont 0",3o de lon-
gueur sur 0"',10 d'épaisseur et des fémurs dont la tête mesure
0'",14 sur 0", 10.
Ce sont là des faits absolument nouveaux; il était admis jusqu'à
présent que les Américains ne savaient fabriquer ni le verre, ni la
porcelaine, qu'avant l'arrivée des Conquistadores, on ne con-
naissait en Amérique aucun de nos animaux domestiques et que
les bœufs, les chevaux et les moutons qui y vivent actuellement
descendent tous d'ancêtres importé^ d'Europe.
colonne engagée, les cariatides et la colonne libre et l'on n'imagine guère de motifs
architecturaux qu'il ne connût et n'utilisât. » Charnay, Bul. Soc. Géog. Novembre
1881.
(1) Lettre au Trait d'Union du 28 août 1880. — Archives des Missions scientifiques,
t. VII.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 357
Les fouilles ont aussi donné des petits chariots que M. Charnay
croit des jouets d'enfants. Or les jouets étant la reproduction en
petit des instruments de l'homme fait, nous devrions conclure
que les Toltecs se servaient de voitures et que leur usage était
non seulement abandonné, mais complètement inconnu à
l'arrivée de Cortès (1).
Ces découvertes, nous ne pouvons que le répéter, modifieraient
singulièrement les conclusions acceptées jusqu'à ce jour. Mais
sont-ce bien là des produits originaux ? sont-ce vraiment des
souvenirs asiatiques importés par les immigrants ? 11 est permis
d'en douter et il faudrait des preuves nouvelles et surtout la cer-
titude que les objets découverts remontent bien à l'époque pré-
colombienne, pour admettre qu'au onzième siècle les Toltecs
possédassent des animaux domestiques, qu'ils connussent la por-
celaine, le verre, le fer peut-être (2), puis que tous ces éléments
d'une civilisation avancée eussent disparu, sans laisser la moin-
dre trace dans la mémoire des hommes. Il est donc probable que
les différents objets, mis au jour par M. Charnay, sont postérieurs
à la conquête espagnole et il convient de réserver toute opinion
à leur égard jusqu'à plus ample informé
Aucun monument de Mexico n'est resté debout. Rien ne rap- M«ico.
pelle la puissance des Aztecs ; pyramides, palais, téocallis, tout a
disparu ; les ruines elles-mêmes sont ensevelies sous la poussière
que trois siècles ont accumulée ; et on ignore jusqu'à la position
des édifices, dont les écrivains espagnols vantent à l'envi
l'imposante grandeur (3). Pour mieux montrer ce qu'étaient
(1) Revue des questions scientifiques, octobre 1881, p. 640.
(2) M. Charnay recueillait aussi dans ses fouilles plusieurs outils en fer ; mais il exprime
lui-même la pensée, que ce dernier métal devait remonter à l'époque espagnole. Il ne
dit pas pourquoi il excepte de la même conclusion les objets en verre ou en porcelaine.
(3) Bernai Diaz, Hist. verdadei'a de la Conquisla de la Nueva Espana, (" 70. — Re-
Intione futta pf-r un gentil'huomo del signor F. Cwfeie ; Ramusio, Naoigalioni et
Viaggi, t. III, f .307, 309. — Torquemada, Mon. lui. Lib. II, p. 107. — Certes, Car-
tas y Relaciones, p. 106. - Sahagun, Hist. Gén., t. I, 1. II, p. 197. — Goraara, Hist.
de Mex., f" 118. — Las Casas, Hist. Apol., c. xlix, li, cxxiv. — Tezozomoc, Hist.
Alex., t. I, p. 151. Parmi les écrivains modernes, on peut consulter Prescott, Hist. on
the Conquest of Mexico, et Tylor, Anahuac.
358 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
les constructions des Aztecs (1), il faut reproduire la description
du grand temple élevé par le roi Ahuitzotl, en l'honneur du dieu
Huitzilopochtli.
Ce temple occupait le centre de la ville; il était situé au milieu
d'une enceinte entourée de murs qui s'étendaient sur une lon-
gueur de 4,800 pieds. Ils étaient bâtis en moellons liés avec du
mortier, recrépis avec du plâtre, polis sur les deux faces,
surmontés de tourelles et de mâchicoulis en forme de colima-
çons, ornés enfin de nombreuses sculptures représentant princi*
paiement des serpents. De là le nom de Coetpantli, ou murs des
serpents, sous lequel ils étaient connus (2). Sur chaque face
se voyait un bâtiment, dont le rez-de-chaussée servait de portail
pour pénétrer dans l'intérieur delà cour.
Dès l'entrée, on se trouvait en face du grand temple, qui for-
mait un parallélogramme régulier de 375 pieds sur 300, et qui,
comme les autres téocallis, s'élevait par cinq terrasses construites
en retrait les unes sur les autres (3). Les murs étaient bâtis en
moellons mêlés à de l'argile et à de la terre battue, puis revêtus
de larges dalles de pierre soigneusement cimentées et recou-
vertes d'une épaisse couche de gypse. La plate-forme supérieure,
à laquelle on accédait par un escalier de cent quatorze marches,
contournant successivement chacune des terrasses, était sur-
montée de deux tours, à trois étages (4). Par une exception rare
les deux étages supérieurs étaient en bois et l'on n'y pouvait
pénétrer qu'au moyen d'échelles. Le toit également en bois était
disposé en coupole et soutenu par des colonnes peintes alterna-
tivement en noir et en rouge.
Les sanctuaires des dieux étaient à l'étage inférieur du téocalli ;
adroite celui d'IIuitzilopochtli (5), à gauche celui de son demi-
(1) Nous avons déjà dit que les Aztecs étaient une branche des Nahuas.
(2) « Era labrada de piedras grandes a manera de culebras asidas las unas a las
otras. » Acosta, Hist. <ie lus Yndias, p. 333.
(3) Bernai Diaz, l. c, f" 70.
(4) Leur hauteur atteignait 5G pieds.
(5) La statue du dieu fut exhumée presque intacte en 1790. Les Indiens s'empressè-
rent de la couvrir de fleurs. Ce fait est étrange et le devient plus encore si on le
compare à l'oubli complet de tous les souvenirs du passé, que l'on voit chez eux.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 351)
frère Tezcatlipoca. Leurs statues gigantesques étaient cachées au
regard des fidèles par de magnifiques draperies; à leurs pieds
était préparée la pierre du sacrifice (1) sur laquelle tant de mal-
heureuses victimes avaient été immolées. Las Casas est enthou-
siaste jusqu'à l'exagération, de la richesse de la décoration inté-
rieure du temple (2). Bernai Diaz, probablement plus véridique,
raconte que les murs et les planchers ruisselaient de sang humain
et exhalaient une odeur si fétide, que les visiteurs étaient rapide-
ment mis en fuite (3). Dans tous les temples, devant toutes les
idoles brûlait le feu sacré toujours scrupuleusement entretenu,
car son extinction menaçait le pays de grands dangers. Du haut
du téocalli principal, on pouvait compter six cents brasiers, qui
brûlaient jour et nuit.
Quarante temples plus petits, couronnant pour la plupart des
pyramides s'élevaient sur divers points de l'enceinte sacrée,
comme les satellites des dieux suprêmes, auxquels le grand temple
était consacré. On arrivait à celui de Tlatoc par un perron de
cinquante marches (4) ; celui de Quetzacoatl était circulaire et
terminé en dôme ; la porte était basse et figurait la gueule d'un
serpent ; les dévots, pour adorer leur dieu, devaient passer
par cette bouche entr'ouverte qui semblait prête à les dévo-
rer (o). \J Ilhiiicatlican était dédié à la planète Vénus, et un captif
devait être sacrifié, au moment même où cette planète paraissait
à l'horizon. Par une conception assez originale, une cage im-
mense était disposée dans un des téocallis, pour recevoir les sta-
tues des dieux étrangers, afin qu'ils ne pussent profiter de leur
liberté, pour secourir leurs adorateurs (6).
Le Qucmhxicako était un immense ossuaire, où l'on accumu-
lait les ossements des victimes. Les crânes étaient mis à part et dé-
posés dans le Tzempantli situé au dehors de l'enceinte, auprès de la
(1) Clavigero {l. c, t. II, p. 216) dit que cette pierre était en jaspe vert.
(2; Hist. Apol., c. cxxxii.
(3) Hist. de la Conq., f» 7.
(4) Ovicdo, Hist. Gen. y Nat. de las Indias, t. III, p. 302.
(5) Torquemada, Mo/i. Ind., t. II, p. 145.
(6) Torquemada, /. c, t. II, p. 117.
360 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
porte de l'Ouest. C'était une immense pyramide oblongue, formée
de têtes humaines, enchâssées dans la maçonnerie. Deux colonnes
j dominaient la plate-forme de la pyramide et elles étaient en-
tièrement composées de têtes qui faisaient l'office de pierres (1).
Quand la victime était un chef, la tête était placée dans son état
naturel et rien ne saurait rendre l'horreur et le dégoût qu'inspi-
raient ces faces grimaçantes dans la mort. Les Espagnols ont pré-
tendu que le nombre des têtes ainsi exposées atteignait le chiffre
de 136,000 !
La cour formait la partie la plus considérable de l'enceinte.
C'était là que se pressait une foule immense pour assister aux sa-
crifices et aux combats des gladiateurs. Là aussi se trouvaient les
logements de milliers de prêtres, de femmes et d'enfants chargés
de l'entretien des temples et des lieux sacrés. Quel que fût le nom-
bre des visiteurs, dit Bernai Diaz, l'enceinte était entretenue avec
un tel soin, qu'il aurait été impossible d'y découvrir même un
brin de paille.
Tezcuco. Tezcuco a disparu comme son ancienne et ardente rivale ; les
pierres, les bas-reliefs, les sculptures, ont servi à construire les mai-
sons de la ville moderne, et sur quelques points des amas d'adobes
informes, dedécombres de tout genre, rappellent seuls aujourd'hui
la splendeur passée d'une ville qui renfermait 140,000 maisons et
où 200,000 ouvriers travaillèrent pendant des années à l'érection
du palais du roi (2). M. Tylor, dans une visite récente, a reconnu
les fondations de deux grands téocallis et plusieurs tumuli qui té-
moignaient d'anciennes sépultures. Par un de ces phénomènes
géologiques qu'il est difficile d'expliquer d'une manière satis-
faisante, mais qu'il faut constater sur tous les points du globe,
le lac qui baignait jadis la capitale des Tezcuans est aujourd'hui
à plusieurs miles de la ville moderne.
Quemada. Malgré uotrc désir d'abréger une nomenclature nécessaire-
(1) Warden, Recherches sur les Ant. de l'Am. du No7'd. Ant. Mex., t. II, p. 66.
(2) Torquomada, Mon. hvK, t. I, p. 304. Les chiffres qu'il donne peuvent bien être
exagérés. Pierre Martyr parle seulement de 20,000 maisons, et Carbajal Espinosa, de
30,000 {Uist. de Mexico. Mexico, 1862, t. I, p. 87).
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 361
ment très aride, il est impossible d'omettre les ruines de Que-
mada(l) dans la partie sud du Zacatecas, non seulement à cause
de la masse de décombres qui couvrent une superficie considé-
rable et qui attestent l'ancienne importance de la ville, mais
aussi à raison des différences, qui distinguent ces constructions
de toutes celles dont nous avons parlé jusqu'ici.
L'origine de Quemada est inconnue ; on rapporte, sans preu-
ves bien sérieuses, que les Aztecs s'y arrêtèrent dans leurs mi-
grations vers le Sud et que c'est à eux que la ville, dont le nom
véritable est ignoré, doit sa fondation (2).
Le Cerro de los Edificios est une colline assez irrégulière qui
s'étend sur un demi-mile de longueur et une largeur moyenne de
deux à trois cents mètres, pour atteindre brusquement cinq cents
mètres vers son extrémité. C'était la forteresse, véritable camp
retranché, entouré de murs qui n'ont pas moins de douze pieds
d'épaisseur, avec plusieurs étages de bastions, reliés entre eux par
des courtines. Une grande pyramide de treize mètres de hauteur
forme une véritable redoute.
C'est kLos Edificios, comme le nom l'indique, que se trouvent
les ruines les plus importantes. Il n'est guère possible de les dé-
crire ; elles ne sont pour la plupart, nous l'avons dit, que des
amas de décombres et un déblaiement très long et très dispen-
dieux pourrait seul permettre de juger de la forme et de la desti-
nation des diverses constructions. Plusieurs colonnes sont restées
debout et la position de quelqu'unes d'entre elles indique qu'elles
devaient faire partie de portiques. C'est là un fait exception-
nel dans l'ancienne architecture américaine. Ces colonnes sont
en porphyre gris (3) et rappellent les colonnes massives des tem-
ples égyptiens.
(1) Quemada est située sur la route de Zacatecas à Villanueva, à quatorze lieues en-
viron de la première de ces villes, à deux lieues de la seconde.
(2) Lyon, Journal of a Tour in the Republic of Mexico. London, 1828, t. I, p. 225.
— Marcos de Esparza, Infoi'me presentado al Gobieimo. Zacatecas, 1830. — J. Bur-
\iaH, Aufenthal und Reisen in Mexico. Stuttgart, 1836. — Nebel, Viaje sobre la Repu-
blica Mejicann. Paris, 1839. — Soc. Mex. Geog. Bol., 2" epoca, t. III, p. 278. —
Fégueux, Lei ruines- de la Quemada. Rev. a'Et>i7i., t. I, p. 119.
(3) Une de ces colonnes ne mesure pas moins de li.' pieds de circonférence. Sa liau-
362 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Outre la pyramide que nous avons citée, il en est plusieurs
autres qui se rattachent à ce type maintenant si connu. Le mor-
tier qui relie les pierres est, comme chez les Mound-Builders,
un mélange d'argile et de paille. On n'a relevé jusqu'à présent
aucune de ces sculptures, hiéroglyphes ou pictographies, qui se
rencontrent au contraire si fréquemment dans les autres villes
-anciennes (1).
La plaine qui entoure le cerro, est couverte de ruines ; on ne
trouve parmi elles ni poteries, ni silex, ni armes, ni outils. Par
un problème étrange, nous sommes en présence d'une ville,
dont tout atteste l'importance et où rien, cependant, ne révèle
l'habitation de l'homme.
Les zapotecs La provincc d'Oajaca située sur les rives du Pacifique, tra-
versée par la Cordillère, comprend une région montagneuse et
stérile, dominant les terras calientes à la riche végétation tropi-
cale. C'était là qu'habitaient les Zapotecs (2); ils se rapprochaient
des Mayas par leur langage (3), des Nahuas, par leurs rites reli-
gieux et le style de leur architecture ; ils provenaient très pro-
bablement d'un mélange de ces deux races. Les hommes étaient
forts et bien bâtis, vaillants, souvent féroces (4) ; l'expression
de leur visage était désagréable ; les femmes, au contraire, pas-
saient pour jolies et leurs traits étaient fins et délicats.
Leurs rites religieux, venons-nous de dire, se rapprochaient
de ceux des Aztecs ; au milieu de leurs nombreuses divinités,
patrons de toutes les vertus et aussi de tous les vices, on
a cru distinguer quelques traces de monothéisme. Ils recon-
teur est de 18 pieds. M. Fc^ueux parle de 11 colonnes et leur donne un diamètre
d'un métro sur une hauteur de 3 mètres.
(1) M. Fégueux parle cependant d'une pierre sur laquelle sont gravés cinq serpents.
Elle est située au pied de l'cscarpemeut de Los Edificios.
(2) M. MaXer Qcvix Tzapoteques (Nature, 25 déc. 1880). Peut-être a-t-il raison carie
nom paraît dériver de Tzapotl; « cierta fruta conocida » dit Molina, Vocabulario en
lengua Castellana y Mexicana. Ils s'appelaient eux-mêmes Didsasa.
(31 Bancroft(/.c.,t. III, p. 754) donne des détails assez complets sur ce langage; il cite
les autorités sur les lesquelles il s'appuie.
(4) « Ferozes y valientes » dit Burgoa, Geog. Descv., t. I, p. 2, f" 196; t. II, f" 362.
— Herr er a, His t. Gen., t. III. Dec. III, L. III, c. cxiv.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 363
naissaient un dieu suprême Piyexoo; Têtre ïncréé Pitao-Cozamia ,
le créateur. Ce qui est plus certain, c'est que, comme les
Aztecs, ils honoraient leurs divinités par des sacrifices humains;
les hommes étaient immolés sur les autels des dieux; les femmes
sur les autels des déesses. Au jour consacré à Teteionan (1), une
femme devait avoir la tête tranchée ; elle était assise sur les
épaules d'une autre femme et celle-ci devait paraître devant la
déesse, inondée du sang qui venait de couler. A la célébration
d'une fête en l'honneur de l'arrivée des dieux, les victimes
étaient brûlées; à d'autres occasions, des enfants étaient noyés
ou murés dans des grottes ; là ils expiraient lentement, dans les
horribles tortures delà faim et de la peur (2),
Les Zapotecs étaient soumis à un roi et la couronne était
transmise héréditairement. A côté de ce roi vivait un pontife su-
prême le Weyetao qui résidait à Yopaa et qui jouait un rôle im-
portant dans le gouvernement du pays. Ses pieds ne devaient
jamais toucher la terre ; il était porté sur les épaules de ses ser-
viteurs et dès qu'il paraissait, tous, les princes eux-mêmes, de-
vaient se prosterner et nul n'osait lever les yeux sur lui. Le
Weyetao ne pouvait se marier et il était astreint à la continence ;
mais à un certain jour de l'année, il avait le droit de s'enivrer et
dans cet état on lui amenait une vierge jeune et belle ; c'était
l'aîné des enfants issus de cette union d'un jour, qui héritait de
la dignité sacerdotale (3).
La splendeur des édifices dus aux Zapotecs ne le cédait en rien
à celle des autres peuples de l'Amérique centrale etMitla(4), leur
capitale et leur ville sainte, était de tous points comparable à Pa-
lenqueouà Uxmal, à Chichen-Itza ou à Tenotchitlan. On rap-
porte qu'elle fut fondée par les disciples de Quetzacoatl et une
(1) Déesse adorée par les divers peuples de race Nalmalt ; elle était aussi connue
sous les noms de Tozi, Toccy et Tocitzin.
(2) Clavigero, St Ant. del Messico, t. II, p. 45. .
(3) Burgoa, /. c. — Brasseur de Bourbourg, Ilist. desNat, civ., t. III, p. 59.
(4) Le nom Zapoteque était Lio6a ou Yobbo, la ville des tombes ; le nom de Mitla
parait avoir été imposé par les Aztecs. Vient-il de Mictlan, le séjour des âmes après
leur mort, ou de Mitl, un des dieux Naliuas? C'est ce qu'il est impossible de dire.
364 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
légende venue jusqu'à nous, raconte qu'un jour un vieillard à
l'aspect vénérable, sortit subitement du lac Huixa. Il était vêtu
d'une robe et d'un manteau d'un bleu éclatant et il portait une
mitre sur sa tête; une jeune fille d'une incomparable beauté l'ac-
compagnait. Ce vieillard désigna une éminence sur laquelle un
temple fut construit par ses ordres; il donna au pays des lois sages
et justes et disparut aussi mystérieusement qu'il était arrivé (1).
Mais déjà une ville s'était élevée auprès du temple et pendant des
siècles la prospérité de cette ville, grâce à la protection céleste, ne
se démentit jamais. Son histoire montre d'immenses lacunes,
que quelques faits bien douteux viennent à peine combler. Nous
savons seulement que les Zapotecs soutinrent de longues luttes
contre les Aztecs et qu'à la fin du xv« siècle, vers 1494, Mitla fut
pris et livré au pillage ; les prêtres qui avaient dirigé la dé-
fense, furent conduits à Mexico et immolés sur les autels de
Huitzilopoclîtli.
La ville de Mitla s'élevait au milieu d'une vallée étroite et pou-
dreuse, encadrée par des montagnes tristes et nues. Ses ruines
apparaissent subitement aux yeux du voyageur et leur magnifi-
cence constraste singulièrement avec le pays aride et désert qui
les entoure. « Les monuments delà Grèce et ceux de Rome de la
meilleure époque, dit un archéologue éminent (2), en parlant du
palais principal, égalent seuls la beauté de l'appareil de ce grand
édifice. Les parements dressés avec une régularité parfaite, les
joints bien coupés, les lits irréprochables, les arêtes d'une pureté
sans égale, indiquent de la part des constructeurs du savoir et
une longue expérience. »
L'édifice le plus remarquable de Mitla est le palais, célébré en
des termes si enthousiastes ; que l'on se figure une cour inté-
rieure (3) entourée de trois côtés (4) par des mounds surbaissés.
(1) Torquemada, t. I, p. 255. — Herrera, déc. III, lib. II, c. xi. — Veytia, t. I,
p. 164. — Burgoa, l» 297, 343.
(2) VioUet-le- Duc, ap. Charnay, Cités et Ruines américaines. Int., p. 77.
(3) Cette cour mesure 130 pieds sur 120.
(4) Sur le plau donné par Dupaix, figure un quatrième bâtiment. Viollet-le-Duc le
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 365
sur lesquels s'élevaient des constructions importantes (fig. 144).
Le bâtiment du Nord (A) est bien conservé ; celui de l'est (G) ne
présente plus que quelques murs écroulés au milieu desquels se
dressent un portique et deux colonnes {ce). Le bâtiment de
Fouest (D) a été plus maltraité encore ; ses fondations seules sub-
sistent. A Palenque, les murs étaient entièrement construits en
pierres appareillées ; dans le Yucatan, des parements en grandes
^■a*,--".
D
iSMliipun
\
E
Fig. 14i. — Plan du grand temple de Mitla
dalles, masquent un blocage en moellons et en mortier; c'est aussi
ce dernier mode qui a été employé à Mitla ; mais le mortier est
remplacé par l'argile et les revêtements forment un appareil
composé de pierres parfaitement taillées, de la dimension d'une
petite brique, produisant par leur assemblage, des méandres
et des treillis très variés dans leurs combinaisons (1).
reproduit (/. c, p. 75). Les fondations elles-mêmes ont aujourd'hui complètement
disparu.
(I) Viollet-le-Duc, l. c.
366 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Leis bâtiments latéraux mesurent 96 pieds sur 17; celui du
nord 130 pieds sur 36. Plusieurs marches (G) conduisent aux
trois portes {h) qui y donnent accès. Les linteaux ne sont plus en
bois, mais en grandes pierres, comme ceux des monuments de la
Grèce ou de Rome.
La salle principale (fig. 145) était ornée de six colonnes {a)
sans base et sans chapiteau. Ces colonnes étaient probablement
destinées à soutenir la toiture et à diminuer ainsi la portée des
filières (1). Ilumboldt qui parcourut les ruines en 1802, parle de
grandes poutres ; Dupaix dit qu'elles étaient en bois d'ahuehuete,
de la famille des conifères ; telle était également l'opinion de
VioUet-le-Duc et M. Maler rapporte que lors de sa visite toutes
les poutres avaient disparu. Burgoa, au contraire, dit avoir
vu en place de grandes dalles de plus de deux pieds d'épaisseur
reposant sur des piliers d'une hauteur de 9 pieds, et l'abbé Bras-
seur de Bourbourg confirme le fait, en ajoutant que tout autour
du bâtiment régnait une corniche ornée de sculptures capricieuses
dont l'ensemble formait comme une sorte de diadème posé sur
l'édifice (2), Nous avons tenu à raconter ces détails peu impor-
tants, pour montrer combien toute conclusion est impossible
en présence de faits très obscurs et obscurcis encore comme à
plaisir, par les différents explorateurs.
Les murs et le pavé avaient été revêtus de trois couches d'un
stuc très résistant, peint en rouge, d'nn ton assez semblable à
celui qui décore les murs de Pompéi (3).
De la salle des colonnes, on pénétrait par un couloir fort som-
bre dans une deuxième cour (I) entourée de chambres [b.b.], qui
malgré leur exiguité devaient être les principales du palais. La ri-
chesse de leur ornementation était remarquable ; les murs étaient
revêtus d'une véritable mosaïque en petites pierres (4) formant
(1) On peut citer des exemples semblaljles dans certains pueblos, assurément de
construction plus récente que le palais de Mitla et à Tuloom, sur la côte Est du Yucatan.
(2) Hist. des Nat. civ., t. III, p. 26.
(3) Nature, 25 déc. 1880.
(4) Les pierres qui tombent de ces mosaïques sont soigneusement rocuoillios par les
habitants. Est-ce un souvenir des ancêtres, ou bien une superstition populaire?
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 367
des dessins réguliers, des grecques, ou des arabesques (1). Il
est difficile de dire si ces mosaïques, d'une exécution très
(I) Bancroft, /. c.,t. IV, p. 401.— Charûay, pi. IX. — Humboldt remarque avec raison
368 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
habile, montrent un art plus avancé que les sculptures d'Uxmal;
il est plus difficile encore d'assigner une date à la constructiou
des unes et des autres. On est cependant assez généralement
d'accord pour regarder les monuments d'Uxmal comme plus
anciens que ceux de Mitla.
Les trois autres palais, dont les ruines sont debout, doivent être
rapidement mentionnés. Us sont, mais sur une plus petite échelle,
semblables au précédent ; l'influence hiératique consacrait vrai-
semblablement un type dont nul ne pouvait s'écarter ; par-
tout on retrouve ces mosaïques de pierre si caractéristiques de
l'architecture de Mitla. Nous citerons seulement, sous un de ces
palais, une galerie souterraine en forme de croix. Les cryptes
sont en effet rares dans l'Amérique centrale.
Tehuantepec. Lcs Zapotocs avaicut poursuivi Icurs conquêtes jusqu'à l'isth-
me de Tehuantepec et c'est vraisemblablement à eux que sont
dues les pyramides qui s'élèvent encore aujourd'hui sur plusieurs
points, ainsi que les fortifications du Ccrro de Guiengola (1), dont
j'ai déjà eu l'occasion de parler; ces fortifications avaient été
érigées après la prise de Mitla, par ordre du roi Cociyoeza, elles
permirent auxZapotecs une résistance victorieuse, dont le résultat
fut une paix honorable pour les. vaincus. Une sépulture creusée
sur les flancs même du Cerro a donné plus de deux cents pièces de
poterie, principalement des vases ou des figurines d'animaux.
Tout rintérieur du tombeau était revêtu d'une épaisse couche de
ciment et par une disposition assez rare, les morts avaient été
placés, le visage tourné vers le sol.
Le Cerro de Guiengola n'est éloigné que de quelques lieues, de
Tehuantepec la capitale de la province, où l'on annonce la
découverte récente de la sépulture d'un des anciens rois du
pays (2): ■ -I"«ie..ic
En 1875, en démolissant une maison, les ouvriers trouvèrent
que de tout temps, les hommes.se sont plu à la répétition des mêmes dessins. Vues
des Cordillères, t. II, p. 284,
(1) Arias, Aniiguedades Zapotecas, Museo Mex. — Muller, Reisen in den Vereitiiç'
ten Staaten, Canada und Mexico. Leipzig, 1864.
(2) F. Maler, Nature, li juin 1879.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 369
de nombreux et riches bijoux en or avec plusieurs squelettes hu-
mains, qui tombèrent en poussière au premier contact de l'air.
Ce tombeau était complètement inconnu au moment de la con-
ta
Fig. 140. — Image d'un roi
Zapotèque.
Fig. 147. — Ornement Zapotèque trouvé
à Tehuantepec.
quête ; il n'eût sûrement pas échappé à la rapacité des Espagnols.
Ce dernier fait, l'état des ossements, permettent de présumer la
grande antiquité de la sépulture et ajoutent à la valeur de la
découverte. Malheureusement, les bijoux ont été vendus pour le
De Nadaillac, Amérique. 24
370 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
poids de l'or et presque tous ont été immédiatement fondus. Il
n'est resté que ceux que nous reproduisons (fig. 146 à 149). On a
voulu voir dans l'un d'eux, l'image du roi Zapotèque placé auprès
de son cadavre ; l'oiseau paraît être un pendant pour la lèvre.
Un semblable ornement est attaché à la lèvre rovale. Plusieurs
Fig. 148. — Ornement Zapotèque Fig. 149 — Bijou Zapotèque, ornement
trouvé à Tehuantepec. pour la lèvre.
figurines représentaient des tortues. Elles sont toutes d'une seule
pièce, creuses, sans trace de soudure et telles que les plus habiles
orfèvres de nos jours seraient fort embarrassés pour les imiter.
Avec ces ornements en or, on recueillait aussi quelques objets
en cuivre, des vases en terre cuite de forme gracieuse, une
tasse, dont l'anse est une patte de fétide, d'autres ornées
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 371
de peintures exécutées avec goût ; puis des colliers en pierres
rondes, des bracelets en coquilles marines. A des époques anté-
rieures, on avait trouvé plusieurs petites figurines en terre
cuite qui sont au musée de Mexico. Ces découvertes, comme les
monuments, ou plutôt comme les ruines qui subsistent, témoi-
gnent de l'industrie des Zapotecs.
Il nous faut omettre nombre de ruines, temples ou palais,
mounds, pyramides ou fortifications. L'Amérique, centrale de-
puis le Mississipi jusqu'à l'isthme de Panama, en est littérale-
ment couverte et cela dans les régions les plus différentes, dans
les plaines fertiles où l'homme pouvait largement vivre, comme
dans les montagnes arides, où l'on a peine à concevoir son exis-
tence. J\ous ne saurions décrire, quelque soit leur intérêt, toutes
ces découvertes ; notre seul but est de faire ressortir le luxe, la
richesse, la civilisation de ces peuples, dont le nom est effacé
de la mémoire des hommes.
Dans cet ordre d'idées, il ne reste plus guère qu'un seul fait santa Luda
!•! A Mil 111 • ciiT- Guatemala.
sur lequel il peut être utile d appeler 1 attention. Santa Lucia
Cosumalhupa (1) s'élève au pied du volcan del Fuego. Tout
autour du village, le célèbre voyageur allemand Bastian qui
parcourait le pays en 1876, a constaté l'existence de ruines im-
portantes, mais dont la plupart sont encore cachées au milieu
de forêts impénétrables (2).
Parmi des blocs de pierre cyclopéens, parmi des décombres
1 de toute sorte, on aperçoit des sculptures qui diffèrent essentiel-
lement de celles que nous avons décrites et qui leur sont infini-
ment supérieures.
A la plantation de sucre de don Manuel H errera, M. Bastian •
vit des têtes colossales en pierre (fig. 150) d'un type étrange et
inconnu et plusieurs figures d'animaux, des tapirs et des caïmans.
Ces statues gigantesques étaient groupées trois par trois, à égale
(1) Dans le département d'Escuintla (Guatemala). Cette petite ville, de création ré-
cente, ne se ti-ouve encore marquée sur aucune carte.
(2) Habel, Investigations in Central and SouUi America. Smith Cont., t. XXII. —
Schôbel, Un chap. (te l'Arch. Am. Congrès de Luxembourg, t. II.
372 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
distance les unes des autres, comme si elles eussent indiqué
une colonnade détruite. A la Hacienda de los Taros, gisaient trois
autres figures en relief, d'une exécution hardie (1). Deux de
ces figures portent des boucles d'oreilles, et leur coiffure se rap-
proche du turban asiatique.
Plus loin sont des bas-reliefs sculptés sur des roches porphy-
ritiques très dures (2). Ces bas-reliefs de grande dimension,
représentent des personnages aussi bizarres, comme conception
Fig. 150 — Tète eu pierre, trouvée auprès de Sauta Lucia.
que comme exécution, des scènes mythologiques parfaitement à
part de tout ce que nous connaissons, soit de l'art Maya, soit de
l'art Nahuatl. Plusieurs de ces scènes montrent l'adoration du
soleil et de la lune, ou plutôt des dieux qui présidaient à ces
astres, car déjà ces hommes étaient arrivés à l'anthropomor-
phisme et ils ayaient adopté pour leurs dieux la forme humaine.
Les prêtres et les adorateurs sont nus ; mais les ornements ou les
bijoux dont ils sont surchargés offrent un grand intérêt. Plus loin
(1) La hauteur des figures était de ô pieds 9 pouces, leur largeiu- de 3 pieds
7 pouces.
(2j Des roches semblables ne se trouvent qu'auprès du volcan d'Acatenango ; il a
donc fallu amener les blocs k une grande dislance.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 373
un chef ou un dieu est assis sur son trône ; l'oreille est disten-
due par un anneau de taille et de poids considérables (1). A la
main droite, il tient un instrument, insigne sans doute de son
autorité, et que nous ne saurions mieux comparer qu'à une de
nos rames. Le bas-relief le plus intéressant montre un sacrifice
humain (fig. 151). Le personnage principal est un prêtre, sa
coiffure très singulière est un crabe ; il tient de sa main droite
un silex, vraisemblablement le couteau du sacrificateur, de la
main gauche, la tête de la victime qu'il vient d'immoler. Plus
bas, deux acolytes portent l'un et l'autre des têtes humaines,
un d'eux représente sans doute la mort ; sa figure est celle d'un
squelette, et la forme de sa tête est d'une apparence simienne.
Les tètes coupées paraissent appartenir à des races différentes de
celles du pontife ou de ses assistants.
Les corps sont nus, les proportions gardées; des ornements
sont disposés pour cacher les parties sexuelles ; les pieds sont
chaussés de sandales ; les traits expriment la satisfaction. C'est
la tête de la victime, enfin, que l'on présente aux dieux et non
le cœur, selon une coutume constante des Aztecs.
Les sculptures trouvées à Santa Lucia ne sont point un fait Quirigna.
isolé. Tout le Guatemala, cette vieille terre des Quiches et des
Cakchiquels, est couvert de ruines, où les bas-reliefs, les statues,
les monolithes atteignent jusqu'à 25 pieds de hauteur, les
représentations d'hommes et d'animaux abondent. A Quirigua
notamment, sur le Rio Motagua, à huit lieues environ d'Ysabal,
petit port sur le golfe de Honduras, il a été découvert une tête
colossale, une statue de femme dont les pieds et les mains
manquent, et qui porte sur sa tête une idole couronnée; tout
à côté les fouilles ont donné une tête de tigre en roche porphy-
ritique ; la terreur que ce grand félide inspirait, l'avait sans
doute fait admettre au rang des dieux (2). Un autel où sur l'une
(1) Ce fait est remarquable, car nous retrouverons plus tard cette même coutume
barbare, imposée par les Incas aux habitants du Pérou.
(2) Stephens, Central America, t. II, p. 118. — Scherzer, Ein Besuch beiden Ruinen
von Quirigua im staate Guatemala. Wien, 1865.
374
L'AMER IQ CE PRÉHISTORIQUE.
Fig. 151. — Sacrifice humaiu.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 375
des parois on avait sculpté une tortue, une idole enfin qui ne
mesure pas moins de 23 pieds de hauteur, méritent aussi d'être
mentionnés. Toutes ces figures sont menaçantes ou repoussantes ;
les corps humains sont surmontés de têtes simiennes. Les Améri-
cains ne recherchaient pas le beau ou plutôt ils ne le compre-
naient, comme les immortels créateurs de l'art en Grèce; leurs
conceptions ne pouvaient s'élever à une semblable hauteur.
Ce qui surprend à juste titre, c'est le travail considérable
exigé pour ces sculptures, avec les moyens mécaniques qui
paraissent avoir été les seuls connus. Il fallait tout d'abord
détacher des blocs de pierre dure, avec de misérables outils en
quartzite ou en obsidienne, scier le granit ou le porphyre en
plaques, avec du fil d'agave et de l'émeri (1). Un dessin grossier
du contour indiquait la partie de l'épaisseur à enlever, on exé-
cutait ce travail, soit par le sciage d'une certaine portion que
l'on éclatait ensuite habilement, soit par le marlellement obtenu
au moyen d'une pointe de silex; enfin à l'aide de pierres plates
ou de polissoirs et d'eau mêlée d'émeri, on frottait la surface des
plans de manière à enlever toute trace du travail. Ces procédés
étaient longs et exigeaient nécessairement chez l'ouvrier une
véritable patience pour obtenir les résultats qu'il désirait. C'est
là un indice certain de l'enfance d'une société, où l'homme n'a
pas encore appris à connaître la valeur du temps.
Nous avons dit les gravures sur roche, les hiéroglyphes que Pictographie.
^ _ ^ ' n jr .^ Hiéro-
l'on rencontre dans les régions, occupées par les Cliff-Dwellers giyphes.
et les habitants des pueblos; nous retrouvons les mêmes gravu-
res, les mêmes hiéroglyphes dans toute l'Amérique centrale ; le
désir de perpétuer par la reproduction, les objets qui frappent
ses yeux, est un des traits les plus caractéristiques de l'homme
dans tous les temps et sous tous les climats. On voit dans le Hon-
duras, un rocher couvert, sur une superficie considérable, de
figures d'hommes, d'animaux, de plantes, gravées en creux à une
(1) Soldi, Les camées et les pierre^' gravées, l'art au moyen âge, l'art Khmer, les
arts du Pérou et du Merique, l'art égyptien, les arti industrie/s, les musées du Tro-
cadéro. Paris, 1880.
376 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
profondeur de plus de deux pouces, et M. Pinarl décrit dans
l'État de Panama, des falaises entières chargées de hiéroglyphes
sur lesquels il y aurait à faire, nous dit-il, des études pleines
d'intérêt (1).
Au Mexique, ce sont des peintures, véritables annales du peu-
ple, et qui retracent ces premières migrations (2). Le musée de
Mexico possède une série de peintures qui montrent l'éducation
des enfants, la nourriture qu'on leur donnait, les travaux
auxquels ils étaient astreints, les punitions qui leur étaient
infligées (3).
Ces peintures offrent les traits nets et les couleurs brillantes,
que recherchaient surtout les Aztecs ; ils ne tendaient point,
nous l'avons déjà vu pour leurs sculptures, <à une imitation
exacte de la nature, encore moins à un beau idéal, qu'ils
étaient incapables de comprendre. « On distingue, dit Hum-
boldt (4), des têtes d'une grandeur énorme, un corps excessive-
ment court, et des pieds, qui par la longueur des doigts ressem-
blent à des griffes d'oiseau Tout ceci indique l'enfance de
l'art ; mais il ne faut pas oublier que des peuples qui expriment
leurs idées par des peintures, attachent aussi peu d'importance
à peindre correctement, que des savants d'Europe à employer
une belle écriture dans leurs manuscrits. »
Sans admettre la comparaison de M. de Humboldt, il est cer-
tain qu'il ne faut point chercher chez les Aztecs des modèles de
peinture décorative, tels que ceux récemment découverts au
Palatin ; l'ignorance de leurs artistes montre bien que l'art était
un produit spontané de leur génie, et qu'ils n'ont subi aucune
influence étrangère au sol de l'Amérique. La tradition veut
qu'ils aient puisé leurs procédés chez les Toltecs, les initiateurs
de tout progrès sur le Nouveau Continent. Après leur victoire
définitive, les rois de Mexico firent détruire, rapporte-t-on, les
(1) Lettre du 26 mars 1882.
(2) Bancroft (t. II, p. 544, 545, 547) reproduit ces peintures d'après Gemelli, Garer
ei Lord Kingsborough. Elles sont fort curieuses.
(8) Bancroft (t. II, p. 589} donne ces figures d'après le Codex Mendoza.
^4) Vues des Cordillères, t. I, p. 198.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 377
peintures qui rappelaient la grandeur de ceux qu'ils avaient
vaincus. Par une rétribution juste, mais malheureuse pour la
science, les Espagnols vinrent à leur tour détruire les annales
des Aztecs et quelques copies bien incumplètes, quelques frag-
ments échappés à cette destruction barbare, sont les seules
sources originales où il soit aujourd'hui possible de puiser.
' Il est facile de se rendre compte de la conception première
des hiéroglyphes. Les gravures sur roches fixent tout d'abord
l'objet animé ou inanimé qui frappait les yeux de l'artiste. C'est
là, dans tous les temps, la forme primitive de l'art. Puis on
voulut reproduire non seulement des hommes ou des objets, mais
aussi certaines scènes telles qu'une migration, une bataille, un
incendie, dont on désirait perpétuer le souvenir. Plus tard, pour
abréger, on se contenta d'exprimer des noms ou des choses par
des signes conventionnels. Une flèche, par exemple, signifiait un
ennemi, plusieurs flèches, plusieurs ennemis ; la direction de la
pointe, la direction que ces ennemis avaient suivie. Souvent, aussi
les noms eux-mêmes avaient une signification qui permettait de
les rendre par une image ; ainsi Chapultepec, la colline de la sau-
terelle ; Tzompanco^ la place des crânes ; Chimalpopoca, le bou-
clier plein de fumée ; Acamapitzin, la main remplie de roseaux ;
Macuilxochitl^ les cinq fleurs ; Quauhtenchan, la demeure del'aigle.
D'autrefois les noms se traduisaient par de véritables rébus ;
pour n'en citer qu'un seul, Itzcoalt, roi de Mexico, était figuré pai
un serpent coa^/ percé de plusieurs traits d'obsidienne iizli. Delà
on arriva rapidement à donner aux objets, non leur figure vraie,
mais la représentation du nom qu'ils portaient dans la langue
parlée ; puis par un enchaînement fort simple, à remplacer les
signes par des lettres et à compléter un alphabet.
Les hiéroglyphes, véritables signes conventionnels, marquent
donc une période de l'évolution humaine. On les trouve sur les
monuments du Chiapas, comme sur les monuments du Yucatan ;
sur les murs de Palenque ou de Copan, comme sur ceux de Chi-
chen-ltza ou de Quirigua (fig. H3, 124, 126, 127, 128, 130) ;
ils étaient sculptés ou gravés sur le granit et sur le porphyre
738 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
avec des outils en silex, en quartzite, en obsidienne (1), Le fer,
répétons-le, faisait absolument défaut; nulle part, on ne le voit
mentionné; nulle part, on ne trouve la rouille caractéristique,
indice incontestable, de sa présence.
Il n'a pas été possible de découvrir jusqu'à présent une clef
qui permette de déchiffrer les hiéroglyphes. Las Casas nous ap-
prend qu'il y avait encore de son temps, des hommes initiés à
la lecture et à la reproduction de ces signes (2) et qui étaient
chargés d'annoter les événements, en fixant le jour, le mois et
l'année où ils s'étaient accomplis ; et, ajoute-t-il, ces hommes
comprenaient si bien ce qu'ils avaient écrit et ce que les anciens
avaient écrit avant eux, que nos lettres leur eussent été bien
inutiles. Plus anciennement, ces hiéroglyphes étaient exécutés
par les prêtres du dieu Centeotl, qui devaient être des vieillards,
veufs, voués à la continence et à la vie contemplative. C'était
donc une écriture hiératique connue des seuls initiés, qui se
trouve reproduite dans les manuscrits Mayas, dont nous avons
parlé et notamment dans le Codex Peresianus et dans celui de
Dresde (3). L'évêque Diego de Landa parle d'un système graphi-
que (4). Il a même conservé un alphabet de trente-trois signes,
dont un est destiné à marquer l'aspiration; mais malheureuse-
ment cet alphabet ne nous est parvenu que sous une forme
très défectueuse ; et malgré d'estimables travaux (5), il a été
(1) Gomara, Conq. Mex., p. 318. — Clavigero, Stor. Ant. del Messico, t. II, p. 205.
(2) Hist. Apologetica de las Yndias Occidentales.
(3) Bancroft (t. II, p. 771) entre dans de grands détails sur ces divers manuscrits ;
il reproduit des fragments de deux d'entre eux ; il est facile, par la comparaison, de
s'assurer de leur similitude avec les hiéroglyphes dont nous parlons.
(4) Relacion de las cosas de Yucatan publié en 1864 par Brasseur de Bourbourg avec
une traduction française. Le but de l'évêque, il est juste de le dire, était de préparer
pour les indigènes des livres religieux avec les signes qui leur étaient familiers. Il
ne s'occupait ni d'art, ni d'histoire, ni d'archéologie. Quelques doutes bien fondés,
faut-il ajouter, existent sur la valeur de son alphabet.
(5) Nous citerons L. de Rosny, Essai de déchiffrement de l'écriture hiératique de
l'Amérique centrale. Paris, 1875. — De Charencey, Recherches sur le codex Troano.
Paris, 1876. — Essai de déchiffrement r/'une inscription palenquéenne; actes de la Soc.
de Philologie, t. I, mars 1878. Malheureusement au moment où ce dernier travail a
paru, on n'avait que des reproductions très imparfaites des hiéroglyphes de Palenque.
M. Charnay vient d'envoyer à Paris leurs moulages en plâtre. Chacun pourra désor-
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 379
impossible de déchiffrer avec son secours, soit les manuscrits,
soit les hiéroglyphes plus anciens selon toute apparence que les
manuscrits.
Cependant les lettres données par Landa, se rapprochent sensi-
blement de celles des manuscrits (1); elles pourraient donc être
un trait d'union entre les hiéroglyphes et l'écriture graphique.
Les mots disposés dans le même ordre que les nôtres, paraissent,
selon les conclusions les plus probables, être construits sur le
système polysynthétique et présenter ce caractère si particulier
aux langues du Nouveau Monde (2). Ils étaient écrits sur un
véritable papier, fabriqué soit avec la racine de certains arbres,
tels que des agaves, soit sur des peaux préparées, soit encore sur
de la toile de colon. Plusieurs feuilles étaient enfermées entre
des planches en bois richement ornées. On les appelait analtees^
et ce mot ne saurait être mieux rendu que par celui à' annales (3).
En résumé, les manuscrits mexicains qui ont survécu à tant de
causes de destruction renferment trois sortes de peintures très
distinctes : la peinture figurative où l'artiste reproduit l'image plus
ou moins exacte des objets qui sont devant ses yeux ; la peinture
mais les consulter au musée du Trocadéro. On peut aussi voir les essais de M. Bol-
laërt, insérés dans les Mém. de la Soc. anth. de Londres, t. II, p. 298. — Nous ne
parlons pas des travaux de l'abbé Brasseur de Bourbourg, l'imagination l'emporte trop
souvent sur une science incontestable.
(1) Ch. Rau, p. 57. Smith Cont., t. XXII.
(2) Voy. chap. i, p. 6.
(3) Pierre Martyr, déc. IV, lib. VIII. — Juan de Villagutien*e y Sotomayor, Hist.
de la Conquistnde la Provincia de el Itza. Madrid, 1701. — Le manuscrit Troano est
écrit sur un papier ayant 14 pieds de longueur sur 9 pouces environ de largeur. Les
caractères couvrent le recto et le verso; ils sont rouges, bruns et quelquefois bleus,
selon le texte auquel ils se rapportent. Le papier se ploie, comme un de nos éventails,
et chaque feuille représente ainsi trente- cinq pages. Les principaux manuscrits par-
venus jusqu'à nous et qu'il ne faut pas confondre avec ceux que nous avons déjà men-
tionnés, sont : le codex Mendoza envoyé à Charles-Quint par le vice-roi Mendoza,
actuellement à la bibliothèque Bodléenne à Oxford et dont une copie est à l'Escurial ;
le codex Telleriano-Remensis dans la Bibliothèque Nationale ; le codex Vaticanus
copié à Mexico en 1566 ; le codex Borgia dans le collège de la Propagande à Rome ; le
codex Bologna, que l'on prétend un traité d'astrologie ; enfin un codex, dont on ignore
l'origine, mais que l'on sait avoir été donné en 1677, par un duc de Saxe Eisenach à
l'empereur Léopold. Lord Kingsborough reproduit aussi des fragments de plusieurs
autres manuscrits, c'est à son magnifique ouvrage que doivent avoir recours ceux qui
désirent faire une étude spéciale de la question.
et Poterie.
380 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
symbolique où l'objet est représenté par une image convention-
nelle ; la peinture phonétique enfin, où ce n'est plus l'objet, mais
le nom qu'il porte, que le peintre cherche à rendre. Ces trois
modes existaient encore au Mexique à l'arrivée des Espagnols,
car nous savons que lorsque Juan de Grijalva parut sur la côte de
Vera-Cruz, les chefs de Cuetlachtlan s'empressèrent d'envoyer
à Montézuma des peintures très exactes des vaisseaux, des armes,
des vêtements de ces étrangers, qui excitaient déjà chez les
Mexicains de si justes alarmes (1).
Ornements L© luxc privé dcs habitauts de ces villes somptueuses était à
la hauteur des monuments publics. Les sièges sur lesquels ils
s'asseyaient à la mode des Orientaux, étaient en bois, imi-
tant souvent les formes d'un animal, celles d'un tigre ou d'un
aigle par exemple. Ils les recouvraient de peaux de bêtes fauves
tannées et ornées de broderies d'or et d'argent, lisse servaient de
ces mêmes peaux pour décorer les murs des salles principales ;
ou bien ils les peignaient en couleurs voyantes; le rouge et
le bleu étaient celles le plus généralement employées (2). On vo-
yait chez eux, des vases en agate ou en pierres précieuses, des
ornements, des statuettes en or ou en argent faites d'un seul jet,
des plats à huit faces chacune d'un métal différent, des poissons
dont les écailles étaient mêlées d'or et d'argent, des perroquets
qui remuaient la tête et les ailes ; ils connaissaient l'art d'émail-
1er et ils savaient donner au cuivre une trempe assez dure pour
pouvoir en faire des haches et des couteaux fort tranchants (3).
Cortès mandait à Charles-Quint sa surprise, du nombre de
bijoux en or, en argent, en plomb, en cuivre, en étain (4) publi-
quement exposés en vente (5). Sur quelques points, de petits
(1) Torquemada, Mon. Ind., p. 378. — Acosta, Hist. de las Ynd., p. 515. — Veytia,
Hist. ant. de Mejico, t. III, p. 377. — Herrera, Hist. Gen., déc. II, lib. HI, c. ix.
(2) Ordonez, Pnlenque, cité par Brasseur de Bourbourg, Hist. des Nat. civilisées,
t. II, p. 69.
(3) On prétend également que les Péruviens avaient ce secret, mais aucune des armes
ni des outils découverts ne justifie cette assertion.
(4) L'étain, tachco, se trouvait surtout auprès de la ville de Tazco qui lui a emprunté
son nom.
(5) Cai^tn secunda de Relacion, 30 oct. 1520.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 381
morceaux d'étain servaient de monnaie ; sur d'autres c'étaient
des morceaux de cuivre dont la forme répondait assez bien à
celle du tau (-) ou bien encore des tuyaux de plumes remplis de
poudre d'or (1). Souvent les objets en cuivre renfermaient une
certaine quantité d'argent ; mais, comme l'argent se rencontre
dans le cuivre natif, on ne saurait en conclure que les Mexicains
connussent l'alliage des métaux (2), Les étoffes étaient non moins
riches ; la déesse Ixalzavoh, rapportait-on, avait elle-même
enseigné aux Yucatèques l'art de filer et de tisser le coton ; et
les bois de teinture si nombreux et si variés dans ces régions,
fournissaient amplement le moyen de colorer les étoffes,
La poterie était remarquable comme travail et comme déco-
Fig. 152. — Vase en terre cuite trouvé à Ticul.
ration. Herrera parle d'une province du Guatemala, où les
femmes étaient spécialement chargées de sa fabrication et
Palacio ajoute que cette fabrication était la principale industrie
(1) Le plus souvent on procédait par voie d'échange et les paiements se faisaient au
moyen de balles de coton ou de cacao. W. Bollaërt, Numismatics oftheNew World.
i2) Torquemada etClavigero, cités par Valentini, — S.Salisbury,rAe Mexican Copper-
TooU translated from the German. Worcester Mass, 1880.
382 L'AMÉRIQUE PREHISTORIQUE.
d'Aguachipa, une des \illes des Pipiles (1). Nous reproduisons un
Yase découvert à Ticul, auprès d'Uxmal (fig. 152) ; la figure
humaine qui forme le centre de la décoration, est remarquable par
le front fuyant, si caractéristique des Palenquéens. Nous donnons
Fig. 153. — Figurine en terre cuite
trouvée à Ococingo.
Fig. 154. — Flûte en terre
cuite.
aussi une figurine en terre cuite (fig. 153) trouvée dans le Chia-
pas auprès d'Ococingo ; idole ou grotesque, elle répond à un
certain mouvement artistique.
Les Nahuas ne le cédaient en rien aux Mayas. Ils façonnaient
non seulement des vases aux formes les plus variées pour leurs
>1) Tribus de race Maya, qui habitaient le territoire actuel de la république de San
Salvador.
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 383
usages domestiques (1), mais aussi les images des dieux qu'ils
adoraient, des statuettes d'animaux ou de serpents, des encen-
soirs où l'on brûlait du copal aux jours des fêtes religieuses; des
boules, des grains pour l'ornement de leurs personnes ; des
trompettes ou des flûtes, avec lesquelles ils imitaient le cri des
divers animaux.
Ces instruments de musique en terre cuite étaient très recher-
chés; ils ont de quatre à cinq pouces de longueur et sont percés
de plusieurs trous qui émettent de deux à six notes différentes.
Chez presque tous, l'embouchure est modelée de manière à
présenter un objet animé, une fleur, un animal, un homme par
exemple (fîg. 154). Ces figures humaines, comme celles des
Fig. 155. — Idole provenant
de Zachila.
Fig. 156. — Va^e du Musée National
de Mexico (d'après Waldeck).
idoles (fig. 155), sont toujours grotesques et hideuses (2) ; elles
montrent une fois de plus, que ces peuples n'avaient aucune idée
du beau ou, pour mieux dire, du beau tel que nous le concevons
(1) Les différents musées de l'Europe, la collection Christy à Londres, la collection
Undeà Heidelberg, d'autres encore renferment de nombreux spécimens de l'art des
potiers américains. Avant tout il convient de citer le Musée National de Mexico. l'Ins-
titut Philosophique et le Musée de Washington. Le catalogue du premier de ces éta-
blissements a été publié dans le t. III des Phifosophical Transactions et celui du se-
cond par M. Ch. Rau {Smith Cont., t. XXII).
(2) Report Peabody Muséum, 1871.
384 L'AMPRIQUE PRÉHISTORIQUE.
d'après les modèles qui ont formé notre goût esthétique. Dès
que les Mexicains s'écartent des formes humaines la décoration
de leurs yases est peut-être trop chargée, mais elle ne répu-
gne] point aux régies de Tart (fig. 156, 157, 158). Nous men-
tionnerons particulièrement un vase mesurant vingt-deux pouces
*•'( aSA
Fig. 157. — Vase provenant du Musée National de Mexico.
de hauteur sur plus de quinze pouces de diamètre trouvé dans
une fouille, sous une des places publiques de Mexico, non seule-
ment à raison de l'élégance de ses formes et de sa décoration,
mais aussi parce qu'il était rempli de crânes humains curieuse-
ment empilés les uns sur les autres.
Certaines poteries mexicaines remontent probablement à une
grande antiquité ; elles pourraient même être antérieures à
l'arrivée des Toltecs dans l'Anahuac. Ainsi on a découvert ré-
cemment dans une grotte de la province de Durango, des
LES RUINES DE L'AMÉRIQUE CENTRALE. 385
milliers de momies desséchées, appartenant à une race très dis-
tincte des Indiens actuels et avec ces momies, des haches, des
pointes de flèche en silex, des vases remarquables comme forme
et dont la décoration offre quelque analogie avec celle des vases
Égyptiens (1).
Les Aztecs étaient non moins habiles à travailler l'obsidienne
Fig. 158. — Vase mexicain provenant du Musée national de Mexico.
qu'à pétrir l'argile. Ils en fabriquaient, malgré les difficultés que
présentaient la taille et le polissage, des couteaux, des rasoirs,
des têtes de lances ou de flèches, des miroirs, quelquefois aussi
des masques humains, que l'on plaçait sur le visage des morts au
moment des obsèques. Ce dernier usage était général, au moins
pour les chefs, car on a découvert sur plusieurs points des mas-
ques semblables non seulement en obsidienne, mais aussi en
marbre ou en serpentine (2). Le musée national de Mexico enfin,
renferme de nombreux et intéressants ornements en agate, en
corail, en coquilles. La collection Christy à Londres n'est pas
moins riche ; nous reproduisons un couteau en calcédoine (fig. 1 59)
(1) Proc. Ant. Soc. of Washington, 1879, p. 80.
(2) Matli. de Fossey, le Mexique. Paris, 1857, p. 213.
De Nadaillac, Amérique. 25
386 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
qui fait partie de cette dernière collection. Le manche est une
mosaïque formée de turquoises, de malachite et de coquilles rares,
blanches ou rouges. On est surpris de voir un peuple encore à
l'âge de pierre, exécuter avec les misérables outils que nous
connaissons, un travail aussi délicat.
En résumé tout montre chez les anciennes races de rAméri-
que centrale, une civilisation matérielle avancée, une culture
intellectuelle, des notions exactes de certains arts et de certaines
Fig. 159. — Couteau à lame do calcédoine, provenant de la collection Christy.
sciences, des connaissances techniques remarquables. « Les Es-
pagnols en quelques années, dit un écrivain contemporain (1),
parvinrent à détruire une civilisation assurément supérieure à
celle qu'ils cherchaient à lui substituer. » Nous ne nous étonnons
guère de ce jugement sévère et telle serait notre propre impres-
sion, si l'introduction du Christianisme et la suppression des
sacrifices humains, dont nous avons raconté les sombres horreurs,
ne devaient entrer en ligne de compte, avant de prononcer un
jugement définitif sur les peuples du nouveau monde et sur leurs
cruels et fanatiques vainqueurs.
(1) L. Morgan, Nurth American Review. Boston, 1869.
CHAPITRE VIII
LE PEROU.
La chaîne des Andes traverse toute l'Amérique du Sud ; vers
la frontière de la Bolivie et du Chili, elle se divise en deux
branches parallèles au Pacifique (1), qui renferment entre elles
à 1,000 m. d'altitude, le Desaguadero, immense plateau, dont la
superficie égale celle de la France. A une des extrémités de
ce plateau, est Potosi, la ville la plus élevée du globe (2) ; au
JNord, Cuzco, l'ancienne capitale des Incas ; entre les deux, le
lac Titicaca, la grande nappe d'eau douce de l'Amérique du Sud.
Tout le pays est morne et désolé ; aucune végétation arbores-
cente ne vient rompre la tristesse du paysage ; les grains n'y
peuvent mûrir, les animaux y sont rares. Entre la Cordillera
de la Costa et l'Océan, des rochers arides, des sables impropres
à toute végétation ressemblent aux grands déserts de l'Afrique (3),
et quelques vallées, formées par les affluents de l'Amazone, per-
dues dans ces immenses solitudes, possèdent seules les richesses
de la nature tropicale.
Sur aucun point du globe, peut-être, l'homme n'a déployé
plus d'énergie. C'est dans ces régions déshéritées, que s'est
(1) La branche principale continue à porter le nom de Cordillère des Andes, la
plus rapprochée du Pacifique s'appelle la Cordillera de la Costa,
(2) Son altitude est de 40G1 mètres. La limite des neiges perpétuelles dans les An-
des est à 4800 mètres.
(3) « Sahara is a thing of beauty and Arizona a joy for ever, compared with the coast
of Peru. » Squier, Peru, p. 25.
388 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
élevé l'empire le plus puissant et le plus avancé en civilisation
des deux Amériques et aujourd'hui encore tout rappelle son
souvenir, les ruines imposantes qui couvrent le pays, les forte-
resses qui le défendent, les routes qui le sillonnent, les acequias
qui conduisent l'eau destinée à fertiliser les campagnes, les tam-
bos ou maisons de refuge dans les montagnes à l'usage des
voyageurs (1), les poteries, les étoffes de laine et de coton, les
ornements en or et en argent, que les sépultures recèlent et
que les Tapadas recherchent avec une insatiable ardeur (2).
Les incas. L'cmpirc des Incas, c'est de lui que nous voulons parler,
s'étendait sur une longueur de 3,000 miles et une largeur dé
400, du 4° au 34° de latitude (3). Il comprenait dans ses limites
le Pérou (4), la Bolivie, l'Equateur, une partie du Chili et de la
république Argentine. Sa superficie atteignait un million de
miles carrés et au moment, où, sous l'Inca Huayna-Capac, il
(1) Le uom Qquichua était tampu, c'est par corruption que les Espagnols ont adopte
le nom de tambo.
(2) Montesinos, Memorias antiguas historiales del Peru. M. Ternaux Compans en a
publié en 1840, une traduction française; des faits vrais se mêlent à beaucoup de
fables. — Garcilaso de la Vega, Los Comentarios reaies que tratan del origen de
los Yncas, Reyes que fueron del Peru... Lisboa, 2 v. f", 1609-1616. Hist. des Incas Rois
du Pérou, trad. franc. Paris, 1744. C'est le récit le plus complet que nous ayions de
l'histoire des Incas, mais Garcilaso retiré en Espagne, écrivait quarante ans après les
événements dont il fut le témoin et avec une évidente partialité pour les Incas, dont
il était le descendant par les femmes. — Très relacmies de Antiguedades Pei^uanas
publicalas el Ministerio de Fomento. Madrid, 1879. Ce volume renferme Relacion par
el Licenciado Fernando de Santillon; Rel. Anonima; Rel. por D. Joan de Sanla-
Cruz Pachacuti. — Humboldt, Vues des Cordillères et Mon. des peuples indigènes de
l'Amérique. Paris, 1810. — D'Orbigny, YHomme américain. Paris, 1834-1847 (Extrait
du Voy. dans CAm. Méridionale, 9 v. 4°). — E. de Rivero et Tsclmdi, Antiguedades
Peruanas. Vienne, 1851. — Idem, Die Kechua Sprache. Wien, 1853. — W. H. Prescott,
Hist. of the Conquest of Peru, 7* éd. London, 1854. — Hutchinson, Two Years sin
Peru. — E. Desjardins, le Pérou avant la conquête Espagnole. Paris, 1858. — W.
Bollaert, Antiquarian, Ethnological and other Researches in New Granada, Equador,
Peru and Chili. London, 1860. — Mateo Paz Soldan, Geog. del Peru. Paris, 1862. —
V. F. Lopez, Les races Aryennes du Pérou. Paris et Montevideo, 1871. — Squier, Peni,
Incidents of Travel and Exploitation in the Land of the Incas, 2* éd. London, 1878.
Ch. Wiener, Pérou et Bolivie. Paris, Hachette, 1880.
(3) De la rivière Andasmayo au nord de Quito, jusqu'à la rivière Maule (Chili). Bol-
laert, /. c, p. 133.
(4) Le nom de Pérou a été créé par les Espagnols. Les habitants lui donnaient celui
de Tavaniiswju, littéralement les quatre parties du monde.
LE PÉROU. 389
avait atteint le point culminant de sa grandeur, sa population
pouvait être de dix à onze millions d'âmes (1).
L'origine des Incas est inconnue et ce n'est guère que 400 ans
avant la conquête espagnole que l'on aborde l'histoire sérieuse
du pays. La tradition rapporte que Manco-Capac et la belle Ma-
ma-Oello, sa sœur et sa femme, firent connaître les premiers
éléments de la civilisation à des tribus jusqu'alors sauvages et
barbares (2). A leur voix, ces hommes brisèrent leurs idoles,
pour adorer un pur esprit, illimité dans le temps et dans l'espace,
créateur et conservateur du monde, dont le soleil et la lune
étaient la forme visible. Montesinos donne l'histoire de cent un
souverains, qui portèrent après Manco-Capac le bandeau royal
{llautu) et fait remonter leur origine au v" siècle avant le déluge.
Un peu de vérité se mêle dans ce récit à beaucoup de fable.
11 est certain qu'avant Manco-Capac, les habitants du pays
n'étaient nullement plongés dans la barbarie. La civilisation
Qquichua avait un passé dont l'organisation théocratique et so-
ciale fondée par le premier Inca n'était que le reflet. De
nombreux édifices sont sûrement antérieurs aux Incas, à ceux du
moins dont l'histoire a conservé le souvenir. On les reconnaît
à leur caractère plus massif, à leur construction plus hardie et
plus artistique, à des traits généraux, qui offrent une certaine
ressemblance avec les monuments de l'Asie (3). Quant au récit
de Montesinos, il faut sans doute l'appliquer à l'histoire partielle
des diverses peuplades ou tribus, dont la réunion forma plus
tard l'empire Incasique. Ces peuplades avaient évidemment des
liens communs. Les monuments que l'on peut leur attribuer,
montrent une curieuse analogie ; les tumuli funéraires , les
forteresses, les temples affectent le même style, depuis Arica
jusqu'à San José ; partout les ornements, la poterie, le mode de
sépulture, sont identiques, tout indique la même origine.
(1) Un recensement prescrit par Philippe II n'indiquait déjà plus que 8,280,000 âmes^
la population de ces pays n'atteint guère aujourd'hui que la moitié de ce chiffre. ■
(2)Rel.deDonJ.deSanta-CtnizPachacuti.
(3) Angrand, Lettre sur les Antiquités de Tiaguanaco Paris, 1866. — Allen, La très
ancienne Amérique. Nancy, 1874. ......
390 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Au moment de la conquête espagnole, ces races aborigènes
étaient représentées par les Aymaras qui habitaient le plateau
des Andes et les Qquichuas établis autour de Cuzco (1). D'Orbi-
gny prétend que les différences entre eux étaient plus appa-
rentes que réelles. La structure grammaticale des langues
offre de sérieuses analogies ; un grand nombre de mots sont
semblables et les diversités que nous voyons sont celles qui
se rencontrent habituellement dans les dialectes sortis de la
même souche (2), A côté de ces rapports indéniables, il est
des dissemblances tellement tranchées qu'on ne peut les attri-
buer uniquement à d'autres conditions biologiques et il faut
conclure que si une parenté existe entre ces races, leur com-
mune origine doit être reportée à des époques très reculées.
En résumé, dans l'état actuel de nos connaissances, il est
difficile de préciser le lien entre les Aymaras et les Qquichuas
et on ne peut mieux le comparer qu'à celui que nous avons
montré entre les Mayas et les Quiches, ou bien encore entre les
Toltecs et les Aztecs. En admettant cette hypothèse, il en est une
autre, plus plausible encore, que M. de liumboldt a énoncée le
premier et que M. Angrand soutient avec de solides raisons. Les
Qquichuas seraient venus du Nord, plusieurs siècles proba-
blement après les Aymaras et c'est parmi les races prolifiques
de l'Amérique centrale, qu'il faut chercher leurs ascendants (3).
Si nous sortons des conjectures plus ou moins fondées, l'his-
toire montre Manco-Capac régnant de 1021 à 1062 (4). Qua-
torze Incas lui succédèrent ; plusieurs furent des hommes
remarquables ; sous leur gouvernement, l'empire se consolida et
(1) Markham, The Tribes of the Empire of the Incas, Royal Géog. Soc, 1871. —
D'Orbigny, ÏHomme ainéricain, t. II, p. 306. — Forbes, The Aymara Indians ; Journ.
of the Eth7i. Soc. London, 1870. — Ch. Wiener, Pérou et Bolivie. Paris, 1880.
(2) Don V. F. Lopez a prétendu que le Qquichua était une langue Aryenne ; mais
pourquoi dans ce cas serait-il resté agglutinant avec des mots comme Mananccallaby-
cucullaliuancupasraocchu, ils tiunt pas eu la bonté ou la charité de s'occuper de moi.
Voy. aussi Tschudi, Die Kechua Sprache et Cong. des Américanistes. Luxembourg,
1877, t. II, p. 75.
(3) Angrand, l. c, p. 37 et s. ■ .
(i) Selon d'autres récits, il ne régna que 36 ans et mourut en 10S4.
LE PÉROU. 391
s'agrandit (1). Le dernier fut Atahualpa, dont le court règne
fut marqué par une lutte ardente contre son frère Huascar et
par les cruels supplices qui la terminèrent.
Un ennemi plus dangereux allait paraître; Pizarre débarqua
dans la baie de San Mateo en 1534 (2); il avait avec lui trois
vaisseaux, 174 hommes et 27 chevaux. 11 reçut un peu plus
tard, un renfort de 130 hommes. Ce fut devant ces faibles for-
ces que l'empire des Incas devait succomber. Atahualpa fut
battu et fait prisonnier à Caxalmalca. Peu de temps après,
impliqué dans une conspiration, probablement imaginaire, il
fut condamné à périr par le feu. En vain, il offrit, pour sauver
sa vie, de remplir jusqu'à la hauteur qu'un Espagnol debout
pourrait atteindre avec sa main, une des salles de son palais,
d'ornements, de vases, de bijoux en or ou en argent. Les Con-
quistadcTres acceptèrent ses richesses (3) ; mais la seule grâce
que put obtenir le malheureux Inca, et encore à la condi-
tion de recevoir le baptême, fut d'être garrotté au lieu d'être
brûlé (4).
Nous ne voulons raconter ici, ni l'histoire des Incas (5), ni
celle de la domination espagnole ; c'est par la description des
ruines, par celle des produits des arts et de l'industrie, par
l'étude des mœurs, des lois, des conceptions religieuses, que
(1) Garcilaso de la Vega, trad. franc., t. I. — « No ha habido en la tierra monarcas
mas despoticos que los Incas. Eran adorados como seres sobrinaturales. » Paz-Sol-
dan. Geog. del Paru.
(2) Une première exploration des côtes du Pérou par Pizarre avait eu lieu dès 1524,
sous le règne de Huayna-Capac. F. Xérès. Rel. de la coiiq. du Pérou; trad. Ternaux-
Compans.
(3) Cette salle, au dire de Xérez le secrétaire de Pizarre, avait 22 pieds de longueur
sur 17 de largeur.
(4) Le notaire Sanchez nous a conservé l'acte, en date du 17 juin 1533, qui consa-
crait le partage de la rançon de l'Inca. Pizarre reçut pour sa part 2,350 marcs d'argent
et 57,220 pièces d'or; son frère Hernandez, 1,267 marcs d'argent et 31,080 pièces d'or.
L'église préleva comme dime, 90 marcs d'argent et 2,220 pièces d'or. Hakluyt Society
Publications.
(5) Itinerariesof Francisco and Hernandez Pizarre published for the Hakluyt Society
by. C. R. Markham. London, 1872.
On peixt consulter l'excellent travail de M. Desjardins, Le Pérou avant la con-
quête Espagnole.
392 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
nous prétendons faire connaître ce peuple singulier qui, malgré
les difficultés d'une nature ingrate, était arrivé à jouer le pre-
mier rôle parmi les nations de l'Amérique du Sud. Nous dirons
ce qu'étaient Pachacamac, Chimu, Tiaguanaco, Titicaca, Cuzco,
les villes, les monuments de tout genre, dont les ruines attes-
tent l'importance. Malheureusement l'homme active chaque
jour leur destruction ; grisés par les innombrables légendes sur
les richesses cachées des Incas, les chercheurs de trésor, les
tapadas, fouillent partout avec ardeur, les murailles s'écroulent
sous la pioche ; les sculptures se brisent ; les souterrains s'effon-
drent; tous les souvenirs d'un grand passé disparaissent; les
hommes renversent en un instant ce que les siècles avaient
respecté.
Pachacamac. Pachacamac (1) est située sur le Pacifique à 20 miles de
Lima. Quelques misérables cabanes en jonc ont remplacé la
ville sacrée des anciens Péruviens ; quelques ruines qu'il est
difficile même de décrire, les monuments déjà vieux, lors de
l'arrivée du premier Inca. Un silence de mort, à peine inter-
rompu par le vol de quelques condors (2), règne dans les lieux
ou les pèlerinages attiraient un immense concours de fidèles et
un cimetière (fig. 160, 161) d'une étendue considérable, reste
comme le seul témoin d'une grandeur disparue.
« La ville est une grande chose, écrivait Estete, un des com-
pagnons de Hernandez Pizarre, qui fut envoyé par son frère
pour soumettre Pachacamac ; près du temple s'élève une mai-
son entourée de cinq rangées de murailles ; on l'appelle la mai-
son du Soleil. Il existe aussi dans la ville beaucoup d'autres
grandes maisons, avec des terrasses semblables à celles que
l'on voit en Espagne. Ce doit être une très vieille ville, à en
juger par les nombreux édifices en ruines, que l'on >/ voit; elle,
est entourée d'une muraille, tombée en ruines sur bien des
points ; de grandes portes y donnent accès. »
(1) De pacha la terre, et camac, participe de camani créer. M. Desjardins (note 1^
p. 23) donne une autre étymologie.
(2j Le condor établit son nid à des altitudes de 5,000 mètres.
LE pp:rou.
393
El Castillo auquel se rapporte sans doute la description
d'Estele, s'élevait sur un rocher à 500 pieds au-dessus de la
Fig. 160. — Momie péruvienne.
Fig. IGl. — Momie péruvienne.
mer. Les parois du rocher étaient revêtues d'adobes peints en
rouge, qui formaient quatre terrasses (1), en retrait les unes
Fig. 162. — Nielle dans un mur à Pacliacamac.
sur Jes autres. C'est une disposition semblable à celles obser-
(1) Tel est le récit de Squier. Wilkos {U. S. Exploring Expédition) et Markham
{Cuzco and Lima) parlent seulement de trois terrasses.
394 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
vées dans l'Amérique centrale (1); elle témoigne des rapports
qui ont certainement existé entre les populations. La plate-forme
couvre plusieurs acres de terrain ; et l'on peut encore y distinguer
les ruines d'édifices (fîg. 162) autrefois importants. Le temple
était construit vers le Sud. « C'est une assez belle maison, con-
tinue Estete, bien peinte et bien ornée ; dans un réduit toujours
fermé, très obscur et très puant, était une idole en bois qui
pour ces gens était l'image du dieu créateur. A ses pieds, on
voyait de nombreux ornements en or et en argent, offrandes
de ses adorateurs. Nul à l'exception des prêtres, ne peut péné-
trer dans ce réduit. »
Ilernandez après une visite au sanctuaire, visite qui pénétra
les indigènes de stupeur, fit briser la statue de Pachacamac,
(le dieu avait donné son nom à la ville). Il était plus pressé
encore de s'emparer du trésor et les chroniqueurs contempo-
rains racontent que les Espagnols obtinrent 27 cargas (2) d'or
et 16,000 onces d'argent; malheureusement, ajoutent-ils, on ne
parvint pas à découvrir le trésor principal, qui pouvait bien
se monter à 400 cargas d'or.
A un mile et demi d'El Caslillo, auprès d'un petit lac, on peut
encore distinguer les ruines d'un couvent de femmes [Mamacunà).
Les détails de la construction rappellent ceux des édifices dus
aux Incas; aussi leur attribue-t-on l'érection de ce couvent; par
une politique habile ils tenaient à montrer leur vénération pour
ce lieu si sacré pour leurs sujets,
ciiimu. Garcilaso raconte que toute la côte de Truxillo (3) à Tumbez,
sur une étendue de plus de mille kilomètres appartenait à un
peuple connu sous le nom de Chimus. Montesinos est le seul qui
parle de l'origine de ce peuple. Il prétend que des étrangers
étaient arrivés de la haute mer, et que plus belliqueux ou mieux
armés que les indigènes, ils avaient rapidement soumis tous ceux
(1) On peut citer notamment le mound pyramidal de Cholula. — Hutchinson. Two
Years in Peru, t. I, p. 159-300. — Markham, Cuzco and Lima.
(2) Le cargas équivaut à deux arobas et demi, soit à un peu plus de 28 kilogrammes.
(:?) Truxillo est une ville moderne, fondée en 1535 par Pizarre.
LE PÉROU. 395
qui vivaient entre les montagnes et l'Océan. Nous avons dit com-
Lieo les récits de Montesinos étaient sujets à caution ; mais ici
ils sont corroborés par la singulière ressemblance des Huacas,
que nous allons décrire, avec les teocallis du Mexique et de l'Amé-
rique centrale. Une telle ressemblance ne peut être fortuite. Les
historiens ajoutent (1) qu'au temps de Pachacutec, le neuvième
Inca, le pays était gouverné par Chimu-Canchu, très redouté
de ses voisins. Yupanqui, fils de Pachacutec, voulut l'obliger à
se reconnaître le vassal de son père et à abandonner le culte des
animaux (2) pour adorer le dieu Soleil. Une sanglante guerre
suivit le refus de Canchu ; mais les Chimus furent contraints de
céder à la supériorité du nombre et de se soumettre aux vain-
queurs. A partir de ce moment, jusqu'à l'arrivée des Espagnols,
leur histoire peut se résumer en une suite d'incessantes révoltes,
qui témoignaient de leur horreur pour le joug étranger.
Leur capitale, qui portait aussi le nom de Chimu, couvrait une
superficie considérable (3). Dans toutes les directions, sur un
parcours de plusieurs lieues, on distingue de longues lignes de
murs massifs, de huacas, de palais, d'aqueducs (4), de réservoirs
d'eau, de greniers. Tout montre la puissance et la richesse d'un
peuple, dont le nom même est resté incertain.
Parmi les monuments, les huacas sont les plus importants :
On appelle ainsi des pyramides tronquées, presque toujours cons-
truites en cailloux, cimentés avec une argile très plastique et
formant un conglomérat résistant. Le huaca Obispo, un des plus
remarquables, ne mesure pas moins de 150 pieds de hauteur, sur
une base de 580 pieds carrés (5) ; et on a calculé qu'il était entré
(1) Garciiaso, l. c, t. I, p. 234.
(2) Les animaux, objets de leur adoration étaient probablement symboliques ; les
poissons, la tortue, le crabe, représentaient IVau ; le serpent, le lézard, la terre. La
lance qui se voyait aussi dans les temples était, croit-on, l'image de la foudre ou de
l'éclair.
(3) Les ruines s'étendent depuis le Monte Campana au nord, jusqu'au Rio Moche au
sud, sur une aire de 20 à 24 kilomètres de long, et 8 à 9 kil. de large.
(4) Le mot huaca indique en général une sépulture. Par extension, on l'étend à
tout endroit sacré ou vénéré.
(5) Il couvre, dit Squier, une superficie de huit acres. Pei'U, p. 120.
396 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
dans sa construction, près de 50 millions de pieds cubes de ma-
tériaux. Des excavations ont été entreprises, sur la foi de légen-
des qui racontaient des chambres souterraines, remplies d'or et
d'argent; et Squier, un des derniers voyageurs, qui l'aient visité,
nous dit qu'il apparaît, de loin, comme un immense cratère de
volcan.
Un autre huaca s'élève non loin de l'Obispo, au milieu d'une
enceinte en adobes de 252 pieds sur 222 (1). Nous le mention-
nons, bien que sa hauteur soit peu importante à raison des
ossements qu'il renfermait et qui sont la meilleure preuve de la
destination d'un certain nombre tout au moins, de ces huacas.
Les asiles de la mort, sous toutes les formes, semblent être le
dernier souvenir de ce peuple; ils se rencontrent dans tous les
environs de Chimu. Une vaste plaine de sables, dominée par une
colline, sur laquelle s'élève un huaca comme une sentinelle
avancée s'étend vers la mer; cette plaine est couverte detombel-
les, où gisent des squelettes enterrés fort irrégulièrement et dans
les positions les plus variées, victimes sans doute des combats,
où les Chimus défendaient leur indépendance. C'est là une sup-
position plausible, car beaucoup de crânes sont fracturés comme
par un coup de massue et d'autres présentent des ouvertures,
telles que pourraient en faire les pointes de flèche en bronze
recueillies sur les mêmes lieux.
En longeant cette plaine, on arrive au petit village de Moche.
Ce village possède un huaca, dont il faut bien dire aussi quelques
mots, car il passe pour le plus considérable de tous ceux du
pays (2). El templo del Sol (toutes les ruines importantes du Pé-
rou portent le nom de temples du Soleil) est un édifice rectangu-
laire de 800 pieds de longueur sur 470 pieds de largeur. Il couvre
une superficie de plus de 7 acres et sa plus grande hauteur est de
200 pieds. Le mode de construction est très particulier ; d'im-
menses blocs d'adobes, à une petite distance les uns des autres,
forment de véritables piliers sinclinés, sous un angle de 77 dé-
(1) Les murs mesurent 14 pieds de hauteur sur 6 pieds de largeur à leur base.
(2) Squier, Peru, p. 130.
LE PÉROU. 397
grés. Ces piliers étaient recouverts d'un stucage d'une grande
épaisseur qui assurait la solidité de la plate-forme. Elle était cou-
ronnée par plusieurs édifices, dont il est possible de reconnaître
les vestiges. A l'extrémité sud s'élève une pyramide tronquée,
formée de terrasses en retrait les unes sur les autres. Sept de ces
terrasses subsistent encore et un examen attentif permet de por-
ter à neuf leur nombre primitif; une pente insensible conduisait
au sommet. Les chambres, les réduits, les passages souterrains
avaient été fouillés avec rage, mais sans plus de succès qu'au
huaca Obispo. Les fouilles ont seulement montré que ces deux
huacas n'étaient pas des lieux de sépulture, comme on l'avait
d'abord supposé.
Le palais (1) comprenait une suite irrégulière de constructions
en adobes couvrant une superficie de plusieurs acres et s'élevant
sur un mound à terrasses successives! Les murs extérieurs étaient
ornés de manière à rompre leur monotonie. Nous reproduisons
une des dispositions les plus fréquentes (fig. 163) ; elle permet de
juger de l'effet général. L'intérieur comprenait une série de salles,
de chambres, de corridors, de souterrains voûtés; une de ces
salles mesure plus de 52 pieds de largeur; sa longueur reste
incertaine, à raison des décombres, dont elle est obstruée. Mais
elle dépassait sûrement 100 pieds. Les murs sont richement
ornés de stucages en relief, de fines arabesques, de grecques qui
rappellent celles de Mitla. A une hauteur de 12 pieds environ,
on remarque plusieurs niches de 5 pieds de largeur. Ces niches
sont un des caractères frappants de l'architecture Péruvienne ;
il est impossible de connaître leur destination. Dans d'autres
salles, les murs sont revêtus d'une couche de couleur, en général
rouge foncé. Citons aussi un corridor, la porte qui y donne accès
est formée par un double rang de pilastres, les murs sont cou-
verts de figures en relief, où l'on a voulu voir des singes portant
sur leur tête une sorte de demi-lune. Cet ornement devait avoir
(1) Nous conservons le nom de palais donné par Squier. Telle parait clairement la
destination de cet édifice ou plutôt de cette collection d'édifices.
398 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
une signification particulière; car il est souvent répété sur les
poteries et sur les vases en métal des Chimus.
Le colonel La Rosa, un des tapadas les plus ardents et les plus
heureux, découvrit dans un souterrain en forme de puits, où il
dut pénétrer par une étroite ouverture, une collection considé-
Fig. 163. — Mui'S en ruine à Chimu.
rable de vases d'or et d'argent (fig. 164), dont quelques-uns étaient
chargés d'ornements en relief. Ces vases avaient des parois très
minces ; ceux en argent étaient fortement mélangés de cuivre et
leur oxydation était telle, qu'ils se brisaient sous les doigts des
fouilleurs. Presque tous malheureusement ont été fondus immé-
diatement après leur découverte (1). Le désordre où se trouvaient
ces richesses, évidemment cachées à la hâte, fait supposer qu'on
avait cherché à les mettre à l'abri, soit durant les luttes entre
(1) Le vase que nous reproduisons provient de la collection Squier; il est un des
seuls qui aient été conservés.
LE PÉROU. 399
les Chimus et les Incas, soit lors de l'arrivée des Conquistadores.
La nécropole des Princes de Chimu était à une faible distance
de leur palais (1). Une excavation a permis de reconnaître
des murailles d'une grande épaisseur, dont la longueur n'a
point été vérifiée. Un escalier conduisait à une série de chambres
voûtées, ayant toutes une ou plusieurs niches. Dans ces niches re-
posaient des momies desséchées ; quelques-uns des crânes avaient
Fig. 164. — Coupe en argent trouvée à Chimu.
été peints en rouge ; d'autres, si l'on accepte le récit du colonel
La Rosa, étaient dorés; les cadavres étaient revêtus de riches
étoffes, de couronnes de plumes, d'ornements d'or et d'argent.
Ces ornements ont disparu et Squier ne put se procurer que
quelques fragments d'une étoffe mêlée de coton et de laine, por-
tant tissée dans la trame, des figures de lézards et d'oiseaux aux
couleurs les plus variées.
iNous ne nous arrêterons pas à raconter en détail toutes les
ruines de Chimu; el Presidio, la prison, mérite seule une excep-
tion. C'est une enceinte de 320 pieds sur 240, entourée par un
mur de 25 pieds de hauteur, sur 5 pieds et demi à sa base. Au
centre est un mound, dont les fondations, d'une solidité excep-
(1) Squier, Peru, p. 144.
400 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
tionnelle, reposent sur de grands blocs de pierre. Les fouil-
les ont mis au jour un peu au-dessous du niveau du sol, quarante-
cinq cellules sans aucune communication entre elles et disposées
sur cinq rangs. De là le nom donné à l'édifice ; si véritablement
nous sommes en présence d'une prison, ce serait aux habitants
de Chimu qu'il faudrait faire remonter la pensée première du
système cellulaire (1).
Nous pouvons nous rendre compte à Chimu des habitations par-
ticulières. C'est là un fait assez rare, car, dans la plupart des villes
en ruines, les monuments seuls ont résisté aux injures du temps
et aux destructions bien autrement redoutables des hommes.
Ces habitations tantôt rondes, tantôt carrées, étaient disposées
avec une grande régularité sur des rues ou sur des places. Les
chambres variaient naturellement et comme nombre et comme
dimensions. Les plus grandes atteignaient 25 pieds de longueur
sur 12 de hauteur. Une poterie fort curieuse figure une maison
au toit pointu, avec une seule porte et un trou dans le pignon
pour assurer probablement la ventilation. Telles devaient être
les demeures du peuple; leur nombre témoignait d'une popula-
tion considérable (2).
Tiaguanaco. Tiaguanaco (3) s'élève au centre d'un bassin, formé par deux
lacs de grandeur très inégale, le lac Titicaca et le lac Aullagas,
sur un plateau entouré de hautes montagnes, que domine l'Il-
lampu (4). Ce plateau est à 12,000 pieds au-dessus du niveau de
la mer, presque à la limite des neiges éternelles. A cette altitude,
aucune végétation n'est possible, aucune céréale ne peut mûrir;
la respiration est pénible, tous les éléments sont insuffisants pour
maintenir la vie.
(1) M. Wiener remarque, que la ville actuelle bâtie en 1533 a été renversée trois fois
par des tremblements de terre. La solidité des constructions des vieux habitants leur
a permis de résister à ces terribles chocs.
(2) Squier, l. c, p. 181.
(3) Tel est le nom donné à la ville par les Incas. Son nom ancien reste inconnu.
Angrand, Lettre sur les Ant. de Tiaguanaco. — Paz-Soldan, Geog. del Peru.
(4) La hauteur de l'IUampu est de 5,500 mètres, c'est la montagne la plus élevée
des deux Amériques.
LE PEROU.
401
Dans cette région aride et désolée, d'un accès si difficile, les
hommes avaient cependant construit une ville importante, des
édifices remarquables (1). Garcilaso rapporte que lorsque Mayta-
Capac, le quatrième Inca, pénétra pour la première fois dans le
pays, la vue de ces monuments jeta les Péruviens dans un pro-
fond étonnement; ils ne pouvaient se rendre compte des procédés
qui avaient été employés pour les ériger. C'est à Tiaguanaco que
se trouvait le siège de la civilisation à la fois la plus ancienne et
la plus brillante de l'Amérique du Sud. Ce contraste continuel
entre la nature et les œuvres de l'homme est un des grands
intérêts de cette étude.
Dès son arrivée au milieu des ruines, l'explorateur est frappé
par le nombre des monolithes (fig. 165), plantés debout à des dis-
Vis. 165. — Menhirs à Tiaguanaco.
tances régulières, rappelant ceux de Stonehenge (2) par les
dimensions cyclopéennes des pierres employées (3); par la pro-
(1) Desjardins, le Pérou avant la domination espagnole. — Rivero et. Tschudi, Ant.
Peruanas.
(2) Leur hauteur est très inégale ; le plus élevé mesure 14 pieds. Les monolithes do
Stonehenge varient de 16 à 21 pieds.
1'^) Acosta, un des premiers Espagnols qui entra à Tiaguanac.i\ parle de pierres
qui atteignaient 38 pieds de longueur, 18 de largeur et 6 d'épaisseur.
De Nadaii.lac, Amérique. 26
402 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
fusion de sculptures, d'ornements, de bas-reliefs, de statues de
grandeur colossale (1).
Les têtes humaines n'ont pas les oreilles déformées; c'est une
preuve de plus qu'elles sont antérieures aux Incas, car nous
savons que ce fut l'Inca Roca, qui introduisit la mode de porter
de lourds anneaux aux oreilles, d'oii le surnom à'Orejones, que
les Espagnols donnèrent aux indigènes.
Les pierres employées sont le grès rouge, un trachyte se rap-
prochant de la couleur de l'ardoise et un basalte très dur et très
foncé (2). Toutes ces pierres sont admirablement polies et la
perfection de la taille est comparable à celle des granits des
pylônes égyptiens. On a peine à concevoir comment des ou-
vriers ont exécuté un travail aussi difficile (3), alors que le fer
leur était inconnu et qu'il leur fallait se servir d'outils soit en
silex, soit en un alliage de bronze [champi) peu résistant. Les
pierres étaient posées avec une telle précision que les joints sont à
peine perceptibles, puis assujetties avec des crampons en bronze.
Les débris des monuments ont servi à construire toutes les
églises des vallées environnantes et les sculptures de Tiaguanaco
se retrouvent à plus de vingt lieues de distance, jusque sur les
murs de la cathédrale de la Paz, la capitale actuelle de la Bolivie.
Le bois n'entrait point dans ces constructions ; à cette hauteur,
les arbres ne pouvaient grandir et quelques misérables brous-
sailles, plus souvent encore la fiente desséchée des lamas, étaient
le seul mode de chauffage.
Il faut maintenant décrire rapidement les ruines de Tiagua-
naco; nous conserverons, comme points de repère, les noms qui ont
été donnés aux divers édifices; mais les désignations populaires,
observe avec raison M. Desjardins (4), ne sont rien moins que
(1) On n'a retrouvé jusqu'ici que huit statues.
(2) Il existe de grandes falaises de grès rouge à cinq lieues des ruines et des couches
de trachyte et de basalte à Yunguyo. Le transport dans les montagnes venait s'ajou-
ter aux immenses difficultés, que les constructeurs avaient à vaincre.
(3) « In no part of the world, hâve I seen stones eut with such mathematical préci-
sion and admirable skill as in Peru ; and in no part of Peru are there any to surpass
those which are scattered over the plains of Tiahuanuco. >■ Squier, Peru, p. 279.
(4) L. c, p. 150.
LE PEROU. 403
conformes à la destination des édifices auxquels elles s'appli-
quent.
La forteresse (1) est un mound de forme rectangulaire, qui
s'élève à une hauteur de 150 pieds, par terrasses successives, en
retrait les unes sur les autres et soutenues par des murs massifs;
c'est ici encore la même disposition qu'au Mexique et dans le
Yucatan. La plate-forme était couverte de constructions, dont les
fondations restent à peine visibles. Nulle part, les tapadas n'ont
déployé une plus sauvage ardeur, excités sans doute par la tradi-
tion, qu'aucun Indien ne s'aviserait de mettre en doute, qu'une
communication souterraine existe entre cette forteresse et la
ville de Cuzco, à plus de 160 lieues de distance !
Il n'est pas probable que cette pyramide, malgré le nom
que les indigènes lui ont donné, ait jamais servi pour la défense.
Les forteresses du Pérou ont toujours été construites sur des
points désignés par leur situation même. Beaucoup d'archéo-
logues veulent donc y voir un temple et y placent le théâtre des
sacrifices humains qui existaient, rapporte-t-on, avant la domi-
nation des Incas. C'est là une pure conjecture ; dans l'ignorance
où nous sommes, il n'est permis, ni de l'accepter, ni de la re-
pousser.
Au nord de la forteresse, s'élève le temple (2), le monument
le plus ancien de la ville. Il forme un parallélogramme de
445 pieds sur 388 et il était entouré d'un vaste parvis, construit
en blocs de trachyte (3) de forme irrégulière, et moins soigneu-
sement préparés que les pierres qui entrent dans les autres édi-
fices de Tiaguanaco.
La Salle de justice n'est plus qu'une masse de pierres amon-
celées; il faut une longue et patiente étude pour reconnaître
l'exactitude du récit que Cieca de Léon écrivait, il y a trois siècles,
(1) « La ville de Tiahuanacu était singulière par ses grands et incroyables bâtiments.
Le plus beau bâtiment que l'on vit dans ce pays, c'est une montagne faite de main
d'homme, mais prodigieusement élevée. » Garcilaso, trad. franc., 1. 1, p. 59.
(2) Squier, Peru, p. 299.
(3) Ces blocs mesurent de 8 à 10 pieds de longueur sur 2 à 4 pieds de largeur et
20 à 30 pouces d'épaisseur.
404 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ou môme du plan que dressait d'Orbigny en 1833. Selon toute
apparence, c'était un édifice de forme parallélogrammique (1).
Des murs entouraient une plate-forme enterre, ayant au centre
une excavation qui descendait au niveau du sol. On ignore la
destination de cette excavation, dont les parois étaient formées
de pierres de grande dimension (2). Une porte encore debout
(fig. 166) y donne accès; les jambages sont des monolithes qui
Fig. IGG. — Porto à Tiaguaiiaco.
rappellent ceux de l'Egypte ; la frise est ornée de figures humaines
sculptées en bas-relief.
A l'est de la salle de justice, on aperçoit un mound de 8 à 10
(t) Il mesure 420 pieds sur 370.
(2) Cieça de Léon les dit de 30 pieds de longueur sur 15 pieds do largeur et G pieds
do hauteur. Squier donne des dimensions plus faibles.
LE PÉROU. 405
pieds de hauteur (1). Au centre, s'élevait ua édifice mesurant 50
pieds carrés, auquel Squier a donné le nom de Sanctuaire. On y
accédait par des perrons aux marches très étroites, et il est fa-
cile de distinguer une sorte de Naos qui devait être un but de
pèlerinage. Tiaguanaco avait en effet un grand renom de sain-
teté, qui ne le cédait en rien à celui de Pachacamac, et à cer-
taines fctes, les hommes y affluaient de toutes les parties du
Pérou.
Plusieurs portes monolithes, semblables à celles que nous avons
décrites, dominent les ruines qui les entourent. Une d'entre elles
est probablement le monument le plus curieux de la ville. Qu'on
se figure un bloc de trachyte de 13 pieds 5 pouces de longueur,
sur 7 pieds 2 pouces de hauteur (2), surmonté par une frise que
la foudre a brisée ; puis quatre séries de cartouches portant des
figures humaines, quelques-unes inachevées, gravées en creux,
et au centre, une ornementation très originale et très compli-
quée (fig. 165). C'est une représentation humaine, entourée de
bas-reliefs que l'on dit des jaguars et des condors (3). Ces figures
sont très probablement symboliques ; mais la religion des anciens
habitants de la ville ne nous est pas assez connue, pour que nous
puissions les interpréter. La face occidentale porte cinq niches,
dont deux sont enfoncées dans le sol, la hauteur du monolithe
reste donc à déterminer.
L'histoire et la tradition sont également muettes sur les liens
qui peuvent rattacher les constructeurs de Tiaguanaco aux
Qquichuas. Nous sommes non moins ignorants des rapports qui
ont existé entre eux et les Aymaras. Il est probable, sans que
rien permette cependant de l'affirmer, que les uns et les autres
sortent des races Nahuas et qu'ils sont venus du Nord, peut-être
même de ce plateau d'Anahuac, si fertile en populations. Ce
(1) Il forme un carré parfait de 175 pieds sur chacun de ses côtés.
(2) Les dimensions de la porte sont 4 pieds, 6 pouces de hauteur sur 2 pieds, 9 pou-
ces de largeur. M. Desjardins (/. c, p. 159) donne une excellente description de ce
monument.
(;j) M . Angrand, qui a visité Tiaguanaco, fait ressortir sa ressemblance jusque dans
les moindres détails avec les monuments de Palenque, d'Ococingo et de Xochicalco.
406 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
qui est certain, c'est que de semblables monuments ne peuvent
être les vestiges d'une civilisation autochthone, ni l'œuvre d'une
race qui aurait puisé dans ses propres efforts, dans son génie
Fjg, 167. — Partie centrale du grand monolithe de Tiaguanaco.
personnel, des connaissances architecturales aussi complètes ;
nous nous associons donc a la conclusion de M. Angrand (1),
que la civilisation dont ils portent l'empreinte n'a pu prendre
(1) L. c, p. 18.
Titicaca.
LE PÉROU. 407
naissance sur ces plateaux glacés. L'homme a dû y arriver suf-
fisamment préparé à la lutte, par la pratique féconde de la vie
sociale.
Le lac de Titicaca, de forme ovale irréffulière, mesure 120 lac de
miles de longueur, sur 50 à 70 de largeur (1) ; des sondages ré-
cents ont donné une profondeur de 530 mètres (2). Plusieurs
îles émergent de ses eaux; la plus importante est Tile de Titi-
caca (3), aux rochers abruptes, aux criques dentelées. C'était l'île
sainte des anciens Péruviens et, selon une légende encore chère
aux habitants, c'était là que le soleil reparut resplendissant après
une éclipse totale qui avait duré plusieurs jours ; c'est là aussi
que naquirent Manco-Capac et Oello, les enfants du soleil, et
c'est de là qu'ils partirent pour préparer les grandes destinées
de leur peuple.
L'île était couverte de monuments, pieux hommages des Incas
aux mânes de leurs glorieux ancêtres. Nous citerons le temple
du Soleil, un couvent de prêtres attachés à son culte et le palais
des Incas. En débarquant du bateau en roseaux [balsa], sur lequel
tout voyageur doit s'aventurer, on aperçoit successivement les
ruines de trois portiques, que les pèlerins avaient à traverser, le
Pitîna puncOj la porte du puma, où ils étaient tenus de confesser
leurs péchés ; le Kenti pimco, orné de sculptures représentant
un oiseau appelle kenti, où d'autres cérémonies les attendaient;
le Pillco piinco enfin ou la porte de l'espérance. Après l'avoir
franchi, il était permis au fidèle de s'approcher du rocher sacré,
où le soleil s'était levé, éclairant l'horizon de ses feux (4). Tout
ce rocher était recouvert de magnifiques tentures ornées de pla-
ques d'or et d'argent; dans tous les creux étaient déposées les plus
riches offrandes. Nul, hormis les prêtres, n'approchait de ce
(1) L'altitude moyenne du lac est de 12,488 mètres.
(2) Wiener, /. c, p. 390.
(3) L'île do Titicaca mesure 6 miles de longueur sur 3 à 4 de largeur. Son nom vient
de titi, tigre et kaka, rocher; et la tradition rapporte, qu'avant la venue des hommes,
l'île était habitée par un tigre qui portait sur sa tête un magnifique rubis, dont les
feux illuminaient toutes les eaux du lac.
(4) Nous empruntons ce récit au Padre Ramos, qui l'écrivait peu de temps après la
conquête.
408 L'AiMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
lieu vénéré; les pèlerins le contemplaient de loin ; ils se tenaient
dans une grande enceinte, où l'on distingue encore les fonda-
tions de deux sanctuaires dédiés à des dieux inférieurs, repré»
sentes par le tonnerre et par les éclairs.
Le temple formait un parallélogramme de 105 pieds sur 30;
il s'élevait sur un rocher situé à l'extrême pointe de l'île (1). On y
accédait par des escaliers taillés dans le roc. Les murs étaient en
cailloux empâtés dans une argile très résistante et revêtus d'un
enduit en stuc. A l'intérieur, on remarque toute une série de ces
niches si caractéristiques des monuments Péruviens. La façade
principale était percée de cinq portes et de deux fenêtres placées
à égales distances entre chaque porte. Au côté opposé, une
seule porte s'ouvrait sur une suite de terrasses, en retrait les unes
sur les autres; en les parcourant et en descendant des degrés
habilement ménagés, on arrivait à deux temples plus petits,
du même style. Comme la plupart des édifices de l'île, ils ont été
érigés par Tupac-Yupanqui, le onzième Inca. Ils sont moins bien
construits, moins chargés d'ornements que ceux de Tiaguanaco;
l'art est en décadence, indice presque certain d'une civilisation
sur son déclin. Si nous en croyons les Conquistadores, les ri-
chesses de ces temples étaient immenses ; mais les prêtres s'em-
pressèrent, à l'arrivée des Espagnols, de jeter dans le lac tous
leurs vases en or et en argent, pour éviter qu'ils ne devinssent
la proie du vainqueur.
El palacio del Inca est dans une magnifique position, d'oii la
vue s'étend sur le lac et sur les montagnes aux cimes char-
gées de neige qui le dominent. 11 forme un rectangle assez
exigu (2) et on peut reconnaître deux étages sans communica-
tion entre eux; l'un et l'autre comprennent une série de douze
chambres disposées sur des plans absolument différents (3). Les
murs intérieurs et extérieurs étaient, comme ceux des temples,
(1) L'emplacement du temple est très discuté ; nous acceptons l'opinion de Squier
(/. c, p. 369) qui nous paraît la mieux fondée.
(2) 11 mesure seulement 51 pieds sur 44.
(3) Squier {Peni, p. 344 et 345) donne le plan de chacun de ces étages.
LE PÉROU. 409
revêtus d'un stuc assez dur, peint en jaune ; les montants des
portes et les niches qui étaient la seule ornementation se dé-
tachaient en rouge. Le toit, de forme pyramidale, était construit
en pierres surplombant les unes sur les autres; l'extrême rareté
du bois avait sans doute amené ce mode d'architecture, qui ne
laissait pas que d'offrir de grandes difficultés.
Mentionnons enfin rapidement, les tambos, où logeaient les
pèlerins ; la pila^ la fontaine des Incas, où l'eau arrive encore
aujourd'hui, de sources inconnues par des conduits souterrains;
la Chingana ou labyrinthe, avec ses caves voûtées, ses ouver-
tures étroites, ses nombreux corridors, ses chambres toutes
d'une extrême petitesse. Nous conservons le nom de Chingana
à ces ruines , auxquelles les Espagnols avaient tout d'abord
donné celui de dispensa, prétendant que les trésors du temple et
les objets nécessaires au culte y étaient déposés. Squier veut
y voir un aclahiiasi, tel est le nom donné aux demeures des
vierges du soleil; toutes ces suppositions sont possibles; nous
les livrons à nos lecteurs.
La petite île de Coati (1) jouait dans le système religieux iie de coati.
des Péruviens, un rôle presque aussi considérable que l'île de
Titicaca; si celle-ci était dédiée au Soleil, Coati était consacrée
à la Lune. Nous y retrouvons les portes de purification où
s'accomplissaient les mêmes cérémonies religieuses qu'à Titi-
caca et les tambos destinés aux pèlerins ; mais les ruines les
plus remarquables sont celles du palais des Mamacunas, les vier-
ges du soleil. Cet aclahuasi occupait les trois côtés d'une vaste
cour ; les murs, comme ceux des autres édifices dus aux Incas,
étaient en pierres brutes, noyées dans de l'argile et recouvertes
d'un ciment fort dur. Au rez-de-chaussée, on peut encore comp-
ter trente-cinq chambres; une d'entre elles, que l'on appro-
chait par un corridor voûté, la seule dont les murs fussent en
pierres appareillées, était probablement un lieu sacré. Les portes
étaient surmontées de niches, ici aussi l'unique ornementation ;
(I) L'île de Coati était distante de l'île de Titicaca de six miles environ ; sa longueur
était de deux miles et demi, sur une largeur do trois quarts de mile.
MO L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
nulle part on ne rencontre les sculptures , les arabesques ,
si nombreuses au contraire à Tiaguanaco et à Chimu. Un
étage, auquel on accédait par plusieurs escaliers, s'élevait
au-dessus du rez-de-chaussée et le toit coupé par plusieurs
frontons, offre une certaine ressemblance avec le style d'Elisa-
beth, si cher aux Anglais, Toutes les chambres se communi-
quaient ; c'est la même disposition que dans les pueblos du
Nouveau-Mexique. Au premier étage deux grandes salles s'ou-
vraient sur la façade principale ; l'une et l'autre possédaient
l'inévitable niche, dans la première était placée une statue en
or du Soleil ; dans la seconde une statue en argent de la Lune.
On descendait enfin jusqu'au lac, par une série de terrasses et
de perrons, assez semblables à ceux qui accompagnaient le pa-
lais de rinca dans l'île de Titicaca. Les deux édifices datent de
la même époque, car si le palais des Vierges a été érigé sous le
règne de Huayna-Capac , son père Tupac-Yupanqui en avait
jeté les fondations. A l'ouest du palais, on peut encore distin-
guer les ruines d'une cour semi-circulaire, où vivaient les lamas
et les vigognes sacrés. Les Mamacunas étaient chargées de tis-
ser la laine qui devait servir pour leurs propres vêtements, pour
ceux des Incas et de leurs enfants.
Ile de soto. D'autres îles couvraient le lac, nous nous contenterons de citer
l'île de Soto, oii les Incas se retiraient dans des circonstances
graves, pour obtenir par le jeûne et la prière, la protection de
leur glorieux ancêtre.
cuzco. La légende veut que, lorsque Manco-Capac et Oello quit-
tèrent l'île de Titicaca, le soleil leur remit un rameau d'or, en
leur enjoignant de marcher, jusqu'à ce que le rameau s'enfonçât
en terre. Ce fut à Cuzco, que le prodige s'opéra et les Incas pé-
nétrés de reconnaissance pour leur père, y établirent le siège de
leur empire. La ville acquit rapidement une grande importance
et sans accepter le récit exagéré de certains écrivains espagnols,
qui portent à 200,000 le chiffre de ses habitants (1), il est évident
(1) Aujourd'hui le nombre des habitants de toute la province, dont Cuzco est la capi-
LE PEROU. -ill
qu'une population nombreuse et obéissante était indispensable
pour ériger les constructions dont les ruines frappent aujour-
d'hui encore le voyageur par leurs proportions imposantes. On a
peine cependant à concevoir comment des hommes pouvaient
vivre à une altitude de H, 380 pieds, sur un sol stérile, alors que
les animaux domestiques faisaient défaut et que le maïs, la seule
céréale qu'ils connussent, ne pouvait mûrir que dans quelques
vallées éloignées.
La ville s'élevait sur des pentes abruptes ; partout il avait fallu
niveler des rochers, ériger des terrasses, soutenir les terres par
des murailles, qui rappellent les constructions cyclopéennes de la
Grèce ou de la Syrie. Nous avons vu à Tiaguanaco, les murs
maintenus par des crampons en bronze, dans l'île de Titicaca,
ces murs, tantôt en adobes séchées au soleil, tantôt en cailloux
cimentés avec de l'argile; à Cuzco, ils sont en roches d'une
extrême dureté, en diorite, en porphyre, en gros blocs de tra-
chyte brune, amenés à force de bras, sans chemins frayés des
carrières d'Anduhaylillas, à 22 miles de distance (1). Ces blocs
étaient soigneusement équarris, puis attachés les uns aux autres
au moyen d'un trou de 30 à 40 centimètres de profondeur, sur un
diamètre de 50 à 60 centimètres, oi^i venait s'adapter une pointe
de dimensions à peu près égales, taillée dans le bloc supérieur.
Les murs se maintenaient par leur seul poids, car Squier, après
un examen attentif, déclare qu'aucun ciment n'avait été em-
ployé ; il ajoute, que toute maçonnerie moderne, exécutée soit en
Europe, soit en Amérique, est médiocre, en comparaison de
celle de l'ancienne capitale des Incas (2). Cette architecture mas-
sive rappelle par certains de ses caractères, celle des Egyptiens;
mais la ressemblance, si curieuse qu'elle puisse paraître, ne
comporte aucune conclusion ; les conceptions primitives de
talc ne dépasse guère 300,000 âmes. La stérilité du sol, les difficultés de la vie sont
telles, que ce nombre n'est guère susceptible d'augmentation.
(1) « How the stoncs were ti-ansported to Cuzco, is not easy to say ; but as tlie Incas
had no beasts of draught, it must hâve been done, through the direct application of
human force. » Squier, Pei'U, p. 419.
(2j L. c, p. 4:35.
412 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
rhomme naissent naturellement et se développent progressive-
ment, suivant une loi universelle, que nous pouvons suivre dans
toutes les régions et dans tous les temps.
La vallée est dominée par le Sacsahuaman (1) construit sur
un rocher à pic, qui s'avance comme un éperon entre deux ruis-
seaux, le Iluatenay et le Rodadero. Du côté de la ville, toute as-
cension est impossible, un chemin avait été creusé sur le revers
opposé, le long du Rodadero; il formait la seule voie d'arrivée à
cette forteresse, qui, avec sa triple enceinte en gros blocs irrégu-
liers (2), ses terrasses et ses parapets, ses angles saillants et ren-
trants semblables à ceux de nos bastions modernes, était véri-
tablement imprenable avant l'invention de l'artillerie. « Je mets
cet ouvrage, s'écrie Garcilaso (3), au rang de tout ce que l'on a
célébré dans l'antiquité, car l'exécution en paraît impossible
même avec tous les instruments et toutes les machines connues
en Europe. Aussi plusieurs personnes ont cru qu'il n'avait été
fait que par enchantement, à cause de la familiarité que les In-
diens avaient avec les démons et je ne suis pas fort éloigné de
ce sentiment. » Pour être différent, l'enthousiame de Squier
n'est pas moins expansif ; il n'hésite pas k comparer le Sacsahua-
man aux Pyramides, à Stonehenge, au Cotisée. Comme ces glo-
rieux monuments, il doit, ajoute-t-il, défier le temps et rester
un éternel témoin de la puissance de l'homme.
Trois ouvertures en forme de trapèze allongé donnaient accès
sur l'enceinte extérieure, le Tiupuncu, la porte de sable, VAca-
huanapuncii et le Viracochapuncu (4), du nom du dieu protec-
(1) Comte de Sartiges, Rev. des Deux Mondes, 1851. — Squier, Peru, p. 468. —
Les historiens diffèrent sur l'époque de l'érection du Sacsahuaman. Les uns l'attri-
buent à Yupanqui, les autres à Huayna-Capac, le père d'Atahualpa et de Huascar. Il
est probable que l'érection dura de longues années et usa plusieurs générations
d'ouvriers.
(2) La longueur totale des murs est de 1,800 pieds ; la hauteur actuelle de 27 pieds
pour la première enceinte, de 17 pieds pour la seconde, de 14 pieds pour la troisième.
(3) Hist. des Incas, rois du Pérou, trad. franc., t. I, p. 268.
(4) Aujourd'hui encore le mot de Viracocha est chez les modernes Péruviens un
titre d'honneur. Viracocha-tatai notre père Viracocha, telle est la salutation toujours
usitée vis-à-vis des Fùuropéens.
LE PEROU. 413
leur de la ville. D'immenses blocs de pierre étaient préparés pour
fermer ces ouvertures à la première apparence de danger. Au
centre de la citadelle, on peut encore distinguer plusieurs réduits
et parmi eux, une tour ronde, le Muyuc-Marca, on étaient déposés
les trésors des Incas et d'oii, par un de ces jeux de la fortune dont
l'histoire offre de si curieux exemples, leur dernier descendant
allait se précipiter, après l'insuccès final d'une insurrection
qui coûta la vie à Juan Pizarre et mit les Espagnols à deux
doigts de leur perte (1).
Si les fortifications de la citadelle montrent l'habileté des ar-
chitectes, la conduite des eaux du Rodadero par des acequias
d'un travail remarquable, témoigne encore plus de celui des in-
génieurs. Nous donnons le dessin d'un de ces aqueducs (fig. 168),
comme le portique de Kabali (fig. 134), il rappelle les travaux
grandioses des Romains, une des gloires assurément de notre
vieille civilisation.
Une colline voisine du Sacsahuaman est couverte de blocs grani-
tiques chargés de scultptures et transformés en sièges, en galeries
ornées de marches, de terrasses et de niches. Les Incas n'omet-
taient rien de ce qui pouvait ajouter à la splendeur de leur ca-
pitale.
Le temple du Soleil, dont la richesse est restée proverbiale, était
situé sur une éminence, à 80 pieds au-dessus du Huatenay. On
descendait à la rivière, par une suite de terrasses. Là s'étendaient
les célèbres jardins, où, selon le récit des chroniqueurs espagnols,
les animaux, les insectes, les fleurs, les arbres eux-mêmes, étaient
en or ou en argent (2). Le temple converti aujourd'hui en un
couvent de Dominicains, occupait un des côtés d'une vaste cour,
qui conserve le nom à'Intipampa, le champ du soleil. Les murs
(1) Manco-Capac II fut reconnu par Pizarre comme Inca, après l'exécution d'Ata-
hualpa. Une autre légende chère aux Indiens, raconte différemment sa mort; Manco-
Capac, après la soumission définitive de Cuzco, se serait retiré dans les Andes, où il
continua à lutter contre les Espagnols et où il périt assassiné par ceux qui n'avaient
pu le vaincre. Voy. Prescott, Conquest of'Peru, liv. III, ch. x.
(2) Tout le quartier, où s'élevait le temple, portait le nom caractéristique de Cori-
cancha, la ville d'or.
414 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
intérieurs et extérieurs étaient revêtus de plaques en or (1). Au-
dessus de l'autel tourné vers l'est, on voyait une représentation
colossale du soleil, également en or (2). Tout autour, étaient dé-
Fig. 168. — Aqueduc sur le Rodadero.
posés les corps desséchés des Incas, qui semblaient rendre un
dernier hommage à leur père.
La cour était entourée de sanctuaires dédiés à des divinités
inférieures, telles que la lune, les étoiles, le tonnerre, les éclairs,
l'arc-en-ciel, manifestations visibles et actives de l'Etre supérieur
à tous, essence et cause suprême de toutes choses. Au centre,
une fontaine creusée dans une pierre d'assez grandes dimen-
sions verse encore aujourd'hui aux religieux, l'eau nécessaire à
(1; Ce dernier fait peut être vrai; car Squier raconte avoir vu dans diverses mai-
sons de Cuzco, conservées comme des reliques, des plaques en or, provenant du tem-
ple du Soleil. Ces plaques, nous dit-il, avaient à peineTépaisseur d'une feuille de papier.
(2) Lors de la conquête, la figure du soleil échut à un certain Mancio-Serra de Le-
guicano, joueur effréné, qui la perdit en un seul coup de des.
LE PÉROU. 413
leurs besoins. Cette pierre, comme celles qui entraient dans les
murs du temple, était revêtue de plaques en or et Garcilaso
raconte qu'il avait vu lui-même l'eau y couler par des conduits
également en or.
h'Aclahuasi n'était séparé du temple que par un grand bâ-
timent qui servait de logement aux prêtres. Les murs sont encore
debout, sur une longueur de 750 pieds et une hauteur variant de
20 à 25. Ils attestent la splendeur de l'édifice, où les filles des
Incas étaient envoyées dès l'âge le plus tendre et oii elles étaient
soumises à une rigoureuse discipline.
Les Incas ne pouvaient oublier leurs propres demeures, dans
la ville 011 ils résidaient. Chaque Inca élevait un palais à son
avènement et, à sa mort, ce palais devenait l'habitation de ses
fils. Celui de Iluayna-Capac, le plus illustre de sa race, n'avait
pas moins de 800 pieds de longueur; toutes les autres dimensions
étaient aussi considérables et les jésuites ont pu établir une
église ; les vice-rois, une prison et une caserne dans ces cons-
tructions d'une inébranlable solidité. Le palais d'Atahualpa
était en adobes ; on montre encore la salle oii il fut empri-
sonné et qu'il devait remplir d'or pour sa rançon. En face de
celui de l'Inca Roca, étaient les écoles Yachahuasi, qu'il avait
fondées et qu'il se plaisait à surveiller; là, les Amautes, littéra-
lement les hommes sages, enseignaient les grandes actions des
incas et conservaient les légendes qui les rappelaient. Des ser-
pents entrelacés élaientsculptéssurla porte du palais de Iluayna-
Capac, on les trouve également sur les murs du Yachahuasi et
sur ceux de plusieurs autres des édifices de Cuzco. Ces sculptures
qui sont un fait exceptionnel dans les constructions Incasiques,
ont évidemment une signification mythologique qui nous
échappe. On a aussi prétendu voir sur d'autres points des hiéro-
glyphes qui ont été comparés à ceux du Mexique ou du Brésil,
mais sans autre résultat, que des conjectures fort hasardées.
Les Incas paraissent avoir pris des précautions extrêmes con- Forteresses.
tre des dangers inconnus pour nous. Etaient-ce les révoltes de
leurs propres sujets? Etaient-ce les incursions des farouches
416 F/AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Chinchas qui vivaient dans les forets impénétrables arrosées
par l'Amazone et ses affluents ? nous ne pouvons le dire ; un seul
point est certain c'est que d'importantes forteresses s'élevaient
sur divers points du Pérou; outre le Sacsahuaman, dont nous ve-
nons de parler, nous citerons parmi beaucoup d'autres, Ollantay-
Tambo, Pisac, Piquillacta et Ghoccequirao.
oiiantay- L'Ucavali (1), unc des branches de l'Amazone, coule à travers
Tambo. J \ /' ^ ^ '
la fertile vallée de Yucay, au milieu de rochers abruptes que
dominent au loin les hautes cîmes chargées de neige des Andes,
Ces rochers témoignent du travail et de l'énergie des hommes;
de tous les côtés, on voit des niches, des grottes artificiellement
agrandies, des mausolées soutenus par des piliers couronnés
d'un linteau, des sculptures (2), jusque sur des points qui
paraissent inaccessibles et à des hauteurs que les condors seuls
sembleraient pouvoir atteindre.
OUantay-Tambo située <à 15 lieues au nord de Cuzco, était des-
tinée à défendre cette vallée ; elle était couronnée par de hautes
tours aujourd'hui presque entièrement écroulées (3). A l'intérieur,
sont des amoncellements de gros blocs porphyritiques rouges
qui permettent de se rendre compte de ce que devait être l'im-
portance de la forteresse (flg. 169).
Quelques-uns de ces blocs portent des ornements finement
exécutés, qui rappellent ceux de Tiaguanaco. Des murailles de
25 pieds de hauteur, crénelées comme celles des châteaux forts
qui couronnent les rives du Rhin, couvrent les flancs de la
montagne et s'étendent en zigzag jusqu'à des précipices, qui
formaient une barrière infranchissable.
Sur un des rochers qui s'élève à pic, à plus de 900 pieds de
hauteur, on aperçoit les ruines d'un petit bâtiment; une porte
s'ouvre au ras du précipice ; les Espagnols lui ont donné le nom
de la horca del hombre et la légende rapporte que les criminels
(1) Cette rivière porto successivement les noms de Vilcamayo, d'Ui-ubamba et do
Yucay.
(2) Parmi ces sculptures, nous citerons un puma allaitant son petit.
(3) Cieça de Léon, c. xciv. — Garcilaso, Comm. Reaies, liv. V, c. xxvii. — Markliam,
Cuzco and Lima. — Squier, Peru, p. 482.
LE PÉROU.
4n
^ étaient conduits et précipités dans l'abîme. Un peu plus
loin est la horca de miijei\ où les épouses infidèles des Incas de-
vaient subir le même supplice.
Nous ne quitterons pas la vallée du Yucay, sans parler d'une
tour ronde, située sur un rocher isolé et construite en pierres
brutes revêtues d'un enduit en stuc. A l'intérieur se voient
des niches, à l'extérieur, une sculpture où un artiste peu habile, a
Fig. 169. — Mur avec niches faisant partie des fortifications d'Ollantay-Tambo.
prétendu retracer un serpent. Au-dessus des portes, en guise de
fenêtres nous retrouvons le tau Egyptien, que nous avons déjà
vu à Palenque. Ces ornements, le soin apporté à la construc-
tion, ont fait croire que cette tour n'était pas un poste d'obser-
vation ou de défense, mais plutôt un temple. La vénération
particulière des anciens Péruviens pour les rochers isolés justifie
cette supposition. Les Indiens actuels ont hérité de la superstition
de leurs devanciers; aucun d'eux ne se hasarderait à passer de-
vant la tour de Calca, sans la saluer profondément et sans lancer
une pierre en murmurant une invocation inintelligible.
De Nadaillac, Amérique. 27
418 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Pisac. La vallée de Pauca-Tambo est parallèle à celle de Yucay, dont
elle est séparée par la chaîne des Andes, Elle était protégée par
la vaste enceinte fortifiée de Pisac. Toutes les déclivités pouvant
faciliter l'ascension, sont couronnées de tours ; tous les endroits,
où le roc présente des aspérités, revêtus de dalles recouvertes d'un
stuc très dur et très poli, qui interdit toute approche; chaque
point stratégique défendu par des ouvrages, que ne saurait sur-
passer la science moderne. Ces fortifications s'étendent à des
distances considérables et forment, si Ion peut se servir de ce
mot, un vaste camp retranché, où des populations entières pou-
vaient vivre à l'abri des attaques et se livrer en paix à leurs occu-
pations agricoles. * =
Nous ne pouvons omettre des monuments fort curieux, aux-
quels on a donné le nom à'intihuatana{\). Ce sont des rochers
isolés, dont le sommet a été parfaitement nivelé et qui sont sur-
montés d'une petite colonne en forme de cône tronqué. Ces in-
tihuatana se rencontrent fréquemment dans toutes les provinces
du Pérou (2) et leur destination est restée fort incertaine.
Celui de Pisac est un des mieux conservés, à raison sans doute
de sa position presque inaccessible (fig. 170). 11 mesure 11 pouces
de diamètre à sa base, 9 à son sommet; sa hauteur est de 16 pou-
ces et on raconte, qu'il y a quelques années à peine, il était en-
touré d'un collier en champi {3), qui, comme tant d'autres reli-
ques intéressantes, est devenu la proie des tapadas. Tout le ro-
cher est entouré de murailles présentant la forme d'un D, et
construites en pierres équarries, parfaitement polies et taillées de
manière à s'adapter à chaque aspérité du rocher.
Différentes conjectures ont été émises pour expliquer l'usage
des intihuatanas. La plus plausible sans contredit est celle qui
(1) Fnti signifie soleil; huatana, le point où une chose est fixée; Intihuatana signi-
fierait donc littéralement, le point où le soleil est fixé.
(2) Squier en cite plusieurs dans la vallée de Pisco; un dominant la petite ville d'Ol-
lantay-Tambo, un autre au pied de la terrasse de Colcompata à Cuzco. Il est bien pro-
bable qu'un de ces intihuatana s'élevait devant le temple du soleil et on peut encore
retrouver les traces d'un autre, devant le temple do l'île de Titicaca.
(3) Le champi est le nom du bronze péruvien. Squier, Peru, p. 525.
LE PEROU.
449
les représente comme des gnomons, destinés à mesurer la hau-
teur du soleil.
La forteresse de Piquillacta était située au sud des posses-
sions des premiers Incas, non loin des carrières, qui avaient
fourni les pierres pour les constructions de Cuzco. Un mur qui
mesure 750 pieds de longueur, sur 36 pieds de profondeur à
sa base et 34 pieds de hauteur reste encore debout, pour indiquer
Piquillacta.
Fig 170. — L'intihuatana de Pisac.
son emplacement. Les montants des deux entrées sont en pierres
appareillées, les autres parties en moellons bruts noyés dans
l'argile. Près de Piquillacta était Tancienne ville de Muyna, où
s'était réfugié l'Inca Yahuar-Huacac, dans la terreur que lui
causait une invasion des Chinchas (1) et où son fils Yiracochale
contraignit à demeurer, après avoir vaincu par sa bravoure les
rebelles et ceint le Uautu royal (2).
(1) Garcilaso, /. c, trad. franc., 1. 1, p. 136 et s.
(2) Le Uautu était un bandeau qui faisait deux ou trois fois le tour de la tête et qui
était orné d'une frange tombant sur les yeux. Il était noir pour les membres de la
famille de l'Inca, jaune pour ses descendants directs, l'Inca seul avait le droit de
porter un Uautu rouge. Il portait aussi comme insignes, le Masca-paycha ou aigrette
rouge et le Capac-ongo ou manteau royal.
420 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
choocequirao- Au bords dc l'Apurimac (1), sur la crête du contrefort d'un
glacier entouré de précipices, s'élevait la forteresse de Chocce-
quirao, la résidence des héritiers de la couronne des Incas (2),
plus tard, l'asile des derniers survivants de la race de Manco-
Capac.
Rien ne peut égaler la grandeur sauvage de ces lieux (3). On
est confondu de voir que l'industrie de l'homme avait pris pied
sur les rochers, où le condor avait construit son aire. Les
premières ruines, qui se dressent devant le voyageur sont des
circonvallations de défense. M. Angrand a conjecturé que les
bâtiments, que l'on aperçoit ensuite, devaient servir de prison;
il avait en efîet remarqué que les portes étaient fermées par
des pierres d'un poids énorme. A 150 mètres plus bas, en sui-
vant l'inclinaison de la crête, on arrive au palais, à la salle des
bains, où l'on peut encore voir l'emplacement dc la baignoire
qui devait être en or comme tous les vaisseaux et tous les usten-
siles à l'usage des Incas, puis à deux bâtiments , qui , selon
M. Angrand, auraient été, l'un, une salle pour la célébration des
fêtes (4), l'autre, une ménagerie. Sur les murs de la ménagerie
sont fixés des anneaux en pierre faisant saillie ; les animaux
féroces envoyés aux princes de toutes les parties de leur empire
y étaient enchaînés.
Le palais comprend trois corps de bâtiments rectangulaires (5) ;
les deux premiers se composent d'un rez-de-chaussée et d'un
étage. Ils sont partagés, dans le sens de leur longueur, par un
mur intérieur qui forme à chaque étage deux pièces allongées.
Le troisième bâtiment n'avait qu'un rez-de-chaussée, de plein
(1) L'Apurimac, selon toute apparence, est la branche principale de l'Amazone.
("2) Le nom môme de Choccequirao {berceau précieux} indique cette destination.
(3) Desjardins, Le Pérou avant la co7iquêle espagnole, p. 138 et s. — Le comte de
Sartiges en 1834, M. Angrand en 1847, sont les seuls Français qui aient visité Chocce-
quirao. C'est à eux que nous empruntons les détails que nous donnons.
(4) Cette salle a 42 mètres de long sur 12 mètres de large. Les fenêtres qui l'éclai-
rent, présentent une forme analogue à celle des monuments égyptiens.
(5) Deux d'entre eux ont 10 mètres de large sur 15 de long ; le troisième 8 mètres
sur 15.
LE PÉROU. 421
pied avec l'étage des deux autres, la terrasse qui le couronnait
leur servait d'accès.
De l'autre côté du palais, à une assez grande élévation, est
une véritable forteresse, qui commande l'entrée et ne laisse
d'issue, que quatre ouvertures pratiquées dans les murs. Sur le
sommet de la crête, au delà de ces quatre portes, sont des rui-
nes, celles d'un temple probablement.
Nous pourrions multiplier ces descriptions, dans toutes les
parties du vaste empire des Incas, on rencontre des construc-
tions imposantes, élevées souvent sur des hauteurs inaccessibles.
Les Indiens connaissent-ils d'autres chemins que ceux que les
rares voyageurs doivent aujourd'hui affronter? C'est un point
qui reste douteux; mais quand même on découvrirait des voies
plus praticables, nous serions toujours en présence de difficul-
tés qui paraissent insurmontables et qui cependant n'avaient
poini arrêté les vieux habitants du pays.
Des travaux plus utiles restent comme les témoins du gouver- Routes, ca-
nement des Incas. Des routes couvraient déjà le pays dans des servoirs.
temps, où il n'en existait guère en Europe. Deux de ces routes
allaient du nord au sud, de Quito vers Cuzco; l'une se dirigeait
sur un parcours de 1200 miles, à travers les sierras et les contre-
forts des Andes ensevelis sous des neiges perpétuelles (1). L'autre,
achevée par l'Inca Huayna-Capac, suivait la côte; sa longueur
était de 1600 miles. Ces routes, que Humboldt ne craint pas de
comparer aux chaussées romaines, avaient de 18 à 26 pieds de
largeur; elles étaient protégées contre l'éboulement des terres
par des murs en pisé, pavées en blocs de pierres et sur certains
points chargées de cailloux, premier essai de macadam. Elles
suivaient toujours la ligne droite, gravissant les pentes les plus
raides, selon la coutume des Indiens qui ne savent point tourner
un obstacle. Les ravins, les marais étaient comblés par des
remblais en maçonnerie ; les rochers coupés, quelquefois sur
un parcours considérable, les ruisseaux, les torrents franchis au
(1) Ce fut cette route que suivit Almagro, lorsqu'il fut envoyé par Pizarre, pour sou-
mettre le Chili.
422 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
moyen de ponts en fibres d'aloès, en lianes, en roseaux dont la
légèreté n'excluait pas la solidité (1); là où la végétation était
possible les routes étaient plantées d'arbres qui apportaient
l'ombre et la fraîcheur, et des tambos oii le voyageur fatigué
pouvait se livrer au repos, s'élevaient de distance en distance,
dans les montagnes.
Tel est le récit des historiens espagnols (2) qui ont quelque
peu exagéré l'importance de ces travaux (3). Des recherches
récentes permettent de rétablir la vérité. Sur certains points du
parcours, dans les endroits difficiles surtout, le chemin n'était
pas creusé, la roche n'était pas aplanie ; des jalons indiquaient
simplement la direction que l'on devait suivre pour éviter les
précipices. Dans les déclivités du sol, on avait construit des mar-
ches, soutenues seulement par une rangée de petites pierres; ce
ne sont point des escaliers propres à faciliter l'ascension, mais de
simples remblais, pour empêcher les terres de s'ébouler. Comme
les Péruviens ne possédaient pas de bêtes de somme, les voyages
se faisaient à pied, les transports à dos d'homme ; dans ces con-
ditions, ces chemins tout défectueux qu'ils peuvent nous paraître,
répondaient à tous les besoins des habitants.
Nous avons déjà dit que l'eau si précieuse dans les climats
tropicaux, étaient recueillie avec soin dans des réservoirs
établis à des altitudes élevées, puis conduites par des ace-
quias ou canaux d'irrigation en maçonnerie, à des distances
parfois de plusieurs centaines de miles (4). Pour donner une
(1) La construction de ces ponts aujourd'hui encore en usage, est fort simple. On se
sert de deux cordes en fibres de maguey ou d'agave du diamètre de trente centimè-
tres, passant sur des piles en maçonnerie et solidement amarrées à 5 ou 6 mètres do
la pile. Des cordes verticales sont attachées à ces cables et sur elles repose le tablier
du pont en roseaux tressés. Les Péruviens savaient cependant construire des ponts en
maçonnerie ; celui de Rumichaca par exemple, remonte à Huayna-Capac (Bollaërt,^w^.
Ethn. and other Reaearches, p. 90).
(2) Citons notamment Zviva.te, Hist.del Descubriemento y Conquistadel Peru. An\crs.
1^55, liv. I, c. XIII. On peut aussi consulter Gieça de Léon (c. xxxvii), Garcilaso et parmi
les écrivains modernes Humboldt, Rivero et Tschudi.
(3) Desjardins, /. c, p. 165 et s.
(4) « I hâve followed them for days together and hâve seen them winding amidst tho
projections of hills, curving in and out as topography required; hère sustained by high
LE PÉROU. 423
faible idée de ce qu'étaient ces travaux, nous citerons dans la
vallée de la Nepana, un réservoir établi au moyen d'un bar-
rage en quartiers de roches fortement cimentés, qui fermait
deux gorges profondes. Le réservoir n'avait pas moins de trois
quarts de mile de longueur, sur une largeur d'un demi-mile.
Les murs mesuraient 80 pieds d'épaisseur à leur base et pou-
vaient supporter les plus fortes pressions. M. Wiener cite éga-
lement un travail hydraulique remarquable; d'immenses vases
communiquant entre eux conduisaient à une hauteur considé-
rable l'eau du Cerro de Pasco au Cerro de Sipa,
Des constructions moins importantes, d'un grand intérêt
néanmoins, se voient à Huanuco Viejo (1), où existait un
Fig. 171. — El Castillo de Huanuco.
palais des Incas (fig. 171), et où la tradition, fondée peut-être sur
les nombreuses sculptures de pumas qui ornent les murs,
veut qu'ils entretenaient une ménagerie. Des portes monu-
walls of masonry, there eut into the living rock and in some cases conductcd in tun-
nels, through sharp spurs of the obstructing mountains. Occasionally, they were car-
ried over narrow valleys or dépressions in the ground on embankeraents fifty or
sixty feet high; but generally they were deflected around opposing obstacles, on
an easy and uniform descending grade. » Squier, Peru, p. 218.
(1) Huanuco Viejo, àpeu de distance des célèbres mines d'argent du Cerro de Pasco,
est ainsi appelé pour distinguer la ville ancienne de la ville nouvelle, située à 16 lieues
plus à l'Est. Xérès dit que la première avait près de 3 lieues de tour. Les pierres,
ajoute-t-il, étaient admirablement travaillées et s'adaptaient les unes aux autres sans
ciment ni mortier d'aucune sorte. Paz-Soldan, Geog. del Peru, p. 271.
sépulcrales.
424 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
mentales, assez semblables aux pylônes égyptiens y condui-
saient (1).
Les travaux d'eau étaient nécessaires non seulement pour l'a-
limentation de la population, mais aussi pour l'irrigation des
terres. L'agriculture élait en grand honneur chez les vieux Pé-
ruviens; aucune difficulté ne les arrêtait; ainsi dans les dunes
désolées qui forment les côtes, le sable était enlevé à une grande
profondeur, jusqu'à ce que l'on eût atteint un sol naturelle-
ment humide; les excavations étaient remplies avec du guano
dont on appréciait déjà l'utilité. Les jardins de l'Inca, tel est
le nom qui leur a été donné, conservent encore leur fertilité et
c'est sur un sol ainsi préparé que poussent les riches vignes qui
entourent la ville d'Iça.
Cimetières, La sépulturc, disious-uous dans une étude précédente (2),
pX^Grottes a été constammcut une des préoccupations les plus sérieuses
de l'humanité et toujours un sentiment religieux s'est associé
aux honneurs funéraires : « Priver les hommes de sépulture,
disait Euripide, c'est offenser les dieux. » Le Pérou enseigne
à son tour cette même histoire ; partout les tombeaux sont nom-
breux et les modes de sépulture des plus variés. A Chimu, les
cadavres étaient inhumés dans une position repliée et disposés
au milieu des sables, par couches qui diminuaient toujours d'éten-
due à mesure que la nécropole s'élevait et formaient ainsi une
pyramide (3). Auprès d'Acora, petite ville non loin du lac de
Titicaca, ils étaient placés sous des mégalithes (4) qui rappellent
(1) « Theso ruins are intoresting from the six stone portais, one witliin the othor. »
Bollaërt, l. c, p. 199.
(5) Les Premiers Hommes, t. II, p. 235.
(3) M. Desjardius [L c, p. 168) décrit une des sépultures les plus considérables,
la Huaca San Pedro.
(4) On rencontre aussi des mégalithes témoignant d'un art plus avancé. Wiener parle
d'une construction cyclopéenne auprès de Vilcabamba. Squier reproduit un mégalithe
intéressant qui s'élève auprès de Chicuito. C'est un rectangle, mesurant G5 pieds
de longueur, formé par de gros blocs do pierre fichés en terre et s'élevant à 14 pieds
au-dessus du sol. Il existe une seule ouverture tournée vers l'Est et masquée par
deux blocs de dimensions considérables. On attache dans l'Amérique du Sud une
certaine importance à ces mégalithes. « Pero lo que sin duda es aun de mas impor-
tancia es cncontrarse por muchos puntos dcl tcrritorio peruano, construcciones en
LE PÉROU. *25
nos dolmens el nos cromlechs (fig. 172). Une vaste plaine est
couverte de pierres, plantées debout, formant tantôt des cercles,
tantôt des carrés et souvent recouvertes de larges dalles, qui
renferment la chambre sépulcrale.
Ces sépultures, sont dues aux Aymaras, et elles datent
probablement de l'époque où ces peuples obéissaient à des
chefs indépendants. Nous ne savons de leur histoire que le
titre de Curacas que portaient ces chefs el qu'ils ont conservé
Fig. 172. — Sépulture mégalithique à Acora.
SOUS es incas. Plus tard, avec les progrès du pays, les monu-
ments grossiers firent place à des tombeaux plus magnifiques;
de là, les tours ou chulpas, qui, confondus avec les méga-
lithes couvrent toute la plaine d'Acora. Les chulpas compren-
nent un massif de maçonnerie en pierres brutes et en argile,
revêtu à l'extérieur de gros blocs de trachyte ou de basalte.
Le massif est construit de façon à ménager un cist, où le
corps était déposé; la porte généralement très basse, est toujours
tournée vers l'est, comme un hommage sans doute au soleil
levant. Presque tous portent une corniche rapprochée du som-
met et sont érigés sur une petite plate-forme en dalles. Squier
pie.dra, iguales por el estilo y gl carâcter à esos cromlechs, dolmenes, circules del
Sol 6 druidicos de la Escandinavia, las islas Britânicas, Francia, Asia, etc. » Ameghino,
/. c, t. I, p. 100.
426 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
en cite dont la hauteur dépassait 24 pieds. Une ouverture de
iS pouces carrés donnait accès à la chambre funéraire (1). Il
parvint à y pénétrer avec de grandes difficultés; mais seule-
ment pour constater que d'autres l'avaient précédé et pour
ne recueillir que quelques débris d'ossements humains et quel-
ques misérables fragments de poterie.
Nous reproduisons un de ces chulpas, situé dans la montagne
auprès du village de Palca (fig. 173). Il s'élève sur une excava-
Fig. 173. — Chulpa auprès de Palca.
tion de quatre pieds de profondeur formant une véritable cave,
soutenue par des murs en pierres brutes. Sa hauteur est de
16 pieds, et à 2 pieds environ du sommet, on distingue une
corniche formée à'ichu, herbe grossière qui pousse dans les mon-
tagnes, fortement comprimée, puis taillée à l'aide d'instruments
tranchants (2). La maçonnerie est un mélange de cailloux et
(1) Cette chambre mesurait H pieds carrés ; sa liauteur était de 13 pieds.
(2) Des corniches semblables se retrouvent sur plusieurs points. Squier en cite
auprès de Tiuhuani [Peru, p. 388).
LE PÉROU. 427
d'argile, enduit en stuc, puis peint en blanc et en rouge de
manière à produire des dessins variés. Les ossements humains
confondus dans le plus étrange désordre, formaient dans la
chambre sépulcrale, un dépôt de plus d'un pied d'élévation.
Les chulpas sont en général de forme carrée ou rectangu-
laire; quelquefois cependant on rencontre des tours rondes,
mais, par une disposition particulière, leur diamètre va en s'é-
largissant de la base au sommet. Les distributions intérieures
ne sont pas moins diverses ; les unes renferment des voûtes cin-
trées ; d'autres des cists recouverts de dalles de pierre, ou même
de simples niches. Nombreux dans la Bolivie et dans tout le
Collao (1), on peut les voir par groupes variant de vingt à cent sur
les flancs des montagnes, ou sur les rochers isolés ; partout, ils
forment un des traits caractéristiques du paysage.
Auprès de Tiuhuani, sur la rive est du lac, on trouve plu-
sieurs chulpas, qui renferment deux cists funéraires. Us sont
peints en rouge, en jaune ou en blanc, et comme les pluies sont
des plus rares dans toute la région, les couleurs sont remarqua-
blement conservées. Ces chulpas doubles_, véritables tombeaux
de famille, renfermaient jusqu'à douze squelettes. Dans la vallée
d'Escoma, on cite un chulpa, avec deux chambres sépulcrales,
ayant chacune une entrée séparée. Il avait été fouillé à diverses
reprises et complètement dévalisé par les tapadas. Quelques
débris d'ossements restent seuls, comme les témoins de sa desti-
nation première.
Las Casas (2) raconte qu'au moment de la conquête espa-
gnole, les Péruviens continuaient ce même mode d'enseve-
lissement : « Dans certaines provinces, ajoute-t-il, leurs sépul-
tures sont des tours de construction massive, creusées à la
hauteur d'un estado (3). Sur certains points, elles sont rondes,
sur d'autres carrées, mais toujours très élevées et assez nom-
breuses pour couvrir de grands espaces. Quelques-uns des indi-
(1) Le Collao est le bassin du lac Titicaca ; il est limité par les Andes et la Cordillère.
(2) Hist. Apologetica de las Yndias.
(3) Six pieds.
428 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
gènes les construisent sur des éminences à une demi-lieue et
plus des villes, en sorte qu'elles semblent de loin des villages
populeux. Chacun a une sépulture particulière pour ses ancêtres.
Les morts sont enveloppés de peaux de lama, où l'on a soin
de marquer les yeux et la bouche, puis recouverts d'autres vête-
ments; ils sont ensuite placés sur leur séant et les portes des
sépultures, qui s'ouvrent toujours vers l'est, sont murées. Sur
d'autres points, les morts enveloppés comme nous venons de le
dire, sont déposés dans leurs maisons, souvent au milieu des
vivants. Ils n'exhalent aucune odeur, à raison des peaux dans
lesquelles ils sont fortement cousus et aussi à cause du froid qui
les momifie rapidement. Les chefs sont placés dans la prin-
cipale pièce de leur demeure, chargés des insignes de leur rang
et des bijoux qu'ils affectionnaient. »
Sur les côtes du Pacifique, les modes de sépulture étaient
Fig. 174. — Vase ea terre provenant d'une ancienne tombe péruvienne (1/4 grandeur).
différents. Auprès de Quito, au nord du royaume des Incas,
le corps, réduit à une dessiccation complète, était déposé dans
un tombeau, construit en pierres ou en adobes ; on plaçait
LE PEROU.
429
auprès du mort des vases (1) de forme souvent originale (fig. 174,
175 et 176) destinés à recevoir le mais ou la chicha (2), de tout
temps la boisson nationale par excellence. On a retiré de ces
tombeaux, des petites haches en cuivre, des miroirs, les uns en
pierre polie ou en obsidienne, les autres en métal, des colliers,
des pendants pour le nez ou pour les oreilles, des bracelets, des
figurines en or ou en argent. A l'extrême sud, toute la vallée
de Copiapo (Chili), est couverte de huacas, en forme de mound,
175. — Vase provenant d'une tombe Fig. HG. — Vase d'une ancienne tombe
péruvienne (1/4 grandeur). de la baie de Cliacota (1/4 grandeur).
qui mesurent jusqu'à 12 pieds de hauteur et de 20 à 30 pieds
de longueur. Darwin, dans son voyage autour du monde, avait
assisté aux fouilles d'un de ces tumuli ; il renfermait deux sque-
(1) Des vases de forme à peu près semblable, servent encore aujourd'hui à préparer
les infusions de Coca (Erythroxylon Coca). On peut consulter sur cette plante une
excellente monographie du D' L. A. Cosse, publiée ^ Bruxelles en 1861.
(2) La cliicha est obtenue par la fermentation du mais grillé.
430 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
lettes, celui d'un homme et celui d'une femme (fig, 177). A en
juger parles objets recueillis dans la tombe, ils appartenaient à
Fig. m. — Momie d'Aymara (Muséum d'Hist. nat. de Paris).
la classe la plus pauvre. C'étaient de grandes jarres en poterie
du travail le plus grossier, des pointes de flèche en silex,
LE PÉaOU. -431
des épingles en cuivre, et des pierres à peine dégrossies, desti-
nées à broyer le mais (1).
Entre ces deux points extrêmes, nous trouvons d'autres sépul-
tures, variant seulement selon la richesse du vivant. Des huacas
auprès d'Arica fouillés en 1712, ont montré des morts enveloppés
de riches étoffes et à côté d'eux, des vases en or et en argent (2).
Les cadavres momifiés par la sécheresse du climat, car ils
n'offraient aucune trace d'embaumement, étaient assis. Plu-
sieurs portaient dans leur bouche une petite plaque en or (3).
En 1836, de nouveaux explorateurs reprenaient ces fouilles sur
les rivages de la baie de Chacota, à un mile et demi d'Arica (4).
Les tombes étaient toutes de forme circulaire, leur diamètre
variait de 3 à 5 pieds, leur profondeur de 5 à 6 pieds; souvent
elles étaient entourées d'un cromlech de pierres debout, d'autres
fois surmontées d'un mound. Toutes conservent les traces de
grands feux allumés après l'inhumation, pour obéir sans doute
à un rite consacré.
Le plus grand nombre de ces tombes avait été violé. Celles res-
tées intactes permirent de constater le mode de sépulture ;
quelques-uns des corps avaient évidemment été desséchés avant
l'inhumation; d'autres paraissaient enduits avec une substance
résineuse (5). Tous étaient assis sur des dalles de pierre, les bras
ramenés sur la poitrine, les jambes repliées, la tête penchée sur
les genoux. Ils étaient vêtus d'une grossière étoffe de laine cousue
en guise d'aiguilles, avec de fortes épines de cactus, laissées dans
le vêtement. Le cadavre portait tous les objets nécessaires à la
vie. Les hommes (fig. 178), des armes, des outils, desornements;
(1) Voyage d'un Naturaliste autour du monde, p. 368. — Bollaërt, /. c, p. 175.
(2) Bollaërt, /. c, p. 151.
(3) Rivero et Tschudi, Antiguedades Peruanas.
(4) J. Blake, Notes on a Collection from the ancient Cemetery of the Bay of Cha-
cota; Reports Peabody Muséum, t. II, p. 177 et s.
(5) Agassiz cite des corps conservés par ce procédé à Pisagua. Selon M. Putnam,
ceux provenant du cimetière d'Ancon ne sont pas momifiés à l"aide de substances ré-
sineuses. Sur ce dernier cimetière, il faut consulter Wiener [Pérou et Bolivie) qui y
a fouillé de nombreuses tombes.
432 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
les enfants, des jouets; les femmes (fig, 179) (1), des quenouilles
chargées de laine, des pelotons de fil, des aiguilles en bois
souvent d'une extrême finesse, des peignes, bien d'autres instru-
ments dont l'usage est inconnu, des petites coquilles servant de
monnaie (2), des sacs renfermant soit des cheveux, dernier sou-
l'"ig. 178. — Momie péruvienne.
venir adressé au mort, soit des provisions pour le long voyage (3),
épis de maïs, ou feuilles de coca.
(1) La momie que nous donnons (fig. 179) a été reproduite sur une photographie
exécutée, après qu'on eût retiré tous les objets que la femme portait.
(2) Littorina Peruviann.
(3) Le Peabody Muséum possède un véritable panier à ouvrage, renfermant les
objets nécessaires au travail féminin. Il a été trouvé sous un huaca du Pérou.
LE PÉROU. ^33
Tous ces objets, grâce à la sécheresse du climat, sont merveil-
leusement conservés (i). Par une pensée touchante, les parents
de la morte, dont nous reproduisons les traits, avaient déposé
Fig. 179. — Momie d'une femme trouvée dans la baie de Cbacota.
auprès d'elle, non seulement des vases de toutes formes (fig. 174,
173, 176, 180), mais encore des étoffes qu'elle avait commencé à
tisser et que la mort l'avait sans doute empêché d'achever (2). Les
cheveux de couleur brune peu foncée étaient fins et soyeux ; les
jambes depuislachevillejusqu'aux genoux, peintes en rouge, mode
chère probablement à la coquetterie féminine, car on avait pris
soin de placer auprès de la morte des petites vessies remplies
de gomme résineuse et de poudre rouge, pour continuer sa
toilette, dans la vie nouvelle qui commençait pour elle (3).
(1) Bul. Soc. Anth., 1881, p. 550.
(2) A Pachacamac, les fouilles ont donne un métier chargé d'une étoffe à demi
tissée.
(3) Les femmes Galibis se peignent encore aujourd'hui les jambes au moyen du
De Nadaillac, Amérique. 28
^*'i4 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
A Iquique, un huaca ne renfermait pas moins de cinq cents
cadavres, tous assis et enveloppés de longs manteaux de couleur
Fig. 180. — Vase d'un tombeau de la baie de Chacota.
différente (1). Certains rites restent inexpliqués : ainsi, en
1830, on découvrait, à l'entrée de la vallée de Tarapaca un
Fig. 181. — Vase d'une ancienne sépulture péruvienne (Grandeur naturelle).
huaca entouré d'un cercle de pierres debout ; au centre, on
Toucou, poudre végétale d'un beau rouge, que l'on fait dissoudre dans de l'huile extraite
de certaines graines oléagineuses.
(1) Bollaërt, l. c, p. 167.
r
LE PÉROU. ^35
relevait le squelette d'une femme et auprès d'elle, ceux de quatre
hommes; sur chacun on avait placé trois grosses pierres. Parmi
les nombreux objets provenant de cette sépulture, on cite une
statue de femme, dont le visage était en argent.
Pachacamac était, nous l'avons dit, un lieu sacré pour les
anciens habitants du Pérou, et le temple un but de pèlerinage.
Ses abords sont un vaste cimetière ; et le sol sableux et chargé
de nitre a conservé jusqu'à nous les momies confiées à la terre.
Sur certains points, il est facile de constater trois ou quatre
étages de cadavres ; des générations d'adorateurs reposaient
à l'ombre des murs, objet de leur respect. Les tombes étaient
construites en adobes et recouvertes en cannes. Les corps
avaient été repliés ou plutôt roulés sur eux-mêmes, puis enve-
loppés dans une toile de coton très fine et dans des couvertures
fabriquées avec la laine du vigogne ou de Talpaca. Ici aussi les
tombes renfermaient les objets les plus variés. Les riches conser-
vaient leurs ornements, les pauvres devaient se contenter d'un
petit morceau de cuivre, l'obole destinée à Caron dans les rites
funéraires de la Grèce (1). A côté de chacun, on plaçait les outils
(le sa profession ; auprès du pêcheur, les filets et les hameçons ;
auprès de la jeune fille, les ustensiles du ménage. Avec les
vases qui se rencontrent toujours dans les sépultures péru-
viennes, on trouve souvent à Pachacamac, des morceaux de
quartz ou de cristal grossièrement taillés ; c'étaient, selon le père
Arriaga (2)^ les Canopas, les dieux lares du foyer qui devaient
continuer leur protection au défunt dans la nouvelle vie où il
entrait ; les Canopas chargés de veiller sur la famille étaient
toujours remis à l'aîné des fils.
Si nous nous éloignons du Pacifique, les grottes au besoin
artificiellement agrandies, servaient fréquemment de lieux de
sépulture. Dans la vallée du Yucay, comme dans celle dominée
par la forteresse de Pisac, les flancs presque inaccessibles des
(1) M. Wiener, dans ses fouilles d'Ancon, a trouvé un grand nombre de ces petites
plaques en argent ou en bronze, placées dans la bouche des momies.
(2) Extirpacion de la Idolatria del Peru. Lima, 1621.
436 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE. .
montagnes en sont couverts jusqu'à une hauteur de plusieurs
centaines de pieds ; et aujourd'hui encore, les rares habitants du
pays les appellent, en souvenir de leurs hôtes, Tantama-Marca^
les précipices de la désolation. Les rites funéraires étaient sem-
blables à ceux que nous avons décrits; les cadavres étaient assis,
enveloppés tantôt dans des toiles de coton, tantôt dans de simples
nattes, mais toujours la tête était inclinée sur les genoux; des
vases, des outils fort grossiers composaient le mobilier funéraire.
Dans la vallée de Paucar-Tambo, les rochers avaient été nivelés
et les tombeaux construits en pierres appareillées. Ils étaient
murés après l'ensevelissement et les pierres recouvertes d'une
couche de stuc peint en couleurs voyantes. Le soin apporté à
ces tombes avait été un appas irrésistible pour les tapadas,
elles avaient été les premières violées et tout ce qu'elles ren-
fermaient, dispersé sans profit pour la science (1).
Plusieurs voyageurs parlent aussi d'une grotte d'une certaine
étendue, qui a reçu le nom approprié à' Infernillos (2). A l'entrée
sont de grossières sculptures figurant des personnages des deux
sexes. Sur les parois, on remarque plusieurs fois répétée l'em-
preinte d'une main humaine tracée soit avec du cinabre, soit
avec de l'oxyde de fer ou plus simplement encore par l'appli-
cation de la main elle-même, trempée dans une substance
colorante. C'est la mano Colorado, dont nous ignorons la signi-
fication, mais qui se retrouve sur divers points des deux Amé-
riques (3) et qui est signalée aussi en Australie (4). Il est difficile
de croire que ce soit là une circonstance purement fortuite.
Religion, Les Péruviens distinguaient l'âme [runa) , intelligente et imma-
térielle, du corps, dont le nom allpacamasca (la terre animée),
est caractéristique (5). Ils admettaient une vie future ;, l'homme
qui avait bien employé sa vie mortelle, se rendait après sa mort
dans Y Hananpacha, le monde d'en haut, o\x l'attendait sa
(1) Squiei-, Peru, p. 491-531.
(2) Bollaërt, /. c, p. 152.
(3) Voy. ch. V, p. 253.
(4) Miles, Ethn. Soc. of London, t. III. — Nature, 7 mai 1&81.
(5) Desjardins, /. c, p. 100.
Culte.
LE PÉROU. 437
récompense; si, au contraire, il avait mal vécu, il était précipité
dans YUrupacha, le monde d'en bas. Cette vie future, heureuse
ou malheureuse, devait être toute matérielle. Quelle autre signi-
fication peut-on donner aux objets si divers, amoncelés dans
les tombes, chez les Aymaras comme chez les Qquichuas, chez
les prédécesseurs des Incas, comme chez les contemporains des
Espagnols?
La croyance à l'immortalité de l'àme, à la récompense des
bons, à la punition des méchants, implique nécessairement celle
d'êtres supérieurs à l'homme, exerçant sur lui une influence
et durant sa vie et après sa mort. Les Péruviens adoraient, nous
l'avons dit à plusieurs reprises, le soleil, la lune, les étoiles, le
tonnerre. Dans certaines contrées, la terre était l'objet de leur
culte ; dans d'autres, la mer, les sources, les montagnes, princi-
palement celles couvertes de neige [razu] (1). A côté de ces
forces visibles de la nature, il existait des dieux inférieurs, Papap-
conopa, que l'on invoquait pour obtenir une bonne récolte de
patates, Caullama^ le protecteur des troupeaux, Chichic, qui,
comme le dieu Terme, assurait le respect des propriétés, Lacar-
villca^ qui présidait aux travaux d'irrigation. Sur d'autres points,
les morts eux-mêmes étaient invoqués comme les protecteurs de
leur famille. Ces dieux étaient probablement les représentants
d'anciennes idolâtries, qui survivaient aux peuples chez lesquels
elles avaient pris naissance. Quelques tribus plus grossières ado-
raient les animaux, le condor, le puma, la chouette, le serpent,
les produits mêmes de la terre, tels que le mais ou les patates.
Mais ces différents peuples, en se soumettant aux lois des Péru-
viens, se convertissaient, de gré ou de force, au culte du soleil.
Les guerres des Incas avaient un caractère essentiellement
religieux (2) et nous ne pouvons mieux les comparer qu'à celles
des Musulmans, alors que l'Islamisme, propagé par le glaive, se
(1) Les pierres étaient aussi l'objet de la vénération des Péruviens ; elle s'explique
par une de leurs traditions, qui raconte que Viracocha avait communiqué la vie aux
pierres et crée ainsi les premiers hommes et les premières femmes.
(2) Desjardins, /. c, p. 95.
438 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
répandit avec une si étrange rapidité sur des régions entières.
Des recherches récentes ont montré qu'à une certaine
époque, les prêtres péruviens enseignaient l'existence d'un dieu
suprême, le Deus ignotus, auquel aucun temple n'était dédié (1)
et dont nul ne devait retracer l'image (2). Il était adoré sous le
nom de Pachacamac dans le haut Pérou, sous celui cle Vira-
cocha à Cuzco; le soleil, la lune, les astres, n'étaient que les for-
mes symboliques de sa puissance, celles sous lesquelles il se
manifestait aux hommes; les animaux étaient sa création, les
produits de la terre un don de sa bonté. Molina a conservé
quelques prières fort belles, toutes adressées à ce dieu unique et
créateur ; elles attestent chez leurs auteurs les sentiments les
plus élevés (3). Mais leur authenticité ne paraît pas suffisamment
prouvée et il est probable, que si la conception d'un dieu unique
existait chez quelques esprits éclairés, les masses confondaient
avec ce dieu lui-même, les symboles qui le caractérisaient.
Les Péruviens offraient à leurs dieux des fleurs, de l'encens,
des animaux, tels que les tapirs, les cobayes, les serpents. A la
grande fête du Raymi ou du feu sacré, on sacrifiait un lama. A
certaines occasions solennelles, lors d'une victoire ou de l'avène-
ment d'un Inca par exemple, on immolait devant l'image du
Soleil, un enfant ou une vierge choisie pour sa beauté (4); mais
ces sacrifices étaient rares et ils n'étaient jamais suivis des
odieux festins, qui accompagnaient invariablement les sacrifices
humains chez les Mexicains.
(1) Il existe cependant un temple, érigé en l'honneur de ce dieu suprême, par l'Inca
Viracocha, à qui il était apparu, pour lui ordonner, au refus de son père Yahuar-
Huacac, de marcher contre les ennemis qui osaient envahir les terres du soleil, lui
promettant une victoire décisive. Garcilaso nous a conservé une description de ce tem-
ple qui fut détruit par les Espagnols.
(2) fielacion Anonijm. de las Costumbres Ajitiguas de los Nalwales del Peru.
(3) Saggio délia Storia del Chili. — Markham, Narratives of the Rites and Laws
ofthe Incas, published for the Hackluyt Society, London, 187-3.
(4) Garcilaso (Com. Real., p. I, lib. II, c. ix) affirme que les sacrifices humains avaient
été complètement abolis par les Incas ; mais il est contredit par tous les chroniqueurs
espagnols, Sarmiento, Montosinos, Balboa, Gieça de Léon, Ondegardo, Acosta. Leur
unanimité permet de supposer que Garcilaso descendant des Incas, a été entraîné dans
son récit par sa vénération naturelle pour ses ancêtres.
LE PÉROU. 439
On a prétendu que la confession existait chez les Péruviens et
plusieurs historiens espagnols (1) sont d'accord pour l'attester.
Nul n'était privilégié pour l'entendre ; elle pouvait se faire à tous,
à des hommes comme à des femmes, et le confesseur avait le
droit d'imposer une pénitence selon la gravité des faits accusés.
On a voulu attribuer à ces pratiques une certaine importance,
en les rattachant aux, dogmes du christianisme, nous croyons
qu'il y a là une simple coïncidence d'un grand intérêt, comme
tout ce qui touche aux conceptions religieuses ; mais, jusqu'à pré-
sent, nous n'avons absolument aucune preuve sérieuse que le
christianisme ait été connu en Amérique, avant l'arrivée des
Espagnols.
L'autorité despotique des Incas était la base du gouvernement ; Lois et cou-
elle était fondée sur le respect religieux porté au descendant du
Soleil et appuyée par une hiérarchie savamment combinée (2).
La population était divisée en décuries ; parmi les dix individus
qui formaient chaque décurie, Tlnca ou ses représentants en
désignaient un, qui devenait le chef des neuf autres. Cinq décu-
ries avaient à leur tête un décurion d'un rang supérieur ; cin-
quante décuries, un chef qui commandait ainsi à cinq cents hom-
mes. Cent décuries enfin, obéissaient à un chef suprême qui
recevait directement les ordres de l'Inca.
En dehors de cette organisation qui possédait les inconvé-
nients réunis de la démocratie et du despotisme, étaient les Cura-
cas ou gouverneurs de provinces. Les uns appartenaient à la
famille des Incas ; les autres descendaient des anciens chefs des
pays successivement soumis. Leur dignité paraît avoir été héré-
ditaire ; elle passait à l'aîné des fils, à défaut d'enfants, à Taîné
des frères (3).
(1) « Este vilahoma eligia senalaba confesores, paraque asi en el Cuzco como en
todas las demas provincias y pueblos confesasen secretamente â todas las personas,
liombres y mujeres, oyendo sus pecados y dando las penitencias per ellos. » L'auteur
anouyme de la relation à laquelle nous empruntons ces détails, ajoute que les confes-
seui's des Vierges du soleil devaient être des eunuques. Voy. Herrera, Hist. Gen.
Dec, V, lib. IV, c. IV. — Acosta, /. c, c. xxv.
(2) Desjardins, /. c, p. 117.
(3) La situation exacte des Curacas est peu connue. Dans certains cas ils pouvaient
440 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les lois pénales étaient sévères (1) et appliquées selon la seule
volonté de Flnca. Les homicides, les adultères, ceux qui avaient
osé blasphémer contre le Soleil, ou contre l'Inca son représen-
tant, étaient punis de mort. Le décurion qui ne dénonçait pas
les crimes commis dans sa décurie, était passible de la même
peine que le coupable. Le sodomite était écorché; l'incestueux,
pendu. Comme les Vestales de Rome (2), les Vierges du Soleil
qui avaient manqué à leurs vœux, étaient enterrées vivantes ;
leur maison était rasée et le village ou le quartier habité par leur
famille subissait le même sort. Des fautes plus légères étaient
punies par le fouet ou par la prison ; d'autres fois, le coupable
était astreint à porter une lourde pierre, pendant un temps déter-
miné.
Le mariage était obligatoire ; un homme ne pouvait posséder
qu'une seule femme ; mais les Curacas étaient dispensés de cette
règle et quant à Tlnca, le nombre de ses femmes ou de ses con-
cubines était illimité. Il les choisissait parmi les filles de sa
race, parmi ses sœurs elles-mêmes, parmi les Vierges du Soleil
qui lui étaient signalées pour leur beauté. Aucun lien du sang,
aucun respect religieux, ne limitaient son choix. Quand il était
fatigué d'une de ses épouses d'un jour, l'honneur du lit royal la
suivait dans sa retraite et elle était l'objet du respect de tous.
A un jour fixé chaque année, les jeunes gens qui avaient atteint
l'âge de vingt-quatre ans, lesjeunes filles celui de dix-huit ans,
étaient réunis sur la place publique. Les représentants de l'Inca
joignaient les mains de chaque couple et proclamaient leur
union devant le peuple. Telle était la seule forme de mariage ; il
ne semble pas que l'inclination des époux fût consultée ; en
général cependant chacun se mariait dans sa propre famille. La
décurie, dont nul ne pouvait sortir, sans la permission expresse
être élus par le peuple, mais leur élection devait être soumise à l'Inca, qui avait égale-
ment le droit de les révoquer.
(1) « El castigo era riguroso que por la mayor parte era de muerte por liviano que
fuese el delito. » Garcilaso, Com. Reaies, p. I, lib. II, c. xii. Cf. F. de Santillan et la
Relation anonyme.
(2) Le mariage était permis entre parents à partir du second degré.
LE PÉROU. 441
de rinca, était tenue de faire construire une demeure pour cha-
que nouveau ménage et de lui assigner une quantité de terre suf-
fisante pour sa nourriture. A la naissance de chaque enfant, la
contenance allouée était augmentée : d'un fanega (1) pour un
garçon, d'un demi-fanega pour une fille.
Cette division de la terre était modifiée par une révision an-
nuelle et un nouveau partage avait lieu, selon le nombre des
membres de chaque famille. C'était, on le voit, une véritable
loi agraire ; la propriété individuelle, telle que nous la compre-
nons, paraît n'avoir jamais existé (2) ; le Péruvien était seule-
ment le fermier, pendant un an, du lot que le sort ou la volonté
des décurions lui attribuaient. Outre les terres appartenant à la
communauté et partageables entre tous ses membres, d'autres,
et ce n'étaient pas les moins importantes, formaient la propriété
exclusive du Soleil ou de l'Inca. Les habitants devaient cultiver
ces terres, même aux dépens des leurs, et nul, hormis lés
malades ou les infirmes, ne pouvait se dispenser de ce devoir
sacré.
Les lamas étaient la grande ressource agricole du Pérou. Ces
animaux qui, comme leurs congénères les chameaux, se conten-
tent de la nourriture la plus chétive et vivent là oii tous les au-
tres mammifères mourraient de faim, étaient précieux dans ces
régions deshéritées. Tous appartenaient à l'Inca. Il désignait les
bergers qui les conduisaient par troupeaux immenses dans les
montagnes ; à la saison voulue, leur laine était portée dans des
magasins construits à cet effet. Une certaine quantité de laine
était distribuée à chaque famille, suivant le nombre des femmes
qui, en faisaient partie et pendant que les hommes cultivaient la
terre, celles-ci filaient et tissaient les vêtements nécessaires. Elles
devaient aussi préparer une certaine mesure d'étoffes; ces étoffes
(1) L'évaluation exacte du fanega est inconnue ; nous savons seulement qu'il était
égal à la superficie que l'on pouvait ensemencer avec cent livres de mais.
(2) fie/, primera del Licenciado Polo de Ondegardo. Ondegardo avait été corrégidor
de Cuzco vers 1560. Prescott avait fait faire une copie de ses rapports, adressés à
Philippe II et conservés aux archives de Simancas. Ils ont été depuis partiellement
imprimés aux frais de VHaklwjt Society de Londres.
442 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
étaient entassées et devaient servir pour les besoins imprévus de
la communauté.
Les demeures des Péruviens étaient en rapport avec la situa-
tion qui leur était ainsi faite. Sauf celle des Incas ou des Curacas,
toutes semblent bâties sur le même modèle (1) ; elles étaient dou-
bles et ne communiquaient que par des portes extérieures s'ou-
vrant sur un corridor, qui régnait sur toute la longueur de l'édifice
et que l'on ne saurait mieux comparer qu'à nos anciens cloîtres.
Les toits étaient quelquefois à deux pentes (2), soutenus par des
murs latéraux à double pignon, sur lesquels venaient s'appuyer
des traverses en roseaux que l'on chargeait de feuilles d'agave,
de paille de mais, quelquefois même de nattes.
Cette savante organisation assurait la domination incon-
testée du maître suprême. Chaque individu était parqué dans
un clan, dont il lui était interdit de sortir. Il ne pouvait
améliorer ni sa propre situation, ni celle des siens; il ne
pouvait non plus déchoir. Dès lors, les mobiles qui agissent
le plus puissamment sur l'homme, le patriotisme, l'ambition, le
désir de larichesse, l'esprit d'initiative, faisaient défaut. Tous les
ressorts étaient brisés ; c'est la meilleure explication de la faci-
lité avec laquelle quelques aventuriers espagnols soumirent avec
une étrange rapidité, une population de plusieurs millions d'âmes.
Arts niéca- La céramiquc péruvienne était supérieure, comme fabrication,
à celles des autres peuples de l'Amérique. La roue du potier
paraît cependant avoir été inconnue et l'on s'étonne à bon
droit de la régularité que les ouvriers obtenaient, sans l'em-
ploi de moyens mécaniques. On peut voir au musée archéolo-
gique de Madrid, une série très complète de vases provenant des
côtes du Pacifique et destinés les uns à aller au feu, les autres,
aux divers usages de la table ou des appartements. Les formes
sont extrêmement variées, depuis le vase le plus grossier rappelant
la poterie lacustre de nos pays, jusqu'aux aiguières d'un excellent
travail, représentant des hommes, des animaux et une série cu-
(1) Comte de Sartiges, Rev. des Deux Af ondes, 1851.
(2) Wiener, /. c, p. 503.
niques, Pote
rie
LU PEROU-
443
rieuse de végétaux, dont l'étude permettra de reconstituer toute
l'antique flore du pays.
Cette poterie (1) était noire, grise ou rouge, plus rarement jaune
ou bleue (2), cuite au four (3) et recouverte extérieurement d'un
vernis perméable probablement silico-alcalin. On a prétendu
attribuer ce vernis à un polissage à froid ; mais M. Demmin a
prouvé qu'il était obtenu par la cuisson, car, il n'a réussi à l'enle-
ver, ni par l'esprit-de-vin, ni par l'essence.
Les vases étaient moulés en deux morceaux et soudés avant la
cuisson ; aussi ont-ils constamment un bourrelet au point de jonc-
Fig. 182. — Vase funéraire provenant Fig. 183. — Vase péruvien représentant
d'un liuaca du Pérou. un homme accroupi .
tion. La forme était souvent ovoïde (fig. 1 76) et un pied spécial était
indispensable pour les poser. L'ornementation présente une ori-
ginalité particulière ; elle est moins simple, plus contournée que
celle des poteries mexicaines. 11 en est cependant qui sont ornées
de grecques, de losanges, de chevrons, de spirales ou de cercles
(1) Desjardins, /. c, p. 171. — Wiener, Pérou et Bolivie, p. 620 et s.
(2) Demmin, Guide de l'amateur de faïences ou de porcelaines. 3* éd. Paris, 1867.
— Barnard Davis, Anth. Institute of Great Britain, april 1873.
(3) Bollaërt dit (/. c, p. 210) que la poterie était cuite au soleil et que l'usage du
four était inconnu. C'est là une erreur évidente.
444 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
concentriques (fig, 174, 175, 182). Le Louvre possède une pièce
remarquable d'origine péruvienne, malheureusement enfouie de-
Fig. 184. — Vaso péruvien. Fig. 185. — Poterie péruvienne représentant un lama.
puis longues années dans les réserves (1). Les ornements témoi-
gnent de rapports évidents entre l'art grec et l'art américain. Ces
.Fig. 186. — Poterie péruvienne.
mêmes réserves renferment une autre poterie des côtes du Paci-
(1) Demmin, l. c, p. 1-34. — Birch, Ancient Pottertj, t. II, p. 253.
LE PEROU.
445
fique, dont le dessin rappelle Hercule luttant contre un poisson,
sujet si fréquemment reproduit parles Étrusques. On peut \oir
au musée ethnographique de Saint-Pétersbourg une figure ac-
croupie de quarante centimètres environ de hauteur; si les oreil-
les, démesurément grandes, rappellent les Orejones, la tète est
surmontée d'une couronne murale, semblable aux couronnes que
Fig. 187. — Vase trouvé à Cliimbote.
portent certaines statues antiques (1). Il n'est guère de collec-
tion péruvienne, publique ou privée (2), qui ne renferme des types
(1) Schôbel, Antiquités Américaines du Musée Ethnographique de Saint-Péters-
bourg. Cong. des Americ. Nancy, 1875, t. II, p. 273.
(2) La collection Macedo, récemment acquise par le gouvernement prussien, renfer-
mait de nombreux types d'animaux. Plusieurs sont reproduits dans la Nouvelle Revue
d'Ethnographie (1882, n" 1) qui, sous l'habile direction du D' Hamy, est appelée à ren-
dre de réels services à la science. Notre Musée du Louvre possède aussi dans ses salles
446 L'AMÉRIQUE PRÉHISTOHIQUE.
se rapprochant curieusement de ceux que nous pensions jusqu'ici
l'apanage exclusif de l'ancien continent. 11 faut noter ces faits ;
peut-être permettront-ils, un jour, des conclusions qui nous sem-
blent aujourd'hui prématurées.
De nombre u>5es poteries figurent des hommes (fig. 183, 184), des
animaux dans des postures familières (fig. 185, 186), un lama, par
exemple, mangeant un épi de maïs.
Le Peabody Muséum possède cinquante et une pièces prove-
nant de la collection Agassiz, parmi elles, plusieurs représenta-
Fig. 188. — Vase en terre cuite
trouvé sous un huaca auprès
de Santa.
Fig. 189. — Silvador.
lions de singes et trois figures humaines, variant de 1 3 à 17 pouces
de hauteur. Deux vases trouvés l'un à Chimbote (fig. 190), l'autre
sous un huaca auprès de Santa (fig. 188) sont remarquables ; le
premier est dû aux Chimus et remonte aux temps de la domi-
nation des Incas, car les oreilles sont distendues par un ornement
qui date de cette époque ; le second est une figure humaine en
argile rouge, d'un type très caractérisé.
publiques, une collection précieuse de figurines d'hommes et d'animaux (De Longpéricr,
Notice des monuments exposés dans la salle des Antiquités Américaines, n"' 658 et s.).
LE PEROU-
447
Le silvador (fig. 189), tel est le nom donné à une pièce conser-
vée au musée du Trocadéro, mérite une mention spéciale, ne
fût-ce qu'à raison de son originalité. Use compose de deux vases
à goulots communiquant entre eux (1). Un seul des goulots est
Fig. 190. — Poterie peinte, représentant un chasseur de Vigognes.
libre et quand on y verse un liquide, l'air comprimé dans
l'autre, s'échappe avec un sifflement particulier ; par une habile
(1) J. Bertillon, Natwe, 10 juin 1882. M. Wiener reproduit un certain nombre de
silvadors ; ils rappellent les nasiternes étrusques, mieux encore les jarres jumelles qui
se fabriquent aujourd'hui encore en Kabylie.
448 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
disposition, les sons se modifient et imitent les cris des divers
animaux, et même la voii humaine. Sur le goulot d'un des
Fig. 191 et 192. — Disques destinés à servir de pendants d'oreilles.
vases, dont nous donnons la gravure, on a posé une petite figure,
d'une assez bonne exécution, qui représente un homme portant
»
LE PÉROU. 449
un casse-tête, l'arme la plus redoutable des anciens Péru-
viens.
Certaines poteries sont ornées de sujets d'une exécution en
général très médiocre ; on se demande même si le chasseur de
vigognes (fîg. 190) n'est pas une véritable caricature. Quelques-
unes de ces peintures sont certainement symboliques, mais
leur interprétation est purement conjecturale; d'autres sont des
plus obscènes (1), et par une association assez étrange, plusieurs
d'entre elles ont été recueillies sous des huacas, mêlées à des
ossements humains.
Comme les Mexicains, les Péruviens façonnaient en terre
cuite des instruments de musique, des flûtes de Pan ou des
trompettes, des ornements de tout genre, surtout ces lourds
disques (fîg. 191, 192), nous ne savons quel autre nom leur
donner, destinés à être fixés aux oreilles et à amener par leur
poids la forme bizarre, imposée aux sujets des Incas.
Nul peuple américain n'a surpassé les Péruviens pour la Étoifes
fabrication des étoffes. Le coton qu'ils cultivaient dans les
vallées chaudes et humides, la laine des lamas, des alpacas ou
des vigognes fournissaient d'excellents matériaux, ils connais-
saient l'art de la teinture ; souvent l'étoffe était tissée en laine de
couleurs différentes et l'on obtenait ainsi, dans la trame, les dessins
les plus variés (fig. 193). Les toiles de coton, en général d'une
grande finesse, étaient teintes en couleurs diverses et les ouvriers
savaient, par des combinaisons d'ornements ou de figures, ob-
tenir les effets les plus heureux. Ils se servaient pour cela de
véritablesplanches tantôt en écorce, tantôt en terre cuite (fig. 194) ;
on ajoutait aussi des plumes au brillant coloris, nuancées avec
goût, et les vêtements des Incas ou des Curacas excitèrent, par
leurs reflets chatoyants, l'enthousiasme des premiers chroni-
queurs espagnols.
BoUaërta rapporté, il y a de longues années déjà, au musée
britannique, d'intéressants spécimens des étoffes péruviennes.
(1) « From the North of Peru, I hâve seen clay figures characterised by a prurient
indeceney. » Bollaërt, /. c, p. 211.
De Nadaillac, Amérique. 29
450
L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
^d/^-^/^^
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®y ^ (^^ (C&S /"e>
Fig. 193. — Étoffe péruvienne.
LE PEROU.
45!
On peut également voir, aux musées du Louvre et du Trocadéro^
des fragments remarquables par la variété des combinaisons et
le goût naturel des ouvriers. On est vraiment frappé du résultat
auquel ils avaient su arriver, malgré les obstacles que devait
Fig. 194. — Planche pour l'impression des étoffes.
opposer à toute industrie le régime social auquel ils étaient
soumis.
Les riches mines du Pérou, celles surtout si célèbres de Pasco,
conservent les traces d'anciennes exploitations, dont il est diffi-
cile de préciser l'époque. Une seule chose est certaine : les ou-
vriers qui travaillaient les métaux précieux avaient acquis cette
habileté que le temps seul peut donner. Bien qu'un nombre con-
sidérable d'objets ait disparu dans le creuset, il reste cependant
encore assez de bracelets, d'épingles, d'épiloirs, de vases portant
des ornements en relief (fig. 196), pour apprécier le talent des or-
fèvres. Les figurines sont plus remarquables encore, ce sont des
lézards, des serpents (fig. 197), des singes, des oiseaux avec leurs
plumes, des poissons avec leurs écailles, des arbres avec leurs
Métaux.
432 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
feuilles, modelés tantôt en plein, tantôt en creux. L'artiste ne
reculait même pas devant la représentation de scènes complètes.
Fig. 195. — Vase en argent découvert à Cliirau.
Nous citerons un enfant couché dans un hamac, sur lequel
va s'élancer un serpent enroulé autour d'un arbre et un homme
Fig. 19G. — Serpent en argent.
assis entre deux femmes (1). Cette dernière scène malheureuse-
ment est d'une reproduction impossible. S'il est vrai, comme on
l'a prétendu, que les Péruviens ignoraient l'art du fondeur, le
seul procédé connu pour la fabrication de pièces aussi compli-
(1) Ce groupe faisait partie de la collection de M. Squier ; il pesait 49 onces, soit
environ 1510 grammes.
LE PEROU.
453
quées était ramalgamation de l'or avec le mercure (1). Cette
pâte très plastique se prêtait facilement au modelage ; quand
l'artiste avait terminé son œuvre, il volatilisait le mercure, en
l'exposant à un feu ardent ; l'or seul restait et il suffisait d'un
simple polissage pour amener le résultat cherché. Cieça de
Léon (2) rapporte que c'étaient surtout les gens de Chimu qui
travaillaient les métaux, et il ajoute qu'après la soumission du
pays, rinca-Yupanqui emmena à Cuzco les meilleurs ouvriers
de la ville.
Fig. 197. — Grains de collier en or, en argent, en terre cuite, en pierre dure, en verre.
Mentionnons encore plusieurs petites pièces rondes, en or, en
argent ou en cuivre, percées d'un trou et portant sur une de
leurs faces la grossière empreinte soit d'un homme, soit d'un
(1) Le mercure est fort commun dans le pays et les Indiens savent, aujourd'hui en-
core, l'obtenir.
(2) Cieça de Léon, un des compagnons de Pizarre, resta 17 ans au Pérou. Son his-
toire. Primera parte de la Chronica del Peru, a été imprimée à Séville en 1553, à
Anvers en 1554.
■454 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
animal. Sont-co des monnaies? Rien ne fait supposer que ces
hommes eussent créé un moyen d'échange, inutile à leurs mo-
destes besoins, et il est plus probable que c'étaient là des orne-
ments semblables à ceux en or, en argent, en terre cuite, en
verre, en pierre dure trouvés sous les huacas (fig. 197).
Le fer paraît toujours avoir été inconnu aux Péruviens,
comme aux autres habitants de l'Amérique. 11 était remplacé par
le bronze ou le cuivre (1) et on a recueilli en quantités considé-
rables des armes, des outils, des instruments, des ornements (2)
fabriqués avec l'un ou l'autre de ces métaux. Le cuivre était
mélangé de cinq à dix pour cent d'argent. Etait-ce bien là un
alliage? Ne devons-nous pas y voir plutôt le produit naturel de la
mine (3) et la séparation des métaux ne dépassait-elle pas la
science métallurgique des anciens habitants du Pérou?
La bêche, le ciseau présentent les formes qui se sont conser-
vées dans le pays ; les celts ressemblent aux celts en pierre de
l'Europe ; les couteaux, à ceux encore en usage chez nos selliers.
Quelquefois les outils étaient plus grossiers ; Darwin raconte avoir
vu des pierres brutes percées d'un trou pour recevoir un manche,
servir aux habitants du Chili, pour labourer ou plutôt pour grat-
ter la terre.
Les armes, en général des plus misérables, étaient des pointes
de lance (4), de javeline, de flèche, des casse-têtes en bronze.
Comme tous les peuples primitifs, les habitants de l'Amérique
du Sud avaient su de bonne heure utiliser la pierre. Auprès des
mines de Pasco notamment, il a été recueilli des haches ou des
(1) Certains écrivains ont prétendu que les Péruviens connaissaient un système de
trempe qui ajoutait à la puissance de résistance du cuivre. Aucun des objets décou-
verts jusqu'à ce jour ne justifie cette assertion.
(2) A l'Exposition de Madrid, ou a pu voir une statuette en bronze, haute de vingt
centimètres, représentant un homme assis, les jambes croisées sur une tortue et appuyant
ses bras sur une tablette, où est tracée une inscription. Or, l'inscription est chinoise
et la tortue est d'une espèce asiatique. La statuette aurait été extraite d'un huaca au
pied des Andes.
(3) Nous avons cité ce même fait pour le cuivre extrait par les Mound-Builders des
mines du lac Supérieur.
(4) Squier possédait dans ses collections une pointe de lance, qui ne mesure pas
moins de vingt pouces de longueur.
LE PEROU.
ioo
pointes de flèche en silex,- en obsidienne, en diorite, en basalte
et des mortiers en pierre semblables à ceux de la Californie.
Le musée du Trocadéro renferme
plusieurs bâtons en bois, où l'on a voulu
voir, par un rapprochement assez curieux
avec ceux des temps néolithiques de nos
régions, les insignes du rang (1). Nous
en reproduisons un (fig. 198) d'un travail
intéressant (2) ; sept oiseaux sont sculptés
le long du bâton, ils semblent grimper
vers le sommet, couronné de deux autres
oiseaux, des pélicans, assure-t-on. On
peut encore citer, comme spécimen du
travail du bois, un siège soutenu par
deux pumas, trouvé à Cuzco (fig. 199), et
des escabeaux à quatre jambes, taillés
dans une seule pièce de bois. Ces esca-
beaux ont figuré à l'exposition de Ma-
drid ; ils rappellent la forme des sièges
représentés dans les pictographies mexi-
caines. Le bois servait également pour
tous les objets de la vie usuelle. On con-
naît, par exemple, plusieurs modèles de
peignes (fig. 200), travaillés avec goût;
ils étaient presque toujours placés dans
les huacas, auprès des morts.
Il reste, pour terminer ce qui est
relatif aux Péruviens, à raconter les Pin-
tados,iei\ est le nom donné aux gravures
et aux sculptures qui se rencontrent si
(0 II est remarquable que les insignes du rang ont
constamment eu le bâton pourpoint de départ. Telle
est l'origine du sceptre des rois, de la crosse des
évêques, du bâton des maréchaux de France.
{■l) Nature, 10 juin 1882.
LesPintados.
Fig. 198. — Bâton de com-
mandement.
456 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
fréquemment sur les roches granitiquesdelachaînedes Andes(l).
Ce sont des hommes, dont quelques-uns atteignent j usqu'à 30 pieds
Fig. 199. — Siège en bois de maguoy trouve à Cuzco.
de hauteur, des animaux, des chiens et des lamas principalement,
des plantes, des objets inanimés. Un bloc de granit de douze pieds
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Fig. 200. — Peigne péruvien.
carrés auprès deMacaya, connu sous le nom de laPiedradel Léon,
(1) Bollaërt, l. c, p. 157. — Trans. Ethn. Soc. of London, 1857.
LE PEROU.
457
est chargé de sculptures très anciennes. Le groupe le plus im-
portant représente la lutte d'un homme et d'un puma (1). Sur
un autre rocher, il est également facile de reconnaître un
puma. Auprès de la petite ville de Nepen, on voit un serpent
colossal ; à Caldera, à une faible distance d'Arequipa, des arbres
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ri
Fig. 201. — Pictographie péruvienne. Province de Tarapaca.
et des fleurs. Aux Pintados de las Rayas, auprès de Noria, ce
ne sont plus des objets animés, mais des figures géométriques,
des cercles ou des parallélogrammes. Dans la province de Tara-
paca, des surfaces considérables sont couvertes, non seulement
de figures d'hommes et d'animaux, la plupart d'une remarqua-
ble exécution (fig. 201), mais aussi de caractères qui paraissent
écrits verticalement. Les lignes ont de 12 à 18 pieds de longueur
et chaque caractère plusieurs pouces de profondeur. Auprès de
Huara, on cite des inscriptions très eflTacées, et entre Mendoza et
la Punta (Chili), un grand pilier, où l'on a voulu voir des lettres
offrant quelque ressemblance avec celles de lalphabet chi-
nois (2). Tout cela est bien vague, bien incertain et ne comporte
guère de conclusion.
Je serais disposé à accorder plus d'importance aux découvertes
(1) Bollaërt, l. c, p. 102.
(2) Bollaërt, /. c, p. 218.
458 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
du professeur Liberani, dans la vallée de Santa Maria (province
de Catamarca, République Argentine) (1). Il décrit des figures
animées, évidemment symboliques, accompagnées de la repro-
duction d'objets inanimés, de figures géométriques, de lignes de
points diversement combinés. On trouve les mômes signes, et
c'est là un fait digne d'attention, fréquemment répétés et tou-
jours dans un ordre semblable. Ne sont-ce point là des signes
phonétiques? M. Ameghino n'en veut pas douter ; il voit dans ces
inscriptions un système complet d'écriture, composé en partie de
figures et de caractères symboliques, en partie de caractères pu-
rement phonétiques; et il paraît même disposé à admettre que
ce sont là les restes de l'ancienne écriture péruvienne ainsi per-
pétuée loin des lieux où elle avait pris naissance. Au dire de
Montesinos (2), cette écriture avait été proscrite par Pachacuti III,
un des fabuleux prédécesseurs des Incas historiques ; il fit même
brûler un amauta pour avoir osé enfreindre ses ordres (3).
Ce qui est certain, c'est qu'au xvi° siècle les Péruviens ne
connaissaient aucun système d'écriture soit hiéroglyphique, soit
phonétique, aucun mode de numération. Ils se servaient, pour les
usages ordinaires de la vie, de quipos (fig. 202), cordelettes de
longueur très variable, portant un certain nombre de fils atta-
chés par des nœuds. La couleur des fils, le nombre et la distance
des nœuds avaient une signification tantôt historique, tantôt ma-
thématique (4). Garcilaso rapporte que les quipos, qui relataient
l'histoire des Incas, étaient soigneusement conservés par le Quipo
(1) Ameghino, La Ânliguedad del Hombre, t. I, p. 94.
(2) Mém. hist. sur l'ancien Pérou, trad. Franc, coll. Ternaux-Compans. Paris, 1849.
(3) « Uno de los reyes del Peru prohibio en efecto su-uso bajo las penas mas seve-
ras, y uno de sus subditos que algunos anos mas tarde se propuso inventar un ouevo
sistema de escritura lu quemado vivo. » Ameghino, /. c. On peut consulter du même
auteur : Inscripciones ante colomhianas encoyitradits en la republica Argentina,
in-8", Bruxelles, 1880.
(4) Les Chinois avant l'avènement de l'Empereur Fo-Fli (3300 ans av. J.-C.) ne
connaissaient pas l'écriture et se servaient eux aussi de quipos. On trouve dans les
écrits do Confucius un passage qui ne peut laisser de doutes à cet égard : « Les
hommes de l'antiquité, est-il dit, se servaient de cordes à nœuds, pour donner des
ordres. Ceux qui leur succédèrent leur substituèrent des signes ou figures. » Saffray,
Nature, 1876, t. II, p. 405.
LE PEROU.
459
Camayol (1). Le plus grand nombre fut détruit par quelques
moines fanatiques, comme des monuments d'idolâtrie ; mais
leur perte n'est pas importante pour l'histoire, puisqu'aucune
tradition, aucune étude n'ont permis d'interpréter ceux qui
restent (2). C'était au moyen de ces quipos, que les Incas trans-
Fig. 202. — Fragment de quipo.
mettaient leurs instructions ; sur toutes les routes qui partaient
de la capitale, à des distances régulières, excédant rarement cinq
miles, s'élevaient des tambos, destinés aux chasquis ou coureurs
( I ; Littéralement, le gardien des quipos.
(2) Les Indiens ont conservé longtemps et conservent peut-être encore ce mode de
correspondance secrète. Une grande révolte contre les Espagnols fut organisée en 1792.
Elle avait été préparée, ainsi qu'on l'apprit plus tard, par des messagers portant un
morceau de bois dans lequel étaient renfermés des fils, dont les extrémités formaient
des franges rouges, noires, bleues ou blanches. Le fil noir portait quatre nœuds qui
signifiaient que le messager était parti de Valdura, la résidence du chef de la cons-
piration, quatre joui-s après la pleine lune. Le fil blanc portait dix nœuds, ce qui vou-
lait dire que la l'évolte éclaterait dix jours après l'arrivée de Ce messager. La personne
à qui le quipo était remis devait à son tour faire un nœud au fil rouge s'il acceptait
de se joindre aux conjurés, aux fils rouges et bleus, si au contraire il s'y refusait.
460 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
qui allaient d'an poste à l'autre. Les ordres de l'inca étaient
ainsi connus avec une inconcevable rapidité; ceux qui éma-
naient directement de lui étaient marqués d'un fil rouge du
llautu royal et rien n'égalait, assurent les historiens, le respect
avec lequel ces messages étaient accueillis (1).
Ce mode si imparfait de communication présentait de bien
autres inconvénients, quand il s'agissait de la conservation des
faits historiques, de leur transmission à la postérité. Il était cer-
tainement, à ce point de vue, très inférieur aux pictographies des
Mexicains, au système hiéroglyphique usité dans le Yucatan et
dans le Chiapas et même aux grossières représentations des Amé-
ricains du JNord; il offre un contraste singulier avec les progrès
de tout genre dont les Péruviens ont été les initiateurs.
Nous ne saurions terminer ce qui concerne le Pérou, sans ré-
péter l'admiration qui saisit l'historien et le philosophe en étu-
diant l'organisation si curieuse, la civilisation si avancée des po-
pulations qui bravaient le dur climat des Andes, le soleil brûlant
des côtes du Pacifique. Nous reviendrons sur les originesde cette
civilisation, sur les rapports qui ont pu exister entre ces peuples
et ceux de l'ancien continent ; mais avant d'aborder cette question,
il faut compléter notre travail, par l'étude des autres populations
de l'Amérique du Sud.
Leschibciias. Sur Ics platcaux montagneux qui forment la chaîne des Andes,
par 4° de latitude nord, à une altitude de près de 3000 mètres,
vivaient les Chibchas (2).
Ils étaient de race forte et courageuse, agricole et laborieuse,
ayant un caractère propre et une civilisation originale. Isolés
(1) Prescott, Hist. ofthc Conquest of Peru, p. 29.
(2j Piedrahita, Hist. Gen. de la Conquista del Nuevo Reyno de Granada. Madrid,
1688. — Humboldt, Voy. aux régions équinoxiales fait dans les années 1799 et 1804.
— Vues des Cordillères et Monuments des peuples indigènes de V Amérique. Paris,
1807 et a. s. — J. Acosta, Compendio hist. del descubnmiento y colonisacion de la
Nueva Gra7iada, Paris, 1848. — BoUaërt, Ant. Etlin. ar.d other Researches in New
Granada. London, 1860. — Uricochœa, Mem. sobre las antiguedades Neo Granadi-
nas. Berlin, s. d. — Nature, 1877, t. I, p. 359. — Isographia fisica y politica de los
Estados Unidos de Colombia. Bogota, 2 v., 1862-3. — D"' Saffray, Voyage à la Nou-
velle Grenade, Le Tour du Monde, t. XXIV, XXV et XXVI.
LE PÉROU. 461
sur Tétroit espace qui formait leur patrie, ils avaient toujours su
maintenir leur indépendance contre des voisins plus puissants,
dont les rapprochaient leurs mœurs, leurs usages, leurs arts et
leur culte (1). Moins avancés peut-être que les Aztecs ou les Péru-
viens, les Chibchas savaient cependant tracer et paver des routes,
jeter, comme les sujets des Incas, des ponts suspendus sur des
cours d'eau, bâtir à leurs dieux des temples à colonnes, sculp-
ter des statues, graver des figures sur la pierre, tisser et teindre
le coton ou la laine, orner les étoffes de dessins variés, tra-
vailler le bois, la pierre, les métaux. Leur céramique ressemblait
àcelle des autres peuples de l'Amérique ; leurs vases sont formés,
en général, de trois couches superposées ; la couche centrale est
de couleur noire, les couches internes et externes sont en terre
plus fine, et de couleur plus claire. Les ornements des Chibchas
étaient des colliers de coquilles qui venaient des côtes du Paci-
fique distantes de plus de deux cents lieues, des pendeloques en
pierre, en or, en argent , des perles et des émeraudes. Leur ri-
chesse était considérable et les chroniqueurs rapportent que,
dans les premiers mois qui suivirent la conquête, les Conquista-
dores recueillirent un butin, dont la valeur dépassait trente mil-
lions de notre monnaie (2). Si ce chiffre n'est pas exagéré, il serait
véritablement énorme pour le temps et pour le pays.
Nous ne savons que peu de choses sur ce peuple, que l'on re-
garde comme un des auteurs de l'antique civilisation de l'Amé-
rique du Sud. Sa langue elle-même a disparu (3) et le nom sous
lequel nous le connaissons remonte aux Espagnols (4), qui l'ont
(1) Après la conquête espagnole, le pays des Chibchas, qui ne comprenait guère
qu'un territoire de 45 lieues de longueur sur 12 à 15 lieues de largeur, devint la pro-
vince de Cundinamarca et fut compris dans la vice-royauté de la Nouvelle-Grenade.
L'État de Cundinamarca fait partie, depuis 1861, de la Confédération qui a pris pour
nom: Les États-Unis de la Colombie.
(•2) Acosta, /. c, p. 123, 126.
(3) M. Uricœchea a publié, en 1871, une grammaire Chibcha. Cette langue, nous ap-
prend-il, ne peut être étudiée aujourd'hui que dans deux autres qui ne sont proba-
blement que des dialectes, celle des Turievos, peuple qui vit au nord de Bogota, ou
celle des Itocos, qui habitent près des célèbres mines d'émeraudes de Muzo.
(4) Les Chibchas, croit-on, s'appelaient eux-mêmes il/wiscas, mot qui dans leur langue
signifie hommes. ,
462 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
emprunté à Chibchachimi, un des principaux dieux du pays, le
protecteur à la fois, par une association assez étrange, de ceux
qui travaillaient la terre et de ceux qui travaillaient l'or. Les tra-
ditions qui concernent les Chibchas sont peu importantes. Ils se
disaient autochtones, nés avant que la lune ne fût créée (1), sur
le plateau même où s'élève aujourd'hui Santa Fe de Bogota. Ils
erraient nus, sans lois et sans culture, lorsqu'un étranger, Bo-
chica, vint, de régions éloignées, leur apprendre l'art de cons-
truire des maisons, de se vêtir, et de vivre en société. Les lé-
gendes qui se rapportent à Bochica ont une curieuse analogie avec
celles qui concernent Quetzacoatl ou Manco-Capac et, par un de
ces hasards dont l'histoire offre de fréquents exemples, le civi-
lisateur de la Colombie participe à la fois du réformateur du
Bouddhisme et du premier Inca du Pérou.
Outre leurs dieux particuliers, comme Chibchachimi ou Nehm-
quitiba, les Chibchas adoraient aussi le soleil et la lune ; ils
offraient au soleil, mais seulement dans de rares occasions,
des victimes humaines. Une de ces occasions était le renouvelle-
ment de chaque cycle de quinze ans, qui formait la base de leurs
calculs astronomiques ; par une cruauté qui s'accorde peu avec
leurs mœurs habituelles, la victime était souvent choisie plusieurs
années à l'avance et préparée par une longue initiation à la mort
qui l'attendait. Les hautes cimes des montagnes, les cours d'eau,
les lacs étaient consacrés à leurs divinités. Parmi les lacs, celui
de Quatavita était le plus vénéré ; on rapporte qu'au moment de
la conquête, les habitants jetèrent dans ses eaux tous leurs tré-
sors, pour qu'ils ne devinssent pas la proie des vainqueurs, dont
la renommée leur avait déjà appris toute l'avidité. Cette légende,
qui ne concorderait guère avec le récit des sommes immenses
que les Espagnols tirèrent de la Nouvelle-Grenade, est restée
très vivante. A plusieurs reprises, les tapadas ont cherché à ex-
(1) La légende Chibcha voulait que la lune fût la femme de Bochica qui personni-
fiait le soleil ; elle faisait autant de mal aux hommes que celui-ci leur faisait de bien.
Bochica irrité la condamna à éclairer la terre durant la nuit. Desjardins, le Pérou avant
la conquête espagnole, p. 44 et ICfâ.
LE PÉaOU. 463
ploiterces richesses; mais le résultat n'a guère réjDondu aux espé-
rances des explorateurs; en 1562, il a été retiré des eaux un
alligator, deux singes et treize batraciens en or ; des tentatives
plus récentes n'ont donné que quelques figurines, sans va-
leur.
Non loin de Tunja, dans TEtat de Boyaca, on voit encore debout
treize colonnes de quatre à cinq mètres de hauteur, placées en
cercle ; un peu plus loin auprès de ruines considérables, se
dressent vingt-neuf colonnes moins élevées (1); de nombreuses
pierres taillées et chargées d'ornements sont répandues de tous
les côtés, sur une longueur de plus de deux miles. On a supposé
que c'était la ville de Sogomuxi et le temple, dont les colonnes
sont les témoins, serai! celui de Nehmquitiba, qui fut détruit
par Quesada.
Quoique appartenant à la même race, les Chibchas ne parais-
sent point avoir formé un corps de nation ; les uns obéissaient à
un prince, appelé Zippa, qui commandait à Bogota; le chef de
l'autre fraction portait le titre de Zoque et résidait à Hunsa, au-
joud'hui Tunja. L'autorité de ces chefs était aussi despotique que
celle des Incas, et nul n'aurait osé enfreindre leur volonté. Le
Zippa ne pouvait avoir qu'une femme légitime ; mais des milliers
de concubines [Thigiiyes] le consolaient du frein qui lui était im-
posé. Aucun des fils n'héritait de la puissance paternelle ; par
une coutume qui se retrouve encore au centre de l'Afrique, elle
se transmettait au fils aîné de la sœur.
Dès que le Zippa était mort, ses viscères étaient enlevés et
remplacés par une résine odoriférante ; le corps était ensuite
placé dans un cercueil de bois de palmier, garni intérieurement
et extérieurement de plaques en or. Ce cercueil était déposé dans
une sépulture tenue secrète ; et ce secret a été si bien gardé, que,
jusqu'à ce jour, les tombes, objet de tant de convoitises, n'ont pu
être découvertes. Tel est le récit, tout empreint de leur exagération
(1) Bul. Soc. Geog., 1847. — Les voyageurs diffèrent sur le nombre de colonnes en-
core debout. Voy. Saffray, Viaje a Nueva Granada. — Ameghino, La Antigiiednd del
Hombre, t. I, p, 103.
464 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
habituelle, que nous empruntons aux écrivains espagnols. Il est
probable que la grotte, située non loin de Bogota et qui a livré
une ample moisson de bijoux en or et en argent, ou bien celle au-
près de Tunja, oii l'on voyait rangées de nombreuses momies
revêtues de riches manteaux, étaient bien les lieux consacrés à
la sépulture des Zippas et des Zoques. On enterrait avec ces chefs
leurs armes, leurs vêtements, les insignes de leur rang et même
celles de leurs concubines qu'ils avaient préférées. Dans toutes
les tombes sans exception, on trouve les objets de la vie usuelle,
les outils de la profession et des vases remplis de chicha. Pour
ces hommes, comme en général pour tous les peuples de l'Amé-
rique, la vie nouvelle qui commençait après la mort continuait
celle qui s'était écoulée sur la terre.
Les lois des Chibchas n'étaient guère moins sévères que celles
des Aztecs ou des Péruviens. Le viol et l'homicide étaient punis
de mort ; le voleur subissait la peine du fouet. Parfois les peines
étaient plus originales ; celui qui montrait de la lâcheté à la guerre
était habillé en femme et astreint à des travaux féminins. La
femme accusée d'adultère devait avaler une certaine quantité de
poivre rouge; si elle avouait sa faute, elle était impitoyablement
mise à mort; si elle pouvait résister à l'épreuve, le mari devait
lui adresser des excuses publiques.
Ces hommes ne possédaient des bestiaux d'aucune sorte ; ils ne
paraissent même pas avoir su utiliser les lamas. Leur nourriture
se composait du miel très abondant sur les pentes des montagnes,
de maïs et de patates qu'ils obtenaient en cultivant la terre avec
des outils en bois et en l'arrosant fréquemment, au moyen des
canaux qu'ils avaient creusés. Leurs demeures s'élevaient au mi-
lieu d'enceintes circulaires, cercadas, souvent défendues par des
postes d'observation. Elles étaient construites en bois et en argile
délayée dans de l'eau ; le toit était conique et couvert de nattes en
roseaux. Les ouvertures étaient fermées par des joncs entre-
lacés.
Tout primitifs que peuvent les faire paraître leurs habitations
et leur mode de vie, les Chibchas connaissaient le bronze, le
LE PÉROU.
465
cuivre, l'élain, le plomb, l'or et l'argent (1). Ils étaient très
habiles à se servir de ces métaux et leur principale occupation
était la fabrication d'objets en or et en argent. On peut voir au
Fig. 203. — Armes et bijoux des Cliibchas (Masée de Saiut-Germain).
Musée de Saint-Germain d'intéressants spécimens de l'art chi-
bcha (fig. 201). M. Uricoechea possède une collection plus remar-
quable encore ; parmi les pièces qui la composent, il faut men-
(l) Le fer seul leur manquait; il en était de même, nous l'avons souvent répété,
dans toute l'Amérique.
Db Nad&illac, Amérique. 30
466 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
lionner deux masques humains en or, plus grands que nature
et des centaines de petites figurines, représentant des hommes,
des singes, des grenouilles. Ces dernières figurines abondent
dans toute la Nouvelle-Grenade ; nous devons supposer que la
vénération des Muyscas pour les cours d'eau, s'étendait aux
batraciens qui les peuplaient.
Les Chibchas paraissent avoir fait un grand commerce des
divers objets qu'ils fabriquaient; ils exportaient aussi chez
leurs voisins, le sel de mine très abondant sur leur territoire ; en
retour, ils recevaient les grains que la pauvreté de leur sol ren-
dait indispensables. On prétend qu'ils avaient créé une mon-
naie pour faciliter ces échanges et c'est à cet usage qu'étaient
destinés certains petits disques en or, d'une forme spéciale ; il
est plus probable qu'ils étaient des ornements; rien de ce que
nous savons de l'état social des peuples du sud de l'Amérique, ne
permet de croire qu'ils connussent la monnaie.
Les monuments, à l'exception des colonnes dont nous avons
parlé, sont rares dans le pays des Chibchas et leur énumération
sera rapide. On cite une pierre vraisemblablement destinée à des
sacrifices et soutenue par des cariatides, un jaguar sculpté à
l'entrée d'une grotte auprès de Neyba, plus loin des lamas gigan-
tesques. Humboldt (1), signale entre le deuxième et le quatrième
parallèles, à l'entrée du pays des Muyscas, des rochers de granit
ou de syénite couverts de figures colossales de crocodile et de
tigre. Ils semblent chargés de défendre les représentations du
soleil et de la lune qui les accompagnent. M. Ameghino parle
aussi des hiéroglyphes delà Nouvelle-Grenade (2) et peut-être
faut-il faire remonter à ces mêmes hommes, deux colonnes d'une
grande hauteur, chargées de sculptures et situées au confluent
du Carare et du Magdalena. Elles sont l'objet de la vénération
superstitieuse des indigènes (3).
(1) Humboldt, Vices des Cordillères et Monuments des peuples indigènes de l'Amé-
rique.
(2) « En Nueva Granada las inscrlpciones geroglificas se encuentran â cado paso. »
La Ant. del Nombre, t. I, p. 92.
(3) Zamora, Hist. de la Prov. del Nuevo Reino de Granada.
LE PÉROU. 467
Chaque jour, pour ainsi dire, amène des faits nouveaux qui
ajoutent à nos connaissances. Nous ne pouvons omettre les cu-
rieuses pictographies récemment découvertes dans les vallées de
Bogota, de Tunga et de Cauca ; elles paraissent une carte du pays
grossièrement tracée, où l'on peut cependant reconnaître les
pueblos les plus rapprochés (1).
A chaque pas, l'Amérique du Sud montre les vestiges d'une
race disparue, d'une civilisation éclipsée et toujours il faut arri-
ver à cette même conclusion, notre impuissance absolue à dire
l'origine ou la décadence de ces races, représentées aujourd'hui
par quelques misérables sauvages, sans passé, comme sans avenir!
Dans nulle région du globe, la nature n'a été plus prodigue Le Brésil.
que dans les pays immenses, qui s'étendent de la Guyane
à l'Uruguay, de l'Atlantique (2) aux premiers contreforts des
Andes, et qui forment l'empire du Brésil. La fertilité du sol,
sous la double influence de la chaleur et de l'humidité, est
admirable ; partout croissent les essences forestières les plus
variées; partout poussent à l'envi de précieuses plantes médici-
nales qui ne se trouvent sous aucun autre climat, des végétaux
utiles à l'alimentation ou à l'agrément de l'homme, des fleurs
au coloris le plus éclatant (3). La faune n'est pas moins riche que
la flore; les forêts vierges, dont rien, au dire des voyageurs, ne
peut dépeindre la magnificence, sont remplies de singes, de
félidés, de tapirs, de pécaris, d'oiseaux au brillant plumage. L'a-
bondance des poissons dans les fleuves et les rivières n'est pas
moins remarquable (4). Le pirarucu (5) que les indigènes
(1) Bastian, Zeilschrift der Geselschaft Erd Kunde. Berlin, 18T8.
(2) Le littoral brésilien mesure 8, 500 kil.Macedo, Chorographie duBrésil.Leip.,iS'Z,
(3) Quinze mille espèces végétales propres au Brésil ont déjà été reconnues. Agassiz,
en racontant sa mémorable expédition de l'Amazone entreprise durant les années 1865
et 1866 {Life and Explorations in Brazil. London, 1868), ajoutait : « Un empire pourrait
se dire riche, s'il possédait seulement une des sources d'industrie qui abondent dans
cette vallée et cependant la plus grande partie de ces richesses merveilleuses périt sur
le sol, va former un peu de limon, ou teint les eaux sur les bords desquelles ces pro-
duits sans nombre se perdent et se décomposent. »
(4) L'Ichtyologie brésilienne est si riche que, dans son exploration de l'Amazone,
Agassiz put classer trois cents espèces nouvelles.
(5) Sudis Gigas.
468 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
prennent avec la lance, quand il paraît à la surface de l'eau,
et la tortue suffiraient seuls à la nourriture d'une nombreuse
population ichtyophage (1).
La barbarie des hommes formait un étrange contraste avec la
richesse de la nature. Tandis que des peuples puissants, indus-
trieux, ayant des gouvernements réguliers, des lois, des villes,
toute une organisation sociale, prospéraient sur les côtes sablon-
neuses du Pacifique, sur les plateaux élevés des Andes, à des
altitudes oii le froid et la famine étaient toujours des ennemis
redoutables, les Portugais ne rencontraient, au milieu des fer-
tiles contrées du Brésil, qu'une population clairsemée (2), plon-
gée dans la plus triste dégradation et où le cannibalisme a persisté
jusqu'à nos jours (3).
Celte population indigène appartenait à la race appelée Gua-
ranie par les Espagnols, Tupi par les Portugais. C'était la race
la plus prolifique de l'Amérique du Sud (4), On la retrouve aux
(1) Prince Max de Neuwied, Reise nach Brésilien, 3 v. 4°, Francfort-sur-le-Mein,
1820. — A. de Saint-Hilaire, Voyage dans les provinces de Rio de Janeiro et de Minas
Geraës. — F. Denis, Le Brésil, Univers pittoresqwe. Paris, 1837. — F. de Castelnau,
Exp. dans les parties centrales de l'Amérique du Sud de 1843 à 1847. 6 v. 8. — A. de
Varnhagen, Htst. Gérai do B>'azil. Madrid et Rio de Janeiro, 1855-7. — D' Th. Waitz,
Anthropologie der Naturvolker, t. III. Leipzig, 1862. — C. de Martius, Beitrage zur
Ethnographie und Sprachenkunde Amerikas zumal Braziliens. Leipzig, 1867-72. —
Marcoy (Saint-Cricq\ Voyage à travers V Amérique du Sud, de l'Océan Pacifique à
l'Océan Atlantique, Paris, 1868. — R. Burton, Highlands of Brazil. London, 1868. —
Hartt, Geology and physical Geography of Brazil. Boston, 1870. — Pompeu de
Souza, Compendio de Geographia gérai e especial do Brazil. — Lacerda et Pexioto,
Contribuçoes arao pestudo anthropologico das Ragas indigenas do Brazil, Archivas
do Museu Nacional Rio di Janeiro.
(2) Varnhagen estimait à un million environ, le nombre des indigènes au moment
de la conquête portugaise. Les différentes tribus restées encore sauvages, peuvent s'é-
lever aujourd'hui à 500,000 âmes. Les autres se sont fondues dans les populations du
pays. Ce sont les Capufos, fils de nègres et d'Indiennes, les Mamelucos ou les Curi-
bocos, fils de blancs et d'Indiennes, les Mulattos fils de blancs et de noirs. Les subdi-
visions, à mesure que les générations s'accroissent, sont infinies.
(3) Nous avons déjà dit que tous, hommes, femmes et enfants, erraient dans un état
de complète nudité ; dans quelques tribus cependant, on trouve des tangas en terre
cuite couvi'ant les parties sexuelles. Ces tangas sont en argile très fine, cuite au feu.
Le côté concave a conservé sa couleur naturelle, le côté convexe est émaillé avec de
l'argile blanche ; sur quelques-uns d'entre eux on a figuré un visage. Archives du Mus.
Nat. de Rio de Janeiro, 1. 1.
(4) Les Galibis, que l'on rencontre dans la Guyane française, appartiennent à une
LE PÉROU. 469
Antilles, dans l'Uruguay, dans la Guyane et jusque dans la
Bolivie. Les Guaranis étaient d'une nuance moins foncée que
les Aymaras ou les Qquichuas ; leur conformation était plus ro-
buste et plus vigoureuse ; en revanche, leur caractère était plus
violent, leur intelligence moins ouverte, moins accessible sur-
tout au progrès.
Le docteur Crevaux (1) constatait de grandes analogies entre
les langues de la Guyane, de la Haute-Amazone, des Antilles et
celle des anciens habitants de la baie de Rio de Janeiro ; c'est
une preuve considérable à l'appui de l'opinion, qu'une race
unique avait peuplé toutes les côtes américaines de l'Atlan-
tique (2). Mais cette race a été profondément modifiée par des
mélanges ultérieurs ou antérieurs. Quelques peuplades présen-
tent un type asiatique très accusé ; leur conformation est trapue
et ramassée; leur visage aplati, le nez écrasé, les pommettes
saillantes ; les yeux sont fendus obliquement, la peau est de
couleur jaune, la barbe peu fournie, les cheveux sont noirs,
longs et plats. On retrouve aujourd'hui ces mêmes caractères
chez les Aïmorès (3) auxquels les Portugais ont donné le nom
de Botociidos (4) à raison de l'immense rondelle de bois [botoqiie)
qu'ils ont l'habitude d'introduire dans une fente artificielle
de leur lèvre inférieure (fig. 201).
Ces peuples se ramifiaient en tribus innombrables, qui, malgré
souche probablement alliée aux Tupis et qui, selon Martius, a donné naissance par lo
croisement avec les peuples conquis des Antilles, à la redoutable race des Caraïbes.
D'Orbigny, YHomme américain, t. II, p. 268. — M. Girard de Rialle a fait très bien
connaître les Galibis, en rendant compte de la présence de plusieurs naturels du pays
au Jardin d'Acclimatation {Nature, 19 août 1882).
(1) Au moment même, où nous écrivions ces lignes, on apprenait que le D' Crevaux
avait été massacré par les sauvages; sa mort est une perte très grande pour la science.
(2) Bul. Soc. Anth., 1881, p. 56i.
(3) Olfers, Eschwege, Journal v. Brésilien, t. Il, p, 194. — Selon MM. Lacerda et
Peixoto [Arch. du Mus. Nut. de liio de Janeiro, t. I) ce seraient les Botocudos, qui se
rapprocheraient le plus de la race primitive du Brésil.
(4) M. Rey décrit le crâne des Botocudos comme caractérisé par la saillie de la gla-
belle et des arcades sourcilières, par l'enfoncement de la racine du nez, l'absence de
bosses frontales, la simplicité des sutures, la forme globuleuse de l'occipital et par la
voûte crânienne en forme de carène. L'indice cépbaiique varie entre 71,67 et 74,86. —
Bordier, Bul. Soc. Anth., 1881, p. 566.
470 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
une origine commune, étaient constamment en lutte les uns
contre les autres. A côté des Tupis, les Portugais rencontraient
les Tapuyas et les Tupinambas (1) qui dominaient toute la côte,
depuis l'île Saint- Vincent, jusqu'à l'île de Maranhâo, d'autres
encore, dont l'énumération ne serait de nul intérêt. Etaient-ce là
lesplusanciennespopulations du Brésil; celles, par exemple, dont
Fig. 204. — Botocudo.
les ossements ont été retrouves dans les cavernes de la province
de Minas-Geraës? Il est permis d'en douter, et bien que le type des
hommes du Lagoa-Santa se rencontre encore au moment de l'in-
vasion européenne (2), tout semblé prouver que les barbares
Guaranis avaient eu, soit comme prédécesseurs, soit comme con-
temporains, une race plus civilisée. Si nous admettons cette
dernière hypothèse, ce serait à cette race inconnue qu'il faudrait
attribuer les rares mégalithes et surtout les peintures et les gra-
vures sur roche, que l'on rencontre si fréquemment au Brésil.
Herkman, envoyé dans l'intérieur de la province de Pernam-
buco par le prince de Nassau-Siegen, durant la domination
hollandaise, signalait deux pierres parfaitement rondes, dont la
plus grande mesurait seize pieds de diamètre, placées l'une sur
(1) Ce sont les Topinambours des anciens écrivains français.
(2) De Quatrefagcs, Co?îg'. Anth. de Moscou, 1877.
LE PÉROU. ^471
l'autre (1). C'était là une de ces constructions, qui marquent
l'enfance de Tart dans toutes les sociétés. On a prétendu y voir un
autel, à raison des pierres accumulées tout autour, qui, selon
une coutume presque universelle, témoignent de la vénération
des indigènes. Sur plusieurs points de l'intérieur du pays, les
explorateurs ont rencontré des tumuli tantôt en pierres, tantôt
en terre. Dans tous, les fouilles ont donné des ossements et avec
ces ossements, des armes, des ornements en silex ou en roches
dures, des morceaux de cristal, de corail ou de racine de
jutah (2).
Les solitudes du Para et du Piauhy renferment des sculptures Les Pedras-
'' ^ Pintadas ou
en creux, dues à des populations disparues ! Ce sont des animaux, ^''^^fg*'''
des oiseaux, des hommes dans les attitudes les plus variées ;
parmi ces derniers, les uns ont le corps tatoué, les autres sont
couronnés de plumes ; des arabesques et des enroulements, com-
plètent la scène (3). M. Philippe Rey signale à la Sierra da Onça,
sur les rochers qui dominent la rive droite du Rio Doce, des
dessins tracés à l'ocre rouge, tantôt isolés, tantôt groupés sans
ordre apparent (fîg. 202). Est-ce là une inscription et devons-nous
attribuer à ces dessins une autre signification que celle du ca-
price de l'artiste? Nous n'oserions le dire; toute interprétation
paraît impossible (4). Dans la province de Ceara, des rochers
rappellent par les gravures dont ils sont couverts, ceux de
la Scandinavie (fig. 203) ; M. A. de Saint-Hilaire en cite de sem-
blables sur les rochers de Tijuco; M. Koster parle d'une barque
sculptée en creux (5) et tout permet d'espérer de nouvelles dé-
couvertes à mesure que les voyageurs pourront pénétrer plus
librement dans les forêts vierges, les savanes et les déserts qui
couvrent la plus grande partie du territoire brésilien.
Au nord, la zone des Pedras Pintadas, tel est le nom qu'on
(1) F. Denis, Le Brésil, p. 25?.
(2) Hymencea cuiùarii. — C. Rath, Revista do Instxtuto historico, geographico, ethno-
graphico do Brazil, 1871, 2* trim.
(3) Debret, Voy. pitt. et hist. au Brésil depuis tSl6 jusqu'en 1831. Paris, 1839.
(4) Bul. Soc. Anth., 1879, p. 732.
(5) Voyage dans la partie septentrionale du Brésil depuis 1809 jusqu'en 1815.
*72 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
leur donne, s'étend dans les Guyancs, des monts Paracaïma à
Uruana. Ces dessins, selon M. de Humboldt, datent d'époques
différentes et sont dus à des populations très diverses. Mais
quelles sont ces populations? L'illustre voyageur allemand n'a-
joute rien qui puisse les faire connaître. Ces Pedras pintadas se
rencontrent au sud comme au nord, au Chili et au Pérou,
comme dans l'Arizona et le Nouveau-Mexique ; partout elles pré-
if\^'
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Fig. 205. — Gravures sur roche sur la rive droite du Rio-Doce.
sentent une analogie remarquable. Cette constante disposition,
qui ne se rencontre au même degré, chez aucune des autres
populations du globe, est un caractère de race difficile à mécon-
naître. M. Ameghino reproduit un grand nombre d'inscriptions
qu'il a découvertes sur le territoire de la République Argentine et
qui se peuvent comparer à celles du Brésil (1); elles paraissent
(1) « Puro los objetos mas notables, crco son las numerosas inscripciones sobre ro-
LE PEROU.
473
plus compliquées, comme on peut le voir par celle que nous
reproduisons (fig. 204); elles montrent un art plus développé
Fig. 206. — Inscription sur pierre à Coara.
et doivent sans doute dater d'une époque plus récente.
11 est impossible d'attribuer les dessins du Brésil ou de
Fig. 207. — Rocher couvert de gravures (Province de Catamarcal.
l'Uruguay, aux tribus de race guaranie ; rien ne permet de
cas que han descubierto en diverses puntos de la provincia. » La Antiguedad del
Hombre, t. I, p. 541, fig. 353 à 364.
474 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
supposer, que des sauvages aussi dégradés qu'on nous les dé-
peint, aient eu Tintelligence et la volonté nécessaires, pour
retracer sur la pierre, les objets qui frappaient leur imagina-
tion. La même observation s'applique avec plus de force à un
souterrain d'une longueur considérable, excavé dans un grès
compact et que des explorations ont mis au jour dans ces der-
nières années.
En pénétrant dans ce souterrain, el Palacio, tel est le nom
qui lui a été donné, on est surpris à la vue de colonnes pla-
cées à des distances régulières, supportant de véritables voûtes
et convergeant toutes vers un centre commun (1). Les fouilles
très superficielles exécutées jusqu'à présent n'ont donné que
quelques pointes en agate; or, le gisement d'agate le plus rap-
proché se trouve sur les bords du Rio-Negro ; ce serait donc
de là, que ces pointes de flèche auraient été apportées. Aucune
tradition sérieuse ne se rattache à ces constructions, nous nous
bornons à les mentionner, en ajoutant que notre ignorance est
complète sur l'époque à laquelle elles peuvent remonter, et sur
les hommes à qui elles sont dues.
Poterie. Nous cn dirous autant pour les poteries recueillies en grand
nombre au Brésil et à La Plata. Les plus importantes de ces
découvertes sont celles faites par le professeur Hartt (2). Sur
l'île de Pacoval-Marajo et à Taperinha sur le Rio-Tapajos (3).
Elles permettent de juger de la forme et de l'ornementation
des objets; cette dernière consiste principalement en lignes assez
compliquées, tracées tantôt sur l'argile molle, tantôt sur l'argile
déjà durcie au soleil. D'autres fois les vases étaient peints ; on
cite notamment des coupes en forme d'oiseaux, aux couleurs les
plus brillantes. Les anses présentent une variété non moins
curieuse ; elles imitent soit des animaux, soit les diverses par-
lies du corps humain, plus souvent encore des têtes grotesques :
(1) Mario Isola, Caverna conocida por palacio suterreano de Povongo9 dép. de San
José (R. 0. del U.). — Ameghino, /. c, p. 461. — El Siglo de Montevideo.
12) Report Peabody Muséum, 1873, p. 20.
(3) Un des affluents de l'Amazone.
LE PÉROU. 475
rimagination ne faisait assurément pas défaut à ces potiers in-
connus. Une urne de deux pieds et demi de hauteur sur quatre
pieds de diamètre, imitation assez grossière du corps de l'homme
est le plus remarquable des objets transmis par M. Hartt au Pea-
body Muséum. 11 a été trouvé un certain nombre d'urnes sem-
blables (i), dont quelques-unes renfermaient des ossements hu-
mains. Elles doivent remonter à des temps éloignés ; rien de
ce que nous savons du genre de vie des Tupis et en particulier
de leurs rites funéraires, ne permet de les leur attribuer.
Des fragments de poterie ont aussi été trouvés sous un
kjôkkenmodding auprès de Santarem (province de Para) ;
M. Hartt date ce kjôkkenmodding exclusivement formé de
mollusques d'eau douce, de la même époque que les plus anciens
amas de la Floride. Les tessons étaient accompagnés d'osse-
ments d'animaux divers ; ces ossements, renfermés dans une
brèche compacte, auraient pu fournir quelques indications uti-
les; malheureusement ils n'ont pas été décrits, ou du moins leur
description n'est point parvenue en Europe.
M. Barboso Rodriguez, chargé par le gouvernement brési-
lien, d'explorer la vallée de l'Amazone, raconte les innombra-
bles tessons de poterie amoncelés à dix-huit miles en amont du
confluent du Rio das Trombettas (2) et de l'Amazone (3). Il dé-
couvrit aussi dans cette expédition, plusieurs exemplaires d'un
idole en pierre, appelée Muirakitan. Elle représente un crapaud
ou une grenouille sculptés sur des roches dures. La tradition
veut que ce fussent là les amulettes données par les Amazones,
à leurs amants, lorsqu'elles se rendaient chaque année au-
près d'eux, sur les bords du Yamunda. De semblables imitations
de batraciens se trouvent au Mexique, au Pérou et nous avons
dit l'idée superstitieuse qu'y attachaient les Chibchas. Quant à la
fable des Amazones, elle remonte au récit d'Orillana, un des
(1) M. Hartt les appelle des Face Vrns.
(2) Le Rio das Trombettas est aussi appelé l'Orixamena ; son cours est sur la rive
gauche de l'Amazone.
(.3) H. Fischer, Sur l'origine des pierres dites d'Amazone et sur ce peuple fabuleux.
Mat., 1880, p. 127.
476 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
compagnons de Pizarre , qui descendit le fleuve durant les
années 1539 et 1540, et qui de retour en Espagne, raconta les
combats qu'il avait eu à soutenir contre des femmes aussi bel-
liqueuses que des hommes; ses adversaires étaient probablement
les Uaupès, Indiens sveltes, imberbes, aux extrémités fines, aux
traits féminins et leurs femmes n'étaient que les témoins du
combat auquel elles ne prenaient qu'une part indirecte.
11 faut enfin, pour terminer tout ce qui concerne les poteries
de l'Amérique du Sud, parler des urnes trouvées dans les îles
situées au nord de Buenos-A^res, vers l'embouchure du Pa-
rana (1). Ces urnes sont en argile plastique noire, ayant subi
une cuisson très superficielle ; elles tombent en fragments dès
qu'elles sont déterrées (2). L'une d'elles a pu être conservée à
grand'peine ; elle mesure plus de 18 pouces de hauteur, sur un
diamètre de près de 23 pouces. Sa forme est circulaire et par-
faitement régulière; la partie supérieure s'infléchit rapidement,
de manière à former une espèce de col de 2 pouces de hauteur
et présentant une large ouverture. Le vase était peint en blanc,
et orné de lignes, de cercles, de carrés, peints en rouge. Ces
décorations varient à l'infini ; et un grand nombre de poteries
portent des ornements modelés en relief dans la pâte. Chaque
urne renfermait un squelette assis, la lête inclinée sur la poi-
trine, les genoux relevés vers le menton. Tous les ossements
étaient tellement décomposés par les inondations fréquentes du
cimetière, qu'il fut impossible de les étudier. On signale dans la
province de Tucuman, des urnes semblables, renfermant égale-
ment des squelettes ; dans celle de la Rioja les corps étaient placés
dans une position analogue, mais cette fois dans des corbeilles
de jonc. Les vases ou les corbeilles étaient déposés dans des grottes
naturelles ou artificielles. Nous sommes en présence d'un rite
funéraire bien caractérisé.
Nous avons tenu à n'omettre aucune de ces découvertes. Ces
(1) Burmeister, Congrès d'Anthropologie et d'Archéologie préhistoriques. Bruxelles,
1872, p. 348.
(2) L'épaisseur des fragments recueillis varie d'un pouce à un quart de pouce.
LE PÉaOU. 477
sculptures, ces peintures, ces poteries trouvées sur des points
situés à des distances considérables, témoignent assurément de
races plus civilisées que celles rencontrées par les premiers
Européens qui abordèrent sur les côtes américaines. Il a été
fréquemment recueilli au Brésil et dans l'Uruguay des haches,
des armes, des outils de toute sorte, en pierre. On apportait
récemment à la Société d'Anthropologie de Paris (1), de sem-
blables outils trouvés dans des gisements aurifères de la pro-
vince de Maranhâo (2). Ils sont, disait à cette occasion le
D"" Hamy, analogues à ceux qui nous viennent de la Guyane,
de la Martinique, de la Guadeloupe, de Haïti et du Haut-Pérou;
ils plaident en faveur de l'affinité du groupe Guarani avec les
races qui habitaient les Antilles. Pour les indigènes, ces pierres
de formes diverses qu'ils regardent avec une terreur supersti-
tieuse, sont toutes tombées du ciel. Il est intéressant de retrouver
en Amérique cette légende répandue chez toutes les nations de
l'ancien continent (3).
Ici se termine notre tâche archéologique (4). Nous avons ré-
sumé les œuvres de l'homme si nombreuses dans les deux Amé-
riques ; il nous faut maintenant étudier cet homme lui-même
dans sa conformation physique ; ce sera l'objet du chapitre
suivant.
(1) Bul. Soc. Anth., 1881, p. 206.
(2) Province située sur la côte N.-E. du Brésil.
(3) Les Premiers Hommes et les Temps Préhistoriques, t. I, p. 11.
(4) M. Barboso Rodriguez aurait récemment trouvé, écrivait l'Empereur du Brésil à
M. de Quatrefages, une hache en jadéite ; ce serait là un fait remarquable, puisqu'aucuu
gisement de jadéite n'est connu en Amérique.
CHAPITRE IX
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE.
Dans les chapitres précédents, nous avons dit tout ce qu'il était
actuellement possible de savoir sur les temps qui ont précédé en
Amérique l'invasion espagnole. Nous avons vu les premiers ha-
bitants du nouveau continent passant successivement par les
phases d'une civilisation analogue à celle de nos ancêtres, luttant
avec d'humbles silex contre les animaux gigantesques à jamais
disparus, exécutant des terrassements immenses pour défendre
leurs foyers, pour honorer leurs dieux ou leurs morts, gravissant
des rochers presque inaccessibles, pour y placer leurs demeures,
fondant des villes, élevant de's monuments, cultivant les arts, éta-
blissant des gouvernements, obéissant à des lois régulières. Il
faut maintenant étudier ces hommes au point de vue de leur
conformation physique ; chercher les conséquences qui découlent
de ces études et les conclusions encore bien incomplètes qu'elles
permettent.
Parcourons à nouveau les régions où nous avons constaté les
reliques ou les souvenirs de l'homme ; demandons aux sables des
pampas, aux mounds du Mississipi, aux huacas du Pérou, aux
huttes des Esquimaux les ossements qu'ils recèlent. Rien de ce
qui touche à ces questions, ne saurait être indifférent au penseur.
Ces hommes, dont quelques misérables débris restent les derniers
témoins, ont vécu, ont aimé, ont lutté et souffert comme nous.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 479
Leur vie a été la vie de nos pères; leur passé, le passé de notre
propre race ; leurs instincts, leurs aspirations, leurs conceptions
sont nos instincts, nos aspirations, nos conceptions.
Malheureusement ces ossements, dont autrefois on ne soupçon-
nait guère l'importance, n'ont pas toujours été conservés avec le
soin désirable ; les fouilles entreprises, soit dans un but de curio-
sité, soit pour chercher des trésors, que la crédulité et l'avarice
se disputaient à l'envi, n'ont été ni méthodiquement dirigées, ni
surveillées par des hommes compétents ; de là des causes nom-
breuses d'erreur, dont il faut tout d'abord prévenir le lecteur.
Parmi les plus anciens débris humains, découverts sur la terre cràne prégla-
ciaire.
d'Amérique, nous devons sans doute ranger un crâne que les
travaux d'une voie ferrée ont mis au jour, auprès de Denver, à
trois pieds et demi de la surface du sol (1). 11 gisait dans un loess
qui paraît n'avoir subi aucun remaniement, ce loess couvre des
plaines immenses et offre une ressemblance frappante avec les
dépôts glaciaires de l'Europe. Nous avons déjà dit (2) qu'il
avait livré de nombreux instruments d'une fabrication très ana
logue à celle de nos instruments paléolithiques. Tout permet
de supposer que le cràne remonte à la même époque ; mais nous
n'avons aucun détail sur sa conformation et s'il peut prouver
l'existence de l'homme sur le sol de l'Amérique dès l'époque
glaciaire, il ne nous dit pas quel était cet homme qui vivait au
milieu des glaciers, qui combattait le mastodonte et le mega-
therium, ses redoutables rivaux dans la lutte pour la vie.
Nous avons raconté les découvertes si curieuses de M. Ame- squelette
trouvé dans
ehmo dans les pampas de la Plata (8) ; des découvertes nouvelles le* Pampas
^ . , ^, .^ ^ ^ de la Plata.
venaient, l'année dernière, les compléter et les affirmer (4).
Tout le pays entre Buenos-Ayres etRosario, le long du Parana,
est une vaste plaine ondulée, d'une superficie d'environ cinq
(1) Ch. Abbott, The l'aleolithic Implements from the Glacial Drift in the Valley of
the Delaware near Trenton {New Jersey). Report Peabody Muséum, 1878, t. II, p. 257.
(2)Chap. I, p. 19.
(3) Chap. I, p. 28.
(4) C. Vogt, Squelette humain associé aux ghjptodontes. Bul. Soc. Anth., 20 oct.
1881,
480 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
mille lieues carrées. La formation pampéenne se trouve au-des-
sous d'une première couche de terre végétale d'une puissance
moyenne d'un mètre; elle comprend une couche supérieure va-
riant de 5 à 24 mètres, qui descend sur les hords du fleuve jusqu'au
niveau des eaux et qui est caractérisée par la présence du glypto-
don, du mylodon, de l'hoplophorus , d'équidés (1), et de ru-
minants; puis une deuxième couche, de 1 à 3 mètres, où les os-
sements sont moins friables et mieux conservés. Elle renferme
les restes du mastodonte, du megatherium, du toxodon.
M. Roth, à qui nous devons ces renseignements, regarde les
deux couches comme appartenant au quaternaire ; mais il af-
firme que dans les nombreuses fouilles qu'il a dirigées, il a cons-
tamment trouvé les deux faunes complètement distinctes.
C'est dans la première couche que des débris humains ont été
recueillis auprès de Pontimelo, au nord de la province de
Buenos-Ayres. Ils comprenaient un crâne avec sa mâchoire infé-
rieure; les vertèbres cervicales étaient distantes du crâne; les
côtes gisaient çà et là; un seul fémur tenait au bassin. Les os
d'une des mains étaient en place ; ceux de l'autre et les os du
pied étaient dispersés ; il en manquait même plusieurs.
Tous ces os étaient décomposés et les parties extérieures enle-
vées parla pourriture. Ils étaient placés au-dessous de la cara-
pace d'un glyptodon dont le dos était retourné. Sous le crâne
se trouvaient une coquille d'huitre et un instrument en bois de
cerf, où le travail humain était peu apparent.
Tels sont les faits, nous devions les raconter pour ne rien
omettre sur le sujet important qui nous occupe. Malheureuse-
ment nous n'avons aucun renseignement sur la forme du crâne
ou sur celle des os longs. Les remaniements rapides causés par les
pluies et les vents, par la violence des cours d'eau, suite inévi-
table de la fréquence des orages dans la région ne permettent pas
d'ailleurs d'affirmer avec une complète sécurité, la contempora-
néité de cet homme et du glyptodon.
(1) Equus curvidens.
LES HOMMES DE LAMÉRIQUE. 481 *
Nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons dit sur les crânes des
t • '11 1 1 • ■ cavernes.
squelettes humains, rencontres dans les cavernes, habitation ou
sépulture des vieux Américains. Quelques-uns de ces ossements
remontent vraisemblablement à une grande antiquité, mais les
observations ne sont pas encore assez nombreuses pour permettre
une conclusion sérieuse.
Nous ne ferons d'exception que pour le crâne du Lagoa-Santa Les hommes
(Brésil), et nous emprunterons la description que M. de Quatre- santa.
fages donnait avec la grande autorité qui lui appartient, au Congrès
d'Anthropologie réuni à Moscou en 1879 (1). « Ce crâne, disait-il,
appartient à un individu âgé de plus de trente ans ; il présente
extérieurement un aspect métallique bronzé ; son poids est con-
sidérable ; les arcades zygomatiques sont brisées dans la région
médiane ; les apophyses styloïdes ont disparu ; à la région tempo-
rale droite, on voit une ouverture elliptique de 48 millimètres
sur 20, causée probablement par le coup de quelque instrument,
qui a donné la mort. Le front est bas et incliné en arrière,
comme dans tous les crânes américains; la glabelle est saillante;
les bosses sus-orbitaires très proéminentes, l'occiput presque
vertical. La protubérance occipitale externe est large, plane et
peu saillante, le plan du trou occipital prolongé passe par une
ligne horizontale joignant les deux orbites. Les os malaires sont
saillants et projetés en avant. Les orbites sont quadrangulaires,
les parois latérales du crâne sont verticales. Les apophyses mas-
toïdes sont peu volumineuses, presque toutes soudées. On voit au
maxillaire supérieur quatorze alvéoles plus ou moins fracturées
et la seconde molaire est usée (2). »
Il faut dire aussi que la capacité crânienne (1388 ce), bien que
faible, est supérieure aux moyennes que donnent les crânes des
Mound-Builders et que l'indice céphalique (69, 72) montre une
(1) Outre le compte rendu de ce congrès, on peut consulter les Mém. de la Soc.
d'hist. et de géog. du Brésil.
(2) Un crâne présentant des formes générales assez semblables, a été trouvé à Rock-
Buff, sur les bords de l'Illinois. Schmidt, Zur Urgeschichte Nord Amerika ; Archiv fur
Anthropologie, t. V, p. 241.
De Nadaillac, Amérique. 31
482 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
dolichocéphalie prononcée (1). L'usure des incisives dont nous
avons déjà eu l'occasion de parler (2), avait singulièrement frappé
Lund. Il regardait ce caractère comme particulier à l'homme de
Sumidouro et comme devant le séparer des diverses races hu-
maines à l'exception peut-être des anciens Égyptiens, chez qui il
se rencontre également. Pour M. de Quatrefages, au contraire,
cette particularité constatée chez toutes les races fossiles euro-
péennes, établit un rapport inattendu entre les habitants primitifs
de l'ancien et du nouveau monde. Il est curieux, ajoute-t-il, de
voir un caractère artificiel aussi tranché et qui peut tenir seule-
ment à un mode de mastication commun, se montrer chez les
populations paléontologiques, puis disparaître également chez
les populations actuelles des deux continents.
M. de Quatrefages établit (3) non moins nettement que la forme
céphalique des hommes du Lagoa-Santa, se rencontre sur le lit-
toral des deux Océans et jusqu'au cœur de la Cordillère péru-
vienne. On la retrouve sur deux crânes Aymaras modernes et
sur quelques têtes observées par M. Wiener. Il est raisonnable
d'en conclure que la race dont la tête trouvée par Lund est le
type (4), a contribué pour une part encore indéterminée dans
la constitution des races Brésiliennes et Ando-.Péruviennes.
Les recherches faites dans toutes les régions du nouveau monde
confirment ce fait. Les populations actuelles de l'Amérique
comme celles de l'Europe sont issues du mélange de plusieurs
races. Les croisements sont les véritables modifications des types
fondamentaux. Les hommes des races primitives ont résisté à ces
modifications; ils n'ont point complètement disparu et malgré
(1) MM. Lacerda et Peixoto affirment la dolicochéphalie des anciennes races du
Brésil. Le même fait est constant pour les crânes recueillis dans les plaines de la ré-
publique Argentine et le Sefior Moreno le proclame à son tour pour ceux provenant
des paraderos de la Patagonie. i -, •
(2) Chap. I, p. 24.
(3) Congrès de Moscou, p. 13.
(4) M. de Quatrefages attache de l'importance au fait que, sur le crâne du Lagoa-
Santa, le diamètre vertical l'emporte sur le diamètre transversal maximum. Cette tête
est donc non seulement dolichocéphale, mais aussi hypsisténocéphale à un très haut
degré. Ce double caractère se retrouve par atavisme chez les hommes actuels.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 483
des variations allant souvent d'un extrême à l'autre, une étude
attentive permet de reconnaître un type prédominant qui n'a
cédé ni à l'influence du climat ou de la nourriture, ni à l'état
nomade ou stationnaire et au genre de vie qui en était la consé-
quence forcée (1).
Les explorations des kiôkkenmôddinffs, très nombreux sur les Kjokken-
côtes de l'Orégon et de la Californie ont amené des résultats
intéressants (2). Sur bien des points, les fouilles ont donné les
mortiers et les pilons si caractéristiques des anciens habitants du
pays, des poteries, des petits vases en stéatite, des pipes, des poi-
gnards, des couteaux, des pointes de flèche en silex, des essais
de sculpture sur pierre dure, des instruments en os ou en test
de coquille. Dans un de ces kjôkkenmôddings, au milieu de dé-
bris de toute sorte, on recueillait trente crânes en assez bon
état de conservation et deux ou trois squelettes à peu près com-*
plets.
L'île de Santa Catalina renferme une carrière de stéatite,
dont le nombre de vases, de pots, de plats à tous les degrés de
fabrication atteste l'importance. Dans la carrière, gisaient cin-
quante crânes de ces vieux ouvriers ; vingt-neuf ont pu être me-
surés ; la capacité de l'un d'eux est élevée, elle atteint 1680 ce;
mais c'est un cas isolé, la moyenne reste faible, elle est seulement
de 1326 c. c. pour les crânes masculins, de 1279 c. c. pour les
crânes féminins.
Les crânes retirés des kjôkkenmôddings de la Floride, formés
principalement de mollusques d'eau douce, donnent une moyenne
un peu plus élevée (1375 c. c). Les os sont d'une épaisseur remar-
quable, plus de 10 millimètres, et un des crânes ne pèse pas
moins de 995 grammes, poids rarement atteint par les crânes
fossiles (3).
Bien que les ossements et surtout les crânes des Mound-Buil- Les Mounds-
Builders.
(1) De Qaatrefages et Hamy, Cranta Ethnica. — Foster. Préh. Races of the U. S.
Chicago. 1873.
(2) P. Schumacher, Report Peabody Muséum, 1878, t. II, p. 203.
(3) Rep. Peabody Mus., 1871, p. 13. — Foster, Préh. Races, p. 159.
484 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
ders étudiés d'une manière sérieuse, tant au point de vue de
leur conformation, qu'à celui du gisement, où ils ont été décou-
verts, soient encore rares, il est déjà permis d'établir quelques
caractères généraux tels que la brachycéphalie, la dépression du
crâne, sa faible capacité, la platycnémie, la perforation de l'hu-
mérus. Ces caractères se retrouvent dans toutes les régions qu'ils
ont peuplées et durant les longs siècles oii ils ont vécu sur le sol
américain ; ils peuvent même nous aider à distinguer les osse-
ments des Mound-Builders de ceux des Indiens modernes, qui
bien souvent se sont approprié pour la sépulture des leurs, les
tombes de ceux qui les avaient précédés (1).
En disant que ce sont là les caractères généraux des osse-
ments des Mound-Builders, nous ne prétendons pas nier les
nombreuses exceptions. Nulle part, ni sur l'ancien, ni sur le
nouveau continent, on ne trouve des formes exactement sem-
blables, des caractères de race absolument typiques. L'excessive
variété est la loi générale qui reste encore inexpliquée.
Un des plus anciens crânes qui puisse être attribué aux
Mound-Builders a été découvert dans le comté du New-Madrid
(Missouri), sous un mound qui renfermait de nombreux débris
de victimes humaines, sacrifiées sans doute en l'honneur du
mort. Ce crâne gisait à une profondeur de trente pieds environ,
et sur le mound s'élevaient des arbres séculaires, rejetons d'une
forêt plus ancienne encore, car leurs racines enlaçaient les vieux
troncs de leurs ancêtres. Depuis l'érection du mound, le Missis-
sipi avait déposé des alluvions qui atteignaient six pieds de hau-
teur. Près de là, on a recueilli dans des conditions identiques
une dent de mastodonte ; tout fait présumer qu'il était le con-
temporain de l'homme, auquel l'avait associé le hasard de la sé-
pulture. Si une seule preuve n'est pas suffisante, pour justifier
l'extrême ancienneté de ce crâne, il semble que l'ensemble de
(1) Le Rév. M. Peet a constaté dans les différentes découvertes d'ossements dont il
a été témoin, qu'aune exception près, celle d'un vieillard d'un âge avancé, les dents
étaient toujours excellentes, quoique souvent fortement usées. American Antiqua-
rian Oct. 1879.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 485
celles que nous donnons, permet de Taffirmer avec une certaine
sécurité. Nous hésitons cependant encore, car non seulement il
est petit, ovale, peu différent des crânes modernes ; mais encore
M. Swallow, en rendant compte de ces faits à l'Association amé-
ricaine pour l'avancement des sciences (1), ajoutait le récit
d'une fouille exécutée sous ses yeux sous un mound voisin qu'il
prétend dater de la même époque. Plusieurs corps avaient été
déposés dans cette sépulture, les ossements étaient décomposés et
il ne restait que quelques faibles amas de poussière grise,
suprêmes reliques de l'homme. On rencontrait en revanche de
nombreux fragments de poterie, des vases ornés de dessins re-
présentant des têtes, des bustes, quelquefois des corps entiers
d'hommes ou de femmes. Ces figures montrent un type élevé
peu en rapport avec l'ancienneté que l'on prétend attribuer au
mound et surtout très éloigné de celui que l'on s'accorde à re-
garder comme caractéristique des Mound-Builders.
Sur d'autres points nous arrivons à des conclusions opposées.
Dès 1872, M. Foster signalait la ressemblance de certains crânes
trouvés à Chicago (Illinois), à Mérom (Indiana) et à Dubuque
(lowa) (2). Cette même ressemblance se retrouve dans les ar-
mes, dans les poteries, dans les ornements, comme dans les tra-
vaux de terrassements et permet de conclure à l'identité de la
population de ces régions. Les ossements qui la rappellent pré-'
sentent les caractères que nous sommes habitués à regarder
comme appartenant à des races inférieures. Ainsi l'examen d'un
crâne trouvé à Dubuque, celui d'un autre provenant de Dun-
leith-Mound (Illinois) (fig. 208 D) (3), l'étude de nombreux frag-
ments de boîte osseuse trouvés à Mérom (4) et à Chicago montrent
(1) Am. Ass. Portland, 1873, p. 403.
{1) Americ. Ass., Dubuque (lowa], 1872.
(3) Foster, Preh. Ruces of the U. S.
(4) Il est juste d'ajouter que d'autres crânes trouvés auprès de Mérom offrent un type
supérieur ; mais ils ont été extraits de Stone Graves, dont les parois sont formés de
lames de pierre fort minces, recouvertes de pierres plates. Il est probable que ces sé-
pultures sont celles d'une race plus avancée. Putnam, Proc. Boston Soc. of Nalural
History.
486 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
les caractères si connus du crâne de Neanderthal (fîg. 208 C) (1),
un des plus inférieurs parmi tous ceux que les fouilles ont donné
en Europe. -
Ce ne sont point là des faits exceptionnels ; le crâne trouvé à
Stimpson's-Mound (fig. 208 B) rappelle celui de Borreby dont le
Fig. â08. — A, erâne européen. — B, crâne de Stimpsou's-Mound. — C, crâne de
Neanderthal. — D, crâne de Dunleith Moiind. — E, crâne de chimpanzé.
type dégradé est célèbre; ceux provenant de Kennicott-Mound
sont également caractérisés par une extrême dépression frontale.
Un crâne d'enfant, autant que l'on peut en juger, car il est très
incomplet, eSt plus étrange encore, il se rapproche probable-
ment plus que tout autre crâne connu, de celui des anthro-
poïdes (2).
Les mêmes faits sont constatés dans le Missouri. Deux sque-
lettes ont été retirés d'une sépulture régulière, sous un mound
non remanié ; le front est déprimé, la tête singulièrement
aplatie (fig. 209) et cependant d'autres squelettes, trouvés sous le
même mound, ne présentent point ce type étrange. Les explora-
teurs crurent d'abord à une erreur et attribuèrent les deux pre-
miers à un ensevelissement secondaire (3) ; mais un examen
attentif leur prouva que tous les ossements remontaient bien à la
(i) Les Premiers Hommes et les Temps Préhistoriques, t. I, p. 149.
(2) Ce crâne était conservé dans les collections de l'Académie de Chicago. Il a péii
dans le grand incendie de î871.
(3) Cenant, Foot Prints of Vanished Races, p. 106.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 487
même époque. Les mêmes vases avaient été placés dans la même
position, et le mound avait été érigé après la sépulture de tous
les corps que les hommes du dix-neuvième siècle devaient mettre
au jour.
Un crâne recueilli sous un mound du Dakota montre aussi un
front très fuyant(l), desorbites presque aussi saillantes que celles
Fig. 209. — Fragment d'un crâne provenant du Missouri.
du gibbon, un prognathisme accentué. La mâchoire est massive
et comme contraste à ces caractères inférieurs, le nez est aquilin
et bien conformé. Des crânes offrant un type analogue ont été
trouvés dans certaines sépultures du Chihuahua, où les corps
n'étaient point étendus horizontalement, mais assis et légère-
ment inclinés. Les crânes les plus anciens de TOhio portent
aussi ce môme front fuyant et Lapham cite deux crânes con-
servés au musée de Milwaukie au front déprimé, aux arcades
sourcilières proéminentes ; ce sont là pour le docteur, les carac-
tères typiques des anciennes races du Wisconsin, caractères suc-
cessivement modifiés soit par des croisements avec une race su-
périeure, soit peut-être par le progrès de la race primitive
elle-même.
Cette proéminence des arcades sourcilières est non moins
exagérée sur des crânes provenant, l'un d'un mound de la
vallée du Mississipi (2), l'autre d'un tumulus du Tennessee (3).
(1) Une ligne perpendiculaire tirée de la mâchoire inférieure au sommet du crâne
passerait à deux pouces environ de distance du front. Sliort, The North Americaiis of
Ant., p. 128, 167. — Ce crâne a été découvert par le général H. W. Thomas.
(2) American Antiquarian. July, 1879.
(3) Jones, Explorations of Aboriginal Reynains of Tennessee, Smith. Cont., t. XXII.
488 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les dénis de ce dernier sont usées, plusieurs présentent môme
des traces de carie. La tête est surtout déprimée du côté droit.
Cette dépression artificielle, qui varie selon les tribus et proba-
blement aussi selon la mode du moment, est un des caractères
typiques de la race américaine.
Nous avons précédemment raconté les mounds élevés dans la
région des grands lacs, et nous avons dit qu'ils étaient dus à la race
qui avait couvert de ses terrassements les vallées de l'Ohio et du
Mississipi (1). Nous citerons le grand mound de la Rivière-Rouge
où il a été trouvé les fragments d'un crâne en mauvais état rappe-
lant par ses formes massives le crâne de Neanderthal et le mound
circulaire auprès de la rivière Détroit. Ce dernier a donné onze
squelettes et à côté d'eux des vases funéraires, des haches, des
pointes de lance, des ciseaux, des perçoirs en pierre, des pipes, des
ornements en coquilles (2). On a également recueilli des objets en
cuivre provenant sans doute du lac Supérieur, une aiguille lon-
gue de plusieurs pouces et un collier formé de grains enfilés sur
une corde faite avec des filaments d'écorce. Tous ces objets fai-
saient-ils partie du mobilier funéraire ? Il est permis d'en dou-
ter, car on rçncontre aussi les cendres du foyer et on peut pré-
sumer que l'habitation du vivant avait remplacé la dernière
demeure du mort. Cette habitation devait être fort ancienne ; en
effet, les habitants actuels du pays se rappellent avoir vu le
mound couvert de vieux arbres, que les besoins de la population
ont successivement fait disparaître.
Un des crânes provenant de ces dernières fouilles, déposé au
Peabody Muséum offre des particularités importantes. Il est
singulièrement bas et long, et bien qu'il soit celui d'un adulte,
car la suture sagittale est soudée, sa capacité égale à peine
36 pouces cubes, soit 917 c. c. Selon les tables de Morton la ca-
pacité moyenne d'un crâne Indien est de 84 p. c ; et la capacité
(1) Gillman, The Ancient Me)i of the Great Lakes. — Am. Ass. Détroit, 1875. —
Cong. des Am. Luxembourg, 1877, p. 65.
(2) Les crânes sont pour la plupart en mauvais état. Un crâne de Circular Mound
donne comme indice céphalique 74,1, un du Western Mound 76,7, un autre du Fort
Wayne 77,3.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. -«89
minima observée par cet éminent anthropologiste est de 69 p. c.
La différence est sensible, et ce crâne est certainement un des
plus petits connus. Une autre particularité n'est pas moins im-
portante ; la distance entre les arcades temporales des deux
côtés du front, varie presque toujours entre trois et quatre
pouces. Le minimum connu jusqu'à ce jour est de deux pouces;
dans le crâne de Détroit, il -n'est plus que de trois quarts de
pouce. C'est là assurément un caractère simien très prononcé
et tel qu'il se trouve, chez le chimpanzé par exemple. Le pro-
Fig. 210. — Crâne provenant d'un
mound du Tennessee.
Fig. 211. — Crâne provenant d'un mound
du Missouri.
fesseur Wyman qui a examiné ce crâne avec soin, affirme qu'il
n'a subi aucune déformation artificielle. INous avons donc là un
fait curieux; mais il est impossible de tirer une conclusion sé-
rieuse d'un cas de variation extrême, variation exceptionnelle,
puisqu'elle ne se trouve sur aucun des autres crânes de la même
provenance (1).
Si les crânes que l'on peut attribuer avec quelque certitude
aux Mound-Builders, sont en général brachycéphales (2), il est
(1) Report Peabody Mics., 1873, p. 12. — Americ. Ass. Buffalo, 1876.
(2) On appelle brachycéphales les crânes où l'indice céphalique est de 80 et au-
dessus, orthocéphales, ceux où l'indice varie de 74 à 79, dolichocéphales enfin quand
il est au-dessous de 74. Voy. Les Premiers Hommes, t. II, p. 156.
490 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
de nombreuses exceptions, et souvent, sous le même mound, il a
été trouvé des crânes qui paraissent remonter à la môme époque
et qui affectent des formes différentes ; de nombreuses fouilles ont
constaté des faits semblables sur l'ancien continent, ce qui natu-
rellement diminue l'importance que l'on peut être disposé à attri-
buer à ces formes.
Quelques exemples éclairciront mieux la question ; M. Putnam
cite deux crânes, l'un brachycéphale, l'autre dolichocéphale gi-
sant dans la même sépulture (1). Sur huit crânes provenant du
grand mound de la Rivière-Rouge, trois seulement sont brachy-
céphales. En revanche, sur quatre crânes trouvés à Chamber's
Island (Wisconsin), trois sont franchement brachycéphales. Dix
crânes ont été recueillis sous un mound sépulcral à Fort-Wayne,
un est dolichocéphale, les autres sont orthocéphales ou brachycé-
phales avec un indice céphalique variant de 77 à 82 pour ceux qu'il
a été possible de mesurer. Le front est fuyant, les arcades sour-
cilières proéminentes, l'épaisseur des os moyenne. Ces mêmes
caractères se montrent sur tous les crânes, bien qu'ici l'ensevelis-
sement paraisse remonter à des époques différentes. Dans le
Michigan, 'les crânes trouvés sous les mounds sont dolicho-
céphales et les tibias platycnémiques (2).
Le D' Farquharson a opéré sur vingt-cinq crânes recueillis sous
divers mounds (3), l'indice céphalique donne une moyenne
de 75,8, soit une forme légèrement dolichocéphalique. M. Carr
a examiné soixante-sept crânes provenant des Stone Graves du
Tennessee, vingt-neuf sont brachycéphales, cinq seulement
dolichocéphales, dix-huit orthocéphales, et quinze artificielle-
ment déprimés (4). M. Jones, après l'étude de vingt et un crânes
trouvés également dans les Stone Graves du Tennessee, est arrivé
à un résultat peu différent. 11 n'a trouvé aucun crâne dolicho-
(1) Report Peabody Muséum, 1878, t. II, p. 316.
(2) Hubbard, Am. Ant. March., 1880.
(3) Observations on tlie Crania from the Stone Graves in Tennessee. Report Peabody
Mus., t. II, p. 3G1.
(4) Récent Exploitations of Mounds near Davenport lowa. Am, Ass., Détroit, 1875.
LES HOiMMES DE L'AMÉRIQUE. 491
céphale ; cinq étaient orthocéphales, huit brachycéphales et huit
artificiellement déformés (1) (fig. 210).
Dans le Missouri on a constaté deux catégories de crânes diffé-
rant autant entre eux, que ceux des Caucasiens ou des Négroïdes
par exemple (2). Les squelettes sont dans la même position. Les
mêmes vases, les mêmes armes, les mêmes outils ont été déposés
auprès des uns et des autres; il est difficile de supposer qu'ils
n'appartiennent pas à la même race, ou qu'ils ne datent pas de la
même époque.
Les variations individuelles sont considérables. On cite le
crâne d'un enfant provenant d'Atacama, oii l'indice céphalique
n'est que de 66 ; et un autre trouvé sous un mound de l'Alabama,
où il s'élève à IH ,8. Sauf peut-être des limites aussi extrêmes (3),
nous constatons les mêmes faits en Europe durant les temps pré-
historiques et ils se sont perpétués jusqu'à nous. Devons-nous voir
là le résultat du mélange très ancien des races, des exemples
d'atavisme, ou bien le genre de vie, la différence des occupations
prolongée pendant des siècles, peuvent-ils exercer une influence
notable ? Quelles que soient les causes de ces modifications, il
est certain qu'elles existent et il faut bien reconnaître que la
'forme du crâne prise pour type unique d'une race, donne des
résultats aussi peu satisfaisants dans le nouveau monde que dans
l'ancien.
Nous sommes loin de la théorie de Morton qui avait constam-
ment professé l'unité de type chez tous les habitants des deux
Amériques (4) à la seule exception des Esquimaux (5). Pour lui,
les crânes longs des Péruviens ne différaient des crânes ronds des
(1) Antiquities of Tennessee.
(1) Conant, Foot Prints of Vanished Races.
(3) « Dans aucune autre partie du monde, disait Retzius, la morphologie crânienne
ne montre des différences aussi bien définies ni des extrêmes plus exagérés. » Ethnol.
SchHften, p. 37, 98.
(4) Ci-ania Americana,or a Comparative View of the Skulls of varions Ahoriginal
Nations of North and South America. Philadelphia, 1839.
(ô) MM. de Quatrefages et Hamy dans les Crania Ethnica, rattachent les Esquimaux
au groupe Mongolique parce qu'ils leur paraissent, comme à Morton, plus voisins du
type jaune que du type américain. Les Esquimaux sont en général dolichocéphales.
492 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Indiens, qu'à raison de la pression exercée durant l'enfance,
et dont le résultat avait été de modifier la forme primitive. Il
ajoutait que chez toutes ces races, on trouvait le même mode
d'ensevelissement et que depuis le Canada jusqu'à la Patagonie,
les morts étaient placés dans une position assise. Nous avons déjà
montré combien cette dernière assertion était peu fondée. La
première (1) est aussi complètement abandonnée et des décou-
vertes chaque jour plus importantes ne permettent plus de la
défendre.
Cette conclusion toute négative est la seule que l'on puisse
encore formuler. La différence d'opinion parmi les anthropolo-
gistes les plus éminents vient ajouter aux difficultés déjà si
grandes par elles-mêmes. Prenons pour exemple le crâne de
Scioto, découvert sous un mound auprès de Chilicothe. Ce crâne
remarquable par son développement vertical et transversal et par
la forme tronquée de sa partie postérieure a été longtemps con-
sidéré, comme offrant le type le plus complet des Mound-
Builders (2). MM. de Quatrefages et Hamy dans le magnifique
ouvrage (3) qui reste un des monuments de la science française
au dix-neuvième siècle, nous disent : « que les orbites sont larges et
quadrangulaires,le nez proéminent, les maxillaires hauts, lourds,'
massifs et quelque peu proéminents. » Le D"" Wilson décrit le
crâne comme franchement brachycéphale ; selon lui, le front est
large et élevé et la dépression que l'on constate est artificielle (4).
Morton donne une description différente et le D"" Fosto-r ne veut
voir dans le crâne de Scioto, que celui d'un Indien moderne. Ces
contradictions montrent l'inconvénient dans l'état actuel de la
science de théories trop absolues. On prétend ramener tous les
crânes d'une race à un type unique, sans se préoccuper de
(1) Elle avait cependant été acceptée par des savants, tels qu'Agassiz, Nott, Meigs et
bien d'autres.
(2) Squier et Davis, Ane. Mo7i. ofthe Mississipi Valley. Smith. Cont., t. I, pi. XLVII
et XLVIII.
("3) Crania Ethnica, p. 464.
(4) Prehistoric Man., t. II, p. 127. M. L. Carr a publié aussi dans les rapports du
Peabody Muséum un excellent article sur la question. Observations on the Crania from
ihe Stone Graves of Tennessee.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 493
l'immense territoire habité par cette race, ni des conditions
biologiques au milieu desquelles elle a vécu.
Ce qui paraît démontré c'est la faible capacité crânienne capacité crà
' _ _ '■ ■ uieaae.
des Mound-Builders qui se retrouve chez les diverses races de
l'Amérique et qui s'est même perpétuée jusqu'à nous. Quelques
mesures permettront mieux d'en juger.
PROVENANCE.
Crânes (observés par Farquharson).
Crânes (observés par Jones)
Tennessee (Stone-Graves)
Kentucky
Albany
Rock-River
Henry-County
NOMBRE
de crânes.
Santa-Catalina (Californie)
Santa-Crux (Californie) (2)...
15
21(1)
30
24
9
11
4
18M
11F
40 M
32 F
c. c.
13G2
1667
1825
1540
1680
1451
1625
1528
c. c.
936
crâne d'Albany
1100
I08't
1130
1282
1098
1144
1048
c. c.
1188
1318
1341
1313
1100
1205
1205
1326
1279
1.365
1219
Ces moyennes sont faibles; elles paraîtront plus faibles encore
si nous les rapprochons de celles obtenues pour d'autres races et
à d'autres époques (3).
( l) La moyenne pour les crânes d'hommes est de 1459, pour les crânes de femmes de
1250. Jones, Smith. Cont., t. XXII.
(2) D'après Morton, les crânes des Indiens actuels donnent en moyenne 84 pouces
cubes soit 1359 c. c. et non 1376, comme le dit le D-'Wyman, probablement par erreur.
(3) Nous empruntons ce tableau à un très intéressant travail du D' Topinard, publié
dans la revue d'Anthropologie de juillet 1832.
494 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Nombre
de crânes Race Caucasique. Capacité,
observés.
26. Solutré, époque do la pierro taillée 1525 c. c.
19. Caverne de l'Homme-Mort, époque de la pierre
polie 1543 »
•44. Grotte de Baye 1483 >-
38. Gaulois 1552 »
65. Mérovingiens de Chelles 1465 »
12&. Parisiens de la Cité (xli« siècle 1449 »
49. Hollandais de Zaandara 1463 »
88. Auvergnats de Saint- Nectaire 1529 »
63. Bas Bretons 1479 »
ST. Basques de Saint-Jean de Luz 1556 »
6O4 Basques de Zaraus (Guipuzcoa) 1 499 »
27 j Savoyards 1 494 «
11, Croates des Confins Militaires (race Slave) 1433 »
28* Corses d'Avapesa (xviii* siècle) lt7o »
• 19. Arabes 1447 »
'' Race Mongolique.
'28. Chinois 1486 c. c.
' ' 29. Javanais (coll. Vrloik) 1473 »
♦2. Polynésiens.. 1449 »
11. Lapons 1585 »
21. Esquimaux du Groenland 1482 »
■r *
Race Elhiopique.
» Hottentots 1317 »
» Nubiens 1329 »
a Australiens 1337 «
» Nègres occidentaux 1423 »
» Néo-Calédoniens 1462 »
Il faut descendre bien bas, dans l'échelle humaine, pour trou-
ver des races présentant une aussi faible capacité crânienne que
les Mound-Builders.
11 a été cependant trouvé quelques crânes exceptionnels ; un
de ceux-ci provenant d'un Stone-Grave du Tennessee ne mesure
pas moins de 1825 c. c, (1) ; il égale par conséquent le crâne de
Cuvier. On cite un autre crâne également recueilli dans un Stone
Grave, qui atteint 1667 c. c. Le D' Jones en possède un dans sa
collection de 1688 c. c. ; le musée des médecins militaires à
(1) L. Carr, Obs. on the Cranta from the Stones Graves in Tennessee. Peabody.
Mus. Reports, t. II, p. 383.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. ^^S
Washington un autre découvert dans l'Illinois de 1785 c. c. et
Schoolcraft parle d'un crâne de 1704 c. c. Comparées au crâne
d'Albany qui ne mesure que 936 c. c. (1), ces différences sont
considérables. Les crânes extrêmes sont un grave argument
contre la valeur des moyennes, il est évident qu'ils vicient tous
les résultats que l'on peut obtenir.
S'il reste acquis que le développement du volume du crâne chez
les diverses races du nouveau monde est inférieur à celui des
autres races humaines tant anciennes que modernes, à l'excep-
tion peut-être de celles réputées les plus inférieures du globe,
c'est là un caractère anatomique plutôt que physiologique, et
nous ne saurions en conclure Tinfériorité de l'intelligence chez
ces hommes. D'autres causes assurément influent sur la valeur
intellectuelle ; nul ne songerait à comparer les anciens péruviens,
le peuple le plus avancé de l'Amérique et les Indiens nomades,
sauvages et sanguinaires, et cependant la moyenne des crânes
de ceux-ci est de 1359 c. c. et celle des crânes péruviens
de 1250 c. c. seulement. En parcourant le tableau précédent, il
est facile de voir que la capacité crânienne n'est nullement en
rapport avec la valeur de la race et si, au point de vue individuel,
les crânes de Cuvier et de Byron présentent une capacité élevée,
on pourrait citer nombre d'hommes remarquables et même émi-
nents, où cette capacité est, au contraire, très faible. Le crâne du
Dante dépasse à peine la moyenne, tandis que trois crânes in-
connus, retirés de la fosse commune à Paris, atteignent le maxi-
mum. La supériorité ou l'infériorité d'un peuple ne tiennent donc
ni à la capacité crânienne ni aux caractères de certains os-
sements ; il est évident qu'il est d'autres facteurs que nous
ignorons encore.
La forme aplatie des tibias ou platycnémie se montre fréquem-
ment chez les diverses races américaines (fig. 212 et 213) elle est
souvent plus prononcée que chez le gorille ou le chimpanzé (2).
(1) Wymaa cite bien un crâne cubant seulement 530 c. c, mais c'est le crâne d'un
microcéphale.
(2) Chez ces deux singes, le rapport moyen entre les deux diamètres est de 67.
Gillman, Am. Ass. Détroit, 1875, p. 316.
-196 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Pour M. Wyman, c'est là un caractère distinctif, car sous cer-
tains mounds, il se trouve sur presque tous les tibias découverts,
et ceux qui ne le présentent pas, appartiennent généralement à
des hommes enterrés postérieurement à l'érection du tumulus.
Mais de ce que ces tibias platycnémiques ou en lame de sabre
sont communs chez les grands singes, rien ne prouve que nous
Fig. 212. — Coupe du tibia ordinaire
au niveau du trou nourricier.
Fig. 213. — Coupe du tibia plactyné-
raique.
devions y voir un caractère d'infériorité. En réservant ce point,
il est certain que parmi les ossements recueillis sous les mounds
du Rentucky, du Missouri, du Michigan, de l'indiana, comme
au milieu des kjokkenmôddings de la Floride, on peut évaluer
à 30 0/0 le nombre de ceux où la platycnémie domine. Elle n'est
pas moins marquée sur un certain nombre de tibias découverts
dans les cavernes voisines de la célèbre grotte du Mammouth (1).
La platycnémie est plus apparente encore et la ligne âpre plus
prononcée sur les tibias extraits du grand mound de la Rivière
Rouge et sur ceux de Fort Wayne (2). Les tumuli de la Rivière
Saint-Clair, ceux élevés auprès du lac Iluron, un mound très
ancien, situé sur Chamber's Island (Wisconsin) fournissent des
exemples analogues (3). Sous tous ces mounds, les débris humains
sont associés à des intruments en pierre, à des ossements d'oi-
seau, à des arêtes de poisson, à des poteries grossières, à des col-
(1) Report Peabody Muséum, 1875, p. 49.
(2) Gillman, Am. Ass., Buffalo, 1876.
(3) Report, Peabody Mus., 1873. — Sliort, No7'th Americans of Antiquity, p. 30.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 497
liers en dents ou en petits os ; tous ces objets témoignent d'une
civilisation peu développée.
Sur quelques-uns de ces tibias, le rapport du diamètre trans-
versal au diamètre antéro-postérieur n'est guère que de 0,48;
ce n'est même pas la limite extrême, car sur certains ossements
provenant d'un mound auprès de la rivière Détroit, il s'abaisse,
exceptionnellement faut-il ajouter, à 0,43 et même à 0,40. Ces
chiffres sont remarquables ; on le comprendra mieux encore, en
les comparant à ceux donnés par Broca pour le vieillard de Cro-
Magnon ; le rapport entre les deux diamètres, nous apprend-il, est
de 0,68 et cependant c'est là un des cas de platycnémie extrême
observés en France.
La platycnémie, ainsi que la compression des fémurs qui est
en général considérable, sont peut-être dues aux efforts vérita-
blement immenses, que les anciens habitants de l'Amérique
privés d'animaux domestiques, étaient condamnés à faire. Il leur
fallait suivre le gibier à la course et gagner sur lui de vitesse, à
travers les montagnes et à travers les marais, il leur fallait
porter de lourds fardeaux ; il n'est donc pas extraordinaire que
leur conformation physique se ressentît d'un semblable genre
de vie. Pour d'autres anatomistes, ces anomalies proviendraient
d'une plus grande liberté des mouvements du pied et d'une plus
grande habitude de la préhension. Peut-être faut-il aussi faire
entrer en ligne de compte le genre de nourriture de ces popula-
tions, qui avec le temps pouvait modifier les parties osseuses.
Nous avons dit que l'aplatissement des tibias était bien plus
rare en Europe qu'en Amérique, Il est facile cependant d'en
citer des exemples sur notre continent ; M. Busk l'a constaté un
.des premiers sur des ossements provenant de Gibraltar (1);
M. Carter Blake, sur d'autres trouvés dans le Wiltshire qui
remontent aux temps néolithiques (2) ; le docteur Prunières, sur
de nombreux squelettes du département de la Lozère, qu'il date
(1) Bull. Soc. Anth., 1869, p. 148.
(2) Journal ofthe Anth. Soc. of Londo7i, 1865, p. 146.
De Nadaillac, Amérique. 32
498 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
également de la même époque (1) ; le Baron von Dûben, sur ceux
de la Scandinavie (2) ; M. Bertrand, sur un tibia trouvé àClichy (3) ;
M. Broca, sur un autre provenant de Sainte-Suzanne (Sarthe) (4).
A côté de ces exemples, les tibias trouvés par M. Dupont dans les
cavernes de la Belgique (5), d'autres en grand nombre qui datent
selon toute vraisemblance des temps paléolithiques, sont trian-
gulaires et semblables à ceux des Européens modernes. Les
caractères qui différencient les races existaient donc dès la plus
haute antiquité; c'est là sans doute un fait important.
Peiforaiioii La pcrforaliou de l'humérus est également considérée comme
oléciànienne. ^ . .
un caractère de race (o), sans que nous puissions dire quelles sont
la race ou les races qui ont légué ce caractère à leurs descendants.
On le remarque très fréquemment sur les ossements provenant
des mounds, et elle existe parfois sur la moitié de ceux recueillis. En
descendant vers le Sud, cette proportion diminue et elle n'est plus
guère que 31 0/0. Le Peabody Muséum renferme 80 humérus
trouvés sous les mounds de l'Ouest, ou sous ceux de la Floride,
25 sont perforés ; il renferme également 52 humérus appar-
tenant à des races blanches, deux seulement présentent ce carac-
tère typique (7). A côté de ces faits, sur dix squelettes trouvés
au Fort Wayne, un seul montre la perforation olécrânienne.
Une loi générale est donc difficile à établir; il a bien été dit
que cette perforation, dont on ne peut expliquer ni l'origine (8)
ni la cause, était un caractère d'infériorité; on se base sans doute
sur ce qu'elle est plus fréquente chez les anthropoïdes (9), que
(1) Bul. Soc. Anth., 1878, p. 214.
(2) a Le tibia est toujours comprimé et en lame de sabre. » Cong. préh. de Copenha-
gue, 1869, p. 243. — Mat., 1869, p. 5i4.
(3) Bull. Soc. Anth., février 1869.
(4) Bul. Soc. Anth., 1866, p. 642.
(5) M. Hamy nous apprend cependant qu'un tibia provenant de la grotte de Goyet
est platycnémique. Bul. Soc. Anth., 1873, p. 427.
(6) Lettre du D' Topinard.
(7) Report Peabody Mus., 1872, p. 28. — Cong. des Améric. Luxembourg, 1877,
t. I, p. 69.
(8) Elle est peut-être due à la longueur de l'os qui empêche le jeu de l'articulation.
(9) Wyman a constaté la perforation olécrânienne sur un seul des humérus de deux
gorilles mâles qu'il avait pu examiner. Il ne l'a pas rencontrée sur un chimpazé femelle.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 499
chez les hommes, plus fréquente chez les Nègres (1), ou chez les
Indiens, que chez les Blancs; enfin sur ce qu'elle tend à di-
minuer chez les races européennes et qu'on la rencontre plus
souvent sur les ossements provenant d'anciens cimetières que
chez nos contemporains (2). Ici encore cette conclusion quel-
que flatteuse qu'elle puisse être pour notre amour-propre, nous
paraît prématurée et l'état actuel des études anthropologiques
ne saurait la justifier.
On a aussi raconté que les Mound-Builders avaient les bras très
longs ; c'est là encore un de ces caractères simiens, qu'une cer-
taine école recherche avee plus d'empressement que de succès.
M. Gillman vient, en efTet, nous apprendre qu'il n'en est rien,
tout au moins pour les hommes ensevelis sous le mound de Fort
Wayne et qu'en exprimant la taille totale par 1000 on arrive
pour la longueur des bras aux rapports suivants :
Indiens modernes 353
Blancs 348
Mound-Builders 343
Les bras de ces derniers loin d'être plus longs, seraient donc
plus courts que ceux des Indiens ou des hommes de race blanche.
La taille des Mound-Builders devait présenter les mêmes varia- laiiie.
lions que celles de nos races modernes. On cite un squelette
trouvé dans un Stone Grave du Tennessee qui mesurait plus de
sept pieds (3) ; un autre découvert à Fort Wayue, atteignait cinq
pieds onze pouces. Deux squelettes provenant, l'un de l'Utah,
l'autre du Mich)gan(4), dépassent six pieds. Ce dernier renfermé
ni sur un orang mâle appartenant l'un et l'autre au British-Museum. La Société d'Anthro-
pologie de Paris possède un beau squelette de gorille, un seul des humérus est perforé.
(1) Je ne connais pas d'observations bien exactes, faites sur des sujets nègres ; sur
quatorze humérus conservés au Jardin des Plantes, sept sont perforés.
(2) Remarquons que chez les races préhistoriques françaises, l'humérus perforé
semble appartenir à une autre race que celle qui présente le tibia platycnémique et le
fémur à ligne âpre. Rev. d'Anth., 1878, p. 514.
(3) Jones, Explorations of the Aboriginal Remains in Tennessee. Smith. Cont.,
t. XXII.
(4) Am. Antiquarian, July 1879.
500 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
dans un véritable linceul d'argile était remarquable par son front
fuyant et la proéminence des arcades sourcilières. A côté de lui
gisaient des fragments de poterie ornée de figures humaines et
des pierres travaillées. Ce sont là, très probablement des cas ex-
ceptionnels ; le professeur Putnam qui a fouillé avec une atten-
tion extrême de nombreuses sépultures dans le Tennessee, est
convaincu que les hommes qui y reposaient étaient d'une taille
ordinaire ; et s'il a souvent rencontré des tombes construites
en dalles, mesurant sept à huit pieds de longueur, il a tou-
jours remarqué un assez grand intervalle entre la tête ou les pieds
du mortel les parois de la tombe (1). Ajoutons que tous les sque-
lettes trouvés dans les nombreux cists en pierre du comté de
Madison (Illinois), étaient de petite taille et que les os étaient
remarquablement grêles (2).
Losciiff- Nous avons décrit les nombreux canons qui se rencontrent
dans le Nouveau-Mexique, le Colorado ou l'Arizona et les ruines
qui s'élèvent partout où le rocher a livré un espace, quelque
limité qu'il puisse être. Nous possédons peu d'ossements de ces
constructeurs toujours à l'œuvre ; les difficultés des fouilles dans
un pays encore inhabité et où les Apaches exposent les explora-
teurs à d'incessants dangers, l'expliquent facilement.
On cite bien un crâne provenant du canon Chaco (Nouveau-
Mexique). Parmi des alluvions anciennes qui rappellent les
arroyos aujourd'hui desséchés, des pans de murs, des fondations
viennent témoigner d'une population autrefois nombreuse,
antérieure peut-être à l'arrivée des Cliff-Dwellers. C'est au milieu
de ces dépôts, à quatorze pieds environ de profondeur, sur un
amas de poteries brisées que ce crâne (fig. 214) a été trouvé.
Probablement il avait été entraîné par les eaux, car les recherches
n'ont amené la découverte d'aucun autre ossement humain (3).
A quelle époque faut-il le faire remonter, à quelle race devons-
(1) Report Peabody Mus., t. II, p. 306.
(2) Bandelier, Am. Ass. Saint-Louis, 1878. — ^hler, Stone Cist near Highland,
Madison County, Illinois.
(3) D' W. Hoffman, Repoi^t on the Chaco Cranium ; U. S. Geol. and Geog. Survey.
Washington, 1878.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 504
nous le rattacher ? Il est impossible actuellement de le décider.
JNous savons seulement qu'il appartenait à une jeune femme ;
les dernières molaires n'avaient point encore paru. Il est asymé-
trique, le front est bas, les orbites ovales et peu proéminentes. Le
caractère le plus curieux est l'aplatissement considérable de la
Fig. 214. — Crâne trouvé dans le canon Chaco et attribué à un CllÉF-Dweller.
partie postérieure de la tête. Cet aplatissement est non moins
marqué sur les pariétaux et surtout sur le pariétal gauche. Le
crâne était tellement rempli de sable agglutiné qu'il aurait fallu
le briser pour obtenir des mesures exactes ; sa capacité est donc
restée indéterminée.
Nous devons au docteur Bessels (1) une description complète
de plusieurs crânes récemment découverts que l'on peut attri-
buer soit aux Cliff-Dwellers, soit aux habitants des Pueblos.
Deux d'entre eux viennent d'un ancien cimetière auprès d'A-
biquico (Nouveau-Mexique). Chaque tombe était entourée de
pierres levées formant tantôt un rectangle, tantôt un cercle, et
auprès de chaque corps, on avait eu soin de déposer de nombreux
fragments de poterie. Le premier de ces crânes présente un apla-
(1) The Humàn Remains found amo7ig the Ancient Ruins of S, W. Colorado and
N. New Mexico, p. 47.
502 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
tissement très marqué du pariétal gauche et un aplatissement
moins apparent du pariétal droit. Les orbites sont proéminentes;
le front ne se distingue par aucun caractère particulier; les mâ-
choires sont massives; les dents, les incisives surtout légèrement
usées. La capacité est de 1325 ce. Le second crâne est celui d'une
femme de dix-sept ans environ, les dernières molaires commen-
cent à paraître, le prognathisme est très marqué. On constate le
même aplatissement que sur le crâne précédent, seulement sur
celui de l'homme, il est plus prononcé du côté gauche et sur celui
de la femme du côté droit. La capacité de ce dernier est très
faible et ne dépasse guère 1020 c. c.
Quelque temps après le docteur Bessels assistait à l'arrivée de
nombreux objets, recueillis sous lesMounds du Tennessee et des-
tinés aux collections du Smithsonian-Institute (1). Parmi ces ob-
jets se trouvaient deux crânes (fig. 210 et 211), qui le frappèrent
par leur ressemblance avec ceux du Nouveau-Mexique. Cette res-
semblance est telle, dit-il, qu'il est impossible de les distinguer.
Nous ne nous étendrons pas sur les autres crânes des Cliff-
Dwellers; ce serait à peu de chose près, une constante répétition;
sur tous, on reconnaît cette dépression caractéristique tantôt plus
marquée à droite, tantôt à gauche ; elle est certainement artifi-
cielle et nous la constatons très prononcée déjà sur le crâne d'un
enfant de dix ans, dont la mâchoire témoigne aussi d'une ten-
dance sensible au prognathisme (2). Le crâné d'une jeune femme
présente une déformation semblable à celle des Péruviens. Les
orbites sont peu proéminentes, le front est fuyant, les dents très
irrégulièrement plantées.
MM. de Quatrefages et liamy, en discutant ces découvertes,
ajoutent que nul doute ne peut exister sur l'identité ethnique des
Mound-Builders et des Cliff-Dwellers : cette conclusion s'étendrait
aux constructeurs des Casas-Grandes du Rio Gila, si tous offraient
les mêmes caractères, que le sujet exhumé par M. A. Pinart
Cl) Congrès des Américanistes. Luxembourg, 1877, t. I, p. 147.
(2) Cette tète est conservée dans ÏOsteotogical Collection U. S, A)niy. Sa capacité
est de 1213 c. c. ■ .
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 303
d'un lumulus voisin de la Casa-Grande de Monlezuma (1).
Le crâne qui appartient aujourd'hui au Muséum de Paris, ne
possède que sa voûte. L'indice est de 90, 36. L'un des crânes en-
voyés de Teul, présente les mêmes traits céphaliques, si ce
n'est qu'il est plus aplati d'avant en arrière et que l'indice dé-
passe 97.
Mais si les caractères ethniques des Mound-Builders se rencon-
trent jusque dans les régions où ils n'ont jamais pénétré, leur type
ne s'observe plus guère, au dire des savants auteurs des Crania
Ethnica, dans les pays qu'ils ont peuplés, c'est à peine si sur le
nombre de crânes des Indiens modernes, conservés dans les di-
verses collections, il s'en rencontre quelques-uns qui se rappro-
chent de ceux dont nous venons de parler. Ce qui ressort le plus
clairement de ces faits, c'est la rapidité des modifications anato-
miques d'un ordre secondaire, par suite leur peu d'importance
pour fixer avec quelque assurance les caractères d'une race et
surtout pour suivre avec succès le développement de ces carac-
tères à travers les générations.
Les analogies entre les Mound-Builders et les anciens habitants peuples de
inii •/• II 1 l'Amérique
delAnahuac ne sont pas moins frappantes que celles entre les centrale.
Mound-Builders et les Cliff-Dwellers (2). Quatre crânes provenant
des tombeaux de Mexico, d'Otumba et de Tacuba, reproduisent
le type des habitants de l'Amérique du Nord ; d'autres trouvés à
Santiago-Tlatelolcoli laissent moins de doutes encore (3). Chez
tous nous voyons l'aplatissement de l'occiput, le front fuyant, les
os massifs, si communs chez les Mound-Builders et plus particu-
lièrement chez ceux qui habitaient les rives de l'Ohio et du Mis-
sissipi.
Chez les Mayas, cet aplatissement, dû sans doute à une pres-
sion artificielle, est plus apparent encore. Les bas-reliefs de Pa-
lenque en sont la preuve (fig. 123 et 124). Les tètes en pointe,
les fronts fuyants d'un aspect si étrange, témoignent évidem-
(i) Crania Ethnicn, p. 465.
(2) Morton, Crayiia AmetHcana, pi. XIX, XXXI. — Quatrefages et Hamy, l. c, p. 466.
(3) Ces crânes appartiennent au Muséum de Paris.
504 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
menl du type le plus recherché par eux. Les explorateurs récents
croient retrouver ce type chez les populations inférieures qui
habitent la montagne; mais il a disparu ou il n'a jamais existé
parmi les populations qui ont érigé les monuments du Yucatau
et du Honduras. Les sculptures de Chichen-Itza montrent un
type absolument différent du précédent (fig. 135). « Le crâne est
large, nous dit M. Charnay (1), aplati à la partie supérieure, sans
pour cela que le front soit bombé, il forme avec le nez aquilin,
une ligne presque droite. »
Péruviens. La déformatiou artificielle des crânes chez les Péruviens rend
leur étude bien difficile; cette déformation est due à une pression
mécanique exercée sur le crâne d'enfants nouveau-nés, dans
différentes directions, à divers degrés, pendant un temps plus ou
moins long (2). Sur cinq cents crânes provenant du Pérou, que
possède le Muséum de Paris, soixante à peine sont exempts de
cette déformation (3). Elle existe tantôt d'avant en arrière, c'est
le cas pour presque tous ceux extraits des huacas d'Ancon (4) ;
d'autres fois, elle est circulaire, ce qui donnait à la tête la
forme pyramidale. C'était là la coutume, la mode si l'on veut,
recherchée par les Péruviens qui habitaient les environs du lac de
Titicaca ; les crânes provenant des chulpas présentent presque
tous ce caractère (5).
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le remarquer, la capa-
cité crânienne est très faible. Sur onze crânes d'Ancon, qui ne
portaient aucune trace de déformation, la moyenne est seulement
de 1129 c. c. (6).
(1) Cités et Ruines Américaines, p. 341.
(2) Gosse [Dissertations sur les races du Pérou; Mém. Soc. Ânth., t. I) dit qu'on
pratiquait trois espèces de déformations « l'occipitale chez les Ghinchas et peut-être
dans la famille des Incas, la symétrique allongée chez les Aymaras ; la cunéiforme
relevée dans plusieurs provinces telle que celle de Chiquito. » Gette dernière donnait
h la tête une forme allongée d'avant en arrière. Ces déformations étaient encore pra-
tiquées en 1545 et, à cette époque, le concile de Lima les proscrivit solennellement
sous les noms de Caito, d'Opalta et d'Uino.
(3) De Quatrefages et Hamy, Crania Ethnica, p. 474.
(4) Report Peabody Muséum, 1874, p. 8.
(5) Report Peabody Muséum, 187G, p. 10.
(Gj Le maximum n'est que de 1260 c. c. ; le minimum descend à 1040 c. c.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 505
Sur d'autres points du Pérou, comme on peut le voir par le
tableau que nous donnons, les résultats ne sont guère supérieurs;
à Chimu, la moyenne descend même plus bas (1).
PROVENANCE.
NOMBRE
de crânes.
MAXIUCM.
MINIMUM.
MOYENNE.
Chulpas auprès du lac de ïiticaca
Casma
6
14
16
7
4
5
4
C. c.
1445
1455
1320
1460
1365
1410
1325
c. c.
1155
1050
1055
10G5
1035
1155
1135
C. C.
1292
1254
1170
1094
1195
1268
1236
Amacavilca
Chimu
Pacliacamac
Cajamarquilla
Truxillo
Morton et Meigs donnent 1230c. c, comme la capacité moyenne
des crânes mesurés par eux ; nous avons nous-mêmes précédem-
ment indiqué le chiffre de 1250 c. c. Ces moyennes, qui ne diffèrent
pas sensiblement de celles de Squier, sont d'une extrême fai-
blesse et ne se retrouvent chez aucune autre race connue. Les
maxima péruviens égalent à peine les moyennes des autres peu-
ples. 11 y a là un fait anormal, dont nous ne connaissons aucune
explication satisfaisante.
Rivero et Tschudi (2) distinguent au Pérou trois races diffé-
rentes: les Chinchas qui occupaient les côtes du Pacifique du 10° au
1 4° de latitude (3) ; les Aymaras établis sur les hauts plateaux de la
Bolivie, les Huancas enfin, du nom de la tribu la plus puissante par-
(1) Squier, Incidents of Travel and Explroation in the Land of the Incas, 2* éd.
London, 1878, p. 582.
(2) Anli'juedades Perunnas.
(3\ Les Chimus, dont j'ai parlé au chapitre précédent, doivent être classes parmi les
Chinchas. — Meyer [Reise um die Erde; Beitrnge zur zoologie. Bonn, 1834) les dési-
gne sous le nom d'habitants primitifs du Pérou.
506 ^ L'AMÉRIQUE PllÉHISTORIQUE.
mieux, qui vivaient entre la Cordillère elles Andes du 9" au 14« de
parallèles. Les auteurs des Antiquités péruviennes n'admettent
la déformation artificielle que chez les Chinchas et préten-
dent que chez les autres races, elle est congénitale et qu'elle
existe chez des enfants qui n'ont subi aucune espèce de pression
et même chez certains fœtus. Ce fait isolé ne saurait être une
preuve, caries déformations imprimées au corps dès la naissance,
observe M. Gosse, peuvent jusqu'à un certain point se transmettre
par hérédité. Elles deviennent permanentes, lorque les deux sexes
ont été soumis aux mêmes déformations, à un même degré, pen-
dant plusieurs générations successives et à la condition que les
moyens employés aient modifié profondément la nutrition et la
structure des os (1).
Aux difficultés dues à la déformation, qui était loin d'être pra-
Fig. 215. — Crâne déformé dit Aymara [Crania Ethnica).
tiquée par les mêmes procédés dans toute l'étendue de l'empire des
incas, viennent s'ajouter, comme partout, les mélanges inces-
sants de race et de type qui se retrouvent dans la mort. Squier
voyait réunis au Castillo du grand Chimu, des têtes régulières at-
tribuées aux Qquichuas, des crânes carrés obtenus par une com-
pression postérieure et des crânes allongés (fig. 215), dont les
(l) Gosse, /. c, p. 162. Ce fait, dit-il, paraît être corroboré par des expériences mo-
dernes sur les animaux domestiques.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 507
caractères céphaliques se rapprochent de ceux de Palenque ou
de Copan, tels que les sculptures nous les font connaître.
Le docteur Wilson n'admet que deux types distincts (1) ;
les Péruviens du temps des Incas étaient brachycéphales et
de petite taille ; ils avaient le front fuyant mais très élevé, l'oc-
ciput aplati ; leurs ossements étaient légers et délicats ; les doigts
longs et effilés. Ces hommes devaient former une caste aristocra-
tique, incapable de travaux fatigants. Les Péruviens plus anciens
étaient au contraire dolichocéphales, leurs ossements sont lourds
et massifs, les attaches robustes; tout indique chez eux une
grande force musculaire. Morton confond ces deux types et
prétend que le second procédait du premier et était obtenu
par la compression artificielle exercée sur les enfants (2). Mais
M, Wilson lui répond avec raison que les crânes déformés arti-
ficiellement, sont toujours asymétriques (3) et que les crânes do-
lichocéphales, considérés comme normaux, présentent au con-
traire une régularité complète. Ils ont aussi des caractères
distincts ; ainsi ils sont plus longs, plus étroits ; la mâchoire su-
périeure est fortement prognathe ; les dents, les incisives prin-
cipalement, sont obliques.
Nous ne contestons aucune de ces assertions, nous nous con-
tenterons de répéter ce que nous avons déjà dit à plusieurs
reprises, c'est que l'existence de types différents ne saurait avoir
pour conséquence celle de races diverses ; les causes de l'origine ou
des modifications de types étant encore absolument inconnues (4).
L'usage sur certains points de momifier les cadavres a permis
(1) Prehistoric Man, t. II, ch. xx, p. 145, 158, 165.
(2) Nottand Gliddon, Types of Mankind.
(3) « Few who hâve had extensive opportunities of minutely examining and compa-
ring normal and artificially formed crania, will, I think, be prepared to dispute the
fact that the later are rarely, if evcr, symnactrical. » Wilson, /. c.
(4) M. Virchow signale la grande fréquence sur les crânes Péruviens d'une anoma-
lie connue sous le nom A'os des Incas ou d'os intevpainétal et prétend la retrouver
chez les Indo-Chinois et les Malais des îles Philippines. Ce serait là, selon lui, un ca-
ractère typique; mais M. Anoutchine dans un travail récent {Rev. d'Anth., 1881) a
montré que ce caractère se trouve aussi chez les races nègres. Il n'en saurait donc
ressortir aucune conclusion. Voy. Gosse, /. c, p. 165 et s.
508 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
plusieurs constatations utiles; ainsi la momie découverte à
Chacota et que nous avons reproduite (fig. 179) donne
comme longueur de l'humérus 9 pouces, de la main 5 pouces
5 lignes, du doigt médius 3 pouces 5 lignes, du fémur 13 pou-
ces, du tibia 12 pouces, du pied 7 pouces 7 lignes; la largeur
de la main n'est que de 2 pouces, celle du pied de 2 pouces et
demi (1).
Une coutume funéraire voulait que l'on déposât dans la
tombe du mort comme un dernier souvenir, des boucles de che-
velure. Ces cheveux sont aussi fins que ceux des races anglo-
saxonnes; la couleur varie en général du brun foncé au châ-
tain. La mode était de porteries cheveux longs, nattés et rejetés
derrière la tête. Les femmes ajoutaient des cheveux à leurs
nattes, et après de longs siècles, la tombe s'est ouverte pour
rendre témoignage de leur vanité. Il n'est que juste d'ajouter
que ce n'étaient pas les femmes seules qui demandaient ainsi
à l'art de venir au secours de la nature. La tête desséchée d'un
homme déjà d'un certain âge, car les cheveux sont grisonnants
(fig. 216), est couverte de petites nattes rapportées et ramenées
sur le front (2).
RaccsduSud. Si nous continuons à descendre vers le Sud, nous rencontrerons
des races franchement dolichocéphales, se rapprochant probable-
ment des anciennes races, chez qui nous avons constaté cette
forme céphalique. L'homme découvert par M. Ameghino dans
les pampas était de petite taille ; le crâne était dolichocéphale. Il
en était de même de ceux trouvés par M. Moreno dans les para-
deros de la Patagonie ; les uns et les autres rappellent le type
actuel des Esquimaux.
Le crâne fossile du Lagoa Santa était aussi dolichocéphale,
(1) J. Blake, Notes on a Collection from the Ancient Cemetery ofthe Batj of Chacota.
Rep. Peabudi/ Muséum, 1878, p. 284.
f2) Cette tète, qui provient d'un ancien cimetière du Pérou, présente de notables diffé-
rences avec toutes les autres récemment découvertes. Le front est élevé, le nez proé-
minent, les pommettes saillantes, les incisives plantées verticalement, les oreilles dé-
mesurément distendues. Les cheveux sont bruns, les nattes pendent en cadenettes
comme chez les hussards français de la fin du siècle dernier. Blake, /. c, p. 301. —
Morton, Crania Americ, pi. I.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. S09
et les savants auteurs des Crania ethnica citent plusieurs autres
crânes semblables découverts au Brésil (1). L'indice céphalique
d'un de ceux qui ont pu être mesurés est de 70.
Les Bolocudos, qui sont bien distincts des populations
Fig. 216. — Tête de momie provenant d'une ancienne sépulture péruvienne.
qui les entourent, et qui représentent sans doute les plus
vieilles races du pays, sont également dolichocéphales. Ils
sont non moins remarquables par le développement de leur
crâne en hauteur, la saillie des arcs sourciliers, le peu d'élé-
vation et la forme rectangulaire des orbites. Sous tous ces rap-
ports, ils offrent, comme les Patagons, de nombreuses ressem-
blances avec les Esquimaux (2), qui habitent à l'autre extrémité
(1) L. c, p.476.
(2) « La raza esquimal diffière de la masa de la poblacion americana, y conserva
una tal homogeneidad que présenta el aspecto de una razo primitiva apenas modifi-
cada por unes que otros cruzamientos. Lo que sobre todo distingue al esquimal de
todos los demis pueblos de la ticrra es su cabeza sumamente larga. » Ameghino, La
Antignedad del Nombre en el Plata, t. I, p. 163. — « Les Esquimaux et les Botocu-
olO L'AMÉBIQUE PRÉHISTORIQUE.
du continent Américain. INe doit-on pas supposer que les uns et
les autres ont été dispersés, puis détruits peu à peu par des races
conquérantes, auxquelles ils ne pouvaient offrir qu'une résis-
tance inefficace. C'est là ce qui s'est passé en Europe, lors des
invasions des Aryas ou des autres races asiatiques ; les Basques et
les Finnois ont été rejetés aux extrémités de notre continent, dans
des régions arides et incultes ; et s'il est difficile de l'établir
avec quelque degré de certitude, il est permis d'admettre
que les mômes faits se sont passés en Amérique et que ces
races anciennes, violemment repoussées des régions qu'elles
habitaient, ont été les contemporaines de nos races paléolithi-
ques. Tout porte à croire que les plus anciens habitants de l'A-
mérique ne le cèdent en rien sous le rapport de leur antiquité,
aux premiers habitants de notre Continent.
AfTections Lcs Espaffuols apportèrent avec eux la petite vérole qui causa
puthologi- ^ / *= ^^ . , . ,. , A * -u rA'
qucs. de grands ravages parmi les mdigenes ; des tribus entières dis-
parurent emportées par le fléau. Ils reçurent à leur tour des
Américains un mal non moins cruel, les affections syphilitiques
destinées à flétrir sinon à détruire les sources même de la vie (1).
Cette dernière assertion a été vivement controversée ; il est cer-
tain que la syphilis existait en Amérique avant le seizième siè-
cle ; existait-elle aussi en Europe ? c'est un point resté fort
obscur (2). On a beaucoup insisté sur le mot espagnol, Buba,
que l'on traduit par afï'ection syphilitique ; mais il reste à savoir
si ce mot avait alors la même signification que nous lui donnons
dos sont de petite talile ; l'indice céphalique (73) est le même : tous les deux ont les
pommettes saillantes ; les yeux obliques petits et bridés ; les cheveux noirs, gros,
droits ; l'oreille grande, écartée ; le visage plat, arrondi ; une tendance à l'obésité. Il
n'est pas jusqu'à la botoque, ce singulier ornement auquel les Botocudos doivent leur
nom, qui ne se trouve chez les Koloches. » Bordicr, Topinard, Bull. Soc Anth., 1881.
(1) Clavigero, Stoina antica del Messico, 1. 1, p. 117, t. IV, p. 303. — Herrera, Hisl.
Gen., déc. II, 1. XCXXI. — Gomara, Co7iq. Mex., î° 148. — Sahagun, Hist. Gen. de
las Cosas de Nueva Espana, t. II, 1. VII, p. 24G. — Oviedo, Hist. de las Indias.
(2) Les historiens chinois rapportent que 2637 ans av. J.-C, l'empereur Hoang-ty
décrivait des affections syphilitiques chez l'homme et chez la femme. Mais ce fait, qui
prouverait l'existence de la syphilis avant la découverte de l'Amérique, est très con-
testé.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 5H
aujourd'hui (1). Ce qui n'est point douteux, c'est que des osse-
ments portant les témoignages irrécusables de cette maladie ont
été trouvés dans les Stone Graves du Tennessee (2) et que les
mêmes traces existaient sur d'autres ossements provenant des
mounds de l'Iowa, de l'Illinois, de Rock River (3) et de ceux
situés auprès de Nashville (4). Ce n'est pas seulement dans
l'Amérique centrale que nous voyons ces traces indélébiles, et
nous avons déjci cité un crâne des paraderos de la Patagonie,
sur lequel Rroca avait constaté une ostéite, qu'il n'hésita-it pas
à attribuer à une affection syphilitique.
Il serait loisible de demander si toutes ces lésions sont bien
dues aux mêmes causes pathologiques (5) ; mais d'autres faits
viennent confirmer cette hypothèse. Les récits qui nous sont
parvenus feraient croire que les Mayas connaissaient les afTec-
tions vénériennes et qu'ils se servaient pour les guérir de l'é-
corce d'un arbre, le Guayacan, originaire du Nicaragua (6). Ce
qui est également certain, c'est que l'on trouve dans les langues
anciennes de l'Amérique, des mots qui se rapportent à ces mala-
dies, dont les indigènes par une conception assez bizarre fai-
saient remonter l'origine à un de leurs dieux, Nanahuatl, qui
le premier aurait ainsi infecté le genre humain (7).
D'autres maladies des os pour être moins fréquentes, n'étaient
pas inconnues. Le D' Farquharson décrit une curieuse affection
des vertèbres cervicales qui paraît avoir été suivie de guérison (8).
(1) IIP Cong. des Américanistes. Madrid, 1881.
(2) « Several Skeletons in thèse Mounds bore unmistakable marks of the ravages of
syphilis. >; iones, Aboriginal Remains of Tennessee. Smith. Cont., t. XXII.
(3) Farquharson, Proc. Ain. Ass. Détroit (Michigan). 1875.
(4) Putnam, Aixh. Expl. in Tennessee, Report Peabody Mus., t. II, p. 305.
(5) n Several Pathologists who hâve examined thèse bones unité in stating that they
do not prove the évidence of syphilis ; as other deseases but syphilis might leave such
effects. » Putnam, Rep. Peabody Mus., t. II, p. 316.
(6) Le D"" Bruhl {Cincinnati Lancet and Clinic May 29, 1880) parle d'autres remèdes
antisyphilitiques, connus des habitants de l'Amérique centrale et du Pérou.
(7) Brasseur de Bourbourg, Hist. des Nations civilisées, t. 1, p. 181.
(8) La guérison fort rare et fort difficile de cette lésion, exige un temps très long et
des soins continuels (Nélaton, Patfiologie chirurgicale). Ces peuples vivaient donc ea
société et n'abandonnaient pas ceux des Iem"S qui étaient atteints d'inflrmitQS graves
{Am. Ass. Détroit, Michigan, 1875).
512 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Plusieurs crânes du Tennessee portent les traces d'inflammations
anciennes ; d'autres, des excroissances osseuses qui effacent les
sutures lambdoïdales ou pariétales (1). On a également constaté
sur les os longs, de vieilles ankyloses.
Les blessures dues à des causes traumatiques, n'étaient point
rares. Le Peabody Muséum renferme deux crânes péruviens,
qui méritent d'être cités. L'un d'eux montre une fracture longue
de cinq centimètres, large de trois et profonde de quatre-vingt-
quatre millimètres. Le travail de réparation est très visible, et
quatre fragments de la substance osseuse sont de nouveau soli-
difiés (2). L'autre crâne appartient à un adulte; il porte une frac-
ture frontale très étendue (onze centimètres de longueur sur cinq
de largeur) ; elle avait été sans doute produite par un violent coup
de massue. Ici aussi les cinq ou six fragments que l'on peut
encore distinguer étaient solidifiés. Dans les deux cas, les
blessés avaient survécu probablement durant de longues années.
Ils avaient triomphé par la force de leur constitution, car rien ne
témoigne d'une opération chirurgicale, l'enlèvement des frag-
ments osseux par exemple (3).
Il n'en était pas toujours ainsi. Sur un autre crâne provenant
également de la remarquable collection du Peabody Muséum,
on peut voir une perforation probablement tentée comme un
mode de guérison pour une inflammation de la boîte osseuse
dont la trace est très apparente, et Squier (4) a rapporté du
Pérou un crâne (fig. 217) trouvé dans un cimetière de la A^allée
du Yucay, où un morceau paraît avoir été enlevé au moyen de
quatre incisions régulières (5). Ici aussi, les os présentent les
traces d'une ancienne inflammation, et d'éminents chirurgiens.
(1) L. Carr, Observations on the Crania from theStone Graves of Tennessee: Pea-
body Mus. Rep., t. II, p. 381.
(2) Ce crâne porte'le n° 720G et provient, ainsi que le suivant (n" 716.Î), de la col-
lection péruvienne formée par Agassiz.
(3) Wyraan, Report Peabody Muséum, 1874, p. 10.
(4) Peru, Incidents of Travel and Exploration in the Land of the Incas, p. 457.
Append. A.
(5) L'ouverture mesure 177 sur 146 millimètres.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 513
tels que Nélaton et Broca, n'ont pas hésité à attribuer la perfora-
tion à une opération tentée durant la vie.
Une fautpas confondre ces opérations avec les trépanations pos- Trépanations
thumes, très fréquentes sur divers points de l'Amérique (1).
On ne sait rien de précis sur ces trépanations; étaient-elles une
Fig. 217. — Crâne péruvien trépané.
marque d'honneur, un rite religieux? devaient-elles servir à
l'extraction de la cervelle et à la suspension de la tête, ou bien
étaient-elles destinées à permettre à l'âme de visiter de nouveau
le corps qu'elle avait habité? Toutes les hypothèses sont pos-
sibles, aucune ne peut être prouvée. Les fouilles d'un mound
en forme de cône irrégulier, de dix à quinze pieds de hauteur,
situé auprès de la rivière Devil, ont mis au jour cinq squelettes
enterrés debout ; un sixième était couché au centre du tumulus
et occupait évidemment la place d'honneur; les uns et les autres
portaient au crâne la même perforation.
On a aussi retiré des crânes trépanés d'un mound, auprès de
(1) Americ. Ass. Détroit, 1875. — H. Gillman, Add. Facts conceiming artificial Pré-
paration of the Cranium in ancient Mounds in Michigan. Am. Ass. Nashville, 1877.
De Nadaillac, Amérique. 33
514 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
la rivière Sable et du grand tumulus de la rivière Rouge,
dont nous avons déjà parlé ; mais les perforations sont en gé-
néral plus petites que celles des crânes provenant des autres
mounds.
Les trépanations du Michigan sur lesquelles nous avons des
détails plus complets, étaient toujours faites après la mort et uni-
quement sur des adultes du sexe masculin (1) ; elles ont de un à
deux centimètres de diamètre et sont constamment placées sur la
suture sagittale (2), généralement au point de jonction avec la
suture coronale. Elles étaient obtenues au moyen d'un instru-
Fig. 218. — Crâne perforé (Coll. de M. de Baye).
ment, probablement d'un silex pointu, que l'on faisait rapide-
ment tourner. Nous avons raconté (3) ces perforations en Europe
et notamment en France, où elles ont été si complètement élucidées
par Broca (4). Elles étaient souvent chirurgicales et pratiquées
sur le vivant (fig. 218). Tous les âges, tous les sexes y étaient
soumis. Leur position, leur forme, leur longueur variaient selon
la blessure ou la maladie que l'on prétendait soulager. Toute
comparaison entre elles et les trépanations américaines est donc
U) Broca, Rev. d'Anth., 1876, p. 435.
(2) La suture sagittale unit les doux pariétaux et s'étend d'avant en arrière sur la
ligne médiane. La suture coronale s'étend dans la région frontale.
(3) Les Premiers Hommes, t. II, p. 218 et s.
{k) Mémoire lu en 1876 au Congrès de Buda-Pest. Rev. d'Anth., 1877.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 315
impossible. On cite bien une rondelle crânienne de tous points
semblable à celles trouvées en France par le D"" Primières ; mais
nous ne saurions attacher une importance très grande à une
découverte jusqu'ici unique.
Il nous faut revenir sur ces curieuses déformations artificielles Déformations
crâniennes.
du crâne si fréquentes au nord comme au sud du continent
Américain, Lors de la conquête espagnole, le plus grand nom-
bre des indigènes, surtout ceux qui habitaient les côtes du Paci-
fique, conservaient leur ancienne habitude de comprimer la tête
des enfants dès leur naissance (1), La plus récente de ces défor-
mations, la plus à la mode, si ce mot est permis, était l'apla-
tissement du front, de sorte que la tête s'élargissait sur les côtés,
et paraissait comme couchée en arrière sous un angle variable.
Il en était d'autres : au premier congrès des Américanistes,
tenu à Nancy en 1875, on a pu voir successivement un crâne
Aymara provenant de la Bolivie, allongé en pointe; un autre
crâne de la même origine en forme de cylindre ; un crâne indien
aplati d'avant en arrière, de manière à donner au front des
dimensions énormes ; des crânes patagons enfin, dont l'un avait
aussi été allongé d'avant en arrière et l'autre avait subi une
telle pression sur le milieu de la tête qu'il offrait une apparence
bicorne.
Cet usage remonte aux plus anciennes races qui ont peu-
plé le pays. Presque tous les crânes des Mound-Builders décou-
verts jusqu'à ce jour, ont l'occiput aplati ; mais la déformation
présente peut-être chez eux des caractères moins exagérés que
chez d'autres races américaines. Sous un des mounds de l'Utah,
au milieu de ce pays qui, il y a quelques années à peine, était
absolument désert et inconnu, on a recueilli un crâne montrant
une dépression artificielle considérable (2). Cette déformation
(1) Wilson, Prehistoric Man, t. II, c, xxi. — Jones, Ant. of Tennessee; Smith. Cont.,
1876. — Catlin, North American Indians, t. II, p. 40. — Bancroft, The Native Races,
1. 1, II et IV. — Le D' Moreno {Rev. d'Anth., 1874) a recueilli dans les cimetières de
la Patagonie quarante-cinq crânes des anciens Tehuelches ; dix-huit présentent une
déformation très marquée.
(2) Report Peabody Muséum, 1877, t. II, p. 199.
S16 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
existait chez toutes les races Mayas ; les représentations humaines
trouvées dans le Chiapas, le Honduras ou le Yucatan, ne peuvent
laisser de doute à cet égard (fig. 123, 124, 126, 128). Les crânes re-
tirés par le D' Flint des grottes du Nicaragua, portent aussi une
dépression frontale très marquée (1). L'origine de cette coutume
est inconnue ; on croyait qu'elle avait été introduite parmi les
hommes, par les dieux eux-mêmes. Les idoles ont toutes la tête
curieusement aplatie, et des fouilles récentes ont mis au jour
auprès de Vera-Cruz, des figurines en terre cuite qui présentent
cette même déformation (2).
Les moyens employés variaient singulièrement. Tantôt les
déformations étaient obtenues au moyen de planchettes attachées
Fig. 219. — Déformation artificielle pratiquée sttr un enfant.
sur la tête des enfants. La figure (fig. 219) que nous reprodui-
sons témoigne du supplice infligé à ces petits êtres,, et ce sup-
plice durait huit ou dix mois ! La tête de la mère montre celle
(1) Report Peabody Muaeum, 1880, t. Il, p. 716.
(2) Ces figurines portent selon la coutume des nobles Mexicains, une barbiche au
menton.
LES HOMMES DE L'AMERIQUE. Ml
qu'elle voulait créer, c'est bien le cas de le dire, chez son enfant.
D'autres fois on entourait la tête des nouveau-nés de bandelettes
de laine. Les Choctaws (1) se servaient d'un petit sac de sable, sur
lequel la tète était constamment appuyée (2). Les Mosquitos pla-
çaient sur le crâne des enfants, dès qu'ils avaient un mois, une
planche, et ils augmentaient la pression jusqu'à ce que le résul-
tat obtenu fût satisfaisant. Dans le Yucatan, quatre ou cinq jours
après sa naissance, l'enfant était couché sur le ventre et la tête
placée entre deux planchettes. L'une comprimait le front, l'autre
l'occiput, et cette position qui paraît si cruelle était maintenue
sans changement, durant des temps assez longs (3).
Il ne semble pas que des coutumes si bizarres aient nui à
la santé ou à l'intelligence. Elles ne sauraient au surplus nous
étonner, car nous les retrouvons à chaque page de l'histoire
ethnique. Hippocrate (4) parle d'une tribu macrocéphale qui
habitait près du Palus Mœotide; les parents, dès la naissance
des enfants, cherchaient à donner à leur tête une forme al-
longée. Strabon (5) cite un peuple asiatique, où par des moyens
artificiels, on forçait le front à dépasser la ligne du menton.
Blumenbach a vu un crâne portant cette dépression retiré d'un
tumulus de la Crimée ; un autre absolument semblable a été
trouvé auprès de Kertch (6), c'était donc un usage général. Telle
était aussi la coutume des Avares de race Mongole (7), si comme
nous le pensons, on doit leur attribuer soit les crânes de Grafenegg
et d'Atzgerrsdorf auprès de Vienne, soit d'autres découverts sur
(1) Chez les Choctaws, comme chez les Aymaras, la déformation crânienne était exclu-
sivement réservée aux enfants mâles.
(2) Adair, Hist. of the American Indians, p. 284.
(3) Oviedo y Valdes, Hist. Gen. y Nat. de ias Indias, Madrid, 1851-4, t. IV, p. 54.
— Herrera, Hist. Gen. de los Hechos de los Castellanos en las Islas i Tierra Firme
del Mar Oceano. Dec. III, lib. IV, c. vu ; Dec. X, lib. X, c. m. Madrid, 1601. — Squier,
Nicaragua, New- York, 1860, t. II, p. 341. — Landa, Relacion de las Cosas de Yuca-
tan. Paris, 1864, p. 114, 180, 194.
(4) De Aeris, Aquis et Locis.
(5) Geog., lib, I, c. xix.
(6) Millier, Archiv fur Anatomie.
(7) Retzius en constatant cette déformation constante chez les Mongols, prétend
qu'elle fut introduite en Amérique par des immigrants asiatiques. Archives des Scien-
ces Naturelles. Genève, 1860. — Smilh. Report, 1859, p. 270.
518 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
divers points de l'Allemagne ou de la Suisse, qui présentent la
même déformation. Une médaille frappée en l'honneur d'Attila
à la date de 452 de notre ère, porte le buste du Fléau de Dieu, la
tête est visiblement déprimée. Un crâne ainsi déformé, apparte-
nant à un squelette de très grande taille a été trouvé auprès de
la porte de Damas à Jérusalem (1). Le D"" Meigs reconnut que la
forme était due à une compression exercée dès l'enfance. Cette
modification artificielle de la tête existait aussi chez les Calédo-
niens, les Scandinaves (2) et chez les Anglo-Saxons dès l'épo-
que la plus reculée (3). Elle existe de nos jours dans un grand
nombre des îles de l'Océanie ; la forme de la tête est même
un moyen de reconnaître ces insulaires; car chaque île a sa cou-
tume transmise par les ancêtres et toujours religieusement ob-
servée. Sur d'autres points, c'est un privilège aristocratique, et il
n'est permis ni aux esclaves, ni aux hommes de condition infé-
rieure, de l'adopter pour leurs enfants.
Mais sans chercher si loin cette coutume, nous la trouvons
aujourd'hui encore dans certaines parties du midi de la France,
où elle est connue sous le nom de déformation toulousaine.
Elle s'obtient en comprimant avec des bandes la tête du nou-
veau-né (4). '.•,••
11 est curieux de voir un usage, qui tout d'abord paraît si
étrange, exister chez les vieilles races de notre continent, se re-
trouver chez les envahisseurs asiatiques, comme chez les plus
anciens habitants de l'Amérique, se perpétuer à travers les temps
et à travers l'espace, non seulement chez les Indiens (5) ouïes
(1) Ce crâne fait aujourd'hui partie des collections de l' Académie des sciences na-
turelles de Philadelphie. Description of a Deformed Fragmentary Skull in an An-
cienf Quarry Cave at Jérusalem. Trans. of Philadelphia Âc. of Nat. Se, 1859.
(2) Gosse, Essai sur les déformations artificielles du crâne, p. 72.
(3) Thurnam, Crania Britannica, p. 38.
(4) Il existe dans le département des Deux-Sèvres un mode de compression différent
de la déformation Toulousaine ; on pourrait citer d'autres exemples de ces coutumes
locales, invétérées chez nos populations.
(5) De là le nom de Flat-Heads donné aux Indiens de la Colombie anglaise. Cette
compression est d'un usage général chez tous les Indiens du JNord, notamment chez les
Haidahs de l'ile de Vancouver, les Qualsinos et les Quackolls, où la perfection semble
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. M9
sauvages insulaires de la Polynésie, mais encore chez les races les
plus civilisées et jusque dans notre propre pays. Cette similitude
des conceptions et des goûts même les plus bizarres, dans tous
les temps et chez les races les plus différentes, est un fait d'une
haute portée, digne des profondes méditations de tous ceux qui
s'intéressent à l'étude de l'homme.
Une question a été soulevée. Cette dépression a-t-elle tou-
jours été volontaire et ne provient-elle pas souvent du mode
vicieux, employépour tenir ou pour attacher les nouveau-nés (1)?
Garcilaso de la Yega (2) rapporte que chez les Péruviens, l'enfant
était constamment couché dans un cadre en bois, garni de
cordes tressées;. il était attaché de manière à gêner tous ses mou-
vements; on ne le sortait jamais de ce lit, même pour lui donner
le sein, ce qui se faisait régulièrement trois fois par jour. L'apla-
tissement du crâne tenait-il uniquement à cette cause et
était-il involontaire? Cela est peu probable, et il paraît certain
que ces populations croyaient ajouter à leur beauté par de sem-
blables déformations.
On a été plus loin et on a voulu y voir une disposition congé-
nitale. « Je ne crains pas d'affirmer, a dit M. Robertson, à un
Congrès d'Américanistes (3), que l'aplatissement provient non
d'une compression artificielle mais d'une loi de nature. » C'est là
une erreur complète, que viennent également démentir les lois
physiologiques et les faits historiques; elle mériterait à peine
d'être mentionnée, si nous ne tenions à mettre sous les yeux de
nos lecteurs, toutes les hypothèses émises, quelque peu fondées
qu'elles puissent paraître.
Nous avons résumé tout ce qui est actuellement connu sur les
ossements humains trouvés en Amérique, et qui remontent aux
races préhistoriques. Quelles conséquences peut-on tirer de ces
découvertes? quelles lois générales permettent-elles de dégager?
la forme du pain de sucre, les Chinooks, les Sahaptins, etc Parmi les Indiens du Sud,
aous citerons les Choctaws et les Catavvbas.
(1) Conant, Foot Prints of Vanished Races, p. 102 et s.
(2) Hisl. des Incas, rois du Pérou, c. xii, trad. franc. Paris, 1744.
(3) Les Mound-Builders, Luxembourg, IS'l, p. 43.
520 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Une première conclusion se présente naturellement, L'Améri-
cain, si haut qu'on puisse le faire remonter, ne diffère en rien
des hommes qui habitent aujourd'hui les rives de l'Atlantique ou
du Pacifique. La faune et la flore ont changé; les conditions cli-
matériques et biologiques ont subi de profondes modifications,
l'homme seul est resté semblable à lui-même, semblable par sa
charpente osseuse, semblable par ses habitudes et par ses affec-
tions pathologiques. Partout et toujours, il a subi les dures lois
de la vie ; il a soutenu les mêmes luttes, il a été amené aux
mêmes progrès. Une seconde conclusion n'est pas moins impor-
tante. Entre l'homme du Nouveau-Monde, et ceux qui ont peu-
plé l'Ancien Continent, il n'existe nulle différence essentielle ;
l'unité du genre humain s'impose comme la grande loi, qui
domine l'histoire de l'humanité.
Sans doute comme les vieilles races de notre Continent, les
races Américaines se composent d'éléments bien divers, de va-
riétés bien différentes (1). Une première race dolichocéphale sem-
ble avoir envahi tout d'abord les vastes régions comprises entre
les deux Océans. Les hommes de cette race ont vu les grands
pachydermes, les grands édentés, il ont parcouru, comme leurs
contemporains en Europe, les diverses phases de l'âge de pierre.
Dautres races sont arrivées par des migrations successives dont
les premières remontent sans doute à des époques bien recu-
lées (2) ; elles ont apporté chez les anciens habitants de l'Amé-
rique de profondes modifications, analogues à celles produites en
Europe par la venue des Aryas. C'est à la recherche de ces mi-
grations, à l'étude de ces origines, qu'il nous faut consacrer les
dernières pages de cette étude.
Assurément, bien des points restent encore obscurs et insolu-
(1) Bordier, Bul. Soc. Anih. Janvier, 1881.
(2) a Hence we find Mound-Builder's skuUs with this ancient form, associated with
others of more modem type. The discovery of thèse skulls, with characteristics so
much like those of the most ancient of the prehistoric types of Europe, would seem
to indicate that if America was peopled by émigration from the old world, that event
must hâve taken place at a very early time, far back of any of which we hâve any
record. » Letter. of D"" Lapham to D' Poster, Conant, /. c, p. 108.
LES HOMMES DE L'AMÉRIQUE. 521
blés : « De quelque côté que l'homme se tourne, a-t-on dit (1),
qu'il regarde dans le passé ou dans l'avenir, qu'il scrute l'univers
sidéral, ou qu'il interroge les vestiges et les documents mutilés
de l'histoire de la vie sur cette planète, si l'homme veut partir
de quelque point fixe ou assuré, s'il cherche un fondement iné-
branlable, une pierre angulaire, il n'en trouvera point. » Nous
nous associons volontiers à ces paroles ; l'homme par ses seules
forces ne saurait résoudre les grandes questions de nos origines
et de nos fins, des causes premières et des causes finales.
L'intelligence de l'homme, quelque admirable que la montrent
les progrès sans cesse grandissants de l'humanité, est limi-
tée. L'infini se dresse devant lui ; l'homme ne saurait l'a-
border.
(1) J. Soury, Int. à l'Hist. des Protistes de Hœckel, p. VI.
CHAPITRE X
L'ORIGINE DES AMERICAINS.
ISous Yoici au terme de notre tâche ; le problème qui domine
les recherches sur l'Amérique préhistorique, se dresse devant
nous avec toutes ses incertitudes et vient réclamer une solution.
Ce que l'on nomme la science, est une conquête de l'esprit hu-
main (1); elle se fait lentement et laborieusement, par le con-
cours de tous, et toujours elle procède de la même manière, par
l'observation des faits particuliers, qu'elle groupe, dont elle ré-
sume les causes communes, dont elle découvre les lois générales.
Nous avons fait connaître les races qui ont successivement
occupé le continent américain; nous avons dit leurs caractères
physiques, les travaux qui perpétuent leur souvenir; nous avons
raconté les faits; il reste à dégager la loi générale, à cher-
cher les rapports qui ont existé entre des races en apparence
si diverses, ceux, s'il en est, qui les relient aux races de
l'ancien continent. Nous ne pouvons cependant nous dissimuler
que malgré les remarquables travaux qui honorent les savants
de l'autre côté de l'Atlantique, l'histoire des premiers Améri-
cains reste encore bien vague et bien obscure (2). Est-il possible
d'affirmer l'origine de ces populations ? Est-il possible de remon-
ter du sauvage nomade, contemporain du mégatherium et du
(1) Jamin, Revue des Deux-Mondes. Octobre 1881.
(2) Bandelier, On the Sources of Aboriginal Hist. of Spanish America. Am. Âss.
Saint-Louis, 1878.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS- 323
mastodonte, à rhomme sauvage encore, mais ayant déjà une
demeure fixe, que viennent attester les kjokkenmôddings ou les
sambaquis? Du Mound-Builder, élevant à ses dieux ou à ses an-
cêtres de gigantesques tumuli, au Mexicain ou au Péruvien, dont
tous les récits attestent la richesse et la civilisation ? Nous conce-
vons bien le lien qui unit ces populations, malgré leurs dissem-
blances ; mais ce lien est difficile à établir avec quelque préci-
sion, et si même nous arrivions à le faire, notre curiosité ou notre
ardeur scientifique ne seraient guère satisfaites, car ces hommes,
si haut que nous puissions remonter, avaient des ancêtres. Quels
étaient donc ces ancêtres, les premiers occupants de ces régions
immenses que baignent l'Atlantique et le Pacifique ? Etaient-ils
aborigènes, issus d'une création distincte que ne mentionnent
pas nos traditions ? Venaient-ils de l'ancien continent par des
immigrations, dont on croit retrouver les traces et qui expli-
quent les caractères si différents que l'on constaté dès le sei-
zième siècle parmi les Américains ? Dvons-nous accepter la
dernière théorie de l'abbé Brasseur de Bourbourg qui place en
Amérique le berceau de la civilisation primitive? C'est le Nou-
veau Monde, 'selon lui, qui aurait peuplé l'ancien ; et c'est de
l'Amérique, que seraient arrivés en Afrique et en Asie, les ani-
maux domestiques, les arts, l'industrie, les hiéroglyphes et
môme les rites religieux (1). Que l'on ne croie pas que ce soit là
une opinion isolée, formée dans la soUtude, ou sortie dun cer-
veau mal équilibré. Un écrivain contemporain distingué, sou-
tient à son tour une thèse semblable ; pour lui, ce sont les ha-
bitants de l'Amérique qui ont été peupler la Chine et qui de là
se sont étendus sur le globe entier. Dans l'ignorance où nous
sommes, toutes les hypothèses sont possibles ; mais les hypothèses
n'ont qu'une existence éphémère; les faits seuls assurent le pro-
grès véritable de la science. C'est sur eux que nous voulons nous
appuyer ; nous rechercherons donc tout ce que l'histoire ou la
légende ont conservé ; nous ne négligerons aucune des données du
(1) Quatre lettres sur le Mexique. Paris, 1868.
S24 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
problème ; leur exposition est un premier pas vers sa solution.
Tout en évitant une conclusion prématurée, on ne saurait mé-
connaître les analogies curieuses, qui existent entre les monu-
ments, les inscriptions, les armes, les outils, entre les coutumes
elles-mêmes des anciens Égyptiens, des Assyriens, des Etrusques,
des Ibères, des Lybiens, des Guanches, avec ceux des peuples
les plus anciens de l'Amérique. Outre les nombreux exemples que
j'ai déjà donnés, on peut citer des cylindres en pierre trouvés en
Amérique, semblables à ceux de Babylone ou de Persépolis. La
coiffure égyptienne appelée Calantica se retrouve sur les statues
mexicaines (1). En Egypte, comme au Mexique, les bras et les
mains des figurines en pierre sont rarement détachés du corps.
L'usage de momifier les cadavres, de leur mettre au cou
des colliers se rencontre au Mexique, au Pérou, en Egypte
et aux Canaries. Des fragments de lame d'argent ont été
recueillis dans la bouche de momies péruviennes ; les Égyptiens
étaient aussi dans l'usage de placer une petite lame de métal
dans la bouche des cadavres avant leur embaumement (2). Les
villes de l'Amérique centrale possédaient une écriture hiérogly-
phique ; les pyramides des Mound-Builders se retrouvent chez
les Mexicains, et certains temples du Yucatan et du Chiapas rap-
pellent dans leur construction comme dans leurs détails les
monuments de l'Egypte.
On dit bien (3) qu'il existe un nombre de formes données par
la nature, que tous les peuples adoptent, quand ils sont arrivés
à un certain degré de civilisation, la forme pyramidale pour les
temples, la forme ovoïde pour les vases, les méandres ou les
grecques, les torsades ou les zigzags pour la décoration ; mais il
(1) On a trouvé récemment sous un mound à Yahala, auprès du lac Harris (Floride),
une figurine en terre cuite, absolument semblable à celles qui se rencontrent par mil-
liers dans les tombes égyptiennes. M. Putnam à qui la statuette a été communiquée
n'a pas hésité à déclarer qu'elle était une imitation moderne {Am. Art. Review. April
1880). Ces contrefaçons ajoutent singulièrement aux difficultés qui attendent l'archéo-
logue comme l'historien.
(2) A. de Longpérier, Notice des Monuments exposés dans la salle des Antiques au
Musée du Louvre, p. 125.
(3) Soldi, Les Arts méconnus. Paris, 1881.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 525
paraît impossible d'expliquer aussi facilement de telles ressem-
blances, et l'identité si remarquable des conceptions ne saurait
provenir de la seule similitude du génie de l'homme.
Que penser aussi des singulières affinités que l'on signale
entre l'Eskuara, cette langue primitive, conservée chez les Bas-
ques espagnols ou français, et les divers idiomes américains (1)?
M. de Charencey (2), un de ceux qui ont le mieux étudié la ques-
tion, n'hésite pas à dire : « Nous croyons que par l'ensemble de
ses caractères, le Basque se rattache directement aux dialectes
canadiens et par eux à tous les idiomes du Nouveau Monde, car
ils ont à peu près tous la même physionomie grammaticale, s'ils
diffèrent énormément entre eux par le vocabulaire (3). » Les
ressemblances des noms de personnes et de lieu aux Canaries et
à Haïti ne peuvent être absolument fortuites (4). Les cosmogo-
nies antiques en Afrique, en Asie, en Amérique, les légendes
qui concernent Bouddha, Odin ou Yotan présentent des ana-
logies frappantes, qu'il est impossible d'attribuer au seul
iiasard(5). En Europe comme en Amérique, les tumuli, lescairns,
les cryptes souterrains marquent le lieu de la sépulture ; les ca-
davres sont tantôt étendus horizontalement, tantôt assis ou re-
pliés sur eux-mêmes, comme l'enfant dans le sein de sa mère ;
la crémation a existé sur les deux continents. Si nous ne possé-
dons pas des preuves suffisantes pour des conclusions absolu-
(1) Bladé, Études sur C origine des Basques. — Baudrimont, Hist. des Basques ou
Escualduns primitifs.
(2) Des affinités de la langue Basque avec les idiomes du Nouveau Monde. Cacn,
1867. M. de Charencey dit que la famille Algique, comprenant le Delaware, l'Algon-
quin, le Chippeway, rillinois, est celle qui offre les affinités les plus remarquables avec
le Basque. Dans tous ces idiomes, il relève un procédé uniforme pour former les mots
composés.
(3) Il faut cependant noter entre eux de frappantes différences. Le Basque n'emploie
le procédé d'élimination que pour les composés de deux substantifs, les dialectes amé-
ricains s'en servent pour former des phrases entières. La déclinaison ne se rencontre
guère dans ces derniers. Le D"" Pruner-Bey a traité toute la question devant la Société
d'Anthropologie de Paris.
(4) Berthelot, Hist. des Canaries.
(5) Brasseur de Bourbourg, S'il existe des sources de l'histoire primitive du Mexi-
que dans les Monuments Egyptiens.
526 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
ment certaines, nous avons du moins des éléments précieux pour
les recherches futures.
Traditions et Lcs plus ancieuncs traditions parvenues jusqu'à nous, font
légendes. ^ - r\
allusion à des hommes arrivés de l'Orient, de régions froides et
glacées, par une mer triste et nébuleuse, et ces traditions étaient
restées si puissantes parmi Les indigènes, que les Mexicains
regardaient les premiers Espagnols débarqués dans leurs pays,
comme les fils de leurs ancêtres (1). Ixtlilxochitl, descendant
chrétien des anciens rois de l'Anahuac, raconte qu'après la
dispersion des hommes qui suivit la tentative de construction
de la tour de Babel, sept Toltecs parvinrent en Amérique
et furent les pères d'une race nombreuse. Les Quiches parlent
d'hommes blancs venus de la terre du soleil (2). Les peuples du
Yucatan croyaient que leurs ancêtres étaient arrivés de l'Est,
par la grande mer, que Dieu avait desséchée pour leur livrer
passage.
C'était aussi de l'Est que venaient Zamna, le disciple et l'é-
mule de Votan, et Cukulcan, le fondateur de Chichen-Itza et
le même personnage probablement que Quetzacoatl (3). L'un
et l'autre prêchèrent aux Yucatecs le célibat, l'ascétisme, et
furent les initiateurs de leur civilisation. A leur mort, les peu-
ples reconnaissants leur érigèrent des temples et les adorèrent
comme des dieux (4).
11 existe aussi chez les Indiens quelques traditions intéres-
santes. Les Shawnees rapportent que les anciens habitants
de la Floride étaient des blancs et que leurs ancêtres, en
arrivant dans le pays, trouvèrent des constructions, des habi-
tudes, une civilisation très étrangère à leur race. Les Natchez
croyaient qu'ils avaient reçu leur culte et leurs lois d'un
(1) Cortès, Carias y Relaciones al Emperador Carlos V.
(2) Brasseur de Bourbourg, Hist des Nations civilisées du Mexique et de V Amérique
centrale, 1. 1, p. 105, 106, 166.
(3) Cukulcan et Quetzacoatl signifient l'un et l'autre le serpent couvert de plumes.
Ce ne saurait être là une circonstance fortuite. '
(4) Landa, Relacion de las Cosas de Yucatan, p. 28. — Herrera, Hist. Gen. de los
Heclios de los Custellanos en las Islas i Tierra Firme del Mar Oceano. Dec. IV, 1. IV,
c. II. — Cogolludo, Hist. de Yucatan, p. 178.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 527
homme et d'une femme envoyés par le soleil (1). Les Tuscaro-
ras possèdent une chronologie remontant à près de trois mille
ans; leurs pères, selon eux, étaient originaires de Textrème
Nord, des régions situées bien au delà des grands lacs ; ils s'éta-
blirent sur le Saint-Laurent ; un peuple étranger arriva par
mer, et de longues et sanglantes guerres éclatèrent entre les leurs
et ces nouveaux venus. Il est probable que toutes ces traditions
reposent sur quelque fond de vérité.
Au sud de l'Amérique, nous trouvons également des récits qui
font remonter l'origine du peuple ou tout au moins de sa civili-
sation à des étrangers. Les Péruviens attribuent leurs progrès à
Manco-Capac et à la belle Mama-Oello, sa sœur et sa femme,
qui avaient traversé la mer pour aborder dans leur pays (2). Une
autre tradition rapporte qu'un homme blanc, portant une longue
barbe, avait enseigné aux habitants l'art de bâtir des maisons et
d'ensemencer les terres. Il avait ensuite disparu pour vivre
pendant deux mille ans, dans la retraite et la pénitence, avant
de reparaître sur la terre.
Les Guaranis rapportent que deux frères Tupi, et Guarani, dé-
barquèrent à la suite d'une grande inondation sur les côtes du
Brésil avec leurs femmes et leurs enfants, et c'est d'eux que se-
raient sorties les races qui portent leurs noms (3).
D'autres traditions font allusion à des convulsions de la na-
ture, à des inondations, à des perturbations profondes, à des
déluges terribles, au milieu desquels des montagnes et des vol-
cans auraient subitement surgi. Celles de ces légendes qui ont
trait à un déluge universel (4), seraient d'un intérêt très vif, s'il
(1) Du Pratz, Hist. of Louisiana, t. II, p. 175. London, 1763.
(2) Squ'iGi', Peru, Incidents ofTravel and Exploration intheLand ofthe Incas. Dsins
une autre partie du Pérou, l'on croyait que trois œufs étaient tombés du ciel, le premier
était en or, le second en argent, le troisième en cuivre. Du premier étaient sortis les
curacasou chefs; du second, les nobles; du troisième, le peuple. (Avendano, Serm. IX,
p. 100.) M. Desjardins à qui nous empruntons cette légende ajoute : « Ces fictions, quj
rappellent à la fois la Bible et les religions de l'Egypte et de l'Inde, ont assurément un
grand intérêt. » Le Pérou avant la conquête Espagnole, p. S9.
(3J Guevara, Hist. del Paraguay en la col. Hist. Argentina, t. I, p. 76.
(4) « Ce mythe est répandu dans le Nouveau Continent, d'un pôle pour ainsi dire à
l'autre. » D'Eichtal, Etudes sur les origines Bouddhiques, V p., p. 65.
528 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
était permis de croire qu'elles n'ont été ni amplifiées, ni exagé-
rées par les missionnaires espagnols, les premiers à nous les
faire connaître. Elles montrent les récits chrétiens conservés
chez des peuples séparés depuis de longs siècles des sources ou
nous les avons puisés ; à ce titre, il convient de résumer quel-
ques-unes d'entre elles.
Nous reproduisons dans sa naïveté, le récit donné par l'é-
vêque Landa (1). « Les eaux, dit-il, furent alors gonflées et il se
fit une grande inondation, qui vint au-dessus de la tête des ha-
bitants. Ils furent couverts d'eau et une résine épaisse descen-
dit du ciel ; la face de la terre s'obscurcit et une pluie téné-
breuse commença ; pluie de jour, pluie de nuit, et il se fit un
grand bruit au-dessus de leur tète. Alors on vit les hommes
courir en se poussant ; remplis de désespoir, ils voulaient mon-
ter sur les arbres et les arbres les secouaient loin d'eux ; ils vou-
laient entrer dans les cavernes, et les cavernes s'écroulaient de-
vant eux. »
Le codex Ghimalpopoca raconte aussi un déluge, oii les
hommes périrent et furent changés en poissons (2). En un
jour, la terre disparut; les plus hautes montagnes furent cou-
vertes d'eau et restèrent sous les flots pendant tout un printemps.
Mais avant ce désastre, Titlahuacan (3) avait appelé Nata et sa
femme Nena. « Ne vous occupez plus à faire du pulque (4), leur
avait-il dit, mais au mois Tozotli, creusez un grand cyprès et
faites-en votre demeure, quand vous verrez les eaux s'élever vers
les cieux. » Nata et Nena obéirent aux ordres divins. Ils se nour-
rissaient de maïs, durant les jours où leur barque flottait sur
les eaux. Elle s'arrêta au bout des temps marqués, et ils purent
voir pour la première fois quelques poissons ; ils se hâtèrent de
les prendre et de les faire rôtir sur un feu qu'ils allumèrent, en
{{) Relacion de las Cosas de Yucatan. Diego de Landa de la maison de Calderon
moine franciscain, fut le second évêque de Merida.
(2) Bancroft, /. c, t. III, p. 69.
(3) Un des dieux Nahuas appelé souvent Tezcatlipoca.
(4) Boisson fermentée faite avec la sève de l'aloès et connue au Mexique, où elle est
encore en usage, sous le nom d'octli.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 529
frottaat deux morceaux de bois l'un contre l'autre; mais les
Dieux se plaignirent de la fumée qui arrivait jusqu'à eux;
Titlahuacan irrité se hâta de descendre sur la terre, et prenant
les poissons, il les transforma en chiens.
Une autre tradition mexicaine nous apprend que Coxcox et sa
femme Xochiquetzal échappèrent seuls au déluge (1) ; ils s'é-
taient réfugiés sur le tronc creux d'un cyprès qui flotta sur les
eaux et s'arrêta enfin sur le sommet d'une montagne du Culhua-
can. Ils eurent de nombreux enfants ; mais ces enfants restaient
muets. Le grand Esprit prit pitié d'eux et leur envoya une co-
lombe pour leur apprendre à parler ; cette colombe s'empressa
de remplir sa mission; quinze des enfants de Coxcox parvinrent
à se comprendre, et c'est d'eux que descendent les Toltecs, les
Aztecs et les Acolhuas (2). Nous trouvons une légende à peu près
semblable dans le Michoacan ; le nom seul de l'homme préservé
du déluge varie ; il s'appelle Tespi, et l'oiseau précurseur du
beau temps est un colibri. Au Guatemala et en Californie, le
souvenir d'un grand cataclysme existe parmi les plus anciennes
traditions des indigènes, et les habitants de l'isthme de Tehuan-
tepec racontent que le monde fut repeuplé par un homme et une
femme, sauvés des eaux qui couvraient toute la contrée.
Les Péruviens ont également plusieurs légendes qui témoi-
gnent d'un grand déluge. A Quito, on rapportait que dans des
temps très éloignés, les eaux avaient envahi la terre en punition
des crimes des hommes ; un petit nombre parmi eux fut épargné ;
ils s'étaient retirés dans une maison en bois sur le haut du Pichin-
(1) Nous donnons la version de Clavigero reproduite par M. de Humboldt et par Lord
Kingsborough. D'après des travaux plus récents, elle serait une fausse interprétation
de la carte de Gemelli Carreri (GhurchiU's, Coll. of Voyages, t. IV) à laquelle elle est
empruntée. La peinture qui consacre cette tradition représenterait le départ et les
migrations dune tribu parmi les lacs de l'Anahuac. On voit un oiseau perché sur un
arbre et au pied de cet arbre une foule d'hommes tournés du même côté et prêts à se
mettre en route. Le nom de cet oiseau, tihuitodinn et son cri tihui qui signifie en
langue aztèque, il faut partir, sont probablement l'origine de la légende que nous
rapportons, mais qui n'est mentionnée par aucun des plus anciens écrivains, tels que
Sahagun, Mendieta ou Ixtlilxochitl.
(2) Desjardins, /. c, p. 25.
De Nadaillac, Amérique. 34
530 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
cha. A Cuzco le soleil interviat et fit cacher dans l'île de Titi-
caca ceux qui devaient être préservés. Selon la tradition con-
servée à Pachacamac, bien des siècles avant les Incas, le pays
entier fut couvert d'eau; quelques hommes se réfugièrent dans
les montagnes; lorsque les eaux baissèrent, ils lâchèrent des
chiens, qui revinrent mouillés ; quelques jours après les ayant
lâchés une seconde fois, ils rentrèrent souillés de boue. A ce
signe, ces hommes reconnurent que les eaux s'étaient retirées ; ils
sortirent de leur retraite et leur postérité repeupla le pays.
Un récit plus étrange encore est celui d'un berger qui remar-
quant que ses lamas passaient la nuit à regarder les étoiles,
interrogea l'un d'eux sur les causes de sa préoccupation. Le
lama lui fit remarquer la conjonction insolite de six étoiles et
ajouta que c'était là un signe certain que le monde allait bientôt
être détruit par les eaux et qu'il devait se réfugier avec sa fa-
mille et son troupeau sur la montagne voisine, s'il voulait éviter
d'être victime de la catastrophe imminente. Le berger s'em-
pressa de déférer à cet avis et se retira sur la plus haute monta-
gne du pays (1), oij déjà une foule d'animaux l'avaient devancé.
A peine y fut-il arrivé que la mer en furie couvrit la terre ;
mais la montagne flottait comme une barque et s'élevait à me-
sure que les eaux grandissaient. Ce déluge dura cinq jours et
fut accompagné d'une éclipse totale du soleil. Puis les eaux se
retirèrent peu à peu et le berger et sa famille furent les ancêtres
du peuple péruvien (2).
D'autres traditions qui se retrouvent principalement dans les
contrées qui forment la république actuelle de l'Lquateur, attri-
buent la paternité universelle à deux frères qui s'étaient réfu-
giés sur la montagne de Huaca-Ynan pour éviter les eaux. Leurs
provisions étaient épuisées ; il leur fallut quitter la misérable
hutte où ils avaient trouvé un abri, pour descendre dans la
vallée à peine émergée. A leur retour, ils trouvèrent avec éton-
(1) La montagne d'Ancasmarca, à cinq lieues de Cuzco, selon les uns, le mont Hua-
rocheri, plus rapproché de la mer, selon les autres.
(2) Molina, Be/acion de las Fabulas y Ritos de los Ingas. Ms des Arch. de Madrid.
L'ORIGINE DES AMERICAINS. S3I
nemeat leur repas préparé ; curieux de connaître celui qui était
ainsi venu à leur secours, un des frères sortit seul le lende-
main, tandis que l'autre faisait le guet; bientôt il vit arriver
deux aras à figure de femme (1) chargées de vivre. Il parvint à
saisir l'une d'elles, qui devint sa femme et la mère du genre
humain.
Une légende de Cholutec raconte que le pays était habité par
des géants et que tous à l'exception de sept, périrent dans un
déluge subit. Quand les eaux furent retirées, ils voulurent éle-
ver une haute montagne pour échapper, dans l'avenir, à une
semblable catastrophe ; les Dieux irrités de leur audace, firent
périr un grand nombre d'ouvriers et l'œuvre ne put être achevée.
Selon une des traditions californiennes, Montezuma formé par le
Grand Esprit de la boue de la terre, fut averti par son ami le
Coyotte (2) du déluge qui menaçait les hommes, et l'un et l'autre
se sauvèrent dans une arche. Le monde se repeupla rapidement;
mais Montezuma oublia vite la reconnaissance qu'il devait au
Grand Esprit, il voulut le braver et élever une tour qui atteignît
le ciel. Le Grand Esprit irrité lança sa foudre et la tour s'écroula
entraînant dans sa chute Montezuma et ses ouvriers (3).
Une tradition esquimaude mérite d'être rapportée dans toute
sa naïveté. « L'eau ayant envahi le globe terrestre, on s'é-
pouvanta; les tentes des hommes disparurent; le vent les
emporta ; on lia côte à côte plusieurs barques ; les vagues dé-
passèrent les Montagnes Rocheuses. Un grand vent les poussait
sur la terre, les hommes se firent sécher au soleil sans doute ;
mais le monde et la terre disparurent. Par une chaleur affreuse
les hommes périrent. Par les flots, ils périrent également. Les
hommes se lamentaient; ils tremblaient. Les arbres déracinés
(1) Brasseur de Bourbourg qui rapporte cette légende, veut que ce soit deux femmes
dont le nom était Ara. Il ajoute que le peuple de cette province conserve une grande
vénération pour les aras, à raison du service que ces oiseaux avaient rendu à leurs
ancêtres.
(2) Le coyotte ou loup des prairies joue un grand rôle dans les traditions ou les lé-
gendes de l'Amérique du Nord.
(3) Bancroft, /. c, t. III, p. 77, 80 et s., t. V, p. 18. — Short, North Americans,
p. 385.
532 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
flottaient au gré des vagues. Les hommes tremblants de froid
lièrent ensemble leurs barques. Hélas! sous une tente qu'ils
dressèrent ils se tinrent accroupis. Cependant un homme, le fils
du Hibou, jeta son arc dans les flots : «Vent ne souffle plus, s'é-
cria-t-il, c'est assez. » Puis cet homme jeta dans l'eau ses pendants
d'oreilles. La fin arriva (1), » Aujourd'hui encore les Mandans (2)
se réunissent chaque année autour d'un canot. Ce canot est figuré
par un grand tonneau (3) toujours entretenu par la tribu, avec un
soin superstitieux, en souvenir de la barque sur laquelle le seul
survivant du déluge universel parvint à se sauver. La fête a lieu
ta l'apparition des premières feuilles de saule, en mémoire du
rameau qu'une colombe portait dans son bec (4). Selon le récit
des Mandans, un homme blanc venu de l'Ouest leur avait appris
le déluge et les divers faits qui s'y rattachent. Au Brésil enfin,
un dieu appelé Monan, irrité de la corruption des hommes,
détruisit la terre par l'eau et par le feu. Un seul homme
échappa à la destruction de tous les êtres ; Monan prit pitié
de sa misère, il lui donna une femme, et ce fut eux qui re-
peuplèrent la terre après ces événements terribles (5).
Cette tradition d'un grand déluge, où les hommes périrent,
se trouve donc répandue dans les deux Amériques. Nous la
voyons jusque dans les îles Aléoutes, jusque chez les sau-
vages Kolosches (6). Il est à peine besoin de faire ressortir
l'analogie de ces légendes avec le récit de la Bible. Des faits
curieux, sur lesquels nous aurons à revenir, montrent que des
(1) Le P. Petitot, Cong. des Américanistes. Nancy, 1875, t. I, p. 336.
(2) Nous verrons plus loin que l'on prétend que les Mandans sont d'origine Galloise.
(3) Il peut paraître étrange de voir un tonneau figurer un canot ; mais il est bon de
rappeler que les canots actuels des Mandans se rapprochent de cette forme.
(4) Cattlin, Letters and Notes on the Manners, Customs and Condition of the North
American Jndians, 4'i> éd. London, 1844.
(5) Le P. Thevet, Cordelier, Les siiigularités de la France Antarctique autrement
nommée Amérique. Paris, 1858.
(6) Les Kolosches, tel est le nom donné par les Russes à des hommes qui s'appel-
lent eux-mêmes Thlinkeets, et qui habitent les côtes de TAmérique du Nord jus-
qu'à la Colombie leur limite extrême. On les a souvent confondus avec les Esqui-
maux, bien qu'ils présentent avec eux des différences physiques remarquables. Le
P. Wenjaminow, Notice sur les îles du district d'Unalaska. Saint-Pétersbourg, 1840.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 333
rapports ont certainement existé entre l'Asie et l'Amérique de-
puis l'ère chrétienne, bien plus, que le christianisme a été répan-
du dans le Nouveau-Monde avant l'arrivée des Espagnols, sinon
la religion telle que nous la pratiquons, au moins certains
dogmes chrétiens et les formes mêmes du culte catholique
très reconnaissables malgré les altérations qu'elles ont subies :
le baptême, le dogme de l'Eucharistie et la communion au
Mexique, la confession auriculaire au Pérou, le régime monasti-
que dans ces deux pays (1). C'est peut-être aussi dans ces rap-
ports qu'il faut chercher l'origine des diverses versions du dé-
luge et du genre humain renouvelé par un couple unique.
M. Maury (2) estime, et nous sommes de cet avis, qu'une infil-
tration d'idées chrétiennes depuis la conquête, ne saurait suffire
à les expliquer. C'est donc dans des faits antérieurs qu'il faut
chercher cette explication, sans toutefois exagérer leur impor-
tance, au point de vue de l'origine des Américains.
Les immigrations viennent suppléer à l'insuffisance des tra-
ditions et des légendes. Les preuves historiques et scienti-
fiques à leur appui ne font pas défaut, nous allons chercher à les
résumer.
Pour une école peu nombreuse, même de l'autre côté de
l'Atlantique, la race indigène est autochthone,'née sur le sol de
l'Amérique, légèrement modifiée tout au plus, par des croise-
ments étrangers. A cette exception près, il est admis que le
Nouveau-Monde a été peuplé par des immigrations de l'ancien
continent; mais si l'on est d'accord sur ce fait important, on
diffère beaucoup sur l'origine des immigrants, sur leur point
de départ, sur la route qu'ils ont suivie. Pour les uns, ils sont
arrivés soit par le nord-ouest et la mer de Behring (3), soit par le
nord-est et l'océan Atlantique ; pour les autres, cette arrivée a
eu lieu par les îles du Pacifique ou les îles du Sud-Est. Les
(1) Desjardins, Le Pérou avant la conquête Espagnole, p. 81.
(2) Encyclopédie moderne, art. Déluge.
(3) Un excellent travail de M. Maury, sur la facilité du passage entre les côtes
nord-est de l'Asie et nord-ouest de l'Amérique, a été inséré dans la Revue des Deux-
Mondes du 15 avril 1858.
334 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
recherches récentes permettent même de croire à l'existence de
l'Atlantide, cette terre mystérieuse abîmée dans les flots et dont
jusqu'au souvenir avait disparu de la mémoire des hommes.
Toutes les hypothèses sont possibles ; aucune ne peut être abso-
lument prouvée. Nous allons les examiner, avant d'étudier les
conclusions qu'elles comportent.
11 est aujourd'hui prouvé que des aventuriers nombreux avaient
précédé Colomb en Amérique (1). Dès les débuts de la navigation,
quelques barques poussées par le vent, quelques individus isolés
ont pu gagner les côtes de l'Amérique ; les communications ont
toujours dû être relativement faciles entre l'Asie et l'extrême
nord de l'Amérique. De la côte d'Afrique à celle du Brésil, la
distance n'est guère que de cinq cents lieues; de l'Islande au La-
brador, elle n'est pas beaucoup plus considérable. La Norwège et
l'Islande ne sont séparées du Groenland que par deux cent
soixante lieues. Le Gulf-Stream facilite les relations entre les Ca-
naries et le Venezuela (2). Si nous devons ajouter foi aux récits
d'anciens historiens, tels que Pline, Plutarque, Pomponius-
Mela (3), quelques indigènes américains entraînés par la tem-
pête, seraient même arrivés par une de ces voies en Europe ou en
Afrique. On cite des faits analogues dans les temps modernes.
Un Esquimau parti avec son attirail de pêche pour surprendre
des morses, était venu sombrer sur la côte d'Ecosse (4). Le petit
canot qu'il montait est conservé au Musée de Mareschal Collège
à Aberdeen, en. souvenir de sa périlleuse aventure.
C'est sur ces données ou d'autres semblables, que des cartes
antérieures au seizième siècle placent dans l'Atlantique des
terres inconnues. En 1400, Fra Mauro traçait sur une carte,
(1) Voyez Kuntzmann, Atlas zur Entdeckungs Geschichte America. Munich, 1859.
(2) Ameghino, Antiguedad del Hombre, 1. 1, p. 159.
(3) Pline, Hist. Nat., 1. II. — Pomponius Mêla, 1. III. — Horn, De Originibus Ame-
ricanis, t. IV. La Haye, 1C52. — ^neas Sylvius, Geog. et Hist. del Mundo. — Plutar-
que parle d'un grand continent transatlantique et d'un étranger ari-ivé à Carthage de
cette terre mystérieuse. Il place ce fait deux ou trois siècles avant notre ère. {Mora-
lia,t. II, p. 115 et s., éd. Didot).
(4) Southall, Récent Origin of Man, p. 573.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 533
des îles au delà des Açores (1). Ces îles ne peuvent être que les
Antilles. Déjà en 1367, la carte de Picigano marquait dans
l'Océan, un grand continent, auquel il donnait le nom à'Antille.
Ce continent est reproduit sous le même nom, sur la carte du
Vénitien André Bianco, qui le place à l'ouest des Canaries, et lui
donne la forme d'un quadrilatère allongé. Une autre carte, pro-
bablement plus ancienne, indique dans les régions du Nord, une
vaste terre, que l'on croit être Terre-Neuve, et une île à laquelle
on avait donné le nom caractéristique de Vile du Diable. Nous
citerons aussi un globe terrestre exécuté à Nuremberg en 1492,
l'année même de la découverte de FAmérique, par Martin
Behaïm. On peut y voir une étendue de terre considérable, là
où est aujourd'hui le Brésil (2). Ces faits, qu'il serait très facile
de multiplier, prouvent à n'en pouvoir douter, la connaissance
vague et incertaine d'un continent mystérieux, au delà des
limites qui paraissaient être celles du globe.
Les populations de l'extrême Orient fréquentaient aussi dès
l'antiquité la plus reculée, les côtes occidentales de l'Amérique du
Nord. M. de Quatrefages, qui a traité la question avec une grande
supériorité, pense que le Nouveau-31onde a été peuplé par les
trois races jaune, blanche et noire (3). La race blanche habitait
principalement le nord-ouest; la race jaune est encore représen-
tée de nos jours par différentes peuplades ; la race noire, peu nom-
(1) Cette mappemonde a été longtemps conservée au couvent de St-Michel de Murano
près de Venise. L'amiral Paris vient de faire don à la Société de géographie de Paris,
d'une photographie qui la reproduit.
(2) A l'exposition américaine de Madrid en 1881, on a pu voir une mappemonde
peinte sur bois par un auteur inconnu, peut-être par El Cano lui-même, au retour de
son voyage de circumnavigation. Sur ce curieux document, appai-tenant au ministère
de la marine, les deux continents et les principales îles apparaissent pour la première
fois avec leurs formes approximatives. — Hevue d'Ethn, Mai-juin 188?.
3) l^' Espèce Humaine. Paris, 187G. Dans un travail récent {Rev. d'Anth. Oct. 1881),
M. de Quatrefages raconte les voyages de Moncatch-Apé de la tribu des Yazoux, tels
qu'ils avaient été recueillis dès les premières années du dix-huitième siècle par un colon
français, le Page du Pratz. Il résulte de ces récits qu'à une époque antérieure à celle
où les Européens ont connu cette partie des côtes de l'Amérique du Nord, l'embou-
chure de la Colombia et les plages voisines étaient fréquentées par des hommes blancs
et barbus, venus selon toute vraisemblance des îles du Japon, dans le but de s'appro-
visionner de bois de teinture et peut-être aussi de se procurer des esclaves.
536 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
breuse il est vrai, avait pris possession de l'isthme de Panama,
et à l'arrivée des Espagnols, elle occupait l'île de Saint-Vincent,
à l'entrée du golfe du Mexique. Certaines populations de la Flo-
ride, du Brésil, de la Californie étaient également noires. Du mé-
lange de ces races, sont sorties celles qui peuplaient le nouveau
continent au seizième siècle et qui présentaient au plus haut de-
gré, les traits caractéristiques des races mêlées dans tous les temps
et dans tous les pays.
Les premiers hommes, Européens, Asiatiques ou Africains, qui
abordèrent en Amérique, appartenaient certainement à des peu-
ples différents. C'est le second point qu'il faut dégager. Ceux qui
l'ont plus spécialement étudié disent ces hommes tour à tour
Sibériens, Chinois, Indiens, Egyptiens, Phéniciens, Celtes, Scan-
dinaves, Juifs même. Toutes ces immigrations d'autres encore
sont possibles. 11 est évident que bien des races, bien des peu-
ples ont contribué au peuplement de ces immenses régions que
nous avons appelées le Nouveau-Monde.
Peuples asia- Lcs hommcs qui ont érigé les tumuli innombrables dont est
couverte la Sibérie ont pu facilement traverser les eaux générale-
ment calmes du Pacifique, se répandre dans le Mississipi et dans
rOhio, où s'élèvent des tertres semblables aux tertres Sibériens.
Durant les hivers rigoureux, le détroit de Behring est complète-
ment gelé et les communications entre les deux continents peuvent
avoir lieu à pied sec. Le même manuscrit qui nous apprend que
les ancêtres du peuple Quiche vinrent des régions où le soleil se
lève, ajoute qu'ils traversèrent la mer comme si cette mer
n'existait pas ; qu'ils allaient de rocher en rocher, et que le soleil
qui vint enfin dissiper cette longue et sombre nuit n'était pas le
soleil et n'avait aucune force. Brasseur de Bourbourg prétend
appliquer ce texte fort incomplet et fort obscur, à un passage par
l'extrême Nord (1). La mer qui n'est plus une mer, le soleil qui
ne réchauffe plus, se rapportent selon lui aux régions arctiques.
Ces migrations auraient été plus faciles encore, si comme le sup-
(I) Le Popol-Vuh, le livre sacré et les mythes de l'Ant. Américaine. Paris, 1861,
p. 231-242. — Hist. des ISIations civilisées du Mexique, t. I, p. 169-176.
tiques.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 537
pose Darwin, une température plus modérée avait régné à des
époques éloignées dans les régions hyperboréennes (1), et si la
Sibérie n'avait point été soumise aux froids rigoureux qu'elle
subit aujourd'hui (2).
Mais, en se plaçant même dans les conditions qui existent
actuellement, la navigation dans ces parages ne présente aucune
difficulté sérieuse ; elle est facilitée par des relâches successives
au Kamchatka, aux îles Aléoutiennes, à la presqu'île d'Alaska, et
c'est avec raison que Lyell comparait le passage du détroit de
Behring à la traversée de la Manche entre Douvres et Calais (3).
Les vents constamment favorables viennent aider à cette naviga-
tion, et c'est un jeu pour les Esquimaux d'accomplir le voyage
d'une presqu'île à l'autre, non seulement en barques isolées,
mais encore par grandes flottilles de pêcheurs (4).
Si nous acceptons cette théorie, il faut supposer une série in-
calculable de migrations des races Aryo-Indiennes. Ces hommes
seraient partis des bords de l'Indus et du Gange, auraient tra-
versé la chaîne de l'Himalaya, les hauts plateaux du Thibet, les
déserts de la Mongolie, les steppes de la Sibérie ; ils auraient en-
suite gagné par le détroit de Behring, les pays qui forment au-
jourd'hui les possessions anglaises, les Etats-Unis, le Mexique,
s'étendant peu à peu, depuis le Labrador jusqu'au cap Horn.
Il existe d'autres hypothèses ; de grandes ruines préhistoriques
sont disséminées à travers les épaisses forêts de l'Hindoustan,
du Ceylan et de l'Indo-Chine ; elles se continuent à travers l'île
de .lava, se reliant visiblement à une suite non interrompue de
curieux monuments, de gigantesques constructions découvertes
à travers la Polynésie, aux îles des Larrons, à Taïti, à Tonga, aux
îles Sandwich, à l'île de Pâques. Toutes ces constructions sont
(1) Au pliocène, selon Wallacc, il existait une communication non interrompue en-
tre l'Asie et l'Amérique, le détroit de Behring ne fut formé que durant l'époque qua-
ternaire.
(2) Les Premiers Hommes, t. II, p. 153.
(3) Antiquity of Man, p. 367.
(4) L. de Rosny, Cojig. des Américanistes. Nancy, t. I, p. 136. — Morgan, Syslems
of Consanguinity und Affinity of the Human Family. Smith. CoJit., 1871.
538 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
situées le long d'une grande ligne allant de l'Est à l'Ouest, et
dominant une chaîne sous-marine, qui s'étend jusqu'au conti-
nent américain. Ces ruines ne marquent-elles pas les différentes
étapes d'une grande race émigrant de l'ancien monde vers le
nouveau (1)?
Sans doute de semblables odyssées confondent l'imagination;
on a de la peine à concevoir des peuples entiers, chassés de leur
patrie par la défaite, la famine, les maladies pestilentielles, s'é-
branlant avec leurs femmes, leurs enfants, leurs tentes, leurs
troupeaux, parcourant des régions inhospitalières, oii la vie même
allait leur manquer, pénétrant enfin, après de longues années
de marche, dans des régions où tout était nouveau pour eux. On
se reporte involontairement aux difficultés que rencontreraient
nos armées modernes dans de semblables entreprises. Mais ces
populations étaient nomades ; leurs besoins étaient peu nombreux,
et il est certain que les progrès de la civilisation et du bien-être
ont singulièrement affaibli l'énergie virile et multiplié les besoins
factices. On ne saurait donc juger ces migrations, en se plaçant à
notre point de vue. La science et l'histoire sont d'ailleurs là pour
attester leur possibilité ; elles ont pu être facilitées par des modi-
fications dans la forme comme dans l'étendue des terres et des
mers, par des émergements et des affaissements dont Thistoire
géologique du globe montre la fréquence. Ainsi, en étudiant la
stratification des roches, la faune et la flore, on peut supposer un
émergement qui aurait formé un seul continent du Japon, des
îles Aléoutiennes et de l'Alaska. On a également prétendu que
vers l'époque tertiaire, l'Asie s'étendait à travers le Pacifique, soit
dans la direction de la Npuvelle-Zélande, soit dans celle de
l'Australie et que des îles rapprochaient par une chaîne non
interrompue, ce dernier continent de l'Amérique du Sud. Mais
les sondages récemment effectués montrent sur tous les points de
l'Océan où ils ont été tentés, des profondeurs de 3,500 à 5,500
mètres, et il est difficile d'admettre un exhaussement de cette im-
(I) Edinburgh Review. Oct. 1876. — Lesson et Martinet, Les Polynésiens, leur ori-
gine, leurs migrations, leur langage. — Baldwin, Ancient America, App. C, p. 288.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 539
portance (1). S'il faut renoncer à cette seconde hypothèse, la
première, d'autres que l'avenir nous révélera, n'ont assurément
rien de contraire aux données de la science.
Si nous interrogeons l'histoire, nous verrons les Aryas, les
plus illustres parmi nos ancêtres, partir du centre de l'Asie, s'é-
tendre successivement sur l'Hindoustan, sur la Perse, sur la
plus grande partie de l'Europe. Les migrations des Cimbres et
des Teutons sont mieux connues encore. On ne peut sans éton-
nement suivre sur une carte le chemin parcouru par Alexandre
et ses lieutenants. Les Huns (2), partis des hauts plateaux de
l'Asie, ont pénétré au cœur de l'Europe, livrant partout sur leur
passage de sanglants combats. De nos jours même, n'avons-nous
pas vu, sur une échelle moins considérable il est vrai, les Boers
s'enfoncer dans le Transvaal, pour éviter la domination anglaise,
et les Mormons pénétrer dans les déserts de l'Utah, pour fuir
celle des États-Unis.
Tous ces faits, qui montrent la force expansive des races pri-
mitives, tranchent la question de la possibilité des migrations
asiatico-américaines. Comment d'ailleurs admettre le peuple-
ment des régions immenses qui forment le Nouveau-Monde, par
quelques aventuriers isolés, par quelques misérables naufragés. 11
faut donc de toute nécessité que des peuples entiers soient arrivés
d'un continent à l'autre, sans que nous puissions encore déter-
miner avec l'exactitude désirable, soit leur point de départ, soit
leur point d'arrivée, ou que la population de l'Amérique soit au-
tochthone, née sur le sol même qu'elle habite. Ce sont là les deux
termes d'un dilemme auquel on ne peut échapper.
(1) La comparaison des faunes et des flores, la dispersion de certains animaux, de
certains oiseaux surtout, que leurs moyens de locomotion n'ont pas mis à même de
passer d'une de ces stations dans les autres, permettent de croire qu'à une époque re-
lativement récente l'océan Pacifique baignait un vaste continent austral dont la Nou-
velle-Zélande, les îles Maquarie, Campbell, Chatham, restent les témoins. Parmi les
oiseaux, MM. Blanchard et A. Milne-Edwards citent VApterix, le Dinomis, \e Palapte-
ryx et le Strygnps, perroquet nocturne incapable de voler {Ac. des Sciences, l.'> fév. 1882).
(2) Trois siècles environ avant notre ère, les Huns [Hiong-mi) se rendirent redou-
tables aux Empereurs de la Chine. Après une longue lutte, ils furent vaincus; de là
leurs migrations qui peuvent assurément s'être étendues jusqu'au Nouveau-Monde.
540 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
napportsen- La commuiiicalioii fréquente entre les deux mondes, écrivait
tiques et les Ilumboldt, sc Hianifcste d'une manière indiscutable dans les
Améiicains. i i • > i i i • • •
cosmogonies, les monuments, les hiéroglyphes, les mstitutions
des peuples de l'Amérique et de l'Asie (1). Quand l'illustre Alle-
mand publiait ses travaux, on ne savait encore que peu de cho-
ses du Bouddhisme, de sa puissance d'expansion, de son
alliance ou de ses rapports avec les autres cultes asiatiques. On
ne connaissait que très imparfaitement les terrassements des
Mound-Builders, les édifices du Mexique ou de l'Amérique
centrale, et bien qu'il soit encore prématuré de poser des con-
clusions formelles, on peut dire que toutes les découvertes nou-
velles sont venues justifier les assertions de Humboldt (2).
Un des bas-reliefs de Palenquc offre une ressemblance indé-
niable avec les images de Bouddha (3), et l'offrande faite aux
dieux, qui s'y trouve reproduite, est fréquemment répétée sur
les monuments du culte bouddhique. A la Casa de Monjas
(Uxmal), on voyait sur le seuil de la niche qui surmonte chaque
porte, une fisjure accroupie qui portait l'empreinte visible du
Bouddhisme (4). Un bas-relief récemment découvert à Chichen-
Itza, amené une conclusion semblable (5), et les monuments
de cette ville sainte des Yucatecs rappellent singulièrement les
topes et les dagobas de l'Inde (6). (Juetzacoall est souvent repré-
senté avec le bonnet et dans la posture que la tradition hiéra-
tique assigne à Bouddha (fig. 114).
Quelques ainéricanistes croient retrouver dans le nouveau
monde les deux sectes de l'Inde : telle des adorateurs de Vichnou
(1) Vues des Cordillères et des Monuments des peuples indigènes de V Amérique, t. I,
p. 31, 39. — Examen critique de l'hist et de la géog. du Nouveau Continent, t. II,
p. 67.
(2) On peut consulter sur les difficultés qui s'opposent à des conclusions trop affir-
matives, L. de Rosny, Le Bouddhisme en Amérique; Cong. des Améric. Nancy, 1875,
t. I, p. 137.
(3) G. d'Eichtahl, Etude sur les origijies Bouddhiques de la civilisation américaine.
Paris, 1865, p. 70.
(4) F. de Waldeck, Palenque et autres ruines. Paris, 1866. — D'Eichthal, /. c, p. 78.
Ces figures d'après les derniers voyageurs qui ont visité ces ruines auraient disparu.
(5) Stephens, Incidents of Travel in Yucatan, t. II, p. 292.
(6) Voy. cil. VII, p. 341, note 4.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 541
et celle des adorateurs de Çiva. Ils prétendent que le culte pé-
ruvien n'est autre chose que celui de Vichnou, se manifestant
sous la figure de Krichna le soleil ; le culte barbare des Mexi-
cains rappellerait celui de Çiva. On trouve aussi une frappante
conformité entre la divinité hindoue Cali ou Bhâvani, symbole
de la mort ou de la destruction et à laquelle on faisait des
sacrifices humains et Mictlancihuatl déesse de l'enfer, au
Mexique (1).
Le culte du serpent existait sur les bords du Mississipi et dans
toute l'Amérique centrale. Rappelons le tertre immense de
Brush-Creek dans l'Ohio, qui figure un serpent avalant un œuf;
on cite auprès de Mexico, une sculpture à peu près sembla-
ble (2) ; l'un et l'autre se rattachent visiblement à la cosmogo-
nie de l'Inde et à la conception de l'œuf du monde, d'où sort un
dieu créateur. Nous trouvons le serpent sur les édifices sacrés
du Chiapas et du Yucatan, comme sur les murs du grand temple
de Mexico, aux pieds de los Edificios à Quemada, comme sur les
jTionuments de Cuzco. M. de liumboldt veut y voir un souvenir
du serpent Kaliya, vaincu par Vichnou et qui joue un grand
rôle dans la mythologie indienne (3). Suivant Lassen (4), le
Bouddhisme aurait été connu à Mexico, dès le cinquième siècle
de notre ère; il aurait compté de nombreux sectaires jusqu'au
treizième siècle, où les Aztecs victorieux avaient proscrit le culte
de Bouddha et remplacé l'humanité envers les vaincus, prêchée
par Çakyamouni, par les horribles cruautés que nous avons ra-
contées. Peut-être faut-il également rattacher au culte boud-
(1) Desjardins, Le Pérou avant la conquête Espagnole, p. 101.
(2j Melgar, Mex. Geog. Bolletin, 2* epoca, t. III, p. 112 et s.
(3) Ce serpent est aussi appelé Kalinaga. Humboldt, Vues des Cordillèt^es, t. I,
p. 236. — Moor, Hindu Panthéon, 4° London, 1813.
(4) Indische Alterthum's Kunde, t. IV, p. 749. — Dès le troisième siècle avant notre
ère, le Bouddhisme avait commencé à se répandre hors de l'Inde. Il avait pénétré
chez les Birmans au sud, chez les Chinois et les Japonais à l'est, chez les Thibétains
et les Mongols au nord. Il jeta de profondes racines chez ces diverses nations, et 65 ans
ap. J.-C, le Bouddhisme fut solennellement reconnu par l'empereur Ming-li comme
troisième religion de l'État. Max Muller, Buddhism and Budihist Pilgrims, p. 24. —
E. Burnouf, Introduction àChistoire du Bouddhisme. — D'Eichthal, /. c, p. 20.
542 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
dhique, la conception chez les Mexicains d'un dieu suprême
adoré sous les trois formes de Ho, liuitzilopochtli et de Tlaloc
qui rappellent la Trimurtis indienne, de Brahmah, Yichnou et
ÇiYa
L'éléphant était totalement inconnu lors de l'arrivée des Con-
quistadores ; aucune tradition ne se rapportait à son existence
sur le continent américain. Cependant plusieurs des princi-
paux monuments du Chiapas et du Yucatan, la Casa del Gober-
nador et la Casa de Monjas, par exemple, portent des trompes
d'éléphants, comme motif de décoration. Sur un des bas-reliefs
du palais de Palenque, la coiffure du grand prêtre simule une
tête de proboscidien (1) (fig. 123). On conserve au musée de
la Paz (Bolivie), deux vases, vestiges de l'ancien art aymara ; sur
chacun d'eux est figuré en couleur noire, un éléphant portant
un palanquin. Tout récemment, on a recueilli dans l'Iowa une
pipe taillée dans un grès assez tendre (fig. 72). Cette pipe abso-
lument semblable, comme forme et comme travail, à celles trou-
vées sous les mounds du Mississipi ou de l'Ohio, et œuvre évi-
dente d'ouvriers de la même race, représente un éléphant (2). Il
est difficile de ne pas voir des souvenirs de l'Asie, dans ces images
exécutées à des distances si considérables les unes des autres.
Des haches polies en néphrite ou en jadeïte ont été trouvées
dans le Yucatan et au Mexique (3). Le musée de Copenhague
possède des pointes de flèche en néphrite de provenance améri-
caine (4) ; des idoles également en néphrite viennent des environs
de Mexico. Tout gisement de ces roches est inconnu sur le conti-
nent des deux Amériques. Comment ces haches, ces flèches y
sont-elles parvenues ? Des fouilles dans le New-Jersey ont donné
un marteau en pierre, portant le Swastika (fig. 9). Comment le
signe mystérieux des Aryas se trouve-t-il aux États-Unis?
C'est surtout dans leurs calculs pour établir le calendrier, que
(1) Rappelons que Ganesa, le dieu do la sagesse dans la mythologie hindoue, est tou-
jours figuré avec une trompe d'éléphant.
(5) Short, North Âmericans of Antiquity. App. B.
(3J Leemans, Cong. préh. de Bruxelles, 1872.
(4) Cong. des Améric. Luxembourg, 1877, t. IT, p. 317.
L'ORIGINE DES AxMÉUIGAINS. 543
nous trouvons une preuve évidente des communications qui ont
dû exister entre les Asiatiques et les Américains (1). Chez tous
les peuples civilisés de l'Amérique, le calendrier était semblable
et la méthode ingénieuse dont ces peuples se servaient pour
désigner le jour et l'année dans un cycle donné, est identique
avec celle des Hindous, des Thibétains, des Chinois et des Japo-
nais, qui distinguent aussi les années par la correspondance de
plusieurs séries périodiques. Peut-on supposer que des métho-
des chronologiques si avancées, une connaissance si approchée
de la durée exacte de l'année (2), soient des conceptions spon-
tanées du génie américain et les ressemblances que nous signa-
lons, entièrement fortuites ?
On cherche aussi à justifier l'hypothèse des immigrations asia-
tiques par la ressemblance des différents idiomes. Dans un tra-
vail récent, M. Mendoza s'est efforcé de montrer l'identité d'un
certain nombre de mots nahuatl et sanscrits (3). Un ministre pro-
testant voyait une grande analogie entre les dialectes de l'Amé-
rique du Sud et ceux du Deccan (4) ; il prétendait établir cette
analogie parla comparaison des mots qui indiquent la mesure du
temps, et par le mode de construction du verbe, dans les plus
vieilles langues du sud de l'Inde et dans le Qquichua, la langue
sacrée des anciens Incas. Don V. F. Lopez de Montevideo s'efforce
également de prouver que le Qquichua appartient à la famille
des langues aryennes (5). D'autres soutiennent l'analogie des
langues américaines avec les langues ouralo-altaïques (6) et
dans un congrès d'orientalistes, tenu en 1876 à Saint-Péters-
bourg, on faisait ressortir les ressemblances frappantes qui exis-
tent entre les langues américaines et celles de l'Arménie et du
(1) Humboldt, Vues des Cordillères, t. I, p. 363, 384, 392 et pi. XXIII. — D'Eich-
thal, /. c, p. 40. — Cong. des Améric. Nancy, 1875, p. 140.
(2) Ces mesures du temps ne différaient du temps vrai que de 2' 9".
(3) Awî. del Museo Nacional de Mexico, t. I, p. 70.
(4) On donne le nom de Deccan ou Dekan à toute la région méridionale de l'Inde,
comprise entre les monts Viudhyas, le Comorin et les golfes du Bengale et Arabique.
(5) Les Races Aryennes au Pérou.
(6) Forchammer, Vergleichung der Amerikanischen Sprachen mit deji Ural-AUais-
chen, hinsichtlich ihrer Grammatick.
ponais.
S44 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Caucase. Il faut mentionner ces faits ; il serait facile d'en citer
d'autres ; mais nous ne pourrions que répéter ce que nous avons
déjà dit en parlant de l'Eskuara, les connaissances philologi-
ques en ce qui concerne les anciennes races de l'Amérique, ne
sont pas encore assez avancées, pour permettre des conclusions
bien sérieuses.
Chinois et jd- Nous avons dit la présence de prêtres bouddhistes à Mexico,
dès le cinquième siècle de notre ère (1). Voici ce que rappor-
tent à cet égard les historiens chinois : « Autrefois la religion de
Bouddha n'existait pas dans ces contrées ; ce fut dans la qua-
trième année du règne de Hiao-wou-te des Soung (458 ans ap.
J. C.) que cinq pi-khieoii ou religieux du pays de Ki-pin (an-
cienne Rophène) allèrent au Fou-sang et y répandirent la loi
de Bouddha. Ils apportèrent avec eux les livres, les images sain-
tes, le rituel et instituèrent les habitudes monastiques, ce qui fit
changer les mœurs des habitants. »
Un de ces missionnaires, Hoei-chin, revint de ce voyage lointain
en 499 et c'est son récit embelli par les fables les plus invraisem-
blables, que nous ont conservé les écrivains chinois (2). Ce ne
serait même pas la première mention du Fou-sang dans les
histoires du Céleste Empire. Tong-fang-so, qui vivait deux siècles
avant notre ère, raconte que le pays de Fou-sang est situé à l'est
de la mer Orientale. « Quand on débarque, sur les rivages de ce
pays, continue-t-il, faut s'avancer dans la direction de l'Orient et
après avoir parcouru 10,000 li (3) on trouve la mer de couleur
(1) Nous reproduisons la version de M. D'Eichthal (/. c, p. 18). Les considérations
sur lesquelles il l'appuie sont remarquables. On peut consulter sur toute la question
Ch. Leland, Fusaiig or ihe Discovery 0/ America by Chinese Buddhist Priests in the
Fifth Century, London, 1875, et un excellent mémoire présenté en 1876 par le
M" D'Hervey de Saint-Denys à l'Académie des Inscriptions, et intitulé : Le pays connu
des anciens Chiîiois, sous le nom de Fou-sang.
(2) « Pendant le i"ègne des Tzi, dans la première année de l'Origine Éternelle, un
prêti'e Bouddhiste chinois, qui portait le nom monastique de Hoei-chin {compassion
universelle) vint du Fou-sang dans le district de Houkouang et dans les districts voi-
sins. Il raconta que le Fou-sang est à 20,000 li à l'est de Ta-han et de l'Empire du
Milieu. » Ext. des Nan-szu ou Annales de la Chine.
(3) L'évaluation du /i chinois présente de grandes difficultés ; cette mesure itinéraire
a en effet considérablement varié selon les temps. On peut consulter sur la question.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 5^3
bleue, vaste, immense et sans bornes (1). » Un autre historien,
Li-ijen^ nous apprend que le Fou-sang est à 40,000 li à l'est du
pays de Ta-han et aussi à l'est de la Chine. Le marquis d'Hervey,
enfin, raconte que, d'après un ouvrage intitulé Leang-sse-kong,
ou Mémoh^es de quatre seigneurs de V époque des Leang, une am-
bassade du Fou-sang serait arrivée en Chine dans les années
^eew-Aiew commençant en 502, date trop rapprochée du retour de
Hoei-Chin, ajoute avec raison M. d'Hervey, pour qu'elle ne doive
pas éveiller l'attention.
C'est 31. de Guignes qui, le premier, a établi que le Fou-Sang
devait être l'Amérique (2). Après avoir relevé sur une carte la
route probable, suivie par ceux qu'il appelle des navigateurs
chinois : « J'ai examiné, ajoute-t-il, leurs mesures, elles m'ont
conduit vers les côtes de Californie, et j'ai conclu de là qu'ils
avaient connu l'Amérique 458 ans après J.-C. » Les connais-
sances géographiques, au temps où vivait l'éminent sinologue,
ne permettaient pas la solution complète du problème. De Guignes
avoue lui-même qu'il avait été longtemps arrêté par les diffi-
cultés que présentait l'itinéraire suivi par les Chinois, pour
arriver au Fou-Sang, et surtout par la confusion qu'apportait le
pays de Ta-han, situé sur le continent asiatique, et oii devaient
cependant aborder les vaisseaux se rendant en Amérique. Cette
difficulté n'existe plus; M. d'Hervey, en s'appuyant sur le Youen-
kien-loui-han , vaste encyclopédie publiée dans les premiers
temps de la dynastie actuellement régnante, prouve qu'il existait
deux pays de Ta-han. « Le premier est celui qui a induit de
Guignes en erreur, en l'empêchant de porter ses vues au delà du
Kamchatka, et le second, celui dont il est fait mention dans l'iti-
néraire de Fou-Sang, lequel ne saurait trouver place en Asie,
par cela seul qu'il est à l'est du premier (3). »
d'Anville, Mém. de l'Acad. des Inscr., t. XXVIII. On l'évalue actuellement à un tiers
de mile anglais, soit environ 506 mètres.
(1) D'Hervey de Saint-Denys, /. c, p. 6.
(2) Sur les navigations des Chinois du côté de l'Amérique et sur plusieurs peuples
situés à Vextrémité de l'Asie orientale. Ac. des Inscr., t. XXVIII, 1761.
(3) D'Hervey, /. c, p. 4.
De Nadaillac, Amérique. 35
546 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Les faits donnent raison à ceux qui croient que le Fou-Sang
était l'Amérique, et malgré les objections nombreuses qui ont
été faites (1), objections sur lesquelles nous aurons à revenir, il
nous paraît encore que c'est l'hypothèse la plus vraisemblable de
toutes celles mises en avant. C'est à l'influence chinoise que
seraient dues les traces de Bouddhisme dans la cosmogonie et
dans les institutions de certains pays du nouveau Monde (2).
De Guignes attribuait également à des immigrations chinoises
la civilisation des Péruviens. Les curieuses analogies que l'on
remarque dans les coutumes, dans les règlements minutieux qui
atteignent toutes les actions extérieures de l'homme, le patronage
accordé à l'agriculture, la fête annuelle, célébrée en l'honneur
des agriculteurs par l'inca du Pérou et l'empereur de la Chine,
le système des irrigations, le paiement des impôts en nature,
l'usage des quipos, la construction des ponts suspendus avec des
cordes, la ressemblance de certains détails de l'architecture,
celle des barques péruviennes avec les jonques chinoises (3),
sont toutes de nature à justifier cette hypothèse.
Des découvertes récentes viennent appuyer ces analogies.
Des idoles en argent offrant le même type que les idoles du
Céleste Empire, et portant des inscriptions où l'on a cru recon-
naître les plus anciens caractères usités en Chine, ont été trouvées
au milieu des ruines de Chimu et à Chinca-Alta, à quatre cents
miles plus au sud (4). Les catacombes des Muyscas, auprès de
(1) Klaproth, Ost-Asien und West- America, Zeitschrift fur Algemeine Erdkunde,
avril 1833. — Vivien de St-Martin, Une vieille histoire remise à flot, Année géog., 1865.
— Lucien Adam, Le Fou-sang, Cong. des Améric. Nancy, 1875, t. I, p. 145.
(2) Certains araéricanistes ont soutenu que Quetzacoatl, Bochica le législateur et
le dieu des Chibchas, et Viracocha, étaient des prêtres bouddhistes. Cela peut
être vrai, mais les preuves manquent et les seules que Ion puisse donner sont
les curieuses similitudes qui existent dans toutes les légendes relatives aux initia-
teurs de la civilisation américaine. Tous sont représentés comme des hommes blancs,
barbus, portant de longues robes et prêchant aux hommes la vertu et la pénitence.
(:J) Le môme fait peut être cité au Mexique ; quatre proues de navire présentant
une certaine ressemblance avec les proues des jonques chinoises ont été trouvées
dans une hypogée, par Vasqucz-Cornado.
(4) D' Le Plongeon, Vestiges of Antiquity, Lecture delivered before the New-York
Geog. Suc. January, 1873.
L'ORIGINE DES AMERICAINS. 547
Bogota, ont fourni des figurines en or dont la physionomie
mongole est caractéristique. Sur le territoire de Washington, des
tranchées pour la construction du chemin de fer Nord-Pacifique
ontniisau jourun autel portant des caractères gravés, semblables
à ceux de Pékin. La surprise des ouvriers chinois fut, rapporte-
t-on, extrême, en voyant cette relique de leur pays natal (1).
Le senor Mendoza mentionne une idole aztèque en diorite,
trouvée sous un mound de l'État de Puebla, et dont la prove-
nance chinoise ne lui paraît guère douteuse (2), et nous avons
déjà parlé d'une statuette qui figurait à l'exposition américaine
de Madrid, à laquelle la même origine peut être attribuée (3).
Il convient de mentionner ces faits; nous n'oserions affirmer
leur exactitude (4).
Au XIII* siècle, une flotte envoyée contre le Japon par l'empe-
reur mongol Rublai-Khan fut dispersée par une violente tem-
pête, et un grand nombre de vaisseaux furent jetés sur les côtes
de l'Amérique du Sud. On prétend même que le premier Inca
était le fils de Rublai-Khan (5). Ces faits sont loin d'être prouvés,
et le fussent-ils, qu'ils ne sauraient jeter la moindre lumière sur
l'origine de la population ou de la civilisation du Pérou.
Les courants marins et surtout le Kuru-Suvo, le courant noir
du Japon, ont pu jouer un rôle important dans les commu-
nications entre les deux continents (6). De 1782 à 1876, quarante-
neuf jonques ont été entrainées par ces courants à travers le
(1) American Antiquarian, 1880, p. 303.
(2) Bandelier, National Muséum of Mexico, Am. Ant., 1879, p. 24.
(3) Voy. ch. VIII, p. 454, note 2.
(4) Le village d'Eten serait habité par des hommes qui parlent un langage diffé-
rent de celui de leurs voisins et incompréhensible pour eux. Or, ces hommes,
rapporte-t-on, peuvent facilement se faire comprendre par les coolies chinois, qui ar-
rivent chaque année en grand nombre dans le pays. Il en serait de môme sur d'autres
points, mais ces faits avancés par quelques voyageurs sont énergiquement niés par
d'autres. Cong. des Améric. Luxembourg, 1877, t. II, p. 54.
(5) Ranking, Hist. Researches on the Conquest of Peru and Mexico bythe Mongols.
London, 1827.
(6) Le retour est beaucoup plus difficile et il n'existe aucune trace dans les temps
anciens d'une navigation régulière entre les deux continents. Bull. Soc. Géog., 1880,
p. 229. — R. King, Narrative of a Joumey to the Shores of t/ie Arctic Océan. Loudon,
1836, t. II, ch. XII.
S48 L'AMERIQUE PREHISTORIQUE.
Pacifique, dix-neuf ont fait côte aux îles Aléoutes, dix sur les
rivages de la presqu'île d'Alaska, trois sur celles des États-Unis,
deux enfin aux îles Sandwich (1). Récemment encore, une
jonque japonaise entraînée par les flots, a été découverte
par un navire anglais, non loin de la Californie, et une bouée
recueillie sur la côte ouest de l'Amérique, a été reconnue pour
une de celles que les Russes avaient placées à l'embouchure de
l'Amour (2). Rien, assurément, n'empêche que des faits sem-
blables ne se soient produits durant des siècles antérieurs au
nôtre. Quelques malheureux naufragés ont bien pu s'établir dans
le pays, assurément ils n'ont pu le peupler (3).
Il est enfin un dernier argument que nous ne pouvons
omettre, c'est la ressemblance qui existe entre les races mongo-
liques et les habitants du nord-ouest de l'Amérique. Cette
ressemblance est signalée par tous les navigateurs modernes, et
notamment par Wrangel (4). « Elle est telle, ajoute un autre
récit (5), que sans leur queue et leurs habits différents, il serait
difficile de distinguer les Chinois des Indiens. » On a également
prétendu voir un caractère mongolique dans le teint cuivré et
jaunâtre des habitants du Yucatan (6). Comme tous les faits qui
touchent à l'origine et à la filiation des races, ceux-ci sont vive-
ment controversés, et certains écrivains (7) s'attachent avec
(1) California Acad. of Science, — San Francisco Evening Bulletin. Marcji, 1875.
(2) Evening Standard. London, 17 sept. 1881.
(3) « The fact now well established that Japaneso vessels hâve been driven across
the Pacific upon the North West Coast, will of course suggest but one way that our
country may hâve been first populated. » Schoolcraft, Archives of Aboriginal Know-
ledge. Philadelphia, 18G0, t. III, p. 201.
(4) Nouv.Ann. des Voy., 1853, t. GXXXVII, p. 213. — Bancroft [Native Races, t. V,
p. 237) cite des faits nombreux et curieux, auxquels nous renvoyons le lecteur.
(5) Grant, Océan to Océan. Toronto, 1873, p. 304.
(6) Morelet, Vuy. dans l'Am. centrale, l'île de Cuba et le Yucatan. Paris, 1857, t. I,
p. 148.
(7) Cf. Nott et Gliddon, Warden, Recherches sur les Ajit. Mexicaines. « On doit se
garder, dans l'étude de questions aussi difficiles, de tout espèce de parti pris, leur ré-
pond avec infiniment de raison le D' Hamy, et nous trouvons autant d'inconvénient à
qualifier avec MM. de Hellwald et Gravier de serpent de mer scientifique, l'histoire du
Fou-sang et du bouddhiste Hoei-Shin, qu'à traiter de race Aryenne comme M. Lopez
de Lima, les Quechuas du Haut-Pérou. » Revue d'Ethnographie, t. I, p. 142.
LORIGINE DES AMÉRICAINS. 549
autant de soin à signaler les différences que d'autres à rechercher
les ressemblances (1) ; adhiic snhjudice lis est et dans l'état actuel
de nos connaissances, il faut se garder de trancher la question
Les objections, en effet, ne manquent pas à l'hypothèse de
l'origine asiatique des premières populations de l'Amérique. Les
immigrants, nous dit-on, n'avaient pu arriver par mer, car les
hommes qui vivaient dans l'intérieur des terres, étaient supé-
rieurs aux habitants des côtes. La civilisation mexicaine s'est
développée sur le plateau d'Anahuac, celle des Péruviens dans le
bassin du lac Titicaca ; les villes et les palais de l'Amérique cen-
trale, les fortifications de l'Ohio et du Mississipi, les tertres si
étranges du Wisconsin étaient tous éloignés de la mer. Mais cette
objection perd de sa force, si nous supposons que les immigrants,
arrivés par Je Nord, sont successivement descendus vers le Sud,
en suivant, non plus les rivages de la mer, mais le cours des fleu-
ves, qui leur offraient des ressources plus abondantes.
Aucune tradition sérieuse, dit-on aussi, n'existe chez les
peuples asiatiques sur leurs rapports avec l'Amérique ; les récits
des écrivains chinois se rapportent à des époques où la civilisa-
tion américaine était déjà parvenue à son point culminant. Cela
peut être vrai ; mais existe-t-il chez nos plus anciens historiens
quelques données si vagues qu'elles puissent être, sur la venue
des Aryas, contemporains probablement des premières immigra-
tions américaines, et songe-t-on pour cela à nier l'existence des
Aryas ou leur influence sur notre civilisation?
Si les immigrants étaient arrivés, soit par terre, soit à la suite
d'un trajet maritime de peu d'importance, comment n'auraient-
ils pas amené avec eux des animaux domestiques, leurs chevaux,
par exemple, de tout temps si recherchés par les Asiatiques?
Comment tout souvenir de ces chevaux aurait-il été si complète-
ment effacé de l'esprit de leurs descendants, qu'ils ne pouvaient
dominer leur terreur, à la vue de ceux que débarquaient les Espa-
(1) Prichard [Hist. Nat. de rHomme, trad. Roulin, t. II, p. 127) parle d'un crâne,
provenant d'un tumulas du Mississipi qui offre une ressemblance frappante avec les
crânes chinois. On pourrait citer d'autres faits semblables.
530 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
gnols? On répond bien que ces immigrations avaient lieu à des
époques où la navigation était à peine développée, et où, assu-
rément, les immigrants ne possédaient aucun vaisseau d'un ton-
nage suffisant pour transporter des bestiaux. Je donne cette ré-
ponse pour ce qu'elle vaut ; mais j'avoue qu'elle me paraît peu
satisfaisante. C'est un point obscur et qui ne peut s'expliquer
qu'en faisant remonter à des époques très reculées les premières
immigrations.
Humboldt, qui appuie cependant l'hypothèse asiatique (1),
s'étonne de rencontrer rarement en Amérique le culte phallique
si commun, au contraire, chez les Indiens. Nous avons déjà fait
remarquer cette rareté des figures du phallus ou du lingam ; elle
peut s'expliquer parla différence des mœurs et des rites religieux ;
et si nous admettons les tendances bouddhiques, que l'on croit
retrouver à Mexico, il serait possible que les missionnaires, dont
nous avons dit le rôle, appartinssent à la secte nombreuse des
Vaichava, ou adorateurs de Vichnou, qui rejetaient absolument
le culte de la force génératrice (2). 11 est vrai que des savants
éminents repoussent toute immigration asiatique (3). Lyell (4)
nous dit qu'il est impossible d'attribuer à cette origine la ci-
vilisation des Toltecs , par exemple , alors que leur langue
n'offre aucune analogie, soit avec les langues actuelles, soit avec
les langues anciennes de l'Asie. Nous avons dit que d'autres
savants, au contraire, prétendaient prouver l'origine asiatique
des populations américaines par l'identité des langues ; la con-
fusion, on le voit, est complète, et nous pouvons seulement
répéter que toutes les questions qui touchent à l'origine et à la
formation des langues, et en particulier à la linguistique amé-
(1) « Il est très remarquable aussi que parmi les hiéi-oglyphes mexicains, on ne dé-
couvre absolument rien qui annonce le symbole de la force génératrice ou le culte du
lingam qui est répandu dans l'Inde et parmi toutes les nations qui ont eu des rap-
ports avec les Hindous. » (Vues des Cordillères, t. I, p. 275.)
(2) C'est M. Langlès, je ci-ois, qui le premier a émis cette théorie.
(3) Citons notamment Prescott [Hist. of the Conquest of Mexico) ; Gallatin [Notes
on the civUized Nations of Mexico, Yucatan and Central-America) ; — Stepliens, Inci-
dents of Travel in Central-America,
(4) Travels in North America, t. II, p. 38.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 531
ricainc, sont encore si peu avancées, qu'il est impossible d'en
tirer une preuve sérieuse, soit dans un sens, soit dans un autre.
Chacun les aborde avec des idées préconçues, et les faits eux-
mêmes doivent trop souvent se plier aux théories du moment.
Dans tous les cas, si l'on veut admettre que les langues aryennes
se greffèrent sur les langues primitives de l'Amérique, il faut
également admettre que celles-ci avaient une existence anté-
rieure ; c'est là un dilemme auquel il est difficile d'échapper.
Nous vovons dans l'Amérique centrale, comme dans la vieille Egyptiens et
' " . ^ , Phéniciens.
Egypte , des populations au teint rouge et cuivré , des hom-
mes constamment représentés avec peu ou point de barbe. A
cela il faut ajouter les curieuses ressemblances que nous avons
déjà signalées entre les monuments de l'Amérique et ceux de
l'Egypte (1). La simple comparaison, au Musée du Louvre, entre
les spécimens de la céramique péruvienne et ceux de la collec-
tion égyptienne, excite une surprise involontaire. Ces mêmes
ressemblances ressortent dans la construction des pyramides et
dans l'érection des monolithes (2). Des mois égaux de trente
jours, une année de trois cent soixante jours et de cinq jours
complémentaires se comptaient à Thèbes et à 3Iexico à une dis-
tance de trois mille lieues (3). L'étoffe rayée d'une ou plusieurs
couleurs que les Mexicaines roulent encore aujourd'hui autour
de leurs corps, en la serrant à la ceinture de manière à former
un jupon qui descend au-dessous des genoux, se trouve être
exactement le costume que l'on voit aux images d'isis et que
portaient les Égyptiennes du temps des Pharaons (4). En 1862, on
a trouvé auprès de Tuxtla (prov. de Vera-Crux) une figure en
granit de près de deux mètres de hauteur dont on ne peut mé-
(1) Desjardins, Le Pérou avant la conquête Espagnole, p. 171. — Delafeld, Inquiry
into the Origin oftlie Ant. of America. Cincinnati, 1839.
(2) Gennarelli, Soc. Ant. et Ethn. Italiana, 1872. — Carmichael, On the Existence
of II Race of Red Men in Northern Africa and Southern Europa in Prehisioric Times.
British. Ass., 1863.
(3) Lettre de Jomard, citée par Bancroft, /. c, t. V. p. 62.
(4) Brasseur de Bourbourg, /. c, t. II, p. 67. On peut aussi consulter les planches
publiées par M. de Waldeck sur Palenque.
552 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
connaître le type éthiopien (1). L'île de Zapatero a fourni des
idoles, grossières représentations des colosses égyptiens. Ces
faits sont sans doute curieux; mais les égyptologues ne peuvent
rien nous apprendre sur les pictographies du Mexique, sur les
nombreux hiéroglyphes de l'Amérique centrale (2), et <à leur tour
les merveilleux hiéroglyphes de l'Egypte, qui nous ont conservé
avec une si surprenante fidélité , toute la vieille histoire du
pays, ne font nulle mention de ce continent qui aurait été dé-
couvert par les habitants de la vallée du Nil, et peuplé par leurs
colonies. Ce dernier fait paraît capital, et ne permet guère de
faire remonter aux Égyptiens la découverte du Nouveau-Monde.
La renommée des Phéniciens, comme hardis navigateurs,
est un des axiomes de l'histoire ancienne. Ils entreprirent de
longs voyages dans l'intérêt de leur commerce, nous dit Dio-
dore de Sicile (3) ; ils établirent de nombreuses colonies en
Europe, en Afrique et ne craignirent môme pas de franchir les
colonnes d'Hercule et de naviguer sur le Grand Océan. Il n'est
donc pas étonnant que leurs flottes abordassent aux Indes et
aux rivages de l'Amérique. Pour les uns, le royaume d'Ophir
serait le Pérou ; pour les autres, après la prise de Tyr par
Alexandre le Grand (232 ans avant J.-C), quelques malheu-
reux fugitifs parvinrent à s'enfuir, à gagner les îles Fortunées
et de là, le continent américain (4) ; des écrivains récents ont
même prétendu reconnaître la trace de ces navigateurs phéni-
ciens (5). Il est prouvé que les anciens ont navigué sur l'At-
lantique, et il est très possible qu'ils aient débarqué ou qu'ils
aient été jetés par la tempête sur les côtes du Nouveau-
(1) Soc. Mex. Geog. Bol. T Epoca, t. I, p. 292.
(2) M. de Waldeck seul reproduit plus de 1,400 hiéroglyphes différents.
(3) Liv. V, g§ 19, 10. On peut aussi consulter le Périple d'Hannon, où ce navigateur
célèbre raconte ses découvertes. Son récit imprimé pour la première fois à Bâh; en 1533
a été inséré par M. Miller dans les Géographia veteris scriptores Minores. Didot, 1855.
(4) G. Jones [Hist. of Ane. America. London, 1843) a consacré un fort gros volume
à défendre cette opinion. — P. Gaffarel, Cong. des Améric. Nancy, t. I, p. 93.
(5) Nous ne parlons pas de l'Inscription de Grave Creek à l'ouest des Alleghanys,
près de Wheeling (Virginie). On s'en est beaucoup occupé un moment, et M. Levy
Bing a cru devoir en entretenir le Congrès des américanistes réuni à Nancy (Voy., t. I,
p. 215). Sa fausseté est aujourd'hui certaine.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 553
Monde (I) ; mais le passage de Diodore, que nous avons cité, ceux
d'Aristote que nous aurions pu ajouter, sont si peu concluants,
toutes les données que nous avons, sont si vagues, qu'il est bien
difficile d'étayer à leur aide un système qui se puisse défendre (2).
Un certain nombre d'écrivains ont prétendu que les premières juifs.
nations civilisées de l'Amérique, descendaient des Chananéens,
chassés par Josué de la Palestine, et qui, des côtes de l'Afrique,
étaient arrivés à celles de l'Amérique. Cette opinion, toute fan-
taisiste qu'elle puisse paraître, a trouvé des partisans : Lescar-
bot (3), au xvii" siècle, et de nos jours certains écrivains amé-
ricains, toujours à la recherche d'excentricités (4). Une autre
version qui s'appuie sur le récit d'Esdras (5), veut que lorsque
les Israélites furent vaincus et conduits en captivité par Salma-
nassar, dix tribus furent séparées de leurs frères et se dirigèrent
vers des régions inconnues. Leur migration dura un an et demi,
et au bout de ce temps, ces hommes arrivèrent au pays d'Anian,
après avoir traversé la mer qui sépare cette terre de l'Asie. On
prétend voir dans le pays d'Anian, le continent américain. La
première version connue, se trouve dans un manuscrit conservé
à la bibliothèque de Mexico (6); elle a été, depuis, généralement
acceptée par les écrivains espagnols des premiers siècles qui sui-
virent la conquête. Nous la trouvons reproduite en Angleterre,
au xvif siècle (7) ; et de nos jours, lord Ringsborough (8j a dé-
(1) On sait que Colomb lui-même recueillit à la Guadeloupe les épaves d'un navire
européen qui avait fait naufrage (F. Colombo, Hist. délia vita e de' fatti del Ammi-
raglio D. Christoforo Colombo, suo Padre. Venetia, 1709).
(2) Il faut grandement se défendre de prétendues découvertes d'inscriptions sémi-
tiques. Le colonel VVhittlesey a publié à cette occasion une brochure dont le titre, A)'-
chêeological Frauds, indique clairement le but.
(3) Hist. de la Nouvelle-France. Paris, 160!).
(4) Haven, Arch. ofthe United States; Smithsonian Institute, 185G.
(5) L. IV, c. III. Voy. aussi Rois, L. XIV, c. xvii.
{6j Ce manuscrit écrit vers 1585 est du père Duran, originaire de Tczcuco. Il forme
trois gros volumes in-folio et est intitulé Hist. Antigua de la Nueva Espana. Une co-
pie est conservée dans la bibliothèque du Congrès, à Washington.
(7) Thorovvgood, Jewes in America. London, in-4°, 1650. — L'Estrange combattit cette
théorie, et il nous paraît curieux de citer sa conclusion : « I am of opinion that the
Americans originated before the captivity of the ten tribes, even from Sem's uear pro-
geny. » [Am,ericans no Jews. London, 1654, in-4°, p. 13.)
(8) Antiquities of Mexico, 9 volumes in-f». London, 1831-1848.
554 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
pensé des sommes considérables pour prouver que c'est à ces tri-
bus d'Israël que le Nouveau-Monde doit les origines de sa civili-
sation. Adair, qui avait longtemps résidé parmi les Indiens du
Sud, était resté tellement frappé de leurs cérémonies religieuses,
qu'il ne savait les attribuer qu'à leur origine Israélite (1). L'abbé
Brasseur de Bourbourg parle à son tour avec étonnement des
types juifs, assyriens, égyptiens, qu'il avait eu l'occasion de re-
marquer durant ses longues explorations, parmi les populations
indiennes du Mexique et de l'Amérique centrale. «Plus d'une fois,
dit-il, nous avons observé des profils semblables à celui du roi de
Juda, sculptés parmi les ruines de Karnac et vu des Indiens qui,
dans leur fière nudité, ressemblaient à s'y méprendre aux belles
statues égyptiennes des Musées du Louvre ou de Turin. Une
foule d'étrangers ont remarqué avec autant de surprise que nous,
dans certains villages guatémaliens, le costume arabe des hom-
mes, et le costume juif des femmes de Palin ou de celles des
bords du lac d'Amatitlan, aussi parfaits et aussi beaux que dans
les tableaux d'Horace Vernet (2). »
La circoncision était en usage chez les Yucatecs et chez les
Aztecs, mais nous ne pouvons ajouter qu'une importance fort se-
condaire à ce fait, car cette même coutume se retrouve chez plu-
sieurs peuples qui n'ont eu aucun rapport, soit avec les Juifs,
soit avec les Musulmans (3). Un récit de Bancroft nous paraît
plus curieux (4). Deux fois, raconte-t-il, les fouilles ont mis au
jour des reliques israélites ; la première fois des extraits de la loi
écrits en hébreu, sur des feuilles de parchemin et renfermés
selon l'usage juif dans un étui; une autre fois une pierre, sur la-
(1) Hist. oft/ie American Indians. London, 1775, in-i".
(2) Hist. des Na(io?is cioilisées, t. I, p. 17 ; t. II, p. 180.
(3) On rapporte notamment son existence chez diverses tribus de l'Australie.' En
Amérique cette coutume s'est conservée chez les habitants de Goazacoalco, qui affir-
ment l'avoir reçu d'une longue suite d'ancêtres, et le P. Petitot l'a constatée chez les
Déné-Dindjies, grande famille de Peaux Rouges, qui habitent entre le 53* et le C9" degré
de latitude.
(4) Native Race-:, t. V, p. 92. Tous ceux qui veulent étudier la question doivent lire
le chap. I de ce volume ; il y trouveront entre autres renseignements importants, les
recherches bibliographiques les plus curieuses.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 555
quelle était gravé un personnage portant le costume traditionnel
du grand-prêtre et au-dessus de sa tête, les dix commande-
ments de Jéhovah en caractères hébreux. En admettant, ce que
nous sommes disposés à faire , la parfaite authenticité de ces
découvertes, rien ne permet de dire que les parchemins ou la
pierre portant les commandements de Dieu, soient antérieurs
à l'arrivée des Espagnols. L'Etat d'Antioquia enfin, qui fait
partie de la nouvelle république des Etats-Unis de Colombie, a
été, rapporte-t-on, peuplée par une colonie israélite. C'est ainsi
que l'on explique l'élément sémitique fortement représenté parmi
la population blanche, les prénoms empruntés à l'Ancien-Testa-
ment communs dans le pays, la beauté des femmes, dont le teint
brun et les grands yeux noirs rappellent les belles Juives de l'O-
rient, enfin le génie commercial des habitants, très différents en
cela de leurs concitoyens. Mais ces hommes ne sont-ils pas les
descendants des Israélites chassés de l'Espagne par les rois ca-
tholiques, et qui après avoir été forcés de recevoir le baptême,
auraient cherché un asyle dans le Nouveau-Monde, et n'est-ce
pas là l'explication la plus vraisemblable de leur origine (i) ?
Les Sagas, bien antérieurs au xvi* siècle (2), ont conservé le peuples du
souvenir des longues et périlleuses navigations des hommes du rope. '
Nord, et nous apportent la première preuve sérieuse de rapports
entre les Européens et les Américains. Dès 877, l'Islandais Gun-
biorn découvrait le littoral montueux du Groenland. D'autres
attribuent cette découverte à Eirekr-Raiidi (Eric le Rouge) (3) ;
mais si ce point reste douteux, il paraît certain que le Mark-
land, où l'on a voulu voir tantôt Terre-Neuve, tantôt la Nou-
velle-Ecosse, fut visité en 986, par Bjarne-Herjulson; en 1007,
(1) Vergara y Vergara, Hist. de la Literatura en Nueva Granada.
(2) Ces sagas sont reproduits dans le Heimskringla ou Imago Mundi composé en
1241 par Snorri Sturluson , et mentionnés dans le Codex Flaloensis, compilation
écrite au plus tard en 1396, dans un monastère de l'île de Flatoë et conservée aujour-
d'hui aux Archives royales de Copenhague.
(3) De Costa, The Precolumbian Discovery of America. On trouvera dans le Journal
de la Soc. Roy. de Géog. de Londres un résumé de tous les faits qui peuvent justifier
la théorie norvégienne ou islandaise de la découverte de l'Amérique. — B. Grondais,
Congr. Âmà'ic. Nancy, 1875, t. I, p. 37. — L. de Rosuy, Idem, p. 13.
556 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
puis encore en lOH, par Thorfinn-Rarlœfni. Le premier voyage
de Thorfinn est resté célèbre ; il put successivement reconnaître
quelques parties de l'Amérique septentrionale, les côtes du Mas-
sachussetts, peut-être même la baie de New- York. Les Islandais
occupèrent vers la même époque, une partie du Labrador, auquel
ils donnèrent le nom de Vinland, à raison de la quantité de rai-
sins sauvages que le pays produisait. De semblables expéditions
n'ont rien qui puisse surprendre ; il est certain que bien avant le
x^ siècle, les Scandinaves construisaient des bateaux pontés,
marchant à la voile et à la rame et portant jusqu'à cent hommes
d'équipage (1).
Les curieuses recherches de Rafn (2) nous montrent non plus
la découverte, mais la coloni-sation du Groenland (3), par des
chefs Scandinaves qui avaient fui l'Islande, pour échapper à la
tyrannie d'IIarald aux cheveux d'or. Une bulle du pape Gré-
goire IV, de 835, fait mention des missions du Groenland. Un
évêché était érigé en 1124, et jusqu'au xv siècle, les habitants de
ces côtes aujourd'hui si inhospitalières, payaient annuellement
au Saint-Siège à titre de dîme, 2,600 livres pesant de dents de
morse. Le commerce et la civilisation de ces contrées s'arrêtè-
rent à la suite d'un refroidissement graduel, attesté par des
modifications profondes dans la faune, dans la flore et dans les
conditions biologiques (4).
Auprès delà rivière Taunton dans le Massachussetts, se dresse
un bloc ératique de gneiss, en forme de pyramide tronquée (5).
Ce bloc est connu depuis 1680, sous le nom àeDighton Rock. Il est
couvert de dessins, de figures humaines et de véritables caractè-
res qui, jusqu'à ce jour, ont défié toutes les recherches des archéo-
(1) Gravier, Découverte de V Amérique par les Normands au dixième siècle. — Rev.
d'Anthr. Janv. 1881.
(2) Ant. Americanx sive Sa'iptores Septentrionales rerum anle Colombianarum in
America edidit Soc. Regia. Ant. Sept. Hafniae, 1837.
(3) Des pierres chargées d'inscriptions runiques, muets témoins des premiers co-
lons, ont été découvertes à plusieurs reprises dans le Groenland.
(4) Les Premiers Hommes et les Temps Préhistoriques, t. II, p. 154, 161, 391.
(5) Ce bloc mesure 4 mètres à sa base sur l^.TO de hauteur.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. So7
logues (1). Celte inscription n'est assurément pas due aux Peaux
Rouges; on connaît bien d'eux quelques rares représentations
d'hommes ou d'animaux; mais ils n'ont jamais connu l'emploi de
signes pouvant représenter des mots. L'explication la plus plau-
sible, est d'attribuer leur origine aux premiers navigateurs Scan-
dinaves et, si l'on veut, à leur chef Thorfinn, dont on a même
prétendu lire le nom (2).
Les Islandais avaient été devancés sur le Nouveau-Continent
par les Irlandais, si nous devons accepter soit une légende
pieuse qui veut que dès le cinquième siècle, saint Patrice avait
envoyé des missionnaires aux îles américaines (3), soit le récit de
certains Sagas, qui parlent d'un pays appelé Huitramannaland
ou Irland-it-Mykla. Ce pays découvert par Thorfmn était ha-
bité, selon le témoignage de quelques Skrœllings ou Esqui-
maux, par des hommes vêtus de blanc, qui marchaient en chan-
tant et en portant des drapeaux suspendus à des perches. On a
voulu voir dans ces hommes, connus seulement par ce vague
récit, des moines chrétiens, successeurs des missionnaires irlan-
dais (4).
Les annales galloises racontent à leur tour, un voyage entre-
pris à la fin du douzième siècle par Madoc, fils d'Owen Gvvinedd,
prince de Galles. Baldwin prétend qu'il fonda une colonie dans
la Caroline (5). D'autres chroniqueurs placent cette colonie soit
dans la Virginie, soit dans la Floride. Ces faits, le teint blanc
et les yeux bleus des Mandans (6), certaine ressemblance entre
leurs canots et les coracles ou bateaux des anciens Gallois (7),
(1) Ces inscriptions ont été reproduites dans le compte rendu du Congrès américa-
caniste de Nancy, t. I.
(2) Gravier, Le Roc de Dighton. Cong. des Amer. Nancy, 1875, t. I, p. 1G6.
(3) Monasticon Britannicum, p. 131, 132, 187, 188.
(4) E. Beauvois, Cong. des Americ. Nancy, 1875, t. I, p. 41. — Luxembourg, 18'i7,
t. I, p. 174.
(5) Prehistoric Nations. New-York, 18G9. Alonso de Hojeda, gouverneur espagnol du
Venezuela, rapportait dès 1501, la présence depuis plusieurs années de navigateurs
anglais sur la côte occidentale (Navarette, Coll. de las Viages y Descubrimientos, t. III,
p. 41, 86, 88, 543, 545).
(6) Schoolcraft, Arch. of Aboriginal Knowledge, t. II, p. 320.
(7) Les coracles sont faits de peaux de buffle appliquées sur une carcasse de roseaux
Grecs et Ro-
mains.
558 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
sont les seuls témoignages qu'il a été possible de recueillir à
Tappui de la yersion que les Celtes furent les premiers à tra-
verser la grande mer. Faut-il même mentionner une lettre du
Rev. Morgan Jones, écrite en 1686 mais publiée seulement
en 1740 (1)? 11 raconte qu'étant chapelain du général Bennett,
il avait été fait prisonnier, dans la province de New- York, par
les Indiens Tuscarora, et qu'il allait être mis à mort, lorsqu'une
exclamation en gallois lui sauva la vie. Les Indiens compre-
naient cette langue qui avait été celle de leurs pères; elle s'était
fidèlement transmise de génération en génération, et durant son
séjour parmi eux, Jones put prêcher et se faire comprendre de
nombreux auditeurs ; ce récit légendaire est cher aux Celtes de
tous les pays ; c'est à ce titre que nous le reproduisons (2).
L'étendue et l'importance des villes du Mexique et du Pérou,
les chaussées pavées, les ponts, les aqueducs construits par les
habitants (3), le goût qu'ils témoignaient pour les combats de
gladiateurs, la découverte enfin, bien peu authentique, de quel-
ques monnaies, telles sont les faibles preuves à l'aide des-
quelles, on prétend attribuer au peuple romain les premières
colonies et les premiers progrès du continent américain.
Nous discuterons moins longuement encore les ressemblances
que Brasseur de Bourbourg prétend établir entre les divinités
de la Grèce et celles du Mexique. Ces ressemblances sont des
faits accidentels qui se rencontrent dans toutes les mytho-
logies.
Malais et Po- Nous avous déjà parlé de la possibilité d'immigrations partant
lynesiens. ^^ Tlndo-Chine et arrivant par la longue chaîne des îles du
Pacifique, jusqu'aux côtes occidentales du Nouveau-Monde. Les
habitants de ces îles ont dû, eux aussi, aborder à plusieurs
ou de baguettes. Catlin, Illustrations of the Manners, Customs and Condition of thc
North Americans ludions. London, 1806, t. II, p. 261.
(1) Gentleman's Magozine, ad. an.
(2) Peut-être devrait-on également rappeler le voyage entrepris par l'un des deux
frères Nicolas ou Antonio Zeno vers le Nord. Ils abordèrent au Groenland.
(3) Il suffit de rappeler le portique de Kabah (fig. 134) et l'aqueduc du Rodadero à
Cuzco (flg. 168).
L'ORIGINE DES AMERICAINS. 559
reprises sur le continent américain ; et, Pickering (I) croit avoir
trouvé toute une zone malaise (2) s'étendant des côtes du Pérou
jusqu'à celles de la Californie. M. Virchow et d'autres an-
thropologis tes éminents rapprochent les populations de l'Amé-
rique du Sud, des Malais et signalent les difîérences qui les
séparent des races mongoliques. Il est vrai que les mers pro-
fondes rendaient ces communications difficiles durant les
temps, oii nous savons d'une manière certaine l'existence de
l'homme; mais les insulaires de la Polynésie étaient d'excellents
marins ; ils entreprenaient sans crainte de longues expéditions
sur des bâtiments de faible tonnage et de mauvaise construc-
tion (3). Les courants et les vents qui régnent habituellement
sur l'océan Pacifique facilitent cette navigation ; ils condui-
raient rapidement dans les parages de Quito un canot détaché
de l'île de Pâques (4). D'autres témoignages concordent avec ce
fait important ; on trouve dans les îles de la mer du Sud, des
outils et des armes en silex ou en jade absolument semblables
à ceux du Pérou, et une massue en bois provenant de fouilles
faites dans la Colombie, rappelle exactement une massue poly-
nésienne. « Comment arrive-t-on, s'écrie M. Taylor, à une uni-
formité aussi complète (5)? La conclusion que partout l'homme
exécute les mêmes choses sous l'empire des mêmes circonstances,
peut bien l'expliquer partiellement ; mais il est douteux que
cette explication puisse s'étendre au plus grand nombre des faits
observés. L'autre côté de la question montre cette similitude
due aux rapports qui ont existé entre les hommes, et la vérité pro-
bable est qu'elle tient aux deux causes, sans que nous puissions
bien définir la proportion, dans laquelle chacune d'elles a agi (6).»
(1) The Races of Men and their Geographica' Distribution. Philadelphia 1848. —
Admirai Fitzroy, On the probable Migrations and Variations of the earlier Fauilies
of the Humai Race. Traus. Ethn. Soc, 1858.
(2.) La race Malaise semble issue du mélange d'éléments blancs, jaunes et noii-s, en
proportion inégale et variable.
(3) John Williams, Missionary Entreprises, p. 512.
(4) SirO. Dilke, Greater Britain, p. 255.
(5) Early History of Mankind, p. 206.
(6) Il paraît même inutile de discuter une autre hypothèse, l'origine américaine des
560 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
En résumé, il est certain qu'avant la découverte de Christophe
Colomb, des marins, des aventuriers appartenant à des pays
différents, avaient pénétré sur divers points de la terre d'Amé-
rique (1) ; des naufragés s'y étrdent sans doute établis; mais ces
individus isolés, loin de modifier le type existant, avaient dû
être rapidement absorbés par les races au milieu desquelles ils
vivaient ; leur présence n'a pu avoir sur la population qu'une
importance secondaire. Les seules immigrations sérieuses sont
celles des Malais, qui ont peut-être précédé les Asiatiques dans
l'Amérique du Sud, puis celles des Asiatiques eux-mêmes. Il
paraît aujourd'hui certain que ces derniers, à des époques diffé-
rentes, encore indéterminées, avaient envoyé par l'Atlantique,
surtout parle Pacifique, de nombreuses colonies, qui ont apporté
de profondes modifications chez les indigènes, qui ont influé
sur leurs idées religieuses, comme sur leurs conceptions artisti-
ques, et qui ont aidé au développement d'une civilisation, dont
la ressemblance avec celle des peuples de l'ancien continent
éclate à chaque page de cette étude. Mais toutes les immigra-
tions, dont on peut retrouver la trace remontent à des épo-
ques relativement modernes. A ce moment, l'Amérique comp-
tait déjà des habitants ; nous sommes en face de populations
bien antérieures à toutes les traditions reçues. Ce sont ces popu-
lations barbares et nomades, contemporaines d'animaux dis-
parus, ignorantes de toute culture, se nourrissant des mollusques
de la mer ou des rivières, du produit de leur chasse ou de leur
pêche, dont nous cherchons l'origine. Une dernière hypothèse
reste à examiner, celle de l'existence dans les temps préhisto-
Polynésiens. Elle a été mise en avant pour la première fois en 1803 par Zuniga, l'un
des historiens des Philippines, et soutenue de nos jours par plusieurs savants dis-
tingués. Mais un examen attentif des preuves alléguées à son appui ne permet guère de
l'entretenir, et c'est avec raison que M. de Quatrefages, avec sa grande autorité, la relè-
gue au rang des fables.
(1) A tous les peuples, que nous avons cités comme" les premiers occupants du sol
américain, il aurait peut-être fallu ajouter les Basques qui s'attribuent l'honneur de la
découverte de Terre-Neuve (F. Duro, Lapescade los Vascongados y el descubvimiento
de Terra Nova].
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 361
riques de ce vaste continent, auquel l'histoire et la fable ont
donné le nom A' Atlantide.
Une terre plus vaste que l'Asie et la Libye réunies, douée d'un LAtiantide.
air pur, d'un climat doux, d'un sol fertile, s'élevait jadis au delà
des colonnes d'Hercule et s'étendait au loin dans l'océan Atlan-
tique. Les Atlantes, tel fut le nom donné aux habitants, étaient
soumis à des rois, dont la conquête avait assuré la domination.
L'Egypte jusqu'à la Libye, l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie obéis-
saient à leurs lois. Les peuples en deçà de ces limites s'unirent
pour leur résister, les Athéniens se mirent à leur tête et, après
une longue et sanglante lutte, ils restèrent vainqueurs de la
puissante armée qui prétendait asservir l'Europe et l'Asie. Les
forfaits des Atlantes provoquèrent le courroux céleste ; l'éruption
soudaine d'un volcan et un tremblement de terre vinrent détruire
leurs demeures ; puis un déluge, tel que les hommes n'en virent
jamais, fit disparaître en une nuit l'Atlantide, dont les Canaries,
les Açores, les îles du Cap- Vert et Madère sont les muets témoins.
Tel est le récit que firent à Solon les prêtres de Sais, en ajou-
tant que ces événements avaient eu lieu 9,000 ans avant sa
venue en Egypte. Son authenticité paraît incontestable ; Critias,
dont le grand-père était le contemporain de Solon, l'avait ra-
conté à Socrate, et Platon, qui le tenait de la bouche même de
Socrate, l'a transmis à la postérité (1). Une tradition constante
avait conservé à Athènes la mémoire de ces faits, et dans les petites
Panathénées célébrées en l'honneur de Minerve, on portait un
péplum qui rappelait la protection de la déesse dans la guerre,
que les Athéniens avaient dû soutenir contre les Atlantes (2).
D'autres écrivains mentionnent à leur tour l'Atlantide. Aris-
lote (3) parle d'une grande île, Antilla, à plusieurs journées de
navigation du continent; elle avait été, rapporte-t-il, découverte
et colonisée par les Carthaginois ; mais ils cachaient son exis-
(1) Timée, éd. Ou Panthéon littéraire, t. II, p. 643. On peut aussi consulter Critias,
trad. V. Cousin, t. XII.
(2) Bekker, Comment, in Platonem, t. II, p. 395.
(3) De Mirahilibua auscultationibus, c. iv.
De Nadaillac, Amérique. 36
562 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
tence avec un soin si jaloux, qu'ils faisaient mourir ceux qui
osaient la nommer. Diodore de Sicile (1) cite aussi une île située
à l'ouest de la Libye ; il ajoute ce détail important qu'elle était
arrosée par des fleuves navigables, ce qui témoigne de son éten-
due. Théopompe, qui écrivait comme Platon, au quatrième siècle
avant notre ère, rapporte (2) que l'histoire de l'Atlantide avait
fait partie des enseignements donnés par Silène à l'antique roi
Midas, et Virgile dans l'Enéide (3) en a immortalisé le souvenir (4).
De l'autre côté de l'Atlantique, nous trouvons une tradition
constante de cataclysmes, de déluges, d'éruptions volcaniques,
ayant amené la destruction de régions immenses, de continents
entiers. Ces traditions peuvent être exagérées; il est impossible
qu'elles reposent uniquement sur des faits imaginaires (5).
Ces témoignages concordants de l'histoire et de la tradition
(1) Bibl. Hisi., 1. V, c. xix, trad. Hoefer, t. II.
(2) Il ne reste de Théopompe que quelques fragments reproduits dans les Hù't.
Grsec. Fragmenta de la collection Didot. Celui que nous citons a été conservé par
Elien {Hist. Div., 1. III, c. xviii) ; voici le passage le plus important du récit de Si-
lène : « l'Europe, l'Asie et la Libye étaient des îles, autour desquelles coulait l'Océan
comme un cercle ; mais il est une autre île, en dehors de ce monde, qui seule mérite le
nom de continent. »
(3) L. VI.
(4) Nous bornons là nos citations; il serait facile de les multiplier. Ammien Marcellin
appelle l'Atlantide « Insulu Orbe spatiosior. » Proclus dans son commentaire sur Timée
parle également de cette île, qui exerça durant un long espace de temps une domina-
tion incontestable. Timagène, qui vivait vers le premier siècle avant l'ère chrétienne,
raconte que les récits des Druides s'accordent avec ceux de Platon et de Théopompe.
Hérodote (L. IV, c. clxxxiv, p. 234, éd. Didot), Pomponius Mêla (L. I, c. iv et viii),
Denys de Mitylène {Argonautiques, Hist. Grcec. Fragm., t. II, p. 9) signalent tous
les Atlantes comme un peuple puissant ; ils les appellent indifféremment. 'AtXàvxE;,
'ATXtxvTEOt, 'Atapàvre;. Traditur, dit à son tour Pline (L. VI, ss. 4G, trad. Littré,
p. 272), alla insula contra montein Atluniem et qua Atlantis appellata. Enfin Sénèque
s'écrie :
Veulent annis sœcula seris, . •
Quibus Oceanus vincula rerum , ,
Laxet, et ingens pateat tellus
/ Tethysque novos detegat orbes,
Nec sit terris ultima Thule.
Médée, v. 375 et s.
Il faut citer ces vers remarquables, bien qu'on puisse aussi bien les appliquer à,
l'Amérique qu'à l'Atlantide.
(3) Brasseur de Boui-bourg, le Popol-Vu/i, ch. m.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 563
sont importants, et bien que les données paraissent vagues et
obscures, la science parviendra peut-être un jour à les éclaircir
et à les compléter.
Une première remarque s'impose : Nous suivons les traces
des premières immigrations des Aryas; nous voyons bien cet
hommes partir du fond de l'Asie, envahir successivement l'Inde,
la Perse, les différentes régions de l'Europe; mais des races
nombreuses, des peuples entiers restent encore étrangers, non
seulement aux Aryas, mais aussi à toutes les filiations que l'on
a prétendu établir. Les Egyptiens se disaient autochtones, créés
par le dieu Horus sur la terre même qu'ils habitaient (1). S'ils
avaient été d'origine asiatique, comment le cheval, qui ne paraît
que sous la dix-huitième dynastie, le chameau importé seule-
ment vers le quatrième ou le troisième siècle avant Jésus-Christ,
leur seraient-ils restés si longtemps inconnus (2) ? D'où pouvait
sortir cette population de quelques millions d'habitants, isolés
dans la vallée du Nil, sans lien avec les populations voisines?
La même question se pose pour les Berbères, les Ibères, les
Etrusques, dont on relève les caractères communs. Dans toute
la région Atlantique, dit le docteur Lagneau (3), dans les
Canaries, dans la Berbérie ou Mauritanie, si différente sous
le rapport zoologique du reste de l'Afrique, dont elle était
séparée par la mer du Sahara, il se trouve une race humaine
identique. A cette race se rattachent les Kabyles, les Corses, de
nombreux habitants de l'ancienne Bétique et de la Lusitanie,
certains Basques du Guipuzcoa, les Troglodytes dont les osse-
ments ont été recueillis à Sordes, àCro-Magnon, à Gibraltar, dans
la caverne de l'Homme-Mort. Ces peuples étrangers aux Aryas
ne sont-ils pas sortis d'une souche commune? et ne peut-on pas
retrouver chez les Atlantes leur origine ; dans l'Atlantide, le point
de départ de leurs migrations ?
(1) Brugsch, Hist. de VEgypte depuis les premiers temps de son existence. Leipzig,
1859, 1« p.,ch. I.
("2) A. Desmoulins, Sur la patrie du chameau à une bosse et sur l'époque de son
introduction en Afrique.
(3) Revue d'Anthr op., 1880, p. 464. —De Quatrefages et Hamy, Cranta Etknica, p. 06.
564 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Nous avons dit que la faune Américaine était essentiellement
distincte de la faune de l'ancien continent. Les mammifères, les
oiseaux, les poissons, les mollusques présentaient des différences
si nettement accusées, que les zoologistes n'ont pas hésité à les
ranger dans d'autres familles. L'étude de la flore conduit à des
conclusions analogues. Au moment de la découverte de l'Amé-
rique, la séparation dans tous les règnes était complète. 11 n'en
avait pas toujours été ainsi; les travaux qui resteront la gloire la
plus incontestable de notre siècle l'ont prouvé sans réplique (1).
Il y a quelques années déjà, M. Gaudry faisait remarquer la
ressemblance de l'éléphant qui vivait en Amérique, au début des
temps quaternaires, avec VElephas primigenms, dont on a re-
cueilli les ossements dans les environs de Paris (2). Il existe éga-
lement une grande analogie entre VElephas americanus , et
VElephas antiquus^ de nos régions, he Mastodon americanus ^Rraii
avoir eu des rapports étroits avec le Mastodon turicensis, qui a
vécu en Europe durant les périodes miocène et pliocène. Si on
réfléchit, continue M. Gaudry, qu'à côté de ces affinités des pro-
boscidiens, des affinités non moins grandes ont existé entre les
bisons, les ovibos, les rennes, les cerfs de l'Amérique du Nord et
leurs congénères Européens, on est bien disposé à croire qu'il y
a eu autrefois une communication entre l'ancien et le nou-
veau continent. Remontons encore l'échelle des temps, des re-
cherches récentes ont prouvé que la faune éocène des environs
de Reims se rapproche singulièrement de la même faune dans
le Nouveau-Mexique, L'étude des mollusques tertiaires des Etats-
Unis établit la complète identité de quelques-uns d'entre eux avec
ceux des couches françaises correspondantes, et on trouve dans
le Yang-tse-Kiang, des coquilles dont les analogues ne vivent
actuellement que dans les grands cours d'eau de l'Amérique du
Nord (3), Un nombre considérable de vertébrés tertiaires de la
(1) Hamy, De l'homme tertiaire en Amérique et des centres multiples de création
{Revue des cours scientifiques, 19 mars 1870),
(2) Bul. Soc. Geol., t. I, 3« série. Paris, 1875.
(3) Sauvage, Naiwre, 1874, t. II, et 1881, t. TI.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 565
France centrale, aujourd'hui complètement disparus, ont leurs
similaires de l'autre côté de l'Atlantique (1). Un nombre plus
considérable encore d'insectes semblables ont vécu sur les riva-
ges opposés de l'Océan et présentent à peine quelques légères
difTérences de l'Angleterre à l'Alabama (2).
L'observation des flores fossiles a permis de constater ces
mêmes analogies entre les végétaux tertiaires de l'Europe et ceux
de l'Amérique (3). Dans les terrains tertiaires Européens on a
trouvé des tulipiers, des cyprès de la Louisiane, des robiniers,
des pacanes ou noix des États-Unis, des feuilles d'érables, de
magnolias, de sassafras, d'ifs, de séquoias californiens qui ne se
rencontrent que dans l'Amérique du Nord (4). Comment expli-
quer ces analogies, ces similitudes remarquables?
Si l'on étudie la belle carte géologique de l'Espagne dressée
par MM. Collomb et de Verneuil,- on verra trois immenses dépôts
lacustres remontant à l'époque tertiaire et couvrant près de
145,000 kilomètres carrés. Leur puissance sur plusieurs points
dépasse cent mètres ; lentement déposés en couches horizontales,
ils supposent des fleuves considérables qui ont déversé, durant un
laps de temps fort long, leurs eaux dans ces larges bassins ; ces
fleuves n'ont pu être alimentés que par des continents, dont
l'étendue devait correspondre au volume des eaux. Ces conti-
nents n'ont pu exister que vers le nord-ouest de l'Espagne. Au
nord, en effet, les roches des Pyrénées, à l'ouest, les granits et
les gneiss des monts Carpentaniques, les massifs siluriens de la
(1) Nous pouvons citer parmi eux les Chelydres dont les congénères appartiennent
à l'Amérique du Nord ; les Didelphes qui rappellent les Sarigues de l'Amérique du
Sud; les Geotrtjpes qui lient nos taupes aux Condyures des États-Unis ; les Archœomis
et les Palnnœma qui rappellent les formes les plus caractéristiques de la faune Sud-
Américaine; un tapir presque identique au T. americanus ; un ours qui ressemble à
celui des Cordillères ; un Megathcrion qui diffère peu de celui du Brésil (Hamy, /. c).
(2) On a découvert récemment dans les travertins éocènes de Sézanne qui, selon
toute apparence, appai tiennent à la base des terrains tertiaires, un coléoptère qui vit
aujourd'hui au Brésil.
(3) Les travaux de M. Unger [Die Versimkene Insel Atlantis), de M. O. Heer {Flora
tertiaria Helvetias},d\i marquis de Saporta [Ass. Franc., Montpellier, 1879) ne peuvent
laisser de doute à cet égard.
(4)Gafifarel, Revue <'e Géog., 1880.
566 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Sierra Morena et des monts Lusitaniques barraient déjà com-
plètement le passage aux fleuves. Au sud et à l'est, les dépôts
tertiaires marins de l'Andalousie, de Murcie, de Valence et de la
Catalogne formaient les rivages d'une mer intérieure. C'est donc
au nord-ouest, entre les côtes de l'Espagne et celles de l'Irlande,
qu'il faut chercher cette Atlantide qui a pu servir de pont, si ce
mot est permis, aux migrations plus ou moins lentes des plantes,
des animaux, de l'homme lui-même.
Que l'Atlantide ait été située vers le nord, que ses limites aient
été reculées vers le sud, il est difficile de rien préciser, et toutes
les hypothèses sont permises (1). Nous croyons seulement que les
documents historiques, les faits anthropologiques et géologiques
que nous avons cités, prouvent l'existence de vastes terres dispa-
rues, soit par une de ces catastrophes brusques, rares dans l'his-
toire moderne du globe (2), soit par un affaissement lent et con-
tinu que la géologie permet d'affirmer dans le passé et qui
s'accomplit sous nos yeux, sur tant de points différents. Mais nous
restons encore dans une ignorance profonde sur la forme, l'é-
tendue, la position même de ces continents (3). Il est même pro-
bable qu'ils ont dû éprouver durant le cours des siècles des
changements considérables, avant-coureurs de leur disparition
complète. Les sondages du Challenger (4) ont montré qu'un
émergement de 1,800 mètres serait nécessaire pour rattacher
(1) Bory de Saint-Vincent avait entrepris de dresser la carte conjecturale de l'Atlan-
tide {l'Homme, Essai zoologique sur le genre humain) .
(2) Ou a prétendu que l'Atlantide s'était afifaissé dans les flots, à l'époque où la région
qui s'étend des Carpathes au plateau central de l'Asie et qui était couverte par rOcéan
Scythique en est sortie. J. Clavé, Hydrologie de l'Afrique {Rev. des Deux-Mondes,
l"mai 1882).
(3) Nous n'avons à parler ici que de l'Atlantide. Sur d'autres points, la forme des terres
a singulièrement varié depuis les temps géologiques. Si l'on jette les yeux sur une carte
des pays tertiaires, on sera surpris de la différence que présente la configuration des
continents, avec celle à laquelle nos yeux sont accoutumés. Pour n'en citer qu'un seul
exemple, la Bretagne, le Cornwall, l'Irlande, les îles du canal de Saint-Georges, les
îles Scilly sont les sommets restés émergés d'un continent qui s'étendait fort loin
dans l'Atlantique.
(4) Sir G. Wyvilie Thomson, The Atlantic. — Scienti fie American, 28 July 1877. —
Le journal anglais Nature reproduit dans ses numéros 383 et 391 la carte de ces
sondages.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 367
Madère au Portugal, les Canaries à l'Afrique. D'autres sondages
ont fait connaître, à des profondeurs variant de 1,800 à 3,600 mè-
tres, une série de montagnes et de vallées se continuant à travers
l'Atlantique de l'est k l'ouest, sur une longueur de plus de
mille miles. Les Açores, Saint-Paul, Tristan d'Acunha restent
les pics de cette chaîne submergée, dernier vestige peut-être
de l'Atlantide. En poursuivant cette voie féconde, les recherches
ultérieures de la science permettront de pénétrer les secrets
que l'Océan garde encore dans ses eaux. Peut-être, d'ailleurs, si
la vie persiste assez longtemps sur notre globe, nos arrière-
neveux verront-ils l'Atlantide, par un relèvement semblable à son
affaissement, reparaître à leurs yeux et justifier d'une manière
éclatante les hypothèses de leurs ancêtres sur les premiers
hommes qui ont peuplé le continent américain (1).
11 existe enfin une opinion soutenue avec ardeur de l'autre ^*47^„^"*"'
côté de l'Atlantique et dont nous trouvons les traces dès le dix-
huitième siècle (2). Morton (3), Nott et Gliddon (4), Agassiz (5),
bien d'autres à leur suite, uniquement préoccupés des différences
qui existent comme type, comme langage, comme civilisation,
entre les races américaineset celles de l'ancien continent, ne veu-
lent pas admettre qu'elles puissent descendre d'ancêtres communs.
« La race américaine, s'écrie Morton, est essentiellement dif-
férente et séparée de toutes les autres; et si on les considère sous
(1) De nombreux auteurs ont traité la question ; parmi les travaux plus intéressants,
nous citerons : Bailly, Lettres sur V Atlantide de P/a^o/i ;— Brackenridge, Views o'
Louisiana. Pittsburg, 1814; — Moreau de Jonnès, VOcéan de<! anciens; — Brasseur de
Bourbourg, Ms. Troano. Paris, 1869-78; — D'Arbois de Jubainville, les Premiers Habi-
tants de l'Europe. A ces noms, il faut ajouter ceux de MM. Hamy et Lagneau, dont
nous avons parlé.
^2) « God bas created an original pair hère, as well as elscwhere. » Roman's, Concise
Nnt. Hist. of E. and W. Florida. New- York. 1775, p. 55.
(3) Crania Amej-icana or a comparative View of the Skulls of vaiious Aboriginal
Nations ofNorth and South America. Philadelphia, 1839.
(4) Types ofMankind, in-4'.London and Philadelphia, 1854. — On peut aussi consul-
ter Pickering, The Races of Men and their Geographical Distribution. New-York and
Philadelphia, in-4'', 1848; — Sir G. Lyell, The Antiquity of Man ; Forshey, Squier et
d'autres savants éminents.
(5) Sketches of the Naiural Provinces of the Animal World and their Relation to
the différent Types ofMen.
568 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
leurs aspects physiques, moraux ou intellectuels, nous ne pou-
vons voir aucun rapport entre les peuples de l'Ancien et du Nou-
veau Continent. Si même on parvient à prouver plus tard que les
arts, les religions, les sciences de l'Amérique remontent à des
sources exotiques, je maintiendrais encore que les caractères or-
ganiques de notre peuple, toujours persistants à travers ses rami-
fications sans fin de tribus et de nations, prouvent que tous ap-
partiennent à une môme race et que cette race est différente de
toutes les autres (1). » Quelques années après, il reprenait la môme
thèse, avec plus de véhémence encore : « Je déclare, répétait-il,
que seize ans de travaux incessants n'ont fait que confirmer les
conclusions posées dans les Crania Americana^ que toutes les na-
tions de l'Amérique, à la seule exception des Esquimaux, appar-
tiennent à la môme race et que cette race est complètement dis-
tincte de toutes les autres (2). »
Agassiz avait depuis longtemps émis l'opinion qu'il avait existé
des centres de création différents pour les animaux. Il avait fini
par étendre cette hypothèse aux races humaines. « Nous soute-
nons, disait-il, que comme les autres ôtres organisés, les
hommes n'ont pu paraître individuellement; les hommes ont été
créés par nations, comme les abeilles par essaims (3). »
Ecoutons encore M. F. Muller (4) : « L'Amérique, en exceptant
la région du Nord occupée par les Innuits (5) appartenant à la
race hyperboréenne, est habitée par une seule variété humaine,
qui ne présente ni par ses caractères physiques, ni par ses parti-
cularités intellectuelles, aucune franche parenté avec les « races
habitant le monde ancien ».
« Pourquoi, dit enfin un écrivain contemporain (6), ne pas
(1) An Inquiry into the Distinctive Characters of the Aboriginal Races of America,
p. 35.
(2) Ethnologij and Archceologij of American Aborigines. Newhaven, 1846, p. 9.
(3) Nott and Gliddon, Types of Manhind, p. 78.
[i) AUye)7îeine Ethnographie, p. 24G.
(5) Tel est le uom donné aujourd'hui aux Esquimaux ou du moins à une de leurs
tribus les plus importantes.
(G) Simonin, l'Homme Américain. Paris, 1870.
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. 1^9
supposer des centres de création ou d'apparition difîérents?
«... Pourquoi supposer à plaisir, pour la race humaine, une
unité qui n'existe point et surtout des migrations qui n'ont pas
eu lieu ? Encore aujourd'hui il serait impossible à des Européens
de franchir le continent américain, je ne dis pas de New- York
à San-Francisco, mais même de Panama à Aspinwall, s'ils n'a-
vaient pas les chevaux, les diligences, les chemins de fer; et l'on
veut que des sauvages aient descendu toutes ces régions le long
de l'Atlantique et le long dTi Pacifique (1) !... On ne compte donc
pour rien les Andes, les Sierras, les animaux malfaisants, les
forêts impénétrables, les climats torrides et malsains. Par les itiné-
raires qu'on suppose, la route est impraticable, et les sauvages
l'auraient suivie, l'auraient ouverte ! erreur! »
« Aujourd'hui même, les Indiens des contrées boréales ne tien-
nent jamais dans les Prairies ; les Indiens des Prairies, quoique
très nomades et chassant sur des étendues de terrain considérables,
ne descendent jamais sur les plateaux mexicains ; les Indiens
du Mexique ne quittent jamais leur sol natal. Pourquoi donc
tous ces Indiens auraient-ils autrefois tenté les migrations que
l'on suppose, du détroit de Behring au détroit de Magellan. »
Les conclusions de M. Simonin sont nettes. « L'homme
américain, continue-t-il, est un produit du sol américain (2). »
La différence radicale entre la faune et la flore de l'ancien et
du nouveau continent est un argument dont on ne saurait con-
tester l'importance. Nul ne peut croire que l'ocelot ou le jaguar
par exemple, qui font entendre leurs rugissements du Rio Gila
jusqu'aux bords de l'Amazone, soient arrivés à la nage, de l'Asie
ou de l'Afrique ; ou bien que les hommes les aient amenés à
leur suite de régions où rien, absolument rien, ne prouve leur
existence antérieure. Si donc nous sommes forcés d'admettre
des centres de création différents pour les animaux, pourquoi
l'homme seul formerait-il une exception dans la nature ?
(1) Comment M. Simonin explique-t-il donc les migrations non pas des Aryas, il
pourrait les nier; mais celles très indiscutables desCimbres, des Teutons, des Francs,
des Huns.
{2)L.c., p. 12.
570 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Nous avons tenu à citer les propres paroles des écrivains les
plus autorisés qui ont soutenu la théorie d'une race autochtone,
elles ne sauraient entraîner notre conviction.
Il faudrait tout d'abord que l'on nous montrât que la race
américaine est une, semblable à elle-même depuis les régions
glacées du Canada jusqu'aux zones torrides de l'Amérique du
Sud. Or c'est le contraire qui a lieu (1) ; partout nous trou-
vons des variétés, plus nombreuses peut-être que celles qui
existent sur les anciens continents. D'Orbigny (2), après un long
séjour en Amérique, repoussait avec énergie l'idée d'un peuple
unique ; il affirmait qu'à ses yeux il existait plus de différence
entre le Patagon et le Péruvien qu'entre un Grec, un Ethiopien
et un Mongol. M. Virchow établit à son tour avec une grande
force (3) la pluralité des races du Nouveau-Monde et l'impos-
sibilité absolue de considérer ses habitants, quelque haut que
l'on remonte, comme une race pure.
Des types absolument différents se rencontrent jusque dans la
collection de crânes américains formée par Morton pour soute-
nir une doctrine, dont il était un des plus ardents propagateurs
et qui est devenue au contraire la meilleure preuve que nous
puissions donner contre elle (4). Si donc la race américaine
offre des différences typiques aussi importantes qu'indéniables,
ce n'est pas un seul, mais un nombre indéterminé de centres de
création qui seraient nécessaires ; or nous ne connaissons aucun
fait anthropologique, géologique, historique ou linguistique qui
puisse justifier cette assertion (5).
(1) Les fouilles et les recherches approfondies du D' Wilson viennent prouver une
fois de plus la fausseté absolue de ce type unique, si cher à tant d'anthropologistes
américains. 07i the supposed Uniformity of Crania throughout ail Varieties of the
Human Race. Americ. Ass. Montréal, 1857, p. 112.
(2) L'Homme Américain, t. I, p. 123.
(3) Bull. Soc. Afithr., 1882, p. 171.
(4) « There is no évidence furnished by the measurement of crania, thatan American
Race as unique in itself and distinct from the rest^of Mankind ever existed. » Short,
The North Americans of Antiquiiy, p. 165. — Retzius, Smith. Contributions, 1869,
p. 264. — Lathara, Nat. Hist. ofthe Varieties of Man, p. 452.
(5) M. Hyde Clarke disait en 1873 h la réunion de l'Association britannique : « So far
as the évidence of language is as yet availlable, and so far as probabilities go, the lan-
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS. RTl
Je sais bien que les doctrines à la mode sont plus larges.
L'homme, nous dit-on, est apparu sur des points bien divers,
quand les circonstances favorables ont permis à cette forme nou-
velle de paraître, succédant à d'autres qui peu à peu se rappro-
chaient de la forme humaine actuelle. Nous ne nous arrê-
terons pas à demander pourquoi on ne nous montre aucune de
ces formes intermédiaires, aucun débris, quelque faible qu'il soit,
qui puisse combler les lacunes existantes ; lacunes que les plus
ardents sont forcés d'admettre. Notre objection a plus de
portée ; elle s'attaque au principe même que l'on invoque, et
nous demanderons comment il se peut faire que des conditions
biologiques et climatologiques différentes, une faune différente,
une flore différente, aient abouti enfm de compte à un homme
semblable à l'homme de l'ancien monde, semblable par ses dé-
tails anatomiques ou physiologiques, semblable par ses instincts
comme par son intelligence et son génie créateur. Ces hommes
séparés par des mers immenses savaient fournir par les mêmes
moyens aux mêmes besoins, bâtir une demeure, fonder une fa-
mille, se soumettre à des chefs, élever des temples, reconnaître
par conséquent un être supérieur à eux, créer un langage, arri-
ver enfin à une civilisation comparative par un progrès incessant,
ce caractère distinctif du genre humain à travers le temps et à
travers l'espace. Comment se peut-il que des coefficients diffé-
rents, pour nous servir des mots de l'école, aient toujours abouti
à des résultats identiques ? Le domaine des hypothèses est large ;
il est toujours facile de le parcourir. Celui des faits est plus
étroit, plus difficile à aborder, et c'est cependant par les faits
seuls, il ne faut jamais l'oublier, que l'on assure le vrai progrès
scientifique.
Pour les animaux, pour les mammifères notamment du Nou-
veau-Monde, les différences qui les séparent de ceux de notre
guage and culture of America are connected with those of the old world and there is
no exclusive or indigcnous American language, grammar or culture. The inference
drawn is that an original community of races and culture was arrestcd in its develope-
raent by the stoppage of the migration of the advanced races. » Tke Migration of
Man zn Relation to Comparative Philology, p. 41.
572 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
continent sont telles, que l'on ne saurait leur trouver, parmi les
espèces actuelles de l'Europe ou de l'Asie, ni ancêtres, ni congé-
nères. La conclusion naturelle est qu'ils n'ont pu arriver du
vieux monde. « L'homme, au contraire, a dit excellemment
M. de Quatrefagcs en parlant des Américains, appartient au type
des anciens continents ; seul, il est semblable à lui-même dans
deux régions si différentes au point de vue de la faune (1). »
<( L'homme, répétait-il plus tard, dans son beau livre sur V Unité
de r espèce humaine (2), ce type à part, cette espèce privilé-
giée entre toutes, alors môme qu'on ne voit en lui que l'être
physique, pouvait-il naître à la fois en tous lieux ? Non, ou bien
il eût constitué une de ces exceptions uniques, dont nous ne
connaissons pas encore d'exemples. »
Non seulement les Américains, dans l'exagération de leur ar-
deur patriotique, veulent que l'homme américain soit né sur
le sol même du nouveau continent, ils vont plus loin encore,
et ils prétendent que la race jaune était originaire d'Amé-
rique et que cette race aborigène s'est répandue sur le nord de
l'Asie, chassant devant elle vers l'ouest et vers le sud-est les
peuples qui occupaient ces régions. Puis, mêlée aux races noires,
elle aurait formé la grande famille Malaye d'un côté, et de
l'autre, par la Sibérie, elle se serait étendue sur l'Europe alors
habitée par des sauvages, les hommes de l'âge de pierre
vraisemblablement (3). C'est à cette race dominante et civilisa-
trice que seraient dus les premiers progrès de nos ancêtres et
aussi les anciens monuments qui existent dans certaines par-
ties de l'Asie, dans certaines îles de la Malaisie (4) et dont l'origine
jusqu'à présent a défié toutes les investigations de la science.
(1) l^evue des Cours scient., 18G5, p. 768.
(2) Ch. XXI.
(3) « Cuando toda la Europa estaba poblada por verdaderos salvages, en America
habia puoblos sumamente adelantados, que vivian en grandes ciudades, y levataban
suntuosos monumentos. » Ameghino, la Antiyuedad del Nombre e;i el Plata, t. I,
p. 211.
(4) Le grand temple de Palcnquc correspond si exactement à celui de Boro-Boudor
dans l'île de Java, qu il paraît impossible de contester une communauté d'origine.
{Edinburgh Review, april 1867.)
L'ORIGINE DES AMÉRICAINS- 573
C'est encore là une de ces théories faciles à poser. Nulle n'est
plus dénuée de preuves; aucun fait, si haut que nous puissions
remonter dans l'histoire des peuples, ne permet même de la
discuter.
Nous voici au terme de ces études. Nous avons exposé les dé- conclusion.
couvertes nouvelles, les théories qu'elles suggèrent. Malgré
d'innombrables et savants travaux, le peuplement de l'Amérique
reste, il faut bien le dire, un des points les plus obscurs de l'his-
toire de l'humanité. Quelques faits commencent cependant à se
dégager du chaos. Il est certain que l'existence de l'homme sur le
continent américain date des temps les plus reculés, de ces
temps auxquels la géologie a donné le nom de quaternaires,
l'archéologie celui d'âge de pierre. Ce ne serait même pas la
limite extrême, et on a voulu, comme en Europe, faire remonter
notre race à l'époque tertiaire; mais, comme en Europe, toute
preuve sérieuse manque encore à l'appui de ces assertions. En
scra-t-il toujours de même ? C'est un problème qui appartient à
l'avenir ; nous constatons ce qui est, il ne nous est pas donné de
prévoir ce qui sera.
Après ces premiers temps, restés si obscurs même dans nos
propres régions, nous voyons, non sans un certain étonnement,
les civilisations de l'ancien et du nouveau monde se dévelopner
pour ainsi dire parallèlement, suivre les mêmes phases, aboutir
aux mêmes résultats. Quels ont été les rapports entre ces races ?
Quels ont été les points de contact de ces civilisations? Ici aussi,
nous sommes en présence de problèmes difficiles ; mais bien que
nous soyons souvent réduits à des hypothèses pour les expli-
quer, nous pouvons déjà affirmer que ces rapports ont existé, que
l'Amérique a été successivement peuplée par des races très di-
verses, aux types très différents, mais qu'une élude atten-
tive permet déjà de rapprocher. « Les nations civilisées du
Mexique, de l'Amérique centrale et du Pérou, disent les savants
auteurs die?>Crania Ethnica (i), abstraction faite des déformations
(1) P. 480.
574 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
crâniennes, trop fréquemment usitées dans leur sein, se rap-
prochent de plus en plus les unes des autres, et si on tente de
les décomposer dans leurs éléments formateurs, on constate que
ces éléments sont sinon identiques, du moins extrêmement voi-
sins, quoiqu'ils ne se superposent pas dans le même ordre, sur
les divers points de l'habitat historique des peuples qu'ils ont
contribué à former. »
Parmi ces éléments, les plus importants comme nombre et
comme influence sont les immigrations asiatiques. Ces immigra-
tions des races jaunes etbrachycéphales sonl incontestables; elles
ont sûrement duré pendant de longs siècles. La plupart ont eu
lieu par les îles du Nord; les différents peuples de race Nahuatl
successivement descendus vers le sud sont les représentants les
plus directs de ces migrations. Mais avant l'arrivée de ces Asia-
tiques, d'autres hommes occupaient depuis des temps considé-
rables le continent américain; les Esquimaux au nord, les
Botocudos et les Patagons au sud pourraient bien être les repré-
sentants de cette race, refoulée comme les Basques et les Finnois
sur notre propre continent, par des vainqueurs étrangers. Pour
ceux-là, l'histoire et la tradition sont muettes, et de toutes les
suppositions mises en avant pour expliquer l'origine de ces races
dolichocéphales, celle qui paraît la mieux fondée s'appuie sur
l'existence de terres disparues soit dans un cataclysme soudain,
que l'histoire géologique du globe mieux connue pourrait seule
révéler, soit par une série de ces transformations lentes, que
nous pouvons constater et mesurer, même durant le court espace
d'une existence humaine.
Nous ne cherchons pas cependant à dissimuler combien ces
hypothèses restent précaires, combien les preuves que nous pos-
sédons ont besoin d'être confirmées ; et après de longs et patients
travaux, dont ceux qui les ont entrepris peuvent seuls compren-
dre la difficulté, il faut en finissant nous écrier comme un
savant américain : The new Woi^ld is a great mystery, la terre
d'Amérique est un grand mystère.
APPENDICE
A. — DÉCOUVERTES FAITES EN CALIFORNIE.
Chapitre I, page 40.
Nous croyons utile de résumer les principales découvertes faites
en Californie et d'y joindre la liste des mammifères qui vivaient sur
les côtes du Pacifique à l'époque quaternaire.
Comté de Mariposa, ossements de mastodonte mêlés à des osse-
ments humains et à des armes de pierre, dont la plus remarquable
est une pointe de lance en obsidienne de 5 pouces de longueur.
A Hornitos et à Princeton, des mortiers en pierre (1) avec leurs
pilons, des têtes de flèche et de lance en obsidienne avec des osse-
ments d'éléphant, de cheval et d'une espèce indéterminée se rappro-
chant du chameau.
Comté de Merced, nombreux outils auprès de Snelling.
Comté de Stanislas, une défense d'éléphant mesurant 10 pieds de
longueur.
Comté de Tuolumne. Ossements de mastodonte à pleins wagons.
Mombreux objets en pierre. Dans tous les sables aurifères, dans toutes
les failles calcaires on a trouvé des ossements d'animaux de race
éteinte associés à des produits de l'industrie de l'homme (2).
Sous les couches basaltiques de Table Mountain, il a été découvert
une mâchoire humaine avec deux têtes de lance, un pilon, et plusieurs
objets en pierre qui présentent l'apparence de nos cuillers à pot (3).
Un squelette humain a été rencontré en creusant un tunnel sous
(1) Oa cite un mortier de 18 pouces de hauteur et du poids de 50 livres, c'est un
des plus grands connus.
(2) La plus grande profondeur des fouilles fructueuses a été de 200 pieds.
(3) « Scoops or ladles with well sbaped handles. » Whitney, Auri ferons Gravels,
D. 264.
576 L'AMÉRIQUE PRÉHISTORIQUE.
Table Mountain (l);mais les détails sont encore trop incomplets pour
permettre une conclusion.
Comté d'Amador, objets divers en pierre.
Comté d'El Dorado, à Shingle Springs, des mortiers en pierre et des
ossements de mastodonte ; à Diamond Springs, des mortiers ; à Spanish
Fiat, Tools, Kitchen uslensils and ofher indestructible traces of Mans
présence and activily, dit M. Yoy, un des plus infatigables chercheurs
de la Californie. Quelques ossements humains ont été recueillis dans
un lit d'argile (2). •
Comté de Placer, près de Gold-Hill, nombreux objets en pierre ; à
Forest-Hill, un plat creusé dans un granit fort dur et mesurant envi-
ron 18 pouces de diamètre ; à Devil's Canon, deux os humains sous une
épaisse couche de lave.
Comté de Nevada, de 1853 à 1864 il a été recueilli de nombreux
objets fabriqués par l'homme.
Comté de Butte, les premières découvertes remontent à plus de
vingt ans; elles consistent en instruments, en armes^ en outils des
formes les plus variées.
Quelques traces de la contemporanéité de l'homme et des animaux
de race éteinte ont aussi été constatées dans les comtés de la Trinité
et de Siskiyou. Il est bien probable que des recherches ultérieures
compléteront les découvertes déjà connues.
Faune ter- Lcs osscmcuts dout il rcste à parler n'ont jamais été trouvés dans
leur position naturelle ; ils avaient évidemment été entraînés par des
eaux tumultueuses auxquelles les ossements des mammifères les plus
robustes pouvaient seuls résister.
Quelques-uns de ces ossements ont été recueillis sous des couches
profondes de basalte ou de lave. On ne remarque dans ces couches
aucune fissure qui puisse faire croire que les ossements ont coulé
sur les points où ils gisaient, postérieurement au dépôt de matières
volcaniques. Les espèces découvertes dans de semblables conditions
sont peu nombreuses; on n'en cite jusqu'à présent que trois qui pré-
sentent quelques conditions d'authenticité (3) : un rhinocéros [R.Hes-
perius] qui tient a la fois du li. Indicus et du R. Occidentalis ; il est
(1) Proc. Boston Soc. of Nat. Hist., t. XV, 1873, p. 257.
(2) « No one who should givo the slightest attention to the physical configuration
of the country, but must be struck with the almost inflnity of years, which hâve elap-
sed since the being, whose skeleton I had found was animated with life. » L. du D"
Boy ce, du 2 nov. 1870.
(3) J. Leidy, The extinct Mammalia Fauna of Dakota and Nebraska. Philadelphia,
1869. — Contributions to the extinct Vertébrale Fauna of the Western Territories,
Report of the U. S. Survey, Washington, 1873.
tiairc.
APPENDICE. 577
sensiblement plus petit que ce dernier ; VElotherium superbum, d'une
espèce probablement voisine de VElotherium ingens du Dakota ; un
pachyderme enfin, dont il n'a été trouvé qu'un fragment de dent.
Leidy dit en en pariant : « Apparently the fragment of an incisor or
canine of some large pachyderm, not the mastodon or éléphant, and
probably allied to the hippopotamus. »
Les espèces quaternaires sont naturellement plus nombreuses. Nous Faune qua-
^ ^ ^ ternaire .
citerons parmi elles :
Félidés, Felis Imperialis.
Canidés, un loup que le D' Leidy croit le C. Indianensis que l'on
rencontre avec le megalonyx sur les bords de l'Ohio .
Buvides. — B. latifrons.
Camélidés. M. Voy a trouvé dans le comté de Merced un lama {Au-
chenia Califo7'nica),de très grande taille; des dents provenant du comté
d'Alameda appartiendraient à une espèce plus petite [A.hestef'na).
Le D"" Snell possède dans sa collection une molaire dun grand ru-
minant trouvée auprès de Sonora ; elle ressemble à une dent recueillie
auprès de la rivière Niobrara et attribuée parle D"" Leidy à un genre
auquel il propose de donner le nom de Megalomeryx, mais qui pour-
rait bien n'être autre que le Procamelus.
Caprides. Aucun des ossements trouvés ne se rapporte d'une manière
absolue à ce genre.
Cervidés. On ne connaît qu'un métatarse provenant du comté de
Mariposa et appartenant à un Cervus plus petit que le C. Virginianus.
Proboscidiens. Nous avons déjà vu combien ils étaient nombreux en
Californie. Durant la période tertiaire et probablement durant la plus
grande partie de la période quaternaire, ils erraient librement dans
toute l'Amérique du Nord jusqu'au Labrador {\). La plupart se rap-
portent au M. Americanus. Le D' Leidy sur de légères différences a
cru cependant pouvoir créer trois nouveaux genres : M. mirificus,
M. Andium et M. obscuru^.
Les éléphants [Elephas Columbi, Falconer) étaient moins nombreux
que les Mastodontes. Un squelette complet a été découvert auprès de
la rivière Fresno, sa colonne vertébrale mesurait plus de vingt pieds
de longueur.
Equidés. On en connaît plusieurs : E. excelsus trouvé à Santa-
Maria Oil Springs ; E. Caballus, qui rappelle notre cheval actuel ; enfin
E. pacificus, la plus grande de toutes les espèces californiennes. Il
(I) « Cart loads of Mastodon bones hâve been accumulated at various places between
Sonora and the Stanislaus River at the workings in the lime stone crevices. » Whitney,
The Auriferous Gravels, p. 251.
De Nadaillac, Amérique. 37
578
L'AMÉRIQUE PREHISTORIQUE.
Floro.
a été trouvé dans le comté de Contra Costa, et M. Whitney le date
même de iV période pliocène.
Pour compléter notre étude, nous reproduisons la flore dont on a
constaté lalprésence dans les sables aurifères et dans les dépôts de
Table Mouiltain (1).
Fagus Antlpofi.
Quercus Ellpenoides.
Quercus coi^vexa.
Salix Callfoiinica.
Platanus dissecta.
Ulmus Califûrnica.
Ulmus affinisv
Ficus microphylla.
Persea pseudo^Carilinensis.
B. — .ESPÈCES TROUVÉES DANS LES KJÔKKENMODDINGS DU MAINE ET DU MASSACHUSSETS.
\ Chap. II, p. 51.
Aralia Zaddachi.
Cornus ovalis.
Acer Bolanderi.
Ilex prunifolia.
Zizyphus micropliyllus.
Rlius typhinoides.
1) metopioidos.
1) dispersa.
Cerocarpus antiqua.
[ \ =g
\
MOUNT
DESERT.
couch's
COVE.
EAGLE HILL.
COLNIT PORT.
Homo
Cervus canadonsis
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Alces aniericanus
Rangifor caribou
Cervus virginianus
Canis occidcntalis
Canis (species domcsticata")
Vulpes lu) vus
Felis
Lutra canadeasis
Putorius vison
Mustela americana
Mephitis mephitia
Phoca vitulina
Castor canadensis
Arctomyx monax
Alca imponnis
Alca torda
Anser {species duo)
Morhua americana
Lophius americanus
Buccinum undatum
Pyrula canaliculata et P. carica.
Ostrea edulis et Mya arenaria.
Venus mercenaria
Pecten tenuicostatus et P. islan-
dicus
Mactra
(I) Wiîitney, l. c, p. 235.
APPENDICE.
579
C. — ESPÈCES TROUVÉES DANS DES KJÔKKENMÔDDINGS DE l'iOWA.
Chap. II, p. 59.
KEOSOQUA.
SABULA.
BELLEVUE.
Mammifères
Bos americanus .....
»
»
1
—
Cervus virginianus
1
1
Oiseaux
Bernicla canadensis. . .
»
»
Reptiles cheloniens
Chelydra serpentina..
1
»
Trionyx ferox
„
»
Poissons
Pimelodus (?)
o
»
«
Embiotoca (?)
Mollusques
Paludina intégra {Say).
1
1
—
Unio œsopus {Green). . .
1
»
—
— anodontoides {Lea)
1
1
—
— crassus (Say) ....
— ebenus (Lea) ....
1
»
1
1
—
— gibbosus(/?arnes).
1.
1
—
— nodosus (Barnes) .
1
1
—
— ovatus (Say)
1
1
—
— plicatus {Say)
1
1
—
— pustulosus (Lea)..
1
1
—
— rectus (Lamark)..
J
»
—
— rugosus {Barnes).
1
1
—
— tuberculatus (Id.).
1
«
u
—
— undatus {Id.)
1
1
~
— ventricosus {Id.)..
»
1
ERRATA
Page 71, ligne A, au lieu de : Rio-Norzas, lisez : Rio Nazas.
166, note 6, —
176, flg. 85, -
192, ligne 6, —
305, ligne 13, —
Marck,
Stoue Gave, —
Lel County, —
fig. 112,
March.
Stone Grave.
Lee-County.
fîg. 122.
396! ligne ib, supprimez la virgule après colline et placez-la après avancée,
ligne 16.
405, ligne 17, au lieu de : fig. 165, lisez
451, ligne 14,
ligne 16,
465, ligne 5,
469, ligne 22,
471, ligne 19.
ligne 24,
473, ligne 12,
flg. 190,
fig. 197,
flg. 201,
fig. 201,
fig. 202,
fig. 203,
fig. 204,
fig. 167.
flg. 195.
flg. 196.
flg. 203.
flg. 204.
flg. 205.
flg. 206.
flg. 207.
TABLE DES CHAPITRES
Préface v
CHAPITRE PRExMIER.
L'homme et le mastodonte 1
CHAPITRE H./
Les Kjôkkenmôddings et les cavernes 48
CHAPITRE III.
Les Mound Builders ' 82
CHAPITRE IV.
Poterie, armes, ornements des Mound-Builders, Leur
origine et leurs migrations 136
CHAPITRE
Les Clifî Dwellers et les habitants des Pueblos. . . . 199
CHAPITRE VI.
Les peuples de l'Amérique centrale 262
S82 \ TABLE DES CHAPITRES.
CHAPITRE YII.
Les ruines ^ie l'Amérique centrale 317
CHAPITRE VIII.
Le Pérou. . i 387
CHAPITRE IX.
Les hommes d^^ l'Amérique 478
CHAPITRE X.
L'origine des Américains 522
Appendice. . . .\ 575
TABLE ALPHABETIQUE DES MATIÈRES
Abbott, découvertes de Trenton, 20.
Affections pathologiques, 510.
Ahuitzotl, dédicace du temple de Huit-
zilopochtli, 297, 358.
Alahama, pyramide à Florence, 110.
Ameghino, ses découvertes, 28, 31, 56.
Ancient Fort (Ohio), 95.
Animaux de race éteiute, 15, 25, 26, 28,
31, 4.3, — Elephas Colombi, 22, 43, 164,
— Glyptodon, 29, — Mylodon, 30, —
Megatherium, 32, — Mastodonte, 37, 43,
129, 130.
Anthropophagie, 60, 296.
Arizona, 223, — Blocs erratiques chargés
de figures, 249.
Armes, haches en pierre des Mound-Buil-
ders, 169, — armes en cuivre du Wis-
consin, 176, — armes en pierre des
Cliff-Dwellers, 247, — armes des Mayas,
270, — des Aztecs, 307, — des Péru-
viens, 454.
Atlantide, 561.
Aymaras {\qs) , peuplade du Pérou, 390, —
momie, 4-30, — crâne, 506.
Aztalan (Wisconsin), 95.
Aztecs éiah\\A dans l'Anahuac, 11, — leur
histoire, 285, — leur pays d'origine, 285,
— religion et culte, 292, — sacrifices
humains, 294, 305, — cérémonies funé-
raires, 300, — crémation, funérailles
royales, 303, — connaissances astrono-
miques, 306, — fortifications, 307, 353,
— vêtements, 308, —gouvernement, 309,
— organisation sociale. — 310, pyramide
de Cholula, 350, — Xochicalco, 351, —
Centla, 353.
Botocu'fos (les), 469, 509.
Bourneville (Ohio), 91.
Brésil, sa découverte, 9, — époque gla-
ciaire, 18, — ossements du Lagoa do
SumidourO, 23, — Sambaquis, 55, — sa
situation, 467, — anciens monuments,
470.
Buenos- Ayi'es, sa fondation, 8, — tumulus
auprès de Campaua, 86, — El palacio,
474. i
Cahokia (Illinois), pyramide, 106.
Californie, crânes humains, 41. 42, —
Kjôkkcnmôddings, 52, — les Hohgates,
66.
Canaux exécutés par les Mound-Builders,
134, — par les Péruviens, 421.
Capacité crânienne, Lagoa-Santa, 481, —
Kjôktenmôdddings,483, — Mound-Buil-
ders, 488, 493, — Péruviens, 504.
Casa Grande dans la vallée du Gila, 225.
Caveroes ou grottes, comté dePulaski, 72.
584
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
Rholter cave, 73, — Ash cave, 74, —
comté de Summit, 75, — Louisville, 76,
— Kentucky. 76, — Oajaca, 77, — Grcg-
sons-Sprin^s, 77, — Sait cave, 77.
Centla, pyramide, 353.
Chaac-Mol, légende et tombeau, 344.
Chiapas, ruinés de Palenque, 318, — Co-
pan, 328, — \)oterie, 382.
Chibchas (les), ijiistoire, 460, — culte, 462,
— le Zippa et le Zoque, 463.
Chichen-Itza, sicrifices, 268, — ruines
?40, — cirque, 341, — palais des non-
nes, 341, — le château, 342, — le chi-
chanchob, 343, ^ tombeau de Chaac-
Mol, 3i4.
Chichimecs, 13,— leur histoire, 280.
Chihuahua, les casas grandes, 227.
Chilicothe (Missouri), mound, 103, 116.
Chimu, 394,395, — huaca obispo, 395, —
cimetières, 396, — El templo del sol,
396, — palais, 397, - el presidio, 399,
— habitations du peuple, 400.
Cholula, pyramide, 350.
Chunk-Yards^ 191.
Cirdeville (Ohio), mounds, 104.
Clîff-Dwellers, 199, — leur nom, 204, —
classement, 205, — Rio-Mancos, 209, —
vallée du Mac-Elmo, 216, — Hovcnvs'eep,
218, — vallée du Montezuma, 219, -
Rio-Chelly, 220, - le San Juan, 222, —
vallée de la Plata, 223, — rapports avec
les autres habitants de l'Amérique, 258.
— ossements, 500.
Coail (île de), palais des Mamacunas,
409.
Colorado, Aztec Spring, 217.
Colorado, fleuve, 230.
Colorado-Chiquito, ruines importantes,
229.
Copan, 328, — sculptures, obélisques,
colonnes, 330.
CoRTÈs (Fernand), débarquement, 2, —
lettre à Charles-Quint, 7, — ses alliés,
11.
Crémation, 115, 122, 305.
Croix, la croix sert de motif d'ornementa-
tion, 175, 325.
Culture, Mound-Builders, 182, — Péru-
viens, 441.
Cuzco, 4 10, — le Sacsahuaman, 412, —
aqueduc sur le Rodadero, 413, — Tem-
ple du Soleil, 413, — Aclahuasi, 415.
Déformations crâniennes, 515.
Époque glaciaire, 17, — Brésil, 18, — New-
Jersey, 18.
Espagnols, arrivée dans le Nouveau-
Monde, 2, 8, — Grijalva sur la côte du
Yucatan, 175, — Hernandez de Soto, 190,
— Pizarre soumet le Pérou, 391.
Esquimaux (les\ 1, 3, 45, 478.
Estufas, 205, 2l6, 235, 257.
Faune de l'Amérique, 4.
Flore de l'Amérique, 4.
Floride, Kjôkkenmôddings, 59, — mound,
123.
Fort-Hill (Ohio), 92.
Fort-Wayne (Indiana), burial-mound, 117.
Forteresses du Pérou, Ollantay-Tambo,
416, — Pisac, 418, - Piquillacta, 419,—
Choccequirao, 420.
Géorgie, kjôkkenmôddings, 49, 50, —
Messicr-mound, 109.
Grave-Creek (Virginie), 120.
Guatemala, constructions cyclopéennes,
267, — les Quiches et les Cakchiquels,
272, — Santa-Lucia, 371, — Quirigua,
373, — poterie, 381.
Guyane, tribus indigènes, 10, — ancien-
neté de la race humaine, 27, — langues,
469, — pedras pintadas, 472.
Hiéroglyphes, Amérique centrale 263, 265
319, 327, 330, 344, 375.
Honduras, rocher couvert de sculptures,
379.
Huttes servant d'habitation, 79.-
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
585
Idoles, Mouiid-Builders, 167, — les rauira-
kitans, 475.
Illinois, mounds, 89, — pyramide de Caho-
kia, 106, — Seltzertown, 107,— groupe de
Mounds à la jonction du Straddie-Creek
et du Plumb-River, 125.
Incas (les), 388, 389, 401, 407, 408.
Indiana, Fort Wayne, 117.
Indiens, 194.
lowa, fouilles de M. Farquharson, 117, —
haches en cuivre, 177.
Izamal (Yucatan), ruines, 347.
Kabah (Yucatan), portique. 339.
Kentucky, époque glaciaire, 18, — grotte
à Louisville, 76, — Gregson-Springs,
77.
Kjôkkenmôddings, leur nombre, 49, —
Géorgie, 50, — Californie, 52, — Orégon,
53, — île de Vancouver, 54, — Brésil,
55, — formés de mollusques d'eau
douce, 58, — Floride, 59, — leur anti-
quité, 66, — ossements liumains, 483.
Labnà (Yucatan), 339.
Lama, son utilité, 3, 4il.
Langages, nombre des dialectes, 5.
Louisiane, garden-beds, 183.
Lund, découverte d'ossements humains,
23.
Magellan, découvertes, 9.
Manco-Capac et sa femme Oello, 389,
410.
Mandans, peuplade indienne, 194, 557.
Marieita (Ohio), pyramide tronquée, 105.
Mayas, 264, — leur empire, 266, — leur
religion, 268, 270, — leurs monuments,
319, 328.
Métaux, grains de cuivre à Connett's-
Mound, 174, — objets en cuivre, 175, —
cuivre du lac Supérieur, 178, — fer in-
connu, 180, 270, — métaux employés
par les Mayas, 279, — par les Péru-
viens, 451, — par les Chibchas, 464.
Mexico, sa fondation, 288. — le temple
érigé par Ahuitzotl, 358.
Mexique, voy. Aztecs.
Mines, exploitation des mines du lac Su-
périeur, 178, — du Pérou, 451.
Minnesota, sépulture de la Tortue Noire,
126, — Tertre figurant une araignée,
128.
Missouri, mounds, 87, — Sandy, Wood's,
Settlement, 97, — Cnilicothe, 103, —
New-Madrid , 107 , — Big mound de
Saint-Louis, 1 15.
Mitla, palais, 364.
Mounds, leur nombre, 82, — étendue du
territoire occupé, 88, — enceintes sa-
crées, 101, — temples, 105, — tertres
à sacrifices, 110, — tertres tumulaires,
113, — Chambered-mounds, 120, — ter-
tres animaux, 127, — alligator, lézard,
mastodonte, singe, 129, 130, — serpent,
131, — leur âge, 197.
Mound-Builders, 13, 82, —travaux défen-
sifs, 90, — leur importance, 94, — mo-
des de sépulture, 113, — canaux, 134,—
poterie, 136, — pipes, 153, — idoles,
167, — ^mes et outils, 169, — orne-
ments, l73, — vêtements, 177, — exploi-
tation deis mines du lac Supérieur, 178,
culture, 182, — origine et migrations,
184, — ils ont disparu sans postérité,
185, — (les Indiens actuels les repré-
sentent! 189, — crânes et ossements,
483.
Mound-Clt'j, sur la rivière Yellowstone,
187.
NahuasI leur nom de» Culhuas, 132, —
leur origine, 273, — culte et sacrifices
humains, 294, — vie future, 299, —
montments qui leur sont dus, 349.
New-Jersey, époque glaciaire, 18, 19, —
instruments en silex, 171.
New-Uadrid, mound, 107, 117.
New-York, enceintes, 87.
Nezahualcoyotl, roi de Tezcuco, 289.
586
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
Nezahualpilli, roi de Tezcuco, 290.
Nicaragua, tr»nchées de Juigalpa, 99, —
sacrifices hiimains, ?C9, — balsas ou
radeaux, 27lj — maisons, 272.
Nouveau- Mexique , voir Cliff-Dwellers,
pueblos, 2.31
Oajaca, cavernes, 77.
Ohio, Shelter-caW!, 73, — Ash-cave, 74,—
l'éduit dans le Oomté de Summit, 75, —
mounds, 87, 88, — Bourneville, 91, —
Fort-Hill, 92, — comté de Clarko, 93,
— Ancicnt-Fort, 95, — groupe à Li-
berty, 103, — Çircleville, 104. — Ma-
rietta, 105, — alligator, lézard, 129, —
Brush-Creek, 131.
Ore5'0?2,kjôkkenraôddings, 53.
Origine des Américains, 522, — traditions
et légendes, 526, — immigrations, 533,
peuples asiatiques, 536, — Chinois et
Japonais, 544, — Égyptiens et Phéni-
ciens, 551, — Juifs, 553, — peuples du
nord do l'Europe, 555, — Grecs et Ro-
mains, 558, — Malais et Polynésiens,
5S8, — l'Atlantide, 561, — races auto-
chtones, 567.
Ornements, Mound-Buildere, 173, — en
métal, 176, — Amérique centrale, 380,
— Pérou, 429,448, 451, 453.
Ossements humains, Brésil, 23, 481, —
Patagonie, 33, — Floride, S4, 123, —
IVatchez. 34, — Nouvelle-Orléans, 35,—
Missouri, 37, — Californie, 41, — crâne
de Calaveras, 42, — cavernes de l'Améri-
que du nord, 71, 72,481, — Shelter-cave,
73, — Louisville (Kentucky), 76, — crâne
moulé dans un vase, 108, — squelette
des pampas de la Plata, 479,- - Kjôkken-
môddings, 483, — Mound-Builders, 483,
— Cliff-Dwellers, 500, — peuples de
l'Amérique centrale, 503, — Péruviens,
504,
Pachacamac, maison du soleil, 392, — el
Gastillo, 393, — cimetière, 435.
Palenque, temples, 319, — hiéroglyphes,
319, — palais, 320, — ancienneté des
édifices, 323, — tablette de la croix,
324.
Pampas, leur formation, 31, — faune, 32, —
découverte d'un squelette humain, 479.
Paraderos de la Plata, 56.
Palagons, 3, 9, — ossements recueillis
par le docteur Moreno, 33.
Perforation olécrânienne, 498.
Pérou, dépôts de guano, 70, — situation et
étendue, 387, — Pachacamac, 392, —
Chimu, 394, — Tiaguanaco, 400, — lac
et île de Titicaca, 407, — île de Coati,
409, — île de Soto, 410, — Cuzco, 410.—
forteresses, 416, — routes, canaux, ré-
servoirs, 421, — Huanuco-Viejo, 423. —
cimetières, huacas, chulpas, grottes sé-
pulcrales, 424, — momies, 430, 432, 433,
— religion, culte, 4.'}6_, — lois et coutu-
mes, 439, — arts mécanique, poterie,
442.
Peuples de l'Amérique centrale, 262, —
Mayas, 264, — Nahuas, 273, — Aztecs,
285, — Quiches, 272, 328.
Pewaukie (Wisconsin), tertres animaux,
128.
Pictographie, Cliff-Dwellers, 248, — Ari-
zona, 249, — sur les bords du San-
Juan, 251, — auprès du lac Salé, 252,
— Tennessee, 254, — se rencontre dans
toute l'Amérique espagnole, 375, — Pé-
rou, 455, — République Argentine, 458,
— Chibchas, 466, — Brésil, 471.
Pintados ou Pedras pintadas, voy. Picto-
graphie.
Pipes, des Mound-Builders en poterie, 153,
— en pierre dure, 161, — pipes des
Cliff-Dwellers, 258.
PizAURE soumet le Pérou, .391.
Platycnémie, 495.
Portugais, leurs expéditions, 8.
Poterie, Mound-Builders, 136, — modes de
fabrication, 139, — formes, 142, — or-
nementation, 144, — vases à goulot, 117,
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
587
— vases pour la cuisson, 149, — lam-
pes, 151, — terrines, 151, — coupes,
152, — vases funéraires, 153, — pipes,
153, — imitations de fruits, 154, — d'a-
nimaux, 155, — figures humaines. 158,
— Cliff-Dwellers, 211, 243, — Amérique
centrale, 381, — Guatemala, 381, — Chia-
pas, 382, — Pérou, 428, 430, 434, 442,—
Brésil, 474.
Pueblos, 201, — Taos, 20?, — Acoma, 202,
— vallée du Mac-Elmo, 215, — Pueblo
Bonite dans le canon Chaco, 231, — P.
Una Vida, P. Pintado, P. Weje-Gi, P.
Penasca-Blanca, P. de l'Arroyo, P. Alto,
286, — P. Chettro-Kettle, 237, — P. du
Rio-Pecos, 239, — leur existence lors de
l'arrivée des Espagnols, 259.
PuTNAM, fouilles des puits de Madisonville,
55, 117, — découvertes à Gregson,
Springs, 77, — Sait cave, 77, — Green-
wood (Tennessee), 97.
Qquichuas, peuplade du Pérou, 389, 390,
405.
QcATREFAGES (de), Ics hommes du Lagoa-
Santa, 481.
Quemada, 360, — los Edificios, 361.
QUETZACOATL, 275, 291.
Quiches, 272, 328.
Quipos, 458.
Quirigua, 373.
Saint-Louis (Missourij, Bigmound, 115,
121.
Snndy TFood's Seulement (Missouri), 97.
Santa Lucia (Guatemala), ruines, 371, —
têtes colossales en pierre, 371, — bas-
relief représentant un sacrifice humain,
373.
Seltzertown (Illinois), mound, 107.
Serpents, tertre figurant un serpent à
Brush Creek, 131, — le rôle qu'ils
jouent en Amérique, 132, — leur culte,
541.
Shell-Mounds, voy. Kjôkkenmôddings.
Tehuantepec, découverte de bijoux zapo-
tèques, 368.
Tennessee, Greenwood auprès de Lebanon,
97, — mound dans Cumberland-Valley,
109, — fouilles de tumuli funéraires,
119, — instrument en serpentine, 170, —
ornement en cuivre, 176, — pictogra-
phie, 254.
Tezcuans, 283, — les rois de Tezcuco, 283,
289.
Tezcuco, ruines peu importantes, 300.
Tiaguanaco, sa situation, 400, — menhirs,
401, — forteresse, temple, 403, — porto
monolithe, 404, — ornement central,
405.
Titicaca (île de), position du lac, 407, —
temple du soleil, 407, — el palacio del
Inca, 408.
Toltecs, 11, — leur histoire, 277, - magni-
ficence de leurs rois, 279, — Tula leur
capitale, 354.
Trépanations,' 51 3.
Tula, capitale des Toltecs, 354, — décou-
vertes de M. Charnay, 356.
Utah, pierrps servant d'instruments agri-
coles, 17 1| — mounds, 18 1 , 183, — urne fu-
néraire, '245, — gravures sur roche,
252.
Uxmal, caÉa del Gobcrnador, 334, — casa
de Tortiguas, 335, — casa de Monjas,
336, — iasa de Culebra, 337.
Vases en or et en argent recueillis au Pé-
rou, .39l8.
Vermont, pictographie, 233.
Vêtements, Mound-Builders, 177, — guer-
riers llayas, 271, — Péi-uviens, 449.
Virginie, Grave Creek, 120,
V OTAN,/ 266, 577.
WHîrNBY, découverte d'un crâne en Cali-
fornie, 42.
Whittleset (colonel), Shelter cave, 74, —
groupe de Newark, 102.
588
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
Wisconsin, Aztalan, 95, — groupe sur la
rivière Kickapoo, 112, 1 1 3, — Povvaukie,
tertres animaux, 128, — l'homme et
l'élan, 133, — armes en cuivre, 176.
Xochicalco, temple, 351.
Yucatan , navigation , 271,
j
— nombre
considérable de villes en ruines,
332, — Uxmal, 334, — Kabah, 339, —
Labnà, Chichen-Itza, 340, — Izamal,
347.
Zapotecs, 362, — Mitla, 363, — Tehuan-
tepec, 368, — découverte des bijoux d'un
roi zapotèque,368.
5440-82. — CoRBEiL. Typ. et ètér. Crété.
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