Skip to main content

Full text of "L'Amérique préhistorique"

See other formats


L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE 


DU    MEME    AUTEUR 


Les  premiers  hommes  et   les  temps  préhistoriques.  2  vol.  gr.   in- s 
avec  244  figures  dans  le  texte  et  12  planches 35  francs. 


5524-82.  ~  CORBElL.  Typ.  et  siér.  Crété 


^<f 


MAHgblS    DE    NAUAILLAC 


L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE 


The  New  World  is  a  great  mystery. 


Avec   21»  figurer  dans  le  tnxie. 


PARIS 
{j.    MASSON,    ÉDITEUR 

LIBRAIRE     DE      l'aCADÉMIE     DE     MÉDECINE 
120,  Boulevard  Saint-Germain,  en  face  de  l'École  de  Médecine 

M  OCCC  LXXXIII 


rnnt:        »v 


£T-^»i  IV 


••'.' 


;,t:ij 


V^.M"-^^ 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés. 


% 

"t. 

» 

* 

N' 

•  •      tf 

»  • 

1 

^  ^' 

« 

N' 

PRÉFACE 


Les  questions  préhistoriques  excitent  depuis  quelques  années 
un  légitime  intérêt  ;  la  surprise,  Tincrédulité  même  avaient 
accueilli  les  premières  révélations  sur  l'antiquité  de  la  race 
humaine,  sur  la  contemporanéité  de  l'homme  avec  les  pachy- 
dermes, les  édentés  gigantesques  qui  peuplaient  le  globe  à  l'é- 
poque quaternaire.  Bientôt  les  preuves  se  sont  multipliées  avec 
une  si  éclatante  évidence,  que  le  doute  n'a  plus  été  possible  et 
aujourd'hui  nous  pouvons  affirmer  que  dans  des  temps,  dont 
nous  sommes  séparés  par  une  série  incalculable  de  siècles, 
l'homme  habitait  notre  continent,  déjà  bien  vieux  au  moment 
de  son  apparition.  Aucune  chronologie  ne  peut  mesurer  ces 
temps  ;  aucun  calcul  ne  peut  les  supputer  ;  l'histoire  et  la  tra- 
dition sont  muettes  ;  c'est  par  des  travaux  qui  tiennent  du  pro- 
dige, par  les  inductions  les  plus  précises,  que  l'on  est  arrivé  à 
trouver  quelques  traces  d'un  passé  presque  fabuleux,  à  saisir 
quelques  vestiges  de  ces  rudes  pionniers,  les  ancêtres  du  genre 
humain.  Leur  berceau  primitif  était  selon  toute  apparence  situé 
en  Asie  ;  c'est  de  là,  que  par  des  immigrations  successives,  dont 
la  durée  défie  toute  science,  ils  se  sont  répandus  sur  l'Europe, 
fuyant  le  froid  et  cherchant  des  régions  plus  fertiles  ou  des  pays 
plus  giboyeux. 

Vers  le  même  temps,  des  hommes  sortis  probablement  de  la 
même  souche  erraient  dans  le  Nouveau-Monde,  sur  les  bords 
de  l'Atlantique   et  du  Pacifique.  Comme  leurs  contemporains 


VI  PREFACE. 

Européens  ou  Asiatiques,  ils  étaient  nomades,  et  ne  connais- 
saient d'autres  abris  que  les  cavernes  ou  les  rochers.  Quelques 
silex  informes  leur  servaient  à  la  fois  d'armes  et  d'outils  ;  et  leur 
état  social  misérable  et  dégradé  ne  peut  mieux  se  comparer  qu'à 
celui  connu  dans  nos  régions,  sous  le  nom  d'âge  de  pierre.  Par 
une  de  ces  grandes  lois,  que  la  science  ne  peut  méconnaître,  au 
milieu  d'une  faune  et  d'une  flore  absolument  différentes,  des 
hommes  semblables  par  leur  charpente  osseuse,  semblables  par 
leur  intelligence  et  leurs  conceptions,  parcouraient  au  même 
moment  les  forêts  tropicales  de  l'Inde  et  les  froides  régions  du 
Canada,  chassaient  l'ours  et  le  renne  sur  les  rives  du  Delaware 
et  du  Mississipi,  comme  sur  celles  de  la  Seine  ou  de  la  Tamise. 
Ce  n'est  pas  tout  ;  les  habitants  de  ces  continents  séparés  par 
l'Océan,  séparés  par  des  déserts  en  apparence  infranchissables, 
passeront  par  les  phases  d'une  civilisation  identique.  Aux  noma- 
des succèdent  les  sédentaires  ;  ils  s'établissent  sur  les  rivages  de 
la  mer,  sur  les  rives  des  fleuves  qui  leur  fournissent  en  abon- 
dance la  nourriture  qu'ils   aiment  ;  ces  kjôkkenmôddings,  ces 
amas  de. débris  de  toute  sorte,  attestent  la  longue  durée  de  leur 
habitation.   Les  siècles  se  déroulent,  des   besoins  nouveaux  se 
font  jour  ;  des  goûts  artistiques  se  révèlent,  mais  par  une  bizar- 
rerie étrange,  c'est  à  la  terre  seule  que  les  Américains  deman- 
dent tout  d'abord  leurs  matériaux  ;  de  là,   ces  pyramides,  ces 
tumuli,  ces  mounds  construits  aA^ec  une  régularité  mathéma- 
tique et  auxquels  parfois  leurs  constructeurs  s'efforcent  de  don- 
ner la  forme  humaine  ou  bien  celle  des  animaux  qui  les  entou- 
rent.  Des  dangers  menacent  ces  hommes,  ils  n'hésitent  pas  à 
placer  leurs  demeures  sur  des  rochers  presque  inaccessibles,  à 
vaincre  des  difficultés  de  construction  qui  paraissent  insurmon- 
tables aux  hommes  du  xix^  siècle.  Des  villes  s'élèvent,  des  monu- 
ments dont  les  ruines  imposantes  sont  encore  debout  attestent 
l'aptitude  de   ces  races  dont  on  commence   seulement  à  con- 
naître l'existence. 

Si  les  mounds  et  les  cliff-houses,  les  villes  sans   nom  et  les 
temples  sans  dieux,  ne  peuvent  nous  donner  la  moindre  certi- 


PREFACE.  VII 

tude  sur  leurs  constructeurs  ou  sur  la  date  de  leur  érection,  ils 
nous  permettent  du  moins  de  connaître  les  mœurs,  les  usages, 
les  coutumes,  les  conceptions  religieuses  de  ces  anciens  habitants 
de  l'Amérique.  Déjà  nous  pouvons  dire,  qu'au  moment  de 
l'arrivée  des  Espagnols,  la  première  en  date  des  invasions  de 
l'Europe,  la  civilisation  des  Américains  lentement  développée 
durant  des  siècles  ne  le  cédait  en  rien  à  celle  de  leurs  vain- 
queurs. 

Dans  un  précédent  travail,  j'ai  raconté  l'âge  de  pierre  en 
Europe,  les  premières  étapes  des  vieux  habitants  de  notre  con- 
tinent ;  la  bienveillance  avec  laquelle  cette  étude  a  été  reçue 
m'engage  à  la  continuer,  à  retracer  ces  mêmes  temps  en  Amé- 
rique, à  rechercher  les  premières  lueurs  d'une  civilisation,  fille 
ou  sœur  de  la  nôtre,  et  à  poursuivre  ces  recherches  jusqu'au 
XVI''  siècle  de  notre  ère.  Des  travaux  remarquables  facilitent  ma 
tâche  ;  c'est  surtout  aux  Etats-Unis,  que  ces  travaux  se  sont  mul- 
tipliés ;  de  nombreuses  associations  étudient  avec  ardeur  ce  loin- 
tain passé  ;  des  musées  ont  été  fondés,  où  déjà  l'on  peut  admirer 
des  collections  importantes  ;  des  explorations  sont  dirigées  avec 
une  énergie  et  une  persévérance  auxquelles  on  ne  saurait  refuser 
un  légitime  hommage.  Le  succès  a  couronné  ces  efforts  ;  chaque 
jour  amène  les  découvertes  les  plus  curieuses,  les  résultats  les 
plus  inattendus.  Ce  sont  ces  recherches,  ces  découvertes  que  je 
désire  faire  connaître  aux  lecteurs  Français  ;  mais  il  faut  bien 
ajouter  que,  quelle  que  soit  leur  importance,  quel  que  soit  l'inté- 
rêt qu'elles  excitent,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  je  le  dis  au 
début  de  ce  travail,  comme  je  le  répéterai  en  terminant,  elles  ne 
sauraient  encore  comporter  de  conclusion.  Je  ne  sais  rien  d'aussi 
fatal  à  la  science  vraie,  que  les  hypothèses  hasardées,  les  théories 
applaudies  par  la  foule  et  démenties  le  lendemain  par  les  faits  : 
«  Quand  on  est  aussi  faible  dans  ses  connaissances  que  nous 
le  sommes,  disait  récemment  M.  Virchow  (1),  on  doit  être  plus 
modeste  dans  ses  théories.  » 

(1)  Congrès  anthropologique  de  Francfort-sur-le-Mein,  août  1882. 


VIII  PREFACE. 

Cette  ignorance  ne  saurait  nuire,  il  semble,  aux  études  pré- 
historiques ;  Tobscurité  qui  les  enveloppe  est  de  nature  au  con- 
traire à  stimuler  l'effort  des  penseurs,  et  je  ne  sais  pas,  pour  ma 
part,  de  plus  magnifique  spectacle  que  cette  marche  ascendante 
de  rimmanité  qui  se  poursuit  à  travers  le  temps  et  à  travers 
l'espace.  Chaque  connaissance  acquise,  chaque  progrès  accompli, 
deviennent  le  point  de  départ  de  connaissances  nouvelles,  de 
progrès  nouveaux  qui  forment  à  jamais  le  glorieux  patrimoine 
des  générations. 

Un  sentiment  plus  élevé  encore  se  dégage  de  ces  études,  c'est 
une  profonde  reconnaissance  envers  Celui  qui  a  créé  l'homme, 
qui  l'a  fait  capable  de  si  grandes  choses,  qui  lui  a  accordé  une 
telle  puissance  et  une  telle  intelligence.  La  science  libre  et  forte 
ne  saurait  renier  son  auteur. 


Paris.  7  octobre  1882. 


L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE 


CHAPITRE  I 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE 


L'existence  du  continent  américain  était  inconnue  aux  Égyp- 
tiens et  aux  Phéniciens,  comme  aux  Grecs  et  aux  Romains. 
Nous  ne  trouvons  rien,  ni  chez  les  historiens,  ni  chez  les  géo- 
graphes, qui  permette  d'affirmer  que  les  peuples  anciens  soup- 
çonnassent même  un  grand  continent  au  delà  de  l'Atlantique, 
et  quelques  vagues  récits,  quelques  hypothèses  hardies,  inter- 
prétées plus  tard  à  l'aide  de  faits  accomplis,  ne  peuvent  tenir 
lieu  de  preuves  sérieuses.  M.  de  Guignes  a  cherché  à  établir 
que,  dès  le  cinquième  siècle  de  notre  ère,  des  communications 
existaient  entre  la  Chine  et  l'Amérique;  les  hommes  du  Nord, 
selon  des  légendes  où  un  peu  de  vérité  se  mêle  à  beau- 
coup de  fable,  seraient  arrivés  dans  la  Nouvelle-Angleterre, 
vers  l'année  1000;  et  sur  des  cartes  dressées  au  quatorzième  et 
au  quinzième  siècle,  des  terres  et  des  îles  aux  contours  incer- 
tains figurent  pour  la  première  fois  au  delà  de  l'Océan.  Les 
Esquimaux  communiquaient  librement  d'un  continent  à  l'autre, 
dans  les  régions  circumpolaires  ;  mais  ces  hommes  étaient  aussf 
inconnus   que  les  habitants  de  l'Amérique   eux-mêmes.   Nous 

De  Nadaillac,  Amérique.  1 


2  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

verrons  dans  la  suite  de  cette  étude  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  les 
rapports  qui  ont  pu  exister  entre  l'ancien  monde  et  le  nouveau. 
Bornons-nous  à  dire  ici  que  c'est  du  seizième  siècle  seule- 
ment que  datent  les  premières  notions  positives  sur  ces  terres 
nouvelles,  sur  ces  peuples  mystérieux.  A  côté  du  nom  à  jamais 
glorieux  de  Christophe  Colomb  (1),  il  faut  placer  ceux  de  Jacques 
Cartier,  de  Jean  et  de  Sébastien  Cabot,  d'Amerigo  Vespuce,  de 
Magellan,  de  Pizarre  et  de  Fernand  Cortès,  de  celui-ci  surtout 
qui  établit  le  premier  d'une  manière  incontestée  la  suprématie 
européenne. 
(ortèsdébar-       Cortès    débarqua   à    l'embouchure   de  la    petite    rivière  de 

(|ue  sur  le  '■ 

sol  du      Tabasco,   dans  le  golfe  du    Mexique,    et  livra  successivement 

Mexique.  '-'  ^        ' 

deux  batailles  aux  Indiens  (2),  qui  prétendaient  s'opposer  à  sa 
marche.  La  seconde  eut  lieu  le  18  mars  1519;  elle  fut  san- 
glante et  longtemps  disputée.  La  victoire  resta  aux  Espagnols  : 
Cortès  planta  sur  le  sol  américain  son  grand  étendard  en 
velours  noir  brodé  d'or,  portant  une  croix  rouge  au  milieu  de 
flammes  bleues  et  blanches,  avec  cette  légende  en  latin  :  Amis, 
suivons  la  croix,  et  si  nous  avons  la  foi,  nous  vaincrons  par  ce 
signe.  C'était  la  prise  de  possession  de  l'Europe  ;  à  partir  de 
ce  moment  les  destinées  du  Nouveau  Monde  furent  indissolu- 
blement unies  h.  celles  de  nos  régions  (3). 

(1)  Christophe  Colomb  partit  de  Paies  auprès  de  Séville  le  3  août  1492  ;  après  une 
navigation  de  soixante-dix  jours,  il  débarqua  sur  l'île  de  San  Salvador. 

(2)  Colomb  estimait,  selon  les  idées  de  son  temps,  que  la  terre  qu'il  voyait  devant 
lui  était  le  littoral  des  Indes  ;  de  là  le  nom  d'Indes  occidentales  et  aussi  celui  d'In- 
diens donné  aujourd'hui  encore  aux  habitants,  comme  si  la  postérité  avait  tenu  à 
honneur  de  perpétuer  l'illusion  du  grand  navigateur. 

(3)  Toutes  les  questions  préhistoriques  touchant  l'Amérique  ont  été  traitées  par  de 
nombreux  écrivains.  Une  bibliographie  complète  exigerait  des  volumes,  nous  nous 
contenterons  de  citer  :  Atwater,  Description  of  the  Antiquities  of  Ohio  ;  \es  intéres- 
sants mémoires  publiés  par  le  Smithsonian  Institute,  et  parmi  eux  Squier  et  Davis, 
Ancient  Monuments  of  t/ie  Mississipi  Valley  ;  Antiquities  of  the  State  of  New- 
York,  et  Lapham,  Aiitiquities  of  Wisconsin.  —  Schoolcraft,  Eist.  andStat.  Informa- 
tions 7-especting  the  Indian  Tribes  of  the  United  States,  6  vol.  —  Baldwin,  Ancient 
America.  —  Wilson,  The  Prehistoric  Man.  —  Waldeck,  Voyage  au  Yucatan.  — 
Charnay,  Cités  et  ruines  américaines,  avec  une  préface  de  VioUet-le-Duc.  —  Stephens, 
Central  America,  1  vol.  —  Prescott,  Conquest  of  Mexico  ;  Conquest  of  Peru.  —  Jones, 
Antiquities  of  the  Southern  Indians.  —  Morton,  Crania  Americana.  —  Nott  and  Glid- 
don,  Types  of  Mankind.  —  Foster,  Prehistoric  Races  of  the  United  States.  —  Bras- 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  3 

Au    seizième   siècle,    l'Amérique    était    habitée   de   l'Océan    Populations 

»•  ¥1  1-  1       11  k    t  •  ■1*'"    Nouveau 

Arctique  au  cap  Horn,  des  rivages  de  1  Atlantique  à  ceux  du  Monde. 
Pacifique,  par  des  millions  d'hommes  offrant  des  types  ana-  etiawore. 
logues,  des  caractères  semblables  à  ceux  des  hommes  de  l'an- 
cien continent.  Toutes  les  nuances  de  la  coloration  se  retrou- 
vaient parmi  eux,  depuis  le  blanc  rosé  des  habitants  des  Cor- 
dillères des  Andes,  des  vallées  formées  par  l'Amazone  ou  de 
l'île  Sainte-Catherine,  jusqu'au  noir  de  suie  de  quelques  tribus 
de  la  Californie  ou  de  la  Floride,  des  indigènes  de  l'île  de 
Saint-Vincent,  ou  bien  des  Charmas  qui  habitaient  les  rives 
sud  du  Rio  de  la  Plata  (1).  Au  Nord  les  Esquimaux  étaient 
petits;  au  Sud  les  Patagons  étaient  remarquables  par  leur 
haute  stature  (2).  Certaines  tribus  Indiennes  se  composaient 
d'individus  aux  membres  grêles,  aux  extrémités  fines;  d'au- 
tres étaient  robustes,  fortement  constitués.  Chez  les  uns  la 
tête  était  ronde  ;  chez  d'autres,  au  contraire,  la  dolichocéphalie 
était  prononcée.  Les  uns  avaient  le  système  pileux  très  déve- 
loppé; chez  les  autres  il  l'était  fort  peu.  Les  uns  rasaient  leur 
tête,  les  autres  laissaient  pousser  toute  leur  chevelure.  Il  serait 
long  d'énumerer  les  différences  de  types  et  de  races  que  devaient 
rencontrer  les  Européens,  en  pénétrant  pour  la  première  fois  sur 
le  continent  Américain. 

Ces  hommes  vivaient  au  milieu  de  mammifères,  d'oiseaux, 
de  poissons,  de  reptiles  inconnus  dans  nos  climats.  Le  lama  (3) 
était  leur  seul  animal  domestique  ;  ils  l'utilisaient  comme  bête 
de   somme;  ils  se  nourrissaient    de  sa  chair;  ils  se  vêtaient 

seur  de  Bourbourg,  Histoire  des  nations  civilisées  du  Mexique  et  de  l'Amérique  cen- 
trale, 4  vol.  —  Southall,  Récent  Origin  of  Man.  —  Short,  The  North  Americans  of 
Antiquity.  —  Tylcr,  Researches  on  the  Primitive  History  of  Man.  —  Squier,  Peru, 
Incidents  of  Travel  and  Exploration  in  the  Land  of  the  Incas.  Avant  tout,  il  faut 
mentionner  l'important  ouvrage  de  H.  Bancroft,  The  Native  Races  of  the  Pacific  Sta- 
tes of  North  America,  5  vol. 

(1)  Nott  and  Gliddon,  Types  of  Mankind.  —  Broca,  Pruner-bey,  Bul.  Soc.  Anfh., 
1862.  —  Ameghino,  La  Antiguedad  del  Hombre  en  el  Plata,  t.  I,  p.  71. 

(2)  Topinard,  Rev.  d'Anth.,  1878,  p.  511. 

(3)  Le  lama  {Auchenia),  ruminant  de  la  famille  des  Camélidés.  Il  se  rapproche  du 
chameau  par  la  structure  particulière  do  son  estomac.  Son  habitat  est  au  sud  de  la 
Cordillère  des  Andes.  Le  guanaco  et  la  vigogne  sont  des  variétés  de  la  même  famille. 


4  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

de  sa  laine.  Les  bœufs,  les  chameaux,  les  chèvres,  les  moutons, 
les  chevaux,  les  ânes  leur  étaient  inconnus.  Le  chien,  notre 
fidèle  compagnon,  paraît  aussi  leur  avoir  été  étranger  (1).  11 
était  mal  remplacé  par  le  coyotte  (2)  ou  loup  des  prairies,  que 
l'on  parvenait  à  conserver  en  captivité  et  même  jusqu'à  un 
certain  point  à  dompter  ;  les  grands  félidés  étaient  représentés 
par  le  jaguar  (3),  le  lynx  (4),  le  puma  (5)  dont  l'habitat  s'éten- 
dait depuis  le  Canada  jusqu'à  la  Patagonie,  par  l'ocelot  (6)  qui 
hantait  le  Mexique,  le  Pérou  et  le  Paraguay  ;  les  ursides,  par 
un  petit  ours  noir  (7)  et  par  un  autre  d'une  taille  et  d'une  force 
prodigieuses  (8).  Tous  les  deux  offraient  de  notables  différences 
avec  ceux  que  pouvaient  connaître  les  Espagnols.  Les  singes 
eux-mêmes,  si  nombreux  dans  l'Amérique  du  Sud,  ne  res- 
semblaient en  rien  à  ceux  de  nos  continents.  Tous  avaient 
une  queue  longue  et  prenante,  dont  ceux-ci  étaient  dépourvus. 
La  différence  de  la  végétation  était  non  moins  caractéristique. 
Les  arbres  étaient  d'espèces  étrangères  à  l'Europe  et  à  l'Asie. 
Le  maïs  était  la  seule  céréale  cultivée  dans  les  deux  Améri- 
ques. Les  Indiens  ne  connaissaient  point  le  blé,  le  seigle, 
l'orge,  l'avoine,  le  millet  ou  le  riz;  ils  possédaient  en  revan- 
che un  haricot  d'une  autre  variété  que  le  nôtre,  le  manioc  (9), 

(1)  On  cite  cependant  certaines  espèces  que  l'on  peut  ranger  parmi  les  canidés  ;  on 
les  appelait  xulos  au  Nicaragua,  tzomes  dans  le  Yucatan,  techichis  au  Mexique.  On  les 
châtrait,  puis  on  les  engraissait  ;  ainsi  préparés  ils  étaient  regardés  comme  une  nour- 
riture délicate. 

(2)  Lupus  cagottus  (Smith).  Nous  lisons  dans  une  description  de  la  Virginie  publiée 
en  1649  :  «  The  Wolf  of  Garolina  is  the  dog  of  the  woods.  The  Indians  had  no  other  curs 
before  the  Christians  came  amongst  them.  They  are  Tnade  domestic.  They  go  in  great 
droves  in  the  night  to  hunt  dear  which  they  do  as  the  best  pack  of  hounds.  » 

(3)  Felis  Onca  (Linné)  ;  vit  dans  l'Amérique  du  Sud. 

(4)  Felis  Canadensis  (Geof.  St-Hil.)  ;  il  est  connu  sous  le  nom  de  loup-cervier  et  sa 
peau  formait  un  des  principaux  produits  de  la  compagnie  de  la  Baie  de  Hudson.  Les 
indigènes  mangent  sa  chair;  elle  est  blanche  et  insipide. 

(5)  Felis  concolor  (Illiger). 

(6)  Felis  Pardalis  (Linné). 

(7)  Ursus  Americanus.  Son  habitat  est  dans  l'Amérique  du  Nord. 

(8)  Ursus  ferox.  Il  entraînait  facilement  un  bison  pesant  plus  de  mille  livres.  Ces 
ours  étaient  encore  assez  nombreux  en  Californie,  il  y  a  une  vingtaine  d'années.  Les 
Indiens  les  chassaient  et  en  venaient  à  bout  avec  leur  redoutable  lasso. 

(9)  Les  racines  de  manioc  fournissent  une  fécule  connue  sous  le  nom  de  tapioca. 


L'HOMME.  ET  LE  MASTODONTE.  5 

le  tabac  (1),  la  tomate,  le  poivre,  qui  ont  été  pour  nous  de  pré- 
cieuses acquisitions. 

Les  Américains,  qui  se  soumettaient  successivement  aux  vain- 
queurs étrangers,  parlaient  des  centaines  de  dialectes  diffé- 
rents. M.  Bancroft  compte  plus  de  six  cents  de  ces  dialectes, 
de  l'Alaska  jusqu'à  l'isthme  de  Panama  (2);  M.  Ameghino  (3), 
huit  cents  dans  l'Amérique  du  Sud.  La  plupart,  il  est  vrai,  sont 
de  simples  dérivés  de  langues  mères,  comme  l'aymara  et  le 
guarani.  Nous  donnons  ces  chiffres  sur  lesquels  il  est  difficile 
de  s'entendre  ;  la  linguistique  manque  de  règles  précises  ;  cha- 
cun peut  donc  soit  les  augmenter,  soit  les  diminuer,  selon  la 
manière  dont  il  envisage  la  question.  Pour  n'en  citer  qu'un 
exemple,  certains  philologues  portent  à  treize  cents  les  langues 
de  l'Amérique  du  Nord,  tandis  que  Squier  réduit  à  quatre  cents 
celles  des  deux  Amériques  (4). 

Ces  dialectes  offraient  une  disparité  totale  de   mots  à  côté 
d'une   grande  analogie  de  structure  (5).  «   En  Amérique,  dit 


(1)  On  prétend  que  le  tabac  fut  importé  pour  la  première  fois  en  Europe  en  1588, 
par  sir  Walter  Raleigh. 

(2)  T/ie  Native  Races  of  the  Pacific  States,  t.  III,  p.  557.  Ces  dialectes  peuvent  se  rame- 
ner à  quatre  familles  distinctes  :  1"  l'Esquimau,  qui  offre  de  grandes  analogies  avec 
les  langues  européennes  et  reste  étranger  aux  idiomes  américains  ;  2°  le  Tinneh  parlé 
au  nord  des  montagnes  Rocheuses  et  s'étendant  dans  l'Alaska,  les  possessions  anglai- 
ses, rOrégon,  la  Californie  et  le  Texas  ;  3°  VAztec  ou  le  Nahua  que  l'on  retrouve  dans 
toute  l'Amérique  centrale.  Les  remarquables  poèmes  de  Nezahualcoyotl,  roi  de  Tezcuco, 
sont  écrits  dans  cette  langue.  4°  Le  Maya-Quiché,  selon  toute  probabilité,  la  langue  la  plus 
ancienne  de  l'Amérique  centrale,  dominait  dans  le  Yucatan,  le  Qiiapas  et  le  Guatemala. 
Les  Indiens  du  Yucatan  la  parlent  encore,  assure-t-on,  de  nos  jours  ;  et  le  Senor  Orozco 
y  Berra  nous  apprend  que  tous  les  noms  géographiques  de  la  Péninsule  appartiennent 
au  Maya  [Geog.  de  las  Lenguas  de  Mex,  p.  129). 

(3)  La  Antiguedad  del  Nombre,  t.  I,  p.  77.  M.  Ameghino  cite  ce  fait  curieux  que, 
dans  certaines  tribus,  les  femmes  parlent  un  dialecte  distinct  de  celui  des  hommes. 
Il  est  plus  probable  que  les  expressions  seules  diffèrent  selon  les  sexes. 

(4)  Nott  and  Gliddon,  Ti/pes  of  Mankind.  Squier  prétend  que  187  mots  dans  ces 
400  dialectes  sont  communs  à  des  langues  étrangères  ;  104  se  retrouvent  dans  les  lan- 
gues asiatiques  ou  australiennes,  43  dans  les  langues  de  l'Europe,  et  40  dans  celles  de 
l'Afrique. 

(5)  «  Other  peculiarities  common  to  ail  American  languages  might  be  mentioned, 
such  as  reduplications,  or  a  répétition  of  the  same  syllable  to  express  plurals;  the  use 
of  fréquentatives  and  duals  ;  the  application  of  gender  to  the  third  person  of  the  verb  ; 
the  direct  conversion  of  nouns,  substantive  and  adjective,  into  verbs  and  their  conju- 


6  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

M.  de  Ilumboldt  (1),  depuis  le  pays  des  Esquimaux  jusqu'aux 
rives  de  FOrénoque,  et  depuis  ces  rives  brûlantes  jusqu'aux 
glaces  du  détroit  de  Magellan,  les  langues  mères  entièrement 
différentes  par  leurs  racines  ont,  pour  ainsi  dire,  une  même 
physionomie.  On  reconnaît  les  analogies  frappantes  de  struc- 
ture grammaticale,  non  seulement  dans  les  langues  perfec- 
tionnnées,  mais  aussi  dans  les  langues  extrêmement  grossières. 
Des  idiomes  dont  les  racines  ne  se  ressemblent  pas  plus  que 
les  racines  du  slave  et  du  basque  ont  les  mêmes  ressem- 
blances que  l'on  retrouve  dans  le  persan,  le  grec,  le  sanscrit 
et  les  langues  germaniques.  » 

Ces  idiomes  étaient  polysynthétiques  (2)  et  agglutinants  (3), 
le  signe  en  général  d'un  état  rudimentaire  de  civilisation  ; 
ils  étaient  cependant  plus  riches  que  ne  le  ferait  sup- 
poser l'absence  de  tout  développement  intellectuel  (4).  Leur 
diversité  peut  s'expliquer  par  le  mélange  fréquent  des  races, 
les  migrations,  les  coutumes  nouvelles,  les  idées  nouvelles  qui 
pénètrent  peu  à  peu  chez  les  peuples  même  les  plus  dégra- 
dés ;  plus  encore  par  l'instabilité  et  la  mobilité  aujourd'hui 
reconnues  des  idiomes  sauvages.  Des  missionnaires  affirment 
qu'ils  ont  trouvé  absolument  transformé,   après  dix  ans  d'ab- 

gation  as  such  ;  peculiar  generic  distinctions  arisiug  from  a  séparation  of  animate  from 
inanimate  beings.  »  (Bancroft,  l.  c,  t.  III,  p.  556.) 

(1)  Cité  par  Prichard,  Histoire  naturelle  de  l'homme,  trad.  Roullin,  t.  II,  p.  75. 

^2)  Galatin  [Trans.  Am.  Ethn.  Soc,  t.  I,  chap.  m)  définit  une  langue  polysynthé- 
tique,  celle  où  l'on  exprime  par  un  seul  mot  tout  ce  qui  modifie  le  sujet  ou  l'action, 
ou  bien  encore  plusieurs  idées  complexes  ayant  un  rapport  naturel  entre  elles.  La 
langue  aztèq\ie  est  une  des  plus  étranges  en  ce  genre.  Citons  le  mot  Amatlacuilo- 
litquitcutlaxlahuilli,  qui  veut  dire  :  paiement  reçu  pour  avoir  porté  un  papier  sur  lequel 
on  avait  écrit  ;  ou  bien  encore  Wi7iitawtgeginoliskawlungtanawnelitisesti,  qui,  traduit 
en  français,  signifie  :  ils  auront  bientôt  fini  d'accorder  des  faveurs  éloignées  à  toi  ou  à 
moi. 

(3)  Une  langue  agglutinante  est  celle  où  l'on  place  les  racines  à  côté  les  unes  des 
autres  pour  former  des  mots  différents  sans  changer  leur  construction.  «  Casi  todas 
las  lenguas  americanas  son  polisilâbicas  o  aglutinativas,  es  decir  que  difieren  esencial- 
mente  del  grupo  de  lenguas  monosiiâbicas  del  Asia  oriental  y  de  las  lenguas  a  flexion 
que  hablan  los  pucblos  arianos.  »  (Amegliino,  /.  c,  t.  I,  p.  7G.) 

(4)  Nous  ne  saurions  partager  l'avis  du  chanoine  Farrar  {Familles  of  Speech,  p.  134 
etsuiv.  London,  1873)  qui  prétend  que  la  richesse  que  l'on  admire  dans  les  anciennes 
langues  américaines  n'est  qu'un  moyen  de  dissimuler  leur  pauvreté. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  ^ 

sence,  le  langage  des  tribus  qu'ils  visitaient  de  nouveau  (1). 
La  différence  dans  la  civilisation  de  ces  hommes  n'était  guère 
moins  remarquable.  Elle  ne  saurait  cependant  nous  surpren- 
dre :  car  à  la  même  époque  des  diversités  tout  aussi  radicales 
existaient  chez  les  races  européennes,  et  subsistent  même  de 
nos  jours,  malgré  la  fréquence  des  communications.  Parmi  les 
peuples  de  l'Amérique,  les  uns  étaient  riches,  industrieux, 
adonnés  à  l'agriculture  ;  ils  avaient  un  gouvernement  organisé, 
des  villes,  des  lois,  un  système  religieux,  une  puissante  hiérar- 
chie sacerdotale.  En  rendant  compte  à  l'empereur  Charles-Quint 
d'une  reconnaissance  envoyée  dans  la  province  de  Quacalco, 
Cortès  lui  mandait  que  les  rives  du  fleuve  (2)  étaient  parse- 
mées de  grandes  et  nombreuses  cités.  «  Toute  la  province, 
ajoutait-il,  est  fort  plane,  riche  et  abondante  en  toutes  les 
productions  du  pays  (3).  »  Sur  bien  d'autres  points,  il  pouvait 
signaler  une  situation  non  moins  florissante.  A  côté  de  ces 
peuples,  que  l'on  ne  saurait  mieux  comparer  qu'aux  antiques 
nations  de  l'Asie,  habitaient  d'autres  races,  en  contraste  complet 
avec  eux;  des  Indiens  sédentaires  et  agricoles  vivant  en 
commun,  dans  des  pueblos  semblables  par  leurs  dispositions 
à  des  ruches  d'abeilles;  les  Algonquins  et  les  Apaches,  sauvages 
nomades  se  nourrissant  d'herbes  ou  de  racines,  quand  la 
chasse  ou  la  pêche  leur  faisaient  défaut;  les  Aléoutes  couverts 
de  hideuses  peintures,  ne  connaissant  que  leurs  passions  bru- 
tales et  ignorant  un  lien  même  temporaire  de  mariage  (4).  Ces 
hommes  adoraient  les  animaux,  le  serpent  ou  le  hibou,  par 
exemple,  le  tigre  dans  le  Honduras,  l'écureuil  dans  l'île  de  Van- 
couver. Ce  n'était  même  pas  là  la  limite  extrême  que  pouvait 
atteindre  la  dégradation  humaine;  chez  certaines  tribus  cali- 
forniennes,  hommes  et  femmes  erraient  absolument  nus  dans 


(1)  D'  Cari  Gûttler,  Naturforschung  und Bihel.  Freiburg  im  Brisgau,  1877. 

(2)  Le  Coatzacualco,  rivière  de  l'isthme  de  Tehuaatepec,  à  l'extrémité  sud  de  la  pro- 
vince de  Vera-Cruz. 

(3)  Carta  segunda  de  Relacion  ap.  Lorenzana,  f"»  91-92. 

(4j  On  rapporte  que  la  pluralité  des  hommes  existait  chez  eux  et  qu'une  femme 
pouvait  avoir  à  la  fois  plusieurs  maris. 


8  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

leurs  forêts,  n'admettant  ni  lois,  ni  dieux,  ni  chefs,  et  sans  autre 
abri  que  la  cime  des  grands  arbres  ou  la  caverne  qu'ils  dispu- 
taient aux  animaux. 

L'Amérique  du  Sud  ne  présentait  pas  des  contrastes  moins 
frappants.  A  côté  des  Péruviens,  le  peuple  le  plus  riche  et  le 
plus  avancé  en  civilisation  des  deux  Amériques,  les  barbares 
Querandis  occupaient  les  territoires  actuels  des  républiques  de 
l'Uruguay  et  de  Buenos-Ayres.  Don  Pedro  de  Mendoza  débarqua 
le  2  février  1535  à  l'embouchure  du  Roi  Chuelo,  où  il  fonda  le 
Puerto  de  Santa-Maria-de-Buenos-Aires.  Un  de  ses  compagnons 
a  raconté  son  expédition  (1)  et  ses  longues  luttes  contre  des  sau- 
vages qui  ne  connaissaient  que  les  armes  de  pierre,  la  fronde 
avec  laquelle  ils  lançaient  des  bolas^  et  le  lasso  si  redoutable  dans 
leurs  mains.  L'extrême  Sud  était  moins  civilisé  encore,  et  de 
vastes  déserts  étaient  parcourus  par  des  sauvages  nomades,  tou- 
jours en  lutte  les  uns  contre  les  autres  et  disputant  aux  animaux 
leur  gîte  et  leur  subsistance. 
Espagnols  Tcls  étaient  les  peuples  sur  lesquels  les  Européens  allaient  se 
Portugais,  jeter  comme  sur  une  proie  livrée  à  leur  avidité.  Tandis  que 
Certes  soumettait  l'Amérique  centrale,  Pizarre  renversait  le 
trône  des  Incas  ;  les  compagnons  de  Mendoza,  les  Solis,  les 
Gaboto,  les  Cabeça  de  Yaca  remontaient  le  Rio  de  la  Plata,  le 
Paraguay,  le  Parana  ;  leur  valeur  et  leur  énergie  assuraient  à 
l'Espagne  le  magnifique  empire  colonial  qui  a  duré  jusqu'au 
dix-neuvième  siècle.  Pourquoi  faut-il  qu'une  indigne  cruauté 
et  un  sombre  fanatisme  aient  déshonoré  leur  gloire? 

Les  Portugais  n'étaient  pas  moins  actifs,  et  les  deux  nations 
se  disputaient  le  Nouveau  Monde  avec  une  féroce  ardeur  (2). 
Le  9  mars  1500,  Alvarez  de  Cabrai  quittait  le  Portugal  à  la  tête 

(1)  Un  soldat  allemand,  Ulrich  Schmidt,  qui  faisait  partie  de  l'expédition,  en  a  con- 
servé un  récit  intéressant.  Il  a  été  imprimé  en  1567  à  Francfort-sur-le-Mein,  sous  le 
titre  de  Wahraftige  Beschreihung  aller  und  Mancherley  Sorgfaltigen  Schiffarten 
auch  vicier  unbekandten  erfudnen  Landshaften.  On  peut  aussi  consulter  Ruy  Diaz 
de  Guzman,  Historia  del  descubrimento,  conquistas  y  poblacion  del  Rio  de  la  Plata. 

(2)  Il  faut  lire,  sur  la  part  prise  par  les  Portugais  dans  la  découverte  du  Nouveau 
Monde,  un  excellent  travail  de  M.  L.  Cordeiro,  inséré  dans  le  premier  volume  du 
Compte  rendu  du  Congrès  des  Américanistes  tenu  à  Nancy  en  1875. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  9 

d'une  flotte  de  treize  vaisseaux,  pour  se  rendre  dans  les  Indes  par 
le  cap  de  Bonne-Espérance.  Après  avoir  dépassé  les  îles  du  Cap- 
Vert,  il  navigua  à  l'ouest  pour  éviter  le  calme  plat  qui  régnait 
sur  les  côtes  de  la  Guinée.  Le  hasard  le  servit  au  delà  de  ses  espé- 
rances; six  semaines  après  son  départ,  il  abordait  à  Porto-Se- 
guro  ;  le  Brésil  était  découvert  (1),  et  il  avait  l'honneur  de  donner 
à  sa  patrie  une  contrée  seize  fois  plus  vaste  que  la  France  (2).  Le 
pays  était  habité  par  les  Tupis,  de  race  guaranie  (3).  Ces  hommes, 
réunis  en  peuplades  dans  des  villages  composés  ordinairement 
de  quatre  vastes  tonnelles  de  verdure,  formant  au  centre  une 
place  carrée,  vivaient  absolument  nus,  se  servaient  avec  dex- 
térité de  leur  arc  et  se  nourrissaient  du  produit  de  leur  chasse. 
Une  étrange  parure  les  défigurait  ;  la  lèvre  inférieure  des 
hommes  était  perforée  par  une  cheville  en  bois  ou  bien  par 
une  pierre  de  jade,  dont  le  poids  la  faisait  pendre  d'une  façon 
hideuse  (4). 

Quelques  années  après  (5),  Magellan  découvrait  le  détroit  qui 
porte  son  nom.  Un  Itahen,  Antonio  Pigafetta,  qui  l'accompagnait, 
raconte  (6)  que  le  grand  navigateur  ayant  dû  hiverner  dans  la 
baie  de  Saint-Julien,  on  lui  amena  un  Indien  surpris  par  ses 
matelots.  Cet  homme,  dit  notre  chroniqueur,  était  bien  formé 


(1)  Il  serait  possible  qu'avant  cette  époque  les  Français  eussent  abordé  sur  quel- 
ques points  du  Brésil  ;  voici  ce  que  rapporte  Bergeron  [Hist.  de  la  navigation.  Paris, 
1630,  p.  107):  «  Toutesfois  nos  Normands  et  Bretons  maintiennent  les  premiers  avoir 
trouvé  ces  terres-là,  et  que  de  toute  ancienneté  ils  ont  trafiqué  avec  les  sauvages  du 
Brésil  au  lieu  dit  depuis  Port- Real.  Mais  faute  d'avoir  gardé  par  écrit  la  mémoire  de 
cela,  tout  s'est  mis  en  oubli  ;  ce  pays  fut  appelé  par  les  Portuguais  terre  de  Sainte- 
Croix  à  cause  d'une  croix  que  Cabrai  y  fit  solennellement  arborer  ;  mais  nos  Français 
lui  ont  donné  le  nom  de  Brésil,  pour  ce  que  ce  bois  y  croist  en  abondance  en  certains 
endroits.  »  On  peut  aussi  consulter  un  mémoire  de  M.  Gaffarel  {Congrès  des  Améri- 
canistes,  Luxembourg,  1877,  t.  I). 

(2)  La  superficie  du  Brésil  est  de  8,750,000  kilom.  carrés. 

(3)  D'  Couto  de  Magahaës,  0  Selvagem,  Rio-de-Janeiro,  1876.  Les  Guaranis  peu- 
plaient également  la  République  Argentine,  l'Uruguay  et  le  Paraguay. 

(4)  De  nos  jours  encore  cette  hideuse  coutume  se  conserve  chez  les  Botocudos,  peu- 
plade sauvage  et  cannibale  du  Brésil. 

(5)  De  1519  à  1522. 

(6)  Primo  Viaggio  intomo  al  gloho  navigazione  sulla  squadra  di  Magagliano. 
Milano,  1800.  —  Moreno,  Les  Paraderas  de  la  Patagonie  {Rev.  d'anth.,  1874). 


iO  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

quoiqu'un  peu  plus  grand  qu'un  homme  ordinaire,  son  visage 
était  peint  en  rouge  (1),  et  le  contour  de  ses  yeux  en  jaune;  il 
était  habillé  avec  la  peau  d'un  animal  à  tête  et  oreilles  de  mulet, 
col  et  corps  de  chameau,  jambes  de  cerf  et  queue  de  cheval. 
Il  portait  une  espèce  de  chaussure  faite  avec  la  peau  du  même 
animal,  et  tenait  à  la  main  un  arc  court  et  gros  avec  une  poi- 
gnée de  flèches  à  pointe  de  pierre  blanche  ou  noire.  »  C'était  un 
Tehuelche  auquel  Magellan  imposa  le  nom  de  Patagon,  à  raison 
de  la  taille  de  son  pied  qu'agrandissait  encore  la  forme  de  la 
chaussure  qu'il  portait. 

Avant  l'arrivée  des  Européens,  la  Guyane  était  habitée  par 
une  multitude  de  petites  tribus  indigènes  qui  souvent  n'étaient 
composées  que  de  quelques  familles.  Les  plus  avancés  parmi 
ces  hommes  cultivaient  des  champs  de  manioc,  dont  les  ra- 
cines suffisaient  à  leurs  besoins.  Leurs  arcs  et  leurs  hamacs  en 
fil  de  coton  constituaient  toute  leur  richesse.  L'autorité  de  leurs 
chefs  était  presque  nulle  et  leur  ignorance  religieuse  si  grande 
qu'on  ne  pouvait  même  les  accuser  d'idolâtrie.  Ils  n'avaient 
qu'une  idée  fort  vague  d'un  bon  et  d'un  mauvais  esprit,  et  leur 
unique  plaisir  était  de  s'enivrer  au  moyen  d'une  boisson  fabri- 
quée avec  des  racines  de  manioc  que  les  vieilles  femmes  mâ- 
chaient et  qu'elles  faisaient  ensuite  fermenter  (2). 

Nous  n'avons  pas  à  poursuivre  le  récit  de  ces  grandes  décou- 
vertes ;  il  nous  faut  revenir  ^ux  compagnons  de  Cortès,  et  dire 
les  nouveaux  sujets  d'étonnement  qui  les  attendaient.  Jusque 
dans  les  contrées  les  plus  éloignées,  jusque  dans  les  forêts  sécu- 
laires qui  couvraient  le  Chiapas,  le  Guatemala,  le  Honduras, 
le  Yucatan,  et  où  il  fallait  le  plus  souvent  se  frayer  un  passage, 
la  hache  à  la  main,  des  statues,  des  colonnes,  des  hiéroglyphes, 
des  villes  détruites,  des  palais  abandonnés,  des  ruines  grandioses 
surgissaient  de  tous  côtés,  muets  témoins  de  siècles  écoulés  et 
de  races  disparues.  Partout  les  Conquistadores  pouvaient  cons- 
tater une  civilisation  autrement  ancienne  et  probablement  su- 

(1)  Les  femmes  avaient  l'habitude  de  se  peindre  également  les  seins  en  rouge. 

(2)  Ïernaux-Gompans,  Notice  hist.  sur  la  Guyane  française.  Paris,  1843,  p.  35. 


L'HOMiME  ET  LE  MASTODONTE.  4i 

périeure  à  celles  des  peuples  qu'ils  soumettaient;  et  aussi  les 
luttes,  les  guerres,  tristes  fléaux  de  l'humanité  dans  tous  les 
temps  et  sous  tous  les  climats. 

Trois  siècles  environ  avant  la  venue  de  Cortès,  les  Aztecs, 
qui  devaient  être  vaincus  par  lui,  s'étaient  établis  dans  l'Ana- 
huac  (1)  ;  après  des  luttes  fort  vives  et  des  défaites  qui  les  avaient 
momentanément  abattus,  ils  y  avaient  fondé  Tenotchitlan  (2) 
qui  était  devenu  leur  capitale.  Il  est  presque  impossible  de  fixer 
les  limites  exactes  de  leur  empire  qui  s'étendait  de  l'Atlantique 
au  Pacifique,  dans  les  pays  qui  forment  aujourd'hui  le  Mexique 
et  une  partie  des  Etats-Unis  (3).  Ces  limites  variaient  sans  cesse 
par  la  soumission  d'une  tribu,  par  la  révolte  d'une  autre  qui 
retrouvait  une  indépendance  éphémère.  Il  est  même  douteux 
que  cet  empire  fût  autre  chose  qu'une  confédération  de  tribus 
de  race  Nahuatl,  comme  les  Aztecs  eux-mêmes  ;  parmi  ces 
peuples,  les  Acolhuas  et  les  Tepanecs  paraissent  avoir  été  les 
plus  importants. 

Ce  qui  est  plus  certain,  c'est  que  leur  domination,  dure  pour 
leurs  sujets,  était  peu  solide.  Cortès  trouva  des  alliés  fidèles 
parmi  les  tribus  mécontentes,  parmi  les  chefs  irrités  des  injures 
qu'ils  avaient  subies  ;  et  ce  fut  grâce  à  leur  concours  qu'il  par- 
vint à  briser  la  puissance  de  Montezuma  (4).  Ces  tribus  des- 
cendaient vraisemblablement  des  Toltecs,  qui,  comme  nous  le 
verrons,  avaient  envahi  le  Mexique  avant  les  Aztecs  (5).  Notre 


(1)  Le  nom  d'Anahuac,  très  improprement  appliqué  à  l'Empire  mexicain,  était  général 
à  tout  pays  situé  auprès  d'un  lac  ou  d'une  grande  étendue  d'eau  (Brasseur  de  Bour- 
bourg.  Ruines  de  Pulenqué,  ch.  ii,  p.  32j. 

(2)  Nom  indien  de  la  ville  de  Mexico. 

(3)  Bancroft  (/.  c.  ,t.  II,  p.  94),  acceptant  les  données  de  Clavigero,  place  ces  limites 
entre  le  18'  et  le  21*  parallèle  sur  les  rives  de  l'Atlantique,  et  entre  le  14*  et  le  19"  sur 
celles  du  Pacifique. 

(4)  Nous  suivons  l'orthographe  adoptée  en  France.  Le  vrai  nom  du  chef  vaincu  par 
Cortès  était  Moctheuzema  IL 

(5)  Sahagun  est  le  premier  historien  qui  mentionne  les  Toltecs.  Leur  véritable  nom 
reste  encore  incertain.  Celui  que  nous  leur  donnons  dérive  de  Tollan  ou  Tula  leur 
capitale.  Depuis  M.  de  Humboldt,  on  a  voulu  voir  en  eux  les  constructeurs  de  ces 
villes  mystérieuses  qui  s'élèvent  dans  toute  l'Amérique  centrale  où  leur  empire  avait 
duré  plusieurs  siècles.  Une  tradition  longtemps  conservée  prétend  qu'ils  descendent 


12  L'AMERIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

ignorance  reste  complète  sur  cette  invasion,  que  les  historiens 
modernes  placent  vers  le  vi^  siècle  de  notre  ère.  Nous  savons 
seulement  que  les  Toltecs  formaient  une  confédération  et  que 
chacune  de  leurs  tribus  obéissait  à  un  chef  indépendant  (1). 
Ces  Pélasges  du  Nouveau  Monde,  comme  les  appelle  M.  de 
Humbolt,  sont-ils  les  seuls  constructeurs  des  monuments  que 
nous  aurons  à  décrire,  les  premiers  habitants  des  villes  en  ruines 
qui  restent  sans  nom  pour  leurs  descendants  ?  Cela  est  très  dou- 
teux, bien  que  nous  sachions  que  cette  race  a  marqué  plus  que 
toute  autre  dans  l'histoire  de  l'Amérique  centrale,  et  que  la  lan- 
gue, les  rites  religieux  et  les  coutumes  des  Toltecs  se  retrouvent 
depuis  le  Rio  Gila  jusqu'à  l'isthme  de  Panama.  Mais,  déchirés 
par  des  luttes  intestines,  décimés  par  des  maladies  pestilentielles, 
ils  ne  purent  résister  aux  Chichimecs.  Quelques-uns  parmi  eux 
se  retirèrent  vers  le  sud  et  se  confondirent  avec  les  Mayas,  déjà 
établis  dans  le  Yucatan  et  dont  nous  aurons  aussi  à  dire  la 
grandeur.  Les  Chichimecs  sont  plus  inconnus  encore  que  leurs 
rivaux  (2),  et  pour  ajouter  aux  difficultés  que  nous  rencontrons, 
leur  nom  est  resté  générique  pour  désigner  les  tribus  insoumises 
de  la  Nouvelle-Espagne.  De  là,  sans  doute,  l'opinion  générale 
qu'ils  étaient  sauvages  et  barbares.  Bancroft  les  dit  de  race 
Nahuatl  ;  d'autres,  et  parmi  eux  les  plus  anciens  historiens  du 
pays,  sont  d'un  avis  contraire,  et  prétendent  prouver  que  la 
langue  qu'ils  parlaient  était  absolument  différente  de  celle  des 
Nahuas  (3).  -      .  . 

de  sept  chefs,  sortis  des  sept  caves  dont  nous  aurons  occasion  de  reparler.  Le  lieute- 
nant Maury,  dans  une  lettre  de  1850  (Schoolcraft,  /.  c,  t.  I),  croit  que  les  sept  caves 
de  la  tradition  étaient  sept  canots  et  que  ces  hommes,  les  premiers  Toltecs,  venaient 
des  îles  Aléoutes. 

(1)  Ixtlilxochitl,  Hist.  Chichimeca.  Kingsborough,  Mex.Ant.,  t.  IX.  Cet  historien  des- 
cendait par  les  femmes  des  anciens  rois  du  pays.  Il  fut  élevé  par  les  Espagnols  et  se 
convertit  à  la  foi  catholique.  Il  vivait  encore  en  1608. 

(2)  «  I  will  only  mention  the  people  denominated  Chichimecs,  under  which  gênerai 
name,  wcre  designated  a  multitude  of  tribes  inhabiting  the  mountains  North  of  the  val- 
ley  of  Mexico,  ail  of  which  were  prominently  dépendent  on  the  resuit  of  the  chase 
for  their  subsistence.  »  Bancroft,  l.  c,  t.  I,  p.  617.  —  Becker,  Migrations  des  Nahuas, 
Congrès  des  Américanistes,  Luxembourg,  1877. 

(3)  Francesco  Pimentel,  Lenguas  indigenas  de  Mexico,  t.  I,  p.  154. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  13 

Tous  ces  hommes,  Toltecs,  Chichimecsou  Aztecs,  venaient  du 
Nord  (1),  et  descendaient  vers  le  Sud,  fuyant  le  froid,  cherchant 
des  terres  plus  fertiles,  des  climats  plus  hospitaliers  ;  ou  vaincus 
peut-être  par  des  races  plus  belliqueuses,  et  chassés  par  elles, 
comme  une  vague  en  pousse  une  autre.  Pénétrons  donc  dans 
ces  régions  du  nord,  le  berceau  de  la  race  ÎSahuatl  ;  nous  y  trou- 
verons des  tertres  d'une  grandeur  imposante,  des  terrassements 
immenses,  fortifications,  temples  ou  sépultures,  d'où  le  nom  de 
Mound-Builders  (2)  qui  a  été  donné  à  leurs  constructeurs  et  que 
nous  sommes  forcés  d'adopter  à  notre  tour,  car  leur  souvenir 
a  disparu  delà  mémoire  des  Indiens  rebelles  à  toute  civilisation, 
à  tout  progrès,  aujourd'hui  les  seuls  représentants,  nous  ne 
pouvons  dire  les  descendants  de  ces  hommes  qui  ont  couvert  de 
leurs  constructions  l'Amérique  du  Nord,  depuis  les  grands  lacs 
et  le  Wisconsin,  jusqu'au  golfe  du  Mexique,  depuis  l'Arkansas 
et  la  Californie,  jusqu'à  l'Atlantique  (3). 

Assurément  l'Amérique  raconte  un  antique  passé  ;  et  sans  ac- 
cepter les  prétentions  de  nombreux  écrivains  contemporains  (4), 
qui  veulent  qu'alors  que  l'Europe  était  habitée  par  des  sauvages 
nomades,  ne  connaissant  d'autres  armes  que  quelques  misé- 
rables pierres  à  peine  dégrossies,  l'Amérique  était  déjà  peuplée 
par  des  hommes  ayant  construit  des  villes,  élevé  des  monuments, 
vivant  au  milieu  d'une  civilisation  avancée  ;  il  faut  bien  recon- 
naître que  cette  civilisation,  cette  organisation  sociale  n'avaient 
pu  grandir  qu'avec  l'aide  du  temps.  Cette  richesse  qui  excita  l'ar- 
dente convoitise  des  Espagnols  s'était  lentement  accumulée.  Les 
monuments  du  Mexique  et  du  Pérou,  ceux  plus  anciens  de  l'Amé- 

(1)  Les  plus  anciennes  traditions  mexicaines  parlent  d'un  grand  empire  au  nord  du 
continent  américain,  auquel  on  donne  le  nom  de  Huehue-Tlapallan.  Nous  aurons 
occasion  de  revenir  sur  cette  question. 

(2)  Littéralement  constructeurs  de  tertres. 

(3)  Jones,  Ant.  of  the  Southern  Indians.  —  Bancroft  (t.  IV,  p.  748)  donne  une  carte 
de  leur  territoire. 

(4)  Agassiz  et  Lyell  sont  à  la  tête  de  ceux  qui  soutiennent  la  grande  antiquité  du 
continent  américain  ;  ce  dernier,  dont  les  chififres  paraissent  fantaisistes,  prétend  que 
le  Mississipi  coule  dans  son  lit  actuel  depuis  plus  de  cent  mille  ans  {Sec07id  Visit  to 
the  United  States,  t.  II,  p.  188). 


14  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

rique  centrale,  qui  frappent  les  archéologues  par  leur  singu- 
lière ressemblance  avec  les  temples  et  les  palais  de  l'Egypte  (1), 
les  tertres  même  de  l'Ohio  et  du  Mississipi  avaient  exigé  un  tra- 
vail intelligent,  une  population  nombreuse,  une  hiérarchie  ac- 
ceptée, que  les  siècles  seuls  peuvent  donner.  Durant  ces  siècles, 
dont  il  est  impossible  de  supputer  la  durée,  les  peuples  dont 
nous  recherchons  les  origines  avaient  été  précédés  par  d'autres 
peuples  plus  ignorants  et  plus  barbares.  Ils  est  certain  que,  dans 
tous  les  pays  du  globe,  la  civilisation  a  grandi  par  un  progrès 
lent  et  graduel.  C'est  là  une  loi  constante  de  l'humanité  à  la- 
quelle il  n'est  nulle  exception.  Le  temps  d'ailleurs  n'a  pas 
manqué  à  ces  transformations,  quelque  lentes  que  l'on  veuille 
les  supposer.  Les  œuvres  de  l'homme,  a  dit  Lyell,  sont  comme 
des  choses  d'hier,  si  nous  les  comparons  aux  effets  physiques 
qui  ont  successivement  formé  les  montagnes  et  les  vallées,  les 
rivières  et  les  lacs  de  notre  planète  (2). 

En  résumé,  des  multitudes  de  races  et  de  nations  ont  surgi 
sur  le  sol  américain,  puis  ont  disparu,  sans  laisser  d'autres 
traces  que  des  ruines,  des  tertres,  quelques  silex  taillés  ou  quel- 
ques débris  de  poterie.  L'histoire  ne  peut  retenir  que  des  faits 
qui  reposent  sur  des  monuments  écrits,  sur  des  traditions  sé- 
rieuses :  c'est  sur  ces  fondations  qu'elle  établit  la  chronologie  des 
temps,  la  filiation  des  nations  (3).  Ici  tout  manque.  Ceux  que  nous 
croyons  pouvoir  désigner  comme  aborigènes  étaient  peut-être  les 
vainqueurs  d'autres  races  qui  les  avaient  précédés;  puis  les  vain- 
queurs et  les  vaincus  tombent  dans  un  même  oubli,  et  les  noms 
des  uns  et  des  autres  sont  également  effacés  de  la  mémoire  des 
hommes  ! 

Quels  étaient  donc  ces  premiers  habitants  de  l'Amérique? 
D'où  venaient-ils?  Quelles  migrations  les  avaient  amenés?  Quels 
désastres  les  avaient  anéantis?   Par  quels  chemins  avaient-ils 


(1)  On  peut  consulter  sur  cette  ressemblance  :  Ensayo  de  un  estudi  comparativo  en- 
Ire  le  Piramide  Egypeias  y  Meiicanas.  Mexico,  1871. 

(2)  Travels  in  North  America,  t.  II,  p.  33. 

(3)  Fred.  v.  Hcllwald,  The  American  Migrations. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  15 

pénétré  dans  ces  terres  inconnues?  Devons-nous  admettre  des 
centres  différents  de  création,  elles  premiers  Américains  sont-ils 
nés  sur  la  terre  même  d'Amérique?  L'évolution,  la  sélection, 
ces  principes  qui  paraissent  si  sûrs  à  l'école  moderne,  ont-ils 
pu  produire  sur  les  rives  de  l'Atlantique  et  du  Pacifique  un 
homme  semblable  à  l'Européen  et  à  l'Asiatique,  semblable  par 
sa  charpente  osseuse,  semblable  par  son  développement  intellec- 
tuel? Problèmes  immenses  qu'il  faut  poser,  problèmes  redou- 
tables, car  ils  recèlent  à  la  fois  le  passé  et  l'avenir  de  l'humanité. 
Déjà  cependant  il  est  permis  d'affirmer  que  les  premiers  vestiges 
de  notre  race  en  Amérique  et  en  Europe  sont  exactement  sem- 
blables; ce  n'est  pas  le  côté  le  moins  saisissant  de  la  question, 
que  de  voir,  dans  le  nouveau  monde  comme  dans  l'ancien, 
l'homme  aborder  avec  des  moyens  presque  identiques  la  lutte 
pour  la  vie  (1). 

Un  point  est  désormais   irrévocablement  acquis  à  la  science.     Lhommc 
L'homme  a  vécu  dans  nos  régions  durant  l'époque  quaternaire  ;   Amérique^au 
il  a  été  le  contemporain  et  souvent  la  victime  de  ces  grands  ani-  animaux  *de 
maux  dont  les  squelettes  conservés  dans  nos  musées  montrent 
la  puissance.    Nos  vieux  ancêtres  ont  dû  lutter  contre  l'ours 
et  le  lion  des  cavernes,  contre  le  terrible  Machaïrodus  aux  ca- 
nines aussi  tranchantes  que  les  lames  d'un  poignard,  contre  le 
mammouth  et  le  rhinocéros  tichorhinus  ;  probablement  aussi, 
contre  VElephas  antiquus  et  le  Rhinocéros  etrusciis,  plus  anciens 
encore.  Les  premiers  Américains  ont  été,  eux  aussi,  les  contem- 
porains d'animaux  gigantesques  qui,  comme  leurs  congénères 
européens,  ont  disparu  sans  retour.  Il  leur  a  fallu  combattre  le 
mastodonte,  le  mégathérium   (fig.  1),  le  mylodon  (fig.  2),  le  me- 
galonyx,  l'éléphant  (2),  un  jaguar  plus  grand  que  le  jaguar 
actuel,  un  ours  non  moins  redoutable  que  l'ours  des  cavernes  (3). 

(1)  Le  D' Hamy,  Les  Premiers  Habitants  du  Mexique. 

(2)  Klephas  Colombi  (Owen).  On  le  trouve  dans  les  deux  Amériques  ;  mais  il  a  dis- 
paru dans  l'Amérique  du  Nord  plus  tôt  que  dans  l'Amérique  du  Sud. 

(3)  Parmi  les  espèces  fossiles,  il  faut  mentionner  les  équidés;  on  trouve  des  variétés 
nombreuses  depuis  les  États-Unis  jusqu'à  la  Plata,  et  dernièrement  on  a  recueilli  dans 
la  Nebraska  les  ossements  d'un  équidé  qui  diffère  peu  de  l'Equus  Caballus,  notre  che- 


race  éteinte. 


16  L'AMÉRIQUE    PRÉHISTORIQUE. 

11  leur  fallait,  comme  nos  pères,  les  attaquer  et  les  vaincre  avec 
des  haches  en  silex,  des  couteaux  en  obsidienne,  avec  toutes  ces 
misérables  armes  dont  nous  avons  été  si  longtemps  sans  com- 
prendre l'importance.  Par  une  de  ces  admirables  lois  de  la  Pro- 
vidence, en  Amérique  comme  en  Europe,  Tintelligence  devait 
l'emporter  sur  la  force  brutale  ;  l'animal,  malgré  ses  puissants 
moyens  d'attaque  et  de  défense,  devait  être  vaincu  dans  cette 
lutte  où  tout  paraissait  être  en  sa  faveur,  et  l'homme  faible  et 
nu  devait  vivre  et  se  perpétuer. 


Fig.  1.  —  Le  Megatherium. 


Cet  homme  n'avait  pas  seulement  à  lutter  contre  les  pa- 
chydermes et  contre  les  édentés.  Les  temps  oii  il  a  vécu  ont 
été  marqués  par  des  cataclysmes  , restés  dans  le  souvenir  des 
hommes.  «  Si  j'en  crois,  dit  l'abbé  Brasseur  de  Bourbourg  (1), 
les  documents  que  j'ai  été  assez  heureux  pour  recueillir,  il  y  a 
de  ces  dates  qui  feraient  allusion  à  des  convulsions  antiques  de 
la  nature  dans  ces  régions,  à  des  déluges,  à  des  inondations  ter- 
ribles, à  la  suite  desquels  auraient  surgi  des  montagnes,  accom- 

val  actuel.  Parmi  les  variétés  il  faut  mentionner  VHipparion,  VAnchiterium,  le  Pro- 
tohippus,  VOrohippus,  etc.,  qui  paraissent  les  ancêtres  du  cheval  (Gaudry,  les  En- 
chaînements du  moyide  animal).  Ameghino  {la  Antiguedad  del  Hombre,  t.  I,  p.  195) 
croit  pouvoir  déduire  de  cette  série  ascendante  que  le  cheval  est  originaire  de  l'A- 
mérique. 
(1)  Arch.  de  la  Com.  scientifique  du  Mexique,  t.  I,  p.  95. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE. 


^^ 


pagnées  d'éruptions  volcaniques.  Ces  traditions,  dont  on  trouve 
également  les  traces  au  Mexique,  dans  l'Amérique  centrale,  au 
Pérou  et  en  Bolivie,  donneraient  même  à  penser  que  l'homme 
existait  dans  ces  diverses  contrées  lors  du  soulèvement  des  Cor- 


Fig.  2.  —  Mylodon  robustus. 


dillères  et  qu'il  en  avait  gardé  le  souvenir.  »  Parmi  ces  cataclys- 
mes, il  faut  sans  doute  placer  la  période  glaciaire  qui  a  joué  un 
grand  rôle  dans  l'Amérique  du  Nord  et  dont  on  rencontre  par- 
tout les  traces  imposantes.  Ce  sont  des  rochers  striés  ou  mouton- 
nés par  le  frottement  des  glaciers,  des  blocs  erratiques  immenses, 
entraînés  par  un  mouvement  irrésistible.  Dans  la  Nouvelle-An- 
gleterre on  a  reconnu  des  stries  glaciaires  à  trois  mille  pieds  (1) 
d'élévation  ;  dans  l'Ohio  les  plus  hautes  atteignent  quatorze  cents 
pieds  ;  dans  l'Iowa,  le  Michigan  et  leWisconsin,  douze  cents  pieds 
environ  au-dessus  du  niveau  de  l'Océan  (2). 

(1)  Nous  avons  cru  devoir  suivre  les  mesures  américaines,  qui  sont  les  mêmes  que  les 
mesures  anglaises.  Rappelons  que  le  pied  vaut  0,30  ;  le  pouce,  0,0253  ;  le  mille, 
1609  mètres. 

(2)  Col.  Whittlesey,  Proc.  Am.  Ass.  for  the  Advancement  of  Science.  Buffalo, 
1866. 

De  Nadaillac,  Amérique.  2 


Kpoque 
ïlaciaire. 


18  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

L'action  des  glaciers  descendus  de  la  Sierra  Nevada  s'est  pro- 
duite en  Californie  sur  des  centaines  de  milles  carrés.  On  trouve 
dans  les  forêts  du  Brésil,  dans  les  pays  baignés  par  l'Amazone, 
comme  dans  les  vastes  savanes  de  Meta  et  de  l'Apura,  des  blocs 
erratiques  de  forme  conique  provenant  des  grands  glaciers  des 
Andes  (i).  Agassiz  constatait  ces  mêmes  phénomènes  en  pleine 
région  tropicale  dans  les  vallées  de  l'Amazone  et  du  Rio  de  la 
Plata  ;  à  ses  yeux  ils  étaient  si  considérables,  qu'il  lui  semblait 
impossible  qu'ils  ne  se  fussent  pas  étendus  sur  le  continent  amé- 
ricain tout  entier  (2). 

Le  professeur  Cook  (3)  a  dressé  une  carte  des  glaciers  du  New- 
Jersey.  Un  immense  glacier  progressait  lentement  du  nord  au 
sud,  broyant,  striant,  polissant  tout  sur  son  parcours,  arrachant 
aux  roches  qu'il  rencontrait  des  blocs  pesant  jusqu'à  vingt  tonnes 
elles  déposant  dans  une  moraine  terminale,  comme  ses  témoins 
éternels.  On  reconnaît  aujourd'hui  encore  cette  moraine,  vaste 
amas  de  débris  de  roches,  de  graviers  et  d'argile,  depuis  le  Ra- 
ritan  jusqu'au  Delaware. 

Ces  périodes  glaciaires  paraissent  s'être  renouvelées  à  plu- 
sieurs reprises.  M.  Sutton  signale  deux  dépôts  parfaitement  dis- 
tincts dans  le  Rentucky  (4).  Selon  lui,  l'un  de  ces  dépôts  serait 
antérieur  à  la  formation  de  la  vallée  de  l'Ohio;  le  second  n'aurait 
eu  lieu  qu'après  que  la  rivière  avait  creusé  son  lit  actuel.  Il  y  a 
quelques  années,  le  professeur  Newbury  annonçait  la  décou- 
verte, sur  les  bords  mêmes  de  l'Ohio,  d'un  Forest-Bed  renfermant 
les  ossements  du  mastodonte,  du  mammouth,  d'un  grand  cas- 
tor (5)  et  intercalé  entre  deux  couches  de  limon  dont  l'origine 
glaciaire  ne  lui  paraissait  pas  douteuse.  Déjà  on  avait  constaté, 
auprès  du  lac  Supérieur,  des  traces  non  équivoques  de  ces  deux 
périodes.  La  distinction  entre  elles  est  facile  ;  durant  la  première, 
les  glaciers  se  dirigeaient  du  Nord-Est  au  Sud-Ouest;  durant  la 

{\)Bul.  Soc.  Géog.,  avril  1880. 

(2)  Voyage  au  Brésil,  trad.  Vogeli.  Paris,  1869,  p.  428. 

(3)  Geology  of  New  Jersey. 

(4)  Proc.  Am.  Âss.  for  the  Advancement  of  Science.  Buffalo,  1876. 

(5)  Castoroides  Ohiensis  ?  (F ovstev). 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  19 

seconde,  du  Nord  au  Sud.  Pendant  l'intervalle  assurément  très 
long  qui  s'était  écoulé  entre  la  première  et  la  seconde  irrup- 
tion de  ces  glaciers,  l'Amérique  du  Nord  et  particulièrement 
les  territoires  qui  forment  l'État  de  l'Ohio  étaient  couverts  de 
magnifiques  forêts,  oi^i  les  mastodontes  et  les  megatheriums 
trouvaient  à  la  fois  une  retraite  assurée  et  l'abondante  nourri- 
ture nécessaire  à  leur  existence.  Les  débris  de  leurs  ossements, 
mêlés  à  ceux  d'immenses  végétaux,  sont  une  preuve  sans  répli- 
que (1).  Tout  récemment  enfin  la  commission  géologique  du 
Canada  (2)  constatait  à  son  tour  les  deux  périodes  glaciaires  ;  la 
première  et  la  plus  terrible  devait  correspondre  à  un  envahis- 
sement général  des  glaces  polaires,  l'autre  à  un  développement 
postérieur  des  glaciers  locaux. 

A  quelle  époque  remontent  ces  périodes  glaciaires  ?  L'imagi- 
nation humaine  a  peine  à  concevoir  leurs  causes  ou  leur  durée; 
l'histoire  et  la  tradition  restent  absolument  muettes  ;  nous  sa- 
vons seulement  qu'au  moment  où  elles  prenaient  fin,  des  inon- 
dations diluviennes,  caractérisées  par  des  torrents  impétueux, 
achevèrent  de  former  les  vallées  actuelles,  et  donnèrent  à  l'Amé- 
rique sa  configuration  physique,  qui  depuis  ce  moment  ne  s'est 
guère  modifiée. 

L'homme  a  vécu  durant  ces  tourmentes  (3)  ;  il  a  résisté  à  la 
rigueur  du  froid;  il  a  survécu  aux  cataclysmes;  les  dernières  dé- 
couvertes du  D"^  Abbott  (4)  dans  les  dépôts  glaciaires  de  la  vallée 
du  Delaware  (5),  auprès  de  Trenton  (New  Jersey),  paraissent  le 

(1)  American  Journal  of  Science,  t.  V,  p.  240. 
^2)  Geological  Sw^ey  of  Canada,  Report,  1877-8. 

(3)  «  I  see  no  reason  to  doubt,  dit  M.  Putnam,  the  gênerai  conclusion  in  regard  to 
the  existence  of  man  in  glacial  times,  on  the  Atlantic  coast  of  North  America.  » 

(4)  Primitive  Industry.  Salem.  Mass,  1881.  —  Paleolithic  Implemenls  from  the  Drift 
in  the  Valley  of  Delà  ware  River  near  Ire/z^on  (New- Jersey).  Report  Peabody  Muséum, 
1876  et  1878.  —  Th.  Belt,  Discovery  of  Stone  Instruments  in  the  Glacial  Drift  in 
North  America.  London,  1878. 

(5)  Le  Delaware  se  jette  dans  l'Atlantique  après  un  cours  de  120  lieues.  11  forme 
la  limite  des  deux  États  de  Pennsylvanie  et  de  New-Jersey.  Certains  géologues  croient 
à  la  submersion  d'une  partie  du  Continent  américain  à  l'cpoque  glaciaire.  Le  Delaware 
notamment  se  jetait  à  cette  époque  dans  l'Océan  auprès  de  Trenton  et  cette  ville 
est  aujourd'hui  à  120  milles  de  la  mer. 


20  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

prouver  avec  une  entière  certitude.  Dans  des  alluvions  quater- 
naires, formées  de  couches  non  remaniées  de  sable  et  de  gra- 
vier (1),  à  une  profondeur  variant  de  cinq  à  vingt  pieds,  M.  Ab- 
bolt  a  recueilli  un  nombre  considérable  d'outils  évidemment 
façonnés  par  la  main  de  l'homme  (fig.  3,  4,  5),  et  qui  offrent 


Fig.  3.  —  Instrument  en  pierre  de 
la  vallée  du  Delaware. 


Fig.  4.  —  Grattoir  provenant  de  la 
vallée  du  Delaware. 


une  grande  ressemblance  avec  les  instruments  paléolithiques  de 
nos  régions  et  en  particulier  avec  Jes  plus  anciens  de  tous, 
ceux  de  Saint-Acheul  ou  de  Chelles.  Ces  objets,  pointes  de  lance 
ou  de  flèche,  couteaux,  poinçons,  grattoirs,  éclats  de  toute  sorte 
ou  rejets  de  fabrication,  sont  en  trap  (2),  roche  argileuse  d'ori- 
gine volcanique,  très  dure  et  très  difficile  à  tailler;  aussi  les  re- 
touches   sont-elles  moins    nettement   accusées  que  celles,  par 


(1)  «  Why  sliould  this  recently  displaced  material  only  yield  the  rudest  forms  of 
cliipped  stone  implements,  when  the  surface  is  litteraly  covered  in  some  places,  witli 
ordinary  Indian  relies  ;  not  a  spécimen  of  which  basas  yet  occured  in  this  gravel.  » 
(Abbott,  Report,  Peabody  Muséum.  1876,  p.  35.) 

(2)  Le  gisement  de  trap  le  plus  rapproché  de  Trenton  se  trouve  à  30  milles  plus  au 
nord. 


L'HOMME  Eï  LE  MASTODONTE.  21 

exemple,  des  haches  de  la  vallée  de  la  Somme  (1).  Ils  se  ren- 
contrent au  milieu  de  boulders,  dont  quelques-uns  atteignent 
jusqu'à  vingt  pieds  de  diamètre,  de  roches  striées  et  polies  par 
l'action  des  glaces,  ou  entraînées  parcelle  des  eaux  torrentielles. 
Un  des  outils  présente  des  stries  absolument  analogues  à  celles 
des  cailloux  au  milieu  desquels  il  a  été  recueilli.  C'est  là  un  fait 
important  ;  il  convient  de  ne  pas  l'omettre. 


Fig.  5.  —  Arme  en  pierre  provenant  de  la  vallée  du  Delaware. 

La  découverte  de  Trenton  n'est  pas  isolée.  M.  Abbott  a  trouvé 
des  objets,  où  le  travail  de  l'homme  est  non  moins  évident  sur 
différents  points  du  New-Jersey  ;  et  il  reste  convaincu  que  des 
fouilles  scientifiquement  conduites  amèneraient  les  mêmes  ré- 
sultats dans  toutes  les  vallées  de  cet  État.  Les  îles  de  la  Susque- 
hanna  ont  donné  des  instruments  semblables  aux  instruments 
Scandinaves  les  plus  grossiers  (2).  Comme  ceux  de  Trenton,  ils 
ont  été  fabriqués  par  des  hommes  probablement  contemporains 

(1)  H.  W.  Haynes,  The  Argillite  Implements  found  in  the  Gravais  ofthe  Delaware 
River.  Boston  Soc.  of  Natural  Hist.  Jan.  1881. 

(2)  L.  du  Prof.  Haldeman  du  27  sept.  1877.  Report  Peabody  Muséum,  1878,  p.  255. 


22  L'AMÉRIQUE  PREHISTORIQUE. 

de  l'époque  glaciaire  et  ayant  certainement  précédé  de  bien  des 
siècles  la  race  qui  peuplait  l'Amérique  du  Nord  lors  de  l'arri- 
vée des  Espagnols  (1). 

Un  membre  de  la  commission  d'exploration  du  Mexique, 
M.  Guillemin  Tarayre,  annonçait  la  présence  de  silex  taillés  par 
l'homme  dans  des  gisements  quaternaires  (2).  Le  temps  lui  man- 
quait pour  continuer  ses  fouilles  ;  mais  des  découvertes  posté- 
rieures sont  venues  confirmer  ses  prévisions.  On  a  trouvé  une 
hachette  dans  le  Rio  Juchipila,  auprès   de  l'ancienne  ville  de 


Fig.  6.  —  Hachette  des  alluvions  du  Rio  Jucliipila. 

Teul  ;  puis  dans  le  Guanajuato  une- pointe  de  lance  du  type 
moUstérien  ;  sur  un  autre  point  une  hache  semblable  à  celles  de 
Saint-Acheul  et  un  grattoir  qui  rappelle  à  s'y  méprendre  ceux 
qui  remplissent  nos  musées  (fig.  6,  7,  8).  Cette  dernière  pièce  a 
été  recueillie  non  loin  de  Mexico,  dans  des  alluvions  quaternaires 
qui  ne  présentaient  aucune  trace  de  remaniement,  et  de  nom- 
breux débris  de  VElephas  Colombi  mêlés,  aux  œuvres  de  l'homme 
attestent  la  contemporanéité  de  cet  homme  et  du  proboscidien. 


(1)  Il  faut  aussi  mentionner  un  marteau  en  pierre  trouvé  à  Pemberton  (New-Jersey  j 
(fig.  9)  ;  on  a  cru  y  reconnaître  le  Swastika,  ce  signe  sacré  des  Ariens  qui  se  retrouve 
chez  les  Hindous,  les  Persans,  les  Troyens,  les  Pelasges,  les  Celtes  et  les  Germains. 
Sur  le  marteau  de  Pemberton,  il  est  assez  grossièrement  exécuté,  si  tant  est  qu'on  ait 
voulu  le  reproduire. 

(2)  JVa/wre,  1878,  le' sem.,  p.  262.  —  Ameghino,  Z.  c,  1. 1,  p.  148. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE. 


23 


Ce  n'est  pas  seulement  par  les  silex  taillés,  œuvre  de  leurs     Amériq..: 
mains,  que  nous  connaissons  les  anciens  habitants  de  l'Amé- 
rique. Il  a  été  trouvé  sur  plusieurs  points  des  ossements  humains 
associés  à  de  nombreux  débris  d'animaux  disparus  (1). 


Fig.  7.  —  Pointe  de  lance  trouvée 
auprès  de  Guanajuato, 


Fig.  8.  —  Grattoir  provenant  d'une  vallée 
auprès  de  Mexico. 


Lund  fut  un  des  premiers  à  les  signaler  (2).  Dans  une  caverne 
creusée  dans  le  calcaire  et  située  sur  les  bords  d'un  petit  lac,  le 
Lagoa  do  Sumidouro  (province  de  Minas  Geraës,  Brésil)  (3), 


(1)  Jadis  l'examen  était  très  superficiel  et  les  erreurs  inconcevables.  Je  ne  puis  en 
donner  une  meilleure  preuve  que  l'acceptation,  il  y  a  un  siècle  et  demi,  par  la  Société 
royale  de  Londres,  des  ossements  d'un  mastodonte  trouvé  auprès  d'Albany  (New-En- 
gland),  pour  des  ossements  humains  {P/iilos.  Transactions,  t.  XXIX,  1714). 

(2)  On  the  Occurence  of  Fossil  Human  Bones  in  South  America.  Nott  and  Gliddon, 
Types  of  Mankind,  p.  350.  —  Lacerda  et  Peixoto,  Contribuiçoes  ao  Estudo  Anthropo- 
logico  dos  Raças  indigenas  do  Brazil;  Archivas  do  Museu  Nacional,  Rio  de  Janeiro, 
1876. 

(3)  Cette  caverne  est  située  à  trois  lieues  de  Santa  Lucia,  entre  les  deux  rivières  de 
Las  Velhas  et  de  Paraopeba. 


24  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

il  mettait  au  jour  des  ossements  appartenant  à  plus  de  trente 
individus  d'âge  et  de  sexe  différents,  depuis  l'enfant  jusqu'au 
vieillard  décrépit. 

Des  tètes  se  rencontraient  parmi  ces  débris  ;  elles  étaient 
remarquables  par  leur  forme  pyramidale  et  par  l'étroitesse  du 
front.  «  Il  y  avait  des  mâchoires  inférieures,  écrivait  Lund,  quel- 


■  Fig.  9.  —  Marteau  en  pierre  provenant  de  Pemberton  (New  Jersey). 

ques  années  plus  tard  (1),  qui  n'étaient  pas  seulement  dépourvues 
de  toutes  leurs  dents,  mais  qui  étaient  tellement  usées,  qu'elles 
ressemblaient  à  une  plaque  osseuse,  épaisse  seulement  de  quel- 
ques lignes.  »  Plusieurs  crânes  présentaient  un  trou  de  la  même 
grandeur  et  toujours  de  forme  oblongue  et  régulière.  Il  est  pro- 
bable qu'il  avait  été  produit  par  des  armes  de  pierre  et  que  les 
blessés  n'avaient  pu  longtemps  survivre  à  ces  graves  lésions. 
Les  squelettes  (2),  confondus  dans  un  extrême  désordre  qui  ex- 


(1)  Lettre  de  Lund  à  Rafn,  datée  du  Lagoa-Santa  le  28  mars  1844.  Mém.  Soc.  Roy.  des 
Antiquaires  du  No7'd,  1845,  p.  49.  —  Cartailhac,  Matériaux  pour  l'histoire  de 
l'homme,  janv.  1882. 

(2)  Le  mot  de  squelettes  est  peut-être  impropre  ;  la  plupart  des  crânes  étaient 
entassés  séparément  ;  tandis  qu'un  autre  monceau  était  formé  de  petits  os,  tels  que  les 
osselets  des  doigts  et  des  orteils,  les  os  appartenant  au  carpe  ou  au  cou-de-pied  (L.  de 
Lund,  l,  c). 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  25 

cluait  toute  idée  de  sépulture,  gisaient  sur  la  terre  rouge,  sol 
primitif  de  la  caverne.  Ils  étaient  empâtés  dans  une  argile  dur- 
cie par  des  incrustations  calcaires  et  recouverts  par  d'immenses 
blocs  de  pierre,  tombés  des  parois  ou  de  la  voûte. 

Pêle-mêle  avec  les  ossements  humains,  on  recueillait  ceux  de 
plusieurs  espèces  encore  vivantes  dans  le  pays  principalement, 
des  félidés  (1)  et  des  cervidés  (2),  puis  d'autres  appartenant  à  des 
espèces  émigrées  ou  éteintes.  Citons  parmi  ces  dernières  un 
singe  (3),  un  rongeur  de  la  taille  du  tapir  (4),  un  pécari  deux 
fois  plus  grand  que  les  pécaris  actuels  (5),  un  cheval  assez 
voisin  de  notre  espèce  domestique,  un  auchenia,  un  grand  chat 
qui  dépassait  de  beaucoup  la  taille  du  jaguar  (6),  un  mégathe- 
rium  (7),  d'autres  encore  (8). 

Les  ossements  humains  présentaient  les  mêmes  caractères 
chimiques  que  ceux  des  espèces  animales  auxquelles  ils  étaient 
associés,  soit  dans  la  terre  restée  meuble,  soit  dans  celle  que 
des  infiltrations  calcaires  ont  transformée  en  une  brèche  d'une 
grande  dureté  (9).  Sans  doute  les  hommes  et  les  animaux  avaient 
vécu  ensemble;  ils  avaient  péri  ensemble,  victimes  des  mêmes 
catastrophes  dont  on  ne  peut  préciser  ni  l'époque,  ni  la  cause. 

C'étaient  là  les  débuts  de  Lund  (10).  En  poursuivant  ses  re- 
cherches dans  la  province  de  Minas  Geraës,  oii  il  eut  la  patience 
et  l'énergie  de  fouiller,  au  milieu  de  difficultés  sans  cesse  re- 
naissantes, plus  de  mille  cavernes,  il  rencontra  de  nouveau  des 
ossements  humains  (H  ) ,  au  milieu  d'importants  débris  d'animaux. 

(1)  Le  Puma  {Felis  concolori,  l'Ocelot  (Felis  pardalis). 

(2)  Cervus  rufus  et  C.  simplicornis.  Dasj/pus  longicaudis  et  D.  mirus. 

(3)  Callitrix  primœvus. 

(4)  Hydrochxrus  sulcidens. 

(5)  Dicotyles. 

(6)  Felis  protopanther. 

(7)  Acelidotherium  (Owen). 

(8)  Le  Ctamijdotherium  Humboldtii,  édenté  de  la  taille  du  tapir,  le  Platyonix 
(Lund),  entre  autres. 

(9)  De  Quatrefages,  Congrès  anthrop.  de  Moscou,  1879,  p.  6. 

(10)  Lund  consacra  quarante-huit  années  de  sa  vie  à  l'étude  de  la  faune  fossile  du 
Brésil. 

(11)  Six  cavernes  seulement  ont  donné  des  ossements  humains. 


2fi  L'AMÉKIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Par  de  longs  et  minutieux  travaux,  il  parvint  à  reconstituer  qua- 
rante-quatre espèces  disparues,  et  parmi  elles  plusieurs  singes, 
des  hoplophorus,  qui  atteignaient  la  grandeur  de  nos  bœufs  (1), 
et  le  smilodon,  grand  carnassier,  voisin  du  machaïrodus  qui  vi- 
vait dans  nos  climats  durant  les  temps  quaternaires. 

Lund  faisait  remonter  à  une  grande  antiquité  la  présence  de 
rhomme  sur  le  sol  américain.  «  L'habitation  de  l'Amérique 
méridionale,  disait-il  (2),  s'étend  non  seulement  au  delà  de  la 
découverte  de  cette  partie  du  monde,  mais  très  loin  dans  le  temps 
historique,  probablement  même  au  delà  de  celui-ci,  jusqu'au 
temps  géologique  ;  puisque  plusieurs  espèces  d'animaux  sem- 
blent avoir  disparu  des  rangs  actuels  de  la  création  depuis  l'ap- 
parition de  l'homme  dans  cet  hémisphère.  »  Le  savant  danois 
ne  s'était  arrêté  à  cette  opinion  qu'après  de  longues  hésitations, 
dont  la  trace  est  visible  dans  ses  écrits.  Durant  les  premiers 
temps  qui  suivirent  ses  remarquables  découvertes  (3),  il  datait 
seulement  des  temps  historiques  les  ossements  du  Lagoa  Santa. 

M.  Gaudry  se  range,  sans  hésiter,  aux  dernières  conclusions 
de  Lund  (4).  Il  croit  seulement  qu'il  faut  distinguer  dans  la  ca- 
verne de  Sumidouro  deux  couches  quaternaires  :  la  première 
et  la  plus  profonde  est  caractérisée  par  des  ossements  d'ani- 
maux disparus  (5)  et  devait  correspondre  à  l'âge  du  mammouth 
dans  nos  régions  ;  la  seconde  couche  est  caractérisée  par  des 
espèces  plus  réceqtes  et  serait  représentée  par  notre  âge  du 
renne.  C'est  à  cette  dernière,  qu'il  faut  rattacher  les  ossements 
humains.  Les  seules  preuves  que  nous  ayions  de  l'existence  de 
l'homme  au  Brésil  durant  l'époque  quaternaire  le  feraient  donc 

(\)  H.  Eiiphratus,  H.  Selloy,  H.  Minor.  Ce  dernier  était  beaucoup  plus  petit  que 
ses  congénères.  Pictet  range  les  Hoplophorus  avec  les  Glyptodons  parmi  les  Édcntés 
{Paléontologie,  t.  I,  p.  273),  mais  rien  ne  prouve  que  l'Hoplophorus,  ainsi  qu'on 
l'a  prétendu,  eût  une  cuirasse  comme  le  Glyptodon. 

(5)  Lettre  à  Rafn,  p.  5. 

(3)  «  A  mes  yeux,  disait  M.  de  Quatrefages  à  Moscou,  Lund  a  eu  incontestablement 
l'honneur  de  découvrir  l'homme  fossile  en  Amérique  et  celui  d'affirmer  cette  décou- 
verte à  une  époque  où  l'existence  de  cet  homme  était  regardée  en  Europe  comme  plus 
que  douteuse  par  les  hommes  les  plus  compétents.  » 

(41  Note  ms.  citée  par  M.  de  Quatrefages,  Cong.  anthr.  de  Moscou,  1879. 

(6)  Le  Platyonyx  et  le  Chlamydotherium,  par  exemple. 


L'HOxMME  ET  LE  MASTODONTE.  27 

remontera  des  temps  moins  anciens  qu'en  Europe.  Mais  hâtons- 
nous  d'ajouter  que  c'est  là  une  conclusion  que  des  découvertes 
nouvelles  peuvent  facilement  modifier. 

Dans  notre  colonie  de  la  Guyane,  l'homme  existait  alors  que, 
par  un  afîaissement  du  sol,  les  eaux  submergeaient  une  grande 
partie  de  la  contrée.  On  a  pu  relever  ses  traces  et  recueillir  des 
haches  en  pierre  polie  sur  les  bords  du  Maroni,  du  Sinnamari, 
de  la  rivière  de  Cayenne  et  de  l'Aprouague  (1).  Déjà  Strobel  (2) 
avait  signalé  sur  les  rives  de  la  Plata  des  poteries  du  travail  le 
plus  primitif  et  des  flèches  en  calcédoine  qui  paraissent  avoir 
appartenu  aux  plus  anciens  habitants  de  la  région,  et  les  para- 
deros  (3)  de  la  Patagonie  avaient  donné  de  nombreuses  flèches 
triangulaires  (fîg.  10)  se  rapprochant  soit  des  types  européens. 


Fig.  10.  —  Pointe  de  flèche  de  la  Patagonie. 

soit  des  types  péruviens  (4).  Dans  des  conditions  biologiques  et 
climatériques  très  différentes,  l'homme  était  arrivé  à  des  créations 
absolument  semblables.  Nous  reviendrons  souvent  sur  ce  point, 
assurément  un  des  plus  curieux  de  notre  récit. 

Il  nous  faut  raconter  les  plus  importantes  de  ces  dernières  dé- 

(l)  Maurel,  jBm/.  Soc.  anthr.,  avril  1878. 

{Tj  Matet'iali  di  Paletnologia  comparata,  racolti  in  Sud-America.V'âvma^,  1868. 

(3)  Le  nom  de  paraderas  vient  de  parar,  séjourner.  On  a  prétendu  qu'ils  occu- 
paient la  place  d'anciennes  habitations,  à  raison  des  parties  de  terrain  brûlées  qui 
y  abondent  et  qui  paraissent  avoir  servi  de  foyer. 

(4)  Moreno,  les  Paraderas préh.  de  la  Patagonie  (flew.  danthr.,  1874). 


28  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

couvertes.  Il  y  a  plusieurs  années,  M.  Séguin  recueillait,  sur  les 
bords  du  Rio  Carcarana  (province  de  Buenos- Ayres),  de  nom- 
breux ossements  d'animaux  disparus  (1):  un  ours  plus  grand  que 
Tours  des  cavernes  (2),  un  équidé,  le  mastodonte  et  le  megathe- 
rium.  Avec  ces  débris,  gisaient  des  ossements  humains,  des 
fragments  de  crânes,  de  mandibules,  de  vertèbres,  de  côtes, 
d'os  longs,  se  rapportant  au  moins  à  quatre  individus  différents. 
La  gangue  qui  les  enveloppait  était  de  tous  points  semblable  à 
celle  qui  renfermait  les  ossements  d'animaux  ;  nul  doute  sérieux 
ne  pouvait  s'élever  sur  leur  contemporanéité.  Il  n'en  peut  être 
de  même  pour  quatre  instruments  en  pierre  taillée  (3)  du  type 
néolithique  ;  ils  avaient  bien  été  trouvés  dans  la  même  formation, 
mais  non  dans  le  même  gisement,  il  convient  donc  de  faire 
certaines  réserves  à  leur  égard  (4). 
Découvertes  Laissous  maintenant  parler  un  autre  explorateur,  M.  Ame- 
M.Ameghino.  ghiuo  (5)  ;  il  uous  dira,  mieux  que  nous  ne  saurions  le  faire,  le 
résultat  de  ses  fouilles  :  «  Sur  la  rive  du  petit  ruisseau  de  Frias, 
aux  abords  de  Mercedes,  à  vingt  lieues  de  Buenos-Ayres,  j'ai 
rencontré  beaucoup  de  fossiles  humains  ;  j'en  ai  trouvé  mêlés  avec 
une  grande  quantité  de  charbon  de  bois,  de  terre  cuite,  d'osse- 
ments brûlés  et  striés,  de  pointes  de  flèche,  de  ciseaux  et  de  couteaux 
en  silex  (fig.  11),  et  une  grande  quantité  d'ossements  d'animaux 
éteints  (6),  ayant  des  stries,  des  incisions  faites  évidemment  par 

(1)  Gervais,  Journ.  de  zoologie,  t.  II,  1872.  Les  mammifères  dont  Séguin  a  retrouvé 
les  restes  sont  Y Arctotherium  Bonœriensis,  VHydrochœrus  magnus,  le  Mastodonte , 
le  Megatherium  Americanus,  le  Lestodon  trigonidens,  YEuryurus  rudis  et  un  équidé 
indéterminé  (Araeghino,  la  Antiguedad  del  Hombre  en  el  Plata,  t.  II,  p.  526). 

(2)  Ursus  spelœus.  Ses  ossements  se  rencontrent  en  nombre  considérable  dans  tous 
les  gisements  quaternaires  de  l'Europe. 

(3)  Trois  sont  en  quartzite,  un  en  calcédoine. 

(4)  Une  partie  des  ossements  et  des  silex  taillés,  recueillis  par  M.  Séguin,  ont  figuré 
à  l'Exposition  de  1867.  Ils  appartiennent  aujourd'hui  au  Muséum  de  Paris. 

(5)  L.  du  31  oct.  1875.  Journ.  de  zoologie,  t.  IV.  —  L'homme  préh.  dans  la  Plata 
{Rev.  d'anthr.,  1879-1880).  —  La  Antiguedad  del  Hombre  en  el  Plata,  2  vol.  in-S". 
Paris,  1881. 

(6)  M.  Ameghino,  dans  le  remarquable  ouvrage  auquel  il  nous  faut  renvoyer  nos 
lecteurs,  donne  des  détails  complets  sur  la  faune  et  la  flore  des  pampas.  Un  tableau  joint 
au  tome  II  montre  la  faune  tertiaire  de  la  Patagonie,  la  faune  du  pampéen  supérieur 
et  inférieur,  du  pampéen  lacustre,  des  alluvions  modernes,  enfin  la  faune  contempo- 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE. 


29 


la  main  de  Thomme,  des  os  pointus,  des  couteaux,  des  polissoirs 
en  os.  »  Plus  tard,  M.  Ameghino  découvrait  la  demeure  même 


Fig.  11.  —  Pointes  de  flèches  de  la  collection  Ameghino. 

de  cet  Américain  des  premiers  temps,  et  cette  demeure  assez 
étrange  était  la  carapace  d'un  tatou   gigantesque,   le   glypto- 


Fig.  12.  —  Le  Glyptodon. 

don  (1)  (fig.  12).  «  Tout  autour  de  la  carapace,  ajoute-t-il,  il  y 
avait  du  charbon,  des  cendres,  des  os  brûlés  et  fendus  et  quel- 


raine  de  la  conquête  espagnole.  A  l'aide  de  ce  tableau,  il  est  facile  de  se  rendre  compte  de 
l'apparition  et  de  la  disparition  des  diverses  espèces.  Les  mammifères  dont  M.  Ame- 
ghino a  reconnu  les  ossements  mêlés  à  ceux  de  l'homme  sont  :  le  Canis  cultridens, 
V Hydrochœrus  sulcidens,  le  Reithrodon,  le  Toxodon  Piatensis,  un  Equus,  un  Auche- 
nia  et  un  Cervus  indéterminés,  le  Mijlodon  robustus,  le  Panochœtus  tuberculatus,  le 
Glyptodon  reticulatus  et  le  G.  typus  (Ant.  del  Hombre,i.  II,  ch.  x,  xi,  xivetxv). 

(1)  Pictet  le  range  dans  l'ordre  des  Édentés  et  dans  la  famille  des  Tatous.  Burmeister 
{Ann.  de  Museo  publico  de  Buenos-Ayres)  cite  un  Glyptodon,  dont  la  carapace  pré- 
sentait un  diamètre  longitudinal  de  1™,64,  un  diamètre  transversal  de  l'°,32  et  une 
hauteur  de  l'^fio. 


30  L'AMERIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ques  silex.  On  voyait  agglomérée  la  terre  rougeâtre  du  sol  pri- 
mitif. Arrivé  à  ce  niveau,  on  continua  à  fouiller  et  l'on  découvrit 
un  instrument  en  silex,  des  os  longs  de  lama  et  de  cerf  fendus 
et  dont  quelques-uns  portaient  des  traces  évidentes  du  travail  de 
l'homme,  des  dents  de  toxodon  et  de  mylodon  (fig.  2),  égale- 
ment travaillées.  »  Plus  tard,  la  découverte  d'une  autre  cara- 
pace de  glyptodon,  dans  des  conditions  à  peu  près  analo- 
gues, vint  fortifier  la  conviction  de  M.  Ameghino  (1).  Au 
milieu  des  pampas,  de  ces  plaines  immenses  sans  un  accident 
de  terrain,  sans  un  arbre,  sans  un  rocher,  oii  il  pût  trouver  un 
abri,  pour  éviter  les  attaques  des  animaux  gigantesques  qui 
erraient  autour  de  lui,  l'intelligence  de  l'homme  ne  lui  fit 
pas  défaut;  il  avait  creusé  la  terre,  et  la  carapace  d'un  tatou 
vaincu  était  devenue  le  toit  de  la  tanière  qui  lui  offrait  une 
retraite  et  quelques  moments  de  sécurité  (2). 

De  longues  discussions  se  sont  élevées  à  la  suite  des  découvertes 
de  M.  Ameghino,  Burmeister  repoussait  la  contemporanéit-é 
des  hommes  et  des  mammifères,  dont  les  ossements  gisaient 
confondus  (3).  La  Société  scientifique  argentine  refusait  même 
d'entendre  la  lecture  du  mémoire  qui  les  racontait.  Nous  ne 
saurions  accepter  ces  décisions.  M.  Ameghino  affirme  que  les 
ossements  des  animaux  étaient  mêlés  aux  ossements  humains  ; 
les  uns  et  les  autres  étaient  couverts  de  dendrites  produites 
par  les  oxydes  de  fer  et  de  manganèse  du  sol.  Les  mêmes 
dendrites  se  retrouvaient  dans  les  stries  (4)  ;  c'est  là  une  preuve 

(1)  «  El  Hombre  seguraraento  habitaba  las  corazas  de  los  Glyptodon,  pero  no  siempre 
las  colocaba  en  la  posicion  que  acabo  de  indicar.  »  [La  Antiguednd  del  Hombre,  t.  II, 
p.  532.  —  Revue  se. publiée  par  la  République  française,  sous  la  direction  de  M.  Paul 
Bert,  1880.) 

(2)  Strabon  nous  dit:  «  Los  Chelenophages  couvrent  leurs  cabanes  d'écaillés  do  tor- 
tue. Ces  écailles  sont  de  telle  grandeur,  qu'ils  s'en  servent  quelquefois  comme  de  ba- 
teaux. «  {Geog.,  lib.  XVI.) 

(3)  Los  Caballos  fossiles  de  la  Pampa  Argentina.  Plus  tard  M.  Burmeister  se  mon- 
tre moins  afflrmatif  :  «Noparece,  dit-il,  que  sean  contemporaneos  de  los  animales  de 
la  epoca  inferior  porque  carecemos  de  pruebas  para  determinar  con  seguridad  que 
hayan  vivido  simultaneamente.  »  {Descripcion  fisica  de  la  Republica  Argentina.) 

(4)  Ameghino  (/.  c,  t.  II,  p.  424)  donne  la  liste  des  animaux  auxquels  appartenaient 
les  ossements  striés. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  31 

évidente  que  ces  stries,  qui  n'ont  pu  être  que  l'œuvre  de  l'homme, 
étaient  antérieures  à  l'ensevelissement  des  os.  D'autres  osse- 
ments avaient  été  fendus  longitudinalement  pour  en  retirer  la 
moelle,  apointés  en  forme  de  flèche  ou  de  poinçon,  noircis  par 
le  feu.  Le  charbon,  la  terre  brûlée  étaient  les  indices  certains 
du  foyer.de  l'homme  (1)  ;  les  pierres  n'ont  pu  être  taillées  que 
par  sa  main.  Nous  croyons  donc,  comme  M.  Ameghino,  que 
l'homme  vivait  dans  l'Amérique  du  Sud,  au  milieu  d'animaux 
disparus  depuis  longtemps,  qu'il  chassait  les  cerfs,  les  lamas, 
lespalœolamas,  les  nombreux  petits  rongeurs,  dont  les  ossements 
se  sont  accumulés  avec  les  siens  ;  qu'il  ne  craignait  même  pas 
de  s'attaquer  au  glyptodon  malgré  son  impénétrable  cuirasse, 
au  toxodon  (2),  au  megatherium,  au  mastodonte.  Leur  chair 
servait  à  sa  nourriture,  leur  peau  à  ses  vêtements,  et  leurs  os 
devenaient  ses  armes  et  ses  outils,  quand  les  silex  et  lesquartzites, 
qu'il  fallait  souvent  chercher  au  loin,  lui  faisaient  défaut.  Tout 
cela  nous  paraît  absolument  prouvé  (3). 

Il  reste  une  question  importante  à  résoudre.  A  quelle  époque 
remonte  la  formation  des  pampas  ?  A  quelle  date  géologique 
devons-nous  rattacher  le  pampéen  supérieur  où  les  ossements 
humains  ont  été  rencontrés?  Darwin  considère  ce  terrain 
comme  récent,  Burmeister  comme  quaternaire,  Bravard  et  Ame- 
ghino comme  pliocène.  Les  opinions  ne  diffèrent  pas  moins  sur 
le  mode  de  formation.  D'Orbigny  dit  que,  dans  les  temps  ter- 
tiaires, la  mer  recouvrait  la  plus  grande  partie  du  territoire 
argentin;  le  soulèvement  des  Andes  amena  de  grands  cata- 
clysmes et,  à  leur  suite,  la  formation  du  dépôt  argilo-sableux  des 

(1)  «  En  algunos  puntos  se  encuentra  una  gran  cantidad  de  fragmentes  informes  de 
tierra  cocida  de  color  ladrilloso.  Que  es  lo  que  indican  ?  Son  los  productos  de  les 
primeros  ensayos  en  el  arte  ceramico  6  son  el  simple  resultado  de  la  accion  del  fuego 
de  un  fogon  encidido  porel  hombre  de  la  epoca  del  Glyptodon  »  (Ameghino,  l.  c,  t.  I, 
p.  427.) 

(2)  Toxodon  Platensis  (Owen).  Le  premier  a  été  découvert  sur  les  bords  du  Rio  Negro 
à  120  milles  au  N.-O.  de  Montevideo  ;  la  longueur  de  sa  tête  était  de  2  pieds  4  pouces. 
Depuis  on  a  cru  pouvoir  distinguer  plusieurs  espèces. 

(3)  La  découverte  de  M.  Ameghino  n'est  pas  restée  isolée,  nous  aurons  l'occasion 
d'en  citer  une  autre  (chap.  ix). 


32  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

pampas.  Darwin  admet  aussi  cette  hypothèse  (1).  Lund  croit  que 
les  pampas  sont  des  terrains  de  transport,  amenés  par  une  grande 
inondation  qui  couvrit  toute  l'Amérique  du  Sud.  Bravard  veut 
y  voir  le  résultat  des  cendres  volcaniques,  des  sables  et  des  pous- 
sières charriés  par  de  violentes  tourmentes;  d'autres  géologues, 
le  limon  apporté  dans  la  période  de  leurs  grandes  inondations 
par  les  innombrables  ruisseaux  qui  descendent  des  Andes.  Le 
D""  Burmeister  nous  parle  de  l'action  des  glaces.  Pour  lui  les 
couches  pampéennes  sont  préglaciaires  et  postglaciaires,  carac- 
térisées l'une  et  l'autre  par  des  faunes  différentes  ;  mais  les  re- 
cherches plus  récentes  font  rejeter  avec  raison  les  changements 
entiers  et  rapides,  les  acteurs  entrant  ou  sortant  tous  ensem- 
ble de  la  grande  scène  de  la  vie.  Aucune  faune  n'a  ainsi  ni 
paru,  ni  disparu.  M.  Ameghino  nous  montre  d'ailleurs  dans  les 
couches  successives  les  grands  mammifères  tels  que  le  smilodon, 
le  felis  lojigifrons,  le  toxodon,  le  mastodonte;  ces  deux  derniers 
remontent  même  à  une  époque  relativement  récente.  L'hoplo- 
phorus,  le  megatherium,  le  mylodon,  que  Burmeister  classe 
parmi  les  animaux  préglaciaires,  se  trouvent  surtout  dans  le 
pampéen  supérieur.  En  revanche,  les  espèces  citées  comme  ca- 
ractéristiques de  l'époque  postglaciaire  se  rencontrent  à  tous  les 
étages.  Sans  continuer  ici  une  controverse  qui  nous  entraînerait 
trop  loin,  nous  dirons  que  la  formation  des  pampas  a  certaine- 
ment duré  un  temps  considérable,  «  largos  y  largos  siglos,  »  dit 
Ameghino  ;  qu'elle  est  due  à  des  causes  multiples  et  variées,  et 
que  toutes  celles  que  nous  venons  d'énumérer,  d'autres  proba- 
blement encore,  y  ont  sûrement  contribué.  S'il  est  impossible, 
dans  l'état  actuel  de  la  science,  d'établir  d'une  manière  précise 
le  rôle  de  chacune  de  ces  causes,  il  est  plus  impossible  encore 
de  les  dater  ;  et  les  difficultés  sont  d'autant  plus  grandes,  que 
les  périodes  géologiques  ne  sont  pas  synchroniques  en  Europe 
et  en  Amérique  et  que  leur  assimilation  encore  bien  imparfaite 


(l)  Il  est  remarquable  que  les  dépôts  pampéens  ne  renferment  pas  de  mollusques 
marins.  C'est  une  objection  grave  au  système  exclusif  soutenu  par  d'Orbigny  et  Darwin. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  33 

demande,  si  même  elle  est  jamais  possible,  de  longs  efforts  et 
de  patientes  recherches. 

Nous  ne  pouvons  omettre  un  crâne  découvert  en  1874,  par  le 
D'  Moreno,  sur  les  bords  du  Rio  Negro  (Patagonie),  à  quatre 
mètres  de  profondeur,  dans  une  couche  de  gravier  et  de  sable 
jaune,  qu'il  dit  d'une  formation  contemporaine  de  celle  du 
limon  pampéen  (1).  Bien  que  ce  crâne  ne  fût  accompagné  d'au- 
cun ossement  qui  permît  de  le  dater  avec  quelque  certitude, 
M.  Moreno  le  regarde  comme  très  ancien  et  signale  sa  remar- 
quable déformation  artificielle,  semblable  à  celle  qui  a  existé 
de  tout  temps  chez  les  Aymaras  et  qui  se  rencontrait  ainsi  à  plus 
de  six  cents  lieues  de  leur  patrie.  M.  Broca  a  aussi  appelé  l'atten- 
tion sur  les  traces  laissées  sur  le  frontal  par  une  ostéite  ancienne, 
et  il  n'hésite  pas  à  attribuer  cette  ostéite  à  une  affection  syphili- 
tique :  c'est  là  un  fait  pathologique  intéressant. 

Déjà  M.  Moreno  (2)  avait  recueilli  dans  les  anciens  cimetières 
de  la  Patagonie  de  nombreux  ossements  humains.  Qu'ils  soient 
fort  anciens,  cela  ne  fait  de  doute  pour  personne  ;  mais  leur  âge 
réel  est  bien  difficile  à  fixer  avec  quelque  certitude.  Les  sque- 
lettes étaient  le  plus  souvent  assis,  la  face  tournée  vers  le  dehors, 
les  genoux  près  de  la  poitrine,  un  pied  reposant  sur  l'autre,  et  les 
mains  croisées  sur  les  tibias.  C'est  à  peu  près  la  même  position 
que  celle  des  momies  péruviennes.  Avec  ces  squelettes  on  trouvait 
des  pointes  de  flèche  très  variées  de  forme,  en  roches  de  toute 
nature,  des  petits  couteaux  en  silex,  des  fragments  de  .poterie 
ornée  de  lignes,  de  points,  d'ondulations  ou  de  zig-zags,  des 
boules  en  grès,  en  diorite,  en  porphyre,  des  mortiers  en 
pierre  (3),  différents  mollusques,  et  enfin  des  os  de  guanaco  et 
d'autruche  cassés  longitudinalement.  Quelques-uns  des  osse- 
ments humains  étaient  teints  en  rouge.  Comme  certains  Indiens 
avaient  encore  au  siècle  dernier  l'habitude  de  se  peindre  le  vi- 
sage en  rouge  avant  de  partir  pour  une  expédition,  on  a  supposé 

(1)  Bul.  soc.  anthr.,  1880,  p.  490. 

(2)  Revue  d'mithr.,  1874. 

(3)  Le  plus  grand  mesurait  345""  de  diamètre  et  135">ni  de  hauteur. 

De  Nadaillac,  Amérique.  3 


Nord. 


34  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

que  ces  ossements  appartenaient  à  des  guerriers  tués  dans  le 
combat.  Il  était  utile  de  citer  ces  faits;  mais  il  faut  ajouter  que 
les  rites  funéraires  dont  ils  témoignent  ne  sauraient  remonter 
à  l'époque  quaternaire,  ni  avoir  été  pratiqués  par  les  contem- 
porains du  mylodon  ou  du  glyptodon. 
Amérique  du  Lcs  découvcrtcs  faites  dans  l'Amérique  du  Nord  ne  seraient 
pas  moins  curieuses,  s'il  était  permis  de  les  accepter  avec  plus 
de  confiance.  Cette  réserve  faite,  il  faut  les  raconter,  ne  fût-ce 
que  pour  montrer  combien  les  maîtres  de  la  science  eux-mêmes 
se  laissent  souvent  entraîner  par  leur  imagination,  plus  encore 
par  des  idées  préconçues.  Le  comte  F.  de  Pourtalès  avait  trouvé 
en  1848  des  mâchoires  humaines  encore  garnies  de  leurs  dents 
et  une  partie  des  os  du  pied  d'un  homme,  dans  un  conglomérat 
formé  de  fragments  coralliens  ou  de  coquilles  brisées,  et  enchâssé 
dans  les  rochers  à  pic  qui  surplombent  le  lac  de  Monroë  (Floride), 
à  16  kilomètres  de  la  côte.  Agassiz  (1)  avait  annoncé  le  fait  au 
monde  savant;  et  en  calculant  que  la  terre  sur  ce  point  ga- 
gne sur  la  mer  30  centimètres  environ  par  siècle,  il  donnait 
comme  âge  au  banc  de  corail  un  minimum  de  13,300  ans,  et 
10,000  ans  aux  ossements  qu'il  renfermait.  Lyell  (2),  Wilson  (3), 
bien  d'autres  savants  à  leur  suite,  acceptaient  et  le  fait  de  la 
découverte  et  les  conséquences  qui  en  ressortaient  lorsqu'une 
lettre  du  comte  de  Pourtalès  vint  mettre  fin  à  une  controverse  qui 
s'était  prolongée  pendant  plusieurs  années,  en  affirmant  que  les 
ossements  humains  avaient  été  trouvés,  non  dans  le  conglomé- 
rat corallien,  mais  bien  dans  un  calcaire  d'eau  douce  nette- 
ment caractérisé  par  des  mollusques  encore  vivants  dans  le 
lac  (4).  .-••■' 

A  Natchez,  le  docteur  Dickson  recueillait  dans  le  loess  du 
Mississipi,  à  côté  d'ossements  du  mylodon  et  du  megalonyx,  l'os 

(11  The  Lecture  of  Agassiz.  [Mobile  Daily  Tribune,  14  avril  1855).  —  Nott  and  Gliddon, 
Types  of  Mankind,  p.  352. 
(^)  Antiguity  of  Man,  p.  Ai. 

(3)  The  Prehistoric  Man,  p.  12. 

(4)  Il  y  rencontra  notamment  des  Ampularia  et  des  Paludina  [Americ.  Naturalist, 
Oct.  1868,  t.  II,  p.  443).  ' 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  35 

du  bassin  d'un  homme  (1),  noirci  comme  eux  par  le  temps, 
plus  encore  par  la  tourbe,  où  gisaient  les  uns  et  les  autres. 
Cette  fois,  sir  C.  Lyell  se  montra  plus  réservé  ;  il  reconnut 
que  cet  ossemenl  pouvait  bien  provenir  des  tombes  indiennes 
très  nombreuses  dans  les  environs,  et  avoir  été  entraîné  par 
les  eaux  (2).  Sir  J.  Lubbock  ne  se  prononce  pas  ;  mais  il  s'étend 
avec  une  certaine  complaisance  sur  l'opinion  d'Usher  qui  regar- 
dait cet  os  comme  fossile  (3).  11  aurait  dû  citer  aussi  le  savant 
Leidy  qui  réserve,  jusqu'à  preuve  plus  complète,  et  c'est  évi 
demment  le  parti  le  plus  sage,  toute  conclusion  sur  la  con- 
temporanéité  de  cet  homme  et  des  mammifères  avec  lesquels 
ses  ossements  étaient  confondus. 

Les  plaines  qui  s'étendent  de  la  Nouvelle-Orléans  au  golfe 
du  Mexique  sont  basses  et  humides.  11  est  difficile,  quand  on 
les   parcourt,   de  dire  si   c'est  la  terre   que  l'on  voit,    ou    des 
marécages  recouverts  de  plantes  aquatiques.  Cette  solitude  sau- 
vage, bornée  par  un   horizon  stérile,  est  le  séjour  des   fièvres 
perpétuelles,  des  reptiles,   des  insectes  de  tout  genre.  L'homme 
par  son  énergie  est  parvenu  à  vaincre  cette  nature  maudite,  et 
une  des  métropoles  du  Sud  s'élève  sur  des  terrains  d'alluvion 
déposés  par  le  Mississipi,  et  atteignant  sur  certains  points  jusqu'à 
cinq  cents  pieds  de  puissance.  Des  tranchées  exécutées  il  y  a 
quelques  années,  pour  l'établissement  d'une  usine  à  gaz,  ont  mis 
au  jour  plusieurs  couches  successives  d'anciennes  forêts.  Les  géo- 
logues ont  constaté   dix  générations  d'arbres    disparus  depuis 
des  siècles   (4).  Dans   une  couche  dépendant  de  la  quatrième 
forêt,  à  une  profondeur  de  seize  pieds,  parmi  les  troncs  d'arbres 
et  les  fragments  de  bois  brûlé   gisait  un  squelette.  Le   crâne 
était  recouvert  d'un  cyprès  gigantesque  qui  avait  vécu  de  longues 

(1)  Os  inominatum.  Nott  and  Gliddon,  Types  of  Marikind,  p.  349. 

(2)  Second  visit  to  America  in  1846,  t.  II,  p.  197.  —  Antiquity  of  Man,  ch.  x. 
(^)Uhomme  préhistorique,  trad.  Barbier,  p.  26.  —  Southall,  Récent  Origin  of  Man, 

p.  551.  —  Short,  The  Nortfi  Americans  of  Antiquity,  p.   114. 

(4)  Tableau  of  New  Orléans,  1852.  —Nott  and  Gliddon,  Types  of  Mankind,p.  338. 
—  Lyell,  Ant.  of  Man,  p.  44  et  200.  —  Lubbock,  ('Homme  préh.,  p.  261.  —  Sou- 
thall, Récent  Origin  of  Man,  p.  470  et  551.  —  Huxley,  la  Place  de  l'homme  dans  la 
nature,  note  du  D'  Daly.  •  •  -^ 


36  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

années  après  l'homme,  puis  qui  avait  succombé  à  son  tour  (1). 
M.  Bennett  Dowler,  en  calculant  la  croissance  et  la  durée  des 
diverses  couches  forestières,  porte  à  57,600  ans  l'âge  de  ces 
débris  humains.  C'est  là  un  calcul  trop  hypothétique  pour 
que  nous  croyions  devoir  le  discuter.  Le  D""  Dowler  semble 
l'avoir  compris  lui-même,  car  par  un  calcul  postérieur  il 
ne  porte  plus  l'antiquité  du  squelette  qu'à  14,400  ans  (2). 
Pas  plus  que  le  premier,  ce  dernier  chiffre  ne  reposerait  sur  un 
fondement  sérieux,  si,  comme  le  suppose  le  D'  Fostcr  (3),  les 
prétendues  forêts  successivement  ensevelies  n'étaient  que  les 
arbres  charriés  par  le  fleuve  dans  ses  crues  fréquentes,  et 
déposés  avec  les  alluvions  au  point  où  il  déchargeait  ses  eaux 
dans  la  mer.  La  même  conclusion  s'impose  si  nous  admettons 
l'opinion  du  D"^  Hilgard,  qui  ne  veut  voir,  dans  la  couche  où 
reposait  le  squelette,  qu'une  alluvion  récente. 

Dans  une  mine  de  sel  située  sur  l'île  de  la  Petite-Anse 
(Louisiane),  il  a  été  trouvé  une  natte  fabriquée  avec  des  ro- 
seaux entrelacés  (4).  Le  sel  se  rencontre  à  une  profondeur 
moyenne  de  quinze  à  vingt  pieds  ;  et  le  fragment  de  natte 
était  au  niveau  des  premiers  bancs  salins.  A  deux  pieds  au- 
dessus,  gisaient  des  fragments  de  défenses  ou  d'ossements  d'un 
éléphant.  L'homme  et  le  proboscidien  avaient  vécu  au  même 
moment;  ils  étaient  venus  mourir  au  môme  point. 

Le   D'  Koch  découvrait,  sur  les  bords  de  la  Rivière-Bour- 


(1)  Le  cyprès  {Taxodium  dislichum)  vit  très  longtemps.  Adanson  en  cite  un,  auquel 
il  attribue  5, "200  ans,  et  le  baron  de  Humboldt  parle  d'un  autre  à  Chapultepec.  déjà 
vieux  au  temps  de  Montezuma,  et  qu'il  suppose  âgé  de  6,000  ans  au  moins. 

(2)  Nous  reproduisons  ce  calcul  d'après  un  ouvrage  récent  (Short,  The  Nort/i  Arne- 
ricans,  p.  123)  ;  il  est  difficile  de  se  rendre  compte  de  ses  facteurs.  Le  D''  Dowler  attri- 
bue la  formation  du  delta  à  trois  époques  distinctes  :  1"  celle  des  plantes  marécageuses  ; 
2"  celle  des  cyprès  auxquels  il  n'accorde  plus  que  deux  générations  ;  3°  celle  des 
chênes  qui  forment  la  végétation  actuelle.  Il  donne  à  la  première  et  à  la  dernière  de 
ces  périodes  une  durée  de  1,500  ans,  à  la  seconde  une  durée  de  11,400  ans  basée  sur 
le  diamètre  des  cyprès  et  sur  les  cercles  concentriques,  qui  permettent  d'attribuer  à 
chaque  génération  une  existence  de  6,700  ans. 

(3)  Prehistoric  Races, p-  16. 

(4)  Arundinaria  macrospenna.  Cette  natte  est  aujourd'hui  déposée  au  musée  national 
do  Washington.  , 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  37 

beuse  (Gasconade  County,  Missouri),  les  débris  d'un  Masto- 
donte (1).  L'animal,  un  des  plus  grands  parmi  ceux  connus, 
s'était  embourbé  dans  les  marécages  ;  entraîné  par  son  poids, 
il  n'a\ait  pu  se  relever  et  il  était  tombé  sur  le  flanc  droit. 
Des  hommes  l'avaient  aperçu  dans  cette  position  ;  ils  l'avaient 
attaqué  de  loin  d'abord,  en  lui  lançant  des  flèches,  des  pierres, 
des  fragments  de  roche  que  l'on  retrouve  en  grand  nombre 
mêlés  à  ses  ossements  ;  puis,  pour  en  avoir  plus  facilement  raison, 
ils  étaient  parvenus  à  allumer  autour  de  lui  de  grands  feux 
attestés  par  les  cendres  qui  atteignaient,  sur  certains  points, 
jusqu'à  six  pieds  de  hauteur.  Les  flèches,  les  pointes  de  lance, 
les  couteaux  étaient  certainement  l'œuvre  de  l'homme;  les  frag- 
ments de  roche,  dont  quelques-uns  ne  pesaient  pas  moins  de 
vingt-cinq  livres,  avaient  été  apportés  de  loin.  Tout  paraît  prouver 
Texactitude  de  la  scène  que  retrace  Koch.  L'année  suivante,  il 
faisait  une  découverte  à  peu  près  semblable  dans  le  comté  de 
Benton  (Missouri).  A  dix  milles  environ  de  la  jonction  de  la  rivière 
Pomme-de-Terre  avec  l'Osage,  il  rencontrait,  sous  le  fémur  d'un 
mastodonte,  une  flèche  en  silex  rose,  puis  un  peu  plus  loin,  tou- 
jours dans  la  direction  de  l'animal,  quatre  autres  flèches  (2)  qui, 
selon  toutes  les  apparences,  avaient  été  lancées  contre  lui  (3). 

Très  probablement  ces  observations  sont  exactes  ;  malheu- 
reusement les  faibles  connaissances  scientifiques  de  Koch  (4), 
les  exagérations  dont  il  accompagnait  son  récit,  ont  jeté  tout 


(1)  Koch  avait  annoncé  sa  découverte  par  de  nombreux  pamphlets  qui  n'ont  aucune 
valeur  scientifique. Dana  a  conservé  les  titres  d'un  grand  nombre  d'entre  eu\{Koch's 
Evidence  on  the  Contemporaneity  of  Man  and  the  Mastodonte  in  Missouri.  American 
Juiirn.  of  Science  and  Arts,  May,  1875).  On  peut  aussi  consulter  Forster  {Preh.  Races, 
p.  62),  R!iu{Nort/i  Am.  Stone  Implements,  Smith.  Cont.  1872)  qui  admettent  l'authen- 
ticité de  la  découverte  de  Koch,  et  Short  [North  Americans)  qui  la  nie.  Schoolcraft  (/.  c, 
1. 1,  p.  174)  dit,  en  parlant  des  ossements  du  mastodonte  découverts  auprès  de  la  ri- 
vière Pomme-de-Terre,  qu'ils  n'étaient  pas  pétrifiés,  ce  qui  permet  de  douter  de  leur 
grande  antiquité. 

(2)  Trois  de  ces  flèches  étaient  en  agathe,  une  en  silex  de  couleur  bleuâtre. 

(3)  Trnns.  of  Saint-Louis  Acad.  of  Science,  1857. 

(4)  Koch  était  surtout  un  chercheur  habile  et  persévérant.  Les  musées  de  l'Améri- 
que et  de  l'Europe  sont  remplis  du  produit  de  ses  fouilles.  C'est  lui  qui  a  découvert, 
entre  autres,  le  magnifique  mastodonte  du  British  Muséum. 


38,  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

d'abord  sur  les  faits  eux-mêmes  quelque  discrédit.  Mais  les  dé- 
couvertes récentes  du  D'  Aughey  dans  l'Iowa  et  dans  la  Nebraska 
sont  venues  les  confirmer.  Là  aussi  on  a  rencontré  des  ossements 
de  mastodonte,  mêlés  à  de  nombreuses  pointes  en  silex.  Muni 
de  ces  faibles  armes,  répétons-le  avec  étonnement,  l'homme 
n'hésitait  pas  à  attaquer  l'animal  gigantesque  et  parvenait  même 
à  le  vaincre. 

Dans  la  région  des  Montagnes-Rocheuses,  sur  divers  points 
des  côtes  du  Pacifique,  on  signale  de  nombreuses  traces  de  la 
présence  de  l'homme.  La  découverte  d'outils  ou  d'armes,  à 
plusieurs  centaines  de  pieds  de  profondeur,  dans  des  couches 
diversement  stratifiées  et  ne  présentant  aucune  trace  de  re- 
maniement, implique  seulement  que  le  pays  était  peuplé  bien 
des  siècles  avant  l'arrivée  des  Espagnols  et  que  les  hommes 
qui  l'habitaient  avaient  été  les  témoins  des  convulsions  de  la 
nature,  des  phénomènes  volcaniques  qui  avaient  amené  des 
changements  si  remarquables.  Mais  quand  les  ossements  de 
l'homme,  les  produits  de  sa  très  primitive  industrie,  sont 
associés  à  des  restes  d'animaux,  disparus  depuis  des  temps 
dont  il  est  difficile  de  supputer  la  durée,  il  est  impossible  de 
ne  pas  faire  remonter  l'existence  de  cet  homme  à  l'antiquité 
la  plus  reculée   (1). 

Nous  constatons  ces  faits  dans  la  Californie,  dans  le  Colo- 
rado (fig.  13),  dans  le  Wyoming,  partout  où  les  fouilles  ont  pu 
avoir  lieu.  M.  Voy  (2),  dans  un  manuscrit  qui,  croyons-nous,  est 
resté  inédit,  signale  de  nombreuses  et  intéressantes  découvertes 
toutes  soigneusement  vérifiées.  Nous  citerons  deux  mortiers  en 
pierre  trouvés  dans  un  gravier  aurifère,  auprès  de  Table  Moun- 
tain, l'un  en  1858,  à  trois  cents  pieds  de  profondeur,  l'autre  en 
1862,  à  quarante  pieds  plus  bas,  au-dessous  d'une  couche  de  lave 
de  cent  quatre  pieds  de  puissance;  puis  à  San-Andrès  plusieurs 
de  ces  mêmes  mortiers  qui  abondent  dans  toute  la  Californie. 
Poursuivons  une   rapide  énumération,  que   nous  voudrions  en 

,  (1)  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  697. 
(2)  Relies  of  the  Stone  Age  in  California. 


Fig.  13.  —  Gorges  du  Rio  Colorado. 


40  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

vain  moins  aride.  Le  D'  Snell  parle  d'un  pendant  en  schiste 
siliceux,  et  de  plusieurs  pointes  de  lance.  A  Shaw's  Fiat,  ce  sont 
des  ornements  en  calcaire  et  un  mortier  en  granit;  auprès  de 
Sonera  et  à  Kincaid's  Fiat,  des  silex  taillés  ;  à  Gold-Spring 
Gulch,  un  plat  ovale  en  granit  de  plus  de  dix-huit  pouces  de  dia- 
mètre, de  deux  à  trois  pouces  d'épaisseur  et  du  poids  de  qua- 
rante livres  ;  à  Georges-Town,  plusieurs  plats  à  peu  près  sembla- 
bles. Partout  ces  silex,  ces  mortiers,  ces  plats  étaient  associés  à 
des  ossements  de  mastodonte,  d'éléphant,  d'un  grand  tapir  et  d'au- 
tres mammifères  disparus.  Une  tradition  assez  constante  attribue 
ces  objets,  œuvre  évidente  de  l'homme,  à  une  race  sauvage  et 
anthropophage,  disparue  comme  les  animaux  au  milieu  des- 
quels elle  vivait,  et  qui  n'avait  rien  de  commun  avec  les  In- 
diens actuels  (1). 

Des  traces  d'anciennes  exploitations  minières  se  voient  aussi 
sur  plusieurs  points  de  l'Amérique  du  Nord  ;  nous  savons  seu- 
lement qu'elles  sont  bien  antérieures  à  la  conquête  espa- 
gnole. En  Californie  on  cite  des  mines  de  mercure  (2)  où  les 
roches  se  sont  effondrées,  ensevelissant  dans  leur  chute  les 
mineurs,  dont  les  squelettes  gisent  au  fond  de  la  mine  à  côté 
de  grossiers  marteaux  de  pierre,  seuls  outils  de  ces  sauvages 
ouvriers.  Des  dépôts  calcaires  et  môme  des  couches  carboni- 
fères dans  le  Michigan  portent  la  trace  d'outils  à  peu  près 
analogues  (3)  ;  et  dans  les  mines  du  lac  Supérieur,  on  a  recueilli 
également  de  nombreux  marteaux  (4).  Nous  reviendrons  sur  ces 
questions;  mais  déjà  nous  pouvons  dire  que  de  pareils  travaux 
sont  absolument  étrangers  aux  Indiens  et  doivent  être  attribués 
à  une  race  différente. 

Remontons  le  cours  des  siècles.  M.  Berthoud  raconte  avoir 
trouvé  des   silex   travaillés   dans  des  sables  tertiaires  à  Cow's 

(1)  Bancroft,  /.  c,  t.  III,  p.  547.  Il  cite  un  manuscrit  inédit  de  M.  Powers.  Nous  repro- 
duisons [app.  A)  les  principales  découvertes  connues  et  la  faune  qui  les  accompagnait. 

(2)  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  696.  Les  Espagnols  ont  donné  à  ces  mines  le  nom  à'Altna- 
den,  en  souvenir  de  celles  de  leur  patrie. 

(3)  Am.  Ass.  Détroit  [Michigan),  Xilh. 

(4)  Am.  Ass.  Cambridge  {Mass.),  1849. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  4l 

Creek  et  auprès  de  la  rivière  South-Platte  ;  avec  ces  silex,  il 
recueillait  des  coquilles  qu'il  rattache  aux  plus  anciennes 
couches  du  pliocène,  peut-être  même  à  celles  du  miocène.  Ce 
sont  là,  il  faut  en  convenir,  de  faibles  témoignages  pour  at- 
tester un  fait  d'une  importance  aussi  capitale  que  l'existence 
de  l'homme  durant  les  temps  tertiaires  (1). 

La  découverte  qui  nous  reste  à  dire  a  été  discutée  dans  toutes     LUonmie 
les  sociétés  savantes  de  l'Amérique  et  de  l'Europe  ;  bien  que  la    "mériqu^^ 


Fig.   14.  —  Crâne  de  Calaveras, 

solution  ne  soit  pas  encore  satisfaisante,  il  convient  de  donner 
les  détails  qu'elle  comporte.  En  1857,  un  fragment  de  crâne  hu- 
main associé  à  des  ossements  de  mastodonte  avait  été  trouvé  à 
une  profondeur  de  180  pieds  dans  les  sables  aurifères  de  Table- 
Mountain  (Californie).  Le  Rév.  C.-F.  Winslow  s'empressa  de  trans- 
mettre ce  fragment  à  la  Société  d'histoire  naturelle  de  Bos^ 
ton  (2);  mais  cette  société  reconnut  qu'il  était  impossible  d'y 
attacher  aucune  importance,  parce  que  l'on  ne  possédait  sur  le 

(1)  M.  Berthoud  dit  avoir  trouvé  ces  objets  par  40"  lat.  nord  et  104°  longitude  ouest 
(Philadetphia  Acad.  of  Natural  Science,  1872). 

(2)  Whitney,  The  auriferous  Gravels  of  Sierra  Nevada,  p.  264. 


i2  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTOBIQUE. 

gisement  que  les  déclarations  d'ouvriers  fort  intéressés  à  cacher  la 
vérité  (1).  Quelques  années  après,  en  1866,  M.  Whitney,  directeur 
des  explorations  géologiques  de  la  Californie,  annonçait  la  décou- 
verte d'un  crâne,  cette  fois  à  peu  près  complet  (fig.  14),  à  130 
pieds  environ  de  profondeur,  dans  une  couche  de  graviers  auri- 
fères, située  sur  le  versant  occidental  de  la  Sierra-Nevada  (comté 
de  Calaveras).  Le  gisement  reposait  sur  un  lit  de  lave  et  était  re- 
couvert de  plusieurs  couches  soit  de  lave,  soit  de  dépôts  volca- 
niques succédant  à  des  couches  de  gravier  (2).  Cette  succession 
indique  clairement  de  longues  périodes  agitées,  où  de  puissants 
courants  ont  alterné  avec  des  éruptions  répétées.  Si  les  faits  que 
Ton  rapporte  sont  exacts,  depuis  l'existence  de  l'homme,  les  eaux 


(1)  Un  fragment  provenant  du  môme  crâne  fut  également  donné  par  le  Rév.  C.  F. 
Winstovv  au  Musée  des  sciences  naturelles  de  Philadelphie. 

(2)  Nous  reproduisons,  d'après  les  Matériaux  pour  l'histoire  primitive  et  naturelle 
de  Vhomme,  la  série  des  dépôts  de  haut  en  bas. 


1 .  lave  noire 40  pieds 

2.  graviers 3      » 

3.  lave  blanche 30      » 

4.  graviers 6      » 

5.  lave  blanche 15      » 


graviers 25  pieds 

lave  brune 9      » 

graviers 5      » 

lave  rouge 4      » 

graviers  rouges 17      » 


D'après  le  propriétaire  de  la  mine,  ce  serait  dans  la  couche  n»  8  que  le  crâne  dont 
nous  parlons  aurait  été  trouvé.  La  grande  épaisseur  des^  couches  de  lave  ne  saurait 
être  un  critérium  pour  juger  la  durée  des  éruptions.  La  lave  et  les  cendres  du  Vésuve 
qui  recouvrent  Herculanum  varient  de  76  à  112  pieds.  Humboldt  a  constaté  qu'en 
1750  l'éruption  du  volcan  de  JoruUo  au  Mexique  avait  déposé  une  couche  de  lave  de 
500  pieds  de  puissance.  En  1783,  le  volcan  de  Skaptar-Jokul  en  Islande  jetait  des  tor- 
rents dont  les  courants  mesuraient  une  longueur  do  45  et  de  50  milles.  Toute  la  vallée 
de  la  rivière  Skapta  sur  une  profondeur  variant  de  400  à  GOO  pieds  fut  comblée  et  la 
rivière  elle-même  desséchée.  Bischoflfa  calculé  que  le  volume  de  lave  produit  par  cette 
éruption  dépassait  celui  du  Mont  Blanc;  et  d'autres  savants  l'estiment  à  500  milliards 
de  mètres  cubes.  D'après  une  évaluation  peut-être  exagérée  de  ZoUinger,  le  volume 
total  des  scories  et  des  cendres  lancées  en  1815,  par  un  volcan  de  l'île  de  Sumbava,  le 
Timboro,  à  des  distances  de  600  kilomètres,  égalerait  deux  fois  le  volume  du  Mont 
Blanc.  On  a  des  données  plus  précises  sur  l'éruption  du  Goseguina,  petit  volcan  de 
l'Amérique  centrale  qui,  en  1835,  fit  pleuvoir  la  pierre  ponce  sur  les  campagnes  et  sur 
la  mer  dans  un  rayon  de  1500  kilom.  et  rejeta  une  masse  de  50  milliards  de  mètres  cu- 
bes de  laves  et  de  scories.  Rien  enfin  ne  peut  rendre  l'importance  de  l'action  volcani- 
que dans  toute  la  Californie.  Celle  que  nous  citons  n'en  est  qu'un  très  faible  exemple. 
—  Lyell,  Prmc.  of  Geology.,  t.  II,  p.  49  et  suiv.  —  Southall,  Récent  Origin  of  Man, 
p.  555.  —  Radau,  la  Constitution  intéiHeure  de  la  terre  {Rev.  des  Deux  Mondes, 
15  oct.  1879).  .        .  ■'        -.■.'■: 


L'HOMME  ET   LE   MASTODONTE.  43 

ont  à  plusieurs  reprises  envahi  les  lieux  où  il  vivait,  et  les  laves 
du  volcan  en  ignition  sont  venues  tarir  ces  eaux  à  leur  source. 

Le  crâne  était  empâté  dans  une  gangue  sableuse  où  adhéraient 
quelques  autres  fragments  d'ossements  humains,  des  débris  ap- 
partenant à  de  petits  mammifères,  qu'il  a  été  impossible  de  déter- 
miner, et  une  coquille  de  mollusque  d'eau  douce  [Hélix  mormo- 
num).  A  côté  gisaient  des  branches  de  chêne  entièrement  fossili- 
sées. Le  puits  de  mine,  d'où  le  crâne  a  été  retiré,  faut-il  ajouter, 
est  depuis  ce  moment  rempli  d'eau  et  toute  nouvelle  exploration 
est  devenue  impossible. 

Si  le  crâne  de  Calaveras  n'était  accompagné  d'aucun  osse- 
ment  de  mammifère  pouvant  fixer  sa  date,  il  est  certain  que,  sur 
d'autres  points  de  la  Sierra-Nevada,  des  graviers  identiques  ont 
donné  des  ossements  d'animaux  de  race  éteinte.  Il  est  tels  gise- 
ments de  la  Californie  et  de  l'Orégon,  où  les  débris  d'éléphants 
et  de  mastodontes  pourraient,  selon  une  expression  populaire, 
remplir  des  wagons.  A  côté  de  ces  gigantesques  pachydermes, 
on  rencontre  le  Palœolama,  l'Élotherium  (1),  des  Bovidés,  des 
Hipparions,  et  plusieurs  espèces  de  chevaux.  La  flore  fossile, 
dont  les  empreintes  sont  fréquentes  dans  les  dépôts  argileux, 
présente  également  des  différences  notables  avec  la  flore  ac- 
tuelle (2).  Nous  voyons  des  charmes,  des  ormes,  des  figuiers, 
des  aulnes,  d'autres  arbres  de  nos  régions  (3)  ;  on  remarque 
surtout  l'absence  complète  de  ces  conifères,  qui  impriment  au- 
jourd'hui à  la  flore  californienne  son  caractère  particulier. 
M.  Whitney  rappelle  aussi,  à  l'appui  de  sa  thèse,  les  instruments 
tels  que  les  pointes  de  lance,  les  haches  en  pierre,  les  mortiers 
destinés  sans  doute  à  broyer  les  grains  ou  les  noyaux,  qui  témoi- 
gnent tous  de  la  présence  de  l'homme,  et  qui  sur  bien  des  points 
ont  été  trouvés  ensevelis  sous  des  couches  de  lave.  Voici  en  quels 
termes  il  annonçait  sa  découverte  à  M.  Desor  :  a  Le  grand  inté- 

(1)  De  l'ordre  des  pachydermes  et  de  la  tribu  des  sulUiens  selon  Pictet.  Nous  don- 
nons à  l'appendice  A  la  liste  de  la  faune  dressée  par  M.  Whitney. 

(2)  M.  Lesquereux  a  pu  reconnaître  dans  la  flore  des  terrains  miniers,  des  formes 
appartenant  au  pliocène  et  se  rapprochant  même  du  miocène. 

{Z)App.  A.  M'  r.':.:  \  ,.>>>^^;^*V   '    iHi 


44  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

rêt  pour  moi  à  présent  est  dans  les  restes  humains  et  dans  les 
œuvres  de  m^ain  d'homme  qui  ont  été  trouvés  dans  les  rochers 
tertiaires  de  la  Californie,  et  desquels  j'ai  pu  vérifier  l'existence 
durant  ces  derniers  mois.  Les  évidences  se  sont  maintenant  ac- 
cumulées avec  une  telle  extension,  que  je  n'éprouve  aucune  hé- 
sitation à  dire,  que  nous  avons  les  preuves  non  équivoques  de 
l'existence  de  l'homme  sur  la  côte  du  Pacifique,  antérieurement 
à  l'époque  glaciaire,  antérieurement  à  la  période  du  mastodonte 
et  de  l'éléphant,  dans  un  temps  où  la  vie  animale  et  la  vie  végé- 
tale étaient  entièrement  différentes  de  ce  qu'elles  sont  actuelle- 
ment; et  depuis  lequel  il  s'est  produit  sur  des  roches  dures  et 
cristallines  une  érosion  verticale  de  deux  mille  à  trois  mille 
pieds.  » 

Le  monde  savant  attendait  avec  une  légitime  impatience  la 
confirmation  de  ces  curieuses  assertions.  M.  Desor  s'était  fait 
l'interprète  de  tous,  et  en  1872,  M.  Whitney  lui  répondait  (1)  : 
«  Vous  pouvez  compter  que  je  publierai  ce  fait  dans  tous  ses 
détails,  dès  que  les  cartes  nécessaires  seront  gravées  et  que  j'au- 
rai complètement  achevé  la  géologie  de  la  région.  On  verra  alors 
qu'il  n'y  a  pas  eu  de  méprise.  La  simple  publication  du  fait  que 
des  restes  humains  et  des  produits  de  l'industrie  humaine  ont  été 
trouvés  sous  les  transformations  volcaniques  de  la  Sierra-Ne\'ada 
ne  prouverait  rien,  si  la  structure  géologique  de  la  région  n'était 
pas  en  même  temps  déterminée  avec  assez  de  précision,  pour  que 
chacun  puisse  apprécier  au  point  de  vue  géologique  la  significa- 
tion de  cette  découverte.  Sachez  bien  que  le  crâne  de  Calaveras 
County  n'est  pas  un  fait  isolé  ;  mais  que  j'ai  toute  une  série  de 
cas  bien  authentiques,  oh  l'on  a  trouvé  dans  la  même  position 
géologique  soit  des  débris  humains,  soit  des  objets  travaillés.  » 
Complétant  ces  renseignements,  un  géologue  de  Philadelphie 
mandait  vers  la  même  époque  à  M.  Tabbé  Bourgeois,  que 
M.  Whitney  avait  recueilli  dans  les  terrains  pliocènes  de  la  Cali- 
fornie, sur  neuf  points  différents,  des  ossements  humains  ou  des 

(1)  Rcv.  d'anthr.,  1872,  p.  760. 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  46 

débris  de  l'industrie  de  l'homme,  et  que  ces  faits  étaient  destinés 
à  dissiper  toutes  les  incertitudes  (1). 

Puis  pendant  huit  ans  le  silence  se  fait  ;  M.  Whitney  ne  publie 
aucun  détail  sur  ses  découvertes,  et  les  journaux  américains  ré- 
pètent, sans  qu'il  prenne  soin  de  le  démentir,  qu'il  avait  été  le 
jouet  d'une  déplorable  mystification  (2).  Ce  n'est  que  récemment 
qu'il  a  cru  devoir  revenir  sur  ce  sujet  dans  une  conférence  à 
l'université  de  Cambridge  (Massachussets),  puis  dans  des  ouvra- 
ges auxquels  son  nom  donne  une  légitime  importance.  Il  main- 
tient toujours  l'authenticité  de  sa  découverte  ;  les  enquêtes  aux- 
quelles il  s'est  personnellement  livré  l'attestent  ;  mais  il  est  obligé 
de  reconnaître  que  le  crâne  a  été  trouvé  par  des  ouvriers  igno- 
rants et  que  nul  homme  compétent  ne  l'a  vu  dans  sa  position 
primitive  (3). 

La  description  de  ce  crâne  n'ajoute  aucune  preuve  nouvelle. 
Le  type  se  rapproche  de  celui  des  Esquimaux  et  le  trait  le  plus 
caractéristique  consiste  en  des  arcades  sourcilières  très  proémi- 
nentes. L'analyse  chimique  n'est  pas  plus  affirmative.  Elle  cons- 
tate seulement  que  le  crâne  contient  de  légères  traces  de  ma- 
tière animale  (4)  et  que  le  phosphate  de  chaux  est  en  partie 
remplacé  par  du  carbonate  (5). 

Nous  retenons  ces  deux  faits  qui  nous  paraissent  importants 
pour  la  solution  de  la  question.  Il  est  impossible  que  des  traces  de 
matière  animale,  quelque  faibles  qu'on  veuille  les  supposer, 
aient  pu  se  conserver  durant  les  temps  immenses  qui  nous  sépa- 
rent de  la  période  tertiaire.  La  ressemblance  de  ce  crâne  avec  les 
crânes  esquimaux  actuels  ne  serait  pas  moins  étrange,  et  il  est 
difficile  d'admettre  qu'un  type  ait  pu  se  perpétuer  sans  modifîca- 

(1)  Mat.,  1873,  p.  55. 

(•2)  «  The  intelligent  portion  of  the  community,  dit  Short  (/.  c,  p.  125),  pronounced 
the  finder  guilty  of  a  scientific  fraud  and  it  is  not  yet  a  certainty  that  their  décision 
was  incorrect.  » 

(3)  Whitney,  Lecture  in  Cambridge  ;  25  aprii  1878.  —  T/ie  Calaveras  Skull,  Me- 
moirs  of  the  Muséum  of  Comparative  Zoology  of  Harrvard  Collège,  t.  VI. 

(4)  «  The  skull  being  as  nearly  deprived  of  its  organic  matter,  as  fossil  bones  found 
in  the  tertiary  period  usually  are.  »  (Whitney,  /.  c,  p.  271.) 

(5)  Whitney  (/.  c,  p.  269)  donne  le  résultat  de  l'analysé. 


46  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

lions  appréciables  durant  des  âges  incalculables,  où  tout  dans  la 
nature  s'est  si  complètement  transformé  (1). 

Les  conclusions  nous  paraissent  donc  simples.  Sans  doute 
l'homme  a  vécu  en  Californie ,  et  le  récit  de  M.  Whitney 
vient  s'ajouter  aux  preuves  que  nous  avons  déjà  données,  pen- 
dant que  les  volcans  de  la  Sierra-Nevada  étaient  en  pleine  igni- 
tion,  avant  la  grande  extension  des  glaciers,  avant  la  forma- 
tion des  vallées  et  des  profonds  ravins,  à  une  époque  où  la  faune 
et  la  flore  étaient  complètement  différentes  de  la  fauue  et  de 
la  flore  actuelles.  Mais  M.  Whitney  admet  lui-même  que  si 
l'éruption  de  la  grande  masse  des  matériaux  volcaniques  a  com- 
mencé vers  la  période  pliocène,  elle  s'est  sûrement  continuée 
durant  toute  la  période  postpliocène  et  même  durant  les  temps 
modernes.  Toutes  dates  initiales  et  finales  nous  font  donc  défaut, 
et  si  même  il  devenait  possible  de  les  établir,  on  ne  saurait  affir- 
mer avec  quelque  certitude  l'absence  sur  tel  point  donné  de  tout 
remaniement,  alors  que  le  sol  a  été  bouleversé  par  des  convul- 
sions aussi  terribles  que  les  phénomènes  volcaniques.  Ceux  même 
qui  admettent  l'authenticité  du  crâne  de  Calaveras  doivent  réser- 
ver toute  opinion  sur  l'époque  à  laquelle  il  remonte,  jusqu'à  ce 
que  la  question  soit  plus  amplement  étudiée  au  point  de  vue  de 
la  science  seule  et  en  dehors  des  polémiques  passionnées  que  ces 
questions  provoquent  trop  souvent  (2). 

Mais  si  nous  nous  refusons  à  admettre  quant  à  présent  l'exis- 
tence de  l'homme  sur  le  sol  américain  durant  l'époque  tertiaire, 
il  est  difficile  de  méconnaître  les  longs  siècles  qui  se  sont  écoulés 
depuis  les  temps  où  ces  hommes  inconnus  vivaient  au  milieu 

(1)  Il  paraît  certain,  par  exemple,  qu'aux  temps  où  M.  Whitney  fait  remonter  le  crâne 
do  Calaveras,  le  climat  de  la  Californie  était  tropical.  Proc.  California  Acad.  of  Science, 
1875,  p.  389. 

(2)  Le  prof.  Marsh  disait  en  1877  à  Nashville  {Am.  Ass.  for  the  Advancement  of 
Scie?ice)  :  «  The  évidence  as  it  stands  to  day,  although  not  conclusive,  seems  to  place 
the  appearance  of  man  in  this  country  in  the  pliocène  ;  and  the  best  proof  of  this  has 
been  found  on  the  Pacific  coast.  »  Bancroft  est  moins  convaincu  (t.  IV,  p.  703).  «  The 
évidence  was  sufficient,  dit-il,  to  convince  Prof.  Whitney  and  other  scientific  men, 
that  this  skull  was  actually  found  as  claimed,  although  on  the  other  hand  some  doubt 
and  not  a  little  ridicule  hâve  been  expressed  about  the  subject,  » 


L'HOMME  ET  LE  MASTODONTE.  47 

d'animaux  non  moins  inconnus  qu'eux.  C'est,  dans  l'état  actuel  de 
la  science  préhistorique,  la  seule  conclusion  possible.  La  suite  de 
notre  récit  montrera  d'autres  races,  avec  des  mœurs  différentes, 
avec  des  goûts  différents,  avec  une  origine  probablement  diffé- 
rente. L'histoire  et  la  tradition  sont  muettes  sur  elles,  comme 
sur  leurs  devanciers,  et  il  faut  par  de  longues  et  patientes  re- 
cherches démêler  quelques  faits  encore  bien  obscurs  au  milieu 
d'une  nuit  complète.  Puissentles  difficultés  de  la  tâche  être  notre 
excuse,  si  des  erreurs  inévitables  se  glissent  sous  notre  plume. 


CHAPITRE  II 

LES  KJÔKKENMÔDDINGS  ET  LES  CAVERNES 


Nous  disions,  en  terminant  le  chapitre  précédent,  que  d'autres 
hommes  avec  des  mœurs  et  des  goûts  différents,  avec  une  ori- 
gine probablement  différente,  étaient  venus  prendre  la  place 
des  premiers  habitants  de  l'Amérique.  Un  changement  consi- 
dérable s'est  produit  ;  nous  ne  sommes  plus  en  présence  de 
sauvages  nomades,  errant  sans  asile,  dans  les  forêts  du  Nord, 
dans  les  pampas  du  Sud  :  nous  allons  voir  une  population 
nombreuse  et  agglomérée,  des  habitations  prolongées  aux  mêmes 
lieux.  La  différence  complète  de  la  faune  permet  mieux  encore 
de  saisir  l'importance  du  changement  accompli  et  aussi  la  longue 
durée  des  temps  nécessaires  à  son  accomplissement.  Si  ces  hom- 
mes, arrivés  sans  doute  à  la  suite  de  migrations  répétées,  restent 
encore  grossiers  et  barbares,  la  permanence  de  la  demeure  est 
déjà  un  progrès  considérable,  et  une  étude  attentive  permet 
de  découvrir  les  germes  d'une  civilisation  plus  avancée  qui  se 
développera  plus  rapidement  encore  chez  ceux  qui  viendront 
les  remplacer. 

Tout  est  important  alors  que  l'on  veut  se  rendre  compte  de 
l'existence  de  l'homme  dans  ces  temps  absolument  inconnus  hier 
encore.  A  ce  point  de  vue  les  Kjôkkenmôddings ^  tel  est  le  nom 
donné  par  les  savants  danois  à  des  amas  de  débris,  de  détritus  de 
toutes  sortes  accumulés  autour  de  la  demeure  humaine,  méritent 
une  étude  spéciale.  Leurs  fouilles  ont  amené  dans  les  diverses  con- 


LES  KJOKKENMUDDINGS  ET  LES  CAVERNES.        49 

trées  de  l'Europe  les  résultats  les  plus  intéressants.  Elles  ont  mon- 
tré la  vie  de  chaque  jour,  la  nourriture,  les  mœurs,  les  voyages, 
les  migrations  de  ces  hommes  ;  on  a  pu  suivre  leurs  progrès, 
constater  leur  marche  ascendante.  Les  chercheurs  ont  recueilli 
des  haches,  des  couteaux,  des  outils  de  toute  sorte,  en  pierre,  en 
corne,  en  os,  des  fragments  de  poterie,  duhois  carbonisé.  Au  mi- 
lieu des  cendres  de  ces  foyers  abandonnés  depuis  des  siècles,  on 
a  trouvé  de  nombreux  ossements  de  mammifères  et  d'oiseaux,  des 
arêtes  de  poissons,  des  coquilles  d'huîtres,  de  cardium,  d'autres 
mollusques  (1)  ;  tous  attestent  la  résidence  prolongée  de  l'homme. 
Les  kjôkkenmôddings  ne  sont  pas  moins  nombreux  en  Améri-  Les  Kjôkken- 
que,  et  leurs  fouilles,  partout  où  il  a  été  possible  de  les   ten-     nombreuv 

dans   toute 

ter  (2),  ont  été  des  plus  fructueuses.  D  immenses  bancs  de  l'Amérique, 
coquilles,  lentes  accumulations  de  l'homme,  s'étendent  sur  les 
côtes  de  Terre-Neuve,  de  la  Nouvelle-Ecosse,  du  Massachussetts, 
de  la  Louisiane,  du  Nicaragua,  où  l'on  signale  des  dépôts  qui 
remontent  à  la  plus  haute  antiquité.  On  les  retrouve  dans  les 
Guyanes,  au  Brésil,  dans  la  Patagonie,  auprès  des  bouches  de 
rOrénoque,  sur  les  rivages  du  golfe  du  Mexique,  sur  les  plages 
du  Pacifique,  comme  sur  celles  de  l'Atlantique,  et  les  Shell 
Mounds  de  la  Terre  de  Feu  se  signalent  de  loin  au  navigateur 
par  la  nuance  d'un  vert  plus  foncé  de  leur  végétation. 

Quelques-uns  de  ces  kjôkkenmôddings  présentent  des  dimen- 
sions considérables.  Sir  C.  Lyell  en  décrit  un  situé  sur  l'île  Saint- 
Simon,  à  l'embouchure  de  l'Allamaha  (Géorgie),  qui  couvrait  dix 
acres  de  terrain  (3),  sur  une  profondeur  variant  de  cinq  à  dix 
pieds.  Il  était  presqu'exclusivement  formé  d'écaillés  d'huîtres,  et 
les  fouilles  ont  donné  des  haches,  des  flèches  en  silex  et  quelques 
fragments  de  poterie  (4).  Un  autre  situé  auprès  de  l'embouchure 

(1)  Les  Premiers  Hommes,  t.  I,  p.  265. 

(2)  Le  compte  rendu  du  congrès  préh.  tenu  à  Bologne  en  1871  donne  une  liste  assez 
complète  des  auteurs  qui  ont  traité  des  Kjôkkenmôddings  américains.  On  peut  aussi 
consulter:  lieports  Peabody  Muséum,  t.  II;  Shell  Mounds  —  Am.  Association.  Chicago, 
1867;  Détroit,  1875.  —  Wyman,  American  Naturalist,  1868. 

(3)  L'acre  vaut  40  ares. 

(4)  Second  Visit  to  the  United  States,  t.  I,  p.  152.  —  British.  Ass.,  1859.  Adress  of 
ihe  Président. 

De  Nadaillac,  Amérique.  4 


80  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

de  la  rivière  Saint-Jean  et  formé,  comme  celui  visité  par  Lyell, 
d'huîtres  d'une  dimension  extraordinaire,  mesure  trois  cents 
pieds  de  longueur,  sur  une  largeur  qui  n'a  pu  être  que  partiel- 
lement reconnue  ;  mais  qui  atteint  sûrement  plusieurs  centaines 
de  pieds.  Les  kjôkkenmôddings  de  la  Floride  et  de  l'Alabama 
sont  plus  considérables  encore.  11  en  est  un  sur  l'île  Amelia  qui 
s'étend  sur  une  longueur  d'un  quart  de  mille,  avec  une  pro- 
fondeur moyenne  de  trois  pieds  et  une  largeur  de  près  de  cinq 
cents  pieds.  Celui  de  Bear-Point  couvre  soixante  acres  de  terrain  ; 
celui  d'Anercerty-Point,  cent  ;  celui  de  Santa  Rosa,  cent  cinquante. 
D'autres  s'étagent  en  hauteur  :  Turtle-Mound  auprès  de  Smyrne 
est  un  amas  de  coquilles  d'huîtres  atteignant  près  de  trente  pieds 
d'élévation  ;  la  hauteur  de  plusieurs  autres  dépasse  quarante 
pieds  (1).  Dans  tous  c^s  kjôkkenmôddings,  on  a  recueilli  des 
boisseaux  de  coquilles,  bien  qu'une  grande  partie  de  leur  em- 
placement reste  encore  inexploré  ;  les  grands  arbres,  les  racines, 
les  lianes,  les  plantes  grimpantes  les  recouvrent  d'un  fourré 
souvent  impénétrable. 

Tous  les  Shell  Mounds  dont  nous  venons  de  parler,  sont  situés 
sur  le  bord  de  la  mer,  ou  dans  son  voisinage  immédiat.  On  en 
cite  cependant  un,  presqu'exclusivement  formé  de  coquilles  ma- 
rines, k  cinquante  milles  au  delà  d^  Mobile.  Ce  fait  semblerait 
indiquer  un  changement  considérable  dans  le  relief  du  sol  de- 
puis que  l'homme  a  vécu  ;  car  il  n'est  guère  vraisemblable  qu'il 
eût  pris  tant  de  peine,  pour  transporter  au  loin  les  mollus- 
ques nécessaires  à  sa  vie  quotidienne,  alors  qu'il  lui  était  si 
facile  d'établir   sa  demeure  elle-même  à  proximité  du  rivage. 

M.  Jones  a  exploré  quarante  kjôkkenmôddings  dans  l'île 
Colonel  (Géorgie)  (2).  L'île  tout  entière,  nous  dit-il,  est  couverte 
de  Shell  Mounds  (3).  Les  fouilles  d'amas  semblables,  très  nom- 
breux dans  le  Maine  et  le  Massachussetts  et  formés  principale- 

(1)  Brenton,  Notes  on  the  Floridian  Peninsula.  Philadelphia,  1859. 

(2)  Ant.  of  the  Southern  Indians. 

(3)  «  The  adjacent  fields  are  hoary  with  Shell  Mounds.      Soutball,  Récent  Origin 
of  Man,  p.  548. 


LES  KJOKKENMODDINGS    ET  LES  CAVERNES.        «^1 

ment  de  coquilles  d'huîtres,  de  moules  et  de  buccins,  ont  donné 
des  résultats  non  moins  intéressants.  M.  Jeffries  Wyman  a 
constaté  la  rareté  des  outils  en  silex,  remplacés  par  des  instru- 
ments en  oS;  qui  se  rencontrent  en  grand  nombre.  Les  frag- 
ments de  poterie  sont  peu  communs;  leur  ornementation,  tou- 
jours grossière,  offre  quelque  ressemblance  avec  les  plus  ancien- 
nes poteries  de  l'Europe  ;  elle  était  produite,  soit  au  moyen  de 
lianes  tressées  qu'on  imprimait  sur  la  pâte  molle,  soit  avec  la 
pointe  d'une  coquille  ou  celle  d'un  silex  (1).  Les  ossements 
d'animaux  sont  nombreux  (2).  M.  Wyman  a  reconnu  l'élan, 
le  caribou  (3),  le  cerf  de  Virginie,  le  plus  commun  de  tous  (4), 
le  castor,  le  phoque,  la  tortue,  le  grand  pingouin,  le  dindon 
sauvage.  Sauf  le  pingouin  [Âlca  impennis)  qui  ne  se  trouve 
plus  qu'à  l'extrême  Nord,  tous  ces  animaux  vivaient  dans  le 
Maine,  aux  temps  historiques.  Le  caribou,  quoique  bien  plus 
rare  que  par  le  passé,  se  rencontre  encore  dans  la  région.  Il 
faut  aussi  mentionner  le  chien  (5).  De  nombreux  ossements 
portent  la  marque  de  ses  dents  ;  il  vivait  donc  avec  l'homme 
et  lui  était  soumis,  autant  du  moins  que  pouvait  le  permettre 
son  naturel  sauvage.  Les  plus  importantes  de  ces  fouilles  ont 
été  faites  sous  les  yeux  des  anthropologistes  américains,  lors 
de  la  réunion  en  1867,  à  Chicago,  de  l'association  pour  l'avan- 
cement des  sciences.  Un  tertre  ouvert  à  cette  occasion  couvrait 
une  superficie  de  dix  acres.  On  y  recueillit  des  coquilles 
d'huîtres,  des  arêtes  de  cabillaud,  des  ossements  de  chien  et 
ceux  d'un  grand  cervide.   Tous   ces  débris  attestaient  l'habi- 


(1)  On  a  constaté  ce  mode  d'ornementation  primitive  dans  le  Missom-i,  l'IUinois, 
l'Ohio,  le  Tennessee  et  la  Floride  (Refiort  Peabod;/  Muséum,  187'2). 

(2)  Nous  reproduisons  (App.  B)  la  liste  complète  des  mammifères,  des  oiseaux,  des 
reptiles,  des  poissons  et  des  mollusques  trouvés  par  Jeffries  Wyman  dans  les  kjôk- 
kenmôddings  de  Mount  Désert,  de  Gouch's  Covc,  d'Eagle-Hill  et  de  Colnit-Port. 

{3)  «  The  Caribou  {Tarandus  rangifer)  is  still  found  within  the  confines  of  Maine; 
but  the  wikl  turkey  lias  become  virtually  extinct  in  New  England.  The  Elk  is  not  found 
noarer  than  the  Alleghany  Mountains  and  the  great  Auk  has  retreated  beyond  the  con- 
fines of  the  United  States  (Wyman,  Repot^t  Peabody  Muséum,  186S,  p.  \\). 

(4)  Cervux  Virginianns. 

(5)  Probablement  le  Lupus  cagottus  dont  nous  avons  parlé  au  chapitre  précédent. 


S2  L'AMERIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

tation  d'un  homme  vivant  exclusivement  du  produit  de  sa 
chasse  et  de  sa  pêche  et  ne  connaissant  encore  aucune  cul- 
ture. 

Les  kjôkkenmôddings  se  rencontrent  aussi  fréquemment  en 
Californie,  et  les  environs  de  San-Francisco  en  sont  littéralement 
couverts.  Un  d'entre  eux,  situé  auprès  de  San-Pablo  (comté  de 
Contra-Costa)  mesure  près  d'un  mille  de  longueur  sur  un  demi- 


Fig.  15.  —  Instruments  divers  en  os  et  en  pierre  (Californie). 


mille  de  largeur.  Les  coquilles  qui  le  forment,  principalement 
l'huître  et  la  moule,  ont  toutes  été  exposées  à  l'action  du  feu  (1). 
Les  fouilles  d'un  tertre  semblable  conduites  jusqu'à  vingt-cinq 
pieds  de  profondeur,  ont  donné  des  pointes  de  flèche  et  de 
marteaux  en  pierre.  Sous  d'autres  on  a  découvert  des  milliers 
d'outils  en  os  (fig.  15)  dont  les  plus  plus  grands  atteignent 
jusqu'à  huit  pouces  de  longueur:  Parmi  ces  outils  gisaient  des 
débris  humains  ;  ils  ont  malheureusement  été  dispersés  sans 
profit  pour  la  science  (2). 

Le  D'  Yates  a  transmis  au  Smithsonian  Institute  à  Washington, 
la  collection  complète  des  objets,  trouvés  par  lui  dans  le  comté 

(1)  Poster,  Prehistoric  Races  of  the  United  States,  p.  163.  —  Bancroft,  l.  c,  t.  IV, 
p.  709. 

(2)  Bancroft, /.  c,  t.  IV,  p.  711. 


LES  KJiJKKENMODDINGS   ET  LES  CAVERNES.        53 

d'Alameda  (1).  Elle  comprend  plusieurs  de  ces  grands  mortiers 
en  pierre  (fig.  16),  dont  nous  avons  parlé  et  dont  on  ne  peut  que 
conjecturer  l'usage,  des  outils  destinés  surtout  à  perforer,  des 
pipes,  et  la  représentation  grossière  d'un  phallus.  Il  faut  noter 


Fig.  16.  —  Mortier  en  pierre  (Californie).  Fig.  17.  —  Grattoir  en  quartz. 

ce  dernier  fait,  nous  verrons  que  les  découvertes  de  ce  genre 
sont  rares  en  Amérique  ;  cette  rareté  contraste  singulièrement 
avec  les  obscénités  trop  fréquentes  de  l'art  grec  ou  romain. 

Les  fouilles  de  l'Oregon  ont  été  dirigées  par  M.  Schuma- 
cher (2).  lien  a  retiré  une  collection  importante  de  mortiers, 
de  pipes  d'un  travail  médiocre,  de  poteries,  de  petits  vases  en 
stéatite  (3),  de  poignards,  de  couteaux,  de  flèches  en  silex,  d'essais 

(1)  Smithsonian  Hepnrt,  18G9,  p.  36. 

(2)  Researches  ou  the  KjÔkkenmôddings  ofthe  Coast  of  Oregon  and  in  the  Sanla- 
Barbara  hlnri'h  und  adjacent  Muinlund.  Bul.  U.  S.  Geol.  Survty,  t.  III.  —  Report 
Peabody  Muséum,  1878. 

(3)  M.  Schumacher  a  trouvé  sur  Tile  de  Santa-Catalina  un  gisement  de  stéatite  où 
les  anciens  habitants  de  l'île  avaient  établi  une  véritable  fabrique  de  pots  et  de  vases. 
Ils  se  trouvent  à  tous  les  degrés  de  fabrication;  et  autour  d'eux  on  peut  recueillir  les 


34  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

de  sculpture,  d'instruments  en  os  ou  en  test  de  coquilles.  Une 
des  fouilles  a  mis  au  jour  trente  crânes  humains  et  deux  sque- 
lettes à  peu  près  complets.  Le  mort  avait  été  déposé,  là  où  le 
vivant  avait  vécu. 

Les  kjôkkenmôddings  abondent  aussi  sur  l'île  de  Vancou- 
ver (1).  On  a  recueilli  au  milieu  d'amoncellements  de  coquilles, 
des  marteaux,  des  pointes  de  flèches,  des  casse-têtes  en  bois,  un 
véritable  couteau  taillé  dans  un  os  de  baleine.  Parmi  les  débris 
gisaient  des  squelettes.  Un  d'entre  eux  portait  au  bras  un  bra- 
celet formé  de  coquilles  et  une  Qèche  en  silex  était  restée  im- 
plantée dans  un  de  ses  os.  A  Esquimalt,  il  a  été  trouvé  un  vase  à 
deux  anses  ;  Tune  des  anses  figure  un  homme,  l'autre  le  dos  d'un 
animal.  Des  vases  absolument  semblables,  comme  nous  le  ver- 
rons, se  rencontrent  fréquemment  sous  les  mounds  de  l'Amé- 
rique centrale.  Celui  d'Esquimalt  doit  dater  de  la  môme  époque 
que  les  tumuli  dont  l'île  est  couverte  ;  les  uns  sont  construits  en 
cailloux,  les  autres  en  argile  et  en  sable.  De  grandes  pierres  plates, 
véritables  menhirs,  sont  souvent  placées  verticalement  sur  ces 
luiiiuli  ;  des  arbres  séculaires  les  couvrent  de  leur  ombrage  et 
témoignent  de  leur  antiquité.  'Pérre-Neuve  fut  découverte 
en  1491,  parle  Vénitien  Jean  Cabot,  qui  commandait  une  expé- 
dition équipée  aux  frais  de  Henri  Vil,  roi  d'Angleterre  ;  peut- 
être,  aussi,  caria  question  est  restée  indécise,  parle  navigateur 
portugais  Corte-Real.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'au  moment  de 
la  découverte,  l'île  était  complètement  inhabitée.  De  nombreux 
tumuli  y  attestaient  seuls  le  séjour  de  l'homme;  ces  tumuli, 
comme  les  silex  taillés  qu'ils  recelaient,  dataient  donc  d'époques 
antérieures  à  la  venue  des  Européens. 

outils  ayant  servi  aies  façonner  (fig.  17).  On  cite  plusieurs  découvertes  semblables 
dans  la  Nouvelle-Angleterre.  Une  carrière  do  stéatite  {Soap  Stone)  existait  à  Christiana 
(Comté  de  Lancaster,  Pennsylvanie).  Il  y  a  été  recueilli  plus  de  deux  mille  outils  en 
silex  et  nombre  de  grosses  pierres  ayant  vraisemblablement  servi  de  marteaux.  On 
employait  les  mêmes  procédés  que  dans  l'île  de  Santa-Catalina,  la  pierre  était  grossière- 
ment excavée  sur  place,  puis  retirée  du  gisement  et  livrée  à  l'ouvrier  qui  achevait  de 
lui  donner  la  forme  voulue. 

(1)  Ancienf  Remaiîis  in  Vancouver's  Isiand,  manuscrit  cité  par  Bancroft,  /.  c,  t.  IV, 
p.  737,  741  et  s.  . 


LES  KJOKKENMODDINGS  ET  LES   CAVERNES.        5o 

Il  faut  mentionner  les  puits  fouillés  par  M,  Putnam  à  Madi- 
sonvillc  dans  la  vallée  du  Miami  (1).  Ces  puits  de  3  à  4  pieds 
de  diamètre  et  de  4  à  7  pieds  de  profondeur,  sont  remplis  de 
cendres  disposées  par  couches  minces  et  mélangées  de  gravier 
et  de  charbon.  Du  sommet  à  la  base,  on  rencontre  de  nombreux 
ossements  de  reptiles,  de  poissons  et  de  mammifères.  Les  os  de 
daim,  de  cerf,  d'ours  avaient  été  brisés  pour  en  retirer  la  moelle; 
on  recueillait  aussi  des  coquilles,  principalement  du  genre  Unio, 
percées  pour  servir  d'ornements,  des  fragments  de  poterie,  des 
instruments  en  os,  en  bois  de  cerf  ou  de  daim,  des  pointes  de 
flèches,  des  grattoirs,  des  marteaux,  des  haches  polies  en  silex, 
des  ornements  en  cuivre,  des  perles  et  des  pipes  en  pierre. 
Au  fond  d'un  de  ces  puits,  il  trouvait  une  grande  quantité  de 
grains  de  maïs  carbonisés  recouverts  de  fragments  d'écorce  de 
branches  d'osier  et  de  nattes  également  carbonisés  (2).  Us 
attestent  une  population  non  seulement  sédentaire,  mais  agri- 
cole. 

Les  sambaciuis  sont  formés  des  débris  de  la  nourriture  d'un    sambaquis 

*    _  ,^  du  Brésil. 

peuple,  qui  avait  habile  durant  des  siècles  les  côtes  du  Brésil  (3). 
On  y  peut  lire  comme  dans  un  livre,  les  coutumes,  les  usages,  les 
incidents  de  la  vie  journalière  de  cette  race  disparue  ;  chaque 
couche  de  coquilles  (4)  ou  de  cendres  est  une  page,  où  les  faits 
écrits  avec  la  pierre  et  le  feu  parlent  d'eux-mêmes,  et  où  les  dra- 
mes de  la  vie  sont  retracés  par  les  ossements  fracturés  des  victi- 
mes. Il  a  été  retiré  d'un  amas  situé  sur  les  rives  du  Suguassu  de 
nombreux  débris  humains  ;  les  fractures  des  os  indiquent  claire- 
ment qu'ils  avaient  été  brisés  pour  en  extraire  la  moelle.  L'an- 
thropophagie de  ces  anciens  habitants  du  Brésil  ne  saurait  nous 
surprendre,  car  aujourd'hui  encore  dans  cet  Empire,  sur  tant  de 

(1)  M.  Putnam,  un  des  plus  éminents  anthropologistes  des   États-Unis,   raconte 
avoir  fouillé  plus  de  quatre  cents  de  ces  puits  [Hai'vard  University,  Juue,  1881). 

(2)  Topinard,  Rev.  d'nnt/ir., ia.nv.  1881. 

(3)  Rev.  arch.,  t.  XV,  1"  série.  Paris,  1867.  —  Ch.  Wiener,  Estudos  sobre  los  sam- 
baquis do  nul  do  Brazil  {Archivas  do  Museu  Nacional  de  Rio  de  Janeiro,  t.  I,  1876). 

(4)  Les  mollusques  qui  les  composent  sont  principalement  des  testacés  bivalves  et 
des  coquilles  du  genre  Corbula;  on  y  rencontre  également  des  huîtres  et  des  buccins. 


56  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

points  en  si  grand  progrès,  on  compte  dix  tribus    cannibales, 
dont  la  population  s'élève  de  70  à  80,000  âmes  (1), 

Lessambaquis  atteignent  souvent  des  hauteurs  considérables. 
Le  capitaine  Burton,  porté  il  est  vrai  à  l'exagération,  dit  en 
avoir  rencontré  un  qui  n'avait  pas  moins  de  cent  pieds  d'éléva- 
tion. Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  coquilles  qui  forment  ces 
buttes  sont  assez  nombreuses,  pour  que  depuis  deux  siècles,  un 
seul  sambaqui  ait  pu  fournir,  non  seulement  toute  la  chaux 
nécessaire  à  la  petite  ville  voisine  de  Nossa-Scnhora-da-Gloria, 
mais  encore  des  quantités  considérables  pour  l'exportation. 
Les  Dans  les  régions  de  la  Plata,  on  rencontre  des  paraderos  qui 

offrent  quelque  ressemblance  avec  les  kjôkkenmôddings.  Les  uns 
et  les  autres  marquent  l'emplacement  d'habitations  humaines,  et 
l'absence  de  toute  trace  d'ensevelissement  exclut  l'idée  des  cime- 
tières, auxquels  on  avait  prétendu  tout  d'abord  les  assimiler. 
MM.  Moreno  et  Zeballos  les  avaient  signalés  sur  plusieurs  points 
du  territoire  de  Bucnos-Ayres  ;  M.  Ameghino  les  décrit,  à  son 
tour,  sur  les  rives  du  Marco-Diaz,  du  Lujan  et  du  Frias  (2). 
Sur  bien  des  points,  de  nombreux  ossements  de  mammifères 
sont  disséminés^  souvent  sur  une  grande  étendue  de  terrain  (3). 
Les  os  longs  sont  fendus;  d'autres  portent  des  stries,  des  inci- 
sions ;  presque  tous  ont  subi  l'action  du  feu.  Avec  ces  ossements  il 
a  été  recueilli  des  instruments  en  pierre,  principalement  des 
pointes  de  flèches  (fig.  18)  ou  des  fragments  d'une  poterie  gros- 
sière et  mal  cuite  présentant  parfois  quelques  traces  de  peinture 
Des  amas  de  terre  brûlée,  des  débris  de  charbon,  montrent  claire- 
ment les  foyers  de  l'homme.  Tous  les  ossements,  soit  de  mammi- 
fères, soit  d'oiseaux,  appartiennent  à  des  espèces  qui,  comme  le 
cerf  ou  le  lama,  vivent  encore  aujourd'hui  dans  l'Amérique  du 
Sud  ;  nulle  part  on  ne  rencontre  les  ossements  de  ces  animaux  de 
race  éteinte  et  disparue,  si  nombreux  au  contraire  dans  les  forma- 

(1)  D'  Moure.  Les  Indiens  de  lu  province  de  Matlo  Grosso.  —  D'  Rath  de  San-Paolo, 
Lettre  adressée  à  l'A7i'/lo-  Brazilian  Times 

{'l)  La  Antiguedad  del  Hombre  en  el  Plata,  t.  I,  p.  302  et  suiv. 

(3j  Un  paradero  sur  la  rive  du  Marco  Diaz  couvre  une  surface  de  600  mètres 
sur  400.  .  ,  J 


LES  KJOKKENMODDINGS  ET  LES  CAVERNES.        S"? 

tions  pampéennes.  Les  paraderos  ne  sauraient  donc  être  confon- 
dus avec  ces  formations,  et  leur  date  bien  postérieure  les  rappro- 
che de  celle  deskjôkkenmôddings. 

Des  découvertes  récentes  (1)  viennent  donner  une  certitude  de 
plus  à  cette  conclusion.  Les  fouilles  d'un  tumulus  de  forme  ellip- 
tique (2)  sur  le  Parana,  auprès  du  port  de  Campana.  ont  mis  au 
jour  une  foule  d'objets  qui   indiquent  une  civilisation   déjà  en 


Fig.  18.  —  Pointes  de  flèches  des  paraderos  de  la   Patagonic. 

grand  progrès.  Ce  sont  des  armes  et  des  outils  en  silex  ou  en 
granit  bleu,  souvent  d'un  travail  remarquable,  des  moulins  à 
main,  assez  semblables  h  ceux  encore  en  usage  dans  l'intérieur 
de  l'Afrique  (8),  des  instruments  en  bois  de  cerf  (4),  des  sifflets 
en  bois  de  venado  et  surtout  un  nombre  considérable  de  frag- 
ments d'une  poterie  (5)  très  supérieure  comme  exécution  à  tout 
ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici;  quelques-uns  de  ces  fragments 
sont  peints  en  rouge,  d'autres  ornés  de  dessins  ou  d'ornements. 
Parmi  ces  poteries,  il  faut  citer  des  animaux  reproduits  avec 
une  grande  exactitude  et  notamment  une  tête  de  perroquet 
d'une  excellente  imitation.  Les  œuvres  de  l'homme  gisaient  au 
milieu  d'amas  considérables  de  gros  morceaux  de  charbon,  d'os 
de  poissons  et  de  mammifères.   Il  est  évident  que  ce  tumulus 


(1)  Zeballos,  Un  Tumulus  préhistorique  de  Buenos- Ayres(Rev.  d'anthr.,  1878,p.577}. 

(2)  Le  grand  diamètre  mesure  70   mètres,  le  petit    32  mètres    La    hauteur  est 
de  S-.Sa. 

(3)  Livingstone,  Exploration  du  Zambèse,  trad.  franc.,  p.  504. 

(4)  Cerrus  Rufus,  C.  Campestris. 

(5)  Le  D'  Zeballos  parle  de  plus  de  trois  mille  fragments.  Il  cite  parmi  ces  poteries 
une  vingtaine  d  Ollus  (marmites)  encore  intactes. 


58  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

recelait  un  ou  plusieurs  foyers  primitifs  ;  puis  ces  foyers,  suivant 
une  coutume  que  nous  trouvons  chez  des  races  bien  diverses, 
étaient  devenus  des  lieux  de  sépulture  ;  la  découverte  de  plusieurs 

Kjokkenmôd-  squclettcs  humaius  ne  peut  laisser  de  doute  à  cet  égard. 
foiméftie         Jusqu'ici  nous  n'avons  parlé  que  des  kjôkkenmôddings  situés 

(ivau  douce,  sur  les  rivages  de  la  mer  et  formés  de  coquilles  marines.  De 
semblables  amas  se  rencontrent  sur  les  bords  des  fleuves  et  des 
rivières;  ils  sont  composés  de  mollusques  d'eau  douce,  ou  même 
de  mollusques  terrestres,  que  l'homme  savait  au  besoin  utiliser 
pour  sa  nourriture.  Ainsi  dans  le  Brésil,  dont  nous  venons  de 
parler,  des  sambaquis  se  trouvent  à  soixante  kilomètres  de  la 
côte,  et  le  professeur  Ilartten  décrit  un  situé  àTaperinha  auprès 
de  Santarem,  qu'il  regarde  comme  très  ancien  et  qui  est  exclusi- 
vement formé  de  mollusques  fluviatiles  mêlés  à  des  fragments  de 
poterie,  à  des  cendres  et  à  des  ossements  d'animaux  divers  (1). 
Sur  les  rives  du  Mississipi  et  de  ses  tributaires,  M.  White  a 
également  reconnu  plusieurs  kjôkkenmôddings  formés  de  mol- 
lusques fluviatiles,  appartenant  presque  tous  à  la  famille  des  naï- 
ades et  principalement  au  genre  Unio.  Un  succès  complet  a 
recompensé  ses  recherches  poursuivies  avec  persévérance  dans 
les  Etats  de  Minnesota,  d'Iowa,  d'Illinois,  de  Missouri  et  d'In- 
diana  (2).  Les  amas  qu'il  a  fouillés  étaient  bien  moins  considé- 
rables que  ceux  situés  sur  les  bords  de  la  mer  ;  les  plus  grands 
ne  mesuraient  guère  que  cent  mètres  de  longueur,  sur  quatre 
à  cinq  mètres  de  largeur  et  un  à  deux  mètres  de  profondeur. 
Celui  de  Keosauqua  (lovva)  repose  sur  un  terrain  d'alluvion  ;  on 
y  a  reconnu  des  pierres  arrachées  aux  rochers  voisins  et  portant 
des  traces  de  feu,  des  fragments  de  poterie  grossièrement  façon- 
née, mêlée  de  gros  grains  de  sable  et  ornée  de  lignes  tracées 
avec  une  pointe  d'os  ou  de  pierre.  M.  White  a  recueilli  dans 

(1)  Report  Peabody  Muséum,  1873,  p.  21. 

(2)  On  artificial  Shell-Heaps  of  Fresh  Water  MoHusks;  Am.  Association  Portland 
(Maine),  1873.  On  cite  aussi  de  très  anciens  Shell-Heaps  dans  le  Tennessee,  notam- 
ment à  Chattenooga  et  à  Muscle-Shoal.  Le  colonel  Whittlesey,  dont  le  nom  fait  autorité  en 
Amérique  sur  toutes  ces  questions,  regrettait,  il  y  a  quelques  années,  que  ces  tu- 
muli  n'eussent  pas  été  fouillés.  J'ignore  si  depuis  il  a  été  fait  droit  à  son  désir. 


LES  KJÙKKENMODDINGS   ET  LES  CAVERNES.       59 

ce  même  kjôkkenmôdding  des  éclats  de  silex,  des  pointes  de 
flèches  et  une  hache  en  serpentine,  puis  de  nombreux  ossements 
du  cerf  de  Virginie  (1).  Ils  avaient  servi  aux  repas  de  l'homme, 
car  les  os  longs  renfermant  la  moelle  étaient  fendus,  dans  le  but 
évident  de  la  retirer.  A  Sabula  et  à  Bellevue  (lowa),  d'autres 
amas  permirent  à  M.  White  de  reconnaître  le  moyen  employé 
par  ces  hommes,  pour  cuire  les  mollusques,  dont  ils  faisaient 
leur  principale  nourriture.  Ils  creusaient  dans  la  terre  des 
trous  ayant  environ  trente  centimètres  de  diamètre  et  une  pro- 
fondeur à  peu  près  égale,  et  ils  y  allumaient  du  feu;  des  débris 
de  charbon  et  de  coquilles,  trouvés  dans  chacun  de  ces  trous, 
le  prouvent  sans  réplique. 

M.  Jeffries  Wyman  décrit  les  kjôkkenmôddings  de  la  Floride 
avec  le  même  soin  que  M.  White  a  mis  pour  raconter  ceux  du 
Nord  (2).  Ce  sont  pour  la  plupart  des  monticules  identiques  à 
ceux  de  la  côte,  mais  entièrement  formés  de  mollusques  d'eau 
douce  associés  à  quelques  rares  ossements  du-  cerf  de  Virginie, 
de  l'opossum,  du  racoon  et  à  des  débris  d'oiseaux.  Quelques-uns 
de  ces  amas  comprennent  uniquement  des  AmpuUaires  et  des 
Paludines  (3),  peu  propres  à  la  nourriture  de  l'homme  et  que 
les  Indiens  eux  mêmes  rejettent  avec  dédain.  Un  des  plus 
remarquables  est  situé  à  Silver-Spring,  sur  la  côte  ouest  du  lac 
George.  C'est  le  plus  grand  de  tous  ceux  visités  par  Wyman, 
dans  la  vallée  formée  par  la  rivière  San-Juan.  Il  couvre  une 
superficie  de  vingt  acres  ;  sa  hauteur  est  très  variable  ;  tantôt 
elle  n'atteint  pas  moins  de  vingt  pieds  ;  plus  loin  elle  s'abaisse  à 
deux  ou  trois  pieds,  à  raison  sans  doute  du  nombre  des  habitants 
et  de  la  durée  de  leur  habitation.  On  a  peine  à  comprendre  que 

(1)  Nous  reproduisons  à  l'App.  C,  d'après  M.  White,  la  liste  des  principaux  mammi- 
fères, poissons  et  mollusques  trouvés  dans  les  turauli  qu'il  a  fouillés. 

(■2)  Fresh  Water  Shell  Heaps  of  the  St-John  River,  American  Naturalist.  Jan.,  1868. 
—  Report  Peahody  Muséum,  1874.  Wyman  remarque  que  les  plus  anciennes  couches 
des  kjôkkenmôddings  de  la  Floride  ne  renferment  jamais  de  poteries. 

(3)  Ampullai  ia{La.msiTck\Pa'udi}ia  (id.).  Les  unes  et  les  autres  sont  univalves. Les 
premières  ne  vivent  que  dans  les  régions  chaudes  du  globe  ;  leur  coquille  est  globu- 
leuse, ventrue,  à  bouche  vaste  bordée  par  un  labre  non  réfléchi.  Les  Paludines  so 
rapprochent  des  AmpuUaires,  mais  elles  ont  une  coquille  moins  allongée. 


60  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Thomme  ait  pu  réunir  une  quantité  aussi  considérable  de  ces 
mollusques,  si  peu  communs  aujourd'hui,  soit  dans  le  lac,  soit 
dans  la  rivière.  Il  faut  donc  supposer  qu'ils  étaient  beaucoup 
plus  nombreux  dans  les  siècles  passés  et  qu'ils  ont  disparu  dans 
la  grande  lutte  pour  la  vie,  qui  se  poursuit  avec  une  si  redou- 
table activité  dans  tous  leç  temps  et  sous  tous  les  climats.  Ce 
n'est  pas  là  un  fait  exceptionnel  ;  les  huîtres  de  taille  gigantesque 
qui  forment  les  immenses  dépôts  de  la  rivière  Damariscotta, 
sont  actuellement  très  rares,  et  la  môme  observation  a  été  faite 
à  Cap-Cod  et  à  Colnit-Port.  De  tous  les  mollusques  trouvés  dans 
les  kjôkkenmôddings  danois,  les  huîtres  étaient  les  plus  abon- 
dantes; elles  ne  comptent  plus  qu'un  petit  nombre  de  représen- 
tants dans  la  Baltique.  Une  autre  conséquence  des  conditions 
biologiques  moins  avantageuses  dans  lesquelles  les  huîtres  se 
trouvent,  c'est  que  la  taille  des  individus  diminue  sensiblement  ; 
il  en  est  ainsi  pour  les  ampullaires  et  les  paludines  du  lac  George 
et  de  la  rivière  Sa-n-Juan  comme  pour  les  huîtres  du  Maine.  Il 
serait  facile  de  multiplier  ces  exemples  qui  prouvent  cet  inces- 
sant travail  de  la  nature  dont  nous  commençons  seulement  à 
saisir  les  traces. 

Le  fait  que  les  hommes  qui  ont  formé  ces  amas  de  débris  qui 
témoignent  seuls  de  leur  existence,  se  nourrissaient  de  mollus- 
ques repoussés  par  les  Indiens  si  peu  difficiles  en  général  sur 
leur  nourriture,  est  en  rapport  avec  la  grossièreté  de  leur  poterie. 
«  Parmi  les  milliers  de  fragments  que  j'ai  examinés,  dit  Wyman, 
aucun  ne  présente  les  traces  d'un  travail  aussi  habile,  d'une 
ornementation  aussi  élégante,  que  ceux  des  mounds  du  Mississipi 
ou  que  ceux  que  j'ai  moi-même  recueillis  dans  les  sépultures  de 
Cedar-Reys  ou  dans  les  kjôkkenmôddings  de  Fernandina  et  de 
St.  John's  Bluff  sur  les  bords  de  la  mer.  » 
Anthropo-         Tout  prouvc  quc  la   civilisation   de   ces  hommes   était  peu 

phagie. 

avancée  ;  ne  nous  étonnons  donc  pas  de  trouver  chez  eux  le  can- 
nibalisme. Nous  venons  de  voir  son  existence  chez  les  tribus  no- 
mades du  Brésil  (l).  Dès  1861,  Jeffries  Wyman  avait  remarqué 

(1)  «  Omnes  cum  magna  voluptate  vescuntur  »,  dit  Osorio  des  indigènes  du  Brésil  ea 


LES  KJOKKENMÔDDINGS  ET  LES  CAVERNES.        61 

dans  une  fouille  sur  les  rives  du  lac  Monroë,  des  os  longs  (fémur, 
tibia,  humérus)  appartenant  à  l'homme,  brisés  en  fragments  de 
quelques  pouces  de  longueur  et  confondus  avec  des  ossements 
de  cerf,  brisés  exactement  de  la  même  façon  (1).  Son  attention 
une  fois  éveillée,  il  se  préoccupa  d'une  manière  particulière 
de  la  question  dans  ses  recherches  ultérieures  ;  et  bientôt  il 
eut  dix  cas  bien  caractérisés,  qui  ne  laissèrent  aucun  doute  dans 
son  esprit  sur  l'existence  du  cannibalisme  dans  la  Floride,  du- 
rant les  temps  où  l'homme  accumulait  autour  de  sa  demeure 
ces  amas  de  débris,  auxquels  nous  avons  conservé  le  nom  de 
kjôkkenmoddings.  Il  était  évident  que  ces  ossements  humains 
ne  provenaient  pas  d'une  sépulture;  aucun  squelette  n'était 
complet;  les  débris  de  plusieurs  individus  étaient  confondus  dans 
le  plus  extrême  désordre  ;  tous  les  os  et  spécialement  les  os  longs 
renfermant  la  moelle  étaient  brisés,  comme  les  os  trouvés  auprès 
du  lac  Monroë  et  dans  le  même  but  sans  doute  que  ceux  des 
animaux,  tels  que  le  cerf  ou  l'alligator,  dont  ces  hommes  fai- 
saient leur  nourriture.  Les  intéressantes  fouilles  d'Osceola- 
Mound  vinrent  confirmer  encore  Wyman  dans  ses  conjectures. 
Les  débris  de  l'homme  et  des  mammifères  étaient  renfermés 
dans  une  brèche  très  dure,  assez  semblable  à  celle  des  cavernes 
qui  ont  donné  dans  nos  régions  de  si  importants  résultats. 
Wyman  retira  de  cette  brèche  deux  fémurs,  appartenant  à  deux 
individus  différents.  Sur  l'un  d'eux,  il  remarqua  une  incision 
intentionnelle  faite  autour  de  l'os  pour  le  briser  plus  facile- 
ment (2).  Le  savant  professeur  signale  aussi  un  os  humain  évi- 
demment travaillé  trouvé  à  Ipswich  (Massachussetts). 

Pendant  que  Jeffries  Wyman  prouvait  l'existence  de  l'anthro- 
pophagie dans  les  États  du  Sud,  M.  Manly  Hardy  l'annonçait 


parlant  de  leur  goût  pour  la  chair  humaine.  De  Rébus  Emmanuelis  Régis  Lusitaniœ. 
Colonise  Agrippinje,  1574. 

(1)  Human,  Remuns  in  the Shell  Heaps  of  the  St-John  River  {East Florida).  Canni- 
balism.  Report  Peabody  Muséum,  t.  I,  p.  26. 

(2)  Sur  l'autre  fémur,  l'incision  a  pu  également  exister  ;  mais  elle  n'est  pas  assez 
apparente,  pour  que  l'on  puisse  l'affirmer  avec  certitude.  . 


62  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

dans  la  Nouvelle-Angleterre  (1).  Sous  un  kjôkkenmôdding 
des  côtes  du  Maine,  il  découvrait  trente  ou  quarante  os  longs, 
fémurs,  tibias,  humérus,  radius,  un  sternum,  un  pelvis,  deux 
crânes  humains.  Au  milieu  de  ces  débris,  les  vertèbres,  les 
côtes,  les  petits  os  manquaient  totalement  ;  aucun  des  fragments 
humains  ne  se  rapportait  aux  autres,  en  sorte  qu'il  était  impossi- 
ble de  compléter  même  partiellement  un  squelette.  Les  os  longs 
étaient  brisés,  et  les  fouilles  donnèrent  des  os  de  castor  et  de 
morse  mêlés  aux  ossements  humains  et  brisés  comme  eux,  des 
os  d'oiseaux,  des  arêtes  de  poisson,  de  nombreuses  coquilles 
marines,  des  tessons  de  poterie,  une  flèche  en  silex  et  une  aiguille 
en  os.  Sur  divers  points  des  amas  de  cendres  attestaient  le 
foyer  du  cannibale,  le  lieu  où  il  préparait  ses  misérables 
repas. 

De  tels  faits,  si  tristes  qu'ils  soient  pour  l'humanité,  ne  peu- 
vent nous  surprendre.  Dans  les  temps  historiques,  nous  voyons 
l'homme  se  nourrir  de  la  chair  de  l'homme,  même  au  milieu  de 
l'abondance,  et  cela  alors  que  la  plupart  des  animaux  éprouvent 
une  singulière  répugnance  pour  la  chair  d'un  animal  de  leur 
espèce.  Hérodote  raconte  le  cannibalisme  cliez  certaines  peu- 
plades voisines  de  la  Scythie,  chez  les  Androphages  et  les  Isse- 
dons  par  exemple  (2)  ;  Aristote,  chez  plusieurs  peuples  des  bords 
du  Pont-Euxin  (3)  ;  Diodore  de  Sicile,  chez  les  Galates  (4)  et  Stra- 
bon  dit  à  son  tour  :  «  Les  Irlandais  plus  sauvages  que  les  Bretons 
sont  anthropophages;  ils  se  font  un  honneur  de  manger  leurs 
parents,  lorsque  ceux-ci  viennent  à  mourir  (o).  » 

Dans  les  anciens  tombeaux  de  la  Géorgie  qui  datent  du 
huitième  au  deuxième  siècle  avant  notre  ère,  on  trouve  des 
ossements  humains  bouillis  ou  carbonisés  ,  ceux  des  victi- 
mes sans  doute    dévorées   par  les  assistants,  dans  les    festins 

(1)  Report  Penbody  Muséum,  1877,  t.  II,  p.  197. 

(2)  L.  IV,  c.  xviii,  XXVI,  etc.  Ces  peuples  habitaient  vraisemblablement  la  Russie  cen- 
trale. 

(3)  Politique,  L.  VIII,  c.  m,  t.  II,  trad.  Thurot,  p.  515. 

(4)  Bibl.  his'.,  lib.  V,  c.  xxxii. 
(h)  Géographie,  liv.  IV. 


LES  KJÙKKENMÔDDINGS  ET  LES  CAVERNES.       63 

qui  formaient  une  partie    essentielle  des  rites  funéraires  (1). 

Saint  Jérôme,  au  quatrième  siècle  de  l'ère  chrétienne,  affirme 
avoir  vu  dans  la  Gaule,  des  Attacotes  issus  d'une  sauvage  tribu 
écossaise,  qui  se  nourrissaient  de  la  chair  de  l'homme;  et  cela 
alors  qu'ils  possédaient  de  grands  troupeaux  de  porcs,  de  bœufs 
et  de  moutons  auxquels  leurs  immenses  forêts  fournissaient  d'ex- 
cellents pâturages  (2).  Comment  s'étonner  d'ailleurs  de  trouver 
cet  usage  dégradant  chez  des  peuplades  sauvages,  quand  au 
temps  de  la  splendeur  de  Rome,  les  courtisans  de  l'empereur 
Commode,  au  dire  de  Galien,  mangeaient  par  un  raffinement  de 
gourmandise  de  la  chair  humaine  (3)  ;  et  si  les  kjôkkenmôod- 
dings  Scandinaves  ne  fournissent  nulle  trace  d'anthropophagie, 
Adam  de  Brème  qui  vivait  au  onzième  siècle  et  qui  prêchait  le 
christianisme  à  la  cour  du  roi  Swen  Ulfson,  représente  les 
Danois  de  son  temps  comme  vêtus  de  peaux  de  bêtes,  chassant 
l'aurochs  et  l'élan,  ne  sachant  qu'imiter  les  cris  des  animaux  et 
dévorant  leurs  semblables  (4). 

Les  exemples  abondent  également  en  Amérique,  et  bien 
souvent  la  mort  de  l'homme  était  accompagnée  de  barbares 
supplices,  inconnus  chez  les  nations  des  autres  continents.  Les 
récits  des  voyages  publiés  par  de  Bry  renferment  de  longs  détails 
sur  les  modes  employés  par  les  sauvages  des  Guyanes  pour  pré- 
parer, pour  cuire  et  pour  manger  le  corps  de  leurs  victimes  (5). 

(1)  Congrès  arch.  de  Knzan,  1877. 

(2)  «  Quid  loquar  de  ceteris  nationibus,  quum  ipse  adolescentulus  in  Galliaviderim 
Attacotos,  gentein  Biitannicam,  hnmanis  vesci  carnibus  et  quum  per  sylvas  porcorum 
grèges  et  armentorum  pecudumque  reperiunt,  puerorum  nates  et  feminarum  papillas 
solere  abscindere.  et  bas  solas  ciborum  delicias  arbitrari.  »  Hier.,  O/ypro,  t.  II,  p.  335, 
coll.  Migne,  t.  XXII.  Richard  de  Cirenccster  dit  que  les  Attacotes  demeuraient  sur 
les  bords  de  la  Clydc,  au  delà  de  la  grande  muraille  d'Adrien. 

(3)  Commode  vécut  de  IGl  à  192  après  J.-C.  Nous  empruntons  le  fait  au  Diction- 
naire des  sciences  morales  et  politiques  de  Bachelet.  On  pourrait  ajouter  ces  vers  de 
Juvénal  : 

Sed  qui  mordere  cadaver 

Sustinuit,  nil  unquam  hac  carne  libentius  edit. 

(Sat.  XV,  V.  87.) 

(4)  Schwedfin's  Urgeschichte,  p.  341. 

(5)  Collectiones  perigrinationum  in  Indiam  Occif^entalem,  XXV  partes  compre- 
hensœ  a  Th.  de  Bry  et  à  M.  Merian  publicatx,  Francofurti  ad  Mœnum,  1590-1634.  — 


64       .  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Pizarre  et  ses  compagnons  dans  leur  première  et  inutile  tenta- 
tive {{)  pour  gagner  le  Pérou  par  Tisthme  de  Panama,  entrèrent 
un  jour  dans  un  village  Indien,  dont  les  habitants  efl'rayés  s'en- 
fuirent précipitamment  à  leur  approche,  abandonnant  la  viande 
humaine  qui  cuisait  devant  le  feu  (2).  Les  Mexicains  se  livraient 
à  ces  hideux  repas  à  l'occasion  de  toutes  leurs  fêtes.  Le  captif 
était  abandonné  au  guerrier  qui  l'avait  fait  prisonnier  et  les  amis 
du  vainqueur  invités  à  un  joyeux  festin.  Ce  n'était  point  là,  dit 
Prescott(3),  le  repas  de  misérables  affamés,  mais  un  banquet  raffiné 
préparé  avec  tout  l'art  que  les  Mexicains  savaient  y  mettre.  Les 
alliés  des  Espagnols,  lors  du  siège  de  Mexico,  dévoraient  les  corps 
de  leurs  ennemis;  et  les  assiégés  immolaient  en  l'honneur  du 
dieu  de  la  guerre  de  nombreuses  victimes,  parmi  lesquelles 
Cortès  put  souvent  reconnaître  à  la  blancheur  de  leur  peau, 
quelques-uns  de  ses  soldats.  Ils  étaient  ensuite  dépecés  et  leur 
chair  distribuée  au  peuple. 

Les  Caraïbes,  comme  les  Fijiens,  avaient  soin  de  faire  engraisser 
les  malheureux  qu'ils  destinaient  à  leur  nourriture  (4).  L'anthro- 
pophagie existait  chez  les  Algonquins,  les  Iroquois,  les  Mamis, 
les  Rickapoos,  chez  d'autres  tribus  encore  ;  et  les  Jésuites  souvent 
témoins  de  ces  festins  dont  la  viande  humaine  faisait  tous  les  frais, 
nous  en  ont  conservé  le  récit  (5).  On  frémit  d'horreur  à  la  pensée 
des  tortures  inventées  par  le  génie  malfaisant  de  l'homme.  Ces 
tortures  chez  plusieurs  tribus  Indiennes  commençaient  plusieurs 
jours  avant  le  supplice  final;  des  tisons  brûlants  étaient  appli- 
qués sur  toutes  les  parties  du  corps;  les  ongles  des  pieds  et  des 
mains  étaient  arrachés;  la  chair  était  déchirée  et  des  étoupes 
enflammées  plongées  dans  les  plaies  béantes;  la  peau  de  la  tête 
était  enlevée  et  des  charbons  allumés  promenés  sur  le  crâne  dé- 

Bresil  voy.  de  J.  Stadius  Hnsus  (3=  part.,  p.  71,  81,  89,  125  et  127).  —  Voy.  de 
Joannes  Lerus  liurgundus  (3"  part.,  p.  213).  On  peut  aussi  consulter  les  nombreux 
faits  rassemblés  par  Wyman,  Report  Peabody  Muséum,  1874. 

(1)  En  1524. 

(2)  Prescott,  Hist.  of  the  Cnnquesf  of  Peru,  p.  96.  London,  1854. 

(3)  Prescott,  Hist.  of  the  Conquest  of  Mexico.  Pliiladelçhia,  1874,  t.  I,  p.  81. 

(4)  Pierre  Martyr  d'Anghiera,  De  Rébus  Oceanicis  et  Orbe  A'oco,  Décades,  I,  liv.  I. 
(i>)  P.  Hennepin,  Descript  on  de  la  Louisiane.  Paris,  1868,  p.  65,  68,  69. 


LES  KJUKKENMODDINGS  ET  LES  CAVERNES.        65 

nudé.  Les  femmes  (1)  et  les  enfants  n'étaient  par  les  moins  ar- 
dents parmi  les  bourreaux,  et  quand  enfin  le  misérable  expirait, 
la  poitrine  était  ouverte,  le  cœur,  s'il  était  mort  en  brave,  coupé 
en  morceaux  et  distribué  aux  jeunes  guerriers  de  la  tribu.  Ils 
buvaient  aussi  son  sang  encore  fumant,  espérant  s'inoculer  ainsi 
le  courage  dont  il  venait  de  faire  preuve.  Le  tronc,  les  membres, 
la  tête,  étaient  rôtis  ou  bouillis  ;  tous  se  gorgeaient  de  cette  horri- 
ble nourriture,  et  la  journée  s'achevait  au  milieu  des  danses  et 
des  chants,  qui  terminaient  gaiement  la  fête  (2). 

De  nos  jours  encore,  les  marins  et  les  voyageurs  racontent  des 
scènes  semblables.  Les  Apaches  traitent  leurs  prisonniers  avec 
une  férocité  égale  à  celle  de  leurs  ancêtres  (3).  Les  habitants  de 
la  Terre  de  Feu  ont  du  moins  pour  excuse  leur  déplorable  exis- 
tence, au  milieu  d'un  pays  qui  ne  produit  rien  de  ce  qui  est  né- 
cessaire à  la  vie.  Les  expéditions  de  ces  misérables  sauvages,  dont 
la  description  par  le  capitaine  Fitz-Roy  est  douloureuse  à  lire  (4), 
ont  toujours  pour  but  de  se  procurer  des  prisonniers;  quand  elles 
échouent  et  qu'ils  sont  pressés  par  la  faim,  les  vieilles  femmes  de  la 
tribu  sont  saisies,  rôties  à  un  feu  ardent  et  les  morceaux  distribués 
aux  guerriers.  Si  la  famine  qui  poursuit  presque  toute  l'année  les 
habitants  de  ces  régions  déshéritées,  peut  être  leur  excuse,  nous 
retrouvons  ce  même  goût  dépravé,  au  milieu  de  la  nature  la  plus 
riche,  au  milieu  de  la  végétation  luxuriante  des  tropiques.  Hum- 
boldt  a  vu  ces  scènes  sur  les  bords  de  l'Orenoque  ;  à  Taïti  où  les 


(1)  a  On  this  occasion  it  is  always  observed  thaï  the  women  are  more  cruel  than 
the  men.  »  Schoolcraft,  Et/mological  Researches  respecting  the  red  Men  of  America, 
t.  m,  p.  189. 

(2)  La  Potlierie,  Histoire  de  l'Amérique,  Paris,  1723,  p.  23.  —  Le  père  Jean  de 
Brebeuf,  Voi/.  dans  la  Nouvelle-France  occidentale.  Il  périt  lui-même  au  milieu  des 
supplices  qu'il  avait  décrits.  —  Relation  de  Barth.  de  Vimont.  Paris,  1642,  p.  4G. 

(3)  Les  Apaches,  établis  auprès  des  American  settlements,  sont  un  peu  plus  civili- 
sés, ils  ont  renoncé  à  la  chair  humaine,  et  le  gouvernement  des  États-Unis  leur  fait 
distribuer  de  temps  à  autre  des  bœufs.  Ces  sauvages  s'empressent  de  leur  couper  les 
jarrets,  de  leur  ouvrir  le  ventre  et  les  hommes  se  précipitent  sur  les  entrailles  fu- 
mantes dont  ils  se  gorgent  avec  délices  !  Il  est  interdit  aux  femmes  de  prendre  part  à 
ce  festin.  —  Gregg,  Commerce  of  the  Prairies.  New-York,  1844,  t.  II,  p.  296. 

(4)  Voyage  of  the  Adventure  and  the  lieagle,  t.  II,  p.  183  et  189.  —  Darwin,  Voi/. 
d'un  naturaliste  autour  du  monde,  p.  234. 

De  Nadaillac,  Amérique.  5 


•     66  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

voyageurs  vantaient  à  l'envi  les  mœurs  douces  et  affectueuses  des 
habitants,  les  hécatombes  de  prisonniers  étaient  suivies  de  repas 
de  cannibales  ;  l'honneur  de  manger  Tœil  des  victimes  était  réservé 
au  roi,  et  le  premier  nom  de  la  reine  Pomaré  [Âimata,  je  mange 
l'œil)  était  un  dernier  souvenir  de  son  royal  privilège  (1). 

Pour  terminer  enfin  ces  lugubres  récits,  qu'il  serait  facile 
d'étendre  indéfiniment,  le  docteur  Crevaux  dans  une  exploration 
récente  de  l'Amazone  et  de  ses  principaux  affluents,  rencontra 
plusieurs  peuplades  anthropophages.  Il  vit  chez  les  Ouitotos,  qui 
vivent  sur  les  bords  du  Yapura,  des  flûtes  fabriquées  avec  des 
ossements  humains,  et  il  nous  dit  avoir  surpris  un  jour,  une 
vieille  femme  occupée  à  préparer  son  repas  ;  la  tête  grimaçante 
d'un  Indien  bouillait  dans  sa  marmite  ! 

Ces  faits  forment  un  singulier  contraste  avec  notre  civilisation 
si  brillante,  avec  les  progrès  dont  nous  sommes  si  justement 
fiers.  Ils  montrent  dans  quelle  dégradation  l'homme  peut  tom- 
ber ;  les  efforts  persévérants  qui  restent  à  faire  pour  relever  le 
niveau  de  tant  de  races  deshéritées. 
A  quelle  épo-  \\  QQ^g  f^ut  maintenant  rechercher  l'époque  à  laquelle  peu- 
'^^Kj'cîkkên-''^  Vent  remonter  les  kjôkkenmôddings.  Les  historiens  sont  muets 
•ngs-  gyp  (jgg  amas  qui  n'avaient  guère  attiré  leur  attention,  et  les 
Indiens,  quand  on  les  interroge,  se  contentent  de  répondre  qu'ils 
sont  bien  antérieurs  à  leur  venue  dans  le  pays  et  l'œuvre  d'une 
race  étrangère,  inconnue  à  leurs  pères  (2).  Par  exception,  les  Ca- 
liforniens attribuent  un  grand  kjôkkenmôdding  formé  de  co- 
quilles de  moules  et  d'ossements  d'animaux,  situé  à  la  pointe 
Saint-Georges  auprès  de  San  Francisco,  aux  Hohgates,  tel  est  le 
nom  qu'ils  donnent  à  sept  mystérieux  étrangers,  arrivés  par 
mer  dans  leur  pays,  et  qui  les  premiers  bâtirent  des  maisons  et 
s'y  établirent  (3).  Les  Hohgates  tuaient  des  élans,  des  morses, 

(1)  Cong.  préh.  de  Paris,  1867,  p.  161. 

(2)  «  It  is  the  uniform  testimouy  of  those  who  hâve  within  récent  years,  been  in 
communication  with  the  Seminoles,  that  no  traditions  of  the  origin  of  thèse  heaps  has 
come  down  to  them.  They  attribute  them  to  a  former  race  who  preceded  thom  in  the 
occupation  ofthe  Peninsula  of  Florida.  »  Wyman,  Report  Peabody  Muséum,  1868^  p.  16. 

(3)  Bancroft,  l.  c,  t.  III,  p.  177. 


LES  KJÔKKENMÔDDINGS  ET  LES  CAVERNES.        67 

des  phoques;  ils  recueillaient  les  moules  très  abondantes  sur  les 
rochers  voisins,  et  les  débris  de  leurs  repas  s'amoncelaient  autour 
de  leurs  demeures.  Un  jour  qu'ils  étaient  à  la  pêche  ;  ils  aper- 
çurent un  phoque  gigantesque.  Ils  parvinrent  à  l'atteindre 
avec  un  harpon  ;  mais  l'animal  blessé  s'enfuit  vers  la  haute  mer, 
entraînant  rapidement  le  bateau,  vers  les  abîmes  sans  fond  du 
Chareckquin.  Au  moment  où  ils  allaient  être  engloutis  dans 
ces  abîmes,  où  vont  ceux  qui  doivent  souffrir  le  froid  perpé- 
tuel, la  corde  se  rompit,  le  phoque  disparut  et  la  barque  fut 
enlevée  dans  les  airs.  Depuis  ce  jour,  les  Hohgates  transformés 
en  brillantes  étoiles  ne  revinrent  plus  sur  la  terre  où  le  kjôk- 
kenmôdding  reste  leur  témoin. 

Si  les  traditions  se  taisent ,  quelques  faits  certains  peuvent 
cependant  nous  aider  à  fixer  sinon  des  dates,  du  moins  des  limi- 
tes extrêmes.  Les  Shell-Heaps  existaient  longtemps  avant  l'arri- 
vée des  Espagnols,  et  les  mammifères  dont  ils  récèlent  les  débris 
étaient  ceux  que  virent  les  conquistadores.  On  n'a  trouvé  dans 
les  kjôkkenmôddings,  ni  dans  ceux  qui  s'élèvent  sur  les  bords 
de  la  mer,  ni  dans  ceux  situés  sur  les  rives  des  fleuves,  aucun 
ossement  des  grands  animaux  de  race  éteinte  ou  disparue.  On 
n'a  découvert  jusqu'à  présent,  dans  ceux  de  l'Amérique  du  Nord, 
aucun  outil  en  fer,  en  cuivre  ou  en  bronze ,  aucun  objet  en 
or  ou  en  argent.  11  semble  donc  naturel  de  placer  leur  lente  for- 
mation, entre  la  disparition  de  la  faune  que  l'on  peut  appeler 
quaternaire  et  le  premier  emploi  des  métaux. 

11  est  évident  que  les  kjôkkenmôddings  ont  été  accumulés 
par  de  longues  générations.  Les  amas  de  coquilles  fluviatiles,  à 
en  juger  par  les  objets  que  les  fouilles  ont  donné,  paraissent 
plus  anciens  que  ceux  formés  de  mollusques  marins.  Les  Shell 
Heaps  de  la  Californie  sont  probablement  plus  récents  que  ceux 
de  la  Floride;  et  jusque  dans  des  régions  voisines  les  poteries, 
les  armes,  les  outils  présentent  des  différences  notables  qui  ex- 
cluent toute  idée  de  contemporanéité.  Les  hommes  qui  les  ont 
lentement  accumulés  appartenaient-ils  à  des  peuples  différents, 
à  des  races  venues  d'autres  pays,  cela  est  probable;  sans  que  nous 


X 


68  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

puissions  rien  affirmer  de  positif  à  cet  égard;  mais  selon  une  loi 
invariable  de  l'histoire,  les  vainqueurs  devaient  occuper  la  de- 
meure des  vaincus,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  chassés  à  leur  tour,  par 
d'autres  envahisseurs  plus  vaillants  ou  plus  puissants.  Sans  doute 
on  peut  objecter,  que  dans  toute  l'Amérique,  les  kjôkkenmôddings 
offrent  entre  eux  une  grande  ressemblance;  mais  cette  ressem- 
blance n'a  rien  ici  qui  puisse  étonner;  il  est  naturel  au  sauvage  de 
jeter  à  la  porte  de  son  habitation,  autour  des  lieux  où  il  vit,  les  ob- 
jets inutiles,  les  débris  de  toute  nature,  sans  se  préoccuper  du  dé- 
sordre ou  de  la  malpropreté.  C'est  là  un  fait  commun  à  toutes  les 
régions  du  globe.  Les  voyageurs  qui  visitent  de  nos  jours  les  Es- 
quimaux (1),    les  derniers  représentants    d'une   des   plus   an- 
ciennes races  américaines,  nous  disent  qu'autour  de  leurs  tentes, 
le  sol  est  jonché  d'inombrables  ossements  de  morses  ou  de  pho- 
ques, dont  beaucoup  gardent  encore  des  lambeaux  de  chair  en 
putréfaction  et  exhalent  l'odeur  la  plus  infecte.  Nous  avons  pro- 
bablement là  une  peinture  exacte  des  mœurs  et  des  usages  des 
sauvages,  qui  habitaient  l'Amérique  aux  temps  préhistoriques. 
Parmi  ces  hommes,  les  uns,  ceux  de  Santa  Rosa  par  exemple, 
se  livraient  à  la  chasse,  ils  se  vêtissaient  des  peaux  des  animaux 
qu'ils  avaient  tués  ;  les  nombreuses  aiguilles  en  os  sont  une  preuve 
sans  réplique  de  leur  industrie.  Chez  leurs  voisins  de  Bear-Point, 
on  ne  trouve  que  des  mollusques  marins,  nulle  trace  d'ossements 
d'animaux,  nul  instrument  en  os:  doit-on  en  conclure  que  leurs 
vêtements  étaient  fabriqués  soit  avec  des  herbes,  soit  avec  des  fila- 
ments tirés  de  l'écorce  des  arbres?  Tel  était  le  costume  des  indi- 
gènes de  la  Floride,  au  dire  des  conquérants  espagnols,  qui  péné- 
trèrent les  premiers  dans  le  pays.  La  même  différence  se  fait 
remarquer  dans  les  poteries.  Les  vases  des  uns  sont  élégants  de 
forme  et  d'ornementation  ;  les  anses  reproduisent  des  figures  d'ani- 

(1)  Il  est  intéressant  de  noter  la  ressemblance  dans  les  temps  primitifs  des  Esqui- 
maux avec  les  habitants  des  îles  Aléoutiennes.  Les  armes,  les  outils,  les  instruments 
que  les  fouilles  mettent  au  jour  sont  identiques.  La  diflférence  de  la  faune,  celle  du 
climat,  modifièrent  peu  à  peu  les  coutumes  des  deux  peuples,  peut-être  aussi  leur  lan- 
gage. W.  H.  Dale,  The  Remains  of  later  Prehistoric  Man  obtained  from  the  Caves  of 
the  Aleutian  Islands.  Smith.  Cont.,  1878. 


LES  KJOKKENMÔDDINGS  ET  LES  CAVERNES.        69 

maux  des  représentations  humaines;  ils  rappellent  de  tous  points 
ceux  trouvés  sous  les  mounds;  chez  les  autres,  au  contraire,  la  po- 
terie est  toujours  mal  cuite,  grossièrement  fabriquée.  Dans  certai- 
nes régions  le  silex  est  rare  ;  les  os  sont  apointés  et  paraissent  avoir 
suffi  à  la  défense  et  à  tous  les  usages  domestiques.  En  général, 
les  fouilles  des  kjôkkenmôddings  n'ont  donné  ni  une  pipe,  ni 
un  fragment  qu'on  puisse  \  rapporter  ;  ce  serait  donc  plus  tard 
que  l'habitude  de  fumer,  dont  nous  allons  constater  de  si  nom- 
breuses traces,  a  pris  naissance.  Presque  partout,  en  revanche,  on 
trouve  des  ornements,  souvent  aussi  de  l'hématite  destinée  sans 
doute  au  tatouage.  Le  goût  de  la  parure  est  inné  chez  l'homme 
alors  même  qu'il  est  le  plus  misérable  et  le  plus  dégradé,  et  ce 
goût  nous  surprend  quelquefois  par  les  formes  étranges  qu'il 
revêt.  Dans  les  immenses  régions  où  l'on  constate  l'accumulation 
des  débris  que  nous  étudions,  les  différences  doivent  nécessaire- 
ment être  considérables.  Aucune  conclusion  générale,  aucune* 
théorie  absolue  ne  sont  de  mise  :  si  elles  paraissent  prouvées  sur 
un  point,  sur  un  autre  nous  sommes  forcément  amenés  à  une 
conclusion  contraire  à  une  autre  théorie. 

Un  seul  fait  permet  une  appréciation  tout  au  moins  approxi- 
mative de  la  date  de  la  formation  de  certains  kjôkkenmôddings. 
Il  en  est  qui  sont  couverts  d'arbres  gigantesques.  Celui  de  Silver 
Spring  est  couronné  de  chênes  séculaires  ;  un  des  plus  grands 
parmi  eux  ne  mesure  pas  moins  de  vingt-six  à  vingt-sept  pieds 
de  circonférence,  il  ne  saurait,  selon  Jeffries  Wyman  (1),  avoir 
moins  de  six  cents  ans  d'existence.  11  porte  de  même,  par  l'étude 
des  cercles  concentriques,  à  quatre  cents  ans  l'âge  des  arbres  qui 
s'élèvent  sur  les  Shell-Heaps  de  Blue-Spring  et  d'Old-Town.  Si 
ces  calculs  sont  exacts,  et  ils  paraissent  tels,  ils  nous  font  bien 
connaître  le  moment,  où  le  kjôkkenmôdding  a  été  abandonné, 
où  l'arbre  de  la  forêt  a  remplacé  la  demeure  de  l'homme  ;  mais 
notre  ignorance  reste  complète  sur  la  date  initiale,  où  l'accumu- 
lation des  coquilles  et  des  débris  a  commencé  ;  c'est  là  surtout 
ce  qu'il  importe  de  savoir. 

(1)  Report  Peabody  Muséum,  1872, 1. 1,  p.  25. 


70  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  dépôts  de  guano  du  Pérou  ont  donné  des  poissons  (fig.  19), 
des  figurines,  de  grossières  idoles  en  or  et  en  argent,  de  nom- 
breux tessons  de  poterie  (1).  Le  Peabody  Muséum  à  Cambridge 
(Massachusetts)  possède  vingt  ornements  en  or,  provenant  des  îles 
Chincha  (2).  Ce  sont  des  plaques  très  minces,  disposées  en  parallé- 
logrammes de  sept  à  huit  pouces  de  longueur  sur  trois  à  quatre 
de  largeur,  couvertes  de  lignes  pointillées  et  percées  d'un  trou, 
qui  permettait  soit  de  les  suspendre  au  cou,  soit  de  les  atta- 
cher aux  vêtements.  L'homme  habitait  donc  ces  îles,  au  moment 
où  s'accumulaient  ces  couches,  qui  ont  joué  un  rôle  si  considé- 


Fig.  19.  —  Poisson  eu  argent   des  îles  Chincha. 

rable  dans  notre  agriculture  moderne;  et  il  se  nourrissait  sans 
doute  des  innombrables  oiseaux  de  mer  qui  les  peuplaient.  Sur 
certains  points ,  les  couches  sont  recouvertes  de  dépôts  ma- 
rins, qui  atteignent  jusqu'à  deux  mètres  de  puissance.  L'étude 
géologique  du  terrain  prouve  que  depuis  la  présence  de  l'homme, 
ces  îles  ont  été  immergées  dans  les  flots  puis  émergées  de  nou- 
veau, sans  que  nous  puissions  nous  rendre  compte  des  causes 
de  ces  phénomènes  (3).  Ces  dépôts  selon  toutes  les  apparences 
remontent  aux  mêmes  époques  que  les  kjôkkenmôddings  que 
nous  venons  de  décrire;  la  présence  de  métaux  précieux,  tels  que 
l'or  et  l'argent,  indiquerait  bien  une  époque  plus  récente  ; 
mais  nous  savons  que  leur  emploi  est  autrement  ancien  au 
Pérou,  que  dans  l'Amérique  du  Nord  ou  l'Amérique  centrale. 


(1)  Baldwin,  Ancient  America.  New- York,  1872. 

(2)  Report  Peabody  Muséum,  1874,  p.  20. 

(3)  Nous  avons  traité  dans  les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  préhistoriques  toute 
la  question  des  mouvements  du  sol  (t.  II,  p.  319  et  suiv.). 


LES  KJOKKENMODDINGS  ET  LES  CAVERNES.        71 

Durant  les  temps  quaternaires,  l'Européen  habitait  les  caver-  cavemes. 
nés  formées  naturellement,  ou  agrandies  artificiellement,  à 
mesure  que  ses  besoins  augmentaient.  Ce  sont  ces  cavernes,  celles 
du  midi  de  la  France  ou  de  la  Belgique  entre  autres,  qui  nous 
ont  livré  les  preuves  les  plus  certaines  elles  plus  intéressantes  de 
l'existence  de  cet  homme,  de  ses  usages,  de  sa  vie  de  chaque  jour. 
En  Amérique,  les  grottes  paraissent  surtout  avoir  été  utilisées 
comme  lieux  de  sépulture,  durant  des  temps  dont  il  est  difficile  de 
fixer  la  durée.  Les  plus  anciens  explorateurs  rencontrèrent  dans 
Virginie,  dans  le  Tennessee,  dans  le  Rentucky  des  cavernes  rem- 
plies d'ossements  humains  (1).  D'autres  dans  la  Californie  étaient, 
rapporte-t-on,  couvertes  de  peintures  admirablement  conservées, 
représentant  des  hommes  ou  des  animaux  étranges  ;  elles  renfer- 
maient des  milliers  de  cadavres  momifiés  (2).  On  a  retiré  d'une 
caverne  située  dans  la  vallée  du  Rio-Norzas  (province  de  Du- 
rango,  3Iexique)  un  nombre  non  moins  considérable  de  momies 
appartenant  à  une  race  très  distincte  des  habitants  actuels  du 
pays.  Les  objets,  déposés  auprès  de  ces  momies,  étaient  deshaches, 
des  pointes  de  flèches  en  pierre,  et  des  vases  dont  la  décoration 
remarquable  offrait  quelque  rapport  avec  celle  des  poteries 
égyptiennes  (3).  Les  Espagnols  ne  pouvaient  contenir  leur  éton- 
nement,  à  la  vue  des  merveilleux  vêtements  de  plumes  dont 
étaient  couverts  les  Incas  du  Pérou  dans  les  grottes,  qui  leur 
servaient  de  demeure  dernière.  Mais  toutes  ces  cavernes,  si  elles 
ont  véritablement  existé,  ont  été  détruites  ;  tout  ce  qu'elles  ren- 
fermaient a  disparu  ;  et  nous  ne  pouvons  que  présumer  l'exagéra- 
tion des  détails  donnés  par  les  Conquistadores.  Celles  qui  subsis- 
tent aujourd'hui  sont  rares  et  leur  exploration  des  pi  us  difficiles. 
Les  unes,  celles  notamment  que  l'on  rencontre  dans  le  Mexique, 
dans  le  Chihuahua  ou  dans  la  Californie,  étaient  aussi  des  sépul- 
tures et  ne  gardaient  aucune  trace  d'une  habitation  antérieure  ; 

(1)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races,  ch.  vi. 

(2)  Glavigero,  qui  a  conservé  ces  détails,  ajoute  que  ces  hommes  différaient  autant 
par  leurs  traits  que  par  les  vêtements,  dont  ils  étaient  couverts,  de  toutes  les  races  que 
rencontraient  les  Espagnols. 

(3)  Proc.  Anthropological  Soc.  of  Washington,  1879,  p.  80. 


72  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

d'autres  avaient  été  occupées  par  les  Indiens  et  tous  les  objets 
que  l'on  pouvait  recueillir  dataient  d'époques  récentes  (1). 

Parmi  les  cavernes  qui  peuvent  présenter  quelque  intérêt, 
nous  citerons  celles  creusées  dans  les  massifs  calcaires  qui  domi- 
nent la  rivière  Gasconade.  Une  des  plus  remarquables  est  située 
dans  le  comté  de  Pulaski  (Missouri).  Elle  a  été  formée  dans  les 
temps  géologiques,  puis  artificiellement  agrandie  par  l'homme; 
son  ouverture  assez  difficile  d'accès,  est  perpendiculaire  à  la  ri- 
vière. M.  Conant  y  fit  exécuter  une  tranchée  de  175  pieds  de 
longueur,  sans  atteindre  les  parois.  Les  dépôts  (2)  qui  se  succè- 
dent, ont  dû  être  fréquemment  remaniés  ;  ils  sont  formés  de  terres 
et  de  cendres,  mêlées  à  des  fragments  de  poterie  et  de  charbon, 
à  des  silex  taillés,  h  des  ossements  humains  brisés,  à  un  grand 
nombre  d'instruments  en  os  ou  en  test  de  coquille  de  formes 
diverses,  mais  tous  d'un  travail  grossier  (fig.  20).  Le  sol  primitif 
était  formé  d'une  argile  rougeâtre,  où  l'on  recueillait  de  nom- 
breuses coquilles  de  moules  complètement  décomposées.  Ces 
mêmes  coquilles  se  trouvaient  dans  les  diverses  couches,  en 
quantité  véritablement  prodigieuse.  A  deux  pieds  environ  de  pro- 
fondeur, les  explorateurs  rencontrèrent  un  premier  squelette 
couché  sur  le  dos,  puis  un  autre  replié  sur  lui-même  ;  un  peu  plus 
loin  celui  d'une  femme  d'un  âge  avancé.  Tous  étaient  dans  un  tel 
état  de  décomposition  que  l'on  ne  put  conserver  que  quelques 
fragments,  qui  ne  permirent  aucune  comparaison  utile.  Autour 


(1)  Schoolcraft,  Archives  of  Aboriginal  Knowledge,  t.  IV,  p.  217.  —  Les  Navajos, 
dit  Gallatin,  habitaient  des  cavernes  où  ils  conservaient  leurs  récoltes  {Nouv.  Ann. 
desvoy.,  t.  CXXXI,  1857). 

(2)  Nous  donnons  la  série  des  couches  constatées  et  leur  puissance  : 

h.  alluvions 3  1/2  pouces. 

i.  cendres    mêlées     do 

pouces.  charbon 4  » 

k.  alluvions 7  « 

/.  cendres 3  « 

m.  alluvions   mêlées    à 
des  fragments  de 

charbon 20  » 

67        pouces. 
soit  l^jôG. 


a.  Alluvions  mêlées  de 
cendres  et  de  tes- 
sons      18 

b  cendres 2 

c.  argile 21/2 

</.  cendres 

e.  alluvions 

f.  argile  et  cendres  mê- 

lées  

g.  Cendres 


1/2 


1/2 


LES  KJOKKENMUDDINGS  ET  LES  CAVERNES. 


73 


des  squelettes  étaient  répandus  en  grand  nombre,  des  os  de  daim, 
d'ours,  de  tortue,  de  dindon  sauvage.  Les  crânes  de  tous  ces 
animaux  étaient  brisés  ;  évidemment  la  cervelle  formait  un  mets 
recherché.  Nous  avons  certainement  là  une   grotte  longtemps 


Fig.  20.  —  Instruments  en  os  de  la  rivière  Gasconade. 

habitée  par  l'homme;  la  sépulture  est-elle  un  fait  accidentel, 
ou  bien  ces  hommes  avaient-ils  été  ensevelis  auprès  de  leur 
foyer.  Nous  pencherions  vers  cette  dernière  solution  ;  car  c'était 
là  une  coutume  chère  à  bien  des  peuples  primitifs. 

Shelter-Cave  auprès  d'Elyria  (Ohio)  (1),  devait  aussi  servir'de 
retraite  aux  premiers  habitants  du  pays.  A  une  profondeur  de 


(1)  Sur  la  rive  ouest  de  Black-River. 


74  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

quatre  pieds  (1),  le  sol  formait  une  brèche  compacte,  où  étaient 
empâtés  des  ossements  d'ours,  de  loup,  de  cerf,  de  lapin,  d'écu- 
reuil, au  milieu  desquels  on  pouvait  reconnaître  trois  squelettes 
humains,  ceux  d'hommes  probablement,  écrasés  dans  l'asile  qu'ils 
avaient  choisi,  parla  chute  d'une  partie  de  la  voûte.  Les  crânes 
en  bon  état  de  conservation  furent  présentés  en  1851 ,  à  la  réunion 
de  l'Association  Américaine  à  Cincinnati.  Ils  furent  malheureu- 
sement détruits  quelques  années  après,  dans  une  émeute  popu- 
laire, avec  le  Musée  du  collège  Homéopathique,  où  ils  étaient 
déposés,  et  nous  ne  connaissons  aucune  indication  qui  puisse 
permettre  de  les  décrire.  Un  des  archéologues  les  plus  distingués 
des  États-Unis,  le  colonel  Whittlesey,  attribue  à  ces  débris  une 
antiquité  de  deux  mille  ans  (2)  ;  mais  son  calcul  paraît  trop  hy- 
pothétique pour  qu'il  soit  nécessaire  de  le  discuter. 

Ash  Cave  dans  le  comté  de  Benton  (Ohio),  est  un  de  ces  abris 
sous  roche,  si  communs  dans  le  midi  de  la  France  ;  celui-ci  est  re- 
marquable par  un  dépôt  considérable  de  cendres,  qui  couvre  une 
superficie  de  cent  pieds  de  longueur,  sur  une  largeur  moyenne  de 
trente  pieds.  Une  tranchée  poussée  jusqu'à  deux  pieds  et  demi  de 
profondeur,  mit  à  découvert  une  masse  considérable  de  débris 
de  toute  sorte;  des  ossements  d'animaux  propres  à  la  nourriture 
de  l'homme,  des  petits  bâtons  ayant  pu  servir  de  flèches,  des 
tessons  de  poterie,  des  noix,  des  filaments  d'herbe.  Un  squelette 
était  assis  auprès  du  mur,  et  on  pouvait  encore  distinguer  les 
fragments  d'écorce  dont  il  avait  été  enveloppé  pour  le  préserver 
sans  doute  du  contact  des  cendres.  Déplus  grandes  précautions 
encore  avaient  été  prises  pour  un  paquet  de  petites  graines  (3) 
déposées  auprès  de  lui  ;  elles  avaient  été  soigneusement  recou- 
vertes d'un  lit  d'herbes  et  de  fougères,  puis  d'une  étoffe  grossière. 
Nous  ignorons  leur  signification  et  le  rite  auquel  elles  se  ratta- 

(1^  A  cette  profondeur,  les  fouilles  ont  du  être  arrêtées  à  raison  des  difficultés 
qu'elles  présentaient. 

(2)  (i  Judging  from  the  appearance  of  tlie  bones  and  the  depth  ofthe  accumulation 
overthem,  two  thousand  years  may  hâve  elapsed  since  the  human  skeletons  were  laid 
on  the  floor  of  the  cave.  »  Evidence  of  the  Antiquity  of  Man  in  the  U.  S. 

(3)  Chenopodium  album  ? 


LES  KJÔKKENMODDINGS  ET  LES  CAVERNES.        75 

chaient.  Nous  pouvons  seulement  ajouter  que  le  professeur  An- 
drews (1),  à  qui  nous  empruntons  ces  détails,  regarde  le  squelette 
comme  remontant  à  une  époque  très  reculée. 

Au  mois  de  juin  1878,  on  explorait  un  réduit  situé  dans  le  Comté 
de  Summit  (Ohio).  Il  était  formé  par  deux  roches,  mesurant  cha- 
cune de  quinze  à  vingt  pieds  de  diamètre  et  surmontées  en  guise 
de  toit,  par  une  troisième  roche.  Ce  réduit,  tout  ouvert  qu'il  était 
au  nord  et  au  sud,  avait  servi  d'habitation  à  de  longues  généra- 
tions, car,  après  l'enlèvement  d'une  faible  couche  de  terre  végé- 
tale, les  archéologues  qui  dirigeaient  les  fouilles,  rencontrèrent 
des  amas  de  cendre,  variant  de  quatre  à  cinq  pieds  de  puissance. 
De  nombreux  boulders,  que  les  troglodytes  n'avaient  jnème  pas 
eu  l'énergie  d'enlever  de  leur  triste  demeure,  étaient  enterrés  au 
milieu  de  ces  cendres  et  avec  eux  plus  de  deux  cent  cinquante  frag- 
ments de  poterie,  des  os,  des  coquilles,  des  armes  ou  des  outils 
en  pierre.  Les  vases  conservaient  les  marques  de  l'écoree  et  des 
fibres  du  moule  en  bois,  où  ils  avaient  été  fabriqués.  A  mesure 
que  les  fouilles  devenaient  plus  profondes,  les  poteries  étaient 
plus  grossières  et  plus  massives.  Aucun  des  objets  en  pierre  ne 
présentait  de  trace  de  polissage  ;  la  plupart  d'entre  eux  devaient 
servir  de  couteaux.  Les  ossements  appartenaient  à  l'ours,  au  loup, 
auporc-épic,  au  buffle,  au  cerf,  au  racoon,  à  l'écureuil,  au  re- 
nard, au  castor,  et  aussi  au  héron  et  au  dindon  sauvage.  Les  os 
renfermant  la  moelle  étaient  brisés  ;  quelques-uns  grossièrement 
apointés;  tout  annonçait  chez  ces  hommes  une  civilisation  des 
plus  primitives  (2). 

Dans  la  Pennsylvanie,  à  82  milles  de  Philadelphie  (3),  sur  le 
front  d'une  falaise  se  dressant  parallèlement  à  la  Susquehannah, 
on  rencontre,  dans  une  roche  quartzite  très  dure,  une  cavité  na- 
turelle haute  de  sept  pieds  environ,  ne  présentant  aucune  trace 
d'érosion,  due  soit  au  travail  humain,  soit  à  l'action  des  eaux. 

(1)  Report  Peabody  Muséum,  1877,  t.  II,  p.  48. 

(2)  Read,  £'a?p/o)-ahon  of  a  Rocky  Shelter  in  Boston,  Summit  County,Ohio.  Americ, 
Antiquarian.  March  1880. 

(3)  Haldemau,  A.  RockRetreat  in  Pennsylvania.  Congrès  des  American  istes.Lvixem- 
bourg,  1877,  t.  II,  p.  319. 


76  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Le  sol  primitif  était  formé  d'argile  jaune,  et  sur  cette  argile  re- 
posait une  couche  de  terreau  noir  de  trente  pouces  d'épaisseur  (1). 
La  couche  entière  était  riche  en  reliques  humaines  et  on  put  y 
recueillir  plus  de  quatre  cents  pointes  de  flèche  en  pétrosilex,  en 
jaspe,  en  basalte,  en  argilolite,  très  rarement  en  quartzite,  qu'il 
était  facile  cependant  d'arracher  aux  roches  voisines.  Ces  flèches 
présentent  une  grande  variété  de  formes,  et  il  est  possible  de 
suivre  toutes  les  phases  de  la  fabrication.  Avec  les  flèches  on 
trouvait  quatre  tomahawks  perforés,  trop  minces  pour  être 
autre  chose  que  des  insignes  d'honneur,  des  couteaux  ou  des 
éclats  dont  le  côté  concave  seul  était  poli  (2),  des  os  de  tortues 
brisés,  des  Unio  provenant  de  la  rivière,  trois  cents  fragments 
de  poterie,  un  tuyau  de  pipe  en  terre  assez  semblable  à  ceux  que 
nous  aurons  à  décrire  en  parlant  des  Mound-Builders,  un  pilon 
enfin  et  quelques  minéraux  ferrugineux,  rouges  ou  noirs,  qui  de- 
vaient procurer  à  ces  hommes  les  couleurs  qu'ils  recherchaient 
et  dont  le  pilon  gardait  encore  l'empreinte.  Les  fouilles  n'ont 
donné  aucun  ossement  pouvant  être  attribué  à  l'homme.  Ceux 
qui  utilisaient  cet  abri,  n'étaient  donc  pas  des  anthropophages  ; 
ils  ensevelissaient  les  leurs,  loin  de  la  demeure  oii  ils  vivaient. 
Des  ossements  humains  ont  été  recueillis  dans  une  caverne  au- 
près de  Louisville  (Rentucky).  Cette  caverne  fort  spacieuse 
offre  à  son  extrémité  une  déclivité  remarquable  ;  elle  n'a 
pu  être  qu'imparfaitement  fouillée,  à  cause  du  nombre  des 
serpents  à  sonnettes,  qui  effrayèrent  les  explorateurs  les  plus  in- 
trépides. On  constata  cependant  que  comme  dans  la  grotte 
d'Elyria,  les  os  étaient  empâtés  dans  une  brèche  formée  par  les 
gouttelettes  chargées  de  calcaire  qui  suintaient  de  la  voûte,  et  on 
parvint  après  beaucoup  de  peines  à  retirer  six  crânes  presqu'in- 
tacts  et  avec  eux  un  mortier,  une  hache  et  une  pointe  de  flèche 

(1)  Ce  terreau,  dit  M.  Haldemann,  est  d'origine  végétale.  Le  D'  Andrews  {American 
Naturalist,  Février  1876)  dit  qu'il  faut  13  siècles  pour  former  10  pouces  de  terreau 
végétal.  A  ce  compte  les  premiers  dépôts  que  nous  trouvons  sur  l'argile  jaune  date- 
raient de  4,000  ans  ;  mais  nous  avons  montré  dans  les  Premiers  Hommes,  combien  ces 
calculs  sont  toujours  hypothétiques. 

(2)  Le  côté  convexe  présente  une  cannelure  et  souvent  le  bulbe  de  percussion. 


LES  KJUKKENMUDDINGS  ET  LES  CAVERNES.         77 

en  silex.  Le  colonel  Wliittlesey  attribue  à  ces  crânes  une  anti- 
quité non  moins  grande  qu'à  ceux  d'Elyria;  nous  ne  pouvons  que 
donner  son  opinion  en  maintenant  des  réserves  nécessaires. 

Le  voyageur  allemand  MûUer  rapporte  l'existence  dans  la 
province  d'Oajaca,  de  cavernes  ayant  servi  d'habitation  à  une 
époque  très  ancienne  ;  nous  nous  contenterons  de  les  mentionner 
ainsi  que  les  découvertes  faites  à  High-Rock-Spring  auprès  de  Sa- 
ratoga,  bien  que  certains  archéologues  aient,  dès  1839,  prétendu 
faire  remonter  à  la  date  exacte  de  5470  ans,  ces  premières  traces 
des  aborigènes  Américains  (1).  Nous  avons  hâte  d'arriver  à 
des  faits  plus  sérieux  que  nous  fait  connaître  un  excellent  rap- 
port adressé  en  1875  par  M.  Putnam,  aux  trustées  du  Peabody 
Muséum  (2). 

Le  savant  professeur  avait  remarqué  auprès  de  Gregson's 
Springs  (Kentucky)  un  abri  sous  roche  semblable  à  ceux  que  nous 
avons  mentionnés.  Le  rocher  avait  été  artificiellement  creusé  et 
le  sol  était  jonché  d'ossements  d'animaux,  de  silex  taillés,  de 
fragments  de  poterie  et  de  charbon.  C'était  là  un  début,  et  ses 
recherches  poursuivies  avec  persévérance  devaient  l'amener  à 
des  découvertes  plus  importantes  (3). 

La  caverne  connue  sous  le  nom  de  Sait-Cave  peut  se  comparer 
à  la  grotte  du  Mammouth  si  célèbre  aux  Etats-Unis  par  ses  stalac- 
tites. Elle  comprend,  comme  celle-ci,  une  foule  de  passages  que 
l'on  peut  suivre  pendant  des  milles.  Dans  une  des  salles  plus  ou 
moins  considérables,  auxquelles  ces  passages  aboutissent,  on  re- 
connaît des  traces  certaines  du  séjour  de  l'homme.  Ce  sont  les 
cendres  de  nombreux  foyers,  puis  des  piles  de  pierres  superpo- 
sées avec  un  trou  creusé  au  centre,  où,  selon  une  supposition  assez 
plausible,  on  plaçait  des  fagots  de  menus  bois  ou  de  roseaux,  des- 


(1)  D'  Mac-Guire,  Proc.  Boston  Soc.  of  Natural  History,  t.  II,  May  18-39. 

(2)  T.  I,  p.  48  et  s. 

(3)  Nous  ne  citons  que  pour  mémoire  diverses  cavernes,  telles  que  Sauiider's  Cave, 
Haunted-Cave,  ou  une  autre  située  dans  le  comté  de  Hart.  Bien  que  les  fouilles  et 
les  fréquents  remaniements  rendent  toute  conjecture  problématique,  il  est  probable 
que  ces  cavernes  n'ont  jamais  servi  d'habitation,  mais  qu'elles  ont  seulement  été  uti- 
lisées comme  sépultures. 


78  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

tinés  <à  éclairer  la  grotte.  En  plusieurs  endroits  on  a  trouvé  de 
semblables  fagots  liés  avec  des  filaments  d'ëcorce. 

Dans  un  petit  réduit,  à  trois  milles  (1)  environ  de  l'entrée  de  la 
caverne,  M.  Putnam  constatait  les  pas  d'un  homme  chaussé  de 
sandales,  et  un  peu  plus  loin  il  rencontrait  les  sandales  elles- 
mêmes  fabriquées  avec  beaucoup  d'adresse  au  moyen  de  roseaux 
entrelacés.  Les  vêtements  étaient  tissés  avec  l'écorce  de  jeunes 
arbres  ;  des  raies  noires  tracées  sur  un  morceau  d'étoffe  ainsi 
préparée,  un  fragment  de  frange  également  retrouvé  dans  la 
caverne,  montraient  le  goût  de  ces  races  pour  la  parure  ;  un  autre 
morceau  d'étoffe  curieusement  réparée  témoignait  de  leur  indus- 
trie. On  recueillait  aussi  des  débris  de  gourdes,  souvent  d'assez 
grande  dimension,  et  deux  pointes  de  flèche  finement  travaillées. 
Le  sol  était  couvert  d'excréments  humains  ;  leur  analyse  a  permis 
de  présumer  que  la  nourriture  des  habitants  de  la  caverne  était 
végétale  ;  mais  les  fouilles  n'ont  donné  que  quelques  coquilles  de 
moules  presque  toutes  décomposées.  La  découverte  de  sandales, 
d'étoffes  tissées,  l'absence  d'ossements  d'animaux,  la  longue  habi- 
tation de  la  grotte,  font  supposer  une  population  sédentaire  se 
livrant  aux  travaux  agricoles  et  ne  dépendant  plas  exclusivement 
de  la  chasse  ou  de  la  pêche  pour  sa  subsistance. 

M.  Putnam  ajoute  une  remarque  importante.  Une  momie  avait 
été  trouvée  en  1813  à  Short-Cave  (2)  et  déposée  au  musée  de 
Worcester  (Massachusetts)  ;  la  comparaison  attentive  des  vête- 
ments dont  elle  était  revêtue  avec  les  fragments  trouvés  à  Sait 
Cave,  a  permis  de  conclure  à  leur  identité.  Voici  donc  une  race 
qui  enterrait  avec  soin  ses  morts  et  dont  l'habitat  couvrait  une 
zone  étendue.  M.  Putnam  ajoute  que  quelques  circonstances  de 
l'ensevelissement  font  croire  à  la  grande  antiquité  de  la  momie 
découverte  à  Short-Cave  ;  il  omet  malheureusement  de  nous  faire 
connaître  ces  circonstances,  nous  ne  pouvons  que  résumer  son 


(1)  Nous  suivons  le  rapport  de  M.  Putnam;  la  distance  qu'il  donne  paraît  immense 
à  moins  que  l'on  ne  suppose  une  autre  ouverture  qui  n'est  pas  encore  dégagée. 

(2)  Short-Cave  est  à  8  milles  de  Mammouth-Cave  où  l'on  place  souvent  par  erreur 
la  découverte  de  cette  momie. 


LES  KJOKKENMÔDDINGS  ET  LES  CAVERNES.        79 

opinion  ;  en  ajoutant  que  ces  hommes  présentaient  toutes  les 
apparences  d'une  civilisation  très  supérieure  à  celle  des  sau- 
vages, dont  les  kjôkkenmôddings  restent  les  témoins;  ils  de- 
vaient remonter  à  une  antiquité  moins  reculée. 

Quand  les  cavernes  étaient  éloignées,  quand  ces  Indiens  ne  Huttes. 
voyaient  devant  eux  que  des  vastes  plaines  dénudées,  des  pampas 
sans  abri  qu'ils  osaient  à  peine  traverser,  des  forêts  impénétra- 
bles, hantées  par  des  animaux  dont  ils  redoutaient  l'approche, 
ces  premiers  habitants  de  l'Amérique  devaient,  comme  les 
hommes  que  rencontrèrent  les  Espagnols,  comme  ceux  qui 
errent  encore  dans  les  déserts  de  l'Arizona  ou  du  Nouveau-Mexi- 
que, habiter  des  huttes,  construites  en  quelques  heures  (fig.  21) 
et  détruites  non  moins  rapidement,  quand  leurs  habitudes  no- 
mades ou  la  poursuite  du  gibier  les  entraînaient  plus  loin.  Le 
colonel  Mac-Kee  qui  parcourut  un  despremiersla  Californie,  lors 
de  l'occupation  du  pays  par  le  gouvernement  des  Etats-Unis, 
rapporte  que  les  tribus  du  Nord-Ouest  brûlaient,  à  l'approche  de 
la  belle  saison,  les  habitations  construites  en  peaux  et  en  roseaux, 
où  ils  avaient  passé  l'hiver,  afin  de  détruire  la  vermine  qui  y 
avuit  largement  pullulé.  La  plupart  des  hommes  de  ces  tribus 
étaient  absolument  nus  ;  les  femmes  et  les  jeunes  filles  nubiles 
portaient  seules  un  petit  jupon,  qui  allait  de  la  taille  aux  genoux  ; 
à  tout  âge  les  seins  restaient  découverts  (1). 

La  disposition  des  huttes  variait  sans  doute,  comme  elle  varie  de 
nos  jours,  de  peuplade  à  peuplade,  de  tribu  à  tribu.  Les  Comanches 
plantaient  toutes  droites  les  perches  qui  devaient  la  soutenir  ;  les 
Lipans,  les  Navajos  (2)  les  courbaient  en  cône  ;  les  Apaches  les 
disposaient  en  ovale  surbaissée  (3).  Chaque  tribu  avait  sa  forme 
spéciale,  transmise  par  les  ancêtres,  et  se  perpétuant  par  le  défaut 
d'initiative,  par  l'esprit  d'inertie,  de  tout  temps  caractéristiques 
de  la  race.  Aujourd'hui  encore,  en  arrivante  un  camp  abandonné, 

(1)  Schoolcraft,  l.  c,  t.  III. 

(2)  James  Simpson,  Journal  of  a  military  Reconnaissance  from  Santa-Fe  to  the 
Navajo  Country.  Philadelphia,  1852. 

(3)  Bartlett,  Personal  Narrative  of  Exploratiom  an  l  Incidents  in  Texas,  New 
Mexico,  California,  Sonora  and  Chihuahua.  New- York,  1854. 


80  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

les  huttes  permettent  de  reconnaître  facilement  à  quelle  tribu  il 
appartenait.  Les  perches  étaient  recouvertes  tantôt  de  menus 
branchages  ou  de  peaux,  tantôt  d'herbes  ou  de  pierres  plates.  Le 


diamètre  de  ces  habitations  était  de  douze  à  dix-huit  pieds  ;  leur 
hauteur  de  quatre  à  huit  pieds.  Le  sol  était  quelquefois  excavé  et 
la  famille  obtenait  ain§i  un  gîte  un  peu  moins  restreint.  Une 


LES  KjiJKKENMODDINGS  ET  LES  CAVERNES.        81 

ouverture  triangulaire  fermée  par  un  lambeau  d'étoffe  ou  de 
peau  complétait  la  demeure  (1).  D'autres  tribus  se  bornaient  à 
creuser  avec  leurs  mains  un  trou  dans  la  terre,  puis  à  le 
recouvrir  de  branchages.  Les  Indiens  du  Nouveau-Mexique 
étaient  plus  sauvages  encore.  Nus,  dégoûtants  de  saleté,  ils 
erraient  durant  les  fortes  chaleurs  de  l'été  auprès  des  cours 
d'eau,  cherchant  un  abri  momentané  soit  dans  un  ravin,  soit 
dans  une  grotte,  asile  précaire  qu'il  leur  fallait  disputer  aux  ani- 
maux. Pour  l'hiver,  ils  construisaient  avec  des  pierres  et  des 
branches  d'arbres,  un  mur  circulaire  de  deux  pieds  environ  de 
hauteur.  Jamais  ils  ne  fermaient  ce  triste  réduit,  tout  toit  étant 
contraire  à  leurs  idées  superstitieuses  ;  et  c'est  là  que  serrés  les  uns 
contre  les  autres,  ils  cherchaient  à  se  préserver  des  rigueurs  du 
froid  (2).  Les  demeures  des  hommes  qui  habitaient  les  parties 
centrales  du  Mexique  se  composaient  de  quelques  perches,  liées 
par  les  lianes  d'une  végétation  si  puissante  dans  les  pays  tropi- 
caux, et  recouvertes  de  feuilles  de  palmier.  Dans  les  régions  plus 
froides  de  la  montagne,  les  murs  étaient  formés  de  troncs  d'ar- 
bres fortement  attachés  par  des  roseaux  et  revêtus  à  l'intérieur 
et  à  l'extérieur  d'épaisses  couches  d'argile. 

Tels  étaient  les  hommes  que  rencontrèrent  les  Conquistadores  ; 
telles  avaient  vécu  sans  doute,  de  longues  générations  avant  leur 
arrivée.  A  côté  d'eux  vivaient  d'autres  races  plus  intéressantes 
pour  Fhistorien  et  pour  le  philosophe  :  c'est  d'elles  qu'il  faut  main- 
tenant nous  occuper.  Le  mystère  si  complet  qui  les  environne, 
ajoute  encore  à  l'attrait  que  la  vue  des  ruines  qui  signalent  leur 
passé,  suffirait  seule  à  inspirer. 

(1)  Schoolcraft,  /.  c,  t.  IV,  p.  213. 

(2)  Venegas,  Noticia  de  la  California  y  de  su  Conquista.  Madrid,  1757.  —  «  Le  abi- 
tazione  le  piu  comuni  sono  certe  chiuse  circolari  di  sassi  schiolti  ed  amucchiati,  le 
quali  hanno  cinque  piedi  di  diamètre  e  meno  di  due  d'altezza.  »  Glavigero,  St.  délia 
California,  t.  1,  p.  119.  Veaezia,  1789. 


De  Nadaillac,  Amérique. 


CHAPITRE   III 


LES  MOUND  BUILDERS. 


L'existence  de  tertres  artificiels  dans  les  vallées  du  Missis- 
sipi,  de  rOhio,  du  Missouri,  dans  celles  formées  par  leurs  af- 
fluents, avait  échappé  aux  premiers  pionniers  de  l'Amérique, 
uniquement  préoccupés  du  butin  que  convoitait  leur  insatiable 
avidité.  Garcilaso  de  la  Vega  (1)  et  le  chroniqueur  anonyme  de  la 
malheureuse  expédition  de  Hernandez  de  Soto  (2)  y  font,  il  est 
vrai,  quelque  allusion  ;  mais  ce  ne  fut  que  bien  des  années  plus 
tard,  quand  un  commerce  régulier  fut  établi  avec  les  In- 
diens (3),  vivant  au  delà  des  monts  AUeghanys,  que  l'on  acquit 
quelques  notions  exactes  sur  ces  monuments  grossiers,  mais 
imposants  par  leur  masse  et  par  leur  nombre,  les  seuls  témoins 
d'une  race  dont  le  nom  même  reste  absolument  inconnu  (4). 

Carver  en  1776,  Harte  en  1791,  furent  les  premiers  à  signaler 
les  mounds  avec  quelque  précision;  Brackenridge  les  décrivit 


(1)  Histoire  de  la  Floride  publiée  à  Lisbonne  en  1605,  à  Madrid  en  1723  et  traduite 
à  plusieurs  reprises  en  français. 

(1)  Histoire  de  la  conquête  de  la  Floride  par  les  Espagnols  sous  F.  de  Soto,  écrite 
en  Portugais  par  un  gentilhomme  de  la  ville  d'Elvas,  traduite  en  français  et  publiée 
à  Paris  en  168,'}.  On  peut  également  consulter  dans  la  collection  Ternaux,  le  récit  du 
chapelain  de  cette  expédition  qui  eut  lieu  en  1539. 

(3)  Les  indiens  eux-mêmes  avaient  remarqué  les  mounds  ;  car  ils  avaient  donné  au 
Yazoo  le  nom  caractéristique  de  Rivière  des  anciennes  ruines. 

(4)  «  Whose  very  existence  isleftto  tho  sole  and  silent  attestations  of  the  rude  and 
oft  imposing  monuments,  whicli  throng  the  valleys  of  the  west.  »  Nott  and  Gliddon, 
Types  of  Mankind. 


LES  MOUND  BUILDERS.  83 

en  1814  (1)  :  «  En  m'approchant  du  plus  grand  d'entre  eux, 
dit-il,  je  fus  saisi  du  même  étonnement  que  l'on  peut  éprou- 
ver en  contemplant  les  monuments  de  l'Egypte.  »  Plus  tard, 
MM.  Squier  et  Davies  vinrent  contrôler  les  découvertes  anté- 
rieures avec  les  procédés  exacts  de  la  science  moderne.  De  1845 
à  1847,  plus  de  deux  cents  mounds  furent  fouillés  par  eux  et  la 
description  qu'ils  donnèrent,  publiée  par  le  Smithsonian  Insti- 
tiite,  est  encore  aujourd'hui  le  meilleur  guide  que  nous  puissions 
suivre  (2).  Cette  publication  vint  donner  une  impulsion  nouvelle 
aux  fouilles.  Entreprises  de  tous  les  côtés  à  la  fois,  poursuivies 
avec  ardeur,  elles  ont  produit  les  objets  les  plus  divers  et  les 
plus  curieux.  Les  monographies  les  plus  intéressantes,  les  étu- 
des les  plus  sérieuses  les  ont  suivies;  notre  tâche  est  de  faire 
connaître  les  unes  et  les  autres. 

Les  mounds  sont  des  monticules  artificiels  en  terre,  presque 
toujours  construits  avec  une  régularité  mathématique.  Leur 
forme  est  diverse  ;  ils  sont  ronds,  ovales,  carrés,  plus  rarement 
polygonaux  ou  triangulaires.  Leur  hauteur  varie  de  quelques 
centimètres  à  trente  mètres  ;  leur  diamètre  de  un  à  trois  cents 
mètres  (3).  Ceux  destinés  à  un  rite  religieux  sont  terminés 
par  une  plate-forme,  à  laquelle  on  accède  par  une  rampe  habi- 
lement ménagée  ;  il  n'est  possible  de  gravir  les  autres  qu'au 
prix  d'efforts  souvent  pénibles.  Tantôt  ils  sont  érigés  au  som- 
met d'une  colline;  tantôt  ils  s'étendent  irrégulièrement  dans 
les  plaines,  souvent  sur  plusieurs  milles  de  longueur.  D'autres 
fois,  nous  les  voyons  placés  symétriquement  et  renfermés  entre 
des  murailles  construites  en  terre  comme  les  tertres  eux-mêmes. 
Mais  tous,  quelle  que  soit  leur  forme  ou  leur  grandeur,  pré- 
sentent entre  eux  une  analogie  remarquable;  ils  appartiennent 
évidemment  à  une  même  race  d'hommes,  subissant  les  mêmes 

(1)  Views  of  Lonisiann.  Pittsburg,  1814. 

(2)  Ancient  Monuments  of  the  Mississipi  Valley,  Smith.  Cont.  ta  Knowledge.  Phi- 
ladelphia,  1847,  t.  I.  — Aich.  Americ,  t.  I.  —  A.  Bradford,  Am.  Ânt.  New-York,  1841, 

(3)  Le  D'  Habel  {^mith  Cont.,  t.  XXII)  cite  un  mound  conique,  de  3  à  400  pieds  de 
hauteur  auprès  de  Quito;  mais  de  grands  doutes  existent  sur  l'origine  de  ce  mound  et 
sur  son  caractère  artificiel. 


Nombi-e    îles 
Mounds. 


84  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

influences,  et  agissant  sous  l'empire  des  mêmes  causes.  On  les 
trouve  dans  les  vallées  (1)  que  nous  avons  dites,  dans  celles  du 
Wyoming,  de  la  Susquehannah,  du  Yazoo,  du  Tennessee,  sur 
les  rives  du  lac  Ontario  jusqu'au  Saint-Laurent,  dans  toute  In 
partip  ouest  de  l'État  de  New- York,  dans  les  États  de  Missouri, 
de  Mississipi,  de  Michigan,  de  Wisconsin,  d'Iowa  et  de  Nebraska. 
La  Louisiane,  les  vallées  de  l'Arkansas  et  de  la  Rivière-Rouge 
ont  été  peuplées  par  les  Mound  Builders  et  on  signale  au- 
près de  Carthage  (Alabama),  un  groupe  remarquable  de  grands 
mounds  tronqués,  entourés  de  remblais  que  la  charrue  fait  cha- 
que jour  disparaître.  Mais  dans  le  sud,  les  travaux  paraissent 
moins  anciens  que  dans  l'Ohio  ou  le  Mississipi  ;  les  construc- 
teurs avaient  été  graduellement  repoussés  par  une  invasion  en- 
nemie, venue  du  iNord. 

Les  tertres  ne  sont  pas  moins  nombreux  dans  le  nouvel  État 
de  Washington;  leur  hauteur  n'excède  guère  six  à  sept  pieds 
et  ils  sont  disposés  comme  les  carreaux  ou  les  piques  dans  le 
cinq  de  nos  jeux  de  cartes  (2).  De  semblables  tumuli  s'éten- 
dent sur  toutes  les  côtes  du  golfe  du  Mexique,  depuis  la  Flo- 
ride jusqu'au  Texas.  Dans  ce  dernier  État  et  dans  celui  de  la 
Caroline  du  Sud,  on  rencontre  surtout  des  tertres  coniques,  qui 
forment  une  transition  avec  les  teocallis  (3)  du  Mexique,  où  un 
temple  vient  couronner  une  pyramide  tronquée,  cette  fois  cons- 
truite en  pierres  (4).  Dans  le  Yucatan  et  dans  le  Chiapas,  des 
tertres  artificiels  servent  de  base  aux  monuments  remarqua- 
bles que  nous  aurons  à  décrire  et  qui  étaient  déjà   vieux  lors 


(1)  D'après  les  calculs  du  Prof.  Fostev,  la  vallée  du  Mississipi  compreud  une  aire 
de  2,455,000  milles  carrés,  mesurant  30°  de  longitude,  sur  23°  do  latitude  {Mississipi  Val- 
ley. Chicago,  1869,  p.  3). 

(2)  Bancroft,  27ie  Native  Races  of  tlie  Pacific  States  of  North  Amei'ica,  t.  IV,  p.  753. 
—  Wilkes,  United  States  Exploring  Expédition,  1841. 

(3)  Les  Mexicains  reconnaissaient  un  dieu  suprême  Teut  ou  Theot;  de  là  le  nom  do 
teocallis,  les  maisons  de  dieu. 

(4)  Brasseur  de  Bourbourg  signale  dans  la  province  de  Vera-Paz.  un  grand  nombre 
de  tumuli  qui  offrent,  dit-il,  une  ressemblance  frappante  avec  ceux  du  Mississipi.  Ils 
sont  en  terre  de  couleur  rougeâtre,  et  les  Indiens  les  appellent  Cnkhay,  les  maisons 
rouges  {Hist.  des  Nations  civilisées,  t.  I,  p.  15). 


LES  MOUND  BUILDERS.  85 

de  la  conquête  espagnole  (1)  et  Wells  rapporte  que,  dans  le 
Honduras,  les  baqueanos  (2)  trouvent,  et  cela  jusque  dans  les 
forêts  où  il  faut  se  frayer  un  passage  la  hache  à  la  main,  des 
mounds  souvent  d'une  hauteur  remarquable.  Chacun  de  ces 
mounds  fournit  de  dix  à  trente  poteries  diverses,  grossières 
comme  exécution,  mais  très  curieuses  parleur  forme  et  par  leur 
ornementation  (3).  Nous  voyons  des  tumuli  semblables  sur  les 
bords  du  grand  Lac  Salé,  dans  l'Utah,  dans  l'Arizona.  Ils  exis- 
tent aussi,  mais  avec  des  dimensions  moins  considérables  dans 
la  Californie,  dans  l'Orégon,  dans  les  vallées  formées  par  le 
Colorado  et  ses  affluents  ;  et  c'est  par  milliers  que  M.  Taylor 
les  comptait,  du  haut  d'une  éminence  qui  domine  la  rivière 
Merced.  Leur  nombre  diminue  à  mesure  que  l'on  se  rapproche 
de  l'océan  Atlantique.  Rares  au  delà  des  Montagnes  Rocheuses, 
ils  le  sont  plus  encore  dans  l'Amérique  anglaise  (4). 

Telles  sont  les  limites  approximatives  du  territoire  occupé 
par  les  Mound  Builders.  Le  nombre,  la  forme,  la  disposition  de 
ces  mounds  si  étranges  souvent  dans  leur  conception,  si  origi- 
naux dans  leur  exécution,  les  objets  que  les  fouilles  ont  mis  au 
jour  sont,  répétons-le,  caractéristiques  et  ne  permettent  guère  de 
les  confondre  avec  les  tertres  presque  toujours  destinés  à  marquer 


(I)  «  The  wliole  central  région  is  strevvnwith  mounds  bearing  ruined  buildings  »  (Ban- 
croft,  /.  c,  t.  IV,  p.  200).  On  remarque  ces  tertres  artificiels  à  Uxmal,  à  Nohpat,  à 
Kabah,  àLabnah.  Les  Mayas  élevaient  toujours  un  mound,  comme  fondation  do  leurs 
édifices  ;  et  quand  une  éminence  naturelle  existait,  ils  avaient  soin  de  l'agrandir. 
Auprès  du  port  de  Silan,  on  signale  deux  mounds  sur  lesquels  on  aperçoit  des  ruines 
considérables  (Stephens,  Incidents  of  Travel  in  Yucatan.  New-York,  1858,  t.  II, 
p.  427  et  s.).  «  Tout  près  du  Rio  Lagarto  se  voient  deux  pyramides  au  sommet  des- 
quelles croissent  maintenant  des  arbres  élevés  et  touffus.  »  (Baril,  Mexique.  Douai, 
18G2,  p.  129.)  Le  Monte  Cuyo  auprès  de  Yalahao,  que  l'on  découvre  de  loin  en  mer, 
était  déjà  signalé  par  le  vieux  voyageur  Dampier  comme  l'œuvre  de  l'homme. 

['i)  Wells  les  appelle  Vaqueras  et  c'est  sur  son  autorité  que  nous  l'avions  répété  ;  mais 
il  résulte  d'un  renseignement  qu'a  bien  voulu  nous  transmettre  M.  Ch.  Barbier,  que 
les  Vaqueras,  gardiens  des  immenses  troupeaux  du  pays,  ne  se  livrent  pas  à  ces  re- 
cherches. Tout  au  plus,  peut-on  les  attribuer  aux  Baqueanos,  qui  servent  de  guides 
et  d'explorateurs  ;  mais  leur  respect  religieux  pour  les  sépultures  pai-aît  à  M.  Barbier 
un  grand  obstacle  à  ce  que  l'on  raconte  de  leurs  fouilles. 

(3)  Ëxplarations  af  Honduras,  p.  533. 

^4)  Lubbock,  ïhamme  préhistorique,  trad.  Barbier,  p.  236. 


86  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

des  sépultures  qui  se  rencontrent  dans  tous  les  pays  du  globe. 
C'est  parmi  ces  derniers,  qu'il  faut  classer  les  mounds  que  les 
voyageurs  signalent  dans  la  Colombie  anglaise,  dans  l'île  de 
Vancouver,  au  Pérou,  au  Brésil  et  jusque  dans  les  pampas  de 
la  Patagonie.  Le  père  Acuna  raconte  des  tumuli  innombrables 
dans  les  plaines  de  Terraba  (Costa  Rica),  centre  d'un  em- 
pire jadis  puissant  (1).  D'autres  tumuli  non  moins  nombreux 
viennent  témoigner  d'une  vieille  histoire  dans  les  déserts 
qui  s'étendent  sur  toute  la  côte  des  Mosquitos  (2).  Auprès  de 
la  rivière  Balize,  des  monticules,  érigés  en  l'honneur  des  morts 
et  entourés  de  cercles  de  pierres  rappellent  les  cromlechs  de  nos 
pays  (3).  Le  D'  Zeballos  enfin  nous  donne  la  description  d'un  tu- 
mulus  auprès  de  Campana  (Buenos-Ayres)  (4).  Ce  tumulus  avait 
2°", 50  de  hauteur  et  ses  deux  axes  mesuraient  79  et  32  mètres. 
Les  fouilles  ont  amené  la  découverte  de  vingt-sept  squelettes. 
Autour  d'eux  gisaient  des  pointes  de  flèche,  des  haches  en  silex, 
des  pierres  de  fronde,  et  une  quantité  considérable  d'ossements 
d'animaux  et  de  fragments  de  poterie. 

Sur  d'autres  points,  les  explorateurs  racontent  des  amoncelle- 
ments de  pierres  ;  ces  amoncellements  pourraient  bien  dater  d'é- 
poques plus  récentes;  car  de  nos  jours  encore,  les  Indiens  ont 
l'habitude  de  déposer  un  caillou,  en  passant  près  des  lieux, 
qu'une  longue  tradition  désigne  comme  la  sépulture  des  an- 
ciens chefs.  C'est  ainsi  que  les  Ozark-Hills  sont  couverts  de  cairns 
ou  murgers  (5).  On  a  voulu  y  voir  des  postes  d'observation.  Leur 
nombre  seul  exclurait  cette  hypothèse  et  les  fouilles  ont  cons- 
tamment donné  des  ossements  humains,  qui  ne  peuvent  laisser 
de  doutes  sur  leur  destination  (6). 

Nous  retrouvons  ces  cairns  dans  le  Honduras  et  auprès  de  San 


(1)  Harper's  Magazine,  t.  XX,  p.  317. 

(2)  Boyle,  A  Ride  across  the  Continent,  t.  I,  p.  2!16. 

(3)  G.  Hendcrson,  An  Account  o/'  the  British  Settlement  of  Hondur<xs.  London,  1811. 
Frobel,  Scveu  Years  Travel  in  Central  America.  London,  1850. 

(4)  l\ev.  d'Anthropologie,  1879. 

{h)  Habel,  Investigations  in  Central  and  South  AmeiHca.  Smith.  Cent.,  t.  XXII. 
(6)  Americ.  Ant.,  Juil.  1879,  p.  59. 


LES  MOUND  BUILDERS.  87 

Salvador.  A  trois  milles  de  Toolesboro  (lowa),  ce  sont  de  vérita- 
bles constructions,  élevées  au  moyen  deboulders  de  granit,  arra- 
chés du  lit  de  la  rivière  ;  le  mode  seul  de  construction  diffère  ; 
là  aussi,  les  fouilles  ont  mis  au  jour  des  charbons,  des  silex  tra- 
vaillés et  des  ossements  d'animaux  carbonisés. 

Dans  plusieurs  des  États  du  Far  West,  les  mounds  figurent  des 
mammifères,  des  oiseaux,  des  reptiles  et  quelques-uns  de  leurs 
hardis  architectes  n'ont  même  pas  craint  d'imiter  le  corps  hu- 
main, 

L'Ohio  paraît  avoir  été  un  des  centres,  d'où  les  Mound  Buil- 
ders  ont  rayonné,  à  mesure  que  leur  population  s'accroissait  ou 
que  la  défaite  leur  imposait  une  retraite  vers  des  régions  offrant 
plus  de  sécurité  (1).  On  y  rencontre,  il  est  vrai,  moins  souvent  ces 
mounds  aux  formes  étranges  ;  mais  leur  nom.bre  total  est  consi- 
dérable. On  ne  saurait  l'évaluer  à  moins  de  10,000,  celui  des 
enceintes  à  moins  de  1,500;  et  on  a  calculé  qu'en  addition- 
nant dans  ce  seul  Etat,  la  longueur  des  tertres  de  toute  sorte  éle- 
vés par  l'homme,  on  atteindrait  un  total  de  .306  milles  (2), 
Tout  le  Missouri  et  en  particulier  la  partie  Sud-Est,  connue  sous 
le  nom  de  Swamp-Region  (3)  sont  également  couverts  de  tumuli 
innombrables,  groupésle  plus  souvent  avec  une  intention  évidente. 
Dans  l'État  de  New-York,  on  compte  encore  250  enceintes, 
qui  rappellent  nos  fortifications  modernes  (4).  Sur  une  superficie 
de  cinquante  milles,  à  la  limite  des  deux  États  d'Iowa  et  d' Illinois, 
on  a  relevé  plus  de  2,500   mounds  ;   encore   ne    tient-on  pas 


(1)  Rappelons  en  passant  que  c'est  à  un  Français,  Cavalier  de  La  Salle,  que  l'on  doit 
la  découverte  de  ces  vallées  de  l'Oliio  et  du  Mississipi  aujourd'hui  si  florissantes 
(Margry,  Elablissements  des  Français  dans  l'ouest  et  te  sud  de  l'Amérique  septen- 
trionale). 

(2)  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  752.  —  Pidgeon,  Ant.  Researches.  New- York,  1858. 
Lewis  and  Clark,  Travels  to  the  Source  of  ihe  Missouri  River.  London,  1814. 

(3)  Le  Swamp-Region  couvre  une  superficie  de  4000  milles  carrés  et  comprend  six 
comtés  entiers  et  des  portions  de  trois  autres.  Le  sol  est  formé  d'alluvions  récentes 
recouvrant  des  couches  tertiaires  de  sable,  d'argile  et  de  marne  remplies  de  fossiles 
(W.  P.  Potter,  Arch.  Remains  in  S.  E.  Missouri;  Saint-Louis  Ac.  of.  Science,  1880). 

(4)  Squier,  Ant.  of  the  State  of  New-York.  Buffalo,  1851.  —  Report  Peubody  Mu- 
séum, 1880,  t.  II,  p.  721. 


98  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

compte  des  enceintes  en  terre  (1).  Partout  un  nombre  bien  su- 
périeur a  été  détruit  par  les  colons  et  les  fermiers,  peu  soucieux 
dans  leur  dure  lutte  pour  l'existence,  de  ceux  qui  les  avaient 
précédés.  D'autres,  perdus  dans  les  vastes  déserts,  dans  les  im- 
pénétrables forêts  qui  couvrent  une  grande  partie  de  la  superficie 
des  deux  Amériques,  nous  sonl  encore  inconnus. 

L'étendue  du  territoire  successivement  occupé  par  les  Mound 
Builders  dans  l'Amérique  centrale,  le  nombre  desmounds  qu'ils 
ont  élevés,  prouvent  la  longue  existence  de  ce  peuple.  L'im- 
portance de  quelques-uns  des  travaux,  qui,  au  dire  d'ingénieurs 
compétents,  exigeraient  des  mois  de  travail  à  plusieurs  milliers  de 
nos  ouvriers  munis  de  toutes  les  ressources  de  notre  grande  indus- 
trie moderne  (2),  montre  une  race  organisée,  une  hiérarchie  puis- 
sante. La  régularité  des  constructions,  l'excellence  de  la  fabrication 
des  objets  découverts,  disent  enfin,  combien  le  goût  artistique  était 
développé  chez  ces  hommes,  dont  les  fouilles  viennent  si  inopi- 
nément nous  révéler  l'existence. 
Los  Mo.inds        Ce  sont  les   reliques  d'un   passé  éloiarné   et    inconnu    qu'il 

de  toute  sorte 

î^ont         faut  raconter  ;  c'est  par  les  mounds  que  nous  commencerons  et  la 

coiiloiidiis.  *  ' 

confusion  de  toutes  les  formes  ajoute  singulièrement  aux  diffî- 
cuUés  de  la  tâche.  Les  cônes  et  les  pyramides  sont  renfermés  dans 
des  enceintes  ;  les  tertres  destinés  aux  sacrifices  sont  réunis. aux 
tumuli  ;  à  côté  des  figures  d'animaux  s'élèvent  des  mounds  po- 
lygonaux ou  triangulaires.  Le  D'  Andrews  (3)  cite  dans  une 
plaine  du  comté  d'Athènes  (Ohio),  une  réunion  de  vingt-trois 
mounds;  sept  selon  lui  étaient  destinés  à  la  défense,  seize  à  la 
sépulture.  Le  plus  élevé  mesurait  40  pieds  de  hauteur  sur 
170  pieds  de  diamètre  (4).  Dans  Pike  County  (Pennsylvanie), 
on  voit  un  carré  parfait  renfermé  dans  un  cercle  construit  avec 

(1)  The  American  Aniiquarian,  1879. 

(2)  Les  Mound  Builders  ne  possédaient  aucune  bête  de  somme.  Ces  travaux  immen- 
ses ont  donc  été  faits  par  l'homme  seul. 

(3)  Report  Penbod;/  Muséum,  1877. 

(4)  On  a  calculé  que  la  contenance  de  ce  mound  était  de  437,742  pied.s  cubes; 
comme  on  ne  voit  dans  les  environs  nulle  trace  d'excavation,  on  peut  supposer  que  cette 
masse  de  terre  avait  été  apportée  de  loin. 


LES  MOUND  BUILDERS.  89 

Qon  moins  de  régularité  ;  à  Portsmouth,  quatre  cercles  concen- 
triques, coupés  par  de  larges  avenues  exactement  orientées.  Les 
mounds  auprès  de  Saint-Louis  formaient  les  trois  côtés  d'un  pa- 
rallélogramme de  300  mètres  de  longueur  sur  200  mètres  de  lar- 
geur. Le  quatrième  côté  était  fermé  par  trois  mounds  plus  pe- 
tits (1). 

Les  mounds  de  l'Illinois,  dit  M.  de  Hass  (2),  forment  une  vérita- 
ble ville,  une  vaste  et  mystérieuse  série  de  monuments.  «  Surl'au- 


Fig.  22.  —  Mound  trianiîulaire. 


tre  rive  du  Mississipi,  ajoute-t-il,  je  ne  fus  pas  peu  surpris  de  ne 
rencontrer  que  des  sépultures  ;  partout  ailleurs  les  groupes  sont 
associés  à  des  murs  ou  à  des  circonvallations.  »  M.  Conant  (3)  ra- 
conte un  ensemble  de  tertres  situés  sur  la  rivière  Root,  à  vingt  mil- 
les environ  de  sa  jonction  avec  le  Mississipi  (fig.'22).  Le  mound 
principal  mesure  12  pieds  de  hauteur  sur  36  pieds  de  diamètre. 
Il  est  situé  au  centre  d'un  cercle  dont  on  peut  encore  reconnaître 
les  traces.  Les  talus  qui  forment  les  trois  côtés  du  triangle  ont 
une  longueur  égale  de  144  pieds,  leur  diamètre  est  de  12  pieds 

(1)  Brackenridge,  Views  of  Louisiana.  Saint-Louis  est  souvent  appelé  Mound-Citji 
à  raison  du  nombre  de  Mounds  qui  s'élèvent  ou  plutôt  qui  s'élevaient  dans  ses 
environs. 

(2)  Arn.  Association.  Chicago,  18G8. 

(3)  Foot  Prints  of  Vanished  Races.  Saint-Louis,  1379,  p.  30. 


90  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

et  leur  hauteur  respective  de  3,  4  et  5  pieds.  Il  est  remarquable 
que  ces  hauteurs,  prises  ensemble,  égalent  la  hauteur  du  mound 
central  et  qu'en  les  multipliant  entre  elles,  on  obtient  la  longueur 
des  côtés  du  triangle.  Ce  ne  peut  être  là  une  coïncidence  due  au 
seul  hasard,  car  on  cite  divers  terrassements  de  forme  carrée  ou 
parallélogramique,  où  il  a  été  possible  de  constater  des  rapports 
semblables,  entre  la  hauteur  et  la  longueur  des  tertres  qui  les  for- 
ment. 

Ces  faits  viennent  montrer  combien  toute  classification  est  dif- 
ficile, pour  ne  pas  dire  impossible,  nous  adopterons  cependant 
celle  de  Squier;  malgré  des  inexactitudes  trop  apparentes,  elle  à 
l'avantage  de  faciliter  notre  tache  en  nous  fournissant  quelques 
points  de  repère  et  nous  étudierons  successivement  :  1°  les  tra- 
vaux défensifs  ;  2°  les  enceintes  sacrées  ;  3°  les  temples  ;  4°  les  ter- 
tres à  sacrifices  ;  5°  les  tertres  tumulaires  ;  6"  les  tertres  figurant 
des  animaux  (1). 
Trinaux  Tout  l'espacc  qui  sépare  les  Alleghanys  des  Montagnes  Rocheu- 

ses est  couvert  d'une  succession  de  camps  retranchés,  de  fortifi- 
cations colossales,  généralement  exécutées  en  terre.  L'homme 
avait  su  défendre  par  des  redoutes,  des  murs,  des  parapets,  des 
fossés  (2),  des  circonvallations,  chaque  éminence,  chaque  delta 
formé  par  la  jonction  de  deux  rivières.  Ces  travaux  viennent 
témoigner  de  l'intelligence  des  peuples  que  nous  avions  regardés 

(i)  M.  Short  {The  North  Âmericans,  p.  81)  donne  des  divisions  un  peu  différentes. 

!a.  enceintes  de  défense. 
b.  enceintes  religieuses, 
c.  enceintes  diverses. 


II.  Mounds 


a.  mounds  à  sacrifice. 

b.  temples. 

c.  sépultures. 

\  d.  postes  d'observation. 

A  ces  diverses  catégories,  il  faudrait  peut-être  ajouter  les  mounds  formés  d'adobes 
tombés  en  poussière,  restes  d'habitations  successives. 

(2)  Le  fossé  au  lieu  de  longer  le  rempart  à  l'extérieur  et  de  multiplier  ainsi  les  obs- 
tacles opposés  à  l'assaillant,  est  généralement  placé  à  l'intérieur,  le  Prof.  Andrews  cite 
cependant  à  Lancaster  (Fairfield  County,  Ohio)  un  fossé  extérieur  ;  mais  il  ajoute  que 
c'est  là  un  fait  isolé  {Report  Peabody  Mus. ,  1877). 


LES  MOUND  BUILDERS.  9i 

pendant  si  longtemps  comme  complètement  barbares  et  sauva- 
ges; on  peut  reconnaître  un  véritable  système  de  forteresses 
reliées  entre  elles,  des  tranchées  profondes,  des  passages  secrets 
creusés  sous  le  lit  des  rivières,  des  observatoires  sur  les  hau- 
teurs, des  murailles  concentriques  pour  protéger  les  entrées  et 
même  des  casemates  (1).  La  guerre  était  évidemment  la  grande 
préoccupation  desMound  Builders.  Toutes  les  forteresses  sont  con- 
struites dans  le  voisinage  des  cours  d'eau,  et  la  meilleure  preuve 
que  l'on  puisse  donner  de  l'entente  ayant  présidé  au  choix 
de  leur  emplacement,  est  le  nombre  de  villes  florissantes,  telles 
que  Newark,  Portsmouth,  Cincinnati,  Saint-Louis,  Francfort, 
New-Madrid,  d'autres  encore  qui  se  sont  élevées  de  nos  jours 
sur  ces  mêmes  points  (2). 

Bourneville  à  12  milles  de  Chilicothe,  est  une  des  enceintes  for- 
tifiées les  plus  curieuses  de  l'Ohio.  Elle  occupe  le  sommet  d'une 
colline  escarpée  ;  les  murs  par  une  exception  assez  rare,  sont  con- 
struits en  pierres,  posées  sans  aucune  espèce  de  ciment  et  offrent 
une  ressemblance  frappante  avec  les  anciens  forts  préhisto- 
riques de  la  Belgique  et  du  nord  de  la  France  (3).  L'enceinte 
mesure  plus  de  deux  milles  ;  et  l'on  peut  encore  distinguer  trois 
portes  défendues  par  des  tertres  qui  rendaient  l'accès  plus  diffi- 
cile. Sur  plusieurs  points  et  notamment  auprès  des  portes,  les 
murailles  paraissent  avoir  été  exposées  à  l'action  d'un  feu  violent 
qui  a  vitrifié  leur  surface.  Des  bassins  artificiellement  creusés 
fournissaient  l'eau  nécessaire  aux  habitants.  Une  partie  de  l'en- 
ceinte est  plantée  d'arbres  gigantesques,  auxquels  on  assigne  une 
durée  de  6  à  800  ans. 

(1)  F.  Allen,  La  très  ancienne  Amérique.  Cong.  des  Amer.  Nancy,  1875. 

(2)  «  The  same  places,  dit  le  D'  Lapham  en  parlant  des  tertres  du  Wisconsin,  which 
were  the  seats  of  aborigiual  population  being  now  selected  as  the  sites  of  embryo 
towns  and  vlllagesbymen  of  a  différent  race.»  SmithsonianC(intribuiio7is,X.\\\,Y>-  64. 

(3)  Les  Mound  Builders  se  servaient  des  matériaux  à  leur  disposition,  quand  les 
pierres  abondaient,  ils  les  amoncelaient  avec  la  terre  pour  former  leurs  murs,  mais 
jamais  ces  pierres  ne  sont  équarriesou  appareillées  et  jamais  elles  ne  sont  reliées  par 
un  mortier.  On  pourrait  citer  plusieurs  exemples  et  notamment  un  Stone-Fort  sur  la 
rivière  Duck  auprès  de  Manchester  (Tennessee),  où  les  murs  sont  des  blocs  bruts  arra- 
chés aux  rochers  voisins.  A  l'entrée  on  distingue  deux  mounds  que  l'on  regarde 
comme  des  postes  d'observation. 


92  L'AMÉIUQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Autour  de  ces  arbres,  on  peut  reconnaître  des  troncs  en  pour- 
riture, débris  d'autres  générations  qui  parvenues  à  leur  matu- 
rité ont  péri  lentement.  Selon  certains  archéologues,  de  longs 
siècles  ont  dû  s'écouler,  depuis  que  la  forêt  a  remplacé  la 
demeure  de  Ihomme  ;  selon  d'autres  au  contraire,  ces  arbres 
seraient  moins  vieux  qu'on  semble  le  croire.  Dans  le  Wiscon- 
sin,  dit  le  D""  Lapham  (1),  il  faut  de  54  à  130  ans,  pour  que  le 
diamètre  d'un  arbre  grossisse  d'un  pied.  Parmi  ceux  actuelle- 
ment vivants,  un  très  petit  nombre  dépasse  un  diamètre  de  trois 
à  quatre  pieds.  M.  Lapham  en  conclut  qu'ils  ne  sauraient  être 
de  beaucoup  antérieurs  au  xvi"  siècle. 

Fort-Hill  (2)  permet  de  se  rendre  mieux  compte  encore  des  tra- 
vaux des  Mound  Builders  (fig.  23).  Cette  forteresse,  tel  est  le  vrai 


Fig.  23.  —  Fort-Hill  (Oliio). 


nom  qu'il  convient  de  lui  donner,  s'élève  sur  une  éminénce  qui 
domine  une  petite  rivière,  le  Paint-Creek.  Les  murs  renferment 
une  superficie  de  cent  onze  acres.  Au-dessus  du  ruisseau  qui 
formait  une  défense  naturelle,  ils  n'ont  guère  que  4  pieds  de 

(1)  Tlie  Antiquities  of  Wisconsin;  Sndth.  Cont.,  t.  VII.  —  Southall,  Récent  Origin 
of  Man,  p.  533. 

(2)  Bancroft,  Tlœ  Native  Races  of  the  Pacific  States,  t.  IV,  p.  755. 


LES  MOUND  BUILDERS.  «3 

hauteur,  partout  ailleurs  cette  hauteur  est  de  6  pieds  et  leur 
épaisseur  atteint  jusqu'à  35  pieds.  Plusieurs  portes  facilitaient 
l'accès.  L'une  d'elles  conduit  à  une  enceinte  probablement  carrée, 
mais  dont  les  murs  ont  été  en  grande  partie  détruits;  aucun  fossé 
ne  les  défend,  et  on  peut  facilement  y  reconnaître  les  traces  d'un 
vaste  incendie.  Squier  place  dans  cette  seconde  enceinte,  les 
demeures  des  habitants  construites  en  adobes,  ou  bien  simples 
huttes  couvertes  avec  des  herbes,  des  branches  d'arbres,  la  peau 
des  animaux  que  la  chasse  avait  procurés.  A  l'intérieur  des  forti- 
fications, on  distingue  deux  petits  enclos,  l'un  semi-circulaire, 
l'autre  circulaire.  C'étaient  probablement  les  lieux  consacrés  à 
des  rites  religieux  ou  au  conseil  des  chefs.  Ce  sont  là  de  pures 
conjectures;  les  mœurs,  les  rites,  le  mode  de  gouvernement  de 
ces  hommes,  restent  un  problème  pour  nous. 

Un  des  ouvrages  les  plus  curieux  laissés  par  les  Mound  Buil- 
ders  est  situé  dans  le  Comté  de  Clarke  (Ohio)  (1).  C^est  un  fort 
couvrant  une  superficie  de  huit  à  dix  acres  seulement  et  construit 
à  l'extrémité  d'une  colline  baignée  au  sud  par  l'Ohio,  au  nord 
par  un  ruisseau  large  et  profond,  le  Fourteeii  mile  Creek  qui  se 
jette  dans  l'Ohio,  à  une  petite  distance  de  là.  Ce  monticule  de 
forme  conique  s'élève  à  280  pieds  au-dessus  du  fleuve  et  pré- 
sente de  ce  côté  des  parois  presque  perpendiculaires,  sauf  sur 
un  seul  point,  où  se  trouve  une  faille  assez  considérable,  dont 
ces  hommes  avaient  vite  compris  l'importance  pour  leur  dé- 
fense. Aussi  l'avaient-ils  protégé  par  un  mur  qui  n'atteint  pas 
moins  de  75  pieds  d'élévation  et  qui  est  construit  en  pierres 
brutes,  placées  sans  mortier  ni  ciment  d'aucune  sorte,  mais 
avec  une  connaissance  parfaite  de  l'art  du  maçon.  A  l'intérieur, 
on  distingue  encore  les  traces  de  nombreux  mounds  coniques 
et  d'un  fossé  large  et  profond.  Il  ne  faut  pas  confondre  ces  tra- 
vaux avec  d'autres  situés  dans  le  Comté  de  Ross  et  connus  sous 
le  nom  de  Clark's  Works.  Ceux-ci  comprennent  un  parallélo- 
gramme de  275  pieds  sur  177;  et  à  la  droite  de  ce  parallélogramme, 

(I)  Cox,  A  Remnrkable  Ancient  Stone  Fortin  Clarke  Counly,  Ohio.Am.  Ass.,  Hart- 
fort  (Connecticut},  1874. 


94  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

un  carré  parfait  couvrant  une  superficie  de  seize  acres  (1). 
Les  côtés  ont  82  pieds  de  longueur  et  au  milieu  de  chacun 
d'eux  on  peut  reconnaître  une  porte  défendue  par  un  petit 
tertre.  A  l'intérieur  se  dressent,  selon  une  coutume  que  nous 
aurons  souvent  l'occasion  de  signaler,  plusieurs  mounds  de  di- 
mensions diverses. 

Beaucoup  de  ces  ouvrages  sont  reliés  entre  eux  avec  un  art 
qui  nous  surprend  à  bon  droit.  Squier  a  cru  reconnaître  un  sys- 
tème continu  de  fortifications,  combiné  avec  une  grande  intelli- 
gence et  s'étendant  diagonalement  à  travers  l'État  d'Ohio,  de- 
puis les  sources  de  l'AUeghany  (2)  et  de  la  Susquehannah  (3), 
dans  l'État  de  New- York,  jusqu'au  Wabash  (4).  Le  long  de  la 
rivière  Big  Harpetts  (Tennessee),  des  enceintes  en  terre  cou- 
vrent tout  le  pays  (5).  La  ligne  du  Grand  Miami  (6)  est  défendue 
par  trois  forts  situés  le  premier  à  son  embouchure,  le  second  à 
Colcrain,  le  troisième  à  Hamilton.  A  partir  de  ce  dernier  point, 
d'autres  ouvrages  s'étendent  à  une  distance  de  six  milles  sur  le 
cours  de  la  rivière,  protégeant  au  nord  et  à  l'ouest,  les  affluents 
du  Grand  Miami,  ou  s'échelonnant  jusqu'à  Dayton  et  Piqua 
pour  compléter  ainsi  la  ligne  de  défense.  Tous  ces  points  sont 
reliés  entre  eux  par  des  mounds  isolés,  élevés  le  plus  souvent 
sur  des  collines  d'où  la  vue  pouvait  s'étendre  au  loin  (7).  On  a 
voulu  y  voir,  probablement  avec  raison,  des  postes  d'observa- 
tion destinés  à  surveiller  les  mouvements  de  l'ennemi  ou  à 
transmettre  des  signaux  convenus  (8).  .      , 

(1)  On  estime  après  de  trois  millions  de  pieds  cubes  la  quantité  de  terre  employée 
dans  ces  terrassements.  Whittlesey,  On  the  Weapons  and  Character  of  the  Mound 
BuiHers;  Boston,  Soc.  of  Natural  Histori/,  t.  I,  p.  473. 

(2)  Une  des  branches  supérieures  de  l'Ohio. 

(3)  Fleuve  qui  se  jette  dans  la  baie  de  Ghesapeake. 

(4)  Un  des  affluents  de  l'Ohio. 

(5)  D'  Jones,  Explorations  of  the  aboriginal  Remains  of  Tennessee,  Smith  Cont., 
t.  XXII,  p.  4. 

(6)  Un  des  affluents  de  l'Ohio. 

(7)  Le  grand  mound  de  Miamisburgh  sur  l'Ohio,  est  un  des  meilleurs  exemples  qiië 
l'on  puisse  citer.  Il  mesure  68  pieds  de  hauteur  et  la  circonfcreDce  à  sa  base  n'est 
pas  moindre  de  862  pieds  (Short,  The  Noi'th  A>nerira>'S  of  Antiq'n'y,  p.  52).  Auprès 
de  Circleville,  Le  Look-out-Mount  avec  son  mound  élevé  devait  servir  au  même  usage. 

(8)  Force,  A  quelle  race  appartenaient  les  Mound-Builders  ;  Cong.  des  Americ. 


LES  MOUND  BUILDERS.  95 

Ancient-Fort  (1)  construit  sur  la  rive  gauche  du  Petit  Miami, 
à  230  pieds  au-dessus  du  niveau  des  eaux,  forme  en  arrière  de 
la  ligne  de  défense  dont  nous  venons  de  parler,  une  véritable 
citadelle  centrale.  La  longueur  de  l'enceinte  n'est  pas  moindre 
de  trois  à  quatre  milles  et  les  murs,  sur  les  points  où  ils  ont 
résisté  aux  ravages  du  temps,  atteignent  près  de  20  pieds  de 
hauteur.  M.  Hosea  répétait  récemment  une  remarque  souvent 
faite,  que  le  tracé  de  ces  murs  reproduisait  l'esquisse  grossière 
du  continent  des  deux  Amériques  (2).  Si  le  fait  est  vrai,  ce  ne 
peut  être  là  qu'une  coïncidence  toute  fortuite,  qui  ne  mérite 
guère  que  Ton  s'y  arrête.  Le  Rev.  S.  D.  Peet,  se  plaçant  à  un 
autre  point  de  vue,  veut  y  voir  le  combat  de  deux  serpents  mons- 
trueux (3)  ;  c'est  là  encore  un  effort  d'imagination  difficile  à 
admettre.  Ce  qui  est  vraiment  sérieux,  c'est  la  somme  de  travail 
exécuté  par  ces  hommes  et  la  remarquable  intelligence  dont  ils 
faisaient  preuve  pour  la  défense  de  leur  pays. 

Nous  ne  pouvons  omettre  les  ruines  d'Aztalan  (4),  situées  sur 
un  bras  de  la  rivière  Rock  (Wisconsin).  Elles  ont  été  décou- 
vertes en  1836  par  M.  Hyer,  qui  leur  a  donné  le  nom  qu'elles 
portent,  en  mémoire  d'une  vieille  tradition  des  Mexicains  qui 
faisaient  venir  leurs  ancêtres  du  pays  d'Aztalan  dans  le  Nord  (5). 
Le  trait  caractéristique  de  ces  ouvrages  est  une  enceinte  en 
terre,  formant  les  trois  côtés  d'un  parallélogramme  irrégulier, 
dont  la  rivière  ferme  le  quatrième  côté.  Ils  offrent  une  grande 

Luxembourg,  1877,  t.  I,  p.  125.  —  Rev.  S.  Peet,  The  military  Architecture,  Am.  Ant., 
janv.  1881. 

(1)  Il  est  situé  à  42  milles  de  Cincinnati.  Le  Prof.  Locke,  qui  l'a  décrit  le  premier 
estimait  à  628,000  mètres  cubes  la  quantité  de  terre  entrée  dans  sa  construction 
(Foster,  Pré/,,  (iaces  of  the  U.  S.,  p.  371.  —  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  756). 

(2)  Qîcnrt.  Journal  of  Science,  Oct.  1874,  p.  289. 

(Z)  American  Antiqua'ian,  April  1878.  —  March,  1880. 

(4)  Milwaukie  Advrtiser,  1837.  —  Silliman,  American  Journal,  t.  XLIV.  —  La- 
pham,  Ant.  of  Wisconsi',  p.  41,  pi.  XXXIV  et  XXXV. 

(5)  Le  nom  d'Aztalan  est  dérivé  de  deux  mots  mexicains,  Atl  eau,  et  An  près  de; 
Aztalan,  Culhuacan,  Aquilasco  dans  les  traditions  des  Mexicains  étaient  les  villes  qu'ils 
avaient  habitées  avant  leur  migration  vers  l'Anahuac.  Rien  de  moins  certain,  faut-il 
ajouter,  que  ces  traditions  (Bancroft,  /.  c,  t.  V,  p.  221.  305).  Selon  l'abbé  Brasseur  de 
Bourbourg  Aztalan  était  situé  au  nord-ouest  de  la  Californie  {Hist.  des  nat.  civilisées, 
t.  II.  292). 


96  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

analogie  avec  ceux  de  l'Ohio,  mais  nous  ne  trouvons  plus  cette 
régularité  si  frappante  qui  distingue  en  général  les  travaux  des 
Mound  Builders.  Les  angles  ne  sont  plus  droits  ;  le  côté  Nord 
a  600  pieds  de  longueur,  le  côté  Sud  684  pieds,  tandis  que  le  mur 
Ouest  en  compte  plus  du  double.  La  largeur  de  ces  murs 
approche  de  25  pieds;  ils  sont  en  grande  partie  écroulés,  aussi 
est-il  impossible  de  décider  leur  hauteur  primitive  (1).  Citons 
une  particularité  rare  et  intéressante  :  ces  murs  sont  renforcés 
à  des  dislances  égales,  par  des  arcs  boutants  ou  des  bastions. 
A  l'angle  Sud-Ouest  enfin,  il  existe  deux  petites  enceintes,  que 
l'on  peut  désigner  si  l'on  veut  comme  des  ouvrages  avancés. 
Tous  ces  murs  ont  été  construits  avec  de  la  terre  mêlée  d'herbes 
et  de  joncs,  puis  soumis  sur  plusieurs  points  à  un  feu  violent 
destiné  sans  doute  à  augmenter  leur  force  de  cohésion  (2). 

En  parcourant  l'intérieur  de  l'enceinte,  il  est  facile  aujour- 
d'hui encore,  de  reconnaître  un  nombre  considérable  de  tertres. 
Les  uns  sont  des  pyramides  tronquées  s'élevant  par  étages  suc- 
cessifs; les  autres  des  tumuli.  Un  de  ceux-ci  a  été  fouillé;  et 
deux  squelettes  ont  élé  mis  au  jour.  On  a  constaté  que  les  ca- 
davres avaient  été  placés  dans  une  position  assise  ou  repliée. 
Les  os  malheureusement  tombèrent  en  poussière,  au  moment 
même  de  la  découverte  et  ne  permirent  aucune  étude  utile. 

La  plupart  des  archéologues  regardent  Aztalan  comme  une 
position  fortifiée  ;  Lapham  seul  remarque,  et  son  observation 
ne  manque  pas  de  justesse,  que  le  point  où  s'élèvent  ces 
constructions,  dominé  qu'il  est  de  tous  les  côtés,  aurait  été  bien 
mal  choisi  et  en  contradiction  complète  avec  les  traditions  de 
ces  hommes.  Dans  tous  les  cas,  que  ces  ruines  soient  celles  d'une 
ville  ou  d'une  simple  enceinte  fortifiée,  elles  ont  dû  être  rapi- 
dement abandonnées,  car  les  fouilles  n'ont  donné  aucun  de  ces 
débris  qui  prouvent  le  long  séjour  de  l'homme  (3). 

(1)  Leur  hauteur  actuelle  varie  de  30  centimètres  à  l^jôO. 

(2)  C'est  probablement  à  raison  de  ce  fait  que  divers  voyageurs  ont  avancé  que  les 
murs  d'Aztalan  étaient  construits  en  briques.  Il  est  permis  aujourd'hui  d'affirmer  le 
contraire. 

(3)  Devons-nous  voir  dans  cette  habitation  de  si  courte  durée,  le  résultat  du  carac- 


I 


I 


LES  MOUND  BUILDERS.  91 

M.  Putnam,  un  des  plus  savants  archéologues  américains,  dé- 
crit à  Greenwood,  auprès  de  Lebanon  (Tennessee),  des  talus  en 
terre  formant  une  véritable  fortification.  11  put  reconnaître 
l'emplacement  de  trois  portes,  puis  dans  l'intérieur  même 
de  l'enceinte,  de  nombreux  tumuli  sépulcraux  et  un  mound 
élevé,  formant  un  cône  tronqué  aux  parois  très  escarpées  et 
mesurant  15  pieds  de  hauteur,  sur  150  pieds  de  diamètre  à 
sa  base  (1).  Les  fouilles  ont  donné,  à  deux  étages  différents, 
des  pierres  calcinées,  des  cendres,  des  ossements  brûlés, 
preuves  évidentes  de  grands  feux  allumés  soit  pour  des 
sacrifices,  soit  pour  des  festins  funéraires.  Les  demeures  de  ces 
hommes  devaient  être  des  huttes  circulaires,  dont  il  est  encore 
possible  de  retrouver  quelques  traces.  Les  sépultures  en  géné- 
ral étaient  éloignées  des  habitations  ;  mais  par  un  sentiment 
touchant,  les  enfants  étaient  enterrés  au  foyer  même  de  leurs 
parents.  M.  Putnam  regarde  les  habitants  de  Greenwood  comme 
une  des  races  les  plus  civilisées,  parmi  celles  qui  ont  peuplé 
l'Amérique  du  Nord.  Ils  cultivaient  la  terre  ;  ils  ne  brûlaient 
point  leurs  morts,  comme  les  hommes  de  l'Ohio;  leur  céramique 
et  leurs  ornements  témoignent  d'un  art  véritable;  on  trouve 
chez  eux  le  cuivre  du  lac  Supérieur  et  les  coquilles  de  l'Océan. 
Sept  perles  perforées  ont  été  recueillies  dans  la  sépulture  d'un 
enfant,  le  commerce  ne  leur  était  donc  pas  étranger.  Tout 
annonce  une  civilisation  en  progrès. 

Sandy-Woods  Seulement  [^)  (Missouri),  comprend  neuf  tumuli 
et  un  nombre  considérable  d'excavations  circulaires  entourés 
de  murs  et  d'un  fossé  extérieur  (3).  Ce  fossé  communique  à 
l'Est  avec  un  marais;  aussi  a-t-on  supposé  qu'il  était  destiné  à 
amener  aux  habitants  l'eau  nécessaire  à  leurs  besoins  et  que 


tère  superstitieux  des  Indiens  qui  pousse  ces  hommes  à  abandonner  subitement  un  lieu, 
où  un  malheur  imprévu,  une  épidémie,  une  défaite  par  exemple,  les  avaient  frappés? 

(1)  Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  II,  p.  339. 

("2)  W.  P.  Potter,  Arch.  Remains  in  S.  E.  Missowi.  Saint-Louis  Acad.  of  science, 
1880. 

(3)  La  hauteur  actuelle  des  murs  varie  de  2  à  3  1/2  pieds;  leur  largeur  est  de  7  pieds 
à  la  base.  Le  fossé  a  3  pieds  dans  sa  plus  gi-ande  profondeur;  sa  largeur  est  de  7  pieds. 
De  Nadaillac,  Amérique.  7 


98  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

le  mur  avait  été  élevé,  plutôt  pour  l'opposer  aux  inondations,  que 
pour  les  besoins  de  la  défense.  Le  plus  important  des  tumuli, 
dont  nous  venons  de  parler  est  de  forme  rectangulaire;  les 
faces  Nord  et  Sud  ont  246  pieds  de  longueur  ;  les  faces  Est  et 
Ouest,  118  seulement.  Son  élévation,  de  plus  de  16  pieds  au  nord 
est  de  19  pieds  au  sud.  Il  est  couronné  par  une  plate-forme  d'accès 
assez  facile  (1)  ;  cette  plate-forme  est  couverte  de  nombreux  frag- 
ments de  briques  mal  cuites,  grossièrement  fabriquées  et  por- 
tant presque  toutes  des  empreintes  d'herbes  ou  de  pailles,  mêlées 
à  l'argile  avant  la  cuisson.  Les  fouilles  exécutées  sous  ce  tertre 
n'ont  rienproduit.  Lesfouilles  des  autres  mounds  ont  été  plus  fruc- 
tueuses :  surtout  celles  de  deux  mounds  circulaires  destinés  à  la 
sépulture  des  membres  de  la  tribu  et  qui  devaient  renfermer 
de  cent  à  deux  cents  squelettes  dans  chacune  de  leurs  couches  (2). 
Quelques-uns  des  cadavres  avaient  été  placés  dans  une  position 
repliée,  d'autres  accroupis  sur  eux-mêmes,  mais  le  plus  grand 
nombre  était  étendu  tantôt  sur  le  dos,  tantôt  sur  le  ventre,  tantôt 
sur  le  côté.  On  a  remarqué  que  la  terre  qui  les  recouvrait, 
n'appartenait  pas  au  terrain  même,  et  qu'elle  avait  dû  être 
apportée  de  loin.  Ce  dernier  fait  est  significatif  et  témoigne 
du  respect  que  ces  hommes  portaient  à  leurs  morts  et  de  l'im- 
portance qu'ils  attachaient  à  leurs  rites  funéraires.  Les  vases, 
les  poteries  diverses  déposés  auprès  des  cadavres,  étaient  nom- 
breux et  on  a  pu  recueillir  de  huit  cent  à  mille  fragments. 

Comme  à  Greenwood,  des  excavations  circulaires  marquent 
l'emplacement  des  habitations.  Leur  profondeur  est  d'environ 
soixante  centimètres,  leur  diamètre  de  neuf  mètres.  La  présence 
exclusive  sur  certains  points  d'amas  d'argile  brûlée,  de  cendres, 
de  fragments  de  charbon,  d'ossements  d'animaux  calcinés, 
indique  le  foyer.  Il  était  le  plus  souvent  au  centre  même  de 
l'habitation  et  la  fumée,  selon  la  coutume  de  nombreuses  tribus 

(1)  Cette  plate-forme  mesure  108  pieds  sur  r>l. 

(2)  La  décomposition  presque  totale  des  os  n'a  permis  aucune  appréciation  sérieuse. 
Le  premier  rang  de  cadavres  avait  été  placé  au  niveau  du  sol,  le  second  à  un  pied 
environ  plus  haut. 


LES  MOUND  BUILDERS.  99 

sauvages,  devait  s'échapper  par  un  trou  pratiqué  dans   le  toit. 

Toutes  les  dépressions  dont  nous  venons  de  parler,  sont  grou- 
pées sans  ordre  dans  l'enceinte.  Chacun  choisissait  au  gré  de  ses 
convenances  ou  de  ses  besoins,  le  lieu  qui  lui  plaisait  et  y  élevait 
sa  demeure. 

Les  rives  de  Little-River  offrent  de  nombreux  établissements, 
présentant  des  caractères  à  peu  près  analogues  à  ceux  que  nous 
venons  de  raconter.  Ici  c'est  un  mound  elliptique  (1),  entouré 
d'un  mur  et  d'un  fossé;  plus  loin  est  le  Moiind-Groîip  situé  dans 
Lew es-Prairie,  oii  l'on  a  relevé  les  traces  d'un  double  mur  (2).  Sur 
d'autres  points,  on  voit  des  mounds,  des  levées  souvent  d'une 
grande  longueur,  destinées  à  défendre  les  approches  d'une  rivière 
ou  d'une  source,  des  excavations  indiquant  l'emplacement  d'an- 
ciennes habitations. 

Sur  bien  des  points  différents,  les  travaux  de  l'homme  ont 
résisté  au  temps  et  ont  porté  jusqu'à  nous  la  preuve  la  plus  cer- 
taine de  son  existence. 

Si  nous  quittons  un  instant  les  Etats-Unis,  nous  trouvons 
auprès  de  Juigalpa  dans  le  Nicaragua,  une  suite  de  tranchées  qui 
s'étendent  sur  plusieurs  milles  de  longueur  (3).  Leur  disposition 


Fig.  24.  —  Tranchées  à  Juigalpa  (Nicaragua). 

est  bizarre  (fig.  24);  la  largeur  ordinaire  varie  de  3  à  4  mètres  et 
elles  présententde  distance  en  distance,  des  réservoirs  ovales,  dont 
le  grand  axe  atteint  jusqu'à  24  mètres.  Dans  chacun  de  ces  réser- 
voirs on  compte  alternativement  deux  et  quatre  mounds.  On 
ignore  le  peuple  qui  a  exécuté  ces  travaux  et  leur  usage.  11 

(1)  Ce  inound  mesure  110  pieds  et  70  pieds  sur  chacun  de  ses  axes.  Sa  hauteur  est 
de  11  pieds. 

(2)  Une  congrégation  religieuse  avait  utilisé  un  des  mounds  de  Lewes-Prairie,  pour 
y  édifier  une  église.  A  ce  moment  de  nombreux  ossements  paraissent  avoir  été  disper- 
sés ;  aussi  les  fouilles  du  Prof.  Swallow  restèrent-elles  stériles. 

(3)  Boyle,  A  Ride  acrossthe  Continental.  I,  p.  212. 


100  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

semble  probable  qu'ils  étaient  destinés  à  protéger  le  pays  contre 
une  invasion  ennemie. 

Il  était  impossible  d'omettre  ces  tranchées,  que  rien  ne  rap- 
pelle dans  toute  l'Amérique  centrale  ;  nous  ne  pouvons  pas 
cependant  multiplier  des  répétitions  inutiles  et  nous  nous  con- 
tenterons d'ajouter  que  si  on  rencontre  rarement  des  fortifica- 
tions au  sud  du  Missouri,  elles  sont  nombreuses  dans  l'Iowa,  dans 
le  Wisconsin  et  dans  l'Indiana.  Dans  ce  dernier  État  et  dans 
l'Illinois,  leur  forme  se  rapproche  du  carré,  dans  l'Iowa  et  dans 
le  Missouri,  elle  est  le  plus  souvent  triangulaire;  mais  toujours 
on  constate  la  grande  régularité  des  constructions,  l'existence 
d'un  raound  central,  et  autant  que  l'on  peut  en  juger  aujourd'hui, 
certains  rapports  entre  la  hauteur  de  ce  mound  et  celle  des  murs 
extérieurs.  Sur  toutes  les  rivières  qui  viennent  du  Sud  et  qui  se 
jettent  dans  le  lac  Erié  ou  dans  le  lac  Ontario,  on  rencontre  aussi 
.  des  forts  nombreux  ;  mais  ceux-ci  présentent  un  type  bien  diffé- 
rent de  ceux  que  nous  venons  de  citer;  ils  sont  irréguliers  et  ne 
renferment  aucun  de  ces  tertres  si  caractéristiques  du  peuple 
dont  nous  recherchons  les  traces. 

Le  travail  considérable  qui  a  été  nécessaire  pour  l'érection  de 
ces  fortifications,  surtout  avec  les  moyens  limités  que  les  Mound 
Builders  avaient  à  leur  disposition,  permet  d'affirmer,  qu'elles 
étaient  permanentes,  et  l'œuvre  de  plusieurs  générations  succes- 
sives. Un  des  anciens  présidents  des  États-Unis,  le  général  Ilar- 
rison,  a  pu  dire  avec  raison  à  la  Société  historique  de  l'Ohio  (1)  : 
«  Assurément  ces  fortifications  n'ont  pas  été  élevées  pour  arrêter 
une  invasion  subite  ;  la  hauteur  des  murs,  la  solidité  de  leur 
construction,  montrent  que  le  péril  contre  lequel  ils  étaient  des- 
tinés à  protéger  les  populations,  se  renouvelait  constamment.  » 
La  guerre  et  la  lutte  ont  été  de  tout  temps  le  triste  apanage  de 
l'humanité  et  le  nouveau  continent  ne  pouvait  pas  en  être  plus 
exempt  que  l'ancien. 

(1)  Transactions  Hist.  Soc.  of  Ohio,  1. 1,  p.  263.  Le  général  Harrison  ajoutait  :  «  The 
three  mounds  that  I  hâve  examined,  those  of  Marietta,  Cincinnati  and  at  tlie  niouth 
of  the  Great  Miami  particularly  tlie  latter,  hâve  a  military  character  stamped  upon  them 
which  caunot  be  mistaken.  » 


LES  MOUND  BUILDERS.  lOi 

Ce  qui  est  non  moins  certain,  c'est  que  de  semblables  travaux 
sont  absolument  étrangers  aux  Indiens.  «  Je  n'ai  observé  chez  eux 
qu'un  seul  mode  de  fortification,  écrivait  un  ancien  voyageur  (1), 
c'est  une  circonvallation  formée  de  palissades  d'une  hauteur  de 
12  à  15  pieds,  liées  ensemble  avec  des  ouvertures  qui  permet- 
taient aux  assiégés  de  lancer  leurs  flèches.  »  En  1855,  on  signalait 
un  retranchement  élevé  sur  le  Missouri  auprès  de  Coiincil-BliiffSy 
par  une  tribu  Indienne,  les  Aurikarees.  Ce  retranchement,  selon 
la  tradition  constante  de  leur  race,  était  construit  en  troncs  d'ar- 
bres empilés  les  uns  au-dessus  des  autres  (2).  Catlin  décrit  un  vil- 
lage Mandan ,  où  les  habitants  étaient  abrités  par  des  palissades  (3). 
Les  forts  attaqués  par  Champlain  en  1609,  étaient  défendus  par 
des  pieux  enfoncés  en  terre  et  reliés  par  des  branches  et  des 
cordes  faites  de  filaments  d'écorce.  Ce  sont  de  semblables  fortifi- 
cations que  rencontrèrent  toujours  les  Français  dans  leurs 
longues  luttes  contre  les  Iroquois.  Rien  ne  ressemble  moins,  on  le 
voit,   aux  travaux  des  Mound  Builders. 

Certains  terrassements  situés  principalement  dans  les  Etats  de 
l'Ouest,  montrent  clairement  par  leur  mode  de  construction, 
qu'ils  n'étaient  pas  destinés  à  la  défense  (4).  Les  fortifications  sont 
constamment  placées  sur  des  points  naturellement  indiqués,  sur 
des  hauteurs  souvent  presque  inaccessibles.  Les  enceintes  au  con- 
traire auxquelles  Squier  donne,  peut-être  à  tort,  le  nom  d'en- 
ceintes sacrées,  sont  sur  les  bords  des  fleuves,  dans  des  vallées 
dominées  par  les  collines  voisines,  inconvénient  grave  que  les 
Mound  Builders  connaissaient  et  savaient  parfaitement  éviter 
pour  leurs  travaux  défensifs. 

Ces  enclos,  quelle  que  pût  être  leur  destination,  et  quelque  soit 
le  nom  qu'il  faille  leur  donner,  ont  toujours  une  forme  régulière, 
carrée  ou    circulaire,  plus  rarement  elliptique  ou  polygonale. 

(1)  Cité  par  Schoolcraft,  Archives  of  Aboriginal  Knowledge,  t.  III,  p.  206. 

(2)  Am.  Ass.  Worcester  (Massachusetts),  1855. 

(3)  Illustrations  of  the  Mannevs,  Customs  and  Condition  of  the  North  American 
Indians.  London,  1866,  2  vol. 

(4)  o  Great  as  sorae  of  thèse  works  are,  laborious  as  was  their  construction  ;  I  am 
persuaded  they  never  were  intended  for  military  defences.  »  (General  Harrison,  /.  c.) 


Enceintes 
sacrées. 


*0ï  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Toutes  les  figures  sont  parfaites  ;  tous  les  angles  sont  droits  ;  tous 
les  côtés  sont  égaux.  Les  hommes  qui  les  construisaient  connais- 
saient certainement  l'art  de  mesurer  les  surfaces  et  de  calculer 
les  diamètres  ou  les  angles.  Les  murs  varient  singulièrement 
comme  élévation  ;  on  ne  peut  d'ailleurs  que  présumer  leur  an- 
cienne hauteur,  parcelle  qu'ils  présentent  aujourd'hui.  Nous  ajou- 
terons que  ces  travaux  sont  si  considérables,  ces  constructions  si 
nombreuses,  leurs  dispositions  si  variées,  qu'il  est  bien  difficile  d'en 
donner  une  idée  exacte;  quelques  exemplesnousaiderontàle  faire. 
Le  groupe  le  plus  remarquable  est  probablement  celui  de 
Newark,  dans  la  vallée  du  Scioto.  Il  comprend  un  octogone  cou- 
vrant une  superficie  de  50  acres,  un  carré  de  20  acres  et  deux 
cercles  respectivement  de  20  et  de  30  acres.  Les  murs  du  grand 
cercle  mesurent  encore  aujourd'hui  12  pieds  d'élévation  sur  une 
largeur  de  50  pieds  à  leur  base  ;  ils  sont  protégés  par  un  fossé 
intérieur  de  7  pieds  de  profondeur,  sur  35  pieds  de  largeur. 
D'après  un  relevé  fait  par  le  colonel  Whittlesey  (1),  l'ensemble 
des  constructions  couvre  une  superficie  de  12  milles  carrés  (2)  et 
la  longueur  des  tertres  dépasse  2  milles.  Les  larges  entrées  défen- 
dues par  des  talus  de  35  pieds  de  hauteur,  par  des  fossés  de 
13  pieds  de  profondeur,  les  allées,  véritables  labyrinthes,  qui 
ajoutent  aux  difficultés  de  l'accès,  les  mounds  de  forme  étrange 
dont  l'un  représente  le  pied  d'un  oiseau  avec  le  doigt  médian  de 
155  pieds  et  les  doigts  latéraux  de  110  pieds  de  longueur,  tout 
frappe  vivement  l'explorateur.  Sur  ces  ruines  abandonnées,  les 
arbres  de  la  forêt  ont  grandi  depuis  des  siècles  ;  d'autres  les 
avaient  précédés,  leurs  troncs  gigantesques  en  décomposition  at- 
testent leur  existence.  L'homme,  sous  l'empire  de  mobiles  restés 
inconnus  pour  nous,  a  fui  les  lieux  où  tout  rappelle  sa  puissance 
et  son  intelligence  ;  la  nature  seule  maintient  la  vie  par  une 
vigoureuse  végétation. 


(1)  Ancient  Monuments  of  the  Mîssissîpi  Valley. 

(2)  Lubbock  {l'homme  préh.,  trad.  Barbier,  p.  239)  dit  quatre  milles  carrés.  Ban- 
crort(/.  c,  t.  IV,  p.  758)  adopte  ce  dernier  chiffre.  Celui  donné  par  Whittlesey  mérite 
plus  de  confiance. 


LES  MOUND  BUILDERS. 


i03 


A  Chilicothe  dans  le  Missouri  (1),  nous  voyons  un  cercle  de 
plus  de  100  pieds  de  diamètre  et  un  octogone  un  peu  moins  con- 
sidérable. Les  murs  de  l'octogone  ont,  comme  ceux  de  Newark,  de 
10  à  12  pieds  d'élévation  et  mesurent  à  leur  base  50  pieds.  La 
hauteur  des  murs  du  cercle  en  partie  détruits,  n'atteint  guère 
que  4  pieds  1/2  à  5  pieds.  Tout  autour  de  ces  enceintes,  on  peut 
encore  distinguer  un  grand^nombre  de  petits  cercles,  qui  s'élèvent 
à  peine  au-dessus  du  sol.  A  Hopeton  auprès  de  Chilicothe,  nous 


Fig.  25.  —  Groupe  à  Liberty  (Ohio). 


trouvons  un  cercle  et  un  carré  accolés.  L'un  et  l'autre  couvrent 
exactement  une  superficie  de  20  acres.  Ce  ne  peut  être  là  un 
effet  du  hasard  (2). 

Nous  reproduisons  un  groupe  assez  semblable  à  ceux  que  nous 
venons  de  décrire  et  qui  permet  de  s'en  rendre  mieux  compte 
(fig.  25).  11  est  situé  auprès  de  Liberty  (Ohio)  et  se  compose  de 

(1)  Squier,  Ane.  Monuments  of  t/ie  Mississipi  Valley,  pi.  XVI. 

(2)  Short,  Z.  c,  p.  49. 


104  L'AMÉaiQUE  PRÉHISTORIQUE. 

deux  cercles  et  d'un  carré.  Le  diamètre  du  grand  cercle  est  de 
1 ,700  pieds,  sa  superficie  de  40  acres  ;  le  diamètre  du  petit  cercle, 
de  500  pieds  ;  la  superficie  du  carré,  dont  chacun  des  côtés 
mesure  1,080  pieds,  de  27  acres.  Les  murs  ne  sont  accompagnés 
d'aucun  fossé  et  la  terre  qui  a  servi  à  leur  construction  provient, 
contrairement  à  l'usage  que  nous  voyons  généralement  suivi, 
d'excavations  creusées  à  l'intérieur  même  du  cercle  (1). 

Circleville  (Ohio)  emprunte  son  nom  à  des  constructions  ana- 
logues ;  un  carré  et  un  cercle  se  touchent  (2).  Huit  portes  placées 
aux  angles  et  au  milieu  de  chaque  côté,  donnent  accès  au  mound 
carré  ;  chacune  de  ces  portes  était  défendue  par  un  tertre  et  le 
cercle  était  entouré  par  un  double  mur.  Ce  groupe  a  déjà  été  en 
grande  partie  détruit  ;  beaucoup  d'autres  malheureusement  ont 
subi  le  même  sort  et  il  faut  se  hâter  d'étudier  ces  derniers 
témoins  d'une  civilisation  disparue,  car  la  culture  les  envahit 
chaque  jour  et  nul  souvenir  de  ce  lointain  et  curieux  passé,  ne 
saurait  longtemps  résister  aux  nécessités  de  la  vie  moderne. 

Une  enceinte  construite  en  pierres,  située  auprès  du  Black 
Run  (Ross  County,  Ohio)  mérite  une  mention  spéciale.  Sa  forme 
est  elliptique;  le  grand  axe  mesure  246  pieds;  le  petit  axe, 
167  pieds.  Une  seule  porte  y  donne  accès  et  en  avant  de  cette 
porte,  cinq  murs  s'étendent  en  éventail  dans  la  plaine  sans  que 
rien  puisse   faire  présumer  leur  destination. 

Le  nombre,  l'étendue  de  ces  enceintes,  la  superficie  qu'elles 
embrassent,  ne  permettent  guère  d'y  voir  des  temples.  Nous  ne 
connaissons  aucun  culte,  ni  ancien,  ni  moderne,  aucun  rite  aux- 
quels on  puisse  les  rattacher.  Tout  au  plus  pouvons-nous  admet- 
tre, qu'elles  étaient  des  lieux  consacrés,  où  les  prêtres  établis- 
saient leurs  demeures,  selon  un  usage  que  nous  voyons  dans 
nombre  de  pays  difîérents.  M.  Fergusson  (3)  prétend  y  voir  des 
bourgades.  Le  petit  enclos,  si  souvent  accolé  à  un  plus  grand,  était 
selon   lui  la  demeure  du  chef  ;  les  tentes  de  ses  compagnons, 

(1)  Banci-oft,  l.  c,  t.  IV,  p.  759.  —  Short,  l.  c,  p.  48. 

(2)  Les  côtés  du  carré  mesurent  875  pieds  ;  le  diamètre  du  cercle,  985  pieds. 

(3)  Les  Moîiuments  Mégalithiques,  trad.  Hamard,  p.  529. 


LES  MOUND  BUILDEllS.  iOo 

des  membres  de  sa  famille,  se  groupaient  autour  de  la  sienne. 
Mais  en  admettant  même  que  ces  hommes  vécussent  sous  des 
tentes,  ils  auraient  sûrement  laissé  des  traces  de  leur  séjour,  les 
kjôkkenmôddings  le  prouvent  à  satiété  et  jusqu'à  présent  les 
fouilles  n'ont  rien  produit,  qui  puisse  justifier  une  hypothèse, 
tout  au  moins  prématurée. 

Squier  a  donné  avec  plus  de  raison  le  nom  de  temple  à  des     Temples. 
pyramides  tronquées,  au  sommet  desquelles  on  arrive  par  des 


Fig.  26.  —  Pyramide  tronquée  à  Marietta  (Oliio). 

plans  inclinés.  Parfois  ces  pyramides  sont  à  terrasses  ou  à  étages 
successifs  ;  mais  quelle  que  soit  la  forme  qu'elles  affectent, 
qu'elles  soient  rondes,  ovales,  polygonales  ou  carrées,  elles  pré- 
sentent invariablement  à  leur  sommet  une  plate-forme,  desti- 
née probablement  au  pontife  ou  au  sacrificateur,  de  là  le  nom 
sous  lequel  elles  sont  connues.  Ces  tertres  sont  en  nombre  con- 
sidérable à  Chilicothe,  à  Portsmouth,  à  Marietta  (fig.  26)  et  en 


106  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

général  dans  toute  l'étendue  de  l'État  d'Ohio.  On  les  trouve 
également  dans  le  Kentucky,  le  Missouri,  le  Tennessee  et  dans 
les  Etats  du  Sud  (1).  Dans  le  Nord,  ils  sont  plus  rares;  bien  que 
l'on  en  rencontre  jusque  sur  les  rives  du  lac  Supérieur,  qui 
paraît  avoir  été  la  limite  extrême  des  établissements  des 
Mound  Builders. 

Un  des  plus  remarquables  parmi  ces  mounds,  est  sans  con- 
tredit celui  de  Cahokia  (Illinois)  (2).  Il  s'élève  au  milieu  de 
soixante  autres  qui  varient  de  30  à  60  pieds  de  hauteur  et  qui  cou- 
vrent une  superficie  de  six  acres,  selon  M.  de  Hass,  une  super- 
ficie double,  selon  M.  Putnam  (3).  Le  grand  mound  domine 
tous  les  autres;  il  atteint  par  quatre  terrasses  successives,  une 
hauteur  de  91  pieds  ;  sa  base  mesure  560  pieds  sur  720;  la  plate- 
forme qui  le  surmonte,  146  sur  310,  et  on  calcule  qu'il  est  entré 
dans  sa  construction  2S  millions  de  pieds  cubes  de  terre  (4). 
Il  a  fallu  nécessairement  de  longues  années  et  des  milliers 
d'ouvriers,  pour  entreprendre  et  pour  terminer  une  œuvre  aussi 
considérable. 

Le  grand  mound  était  surmonté  d'un  autre  plus  petit  de  forme 
pyramidale,  qui  pouvait  avoir  10  pieds  de  hauteur,  et  qui  a  été 
détruit,  il  y  a  peu  d'années.  On  a  trouvé  en  le  démolissant  de  nom- 
breux ossements  humains,  des  éclats  de  silex,  des  pointes  de  flè- 
ches, des  fragments  de  poterie  grossière  et  mal  cuite,  restes  d'of- 
frandes ou  de  sacrifices.  Les  approches  du  tertre  qui  jouait 
évidemment  un  rôle  important  dans  l'histoire  de  ces  peuples, 
étaient  défendues  par  quatre  mounds  carrés  orientés  à  l'est, 
à  l'ouest  et  au  sud-ouest.  Ces  mounds  variaient  de  20  à  30  pieds 

(1)  Garcilaso  de  ia  Vega  rapporte  que  dans  la  Floride,  ces  tertres  servaient  aux 
chefs  Indiens  pour  y  ériger  leurs  demeures.  Il  en  cite  un,  qui  n'avait  pas  moins  de 
1,800  pieds  de  circonférence. 

{•l)  W.  de  Hass,  Am.  As.  Chicago,  1867.  —  Putnam,  Report  Peabody  Muséum,  t.  II, 
p.  471  et  s.  M.  Putnam  donne  le  plan  actuel  et  le  plan  restitué  de  Caliokia.  Il  est 
connu  sous  le  nom  de  Monk's  Mound  parce  que  Brackenridge  qui  le  visita  en  1811,  y 
plaça  par  erreur  un  couvent  de  trappistes  qui  était  établi  sur  le  mound  voisin. 

(3)  La  grande  pyramide  de  Cheops,  rappellerous-nous  en  passant,  couvre  une  super- 
ficie de  13  acres. 

(4)  Force,  /.  c,  dit  20  millions  de  pieds  cubes  seulement. 


LES  MOUND  BUILDEKS.  107 

de  hauteur  et  sur  deux  d'entre  eux,  on  avait  érigé  des  pyramides  co- 
niques assez  semblables  à  celle  qui  surmontait  le  mound  central. 

Le  mound  de  Seltzertown  n'est  guère  moins  imposant  que 
celui  de  Cahokia.  Sa  base  est  un  parallélogramme  de  600  pieds 
sur  400,  sa  hauteur  est  de  40  pieds,  et  la  plate-forme,  à  laquelle 
on  accède  par  une  rampe,  ne  mesure  pas  moins  de  trois  acres  de 
superficie  (1).  Sur  cette  plate-forme  s'élèvent  trois  mounds  co- 
niques dont  le  plus  grand  présente  également  une  hauteur 
de  40  pieds,  ce  qui  donnerait  à  l'ensemble  de  la  construction 
une  élévation  de  80  pieds  au-dessus  du  sol.  Ce  mound  présente 
cette  particularité  curieuse,  que  tout  le  côté  nord,  le  plus  ex- 
posé aux  intempéries,  est  soutenu  par  un  mur  de  deux  pieds  d'é- 
paisseur construit,  selon  un  mode  constamment  employé  par  les 
Mexicains,  en  adobes  ou  briques  séchées  au  soleil.  Quelques- 
unes  de  ces  briques  ont  même  conservé  jusqu'à  nous  l'empreinte 
des  doigts  de  l'ouvrier  qui  les  avait  façonnées  (2). 

A  New-Madrid,  un  mound  de  dimensions  considérables  est 
entouré  d'un  fossé  de  5  pieds  de  profondeur  sur  10  de  largeur: 
et  les  explorateurs  de  ce  pays  encore  si  peu  connu,  rapportent 
parmi  les  ruines  qui  couvrent  les  bords  des  rivières  et  des  ruis- 
seaux du  Missouri,  un  tertre  de  forme  parallélogramique,  domi- 
nant tout  ce  qui  l'entoure,  comme  la  cathédrale  dans  nos  villes 
s'élève  au-dessus  de  toutes  les  demeures,  bâties  à  l'ombre  de 
ses  murs  (3).  Le  professeur  Swallow  décrit  un  de  ses  mounds 
qu'il  prétend  fort  ancien;  son  grand  axe  mesure  900  pieds  à  sa 
base,  570  pieds  au  sommet.  Le  fait  le  plus  intéressant  révélé  par 
les  fouilles,  est  l'existence  d'une  chambre  intérieure  formée  de 
pieux  en  bois  d'orme  ou  de  cèdre,  plantés  verticalement,  reliés 
entre  eux  par  des  fragments  de  cannes  (4)  et  revêtus  d'un  enduit 

(1)  Squier  and  Davis,  Ane.  Mon.  of  the  Mississipi  Valley,  p.  117.  —  Short,  /.  c, 
p.  72.  — Poster,  Pi'éh.  Races,  p.  112. 

(2)  Le  professeur  Cox  vient  de  découvrir  auprès  d'Helena  (Philipp's  County  Arkan- 
sas)  un  mur  semblable,  l'argile  seulement  au  lieu  d'être  mêlée  d'herbes  sèches  ren- 
fermait de  nombreux  fragments  de  cannes. 

(3)  Conaat,  Foot  Prints  of  Vanished  Races,  p.  60. 

(4)  Arundinaria  Alacrosperma. 


108  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

brut  à  l'extérieur,  lissé  avec  soin  et  recouvert  d'une  couche  de 
peinture  rouge  à  l'intérieur  (1).  Les  fouilles  ont  donné  des  dis- 
ques en  syénite,  et  de  nombreuses  poteries,  parmi  lesquelles 
un  vase  modelé  sur  un  crâne  humain,  qu'on  ne  put  retirer 
qu'en  le  brisant  (fig.  27).  Un  sycomore  de  28  pieds,  un  noyer 


zz-^^ 


Fig.  27.  —  Crâne  moulé  dans  un  vase  en  terre. 

de  26  pieds,  un  chêne  de  17  pieds  de  circonférence,  couvrent 
de  leur  ombrage  un  de  ces  mounds.  Nul  doute  que  ces  arbres  ne 
soient  postérieurs  à  son  érection;  mais  combien  de  temps  après 
cette  érection,  la  gi-aine  d'où  est  sorti  le  grand  arbre,  a-t-elle  été 
lancée  au  hasard  des  vents  sur  ces  terres  accumulées  (2)  ? 

Tout  semble  prouver  que  les  mounds  étaient  des  lieux  véné- 
rés par  les  indigènes.  Nous  venons  de  voir  le  fossé  qui  pro- 
tégeait celui  de  New-Madrid,  d'autres  fois  ce  sont  des  murs  sou- 
vent assez  élevés  qui  défendent  leurs  abords.  A  Matontiple,  un 
tertre  de  dimensions  considérables  et  entièrement  construit  en 
terres  calcinées  par  un  feu  violent,  était  entouré  d'une  ceinture 
de  mounds  plus  petits.  A  la  jonction  de  l'Ohio  et  du  Musldn- 
gum,  on  aperçoit  deux  parallélogrammes,  dont  les  murs  ont  jus- 

(1)  lieport  Peabodij  Ahiseum,  1875,  p.  17. 

(2)  M.  Swallow  parle  aussi  d'une  dent  de  Mastodonte  trouvée  dans  le  sable  stratifié 
qui  entourait  un  des  mounds.  Rien  ne  permet  de  présumer  l'origine  de  cette  dent. 


LES  MOUND  BUILDEaS.  109 

qu'à  27  pieds  à  leur  base.  Au  centre  du  plus  grand  se  dressent 
quatre  pyramides;  on  arrive  par  une  rampe  au  sommet  de 
trois  d'entre  elles;  la  quatrième  reste  inaccessible.  Deux  le- 
vées partent  de  l'unique  porte  de  l'enceinte  située  à  l'ouest  et 
descendent  jusqu'à  la  rivière,  dont  elles  semblent  défendre  les 
abords.  En  raison  de  ce  fait,  le  général  Harrison  avait  rangé 
Matontiple  parmi  les  fortifications.  L'absence  du  fossé  caracté- 
ristique conduit  Squier  à  une  conclusion  opposée. 

Continuons  une  rapide  et  très  incomplète  énumération.  Un 
mound  s'élève  sur  les  bords  de  l'Etowah.  Sa  forme  est  irrégu- 
lière; il  couvre  trois  acres  de  terrain  à  sa  base  et  il  est  flan- 
qué de  deux  mounds  plus  petits,  figurant  aussi  des  cônes  tron- 
qués, aux  parois  abruptes  (1).  Messier- Mound  (Géorgie)  est  érigé 
sur  une  éminence  naturelle.  La  hauteur  du  monticule  artifi- 
ciel est  de  55  pieds  et  la  plate-forme  qui  le  couronne  mesure 
156  pieds  sur  66.  Aucun  chemin  ne  permet  l'accès  de  cette 
plate-forme,  et  l'ascension  présente  les  plus  grandes  difficul- 
tés (2).  MM.  Bertrand  et  W.  Mackinley  (3)  signalent  aussi 
dans  l'État  de  Géorgie,  plusieurs  tertres  coniques  formés 
d'assises  superposées,  datant  peut-être  d'époques  différentes. 
La  pyramide  de  Rolee-Mokee  est  remarquable  entre  tous  ; 
sa  hauteur  n'est  pas  moindre  de  95  pieds.  Il  faut  aussi  men- 
tionner un  mound  de  23  pieds  d'élévation,  situé  dans  Cum- 
berland  Valley  (Tennessee)  ;  les  fouilles  n'ont  donné  ni  osse- 
ments, ni  instruments,  ni  poteries  ;  mais  à  une  certaine  pro- 
fondeur, on  a  rencontré  des  pierres  disposées  régulièrement  et 
qu'on  ne  saurait  mieux  comparer  qu'aux  cromlechs  de  l'Irlande 
où  du  pays  de  Galles.  Des  découvertes  récentes  font  connaître 
un  grand  tumulus  à  25  milles  d'Olympia  (Washington);  si  l'on 
peut  s'en  rapporter  au  récit  des  explorateurs,  sa  hauteur  se- 
rait de  300  pieds  et  dépasserait  de  beaucoup  celle  de  tous  les 

(1)  Whittlesey,  The  Great  Mound  on  Etowah  River  Am.  Ass.  Indianopolis,  1871.  On 
a  cru  reconnaître  autour  du  mound  les  traces  d'un  fossé.  Sa  hauteur,  selon  Short 
(/.  c,  p.  82),  est  de  75  pieds. 

(2)  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  267. 

(3)  Travels  in  North  America,  p.  323. 


Tertres  à  sa- 
crifices. 


HO  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

mounds  connus  jusqu'à  ce  jour.  Florence  (Alabama)  montre 
une  seule  pyramide  tronquée  de  88  pieds  d'élévation  ;  mais  elle 
mérite  une  mention,  à  raison  de  la  régularité  géométrique  de  sa 
construction.  Chacune  de  ses  faces  est  orientée  avec  une  pré- 
cision qui  étonne  chez  des  peuples,  que  nous  nous  figurions 
jusqu'à  ces  derniers  temps  plongés  dans  une  complète  bar- 
barie. 

Nous  avons  suivi  la  description  des  écrivains  américains  qui 
ont  eu  l'avantage  de  visiter  et  d'étudier  sur  les  lieux  mêmes 
ces  monuments  d'un  autre  temps.  Tout  en  acceptant  leur  clas- 
sement à  défaut  d'un  meilleur,  nous  devons  répéter  pour  leis 
temples  les  réserves  que  nous  avons  déjà  faites  pour  les  encein- 
tes sacrées;  rien  ne  permet  de  dire  avec  quelque  certitude 
qu'ils  fussent  destinés  à  des  rites  religieux,  et  il  est  plus  pro- 
bable que  ces  rites  s'accomplissaient  sur  les  autels,  dont  nous 
allons  parler. 

Les  tertres  destinés  aux  sacrifices  affectent  tantôt  la  forme 
d'un  carré  ou  d'un  parallélogramme,  tantôt  celle  d'un  cercle  ou 
d'une  ellipse.  Invariablement  situés  dans  une  enceinte,  ils  pré- 
sentent le  plus  souvent  des  couches  horizontales  de  gravier,  de 
terre  et  de  sable  (1),  qui  recouvrent  un  autel  toujours  placé  au 
niveau  du  sol  et  formé  de  dalles  en  pierres  plates  ou  d'argile 
durcie  soit  au  soleil,  soit  au  feu  (2).  La  dimension  de  ces  autels 
varie  à  l'infini;  nous  en  voyons  qui  n'ont  guère  que  quelques 
pouces  carrés  ;  d'autres  au  contraire  qui  atteignent  jusqu'à 
50  pieds  de  longueur  sur  15  pieds  de  largeur.  Tous  portent  les 
traces  d'un  feu  violent,  et  les  fouilles  fournissent  la  preuve  que  les 
objets  offerts  aux  dieux,  auxquels  ces  autels  étaient  consacrés, 
devaient  être  purifiés  par  les  flammes  au  moment  de  leur 
offrande. 

(1)  Le  Prof.  Andrews  a  prouvé  que  cette  stratification  n'est  nullement  d'un  usage 
général,  comme  on  le  supposait  jusqu'ici  {The  Native  Americaiis,  p.  83,  note  2). 

(2)  Le  D"^  Jones  cite  dans  le  Tennessee,  un  de  ces  autels  sur  lequel  il  était  facile  do 
reconnaître  les  traces  des  tiges  do  canne  dans  lesquelles  il  avait  été  moulé.  Par  une 
exception  rare,  des  cercueils  grossièrement  fabriqués  avec  des  dalles  de  pierre  brute 
étaient  rangés  autour  de  l'autel. 


LES   MOUND  BUILDEaS.  Hl 

Sous  un  de  ces  autels,  on  a  relevé  des  milliers  de  pointes  de 
flèches  en  quartz  hyalin,  en  obsidienne,  en  manganèse,  admira- 
blement travaillées.  Toutes  étaient  effritées,  brisées  par  les 
flammes,  et  on  ne  put  après  de  longues  recherches,  en  recueillir 
que  trois  ou  quatre  restées  intactes.  Soiis  un  autre  mound,  il  a 
été  trouvé  plus  de  six  cents  haches,  offrant  une  certaine  analogie 
avec  nos  haches  acheuléennes  (1)  ;  sous  un  troisième,  deux  cents 
pipes  calcinées  et  des  ornements  en  cuivre  souvent  recouverts 
de  minces  feuilles  d'argent,  tous  tordus  par  la  force  du  feu  auquel 
ils  avaient  été  soumis;  sous  d'autres  tertres  enfin,  des  fragments 
de  poterie,  des  instruments  en  obsidienne  dont  on  ne  peut  pré- 
ciser l'usage,  des  aiguilles  en  ivoire  et  en  os  tellement  fragmentées 
qu'il  est  impossible  de  dire  leur  longueur,  des  enroulements 
découpés  dans  des  feuilles  très  minces  de  mica,  et  percés  de  trous 
réguliers  qui  devaient  permettre  de  les  suspendre. 

Cette  différence  si  complète  des  objets  amoncelés  auprès  de 
chacun  des  autels,  et  que  les  fouilles  ont  mis  au  jour,  est  impor- 
tante. Les  uns  ont  donné  des  têtes  de  lance,  des  pipes  ;  les  autres, 
des  fragments  de  poterie,  des  aiguilles;  quelques-uns,  de  simples 
cailloux,  sans  trace  de  travail  humain.  11  est  probable  que  les 
offrandes  variaient  selon  le  dieu  que  l'on  voulait  honorer. 

Il  faut  cependant  ajouter  que  dans  ces  derniers  temps,  des 
doutes  se  sont  élevés  sur  la  destination  de  ces  mounds.  Ces  autels 
au  niveau  même  du  sol,  enterrés  sous  des  amoncellements  de 
sable  ou  de  terre,  paraissent  étranges  et  sans  précédents  dans 
l'histoire  d'aucune  des  religions  connues.  On  s'est  demandé  s'il 
ne  fallait  pas  voir  là  des  sépultures,  où  la  crémation  était  le  rite 
employé  (2).  Le  grand  nombre  d'objets  toujours  semblables  que 
l'on  rencontre,  me  paraît  exclure  cette  hypothèse.  C'est  un  point 
que  des  fouilles  ultérieures  et  de  nouvelles  découvertes  pourront 
seules  éclaircir. 

Peut-être  convient-il  de  ranger  parmi  les  tertres  à  sacrifices, 

(1)  Ces  haches  ont  en  moyenne  0,15  de  longueur  sur  0,08  de  largeur  (Squier,  Ane. 
Mon.  of  the  Mississipi  VnlLey,  p.  213). 

(2)  Conant,  Foots  Prints  of  the  Vanislied  Races,  p.  20. 


112  L'AMÉaiQUE  PRÉHISTORIQUE. 

deux  groupes  récemment  découverts  dans  le  Wisconsin  (1). 
I^e  premier  est  situé  dans  un  bas-fond  auprès  de  la  rivière 
Kickapoo  (fig.  28).  La  hauteur  du  mound  central  qui  représente 


Fig.  28.  —  (îroupe  auprès  do  la  rivière  Kickapoo  (Wisconsin). 

un  cercle  rayonnant,  n'est  guère  que  de  3  pieds,  son  diamètre 
de  60  pieds,  et  il  est  entouré  de  cinq  talus  en  forme  de  croissants, 
s'élevant  à  peine  à  deux  pieds  au-dessus  du  sol  et  présentant  à 
leur  sommet,  une  surface  complètement  plane.  Les  fouilles  ont 
montré  que  ces  mounds  étaient  un  mélange  de  sable  blanc  et 
d'argile  bleuâtre.  Elles  n'ont  donné  qu'un  nombre  assez  consi- 
dérable de  plaques  et  de  fragments  très  minces  de  mica.  Le 
mica  paraît  avoir  joué  un  rôle  important  dans  les  cérémonies 
religieuses  de  ces  peuples,  et  sa  présence  est  un  indice  presque 
certain  de  la  destination  d'un  mound. 

Le  second  groupe  (fig.  29),  situé  à  une  faible  distance  du  pre- 
mier, est  plus  compliqué  dans  ses  dispositions.  Il  se  compose  de 
de  deux  cercles  (2)  séparés  par  un  pentagone  et  de  plusieurs 
mounds  détachés.  Au  centre,  s'élève  un  autel,  que  l'on  prétend 
avoir  été  consacré  par  des  sacrifices  humains  renouvelés  deux 

(1)  Conant,  /.  c,  p.  20. 

(2)  Le  diamètre  du  grand  cercle  est  de  1200  pieds.  ■' 


LES  MOUND  BUILDERS. 


113 


fois  chaque  année.  Au  printemps,  le  vieillard  le  plus  âgé  de  la 
tribu  se  présentait  volontairement;  c'était  le  plus  grand  honneur 
auquel  il  pût  prétendre.  A  l'automne,  on  immolait  une  femme. 


Fig.  29.  —  Groupe  de  mounds  (Wisconsin) 


Si  au  moment  du  sacrifice,  le  soleil  était  caché  par  des  nuages, 
les  chairs  palpitantes  de  la  victime  déposées  sur  l'autel,  y  res- 
taient jusqu'à  ce  qu'un  de  ses  rayons  vînt  les  éclairer.  C'était  là 
le  signe  évident  que  le  dieu  agréait  le  sacrifice  qui  lui  était  offert: 
aussitôt  le  peuple  s'empressait  d'accourir,  et  se  livrait  à  de 
grandes  réjouissances.  Nous  donnons  ces  détails  d'après  M.  Co- 
nant  (1),  mais  il  est  impossible  de  ne  pas  ajouter,  qu'ils  tiennent 
plus  du  roman  que  de  l'histoire  et  qu'aucun  fait  connu  ne  per- 
met d'affirmer  leur  exactitude. 

Les  tertres  les  plus  nombreux  de  beaucoup  sont  ceux  qui  s'élè- 
vent sur  les  sépultures.  Toujours  et  partout,  l'homme  s'est 
préoccupé  des  restes  mortels  de  celui  qui  fut  un  homme  comme 


Tertre» 
Tumulaires. 


(1)  L.  c,  p.  21.  Le  D'  Habel  rapporte  cependant  que  le  curé  de  San  Juan  Saeata- 
peqaes  (Chiapas)  lui  avait  affirme  qu'aujourd'hui  encore,  les  Indiens  immolaient  au 
printemps  une  victime  humaine  au  dieu  de  la  pluie.  Devons-nous  voir  là,  si  ce  fait 
est  exact,  un  souvenir  des  coutumes  des  ancêtres. 

De  Nadaillac,  Amérique.  8 


il4  1/AMERIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

lui.  L'affection  pour  des  parents  ou  pour  des  amis,  la  pensée  d'une 
vie  future  que  l'humanité  prétend  en  vain  secouer,  et  qui  toute 
vague  et  toute  matérielle  qu'il  faille  souvent  la  supposer,  se 
poursuit  à  travers  le  temps  et  à  travers  l'espace,  peut-être  aussi 
le  désir  de  se  rendre  le  mort  propice,  la  crainte  de  la  vengeance 
de  celui  dont  on  aurait  profané  le  cadavre,  tous  ces  sentiments 
sont  réunis  dans  le  respect  de  la  mort,  que  nous  trouvons  chez  les 


Fig.  30.  —  Groupe  de  tertres  sepulcreux. 


races  les  plus  sauvages,  comme  chez  les  peuples  les  plus  civilisés. 
Les  mounds  sépulcraux,  présentant  partout  une  remarquable 
analogie,  se  rencontrent  dans  toute  l'Amérique  centrale,  dans 
des  régions  aussi  éloignées  les  unes  des  autres,  que  le  Rentucky 
ou  la  Géorgie,  le  Missouri  ou  le  New-Jersey  (fig.  30).  De  fréquents 
remaniements  ajoutent  aux  difficultés  déjà  si  grandes  de  leur 
étude.  A  des  époques  différentes,  ils  ont  été  utilisés  par  les 
Indiens  et  même  par  les  blancs  pour  la  sépulture  des  leurs  ;  il 
est  cependant  souvent  possible  de  distinguer  les  enterrements 
secondaires;  dans  ce  cas,  les  ossements  se  trouvent  à  la  superficie, 
à  18  pouces  au  plus  de  profondeur  ;  tandis  que  ceux  qui  dorment 
leur  dernier  sommeil  sur  le  sol  naturel,  appartiennent  incontes- 
tablement à  la  race  des  constructeurs.  Les  Indiens  n'ont  aucune 


LES  MOUND  BUILDERS.  115 

tradition  qui  se  rapporte  à  ces  mounds  ;  ils  nient  en  général 
qu'ils  soient  l'œuvre  de  leurs  ancêtres.  M.  Brackenridge  cepen- 
dant, en  racontant  les  fouilles  de  Big-Moiind  (fig.  31),  qui  s'éle- 
vait, il  y  a  peu  de  temps  encore,  au  milieu  des  rues  de  Saint- 
Louis,  ajoute  que  les  Indiens  s'empressèrent  de  venir  enlever  les 
ossements  d'un  de  leurs  chefs.  C'est  probablement  là  une  excep- 


Fig.  31.  —  Big  Mound  à  St-Louis  (Missouri). 

tion  due  à  un  remaniement  récent,  dont  la  tradition  s'était  con- 
servée. 

Les  mounds  se  rapportent  à  des  rites  bien  divers,  et  l'on  trouve 
chez  les  Mound-Builders,  toutes  les  formes  de  sépulture  usitées 
en  Europe  ;  le  corps  était  inhumé,  tantôt  étendu  horizontalement, 
tantôt  replié  sur  lui-même.  Nous  avons  vu  à  Sandy-Wood's 
Settlement,  les  diverses  positions  données  au  cadavre  ;  dans  le 
Comté  de  l'Union  (Rentucky),  les  corps  étaient  pour  ainsi  dire, 
empilés  les  uns  au-dessus  des  autres,  sans  ordre  apparent  (1). 
La  crémation  était  également  un  des  modes  employés.  Dans  le 
Missouri,  on  recouvrait  le  corps  d'une  véritable  carapace  en  terre 
glaise  ;  puis  on  allumait  un  immense  bûcher  (2).  M.  Gillman 
raconte  avoir  trouvé  dans  la  Floride,  les  cendres  des  morts  con- 

(1)  Lyon,  Smiih.  Cont.,  1870. 

(2)  On  cite  aussi  dans  l'Ohio  des  corps  recouverts  d'une  couche  de  terre  glaise 


116  .        L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

serves  avec  un  soin  pieux  dans  des  crânes  humains  (1).  Au 
Kansas,  on  amoncelait  sur  le  défunt  des  pierres,  qui  formaient 
avec  le  temps,  un  véritable  murger  (2).  Sur  d'autres  points, 
il  a  été  trouvé  des  squelettes  enveloppés  de  quelques  frag- 
ments d'un  tissu  grossier  ou  de  bandelettes  d'écorce.  Squier 
décrit  une  sépulture  fouillée  sous  sa  direction  (3)  ;  le  sol  avait 
été  nivelé  et  une  couche  d'écorce  placée  sous  le  cadavre.  Tout 
autour  gisaient  quelques  outils  en  pierre,  quelques  ornements, 
parmi  lesquels  deux  dents  d'ours  percées;  au-dessus  du  squelette 
se  trouvaient  une  nouvelle  couche  d'écorce  soigneusement  dis- 
posée et  des  terres  amoncelées  formant  un  tumulus. 

Sous  un  mound  à  Chilicothe,  on  a  découvert  le  squelette  d'une 
femme  de  grande  taille,  jeune  encore  et  ayant  toutes  ses  dents; 
à  ses  pieds  gisaient  les  ossements  d'un  enfant  ;  au-dessous  de 
ces  débris  humains,  on  recueillait  une  terre  grasse  et  noire, 
oii  le  microscope  a  révélé  des  cristaux  de  sang,  et  des  amas 
de  cendres.  On  a  supposé  que  les  squelettes,  étaient  ceux  de 
victimes  égorgées  puis  brûlées.  En  continuant  les  fouilles,  on 
mit  au  jour  un  grand  nombre  d'autres  ossements.  Il  est  difficile 
de  dire  si  c'étaient  ceux  de  malheureux  immolés  pour  obéir  à 
des  rites  sanguinaires,  ou  s'ils  appartenaient  à  des  hommes  sim- 
plement ensevelis  dans  des  lieux  vénérés.  Tous  les  corps  étaient 
couchés  sur  le  côté  gauche,  et  on  avait  placé  à  côté  de  chacun 
d'eux,  un  vase  rempli  d'aliments.  Ce  sont  là  des  rites  funéraires 
bien  caractérisés. 

D'autres  explorateurs  racontent  des  cimetières  considérables, 
des  groupes  de  mounds,  oi^i  ils  veulent  voir  les  sépultures  de 
grands  chefs  (4).  Nous  dirons  dans  le  cours  de  cette  étude  les  dé- 
couvertes les  plus  importantes  en  cherchant  à  faire  ressortir  les 
rites  différents  dont  elles  témoignent. 

rendue  si  dure  par  la  cuisson,  que  ce  n'était  qu'au  prix  de  grands  efforts  que  l'on  par- 
venait à  l'entamer.  Burial  Mounds  in  Ohio.  Am.  Ant.  July,  1879. 

(1)  Explorations  in  the  Vicinity  of  Aledo  (Florida). 

(2)  Report  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  717. 

(3)  ^/;^  of  the  Mississipi  Valley,  p.  164. 

(4)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanislied  Races. 


LES  MOUND  BUILDERS.  117 

Auprès  de  New  Madrid,  M.  Conant  a  constaté  que  les  cadavres 
étaient  placés  horizontalement  la  tête  tournée  vers  le  centre  du 
mound.  Deux  vases  destinés  à  recevoir  de  l'eau  étaient  déposés 
à  droite  et  à  gauche,  et  un  troisième  était  maintenu  sur  la  poi- 
trine parles  bras  croisés  du  mort.  M.  H.  Gillman  cite  un  Biirial- 
Mound  à  Fort  Wayne  où  le  mélange  confus  des  ossements 
montre  la  fréquence  des  remaniements,  mais  où  l'inhumation 
était  constamment  le  mode  employé  (1).  Quelques  vases  en 
poterie  très  fine  témoignent  d'un  art  déjà  avancé. 

Les  fouilles  exécutées  par  M.  Putnam  à  Madisonville  dans  la 
vallée  du  petit  Miami  (Ohio),  ont  donné  plus  de  six  cents  squelettes 
de  tout  âge  et  de  tout  sexe.  Auprès  d'eux,  on  recueillait  des  vases 
nombreux,  dont  quelques-uns  étaient  décorés  de  dessins  tantôt 
linéaires,  tantôt  dentelés  (2),  des  pipes  en  pierre,  des  pointes 
de  flèche,  des  couteaux,  des  marteaux,  des  haches  polies,  des 
ustensiles  en  os  et  des  ornements  en  écaille  ou  en  cuivre  (3). 

Les  fouilles  de  M.  Farquharson  auprès  de  Davenport  (lowa), 
n'ont  pas  été  des  moins  intéressantes  (4);  un  des  mounds  présen- 
tait un  diamètre  de  30  pieds  et  une  hauteur  de  5  pieds.  Les 
couches  successives  à  partir  du  sommet,  comprenaient  :  terre, 

1  pied  ;  pierres  apportées  du  lit  de  la  rivière,  1  pied  et  demi  ; 
seconde  couche  de  terre,  \  pied  et  demi;  couche  de  coquilles, 

2  pouces  ;  troisième  couche  de  terre,  1  pied  ;  seconde  couche  de 
coquilles,  4  pouces.  Cinq  squelettes  horizontalement  étendus 
reposaient  sous  cette  dernière  couche.  Le  mobilier  funéraire  se 
composait  d'une  grande  coquille  marine  (5),  de  deux  haches  en 
cuivre  (6),  recouvertes  d'une  étoffe  tissée  dont  il  était  encore 
possible  de  reconnaître  les  débris,  d'une  alêne  également  en 
cuivre,  d'une  pointe  de  flèche  en  silex  et  de  deux  pipes  dont 


(1)  Am.  Âss.  Buffalo,  1876. 

(2)  Deux  vases  étaient  ornés  de  médaillons  petits  et  grossiers,  figurant  des  têtes 
humaines. 

(3)  Harvard  University.  June,  1881. 

(4)  Ain.  Ass.  Détroit,  Michigan,  1875. 

(5)  Pyrula  perversa. 

(6)  Ces  haches  n'avaient  jamais  servi  ;  c'était  donc  bien  là  un  rite  funéraire. 


118  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Tune  représeatait  une  grenouille.  Les  ossements  humains  tom- 
bèrent en  poussière,  dès  qu'ils  furent  au  jour  et  ne  permirent 
aucune  observation.  Les  objets  recueillis  dans  les  autres  mounds 
de  riowa  étaient  analogues  ;  on  cite  deux  pipes,  l'une  représentant 
un  cochon,  l'autre  un  oiseau  ;  elles  offrent  l'une  et  l'autre,  une 
grande  ressemblance  avec  celles  de  l'Ohio.  Mentionnons  encore 
une  dent  d'ours  gris,  percée  d'un  trou  de  suspension  ;  un  examen 
plus  attentif  a  prouvé  que  ce  n'était  pas  la  véritable  dent  de 
l'animal,  mais  bien  une  imitation  en  os.  L'esprit  d'observation 
ne  faisait  donc  pas  défaut  à  ces  hommes.  Sous  un  mound  situé 
auprès  de  Toolesboro  (lowa),  on  a  recueilli  une  coquille  origi- 
naire de  l'Amérique  du  Sud  (1)  transportée  bien  loin  des  lieux, 
où  le  mollusque  avait  vécu. 

Le  diacre  Elliot  Frinck  parle  d'un  squelette  enterré  la  tête  en 
bas  (2).  Ce  serait  là  un  fait  curieux,  mais  tellement  exceptionnel  en 
Amérique  comme  sur  l'ancien  continent,  que  l'on  doit  supposer 
que  le  mort  avait  été  primitivement  placé  dans  une  position 
assise  ou  repliée  et  que  la  pression  des  terres  ou  la  décomposition 
cadavérique  avaient  fait  glisser  la  tête  entre  les  jambes.  Dans 
le  Wisconsin,  les  morts  étaient  enveloppés  de  bandelettes 
d'écorce  et  assis,  le  visage  tourné  vers  l'Est.  Aucune  arme, 
aucun  ornement  n'étaient  déposés  auprès  d'eux,  elles  nombreuses 
fouilles  exécutées  par  le  D""  Lapham,  ne  lui  ont  procuré  que 
trois  vases  en  poterie  fort  commune  (3).  Sur  d'autres  points,  dans 
le  Tennessee  par  exemple,  de  nombreux  squelettes  qui  paraissent 
remonter  ta  l'époque  des  Mound-Builders,  ont  été  enterrés  dans 
des  cavernes.  A  15  miles  de  Sparte,  on  a  rencontré  dans  une  de 
ces  cavernes,  des  débris  humains  renfermés  dans  des  corbeilles  en 
jonc  artisteftient  tressées.  Ce  n'est  point  là  un  fait  isolé.  Heywood 
raconte  avoir  vu  sur  le  Smith's  Fork  auprès  du  Caire,  les  sque- 
lettes d'un  homme  et  d'une  femme  déposés  dans  des  paniers  (4). 

(1)  American  Antiquarian,  1879. 

(2)  Perkins,  Ancient  Burial  Ground  in  Swanton  {Vermont)  Am.  Ass.,  Portland 
1873. 

(3)  Ant.  of  Wisconsin,  Smith.  Cont.,  t.  VII. 

(4)  Jones,  Exploitations  of  the  Aboriginal  Remains  of  Tennessee.  Smith.  Cont. 


LES  MOUND  BUILDERS.  H9 

Les  sépultures  les  plus  curieuses  sont  celles  où  le  mort  était 
inhumé  tantôt  entre  des  dalles  en  pierre  brute,  tantôt  dans  des 
chambres  sépulcrales,  qui  rappellent  les  Chamhered-Borrows 
de  l'Angleterre. 

Dès  1818  on  signalait  à  Fenton,  à  15  miles  de  Saint-Louis,  un 
cimetière,  où  les  squelettes  gisaient  dans  des  cercueils,  formés  de 
six  pierres  grossièrement  ajustées  sans  aucune  espèce  de  ciment. 
Les  plus  grands  parmi  ces  cercueils  ne  mesuraient  guère  que 
50  pouces  de  longueur  ;  les  corps  avaient  dû  y  être  placés 
roulés  sur  eux-mêmes.  De  là  la  croyance  populaire,  qui  subsiste 
encore  de  nos  jours,  que  le  Missouri  et  le  Tennessee  avaient  été 
originairement  peuplés  par  une  race  de  pygmées  (1). 

D'autres  découvertes  venaient  les  compléter.  A  l'occasion 
d'une  session  de  l'Association  américaine  pour  l'avancement  des 
sciences  tenue  à  Nashville  en  1877,  plusieurs  des  mounds  si 
nombreux  dans  le  Tennessee  furent  fouillés  (2).  M.  Putnam 
constata  qu'ils  étaient  des  sépultures  et  l'œuvre  de  la  race, 
dont  il  avait  retrouvé  les  cimetières  dans  l'Arkansas,  le  Missouri 
et  riUinois  (3).  Les  crânes  présentaient  la  même  forme  ;  les  orne- 
ments, la  poterie,  les  mêmes  procédés  de  fabrication.  Le  nombre 
de  squelettes  recueillis  était  considérable.  Leur  chiffre  fut  diverse- 
ment évalué  de  six  à  huit  cents  ;  une  seule  de  ces  sépultures  fouillée 
sous  la  direction  personnelle  du  savant  conservateur  du  Peabody 
Muséum,  en  a  donné  près  de  cinquante.  Les  corps,  à  une  excep- 
tion près,  étaient  renfermés  entre  des  dalles  plus  ou  moins 
grandes  en  pierre  brute  et  ces  cercueils  étaient  disposés  sans 
orientation,  par   couches  successives.  Quelques-uns  (4)  étaient 

t.  XXII,  Washington,  1876.  Humboldt  signale  des  faits  semblables  au  Pérou  {Voyages 
aux  régions  équinoxiales  du  Nouveau  Continent,  t.  II,  p.  482  et  s.). 

(1)  Conant,  /,  c,  p.  46. 

(2)  «  Numerous  stone  graves  containing  human  remains  are  at  the  présent  day, 
found  along  the  banks  of  the  rivers  and  streams  in  the  fertile  valleys  and  around  the 
cool  springs,  which  abound  in  the  lime  stone  région  of  Tennessee  and  Kentucky.  Thèse 
ancient  repositories  of  the  dead  arc  frequently  surroundcd  by  extensive  earth  works 
which  enclose  imposing  monumental  remains.  »  D.  Jones,  l.  c. 

(3)  Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  II,  p.  203  et  s.  Ces  mounds  étaient  situés  sur 
une  ferme  appartenant  à  miss  Bowling. 

(4)  Arch.  Explorations  in  Tennessee.  Report  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  305. 


120  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

vides,  attendant  sans  doute  celui  qui  devait  les  occuper.  Les  corps 
étaient  étendus  horizontalement,  et  auprès  de  chacun  on  avait 
placé  des  poteries  de  formes  diverses  (1),  des  outils  en  silex  ou 
en  os,  des  ornements  en  coquille,  derniers  souvenirs  adressés  au 
mort.  Dans  le  comté  de  Maddison  (Illinois),  on  a  découvert  deux 
cists  en  pierre  que  M.  Bandelier  décrit  avec  précision  (2).  Ils 
forment  un  rectangle,  dont  toutes  les  faces  sont  des  dalles  de 
calcaire  dans  leur  état  primitif  et  ne  présentant  aucune  trace  de 
travail  humain.  Les  ossements  étaient  si  mêlés  que  l'on  dût 
conclure  qu'ils  avaient  été  jetés  au  hasard  dans  les  cists,  après  la 
décomposition  des  chairs.  Bien  que  l'antiquité  de  ces  ossements 
parût  considérable,  un  des  crânes  fut  reconnu  par  des  juges 
compétents,  comme  se  rapprochant  du  type  de  la  race  indienne 
actuelle;  mais  un  semblable  mode  d'inhumation  a  toujours  été 
étranger  aux  Indiens  et  en  admettant  même  la  ressemblance 
des  crânes,  elle  ne  saurait  permettre  une  affirmation,  que  tout 
vient  démentir. 

Les  Chambered  Mounds  présentent  des  travaux  plus  importants 
des  dispositions  plus  compliquées.  Nous  citerons  tout  d'abord 
un  tumulus  des  plus  remarquables,  celui  de  Grave-Creek  au 
confluent  de  cette  rivière  et  de  l'Ohio  (3).  Ce  tertre  de  dimen- 
sions considérables  renfermait  deux  chambres  sépulcrales,  l'une 
à  30  pieds  environ  au-dessus  de  l'autre.  Elles  avaient  été  cons- 
truites au  moyen  de  poutres,  qui  en  s'effondrant  peu  à  peu, 
avaient  permis  aux  pierres  et  à  la  terre  amoncelées  sur  la  voûte, 
d'envahir  la  surface  vide  et  d'écraser  les  squelettes  qui  y 
étaient  déposés.  La  chambre  supérieure  n'en  renfermait  qu'un 
seul;  la  chambre  inférieure  deux,  celui  d'un  homme  et  celui 
d'une  femme.  A  côté  d'eux,  gisaient  de  nombreux  ornements  en 
mica,  des  colliers  de  coquilles,  des  bracelets  en  cuivre  et  quel- 
ques fragments  de  pierre  sculptée.   De  la  chambre  inférieure, 

(1)  Nous  reviendrons  dans  le  chapitre  suivant  sur  les  poteries  très  curieuses  que 
ces  fouilles  ont  donné. 

(2)  A^n,  Ass.  Saint-Louis,  1878. 

(3)  Le  tumulus  de  Grave-Creek  est  situé  dans  la  Virginie  (D""  Joly,  Nature,  1873, 
t.  I,  p.  168). 


LES  MOUND  BUILDERS.  421 

on  pénétrait  dans  une  autre  plus  grande,  où  se  trouvaient  di\ 
squelettes  accroupis,  malheureusement  dans  un  tel  état  de 
décomposition  qu'il  ne  purent  être  soumis  à  aucun  examen 
scientifique.  On  a  présumé,  que  ces  restes  étaient  ceux  de  mal- 
heureuses victimes  immolées  en  l'honneur  du  chef  auquel  le 
tombeau  était  consacré. 

A  Harisonville  (Comté  de  Franklin,  Ohio),  les  fouilles  ont 
montré  des  pierres  brutes,  placées  les  unes  au-dessus  des  autres 
sans  aucune  apparence  de  mortier.  Après  avoir  enlevé  les  terres, 
les  racines,  les  détritus  de  toute  sorte  qui  l'obstruaient,  on  put 
reconnaître  une  chambre  de  douze  pieds  carrés,  et  à  l'extrémité 
un  foyer  encore  rempli  de  cendres  et  de  charbons  ;  autour  de  ce 
foyer  gisaient  huit  squelettes  de  tout  âge,  depuis  l'enfant  jusqu'au 
vieillard.  Dans  les  diverses  vallées  de  la  région  s'élèvent  des 
mounds  semblables;  ils  ont  donné  de  nombreux  ossements 
humains,  des  instruments  en  silex  et  des  tessons  de  poterie.  Un 
des  crânes  portait  implantée  une  pointe  en  silex  de  six  pouces 
environ  de  longueur,  qui  avait  vraisemblablement  donné  la 
mort.  Parfois  les  cryptes  étaient  voûtées,  pour  pouvoir  mieux 
résister  à  la  pression  des  terres  (1).  Il  est  étrange  de  rencon- 
trer chez  ces  hommes  de  pareilles  connaissances  architectu- 
rales. 

Ces  chambres  sépulcrales  se  rencontrent  surtout  dans  les  Etats 
du  centre.  Les  fouilles  du  Big-Mound  k  Saint-Louis  dont  nous 
avons  déjà  parlé  (fig.  31)  et  qui  a  été  détruit  seulement  en  1869, 
ont  montré  l'existence  d'une  crypte,  mesurant  30  pieds  de 
hauteur  et  150  pieds  de  longueur  (2).  Les  murs  étaient  non  plus 
en  pierres,  comme  ceux  que  nous  venons  de  citer,  mais  en  argile 
battue  et  lissée  avec  soin  ;  on  a  supposé  que  le  toit  devait  être 
formé   de   poutres   destinées  à  supporter  le  poids   des  terres. 

(1)  «  Récent  explorations  of  many  mounds  hâve  disclosed  a  vault  walled  and  arched 
with  stonc,  some  of  large  dimensions  with  contents  similarto  those  of  Utah.  »  Conant, 
Foot  Prints  of  Vanished  Races,  p.  75. 

(2)  Brackenridge,  Views  of  Louisiana.  Quand  les  fouilles  eurent  lieu,  cette  crypte 
avait  déjà  été  entamée  ;  mais  on  put  encore  la  reconnaître  sur  une  étendue  de  72  pieds. 
Conant,  /.  c,  p.  42. 


122  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

C'est  là  une  disposition  rencontrée  dans  plusieurs  mounds  voisins, 
datant  vraisemblablement  de  la  même  époque.  Les  corps  étaient 
étendus  sur  le  sol  nu,  à  une  égale  distance  les  uns  des  autres; 
toutes  les  têtes  étaient  tournées  vers  l'est.  Dans  le  terreau  noir 
qui  recouvrait  les  ossements  brisés  en  fragments  par  la  chute 
des  terres,  on  recueillait  un  nombre  considérable  de  coquilles  (1) 
et  des  grains  de  colliers,  assez  semblables  à  ceux  trouvés  dans 
l'Ohio  et  taillés,  dans  le  Busycon  perversum  très  abondant  dans 
le  golfe  du  Mexique. 
(lémation.         La  crématiou  des  corps,  de  nombreux  exemples  le  prouvent 
jusqu'à  la  dernière  évidence,  a  toujours  existé  chez  les  Mound- 
Builders  ;  elle  a  été  pratiquée  dans  les  mêmes  temps  et  par 
les   mêmes   peuples  que  l'inhumation.   Ainsi    nous  venons  de 
parler  des  chambres  sépulcrales  du  Missouri;  M.   Curtiss  cite 
des  groupes  importants  situés  sur  les  deux  rives  du  fleuve.  Il  en 
fit  fouiller  trois  sous  ses  yeux  ;   les  cryptes  formaient  un  carré 
de  8  pieds  sur  une  hauteur  de  4  à  5  pieds;  un  passage  de  plu- 
sieurs pieds  de  longueur  venait  aboutir  à  une  ouverture  placée 
à  l'est.  Les  murs  avaient  vers  la  base  une  épaisseur  de  5  pieds 
qui  allait  en  diminuant  jusqu'au  sommet;  ils  étaient  construits 
en  pierre,   sans  mortier,   ni  ciment  d'aucune  sorte.    Une   des 
cryptes  était  fermée  par  de  grandes  dalles  ;  les  autres  l'avaient 
probablement  été  par  des  poutres  en  bois,  disparues  depuis  long- 
temps. Chacune  d'elles  renfermait  plusieurs  squelettes  (2),  ayant 
tous  été  soumis  à  un  feu  violent.  Les  ossements  humains  étaient 
mêlés  à  des  cendres,  à  des  fragments  de  charbon,  à  des  osse- 
ments d'animaux  qui  jonchaient  le  sol  sur  une  hauteur  de  plu- 
sieurs pouces;  parmi  ces  débris,  les  explorateurs  découvrirent 
quelques    fragments   presque    imperceptibles    de   poterie,    des 
instruments  en   silex  et  une  dent  de   requin.    Les  fouilles  se 
poursuivirent  sous  un  grand  mound  voisin,  mais  là  on  ne  ren- 

(1)  Principalement  des  coquilles  de  moules  très  abondantes  dans  le  voisinage  et  une 
petite  coquille  marine  la  Marginella  apicina  (Lamarck). 

(2)  Dans  une  de  ces  cryptes,  M.  Curtis  dit  avoir  reconnu  cinq  squelettes,  dans  une 
autre  treize.  Report  Peubody  Muséum,  t.  II,  p.  717.  Voy.  aussi  E.  P.  West,  Western 
lieview,  February  1879. 


LES  MOUND  BUILDERS.  i23 

contra  aucune  trace  de  crémation.  Les  corps  avaient  été  étendus 
horizontalement  sur  le  sol  ;  et  M.  Curtiss  put  recueillir  une 
précieuse  collection  d'outils,  d'armes  en  silex,  de  poteries  fabri- 
quées avec  soin.  Quels  étaient  les  rapports  entre  les  hommes  qui 
enterraient  leurs  niorts  et  leurs  voisins  qui  les  brûlaient? 
Appartenaient-ils  aux  mêmes  races?  Vivaient-ils  à  la  même 
époque?  Nul  ne  peut  répondre  avec  quelque  certitude. 

Le  Missouri  n'est  pas  le  seul  point  où  la  crémation  existait  : 
le  docteur  Andrews  cite  à  Connett's  mound  près  de  Douvres 
(Comté  d'Athènes,  Ohio),  des  ossements  humains  brûlés  qui  prou- 
vent clairement  l'incinération  du  cadavre  (1).  Le  docteur  Lar- 
kin  arrive  aux  mêmes  conclusions,  après  les  fouilles  d'un  tertre 
dans  l'État  de  New- York  (2).  M.  Lapham  a  recueilli  sous  un 
des  mounds  qui  s'élèvent  dans  la  vallée  de  la  Pishtaka  (3),  de 
l'argile  brûlée,  des  pierres  presque  converties  en  chaux  par 
l'intensité  de  la  chaleur,  des  morceaux  de  charbon,  et  parmi  tous 
ces  débris,  un  tibia  humain  à  demi  calciné.  Squier  cite  égale- 
ment plusieurs  cas  où  les  squelettes  portaient  encore  les  traces 
du  feu  qui  avait  consumé  les  chairs. 

On  peut  encore  mentionner  un  mound  de  forme  ovale,  situé 
dans  la  Floride  (4).  A  des  profondeurs  différentes,  variant  de  1  à 
15  pieds  il  a  été  recueilli  de  nombreux  ossements  humains  indi- 
quant toute  une  série  de  sépultures  :  avec  ces  ossements,  on 
trouvait  plusieurs  vases  d'une  exécution  et  d'une  ornemen- 
tation remarquables,  quelques  éclats  de  silex  et  une  hache  en 
pierre.  En  poursuivant  les  fouilles,  on  rencontra  des  cendres, 
et  des  débris  humains  à  demi  consumés;  ils  avaient  été  re- 
cueillis et  placés  dans  un  crâne  qui  tomba  malheureusement  en 
poussière,  dès  qu'il  eût  été  mis  au  jour.  Ce  n'est  point  là  un 

(1)  Report  Peabody  Muséum,  1877,  t.  II,  p.  59.  Avant  la  crémation,  le  cadavre  pa- 
raît avoir  été  placé  dans  un  cercueil  de  bois.  La  présence,  de  nombreux  détritus 
semblables  à  ceux  que  l'on  rencontre  sous  les  Kjôkkenmôddings  indique  l'usage  des 
festins  funéraires. 

(2)  Report  Peabody  Muséum,  1880,  t.  II.  p.  722. 

(3)  The  Antiquiiies  of  Wisconsin. 

(4)  Gillman,  Am.  Ass.  Saint-Louis,  1878.  Les  deux  axes  de  la  base  mesurent  res- 
dectivement  98  et  88  pieds. 


124  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

fait  isolé  (1),  nous  avons  déjà  cité  d'autres  exemples.  Ces  crânes 
qui  témoi^aient  certainement  d'un  rite  funéraire  particulier, 
appartenaient-ils  aux  hommes  dont  les  corps  avaient  été  brûlés? 
Il  est  difficile  de  le  dire  ;  car  si  d'un  côté  ils  n'offrent  aucune  trace 
de  feu,  de  l'autre  les  recherches  les  plus  actives  n'ont  donné 
aucun  fragment  crânien,  parmi  ceux  recueillis.  Ajoutons  que 
quelques  os  longs  paraissent  avoir  été  fendus;  si  ce  fait  est 
exact,  et  si  l'on  doit  y  attacher  son  interprétation  naturelle, 
l'anthropophagie,  au  moins  sur  certains  points,  n'aurait  pas  été 
étrangère  aux  Mounds-Builders  (2). 

Pour  terminer  ce  qui  a  trait  aux  mounds  sépulcraux,  il  faut 
raconter  des  faits  encore  peu  connus  et  qui  font  mieux  ressortir 
les  honneurs  que  les  Mounds-Builders  rendaient  à  leurs  chefs  et 
les  soins  pieux  qu'ils  apportaient  à  leurs  funérailles.  Un  groupe  de 
mounds  (fig.  32)  s'élève  à  la  jonction  du  Straddle-Creek  et  du  Plumb- 
River  (Comté  de  Carroll,  Illinois)  (3).  Les  formes  de  ces  mounds 
varient;  les  uns  figurent  des  cônes,  les  autres  des  cercles  à  divers 
degrés  de  formation.  Les  fouilles  ont  donné  des  cendres  et  des 
résidus  de  terre  noire.  On  a  supposé  que  c'étaient  les  sépultures 
d'hommes  qui  brûlaient  leurs  morts.  Chaque  famille  avait  sa 
tombe,  et  quand  un  des  membres  mourait,  ses  cendres  étaient 


(1)  On  pourrait  citer  aussi  les  fouilles  faites  en  1874,  sous  des  mounds  situés  sur  le 
Mississipi,  en  face  de  la  ville  de  Muscatine.  Elles  ont  donné  des  ossements  humains  et 
au-dessus  des  ossements  des  charbons  et  de  la  terre  brûlée,  preuve  certaine  qu'un 
grand  feu  avait  été  allumé  après  l'inhumation.  C'est  là  un  autre  rite  funéraire  (Ame- 
lican  Anliquarian,  1879,  3*  trim.,  p.  99). 

(2)  La  crémation  existe  encore  chez  quelques  tribus  Indiennes  de  l'Amérique  du 
Nord.  M.  John  Leconte  raconte  avoir  assisté  à  une  scène  de  ce  genre  chez  les  Coco- 
pas,  établis  auprès  du  fort  Yuma,  à  la  jonction  du  Colorado  et  du  Gila.  Un  fossé  pro- 
fond avait  été  creusé  et  le  bois  empilé,  avant  que  les  parents  et  les  amis  apportassent 
le  corps.  Les  hommes  avaient  le  visage  peint  on  noir  ;  les  femmes  hurlaient  et  chan- 
taient tour  à  tour  des  hymnes  funéraires  ;  quand  le  cadavre  fut  à  demi  consumé,  un 
vieillard,  des  principaux  de  la  tribu,  s'approcha  et  avec  un  bâton  pointu  arracha  les 
deux  yeux  et  les  présenta  successivement  au  soleil,  en  prononçant  quelques  mots,  qui 
au  dire  du  guide  qui  accompagnait  M.  Leconte,  étaient  une  prière  pour  le  mort.  Quand 
tout  fut  terminé  et  le  feu  éteint,  les  assistants  rassemblèrent  avec  soin  les  cendres  et 
les  ossements  calcinés  pour  les  remettre  à  la  famille  du  défunt.  Crémation  among 
North  Ame7-ican  Indians.  Am.Ass.  New-York,  1874. 

(3)  Gonant,  Foot  Pt'ints  of  Vanished  Races,  p.  17. 


LES  MOUND  BUILDERS. 


123 


déposées  auprès  de  celles  des  siens  et  recouvertes  d'une  couche 
de  terre.  On  continuait  ainsi,  jusqu'à  ce  que  l'on  eût  obtenu 
un  cône  de  2  pieds  environ  de  hauteur.  Les  cercles,  les  demi- 
cercles  indiquent  les  tombes,  oii  les  hôtes  n'étaient  pas  encore 


Fig.  32.  —  Groupe  de  Mounds  à  la  jonction  du  Straddle  Creek  et  du  Plumb  River 

(Illinois). 

nombreux  et  que  l'extinction  ou  la  dispersion  de  la  famille 
n'avaient  pas  permis  de  compléter.  Nous  donnons  cette  explica- 
tion pour  ce  qu'elle  vaut,  en  ajoutant  seulement  que  des  sépul- 
tures semblables  se  trouvent  dans  toutes  les  régions  à  l'ouest 
du  Mississipi,  dans  la  vallée  de  l'Ohio,  dans  le  Michigan  et 
dans  plusieurs  autres  Etats  du  Nord. 

A  250  mètres  à  peine  du  groupe  dont  il  vient  d'être  question, 
on  en  a  décou\ert  un  autre,  datant  en  apparence  de  la  même 
époque,  où  les  corps  étaient  simplement  inhumés.  Une  tradition 
veut  que  ce  changement  dans  le  mode  de  sépulture  ait  eu  lieu, 
pour  obéir  aux  prophètes  de  la  tribu,  effrayés  d'une  éclipse  du 
soleil,  arrivée  au  moment  où  ils  brûlaient  le  corps  d'un  de  leurs 
chefs.  Sans  attacher  à  cette  tradition  plus  d'importance  qu'elle 
ne  le  mérite,  nous  dirons  seulement  que  le  fait  de  l'existence 
simultanée  chez  le  même  peuple  de  deux  rites  funéraires,  aussi 
différents  que  la  crémation  et  l'inhumation  exciterait  plus  vive- 
ment notre  surprise,  si  nous  ne  connaissions  chez  les  diverses 
races  européennes  bien  des  exemples  analogues. 


126  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Ce  second  groupe  (fig.  33),  découvert  dans  le  Minnesota,  sur 
la  rive  nord  du  Saint-Pierre,  à  60  miles  environ  de  sa  jonction 
avec  le  Mississipi  présente  un  aspect  plus  compliqué.  Il  comprend 
26  mounds  régulièrement  espacés  et  formant  ensemble  un  grand 
rectangle  (1).  Le  mound  central  (a)  figure  une  tortue  de  40  pieds 
de  longueur  sur  27  pieds  de  largeur  et  12  pieds  de  hauteur.  Il  est 
presqu'en  totalité  formé  d'argile  jaune  étrangère  au  pays  et 
apportée  sans  doute  de  loin.  Au  nord  et  au  sud,  s'élèvent  deux 
mounds  (d)  de  forme  pyramidale  en  terre  rouge,  recouverte  d'une 
légère  couche  d'humus.  Chacun  d'eux  mesure  27  pieds  de  lon- 


Fig.  33.  —  Sépulture  de  la  Tortue  noire. 

gueur,  sur  une  hauteur  de  6  pieds  environ  à  sa  base.  Cette  hau- 
teur va  en  diminuant  jusqu'à  la  pointe,  qui  s'élève  à  peine  au- 
dessus  du  sol.  A  chaque  coin  se  dresse  un  tertre  circulaire  (f)  de 
12piedsd'élévation,sur  25  pieds  de  diamètre.  A  l'est  et  à  l'ouest, 
deux  tertres  allongés  (c)  de  60  pieds  de  longueur  sur  un  diamè- 
tre 12  pieds.  Deux  mounds  plus  petits  (e)  placés  à  droite  et  à 
gauche  de  la  tortue,  ont  12  pieds  de  longueur  et  4  pieds  de  hau- 
teur. Ils  sont  formés  de  sable  blanc,  mêlé  de  nombreux  frag- 
ments de  mica,  et  recouverts  d'une  première  couche  d'argile, 
puis  d'une  seconde  couche  de  terre  végétale.  Les  deux  tertres  (b) 


(1)  Conant,  /.  c,  p.   18. 


LES  MOUND  BUILDERS.  i27 

diffèrent  comme  grandeur  :  celui  du  sud  avait  12  pieds  de  hauteur 
sur  27  pieds  de  diamètre  ;  celui  du  nord  4  pieds  seulement  de 
hauteur  et  un  diamètre  de  22  pieds.  Treize  petits  tertres  enfin, 
dont  les  dimensions  ne  sont  pas  données,  complètent  l'ensemble 
de  ce  groupe  remarquable,  qui  a  dû  coûter  à  ses  constructeurs  un 
travail  d'autant  plus  grand  qu'une  partie  des  matériaux  em- 
ployés ne  se  trouve  qu'à  des  distances  considérables. 

Voici    maintenant  l'explication   donnée  par  M.   Conant.   La 
tombe  principale  (a)  serait  la  dernière  demeure  d'un  grand  chef; 
La  Tortue  noire;  les  quatre  mounds  (f)  qui  forment  les  coins  du 
rectangle,  auraient  été  élevés  en  signe  du  deuil  de  la  tribu  ;  les 
tertres  secondaires  seraient  la  sépulture  d'autres  chefs,   et  les 
petits  mounds  érigés  au  nord  et  au  sud  correspondraient  au 
nombre  de  corps  qui  y  avaient  été  déposés.  Les  deux  tertres  en 
pointe  (d)  indiqueraient  que  la  Tortue  noire  était  le  dernier  de  sa 
race,  et  les  deux  grands  tertres,  l'importance  de  cette  race  et  delà 
dignité  qui  lui  appartenait.  Enfin  les  deux  mounds  (e)  à  droite 
et  à  gauche  de  la  tombe  royale  marqueraient  la  sépulture  des 
prophètes  ou  des  devins  qui  jusqu'à  nos  jours  ont  continué  à 
jouer  un  grand  rôle  parmi  les  tribus  Indiennes.  Les  fragments 
de  mica  (1)  trouvés  dans  ces  tombes  seraient  l'indication  de  leur 
dignité.  On  a  remarqué  en  effet  que  c'était  au  moyen  delà  réver- 
bération du  soleil  sur  des  plaques  de  mica,  que  les  prêtres  obte- 
naient le  feu  sacré  toujours  entretenu  avec  un  soin  superstitieux; 
et  que  que  quand  le  mica  se   rencontrait  dans  une  sépulture, 
il  était  rarement  accompagné  d'autres  objets,  des  poteries  ou  des 
silex  taillés,  par  exemple. 

De  tous  les  mounds  érigés  sur  le  sol  américain,  les  plus  curieux 
sans  contredit,  sont  ceux  qui  représentent  dés  animaux  (2).  On 
les  trouve  dans  l'Iowa,  l'Ohio,  l'illinois,  le  Missouri,  l'indiana  et 

(1)  Les  mines  où  se  rencontre  le  mica  se  trouvent  priucipalement  dans  les  monts 
Alleghanys.  Il  est  certain  qu'elles  ont  été  exploitées  de  toute  antiquité  dans  la  Caro- 
line du  Nord.  On  ne  connaît  aucune  mine  dans  lOhio,  où  le  mica  a  été  cependant  ren- 
contré en  grande  abondance.  [Nature,  1880,  T  sem.,  p.  71).  —  Foster,  Prehistoric  Races 
of  the  U.  S.,  p.  148. 

(2)  Ils  ont  été  reconnus  et  décrits  pour  la  première  fois  par  M.  W.  Pidgeon,  en  1853. 


Tertres 
animaux. 


128  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

en  général  dans  tous  les  étals  compris  dans  le  Far  West]  mais 
le  centre  principal  de  ces  singulières  érections  paraît  avoir 
été  le  Wisconsin,  où  on  les  compte  par  milliers  (1).  Ce  sont  des 
hommes  dont  le  corps,  la  tête,  les  bras,  les  jambes  sont  en- 
core reconnaissables,  des  mammifères,  qui  atteignent  jusqu'à 
60  mètres  de  longueur,  des  oiseaux  (2),  dont  les  ailes  ont  30  mètres 
et  plus  d'envergure,  des  reptiles,  des  tortues,  des  lézards  de 
dimensions  colossales;  dernièrement  encore  M,  Pidgeon  signa- 
lait dans  le  Minnesota,  une  immense  araignée  dont  le  corps  et  les 
pattes  couvraient  un  acre  de  terrain  (3). 

Ces  tertres  de  formes  diverses,  sont  groupés  sans  ordre  appa- 
rent, tantôt  à  côté  de  pyramides  ou  de  cônes  tronqués,  tantôt 
au  milieu  de  cercles  ou  de  parallélogrammes  qui  les  rattachent 
aux  constructions  que  nous  venons  de  raconter.  C'est  toujours 
la  même  pensée,  probablement  le  même  rite  ;  la  forme  seule 
varie.  A  Pewaukee  (Wisconsin),  on  peut  voir  réunis  sept  tortues, 
deux  lézards  et  quatre  tertres  de  forme  elliptique.  Une  des 
tortues,  la  plus  grande  de  celles  découvertes  jusqu'à  ce  jour,  ne 
mesure  pas  moins  de  450  pieds.  Un  peu  plus  loin,  dans  Dane 
County,  on  rencontre  tout  un  groupe  de  quadrupèdes  (4),  des 
bisons  scions  les  uns,  des  pumas  selons  les  autres.  Avec  beaucoup 
de  bonne  volonté,  on  peut  reconnaître  sur  d'autres  points,  des 
élans,  des  ours,  des  loups,  des  panthères,  des  aigles,  des  oies  sau- 
vages, des  hérons,  voire  même  des  grenouilles.  Ce  qui  est  plus  cer- 
tain, c'est  qu'il  est  facile  d'apercevoir  de  loin  ces  tertres  dans  les 
vastes  plaines  de  l'ouest,  bien  que  leur  hauteur  dépasse  rare- 

(1)  Quelques  Américanistes  ont  supposé  que  les  tertres  animaux  étaient  peut-être 
flestinés  à  reproduire  le  totem  ou  le  signe  distinctif  de  la  tribu.  Ce  signe  était  le  plus 
souvent  un  animal,  l'aigle,  le  loup,  l'ours,  la  tortue,  le  renard  par  exemple.  Les  fai- 
bles rapports  que  nous  trouvons  entre  les  Indiens  actuels  et  les  Mound-Builders  per- 
mettent de  douter  de  cette  conjecture. 

(2)  On  vient  de  découvrir  récemment  des  mounds  en  forme  d'oiseaux  dans  le 
comté  de  Putnam  (Géorgie).  C'est  là  un  fait  intéressant,  car  jusqu'à  présent  on  ne 
connaissait  de  tertres  semblables,  que  dans  les  États  du  Nord  et  de  l'Ouest  {Bird 
Shape  Mounds  in  Putnam  County  {Georgia)  Ant.  Inst.  of  Great  Brilain  and  Ireland, 
1879. 

(3)  Conant,  l.  c,  p.  9G. 

(4)  Leur  longueur  varie  de  82  à  114  pieds. 


LES  MOUND  BUILDERS. 


129 


ment  deux  mètres  et  s'abaisse  souvent  jusqu'à  quelques  centi- 
mètres (1). 

Parmi  les  mounds  justement  célèbres  de  l'autre  côté  de  l'At- 
lantique, nous  choisirons  une  figure  humaine  (fig.  34).  Il  n'est 


Fig.  34.  —  Tertre  figurant  un  homme. 

guère  possible  de  se  méprendre  sur  l'intention  qui  a  présidé  à 
son  exécution.  Une  tradition  plus  ou  moins  ancienne,  veut  que  ce 
mound  ait  été  érigé  en  l'honneur  d'un  chef  tué  dans  un  combat. 
Le  petit  tertre  placé  entre  ses  jambes,  aurait  été  consacré  à  la  mé- 
moire du  fils,  tué  en  combattant  à  côté  de  son  père.  On  peut 
également  citer  l'Alligator  de  Granville  (Ohio)  (fig.  35),  la 
longueur  du  corps  est  de  205  pieds,  celle  de  chacune  de  ses 
pattes  de  20  pieds  ;  le  lézard  du  comté  de  Licking  ;  un  masto- 
donte (fig.  36)  (2)  situé  à  une  petite  distance  de  la  jonction  du 
Wisconsin  et  du  Mississipi.  Ce  dernier  tertre  imite  si  exactement 
les  formes  et  les  proportions  de  l'animal,  qu'il  paraît  impossible 

(1)  Il  convient  d'ajouter  que  les  nombreuses  fouilles  qui  ont  été  tentées  sous  des 
mounds  de  cette  catégorie  n'ont  jamais  rien  produit. 

(2)  On  signalait  récemment  des  figures  d'animaux  grossièrement  gravées  sur  les 
parois  d'une  caverne  située  dans  la  vallée  de  la  Crosse  auprès  de  West  Salem  (Wiscon- 
sin) et  qui  avait  longtemps  servi  d'habitation  à  l'homme.  Parmi  ces  animaux  on  a  cru 
aussi  reconnaître  le  mastodonte  {Americ.  Antiquarian,  avril  1880). 

De  Nadaillac,  Amérique.  9 


130  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

que  l'artiste  ne  l'eût  sous  les  yeux,  ou  tout  au  moins  qu'il  n'en 
eût  pas  connaissance  par  une  tradition  récente  (1). 


Secizon.    courue    cf&  ùz   ntortôzffrvc 


Fig.  35.  —  Tertre  représentant  un  Alligator  (vallée  du  Mississipi). 

Un  singe  découvert  dans  le  Wisconsin  peut  avoir  160  pieds  de 
longueur.  Sa  queue  forme  un  demi-cercle  qui  déroulé  ne  mesu- 


Fig.  36.  —  Tertre  figurant  un  mastodonte. 

rerait  pas  moins  de  320  pieds  (2).  Un  oiseau  est  représenté  au 

(1)  Smilh.  Cont.,  1872,  p.  416. 

(2)  Foster,  Pre/tMfonc  Races,  p.  101. 


LES  MOUND  BUILDERS.  iSt 

moment  de  s'envoler  ;  sous  l'une  des  ailes  on  remarque  un  petit 
tertre  elliptique.  M.  Lapham  prétend  y  voir  toute  une  allégorie; 
l'oiseau  conduit  à  la  terre  des  esprits,  l'âme  de  celui  auquel  le 
mound  était  consacré;  et  cette  âme  est  figurée  par  le  petit  tertre 
sous  son  aile  (1). 

Nous  ne  saurions  omettre  le  grand  serpent  érigé  sur  une 
colline  qui  domine  le  Brush-Creek  (Adam's  County,  Ohio). 
Ses  replis  donnent  une  longueur  de  700  pieds  environ  et  il 
semble  avaler  un  œuf,  qu'il  tient  dans  sa  gueule  et  qui  est  repré- 
senté par  un  tertre  elliptique  dont  le  grand  axe  mesure  160  pieds. 
Il  est  probable  qu'ici  encore  nous  sommes  en  présence  d'une 
allégorie.  Le  serpent  joue  un  grand  rôle  dans  la  mythologie 
des  anciens  Américains.  Nous  le  voyons  représenté  sur  leurs 
poteries   (fig.    37).    Sur    dix-huit    coquilles   de    Pyrula    con- 


Fig.  37.  —  Coupe  en  basalte. 

servées  au  Peabody  Muséum,  et  qui  ont  servi  d'ornements  à 
ces  hommes  inconnus,  treize  portent  gravé  le  corps 'd'un  ser- 
pent. Le  musée  de  Washington  possède  une  pipe  qui  représente 
une  figure  humaine  portant  un  serpent  roulé  autour  du  cou, 
et  celui  de  Mexico  un  vase  remarquable  par  l'élégance  de  ses 
formes,  dont  l'anse  est  formée  par  un   serpent. 

Nous  avons  des  exemples  plus  curieux  encore.  On  rencontre 
sur  plusieurs  points,  sans  que  nous  puissions  l'interpréter,  la 
représentation  d'un  serpent  avalant  la  tête  d'une  tortue.  Les 
Dominicains  de  Mexico  ont  conservé,  au-dessus  de  leur  porte 

(1)  Ant.  of  Wisconsin,  pi.  XLVI,  fig.  4. 


132  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

d'entrée,  un  antique  bas-relief,  où  Ton  peut  voir  un  serpent 
broyant  dans  ses  replis  une  victime  humaine.  A  Chichen-Itza, 
des  serpents  colossaux  sont  peints  et  gravés  sur  les  murs  des 
palais.  Auprès  de  Jalapa,  dans  la  province  de  Vera-Cruz,  on 
distingue  un  serpent  de  15  pieds  de  longueur  sculpté  sur 
un  rocher  (1),  et  ces  mêmes  serpents  se  trouvaient  sur  les  bas- 
reliefs  du  temple  de  Huitzilopochtli,  qui  remonte  au  temps  de  la 
grandeur  des  Aztecs,  comme  sur  les  murs  des  édifices  de  Cuzco, 
témoins  de  la  splendeur  péruvienne. 

Le  nom  même  des  peuples  rappelle  le  culte  du  serpent.  Les 
Nahuas,  qui  partagent  avec  les  Mayas  l'honneur  des  premières 
civilisations  connues  de  l'Amérique,  sont  souvent  appelés  les 
Culhiias  ou  les  hommes  de  la  race  du  serpent^  et  chez  les  Mayas, 
l'Empire  de  Xibalba  était  connu  sous  le  nom  de  l'empire  des 
Chanes  ou  des  serpents.  Ne  doit-on  pas  faire  remonter  à  cette 
origine  la  vénération  que  certaines  tribus  Indiennes  du  Nouveau 
Mexique  professent  encore  aujourd'hui  pour  un  serpent  à  son- 
nettes très  redoutable,  la  Vivora  Grande?  Ils  le  conservent  dans 
certaines  grottes  de  leurs  montagnes,  dont  ils  cachent  l'accès 
avec  un  soin  jaloux,  et  où  ils  vont,  dit-on,  l'adorer  en  secret  (2). 

Un  groupe  étrange  s'élève  sur  la  rive  nord  du  Wisconsin 
(fig.  38)  et  offre  aux  explorateurs  une  véritable  énigme  (3). 
Il  comprend  un  élan  de  180  pieds  de  longueur  placé  horizon- 
talement et  une  représentation  humaine  de  160  pieds,  per- 
pendiculaire au  premier.  L'homme  s'appuie  sur  un  talus  de 
80  pieds  de  longueur,  sur  6  de  hauteur  et  27  de  diamètre. 
Sur  la  même  ligne,  on  voit  une  série  de  tertres  gradués  de  forme 
conique  ;  le  plus  grand  présente  le  même  diamètre  que  celui 
sur  lequel  l'homme  s'appuie.  Est-ce  là  seulement  un  rapproche- 
ment fortuit?  C'est  ce  qu'il  est  impossible  de  dire.  Les  deux 
bois  de  l'élan  sont  de  grandeur  inégale  et  à  ses  pieds  est  un  de 
ces  tertres  coniques  de  grande  dimension,  qui  signifient  l'ex- 

(1)  Rivcro,  Uist.  de  Jalapa.  Mexico,  1869,  t.  I,  p.  7. 

(2)  Baiidelier,  Ruins  of  the  Pueblo  ofPecos. 

(3)  Conant,  l.  c,  p.  32  et  s. 


LES  MOUND  BUILDERS. 


i33 


tinction  d'une  race.  Ce  groupe  aurait  été,  rapporte-t-on,  consa- 
cré à  l'alliance  de  deux  tribus,  dont  l'élan  et  le  buffle  étaient 
les  totem,  ou  les  armes  parlantes.  Ces  tribus  jadis  puissantes, 
épuisées  par  de  longues  et  sanglantes  luttes,  s'étaient  réunies 
pour  la  défense  commune,  et  leur  alliance  est  indiquée  par  la 
jonction  de  la  main  de  l'homme  et  du  pied  de  l'élan.  Les  deux 
tertres  à  droite  et  à  gauche  étaient  des  autels,  sur  lesquels  on 
offrait  chaque  année  des  sacrifices  en  mémoire  de  l'union  des 
deux  tribus.  Une  couche  de  terre  brûlée,  de  cendres  et  de  char- 


Oçjj   Q 


Fig.  38.  —  L'homme  et  l'élan,  tertre  situé  dans  le  Wisconsin. 


bons,  atteignant  jusqu'à  14  pouces  d'épaisseur,  paraît  justifier 
cette  destination.  Un  vieil  arbre  a  poussé  ses  racines  sur  les 
tertres  ;  ses  cercles  concentriques  attestent  une  vie  de  424  ans  ; 
c'est  la  seule  donnée  que  nous  ayions  sur  l'âge  de  ce  groupe 
intéressant. 

Plusieurs  mounds  présentent  une  variété  qu'il  faut  signaler. 
Les  animaux,  de  dimensions  à  peu  près  semblables  à  celles  que 
nous  venons  de  dire,  sont  figurés  non  plus  en  relief,  mais  en 
creux  ;  non  plus  par  un  tertre,  mais  par  une  excavation.  Nous 
citons  le  fait,  tout  en  reconnaissant  que  l'imagination  peut  ici  se 
donner  libre  carrière. 

Sur  d'autres  points^  on  nous  dit  les  représentations  d'objets 
inanimés,  une  croix   sur  les  bords  du  lac  Michigan  (1);  dans 

(1)  Lapham,  Ant.  of  Wisconsin,  p.  20  et  39,  pi.  XXXI,  fig.  2  et  3. 


134  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

rOhio,  une  croix  cette  fois  de  forme  grecque  de  27  mètres  de 
longueur,  et  portant  au  centre  un  grand  bassin  de  6  mètres  de 
profondeur.  On  peut  aussi  distinguer  une  croix  dans  la  vallée 
formée  par  la  rivière  Rock.  Ses  bras  paraissent  être  égaux; 
mais  déjà  la  charrue  a  commencé  son  œuvre  de  destruction,  et 
il  n'est  plus  possible  de  s'assurer  de  leur  longueur.  Un  tertre 
sur  les  bords  du  Scioto  (1)  représente  un  bateau  de  48  mètres 
de  longueur  sur  27  mètres  de  largeur;  un  peu  plus  loin,  l'explo- 
rateur découvre  des  groupes  qu'il  peut  regarder  selon  sa  fan- 
taisie du  moment,  comme  des  massues  ou  comme  des  pipes. 
Nous  ne  sommes  pas  disposés  à  attacher  une  importance  très 
grande  à  des  ressemblances  probablement  toutes  fortuites. 
Canaux.  Mais  si  nous  restons  incrédules  devant  certaines  représenta- 

tions, que  l'on  prétend  nous  faire  admettre,  il  est  difficile  de  se 
défendre  d'un  sentiment  d'étonnement,  en  voyant  ces  hommes 
entreprendre  des  travaux  aussi  gigantesques,  et  les  achever  par 
leur  seul  nombre  et  avec  leurs  seules  forces,  et  cela  au  moyen  de 
quelques  misérables  silex,  tout  au  plus  de  quelques  outils  en 
cuivre.  Le  fer  et  le  bronze  paraissent  leur  avoir  été  toujours 
inconnus  (1)  et  sur  aucun  point  du  vaste  territoire  qu'ils  ont 
occupé,  les  fouilles  n'ont  révélé  l'existence  ou  l'emploi  d'un 
autre  métal  que  le  cuivre.  Mais  cet  étonnement  redouble, 
quand  on  nous  les  montre  creusant  des  canaux  pour  établir  des 
communications  par  eau,  le  signe  éclatant  d'une  population 
nombreuse,  d'un  commerce  important,  d'une  civilisation 
avancée  (2).  On  a  reconnu  récemment  dans  le  Missouri,  la  trace 
de  ces  canaux.  Le  D""  C.  Swallow,  directeur  de  l'exploration 
géologique  de  l'État,  les  signalait  à  l'attention  des  archéologues 
et  en  décrivait  un  qui  avait  30  pieds  de  largeur  sur  12  pieds  de 
profondeur.  11  en  existe  sur  divers  autres  points.  Tous  sont  sys- 
tématiquement conçus  et  exécutés  avec  une  grande  intelligence 
des  difficultés  du  terrain  et  sans  doute  aussi  des  besoins  de  la 
population.  Les  tremblements  de  terre  ont  oblitéré  sur  bien  des 

(1)  W.  de  Uass,  Aixh.  of  tfie  Mississipi  Valley;  Am.  Ass.  Chicago,  1868. 

(2)  Conant,  /.  c,  p.  17. 


I 


LES  MOUND  BUILDERS.  ^35 

points  leurs  tracés,  les  progrès  de  la  culture  nivellent  incessam- 
ment les  levées  ;  mais  il  est  facile  aujourd'hui  encore  de  recon- 
naître l'œuvre  de  l'homme,  et  on  a  pu  suivre  sur  un  parcours  de 
soixante-dix  milles  une  série  de  canaux  qui  mettaient  le  Missis- 
sipi  en  communication  avec  Big  Lake,  Cushion  Lake  et  CoUins 
Lake(l).  Sur  ces  canaux,  on  naviguait  avec  des  barques,  les 
Mound-Builders,  il  est  permis  aujourd'hui  de  l'affirmer,  savaient 
les  excaver  dans  des  troncs  d'arbres  à  l'aide  du  feu  (2).  C'étaient 
les  procédés  analogues  à  ceux  employés  en  Europe  à  l'origine 
de  la  navigation.  Des  découvertes  récentes  font  également  con- 
naître les  palafittes  qui  s'élevaient  sur  les  grands  lacs  du  Nord  (3). 
Partout  les  mêmes  besoins  amènent  les  mêmes  efforts  de  l'in- 
telligence, les  mêmes  créations  de  l'industrie.  C'est  là  un  point 
d'une  véritable  importance. 

Quels  étaient  donc  ces  Mound-Builders,  dont  l'existence  nous  a 
été  si  subitement  révélée  ?  D'où  sont-ils  venus?  Comment  ont-ils 
disparu  ?  Ce  sont  là  des  interrogations  que  nous  répétons  sans 
cesse,  elles  dominent  tout  notre  travail.  Avant  d'aborder  ces 
questions  si  difficiles,  si  insolubles  même  dans  l'état  actuel  de 
nos  connaissances,  il  faut  décrire  les  poteries,  les  ornements,  les 
reliques  de  toute  sorte,  qui  restent  comme  les  témoins  de  ces 
hommes.  Leur  étude  permettra  de  mieux  saisir  les  liens  qui  les 
rattachent  aux  autres  races  américaines. 

(1)  Lettre  de  M.  Carlton,  citée  par  Conant,  Foot  Prinis  of  Vanished  Races,  p.  78. 

(2)  Schoolcraft,  Archives  of  Aboriginal  Knowledge,  t.  I,  p.  16. 

(3)  Am.  Antiquarian,  Jan.  1881,  p.  141. 


ancienne. 


CHAPITRE    IV 


POTERIE,  ARMES,  ORNEMENTS  DES  MOUNDBUILDERS. 
LEUR  ORIGINE  ET  LEURS  MIGRATIONS. 


r.éramiq.m  La  céramiquc  dans  ses  produits  les  plus  humbles  a  été  une  des 
premières  créations  de  l'homme.  Les  vases  étaient  indispen- 
sables à  son  alimentation,  et  si  haut  que  nous  puissions  remonter, 
nous  les  voyons  parmi  les  reliques  qui  attestent  sa  présence.  Ils 
servaient  aux  actes  religieux,  ils  servaient  aux  honneurs  funé- 
raires et  dans  des  pays  bien  divers,  ils  étaient  déposés  à  côté  du 
mort,  selon  un  rite  consacré.  Un  collège  de  potiers  fut  établi 
à  Rome,  par  Numa  ;  une  famille  de  potiers,  ouvriers  du  roi, 
est  mentionnée  dans  la  généalogie  de  la  tribu  de  Juda,  et  l'au- 
teur de  l'Ecclésiaste  les  montre  assis  près  de  la  roue,  qu'ils  fai- 
saient tourner  avec  leurs  pieds.  Agathocle,  roi  de  Sicile,  offrant 
à  ses  amis  des  vases  en  métaux  précieux,  leur  disait  qu'ils  avaient 
été  copiés  sur  des  modèles  en  terre  façonnés  par  lui,  alors  qu'il 
était  potier  (1)  ;  et  chacun  connaît  les  curieuses  poteries  décou- 
vertes à  Troie  par  le  D""  Schliemann.  Les  plus  belles  remontent 
à  la  ville  de  Dardanus,  que  Tlépolème  raconte  avoir  été  détruite 
par  son  aïeul  Hercule  (2).  Mais  toutes  ces  poteries  attestent  déjà 
un  art  considérable;  nous  sommes  loin  sans  doute  des  premiers 
produits  céramiques;  leur  fabrication  était  trop  grossière,  leur 

(1)  Diodore  de  Sicile,  liv.  XIX. 

(2)  Iliade,  liv.  V,  v.  642.  . 


POTERIE.  i:n 

cuisson  trop  imparfaite,  pour  qu'ils  pussent  se  conserver  jus- 
qu'à nous.  L'homme  dès  les  débuts  de  l'humanité,  avait  été 
frappé  de  la  ténacité  et  de  la  plasticité  de  l'argile  humide  qui 
gisait  à  ses  pieds  (1).  Le  hasard  même  devait  l'amener  à  la 
pétrir;  la  houle,  jouet  d'un  moment  rapidement  abandonné, 
durcissait  aux  rayons  ardents  du  soleil.  Les  creux  imprimés  avec 
ses  doigts,  imitaient  ceux  des  rochers,  ou  cet  homme  allait  pui- 
ser l'eau  qui  lui  était  nécessaire.  Ces  faits  ne  pouvaient  échap- 
per à  son  observation,  à  l'esprit  d'imitation  inné  chez  nous  ;  le 
feu  séchait  plus  vite  que  le  soleil  ces  vases  grossiers,  il  apprit 
à  l'utiliser.  La  cuisson  de  ses  aliments  fut  un  de  ses  premiers 
besoins,  une  première  distinction  entre  lui  et  l'animal;  l'instinct, 
puis  la  réflexion  devaient  le  conduire  à  couvrir  de  terre  les  bois, 
ou  les  gourdes  qu'il  exposait  au  feu.  Goguet  rapporte  que  le 
capitaine  Gonneville,  visitant  en  1503  les  Indiens,  vit  chez  eux 
des  vases  en  bois  que  l'on  recouvrait  d'une  épaisse  couche  d'ar- 
gile, avant  de  les  présenter  à  la  flamme  (2).  Cook  signale  à 
Unalashka  des  vases  fabriqués  avec  une  pierre  plate,  à  laquelle 
on  collait  des  parois  en  argile  (3).  Sur  d'autres  points  on  trouve 
des  vases  qui  paraissent  avoir  été  durcis  en  mettant  dans  la  partie 
concave  des  charbons  ardents  (4).  Les  indigènes  de  l'île  Murray 
font  cuire  leurs  aliments  dans  un  trou  creusé  en  terre  qu'ils 
ont  soin  d'enduire  d'argile  suffisamment  pétrie,  avant  d'allumer 
le  feu  (5).  Les  Indiens  du  golfe  de  Floride  modelaient  leurs  vases 
sur  des  gourdes,  et  pour  ceux  d'une  capacité  plus  grande,  ils  se 
servaient  de  paniers  en  joncs,  en  lianes,  en  cordes  même,  dont 
il  est  encore  possible  de  reconnaître  la  marque  (6).  Quelques- 

(1)  «  Clay  is  a  matei'ial  so  generally  diffased  and  its  plastic  nature  so  casily  disco- 
vcred,  that  the  art  of  working  it  does  not  exceed  the  intelligence  of  the  rudest  sa- 
vage.  »  Birch,  Ancient  Pottery,  Introduction,  p.  1. 

(2)  Mémoire  touchant  rétablissement  d'une  mission  Chrestienne  dans  le  troisième 
monde,  autrement  appelé  la  Terre  Australe.  Paris,  1663,  publié  par  l'abbô  Paulmier  de 
Gonneville,  un  des  descendants  du  capitaine. 

(3)  Voyage  dans  l'Océan  Pacifique,  t.  II,  p.  510. 

(4)0npeut  voirundecesvasesauPeabodyMuseum.il  porte  le  n°  7,756  du  catalogue. 

(5)  Lubbock,  L'Homme  pré/i.  trad.  Barbier,  p.  449. 

(6)  Rau,  Indian  Potlery.  Smith.  Cont.,  1866.  —  Tylor,  Early  Hist.  of  Mankind, 
p.  73.  —  Proceedings  Anth.  Soc.  of  Washington,  1879-80. 


138  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

uns  ont  dû  être  modelés  sur  des  tissus  grossiers,  sur  des  moules 
en  bois  qui  disparaissaient  dans  la  cuisson,  mais  dont  les  traces 
indélébiles  subsistent  encore  aujourd'hui.  Bien  des  systèmes, 
ont  pu  être  employés  pour  la  fabrication  des  premières  pote- 
ries ;  il  est  probable  que  tous  l'ont  été  et  ont  amené  ou  perfec- 
tionné cette  utile  découverte. 

En  Amérique,  on  a  trouvé,  comme  nous  l'avons  raconté,  des 
débris  de  poterie  dans  les  cavernes,  ces  premières  demeures  de 
rhomme,  sous  les  kjôkkenmôddings  qui  attestent  sa  longue  rési- 
dence ;  mais  ce  sont  surtout  les  mounds,  et  parmi  les  mounds, 
ceux  destinés  aux  sépultures,  qui  ont  livré  les  pièces  les  plus 
importantes. 

Les  vases  funéraires  remontent  à  la  plus  haute  antiquité. 
Le  sentiment  de  l'immortalité,  si  profondément  gravé  en  nous, 
se  révèle  avec  éclat.  L'homme,  quelque  sauvage,  quelque  dé- 
gradé que  l'on  veuille  le  supposer,  s'affirme  au  delà  de  la  vie, 
qui  s'écoule  si  rapidement  pour  lui.  Il  n'admet  pas  qu'il  doive 
disparaître  à  jamais,  comme  l'herbe  qu'il  foule  à  ses  pieds, 
comme  l'animal  victime  de  ses  besoins  ou  de  ses  plaisirs.  Sa 
pensée,  sans  doute,  ne  s'élève  guère  au-dessus  des  jouissances  d'un 
ordre  tout  matériel,  au-dessus  d'une  existence  libre  de  travail  et 
de  soucis  ;  cette  existence,  il  prétend  l'assurer  à  ceux  qu'il  a  aimés, 
dans  ce  monde  inconnu  où  la  mort  les  conduit.  De  là,  ces 
objets  nombreux  et  variés  que  les  tombes  nous  livrent,  comme  le 
secret  des  hommes  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays. 

C'est  dans  les  vallées  du  Missouri  et  de  ses  affluents  que 
l'on  rencontre  les  poteries  les  plus  intéressantes,  comme  forme 
et  comme  ornementation  (1).  Le  pays  avait  été  habité  par  une 
race  d'hommes  ayant  des  villes,  un  gouvernement,  un  système 
religieux,  des  goûts  artistiques,  une  race  différente  de  tous  points 
des  misérables  Indiens,  que  les  Français,  les  premiers  explo- 
rateurs du  Missouri  et  du  Mississipi,  eurent  à  combattre.  Saint- 


(1)  E.  Evers,  Ancient  Pottery  of  Missouri;  Saint-Louis  Academy  of  Science,  1880. 
-  Conant,  Fool  P'ints of  Vanis/ied  Races.  Saint-Louis,  1879. 


POTERIE.  139 

Louis  (1),  une  des  villes  fondées  par  nos  ancêtres,  est  quelque- 
fois appelée  Moimd-City  à  raison  du  nombre  de  mounds  qui 
l'entourent  et  qui  restèrent  longtemps,  sans  même  être  remar- 
qués par  les  rudes  travailleurs,  premiers  colons  du  pays.  Ces 
mounds,  à  en  juger  par  les  objets  qu'ils  renferment,  sont  moins 
anciens  que  ceux  de  l'Ohio  ou  du  W  isconsin.  Les  fragments  de 
poterie  qu'ils  ont  donnés  sont  innombrables.  On  cite  un  seul 
mound,  où  il  a  été  recueilli  plus  de  mille  spécimens  (2).  Les  sé- 
pultures fouillées  à  Sandy-Woods  en  ont  donné  à  peu  près 
autant  (3).  Les  nombreux  débris  trouvés  sur  certains  points  du 
Michigan  ont  fait  supposer  l'existence  de  véritables  fabriques  (4). 
Les  collections  de  l'Académie  de  Saint-Louis  renferment  plus 
de  quatre  mille  exemplaires  choisis  avec  soin,  et  il  est  cer- 
tain qu'un  nombre  bien  autrement  considérable  a  dû  être  brisé 
et  dispersé  avant  que  leur  importance  ne  fût  soupçonnée.  Ainsi 
dans  l'Etat  de  Vermont,  on  ne  cite  que  six  vases  restés  intacts 
parmi  tous  ceux  qui  ont  été  découverts  (5).  Ces  fragments 
qui  ont  défié  les  siècles  sont  les  témoins  impérissables  de  ces 
hommes  dont  le  souvenir  même  était  complètement  effacé  chez 
ceux  qui  les  ont  remplacés. 

La  céramique  fabriquée  en  Amérique,  comparée  à  celle  de   Modes  de  fa- 
l'Europe  durant  la  même  période  de  développement,  était  évi- 
demment très  supérieure.  C'est  là  une  première  remarque  qui 
s'impose  (6).  Il  est  probable  aussi  que  les  fragments  en  grand 

(1)  Saint-Louis  est  la  ville  la  plus  importante  de  l'État  de  Missouri,  dont  Jeflferson 
est  la  capitale. 

(2)  On  ne  doit  guère  s'étonner  de  ce  nombre.  Qui  ne  connaît  à  Rome  la  colline  en- 
tièrement formée  des  débris  de  la  potei-ie  des  anciens  Romains,  et  pour  ne  citer  qu'un 
autre  exemple,  on  a  trouvé  à  Arles  des  fragments  en  assez  grande  quantité  pour  que 
les  remblais  du  chemin  de  fer,  qui  traverse  le  pointe  nord  de  la  Camargue,  eu  soient 
exclusivement  formés  sur  une  longueur  de  2  kilomètres. 

(3)  W.  P.  Potter,  Arch.  Remains  in  S.  E.  Missouri.  Sai7ît-Louis  Acad.  of  Science, 
1880. 

(4)  Gillman,  Report  Peabody  Muséum,  t.  I. 

(5)  G.  H.  Perkins,  General  Remarks  upon  the  Arch.  of  Vermont.  Proc.  Am.  Ass, 
for  the  Advancemer.t  of  Science.  Saint-Louis,  1878. 

(6)  Nous  ne  connaissons  chez  aucune  des  nations  occidentales  de  l'Europe,  pas 
même  chez  les  lacustres  suisses,  dont  la  civilisation,  sous  certains  rapports  était  très 
avancée,  ces  figurines  représentant  soit  des  hommes,  soit  des  animaux. 


140  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

nombre,  qui  restent  sans  date  pour  nous,  remontent  à  des  époques 
reculées.  Il  est  rare  qu'ils  soient  associés  à  des  objets  en  métal, 
et  les  seules  armes  des  Mounds-Builders  étaient  des  haches,  des 
couteaux  ou  des  flèches  en  silex,  qui  ressemblent,  comme  forme 
et  comme  travail,  à  ceux  de  nos  régions,  durant  ces  temps 
auxquels  les  archéologues  ont  donné  le  nom  d'âge  de  pierre. 

La  poterie  des  Mounds-Builders  était  façonnée  avec  une  argile 
grise  assez  foncée,  tirant  quelquefois  sur  le  bleu;  pour  lui  don- 
ner plus  de  consistance,  le  potier  la  mélangeait  avec  du  sable, 
avec  des  fragments  de  coquilles  dans  le  Mississipi,  avec  des 
grains  de  quartz,  de  mica  ou  de  feldspath  dans  le  Yermont  ; 
sur  d'autres  points,  avec  de  petits  nodules  de  carbonate  de 
chaux  (1).  Les  vases  les  plus  épais  et  les  plus  grossiers  étaient 
les  seuls  pour  lesquels  on  négligeait  ce  soin.  Par  contre  les  po- 
teries plus  fines  étaient  mêlées  de  gypse  et  l'on  arrivait  ainsi 
à  dés  nuances  plus  claires.  La  pâte  étant  suffisamment  pé- 
trie et  amenée  à  la  forme  voulue,  l'ouvrier  lissait  le  vase  à  la 
main  et  le  faisait  sécher  d'abord  très  probablement  au  soleil, 
plus  tard  à  un  feu  vif,  ce  qui  ne  pouvait  amener  qu'une  cuisson 
fort  imparfaite.  Aussi  Squier  et  Davis,  dans  leur  remarquable 
travail  sur  les  mounds  de  la  vallée  du  Mississipi,  affirment-ils 
l'existence  de  véritables  fours,  destinés  à  la  cuisson  de  la  po- 
terie (2).  D'autres  explorateurs  signalent  ces  mêmes  fours  auprès 
de  Cedar-City,  qui  s'élève  sur  les  ruines  d'une  vieille  ville  az- 
tèque (3).  Mais  rien  ne  prouve  qu'ils  soient  d'une  antiquité  très 
reculée  et  il  est  probable  que  leur  construction  indiquait  un 
progrès,  que  le  temps  seul  pouvait  amener.  Il  ne  serait  pas  non 
plus  impossible  que  les  anciens  Américains  ne  se  fussent  servi 
d'un  procédé,  naguère  encore  en  usage  chez  les  Indiens  de  la 
Californie;  ils  rangeaient  les  pièces  destinées  à  la  cuisson,  dans 
de  grands  trous  creusés  en  terre  et  chauffés  à  l'aide  de  feux  de 

(1)  W.  de  Hass.,  Arch.  of  the  Mississipi  Valley.  Proc.  Am.  Ass.  Chicago,  1868. 

(2)  Ane.  Mon.  of  the  Mississipi  Valley.  —  Bancroft  dit  :  «  Pottery  kilas  were  found 
in  tlie  South  :  but  that  they  wore  tlie  work  of  the  Mound-Builders  has  not  been  satis- 
factorily  proven.  »  {The  Native  Races,  t.  IV,  p.  780.) 

(3)  Remy  and  Brenchley,  A  Jourmy  to  Great  Sait  Lake  City.  London,  1861. 


POTERIE.  141 

bois  menu  et  flambant  (1).  Il  est  d'autres  hypothèses  encore  ; 
mais  pas  plus  que  celles  que  nous  venons  de  mentionner,  elles 
ne  peuvent  donner  de  certitude. 

Ce  fut  plus  tard  aussi  que  les  races  indigènes  de  l'Amérique 
se  servirent  du  moulage.  Ce  mode  était  certainement  connu 
des  Mexicains  et  des  Péruviens;  les  moules  retrouvés  sur  des 
points  bien  différents  ne  peuvent  laisser  de  doute  à  cet  égard  ; 
mais  il  dut  être  précédé  de  longs  tâtonnements.  Nous  avons  dit 
les  gourdes,  les  paniers  en  jonc  ou  en  lianes,  enduits  d'argile 
et  exposés  ensuite  à  la  flamme.  Ce  furent  sans  doute  là,  les 
premiers  essais;  de  nombreux  tessons  que  l'on  recueille,  portent 
les  marques  de  leur  origine,  et  dans  leur  pâte  il  existe  des  débris 
de  charbon  provenant  évidemment  des  matières  végétales 
employées  (2).  Il  serait  difficile  d'indiquer  tous  les  modes  de 
fabrication  ;  on  conçoit  qu'elle  devait  sensiblement  varier  selon 
le  temps  et  selon  la  région.  La  poterie  du  Missouri  était  supé- 
rieure à  celle  de  l'Ohio  ;  celle  du  Rentucky  ou  celle  de  la  Vir- 
ginie ne  peuvent  être  comparées  à  celle  de  l'îllinois;  celle  du 
Michigan  est  probablement  la  plus  grossière  de  toutes.  Si 
même,  ce  qui  est  fort  douteux,  ces  poteries  remontent  à  des 
époques  identiques,  les  différences  qui  existent  entre  elles  s'expli- 
quent par  la  rareté,  l'absence  même  de  toute  communication 
entre  des  tribus,  dispersées  sur  de  vastes  étendues  de  territoire 
et  absorbées  par  les  difficultés  matérielles  de  la  vie. 

La  capacité  des  vases  variait  naturellement  selon  leur 
destination.  Il  en  est  de  quelques  centilitres  ;  il  en  est  de 
plusieurs  litres.  Cockburn,  un  des  rares  voyageurs  qui  par- 
vint, au  siècle  dernier,  à  traverser  le  continent,  du  golfe  de  Hon- 
duras au  grand  Océan  (3),  en  cite  d'une  contenance  de  dix  gal- 


(1)  Schumacher,  Reports  Peabody  Muséum,  1879,  t.  II,  p.  521  et  s. 

(2)  Le  prof.  Swallow  a  constaté  ce  fait  dans  les  fouilles  de  Big-Mound  (fig.  31).  Report 
Peabodij  Muséum,  t.  I. 

(3)  A  Journey  over  Land^  from  the  Gulf  of  Honduras  to  the  Great  South  Sea.  Lon- 
don,  1735.  En  1527,  quatre  des  compagnons  de  Pamfilo  de  Narvaez,  après  l'échec  de 
leurs  tentatives  de  colonisation  dans  la  Floride,  allèrent  du  golfe  du  Mexique  au  Pacifique. 
Gettepremièreexpédition  transcontinentale  dura  neuf  ans  et  s'accomplit  après  des  soûl- 


M42  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Ions  (1),  et  il  est  possible  d'en  trouver  de  plus  grands  encore. 
La  roue  du  potier  paraît  avoir  été  inconnue  dans  l'Amérique 
du  Nord  comme  dans  l'Amérique  du  Sud.  Cependant  en  voyant 
le  fini  et  la  régularité  de  certaines  pièces  parvenues  jusqu'à  nous, 
il  est  difficile  de  croire  que  les  ouvriers  qui  les  façonnaient 
n'eussent  aucun  moyen  mécanique  à  leur  disposition  pour  ame- 
ner une  uniformité  de  pression.  Tel  est  l'avis  d'éminents  archéo- 
logues, après  un  examen  attentif  de  plusieurs  poteries  provenant 
des  fouilles  auprès  de  New-Madrid  (2).  Malheureusement  ces 
pièces  tombèrent  en  fragments,  dès  qu'elles  furent  exposées  à 


Fig.  39.  —  Bouteille  cuite  au  feu  provenant  d'un  mound  du  Missouri. 

l'air.  Leur  examen  est  donc  désormais  impossible  et  le  problème 
reste  entier. 

Les  formes  très  variées  des  poteries  américaines  se  rapprochent 


frances  inouïes,  dont  un  des  explorateurs  Cabeça  de  Vaca  a  conservé  le  récit  (Ternaux- 
Compans,  t.  VII,  V  série).  —  Perkins,  Am.  Ass.,  Buffalo,  1876. 

(1;  Le  gallon  équivaut  à  4,54  litres. 

(2)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races. 


POTERIE. 


143 


curieusement  de  celles  des  poteries  préhistoriques  (1)  de  l'an- 
cien continent,  de  celles  mêmes  de  nos  poteries  modernes  (2). 
Partout,  répétons-le,  car  c'est  l'idée  dominante  de  notre  travail, 
les  mêmes  besoins  ont  enfanté  chez  l'homme  les  mêmes  efforts 
de  l'intelligence,  les  mêmes  créations  de  l'industrie.  Quelques- 
unes  de  ces  poteries  sont  peintes;  les  couleurs  les  plus  fréquem- 
ment employées  sont  le  noir  ou  le  gris  très  foncé.  On  voit 
cependant  des  vases  rouges,  jaunes,  blancs  ou  bruns  ;  ces  cou- 
leurs appliquées  en  général  après  la  cuisson,  ont  peu  de  con- 
sistance, et  malgré  toutes  les  précautions,  elles  s'écaillent  et 


Fig.  40.  —  Vase  trouvé  sous  un  mound  de  l'Ohio. 


s'effacent  avec  une  grande  rapidité.  Parfois  les   ornements   se 
détachent  en  couleurs  différentes,  toujours  nuancées  avec  un 

(1)  On  peut  comparer  notamment  les  poteries  trouvées  sous  les  mounds,  à  celles 
provenant  de  l'allée  couverte  de  West-Kennct  (Wiltshire). 

(2)  Au  mois  de  mars  1882,  on  présentait  à  la  Société  d'Anthropologie  un  livre  écrit 
en  japonais  et  renfermant  la  description  des  Shelt-Mounds  d'Omory  (Japon).  Les  frag- 
ments de  poterie  abondaient.  Leurs  rapports  avec  les  poteries  des  mounds  améri- 
cains sont  très  frappants. 


144  L'AMÉRIQUE  PllÉHISTORIQUE. 

goût  extrême  ;  on  peut  en  citer  de  nombreux  et  intéressants 
exemples  (1).  Un  petit  vase  de  23  centimètres  environ  de  hau- 
teur est  orné  de  lignes  noires  et  rouges  sur  le  goulot,  de 
lignes  noires,  rouges  et  blanches  sur  la  panse.  Un  autre  pré- 
sente six  cercles  concentriques,  alternativement  rouges  et  blancs, 
et  au  centre  de  chacun  de  ces  cercles  une  croix  de  Saint-André 
de  couleur  blanche.  Une  bouteille  porte  des  raies  égales  brunes, 
blanches  et  d'un  rouge  éclatant  (fig.  39).  Un  vase  provenant  de 
rOhio,  mérite  d'être  reproduit  à  raison  de  son  ornementation 
compliquée  oii  l'on  prétend  retrouver  une  tête  d'oiseau  (fig.  40). 


Fig.  41.  —  Alcavazas  des  tumuli  de  l'Arkansas. 


Il  en  est  de  même  d'un  alcarazas  trouvé  dans  l'Arkansas  et  dé- 
coré d'ossements  de  morts  finement  exécutés  (fig.  41)  (2).  Des 

(1)  Ceux  qui  s'occupent  spécialement  de  la  question,  peuvent  consulter  un  travail 
récent  :  D""  Ed.  Evers,  Contributions  lo  the  Archeology  of  Missouri.  Part.  I,  Potiery 
Salem  Massachussetts,  1880.  Nous  lui  faisons  de  nombreux  emprunts. 

(2)  Nous  reproduisons  ce  vase  curieux;  mais  nous  le  croyons  d'une  époque  moins 
ancienne.  Le  même  motif  de  décoration  se  retrouve  cependant  chez  les  populations  pri- 


POTERIE.  145 

poteries  récemment  découvertes  et  déposées  au  musée  de  Saint- 
Louis,  rappellent,  nous  dit-on,  par  les  figures  qui  les  décorent, 
l'art  égyptien  ou  l'art  étrusque  (1).  Nous  aurons  l'occasion  de 
citer  dans  le  cours  de  cette  étude  d'autres  ressemblances  non 
moins  curieuses  et  non  moins  importantes. 

On  ignore  quelle  était  la  substance  employée  pour  la  colora- 
tion des  poteries.  Il  a  été  recueilli  dans  un  vase  de  l'ocre  rouge 
qui  a  dû  servir  à  cet  usage.  Quelquefois  les  couleurs  paraissent 
avoir  été  fixées  au  moyen  d'un  vernis,  dont  on  croit  retrouver 
les  traces  (2)  ;  ce  procédé  était  sûrement  connu  des  Mexicains 
et  des  Péruviens;  il  était  plus  rarement  employé  parlesMound- 
Builders.  La  composition  de  ce  vernis  est  inconnue  ;  il  est  seule- 
ment certain  que  le  vernis  à  base  de  plomb,  usité  pour  nos 
poteries  modernes,  et  celui  plus  compliqué  dont  on  se  sert  pour 
la  porcelaine,  ont  été  introduits  par  les  Espagnols  et  qu'aucune 
découverte  faite  jusqu'à  ce  jour  en  Amérique  ne  permet  d'en 
attribuer  la  connaissance  à  ses  anciens  habitants  (3). 

L'ornementation,  en  général  très  simple,  consistait  le  plus 
souvent  en  plusieurs  rangs  de  points,  tels  qu'on  peut  les  voir,  ' 
sur  les  poteries  les  plus  anciennes  de  notre  continent,  exécu- 
tés comme  ceux-ci,  soit  avec  l'ongle  du  potier,  soit  avec  l'extré- 
mité d'un  instrument  pointu,  un  morceau  de  bois  ou  une 
coquille,  qui  donnent  un  trait  net  et  sans  bavure.  D'autres 
fois  ce   sont  des  combinaisons  plus  compliquées,   des  lignes, 

mitives  de  l'Amérique.  Ainsi  M.  Bancroft  cite  à  Nohpat,  dans  le  Yucatan,  une  pierre 
sur  laquelle  on  avait  sculpté  des  crânes  humains  et  des  ossements  en  croix. 

(1)  Ces  figures  ne  sont  pas  encoi'e  publiées,  nous  devons  donc  nous  borner  à  énon- 
cer le  fait,  en  réservant  toute  opinion  jusqu'à  plus  ample  informé. 

(2)  Bancroft  (/.  c,  t.  IV,  p.  714)  dit  :  «  To  this  day,  some  of  it  retains  a  very  perfect. 
glaze.  »  Gaspar  Castano  de  Sosa  {Vem.  del  Descubrimiento.. .  del  Nuevo  Reino  de 
Léon,  1590)  dit  en  parlant  de  la  poterie  des  pueblos  du  Nouveau-Mexique  :  «  Tienen 
mucha  loza  de  los  colorados  y  pintadas  y  negras,  platos,  caxetes,  saleros,  almoficos, 
xicaras,  muy  galanas,  alguna  de  la  loza  esta  vidriada.  » 

(3)  Quelques  Araéricanistes  citent  bien  un  vase  en  terre  cuite,  recouvert  d'un  vernis 
silicate  et  provenant  d'un  mound  de  la  Floride  ;  mais  les  circonstances  de  la  décou- 
verte ne  laissent  guère  de  doute  sur  le  remaniement  de  ce  mound.  Sur  notre  conti- 
nent, la  céramique  émaillée  se  montre  dès  l'antiquité  la  plus  reculée  ;  et  nous  trou- 
vons en  Egypte,  sous  les  premières  dynasties,  des  vases,  des  figurines,  des  amulettes 
en  faïence  vernissée. 

De  Nadaillac,  Amérique.  40 


146  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

des  cercles,  des  ellipses,  des  croissants,  des  dents  de  loup,  des 
chevrons  disposés  avec  goût,  de  manière  à  obtenir  les  effets 
les  plus  heureux  (fig.  42).  On  imprimait  quelquefois  sur  le  col  ou 


Fjg.  42.  —  Vase  trouvé  sous  uu  mound  sépulcral  du  Missouri. 

sur  la  panse  du  vase,  une  corde  ou  une  liane.  Gillman  cite  de 
plusieurs  poteries  ainsi  décorées,  notamment  celles  trouvées  à 
Fort-Wayne  (1).  Quelques  vases  ont  les  bords  dentelés  effrangés; 
sur  d'autres,  les  ornements  sont  en  relief  (fig.  43).  On  les  obte- 
nait, soit  en  moulant  l'argile  elle-même,  soit  en  appliquant  les 
moulures  avant  la  cuisson.  Nombre  de  ces  poteries  avaient  des 
anses;  et  ces  anses  représentent  souvent  des  oiseaux,  des  mam- 
mifères, tels  que  le  loup,  le  renard,  plus  au  sud  le  lama,  et 
même  des  figures  humaines.  Il  serait  long  de  décrire  toutes  ces 
variétés  ;  il  est  évident  que  les  potiers  étaient  constarnment 
préoccupés  de  satisfaire  les  goûts  artistiques  de  la  race.  Ils  pa- 
raissent cependant  avoir  été  tenus  en  médiocre  estime,  si  nous 
devons  accepter  les  paroles  du  Popol-Vuh  (2)  :  «  Vous  ne  serez 

(1)  Proc.  Am.  Ass.  Bufjfalo,  1876.  Ce  mode  d'ornementation  était  fréquemment 
usité  dans  le  Maine,  le  Massachusetts,  le  Missouri,  l'Illinois,  l'Ohio,  le  Tennessee  et 
la  Floride.  Report  Peabody  Muséum,  1872. 

(2)  Le  Popol-Vuh,  dont  le  nom  peut  se  traduire  par  Collection  de  Feuilles,  est  écrit 
en  langue  qquiché  et  fut  découvert  dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle  par 
uu  moine  dominicain  dans  un  village  guatémalien.  Il  renferme  quelques  détails 
qui  se  rapprochent  singulièrement  de  la  Genèse;  aussi  a-t-on  cru  aune  adaptation, 
par  une  fraude  pieuse,  des  mythologies  indiennes  aux  dogmes  du  christianisme. 
Tel  n'est  pas  l'avis  du  frère  Ximeuès  qui  l'a  reproduit  le  premier  et  qui  n'hésite  pas 


POTERIE. 


U7 


plus  bons  qu'à  faire  des  choses  en  terre  cuite,  des  tourtières  ou 
des  marmites,  qu'à  cultiver  le  maïs  ;  et  les  bêtes  qui  vivent  dans 
les  broussailles  seront  seules  votre  partage.  » 

Toute  description  de  ces  poteries  est  difficile  sinon  impossible. 
C'est  comme  si  de  nos  jours  on  prétendait  décrire  tous  les  objets 
qui  se  rencontrent  dans  la  boutique  d'un  faïencier  en  renom. 
Nous  allons  chercher  à  classer  les  vases  trouvés  sous  les  mounds, 
selon  la  forme  de  chaque  pièce  et  l'usage  auquel  elle  paraît  des- 
tinée ;  nous  aurons  du  moins  ainsi  quelques  points  de  repère. 


Fig.  43.  —  Vase  provenant  des  fouilles  du  Mis- 
souri. —  Les  ornements  sont  en  relief  et  peints 
en  rouge  de  nuances  diverses. 


Fig.  44.  —  Bouteille  ou  vase  à  gou- 
lot d'une  finesse  remarquable  (New 
Madrid.  Missouri.  H.  8  p.  5  1.). 


Les  vases  à  goulot  sont  peut-être  les  plus  nombreux  parmi 
ceux  recueillis,  ils  servaient  probablement  à  conserver  les  bois- 
sons ;  la  plupart  sont  noirs  et  modelés'  avec  soin  ;  ils  ont  sans 
doute  fourni  l'idée  première  des  vases,  dont  se  servent  encore 
aujourd'hui  les  Espagnols  et  les  habitants  des  républiques  his- 


I.  Vases  à 
goulot. 


à  l'appeler  l'œuvre  du  diable.  Il  a  été  publié  de  nouveau  à  Vienne  en  1857,  par  le 
D'  C.  Scherzer  ;  et  en  1861,  l'abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  qui  le  qualifiait  de  livre  sacré 
par  excellence,  le  donnait  à  son  tour.  Le  texte  primitif  n'existe  plus;  il  avait  évidem- 
ment été  écrit  ou  corrigé  après  la  conquête,  car  un  des  chefs  Indiens  est  mentionné 
avec  son  nom  espagnol.  On  ne  peut  donc,  malgré  l'avis  de  M.  Brasseur  de  Bour- 
bourg, attacher  qu'une  confiance  très  limitée  à  ce  livre. 


148  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

pano-américaines  pour  rafraîchir  leurs  boissons  (fig.  39,  44  et  46). 
La  porosité  de  l'argile  amène  l'évaporation,  par  suite  un  ra- 
pide refroidissement.  Quelques-uns  ont  un  bourrelet  à  leur 
base  ;  d'autres  sont  ovoïdes  et  portent  des  boutons  latéraux  per- 
cés pour  recevoir  une  corde  de  suspension.  Nous  reproduisons 
un  vase  ayant  trois  pieds  (fig.  45)  découvert  sous  un  mound  du 
Tennessee,  qui  servait  de  sépulture  k  un  enfant.  Il  est  noir,  sim- 
plement cuit  au  soleil;  les  pieds  sont  creux  et  en  communica- 


Fig.  45.  —  Vase  trouvé  dans  la  tombe        Fig.  46. 
d'un  enfant  (Tennessee). 


Vase  à  goulot  du  Musée  do 
Saint-Louis. 


tion  avec  le  corps  du  vase  (1).  On  en  a  trouvé  d'autres  munis 
d'un  bouchon  également  en  terre  cuite  ;  un  d'eux  renfermait 
encore  les  restes  d'un  liquide  rouge  qui  n'a  pu  être  analysé  (2). 

(f)  Putnam, Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  IL— LeD'  Habel  [Smith.  Cont.,t.  XXII) 
rapporte  des  vases|;semblables  auprès  de  San  Salvador  et  dans  le  Nicaragua.  Les  pieds 
renferment  de  petites  boules  en  terre  cuite.  Bancroft  [l.  c,  t.  IV,  p.  19)  en  cite  aussi 
sous  les  huacas  de  Chiriqui. 

(2)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races. 


1 


POTERIE.  1^9 

L'ornementation  est  très  variée  et  rentre  dans  celle  que  nous 
venons  de  décrire.  Le  musée  de  Saint-Louis  possède,  entre  autres 


Fig.  47.  —  Vase  trouvé  dans  une  sépulture  du  Missouri. 

spécimens,  une  bouteille  (fig.  46)  oîi  l'on  remarque  une  suite  de 
renflements  et  de  dépressions  qui  forment  une  véritable  spirale. 


Fig.  48.  —  Vase  avec  anses  provenant  d'un     Fig.  49.  —  Vase  à  quatre  anses  de  6  pou- 
raound  sépulcral  du  Tennessee.  ces  de  hauteur  et  de  8  p.  environ  de 

diamètre. 


Bien  que  la  forme  reste  gracieuse,  les  vases  destinés  à  la  cuis- 
son des  aliments  se  reconnaissent  à  la  grossièreté  de  leur  fabrica- 
tion et  de  leur  ornementation  (fig.  42,  47,  48,  49).  Ils  présentent, 
en  général,  une  large  ouverture  munie  quelquefois  d'un  cqu- 
vercle  qui  devait  hâter  l'ébullition.    Presque  tous  portent;  une 


II.  Vases  des- 
tinés à  la] 

cuisson  des 
aliments. 


150  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ou  plusieurs  anses,  qui  permettent  de  les  soulever  plus  facile- 
ment. On  en  cite  un,  terminé  par  une  queue  semblable  à  celle 


Fig.  50.  —  Vase  de  couleur  noire,  de  fabrication  et  de  cuisson  grossières,  trouvé  sous 
un  mound  du  Missouri.  * 

de  nos  casseroles  (fig.  50)  ;  d'autres  ont  les  bords  amincis   de 
mnnière  à  former  un  bec  (fig.  51).  Plusieurs  de  ces  poteries  té- 


Fig.  51.  —  Vase  à  bec  aminci  (Missouri). 

moignent  de  leur  long  usage  et  conservent  les  traces  du  feu  sur 
lequel  elles  avaient  été  placées. 


POTERIE.  loi 

On  rencontre  assez  souvent,  dans  les  fouilles,  des  vases  à  panse  m.  Lampes. 
elliptique,  en  poterie  noire,  d'une  exécution  soignée  et  munis 
d'un  côté  d'une  anse  qui  représente  souvent  un  oiseau,  de  l'autre 
d'un  rebord  ou  d'un  bouton  destinés  à  les  saisir  avec  plus  de 
facilité  (f]g.  52).  Quelques-uns  sont  presque  entièrement  fer- 
més et  ne  possèdent  qu'un  orifice  plus  ou  moins  large  ;  d'autres 
renferment  plusieurs  petites  boules  en  argile,  dont  on  ne  saurait 
suggérer  l'usage.  Ces  vases  ne  paraissent  jamais  avoir  été  exposés 


Fig.  52.  —  Vase  trouvé  dans  le  Missouri  (demi-grandeur). 

à  la  flamme  d'un  foyer  ;  de  là,  la  supposition  qu'ils  pouvaient 
servir  comme  lampes,  et  leur  comparaison  avec  les  lampes 
étrusques  ou  romaines.  Ce  serait  sans  doute  un  fait  intéres- 
sant; mais  il  nous  paraît  des  plus  hypothétiques  ;  car  les  vases  de 
ce  genre,  découverts  jusqu'à  ce  jour,  ne  présentent  aucune 
trace,  soit  d'huile,  soit  d'autre  matière  graisseuse,  servant  à 
éclairer. 

Les  terrines  ou  bassins,  en  général  assez  rares,  sont,  de  toutes  iv.  Tenines. 
les  poteries  conservées  au  musée  de  Saint-Louis,  les  plus  gros- 
sièrement fabriquées;  on  a  voulu  en  conclure,  mais  sans  grand 
fondement,  leur  plus  haute  antiquité.  Nous  reproduisons  deux  de 


152  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ces  terrines  (fig.  53  et  54),  de  forme  différente,  qui  permettent 
de  se  rendre  facilement  compte  de  leur  usage  et  de  leur  mode 


Fig.  53.  —  Bassin  avec  essai  grossier  d'orneraçntatioû  (diam.  9  p.  8  1.). 

de  fabrication  ;  elles  sont  en  terre  noire  et  l'une  d'elles  porte  un 
faible  essai  d'ornementation  (1). 
V.  Coupes,        Les  coupes  qui,  sans  doute,  servaient  de  vases  à  boire,  sont 


Fig.  54.  —  Terrine  trouvée  dans  le  Missouri  (1/3  gr.),  en  poterie  noire  cuite  au  soleil, 
d'une  forme  assez  rare. 

petites,  tantôt  rondes,  tantôt  ovales  et  toujours  munies  d'une 
anse  qui  représente  souvent  une  tête  d'homme  ou  d'animal.  Nous 
parlerons  plus  loin  de  ces  imitations  d'objets  animés  ;  contentons- 
nous  de  mentionner  ici  deux  de  ces  coupes  provenant  l'une  et 
l'autre  de  mounds  situés  auprès  de  New-Madrid  :  l'anse  de  la 
première  (fig.  55)  est  une  tête  de  chouette,  qui  rappelle,  à  s'y 

(1)  Une  terrine  absolument  semblable  a  été  trouvée  au  camp  préhistorique  de  Ca- 
tenoy  (Oise). 


POTERIE.  133 

méprendre,  les  découvertes  de  Santorin  ou  de  Troie;  celle  de 
l'autre  (fig.  56),  d'une  exécution  très  fine,  figure  un  animal,  pro- 
bablement un  lama. 

Nous  avons  dit  combien  les  vases  funéraires  étaient  nombreux; 
on  a  retiré  de  certains  mounds  sépulcraux  du  Missouri  jusqu'à 
huit  cent  et  mille  pièces.  11  est  facile  de  reconnaître  un  rite 
consacré  par  l'usage  ou  par  la  superstition  ;  ainsi  la  forme  des 
\ases  varie  selon  la  position  qu'ils  occupaient  à  la  tête,  aux  pieds 


Fig.  55.  —  Vase  à  boii-e  à  tête  de  chouette.     Fig.  56.  —  Vase  à  boire  à  tête  de  lama. 

OU  auprès  du  bassin  du  squelette  (1).  Dans  le  Tennessee,  les  vases 
étaient  constamment  placés  à  la  tête  du  corps  ;  dans  le  Missis- 
sipi  plusieurs  renfermaient  la  nourriture  préparée  pour  le 
défunt  (2).  Il  en  est  de  même  dans  d'autres  régions  ou  les  Food- 
Vessels,  tel  est  le  nom  caractéristique  qu'on  leur  donne,  sont 
remplis  de  coquilles  de  mollusques,  de  moules  principalement, 
ou  de  fruits  carbonisés  parmi  lesquels  on  a  cru  reconnaître  des 
raisins  sauvages.  C'étaient  là,  sans  doute,  les  provisions  pour  le 
grand  voyage.  Dans  d'autres  sépultures,  il  a  été  recueilli,  soit 
une  coquille,  soit  un  fragment  d'os,  soit  un  petit  vase  de  forme 
ovoïde,  humbles  amulettes,  destinées  à  protéger  le  défunt. 
Certaines  urnes  enfin  devaient  renfermer  les  cendres  du  mort 
après  la  crémation.  Une  de  celles-ci  provenant  de  fouilles  au- 
près d'Utah  montre  la  forme  la  plus  usitée  (fig.  105). 

Le  nombre  de  pipes  trouvées  sons  les  mounds  est  très  consi-    vu.  pipes 

(1)  Cette  position  des  vases  a  surtout  été  constatée  à  Sandy-Woods  Seulement.  — 
W.  P.  Potter,.  ^ rcA.  Remains  in  S.  E.  Missouri.  Saint-Louis  Ac.  of  Science,  1880. 

(2)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races. 


154  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

dérable.  Nous  en  reproduisons  deux;  une  d'entre  elles,  trouvée 
dans  une  chambre  sépulcrale  du  Tennessee ,  imite  à  s'y  méprendre 
celles  dont  nous  nous  servons  aujourd'hui  (fig.  57);  l'autre,  gros- 
sière reproduction  de  la  figure  humaine,  provient  d'un  mound 
du  Missouri  (fig.  58). 

Le  D'  Habel  cite,  auprès  de  San  Salvador  (1),  deux  pipes  de 
quatre  pouces  environ  de  hauteur,  sur  un  diamètre  à  peu  près 
égal,  couvertes  défigures  rouges  et  blanches.  Un  trou  avait  été 


Fig.  r»7.  —  Pipe  provenant  d'un  raound  à  chambre     Fig.  58.  —  Pipe  en  terre  cuite 
sépulcrale  du  Tennessee.  provenant  du  Missouri. 

ménagé  pour  l'introduction  du  tuyau.  C'est  un  fait  rare  dans  ces 
régions,  où  l'usage  du  tabac  était  moins  répandu  que  chez  les 
Mound-Buildcrs  (2). 
vjii.  Imita-  Quelques  poteries  imitent  les  fruits  qui,  comme  les  courges, 
fruits.  les  figues  ou  les  poires  ont  des  formes  arrondies.  Souvent 
on  y  adaptait  un  goulot.  L'imitation  est,  en  général,  exacte  ; 
l'artiste  a  pu  l'obtenir  soit  en  copiant,  soit  en  moulant  le  fruit 
qu'il  avait  sous  les  yeux. 

(1)  Smithsonian  Contributiom,  t.  XXII.  —  Ces  mêmes  fouilles  ont  donné  un  nombre 
considérable  de  poteries  parmi  lesquelles  une  tête  do  vieillard  assez  remarquable. 

(2)  Oviedo  est  le  premier  écrivain  espagnol  qui  parle  de  l'usage  du  tabac.  Son  livre, 
Natural  Historia  de  las  Indias,  a  été  imprimé  à  Tolède  en  1529. 


POTERIE. 


455 


Ce  ne  sont  pas  les  seules  imitations  que  les  sépultures  recèlent; 
les  mounds  du  Missouri  et  du  Mississipi  ont  donné  de  nom- 
breuses représentations  soit  de  l'homme,  soit  des  animaux  (1). 
Nous  pouvons  citer  le  serpent  (fig.  59),  l'ours  (fig.  60),  le  co- 
chon (fig.  61),  des  poissons  (fig.  62),  des  grenouilles,  des  tortues 
d'une  imitation  si  parfaite  qu'on  les  croirait  naturelles  (2),  des 
oiseaux  parmi  lesquels  le  hibou ,  la  chouette,  le  canard.  Les 
canards  surtout  sont  curieusement  étudiés,  et  les  diverses  espèces 
parfaitement  reconnaissables.  Il  a  fallu  assurément  un  temps  très 


IX.  Repré- 
sentations 
H'anim.iux. 


Fig.  59.  —  Vase  à  col,  de  couleur  rouge,  avec  serpent  enroulé,  provenant  des  fouilles 

du  Missouri. 


long  à  l'artiste,  pour  arriver  à  une  semblable  perfection  ;  plus  que 

cela,  de  longues  générations  d'artistes  pour  créer  l'art  lui-même. 

Nous  ne  saurions  omettre  certaines  figures  d'animaux  trouvées 

assez  fréquemment  sous  les  mounds.  Leur  tête  se  rapproche  de 


(1)  Il  est  à  remarquer  que  ces  représentations  ne  se  trouvent  jamais  dans  les  États 
de  la  Nouvelle -Angleterre. 

(2)  Am.  Ant.  Jan.  1881. 


1S6  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

celle  de  nos  cochons  domestiques  ;  mais  ceux-ci  paraissent  avoir 
été  inconnus  en  Amérique  avant  la  conquête  espagnole  (1).  L'es- 
pèce qui  s'en  rapproche  le  plus  est  le  peccari  (2)  qui  n'a  pas  de 
queue  ;  tandis  que  l'animal  que  nous  décrivons  en  est  constam- 


Fig.  60.  —  Vase  peint,  trouvé  sous  un  mound  sépulcral  du  Tennessee. 

ment  pourvu  et  souvent  même  celte  queue  est  retroussée.  D'au- 
tres veulent  y  voir  un  hippopotame;  mais  ce  pachyderme  n'a  ja- 
mais vécu,  que  nous  le  sachions,  dans  le  Nouveau-Monde.  L'in- 
certitude reste  donc  complète  et  le  champ  ouvert  à  toutes  les 
conjectures.  La  capacité  de  ces  vases  varie  extrêmement;  les 
uns  sont  très  petits,  en  terre  jaune  et  couverts  de  dessins  en  zigzag 
de  couleurs  diverses,  parmi  lesquelles  le  rouge  et  le  blanc  domi- 
nent. D'autres,  au  contraire,  ceux  trouvés  dans  l'Etat  de  Ver- 
mont,  par  exemple,  sont  d'une  contenance  de  25  litres.  Les  plus 


(1)  Garcilaso  de  la  Vega  {los  Commentarios  Reaies  que  traten  de  l'Origen  de  /os 
Yncas,  Reyes  que  fueron  del  Peru.  Lisboa,  1609)  dit  que  les  anciens  Péruviens  avaient 
dans  leurs  montagnes  des  cochons  ressemblant  fort  à  ceux  de  l'Espagne. 

(2)  Dicotyles  (Cuv.)  de  la  famille  des  Suilliens. 


POTERIE. 


157 


grands  portent  quelquefois  des  masques  humains  collés  sur  les 
flancs  de  l'animal.  Les  animaux  ainsi  représentés  n'ont  cependant 


Fig.  61.  —  Vase  à  anse,  figurant  la  tête        Fig.  62.   —  Vase  de  couleur  jaune  claire, 
d'un  cochon.  cuit  au  four  (Missouri). 

pas  entre  eux  une  telle  similitude  que  l'on  puisse  y  voir,  comme 
on  l'a  prétendu,  une  idole  à  forme  caractérisée.  Ajoutons  qu'un 


Fig.  63.  —  Vase  à  boire  de  4  p.  7  1.  de 
hauteur  sur  9  pouces  dans  son  plus 
grand  diamètre. 


Fig.  64.  —  Vase  à  eau  (8  p.  1/2  de  h  au 
teur)  trouvé  sous  un  mound  auprès 
de  Belmont  (Missouri). 


goulot  part  souvent  du  milieu  du  dos  et  détruit  par  avance  toute 
hypothèse  de  ce  genre. 


158  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

X.  Beprésen-  Lgs  iniages  de  l'homme  ne  font  pas  non  plus  défaut.  Les  unes, 
l'Urme*!  exécutées  avec  talent,  sont  de  véritables  portraits;  chacune 
d'elles,  quelle  que  soit  la  forme  du  vase  qu'elle  est  destinée  à  or- 
ner, présente  un  caractère  individuel  très  marqué  (fig.  63, 
64,  65).  Le  musée  de  Saint-Louis  possède  une  bouteille,  dont  le 
goulot  a  été  cassé  et  qui  porte  quatre  médaillons  à  figure  hu- 


Fig.  65.  —  Vase  en  terre  cuite  de  cou-        Fig.  CG.  —  Figure  en  terre  cuite  noire 
leurnoire  (Missouri).  trouvée  dans  le  Missouri  (1/3  grand.). 


maine  incrustés  dans  la  pâte  avant  la  cuisson.  Un  vase  prove- 
nant des  fouilles  si  fructueuses  de  New-Madrid  mérite  aussi  une 
mention.  Les  figures  sont,  il  est  vrai,  tracées  sans  art  ;  mais  elles 
sont  précieuses  par  l'indication  qu'elles  offrent  des  vêtements 
portés  par  les  Mound-Builders.  Le  plus  important  est  une  robe 
flottante,  ou  pour  mieux  dire,  une  blouse  assez  semblable  aux 
nôtres,  serrée  à  la  taille  et  descendant  jusqu'aux  genoux.  Citons 
encore  un  homme  couché  sur  le  dos,  avec  des  bras  et  des  jambes 
grossièrement  imités  ;  on  vidait  le  vase  au  moyen  d'un  goulot 
adapté  au  nombril.  Dans  une  sépulture  du  Missouri,  il  a  été 
recueilli  des  fragments  de  poterie,  ornés  de  dessins  représentant 
des  têtes,  des  bustes  et  même  des  corps  entiers  de  femmes.  Ces 


POTERIE. 


159 


figures  donnent  l'idée  d'un  type  élevé,  se  rapprochant  beaucoup 
du  type  caucasique  (1). 


Fig.  67.  —  Vase  trouvé  dans  le  Missouri.  La  second  visage  est  accolé  au  premier  et 
l'ouverture  est  située  sur  le  côté  (1/4  grandeur). 

A  côté  de  ces  poteries,  il  en  est  d'autres  qui  se  rencontrent  par 
milliers  et  qui  n'ont  rien  d'humain.  Ce  sont  de  véritables  carica- 


Fig.  68.  —  Bouteille  représentant  une  femme. 

tures(2)  (fig.  66,  67  et  68).  Celle  qui  se  trouve  le  plus  souvent  re- 

(1)  Swallow,  Âm.  Ass.  Détroit,  1873,  p.  403. 

(2)  Ces  caricatures  humaines  se  rencontrent  sur  des  points  souvent  très  éloignés  ; 


160  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

produite  est  une  femme  accroupie,  les  seins  pendants,  les  bras 
reposant  sur  les  genoux.  La  répétition  si  fréquente  de  cette  figure 
a  fait  supposer  qu'elle  était  une  idole,  une  de  ces  déesses  malfai- 
santes, dont  il  fallait  désarmer  la  colère.  Mais  ici  encore  la  con- 
clusion ne  paraît  guère  motivée,  puisque  ces  vases  portent 
constamment  sur  la  partie  postérieure  de  la  tête,  une  ouverture 
qui  indique  clairement  qu'elles  servaient  de  bouteilles.  Remar- 
quons que  jusqu'ici  on  n'a  trouvé  qu'un  petit  nombre  de  ces 
figures  lascives,  si  nombreuses  au  contraire  chez  les  anciens 
peuples  de  notre  continent.  Les  reproductions  soit  du  phallus, 
soit  des  parties  sexuelles  de  la  femme,  sont  rarement  venues 
jusqu'à  nous  (1).  C'est  là  un  témoignage  important  en  faveur 
de  la  moralité  de  ces  populations  primitives. 

La  disposition  des  Mound-Builders  à  imiter  les  figures  qu'ils 
avaient  sous  les  yeux  est  très  caractéristique.  La  supériorité  de 
la  fabrication  de  leur  poterie  ne  l'est  pas  moins.  Sil'on  compare,  en 
effet,  la  poterie  provenant  des  mounds  avec  celles  des  popula- 
tions lacustres  de  la  Suisse,  chez  lesquelles  on  peut  supposer  un 
degré  analogue  de  civilisation,  on  reste  surpris  de  l'infériorité  de 
cette  dernière.  Veut-on  d'autres  exemples?  On  a  fouillé  récem- 
ment des  tumuli  situés  sur  le  champ  de  tir  de  l'école  d'artillerie 
de  Tarbes,  aux  confins  des  deux  départements  des  Hautes  et  des 

nous  mentionnerons  entre  autres,  les  poteries  trouvées  dans  l'île  d'Omotepec  (lac  de 
Nicaragua). 

(1)  On  en  peut  cependant  citer  des  exemples.  «  In  altre  provincie,  dit  un  des  com- 
pagnons de  Certes,  e  particularemente  in  quella  di  Panuco,  adoravano  il  membro  che 
portano  gli  huomini  fraie  gambo  »  [Relazione  iValcune  cose  délia  Nueva-Spagna).  Le 
D' Jones  {Sînif/i.  Cont.,  t.  XXII)  cite  une  pipe  imitant  un  phallus,  Heywood  un  phallus, 
trouvé  auprès  de  Chilicothe  {Natural  and  Aboriginat  Hist.  of  Tennessee,  p.  Il5).  On 
en  connaît  aussi  provenant  du  comté  d'Alameda  (Californie).  Sur  d'autres  points,  dans 
Smith  County,  dans  l'île  de  Zapatero,  dans  le  Costa-Rica,on  mentionne  des  idoles  por- 
tant membrum  virile  in  erectione.  Stephens  raconte  que  les  ornements  de  plusieurs 
temples  du  Yucatan  représentaient  membra  conjuncta  in  coitu.  Nous  raconterons  cer- 
taines poteries  péruviennes  du  même  genre,  mais  ce  sont  là  des  exceptions.  Le  père 
Kircher  cependant  {Trans.  Ethn.  soc,  t.  I,  p.  360)  et,  après  lui,  M.  Bancroft  veulent 
y  voir  l'existence  en  Amérique  d'un  culte  phallique.  Il  existait,  cela  ne  peut  faire 
aucun  doute,  sur  l'Ancien  Continent.  Les  organes  externes  de  la  femme  étaient  exposés 
à  Eleusis,  et  c'était  sous  cette  forme  que  les  Egyptiens  adoraient  Osiris  et  Isis.  (Dulaure, 
des  Divinités  génératrices  Paris,  1805.  —  D'Hancarville,  Monuments  du  culte seo'et 
des  dames  romaines,  s.  1.,  1784.) 


POTERIE.  16! 

Basses-Pyrénées  ;  les  fouilles  ont  donné  des  vases  qui  datent 
vraisemblablement  des  Gallo-Romains:  ils  sont  inférieurs  comme 
pâte,  comme  fabrication  et  comme  ornementation  à  ceux  des 
races  américaines.  11  en  est  de  même  pour  des  vases  trouvés  par 
M.  Chantre  auprès  de  Samthravo  (1).  Nous  nous  bornons  à  ces 
seuls  faits  ;  il  serait  facile  de  les  multiplier. 

11  faut  encore  remarquer  que  si  les  poteries  présentent  des  diffé- 
rences considérables  comme  exécution,  alors  que  le  mound  où 
elles  ont  été  recueillies  n'offre  aucune  trace  de  remaniement,  on 
ne  saurait,  sur  ce  seul  indice,  décider  qu'elles  ne  datent  pas  de 
la  même  époque  et  que  le  progrès  de  la  fabrication  est  la  consé- 
quence naturelle  du  développement  des  goûts  esthétiques  du 
peuple.  Nous  avons  probablement  à  la  fois  sous  les  yeux  les  pro- 
duits du  travail  d'ouvriers  plus  ou  moins  habiles,  plus  ou  moins 
intelligents,  ou  plus  simplement  encore,  les  vases  des  clas- 
ses pauvres  et  ceux  des  riches.  C'est  là  un  fait  qui  ne  mérite 
guère  d'être  discuté  ;  il  est  de  tous  les  temps  et  de  tous  les 
peuples. 

Les  premiers  habitants  de  l'Amérique  devaient  être  des  fii-  pip^^  e^ 
meurs  intrépides,  à  en  juger  par  le  nombre  de  pipes  que  les  fouil- 
les ont  donné,  partout  où  il  a  été  possible  de  les  entreprendre  (2). 
Nous  avons  déjà  parlé  de  celles  en  terre  cuite  ;  d'autres  sont 
taillées  dans  l'ardoise,  dans  la  stéatite  (3)  (fig.  69),  dans  le  mar- 
bre du  Potomac,  plus  souvent  encore  dans  un  porphyre  très 
dur  et  très  résistant  de  couleur  rouge  ou  brune.  Quelques-unes 
sont  de  simples  fourneaux  de  forme  toute  primitive  ;  d'autres  re- 

(1)  Mat.,  avril  1881.  —  Revue  d'Anthr.,  avril  1881. 

(2)  Si  nous  en  croyons  Bancroft  (/.  c.,t.  II,  p.  288),  les  Américains,  au  moment  de  la 
conquête  espagnole,  fumaient  aussi  des  cigarettes  et  connaissaient  le  tabac  à  priser. 
Ameghino  (/.  c,  t.  I,  p.  354)  dit  à  son  tour  :  «  Es  del  dominio  publico,  que  el  tabaco 
es  indigeno  de  America.  » 

(3)  Par  une  singulière  superstition,  les  Indiens  actuels  regardent  la  stéatite  comme 
la  chair  pétrifiée  de  leurs  ancêtres.  On  a  reconnu  une  carrière  de  stéatite  auprès  de 
Washington  ;  la  pierre  était  enlevée  iu  moy.en  de  pics  en  quartzite  ;  on  en  fabriquait 
des  plats  et  des  coupes  dont  il  est  facile  de  trouver  les  fragments.  Cette  can-ière  est 
certainement  précolombienne  ;  mais  rien  ne  permet  d'en  fixer  la  date.  —  Reynolds, 
Aboriginal  Soap  Stone  Quames  in  the  District of  Columbia.  Report  Peabody  Muséum, 
t.  II. 

De  Nadaillac,  Amérique.  H 


pierre. 


162  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

présentent  des  animaux  divers:  le  castor,  la  loutre,  le  cerf,  l'ours, 
le  loup ,  la  panthère ,  le  chat  sauvage  (fig.  70) ,  la  tortue ,  le  racoon  (  1  ) , 
l'opossum  (2),  l'écureuil,  le  crapaud  et  la  grenouille,  le  morse  et 
le  lamantin.  Les  oiseaux  sont  peut-être  plus  nombreux  encore  ; 


Fig.  69.  —  Pipe  en  stéalite. 

nous  pouvons  citer  parmi  eux:  le  héron,  le  faucon,  le  perroquet, 
le  toucan  (fig.  71),  le  coq  de  bruyère,  le  butor.  Sur  une  pipe  en 
stéatite  provenant  du  Kentucky,  on  a  cru  reconnaître  un  arma- 
dillo  (3)  ;  tout  récemment  enfin,  on  a  trouvé  dans  l'Iowa  une 
pipe  taillée  dans  un  grès  assez  tendre  et  figurant  un  élé- 
phant (fig.  72)  qu'il  est  difficile  de  méconnaître  (4). 

Toutes  ces  sculptures  saisissent  l'animal  dans  l'attitude  qui  lui 
est  la  plus  familière  et  témoignent  souvent  chez  l'artiste  d'un 
véritable  talent.  Le  héron  tient  un  poisson  sous  ses  pieds  (fig.  73)  ; 

{!)  Le  racoon,  appelé  quelquefois  raton,  Cursus  Lator  (Linn.),  appartient  à  la  famille 
des  Ursides. 

(2)  L'opossum,  de  la  famille  des  Didelphes,  est  le  représentant  sur  le  sol  américain 
des  palœotherium  et  dos  anoplotherium  de  notre  continent. 

(3)  Dasijpus  (Linn.)  de  l'ordre  des  Édentés. 

(4)  Le  rev.  S.  D.  Peet  annonce  dans  ÏÂmerican  Antiquarian  (mars  1880)  la  décou- 
verte d'une  autre  pipe  représentant  également  un  éléphant;  la  trompe  est  droite,  "et 
c'est  par  un  trou  habilement  ménagé  que  la  fumée  s'échappait. 


POTEUIE. 


163 


la  loutre  porte  aussi  un  poisson  ;  le  faucon  déchire  de  ses  griffes 
un  petit  oiseau.  On  a  trouvé  sept  têtes  de  morses  sous  les  ter- 


Fig.  70.  —  Pipe  représentant  un  chat  sauvage. 

très  de  l'Ohio  ;  et  il  ne  faut  pas  croire  que  ce  soient  là  de§ 
sculptures  grossières,  sur  lesquelles  il  est  possible  de  se  tromper. 


Fig.  71.  —  Pipe  représentant  un  toucan. 

La  tête  tronquée,  le  museau  épais  et  demi-circulaire,  la  lèvre 
supérieure,  saillante  et  ridée,  les  pieds  ou  nageoires  d'une  si  sin- 


164  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

gulière  conformation,  sont  distinctement  indiqués  et  permettent 
de  reconnaître  sans  hésitation  l'animal  (1). 
Le  perroquet,  le  toucan,  le  jaguar,  l'éléphant,  Tarmadillo,  ont 


rig.  72.  —  Pipe  en  pierre,  représentant  un  éléphant,  trouvée  dans  le  comté  de  Louisa 

(lowa). 

besoin  d'un  climat  plus  chaud  que  celui  de  l'Ohio  ou  du  Kentucky  ; 
le  lamantin  ne  peut  habiter  que  les  mers  du  tropique  (2)  ;  le 


Fig. 


Pipe  figuraui  ua  liéi'on  tenant  un  poisson  (Oliio). 


lama  que  l'on  Yoit  sculpté  sur  les  rochers  qui  bordent  la  Susque- 
hannah  appartient  à  la  faune  du  Sud.  Tous  ces  animaux,  complè- 
tement étrangers  aujourd'hui  à  l'Amérique  du  Nord,  y  vivaient 
donc  à  l'époque  des  Mound-Builders,  ou  bien  ceux-ci  avaient  ap- 
pris à  les  connaître  dans  leurs  voyages  et  dans  leurs  migrations. 
Une  de  ces  deux  solutions  s'impose;  quelle  que  soit  celle  que 
l'on  adopte,  elle  conduit  à  des  conséquences  intéressantes. 
A  Mound-City ,  on  a  retiré  des  fouilles  quatre  pipes,  figurant 

(1)  Squier  et  Davis,  l.  c,  p.  252. 

(2)  Godman,  American  Nat.  Hist.,  t.  II,  p.  154. 


POTERIE. 


165 


des  profils  humains  au  type  1res  caractéristique  (fig.  74)  (1).  L'une 
d'elles,  sculptée  sur  une  pierre  noire,  très  compacte  et  très  dure, 
présente  une  coiffure  étrange,  produit  probable  de  l'imagination 
de  l'artiste,  car  elle  ne  se  trouve  chez  aucun  peuple  ancien  ou 
moderne.  Les  cheveux  sont  nattés,  et  autour  du  front  on  peut 
encore  voir  quinze  perles  brûlées  par  le  feu.  Le  visage  est  cou- 
vert de  lignes  gravées  formant  un  véritable  tatouage;  la  bouche 


'ij^kiii* 


Fig.  74.  —  Pipes  trouvées  à  Mound  City. 


est  comprimée,  les  yeux  sont  grands,  les  oreilles  percées.  Une 
autre  pipe  représente  une  femme  et  peut  se  comparer,  comme 
travail,  aux  sculptures  mexicaines  ou  péruviennes  qui  excitaient 
Tétonnement  des  soldats  espagnols  (2).  Une  pipe  provenant  du 
Connecticut  figure  aussi  un  buste  de  femme  ;  les  poignets  et 
les  épaules  sont  surchargés  d'ornements  ;  une  autre,  trouvée  dans 
la  Virginie,  offre  un  type  que  l'on  ne  saurait  mieux  comparer 


(1)  Schoolcraft,  /.  c,  t.  I,  pi.  XIII. 

(2)  On  peut  consulter  Gaixilaso  de  la  Vega,  L  c,  liv.  VI,  p.  187.  —  Pierre  Martyr 
d'Anghiera,  de  Novo  Orbe,  déc.  IV.  —  Clavigero,  Hist.  antigua  de  Mej'ico,  2  v.  iii-8. 
Londres,  1826. 


166  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

qu'à  l'antique  type  égyptien  ;  une  pipe  du  Missouri  en  grès  très 
dur  représente  une  tête  d'homme  avec  une  barbiche,  semblable 
à  celle  que  l'on  peut  voir  sur  les  monolithes  assyriens  du  Musée 
Britannique  (1).  Une  de  ces  pipes  enfin,  pour  ne  plus  citer  que 
celle-là,  découverte  dans  l'indiana,  porte  alternativement  sur 
ses  faces  une  tête  de  mort  et  une  tête  d'oie. 

On  a  cru  longtemps  que  les  Mound-Builders  appliquaient  leurs 
lèvres  au  trou  pratiqué  à  la  base  du  fourneau  et  aspiraient 
ainsi  la  fumée;  des  découvertes  nouvelles  doivent  modifier  cette 
opinion.  Il  a  été  recueilli  sur  plusieurs  points  des  tubes  en 
stéatite  (2)  ;  le  Professeur  Andrews  en  cite  plusieurs  en  terre 
cuite,  en  pierre,  en  cuivre,  trouvés  par  lui  dans  l'Ohio  (3).  Dans 
la  Californie,  ils  sont  plus  nombreux  encore;  et  le  Peabody  Mu- 
séum possède  un  de  ces  tubesqui  vient  du  Massachusetts.  Squier 
depuis  longtemps  déjà  en  signalait  de  semblables  dans  la  vallée 
du  Mississipi  (4),  et  des  tuyaux  en  os  ont  été  trouvés  jusque  dans 
les  froides  régions  du  Canada.  A  Swanton  (Vermont),  un  ancien 
cimetière  a  été  découvert  au  milieu  d'une  forêt,  oii  des  arbres 
séculaires  en  remplaçaient  d'autres  plus  vieux  encore  ;  les  fouilles 
ont  donné  de  nombreux  tubes  en  cuivre,  dont  la  longueur  varie 
de  trois  à  quatre  pouces  (5).  La  feuille  de  cuivre  avait  été  étirée, 
puis  martelée  et  roulée  par  un  travail  qui  donne  une  haute  idée 
du  talent  de  l'ouvrier.  D'autres  tubes  sont  en  pierre,  sans  nul 
ornement  à  l'exception  d'un  seul,  oii  l'on  voit  gravé  un  oiseau 
(fig.  75)  rappelant  à  s'y  méprendre  les  alérions  qui  figurent  dans 
les  armes  de  la  maison  de  Montmorency  (6).  Quelle  était  la 
destination  de  ces   tubes  rencontrés   sur   des  points  si  divers  ? 

(l)Am.  Ant.  Jan.  1881. 

(2)  Schoolcraft,  l.  c,  t.  I,  p.  93,  pi.  XXXII  et  XXXIII. 

(3)  Explorations  of  Mounds  in  S.  E.  Oliio,  Report  Peabody  Muséum,  1877. 

(4)  Ancient  Monuments  oftke Mississipi  Valley.  Smith.  Cont.,  1. 1,  p.  224,  fig.  122, 125. 

(5)  G.  H.  Perkias,  On  an  Âncient  Burial  Ground  in  Swanton  (Vermont).  Am.  Ass., 
Portland,  1873. 

(6)  Sous  l'oiseau  on  distingue  facilement  trois  petits  signes  {Americ.  Antiq.,  Marck, 
1880)  où  l'on  a  voulu  voir  des  lettres;  mais  rien  jusqu'à  présent  ne  permet  de  sup- 
poser que  les  Mound-Builders  fussent  assez  avances  en  civilisation ,  pour  posséder  un 
alphabet. 


POTERIK. 


167 


M.  Putnam  croit  qu'un  grand  nombre  d'entre  eux  étaient  des 
tuyaux  de  pipe  (1)  ;  d'autres  veulent  y  voir  des  instruments  de 
musique;  mais  plusieurs,  ceux  trouvés  à  Swanton  notamment,  ne 
sont  pas  percés  ;  ce  qui  exclut  les  deux  hypothèses  et  nous  laisse 
dans  une  complète  incertitude  (2). 


■N  >;s^ 


»-. 


P^.xJ'k.J^J 


Fig.  75.  —  Oiseau  gravé  sur  un  tube  en  pierre  (Swanton,  Verraont). 

Nous  nous  sommes  étendus  sur  tout  ce  qui  touche  aux  pipes, 
parce  qu'après  les  poteries,  ce  sont  les  objets  les  plus  importants 
qui  ont  été  trouvés  jusqu'ici,  et  aussi  parce  que  cette  disposition  à 
modeler  les  figures  des  hommes  ou  des  animaux  est  très  remar- 
quable et  ne  se  trouve  à  un  semblable  degré  chez  aucun  autre 
peuple. 

Outre  les  figures  humaines  qui  servaient  à  orner  les  poteries 
ou  les  pipes,  on  en  rencontre  d'autres,  qui  devaient  être  les 
images  des  divinités  adorées  par  les  premiers  habitants  de 
l'Amérique  du  Nord.  Dans  le  Tennessee  (3),  on  a  trouvé  des 

(1)  C'était  aussi  l'opinion  de  Squier  après  la  découverte  qu'il  avait  faite  à  Chilicothe, 
d'un  tuyau  en  ardoise  de  13  pouces  de  longueur,  terminé  par  une  embouchure.  An- 
cient  Mon.  of  the  Mississnpi  Valley.  Voy.  aussi  Coreal,  Voy.  aux  Indes  occidentales. 
Amsterdam,  1722,  t.  I,  p.  39. 

(2)  M.  Rau  prétend  que  ces  tubes  servaient  aux  opérations  des  médecins  ou  des  sor- 
ciers, si  nombreux  dans  les  tribus  Indiennes,  et  le  voyageur  allemand  Kôhl  ajoute 
qu'il  a  vu  un  de  ces  hommes  se  servir,  pour  agir  sur  son  malade,  d'un  os  percé  de 
l'oie  sauvage. 

(3)  Jones,  Smith.  Cent.,  t.  XXII,  p.  128.  —  Il  est  utile  de  rappeler  que  ces  idoles 
présentent  le  même  type  que  celles  fabriquées  par  les  Toltecs. 


Idoles. 


168  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

milliers  d'idoles  en  pierre,  en  stéatite,  en  grès,  en  terra  cotta; 
dans  Knox  Coiinty,  il  a  été  découvert  une  idole  taillée  dans 
la  stalactite  (1);  dans  Gumberland  Valley,  une  figure  de  femme, 
sculptée  sur  du  grès  brun,  de  onze  pouces  de  hauteur  avec  les 
organes  sexuels  très  en  relief  ;  dans  le  Honduras  et  dans  le  Gua- 
temala, de  nombreuses  figurines  en  terre  cuite,  appelées  mahe- 
cas  par  les  habitants  actuels.  Toutes  ces  idoles  présentent  un  type 
assez  semblable  ;  leur  exécution  est  toujours  grossière  et  con- 
traste avec  celle  des  poteries. 

On  rencontre  aussi,  mais  plus  rarement,  des  vases  en  pierre  (2). 
Nous  en  citerons  un,  provenant  d'un  mound  auprès  de  la  rivière 
Tallahalchie  (comté  de  Lafayette,  Mississipi),  et  muni  d'un  cou- 
vercle qui  le  fermait  hermétiquement.  Le  poids  de  ce  vase, 
que  l'on  regarde  comme  une  urne  funéraire,  dépasse  cent  livres; 
le  travail  est  remarquable,  et  plus  remarquable  encore  si  l'on 
considère  les  misérables  outils  que  ces  hommes  avaient  à  leur 
disposition  (3). 

Mentionnons  encore  un  masque  humain  de  grandeur  natu- 
relle en  pierre  dure.  Nous  savons  que  les  Aztecs  fabriquaient  des 
masques  semblables  en  obsidienne  ou  en  serpentine  et  les  pla- 
çaient sur  le  visage  des  morts.  Le  même  usage  existait  proba- 
blement dans  des  régions  plus  au  nord. 

C'est  par  un  travail  patient,  par  le  frottement  d'une  pierre 
contre  une  autre,  que  les  Mound-Builders  obtenaient  leurs 
sculptures.  Les  Mexicains  et  les  Péruviens  se  servaient  des  mêmes 
procédés,  après  avoir  préalablement  dégrossi  la  pierre  à  l'aide 
d'instruments  en  obsidienne.  Il  était  naturel  que  les  possesseurs 
d'objets  si  péniblement  acquis  y  attachassent  une  grande  valeur  ; 
aussi  a-t-on  trouvé  plusieurs  pipes  raccommodées  avec  un  soin 


(1)  Sa  hauteur  est  d'environ  20  pouces  ;  son  poids  dépasse  37  livres. 

(2)  On  en  trouve  aussi  en  stéatite,  mais  rarement  à  l'Est  des  Montagnes  Rocheuses. 
Quelques-uns  de  ces  vases  ont  des  anses.  En  Californie  on  a  également  recueilli  des 
coupes  en  serpentine.  Tout  était  utilisé  par  ces  premiers  habitants  de  l'Amérique,  car 
dans  l'île  Santa  Barbara,  il  a  été  trouvé  des  plats  creusés  dans  les  os  des  grands  cétacés 
que  la  tempête  jetait  sur  le  rivage.  Ch.  Rau,  Smith.  Cont.,  t.  XXII,  p.  37. 

(3)  Jones,  Smit/i.  Cont.,  t.  XXII,  p.  144,  fig.  83. 


ARMES  ET  OUTILS. 


169 


extrême  ;  le  procédé  était  très  simple  :  on  perçait  des  trous  sur  les 
bords  de  la  fracture  et  on  y  introduisait  de  petites  chevilles  en 
bois  ou  en  cuivre  pour  les  maintenir. 

Les  armes  des  Mound-Builders  sont  rares,  et  si  nous  n'avions 
appris  à  connaître  par  l'étendue  et  l'importance  de  leurs  fortifi- 
cations, les  dangers  qui  les  menaçaient,  on  pourrait  croire  à  un 
peuple  pacifique,  uniquement  préoccupé  de  ses  travaux  agricoles 
ou  des  besoins  de  son  commerce.  Nous  pouvons  cependant  men- 
tionner des  pointes  de  flèche  finement  travaillées  (1),  des  tètes 


Armes  tt 
outils. 


Fig.  76  et  77.  —  Haches  en  serpentine. 
a.  Beard's  Mound  (Ohio).  —  6.  Hill  Mound  (Ohio). 

de  lance,  des  poignards  (2)  et  nous  reproduisons,  parmi  nombre 
d'autres,  deux  haches  en  serpentine  (fig.  76  et  77)  qui  rappellent 
à  s'y  méprendre  les  instruments  néolithiques  de  nos  régions. 
«  Cette  ressemblance  est  si  frappante,  dit  Squier  (3),  que  nous 
sommes  tout  d'abord  disposés  à  conclure  qu'ils  sont  l'œuvre 


(1)  M.  L.  Carr  [Exploration  of  a  Mound,  Lee  Coimiy,  Virginia;  Report  Peabody 
Muséum,  t.  II,  p.  90)  reproduit  une  pointe  de  lance  en  quartz ite  et  un  poignard  en 
calcédoine. 

(2)  Sur  certains  points  on  a  trouvé  de  véritables  réserves,  où  de  nombreuses  flèches 
de  lance  étaient  emmagasinées.  Am.  Ant.,  Jan.  1881,  p.  144. 

(3)  Ane.  Mon.  ofthe  Mississipi  Valley,  p.  210. 


I?0  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

d'hommes  de  la  même  race  ;  et  cette  conclusion  serait  irrésisti- 
ble, si  nous  ne  savions  que  les  besoins  de  l'homme  sont  partout 
les  mêmes  et  l'ont  partout  conduit  à  donner  à  ses  outils  les  mêmes 
formes  et  à  s'en  servir  de  la  même  manière.  » 

De  nombreux  couteaux  ou  poignards  sont  en  obsidienne  (1)  et 
semblables  à  ceux  des  Mexicains,  qui,  au  dire  de  Clavigero, 
étaient  des  ouvriers  si  experts,  qu'ils  parvenaient  à  façonner  cent 
de  ces  couteaux  en  une  heure  de  travail.  Les  Mexicains  inséraient 
aussi  une  double  rangée  de  fragments  d'obsidienne  dans  des 
manches  en  bois  très  dur  et  les  assujettissaient  par  des  liens  et  de 
la  gomme.  Cette  arme  se  maniait  à  deux  mains,  et  les  historiens 
Espagnols  en  racontent  les  redoutables  effets  (2).  Les  Mound- 
Builders,  à  en  juger  par  les  fragments  d'obsidienne  disposés 
en  rangs  réguliers,  qui  se  rencontrent  souvent  dans  les  sépultures, 
devaient  posséder  une  arme  à  peu  près  semblable. 

Il  est  presque  impossible  dans  ces  temps  primitifs  de  distinguer 
les  armes  des  outils.  M.  de  Hass  décrit  un  certain  nombre  de  ces 


Fig.  78.  —  Instrument  en  serpentine,  trouvé  sous  un  mound  auprès  de  la  rivière 
Big-Harpeth  (Tennessee). 

derniers  en  amphibolite,  en  quartzite,  en  néphrite,  en  granit, 
tous  d'un  bon  travail  (3)  ;  sur  d'autres  points,  on  cite  des  hameçons 
en  coquille,  des  couteaux,  des  perforateurs,  des  harpons,  des 
aiguilles  en  os,  en  corne  ou  en  bois  de  cervide  (4).  Nous  repro- 

(1)  L'obsidienne,  Yltzli  des  Mexicains,  roche  vitreuse,  d'origine  volcanique  était 
connue  de  toute  antiquité.  Pline  (1.  XXXVI,  c.  xxxi),  raconte  que  les  premiers  frag- 
ments furent  trouvés  en  Ethiopie  par  Obsidius,  d'où  le  nom  qui  lui  a  été  donné.  On 
la  rencontre  en  quantités  considérables  au  Mexique  ;  et  dans  les  temps  préhistoriques 
elle  était  façonnée  non  seulement  en  armes,  mais  encore  en  bijoux,  en  ornements  et 
même  en  miroirs . 

(2)  Le  Mahqiiuhwitl,  tel  est  le  nom  que  portait  cette  arme,  est  sculpté  sur  un  mon- 
tant de  porte  à  Kabah  (Yucatan).  Bancroft,  l.  c,  t.  IV,  p.  210. 

(3)  Arch.  of  the  Mississipi  Valley.  Am,  Ass.  Chicago,  1868. 

(4)  Potter,  Arch.  Remains  in  S.  E.  Missouri.  Saint-Louis  Acad.  of  Science,  1880.  — 
Rau,  Smith.  Cont.,  t.  XXII,  fig.  23G  et  s.      .  • 


ARMES    ET    OUTILS. 


171 


duisons  deux  instruments  d'une  forme  originale,  inconnue  en 
Europe.  Le  premier  est  en  serpentine  (fig.  78)  de  18  pouces  de 
longueur  et  poli  avec  soin;  il  a  été  découvert  sous  un  mound, 
auprès  de  la  rivière  Big  Harpeth  (Tennessee)  ;  des  outils  sembla- 
bles ont  été  trouvés  dans  la  vallée  du  Cumberland  ;  d'autres  prove- 
nant de  la  Caroline  du  Sud  sont  conservés  au  Musée  National  de 
Washington  (1),  on  ignore  leur  usage.  Le  second  est  en  silex  et 


( 


Fig.  79.  —  Instrument  en  silex  (New  Jersey). 

vient  du  New  Jersey  (fig.  77).  Cette  forme  se  rencontre  fréquem- 
ment en  Amérique,  et  notamment  dans  l'Ohio,  le  Wisconsin,  la 
Pennsylvanie,  et  l'Etat  de  New- York  (2).  Il  est  probable  que, 
parmi  ces  outils,  quelques-uns  ont  dû  servir  à  cultiver  la  terre  ; 
il  a  été  trouvé,  notamment  dans  l'Utah,  des  pierres  assez  grandes 


(1)  D'  Abbott,  Primitive  Industry,  p.  118. 

(2)  Rau,  A7xh.  Coll.  of  the  U.  S.  Nat.  Muséum.  Washington,  1876,  fig.  09. 


172  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

grossièrement  taillées  et  munies  de  manches  en  corne  ;  on  les 
croit  des  instruments  agricoles  (1). 
Ornements.  Eu  décrivant  Ics  mounds,  nous  avons  parlé  des  nombreux 
objets  qui  avaient  servi,  soit  d'ornements  au  défunt,  soit  d'of- 
frandes aux  dieux.  Ces  ornements  présentent  une  ressemblance 
frappante  dans  toutes  les  régions,  où  s'élèvent  les  tertres 
artificiels  ;  on  ne  saurait  distinguer  ceux  du  New  Jersey  de 
ceux  du  Michigan,  ceux  de  l'Ohio  de  ceux  de  la  Floride.  Ce  sont 
des  perles  (2),  des  coquilles,  des  cylindres  tirés  des  côtes  du 
lamantin,  des  dents  perforées  d'ours,  de  chat  sauvage,  de  loup, 
de  requin,  des  os  de  petits  oiseaux,  des  ongles  de  rapaces,  des 
bagues  en  pierre  ou  en  os  (3).  On  a  trouvé  sous  un  mound  situé 
auprès  de  la  rivière  Saint-Clair  (Michigan),  un  collier  formé  de 
dents  de  morse  alternant  avec  des  boules  de  cuivre  et  des  osse- 
ments d'oiseau  peints  en  vert.  Tout  vient  rappeler  les  ornements 
qu'affectionnent  aujourd'hui  encore  les  Indiens. 

Les  grains  ou  boules  peuvent  se  compter  par  milliers;  ils  sont 
en  nacre,  en  écaille,  en  pierre,  en  bois,  souvent  recouverts  d'une 
mince  feuille  de  métal  (4).  Le  mica  aux  reflets  brillants  jouait,  nous 
l'avons  vu,  un  grand  rôle  dans  les  cérémonies  religieuses.  Il  était 
aussi  employé  à  des  usages  plus  vulgaires,  tantôt  en  grandes  pla- 
ques que  l'on  suppose  des  miroirs,  tantôt  découpé  en  ovales,  en  spi- 
rales, en  pointes  de  diamant  qui  servaient  d'ornements.  A  Grave- 
Creek  (Virginie),  il  a  été  découvert  plus  de  cent  plaques  de  mica 
percées  d'un  trou  de  suspension.  Sous  un  mound  situé  sur  les 
bords  du  petit  Miami,  on  cite  plusieurs  plaques  mesurant  jusqu'à 
un  pied  de  diamètre  placées  sur  le  squelette  (5).  Les  chefs,  les 

(1)  M.  Schumacher  [Report  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  271)  rapporte  qu'un  de  ces 
outils  mesure  14  pouces  de  longueur  sur  5  de  largeur.  Il  donne  probablement  par  une 
erreur  d'impression  au  manche  en  corne  5  pieds  de  longueur. 

(2)  M.  Bancroft  rapporte  que  les  Américains  se  servaient  quelquefois  de  perles  pour 
imiter  les  yeux  des  oiseaux  ou  des  petits  mammifères. 

(.3)  Rau,  SmiLh.  Cont.,  t,  XXII,  flg.  213  et  214. 

(4)  On  a  trouvé,  près  de  Nashville  notamment,  de  nombreuses  boules  en  bois  recou- 
vertes d'une  feuille  de  cuivre,  et  sous  un  Stone-Mound  du  Tennessee,  des  boucles 
d'oreilles,  où  l'on  pouvait  reconnaître  le  même  travail. 

(5)  D'  S.  Schoville,  Cincinnati  Quarterly  Journal.  April  1875. 


ORNEMENTS. 


173 


personnages  importants  portaient  à  leur  cou  des  ornements  en 
test  de  coquille  (1),  qui  à  leur  mort  étaient  déposés  dans  leur 
sépulture.  Deux  de  ces  ornements  ont  été  découverts  dans  le  Ten- 
nessee ;  sur  l'un  (fig.  80),  on  distingue  quatre  tètes  d'oiseaux;  les 
bords  du  second  sont  découpés  avec  une  grande  élégance.  Le  mu- 
séede  Saint-Louis  possède  plusieurs  coquilles  semblables  :  une  im- 
mense araignée (2)  est  gravée  sur  l'une  d'elles;  sur  d'autres,  on 
s'est  efforcé  de  retracer  des  figures  humaines,  et  même  les  scènes 
de  la  vie,  un  combat  par  exemple,  où  le  vainqueur,  un  glaive  à 


Fig.  80.  —  Ornement  en  test  do  coquille    Fig.  81.—  Epingle  en  test  de  coquille 
(Tennessee).  (Ely  Mound,  Virginie). 


la  main,  a  le  pied  posé  sur  la  poitrine  de  son  adversaire.  M.  Ro- 
bertson  a  recueilli  dans  une  tombe  préhistorique  de  l'île  Mackinac, 
située  entre  le  lac  Michigan  et  le  lac  Huron,  deux  pendeloques 
tirées  d'une  coquille  du  golfe  du  Mexique.  Ces  pendeloques 
avaient  donc  été  portées  à  travers  la  plus  grande  partie  de  l'Amé- 
rique du  Nord.  Le  test  de  coquille  servait  également  à  façonner 

(1)  Les  coquilles  les  plus  fréquemment  employées  étaient  le  Busycon  perversum,  la 
Pyrula  perversa,  le  Strombus  gigas,  la  Fasciolaria  gignntea,  la  Marginella  conaï- 
dalis.  Cette  dernière  espèce  ne  se  rencontre  plus  aujourd'hui  que  dans  les  mers  de  la 
Floride. 

(2)  Cet  insecte,  sans  doute  symbolique,  est  souvent  reproduit  dans  les  États  du  Nord. 


n4  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

des  grains  de  collier,  des  épingles  (fig.  81  ),  et  probablement  à  bien 
d'autres  usages. 

Parmi  les  ornements  qu'affectionnaient  les  Mound-Builders,  il 
faut  mentionner  des  pierres  polies  venant  souvent  de  régions 
éloignées,  et  percées  d'un  ou  de  plusieurs  trous  de  suspen- 
sion (1).  Quelques-unes  de  ces  pierres,  d'un  poids  assez  lourd  (2), 


Fig.  82.  —  Pierre  taillée  trouvée  à  Swanton  (Vermont)  ;  la  base  est  plate  et  perforée  de 
deux  trous  de  suspension  (longueur  3  pouces  7  lignes). 

figurent  des  animaux  (fig.  82),  des  oiseaux  principalement,  pres- 
que toujours  grossièrement  sculptés.  On  cite  un  fragment  de 
marbre  blanc  qui  porte,  colorées  en  rouge,  les  parties  que  l'artiste 


Fig.  83.  —  Grains  en  cuivre  Connett's  Mound  (Ohio)  (grandeur  naturelle). 

tenait  surtout  à  faire  ressortir.  Il  serait  difficile  de  raconter  tou- 
tes les  variétés  que  les  fouilles  ont  données. 
Nous  ne  pouvons  omettre  les  ornements  en  métal,  d'une  im- 

(1)  Squier  a  observé  que  sur  les  pierres  provenant  des  mounds  du  Mississipi,  les 
trous  de  suspension  étaient  toujours  percés  à  une  distance  de  4/5  de  pouce.  Par  une 
coïncidence,  peut-être  fortuite,  mais  à  coup  sûr  assez  bizarre,  la  même  mesure  se 
trouve  exactement  reproduite  sur  des  pierres  trouvées  à  Swanton  (G.  H.  Perkins,  On 
an  Ancient  Burial  Ground  in  Swmiton  {Vermont).  Am.  Ass.  Portland,  1873. 

(2)  Ce  poids  excède  quelquefois  2  livres. 


ORNEMENTS.  175 

portance  capitale  pour  l'histoire  des  Mound-Builders.  A  Gonnett's 
Mound  on  a  recueilli  plus  de  500  grains  de  cuiTre  (fig.  83),  desti- 
nés à  des  colliers  ou  à  des  bracelets. 

A  Circular-Mound^  auprès  de  la  rivière  Détroit,  des  grains 
semblables  étaient  enfilés  sur  une  cordelette  fabriquée  avec  de  l'é- 
corce.  Ils  étaient  façonnés  dans  une  feuille  mince  de  cuivre  décou- 
pée, puis  roulée  sans  aucune  trace  de  soudure  (1).  Sur  d'autres 
points,  les  grains  étaient  de  forme  ovale  et  leur  fabrication  avait 
dû  offrir  des  difficultés  sérieuses. 

Outre  les  ornements  dont  nous  venons  de  parler,  on  rencontre 
des  celts,  des  grattoirs,  des  ciseaux,  des  couteaux,  des  pointes 
de  lance  et  de  flèche  de  formes  diverses,  tous  obtenus  par  le 
martelage  à  froid  de  morceaux  de  cuivre  natif;  pour  les  Mound- 
Builders,  le  cuivre  devenait  une  pierre  malléable.  A  Swanton,  i 
a  été  recueilli  une  hache  insérée  dans  un  manche  en  bois,  dont 
on  peut  encore  reconnaître  les  fragments;  dans  le  Wisconsin, 
une  pointe  de  lance  et  un  couteau  qui  se  peuvent  comparer 
à  nos  armes  modernes  (fig.  84)  ;  à  Joliet  (Illinois),  une  lame 
tranchante;  à  Fort  Wayne,  un  couteau.  On  a  reconnu  sur  un 
squelette  découvert  sous  un  mound,  à  Zolicoffer  Hill,  un  orne- 
ment en  cuivre  d'une  forme  très  particulière  (fig.  85)  (2).  La  croix 
qui  le  surmonte  a  fait  supposer  qu'il  était  d'origine  européenne  ; 
mais  le  D'  Jones  signale  ce  même  motif  d'ornementation  sur 
des  coquilles  gravées  et  sur  des  objets  en  cuivre  provenant 
également  du  Tennessee  (3).  Un  squelette  retiré  d'un  des  mounds 
de  Chilicothe  portait  une  croix  sur  sa  poitrine,  et  une  idole 
avec  une  croix  gravée  sur  l'épaule  était  découverte  sous  un  ter- 
tre de  la  vallée  de  Cumberland.  La  croix  est  reproduite  sur  un 
des  bas -reliefs  de  Palenque  et  sur  les  monuments  de  Cuzco,  au 
centre  même  du  culte  du  Soleil.  Quand  Grijalva  débarqua,  en 
1518,  sur  la  côte  du  Yucatan,  sa  surprise  fut  grande  de  voirie  signe 
de  sa  foi  dominer  les  temples  des  indigènes  (4).  Des  faits  analogues 

(1)  Andrews,  Exp.  in  S.  E.  Ohio  ;  Report  Peabody  Muséum^  1877. 

(2)  Putnam,  Arch.  Expl.  in  Tennessee.  Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  II,  p.  307. 
(3J  Haywood,  Expl.  of  the  Aboriyinal  Remains  of  Tennessee;  Smith.  Cont.,  I87C. 
(4)  Herrera,  Hist.  Gen.  de  los  Hechos  de  los  Castillanos  en  las  Islas  y  Tierra  Firme 


176  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

se  reproduisent  sur  toute  la  terre  d'Amérique;  il  faut  les  men- 


Fig.  84.  —  Armes  en  cuivre,  trouvées 
dans  le  Wisconsin. 


Fig.  85.  —  Ornement  en  cuivre, 
trouvé  dans  un  Stone-Gave  à 
Zolicoffer  Hill  (Tennessee). 


tionner,  il  est  impossible  d'y  attacher  quelque  importance  (1). 

del  Mar  Oceano.  Madrid,  1725-30.  Dec.  II,  lib.  III,  cap.  I.  Le  première  édition  fut  pu- 
bliée en  1605. 

(1)  La  croix  est  dans  tous  les  pays  d'une  haute  antiquité.  On  la  trouve  sur  les  plus 
anciens  monuments  de  l'Egypte,  où  elle  signifie  la  vie  éternelle. 


ORNEMENTS.  177 

Les  poteries  du  Missouri,  les  curieuses  découvertes  de  M.  Put-    vêtements. 
nam  dans  le  Kentucky  (1)  nous  ont  fait  déjà  connaître  les  vête- 
ments des  Mound-Builders;  des  momies  trouvées  dans  les  ca- 
vernes des  Etats  dé  l'Ouest,  permettent  mieux  encore  d'en  juger. 
Les  cadavres  étaient  recouverts  d'une  toile  grossière,  puis  d'une 
sorte  de  filet  à  larges  mailles,  où  l'on  avait  placé  des  plumes 
aux  couleurs  brillantes,  enfin  d'une  troisième  enveloppe  en  peau. 
Les  anciens  habitants  de  l'Amérique  fabriquaient  diverses  sortes 
de  tissus  (2).  Il  y  a  quelques  années,  les  fouilles  d'un  mound 
situé  sur  la  rivière  du  grand  Miami,  à  deux  miles  au  nord  de 
Middletown   (Ohio),   donnèrent  plusieurs  fragments  de   loile  à 
demi  consumée,  mêlés  à  des  charbons  et  à  des  ossements  humains 
atteints  eux  aussi  par  la  flamme  (3).  Cette  toile  grossièrement 
tissée  à  la  main,  avait  sans  doute  servi  à  ensevelir  le  cadavre 
avant  la  crémation,  tout  au  moins  partielle  qui  avait  précédé 
l'enterrement.   11  est  assez  difficile  de  l'attribuer  aux  Indiens; 
le  mound  ne  présentait  aucune  trace  de  remaniement;  il  était 
formé  de  couches  successives  d'argile  jaune  étrangère  au  pays  ; 
son  érection  aurait  donc  exigé  un  travail  dont  ces  races  sau- 
vages sont  certainement  incapables. 

D'autres  exemples  viennent  confirmer  celui  que  nous  venons 
de  citer.  On  découvrait  récemment  dans  l'Iowa,  des  haches  en 
cuivre  soigneusement  enveloppées  dans  une  étoffe  très  bien  con- 
servée (4),  et  au  mois  de  janvier  1876,  les  fouilles  d'un  mound  de 
rilinois  mettaient  au  jour  plusieurs  tortues  en  cuivre  martelé 
du  travail  le  plus  remarquable  (5).  Ces  bijoux,  on  ne  saurait  les 
appeler  autrement,  évidemment  d'un  grand  prix,  avaient  été 
successivement  entourés  d'un  tissu  végétal,  d'une  étoffe  de  cou- 

(1)  Voy.  chap.  ii,  p.  78. 

(2)  Une  légende  du  Yucatan  fait  remonter  la  découverte  de  l'art  de  tisser  à  une 
déesse  nommée  Ixazalvoh. 

(3)  Foster,  De^crifition  of  Samples  of  ancient  Ctolhfrom  the  Mounds  of  Ohio.  Àm. 
As  s.  Albftnt/,  1851. 

(4)  Short,  The  North  Americans  nf  Antiquitt/,  p.  37. 

{h)  But.  nf  the  Buffalo  Society  of  Nalural  flist.  March.,  1877.  La  plus  grande  de  ces 
tortues  ne  mesurait  que  2  pouces  1/8  de  longueur,  et  l'épaisseur  du  cuivre  avait  été  ré- 
duite par  le  martelage  à  1/64*  de  pouce. 

De  Naoaillac,  Amérique.  12 


i78  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

leurbrune  fabriquée  avec  du  poil,  soit  de  lapin,  soitdecervide(l), 
enfin  d'une  dernière  enveloppe  tirée  des  intestins  d'un  animal. 
Il  était  recueilli  sous  ce  même  mound,  des  dents  de  cervide  per- 
cées de  trous  de  suspension  et  recouvertes  de  plaques  très 
minces  de  cuivre.  Ces  dents  étaient  enveloppées  d'étoffes  pa- 
reilles à  celles  que  nous  venons  de  décrire. 

Les  mounds  de  l'Ohio,  dont  les  fouilles  ont  été  si  fructueuses 
pour  la  science,  ont  aussi  donné  un  morceau  de  cuir  très  bien 
conservé  qui  pouvait  avoir  de  8  à  10  pouces  de  longueur  et  qui 
était  orné  de  nombreux  grains  de  cuivre  de  forme  ovale.  C'était 
un  fragment  de  vêtement,  ayant  appartenu  à  un  Mound- 
Builder(2). 
Kxpioitaiion        Lg  cuivrc,  dont  les  Mound-Builders  faisaient  un  si  fréauent 

des  mines.  '  t 

usage  venait  des  rives  du  lac  Supérieur  (3).  Les  ouvrages  des 
anciens  mineurs  sont  disséminés  sur  une  région  longue  de  150 
miles,  sur  une  largeur  variant  de  4  à  7  miles,  appelée  aujour- 
d'hui la  zone  du  Trap.  La  pointe  Kenenaw  s'avance  en  éperon 
dans  le  lac  sur  une  longueur  de  70  miles;  les  gisements  de 
minerais,  qui  y  abondent,  avaient  été  exploités  dans  des  temps 
très  reculés  ;  mais  tout  vestige  était  effacé,  tout  souvenir  des  vieux 
mineurs  était  perdu,  lorsqu'en  1848,  les  travaux  d'une  compagnie 
minière  vinrentles  révéler.  Laprofondeurdesexcavationstoujours 
à  ciel  ouvert,  variait  de  20  à  30  pieds,  c'était  la  limite  extrême  que 
ces  ouvriers  inexpérimentés  osaient  atteindre  ;  le  cuivre  s'y  rencon- 
traiten  masses,  variant  de  quelques  grammes  à  des  milliers  de  kilo- 
grammes. Dans  une  excavation,  que  les  années  avaient  comblée 
par  les  éboulements  de  terrain  et  les  détritus  végétaux,  débris  de 
plusieurs  générations  d'arbres,  on  rencontrait,  à  18  pieds  environ 
de  la  surface,  un  bloc  de  métal  mesurant  2  pieds  de  longueur  sur 

(1)  L'examen  microscopique  n'a  pu  déterminer  d'une  manière  satisfaisante  la  nature 
du  poil.  Nous  savons  seulement  que  les  Nahuas  fabriquaient  avec  du  poil  de  lapin 
une  étoffe  égale  à  la  soie  comme  finesse. 

(2)  School  House  Mound  (Ohio).  Andrews,  Report  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  65. 

(3)  G.  Jackson.  Geoîogical  Report  to  the  U.  S.  Government,  1849.  —  Foster  and 
Whitney,  Re/fort  on  the  Geology  of  tlic  Lake  Superior  Région,  part.  I,  1850.  —  Ch. 
Whittlesey,  A ncie7it  Mining  on  the  SItores  of  Lnke  Superior;  Am.  Ass.  Montréal,  Ca- 
nada, 1857.  —  Swincford,  Reuiew  of  Ihc  Minerai  Ressources  of  Lake  Superior,  1876. 


MÉTAUX.  179 

3  pieds  de  largeur  et  2  pieds  d'épaisseur,  d'un  poids  de  près  de 
six  tonnes  (1).  Cette  masse  était  posée  sur  des  rouleaux  d'un 
diamètre  de  six  à  huit  pouces,  dont  les  extrémités  portaient  encore 
les  marques  d'un  instrument  tranchant.  Les  mineurs  l'avaient 
fait  monter  de  cinq  pieds  environ  ;  puis  ils  avaient  renoncé  h  une 
entreprise  au-dessus  de  leurs  forces  ou  des  moyens  dont  ils  dis- 
posaient. Les  procédés  d'exploitation  étaient  des  plus  simples;  les 
ouvriers  allumaient  dans  la  mine  de  grands  feux,  et  quand  le 
rocher  était  friable,  ils  le  brisaient  à  grands  coups  de  maillet. 
On  a  recueilli  plusieurs  de  ces  maillets,  les  plus  lourds  pèsent 
jusqu'à  trente-six  livres,  et  un  nombre  plus  considérable  encore 
de  petits  marteaux  en  serpentine  ou  en  porphyre.  M.  Rnapp, 
qui,  le  premier  de  nos  jours,  a  dirigé  ces  exploitations,  raconte 
avoir  retiré  de  ces  mines,  la  charge  de  dix  charrettes  en  outils 
de  pierre  de  toute  sorte.  Dans  une  excavation  plus  profonde  que 
les  autres,  on  rencontrait  une  échelle  toute  primitive  ;  c'était  le 
tronc  d'un  jeune  arbre,  dont  les  branches  coupées  à  des  hauteurs 
inégales  remplaçaient  les  échelons  ;  sur  d'autres  points,  des 
pelles,  des  leviers,  des  écuelles  en  bois  de  cèdre,  préservés  de  la 
destruction  par  l'eau  dans  laquelle  ils  baignaient.  Partout  avec 
les  outils  de  pierre,  on  a  découvert  des  outils  en  cuivre,  portant 
pour  la  plupart  les  traces  d'un  long  service  (2). 

Différentes  analyses  du  cuivre  du  lac  Supérieur  ont  montré  son 
identité  avec  celui  recueilli  sous  les  mounds.  Les  unes  et  les  au- 
tres donnent  la  même  proportion  d'argent  ;  et  l'on  sait  que  ce  der- 
nier métal  se  trouve  en  quantité  toujours  variable,  dans  les  divers 
gisements  de  cuivre. 

Les  dépôts  de  l'île  Royale  étaient  plus  riches  encore  que  ceux 
de  la  pointe  Renenaw  (3).  Ils  s'étendaient  sur  une  longueur  de 
quarante  miles,  et  le  sol  est  encore  couvert  d'excavations  an- 
ciennes, creusées  pour  atteindre  le  minerai.  On  estime  que  la 


(1)  La  tonne  anglaise  usitée  en  Amérique  vaut  10,181  kilogrammes. 

(2)  Un  maillet  pesait  plus  de  vingt  livres.  Comme  tous  les  autres  objets  en  cuivre, 
avait  été  obtenu  par  le  martelage  à  froid. 

(3)  H.  Gillman,  Aiicient  Works  Isle  Royal.  Smith.  Cont.,  1873. 


180  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

végétation  qui  s'élève  sur  les  exploitations  minières  des  grands 
lacs,  accuse  une  durée  approximative  de  dix  siècles.  A  l'époque 
de  l'arrivée  des  premiers  Européens,  ces  exploitations  avaient 
cessé  depuis  plusieurs  siècles  (1);  ce  sont  les  seuls  faits  chrono- 
logiques que  nous  puissions  avancer  avec  quelque  certitude. 

Il  a  été  trouvé  des  traces  d'exploitations  minières  sur  plusieurs 
autres  points  de  l'Amérique  du  Nord,  dans  l'Arkansas,  dans 
le  Missouri,  sur  les  flancs  des  monts  Ozark  (2).  Le  capitaine 
Peek  a  observé  auprès  de  la  rivière  Ontanogen  (3),  à  une  pro- 
fondeur de  huit  mètres,  des  maillets  et  d'autres  outils  en  con- 
tact avec  une  veine  de  cuivre  (4).  Un  peu  plus  haut  gisait  le 
tronc  abattu  d'un  vieux  cèdre  ;  un  sapin  en  pleine  vigueur 
entourait  le  cèdre  de  ses  racines.  Ce  sapin  avait  au  moins  trois 
cents  ans.  A  cette  durée,  il  faut  ajouter  celle  du  cèdre  qu'il  rem- 
plaçait, puis  un  temps  plus  long  encore,  pour  que  la  tranchée 
abandonnée  fût  remplie  par  les  lentes  accumulations  des  hivers 
successifs  et  offrît  aux  arbres,  la  terre  végétale  indispensable  à 
leur  croissance. 

Le  cuivre  paraît  avoir  été  le  seul  métal  employé  d'une  manière 
usuelle  par  les  Mounds-Builders.  On  ne  connaît  nulle  découverte 
d'or  bien  authentique  ;  l'argent  était  rare  et  on  ne  l'a  rencontré 
jusqu'ici,  que  sous  quelques  tertres  de  Mound-City  et  là  seule- 
ment en  feuilles  très  minces  qui  recouvraient  soit  des  coquilles, 
soit  des  ornements  en  cuivre  et  cela  avec  tant  d'art,  qu'on  ne  peut 
reconnaître  qu'avec  beaucoup  de  peine  le  travail  de  l'ouvrier. 
Cet  argent  devait  provenir  du  lac  Supérieur  où  il  se  trouve 
quelquefois  en  petites  masses  à  l'état  natif. 

Le  fer  était  inconnu  (5)  ;  telle  est  l'opinion  généralement  ad- 

(1)  Stronck,  Repères  chronologiques.  Cong.  des  AméricanUtes.  Luxembourg,  1877, 
t.  I,  p.  318. 

(2)  Sclioolcraft,  Archives  of  Aboriginal  Knowledge,  t.  I,  p.  101.  Des  mines  de  cui- 
vre existent  également  au  Mexique;  mais  rien  ne  prouve  qu'elles  aient  été  exploitées 
avant  l'arrivée  des  Conquistadores.  F.  von  Heliwald,  Cong.  des  Americ.  Luxembourg, 
1877. 

(3)  Petite  rivière  de  l'État  de  New-York. 

(4)  Lubbock,  l' Homme  préh .  ^  ivz.A.  Barbier,  p.  "i.'iS. 

[b)  «  Iron  ore  and  galena  occur.  but  no  iron  or  lead.  »  Baucroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  778. 


MÉTAUX.  181 

mise  ;  et  dans  les  nombreuses  fouilles  entreprises  sur  bien  des 
points  et  dans  bien  des  régions  différentes,  il  a  été  impossible 
d'en  relever  le  moindre  fragment.  M.  Conant  cependant  a  pré- 
tendu prouver  le  contraire  (1)  ;  en  creusant  un  puits  auprès  de 
Cincinnati,  nous  dit-il,  on  rencontra  à  94  pieds  au-dessous  du  sol, 
un  tronc  d'arbre  qui  portait  les  marques  d'un  instrument  tran- 
chant et  sur  lequel  on  crut  reconnaître  quelques  traces  de  rouille. 
A  Payson  Farm  (Utah),  sous  l'un  des  mounds  explorés,  un  sque- 
lette tenait,  encore  une  arme,  dont  la  lame  parut  être  de  fer  ou 
d'acier  ;  mais  sa  rapide  décomposition  ne  permit  qu'un  examen 
trop  superficiel,  pour  hasarder  une  conclusion  (2).  Une  lettre  du 
professeur  Tice,  météorologiste  distingué,  raconte  la  découverte 
dans  un  des  comtés  de  l'Illinois  d'un  outil  en  fer,  auquel  il  attri- 
bue une  grande  antiquité.  Un  sabre  de  vingt  pouces  de  longueur, 
trouvé  sous  un  mound  et  présentant  un  tranchant  très  affilé  est 
conservé  au  Peale  Muséum  à  New- York.  Sous  un  grand  tertre 
situé  à  Circleville,  gisaient  plusieurs  squelettes  et  à  côté  d'eux 
de  nombreux  objets  en  pierre  et  en  os,  parmi  lesquels  un  manche 
en  corne  d'élan  (3)  avec  une  virole  en  argent.  La  lame  avait  dis- 
paru ;  mais  un  amas  de  poussière  brune  indiquait  encore  sa 
forme  et  le  métal  employé.  Dans  ce  même  monnd,  à  côté  d'un 
autre  squelette,  qui  comme  les  premiers  portait  des  traces  évi- 
dentes de  crémation,  on  recueillait  une  grande  plaque  de  mica 
de  trois  pieds  de  longueur,  sur  un  pied  de  largeur  :  c'était  un 
miroir  enchâssé  dans  un  cadre  de  fer  très  mince  obtenu  par  la 
fusion  et  qui  se  pulvérisa  au  premier  contact  de  l'air.  Ces  der- 
nières observations  dues  à  M.  Atwater_,  archéologue  distingué  qui 
assistait  personnellement  aux  fouilles,  sont  les  seules  qui  méritent 

(1)  Foot  Prints  oj  Vanished  Racs,  p.  110. 

(2)  Amasa  Potier,  Emeka  Sentinel  of  Nevada-Western  Reviem  of  science  nnd  In- 
duitrij.  M.  Conant  cite  ces  découvertes  comme  récentes  ;  mais  il  oublie  de  nous  don- 
ner leurs  dates.  L'évidente  exagération  du  récit  détruit  toute  confiance.  Nous  avons 
même  hésité  à  le  reproduire,  tant  il  faut  se  défier  des  rapports  toujours  à  sensation 
des  journaux  américains. 

(3)  Alces  Mal'  ht,  Alces  antiquorum  (Ruppell),  Cervus  alces,  (Linné),  l'E/A  des  Améri- 
cains et  des  Anglais.  C'est  le  plus  grand  cervide  connu,  ses  bois  pèsent  quelquefois 
jusqu'à  60  livres. 


182  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

quelque  créance;  mais  en  admettant  mêqie  leur  complète  exacti- 
tude, ces  faits  isolés  feraient  supposer  un  remaniement  et  ne  sau- 
raient contredire  les  preuves  si  nombreuses  et  si  positives  de 
l'absence  du  fer,  à  l'état  de  métal  utile,  chez  les  premiers  habi- 
tants de  l'Amérique. 

Ces  hommes  ignoraient  aussi  tout  procédé  de  fusion  (1)  et 
leurs  armes  ou  leurs  outils  de  cuivre  étaient  obtenus,  nous  l'avons 
rappelé  à  plusieurs  reprises,  par  le  martelage.  Une  découverte 
récente  tendrait  à  modifier  cette  opinion  et  à  prouver  que  sur  un 
point  tout  au  moins,  les  Mounds-Builders  connaissaient  l'art  de 
fondre  les  métaux.  Des  fouilles  récentes  dans  le  Wisconsin,  ont 
donné  non  seulement  des  instruments  en  cuivre  fondu,  mais 
encore  les  moules  qui  avaient  servi  au  moulage.  Il  serait  utile 
que  d'autres  faits  vinssent  confirmer  une  assertion  qui  détruit  ce 
qui  était  généralement  admis  jusqu'ici  (2). 
Culture.  Les  traccs  d'une  ancienne  culture  attribuée  aux  Mound-Buil- 

ders  sont  nombreuses  dans  les  États  de  l'Ouest,  notamment  dans 
le  Michigan  et  dans  l'Indiana  (3).  Ce  sont  des  levées  parallèles 
qui  couvrent  souvent  des  superficies  considérables,  plusieurs 
centaines  d'acres  par  exemple,  et  auxquelles  les  Américains  ont 
donné  le  nom  significatif  de  Garden-Beds.  On  rencontre  ces 
mêmes  levées  dans  le  Missouri  et  dans  tout  le  pays  à  l'ouest  du 
Mississipi  ;  elles  s'étendent  dans  les  vallées  formées  par  les  monts 
Ozark,  depuis  le  comté  de  Pulaski  jusqu'au  golfe  du  Mexique  au 
sud,  jusqu'aux  rives  du  Colorado  et  jusqu'au  Texas  à  l'Ouest  ;  au 
Nord  enfin,  jusqu'aux  territoires   formant   aujourd'hui  l'Etat 


(1)  «  There  is  no  évidence  that  this  métal  was  ever  obtained  from  ore  by  smelting... 
The  Mound-Builders  were  ignorant  of  the  arts  of  casting,  wolding  and  allaying  »  ;  Ban- 
croft,  /.  c,  t.  IV,  p.  778. 

il)  Ces  lignes  étaient  écrites,  lors  que  j'ai  eu  connaissance  d'une  lettre  de  M.  Putnam 
du  17  novembre  1881,  intitulée  «  Were  ancient  Implemcnts  hamme^-ed  or  mou'ded 
into  shope.  Le  savant  professeur  conclut  comme  moi,  que  l'on  n'a  jusqu'à  prosent,  au- 
cune preuve  sérieuse  de  l'emploi  du  moulage.  Outre  le  martelage,  ajoute-t-il,  ces 
hommes  se  servaient  d'un  autre  procédé,  le  métal  en  fusion  était  roulé  entre  deux 
pierres  plates  et  amené  ainsi  à  la  forme  voulue. 

(3)  Schoolcraft,  Ancient  Garden  Beds  in  Grand  River  Valley  (Michigan),  /.  c,  t.  I, 
p.  50  et  pi.  VI.  —  Conant,  /.  c,  p.  05. 


CULTURE.  183 

d'Iowa.  Leur  diamètre  varie  de  dix  à  soixante  pieds;  leur  éléva- 
tion de  deux  à  trois  pieds.  Les  fouilles  nombreuses  et  minutieuses 
n'ont  donné  aucune  relique,  aucun  ossement,  aucun  fragment  de 
poterie,  aucun  amas  de  cendres  ou  de  charbons  pouvant  attester 
le  séjour  ou  la  sépulture  de  l'homme.  On  ne  saurait  donc  les 
comparer  ni  aux  Rjôkkenmôddings,  ni  aux  mounds  sépulcraux. 

Le  professeur  Forshey  nous  apprend  aussi  leur  existence  dans 
la  Louisiane;  là  les  dimensions  sont  plus  considérables;  leur 
diamètre  varie  de  trente  à  cent  quarante  pieds  (1)  ;  leur  hauteur 
atteint  cinq  pieds,  pour  descendre  jusqu'à  quelques  pouces  dans 
les  marais  immenses,  qui  s'étendent  au  loin  sur  les  rivages  du 
golfe.  Sur  quelques  points  ces  levées  se  touchent,  et  entre  Gai- 
veston  et  Houston,  entre  la  rivière  Rouge  et  Ouicheta,  on  les 
compte  par  milliers.  En  les  décrivant  devant  l'Académie  des 
sciences  de  la  JN'ouvelle-Orléans,  M.  Forshey  ajoutait  :  «  Ces  levées 
n'ont  pu  servir  de  fondation  à  la  demeure  des  hommes  ;  aucun 
des  animaux  fouilleurs  connus  n'exécute  de  semblables  travaux  ; 
les  ouragans  ne  sauraient  accumuler  les  matériaux  avec  une 
telle  régularité.  11  est  impossible  de  rien  dire  de  précis  sur  leur 
origine,  elle  me  semble  inexplicable.  »  D'autres  archéologues 
sont  plus  affirmatifs;  pour  eux  ces  levées  n'ont  pu  servir  qu'à  la 
culture  et  leur  but  était  de  remédier  à  l'humidité  du  sol, 
aujourd'hui  encore  le  grand  obstacle  que  rencontrent  les  culti- 
vateurs, dans  les  riches  plaines  de  l'Ouest. 

Si  nous  devons  en  croire  certains  Américanistes,  les  Mound- 
Builders  cultivaient  le  maïs,  les  haricots  (2),  peut-être  même  la 
vigne.  Un  explorateur  récent  décrivant  les  fouilles  d'un  mound 
dans  l'Utah  (3),  rapporte  avoir  trouvé  une  poignée  de  blé,  dont 
quelques  grains  soigneusement  ramassés,  ont  donné,  l'année 
suivante,  un  épi  singulièrement  long,  portant  des  grains  nom- 
breux et  d'une  forme  tout  à  fait  distincte  des  céréales  actuelles  ; 
mais,  nous  l'avons  déjà  dit,  tout  le  récit  de  cette  découverte  est 

(1)  Le  diamètre  de  140  pieds,  faut-il  ajouter,  ne  s'est  rencontré  qu'une  seule  fois. 

(2)  Les  frijoli,  importés  par  les  Espagnols  en  Europe. 
^3)  Amasa  Potter.  Voy.  note  2,  p.  181. 


184  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

accompagné  d'une    telle  exagération,  qu'il  est  impossible   de 
l'admettre  jusqu'à  plus  ample  informé. 
Origine  et        Eu  résumé,  durant  des  siècles,  dont  il  est  bien  difficile  dans 

migrations 

des   Mound-  l'état  actucl  de  nos  connaissances,  de  supputer  la  durée  exacte, 

Builders.  '  ri"  ' 

une  môme  race  couvrait  toute  la  vaste  région  comprise  entre  le 
Mississipi  et  les  AUeghanys,  entre  l'Ohio  au  Nord  et  le  golfe  du 
Mexique  au  Sud.  Ces  populations  étaient  nombreuses,  à  en  juger 
par  les  constructions  qui  permettent  de  les  connaître  ;  homo- 
gènes, car  partout  nous  constatons  les  mêmes  rites  funéraires  et 
religieux,  les  mêmes  arts  et  la  même  industrie;  sédentaires,  des 
nomades  n'auraient  élevé  ni  de  semblables  temples,  ni  de  sem- 
blables retranchements;  pastorales  et  agricoles,  la  chasse  seule 
n'aurait  pu  fournir  à  leurs  besoins;  soumises  à  des  chefs,  une 
autorité  despotique  était  indispensable,  pour  exécuter  les  travaux 
qui  restent  leurs  témoins  ;  commerçantes  enfin,  car  sous  les  mêmes 
mounds,  on  rencontre  le  cuivre  du  lac  Supérieur,  le  mica  des 
AUeghanys,  l'obsidienne  du  Mexique,  les  perles  et  les  coquilles 
du  golfe.  Tout  témoigne  que  ces  hommes,  dont  nous  recher- 
chons les  traces,  s'étaient  élevés  depuis  longtemps  au-dessus  de  la 
barbarie  des  premiers  âges  et  qu'ils  étaient  parvenus  à  un  état  de 
civilisation  comparative.  11  est  certain  que,  comme  chez  toutes 
les  races  barbares,  dont  l'histoire  nous  permet  de  suivre  l'évo- 
lution, cette  civilisation  n'avait  pu  se  former  que  lentement  et 
progressivement. 

Quels  étaient  ces  hommes,  dont  les  travaux  excitent  un  si 
juste  étonnement,  nous  faut-il  maintenant  demander?  comment 
ces  constructeurs  ont-ils  disparu?  S'ils  étaient  autochthones  où 
ont-ils  puisé  leur  connaissance  de  l'architecture,  des  arts  utiles, 
de  l'agriculture?  S'ils  étaient  arrivés  par  immigration  de  régions 
voisines  ou  de  continents  éloignés,  quels  étaient  ces  continents? 
Quelles  étaient  ces  régions?  Par  quelle  voie  les  Mounds-Builders 
sont-ils  venus  et  comment  tout  souvenir  de  leur  disparition  s'est-il 
effacé  de  la  mémoire  de  leurs  vainqueurs  ou  de  leurs  succes- 
seurs ?  On  ne  peut  dissimuler  ni  la  portée  de  ces  questions 
pour  le  passé  de  la  race  humaine,  ni  l'impossibilité  actuelle  de 


ORIGINE  ET  MIGRATIONS.  185 

leur  donner  une  solution  même  incomplète.  Nous  ne  pouvons 
qu'exposer  les  données  du  problème  et  les  opinions  qui  se  sont 
successivement  fait  jour. 

Deux  courants  divisent  ceux  qui  se  sont  plus  particulière- 
ment livrés  à  ces  études,  dont  les  préoccupations  religieuses 
viennent  malheureusement  aggraver  les  difficultés,  déjà  si 
grandes  par  elles-mêmes.  Pour  les  uns,  les  Indiens  actuels  repré- 
sentent les  Mound-Builders;  les  autres  au  contraire  affirment 
que  les  constructeurs  des  grands  tertres  ont  absolument  disparu 
et  se  refusent  à  admettre  que  les  sauvages  barbares  et  nomades 
qui  vivent  encore  dans  l'Amérique  du  Nord,  puissent  être  leurs 
descendants.  Il  convient  d'examiner  tour  à  tour  les  arguments  et 
les  objections  qui  ne  font  défaut  à  aucune  des  théories  mises  en 
avant. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  les  mounds  présentent  entre  eux 
une  telle  analogie,  qu'ils  ne  peuvent  être  que  l'œuvre  d'une  race 
unique.  «  They,  were  ail  built  by  one  people  »  a-t-on  dit  avec 
infiniment  de  raison  (I);  ce  qui  est  non  moins  certain,  c'est  que 
leur  érection  a  nécessité  de  longs  siècles.  Les  hommes  qui  ont 
exploité  les  mines  du  lac  Supérieur,  qui  ont  érigé  des  mounds 
tels  que  ceux  de  Newark,  de  Portsmouth,  de  Cincinati,  de  Chili- 
cothe,  de  Gircleville,  des  fortifications  comme  celles  de  l'Ohio, 
ont  longtemps  vécu  dans  ces  régions,  sans  que  l'on  puisse  fixer 
les  limites  exactes  de  leur  occupation.  La  question  de  temps  est 
tellement  connexe  à  celle  de  l'origine,  qu'il  est  impossible  de 
les  séparer. 

Une  première  remarque  s'impose  :  dans  les  cavernes  et  sous     Les  Mound- 

,,,.,,„  Builders    ont 

les  tumuli   de  1  Europe  on   retrouve  de  nombreux  ossements  disparu,  sans 

laisser  de 

humains,  datant  souvent  de  l'antiquité  la  plus  reculée,  tandis  descendants. 
qu'il  n'en  est  pas  de  même  en  Amérique.  Là,  les  fouilles  ne 
donnent  le  plus  souvent  que  quelques  petits  amas  de  poussière 
blanche,  derniers  vestiges  de  l'homme,  et  jamais  on  n'a  mieux 
compris  qu'en  les  contemplant,  la  vérité  des  paroles  que  l'Église 

(1)  Conant,  /.  c,  p.  39. 


186  L'AMÉllIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

catholique  adresse  aux  fidèles  :  Mémento  Homo,  quia  pulvis 
es.  Cette  destruction  provient-elle  de  la  grande  antiquité  des 
dépôts,  ou  bien  de  la  constitution  chimique  du  sol  et  de  l'action 
qu'elle  exerce  sur  la  rapide  décomposition  des  ossements?  Il  est 
difficile  de  se  prononcer;  mais  il  faut  remarquer  que  des  osse- 
ments humains  ont  été  trouvés  sur  bien  des  points  de  l'Amé- 
rique et  il  est  impossible  d'admettre  une  constitution  toujours 
identique  du  sol  dans  les  régions,  si  différentes  à  tous  les  points 
de  vue,  où  les  fouilles  ont  été  tentées. 

Il  a  été  également  observé  que  l'on  rencontre  rarement  les 
mounds  sur  les  assises  inférieures  de  l'Ohio  ou  de  ses  tributai- 
res (1).  Presque  tous  sont  érigés  sur  les  terrasses  formées  par  les 
alluvions  les  plus  anciennes;  et  quelques-uns  ont  gardé  jusqu'à 
nous,  les  traces  des  grandes  inondations  qui  ont  achevé  le  creuse- 
ment des  vallées.  On  a  voulu  en  conclure  que  leur  érection  avait 
précédé  ces  inondations.  Ce  serait  là  un  fait  capital;  mais  n'est-il 
pas  plutôt  permis  de  supposer  que  ces  hommes  avaient  su  choi- 
sir les  emplacements  de  manière  à  éviter  les  grandes  eaux,  dont 
ils  avaient  appris  de  bonne  heure  à  connaître  les  désastreux 
effets  (2). 

Les  géants  de  la  forêt  ont  couvert  les  terrassements  artificiels, 
et  plusieurs  générations  d'arbres  ont  succédé  tour  à  tour  (3)  à 
la  demeure  de  l'homme.  Ces  changements  ont  sûrement  exigé 
un  temps  très  long.  «  La  marche  que  suit  la  nature  pour  re- 
mettre la  forêt  dans  son  état  primitif,  après  qu'elle  a  été  défri- 
chée, est  extrêmement  lente,  disait  le  général  Harrison  dans  un 

(1)  La  diflférence  de  niveau  entre  les  hautes  et  basses  eaux  est  de  35  pieds  pour  le 
haut  Mississipi,  de  30  à  35  pieds  pour  le  Missouri  et  de  42  pieds  pour  l'Ohio. 

(2>  Des  découvertes  nouvelles  permettent  d'ajouter  que  quelqu'uns  des  mounds  s'é- 
lèvent sur  le  sol  formé  par  les  alluvions  les  plus  récentes.  Ce  fait  prouverait  que 
l'érection  des  mounds  a  duré  de  longs  siècles. 

(3)  Sur  plusieurs  points  on  a  constaté  que  des  arbres  six  fois  séculaires  croissent 
sur  la  poussière  d'une  forêt  préexistante.  Les  arbres  se  sont  affaissés  sur  le  sol  pour 
y  devenir  la  proie  lente  de  la  pourriture  végétale.  On  aperçoit  des  aspérités  ou  des 
bosses  provenant  de  la  terre  qui  a  été  soulevée  par  les  racines  au  moment  de  la  chute, 
c'est  la  présence  de  ces  bosses  qui  atteste,  sans  qu'il  soit  possible  de  s'y  méprendre, 
que  la  forôt  s'est  renouvelée.  Stronck,  Repères  chion.  de  l'Iiist,  des  Mound-Builders. 
—  Force,  tfie  Pre/nsloric  Mau.,  p.  63. 


ORIGINE  ET  MIGRATIONS.  187 

discours  que  j'ai  déjà  rappelé  (1).  Les  riches  terres  de  l'Ouest 
sont,  il  est  vrai,  bientôt  recouvertes;  mais  le  caractère  de  la  nou- 
velle forêt  est  essentiellement  différent,  et  cette  différence  per- 
siste longtemps.  Sur  plusieurs  points  de  l'Ohio,  sur  la  ferme 
même  que  j'occupe,  on  a  fait  des  défrichements  à  l'époque  où  le 
pays  a  commencé  à  être  habité.  Plus  tard  les  parties  défrichées 
ont  été  abandonnées  et  l'on  y  a  laissé  repousser  les  arbres.  Quel- 
ques-unes de  ces  nouvelles  forêts  ont  maintenant  plus  de  cin- 
quante ans;  mais  elles  sont  si  peu  semblables  à  la  forêt  immé- 
diatement contiguë,  que  tout  homme  qui  réfléchit,  doit,  en  les 
voyant,  arriver  à  la  conclusion  qu'il  faudra  au  moins  dix  fois  cin- 
quante ans  avant  que  l'assimilation  soit  complète.  Nous  retrou- 
vons dans  celles  qui  recouvrent  les  anciens  travaux,  toutes  les 
variétés  d'arbres  qui  donnent  à  nos  forêts  une  beauté  sans  égale. 
Quand  la  forêt  a  été  défrichée  et  qu'elle  est  ensuite  abandonnée 
à  la  nature,  elle  reste  presque  homogène  et  ne  consiste  souvent 
qu'en  une,  deux  ou  tout  au  plus  trois  essences...  Quelle  immense 
antiquité  doivent  donc  avoir  les  travaux  dont  on  a  si  souvent 
parlé,  recouverts  qu'ils  sont  par  des  forêts  qui  se  sont  renouvelées 
au  moins  deux  fois  depuis  leur  abandon.  » 

Lapham  lui-même,  si  peu  disposé  à  admettre  la  grande  anti- 
quité des  mounds,  n'hésite  pas  cependant  à  attribuer  au  crâne 
trouvé  par  lui  à  Racine,  une  date  minima  de  dix  siècles  (2). 

M.  Barrandt  cite  sur  la  rivière  Yellowstone  (3),  une  véri- 
table ville,  à  Mound-Citf/,  comme  il  l'appelle,  ayant  des  ave- 
nues parfaitement  droites  et  des  tertres  construits  à  des  distances 
régulières.  Une  autre  ville  à  peu  près  semblable  sur  la  rivière 
Moreau,  renfermait  près  de  deux  cents  mounds;  une  troisième 
enfin  s'élevait  sur  les  bords  du  Grand  Cheyenne  (Nebraska). 
Dans  le  Missouri  et  dans  l'Arkansas,  on  voit  aussi  des  tertres 
assez   nombreux   de    forme    elliptique,    mesurant    de    cinq   à 


(1)  Trans.  Hist.  Soc.  nf  Ohio,  t.  I,  p.  263.  —  Voy.  aussi  Arch.  American,  t.  I,  p.  306. 

(2)  The  Antiquities  of  Wisconsin,  p.  19. 

(.3)  Smilh.  liepoi't,  1870.  La  rivière  Yellowstone  se  jette  dans  le  Missouri,  après  un 
parcours  de  1,600  kilomètres. 


188  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

sept  mètres  de  longueur  et  ne  s'élevant  guère  que  de  trente  à 
cinquante  centimètres  au-dessus  du  sol.  Tous  sont  symétrique- 
ment rangés,  avec  des  passages  se  coupant  à  angles  droits  comme 
nos  rues  (1).  Les  fouilles  n'ont  donné  que  des  charbons  ou  des 
fragments  de  poterie  grossière,  ne  pouvant  fournir  aucune  indi- 
cation utile  (2).  Cette  régularité,  cette  symétrie  sur  tant  de 
points  différents,  paraissent  une  réponse  péremptoire  à  ceux  qui 
veulent  attribuer  ces  travaux  aux  Indiens,  car  il  est  remarquable 
que  ceux-ci  n'observent  jamais  un  ordre  semblable  dans  l'érec- 
tion de  leurs  habitations  ou  de  leurs  wigwams.  Avant  de  les 
élever  ils  creusent  la  terre  autour  des  fondations,  l'emplacement 
est  donc  marqué  par  une  excavation,  ce  qui  permet  de  les  distin- 
guer facilement  des  travaux  des  Mound-Builders.  Nous  avons 
précédemment  montré  (3)  que  des  différences  analogues  se  ren- 
contraient dans  les  fortifications  (4).  Les  Indiens  ne  présentent  ni 
dans  leur  langage,  ni  dans  leurs  mœurs,  ni  dans  leur  industrie, 
cette  unité  si  frappante  chez  les  races  que  nous  étudions  ;  ils  sont 
incapables  de  creuser  des  canaux,  d'utiliser  par  le  martelage 
le  cuivre  qu'ils  rencontrent  dans  leurs  voyages,  de  fabriquer 
des  poteries  semblables  à  celles  produites  par  ces  hommes 
inconnus  (5). 

Sur  aucun  point  enfin,  on  ne  trouve  chez  eux  une  tradition 
sérieuse  sur  l'origine  des  mounds;  nulle  part  ils  ne  prétendent 
les  attribuer  à  leurs  ancêtres  (6)  ;  nulle  part  ils  ne  leur  témoignent 

(1)  J.  Dille,  SmWi.  Report,  1866. 

(2)  Dans  les  environs,  il  a  été  recueilli  de  nombreuses  pointes  de  flèches  en  jaspe 
et  en  agate,  des  haches  en  syénite  et  en  porphyre  ;  mais  on  ne  peut  établir  aucune 
connexité  entre  ces  instruments  et  les  mounds  {Narrative  ufa  Journey  ncros  theCor- 
dillera  of  the  Ande-.  London,  1825). 

(3)  Chap.  III,  p.  101. 

(4)  «  The  practice  of  throwing  up  an  embankment  at  the  foot  of  pahsades,  although 
seemingly  a  very  natural  one,  does  not  however  seem  to  hâve  been  noticed  among  he 
Indian  tribes  of  New-York  »  (Bancroft,  l.  c,  t.  IV,  p.  750). 

(5)  «  They  far  exceed  anything,  dit  Squier,  of  which  the  existing  tribes  of  Indians 
are  known  to  bave  been  capable.  « 

(6)  Bartram  {Travels  through  North  and  South  Carotina,  Georgii  etc.,  Phila- 
delphia,  1791)  notamment  rapporte  que  les  Indiens  du  Sud  attribuent  à  une  race 
étrangère  les  mounds,  même  ceux  sur  lesquels  leurs  chefs  avaient  établi  leur 
demeure. 


ORIGINE  ET  MIGRATIONS.  189 

le  respect  superstitieux,  dont  ils  entourent  la  sépulture  des  leurs. 
Mais  il  est  juste  d'ajouter  qu'à  l'exception  des  Creeks,  il  n'est 
peut-être  pas  une  seule  de  ces  tribus  Indiennes  en  possession 
d'une  tradition  de  quelque  valeur  sur  sa  propre  histoire,  remon- 
tant à  plus  d'un  siècle,  et  que  ce  fait,  tout  extraordinaire  qu'il 
puisse  paraître,  se  rencontre  fréquemment  chez  les  races  barba- 
res, absorbées  qu'elles  sont  par  les  dures  conditions  de  l'exis- 
tence. 

Ainsi  donc  l'ancienneté  des  mounds,  l'unité  de  leur  concep- 
tion, la  similitude  de  leur  construction,  conduisent  à  la  même 
conclusion.  Entre  cette  race  intelligente  et  artistique  et  les 
Indiens  sauvages  et  nomades,  nul  lien  n'a  pu  exister  ;  les  Mounds- 
Builders  vaincus  ont  pu  être  chassés  des  régions  qu'ils  habitaient  ; 
ils  ont  pu  être  rejetés  vers  le  sud;  ils  ont  pu  disparaître  dans  de 
longues  et  sanglantes  guerres  ;  ils  ont  pu  être  décimés  par  des 
maladies  pestilentielles  (1);  rien  ne  permet  de  supposer  que  les 
Peaux  Rouges  soient  leurs  descendants  dégénérés. 

L'opinion  contraire  est  soutenue  avec  non  moins  de  conviction.   Pourdautrcs 
S'il  est  vrai  que  l'on  ne  trouve  chez  les  Indiens  du  INord  aucune  ^rerZdrens' 
construction  qui  rappelle   celles  des  Mound-Builders,    et   que    preTentent 
souvent  ils  n'ont  même  pas  pour  la  sépulture  de  leurs  morts,     suiiders. 
songé  à  utiliser  les  tertres  qui  se  dressaient  devant  eux,  tant 
leur  paresse  était  indomptable,  on  peut  dans  d'autres  régions, 
citer  des  faits  différents.  Les  Kickapoo  qui  habitaient  le  sud  de 
l'IUinois,  les  Shawnees  (2)  établis  auprès  de  ÎNashville,  ensevelis- 
saient leurs  morts,  et  cela  jusqu'à  une  période  récente,  dans  des 
Stone-Graves.  Ce  fait,  faut-il  ajouter,  est  contesté  (3)  et  fût-il 

(1)  Les  maladies  pestilentielles  si  terribles  dans  l'antiquité,  où  nul  secours,  nulle 
précaution  hygiénique  ne  venaient  les  arrêter,  peuvent  bien  avoir  contribué  à  l'ex- 
tinction d'une  race.  Le  Matlaznatl  est  un  fléau  cruel  qui  paraît  n'attaquer  que  les  seuls 
Indiens.  Torquemada  dit  qu'il  enleva  800,000  hommes  en  1545  et  près  de  2  millions 
en  1576.  Hutchinson  raconte  à  son  tour  que  peu  de  temps  avant  l'arrivée  de  Penn  et 
de  ses  compagnons  (1682),  certaines  tribus  du  Massacbussetts  avaient  été  réduites  de 
.30,000  à  300  âmes. 

(2)  Les  Kickapoo  et  les  Shawnees  ou  Chaouanons  faisaient  partie  de  la  grande  tribu 
des  Lenapes. 

(3)  Par  M.  L.  Carr  notamment.  Observations  on  the  Crania  from  Ihe  Stone-Graves 
of  Tennessee.  He/jO't  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  361  et  s. 


190  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

exact,  rien  ne  prouverait  qu'ils  ne  se  soient  pas  servis  de  cham- 
bres sépulcrales  construites  avant  leur  arrivée  dans  le  pays. 

Le  témoignage  des  historiens  espagnols  est  plus  important. 
Garcilaso  de  la  Vega  (1)  raconte  le  mode  employé  par  les  In- 
diens au  moment  de  la  conquête,  pour  fonder  une  ville.  «  Ils 
apportent,  dit-il,  des  quantités  considérables  de  terre  avec  laquelle 
ils  forment  une  plate-forme  de  deux  à  trois  piques  de  hauteur  et 
assez  large,  pour  renfermer  dix  à  douze  maisons,  au  besoin 
quinze  ou  vingt.  C'est  là  que  logent  le  cacique,  sa  famille  et  ses 
principaux  serviteurs.  Au  pied  du  tertre,  ils  tracent  un  carré 
conforme  à  l'étendue  qu'ils  veulent  donnera  leur  ville,  les  prin- 
cipaux chefs  y  établissent  leurs  demeures;  le  menu  peuple  enfin, 
se  groupe  autour  d'eux.  »  Plus  loin  (2),  Garcilaso  décrit  la  ville  de 
Guachoule  située  auprès  des  sources  de  la  Coosa,  non  loin  du 
pays  des  Achalaques  (3)  ;  la  maison  du  chef  était  située  sur  une 
éminence  terminée  par  une  plate-forme,  ou  six  hommes  pou- 
vaient se  tenir  debout.  Ne  serait-ce  pas  là  une  explication  satis- 
faisante de  l'origine  des  tertres? 

Les  témoignages  concordants  des  anciens  explorateurs  mon- 
trent la  vallée  du  Mississipi  et  plus  particulièrement  les  régions 
qui  forment  aujourd'hui  les  États  d'Alabama,  de  Floride  et  de 
Géorgie,  habitées  par  des  nations  belliqueuses  qui  cultivaient  la 
terre,  vivaient  dans  des  villes  fortifiées,  érigeaient  leurs  temples 
sur  des  éminences  souvent  artificielles  et  adoraient  le  soleil. 
Ce  furent  ces  hommes  qui  repoussèrent  INarvaez,  lors  qu'en 
1528,  il  chercha  à  conquérir  la  Floride  (4).  Ce  fut  contre  eux 
que  Hernandez  de  Soto  lutta  quatre  ans.  Il  livra  des  batailles 
meurtrières  dans  la  Floride,  la  Géorgie,  le  Tennessee,  le  Missis- 
sipi, TAlabama  et  l'Arkansas.  Partout  il  trouva  une  population 

(!)  Hist.  de  fa  conquête  de  la  Floride,  ou  Relation  de  ce  qui  s'est  pas<!é  au  voyage  de 
Ferdinand  de  Soto,  pour  la  conquête  de  ce  pays.  La  Haye,  1735,  1. 1.  p.  136. 

(2j  L.  c,  t.  I,  p.  294.  —  On  peut  aussi  consulter  A.  J.  Picket,  Hist.  of  Alabama. 
Oiarleston,  1851,  t.  I,  p.  8. 

(3)  Fraction  de  la  tribu  des  Cherokees. 

(i)  Il  est  juste  de  dire  que  l'armée  de  Narvaez  ne  se  composait  que  do  400  antas- 
sins  et  de  20  cavaliers. 


ORIGINE  ET  MIGRATIONS.  191 

nombreuse.  Les  villes  étaient  entourées  de  murailles  en  terre, 
des  tours  aidaient  à  la  défense  que  de  larges  fossés  venaient  com- 
pléter (1). 

Squier  rapporte  à  son  tour  chez  les  Creeks,  les  Natchez  et  les 
autres  tribus  du  Sud,  des  traces  de  constructions,  qui,  si  elles 
ne  rappellent  pas  entièrement  les  enceintes  régulières  de  l'Ouest, 
semblent  tout  au  moins  avoir  quelque  analogie  avec  elles,  et  la 
description  que  nous  lui  empruntons  des  Chiink-Yards  (2),  est 
certainement  une  preuve  de  plus  à  l'appui  de  son  opinion. 

Les  Chunk- Yards  (3)  encore  en  usage  chez  les  Creeks  et  qui  ont 
été  tout  récemment  abandonnés  chez  les  Cherokees,  sont  des 
places  rectangulaires,  occupant  le  centre  de  la  ville,  fermées  sur 
les  côtt's,  mais  avec  une  porte  à  chaque  extrémité.  Ces  places  ont 
quelquefois  de  8  à  900  pieds  de  longueur;  les  plus  grandes  sont 
dans  les  plus  vieilles  villes.  Toutes  sont  nivelées  et  légèrement 
excavées.  Les  terres  enlevées  ont  servi  à  établir  une  petite  terrasse 
basse  sur  les  côtés  ;  au  centre  est  un  monticule  peu  élevé,  sur 
lequel  se  trouve  le  Chiink-Mat,  au  sommet  duquel  est  l'objet  des- 
tiné à  servir  de  cible.  Aux  extrémités,  il  y  a  des  pièces  de  bois 
d'environ  douze  pieds  de  hauteur,  on  les  appelle  les  mâts  à 
esclaves,  parce  que  dans  le  bon  vieux  temps,  les  captifs  con- 
damnés à  la  torture  y  étaient  attachés.  » 

«  Immédiatement  à  l'extérieur  de  ces  places,  se  trouve  une  en- 

(1)  A  Pascha,  par  exemple,  à  l'O.  du  Mississipi,  les  Espagnols  trouvèrent  une  ville  for- 
tifiée entourée  d'un  fossé  assez  large,  pour  que  deux  canots  pussent  y  naviguer  de 
front.  Ce  fossé  avait  9  miles  de  long  et  communiquait  avec  le  Mississipi. 

(2)  Ancient  Monuments  of  the  Mùsissipi  Valley,  p.  120. 

(3)  Leur  nom  vient  d'un  jeu  indien.  Catlin  le  décrit  chez  les  Mandansetlui  donne  le 
nom  de  Tchimgkee  [Illustrations  oftUe  Manners,  Customs  and  Conditions  ofthe  Norih, 
American  Indians.  Londou,  18G6,  t,  I,  p.  132).  Adair  avait  déjà  raconté  le  Chuny 
Lee  chez  es  Cherokees  {Hist  of  the  Am.  hidin^.  London,  1775,  p.  401).  —  Jones 
a  trouvé  le*  même  jeu  chez  les  Indiens  du  Sud  {A7it.  i>f  the  Southern  Indians)  Bar- 
tram,  chez  ceux  de  la  Caroline  (/.  c).  M.  L.  Carr  reproduit  un  grès  poli  avec  soin,  do 

orme  légèrement  elliptique  mesurant  111  millimètres  sur  son  plus  grand  axe  et 
44  mill.  d'épaisseur.  Cette  pierre  a  été  trouvée  sous  Ely-Mound  (Virginie),  d'autres 
semblables  ont  été  rencontrées  sur  divers  points  et  on  a  supposé  qu'elles  servaient 
au  jeu  favori  des  Indiens  (l<e/)ort  Peabolij  Muséum,  t.  II,  p.  91).  On  peut  consulter, 
sur  toutes  les  questions  relatives  aux  Mound-Builders,  un  excellent  mémoire  du  rev. 
S,  D.  Pcct,  American  Antiquarian,  1880. 


192  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ceinte  circulaire  à  sommet  plat,  sur  laquelle  est  élevée  la  maison 
du  grand  Conseil;  à  l'autre  extrémité,  est  un  tertre  carré,  égale- 
ment à  sommet  plat,  à  peu  près  aussi  élevé  que  le  tertre  circu- 
laire dont  nous  venons  de  parler;  c'est  la  place  publique.  » 

Des  découvertes  récentes  sont  venues  confirmer  ce  récit  (1), 
sous  un  mound  de  forme  conique,  situé  dans  Lel  County  (Vir- 
ginie), mesurant  environ  dix-neuf  pieds  de  hauteur,  sur  trois 
cents  pieds  de  circonférence  à  sa  base,  on  a  mis  au  jour  un  cer- 
tain nombre  de  poteaux  en  bois  de  cèdre,  disposés  à  des  interval- 
les réguliers,  de  manière  à  former  un  cercle,  et  un  poteau  beau- 
coup plus  élevé,  placé  au  centre  et  destiné  sans  doute  à  soutenir 
la  couverture.  C'était  la  salle  du  conseil,  le  lieu  de  l'Assemblée 
de  la  tribu,  assez  semblable  à  celle  dont  un  voyageur  du  siècle 
dernier  nous  a  laissé  la  description.  «  C'est,  dit-il  en  parlant 
de  la  chambre  du  conseil  des  Cherokees  (2),  une  rotonde  assez 
spacieuse  pour  renfermer  plusieurs  centaines  de  personnes.  Elle 
s'élève  sur  un  ancien  tertre  artificiel  de  vingt  pieds  de  hauteur; 
et  la  rotonde  pouvant  avoir  trente  pieds,  donne  une  élévation 
totale  de  cinquante  pieds  à  partir  du  sol;  mais  il  convient  de  re- 
marquer que  le  mound  sur  lequel  la  rotonde  s'élève,  est  bien 
plus  ancien  que  l'édifice  et  avait  probablement  une  autre  desti- 
nation. Les  Cherokees  sont  aussi  ignorants  que  nous  pouvons 
l'être,  du  but  pour  lequel  ces  tertres  artificiels  avaient  été  cons- 
truits. » 

Ainsi  donc  les  Indiens  du  Sud  auraient  non  seulement  utilisé 
les  mounds  pour  l'habitation  de  leurs  chefs  ou  leurs  chambres  du 
conseil,  mais  ils  les  auraient  encore  imité  dans  l'établissement 
de  leurs  Chunk-Yards.  Ces  faits,  tout  vagues  qu'ils  sont,  avaient 
cependant  modifié  les  premières  impressions  de  Squier  et 
l'avaient  amené  à  une  conclusion  à  laquelle  il  ne  s'attendait 
guère,  nous  apprend-il  lui-même,  en  commençant  ses  recher- 
ches. Dans  ses  dernières  études,  il  accepte  l'opinion  que  les  for- 
tifications en  terre  situées  dans  la  partie  occidentale  de  l'État  de 

(1)  Report  Peubodii  Mus.,  t.  II,  p.  75  et  s. 

(2)  Bartjam,  /.  c,  p.  367  et  s.  ^  ^ 


ORIGINE  ET  MIGRATIONS.  193 

New- York,  avaient  été  élevées  par  les  Iroquois  et  que  leur  érec- 
tion n'avait  guère  précédé  leur  découverte  (1).  Il  est  vrai  qu'il 
ajoute  qu'il  n'y  avait  pas,  au  seizième  siècle,  une  seule  tribu 
Indienne  entre  l'Atlantique  et  le  Pacifique,  sauf  les  tribus  à 
demi  civilisées  du  Sud,  qui  eût  les  moyens  de  subsistance  suf- 
fisants, pour  appliquer  à  des  ouvrages  improductifs  la  somme 
nécessaire  de  travail  ;  il  n'en  était  pas  non  plus  une  seule  dans 
un  état  social  tel,  que  l'on  pût  contraindre  le  peuple  à  les  entre- 
prendre. La  contradiction  que  nous  voyons  partout  dans  les  faits 
peut  seule  expliquer  celle  qui  se  rencontre  si  souvent  dans  les 
conclusions,  et  même  dans  celles  des  hommes  les  pi  us  compétents. 

Southall  relève  avec  un  parti  pris  très  évident  tout  ce  qui  lui 
semble  prouver  non  seulement  l'origine  indienne,  mais  encore 
la  construction  récente  des  mounds  (2).  Ses  recherches  nous  mon- 
trent les  Iroquois  ayant  un  gouvernement  qui  embrassait  cinq 
nations  (3).  Ils  se  livraient  à  l'agriculture  et  surent  maintenir 
pendant  près  de  deux  siècles  leur  indépendance  contre  les  Hol- 
landais et  contre  les  Français.  Leur  territoire  s'étendait  du  Saint- 
Laurent  au  Tennessee  et  à  l'Ohio;  la  navigation  ne  leur  était  pas 
étrangère,  et  les  anciens  voyageurs  ont  rencontré  leurs  canots 
jusque  dans  la  baie  de  Chesapeake.  Dès  lors,  ils  avaient  aban- 
donné leurs  habitudes  nomades,  et  nous  possédons  des  des- 
criptions fort  exactes  de  leurs  villages  et  de  leurs  habitations  (4). 

Il  en  était  de  même  sur  d'autres  points.  Au  commencement  du 
dix-septième  siècle,  Slrachey  voyageant  en  Virginie  raconte  (5) 
qu'il  vit  les  Indiens,  habitant  des  maisons  construites  en  bois,  culti- 

(1)  M.  Peet  distingue  avec  raison  les  travaux  dérensifs  qui  se  rencontrent  dans 
l'État  de  New- York,  de  ceux  de  l'Ohio  ;  ils  présentent  de  notables  différences  dans 
leur  construction  et  peuvent  bien  être  l'œuvre  de  races  différentes. 

(2)  Récent  Origin  of  Man,  c.  xxxvi,  p.  530  et  s. 

(3)  Ces  cinq  nations  étaient  les  Mohawks,  que  quelques  relations  françaises  appel- 
lent aussi  Agniers,  les  Onéïdas,  les  Onondagas,  les  Cayngas  et  les  Senecas  ou  Tson- 
nontouas.  Ces  nations,  d'après  les  Jésuites,  comptaient,  en  1665,  2,340  guerriers  soit 
11,700  ^mes,  selon  les  calculs  les  plus  généralement  admis  pour  l'évaluation  des 
populations  nomades. 

(4)  Voy.  notamment  le  récit  de  Greenhalgh,  qui  visita  en  1677  plusieurs  villages 
des  Senecas. 

(5)  Historié  of  Travaile  inio  Virginia  Britannia  (écrit  en  1618). 

De  Nadaillac,  Amérique.  13 


194  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

vantle  maïs  elle  tabac,  récoltant  des  pois,  des  haricots  et  des  fruits. 
Les  Mandans,  fixés  dans  le  Haut  Missouri,  non  loin  de  l'embou- 
chure du  Yellowstone,  creusaient  la  terre  à  une  profondeur  de 
deux  pieds  et  y  érigeaient  leurs  cabanes.  Ces  cabanes,  de  forme 
circulaire,  pouvaient  avoir  un  diamètre  de  trente  à  quarante 
pieds:  elles  étaient  construites  en  matériaux  solides  et  couvertes 
en  mottes  de  terre.  Plusieurs  familles  vivaient  ensemble;  les  lits 
rangés  en  cercle  le  long  des  murailles  étaient  garnis  de  rideaux, 
en  peau  de  cervidés,  ayant  subi  une  sorte  de  préparation.  Les 
Iroquois,  les  Natchez,  les  Delawares,  les  Indiens  de  la  Floride 
et  de  la  Louisiane  fabriquaient  des  vases  dont  l'ornementation 
et  la  finesse  ne  le  cédaient  en  rien  à  la  poterie  des  Mound- 
Builders,  et  les  pipes  si  curieuses  dont  nous  avons  parlé  se  re- 
trouvent, plus  grossièrement  sculptées  il  est  vrai,  chez  les  Peaux 
Rouges  actuels. 

11  y  a  deux  siècles  enfin,  quand  les  missionnaires  français  visi- 
tèrent pour  la  première  fois  les  rives  du  lac  Supérieur,  les  Chip- 
pewas  se  servaient  d'armes  et  d'outils  en  cuivre.  Ces  faits,  d'au- 
tres qu'il  serait  facile  de  multiplier,  permettent  de  croire 
que  les  Indiens  avaient  possédé  autrefois  une  civilisation  supé- 
rieure à  l'état  misérable  et  dégradé  où  la  défaite,  l'arrivée  d'une 
race  envahissante,  l'abus  de  l'alcool,  d'autres  causes  encore,  ont 
réduit  leurs  descendants. 
Conclusion.  Nous  avous  résumé  les  diverses  opinions,  il  nous  reste  à 
en  tirer,  et  ce  n'est  pas  sans  hésitation  que  nous  le  faisons,  les 
conclusions  qu'elles  comportent.  Les  Peaux-Rouges,  dans  toute 
l'Amérique,  offrent  une  variété  distincte  de  l'espèce  humaine. 
Leur  peau  est  bistrée,  allant  de  la  couleur  du  chocolat  à  celle  du 
rouge  de  cuivre,  leurs  cheveux  sont  noirs  et  raides,  leurs  yeux 
ternes  et  sans  expression,  leurs  lèvres  épaisses,  leur  front  est  bas, 
leur  figure  remarquablement  longue,  l'os  maxillaire  très  pro- 
noncé ;  les  extrémités  sont  fines  et  les  membres  délicats.  Aucun 
de  ces  traits  caractéristiques  n'a  varié  depuis  trois  siècles  que 
nous  les  connaissons,  leur  intelligence  n'a  pas  grandi  au  contact 
d'une  civilisation  supéric^^e,  leur  esprit  paraît  incapable  de  pro- 


ORIGINE  ET  MIGRATIONS.  193 

grès  et  ilç  n'ont  su  comprendre  et  s'approprier  que  les  vices  des 
blancs.  Nous  avons  dit  la  rareté  des  ossements  des  Mound- 
Builders;  il  en  existe  cependant,  dont  Torigine  est  indubitable; 
nous  y  reviendrons  dans  un  chapitre  spécial,  et  le  seul  point 
que  nous  voulons  retenir  ici,  c'est  leur  peu  de  similitude 
avec  ceux  des  Indiens.  «  Les  résultats  de  toutes  mes  obser- 
vations, dit  le  docteur  Foster  (1),  un  des  hommes  qui  ont  le 
mieux  étudié  la  question,  me  font  croire  que  les  crânes  des 
Mound-Builders  sont  caractérisés  par  une  conformation  générale, 
qui  les  classe  à  part  parmi  les  races  humaines  et  qui  les  diffé- 
rencie tout  particulièrement  des  Indiens  de  l'Amérique  du 
Nord.  »  Je  n'attache  pas  pour  ma  part,  à  la  similitude  ou  à  la 
différence  des  ossements  et  spécialement  à  celles  des  crânes, 
l'importance  que  veulent  y  mettre  nos  anthropoJogistes  les  plus 
éminents.  Trop  souvent  on  rencontre  sous  le  même  mound,  re- 
montant aux  mêmes  ensevelissements,  au  milieu  des  mêmes 
silex  et  des  mêmes  poteries,  des  crânes  brachycéphales  et  des 
crânes  dolichocéphales  (2),  des  crânes  au  type  caucasique  et  des 
crânes  au  type  négroïde.  La  conformation  des  têtes  peutbien  être 
une  présomption  ;  elle  ne  saurait  donner  une  certitude,  ni  jus- 
tifier des  conclusions  encore  prématurées. 

Une  autre  considération  me  touche  plus  vivement,  comment 
une  nation  sédentaire  et  civilisée  a-t-elle  pu  devenir  sauvage  et 
nomade?  Nous  aurions  là  un  fait  sans  exemple  dans  l'histoire  de 
l'humanité;  un  fait  qu'il  paraît  difficile  d'admettre.  «  A  broad 
chasm ,  répéterons-nous  avec  le  docteur  Foster,  has  to  be  spanned, 
before  we  can  link  the  Mound-Builders  to  the  North  American 
Indians  (3).  » 

Ces  assertions,  si  vraies  qu'elles  puissent  être,  comportent  ce- 
pendant une  distinction.  Nous  croyons  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
les  Indiens  du  Nord,  avec  ceux  que  les  Conquistadores  rencontrè- 

(1)  Prehisloric  Races  of  the  U.  S. 

(2)  Nous  avons  cité  des  faits  nombreux  qui  permettent  d'arriver  en  Europe  à  la  même 
conclusion.  Voy.  Les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  préhistoriques,  t.  I,  ch.  m  et 
t.  II,  ch.  XII. 

(3)  Foster,  Prehistoric  Races  of  the  U.  S. 


i96  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

rent  dans  les  Etats  du  Sud  et  qui  étaient  dans  un  état  de  ciyilisa- 
tion  assurément  plus  avancé.  On  peut  supposer  que  des  tribus 
sauvages  venues  du  Nord  et  duNord-Ouestavaienttoutd'abord  re- 
poussé les  Mound-Builders  de  l'Illinois  et  de  l'Indiana;  que  ceux 
de  rOhio,  protégés  par  une  solide  ligne  d'ouvrages  permanents, 
avaient  opposé  une  résistance  plus  efficace,  mais  qu'à  leur  tour 
ils  avaient  été  repoussés  au  delà  du  Mississipi;  que  la  guerre 
continua  dans  le  Kentucky  et  le  Tennessee,  jusqu'au  jour  où  les 
débris  de  cette  race  antique  furent  refoulés  dans  la  région  qui 
borde  le  golfe  ;  que  là,  les  vaincus  se  mêlèrent  peu  à  peu  aux  vain- 
queurs et  qu'unis,  ils  luttèrent  avec  courage  et  souvent  avec 
succès,  contre  la  domination  étrangère  (1). 

Peut-être  aussi  serait-il  possible  de  retrouver  les  traces  des 
Mounds-Builders,  chez  les  Aztecs,  où  les  teocallis  en  pierre  rap- 
pellent par  leur  forme  les  mounds-coniques;  chez  les  Mayas  (2), 
dont  nous  raconterons  les  remarquables  monuments,  et  qui  eu- 
rent, eux  aussi,  à  lutter  contre  de  redoutables  ennemis  (3). 
L'invasion  indienne  ne  saurait  mieux  se  comparer  qu'à  ces  in- 
vasions barbares,  qui  précipitèrent  la  chute  de  l'Empire  romain 
et  couvrirent  l'Europe  de  sang  et  de  ruines.  Nul  n'a  prétendu 
rattacher  les  grands  Romains  aux  Huns  ou  aux  Germains,  il  est 
tout  aussi  impossible  que  les  Mound-Builders  aient  laissé  pour 
descendants  les  Indiens  du  seizième  siècle. 

Les  Mound-Builders  ont  certainement  vécu  dans  l'Amérique 
centrale,  durant  de  longs  siècles  (4)  ;  nul  doute  ne  peut  exister  à 
cet  égard,  mais  nous  ne  connaissons  aucune  échelle  chronomé- 

(1)  Force,  A  quelle  race  npparfenaierit  les  Mound'Builders  {Cong.  des  Americanis- 
tes.  Luxembourg,  1877,  t.  I,  p.  121). 

(2)  M.  Robertson  raconte  qu'il  a  exhumé  un  nombre  considérable  de  crânes  de 
Mound-Builders;  et  qu'il  a  toujours  constaté  un  type  assez  semblable  à  celui  rencontré 
dans  le  Yucatan  [Congrès  des  Americanistes.  Luxembourg,  1877,  f.  I,  p.  4-3). 

(3)  «  My  examination  of  the  organic  and  monumental  remains  and  of  the  works  of 
art  of  the  aborigènes  of  Tennessee,  establish  the  fact  that  they  were  not  the  relies 
of  the  nomadic  and  hunting  tribes  of  Indians  existing  at  the  time  of  the  exploration  of 
the  coast  and  the  interior^'of  the  continent  by  the  white  race  ;  but  on  the  contrary 
that  they  are  the  remains  of  a  people  closely  related  to,  but  not  identical  with  the  more 
civilized  nations  of  Mexico  and  central  America.  «  Jones,  Smith.  Cont.,  t.  XXII,  p.  88. 

(4)  Short,  North  Americans  of  Antiquitij,  p.  101  et  s. 


ORIGINE  ET   MIGRATIONS.  WT 

trique,  qui  puisse  nous  permettre  de  compter  ces  siècles,  d'appré- 
cier la  durée  de  ces  temps,  encore  moins  de  fixer  la  date  initiale 
de  l'arrivée  de  ces  hommes  dans  les  vallées  du  Mississipi  ou  du 
Missouri.  Les  arbres  qui  poussent  sur  les  mounds  de  l'Oliio  dé- 
passent rarement  cinq  ou  six  cents  ans;  dans  les  vallées  de  la  Flo- 
ride, sur  les  rivages  du  golfe  du  Mexique,  ils  sont  moins  vieux 
encore.  Une  conclusion  est  facile:  les  mounds  étaient  abandonnés 
quand  les  arbres  ont  germé.  Mais  ces  arbres  n'en  remplaçaient- 
ils  pas  d'autres,  et  pouvons-nous  dire  le  nombre  de  générations 
qui  ont  disparu  depuis  l'érection  des  tertres?  Le  même  problème 
s'était  posé  pour  les  kjôkkenmôddings;  nous  sommes  obligés  à  la 
même  réponse. 

Les  mounds  eux-mêmes  ne  peuvent  rien  nous  apprendre  (1), 
Trente  siècles  ou  cinq  siècles  peuvent  également  expliquer  le  dé- 
veloppement de  la  civilisation  qu'ils  représentent.  M.  Stronck, 
s'appuyant  sur  des  raisons  d'une  certaine  valeur,  estimé  que  la 
construction  des  mounds  remonte  aux  premiers  temps  de  notre 
ère  ;  et  qu'ils  ont  dû  être  abandonnés  entre  le  sixième  et  le  dou- 
zième siècle  (2).  La  limite,  on  le  voit,  est  large.  M.  Force  (3)  en 
datant  du  septième  siècle  l'époque  la  plus  florissante  de  ce  peu- 
ple, si  curieux  d'élever  des  ouvrages  en  terre  dans  tous  les  pays  où 
il  s'établissait,  M.  de  Hellwald  en  nous  montrant  les  Mound- 
Builders  contemporains  de  Charlemagne  (4),  semblent  donner 
une  certaine  adhésion  à  cette  hypothèse.  M.  Short  enfin,  dans  un 
excellent  ouvrage  sur  les  Américains  du  Nord,  nous  dit  que  mille, 
deux  mille  ans  au  plus,  ont  pu  s'écouler  depuis  que  les  Mound- 
Builders  ont  été  forcés  d'abandonner  les  vallées  de  l'Ohio  et  de  ses 
affluents  ;  sept  à  huit  siècles  peut-être  depuis  qu'ils  se  sont  reti- 
rés des  rivages  du  golfe  du  Mexique.  Nous  n'avons  pas  la  pré- 
tention de  concilier  ces  divergences,  et  nous  nous  contenterons 

(1^  «  An  impenotrable  mystery  hangs  over  their  cntire  History.  »  S.  Poet,  Americ. 
Antiq    Mardi,  1880. 

(2)  Répertoire  ci.rori'ilogiquede  l'hist.  des  Mound-Buihlers.  Cong.  des  Americ.  Luxem- 
bourg, 1877,  t.  I,  p.  312. 

(3)  A  quelle  race  appartenaient  lei  Mound-Buildurs. 

(4)  Cong.  des  Americ.  Luxembourg,  t.  I,  p.  50. 


198  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

d'ajouter  que  ces  dates,  tout  approximatives  qu'elles  sont,  per- 
mettent cependant  d'apprécier  ce  que  peut  être  la  véritable  an- 
cienneté de  ces  races  inconnues. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'aucune  des  fouilles  exécutées  à  ce 
jour  n'a  donné  un  ossement  quelconque  de  ces  gigantesques 
pachydermes,  de  ces  édentés  aux  formes  étranges,  si  fréquents 
durant  les  époques  antérieures.  Ne  devons-nous  pas  en  conclure 
que  ces  animaux  n'existaient  plus  lors  de  la  venue  des  Mound- 
Builders  ?  Un  de  leurs  tertres  cependant  représente  un  masto- 
donte (fig.  36).  Des  pipes  de  l'Iowa  figurent  un  éléphant  (fîg.  72). 
Il  est  présumable  que  ces  hommes  avaient  connu,  tout  au  moins 
par  tradition,  les  animaux  qu'ils  savaient  si  bien  imiter.  Ce  point, 
comme  tant  d'autres,  reste  encore  bien  obscur. 

Nous  sommes  en  présence  de  conjectures  plus  ou  moins  spé- 
cieuses, d'hypothèses  plus  ou  moins  fondées  sur  l'origine  des 
Mound-Builders,  sur  l'époque  de  leurs  constructions,  sur  les 
vicissitudes  de  leur  histoire  ;  au  fond  notre  ignorance  reste 
entière.  Leur  nom  même,  nous  l'avons  répété  à  plusieurs  re- 
prises, s'est  effacé  de  la  mémoire  des  hommes.  Il  faut  attendre 
de  l'avenir  ce  que  le  présent  ne  peut  nous  donner.  De  nouvelles 
découvertes  permettront  peut-être  de  retrouver  la  filiation  de  ces 
races  intéressantes,  leur  point  de  départ,  leurs  migrations  succes- 
sives, et  la  durée  même  de  leur  établissement  dans  ces  régions 
de  l'Amérique  centrale,  où  tant  de  travaux  curieux  restent 
comme  .leurs  témoins  impérissables. 


CHAPITRE   V 


LES  CLIFF  DWELLERS  ET  LES  HABITANTS 
DES  PUEBLOS. 


Le  dix-neuvième  siècle,  qui  approche  de  son  déclin,  a  singu- 
lièrement marqué  dans  l'histoire  de  l'humanité,  et  jamais  plus 
grandes  choses  ne  furent  accomplies  avec  une  plus  merveilleuse 
rapidité.  Nous  compterons  à  bon  droit,  parmi  ceux  qui  ont  ap- 
porté un  glorieux  contingent  à  l'œuvre  commune,  ces  hardis 
voyageurs  qui  ouvrent  des  continents  entiers  à  la  civilisation  et 
au  progrès.  En  Amérique,  comme  en  Afrique,  comme  en  Asie, 
ces  pionniers  de  la  science  annoncent  chaque  jour  des  décou- 
vertes nouvelles.  La  Californie,  l'Arizona,  le  Nouveau-Mexique, 
la  Nevada,  le  Colorado,  le  pays  des  Mormons,  ces  régions  im- 
menses qui  couvrent  près  de  deux  millions  de  kilomètres  carrés, 
étaient,  il  y  a  peu  d'années  encore,  absolument  inconnues  (1). 
Elles  sont  aujourd'hui  sillonnées  de  chemins  de  fer;  demain, 
le  commerce  et  l'industrie  s'empareront  du  pays  ;  des  villes  popu- 
leuses s'élèveront  et  de  nouveaux  Etats  viendront  contribuer  au 
développement  de  la  république  des  Etats-Unis,  à  la  grandeur  de 

(1)  La  population  des  divers  États  cédés  en  1847  par  le  Mexique  aux  États-Unis 
était,  d'après  le  recensement  de  1870,  de  830,926  âmes  ;  mais  si  l'on  déduit  celle  de  la 
Californie  (560,247)  très  peuplée  sur  divers  points,  les  environs  de  San  Francisco  et 
les  districts  miniers  par  exemple,  il  reste  un  nombre  d'habitants  très  faible.  Un  second 
chemin  de  fer  de  l'Atlantique  au  Pacifique  traverse  les  parties  réputées  les  plus 
inaccessibles  de  l'Arizona  et  du  Nouveau-Mexique  ;  et  dans  deux  ans,  une  troisième 
voie  ferrée  viendra  probablement  encore  unir  les  deux  Océans. 


200  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ce  peuple,  dernier  venu  parmi  les  nations,  et  qui  est  assurément 
appelé  à  jouer  un  rôle  considérable  dans  l'histoire  future  du  monde. 


Fig.  80.  —  Un  caùon  du  Colorado. 


En  attendant  le  brillant  avenir  réservé  à  ces  États  si  récem- 
ment inscrits  surla  bannière  étoilée,  il  faut  parcourir  des  pays  où 
tout  est  morne  et  désolé,  où  les  arbres,  des  pins  principalement, 


LES  CLIFF  DWELLERS.  201 

sont  rares  et  rabougris,  la  végétation  impuissante  et  sans  vi- 
gueur (1)  et  où  la  nature  semble  condamnée  à  une  éternelle  so- 
litude. Les  animaux,  eux-mêmes  ont  abandonné  ces  terres  mau- 
dites ;  seuls  quelques  rares  Indiens  nomades,  les  plus  sauvages  et  , 
les  plus  barbares  de  tous  ceux  de  l'Amérique  du  Nord,  viennent 
les  animer,  ils  fuient  rapidement  devant  le  voyageur,  s'ils  ne  se 
croient  pas  assez  forts  pour  le  dépouiller.  11  faut  dépasser  le  San 
Juan,  pour  arriver  aux  terres  d'alluvion,  source  certaine  d'une 
richesse  future,  dont  on  ne  saurait  exagérer  l'importance. 

Tel  n'était  pas  le  passé  de  ces  contrées.  Ces  canons  (2)  (fig.  86) 
aux  gorges  profondes,  ces  vallées  arides,  couvertes  de  broussailles 
qui  s'élèvent  à  peine  à  quelques  pieds  de  hauteur,  cette  nature 
morne  et  inerte  présentent  le  contraste  le  plus  saisissant  avec  les 
ruines  qui  surgissent  à  chaque  pas  et  qui  témoignent  qu'à  des 
époques,  dont  il  est  impossible  de  supputer  la  durée  ou  de  pré- 
sumer la  date  initiale,  toutes  ces  régions  étaient  habitées  par 
des  populations  nombreuses,  actives  et  intelligentes.  Partout 
l'homme  avait  construit  des  demeures,  des  fortifications,  des 
citernes,  de  véritables  cités  ;  les  rochers  eux-mêmes  étaient  cou- 
verts d'hiéroglyphes,  de  figures  peintes  ou  sculptées;  partout  cet 
homme  inconnu  avait  laissé  son  ineffaçable  empreinte. 

Les  Espagnols,    qui   les  premiers  parcoururent   l'Amérique   Les  puebios. 
centrale  (3),  donnèrent  le  nom  de  pneblos  (4)  à  des  groupes  de 
constructions,  dont  un  grand  nombre,  présentant  tous  les  carac- 

(1)  Il  n'en  était  pas  ainsi  autrefois  ;  les  poutres  de  cèdre  que  l'on  voit  encore  dans  les 
Cli/f  Houses  le  prouvent  sans  réplique.  Aujourd'hui  on  ne  rencontre  pas  une  seule 
forêt,  pas  même  un  seul  bois  entre  les  Ci-oss  Tlmbers  du  Texas  et  les  forêts  dos  Mon- 
tagnes Rocheuses,  c'est-à-dire  sur  un  parcours  de  plus  de  1500  kilomètres.  Ce  man- 
que de  végétation  forestière  est  dû  non  seulement  à  la  rareté  des  pluies,  mais  aussi  à 
la  porosité  du  sol.  Le  centre  de  l'Amérique  du  Nord  est  un  désert  et  ce  désert  est 
le  double  de  la  superficie  de  la  France. 

(?)  Nous  conservons  le  vieux  nom  donné  par  les  Espagnols  à  ces  gorges  étroites, 
resserrées  entre  des  rochers  à  pic. 

(3)  Le  Nouveau-Mexique  fut  définitivement  conquis  en  1597  et  1598  par  don  Juan 
de  Onate.  Les  premières  expéditions  espagnoles  avaient  eu  lieu  en  1540,  sous  l'inspi- 
ration de  Cabeza  de  Vaca,  naufragé  sur  les  côtes  du  golfe  en  1535. 

(4;  Pueblo  signifie  bourg  ou  village,  nous  avons  conservé  ce  nom  générique  à  l'exem- 
ple des  écrivains  américains. 


202  L'AMÉRIQUE  PREHISTORIQUE. 

tères  d'une  haute  antiquité,  étaient  déjà  en  ruines,  au  moment 
de  leur  marche  victorieuse.  Ces  constructions  couvrent,  sur  une 
aire  de  200,000  miles  carrés  (1),  les  vallées  arrosées  par  le  San 
Juan,  le  Rio  Grande  del  Norte,  le  Colorado  Chiquito  et  leurs 
tributaires.  Les  premiers  hommes  dont  il  est  possible  de  re- 
trouver les  traces,  avaient  évidemment  suivi  ces  vallées  dans  leur 
marche  en  avant,  s'arrêtant  là  où  la  terre  était  fertile,  puis 
chassés  par  de  nouveaux  venus  qui  cherchaient,  eux  aussi,  l'eau 
et  les  pâturages.  La  lutte  pour  la  vie  est  la  loi  universelle  écrite 
dans  tous  les  pays  en  lettres  de  sang. 

Cabeza  de  Vaca  raconte  des  pueblosen  ruines,  d'autres  encore 
habités  (2)  ;  plusieurs  étaient,  dit-il,  plus  grands  que  la  ville  de 
Mexico.  Les  maisons,  souvent  à  plusieurs  étages  en  retrait  les 
uns  sur  les  autres,  étaient  construites  en  pierre.  Les  habitants 
occupaient  les  étages  supérieurs  (3)  ;  le  rez-de-chaussée,  généra- 
lement obscur^  servait  de  magasin,  de  dépôt  pour  les  vivres  ou 
pour  les  fourrages  (4).  On  communiquait  d'un  étage  à  l'autre,  au 
moyen  d'échelles;  quand  l'échelle  était  retirée,  les  habitants 
jouissaient  d'une  sécurité  relative  et  pouvaient  se  défendre  contre 
des  attaques  qui  devaient  être  fréquentes,  si  on  en  juge  par 
les  innombrables  pointes  de  flèche  en  silex,  en  obsidienne,  en 
agate  que  l'on  rencontre  sur  tous  les  points,  où  ils  avaient  établi 
leurs  habitations. 

Les  constructions  étaient  presque  toujours  importantes  ;  nous 
aurons  à  en  décrire  qui  pouvaient  loger  des  centaines  de  fa- 
milles. Les  unes,  comme  le  pueblo  de  Taos  (fig.  87),  étaient 
situées  dans  la  vallée  et  quelquefois  entourées  d'un  mur  qui 
venait  compléter  la  défense  ;  les  autres,  le  pueblo  d'Acoma  (5), 

(1)  Bai'ber,  Cong.des  Américanistes.  Luxembourg,  1877, 1. 1,  p.  25. 

(2)  Quarta  Relacion  ..  CoUecion  de  Documentas,  t.  II,  p.  475. 

(3)  Putnam,  But.  ofthe  Essex  Institute.  December  1880. 

(4)  Ces  soubassements  sont  désignés  par  les  Espagnols  sous  le  nom  de  Casas  de 
Comodidad  ou  Almacenas.  Voy.  Castaneda  de  Nagera,  lielation  du  voij.  de  Cibola. 

(a)  '(  Y  hallamos  a  un  pueblo  que  se  llama  Acoma,  donde  nos  parecio  habria  mas  de 
sois  mil  animas.  «  Ant.  de  Espcja,  Caria,  23  avril  1584.  Doc.  ineditos  del  Archiva 
de  Indias,  t.  XV,  p.  179.  On  place  le  pueblo  d'Acoma  sur  le  site  du  village  actuel 
d'Acuco. 


LES  CLIFF  DWELLERS. 


203 


par  exemple,  s'élevaient  sur  des  plateaux  nommés  mesas,  parfois 
à  plusieurs  centaines  de  pieds  au-dessus  de  la  vallée  et  Ton  ne 
pouvait  y  arriver  que  par  des  sentiers  presque  impraticables. 
On  comprend  l'étonnement  qui  saisit  les  explorateurs,  en 
voyant  surgir  devant  eux  toutes  ces  ruines.  «  Qu'on  se  figure, 
écrit  un  voyageur  récent,  une  rivière  desséchée,  encaissée 
entre  des  rochers  en  grès  rouge,  escarpés,  sans  nul  accès,  et  un 


Fig.  87.  —  Pueblo  de  Taos  (Nouveau-Mexique). 

homme  debout  dans  cette  vallée,  contemplant  à  tous  les  étages  les 
habitations  de  son  semblable,  tel  est  le  spectacle  qui  s'offre  à  nous 
ù  chaque  pas.  »  «  Les  preuves  sont  évidentes,  ajoute  un  autre 
voyageur,  qu'une  population  considérable  a  vécu  dans  ces  dé- 
serts.  Il  est  à  peine  un  mile,  parmi  les  six  miles  qu'il  a  été  mon 
lot  d'explorer,  qui  ne  fournisse  la  preuve  certaine  qu'il  a  été  habité 
durant  des  temps  assez  longs  par  des  hommes  absolument  dis- 
tincts et  assurément  supérieurs  aux  sauvages  nomades,  qui  seuls 
le  parcourent  aujourd'hui  (1).  »  Citons  enfin,  parmi  les  récits  qui 
ne  laissent  que  l'embarras  du  choix,  celui  du  major  Powell, 
qui,  cette  année  même,  achevait  une  exploration  du  Nouveau- 
Mexique.  11  raconte  sa  surprise,  en  ne  voyant  pendant  des 
journées  entières  que  des  falaises  à  pic,  pjercées  de  toutes  parts 
par  des  habitations  humaines  qu'il  ne  pouvait  mieux  comparer 
qu'aux  alvéoles  d'une  ruche. 

(1)  Colonel  Holmes,  Report  on  theancient  Ruins  of  S.  W.  Colorado  examined  du- 
ring  the  summer  of  1875  and  1876. 


204  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

A  côté  des  Mound-Builders,  vivaient  donc  d'autres  hommes, 
leurs  contemporains  peut-être,  plus  probablement  leurs  succes- 
seurs dans  la  marche  des  siècles,  et  qui,  au  milieu  de  diffé- 
rences très  considérables,  ont  avec  eux  un  point  commun  :  c'est 
l'absolue  ignorance  oii  nous  sommes  de  tout  ce  qui  les  con- 
cerne. Ici  encore,  l'histoire  et  la  tradition  restent  muettes,  et 
comme  pour  les  Mound-Builders,  il  faut  emprunter  le  nom  de 
Cliff-Dwellers  (1)  que  nous  leur  donnons,  aux  rochers  qui  leur 
servaient  de  demeures, 
i/eau  Sur  un  seul  point  nous  pouvons  nous  montrer  affirmatifs  : 

a  disparu.  *  ^ 

nous  connaissons, cà  n'en  pouvoir  douter,  une  des  principales  cau- 
ses qui  ont  amené  la  dépopulation  du  pays  (2).  Les  fleuves,  les 
ruisseaux  eux-mêmes  se  sont  desséchés  ;  et  on  ne  rencontre  dans 
les  vallées  que  les  traces  déjà  anciennes  de  cours  d'eau  disparus. 
Les  pluies  du  printemps  sont  courtes  et  abondantes,  elles  se 
précipitent  en  torrents  impétueux  (3),  sur  un  sol  imperméable 
et  un  sous-sol  rocheux,  entraînant  tout  avec  elles  et  amenant 
de  fréquentes  inondations.  Ce  moment  passé,  l'eau  persiste  rare- 
ment dans  les  arroyos,  elle  s'évapore  avec  une  grande  rapidité. 
Dans  les  autres  saisons,  la  pluie  est  inconnue,  et  le  climat  brû- 
lant ajoute  aux  terribles  effets  de  cette  constante  sécheresse  (4). 
Peut-on  l'attribuer  à  des  changements  géologiques  ou  climatéri- 
ques?  Cela  est  possible  ;  le  colonel  Hoffman  cite,  à  15  miles  envi- 

(1)  Littéralement  les  hommes  (fici  habitent  les  rochers. 

(2)  Les  pluies  se  repartissent  d'une  manière  très  inégale  sur  le  territoire  des  États- 
Unis.  11  tombe  en  moyenne  un  mètre  d"eau  sur  les  côtes  de  l'Atlantique  depuis  le 
Maine  jusqu'à  la  Floride.  Sur  le  versant  du  Pacifique,  au  nord  de  San  l''rancisco,  les 
vents  d'ouest  amènent  dos  pluies  très  abondantes  qui  s'élèvent  jusqu'à  2"", ".'G.  Des 
côtes  d(^  l'Atlantique  et  du  delta  du  Mississipi,  la  quantité  do  pluie  diminue  graduel- 
lement, à  mesure  que  l'on  s'avance  dans  l'intérieur  des  terres.  Dans  certaines  parties 
du  Texas,  du  Kansas,  du  Nebraska,  la  moyenne  de  l'eau  tombée  durant  l'année  s'a- 
baisse à  un  demi-mètre;  dans  le  Colorado  elle  n'est  plus  que  de  0'",30.  La  rareté  des 
pluies  qui  viennent  arroser  toute  la  partie  du  territoire  comprise  entre  les  plaines  du 
Far-W'est  et  le  versant  du  Pacifique,  explique  la  pauvreté  de  la  végétation. 

(3)  Les  Américains  ont  donné  à  ces  torrents  le  nom  de  Washes.  A  certains  moments 
et  sur  certains  points,  ils  atteignent  des  profondeurs  qui  varient  de  30  à  40  pitds. 

(4)  Le  Congrosa  voté  des  sommes  importantes  pour  le  forage  de  puits  artésiens  dans 
les  plaines  dénuées  d'eau,  qui  s'étendent  du  Mississipiau  Pacifique.  Des  millions  d'acres 
de  sable  sans  valour  pourront  ainsi   être  transformés   on  terres  riches  et  fertiles. 


LES  GLIFF  DWELLERS.  205 

ron  d'une  ville  nouvelle,  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  Pres- 
cott  (1  ),  un  arroyo  à  40  pieds  au-dessus  du  niveau  actuel  de  l'eau. 
C'est  là  assurément  un  fait  curieux;  mais  il  en  faudrait  beaucoup 
de  semblables, pour  justifier  une  affirmation  aussi  importante,  et 
il  est  présumable  que,  comme  en  Algérie,  la  cause  la  plus  sérieuse 
de  cette  sécheresse  persistante  est  la  destruction  des  forêts  prati- 
quées par  les  Cliff-Dwellers,  avec  une  insouciance  qui  n'est  éga- 
lée que  par  celle  des  modernes  Américains. 

M.  Holmes,  un  des  premiers  dont  l'étude  des  ruines  du  Far-  Tentative  de 

classement. 

West  est  véritablement  scientifique,  adopte  un  classement  qu'il 
est  utile  de  reproduire  (2). 

4°Z,ott'/a/ifl?.v,  villages  où  demeuraient  des  populations  exclusive- 
ment agricoles  ;  les  points  choisis  ét:iient  toujours  les  vallées  les 
plus  fertiles  et  le  voisinage  immédiat  des  rivières. 

2°  Cave-Dwelliiigs,  cavernes  artificiellement  agrandies,  sou- 
vent fermées  et  consolidées  par  des  murs  en  adobes  (3). 

3°  Cliff-Houses,  véritables  forteresses,  oii  se  retiraient  proba- 
blement les  habitants  des  vallées,  lorsque  quelque  danger  les 
menaçait. 

Les  habitations  des  vallées  sont  les  véritables  pueblos;  elles 
forment  des  parallélogrammes  ou  des  cercles  tracés,  alors  que  la 
disposition  du  terrain  le  permettait,  avec  la  même  régularité 
mathématique  que  nous  avons  constatée  dans  les  travaux  des 
Mound-Builders.  Toutes  sont  construites  en  pierres  taillées,  appa- 
reillées avec  soin  et  reliées  entre  elles  par  de  l'argile  délayée 
dans  de  l'eau.  Les  ruines  circulaires,  que  l'on  rencontre  fréquem- 
ment, sont  tantôt  des  tours  destinées  à  la  défense,  tantôt  des  cons- 
tructions atteignant  jusqu'à  60  pieds  et  plus  de  diamètre,  renfer- 
mant plusieurs  séries  de  petites  cellules,  et  au  centre  une  pièce 
souvent  à  demi-souterraine,  à  laquelle  les  Espagnols  ont  donné 
le  nom  à^estufa  (4). 

(1)  Capitale  du  nouvel  État  d'Arizona. 

(2)  L.  c,  p.  5.  Voy.  aussi  Jackson,  Buins  ofS.  W,  Colorado  in  ISlband  1877. 

(3)  Nous  avons  déjà  dit  que  les  adobes  étaient  façonnées  avec  de  l'argile  pétrie,  puis 
séchée  au  soleil.  Les  Indiens  actnels  bâtissent  encore  leurs  demeures  avec  ces  adobes. 

{i)  Litténlcment  étuve,  chambfe  de  sudation. 


206  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

On  a  beaucoup  discuté  sur  les  estufas.  Pour  les  uns,  c'étaient 
les  chambres  du  conseil,  où  se  réunissaient  les  principaux  de  la 
tribu  pour  décider  les  affaires  communes  ;  pour  les  autres,  des 
lieux  sanctifiés  parla  présence  du  feu  sacré,  si  longtemps  l'objet 
de  la  vénération  des  Indiens  (1).  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les 
estufas  se  trouvent  dans  toutes  les  habitations,  même  dans  celles 
situées  au-dessus  de  précipices  ou  de  rochers,  qu'on  ne  pouvait 
escalader  qu'au  prix  des  efforts  les  plus  pénibles;  il  est  évident 
que  les  habitants  des  pueblos  y  attachaient  une  grande  impor- 
tance (2).  Dans  le  Nouveau-Mexique  et  dans  le  Colorado,  on 
trouve  aujourd'hui  encore  ces  estufas,  même  dans  des  villages 
chrétiens,  où  ils  sont  l'objet  d'une  terreur  superstitieuse,  dernier 
souvenir  peut-être  des  rites  mystérieux  des  ancêtres  (3). 

Outre  les  tours  qui  s'élèvent  au  milieu  des  pueblos,  il  en  est 
d'autres  généralement  rondes,  plus  rarement  carrées  ou  oblon- 
gues  (fig.  88),  érigées  soit  sur  des  points  dominant  le  pays,  soit  à 
l'entrée  des  canons.  Il  est  évident  que  c'étaient  là  des  postes  d'ob- 
servation, où  des  hommes  veillaient  constamment  pour  prévenir 
les  habitants  des  dangers  qui  pouvaient  les  menacer.  L'emplace- 
ment de  ces  postes  était  toujours  admirablement  choisi  ;  un  d'en- 
tre eux  domine  toute  la  vallée  du  Mac  Elmo,  et  la  vue  s'étend  à 


(1)  «  Thèse  estufas,  which  are  used  as  places  of  council  and  for  the  performance 
of  their  religions  rites,  are  still  found  at  ail  the  présent  occupied  pueblos  in  INew 
Mexico.  There  are  six  at  Taos  ;  three  at  each  house  and  they  ai-e  partly  sunk  iu  the 
ground  by  an  excavation.  They  are  entered  by  a  trap  doorway  in  the  roof,  the  descent 
being  by  a  ladder.  »  (Morgan,  Peubody  Muséum  Report,  t.  II,  p.  517.  —  Am.  Ass.  Saint- 
Louis,  1877.)  D'autres  ont  voulu  que  les  estufas  fussent  des  citernes  ;  mais  le  témoi- 
gnage de  Ruiz  tranche  la  question.  Mariano  Ruiz  vécut  longtemps  avec  les  Indiens 
Pecos  comme  un  fils  de  la  tribu  (Mjo  del  pueblo).  Il  rapporte  que  ces  Indiens  con- 
servèrent le  feu  sacré  dans  un  estufa  jusqu'en  1840,  où  les  cinq  familles  seules  survi- 
vantes s'affluèrent  à  une  autre  tribu.  Le  feu  était  maintenu  dans  une  espèce  de  four,  et 
il  ne  devait  jamais  émettre  de  flammes.  Ruiz  lui-même  avait  été  chargé  à  son  tour  de 
l'entretenir.  Il  s'y  était  refusé,  dominé  par  la  crainte  superstitieuse  des  Indiens  que 
celui  qui  avait  veillé  sur  le  feu  sacré  et  qui  abandonnait  ensuite  ses  frères,  devait 
inévitablement  périr  dans  l'année.  A  raison  de  son  refus,  il  ne  put  jamais  pénétrer 
dans  l'estufa  (Bandelier,  Report  on  the  Ruins  of  the  Pueblo  of  Pecos.  —  Congrès  des 
Americ,  Luxembourg,  1877,  t.  II,  p.  230). 

(2)  Bancroft,  The  native  Races  of  the  Pacific  States,  t.  I,  p.  537-554. 

(3)  Simpson,  Expédition  to  the  Navajo  Country,  p.  78. 


LES    GLIFF  DWELLERS.  207 

plusieurs  miles  en  amont  et  en  aval  ;  un  autre  est  situé  au  point 
où  le  Hovenweep  se  divise  en  deux  branches.  Ces  tours  n'ont  ni 
portes,  ni  fenêtres ,  on  n'y  pouvait  sans  doute  pénétrer  que  par 
la  voûte. 

Auprès  de  quelques-unes  des  demeures,  on  a  constaté  de 
longues  lignes  de  murs  (1)  construits  en  adobes  ou  plus  sim- 
plement encore  en  terre  ;  il  est  probable  que  c'étaient  les 
corrals,  où  ces  hommes  renfermaient  leurs  bestiaux.  Cette 
population  était  assurément  bien  plus  avancée  que  les  Mound- 
Builders. 

Les  falaises  sont  formées  de  roches  sédimentaires,  de  bancs  de 
grès  dur,  très  résistant  à  l'action  de  l'air,  et  alternant  avec  des 
lits  d'une  roche  coquillère,trèsfriable  (2).  Cesderniersbancs  se  sont 
désagrégés  sous  l'influence  des  agents  atmosphériques  et  ont  formé 
des  poches,  des  cavités,  des  grottes  de  toute  dimension  au-dessus 
desquelles  surplombe  le  grès  sus-jacent.  D'autres  fois  les  érosions 
se  projettent  sur  toute  la  surface  du  banc,  de  façon  à  laisser  une 
galerie  souvent  très  longue,  mais  généralement  peu  profonde. 
Parfois  aussi,  il  se  détache  de  ces  falaises  un  promontoire  élevé, 
dont  l'accès  est  des  plus  difficiles. 

Les  premiers  habitants  de  ces  régions  ont  su  utiliser  ces  dispo- 
sitions avec  une  remarquable  intelligence.  L'entrée  des  cavernes 
[Cave-Dwellings)  était  murée  par  une  construction  en  adobes  qui 
ne  comportait  qu'une  étroite  ouverture  servant  à  la  fois  de  porte 
et  de  fenêtre. 

Les  Cliff -Hanses  (3)  prennent  la  forme  et  les  dimensions  de  la 
plateforme  ou  de  l'anfractuosité  sur  laquelle  ils  s'élèvent.  La  ma- 
çonnerie est  bien  faite  ;  et  c'est  merveille  de  voir  avec  quel  art  les 
murs  sont  soudés  aux  parois  du  rocher,  avec  quel  soin  on  a  re- 
produit dans  l'architecture  extérieure  l'aspect  des  roches  voisi- 
nes. Quelques-uns  des  explorateurs  regardent  ces  maisons  comme 


(1)  L'élévation  de  ces  murs  varie  de  12  à  18  pieds. 

(2)  D""  Topinard,  Rev.  d'Anthropologie,  1878,  p.  517. 

(3)  On  a  pu  voir  à  l'Exposilion  de  1878  les  modèles  en  relief  de  nombreux  ClifT- 
Houses.  Ils  sont  aujourd'hui  déposés  au  musée  de  la  société  d'Anthropologie. 


208  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

plus  récentes  que  les  pueblos  ou  les  cavernes.  Les  seuls  objets 


Fig.  88.  —  Tour  auprès  d'Epsom-Creek. 

recueillis,  quelques  flèches  en  pierre,  quelques  outils  en  silex, 


LES  CLIFP  D^VELLEIlS.  209 

quelques  fragments  de  poterie,  ne  justifient  pas  cette  conclusion. 

On  a  découvert  plusieurs  sépultures  de  ce  peuple  des  Clifîs  ; 
mais  la  difficulté  des  fouilles,  le  danger  auquel  étaient  exposés 
les  ingénieurs  des  Etats-Unis  n'ont  pas  permis  de  multiplier  les 
recherches.  Il  a  été  seulement  trouvé  un  petit  nombre  d'osse- 
ments humains  ;  toujours,  à  côté  du  mort,  on  avait  placé  des 
armes,  des  outils,  des  vases.  Comme  les  Mound-Builders,  comme 
toutes  les  anciennes  populations  de  l'Amérique,  les  Cliff-Dwellers 
étaient  animés  pour  leurs  morts  de  l'espérance  d'une  autre  vie; 
mais  leurs  conceptions  ne  s'élevaient  guère  au-dessus  d'un 
bonheur  exclusivement  matériel. 

U  faut  aussi  parler  d'enceintes  considérables,  couvertes  de 
pierres  debout,  placées  en  cercle,  comme  dans  nos  cromlechs. 
Des  fouilles  ont  été  pratiquées  dans  une  de  ces  enceintes  situées 
sur  la  rive  gauche  du  Dolorès.  On  atteignit  rapidement  le  sol  na- 
turel non  remanié,  la  surface  même  du  rocher.  A  six  pouces  de 
profondeur,  on  avait  rencontré  une  couche  de  cendres  mêlées  à 
des  fragments  de  poterie,  aucun  ossement  ne  permettait  de  croire 
que  ce  fût  là  un  lieu  de  sépulture,  et  l'analyse  chimique  des  cen- 
dres n'a  constaté  parmi  elles  aucune  trace  de  matière  animale, 
ce  qui  exclut  toute  pensée  de  crémation  (1). 

Après  avoir  résumé  les  diverses  constructions  attribuées  aux 
Cliff-Dwellers,  il  nous  faut  entrer  dans  quelques  détails.  Ils  fe- 
ront mieux  connaître  leur  importance. 

Le  Rio  Mancos  (2)  coule  entre  des  falaises  formées  de  couches  RioMancos. 
alternatives  de  calcaire  crétacé  et  d'un  dépôt  argileux,  souvent  dé- 
sagrégé et  enlevé  par  les  eaux.  Une  des  anfractuosités  ainsi  for- 
mées, située  à  40  pieds  environ  au-dessus  du  niveau  delà  rivière, 
pouvait  avoir  une  profondeur  variant  de  4  à  6  pieds  (3).  Sur  cet 

(1)  Jackson,  /.  c,  p.  415,  421  et  s. 

(2)  Le  Mancos  prend  sa  source  dans  les  montagnes  de  la  Plata  au  sud-ouest  du  Co- 
lorado et  vient  se  jeter  dans  le  San  Juan.  Les  autres  tributaires  du  San  Juan  dont  nous 
aurons  à  parler  sont  la  Piedra,  los  Pinos,  las  Animas,  la  Plata,  le  Mac  Elmo,  le 
Hovenweep  et  le  Montezuma.  Ces  deux  derniers  sont  presque  toujours  à  sec.  Au  sud, 
le  San  Juan  reçoit  le  Navajo,  le  Chaco  et  le  Clielly. 

(3)  Holmes,  /.  c,  p.  393  et  pi.  XXXV. 

De  Nadaiilac,  Amérique.  14 


210 


L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

étroit  espace  les  Clifî-Dwellers 
avaient  établi  leurs  demeures. 
Sept  d'entre  elles  subsistent 
encore  et  quatre  sont  assez  bien 
conservées  pourpermettre  d'ap- 
précier leur  mode  de  construc- 
tion. Les  murs  sont  en  pierres 
reliées  avec  de  l'argile  mêlée 
de  cendres  et  de  charbons  (1). 
Ce  mortier  était  consolidé  par 
l'insertion  dans  les  interstices 
de  cailloux  ou  de  petits  tessons 
de  poterie;  on  peut  encore  re- 
connaître aujourd'hui  sur  la 
maçonnerie  la  trace  des  outils 
et  même  celle  des  doigts  des 
ouvriers.  Toutes  les  ouvertures 
sont  très  étroites  ;  et  les  portes 
et  les  fenêtres  n'ont  que  quel- 
ques pouces  dans  tous  les  sens. 
Au  milieu  des  ruines,  on  décou- 
vrit une  cave  obstruée  par  une 
masse  de  décombres;  c'était  un 
dépôt  de  vivres  dont  on  put  re- 
tirer des  grains  de  maïs  à  demi 
calcinés,  appartenant  à  une  es- 
pèce encore  cultivée  dans  le 
pays.  Une  hache  en  pierre  polie 
et  quelques  fragments  de  pote- 
rie furentles  seuls  objets  donnés 
par  des  fouilles,  qu'il  était  im- 
portant de  mener  rapidement. 

(1)  Castaneda  {Voij.de  Cibola,  II,  c.  iv, 
p.  168)  dit  :  «  Ils  n'ont  pas  de  chaux  et  ils 
la  remplacent  par  un  mélange  de  cendres, 
de  charbon  et  d'argile.  » 


Fig.  89.  —  Cliff-House  sur  le  Mancos. 


LES  CLIFF  DWELLERS. 


211 


Un  autre  groupe  peu  éloigné  du  premier  présente  deux  étages 
de  constructions  élevées  dans  les  anfractuosités  des  rochers  qui 
surplombent  larivière  à  une  hauteurde  200  piedse  nvironffig.  89). 
Les  constructions  inférieures  s'étendent  sur  un  espace  libre  de 
60  pieds  de  longueur  sur  15  pieds  dans  sa  plus  grande  largeur 
(fig.  90).  Les  murs  ont  un  pied  environ  d'épaisseur  et  affleurent 
le  bord  même  du  précipice.  Ils  sont  établis  avec  un  art  extraordi- 
naire ;  les  angles  sont  réguliers,  les  lignes  ne  s'écartent  pas  de  la 
perpendiculaire,  et  si  l'on  tient  compte  des  difficultés  que  devait 
vaincre  le  constructeur,  pour  jeter  ses  fondations  dans  une  sem- 
blable position  et  à   une   semblable  hauteur,   ces  habitations 


Fig.  90.  —  Cliff-House  sur  le  Mancos  (plan  par  terre). 


aériennes  doivent  exciter  une  véritable  admiration.  Au  centre 
nous  trouvons  l'inévitable  estufa  ;  autant  qu'il  est  possible  d'en 
juger  aujourd'hui,  on  ne  pouvait  y  pénétrer  que  par  une  seule 
ouverture  mesurant  22  pouces  sur  30,  et  encore,  pour  parvenir  à 
cette  singulière  porte,  fallait-il  ramper  dans  un  véritable  boyau 
sur  une  longueur  de  30  pieds.  Les  diverses  chambres  étaient  sé- 
parées par  des  murs  de  refend,  qui  n'atteignaient  pas  le  rocher  ; 
il  était  donc  facile  de  communiquer,  de  l'une  à  l'autre,  au  moyen 
d'échelles  mobiles. 

Quelques  fouilles  faites  à  la  hâte  ont  donné  deux  vases  en  po- 
terie grossière,  fermés  par  des  couvercles  en  pierre  d'un  travail 
non  moinsgrossier.  Ces  vases  d'une  contenance  de  trois  gallons  (1) 

(1)  Holmes,  /.  c,  pi.  XLIV,  leur  contenance  était  de  15,50  litres. 


212  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

étaient  vides.  Un  d'eux  avait  été  raccommodé  au  moyen  d'un  tes- 
son de  même  couleur  collé  avec  de  l'argile  agglutinée.  Tous  les 
deux  étaient  placés  sur  un  lit  de  filaments  d'écorce,  recouverts 
d'une  natte  de  roseaux  tressés  (1);  c'est  une  preuve  de  plus  du 
prix  qu'y  attachait  leur  possesseur. 

Entre  les  deux  habitations,  le  rocher  est  absolument  vertical. 
Sur  un  point,  où  la  pente  était  un  peu  moins  abrupte,  on  a  cru 
reconnaître  la  trace  de  quelques  marches  plutôt  ébauchées  que 
taillées  dans  la  pierre.  Pour  les  hommes  de  nos  jours,  elles 
facilitent  faiblement  l'ascension. 

A  l'étage  supérieur,  une  nouvelle  anfractuosité  a  permis  une 
nouvelle  construction.  Cette  seconde  plate-forme  peut  avoir 
120  pieds  de  longueur,  sur  10  dans  sa  largeur  maxima.  Les  tra- 
vaux paraissent  n'avoir  jamais  été  complètement  achevés.  Les 
Cliff-Dwellers  furent  probablement  découragés  parles  difficultés 
insurmontables  de  l'approche  des  matériaux. 

Les  parties  terminées  avaient  été  habitées,  et  les  chambres 
communiquaient  par  des  portes  basses  et  étroites.  Dans  une  de 
ces  chambres,  les  explorateurs  crurent  reconnaître  des  traces  de 
feu  ;  dans  d'autres,  les  fouilles  donnèrent  quelques  grains  de  mais, 
quelques  haricots;  malheureusement  les  explorateurs  fatigués 
d'une  longue  marche  ne  purent  ou  ne  voulurent  plus  les  con- 
tinuer. 

Quelquefois  les  demeures  des  Cliff-Dwellers  étaient  à  une  hau- 
teur bien  autrement  considérable.  On  en  cite  à  800  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  la  rivière  (2)  ;  elles  sont  si  bien  cachées  que 
l'on  peut  à  peine,  même  avec  l'aide  d'une  longue  vue,  les  distin- 
guer du  rocher  qui  les  abrite.  On  se  perd  en  conjectures  sur  les 
moyens  employés  pour  atteindre  les  points  où  les  constructions 
s'élèvent,  et  pour  y  transporter  les  vivres  et  les  objets  nécessaires 
à  la  vie  (3).  On  avait  même  cru  longtemps  que  les  habitants 

(1)  Holmes,  /.  c,  pi.  XLV. 

(2)  Holmes,  l.  e.,p.  394. 

(3)  M.  Yves  {Colorado  River  of  the  West)  rapporte  qu'aujourd'hui  encore,  les  Moquis 
bâtissent  sur  des  hauteurs  souvent  élevées.  Ils  portent  dans  des  couvertures  sur  leurs 
épaules,  les  pierres  et  les  terres  nécessaires  à  ces  constructions. 


LES  CLIFF  DWELLEIIS. 


213 


étaient  obligés  de  descendre  chaque  jour  à  la  rivière,  pour  y  pui- 
ser l'eau  qui  leur  était  indispensable.  Mais  de  nouvelles  recher- 


Fig,  91.  —  Maison  à  deux  étages  sur  le  Rio  Mancos. 


ches  ont  fait  retrouver,  dans  les  falaises,  des  sources  qui  pou- 
vaient leur  suffire  et  qu'ils  avaient  su  capter  dans  des  réservoirs 
naturels  ou  artificiellement  ao:randis. 


Fig.  93.  —  Cliff-House  sur  le  Mancos,  plan  parterre. 

A  un  mile  plus  loin,  en  suivant  toujours  les  bords  du 
Rio  3Iancos,  M.  Jackson  découvrait  une  construction  située  à 
700  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  rivière  (fig.  91  et  92).  Cette 


214  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

construction,  à  laquelle  il  a  donné  le  nom  de  The  two  Story 
Cliff-House,  la  maison  à  deux  étages,  est  mieux  conservée 
que  toutes  celles  qui  l'entourent.  Une' des  chambres  mesure 
9  pieds  sur  10,  une  autre  6  pieds  carrés  (1),  Ces  chambres, 
dont  les  dimensions  nous  semblent  si  exiguës,  étaient  cepen- 
dant grandes  pour  les  ClifT-Dwellers;  sur  un  autre  point, 
M.  Jackson  cite  un  espace  de  14  pieds  sur  6  de  largeur  et  5  de 
hauteur,  qui  était  partagé  en  deux  chambres  presque  égales.  On 
n'y  pénétrait  que  par  un  petit  trou  carré.  Il  serait  facile  de  mul- 


Fig.  93.  —  Intérieur  de  la  chambre  d'un  Cliff-House. 

tiplier  ces  exemples  (2).  On  se  demande  comment  des  créatures 
humaines   pouvaient  vivre  dans  de  semblables  réduits  ! 

Les  murs  intérieurs  de  ces  chambres  (fig.  93)  avaient  été  end  uits 
à  plusieurs  reprises  avec  de  l'argile  délayée  dans  de  l'eau.  Ce 
mortier  était  placé  avec  la  main  ;  l'empreinte  des  doigts  de  l'ou- 
vrier ne  peut  laisser  aucun  doute  à  cet  égard.  La  petitesse  des 
mains  a  même  fait  supposer  que  le  travail  était  exécuté  par  des 
femmes. 

Le  même  soin  était  apporté  aux  enduits  extérieurs  ;  le  mor- 

(1)  La  hauteur  des  constructions  est  de  12  pieds  et  une  intervalle  de   2  à   3  pieds 
existe  entre  les  murs  et  le  rocher  qui  surplombe  en  guise  de  toit. 

(2)  A  Montezuma,  par  exemple,  on  voit  des  cellules  dont  les  plus  grandes  ne  dépas- 
sent pas  9  pieds  1/2  et  dont  les  plus  petites  n'atteignent  guère  que  4  pieds  carrés. 


LES  CLIFF  DWELLERS. 


215 


tier  présente  des  tons  gris  ou  roses  absolument  semblables  à  ceux 
des  roches  voisines.  Nous  ne  pouvons  dire  si  c'est  là  l'effet  du 
temps,  ou  si  les  ouvriers  avaient  voulu  mieux  dissimuler  les  lieux 
qu'ils  habitaient. 

Ces  Cliff-Houses  étaient-ils  uniquement  des  points  de  refuge, 
où  les  habitants  des  vallées  se  retiraient  dès  qu'un  danger  les 
menaçait?  on  serait  tenté  de  le  croire,  dit  M.  Holmes,  en  consta- 


Fig.  94.  —  Pueblo  de  la  vallée  de  Mac-Elmo  (plan  par  terre). 


tant  l'absence  presque  complète  d'ossements  d'hommes  ou  d'ani- 
maux, de  ces  rebuts  de  tout  genre  si  nombreux  dans  les  kjôkken- 
môddings,  qui  sont  la  preuve  d'une  longue  habitation.  Les 
enduits  sont  restés  aussi  frais  et  aussi  intacts  qu'au  jour  oii  ils 
furent  posés  ;  ce  fait  est  surtout  remarquable  dans  le  Two  Story 
Cliff-Hoiise,  et  si  cette  demeure  avait  été  longtemps  habitée,  il 
faudrait  supposer  une  réparation  complète,  ayant  précédé  de  peu 
la  dispersion  de  la  tribu.  D'autres  explorateurs,  il  est  vrai,  parlent 
de  charbons,  de  traces  de  feu  attestant  la  durée  du  séjour  de 
l'homme.  Les  archéologues  Américains  abordent  l'étude  de  ces 


"Vallée  du 
Mac-Elmo. 


216  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ruines  avec  des   idées  préconçues  qui   se  reflètent  trop  souvent 
dans  les  impressions  des  voyageurs. 

La  vallée  du  Mac-Elmo  renferme  des  ruines  non  moins  impor- 
tantes que  celles  que  nous  venons  de  citer.  Nous  reproduisons 
(fig.  94)  le  plan  d'une  des  principales  d'entre  elles  qui  aide  à  se 
rendre  compte  des  dispositions  générales  d'un  pueblo.  La  grande 
tourouestufa  offre  une  certaine  ressemblance  avec  les  singulières 
constructions  des  îles  Baléares  auxquelles  on  a  donné  le  nom 


Fig.  95.  —  Tour  sur  le  sommet  d'un  rocher  dans  la  vallée  de  Mac-Elmo. 


de  Talayoti;  elle  est  construite  en  pierres  brutes  et  entourée 
d'un  triple  mur(l).  Une  autre  estufa  avec  des  murs  de  plus  de 
trois  pieds  d'épaisseur  est  située  à  une  des  extrémités.  Les 
chambres  ou  plutôt  les  cellules  sont  rectangulaires  et  toutes 
d'une  extrême  petitesse. 

Ce  pueblo  est  au  milieu  d'un  pays  peu  fertile,  à  un  mile  en- 
viron du  Mac-Elmo,  toujours  a  sec  durant  l'été.  Les  malheureux 

(1)  L'espace   qui  sépare  les  deux  murs  extérieurs  de  la  tour  n'est  guère  que  de 
5  pieds.  On  y  compte  quatorze  cellules. 


LES  GLIFF  DWËLLERS.  217 

habitants  auraient  donc  été  réduits  pendant  plusieurs  mois  de 
l'année  à  aller  chercher  de  l'eau  au  Dolorès,  à  une  distance  de 
près  de  quinze  miles.  C'est  une  supposition  inadmissible;  au- 
cune population  agricole  ne  saurait  subsister  dans  de  sembla- 
bles conditions.  «  To  suppose  an  agricultural  people  existing  in 
such  a  locality  with  the  présent  climate  is  manifestly  absurd,  dit 
M.  Holmes  (1),  yet  every  isolated  rock  and  every  bit  of  mesa 
within  a  circle  of  miles,  is  strewn  with  remuants  of  human 
dwellings  »  (fig.  95).  Il  faut  donc  admettre,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  des  changements  climatériques  importants,  depuis  les 
temps  où  le  pays  était  peuplé. 

La  même  remarque  s'applique  avec  plus  de  force  encore  à 
Aztec  Spring  (Colorado)  (2).  Ces  ruines  (fig.  96)  situées  sur  le 
Mesa  Verde,  à  une  égale  distance  du  Mac-Elmo  et  du  Mancos, 
couvrent  une  superficie  de  480,000  pieds  carrés  et  peuvent 
représenter  \  ,500,000  pieds  cubes  de  maçonnerie. 

L'édifice  principal  forme  un  rectangle  (A)  de  80  pieds  sur 
100,  entouré  d'un  double  mur  et  divisé  en  trois  chambres  sépa- 
rées. L'épaisseur  des  murs  est  de  26  pouces,  et  ils  ont  encore  de 
12  à  15  pieds  de  hauteur;  entre  les  deux  murs  il  existe  vingt 
cellules,  dont  il  est  difficile  de  présumer  l'usage. 

Trois  estufas  (B,  C,  D'/  s'élèvent  au  milieu  de  l'enceinte; 
autant  que  l'on  peut  en  juger  dans  leur  état  actuel,  deux  d'en- 
tre elles  pourraient  bien  avoir  été  des  citernes,  destinées  à  con- 
server l'eau  nécessaire  aux  habitants. 

Les  murs  de  refend  sont  en  briques  crues,  les  murs  extérieurs 
en  blocs  de  calcaire  fossilifère  provenant  du  Mesa  Verde,  tous 
symétriquement  taillés  et  cimentés  avec  de  l'argile,  mélangée 
avec  la  poussière  provenant  de  la  décomposition  des  carbonates 
de  chaux  très  abondants  dans  le  voisinage.  C'est  à  ce  mortier 
sans  doute,  qu'est  due  la  conservation  exceptionnelle  des  ruines 
d'Aztec  Spring. 

(1)  L.  c,  p.  399. 

(2)  Le  nom  d'Aztec  Spring  a  été  donné  à  ces  ruines  à  raison  d'une  source  (E)  que 
le  capitaine  Moss  raconte  avoir  trouvée  et  qui  a  disparu  depuis  son  voyage. 


218 


L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 


Ruines  du 
Hovenweep. 


Le  Hovenweep  (1),  aujourd'hui  à  sec,  coulait  autrefois  entre  des 
canons  abruptes  et  désolés.  Dans  toute  la  vallée,  on   voit  une 


m 

□□M 


Fig.  96.  —  Aztec  Sprlng,  plan  par  terre. 

série  de  ruines,  et  partout  ces  singulières  demeures  à  plusieurs 
étages  perchées,  c'est  bien  le  mot,  dans  toutes  les  anfractuosités, 

(1)  Ce  nom  est  emprunté  à  la  langue  utc  et  signifie  cano7t  désert. 


1 


LES  GLIFP  DWELLERS.  219 

sur  toutes  les  terrasses  dés  falaises.  Ici,  par  une  disposition 
exceptionnelle,  les  maisons  sont  circulaires  et  leur  diamètre  ne 
dépasse  guère  12  à  15  pieds;  les  angles  sont  arrondis  et  les 
murs  construits  en  pierres  de  la  grosseur  de  trois  de  nos  briques 
ordinaires.  Tout  paraît  avoir  été  préparé  pour  la  résistance;  les 
maisons  (1)  étaient  d'un  accès  presque  impossible,  et  de  petites 
tours  d'observation  avaient  été  élevées  sur  les  points  où  elles  pou- 
vaient aider  à  la  surveillance. 

La  vallée  du  Montezuma  (2)  atteint  sur  certains  points  jusqu'à     Le  canon 

•  1  11  T-iii  1  •  1  Montezuma 

dix  mues  de  largeur,  hlle  est  couverte  de  rumes,  de  tours  à 
triple  enceinte,  de  mounds  formés  en  grande  partie  de  frag- 
ments de  poterie  brisée.  Les  falaises  qui  dominent  la  vallée 
présentent  une  longue  suite  de  cavernes,  d'anfractuosités,  d'abris 
sous  roche,  constamment  utilisés  par  l'homme  (fig.  97);  sur 
plusieurs  points,  on  a  cru  reconnaître  des  trous  creusés  dans  le 
rocher  à  des  distances  régulières  où  l'on  pouvait  successive- 
ment placer  les  pieds  et  les  mains.  C'était  le  seul  mode  d'accès  ; 
aucun  arbre  de  ces  vallées  n'aurait  pu  fournir  des  échelles  assez 
longues  pour  parvenir  à  ces  nids  d'aigles  (3). 

11  faut  encore  noter  à  Montezuma  sept  pierres  debout  qui  se 
dressent  au  milieu  de  ces  déserts,  comme  les  menhirs  de  la  Bre- 
tagne ou  du  pays  de  Galles  ;  mais  des  observations  ultérieures 
feraient  croire  qu'ils  étaient  plutôt  des  piliers  destinés  à  donner 
plus  de  solidité  à  des  constructions  défensives.  La  défense  paraît 
en  effet  avoir  toujours  été  la  grande  préoccupation  de  ces 
hommes;  dans  un  rayon  de  15  miles,  sur  tous  les  points  qui  com- 
mandaient la  vallée  ou  qui  pouvaient  servir  de  poste  d'observa- 
tion, on  voit  des  blocs  arrachés  aux  rochers  voisins  et  empilés 

(1)  Sur  une  terrasse  naturelle,  mesurant  à  peine  300  pieds  sur  50,  et  située  à  la  nais- 
sance même  du  Hovenweep,  les  Cliff-Dwellers  avaient  trouvé  moyen  d'élever  quarante 
maisons  diflférentes. 

(2)  Jackson,  /.  c,  p.  427  et  s. 

(3)  Dans  uu  de  ces  abris,  les  explorateurs  découvrirent  le  squelette  d'un  homme 
enveloppé  d'une  couverture  à  grandes  raies  noires  et  blanches.  Cet  homme  n'avait 
aucun  rapport  avec  les  anciens  habitants  de  ces  demeures  aériennes.  Selon  toutes  les 
apparences,  c'était  un  Navajo,  victime  des  luttes  incessantes  entre  sa  tribu  et  les 
Utes. 


,220  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

les  uns  sur  les  autres  ;  les  interstices  étaient  remplis  par  des 
pierres  plus  petites  qui  consolidaient  la  masse.  Tout  atteste  une 
population  nombreuse  ;  elle  était  indispensable  pour  l'exécution 
de  semblables  travaux. 


Fig.  97.  —  Maison  daus  un  rocher  (Montezuma-Caùou). 


le  Bio 
Chellv. 


Les  rochers  du  Rio  Chelly  renferment  des  habitations  abso- 
lument pareilles  à  celles  que  nous  venons  de  raconter;  nous 
sommes  condamnés  à  d'inévitables  répétitions  pour  retrouver 
quelques  traces  dès  Cliff-Dwellers,  dont  ces  constructions,  quel- 
ques fragments  de  poterie,  quelques  misérables  silex  restent  les 


LES  CLIFP  DWELLERS.  221 

uniques  témoins.  Au  Rio  Chelly,  comme  à  Montezuma,  comme 
sur  les  rives  du  Mancos  ou  du  Mac  Elmo,  les  grottes  naturelles 
ou  artificielles,  les  dépressions,  les  plus  petites  anfractuosités  ont 
été  utilisées.  Les  constructions  sont  souvent  d'une  importance 
exceptionnelle  :  ainsi  M.  Jackson  (1)  signale,  à  soixante-dix  pieds 
d'élévation,  des  ruines,  qu'il  appelle  a  Cave  Town,  une  ville  de 
cavernes.  Elles  ont  une  longueur  de  545  pieds,  sur  une  lar- 
geur maxima  de  40  pieds.  Presque  toutes  comprennent  un  rez- 
de-chaussée  et  un  étage  ;  une  d'elles  est  même  à  deux  étages  ; 
on  a  voulu  en  conclure  que  c'était  la  demeure  du  chef.  Les 
murs  sont  partout  de  très  faible  dimension  ;  leur  épaisseur  atteint 
rarement  un  pied  et  souvent  elle  n'est  que  de  six  pouces.  Les 
pierres  sont  noyées  dans  un  épais  mortier  et  enduites  à  l'intérieur 
comme  à  l'extérieur.  On  a  reconnu  soixante-quinze  chambres 
séparées;  au  centre  l'inévitable  estufa  (2)  et,  derrière  les  maisons, 
deux  petits  réservoirs  destinés  à  conserver  l'eau.  Aucune  de  ces 
demeures  ne  présente  d'autres  ouvertures  que  des  fenêtres  s'ou- 
vrant  presque  toujours  sur  des  cours  intérieures,  et  les  recherches 
n'ont  pu  faire  découvrir  d'autre  moyen  d'accès  que  des  blocs 
écroulés  et  des  fentes  naturelles,  dont  il  était  possible  de  s'aider 
pour  l'ascension  (3).  Plusieurs  corrals,  véritables  cours  inté- 
rieures, sont  encore  remplis  de  fumier  en  poussière.  Comment 
pouvait-on  faire  arriver  des  bestiaux  à  une  semblable  hauteur? 
Comment  parvenait-on  à  les  nourrir  sur  des  rochers  escarpés 
et  sans  issue  ?  Toutes  les  conjectures  sont  permises  ;  aucune,  il 
faut  en  convenir,  n'est  complètement  satisfaisante. 

Au  pied  des  rochers,  on  voit  de  nombreuses  pierres  debout 
entourant  des  espaces  rectangulaires,  semblables  à  celles  dont 
nous  avons  parlé.  Ici  aussi,  les  fouilles  n'ont  rien  donné  qui  puisse 
faire  supposer  des  sépultures.  On  a  recueilli  quelques  vases  en 

(l)i.  c,  p.  421. 

(2)  On  peut  consulter  Jackson,  l.  c,  pi.  I. 

(3)  La  hauteur  des  rochers  en  grès  schisteux,  qui  couronnent  ces  constructions,  n'est 
pas  moindre  de  200  pieds  à  partir  du  pied  de  la  mesa.  La  descente  do  ce  point  est 
donc  autrement  difficile  que  l'escalade  en  partant  do  la  vallée.  La  mesa  est  aride, 
désolée  et  couverte  d'une  végétation  rabougrie. 


222  L'AMERIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

poterie  rouge,  des  couteaux,  des  haches,  des  poinçons,  des  pointes 
de  flèches  en  silex  finement  taillées. 

Nous  reproduisons  (fig.  99)  une  maison  située  à  vingt  pieds 
d'élévation,  à  deux  miles  environ  de  Cave  Town.  Il  est  plus  facile 
de  se  rendre  ainsi  compte  des  difficultés  d'accès  et  des  moyens 
employés  pour  les  surmonter.  La  maison  est  à  un  étage,  le  rez- 
de-chaussée  mesure  dix-huit  pieds  sur  dix;  cet  étroit  espace  forme 
deux  chambres  différentes,   le    premier   étage  n'en  renferme 


Fig.  98. —  Cave-Town  auprès  du  San-Juan. 

qu'une  seule.  Le  rocher  qui  surplombe  sert  de  toit  protecteur  (1). 
Ruines  au         Toutc  la  valléc  d'Epsom-Crcek  (2)  est  couverte  de  ruines,  moins 

nord  du  San  i  \    / 

Juan.  considérables  que  celles  que  nous  venons  de  décrire.  Ce  sont  des 
grottes  en  fumées  (fig.  98),  des  Ciibby  Holes,  ditM.  Jackson,  situées 
tantôt  au  bord  d'un  ruisseau,  tantôt  plaquées  comme  des  sand- 
wichs, —  c'est  une  comparaison  que  nous  empruntons  aux  Améri- 
cains, —  dans  les  anfractuosités  du  rocher.  Ces  demeures  ne  com- 
prennent en  général  qu'une  seule  chambre,  dont  les  murs  sont 
enduits  avec  une  telle  perfection,  qu'aujourd'hui  encore  le  mor- 
tier ne  présente  aucune  fissure.  L'entrée  de  la  vallée  était  défen- 


(1)  On  signale,  à  8  miles  de  Cave  Town,  un  autre  groupe  de  constructions  analogues 
mais  de  dimensions  moindres  (Simpson,  Exp.  in  tfie  Navojo  Country). 

(2)  La  vallée  est  ainsi  appelée  dun  ruisseau  d'eau  saumâtro  dont  les  eaux  rappel- 
lent, protei)d-on,  le  goût  du  sel  d'Epsom. 


LES  GLIFF  DWELLERS.  223 

due  par  une  tour  (fig.  86),  érigée  sur  un  monticule  inaccessible. 
Après  des  efforts  réitérés,  M.  Jackson  dut  renoncer  à  y  parve- 
nir. Une  autre  tour  circulaire,  dont  les  murs  écroulés  et  les 
pierres  couvertes  de  mousse  et  de  broussailles  attestent  l'anti- 
quité, s'élève  sur  la  rive  opposée  du  ruisseau  (i). 

A  quelques  miles  en  amont,  sur  les  bords  d'un  ravin  profond, 
les  ruines  donnent  l'idée  d'une  ville  fortifiée.  Les  explorateurs 
se  trouvaient  en  présence  d'une  grande  masse  de  forme  rectan- 
gulaire, avec  des  tours  reliées  entre  elles  et  disposées  sur  les  deux 
côtés  du  ravin  de  manière  à  commander  toutes  les  approches. 
Le  fait  dominant  chez  ces  populations  paraît  avoir  été  la  crainte 
d'attaques  ennemies;  de  là,  la  nécessité  pour  elles  d'être  tou- 
jours préparées  à  les  repousser  (2). 

Il  faut  aussi  mentionner  les  constructions  situées  sur  les  rives  >aiiés  do  u 

Plala. 

de  la  Plata  à  vingt-cinq  miles  de  sa  jonction  avec  le  San  Juan  (3), 
ne  fût-ce  qu'à  raison  de  leurs  dispositions  toutes  particulières. 
Elles  s'étendent  irrégulièrement  dans  la  vallée,  chaque  famille 
avait  sa  demeure  ;  chaque  dieu  avait  son  temple.  Tout  indique 
une  civilisation  différente  de  celle  que  nous  avons  rencontrée 
jusqu'ici.  La  famille  et  la  propriété  individuelle  étaient  fondées, 
et  des  habitations  isolées,  telles  qu'on  peut  les  voir  en  parcourant 
les  divers  pays  de  l'Europe,  montrent  mieux  encore  l'indépen- 
dance de  leurs  habitants.  «  Thèse  seem,  dit  M.  Holmes  (4),  to  be 
distributed  very  much  as  dvvelling  bouses  are  in  the  rural  dis- 
tricts of  civibzed  and  peaceable  communities.  » 

Les  Cliff -Bouses  ne  sont  pas  moins  nombreux  dans  l'Arizona     Arùona. 
que  dans  le  Nouveau-Mexique  ;  mais  leur  emplacement  paraît 
avoir  été  moins  bien  choisi;  les  fondations  sont  en  pierres;  rien 
cependant  ne  permet  d'affirmer  qu'elles  soient  plus  anciennes 
que  les  murs  en  adobes  qui  les  couronnent.  Nous  sommes  à  la 

(1)  Le  diamètre  de  cette  tour  est  de  40  pieds. 

(2)  et  The  San  Juan  Valley  is  strewn  wiih  ruins,  for  hundreds  of  miles;  some  buil- 
dings, three  stories  high  of  masonry,  ar3  still  standing.  »  {San  Francisco  Evening  Bul- 
letin, 8  July  1864.) 

(3)  A  5  miles  au  sud  de  la  nouvelle  voie  ferrée  de  l'Atlantique  au  Pacifique. 

(4)  L.  c,  p.  388. 


224  L'AMÉllIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

limite  extrême  des  pays  occupés  au  Sud  par  les  Cliff-Dwellers,  et 


Vig.  99.  —  Cliff-House  dans  le  canon  Chelly. 

les  amas  considérables  de  poterie  que  l'on  rencontre  à  chaque  pas 
montrent  la  longue  durée  de  leur  habitation. 


LES  GLIFF  DWELLERS.  225 

Parmi  toutes  ces  ruines,  la  Casa  Grande  (fig.  100)  mérite  une 
mention  spéciale.  Elle  s'élève  sur  une  petite  éminence  dans  la 
vallée  du  Rio  Gila,  à  deux  miles  et  demi  delà  rivière,  et  il  paraît 
certain  qu'elle  existai I  plusieurs  siècles  avant  la  venue  des  Espa- 
gnols, qui  en  eurent  connaissance  dès  leurs  plus  anciennes  expé- 
ditions (1).  La  première  description  un  peu  complète  qui  nous 
soit  parvenue  est  celle  du  père  Mange,  qui  visita  la  Casa  Grande 
avec  le  père  Rino,   en   1697  (2).   11  paraît  qu'alors  l'ensemble 


Fig.  100.  —  Casa  grande  dans  la  vallée  du  Gila. 


des  ruines  comprenait  onze  bâtiments  différents,  entourés  d'un 
mur  assez  élevé,  servant  à  les  protéger.  Aujourd'hui  ces  bâtiments 
sont  réduits  à  trois  dont  un  seul  est  encore  dans  un  état  de  con- 
servation qui  permet  de  l'étudier.  Il  est  construit  en  adobes  de 
grande  taille  (3)  et  mesure  cinquante  pieds  sur  quarante.  Les 
murs  ont  cinq  pieds  d'épaisseur  à  la  base  et  vont  en  se  rétrécis- 

(1)  Il  est  généralement  admis  que  c'est  la  Casa  Grande,  que  Coronado  mentionne  sous 
le  nom  de  Chichilticalle,  la  maison  rouge. 
^2)  Doc.  Hist.  Mex.,  série  IV,  t.  I,  p.  282.  —  Bancroft,  /.  c,   t.  IV,  p.  621  et  s. 
(3)  Ces  adobes  mesurent  4  pieds  sur  2. 


De  Nadaillac,  Amérique. 


15 


226  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

sant  vers  le  sommet  (1).  L'intérieur  est  divisé  en  cinq  chambres 
(fig.  101)  beaucoup  plus  grandes  que  celles  que  nous  avons  dé- 
crites jusqu'à  présent.  Les  chambres  centrales  ont  trois  pieds 
sur  quatorze  ;  les  autres  atteignent  jusqu'à  trente-deux  pieds 
de  longueur  sur  dix  de  largeur.  Des  débris  de  poutres  en  bois 
de  cèdre  encore  engagés  dans  les  murs  prouvent  que  le  bâti- 
ment comportait  trois  étages,   quatre  peut-être,  dans  sa  par- 


Fig.  101.  —  Casa  grande  (plan  par  terre). 

tie  centrale.  On  ne  voit  aucun  escalier,  rien  qui  puisse  en 
tenir  lieu  ;  c'est  donc  par  des  échelles  que  l'on  communiquait 
d'un  étage  à  l'autre.  Un  vaste  incendie  a  laissé  partout  des 
traces  ineffaçables  ;  on  a  supposé  qu'il  avait  été  allumé  par  les 
Apaches,  les  plus  sauvages  et  les  plus  indomptables  de  toutes  les 
tribus  indiennes. 

La  Casa  Grande  était  le  centre  d'établissements  importants. 
«  Dans  toutes  les  directions,  écrit  Bartlett,  aussi  loin  que  nos  re- 
gards pouvaient  porter,  nous  apercevions  des  murs  écroulés  et 
des  amas  de  décombres,  débris  d'anciennes  constructions.  »  Les 
père  Mange,  Kino  et  Font  racontent  aussi  que  la  plaine  était 
couverte,  dans  un  rayon  de  deux  lieues,  de  monticules  d'adobes 
tombés  en  poussière  (2). 

Plusieurs  acequias,  c'est  le  nom  donné  aux  canaux  d'irrigation, 


(1)  Bartlett,  Personal  Narrative  of  Explorations  and  Incidents  in  Texas,  New- 
Mexico,  California,  Sonora  and  Chihuahua.  New-York,  1854,  t.  II,  p.  271  et  s. 

(2)  Des  volumes  ne  suffiraient  pas  à  décrire  toutes  les  ruines  de  ces  régions, 
toutes  les  populations  qui  les  habitaient.  Mentionnons  donc  simplement  celles  qui  se 
trouvent  dans  les  vallées  du  Rio  Salado  et  de  son  affluent  le  Rio  Verde.  Le  Salado  se 
jeite  dans  le  Gila  (VVliipple,  Ewbank,  and  Tiu'ner,  Report  upon  the  Indiau  Tribes). 


LES  CLIFF  DWELLERS.  227 

viennent  aussi  témoigner  de  l'industrie  des  habitants  (1).  Le  père 
Mange  en  mentionne  un  auprès  de  la  Casa  Grande,  destiné  a  rece- 
voir les  eaux  du  Gila  ;  il  aurait  eu  vingt-sept  pieds  de  largeur,  sur 
dix  de  profondeur  et  sur  une  longueur  de  trois  lieues.  CeschitTres, 
il  faut  le  dire,  paraissent  exagérés  aux  voyageurs  plus  récents;  ils 
citent  cependant  un  autre  canaldansla  vallée  du  Salado  qui  aurait 
une  largeur  à  peu  près  égale  sur  une  profondeur  de  quatre  à  cinq 
pieds.  De  pareilles  entreprises  n'arrêtaient  donc  pas  ces  hommes, 
pas  plus  que  dans  d'autres  régions  ils  n'arrêtaient  les  Mound-Buil- 
ders  alors  qu'elles  pouvaient  favoriser  leur  commerce  ou  leur 
agriculture.  Elles  montrent  mieux  peut-être  que  leurs  construc- 
tions à  quel  degré  de  civilisation  ces  populations  étaient  arrivées. 

11  faut  rapprocher  de  la  Casa   Grande  du  Rio  Gila,    d'au-     Lescasas 

grandes  du 

très  ruines  plus  considérables  encore,  situées  dans  le  Chihua-  <"hihuahua. 
hua  et  qui  les  rappellent  de  tous  points.  Ces  constructions, 
auxquelles  les  Espagnols  ont  donné  le  même  nom  de  Casas 
Grandes,  doivent  être  mentionnées  ici,  car  il  est  évident  qu'elles 
sont  dues  aux  mêmes  races  et  qu'elles  datent  de  la  même  épo- 
que que  celles  de  l'Arizona. 

Les  Casas  Grandes  sont  situées  dans  la  vallée  du  San  Miguel, 
non  loin  de  la  limite  actuelle  des  Etats-Unis  et  du  Mexique.  Le 
pays  est  occupé  par  les  Apaches,  qui  rendent  toute  exploration 
dangereuse  (2). 

Des  amas  de  décombres,  au  milieu  desquels  surgissent  des  pans 
de  murailles  (3),  indiquent  l'emplacement  ancien  de  la  ville.  Les 
murs  étaient  construits  en  adobes,  simplement  séchés  au  soleil. 
La  longueur  de  ces  adobes  était  fort  irrégulière,  leur  épais- 
seur atteignait  vingt-deux  pouces  ;  la  largeur  des  murs  appro- 
chait de  cinq  pieds  ;  ils  étaient  simplement  enduits  avec  de  l'ar- 
gile délayée  dans  de  l'eau. 

(1)  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  632,  635. 

(2)  Arleguy,  Chron.  delà  Prov.  de  S.  Francisco  de  Zacatecas.  Mexico,  1737,  p.  lOi. 
—  Clavigero,  St-  Ant.  del  Messico,  t.  I,  p.  159.  —  Escudero,  Noticins  del  Estadn  de 
Chihuahua,  p.  234.  —  Album  MexicanOy  Mexico,  1849,  t.  I,  p.  374.  —  Bcrtlett,  Per- 
sonal Narrative,  New- York,  1834,  t.  II,  p.  347. 

(3)  Quelques-uns  de  ces  pans  de  murs  atteignent  jusqu'à  50  pieds  de  hauteur. 


228  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Le  bâtiment  principal  avait  800  pieds  de  longueur  sur  les  faces 
Nord  et  Sud;  250  seulement  sur  celles  Est  et  Ouest  (1).  En 
1851 ,  à  l'époque  de  la  visite  de  Bartlett,  il  n'existait  nulle  pierre, 
nulle  poutre  visibles  ;  l'état  de  destruction  était  tel,  qu'il  ne  lui 
fut  pas  possible,  de  relever  la  trace  d'un  plancher  ou  d'un  esca- 
lier, ni  de  constater  le  nombre  ou  la  hauteur  des  étages  (2).  Les 
mêmes  obstacles  s'opposaient  à  ce  qu'il  put  se  rendre  compte  des 
aménagements  intérieurs;  sur  un  seul  point,  il  reconnut  six  cel- 
lules de  vingt  pieds  sur  dix,  et  encore  cet  espace  déjà  si  étroit 
était-il  rétréci  par  un  petit  réduit  de  trois  à  quatre  pieds  de  hau- 
teur situé  à  l'extrémité  de  chaque  cellule  et  dont  l'usage  reste 
inconnu. 

Un  peu  plus  loin,  d'autres  bâtiments  entourent  une  cour  car- 
rée. Là  aussi  nous  retrouvons  ces  cellules  qui  sont  un  des  traits 
caractéristiques  des  Casas  Grandes,  comme  des  Cliff-Houses  et 
des  Pueblos.  C'est  un  indice  sérieux  d'habitudes  communes, 
partant  de  l'origine  commune  de  ces  populations. 

Plus  de  deux  mille  mounds  existent  dans  les  environs  des 
Casas  Grandes;  il  est  probable  qu'ils  étaient  des  sépultures.  Les 
fouilles  n'ont  cependant  donné  aucun  ossement  humain.  Il 
a  été  seulement  recueilli  quelques  haches  en  silex,  quelques  gros- 
sières figurines  en  terre  cuite  et  des  fragments  de  poterie,  décorée 
d'ornements  rouges,  noirs  ou  bruns,  sur  un  fond  généralement 
blanc. 

A  quelques  miles  plus  loin  s'élève  une  véritable  forteresse 
construite  non  plus  en  adobes,  mais  en  pierres  parfaitement  ap- 
pareillées et  posées  sans  mortier  d'aucune  sorte.  Les  murs  ont 
de  dix-huit  à  vingt  pieds  d'épaisseur,  et  on  arrive  au  sommet  par 
un  chemin  taillé  dans  le  roc.  Rien  n'indique,  si  cette  forteresse 
avait  été  érigée  pour  défendre  les  Casas  Grandes  et  si  même 


(1)  L'Album  Mexicano  dit  1380  pieds  sur  414.  Bartlett,  à  qui  nous  empruntons  les 
chiffres  que  nous  donnons,  n'a  probablement  pas  compris  dans  le  total  les  bâtiments 
détachés. 

[2)  D'autres  explorateurs  moins  consciencieux,  prétendent  que  les  bâtiments  princi- 
paux avaient  trois  otages  et  étaient  surmontes  dune  terrasse. 


LES  CLIFP  DWELLERS.  229 

elle  existait  au  moment    où   cette  bourgade   était  florissante. 

j-v  ..  ,,  .,  i,  .j|/~iLe    Colorado 

Des  ruines  importantes  se  voient  sur  les  deux  rives  du  Lo-  cbiquuo. 
lorado  Chiquito,  une  des  branches  supérieures  du  Colorado. 
Elles  datent  d'époques  difTérentes,  et  sur  des  fondations  en  pierres 
brutes  nous  trouvons,  comme  dans  l'Arizona,  des  murs  cons- 
truits en  adobes  et  en  bois.  De  nombreux  tessons  d'une  poterie 
fine  et  légère,  rarement  peinte,  des  fragments  d'obsidienne  et 
de  roches  en  général  étrangères  au  pays,  témoignent  aussi  de 
la  présence  de  l'homme  (1). 

11  faut  citer  parmi  ces  ruines  une  construction  mesurant  120 
pieds  sur  360,  et  placée  sur  une  éminence  isolée  :  les  murs  sont 
presque  entièrement  écroulés  ;  on  en  voit  cependant  qui  attei- 
gnent jusqu'à  douze  pieds  d'épaisseur.  A  l'intérieur,  ce  sont 
toujours  les  mêmes  petites  cellules  que  nous  avons  si  souvent 
racontées.  Mentionnons  encore  un  fort,  si  l'on  peut  lui  donner 
ce  nom,  élevé  sur  la  rive  ouest  du  Beaver-Creek  (2). 

La  rivière  coule  à  travers  des  canons  abruptes,  qui  présentent 
l'aspect  de  la  désolation.  Vers  le  milieu  d'une  falaise,  aux  parois 
perpendiculaires  et  sans  nul  moyen  d'accès,  à  cent  pieds  d'alti- 
tude, se  dresse  une  tour  carrée,  en  pierres  admirablement  appa- 
reillées et  pouvant  avoir  de  30  à  35  pieds  d'élévation.  Chaque 
étage,  construit  en  retrait  sur  l'étage  inférieur,  ne  renferme 
qu'une  seule  chambre,  dont  les  dimensions  varient  de  4  à  8  pieds 
carrés  et  la  hauteur  de  3  à  5  pieds.  Les  planchers  sont  en  poutres 
grossièrement  équarries,  les  ouvertures  sont  peu  nombreuses  et 
fort  étroites.  11  n'était  possible  d'y  pénétrer  qu'au  prix  des  plus 
grandes  difficultés.  Dans  toute  la  vallée,  jusqu'à  Montezuma 
Wells,  s'élèvent  des  tours  semblables,  qu'un  voyageur  compare 
assez  justement  à  des  nids  d'hirondelles.  Il  a  fallu  un  travail 
inouï,  pour  transporter  les  pierres  et  pour  les  maçonner,  dans  de 

(1)  Sitgreave,  Report  of  an  Expédition  down  the  Zuni  and  Colorado  Rivert,  p.  8. 
Washington,  1853.  —  Whipple,  Report  of  Explorations  near  the  35''"  parallel.  —  B. 
Môlhausen,  Taf/ebuch  etne  Reisevom  Mississipi  nnch  dem  Ktisten  der  Sud  See,  Leipzig, 
1858. 

(2)  D"'  Hoffmann,  Eth'i.  Obs.  on  Indians  inhabiting  Nevada,  California  and  Ari- 
zona. U.  S.  Ge'il.  and  Ce' g.  Surreij,  1876. 


230  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

telles  conditions.  On  se  demande  quels  pouvaient  être  ces  hom- 
mes et  quel  but  ils  prétendaient  poursuivre,  sans  que  nous 
puissions  répondre  à  une  interrogation  qu'il  faut  si  souvent 
répéter.  •  ,.  ;•  ^  aur 

INous  ne  serions  pas  au  terme  des  surprises  qui  nous  attendent 
dans  ces  régions,  s'il  fallait  admettre  avec  une  entière  confiance 
le  récit  du  capitaine  Walker,  qui  dit  avoir  découvert  en  1850, 
sur  les  bords  du  Colorado  Chiquito ,  une  véritable  citadelle 
située  au  milieu  d'une  ville,  dont  les  ruines  s'étendent  à  plus  d'un 
mile  de  distance  et  dont  on  peut  encore  reconnaître  les  rues, 
tracées  à  angle  droit  (1).  «  Un  ouragan  de  feu  (2),  »  dit-il, 
avait  passé  sur  la  ville  ;  les  pierres  sont  effritées  par  les  flam- 
mes, le  rocher  lui-même  sur  lequel  s'élevait  le  bâtiment  princi- 
pal porte  des  traces  de  fusion  ;  tout  témoigne  de  l'intensité  de  la 
chaleur. 

Avant  de  rejeter  absolument  un  récit  que  nul  autre  ne  vient 
confirmer,  il  faut  se  rappeler  que  des  témoignages,  cette  fois 
plus  sérieux,  nous  montrent  dans  le  Missouri,  sur  la  rivière 
Gasconnade  ,  non  loin  de  Saint- Louis  ,  une  ancienne  ville  , 
avec  des  places  régulières,  des  rues  se  coupant  à  angle  droit  et 
des  maisons  en  pierres  brutes,  sans  trace  de  mortier.  On  peut 
aussi  citer  des  ruines  analogues  à  Buffalo-Creek  et  sur  la  rivière 
Osage  (3). 

Le  major  Powell  vient  de  remonter,  sur  un  parcours  de  plu- 
sieurs centaines  de  miles,  le  grand  Colorado,  encore  si  peu 
connu  (4).  11  raconte,  au  milieu  d'une  nature  morne  et  désolée, 
les  traces  d'une  population  aujourd'hui  complètement  disparue. 
Ce  sont  à  chaque  pas  des  pueblos  dans  les  vallées,  des  Cliff 
Ilouses  dans  des  canons  sauvages  et  pittoresques,  au  milieu  de 
rochers  d'une  hauteur  de  1500  mètres,  et  dont  les  parois  inclinées 
sont  parfois  tellement  rapprochées,  qu'on  est  tenté  de  croire  que 

(1)  San  Francisco  Herald,  1853,  cité  par  Bancroft,  The  Native  Races,  t.  IV,  p.  64:J, 

(2)  «  A  Slorm  of  fire.  » 

(3)  Conant,  Foot  Prinls  of  Vanished  Races,  p.  71. 

(4)  Scribner's,  Monthly  Jan,  Feb.  March,  1875. 


LES  CLIFP  DWELLERS.  231 

Je  fleuve  s'enfonce  dans  un  souterrain  semblable  aux  tunnels  de 
nos  chemins  de  fer.  Autour  de  ces  habitations  abandonnées  les 
voyageurs  trouvèrent  des  tessons  de  poterie,  des  pointes  de  flèche, 
des  éclats  de  silex  pareils  à  ceux  recueillis  dans  toute  l'Amérique 
centrale. 

Nous  venons  de  voir  de  nombreuses  constructions,  situées  dans 
les  vallées  au  pied  des  Cliff  Houses  et  dont  les  approches  étaient 
défendues  par  des  postes  et  des  tours  d'observation.  Tout  parle, 
nous  l'avons  dit  à  plusieurs  reprises,  de  périls  incessants,  d'en- 
nemis redoutables.  Il  est  d'autres  ruines  plus  considérables,  plus 
imposantes  par  leur  masse,  dont  les  anciens  habitants  ne  parais- 
sent pas  avoir  été  exposés  aux  mêmes  dangers. 

Ceux-ci  formaient  des  communautés  paisibles,  exclusivement 
agricoles,  où  le  communisme  sous  l'autorité  d'un  chef  despo- 
tique paraît  avoir  été  le  régime  dominant.  Gregg,  qui  parcou- 
rut tout  le  Nouveau-Mexique  vers  1840,  fut  le  premier  à  les 
décrire  (1).  «  Les  ruines  du  pueblo  Bonito  dans  le  pays  des 
Navajos,  au  pied  des  Cordillères,  dit-il,  comprennent  des  mai- 
sons bâties  en  dalles  de  grès,  genre  de  construction  actuelle- 
ment inconnue  dans  le  pays.  Ces  maisons  sont  encore  intactes, 
bien  que  leur  antiquité  soit  telle,  que  l'on  ignore  absolument  leur 
origine.  » 

En  1849,  le  colonel  Washington,  gouverneur  du  Nouveau- 
Mexique,  organisa  une  expédition  contre  ces  Navajos  qui  infes- 
taient tout  le  nord  de  l'État  ;  et  c'est  au  lieutenant  depuis  géné- 
ral Simpson,  attaché  au  service  topographique  de  Tarmée,  que 
nous  devons  les  premiers  plans  réguliers  des  ruines  que  ses  sol- 
dats rencontraient  à  chaque  pas,  en  parcourant  le  canon 
Chaco(2). 

Le  pueblo  Bonito  est  le  plus  important  de  ces  villages  (fîg.  102). 
Il  convient  de  le  décrire  avec  quelques  détails  (3)  ;  il  permet  de  se 

(1)  Commerce  des  Prairies,  t.  I,  p.  284.  New-York,   1844.  Le  pueblo,  dont  Gregg 
parle  sous  le  nom  de  pueblo  Bonito,  est  probablement  le  pueblo  Pintado. 

(2)  Report  Secretary  of  War  SI"  Congress  I"  Session. 

(3)  Ruins  of  Chaco  Canon  examined  in  1877.  Jackson,    /.  c,  p.   43?,  440  et  s., 
pi.  LVIII. 


Pueblo  du 
Canon  Chuco. 


232  L'AMÉRIQUE  PREHISTORIQUE. 

rendre  compte  des  autres  pueblos,  tous  semblables  dans  leurs 
principales  dispositions.  Il  faut  cependant  ajouter  qu'ils  présen- 
tent en  général  des  plans  rectangulaires,  et  qu'ils  montrent  une 


unité  de  conception  que  nous  ne  trouvons  pas  au  même  degré 
dans  le  pueblo  Bonito. 

Ce  pueblo,  construit  sans  doute  à  plusieurs  reprises,  selon 
les  besoins  du  moment,  s'élève  sous  les  rochers  à  pic,  qui  for- 
ment le  canon  Chaco  et  forme  une  demi-ellipse  irrégulière 
mesurant  544  pieds  sur  314.  Une  cour  intérieure  est  coupée  en 


LES  GLIFF  DWELLKRS.  233 

deux  parties  à  peu  près  égales  par  une  rangée  de  quatre  estufas. 
Deux  ailes  sont  placées  perpendiculairement  au  bâtiment  princi- 
pal. L'aile  gauche  est  divisée  en  trois  rangées  de  chambres  paral- 
lèles, plus  grandes  que  celles  des  Cliff'  Houses  (1)  :  les  murs  exté- 
rieurs sont  en  ruines;  mais  des  murs  de  refend  assez  bien 
conservés  atteignent  encore  le  deuxième  étage.  Cette  aile  se  con- 
tinue en  quart  de  cercle,  et  bien  que  toute  cette  partie  ait  beau- 
coup souffert,  on  peut  encore  y  distinguer  cinq  rangées  de  cellules 
et  neuf  cellules  à  chaque  rangée.  Mentionnons  enfin  trois  estufas, 
à  moitié  en  sous-sol,  placés  un  peu  en  avant  des  bâtiments. 

A  l'aile  droite,  les  murs  sont  mieux  conservés;  sur  certains 
points,  ils  atteignent.encore  30  pieds  de  hauteur  et  on  a  constaté 
jusqu'à  quatre  étages  différents  disposés  en  retrait  les  uns  sur  les 
autres  (2).  Cette  partie  des  constructions  a  paru  aux  explorateurs 
la  plus  récente  de  toutes  ;quelques-unes  des  poutres  qui  soutenaient 
les  planchers  sont  encore  en  place  et  font  comprendre  la  dispo- 
sition des  différentes  chambres,  les  plus  grandes  du  pueblo. 

Il  a  été  impossible, à  raison  de  l'état  de  dégradation  d'une  par- 
tie des  ruines,  de  savoir  le  nombre  exact  des  chambres.  Dans 
un  pueblo  voisin,  le  pueblo  Pintado,  on  en  compte  cent  cinquante  ; 
tout  donne  à  penser  que  leur  nombre  était  plus  élevé  encore 
au  pueblo  Bonito. 

Ni  les  murs  intérieurs,  ni  les  murs  extérieurs  n'offrent  une 
trace  d'escalier  ;  il  est  présumable  que  l'on  communiquait  d'un 
étage  à  l'autre  par  des  échelles  ;  c'est  le  mode  encore  usité  dans 
les  pueblos  actuellement  habités.  Les  fenêtres  sont  d'une  ex- 
trême petitesse  ;  leurs  linteaux  se  composent  de  morceaux  de 
bois  de  cèdre  ou  de  pin  à  peine  équarris  et  simplement  poses  les 
uns  à  côté  des  autres.  Les  planchers  devaient  être  en  bois;  ils 
ont  été  en  grande  partie  brûlés  par  les  soldats  du  colonel  Washing- 
ton, pour  entretenir  leurs  feux  de  bivouac. 


(1)  Elles  mesurent  de  12  à  20  pieds  de  longueur  sur  12  à  15  de  largeur. 

(2;  Nous  trouvons  également  plusieurs  étages  aux  pueblos  voisins.  Le  pueblo  Pin- 
tads  en  compte  quatre;  le  second  mesure  dix  pieds  de  hauteur,  le  troisième  sept.  Le 
pueblo  de  l'Arroyo  compte  trois  étages,  on  pourrait  en  citer  plusieurs  autres. 


234  L'AMÉaiQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  murs  du  côté  Est  sont  assez  bien  conservés  et  s'élèvent  à 
la  hauteur  du  second  étage.  De  ce  côté  se  dressent  deux  estufas 
les  plus  considérables  du  pueblo;  leur  diamètre  est  de  plus  de 
50  pieds  ;  elles  étaient  situées  au  milieu  de  la  cour  et  noyées  dans 
un  massif  de  maçonnerie  qui  forme  un  rectangle  de  H5  pieds 
sur  65.  Plus  loin  des  amas  de  décombres  indiquent  l'emplace- 
ment de  constructions,  dont  il  est  impossible  de  dire  la  desti- 
nation ;  elles  reliaient  les  estufas  à  deux  autres  plus  petites,  qui 
touchaient  au  bâtiment  principal.  Dans  la  cour  même,  une  série 
d'excavations  remplies  de  débris  de  toute  sorte  fait  croire  à  une 
suite  de  souterrains;  il  est  regrettable  que  ce  point  intéressant 


n'ait  pas  été  vérifié. 


"M 


(.•:: 


i-'-.     1  ■    .    1.1       i-    *-■  I  .  ^^^rj 


Fiç 


103.   —  Modes  divers   de    inaçonnorie    employés  dans  les  constructions   de  la 
vallée  du  Chaco. 


La  maçonnerie,  remarquable  en  général  par  le  soin  et  la  préci- 
sion avec  laquelle  elle  a  été  exécutée,  contraste  singulièrement 
avec  celle  que  l'on  voit  aujourd'hui  chez  les  Indiens  sédentaires. 
On  choisissait  toujours  les  pierres  les  plus  grosses,  pour  encadrer 
les  ouvertures,  et  on  les  dressait  à  angles  parfaitement  droits. 
Dans  les  constructions  très  diverses  qui  forment  l'ensemble  du 
pueblo  Bonito,  cette  maçonnerie  offre  de  notables  différen- 
ces (fig.  103)  ;  elle  ne  paraît  pas  dater  du  même  temps;  et  il  est 
possible  que  certaines  parties  aient  été  refaites  à  des  époques  plus 
récentes.  Sur  plusieurs  points,  les  murs  extérieurs  sont  renforcés 
par  des  rondins  de  bois  de  3  à  4  pouces  de  diamètre,  placés  verti- 


LES  GLIFF  DWELLERS.  235 

calement,  puis  par  d'autres,  ayant  10  à  15  pieds  de  longueur  sur 
un  diamètre  de  6  à  8  pouces,  placés  horizontalement.  Nous  re- 
trouvons cette  disposition  dans  les  îles  delà  Grèce  (1),  exposées 
aux  désastreux  effets  des  tremblements  de  terre.  Les  mêmes 
causes  avaient  amené  les  habitants  du  Nouveau-Mexique  à  pren- 
dre les  mêmes  précautions.  JNe  nous  lassons  pas  de  faire  ressortir 
cette  similitude  de  l'intelligence,  cette  identité  de  conception 
chez  l'homme  sur  toute  la  surface  du  globe.  C'est  assurément  un 
des  points  les  plus  curieux  de  notre  étude. 

11  faut  noter  aussi  le  grand  nombre  d'estufas  qui  se  dressent 
de  toutes  parts  au  milieu  de  ces  ruines.  Mr  Jackson  en  a  compté 
jusqu'à  vingt  et  une.  Elles  sont  remarquables  en  général  par  leur 
grandeur  et  la  solidité  de  leur  construction.  Presque  toutes  étaient 
à  ras  du  sol,  et  leur  hauteur  dépassait  celle  des  autres  bâtiments. 
On  ne  leur  voit  aucune  ouverture  latérale;  il  est  probable  que, 
comme  au  pueblo  Pintado,  on  pénétrait  dans  l'intérieur  par  une 
ouverture  ménagée  dans  la  voûte.  La  plupart  de  ces  estufas  sont 
complètement  en  ruines  et  leur  emplacement  seul  est  marqué 
par  des  amoncellements  de  terres  et  de  pierres.  Celles  restées 
encore  debout  prouvent  l'intelligence  des  architectes  et  l'habileté 
des  ouvriers.  Dans  quelques  pueblos,  elles  sont  s(?utenues  par  des 
contreforts,  destinés  à  leur  donner  une  plus  grande  solidité  (2). 

Chaque  découverte  montre  l'importance  de  ces  estufas.  Nous 
les  avons  signalées  dans  les  Cliff-Houses  ;  nous  les  voyons  dans  les 
pueblos  et  aujourd'hui  encore  elles  existent  chez  les  indiens  Mo- 
quis  (3).  Ce  sont  encore  là  des  points  de  comparaison  qu'il  con- 
vient de  ne  pas  omettre. 

En  continuant  ses  recherches,  M.  Jackson  découvrit  à  l'est, 
en  dehors  de  l'enceinte  du  pueblo,  l'emplacement  de  plusieurs 

(1)  Les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  préhistoriques,  t.  I,  p.  414. 

(2}  Au  pueblo  Hungo-Pavie,  l'estufa  est  flanquée  de  six  contreforts  qui  sont  de  véri- 
tables piliers  ;  au  pueblo  Pintado,  on  en  trouve  quatre  à  peu  près  semblables.  Il  serait 
facile  de  multiplier  ces  exemples. 

(3)  Chez  les  Moquis,  les  estufas  sont  des  chambres  carrées  :  elles  servent  d  ateliers 
pour  le  tissage.  Les  hommes  et  les  femmes  s'y  réunissent  pour  éviter  la  grande  cha- 
leur du  jour,  mais  plutôt,  selon  d'autres  récits  plus  croyables,  pour  se  livrer  à 
leurs  rites  mystérieux. 


236  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

petites  constructions,  élevées  sur  un  banc  de  pierres  qui  formait 
l'assise  inférieure  du  rocher.  Le  banc  calcaire  avait  même  été 
prolongé  par  une  couche  de  maçonnerie  formée  de  grosses  et  de 
petites  pierres  disposées  alternativement.  Plus  loin  encore,  une 
autre  masse  de  ruines  plus  importantes,  comprenant  deux  estu- 
fas,  dépendait,  selon  toute  vraisemblance,  du  pueblo  Bonito  (1). 

Le  temps  manqua  sans  doute  aux  explorateurs  pour  fouiller 
deux  amas  de  cendres  qui  existaient  au  sud  du  pueblo  ;  il  est 
bien  certain  que  ces  kjôkkenmôddings  auraient  livré  des  ob- 
jets destinés  à  mieux  faire  connaître  les  vieux  habitants  du  sol 
américain. 

Parmi  les  autres  pueblos,  il  faudrait  encore  citer  le  pueblo 
Una-Vida  (2),  le  pueblo  Pintado  dont  nous  avons  parlé  à  plu- 
sieurs reprises,  le  pueblo  Weje-Gi,  le  pueblo  Penasca-Blanca  (3) 
le  plus  grand  de  tous  après  le  pueblo  Bonito,  le  pueblo  de 
l'Arroyo ,  où  l'on  peut  encore  constater  l'existence  de  trois 
étages;  les  planchers  sont  en  branches  de  saules  entrelacées  et 
chargées  de  terre  battue.  Une  description  détaillée  de  ces  pue- 
blos nous  entraînerait  à  une  constante  répétition.  C'est  partout 
le  même  genre  de  constructions,  avec  leur  régularité  mathéma- 
tique, leurs  murs  en  pierres  ou  en  adobes,  et  leurs  estufas  domi- 
nant les  autres  bâtiments.  Il  faut  cependant  ajouter  que  le 
pueblo  Alto,  que  l'on  aperçoit  à  peine  de  la  vallée,  est  situé, 
comme  les  Cliff-Houses,  au  sommet  d'une  coUine  assez  élevée. 
On  y  arrive  par  un  escalier  de  vingt-huit  marches,  grossière- 
ment taillées  dans  le  roc  ;  à  droite  et  à  gauche  on  peut  distinguer 
des  trous  pour  placer  la  main  et  pour  faciliter  ainsi  l'ascension. 
En  arrivant  sur  la  mesa,  on  est  en  face  d'une  construction  en 
forme  de  parallélogramme,  présentant  tous  les  caractères  d'une 

(1^  Leur  emplacement  mesure  153  pieds  sur  73. 

(2)  L'estufa  de  ce  pueblo  est  une  des  plus  grandes  connues  jusqu'à  ce  jour,  son  dia- 
mètre dépasse  60  pieds. 

(3)  Ce  pueblo  est  en  forme  d'ellipse  ;  la  cour  intérieure  mesure  346  pieds  sur  269  et 
l'ensemble  des  constructions  499  pieds  sur  363.  A  côté  de  ces  pueblos  considé- 
rables, il  s'en  trouve  d'autres  fort  petits.  Celui  qui  porte  le  n°  9  dans  les  plans  levés 
par  M.  Jackson  ne  mesure  que  78  pieds  sur  63  et  cependant  on  y  voit  deux  estufas 
et  une  vingtaine  de  chambres. 


LKS  GLIFF  DWELLERS.  237 

grande  antiquité,  et  probablement,  bien  antérieure  à  toutes  les 
autres  constructions  de  la  vallée;  Tout  auprès,  on  aperçoit  un 
immense  amas  de  débris  de  toute  sorte,  des  tessons  de  poterie 
principalement;  les  ingénieurs  Américains  l'ont  cubé  et  esti- 
ment sa  contenance  à  25,000  pieds  cubes.  Répétons  encore  nos 
regrets  que  les  explorateurs  n'aient  pu  entreprendre  des  fouilles; 
leur  résultat  eut  certainement  aidé  à  l'élucidation  des  problèmes 
que  nous  cherchons  à  exposer. 

Le  voyageur  est  récompensé  des  fatigues  de  l'ascension  :  du 
pueblo  Alto,  il  voit  à  ses  pieds  les  ruines  qui  surgissent  de  toutes 
parts  dans  le  canon  Chaco  ;  plus  loin  s'étend  un  horizon  immense  ; 
au  nord  le  bassin  du  San  Juan,  et  la  chaîne  de  la  Plata  ;  à 
l'est,  la  Sierra  Tunecha  ;  au  sud,  les  cimes  dentelées  et 
chargées  de  neige  de  la  Sierra  San  Mateo;  à  l'ouest  les  monts 
Jemez  dominés  par  le  Pelado  aux  glaciers  éternels.  Tout  a 
changé  ;  la  nature  seule  reste  immuable,  et  l'homme  du  dix- 
neuvième  siècle  jouit  du  même  aspect,  à  la  fois  riant  et  gran- 
diose, qui  devait  charmer  l'antique  habitant  du  pueblo. 

Au  Chettro  Rettle,  le  général  Simpson,  lors  de  sa  première 
exploration  (1),  put  examiner  une  chambre  encore  remarquable-^ 
ment  conservée.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  lui  em- 
prunter la  description  qu'il  donne  ;  elle  montre  que  ces  hommes 
perdus  au  milieu  de  régions  d'un  abord  si  difficile  savaient  cons- 
truire leurs  demeures  avec  autant  d'art  que  les  peuples  que  nous 
sommes  accoutumés  à  regarder  comme  les  initiateurs  de  la  ci- 
vilisation. «  Cette  chambre,  dit-il,  a  quatorze  pieds  de  largeur  sur 
dix-sept  pieds  et  demi  de  longueur;  on  y  pénètre  par  une  porte 
qui  mesure  trois  pieds  et  demi  d'élévation.  Une  autre  porte,  à 
l'extrémité  ouest,  conduit  à  une  petite  pièce  attenante,  de  deux 
pieds  seulement  de  largeur  et  dont  la  hauteur  n'a  pu  être  exac- 
tement établie,  à  raison  de  la  masse  de  décombres  qui  l'obs- 
truaient. Les  murs  en  pierre  sont  revêtus  d'un  enduit  assez  bien 
conservé.  Une  niche  de  trois  pieds  deux  pouces  de  hauteur,  sur 

(1)  Report  of  the  Secretary  of  voay,  31"  Congress  !•'  Session. 


23é  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

quatre  pieds  cinq  pouces  de  largeur,  a  été  pratiquée  dans  le  mur 
du  côté  sud.  On  a  supposé  qu'elle  était  destinée  à  servir  de  foyer; 
mais  il  a  été  impossible  de  découvrir  aucune  trace  de  cheminée, 
la  fumée  se  serait  donc  répandue  dans  la  chambre.  Trois  autres 
niches  existaient  dans  ce  même  mur,  rien  n'explique  leur  utilité. 
Le  plafond  était  soutenu  par  deux  poutres  maîtresses,  sur  les- 
quelles on  avait  posé  transversalement  un  nombre  de  poutrelles, 
rattachées  entre  elles  par  des  filaments  ligneux.  Les  interstices 
avaient  été  soigneusement  bouchés  avec  des  petits  cailloux,  et 
sur  cette  assise  on  avait  placé  des  lattes  qui  présentent  l'appa- 
rence et  l'odeur  du  bois  de  cèdre.» 

M.  Jackson,  qui  visita  ces  ruines  vingt-huit  ans  après  le  géné- 
ral Simpson,  ne  retrouva  plus  cette  chambre  située  au  nord- 
ouest  de  la  construction  (1)  ;  mais  il  en  cite  d'autres,  non  moins 
curieuses.  11  fallait  y  pénétrer  par  des  trous  pratiqués  dans  la 
maçonnerie;  le  premier  étage  seul  possédait  une  série  de  petites 
fenêtres.  Les  murs  du  pueblo  Chettro  Rettle  mesuraient  935 
pieds  de  longueur  sur  40  de  hauteur  ;  leur  cubage  donne 
315,000  pieds  cubes  de  maçonnerie.  Si  l'on  songe  que  chacune 
des  pierres  qui  entrait  dans  cette  maçonnerie  a  dû  être  tirée  de 
la  carrière,  amenée  à  une  assez  grande  distance,  équarrie,  puis 
posée;  si  on  ajoute  les  poutres  qu'il  fallait  aussi  aller  chercher  au 
loin,  les  ouvertures  qu'on  devait  établir,  il  est  difficile  de  ne 
pas  conclure  qu'un  grand  nombre  d'ouvriers,  dirigés  par  des 
architectes  intelligents,  ont  été  employés  à  ces  constructions, 
qui,  au  point  de  vue  tout  au  moins  de  l'art  du  maçon,  témoi- 
gnent d'une  civilisation  avancée. 
pi.ehios  de        Lcs  mêmcs  observations  peuvent  s'appliquer  à  un  pueblo,  situé 

Las  Animas.  _  . 

sur  les  bords  de  la  rivière  de  Las  Animas,  un  des  affluents  du 
San  Juan,  à  soixante  miles  environ  du  Chaco.  Ce  pueblo  a  été 
visité  par  l'honorable  L.  Morgan  et  décrit  par  lui  avec  une  scru- 
puleuse exactitude  (2).  Le  bâtiment  principal,  de  368  pieds,  et  ses 

(1)  L.  c,  p.  43a. 

(2)  On  ihe  Ruins  of  a  Stone  Pueblo  on  the  Animas  Hiver  in  New-Mexico.  Am.  Ass., 
Saint-Louis,  1877.  —  Report  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  536. 


LES  CLIFF  DWELLERS.  239 

deux  ailes  de  270  pieds  de  loagueur  sont  les  plus  élevés  de-tous 
ceux  actuellement  connus.  Ils  comptaient  cinq,  peut-être  même 
six  étages  et  soixante-dix  chambres  ou  cellules  à  chaque  étage. 
Les  murs  n'ont  jamais  moins  de  deux  pieds  et  atteignent  parfois 
jusqu'à  trois  pieds  six  pouces  d'épaisseur.  Quelques-unes  des 
chambres  communiquaient  entre  elles  par  des  trappes  ;  d'autres 
avaient  deux  portes  et  quatre  ouvertures  latérales,  assez  petites 
il  est  vrai,  mais  pouvant  du  moins  admettre  l'air  et  la  lumière, 
luxe  jîresque  inconnu  chez  ces  populations.  Ici  aussi,  nous 
retrouvons  les  estufas  ;  il  en  est  deux  dans  le  bâtiment  prin- 
cipal, une  autre  dans  un  bâtiment  annexé  ;  une  quatrième  enfin, 
du  diamètre  de  soixante-trois  pieds  jet  demi,  s'élève  au  milieu 
de  la  cour. 

D'autres  pueblos  presque  aussi  grands  existent  dans  la  vallée 
de  Las  Animas.  Cependant  M.  Morgan  estime  à  5,000  âmes  seu- 
lement la  population  de  la  vallée,  au  moment  où  tous  ces  pue- 
blos étaient  habités.  Nous  reproduisons  ce  chiffre,  bien  qu'il  ne 
repose  que  sur  des  bases  purement  hypothétiques. 

A  l'autre  extrémité  du  Nouveau-Mexique,  il  existe  des  ruines 
non  moins  remarquables  (1);  et  elles  offrent  avec  celles  que  nous 
avons  décrites  une  telle  similitude,  qu'il  est  impossible  de  ne  pas 
les  attribuer  aux  mêmes  races  et  aux  mêmes  époques.  Ces 
pueblos  étaient  situés  dans  toute  la  partie  de  la  Aallée  du  Rio 
Grande,  limitée  au  nord  par  le  Rio  de  las  Frijoles,  au  sud  par 
le  San  Domingo,  à  l'est  par  le  plateau  qui  s'étend  jusqu'à 
Santa-Fé  (2). 

Nous  choisirons  parmi  ces  ruines  celles  gui  se  trouvent  dans     ??'""  '^" 

^  ^  Rio  Pecos. 

la  vallée  du  Rio  Pecos,  petite  rivière  qui  se  jette  dans  le  Rio 
Grande  (3).  M.  Randelier  a  visité  récemment  cette  vallée  longue 
de  vingt  à  vingt-cinq  miles,  large  de  six  à  huit  et  située  à  une 

(1)  A.  F.  Bandelier,  Report  on  tite  Ruins  of  the  Piieblo  of  Pecos.  Arch.  Institute  of 
America.  Boston,  1881. 

(2)  Capitale  de  l'État  du  Nouveau-Mexique.  Son  altitude  est  de  6840  pieds  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer. 

(3)  Dans  le  voisinage  on  rencontre  des  placitas  célèbres  parjeur  richesse  en  mé- 
taux précieux  et  les  cerillos,  où  Ion  ti-ouvc  les  turquoises  bleues  et  vertes. 


240  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

altitude  de  6346  pieds  (1).  JNous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de 
résumer,  en  nous  aidant  d'autres  sources,  la  description  qu'il 
donne  des  constructions  les  plus  importantes  ;  nous  conserverons 
les  initiales  A  et  B,  sous  lesquelles  il  désigne  deux  groupes;  leur 
nom  comme  leur  histoire  restent  absolument  inconnus. 

Le  pueblo  B  s'élève  sur  une  mesa  qui  domine  le  Rio  Pecos. 
Ses  fondations  reposent  sur  un  rocher  siliceux  et  les  dispositions 
du  bâtiment  varient  selon  les  sinuosités  ou  les  aspérités  du  ro- 
cher ;  elles  sont  donc  loin  de  présenter  cette  régularité  qui  frappe 
si  singulièrement  dans  les  pueblos  du  Chaco  ou  du  Mac  Elmo.  Le 
bâtiment  mesure  440  pieds  de  longueur  et  63  de  largeur  maxima. 
11  ne  comprend  nulles  ailes  latérales,  nulle  cour  intérieure,  et 
pour  la  première  fois  nous  rencontrons  un  pueblo  sans  estufa. 
On  est  parvenu  à  compter  cinq  cent  dix  sept  cellules,  séparées 
par  des  murs  de  refend  très-minces.  Les  plus  grandes  mesurent 
neuf  pieds  sur  seize,  les  plus  petites  sept  pieds  sur  neuf.  M.  Ban- 
delier  porte  leur  élévation  à  sept  pieds  et  demi  (2).  Comment  un 
semblable  réduit  pouvait-il  servir  à  l'habitation  d'un  être  hu- 
main (3)  ? 

On  distingue  dans  la  maçonnerie  d-es  assises  fort  différentes  ; 
les  unes  sont  en  grès  schisteux  gris  ou  rouge,  les  autres  en  un 
conglomérat  formé  de  nombreux  silex  variant  de  la  taille  d'un 
pois  à  celle  d'une  noisette.  Seule,  une  partie,  que  l'on  regarde 
comme  la  plus  récente,  est  en  adobes  d'assez  grande  dimen- 
sion (4).  Cette  maçonnerie  est  revêtue  à  l'intérieur  d'un  enduit 
très  soigné,  de  couleur  blanche,  dont  la  composition  n'a  pu  être 
déterminée;  elle  était  consolidée  par  des  poutres  en  cèdre  ou  en 
sapin,  noyées  dans  le  mur;  ces  poutres  étaient.à  l'état  naturel; 

(1)  Emory,  Notes  of  a  Militajv/  Reconnaissance  from  Fort  Leavenworth  in  Missouri 
to  San  Diego  in  Ca/ifornia.  Washington,  1848. 

(2)  Si  le  calcul  de  M.  Bandelier  est  exact,  la  hauteur  totale  du  bâtiment  aurait  été 
de  36  pieds. 

(3)  Castaneda  de  Nagera,  Relation  du  voy.  de  Cibola.  —  Juan  Jaravillo,  app.  VI, 
Ternaux  Compans,  série  I,  t.  IX.  —  G.  Castano  de  la  Cosa,  Memoria  del  Descubri- 
miento  que...  hizo  en  et  Nuevo  Mexico;  Mexico,  1690,  Doc.  ined,  de  los  Archivos  de 
Indius,  t.  XV,  p.  244, 

(4)  Ces  adobes  mesurent  1 1  pouces  sur  G. 


\ 


LES  CLIFF  DWELLERS.  241 

on  s'était  contenté  d'enlever  l'écorce.  D'autres  poutres  servaient 
à  soutenir  le  plancher  formé  de  broussailles,  de  rognures  de 
bois  et  d'une  couche  épaisse  d'argile  délayée;  c'est  la  même  dis- 
position, que  nous  avons  précédemment  racontée.  On  n'a  trouvé 
nulle  trace  ni  de  portes,  ni  d'escalier;  on  arrivait  par  des  trappes' 
aux  différents  étages,  en  retrait  les  uns  sur  les  autres.  Castaneda, 
en  racontant  une  des  premières  expéditions  des  Espagnols,  celle 
de  1540,  dont  il  faisait  partie,  rapporte  que  les  toits  des  maisons 
formaient  des  terrasses  qui  permettaient  de  se  rendre  de  l'une  à 
l'autre.  Tels,  sans  doute,  avaient  été  de  tout  temps  les  moyens 
de  communication  des  habitants.  Ajoutons  que  c'est  le  mode 
encore  employé  aujourd'hui  par  les  Indiens  de  Zuni,  de  Moqui, 
d'Acoma  ou  de  Taos;  nul  changement  ne  s'est  produit  dans  des 
habitudes  séculaires. 

Dans  une  des  chambres,  on  a  recueilli  des  cendres  et  des 
fragments  de  charbon,  seuls  indices  du  foyer  domestique.  Il  a  été 
impossible  de  reconnaître  le  mode  employé  pour  faire  disparaître 
la  fumée,  peut-être  faut-il  l'attribuer  à  l'état  de  destruction  oii 
était  le  bâtiment,  car  le  général  Simpson  décrit  au  pueblo  de 
San  Domingo  un  trou  d'échappement  placé  précisément  au- 
dessus  du  foyer  (1). 

Le  pueblo  A  est  situé  au  nord  du  pueblo  B.  Il  comprend  plu- 
sieurs bâtiments  (2)  entourant  une  cour  (3).  Leur  périmètre  est 
de  1190  pieds,  et  on  a  compté  jusqu'à  cinq  cent  quatre-vingt- 
cinq  chambres.  C'est  le  pueblo  le  plus  considérable  découvert 
jusqu'à  ce  jour.  Sa  construction  ne  diffère  en  rien  de  celles  que 
nous  avons  racontées,  on  ne  voit  aucun  escalier,  aucune  fenêtre, 
aucun  foyer,  aucune  cheminée  et  trois  petits  estufas  rappellent 
les  usages  ordinaires  de  ces  populations  (4). 

(1)  Fire  Place  and  Smoke  Escape  at  the  Pueblo  of  Santo  Domingo. 

(2)  La  hauteur  de  ces  bâtiments  devait  être  fort  différente,  ainsi  celui  de  l'est  avait 
cinq  étages,  celui  du  nord  deux,  celui  du  sud  quatre.  Bandelier,  /.  c,  p.  78. 

(.3)  Les  dimensions  de  cette  cour  données  par  Bandelier  sont  210  pieds  sur  63. 

(4)  M.  E.  Lee  Childe,  dans  une  publication  récente  (Correspondant,  10  nov.  1881), 
décrit  un  village  indien  du  Nouveau-Mexique  qu'il  venait  de  visiter  :  «  Devant  nous,  dit- 
il,à  droite  et  à  gauche,  deux  rangées  de  ces  habitations  en  adobes,  basses,  sans  ouver- 
De  Nadaillac,  Amérique.  16 


242  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Tout  autour  des  pueblos  et  dans  l'intérieur  des  diverses  cel- 
lules, on  a  recueilli  d'innombrables  fragments  de  poterie,  des 
pointes  de  flèche,  des  éclats  d'obsidienne,  de  lave  noire,  d'a- 
gate, de  jaspe,  de  silex,  des  haches  et  des  marteaux  en  pierre, 
des  anneaux  en  cuivre.  Parmi  tous  ces  objets,  nous  devons 
une  mention  spéciale  à  plusieurs  petites  idoles  en  terre  cuite, 
assez  semblables  aux  idoles  mexicaines.  C'est  jusqu'à  présent  le 
seul  fait  connu,  qui  jette  quelque  jour  sur  le  culte  des  habitants 
des  pueblos  (1). 

Cette  habitation  en  commun,  ces  cellules  toujours  si  exacte- 
ment semblables,  l'absence  de  toute  demeure  plus  importante, 
ont  fait  supposer  que  les  hommes  des  pueblos  vivaient  sous  un 
régime  communiste  et  égalitaire  (2)  ;  ils  formaient  certainement 
une  population  agricole  ;  toute  population  sédentaire  l'est,  par  la 
seule  force  des  choses.  Auprès  du  Rio  Pecos,  on  a  pu  d'ailleurs 
reconnaître  des  champs  cultivés,  des  traces  d'irrigations  assez 
étendues  (3).  C'était  là  sans  doute  la  huerta  delpueblo,  le  jardin 
cultivé  par  le  travail  commun  (4).  La  propriété  collective  était 

turcs  extérieures,  ni  portes,  ni  escaliers.  Par  une  échelle  mobile  et  extérieure,  on  monte 
sur  des  toits  plats  en  terrasse.  Toutes  les  fenêtres  et  les  portes  donnent  dans  une 
cour  intérieure,  où  l'on  ne  peut  pénétrer  qu'en  descendant  par  une  autie  échelle. 
Chaque  maison  est  ainsi  une  espèce  de  petit  fort,  où  l'échelle  retirée,  ni  homme,  ni 
bête  ne  peut  plus  pénétrer...  Cette  tribu  fait  partie  des  Indiens  Pueblos  qui  ont  adopté 
des  mœurs  agricoles,  cultivent  la  terre  et  élèvent  du  bétail.  »  Ne  croirait-on  pas  lire  une 
description  des  anciennes  demeures  que  nous  cherchons  à  faire  connaître. 

(1)  Ant.  de  Espojo,  El  Viaje  que  hizo  en  el  anno  de  ochenta  y  très.  Hakluyt,  Voya- 
ges, t.  III.  Si  nous  acceptons  le  récit  de  Coronado,  Pecos  était  déjà  en  ruines  en  1540. 
Plus  tard,  sous  la  direction  des  Franciscains,  le  pueblo  se  releva;  on  construisit  une 
église  et  un  couvent,  et  en  1680,  la  population  dépassait  2,000  habitants.  Vetancurt, 
Cronica,  p.  300.  —  Bandelier,  l.  c,  p.  120  et  s. 

(2)  Bandelier,  /.  c,  p.  54,  60,  89  et  s.  —  Force,  Cong.  des  Am.  Luxembourg,  1877, 
p.  16.  —  «  Le  lendemain  matin,  je  fus  éveillé  dès  l'aube  par  un  chant  étrange,  raconte  un 
voyageur  récent.  Ayant  tiré  aussitôt  les  rideaux  de  l'ambulance,  je  distinguai  vague- 
ment le  profil  du  chef  qui  se  tenait  debout  au  sommet  du  pueblo.  Lorsqu'il  eut  fini  de 
chanter,  il  lança  une  proclamation.  Il  l'avait  à  peine  terminée  que  je  vis  des  figures  se 
mouvant  avec  rapidité.  On  m'expliqua  que  le  chant  du  chef  était  un  acte  d'adoration 
et  que  la  proclamation  avait  pour  objet  de  faire  connaître  quelle  serait,  durant  la  jour- 
née, la  tâche  des  différentes  familles  auxquelles  appartiennent  les  cinq  cents  personnes 
vivant  dans  le  pueblo.  »  —  Le  présent  peut  aider  à  comprendre  le  passé. 

(3)  Des  acequias  ou  grands  canaux,  et  des  zanjas,  simples  fossés  d'irrigation. 

(4)  On  reconnaît  encore,  sur  bien  des  points,  le  contour  des  champs  où  l'on  cultivait 


LES  CLIFF  DWELLERS.  243 

soumise  au  même  régime  que  celui  généralement  adopté  au 
Mexique,  avant  la  conquête  espagnole.  La  terre,  propriété  com- 
mune, était  partagée  chaque  année  entre  les  différentes  familles 
qui  formaient  la  tribu  et  qui  étaient  probablement  unies  entre 
elles  par  les  liens  d'une  étroite  parenté.  Mais  chaque  famille 
restait  maîtresse  des  produits  de  son  travail  ;  elle  récoltait  les 
grains  qu'elle  avait  semés,  les  fruits  qu'elle  avait  plantés.  Ces 
assertions  paraissent  fondées,  car  selon  Mariano  Ruiz,  qui 
avait  demeuré  longtemps  chez  les  Indiens  Pecos,  ce  mode  de 
culture  existait  encore  récemment  chez  eux  ;  il  a  même  duré 
jusqu'à  l'extinction  de  la  tribu,  et,  pour  citer  ses  propres  paroles: 
«  La  tierras  son  del  pueblo,  pero  cada  uno  piede  vender  sus 
cosechas.  » 

Les  fragments  de  poterie  sont  aussi  nombreux  chez  les  Clifl'  Poterie,  ar- 
mes, orne- 

Dwellers  et  chez  les  habitants  des  pueblos  que  chez  les  Mound-  «>ents. 
Builders.  «  Tous  ceux  qui  ont  visité  ces  régions,  dit  M.  Jackson, 
sont  vivement  impressionnés  des  débris  de  poterie  semés  partout 
sur  leur  passage,  et  cela  jusque  dans  les  lieux  où  l'on  n'aperçoit 
nul  vestige  d'habitation  humaine.  La  nature  de  la  poterie  a 
sans  doute  permis  une  durée  plus  longue  que  celle  des  adobes 
tombés  en  poussière.  »  «  C'est  par  charretées  que  nous  voyons  à 
nos  pieds  les  fragments  de  poterie  peinte  »,  dit  M.  Bandelier, 
en  racontant  les  ruines  du  Rio  Pecos.  «  Les  anciennes  tribus  in- 
diennes qui  ont  vécu  sur  les  bords  du  Rio  Gila,  ajoute  School- 
craft  (1),  ont  attesté  leur  longue  résidence  par  la  profusion  de 
tessons  de  poterie  qu'ils  ont  laissés  après  eux.  » 

M.  Holmes  est  plus  explicite  encore  ;  selon  lui,  le  nombre  de  ces 
tessons  confond  l'imagination.  Sur  une  surface  de  dixpieds  carrés, 
mesurée  au  hasard,  il  put  recueillir  des  fragments  se  rapportant 
à  cinquante-cinq  vases  différents,  jarres  ou  amphores,  plats  ou 
bouteilles.  Toutes  les  explorations  amènent  de  semblables  résul- 
tats ;  et  partout  les  amas  de  fragments  de  toute  sorte  sont  autre- 

le  mais  ;  ces  champs  sont  marqués  par  la  puissante  végétation  d'une  robuste  variété 
d'héliantlies. 
(1)  Archives  of  Aboriginal  Knowledge,  t.  III,  p.  83. 


244  L'AMÉRIQUE   PREHISTORIQUE. 

ment  importants,  que  ceux  que  Ton  voit  auprès  des  villages 
habités  aujourd'hui  par  les  Indiens  sédentaires.  Pour  l'expli- 
quer, il  a  fallu  recourir  à  une  supposition  étrange,  les  anciens 
habitants  du  pays,  dit-on,  forcés  de  fuir  devant  une  invasion 
subite,  avaient  brisé  leur  vaisselle  avant  de  déserter  pour  tou- 
jours leurs  foyers,  soit  sous  l'empire  d'une  crainte  superstitieuse, 
soit  pour  qu'elle  ne  devînt  pas  le  butin  d'un  ennemi  abhorré. 


Fig.  104.  —  Vases  trouvés  sur  les  bords  du  San  Juan. 


Ce  qui  est  plus  certain,  c'est  que  les  poteries  trouvées  à  la  sur- 
face de  la  terre  ne  présentent  aucune  détérioration,  bien  qu'elles 
aient  été  soumises  depuis  des  siècles  à  toutes  les  intempéries  des 
saisons.  En  général,  la  céramique  des  Cliff-Dwellers  est  supé- 
rieure à  celle  des  Mound-Builders  (fig.  104)  ;  elle  était  façonnée 
avec  une  argile  fine,  très  abondante  dans  le  pays  ;  pour  lui  donner 
de  la  consistance,  on  la  mélangeait  avec  une  petite  quantité  de 
sable,  de  fragments  de  coquilles,  ou  bien  encore  avec  des  no- 
dules de  terre  brûlée  et  pilée.  Souvent,  après  l'avoir  pétrie,  le 
potier  la  découpait  en  lanières  minces,  qu'il  superposait  les  unes 
aux  autres  en  leur  donnant,  avec  la  main,  la  forme  qu'il  voulait 
obtenir.  C'est  encore  le  mode  employé  aujourd'hui  dans  nos 
verreries,  pour  obtenir  les  creusets  et  les  pièces  de  grand  appa- 
reil.  Nous   reproduisons    (fig.    105)    une     urne    trouvée   dans 


LES  GLIFF  DWELLERS.  245 

rUtah,  auprès  d'une  construction  en  adobes,  complètement  en 
ruines  (1)  ;  elle  permet  de  se  rendre  compte  des  détails  de  la  fa- 
brication. Toutes  ces  poteries  ont  passé  au  feu,  et  bien  que  la  cha- 
leur n'ait  jamais  été  assez  intense  pour  changer  la  couleur  pri- 
mitive de  l'argile,  elles  avaient  acquis  par  la  cuisson  une  dureté 
qui  leur  fait  rendre,  quand  on  les  frappe,  un  son  métallique 
très  clair.  La  légèreté  était  évidemment  une  qualité  recherchée  ; 
les  faces  internes  et  externes  étaient  lissées  avec  soin  avant  la 
cuisson,  et  l'ouvrier  arrivait  à  donner  aux  parois,  même  dans 
les  vases  les  plus  grands,  une  épaisseur  dépassant  à  peine  quel- 
ques millimètres.  Un  grand  nombre  d'entre  eux  conservent  des 
traces  de  peinture  et  plusieurs  avaient  été  enduits  avec  un  vernis 


Fig.  105.  —  Urne  funéraire  trouvée  dans  l'Utah. 

que  la  vitrification  transformait  en  émail  brillant,  comparable  à 
celui  de  nos  produits  modernes.  On  a  trouvé  sous  des  mounds 
sépulcraux,  auprès  du  grand  lac  Salé,  des  poteries  inférieures 
comme  fabrication  à  celles  de  l'Ohio  ou  du  Mississipi,  qui  con- 
servent encore  cet  émail.  Ces  jarres  renfermaient  des  ossements 
humains  brûlés  ;  c'est  une  preuve  de  plus  de  l'existence  de  la 

(1)  Ce  vase  appartient  au  Peabody  Muséum  ;  sa  capacité  est  de  3  gallons  (13,72  litres)  ; 
la  capacité  d'un  autre  vase  trouvé  auprès  d'Epsom  Creek  n'est  pas  moindre  de  10  gal- 
lons (45,  401.). 


246  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

crémation  à  certaines  époques  et  chez  certaines  peuplades  (1). 
Le  vernis  était  de  couleur  noire,  bleue  ou  brune,  plus  rare- 
ment rouge  ou  blanche.  On  ignore  sa  composition;  elle  devait, 
sans  doute,  varier  selon  les  localités.  Nous  savons,  par  exemple, 
que  les  Espagnols  rencontrèrent  dans  les  pueblos  des  vases  rem- 
plis d'un  enduit  métallique,  prêt  à  être  employé  (2)  ;  et  de  nos 
jours,  les  habitants  du  Guatemala  se  servent  d'une  gomme  rési- 
neuse dont  ils  enduisent  la  surface  de  leurs  poteries,  en  les  reti- 
rant du  feu  (H).  On  cite  un  vase  trouvé  à  Ojo  Caliente  (Nouveau- 
Mexique),  encore  couvert  d'une  poudre  de  mica  très  fine;  ce 
pouvait  être,  là  aussi,  un  des  modes  usités. 


Fig.  106.  —  Fragments  de  poterie.  ' 

La  décoration  est  en  général  exécutée  avec  une  grande  préci- 
sion ;  les  ornements  se  détachent  sur  les  parois,  soit  en  relief, 
soit  en  couleur  différente  (4);  ils  sont  noirs,  par  exemple,  sur 
un  fond  rouge  ou  blanc.  Quelques-uns  des  tessons  recueillis  sont 
de  couleur  bronze  ;  il  est  impossible  de  dire  par  quels  procédés 
cette  couleur  était  obtenue  (5).  Souvent  on  trouve  des  fragments 
sur  lesquels  des  lignes,  des  dessins  géométriques  avaient  été  tracés, 
comme  chez  les  Mound-Builders,   avec  un  instrument  pointu, 


(1)  Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  714. 

(2)  Castaneda  de  Nagera,  Rel.  du  voyage  de  Cibola,  Ternaux-Compans,  t.  IV,  1"  série. 

(3)  Bancroft,  /.  c,  t.  I,  p.  398. 

(4)  Ch.  Rau,  Indian  Pottery,  Smilh.  Çont.,  1866,  t.  XVI. 

(5)  Putnam,  Bul.  of  the  Essex  Instituts,  1880. 


LES  CLIFF  DWELLERS.  247 

ou  avec  Tongle  du  potier;  d'autres  vases  présentent  des  gra- 
vures plus  compliquées  qui,  par  une  coïncidence  assurément 
très  remarquable,  rappellent,  à  s'y  méprendre,  celles  des  Étrus- 
ques (fig.  104  et  106).  Les  dessins  des  poteries  de  TArizona 
ressemblent  aux  ornements  tracés  sur  les  murs  du  temple  de 
Mitla,  qui  eux  aussi  rappellent  les  procédés  d'ornementation  des 
vieux  peuples  de  l'Italie  (1). 

D'autres  fois  les  poteries  sont  couvertes  de  figures  humaines  et 
de  représentations  d'animaux.  On  cite  sur  les  bords  du  Gila  un 
fragment  sur  lequel  un  artiste  inconnu  avait  gravé  une  tortue, 
un  autre  façonné  en  tête  de  singe  (2).  Les  oiseaux  abondent  : 
si,  chez  les  Mound-Builders,  le  canard  semble  être  le  modèle 
préféré,  chez  les  Cliff-Dwellers  c'est  le  hibou.  En  résumé,  si  la 
poterie  de  ces  derniers  est  supérieure  à  celle  trouvée  sous  les 
mounds,  elle  est  bien  autrement  supérieure  à  celle  travaillée  au- 
jourd'hui par  les  potiers  du  Rio  Grande  ou  du  San  Juan.  Les 
Indiens  Moquis  ou  Zunis  savent  fabriquer  la  poterie;  mais  ils  ne 
peuvent  atteindre  ni  la  régularité  des  formes,  ni  l'ornementation 
artistique,  qui  caractérisent  la  céramique  des  anciennes  popula- 
tions du  pays. 

Quelques  instruments  en  silex  ou  en  roches  diverses,  généra- 
lement polis,  sont,  avec  les  poteries,  les  seules  épaves  de  cette 
vieille  civilisation,  parvenues  jusqu'à  nous.  Les  pointes  de  flèches 
se  rencontrent  fréquemment  au  pied  des  Clifî-Houses  et  autour 
des  pueblos.  Elles  témoignent,  nous  l'avons  déjà  dit,  des  luttes  où 
s'usait  la  vie  de  ces  hommes,  toujours  obligés  de  défendre  leurs 
foyers.  Auprès  du  Rio  Mancos,  on  a  trouvé  une  hache  polie  abso- 
lument semblable  à  celles  de  nos  pays  (3)  ;  elle  était  cachée  dans 
un  des  réduits  d'un  Clifî-House,  sous  un  tas  de  maïs.  Etait-ce  une 
amulette?  Faut-il  voir  là  une  réminiscence  de  la  singulière  su- 

(1)  Hoffman,  Ethn.  Obs.  on  Indians  inhabiting  Nevada,  Califoiitia  a7id  Arizona.  U. 
S.  Geol.  Survey,  1876,  p.  454. 

(2)  Poster,  Prehistoric  Rues,  p.  249. 

(3)  Elle  avait  8  pouces  de  longueur,  sur  2  pouces  1/2  dans  sa  plus  grande  largeur. 
Une  face  présente  une  légère  concavité,  l'autre  est  parfaitement  plane.  —  Holmes,  U.  S. 
Geol.  Survey,  pi.  XLVI. 


248  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

perstition  dont  la  hache  a  été  l'objet  dans  tous  les  temps  et  chez 
tous  les  peuples  (1)  ?  Mentionnons  encore  un  grattoir  en  schiste 
siliceux  parfaitement  poli,  il  ne  pouvait  servir  qu'à  préparer  les 
peaux,  le  schiste  étant  trop  cassant  pour  percer  ou  pour  frapper. 

On  a  aussi  recueilli  de  nombreuses  pierres,  propres  à  concasser 
les  grains.  Ce  sont  des  blocs  de  basalte  avec  une  concavité  soit  na- 
turelle, soit  artificiellement  agrandie  ;  nous  avons  là  une  nouvelle 
preuve  que  les  Clifî-Dw^ellers  étaient  essentiellement  agricoles  et 
se  nourrissaient  du  produit  des  champs  qu'ils  cultivaient. 

Il  faut  enfin  citer  une  natte  en  joncs  (2),  d'espèce  très  com- 
mune aujourd'hui  encore,  sur  les  bords  du  Mancos,  des  cordages 
tressés  avec  les  fibres  du  Yucca,  des  coquilles  du  Pacifique,  quel- 
ques amulettes  en  pierre  ou  en  turquoise,  quelques  grains  de 
colliers;  puis  notre  liste  est  close.  Nous  avons  dit  le  nombre  très 
restreint  des  fouilles  exécutées  jusqu'à  ce  jour,  les  obstacles  qui 
arrêtaient  les  savants  Américains,  si  zélés  pour  la  science  ;  et 
on  conçoit  que  les  objets  à  la  surface  du  sol  ne  pouvaient 
échappera  la  rapacité  des  Utes  ou  des  JNavajos,  qui  errent  sans 
cesse  autour  des  ruines. 

11  est  remarquable,  qu'à  l'exception  des  anneaux  en  cuivre 
trouvés  à  Pecos,  on  n'ait  recueilli  aucune  arme,  aucun  ornement 
en  métal  (3).  Ces  objets  ont-ils  été  enlevés  par  les  Indiens?  Ou 
les  premiers  habitants  du  Nouveau-Mexique  et  du  Colorado  ne 
connaissaient-ils  ni  le  fer,  ni  le  bronze  ?  Cette  dernière  hypothèse 
est  probable,  car  les  poutres  grossièrement  équarries  qui  sou- 
tiennent leurs  demeures  paraissent  avoir  été  travaillées  à  l'aide 
d'outils  en  pierre.  Nous  ne  prétendons  toutefois  rien  affirmer; 
c'est  encore  un  point  que  des  fouilles,  scientifiquement  conduites, 
pourront  seules  résoudre. 

Un  des  traits  les  plus  saillants  de  la  population  des  pueblos 
sculptures,    gQut  Ics  pcinturcs,  les  sculptures,  les  gravures  sur  roches,  que 

inscriptions  r  '  i  '  o  '      x 

sur  roche. 

(1)  Les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  préhistoriques,  t.  I,  p.  340. 

(2)  Scii'pus  volidus. 

(3)  «  The  implements  and  ornaments  are  not  numerous,  include  no  articles  of 
any  métal  whatever,  aud  do  not  differ  materially  from  articles  now  in  use  among  the 
Pueblo  Indians.  »  Bancroft,  /.  c. ,  t.  IV,  p.  677. 


Pictographie 
peintures, 


LES  CLIFF  DWELLERS. 


249 


Ton  rencontre  dans  le  Nouveau-Mexique,  l'Arizona  et  le  Colo- 
rado (1).  Elles  ont  donné  naissance  à  un  mot  nouveau,  la  Picto- 
graphie,  dont  nous  demandons  la  permission  de  nous  servir  à 
notre  tour,  bien  que  nous  ne  soyions  nullement  persuadés, 
comme  certains  archéologues  américains,  que  ces  hommes  ont 


Fig.  107.  —  Blocs  erratiques  chargés  de  figures  (Arizona). 


prétendu  retracer  ainsi  leur  propre  histoire,  les  combats  auxquels 
ils  avaient  pris  part,  leurs  migrations  ou  leurs  chasses.  Les  figu- 
res sont  en  général  si  naïvement  tracées,    que  les  descendants 

(1)  On  trouve  également  ces  inscriptions  dans  le  Texas.  On  cite  entre  autres  celles 
de  Sierra- Waco,  à  30  miles  d'El.  Paso  ^Bancrolt,  l.  c,  t.  IV;. 


250  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

n'auraient  pu,  en  les  contemplant,  rien  comprendre  aux  haut? 
faits  de  leurs  ancêtres.  Il  est  plus  probable  que  ces  figures,  si 
curieuses  qu'elles  soient,  ne  sont  le  plus  souvent  que  le  produit 
de  la  fantaisie  du  peintre  ou  du  sculpteur. 

Ce  n'est  pas  seulement  sur  les  rochers,  que  se  trouvent  les  re- 
présentations qui  nous  occupent,  les  nombreux  blocs  erratiques 
de  la  vallée  du  Gila  sont  couverts  de  grossières  figures  d'hommes 
ou  d'animaux  (fig.  107)  (1).  Mais  c'est  surtout  sur  les  bords  du 
Mancos  et  du  San  Juan  et  dans  les  canons  qui  s'étendent  vers 
l'Ouest,  que  ces  pictographies  abondent.  Les  unes  sont  gravées 
en  creux  à  une  profondeur  qui  varie  d'un  quart  à  un  demi-pouce 
(fig.  108  et  109)  (2).  Les  autres  sont  tracées  à  grands  traits  en 
couleur  rouge  ou  blanche.  Les  premières,  souvent  placées  à 
des  hauteurs  presque  inaccessibles,  ont  exigé  un  travail  con- 
sidérable. Sont-elles  l'œuvre  des  ClifT-Dwellers  ?  Tout  le  fait 
supposer,  car  elles  se  trouvent  presque  toujours  dans  le  voi- 
sinage dej  leurs  demeures.  Ajoutons  cependant  que  les  inscrip- 
tions et  les  figures  sont  très  rares  auprès  des  pueblos  regardés 
comme  les  plus  anciens  ;  les  plus  récentes  parmi  elles  pour- 
raient bien  être  postérieures  à  la  conquête  espagnole.  Leur 
apparence  seule  permettrait  de  l'affirmer,  si  l'une  d'elles  ne 
représentait  un  cheval  (3)  ;  or  nous  savons  que  cet  animal  était 
inconnu   en    Amérique    avant    l'arrivée    des    Conquistadores. 

Il  faut  aussi  relever  la  hache  symbolique  (fig.  109)  répétée  à 
plusieurs  reprises  dans  ces  gravures.  Sa  forme  rappelle,  à  s'y  mé- 
prendre, les  haches  gravées  sur  les  monaments  mégalithiques 
de  la  Bretagne.  C'est  encore  là  un  fait  curieux,  sans  qu'il  faille 
en  exagérer  outre  mesure  l'importance. 

Parmi  les  gravures  sur  roche  les  plus  intéressantes,  nousencite- 
rons  une  sur  les  bords  du  San  Juan,  à  10  miles  environ  de  l'em- 
bouchure de  la  Plata.  Elle  figure  une  longue  suite  d'hommes, 
d'animaux,  et  même  d'oiseauxaulongcou  et  aux  longues  jambes, 

(1)  Bartlett,  Personal  Narrative,  t.  II,  p.  11)5,  206. 

(2)  Holmes,  /.  c,  pi.  XLII  et  XLIII. 

(3)  Holmes,  /.  c,  pi.  XLU,  fig.  11. 


LES  GLIFF  DWELLERS. 


251 


se  dirigeant  tous  du  même  côté  (1).  Deux  hommes  sont  debout 
dans  un  traîneau  attelé  d'un  cervide,  que  l'on  peut  supposer  un 
renne;  d'autres  hommes  suivent  ou  dirigent  la  marche.  Il  est 


Fig.  108.  —  Pictographie  des  bords  du  San  Juan. 

évident  que  ces  gravures  se  rattachent  à  la  migration  d'une  tribu. 

M.  Jackson  signale  également,  auprès  du  Mac  Elmo  (2),  une 

falaise  couverte,  sur  une  étendue  de  60  pieds  carrés,  de  figures 


Fig.  109.  —  Pictographie  des  bords  du  San  Juan. 

d'hommes,  de  cervidés,  de  lézards,  et  M.  Bandelier  (3),  des  pic- 
tographies,  dont  le  degré  d'usure  semble  attester  la  haute  anti- 
quité. Celles-ci,  situées  auprès  des  ruines  de  Pecos,  représentent 
des  empreintes  de  pas  d'homme  ou  d'enfant,  une  figure  humaine 
et  un  cercle  très  régulier  renfermant  des  cupules  que  l'on  peut 
aussi  rapprocher  de  celles  qui  existent  sur  nos  mégalithes  (4).  Sur 


(1)  Holmes,  /.  c,  pi.  XUII,  fig.  1. 

(2)  U.  S.  Geol.  and  Geog.  Survey. 

(3)  Ruins  of  Rio  Pecos,  p.  92  et  s. 

(4)  Les  Premiers  Hommes,  t.  I,  p.  277  et  s. 


252  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

le  Puerco  et  sur  la  rivière  Zuni  (1),  deux  des  affluents  du  Colo- 
rado Chiquito,  on  a  remarqué  des  dessins  qui  paraissent  de  véri- 
tables hiéroglyphes  (2).  Leur  signification  reste  inconnue;  nous 
n'oserions  même  affirmer  que  cette  signification  existe. 

Les  rochers  qui  entourent  le  grand  Lac  Salé,  auprès  d'Utah, 
la  capitale  actuelle  des  Mormons,  sont  couverts  de  sculptures  qui 
rappellent  celles  de  l'Egypte  (3).  Quelques-unes  sont  des  figures 
humaines,  de  grandeur  naturelle,  entaillées  dans  un  granit  bleu 
très  dur,  à  plus  de  30  pieds  au-dessus  du  sol.  Tout  se  réunit  pour 
montrer  une  somme  de  travail  dont  les  Indiens  actuels  sont  in- 
capables, et  des  difficultés  d'exécution  qu'ils  ne  sauraient  sur- 
monter. La  hauteur,  à  laquelle  se  trouvent  quelques-unes  de  ces 
sculptures,  peut  même  faire  présumer,  depuis  leur  exécution,  un 
phénomène  géologique,  tel  que  la  dépression  du  lac,  par  exemple. 
C'est  une  hypothèse  de  plus  à  ajouter  à  toutes  celles  que  nous 
rencontrons. 

Le  besoin  de  reproduire  les  figures,  les  animaux,  les  événe- 
ments qui  les  avaient  frappés,  d'en  préciser  le  sens  par  des  ins- 
riptions,  est  un  des  traits  les  plus  caractéristiques  des  diverses 
races  américaines.  On  a  constaté  sur  les  rochers  de  l'Ohio  et  du 
Wyoming  des  signes,  où  l'on  a  cru  reconnaître  des  hiérogly- 
phes (4).  Parmi  ces  gravures,  une  des  plus  importantes  se  trouve 
dans  le  comté  de  Licking  ;  elle  couvre  une  surface  de  50  à  60  pieds 
de  longueur  sur  10  à  12  pieds  de  largeur.  Malheureusement 
presque  toutes  les  figures  ont  été  détruites  par  les  immigrants, 
et  il  n'en  reste  plus  que  de  faibles  traces.  On  cite  également 
celles  de  Perrysburg,  d'Indépendance  (Comté  de  Ceeyahoga),  et 
celles  du  comté  de  Belmont.Si  ce  sont  vraiment  des  inscriptions. 


(1)  C'est  sur  les  bords  du  Zuni  que  s'élevaient  les  sept  villes  deCibola,  visitées  en 
1540  par  Coronado  et  qui  sont  restées  légendaires. 

(2)  Môlhausen,  Tagebuch  einer  Reise  vom  Mississipi  nach  den  Kusten  der  Sud  See. 
Leipzig,  1858. 

(3)  Remy  and  Brenchley,^  Joumey  to  the  Créât  Sait  Lake  City.  London,  1862,  t.  II, 
p.  362. 

(4)  Whittlesey,  Am.  ^455.  Indianapolis  (Indiana},  1871.  -  Th.  Comstock,  Id.  Détroit 
(Michigan),  1875. 


LES  GLIFF  DWELLERS.  253 

il  est  aujourd'hui  impossible  de  les  déchiffrer.  Parfois,  à  côté 
de  ces  signes,  on  voit  gravés  un  trident,  un  harpon,  un  pied 
d'ours,  une  main  ou  un  pied  humains  (1). 

Dans  le  Vermont,  les  rochers  baignés  par  la  rivière  Connecti- 
cut  sont  également  couverts  de  gravures.  Sur  l'un  d'eux  on  peut 
reconnaître  une  figure  humaine  ;  sur  un  autre,  vingt  têtes  de 
grandeurs  différentes  (2).  Plusieurs  portent  sur  le  front  deux 
rayons,  deux  cornes,  si  l'on  veut;  la  figure  du  milieu  en  a  jusqu'à 
six.  Les  yeux  et  la  bouche  sont  indiqués  par  des  trous  circulaires, 
le  nez  manque  presque  toujours.  Une  gravure  à  Brattleboro  est 
plus  curieuse  encore  ;  elle  représente  onze  sujets  différents, 
mammifères,  oiseaux  ou  serpents. 

Des  pictographies  semblables,  auxquelles  on  est  disposé  à  ac- 
corder une  grande  ancienneté,  se  voient  sur  les  parois  des  caver- 
nes du  Nicaragua  (3).  Certaines  grottes  situées  dans  les  monta- 
gnes de  la  province  d'Oajaca  témoignent  également  du  travail 
de  l'homme  (4).  Mais  ici  ce  sont  des  peintures  assez  grossières 
tracées  à  l'ocre  rouge.  Parmi  ces  peintures,  on  distingue  des  em- 
preintes de  mains  en  couleur  noire  ;  elles  rappellent  celles  que 
Stephens  a  remarquées  sur  les  murs  en  ruines  des  édifices  d'Ux- 
mal.  M.  Pinard,  dans  son  voyage  du  Sonora,  a  rencontré  de  nom- 
breuses inscriptions  sur  rochers  (5).  Il  en  décrit  une  gravée  sur 
les  trois  faces  d'une  roche  basaltique,  auprès  du  Rio  del  Busanig. 
Quoiqu'elle  soit  des  plus  frustes,  on  parvient  à  distinguer  sur  la 
face  nord  une  main  humaine,  au-dessous  deux  cercles  concen- 
triques ;  plus  bas  encore,  un  groupe  de  quatre  petits  cercles  au- 
tour d'un  point  central.  La  partie  supérieure  porte  aussi  de  nom- 
breux petits  trous  ronds  disposés  avec  une  symétrie  intentionnelle  ; 
sur  une  roche  qui  s'élève  au-dessus  de  la  première,  on  a  tracé 

(1)  On  en  cite  plusieurs  gravées  à  la  profondeur  d'un  pouce  et  demi. 

(2)  La  plus  grande  de  ces  figures  mesure  20  pouces  de  hauteur,  la  plus  petite  5  pou- 
ces. G.  H.  Perkins,  Remarks  upon   the  Arch.  of  Vermont.  Am.  Ass.  Saint-Louis,  1878. 

(3)  Report  Peabody  Mus.,  1880,  t.  II,  p.  71fi.  —  On  cite  auprès  deNihapa  un  serpent 
couvert  de  plumes.  L'imagination  de  l'artiste  s'est  donné  libre  carrière. 

(4)  Brasseur  de  Bourbourg,  Voy.  sur  f  isthme  de  Tehuantepec,  p.  123. 

(5)  But.  Soc.  Geog.,  sept.  1880. 


254  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

plusieurs  autres  cercles.  Ces  figures  ont  évidemment  une  signi- 
fication, toute  inconnue  qu'elle  puisse  être  pour  nous. 

Auprès  de  Cahorca,  se  dresse  un  monticule  rocheux  de 
forme  ronde,  auquel  les  Papagos  ont  donné  le  nom  de  Kaux- 
Ka.  C'est  un  amas  de  roches  empilées,  portant  sur  leurs  sur- 
faces planes  de  nombreuses  inscriptions  hiéroglyphiques.  Sur 
plusieurs  points  on  peut  encore  distinguer  des  hiéroglyphes 
plus  anciens,  une  suite  de  lignes  ou  de  signes  symétriques  ;  ils 
ont  été  en  grande  partie  oblitérés  par  des  inscriptions  plus  mo- 
dernes tracées  avec  de  la  peinture  blanche. 

Ces  gravures  ou  ces  peintures  se  trouvent  dans  toutes  les  ré- 
gions qui  formaient  autrefois  l'Amérique  Espagnole.  On  les  cite 
auprès  du  volcan  éteint  de  Masaya,  dans  les  Etats-Unis  de  Colom- 
bie, sur  les  bords  del'Orénoque,  dans  le  Venezuela,  où  leur  état 
de  vétusté  permet  à  peine  de  les  reconnaître;  sur  l'isthme 
de  Darien,  où,  dès  1520,  les  Conquistadores  les  constataient  (1). 
Le  lieutenant  Whipple  les  décrit  sur  les  rochers  de  l'Arizona  (2), 
le  professeur  Rerr  sur  les  montagnes  Noires,  auprès  des  sour- 
ces du  Tennessee  ;  et  en  parcourant  les  montagnes  Blanches, 
entre  les  villes  de  Colombus  (Nevada)  et  de  Benton  (Californie) 
on  rencontre  à  chaque  pas,  tantôt  des  représentations  d'hommes 
et  d'animaux,  tantôt  des  signes  indéchiffrables  (3).  Ni  les  Pah- 
Utes  qui  occupent  le  versant  californien,  ni  les  Shawnees  qui 
campent  auprès  de  Colombus,  ne  prétendent  en  attribuer  l'ori- 
gine à  leurs  ancêtres.  A  20  miles  environ  au  sud  de  Benton,  la 
route  suit  un  défilé  étroit,  limité  des  deux  côtés  par  des  rochers 
presque  perpendiculaires,  s'élevant  à  des  hauteurs  de  qua- 
rante à  cinquante  pieds.  Ces  murs  de  pierre  sont  couverts  de 
figures  ;  on  ne  connaît  ni  leur  origine,  ni  leur  date,  et  rien  jus- 
qu'ici n'est  venu  révéler  le  nom  de  ces  artistes  primitifs. 

Les  vieux  habitants  du  Tennessee  ont  laissé,  eux  aussi,  des 

(1)  Diego  Garcia  de  Palacios,  Caria  dh'ijada  al  Rey  de  Espana,  ano  1576. 

(2)  Government  Report  on  the  Pacific  Railway  Suroey. 

(3)  Hoffman,  EthnoQ.  Observ.  on  Indians  inhabiting  Nevada,  California  and  Ari- 
zona. U.  S.  Geol.  and  Geoy.  Survey,  1876. 


LES  GLIFF  DWELLERS. 


255 


peintures  sur  les  falaises  qui  dominent  leurs  grands  fleuves.  Les 
unes  représentent  le  soleil  ou  la  lune, les  autres  des  mammifères. 


Fig.  110.  —  Spécimens  de  gravures  sur  roche  par  les  Boschismen. 

le  bison,  par  exemple  (1).  Ces  peintures  ont  été  exécutées  avec  de 

(1)  Jones,  Aniiqmties  of  tfie  Southern  Indiuns.  New-York,  1873, p.     137. 


256  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

l'ocre  rouge,  et  comme  les  sculptures  d'Utah,  dont  nous  avons 


Fig.  111.  —  Gravures  sur  roche  trouvées  en  Algérie. 

parlé,  elles  sont  à  des  hauteurs  presque  inaccessibles.  Un  soleil 


LES   CLIFF-DWELLERS.  257 

colossal,  gravé  sur  un  rocherqui  domine  le  Big-Harpeth,  est  visible 
à  4  miles  de  distance.  A  Buffalo-Creek,  ces  ouvriers  inconnus  ont 
dessiné  tout  un  troupeau  de  bisons  marchant  les  uns  à  la  suite 
des  autres.  Le  père  Marquette, dans  son  voyage  du  Mississipi,  a  vu 
des  scènes  semblables  gravées  sur  les  falaises  entre  l'IUinois  et  le 
Mississipi;  et  des  voyageurs  plus  récents  attestent  la  fidélité  de 
son  récit  (1). 

En  parlant  de  l'Amérique  du  sud,  nous  aurons  à  raconter  des 
peintures,  des  gravures  sur  roches  pareilles  à  celles  que  nous 
venons  de  décrire  ;  mais  là  non  plus,  il  ne  nous  sera  possible  de 
dire,  ni  ceux  qui  les  ont  exécutées,  nil'époque  où  elles  remontent. 
La  seule  conclusion  à  laquelle  il  est  permis  d'arriver,  c'est  la  si- 
militude qui  existe  entre  les  instincts  de  l'homme  dans  toutes  les 
régions  du  globe  et  sous  tous  les  climats;  partout  cet  homme, 
quelque  dégradé  qu'on  puisse  le  supposer,  retrace  avec  une  va- 
nité enfantine,  sur  les  rochers,  sur  les  parois  des  cavernes,  sur 
les  blocs  erratiques,  sa  propre  image  ou  les  scènes  qui  se  passent 
sous  ses  yeux,  et  à  ce  point  de  vue,  rien  n'est  plus  curieux  que  de 
comparer  aux  essais  des  anciens  Américains  les  gravures  exécu- 
tées parles  Boschismen  à  l'extrême  sud  de  l'Afrique  (fig.  110)  ou 
celles  gravées  sur  les  rochers  de  l'Algérie  (fig.  111).  Cette  ressem- 
blance dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  pays  des  goûts,  des 
instincts,  du  génie  de  l'homme  est  la  meilleure  preuve  que  l'on 
puisse  invoquer,  pour  le  rattacher  à  une  souche  commune. 

Il  paraît  certain,  nous  l'avons  déjà  dit,  que  les  Clifî-Dwel- 
1ers  et  les  habitants  des  pueblos  appartenaient  à  la  même  race,     cuff-oweî- 
Les  constructions,  qu'elles  soient  en  pierres  ou  en  adobes,  sont    Très  haw" 
toujours  semblables  et  toujours  régulières  ;  les  chambres  sont    lAmérique. 
partout  d'une  extrême  exiguïté  ;  l'absence  d'escaliers,  les  trappes 
communiquant  d'un  étage  à  l'autre,  indiquent  la  vie  en  com- 
mun ;  partout  nous  voyons  les  estufas,  lieux  de  réunion  à  la  fois 
religieux  et  profanes.  Les  uns  et  les  autres  cultivaient  la  terre, 

(1)  Voyages  et  découvertes  du  P.  Marquette  dans  l'Amérique  septentrionale,  The- 
veaot,  Relation  de  divers  voyages  curieux.  Paris,  1681.  —  J.  G.  Shea,  Discovery  and 
Explorations  of  the  Mississipi  Valley,  p.  41. 

De  Nadaillac,  Amérique.  17 


Quelles  sont 
les  relations 


2o8  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

fabriquaient  une  poterie  semblable,  se  servaient    des  mêmes 
pointes  de  flèches,  des  mêmes  outils  en  silex. 

Toutes  les  reliques  parvenues  jusqu'à  nous  aboutissent  à  cette 
conclusion.  Il  semble  non  moins  certain  que  ces  populations  diffé- 
raient des  Mound-Builders  de  l'Ohio  ou  du  Mississipi,  des  Mayas 
du  Yucatan,  des  Nahuas  du  Mexique  (1).  Rien  chez  eux  ne  rap- 
pelle ces  pyramides  tronquées,  ces  tertres  en  forme  d'animaux, 
ces  amoncellements  de  terre  (2),  encore  moins  les  palais,  les 
temples,  les  édifices  remarquables,  œuvre  des  Mayas  ou  des 
Aztecs.  Aucune  tradition,  aucun  souvenir  ne  sont  communs  à 
ces  races  différentes  (3)  ;  tout,  au  contraire,  indique  leur  sépara- 
tion (4). 

Coronado,  le  premier  Espagnol  qui  visita  ces  régions,  ne  re- 
marque aucun  rapport  entre  les  Mexicains  et  les  habitants  du 
Nouveau-Mexique.  Le  père  Escalante,  qui  parcourut  le  pays  en 
1776,  plus  de  deux  siècles  après  Coronado,  décrit  des  ruines  au- 
jourd'hui inconnues,  des  pueblos  alors  habités,  actuellement 
tombés  en  poussière,  rien  dans  son  récit  ne  justifie  ce  que  l'on 
a  appelé  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique  la  théorie  Aztèque  (5)  ; 

(1)  Dans  les  chap.  vi  et  vu  nous  dirons  ce  que  l'on  sait  des  Mayas,  des  Nahuas  et 
des  Aztecs.  Voy.  aussi  Short,  The  Noi't/i  Âmericans,  p.  275  et  s. 

(2)  On  cite  cependant,  au  sud  de  l'État  d'Utah,  un  mound  où  le  D''Parry  a  trouvé 
plusieurs  spécimens  de  poterie  assez  semblable  à  celle  dos  pueblos.  Le  D''  Palmer, 
à  la  suite  de  plusieurs  fouilles  dans  le  voisinage,  confirme  ce  fait  ;  mais  il  ajoute 
que  ces  mounds  sont  le  résultat  de  l'éboulement  de  murs  en  adobes. 

(3)  L'absence  des  pipes  si  nombreuses  chez  les  Mound-Builders  est  non  moins  re- 
marquable. Nous  reproduisons  (fig.  112j  la  seule  pipe  trouvée  jusqu'à  présent  dans  les 


Fig.  112.  —  Pipe  trouvée  chez  les  Cliiï-Dwcllers. 

régions  habitées  par  les  Cliff-Dwellers.  Elle  est  en  terre  cuite,  et  l'orifice  d'aspiration 
s'ouvre  directement  dans  le  prolongement  du  godet. 

(4)  «  The  material  relies  of  the  North  Mexican  group,  bear  no  ressemblance  whatever 
to  either  Maya  or  Nahua  cities  in  the  South.  »  (Bancroft,  /.  c,  t.  IV,  p.  G82.) 

(5)  Dominguez  et  Escalante,  Diano  y  Derrotei'o  Santa  Fe  a  Monterey,  1776.  Doc. 


LES  GLIFF-DWELLERS.  259 

rien  ne  permet  de  supposer  que  le  Nouveau-Mexique  ait  été 
peuplé  par  des  colonies  parties  de  l'Anahuac.  Deux  races  bien 
distinctes  paraissent  avoir  occupé  l'Amérique  centrale  :  les  Cliff- 
Dwellers  à  l'ouest  et  les  Mound-Builders  qui  paraissent  se  con- 
fondre avec  les  Aztecs  à  l'est.  Ces  peuples  à  leur  origine  ont  bien 
pu  provenir  d'une  même  souche;  mais  alors  leur  séparation 
date  d'un  nombre  incalculable  de  siècles,  et  aucun  fait  connu  ne 
permet  soit  de  l'affirmer,  soit  de  la  nier. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  de  nombreux  pueblos  existaient  dans 
le  Nouveau-Mexique,  lors  de  l'invasion  espagnole  ;  qu'il  en  est, 
comme  Zuni,  Acoma,  Taos,  Jemez  et  Pecos  qui  ont  été  habités 
jusqu'à  nos  jours  (1).  Le  lieutenant  Wheeler  qui  visita  le  pays 
en  1858  décrit  ainsi  les  pueblos  qu'il  rencontre  (2).  «  A  la  chute 
du  jour,  dit-il,  je  pus,  à  l'aide  de  ma  lunette,  découvrir  à  une  dis- 
tance de  huit  ou  dix  miles,  deux  pueblos  des  Moquis  perchés  sur 
un  rocher  et  dominant  toute  la  vallée.  Les  constructions  affleu- 
raient le  précipice;  à  la  distance  où  j'étais,  elles  offraient  l'ap- 
parence d'une  ville  avec  des  murailles  et  des  tours  crénelées. 
L'ensemble  se  présentait  sous  un  aspect  singulièrement  pittores- 
que. Chacun  de  ces  pueblos  est  bâti  autour  d'une  cour  rectan- 
gulaire qui  renferme  la  source  d'eau  indispensable  à  la  popula- 
tion. Les  murs  construits  en  pierres  n'ont  aucune  ouverture  à 
l'extérieur.  Il  faudrait  ou  les  abattre,  ou  les  escalader  pour  péné- 
trer dans  l'intérieur.  Les  divers  étages  des  maisons  sont  en  re- 
trait et  on  ne  saurait  parvenir  aux  étages  supérieurs  qu'au  moyen 
de  trappes  dans  les  planchers.  Chaque  bâtiment  comprend  trois 
étages  et  n'a  d'ouverture  que  sur  la  cour.  Tout  l'arrangement  est 
préparé  pour  offrir  une  certaine  résistance  en  cas  d'attaque. 
Comme  la  cour  et  les  communications  sont  communes,  les  ha- 

Hist.  Mex.,  2*  s.,  t.  I.  —  M.  Short  (/.  c.,p.  331)  dit  avoir  compulsé  à  la  Bibliothèque  du 
Congrès,  à  Washington,  un  manuscrit  d'Escalante  qui  confirme  cette  conclusion. 

(1)  Les  pueblos  des  Indiens  sédentaires  du  Nouveau  Mexique  sont  ainsi  groupés  : 
1°  entre  la  frontière  de  l'Etat  d'Arizona  et  le  Rio  Grande,  Zuni,  Acoma,  Laguna  ; 
2°  sur  les  rives  du  Rio  Grande,  Taos,  Picuries,  Tehua,  Queres,  Tiguas,  Piros;  3"  à 
l'ouest  du  Rio  Grande,  Jemez  ;  4"  à  l'est  de  la  même  rivière,  Tanos,  Pecos. 

(2)  Colorado  River  of  the  West,  p.  119.  —  Bancroft,  l.  c,  t.  IV,  p.  662.  —  Short, 
Nort/i  Americans  of.Antiquity,  p.  330. 


260  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

bitants  sont  réduits  à  ^ivre  entre  eux  dans  une  certaine  commu- 
nauté. )) 

'  Nous  pourrions  parfaitement  emprunter  ce  récit  pour  la  des- 
cription d'un  ancien  pueblo  ;  il  aidera  à  une  seconde  conclusion 
qui  s'impose  naturellement  (1).  Le  Nouveau-Mexique,  l' Arizona, 
rUtah,  le  Colorado  et  la  partie  nord  du  Chihuahua  ont  été  jadis 
habités  par  des  populations  sédentaires,  agricoles,  comparative- 
ment civilisées  et  ne  différant  guère  plus  entre  elles,  que  ne 
diffèrent  les  habitants  actuels  des  pueblos.  Plusieurs  siècles 
probablement  avant  l'arrivée  des  Espagnols,  la  décadence  de  ces 
races  avait  commencé;  cette  décadence  a  persisté  jusqu'à  nous, 
où  quelques  Moquis,  quelques  rares  Indiens  du  Rio  Grande  re- 
présentent seuls  ces  hommes  jadis  nombreux  et  puissants. 

Les  causes  de  cette  décadence  sont  multiples.  Parmi  les  plus 
sérieuses,  il  faut  sans  doute  compter  les  invasions  sans  cesse 
renaissantes  des  sauvages  Apaches,  ennemis  barbares  et  dange- 
reux, invasions  auxquelles  les  Cliff-Dwcllers  opposèrent  une  lon- 
gue et  énergique  résistance.  Finalement,  cette  résistance  fut 
impuissante  à  arrêter  le  torrent  ;  ces  hommes  durent  abandon- 
ner les  demeures  qu'ils  avaient  bâties,  les  foyers  souvent  arrosés 
de  leur  sang,  pour  se  réunir  à  d'autres  tribus  plus  éloignées  (2), 
qui  durent  à  leur  tour  se  défendre  et  probablement  sans  plus 
de  succès,   contre   les  attaques  des  mêmes  ennemis. 

Les  Apaches  gagnaient  chaque  jour  du  terrain  ;  chaque  jour 
les  Gliff-Dwellers  reculaient  devant  eux.  La  conclusion  était 
inévitable.  La  race  vaincue  fut  rapidement  condamnée  à  la  sté- 
rilité et  à  l'impuissance,  et  malheureusement  la  conquête  espa- 
gnole ne  pouvait  aider  à  son  relèvement.  11  est  probable  cepen- 
dant que  les  excursions  des  nomades,  quelque  dangereuses 
qu'elles  pussent  être,  n'auraient  pas  suffi  pour  dépeupler  le  pays. 

(1)  Bancroft,  l.  c,  t.  IV,  p.  685. 

(2)  Les  exemples  de  semblables  réunions  ne  sont  pas  rares  dans  l'histoire  des  Indiens. 
Depuis  la  découverte  de  l'Amérique,  les  Tuscaroras  vaincus  furent  admis  dans  la  con- 
fédération des  cinq  nations,  les  Alabamas,  les  Uchoes,  les  Natchez  dans  celle  des 
Creeks,  et  de  nos  jours  les  Pecos  décimés  par  la  maladie,  trouvèrent  un  refuge  chez 
une  tribu  alliée. 


LES  GLIFF-DWELLERS.  261 

Les  demeures  aériennes  d'un  accès  si  difficile,  les  tours  qui  dé- 
fendaient l'entrée  des  vallées,  la  disposition  des  pueblos  qui  en 
faisait  de  véritables  forteresses,  eussent  assuré  la  victoire  de  leurs 
habitants,  si  une  autre  cause  que  nous  avons  déjà  signalée  n'était 
venue  accélérer  leur  ruine.  La  destruction  des  forêts,  une  sé- 
cheresse prolongée,  la  disparition  des  cours  d'eau  changèrent  des 
terres  que  la  culture  avait  fertilisées  en  ces  déserts  arides,  en  ces 
vallées  de  sable,  que  le  voyageur  parcourt  avec  tristesse.  L'homme 
dut  fuir  des  régions  où  la  lutte  contre  une  nature  ingrate  était 
désormais  impossible.  Il  dut  reculer  devant  un  ennemi,  plus  dan- 
gereux que  les  nomades  et  contre  lequel  toute  résistance  était 
inutile. 

11  était  réservé  au  dix-neuvième  siècle  de  constater  ces  faits, 
absolument  ignorés  il  y  a  peu  d'années  encore.  Une  plus  noble 
mission  est  réservée  à  nos  successeurs  :  c'est  à  la  science  de 
rétablir  ce  que  la  barbarie  de  l'homme  a  laissé  détruire  ;  c'est  à 
la  science  de  rendre  la  vie  à  ces  contrées  déshéritées. 


CHAPITRE  VI 

LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE. 


Les  peupits  L'Amérique  ne  ménage  pas  les  surprises  à  ceux  qui  recher- 
'«inu-'aîe!'^  chcnt  SOU  autiquc  histoire.  Nous  avons  dit  les  mounds,  si 
étranges  dans  leur  forme  et  dans  leur  exécution,  les  demeures, 
véritables  nids  d'aigle,  taillés  dans  des  rochers  à  pic  ;  les  pueblos, 
où  une  population  considérable  vivait  sous  un  régime  commu- 
niste. Il  faut  maintenant  raconter  une  civilisation  plus  avancée, 
des  monuments  déjà  en  ruines  lors  de  l'invasion  espagnole,  des 
temples,  des  palais,  des  monolithes,  des  statues,  des  bas-reliefs 
qui  rappellent  ceux  de  l'Egypte  ou  de  l'Assyrie,  de  l'Inde  ou  de 
la  Chine.  Ces  monuments  s'étendent  sur  des  régions  entières,  et 
les  pionniers  qui  parcourent,  la  hache  à  la  main,  des  forêts 
presque  impénétrables,  se  flattant,  dansleurnaïf  orgueil,  de  fouler 
les  premiers  ces  terres  vierges,  voient  se  dresser  devant  eux  des 
ruines,  des  sépultures,  témoins  irrécusables  de  peuples  inconnus, 
de  générations  disparues.  En  constatant  ces  faits,  on  est  con- 
fondu de  l'erreur  d'un  historien  éminent  (1),  qui  ne  craignait  pas 
d'affirmer  qu'il  n'existait  pas  dans  toute  l'Amérique  les  vestiges 
d'une  seule  construction  antérieure  au  quinzième  siècle. 

Les  difficultés  que  nous  avons  rencontrées  à  chaque  pas  se 
pressent  innombrables,  à  mesure  que  notre  récit  avance.  Ici  aussi, 
nous  sommes  en  présence  de  peuples  sans  nom,  de  races  sans 

(1)  Robertson,  History  of  America.  La  première  édition  parut  à  Londres  en  1777. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  263 
histoire  ;  et  pour  ajouter  à  ces  difficultés,  chaque  jour  des  décou- 
vertes nouvelles  viennent  renverser  les  hypothèses  reçues,  dé- 
truire les  suppositions  antérieures  et  réduire  à  néant  les  conclu- 
sions qui  paraissaient  les  mieux  fondées  ! 

Les  mythes  et  les  traditions  que  l'on  a  recueillis  peuvent  re- 
monter à  plusieurs  siècles  avant  Tère  chrétienne.  Les  hiérogly- 
phes (fîg.  H 3)  ne  remontent  guère  aussi  loin.  Il  est  difficile  sur 
d'aussi  faibles  données  de  reconstituer  un  passé,  dont  l'existence 
même  était  ignorée  il  y  a  si  peu  d'années  encore  ;  et  aucun  Cham- 
pollion  n'a  pu,  jusqu'ici,  déchiffrer  les  énigmes  que  la  pierre  a 
conservées  (1).  Avant  d'entreprendre  l'étude  des  monuments  eux- 
mêmes,  il  nous  faut  résumer  ce  que  rapportent  les  historiens 
modernes  qui  se  sont  efforcés  de  mettre  un  peu  de  lumière,  là 
011,  avant  eux,  tout  était  obscurité  et  chaos. 

Un  seul  fait  paraît  certain,  c'est  que  des  peuples  entiers  se 
sont  dirigés^  durant  des  siècles,  du  Nord  vers  le  Midi  (2),  les  uns 
poussant  les  autres,  comme  une  vague  précipite  la  vague  qui 
l'a  précédée.  Nous  ne  saurions  mieux  comparer  ces  invasions 
successives,  qu'à  celles  des  races  barbares  qui,  aux  premiers 
siècles  de  l'ère  chrétienne,  se  disputaient  les  lambeaux  de  l'em- 
pire romain  ou  mieux  encore  à  celles  des  Aryas,  qui  du  fond  de 

(1)  Le  douzième  siècle  de  notre  ère  est  la  limite  de  nos  très  incomplètes  connais- 
sances historiques  sur  l'Amérique.  Au  delà  il  est  quelques  faits  ethnologiques,  mais 
rien  qui  puisse  constituer  une  tradition  vraiment  sérieuse  ;  puis  quelques  légendes 
où  des  fables  souvent  grossières  tiennent  plus  de  place  que  la  réalité  Les  fantaisies 
avec  de  tels  éléments  ont  pu  se  donner  libre  carrière.  L'abbé  Brasseur  de  Bour- 
bourg  {Popol-Vuh,  Int.)  dit  que,  955  avant  J.-C,  il  y  avait  déjà  dans  l'Amérique 
centrale  une  propriété  constituée.  La  chronique  de  Clavigero  {St.  det  Messico,  liv.  II, 
c.  i)  commence  596  ans  avant  notre  ère.  Veytia  {Hht.  Ant.  de  Mejico,  t.  I,  c.  ii)  fait 
remonter  à  lan  2237  après  la  création  les  premières  migrations  des  Nahuas,  que  Va- 
lentini  {the  Katunes  of  Maya  Hist.),  par  un  calcul  plus  raisonnable,  place  à  i;57  ans 
après  J.-C.  Ixtlilxochitl  {Hist.  Chichimeca,  Kmgshorough,  t.  IX)  donne  à  son  tour  l'an- 
née 503  de  l'ère  chrétienne,  comme  la  date  de  la  fondation  de  Tezcuco.  Toutes  ces 
dates,  nous  ne  pouvons  que  le  répéter,  sont  purement  fantaisistes.  Rien  ne  permet 
soit  de  prouver,  soit  d'infirmer  leur  exactitude. 

(2)  Il  convient  cependant  de  citer  l'opinion  de  Bancroft  {The  Native  Races,  t.  II, 
p.  117).  «  While  the  positive  évidence  in  favour  of  this  migration,  from  the  south  is 
very  meagre,  it  must  be  ad  mitted  that  the  southern  origin  of  the  Nahua  culture  is  far 
more  consistent  with  fact  and  tradition,  than  was  the  North  Western  origin  so  long 
accepted.  » 


264  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

l'Asie  se  jetaient,  en  hordes  serrées,  sur  l'Inde  et  sur  la  Perse, 
puis  sur  les  diverses  contrées  de  l'Europe,  apportant  aux  vaincus, 
pour  prix  de  leur  défaite,  une  civilisation  assurément  supérieure 
à  celle  qu'ils  avaient  possédée  jusqu'alors. 

Les  peuples  qui  s'établissaient  successivement  dans  l'Amérique 
centrale  étaient  probablement  de  race  Nahuatl.  Les  études  pour- 
suivies avec  ardeur  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique  tendent,  de 
plus  en  plus,  à  rattacher  à  cette  souche  unique  les  Olmecs,  les 
Toltecs,  les  Miztecs,  les  Zapotecs,  les  Chichimecs  et  les  Aztecs  ; 
c'est  aux  diverses  branches  de  cette  race  conquérante,  que  sont 
dus  les  monuments  en  ruines,  qui  couvrent  aujourd'hui  encore 
le  Mexique,  le  Yucatan,  le  Honduras,  le  Guatemala,  le  Nicaragua 
et  que  nous  retrouvons  jusque  sur  l'isthme  de  Tchuantepec. 
LesMayak.  Lcs  prcuiicrs  cu  date  furent  les  Mayas,  qui  eux  aussi  étaient 
sortis  originairement  de  la  race  Nahuatl.  Nous  n'oserions  cepen- 
dant l'affirmer;  les  traditions,  les  monuments,  les  hiéroglyphes 
que  l'on  peut  attribuer  avec  quelque  certitude  aux  Mayas,  s'éloi- 
gnent de  ceux  des  Nahuas  (1),  et  leur  langue  présente  des 
différences  non  moins  notables.  Ce  dernier  fait  serait  un  argu- 
ment péremptoire,  si  on  ne  savait  avec  quelle  rapidité  s'altèrent 
et  se  transforment  les  dialectes  primitivement  sortis  d'une 
souche  commune  (2),  et  si,  à  côté  de  ces  différences,  il^n'y  avait 
lieu  de  relever  de  remarquables  ressemblances,  le  monosylla- 
bisme  des  mots  et  la  construction  des  phrases  par  exemple  (3). 
La  seule  conclusion  permise  à  l'heure  actuelle,  c'est  que  si  les 
Mayas  et  les  diverses  branches  des  Nahuas  sortaient  de  la  même 
souche,  leur  séparation  avait  sûrement  précédé  de  bien  des 
siècles  l'invasion  espagnole. 

(1)  Kingsborough,  Ânt.  of  Mexico,  t.  III.  —  Prescott,  Hist.  of  the  Conquest  of 
Mexico,  t.  I,  p.  104.  —  Bancroft,  The  Native  Races,  t.  II,  p.  772. 

(2)  Le  senor  Orozco  y  Berra  a  reconnu  quinze  dialectes  se  rattachant  au  Maya. 
Parmi  eux  nous  mentionnerons  le  Quiche,  le  Tzendal  et  le  Cakchiquel.  Le  Maya  ou 
ses  dérivés  se  parlaient  dans  le  Tabasco,  le  Chiapas,  le  Guatemala,  une  partie  du  San 
Salvador,  du  Honduras  et  du  Nicaragua.  On  croit  aussi  en  retrouver  quelques  traces  à 
Cuba,  à  Haïti  et  dans  les  diverses  îles  des  Indes  Occidentales  {Geog.  de  las  Lingnas, 
p.  98,  Mexico,  1864). 

(3)  Bancroft,  /.  c,  t.  III,  p.  759. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.         26o 

Les  Mayas  vivaient  sur  les  côtes  de  l'Atlantique  ;  ils  émigrè- 

rent,  probablement  à  la  suite  de  défaites,  et  abordèrent  à  Cuba. 


Fig.  113.  —  Spécimen  des  hiéroglyphes  de  l'Amérique  centrale. 

Plus  tard,  ils  revinrent  sur  le  continent  et  s'établirent  au  Chia- 
pas, sur  les  bords  de  la  rivière  Usumacinta,  au  milieu  d'un  pays 
riche  et  fertile  (1).  Leur  empire  resta  longtemps  florissant;  la 


(1)  Orozco  y  Barra,  /.  c,  p.  128. 


266  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

domination  de  leurs  chefs  ou  des  rois  leurs  sujets  (1)  s'étendait 
sur  la  plus  grande  partie  de  l'Amérique  centrale  (2)  ;  Nachan,  la 
ville  des  serpents;  dont  les  ruines  de  Palenque  attestent  la  splen- 
deur, était  leur  capitale  ;  Mayapan,  Tulan  et  Copan,  les  capitales 
des  états  tributaires  qui  formaient  l'empire  de  Xibalba  ou  des 
Chanes  (serpents)  (3). 

Telles  sont  les  seules  données  un  peu  sérieuses  que  nous  pos- 
sédions. Les  légendes  ajoutent  des  détails,  où  quelques  faits 
vrais  se  mêlent  à  bien  des  fables.  L'empire  Maya  avait  été  fondé 
plusieurs  siècles  avant  notre  ère,  rapporte-t-on,  par  un  envoyé 
des  dieux,  appelé  Votan  (4).  Les  traditions  les  plus  anciennes 
le  font  venir  des  pays  où  il  fait  de  l'ombre^  de  l autre  côté  des 
mers.  A  son  arrivée  les  habitants  des  vastes  territoires  qui  s'éten- 
dent entré  l'isthme  de  Panama  et  la  Californie  vivaient  dans  une 
condition,  que  l'on  ne  saurait  mieux  comparer  qu'à  celle  des  tri- 
bus sauvages  de  l'âge  de  pierre  en  Europe.  Des  cavernes  natu- 
relles, des  huttes  faites  avec  quelques  branches  d'arbres,  leur 
servaient  d'abri  ;  ils  avaient  pour  seuls  vêtements  les  dépouilles 
des  bêtes  sauvages  que  la  chasse  leur  procurait  ;  ils  se  nourris- 
saient des  fruits  que  la  terre  produisait  spontanément,  des  racines 
qu'ils  arrachaient,  de  la  chair  crue  des  animaux,  qu'ils  dévo- 
raient sanglante  (5).  La  légende  a  conservé  jusqu'à  nous  le 
nom  des  Quinames,  géants  barbares  et  sauvages,  dont  le  seul 
souvenir  frappait  encore  d'horreur  et  d'effroi  les  Indiens,  même 
durant  la  domination  espagnole  (6).  Ce  sont  ces  hommes  sans 

(1)  Les  Mayas  eurent  jusqu'à  trois  royaumes  tributaires  dont  les  capitales  étaient 
Tula  ou  Tulan  que  l'on  place  généralement  à  deux  lieues  d'Ococingo,  Mayapan  dans  le 
Yucatan  et  Copan. 

(2)  Brasseur  de  Bourbourg,  Hist.  des  nations  civilisées,  du  Mexique  et  de  V Améri- 
que centrale.  —  Bancroft,  /.  c,  t.  II,  p.  523  et  s.  ;  t.  III,  p.  460  et  s.  ;  t.  V,  p.  157  et  231. 

(3)  Bancroft,  l.  c,  t.  V,  p.  619.  —  Brasseur  de  Bourbourg,  le  Popol-Vuh. 

(4)  Votan,  le  chef  du  peuple  des  Chanes,  était  venu  selon  la  tradition  de  l'autre  côté 
de  la  mer  des  Antilles  ;  on  place  son  arrivée  dix  siècles  av.  J.-C.  Peut-être  y  a-t-il  eu 
plusieurs  Votan,  et  les  descendants  du  premier  ont-ils  conservé  son  nom  comme  un 
titre  d'honneur. 

(5)  Torquemada,  Mon.  Iwliana,  t.  I,  c.  15,  20. 

(6)  «  Los  Quinametin  gigantesque  vivian  en  esta  renconada  que  se  dice  ahora  Nueva 
Espana.  »  Ixtlilxochitl,  Relaciones,  Kingsborough,  A7it.  of  Mex.,  t.  IX,  p.  322.  On  croit 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  267 
doute  qui  luttaient  contre  les  grands  pachydermes,  les  grands 
édentés  qui  avaient  parcouru  si  longtemps  en  maîtres  les  forêts, 
les  pampas  et  les  marais  des  deux  Amériques. 

Toutes  les  tribus  américaines  ne  paraissent  pas  avoir  vécu, 
avant  l'arrivée  de  Votan,  dans  un  pareil  état  de  dégradation. 
Des  ruines  d'une  étendue  considérable  se  rencontrent  dans  le 
Guatemala.  Ce  sont  des  pierres  brutes,  d'une  dimension  com- 
parable aux  constructions  cyclopéennes  de  la  Grèce  ou  de  la 
Syrie;  aucune  tradition  ne  se  rapporte  à  leur  origine.  On  les 
attribue,  avec  quelque  raison,  à  une  race  refoulée  par  la  con- 
quête et  bien  supérieure,  comme  civilisation,  aux  populations 
que  Votan  rencontrait  dans  l'Amérique  centrale. 

Ce  fut  par  la  guerre  que  Votan,  placé  après  sa  mort  au  rang 
des  dieux,  établit  sa  domination  ;  ce  fut  par  la  guerre,  que  sa 
dynastie  affermit  son  pouvoir.  Les  légendes  ont  porté  jusqu'à 
nous  une  longue  suite  de  victoires  et  de  défaites,  de  luttes  intes- 
tines et  de  guerres  extérieures,  d'alliances  rompues  et  de  révoltes 
des  peuples  tributaires  (1)  ;  puis,  selon  la  loi  générale  qui  régit 
l'humanité,  l'empire  décline,  les  invasions  se  succèdent  et  les 
luttes  des  Mayas  contre  les  envahisseurs  de  leur  patrie  sont  celles 
d'un  peuple  vieux  et  usé,  ne  sachant  plus  se  défendre  contre  des 
races  plus  jeunes  et  plus  vigoureuses.  Le  résultat  ne  pouvait 
être  douteux.  Parmi  les  nations  soumises,  les  unes  acceptèrent 
une  domination  nouvelle  ;  les  autres  se  retirèrent  dans  le  Yucatan 

aussi  avoir  retrouvé  quelques  traces  d'une  langue  plus  ancienne  que  le  Maya,-  le 
Nahua,  ou  leurs  dérivés.  «  Les  Cholulains  chantaient  dans  leurs  fêtes,  en  dansant  au- 
tour des  teocallis,  un  cantique  commençant  par  les  mots  Tulanian  hululaez,  qui  n'ap- 
partiennent à  aucune  des  langues  actuelles  du  Mexique.  Dans  toutes  les  parties  du 
globe,  sur  le  dos  des  Cordillères  comme  à  l'île  de  Samothrace  dans  la  mer  Egée,  des 
fragments  de  langues  primitives  se  sont  conservés  dans  les  rites  religieux.  »  Hum- 
boldt.  Vues  des  Cordillères,  t.  I.  p.  115.  —  Bancroft,  /.  c,  t.  III,  p.  724. 

(1)  Un  manuscrit  traduit  par  don  J.  Ferez,  intitulé  Katunes  de  V histoire  Maya,  donne, 
selon  son  traducteur,  l'kistoire  des  Mayas  de  14i  à  1536  (ap.  J.-C),  selon  le  professeur 
Valentini  qui  compte  d'une  manière  différente  les  Ahnu  ou  cycles,  de  142  à  1544.  Les 
Katunes  ne  renferment  que  les  faits  de  guerre,  comme  si  les  périodes  de  paix  eussent 
été  indignes  d'occuper  l'attention.  Ce  manuscrit  avait  échappé  à  l'autodafé  général 
ordonné  par  les  Espagnols  en  156!).  Le  nom  de  Katunes  (de  Kat,  piei-re  et  tun,  interro- 
ger) était  donné  dans  le  Yucatan  aux  pierres  gravées,  portant  des  dates  ou  des  ins- 
ci'iptions  relatives  aux  événements  historiques.  Ces  pierres  étaient  incrustées  dans  les 


268  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

et  dans  le  Guatemala,  où  leurs  descendants  opposèrent  une  hé- 
roïque résistance  aux  Conquistadores  (1). 

Nous  ne  savons  que  peu  de  choses  sur  la  religion,  les  mœurs 
ou  les  coutumes  des  Mayas  (2).  Leurs  dieux  paraissent  avoir  été 
moins  sanguinaires  que  ceux  des  Nahuas.  L'immolation  d'un 
chien  suffisait  pour  tel  événement,  qui  chez  ceux-ci  aurait  été 
célébré  par  des  hécatombes  de  victimes.  Des  sacrifices  humains 
avaient  cependant  lieu  ;  on  choisissait  de  préférence  les  prison- 
niers de  guerre  ;  à  leur  défaut,  les  parents  s'empressaient 
d'amener  leurs  enfants,  comme  l'offrande  la  plus  agréable  aux 
dieux  (3).  On  rapporte  aussi  une  distinction  remarquable  ;  la  di- 
gnité de  sacrificateur  était  une  des  plus  élevées  auxquelles  un 
Mexicain  pût  prétendre;  chez  les  Mayas,  au  contraire,  elle  était 
réputée  impure  et  dégradante  (4). 

A  Chichen  Itza  (5),  ces  sacrifices  étaient  plus  nombreux.  Une 
fosse  profonde  remplie  d'eau  avait  été  creusée  au  centre  de  la 
ville.  Un  autel,  auquel  on  arrivait  par  un  escalier  taillé  dans  le 
roc,  s'élevait  au  bord  même  du  précipice.  Des  arbres,  des  bosquets 
l'entouraient  de  toutes  parts;  et  pour  ajouter  à  l'effroi  que  ce 
lieu  inspirait  naturellement,  un  silence  perpétuel  devait  tou- 
jours y  régner.  Aux  temps  des  premiers  successeurs  de  Votan, 
pour  se  conformer  aux  ordres  de  l'envoyé  des  dieux,  on  n'of- 
frait que  des  animaux,  des  fleurs  ou  de  l'encens;  mais  peu  à 

murs  des  édifices  publics.  Tout  fait  croire  que  les  inscriptions  n'étaient  pas  très  an- 
ciennes. Salisbury,  Am.  Ant.  Soc,  21  oct.  1879.  —  Stephens,  Yucatan,  app.,  t.  I  et  II. 

(1)  A.  de  Remesal,  Hist.  de  la  Prov.  de  S.  Vincente  de  Chynpa.  Madrid,  1619, 
p.  264.  —  Juarros,  Hist.  of  the  Kingdom  of  Guatemala.  London,  1824,  p.  14.  —  Ban- 
croft,  /.  c,  t.  I,  p.  647  et  s.  ;  t.  V,  p.  616. 

(2)  On  ne  cite  que  trois  manuscrits  Mayas.  Le  codex  Peresianus  conservé  à  la 
Bibliothèque  Nationale,  le  Codex  de  Dresde  connu  depuis  le  xviii*  siècle,  longtemps 
décrit  comme  un  manuscrit  Aztec  et  qui  a  été  publié  dans  le  grand  ouvrage  de  lord 
Kingsborough  ;  le  manuscrit  Troano  enfin  (du  Sefior  Tro  y  Ortolano,  un  de  ses  posses- 
seurs) trouvé  à  Madrid  en  1865.  Quelques  doutes  subsistent  à.  l'égard  de  ce  dernier  et 
aussi  à  l'égard  d'un  manuscrit  ayant  figuré  en  1881  à  l'exposition  américaine  de  Madrid 
et  que  l'on  regarde  comme  une  suite  du  manuscrit  Troano. 

(3)  Diego  de  Landa,  Relacion  de  los  Cosasde  Yucatan,  p.  166.  Paris,  1864. 

(4)  ((  El  oficio  de  abrir  el  pecho  a  los  sacrificados  que  en  Mexico  era  estimado,  aqui 
era  poco  honroso.  »  Herrera,  Hist.  Gen.,  déc.  IV,  1.  X,  c.  iv. 

(5)  Capitale  des  Itzas,  une  des  nations  Mayas  du  Yucatan. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  269 
peu,  le  peuple  revint  à  des  sacrifices  plus  odieux;  et  dans  les 
années  qui  précédèrent  la  chute  deVempire  de  Xibalba,  si  quel- 
que calamité  menaçait  la  nation,  si  la  récolte  manquait,  si  la 
pluie,  indispensable  dans  la  terra  caliente,  faisait  défaut,  la  foule 
se  pressait  autour  de  l'autel  et  cherchait  à  apaiser  par  des  vic- 
times humaines  la  colère  des  dieux.  Ces  victimes  étaient  ordinai- 
rement des  jeunes  vierges  ;  elles  marchaient  triomphalement 
au  supplice,  revêtues  d'ornements  somptueux,  entourées  d'un 
pompeux  cortège  de  prêtres  et  de  prêtresses.  Pendant  que  les  fu- 
mées de  l'encens  s'élevaient  vers  le  ciel,  les  prêtres  leur  expli- 
quaient les  faveurs  qu'elles  devaient  demander  aux  dieux,  devant 
qui  elles  allaient  paraître.  Puis,  au  moment  où  l'encens  s'étei- 
gnait sur  l'autel,  elles  étaient  précipitées  dans  l'abîme,  pendant 
que  la  foule  prosternée  continuait  ses  ardentes  supplications. 

Au  Nicaragua,  chacun  des  dix-huit  mois  qui  formaient 
l'année  s'ouvrait  par  des  fêtes.  Le  grand  prêtre  annonçait  le 
nombre  des  victimes  qui  devaient  être  immolées  et  le  choix 
qu'il  avait  fait  soit  parmi  les  prisonniers,  soit  parmi  les  ha- 
bitants eux-mêmes  (1).  Le  malheureux  ainsi  désigné  était  im- 
pitoyablement saisi  et  étendu  sur  l'autel;  le  sacrificateur  tournait 
trois  fois  lentement  autour  de  lui,  en  chantant  des  hymnes 
funéraires  ;  puis  il  s'approchait  vivement,  ouvrait  la  poitrine, 
arrachait  le  cœur  et  se  baignait  le  visage  dans  le  sang  en- 
core fumant.  Quand  la  victime  était  un  prisonnier,  on  dépeçait 
immédiatement  le  corps  ;  le  cœur  appartenait  au  grand  prêtre, 
les  pieds  et  les  mains  aux  chefs,  les  cuisses  au  guerrier  qui 
avait  eu  l'honneur  de  la  capture,  les  entrailles  aux  sonneurs 
de  trompette  ;  les  membres  étaient  distribués  au  peuple  ;  on 
suspendait  enfin  la  tête  à  une  branche  d'arbre,  comme  un 
religieux  trophée.  Si  c'était  un  enfant,  offert  ou  vendu  par 
ses  parents,  le  corps  était  enterré,  l'usage  ne  permettant  pas 
aux  assistants  de  se  nourrir  de  la  chair  d'un  des  leurs.  Ces 
sacrifices    qui    remontaient  à  la  plus   haute    antiquité    durè- 

(1)  Pierre  Martyr  d'Anghiera,  De  Orbe  novo,  déc.  VI,  lib.  VI. 


270  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

rent  jusqu'à  la  conquête.  Herrera  (1)  rapporte  que  plusieurs 
prisonniers  espagnols  furent  ainsi  dévorés,  et  Albornoz  ajoute 
que,  dans  le  Honduras,  les  Indiens  finirent  par  s'en  abstenir, 
la  chair  de  ces  étrangers  étant  trop  dure  et  trop  coriace. 

Les  sacrifices  étaient  toujours  suivis  de  plusieurs  jours  de 
fêtes,  de  danses,  de  festins,  d'ivresse  brutale  (2).  Les  maris 
devaient  s'abstenir  de  tout  commerce  avec  leurs  femmes  et  les 
dévots  se  perçaient  la  langue,  les  oreilles,  diverses  parties  de 
leurs  corps  et  barbouillaient  de  leur  sang  les  lèvres  et  la 
barbe  des  idoles  (3).  D'autres  fois,  le  sang  était  tiré  du  mem- 
bre viril,  et  on  en  arrosait  des  grains  de  maïs  que  les  assistants 
se  disputaient  avec  ardeur  dans  une  pensée  aphrodisiaque  (4)  ; 
au  Guatemala,  on  sacrifiait,  avant  tout  combat,  une  femme  et 
une  chienne.  L'horreur  qu'inspirent  ces  détails  sera  notre 
excuse  pour  ne  pas  les  multiplier.  Nulle  part  plus  que  chez 
les  premiers  Américains,  la  barbarie  humaine  ne  s'est  donné 
plus  libre  carrière  et  la  cruauté  des  bourreaux  n'était  égalée 
que  par  le  stoicïsme  des   victimes. 

Ces  dieux,  que  l'on  prétendait  honorer  par  ces  odieux  sacri- 
fices, restent  inconnus  pour  nous,  et  jusqu'à  présent  on  ne  sait 
que  peu  de  choses  de  la  mythologie  des  Mayas.  Leurs  idoles 
représentent  tantôt  des  hommes,  tantôt  des  animaux.  Pierre 
Martyr  parle  d'un  immense  serpent,  fabriqué  avec  des  pierres 
et  du  bitume,  et  érigé  dans  le  Yucatan  ;  nous  savons  aussi  que  les 
Itzas,  vivement  frappés  du  cheval  de  Cortès,  s'empressèrent  de 
le  modeler  en  pierre  et  de  le  placer  parmi  leurs  idoles. 

Les  Mayas  n'avaient  aucune  connaissance  du  fer;  le  cuivre  et 
l'or  étaient  les  seuls  métaux  qu'ils  employassent  et  encore  est-il 
peu  certain  qu'ils  se  servissent  d'un  procédé  quelconque  de  fu- 


(1)  Hist.  Gen.  de  los  Hechos  de  los  Castillanoi  en  las  Islas  e  Tierra  Firme  delMar 
Oceano,  déc.  I,  lib.  V,  c.  v  ;  déc.  III,  1.  IV,  c.  vu  ;  déc.  IV,  I.  VIII.  c.  ix;  1.  XCIV. 

(2)  Les  Mayas  connaissaient  plusieurs  boissons  fermentées.  Les  Itzas  en  préparaient 
une  avec  un  mélange  de  cacao  et  de  maïs.  Sur  d'autres  points,  on  faisait  fermenter  du 
miel,  du  jus  d'ananas,  des  figues  ou  d'autres  fruits. 

(S)  Ovicdo  y  Valdes,  Hist.  gen.  y  natural  de  las  Indias.  Madrid,  1851-4,  t.  IV,  p.  52. 
(4)  Hen-era,  /.  c.  —  Pierre  Martyr,  Le.  ■ 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  271 
sion.  Christophe  Colomb,  raconte-t-on,  rencontra  sur  la  côte  du 
Honduras  une  barque  chargée  de  creusets,  remplis  de  métal 
fondu  et  de  haches  en  cuivre  que  l'on  avait  été  chercher  au 
loin.  L'or  était  très  répandu  au  moment  de  la  conquête  es- 
pagnole, et  on  l'utilisait  pour  des  ornements  de  toute  sorte.  Les 
armes  étaient  des  frondes,  des  lances,  des  flèches,  des  dards 
armés  de  pointes  en  silex,  en  obsidienne,  en  porphyre,  en 
cuivre  ou  en  os  (1).  Les  guerriers  portaient  des  vêtements  de 
coton  fortement  rembourrés  et  quelquefois  d'un  poids  si  lourd 
que  le  soldat  tombé  ne  parvenait  pas  toujours  à  se  relever;  leurs 
boucliers  de  forme  ronde  étaient  ornés  de  plumes  voyantes  et 
couverts,  soit  avec  des  étoffes  de  coton,  soit  avec  la  peau  des  ani- 
maux qu'ils  tuaient.  Les  peuples  Mayas  connaissaient  la  naviga- 
tion. Oviedo  rapporte  que  les  habitants  du  Nicaragua  se  ser- 
vaient pour  traverser  les  rivières  de  balsas,  véritables  radeaux 
formés  de  cinq  ou  six  morceaux  de  bois,  liés  avec  des  lianes 
et  supportant  un  plancher  de  branches  entrelacées  (2).  Les 
Chiapanecs  employaient  des  calebasses  pour  le  même  usage. 
Sur  d'autres  points,  nous  voyons  des  races  plus  avancées  :  les 
Guatémaliens  creusaient  des  troncs  de  cèdre  ou  d'acajou,  et 
les  canots  se  comptaient  par  milliers,  sur  leurs  lacs  et  sur  leurs 
rivières.  Les  habitants  du  Yucatan  utilisaient  de  la  même  façon 
des  troncs  d'arbres,  et  les  barques,  qu'ils  dirigeaient  avec  une 
grande  adresse  à  l'aide  de  rames,  pouvaient  contenir  jusqu'à 
cinquante  personnes.  On  prétend  aussi  qu'ils  avaient  des  ba- 
teaux à  voile  ;  une  balsa  rencontrée  par  Pizarre  vers  le  deuxième 
degré  de  latitude,  la  barque  accostée  par  Christophe  Colomb 
auraient  été  ainsi  gréées  (3)  ;  mais  ces  faits  sont  fortement  con- 


(1)  Cortès,  Cartm  y  Relaciones  al  Emperador  Carlos  V.  Paris,  1866.  —  Herrera 
{Hist.  Gen.,  dcc.  III,  1.  IV,  c.  v  et  vi)  parle  d'idoles  et  de  haches  en  or.  CoguUudo 
{Hist.  de  Yucathan,  Madrid,  1688)  dit  à  son  tour  des  figurines  de  poissons  et  d'oies 
et  Brasseur  de  Bourbourg  (Hist.  des  nul.  civ.,  t.  II,  p.  6i)J  des  vases  finement  ciselés 
tous  en  or. 

(2)  Hist.  Gen.,  t.  III,  p.  100. 

(3)  Herrera,  Hist.  Gen.,  déc.  I,  lib.  V,  c.  v.  —  CogoUudo,  Hist.  de  Yucathan,  p,  4. 
Aujourd'hui  encore,  les  Haidahs,  qui  habitent  les  îles  de  la  Reine-Charlotte,  construi- 


272  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

testés,  et  nous  savons  seulement  que  cette  dernière  barque 
était  de  la  longueur  des  galères  espagnoles,  large  de  huit 
pieds,  qu'elle  était  montée  par  vingt-cinq  hommes  et  que  vers 
le  milieu  on  avait  construit  un  toit  en  joncs,  pour  garantir  du 
soleil  les  femmes  et  les  enfants. 

Les  demeures  de  ces  hommes  offraient  la  plus  extrême  va- 
riété. Cette  variété  n'a  rien  qui  puisse  surprendre,  si  nous  con- 
sidérons la  grande  étendue  de  l'empire  de  Xibalba  et  les 
peuples  très  divers  qui  lui  étaient  soumis.  Les  Quiches  et  les 
Cakchiquels  qui  habitaient  les  terres  hautes  du  Guatemala 
plaçaient  leurs  villes,  comme  les  Cliff-Dvvellers,  sur  des  points 
d'accès  difficile  et  les  entouraient  de  murs  élevés  et  de  fossés 
profonds.  Grijalva  et  Cordova,  les  premiers  Espagnols  qui  pa- 
rurent sur  les  côtes  du  Yucatan,  parlent  de  maisons  bâties  en 
pierres  reliées  avec  du  mortier  de  chaux,  de  toits  en  roseaux  ou 
en  feuilles  de  palmier,  parfois  môme  en  dalles  de  pierre  (1), 
Ces  maisons  n'avaient  point  de  porte,  et  chacun  pouvait  entrer 
et  sortir  librement. 

Dans  le  Nicaragua,  les  murs,  comme  ceux  des  jacals  des 
Indiens,  étaient  en  cannes.  Les  maisons  des  chefs  étaient  érigées 
sur  des  plates-formes  artificielles,  ayant  souvent  plusieurs  pieds 
de  hauteur.  Cortès  nous  apprend  (2)  que  celle  qu'il  habitait, 
auprès  du  golfe  de  Dulce,  se  composait  d'un  simple  toit 
soutenu  par  des  poteaux.  Les  temples,  par  une  exception  qu'il 
faut  noter,  n'étaient  guère  plus  somptueux  que  les  demeures 
des  hommes.  Ils  étaient  construits  en  bois  et  couverts  en 
roseaux.  Les  images  des  dieux  reposaient  dans  des  chambres 
souterraines  fort  obscures.  Devant  chaque  temple  s'élevait  une 

sent  dos  barques  semblables  qui  peuvent  contenir  jusqu'à  cent  personnes,  et  ils  ne 
craignent  pas  avec  ces  barques  d'entreprendre  de  longues  navigations. 

(1)  Juan  de  Grijalva,  Cronica  de  la  Ordende  N.  P.  S.Augustin.  Mexico,  1624.  —  «  Las 
casas  son  de  piedro  y  ladrillo,  con  la  cubierta  de  paja  o  rama,  y  dun  alguna  de  lanchas 
de  piedra.  »  Gomara,  Hist.  de  Mexico,  Anvers,  1554,  f"  23.  —  «  The  houses  were  of  stone 
or  brick  and  lyrae  very  artificially  composed.  To  the  square  courts  or  first  habitations 
of  their  houses,  they  ascended  by  ten  or  twelve  steps.  The  roof  was  of  reeds  or  stalks 
ofherbs.  »  Purchas,  His  Pilgrimes,  London,  1625-6. 

(2)  Cartas,  p.  268,  426,  447. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  273 
pyramide  tronquée,  semblable  à  celles  de  la  Floride  ou  du 
Mississipi.  C'était  là  que  les  sacrifices  s'offraient,  à  la  vue  de  tout 
le  peuple  (1). 

Nous  avons  résumé  tout  ce  qui  est  actuellement  connu  du 
peuple  Maya.  Les  temples,  les  palais,  dont  les  ruines  sont  en- 
core debout,  diront  mieux  ses  goûts  artistiques  et  son  organi- 
sation sociale;  avant  d'aborder  leur  étude,  il  nous  faut  parler 
des  Nahuas  qui  se  précipitaient  à  leur  tour  sur  des  pays  dont 
la  renommée  publiait  la  richesse. 

Il  faut  comprendre,  nous  l'avons  dit,  sous  le  nom  de  Nahuas,  Les  Nahuas. 
les  tribus  évidemment  de  même  origine,  qui  dominèrent  suc- 
cessivement l'Anahuac  (2).  Les  Toltecs  (3)  furent  les  premiers  à 
établir  un  gouvernement  régulier  qui  s'étendit  peu  à  peu  sur  les 
pays  voisins.  Ils  arrivèrent  vers  le  sixième  siècle  de  notre  ère  ; 
plus  tard,  ils  furent  remplacés  par  les  Chichimecs,  qui  à  leur  tour 
devaient  être  vaincus  par  la  coalition  des  Aztecs,  des  Acolhuas 
et  des  Tepanecs.  Enfin  les  Aztecs,  vainqueurs  de  leurs  alliés,  res- 
tèrent les  seuls  maîtres  du  Mexique  jusqu'à  la  conquête  espagnole. 
Du  sixième  au  seizième  siècle,  la  domination  Nahuatl  [présente 
donc  trois  périodes  distinctes,  celle  des  Toltecs,  celle  des  Chichi- 
mecs et  celle  des  Aztecs.  Entre  ces  temps,  il  faut  placer  de  nom- 
breuses invasions  de  peuplades  qui,  poussées  comme  par  une 
force  irrésistible,  se  précipitaient  vers  ce  centre  commun  (4). 

Ces  peuplades  appartenaient  à  la  même  race  ;  toutes  parlaient 
des  dialectes  se  rattachant  à  la  même  souche  (5),  C'est  là  un 

(1)  Oviedo,  Hist.  Gen.,  t.  IV,  p.  37.  —  Pierre  Martyr,  déc.  VI,  lib.  V. 

(2)  Le  préflx  A  placé  devant  Anahuac  paraît  être  l'abréviation  d'Atl,  eau.  Anahuac  se 
traduirait  donc  par  le  pays  des  Nahuas  sur  l'eau.  Il  est  difficile  de  fixer  l'étendue  de 
ce  pays  ;  il  a  varié  considérablement  selon  les  temps.  Nous  pensons  qu'il  faut  le  res- 
treindre entre  18"  et  21"  sur  l'Atlantique,  enti-e  14"  et  19°  sur  le  Pacifique.  Becker, 
On  the  Migration  of  ihe  Nahuas  ;  Cong.  des  Americanistes .\^\i\&Taho\xr%,  1877. 

(.3)  Le  nom  même  de  Toltecs,  que  nous  reproduisons,  faute  d'un  meilleur,  ne  repose 
que  sur  des  données  fort  insuffisantes.  Sahagun,  un  des  plus  anciens  historiens  espa- 
gnols, fut,  croyons-nous,  le  premier  à  l'employer.  Hist.  Gen.  de  las  Cosas  de  Nueva 
Espana. 

(4)  M.  Bancroft  énumère  avec  son  exactitude  ordinaire  ces  diverses  peuplades  ;  nous 
ne  pouvons  qu'y  renvoyer  le  lecteur  (TAe  Native  Races,  t.  II,  p.  103  et  s.). 

(5)  Ce  point  a  été  et  est  très  contesté  :  «  From  acareful  examination  ofthe  early  au- 

De  Nadaillac,  Amérique.  18 


274  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

point  important;  l'identité  ou  la  parenté  des  langues  est  un 
fait  ethnologique  incontestable  qui  établit  la  parenté  des  na- 
tions (1). 

Tout  ce  passé  est  peu  connu  ;  à  partir  de  la  destruction  de 
l'empire  de  Xibalba,  les  données  de  la  chronologie  sont  des  plus 
confuses;  et  l'histoire  de  l'Amérique  centrale  est  enveloppée  dans 
un  profond  mystère,  qu'il  n'a  été  possible  de  pénétrer  que  très 
imparfaitement. 

Les  anciennes  races  américaines  gardaient  la  tradition'  de 
longues  migrations,  dont  le  souvenir  est  conservé  dans  leurs 
hiéroglyphes  et  dans  leurs  pictographies.  Selon  ces  traditions, 
c'était  d'une  contrée  située  au  JNord  ou  au  Nord-Ouest  que  venaient 
les  Nahuas  (2).  Ce  pays  appelé  Huehue-Tlapallan  dans  le  Popol- 
Vuh  ;  Tulan  Zutivapav  d'autres  historiens  (3),  serait  le  même  que 
le  pays  A' Amaquemecan,  le  lieu  d'origine  des  Chichimecs. 

Ferdinand  Alva  de  Ixtlilxochitl,  descendant  chrétien  des  rois 
du  pays,  a  prétendu  retracer  l'antique  histoire  de  sa  race  (4).  Il 
est  trop  facile  d'y  retrouver  les  influences  religieuses  des  mission- 
naires espagnols,  pour  que  son  récit  mérite  une  grande  créance. 
Sept  familles  selon  lui  furent  sauvées  du  déluge.  Leurs  descen- 
dants après  de  longs  et  pénibles  voyages  se  fixèrent  à  Huehue- 
Tlapallan,  pays  fertile  et  agréable  à  habiter,  ajoute  notre  histo- 
rien (5).  Leur  séjour  fut  long  et  mêlé  de  fortunes  diverses;  ils 
furent  enfin  obligés  de  quitter  leur  patrie  d'adoption  à  la  suite  de 
défaites  multipliées,  et  c'est  alors  qu'ils  descendirent  vers  le  sud 

thorities,  I  can  but  entertain  the  opinion  that  the  Toltec,  Ghichimec  and  Aztec  langua- 
ges  are  one.  »  Ces  conclusions  de  M.  Bancroft  {l.  c,  t.  III,  p.  724)  sont  aussi  les 
miennes. 

(1)  F.  von  Hellwald,  T lie  American  Migrations.  Smith.  Coût.,  1866. 

(2)  C'est  la  version  de  tous  les  historiens  espagnols  et  nous  citerons  parmi  eux 
Duran,  Veytia,  Torquemada,  Vetancurt,  Clavigero.  M.  Bancroft  cependant  (t.  V,  p.  219, 
616  et  s.)  fait  venir  ces  différentes  populations  du  sud.  Nous  sommes  obligés  de  dire 
que  les  raisons  qu'il  donne  ne  paraissent  nullement  concluantes. 

(3)  On  a  cherché  à  identifier  Tulan-Zuiwa,  avec  les  sept  caves  qui  jouent  un  grand 
rôle  dans  les  traditions  aztèques. 

(4)  Relaciones  et  Hist.  Chichimeca.  Kingsborough.  Ant.  of  Mex.,  t.  IX. 

[h]  Bancroft  {Le,  t.  V,  p.  208,  218)  résume  toute  cette  histoire  plus  légendaire  que 
sérieuse. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.       275 
pour  se  créer  une  patrie  nouvelle.  Le  fait  dominant  de  toutes  les 
•légendes  recueillies  est  l'arrivée  d'étrapgers  blancs,  barbus,  por- 
tant des  vêtements  noirs,  selon  toutes  les  probabilités  des  mis- 
sionnaires Bouddhistes  (1)  qui  vinrent  prêcher  aux  Nahuas  des 


Fig.  114.  —  Quetzacoatl.  (Musée  ethnographique  du  Trocadéro.) 

doctrines  nouvelles  (fig.  114).  Nous  n'avons  sur  ce  point  que  les 
données  les  plus  vagues  et  les  plus  confuses,  et  nous  savons  seule- 
ment que  le  chef  de  ces  hommes  fut  appelé  Quetzacoatl  [le  ser- 
pent couvert  de  plumes)  (2)  et  adoré  par  les  populations  comme 

(1)  Nous  dirons  au  chap.  x,  tout  ce  que  l'on  rapporte  sur  les  missionnaires  Bouddhistes. 

(2)  Les  premiers  écrivains  espagnols  ont  voulu  voir  dans  Quetzacoatl  saint  Thomas, 
qui  des  Indes  serait  passé  en  Amérique.  Les  légendes  qui  le  concernent  sont  nombreu- 
ses et  leur  diversité  permet  de  supposer  qu'on  lui  attribue  les  actions  imaginaires  ou 


276  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

l'incarnation  de  Tonacateatl,  le  serpent-soleil,  le  créateur  de 
toutes  choses,  le  dieu  suprême  de  la  mythologie  Nahuatl.  C'est 
à  Quetzacoatl  que  se  rapportent  tous  les  mythes,  toutes  les  tradi- 


ng. 115.  —  Quetzacoatl. 

lions  des  Nahuas;  de  nombreux  temples  lui  étaient  dédiés  ;  ses 
attributs  étaient  sculptés  sur  les  bas-reliefs,  et  son  image  (fig.  115) 
se  trouve  sous  les  aspects  les  plus  divers,  en  terre  cuite  ou  en 

réelles  de  plusieurs  dieux  Mayas  ou  Nahuas.  Tout  est  confusion  à  cet  égard.  Bancroft, 
/.  c,  t.  III,  p.  4.^0-451  et  s.  —  Muller,  Amerikanischen  Urreligionen.  Basel,  1867, 
p.  486  et  s. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.        277 
pierre,   sur  tous  les  points  où  des  fouilles  ont  été   tentées  (1) 

Les  querelles  religieuses  paraissent  avoir  été  ardentes  ;  les 
luttes  renaissaient  sans  cesse  entre  les  sectateurs  du  dieu  Votan 
et  les  sectateurs  du  dieu  Quetzacoatl,  et  toujours  les  vaincus  pé- 
rissaient dans  de  cruels  supplices,  ou  étaient  réduits  à  fuir  leur 
patrie. 

Malgré  les  luttes  étrangères  et  les  discordes  civiles,  la  monar-  les  loitecs. 
chie  Toltèque  est  restée  dans  le  souvenir  des  peuples  Nahuas 
comme  l'apogée  de  leur  grandeur.  Les  Toltecs,  nous  dit-on, 
étaient  grands,  bien  proportionnés,  de  couleur  jaune  clair;  les 
yeux  étaient  noirs,  les  dents  très  blanches,  les  cheveux  noirs  et 
luisants,  les  lèvres  épaisses,  le  nez  aquilin  et  le  front  fuyant.  Ils 
avaient  la  barbe  peu  fournie,  et  peu  de  poils  sur  le  corps  ;  la  bouche 
avait  une  expression  de  douceur,  le  front  était  sévère.  Ils  étaient 
braves,  mais  cruels,  ardents  à  la  vengeance  et  sanguinaires  dans 
leurs  rites  religieux.  Intelligents,  disposés  à  s'instruire,  ils  avaient 
les  premiers  créé  des  routes  et  construit  des  aqueducs  ;  ils  savaient 
utiliser  certains  métaux,  filer,  tisser  et  teindre  les  étoffes  ;  tailler  les 
pierres  précieuses  ;  bâtir  de  solides  demeures,  avec  des  pierres 
liées  par  de  la  chaux  ;  établir  de  véritables  villes,  ériger  enfin  des 
tumuli  que  nous  ne  pouvons  mieux  comparer  qu'à  ceux  des 
Mound  Builders  (2).  C'est  à  eux  que  la  reconnaissance  populaire 
attribue  l'invention  de  la  médecine  ;  le  bain  de  vapeur,  temazcalli, 
et  certaines  plantes  (3)  auxquelles  on  supposait  des  vertus  cura- 
tives,  étaient  les  remèdes  les  plus  usités.  Dans  les  villes,  nous  dit- 
on,  le  roi  entretenait  des  hôpitaux  richement  dotés,  oii  les  pau- 
vres étaient  admis  et  soignés  gratuitement  (4). 

(1)  Tous  les  musées  de  l'Europe  et  de  l'Amérique  sont  remplis  des  représentations 
de  Quetzacoatl;  celles  du  Louvre  ont  été  décrites  par  M.  de  Longpérier  (Notice  sur  les 
monuments  exposés  dans  la  salle  des  Ant.  Américaines).  Le  nouveau  musée  ethnolo- 
gique du  Trocadéro  n'est  pas  moins  riche,  grâce  à  l'obligeance  de  son  savant  direc- 
teur, le  D'  Hamy.  Nous  avons  pu  lui  emprunter  une  curieuse  figure  de  Quetzacoatl 
(fig.  114)  représenté  assis,  les  jambes  croisées,  comme  les  images  de  Bouddha. 

(2)  Bancroft,  /.  c,  t.  I,  p.  24. 

(3)  «  Casi  todos  sus  maies  curan  con  yei-uas.  »  Gomara,  Hist.  de  Mexico,  Anvers, 
1554,  f  117. 

(4)  {<  En  las  cuidades  principales...  habea  hospitales  dotadas  de  rentas  y  vasallos, 


278  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  données  que  l'on  possède  sur  le  commerce  de  ces  peuples 
sont  assez  vagues.  On  sait  cependant  qu'il  était  important.  A  cer- 
taines époques  de  l'année,  de  véritables  foires  se  tenaient  à 
Tollan  et  à  Cholula  ;  les  produits  des  régions  baignées  par  les 
deux  Océans  s'y  rencontraient  à  côté  de  nombreux  objets,  fabri- 
qués par  les  Toltecs  eux-mêmes.  Ces  objets  étaient  des  plus  variés  ; 
si  le  fer  leur  était  complètement  inconnu,  les  Toltecs  travaillaient 
l'or,  l'argent,  le  cuivre,  l'étain  et  le  plomb  (1).  Leur  orfèvrerie 
est  restée  célèbre,  et  le  petit  nombre  d'ornements  précieux  échap- 
pés à  la  rapacité  des  Conquistadores  excite  encore  une  légitime 
admiration.  Ils  abattaient  les  arbres  avec  des  haches  en  cuivre, 
ils  sculptaient  les  bas-reliefs  et  les  hiéroglyphes  avec  des  outils 
en  pierre  (2).  On  utilisait  pour  cet  usage  le  silex,  le  porphyre,  le 
basalte  et  surtout  l'obsidienne,  l'w^/z  des  Mexicains.  Les  émerau- 
des  (3),  les  turquoises,  les  améthystes,  dont  on  rencontrait  sur 
divers  points  des  gisements  abondants,  étaient  recherchés  pour 
la  parure  des  hommes  et  des  femmes.  On  fabriquait  à  Cholhula 
une  poterie  renommée,  les  vases  et  les  ustensiles  nécessaires 
pour  les  usages  de  chaque  jour,  des  encensoirs  et  d-es  idoles  pour 
les  temples  des  dieux,  des  ornements  communs  pour  le  peuple. 

Les  armes  des  Toltecs  rappelaient  celles  des  Mayas.  Comme 
ceux-ci,  ils  portaient  des  vêtements  rembourrés  en  coton,  vérita- 
bles armures  impénétrables  aux  flèches  et  aux  javelots.  Leur 
bouclier  rond  chimalli  était  formé  de  bambous  légers  et  flexibles  ; 
ceux  des  chefs  étaient  ornés  de  plaques  d'or,  insignes  de  leur  r^ing. 

La  crémation  des  cadavres  paraît  avoir  été  très  anciennement 
usitée.  On  rapporte  que  les  Nahuas  brûlaient  les  corps  de 
leurs  chefs,  pour  pouvoir  transporter  leurs  cendres  comme  des 
reliques  sacrées,  dans  leurs  longues  migrations  ;  Ixtlilxochitl  cite 
un  roi  Chichimec  tué  à  la  guerre  et  dont  le  corps  fut  brûlé  sur 

donde  se  resabian  y  curaban  los  enfermes  pobres.  »  Las  Casas,  Hist.  Apol.  Msc.  cxii 
cité  parBancroft,  t.  II,  p.  597. 

(1)  Ixtlilxochitl,  Relaciones.  Kingsborough,  t.  IX,  p.  332. 

(2)  Prescott,  Conquest  of  Mexico,  t.  I,  p.  l40. 

(3)  «  Gli  smeraldi  erano  tanto  comuni,  che  non  v'era  signore  che  non  ne  avesse.  » 
Clavigero,  St.  Ant.   del  Messico,  t.  II,  p.  206-7. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  279 
le  champ  de  bataille  (1).  Le  corps  de  Topiltzin,  le  dernier  roi  de 
race  Toltèque,  fût  également  brûlé.  Pour  les  gens  du  peuple, 
l'enterrement  était  le  mode  usuel  (2)  ;  telle  était  la  destination  des 
centaines  de  tumuli  qui  existent  aujourd'hui  encore  auprès  de 
Teotihuacan  (3).  Chez  les  Chichimecs,  au  contraire,  la  crémation 
était  Fusage  général (4).  Des  sacrifices  humains  (5)  accompagnaient 
les  funérailles  ;  les  femmes  étaient  brûlées  vives  sur  le  bûcher 
de  leurs  maris  ;  et  elles  acceptaient  avec  joie  cette  mort  cruelle, 
car  elle  leur  ouvrait  la  première  sphère  céleste,  oii  elles  devaient 
suivre  leurs  époux.  Si  elles  se  refusaient  à  ce  sacrifice,  leur  vie 
future  devait  s'écouler  dans  le  Mictlan,  séjour  triste  et  solitaire. 

Les  Toltecs  formaient  une  grande  confédération  de  tribus, 
sous  le  gouvernement  de  chefs  héréditaires.  Par  une  condition 
assez  étrange  et  dont  nous  ne  savons  aucun  autre  exemple  dans 
l'histoire  des  peuples,  les  rois  ne  pouvaient  régner  que  durant 
un  cycle  d'années  [Xuihmolpillï).  Ce  cycle  était  fixé  à  52  ans,  et 
dès  que  ce  terme  assez  long,  il  faut  en  convenir,  était  arrivé,  le 
roi  descendait  du  trône  et  remettait  à  son  successeur  les  orne- 
ments royaux.  Une  autre  obligation,  peu  en  rapport  avec  les 
mœurs  des  Nahuas,  chez  qui  le  concubinage  était  licite,  était  im- 
posée au  roi;  il  ne  pouvait  avoir  qu'une  seule  femme,  et  si  elle 
mourait  avant  lui,  il  lui  était  interdit  de  se  remarier,  et  même 
d'entretenir  une  concubine.  Un  second  mariage  était  aussi 
interdit  aux  reines  (6). 

Les  traditions  qui  restent  de  la  magnificence  des  monarques 
Toltèques  sont  intéressantes.  Le  palais  de  Quetzaeoatl  (7)  renfer- 
mait quatre  salles  principales  ;  la  première  s'ouvrait  à  l'est  et 

(1)  Relaciones.  l.  c,  p.  325,  327,  332,  388. 

(2)  «  La  gente  menuda  comunmente  se  enterrana.  »  Gomara,  /.  c,  f"  308. 

(3)  Sahagun,  Hist.  Gen.,  t.  III,  1.  X,  p.  141.  —  Ixtlilxochitl,  /.  c,  p.  327. 

(4)  Torquemada,  Monarquia  Indiana.  Madrid,  1723,  t.  I,  p.  60,  72,  87. 

(5)  Les  victimes  étaient  généralement  des  prisonniers  faits  à  la  guerre.  On  immo- 
lait aussi  aux  funérailles  royales  ceux  qui  étaient  nés  dans  les  cinq  jours  complémen- 
taires de  l'année  réputés  de  mauvais  augure.  Ixtlilxochitl,  /.  c,  p.  379  et  388.  —  Veytia, 
Hùt.  Antigua  de  Mejico.  Mexico,  1836,  t:  III,  p.  8  et  s. 

^6)  Bancroft,  t.  II,  p.  265. 

(7)  Nous  aurions  déjà  dû  remarquer  que  la  terminaison  tl,  si  caractéristique  dans  les 
mots  de  la  langue  Nahuatl,  se  retrouve  dans  les  dialectes  indiens  de  la  côte  du  Pacifique. 


280  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

était  appelée  la  salle  dorée  ;  les  murs  étaient  couverts  de  plaques 
.    d'or  finement  ciselées  ;  la  salle  des  émeraudes  et  des  turquoi- 
ses était  à  l'ouest  et,  comme  son  nom  l'indique,  les  parois  étaient 
incrustées  de  pierres  précieuses  d'un   éclat  incomparable  ;  les 
murs  de  la  salle  du  sud  étaient  ornés  de  coquilles  aux  couleurs 
brillantes,  enchâssées  dans  des  plaques  d'argent  ;  la  salle  du  nord 
enfin  était  en  jaspe  rouge  travaillé  avec  goût.  Dans  un  autre  palais, 
les  murs  de  chacune  des  salles  disparaissaient  sous  des  tentures  de 
plumes  ;  dans  l'une,  les  plumes  étaient  jaunes,  dans  une  autre 
bleues,  arrachées  aux  ailes  d'un  oiseau  appelé  Xeuhtototl;  dans 
la  salle  du  sud,  les  plumes  étaient  blanches  ;  rouges  dans  celle  du 
Nord(l). 
^'^  raecs!^'''        ^  ^^^^  ^^^  Toltecs,  daus  les  régions  montagneuses  du  Nord  du 
Mexique,  vivaient  de  nombreuses  tribus  sauvages  (2).  Ces  hommes, 
pour  la  plupart  de  race  Nahuatl,  et  partis  des  mêmes  lieux  d'ori- 
gine que  les  Toltecs,  étaient  plongés  dans  une  complète  barbarie. 
Ils  méprisaient^toute  espèce  de  culture  et  leur  unique  occupation 
était  de  poursuivre  le  gibier  à  travers  les  forêts  qui  couvraient 
une  grande  partie  de  leur  territoire  et  jusque  sur  la  cime  des 
plus  hautes  montagnes.  Toute  viande  leur  était  bonne,  le  loup, 
les  félidés,  la  belette,  la  taupe,  la  souris  ;  à  leur  défaut,  les  lézards, 
les  couleuvres,  les  sauterelles,  les  vers  de  terre  (3).  Les  historiens 
espagnols  rapportent  qu'au  xvi®  siècle  ils  erraient  complètement 
nus,  ou  vêtus  seulement  d'une  (peau  de  bête,  qu'ils  jetaient  sur 
leurs  épaules  avec  le  poil  en  dedans  en  hiver,  en  dehors  en  été. 
La  plupart  habitaient  des  cavernes,  des  anfractuosités  de  rocher; 
quelques-uns  d'entre  eux,    cependant,   savaient   se   créer   une 
demeure,  soit  en  plaçant  un  toit  en  feuilles  de  palmier  sur  des 
poteaux   enfoncés  dans  la  terre,  soit  en   empilant   des  troncs 
d'arbres  reliés  par  des  lianes.  Là  où  le  bois  faisait  défaut,  ils  le 
remplaçaient  par  de  l'argile  séchée  au  soleil  et  découpée  en 

(1)  Sahagun,  Hùt.  Gen.,  t.  III,  1.  X,  p.  107. 

(2)  Les  Pâmes,  les  Otomies,  les  Pintos,  les  Michocaques  et  les  Tarascos  étaient  les 
principales  tribus  confondues  sous  le  nom  général  de  Chichimecs. 

(3)  Jos.  de  Acosta,  Hist.  naturahj  moral  de  las  Yndias.  Sevllla,  1580. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  281 
adobes.  A  l'intérieur  de  ces  misérables  huttes,  pendaient  quel- 
ques nattes  en  jonc,  qui  avec  des  gourdes  et  des  poteries  de  fabri- 
cation fort  grossière,  composaient  tout  leur  mobilier  ;  sur  ces 
poteries  cependant,  un  certain  sentiment  artistique  se  fait  déjà 
jour,  et  des  figures  noires,  exécutées  non  sans  goût,  se  détachent 
souvent  sur  un  fond  rouge. 

Constamment  en  lutte  avec  leurs  voisins,  ils  se  livraient  à  des 
invasions  fréquentes  et  ils  savaient  repousser  avec  énergie  toute 
attaque  sur  leur  propre  territoire.  Leurs  armes  étaient  l'arc,  la 
sarbacane  avec  laquelle  ils  projetaient  de  petites  balles  en  terre 
cuite  qui  causaient  de  dangereuses  blessures  ;  et  surtout  une 
massue,  qui  était  entre  leurs  mains  une  arme  redoutable  (1). 
Les  guerriers  portaient  à  leur  ceinture  un  os,  et  sur  cet  os,  en 
témoignage  de  leur  bravoure,  ils  faisaient  une  marque  pour 
chaque  ennemi  qu'ils  avaient  tué.  Les  prisonniers  étaient  traités 
avec  une  cruauté  inouïe  ;  ils  périssaient  dans  les  plus  horribles 
supplices.  Souvent  le  vainqueur  les  scalpait  vivants  encore,  sur 
le  lieu  même  du  combat,  et  cette  chevelure  sanglante  devenait 
un  glorieux  trophée.  Les  têtes  des  victimes  étaient  portées  en 
triomphe  dans  tous  leurs  campements,  au  milieu  de  danses  et 
de  réjouissances  jqui  célébraient  la  victoire.  On  comprend  l'hor- 
reur et  l'effroi  avec  lesquels  les  Toltecs  considéraient  ces 
nomades,  ils  les  appelaient  des  barbares,  des  buveurs  de  sang, 
à  raison  de  leur  goût  pour  le  sang  de  leurs  victimes  et  de  leur 
habitude  de  se  nourrir  de  lambeaux  de  chair  pantelante.  Cette 
réputation  avait  survécu  à  leur  défaite,  et  après  la  conquête 
espagnole,  Zarfate  (2)  les  citait  comme  «  les  plus  grands  homi- 
cides et  les  plus  grands  voleurs  de  toute  la  terre.  »  Le  nom  même 
de  Chichimec,  dont  on  prétend  faire  remonter  l'étymologie  à 
chichi,  chien  (3),  était* une  grave  injure. 

Tout  grossiers  qu'ils  étaient,  les  Chichimecs  avaient  un  culte. 

(1)  Ixtlilxochitl,  Hist.  Chic,  l.  c,  p.  214.  —  Gomara,  l.  c,  p.  298.  —  Torquemada, 
/.  c,  p.  38. 

(2)  Reproduit  par  Alegre,  Hist.  de  la  Compania  de  Jésus  en  Nueva  Espana.  Mexico, 
1841,  t.  I,  p.  281. 

(Z)  Bancroft,  /.  c,  t.  II,  p.  126. 


282  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Ils  adoraient  le  soleil,  comme  le  dieu  suprême  (1)  ;  ils  adoraient 
aussi  la  foudre  représentée  par  le  dieu  Mixcoatl  [le  Serpent  des 
nuages)  qui,  semblable  au  Jupiter  antique,  était  figuré  avec  des 
traits  à  la  main  (2). 

Presque  toutes  ces  tribus  indépendantes,  toujours  en  guerre 
les  unes  contre  les  autres,  obéissaient  à  des  chefs  nommés  par 
elles.  Quelques-unes  ne  reconnaissaient  aucune  autorité  et  se 
contentaient  d'élire  un  guerrier,  pour  les  conduire  au  combat. 
Certaines  lois  paraissent  cependant  avoir  existé  parmi  ces 
races  sauvages  :  les  enfants  ne  pouvaient  se  marier  sans  le  con- 
sentement des  parents,  et  la  violation  de  cette  règle  entraînait 
la  mort  des  coupables.  Le  mariage  était  nul  si,  au  lende- 
main des  noces,  le  mari  déclarait  que  sa  femme  n'était  point 
vierge.  Herrera  rapporte  encore  que  les  Chichimecs  ne  pou- 
vaient avoir  qu'une  seule  femme  ;  il  est  vrai  qu'ils  la  répudiaient 
sous  le  plus  léger  prétexte,  pour  la  remplacer  par  une  autre. 
Ces  femmes  étaient  de  véritables  esclaves;  à  elles  incombaient 
tout  le  travail  de  la  maison,  la  préparation  des  aliments,  le  tis- 
sage de  quelques  grossières  étoffes,  la  fabrication  des  nattes  et 
de  la  poterie,  l'abatage  des  arbres,  le  transport  du  bois  et  de 
l'eau  nécessaires  à  la  famille.  Les  devoirs  rie  la  maternité  n'in- 
terrompaient pas  leurs  pénibles  labeurs  ;  pendant  qu'elles  s'y  li- 
vraient, elles  se  contentaient  de  suspendre  un  panier  à  un  arbre 
et  d'y  déposer  leurs  enfants  qu'elles  allaitaient  souvent  jusqu'à 
six  ou  sept  ans. 

Telle  est  la  peinture  que  font  les  historiens,  des  barbares  qui 
devaient  vaincre  les  Toltecs.  Ce  qui  paraît  plus  étrange  en- 
core, c'est  que  les  vainqueurs  adoptèrent  immédiatement  les 
usages,  les  mœurs,  la  civilisation  des  vaincus  ;  et  que  la  monar- 
chie Chichimèque  ne  fut  à  tout  prendre  que  la  continuation 
de  la  monarchie  Toltèque.  Pouvons-nous  admettre  que  vers  la 

(1)  Alegre,  /.  c,  t.  I,  p.  279. 

(2)  On  l'appelle  aussi  Iztac  Mixcoatl,  le  serpent  blanc  nébuleux;  des  recherches 
récentes  font  supposer  qu'il  était  le  même  que  Taras,  le  dieu  suprême  des  Tarascos,  ou 
Comaxtli,  le  dieu  des  Teochichimecs.  Brenton,  tfie  Myths  of  the  New  World.  New- 
York,  1868. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  283 
fin  du  onzième  siècle,  ou  au  commencement  du  douzième,  à  la 
suite  de  révolutions  et  de  luttes  encore  inconnues,  ces  tribus 
sauvages  obtinrent  la  suprématie  et  dominèrent  à  leur  tour  l'A- 
mérique centrale  ?  et  n'est41  pas  plus  naturel  de  croire  à  une  con- 
fusion dans  les  récits  des  chroniqueurs  espagnols,  seules  sources 
où  nous  puissions  puiser.  Cette  confusion  s'explique.  Le  nom  de 
Chichimec  fut  également  appliqué  et  aux  tribus  barbares  du 
Nord  et  aux  rois  de  Tezeuco.  Ce  seraient  ces  derniers,  alliés  peut- 
être  à  quelques  tribus  nomades,  qui  furent  les  véritables  vain- 
queurs des  Toltecs. 

La  civilisation  des  Tezeuans  n'était  ni  moins  brillante,  ni  ^esiezcuans. 
moins  avancée  que  celle  des  nations  qu'ils  étaient  destinés  à 
soumettre.  Les  rois  de  Tezeuco  étaient  aussi  magnifiques  que  les 
rois  Toltèques.  Ixtlilxochitl  (1)  donne  un  tableau  exagéré  peut- 
être  de  leurs  palais,  de  leurs  jardins,  des  lacs  qu'ils  avaient  créés 
à  grands  frais,  de  l'aménagement  ^es  forêts  réservées  à  leurs 
chasses.  Il  nous  a  conservé  le  nom  des  villes  chargées  du  ser- 
vice royal.  Vingt-huit  parmi  elles  devaient  fournir  les  hommes 
destinés  à  l'entretien  des  palais  ;  cinq  autres,  les  serviteurs  atta- 
chés à  la  personne  même  du  monarque,  huit  provinces  envoyaient 
les  jardiniers,  les  forestiers  et  les  laboureurs  (2). 

La  puissance  du  roi  Chichimec  qui  allait  envahir  les  pays 
Toltèques,  se  montre  plus  encore  par  le  nombre  de  ceux  qui  le 
suivaient  dans  cette  invasion.  Xolotl  avait  sous  ses  ordres,  selon 
notre  historien  (3),  3,202,000  hommes  ou  femmes,  et  encore 
a-t-il  soin  d'ajouter  qu'il  ne  comprend  point  parmi  eux  les  enfants 
qui  accompagnaient  leurs  mères.  Torquemada  (4),  sans  se  dissi- 
muler que  son  récit  peut  paraître  exagéré,  rapporte  que  les  pein- 

(1)  Hist.  Chichimeca.  Kingsborougb,  Ant.  of  Mex.,  t.  IX,  p.  251. 

(2)  Tezeuco  était  bâtie  sur  la  rive  orientale  du  lac  de  Mexico  ;  les  eaux  se  sont  retirées, 
et  la  ville  moderne  est  à  plusieurs  miles  de  distance.  Il  reste  peu  de  traces  de  sa  gran- 
deur passée.  Mayer  parle  de  substructures  en  adobes,  couvrant  des  carrés  de  400  pieds. 
On  les  regarde  comme  les  fondations  d'anciennes  pyramides  ;  tout  autour  on  a  re- 
cueilli des  fragments  de  poterie,  de  nombreuses  idoles,  des  éclats  d'obsidienne  et  di- 
vers autres  débris. 

(3)  L.  c,  p.  337,  375. 

(4)  Monarquia  Indiana,  1. 1,  p.  44. 


284  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

tures  historiques  qui  attestent  ces  faits  énumèrent  un  million  de 
guerriers  sous  les  ordres  de  six  grands  chefs  et  de  vingt  mille  ou 
même  de  vingt-deux  mille  chefs  d'un  rang  inférieur.  Ce  n'est  pas 
de  nos  jours  seulement,  que  des  nations  entières  se  ruent  les  unes 
sur  les  autres  (1). 

Les  Toltecs  affaiblis  par  le  luxe,  les  plaisirs,  les  débauches  les 
plus  honteuses,  décimés  par  des  maladies  pestilentielles,  aban- 
donnés par  des  alliés  qu'ils  avaient  opprimés,  par  leurs  propres 
sujets  eux-mêmes,  qui  à  la  suite  d'un  schisme  religieux  avaient 
émigré  en  grand  nombre,  vers  des  régions  plus  favorisées,  mon- 
trèrent dans  ce  dangersuprême  une  énergie  virile.  Leur  roi  Acxtitl 
appela  aux  armes  tous  ses  sujets  ;  les  vieillards  et  les  enfants  s'ar- 
mèrent; la  reine  Xochitl,  mère  du  roi,  fut  tuée  après  avoir  vail- 
lamment combattu  à  la  tête  d'une  légion  d'amazones.  Ces  efforts 
étaient  tardifs;  les  Toltèques  furent  complètement  défaits  et  pres- 
que exterminés  après  des  combats  répétés,  qui  durèrent  plusieurs 
jours  (2).  Tolan  leur  capitale  fut  pris  ;  le  pays  se  soumit  et  Xolotl 
prit  le  titre  de  Chichimecatl  Teciihtli,  le  grand  chef  des  Chichi- 
mecs  (3).  Pour  affermir  sa  puissance,  il  divisa  son  nouvel  empire 
en  plusieurs  provinces,  qu'il  donna  en  fief  à  ses  principaux  offi- 
ciers à  la  condition  de  lui  rendre  hommage,  et  par  une  politique 
habile,  il  voulut  que  son  fils  aine  Nopaltzin  épousât  une  prin- 
cesse issue  des  rois  Toltèques  (4). 

Il  n'entre  pas  dans  notre  intention  de  raconter  l'histoire  de 
l'empire  Chichimèque  (5).  C'est  une  suite  de  révoltes,  de  guerres 

(1)  Rien  n'est  plus  obscui*  que  la  date  de  cette  invasion.  Veytia  [Hist.  Ani.  Mej., 
t.  II,  p.  7)  fixe  à  1117  la  victoire  des  Chichimecs.  Ixtlilxochitl  semble  confondre  les 
faits,  ou  du  moins  il  leur  donne  plusieurs  dates  différentes  variant  de  962  à  1015 
{Ant.  ofMex.,  t.  IX,  p.  208,  337,  395,  451).  Clavigero  parle  de  1170.  D'autres  historiens 
veulent  que  la  chute  de  l'Empire  Toltèque  ait  précédé  l'invasion  Chichimèque.  Ils 
sont  aussi  peu  d'accord  sur  les  faits  que  sur  les  dates. 

(2)  Nous  suivons  le  récit  donné  par  Ixtlilxochitl;  celui  de  Veytia  (Hist.  Ant.  Mej., 
t.  I,  p.  302-3)  présente  de  notables  différences.  Il  en  est  de  même  de  celui  de  Brasseur 
de  Bourbourg  (Hist.  ries  nat.  civ.,  t.  I,  p.  405  et  s.). 

(3)  Ses  descendants  ajoutèrent  à  ce  titre  pompeux  celui  de  Huactlatohani,  Seigneur 
du  monde. 

(4)  Brasseur  de  Bourbourg,  /.  c,  1. 1,  p.  236. 

(5)  Nous  citerons  parmi  les  empereurs  Chichimecs  qui  succédèrent  à  Xolotl,  Nopaltzin 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  285 
sanglantes,  de  conspirations  et  de  bouleversements,  qui  devaient 
aboutir,  en  1431,  à  la  triple  alliance  des  Aztecs,  des  Acolhuas  et 
des  Tepanecs,  puis  au  triomphe  éphémère  des  Aztecs  vainqueurs 
de  tous  leurs  rivaux. 

Les  Tepanecs  et  les  Acolhuas  avaient  été  les  alliés  fidèles  de  Les  Aztecs. 
Xolotl  dans  ses  attaques  contre  les  Toltecs,  et  leurs  chefs  devin- 
rent les  vassaux  du  nouvel  empire.  Ils  étaient  depuis  longtemps 
établis  dans  l'Anahuac,  lorsque  les  Aztecs  y  arrivèrent.  Les 
uns  et  les  autres  faisaient  vraisemblablement  partie  de  ces 
nombreuses  immigrations  qui  se  succédèrent  dans  l'Amérique 
centrale  (1).  Ces  hommes  venaient  tous  d'un  pays  auquel  les 
récits  unanimes  des  chroniqueurs  donnent  le  nom  d'Azllan. 
Où  était  cette  terre,  cette  officina  gentium,  qui  durant  cinq 
siècles  et  plus,  envoie  vers  le  Sud  de  véritables  nations,  parlant 
toutes  le  même  langage,  acceptant  les  mêmes  rites,  les  mêmes 
fables  cosmogoniques,  obéissant  les  unes  et  les  autres  à  des  col- 
lèges sacerdotaux  strictement  hiérarchisés,  ayant  les  mêmes  di- 
visions du  temps,  les  mêmes  peintures  hiéroglyphiques,  le  même 
goût  pour  noter  et  enregistrer  les  événements  ;  des  hommes  qui  se 
comprennent  sans  difficultés  et  qui  reconnaissent  entre  eux  une 
origine  commune  ?  Il  est  peu  de  points  plus  obscurs  et  plus  con- 
troversés que  la  situation  d'Aztlan.  On  a  voulu  tour  à  tour  la 
chercher  en  Californie,  dans  le  Mississipi,  le  Nouveau-Mexique, 
la  Floride,  le  Zacatecas,  dans  d'autres  régions  encore.  Toutes  ces 
hypothèses  ont  été  mises  en  avant  et  toutes  peuvent  se  soutenir  ; 
rimportance  de  la  question  est  assurément  considérable,  car 
s'il  existe  un  lien  entre  les  Nahuas  elles  Mound-Builders,  c'est  à 
Aztlan  qu'il  faut  le  chercher  (2). 

son  fils,  Tlotzin-Pochotl  qui  régna  de  ISO.'i  à  1357,  Ixtlilxocliitl  qui  mourut  vers  1419, 
Tezozomoc  qui  usurpa  la  couronne  sur  le  fils  d'Ixtlilxochitl  et  qui  régna  8  ans,  Maxtla 
enfin  qui  s'empara  de  la  couronne  en  assassinant  son  frère  aîné.  Voy.  Bancroft,  L  c, 
t.  V,  ch.  V,  VI  et  VII. 

(1)  Bancroft,  l.  c,  t.  V,  p.  305.  —  F.  von  Hellwald,  The  American  Migration,  Smith. 
Cont.,  1866. 

(2)  Brasseur  de  Bourbourg  {Hist.  des  nat.  civilisées,  t.  II,  p.  292)  place  Aztlan  on 
Californie.  Humboldt  {Vues  des  Cordillères,  t.  II,  p.  179  et  Essai  polit,  sur  le  roy.  de 
la  Souv.-Espagne,  t.  I,  p.  53)  vers  42°  de  latitude.  Poster  {Preh.  Races,  p.  340). 


286  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  Aztecs  étaient  partis  d'AzlIan  en  même  temps  que  les  peu- 
ples qui  les  avaient  précédés  dansTAnabuac;  mais  la  tradition 
veut  qu'ils  s'arrêtèrent  longtemps  à  Chicomoztoc  (1).  Ce  ne  fut 
donc  que  bien  plus  tard,  entre  1186  et  1194,  si  nous  adoptons  la 
date  que  donne  le  Codex  Chimalpopoca  (2),  qu'ils  s'établirent  à 
Chapultepec.Leurscommencementsfurent difficiles;  vaincus  par 
leurs  voisins,  avec  qui  ils  étaient  en  guerre  continuelle,  ils  fu- 
rent forcés  de  quitter  le  pays  où  ils  s'étaient  établis  et  de  se 
réfugier  au  milieu  de  marais  presque  inaccessibles,  oii  surgis- 
saient çà  et  là  quelques  misérables  îlots  de  sable.  Ce  fut  sur  un 
de  ces  îlots  qu'ils  fondèrent  Tenotchitlan  ou  Mexico  (3).  La  chasse 
et  la  pêche  ne  pouvaient  longtemps  suffire  à  une  population  qui 
s'accroissait  rapidement.  A  force  de  travail,  ils  arrivèrent  à  créer 
des  jardins  flottants,  où  poussaient  le  mais  et  d'autres  plantes  (4). 
Puis  l'eau  du  lac  étant  saumâtre,  ils  obtinrent,  moyennant  un 

Vetancurt  [Teatro  Mexicano,  p.  II,  p.  20)  parlent  du  Nouveau- Mexique.  Fontaine 
(How  the  World  was  peopled,  p.  14!))  regarde  les  mounds  du  Mississipi  comme  les 
témoins  des  migrations  aztèques.  Prichard  {Nat.  fiist.  of  Man.  t.  II,  p.  514-6)  voit 
dans  les  Moquis  les  derniers  descendants  des  Aztecs.  Bandelier  dit,  en  parlant  de 
Chicomoztoc  (les  sept  caves).  «  Thèse  caves  are  in  Aztlan,  a  country  which  we  ail 
know  to  to  be  towards  the  North  and  connected  with  Florida.  »  (Heport  Peabody 
Mus.,  t.  II,  p.  95  et  s.)  Clavigero  {St.  Ant.  del  Messico,  t.  I,  p.  156)  cite  le  Colo- 
rado comme  l'eau  que  tous  les  récits  disent  avoir  été  traversée  par  les  émigrants, 
tandis  que  Boturini  {Idea  de  una  nueva  hist.  gênerai  de  la  America  Septentrional, 
p.  126-8)  prétend  qu'il  s'agit  du  golfe  de  Californie.  Bancroft  (/.  c,  t.  V,  p.  322) 
enfin,  qui  veut  voir  Aztlan  dans  le  sud  et  rapproché  de  l'Anahuac,  conclut  ainsi  : 
«  We  hâve  no  means  of  determining  in  a  manner  at  ail  satisfactory,  whether  Aztlan 
and  Chicomoztoc  were  in  Central  Amerrica  or  in  the  of  Zacatecas  and  Jalisco;  nor 
indeed  of  proving  that  they  were  not  in  Alaska,  in  New  Mexico,  or  on  the  Mississipi.  » 

(1)  M.  Bancroft  reproduit  toute  la  marche  des  Aztecs  ;  on  a  cru  voir  dans  Chicomoztoc 
les  sept  caves  célèbres  dans  toutes  les  légendes.  En  général,  on  place  Chicomoztoc  au 
môme  lieu  qu'Aztlan. 

(2)  En  11 40  ou  en  1189  selon  deux  dates  différentes  données  par  Ixtlilxochill  ; 
en  12'»5  selon  Clavigero;  en  1298,  selon  Veytia,  Gama  et  Gallatin  ;  en  1331  selon 
Gondra.  La  marge,  on  le  voit,  est  large.  Le  Codex  Chimalpopoca  est  daté  du 
22  mai  1538.  On  peut  consulter  Bancroft  {l.  c,  t.  V,  p.  192)  qui  donne  sur  toute  la 
question  des  détails  intéressants. 

(3)  On  place  cette  fondation  vers  13v5.  Dùrancité  par  Bancroft  (/.  c.,t.  I,  c.  iv-vi.)  — 
Veytia,  Hist.  ant.  de  Méjico,  t.  II,  p.  156.  —  Torquemada,  Mon.  Ind.,  t.  I,  p.  92, 
288  et  s.  —  Ixtlilxochitl,  /.  c,  t.  IX,  p.  461.  —  F,  de  Alvaredo  Tezozomoc,  Cron. 
Mexicnna,  Kingsborough,  t.  IX. 

(4)  Bandelier,  Rep.  Peabodij  Mus,,  t.  Il,  p.  403. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  287 
tribut  annuel,  le  droit  de  chercher  sur  la  terre  ferme  l'eau  douce 
qui  leur  manquait  complètement. 

Tels  furent  les  humbles  commencements  des  Aztecs  ;  leur  his- 
toire devient  ensuite  plus  confuse  encore  que  celle  des  peuples 
dont  nous  avons  parlé  (1).  Il  semble  qu'à  mesure  que  nous  ap- 
prochons de  la  fin  de  ce  drame  sanglant,  la  tradition  elle-même 
s'efface.  Comme  sous  la  domination  Chichimèque,  nous  voyons 
des  séries  de  guerres  et  de  révoltes,  de  luttes  et  de  soumissions  (2), 
au  milieu  desquelles,  la  puissance  des  Aztecs  grandit  toujours. 
Leur  alliance  avec  les  Acolhuas  et  les  Tepanecs  contre  le  dernier 
empereur  chichimèque  Maxtla,  et  la  défaite  de  celui-ci,  furent 
pour  eux  des  étapes  nouvelles.  A  la  suite  de  la  victoire,  une  con- 
fédération s'établit  entre  les  vainqueurs.  Nezahualcoyotl,  fils 
d'ixtlilxochitl,  sur  lequel  Tezozomoc  avait  usurpé  la  couronne, 
prit  à  son  tour  le  titre  de  Chichimecatl  Teciihtli.  Tezcuco  était  sa 
capitale  ;  la  capitale  des  Tepanecs  fui  Tlacolpan  ;  celle  des  Aztecs, 
comme  nous  l'avons  vu,  Tenotchitlan. 

A  partir  de  ce  moment  les  Aztecs  prirent  un  rapide  essor  ; 
des  marais  où  ils  avaient  trouvé  un  refuge  après  leurs  premiers 
désastres,  leur  puissance  s'étendit  jusqu'aux  rives  des  deux 
Océans.  Leurs  conquêtes  n'étaient  dues  qu'à  leurs  armes  victo- 
rieuses ;  aucune  ville  n'acceptait  volontairement  leur  joug  ;  au- 
cune nation  ne  recherchait  leur  alliance.  Les  peuples  durement 
opprimés  par  des  gouverneurs  étrangers,  accablés  de  taxes 
odieuses  (3),  pressurés  par  les  commerçants  mexicains,  très  ex- 

(1)  Une  des  causes  de  cette  confusion  est  la  rivalité  constante  des  deux  royaumes 
de  Tenotchitlan  et  de  Tezcuco  et  le  peu  de  soin  qu'ont  mis  les  premiers  chroniqueurs 
Espagnols  pour  distinguer  les  faits  relatifs  à  chacun  des  deux  pays. 

(2)  Brasseur  de  Bourbourg  donne  un  récit  très  complet  (/.  c,  t.  III,  p.  194  et  s.).  Mal- 
heureusement il  est  inexact  sur  une  foule  de  points.  Les  principales  guerres  soutenues 
par  les  Aztecs  furent  à  l'ouest  contre  le  royaume  de  Michoacan,  habité  par  les  Taras- 
cos,  rameau  des  Toltecs  ;  et  contre  les  Miztecs  et  les  Zapotecs  au  sud. 

(3)  On  payait  les  tributs  en  nature,  ils  se  composaient  de  grains,  de  vêtements  de 
coton,  de  pipes,  de  joncs,  d'aromates,  d'objets  les  plus  divers.  Certaines  villes  du  Paci- 
fique étaient  tenues  d'envoyer  chaque  année  4,000  balles  de  plumes,  2<  0  sacs  do  cacao, 
4(1  peaux  de  tigre,  et  160  oiseaux  d'une  espèce  rare.  Les  Zapotecs  étaient  astreints  à 
40  plaques  d'or  d'un  poids  fixé  et  à  20  sacs  de  cochenille.  Des  tribus  nomades  de- 
vaient fournir  des  urnes  remplies  de  poudre  d'or.  Les  villes  du  golfe  du  Mexique  en- 


288  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

perts  en  ce  genre  de  trafic,  se  révoltaient  sans  cesse.  Chaque  ré- 
volte nouvelle  était  noyée  dans  le  sang  ;  et  des  milliers  de  victimes 
humaines  périssaient  sur  les  autels  de  Mexico  en  l'honneur  de  la 
victoire.  On  comprend,  en  lisant  ces  détails,  la  haine  des  vaincus 
et  le  dévouement  que  montrèrent  les  alliés  de  Cortès  (1). 

Mexico,  dont  les  premières  maisons  avaient  été  quelques  misé- 
rables huttes  en  roseaux  ou  en  terre,  grandissait  avec  la  puissance 
de  ses  habitants,  et  bientôt  elle  fut  une  ville  digne  de  l'empire, 
dont  elle  était  la  capitale  (2).  De  tous  les  côtés  s'élevaient  les  palais 
des  rois,  les  temples  des  dieux  indigènes  ou  étrangers  (3)  ;  car, 
comme  dans  la  Rome  antique,  les  divinités  des  peuples  vaincus 
devenaient  celles  des  vainqueurs.  Des  travaux  plus  utiles  ne  fai- 
saient pas  défaut.  Des  chaussées  édifiées  par  les  nations,  tribu- 
taires ou  alliées,  permettaient  des  communications  faciles,  que 
venaient  compléter  des  ponts  larges  et  construits  selon  les  règles 
de  l'art  (4).  Une  digue  de  7  à  8  miles  de  longueur,  sur  une  lar- 
geur qui  varie  dans  les  divers  récits  de  30  à  60  pieds,  était  destinée 
à  mettre  Mexico  à  l'abri  des  inondations  (5).  Des  aqueducs  ame- 


voyaient  20,000  balles  de  plumes,  6  colliers  d'émeraudes,  20  anneaux  en  ambre  ou  en 
or  et  16,000  charges  de  caoutchouc.  Tous  devaient  contribuer  au  tribut,  et  ceux  qui  étaient 
trop  misérables  pour  le  faire  étaient  tenus  de  fournir  un  nombre  déterminé  de  serpents 
ou  de  scorpions.  On  raconte  que  Alonso  de  Ojeda  et  Alonso  de  Mata,  cités  parmi  les  com- 
pagnons de  Cortès,  comme  ceux  qui  entrèrent  les  premiers  dans  le  palais  royal  de 
Mexico,  aperçurent  des  sacs  empilés  avec  soin.  Ils  s'empressèrent  de  s'en  emparer, 
espérant  déjà  un  riche  butin.  Ces  sacs  étaient  pleins  de  poux  et  faisaient  partie  du 
tribut  d'une  province.  Torquemada  (/.  c,  t.  I,  p.  461)  à  qui  nous  empruntons  ce  fait 
ajoute  :  «  Ai  quien  diga,  que  non  eran  Piojos  sino  Gusanillos  ;  pero  Alonso  de  Ojeda  en 
sus  Mcmoriales  lo  certiflca  de  vista,  y  lo  mismo  Alonso  de  Mata.  »  On  peut  aussi  con- 
sulter Tezozomoc,  Cron.  Mex.,  Kingsborough,  t.  IX.  —  Clavigero,  .S^  ant.  del  Messico, 
t.  I,  p.  275.  —  Bancroft,  /.  c. ,  t.  II  p.  233  et  234. 
(l)Bancroft,  l.  c,  t.  V,  p.  481. 

(2)  Les  rois  ou  cliefs  mexicains  jusqu'à  la  conquête  espagnole  furent  Itzcoalt  -j-  1440, 
Montezuma  I"  f  1469,  Axayacatl  -j-  1481,  Tizoc  f  1486,  Ahuizotl  f  1503,  Montezuma  II 
f  1520. 

(3)  Torquemada  assure  qu'il  y  avait  plus  de  quarante  mille  temples  ou  teocallis  à 
Mexico. 

(4)  «  Hay  sus  puentes  de  muy  anchas,  y  muy  grandes  vigas  juntas  y  recias  y  bien 
labradas,  y  taies  que  por  muchas  délias  pueden  passar  diez  de  caballo  juntos  k  la 
par.  »  Cortès,  Cartas,  p.  203. 

(5)  Veytia,  t.  III,  p.  247.  —Torquemada,  t.  I,  p.  157.  —  Clavigero,  t.  I,  p.  233.  — 
Brasseur  de  Bourbourg,  t.  III,  p.  228.  . 


LES  PEUPLES  DE  L'AMERIQUE  CENTRALE.  289 
naienlTeau  nécessaire  aux  habitants,  et  dès  1446,  cette  eau  était 
conduite  par  dés  tuyaux  en  terre  cuite  de  Chapultepec  à  la  ca- 
pitale. 

La  prospérité  deTezcuco  ne  le  cédait  en  rien  à  celle  de  Mexico,   Les  rois  de 

^         -"^  _        _  ,  Tezcuco. 

et  la  figure  de  deux  de  ses  rois  vient  relever  la  monotonie  de  l'his- 
toire de  l'Anahuac.  Grâce  à  la  sage  administration  de  Nezahual- 
coyotl,  Tezcuco  était  devenu  le  centre  des  arts,  des  sciences,  de  la 
culture  intellectuelle  (1).  Le  roi  était  lui-même  un  poète  distingué. 
Ixtlilxochitl ,  son  descendant  direct,  a  conservé  quelques-unes  de 
ses  poésies,  célèbres  encore  au  temps  de  la  conquête.  Nous  ne 
voulons  reproduire  qu'une  strophe,  tirée  d'une  ode  sur  les  vicis- 
situdes de  la  vie  (2),  où  le  roi,  faisant  un  retour  sur  lui-même, 
s'écrie  :  «  Non,  tu  ne  seras  pas  oublié,  non,  le  bien  que  tu  as  fait 
ne  sera  pas  perdu  pour  les  hommes;  car  le  trône  que  tu  oc- 
cupes n'est-i]  pas  le  don  du  dieu  sans  égal,  le  puissant  créateur 
de  toutes  choses,  celui  qui  fait  et  qui  abaisse  les  princes  et  les 
rois  ?  »  Nous  ne  pouvons  continuer  cette  citation  ;  disons  seule- 
ment que  les  strophes  suivantes  montrent  les  mêmes  sentiments, 
que  nous  sommes  étonnés  de  trouver  chez  un  homme,  trop  faci- 
lement considéré  comme  un  barbare  ;  elles  respirent  le  dédain 
des  grandeurs,  dont  le  roi  avait  su  apprécier  le  néant  ;  elles 
permettent  d'accepter  jusqu'à  un  certain  point  le  récit  des  his- 
toriens espagnols,  qui  affirment  que  Nezahualcoyotl  adorait  un 
dieu  unique  et  invisible,  dont  l'image  ne  pouvait  être  retracée 
par  les  mortels. 

(1)  Sahagun  raconte  l'éducation  donnée  aux  fils  et  aux  filles  du  roi.  Il  cite  un  dis- 
cours adressé  par  Nezahualcoyotl  à  ses  enfants,  remarquable  par  l'élévation  des  senti- 
ments qui  s'y  montrent. 

(2)  Quatre  odes  sont  reproduites  dans  le  recueil  de  lord  Kingsborough  (t.  VIII, 
p.  110-115).  L'une  est  une  imprécation  contre  Tezozomoc  qui  avait  usurpé  le 
trône  des  ancêtres  de  Nezahualcoyotl,  une  autre  est  l'ode  sur  les  vicissitudes 
de  la  vie,  dont  nous  reproduisons  un  fragment;  la  troisième,  récitée  à  un  festin, 
est  une  comparaison  entre  les  rois  de  l'Anahuac  et  les  pierres  précieuses.  La  qua- 
trième enfin  célèbre  la  dédicace  d'un  palais  royal  et  s'étend  sur  la  nature  périssable 
de  la  grandeur  terrestre.  Bancroft  (t.  II,  p.  494)  donne  une  traduction  anglaise  de 
deux  de  ces  odes.  F.  W.  v.  Millier  {Reisen  in  den  Vereinigten  Staten  Canada 
und  Mexico.  Leipzig,  18G4,  t.  III,  p.  128-141)  reproduit  deux  autres  odes  qui  étaient 
restées  inconnues. 

De  Nadaillac.  Amérique.  19 


290  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Nezahuacoyotl  mourut  vers  1472;  il  laissa  un  seul  fils  légi- 
time, mais  plus  de  cent  enfants  de  ses  concubines  ;  ce  fils, 
Nezahuapilli,  lui  succéda  ;  il  se  montra,  comme  son  père,  habile  ta 
la  guerre,  d'une  justice,  toujours  sévère,  souvent  inexorable,  mi- 
séricordieux pour  les  petits,  généreux  pour  ses  sujets.  Comme  son 
père,  il  était  adonné  aux  plaisirs,  et  l'on  rapporte  qu'il  avait 
dans  ses  palais  plus  de  deux  mille  concubines  (1).  Parmi  ses 
femmes  était  une  fille  d'Axayacatl,  roi  de  Mexico;  elle  était 
fort  jeune,  et  il  lui  avait  été  assigné  un  palais  particulier,  jusqu'à 
ce  que  le  mariage  pût  être  consommé.  Elle  passait  pour  fort 
belle  et  le  roi  lui  faisait  de  fréquentes  visites;  chaque  fois,  il 
remarquait,  dans  la  salle  où  elle  se  tenait,  un  nombre  plus  con- 
sidérable de  statues  couvertes  de  riches  habits;  ne  voulant  pas 
contrarier  les  goûts  de  sa  femme,  il  ne  faisait  aucune  réflexion. 
Un  jour  il  vit  au  doigt  d'un  de  ses  principaux  courtisans  l'anneau 
de  la  reine.  Ses  soupçons  s'éveillèrent,  et  le  soir  même  il  se  rendit 
au  palais  de  Chalchiuhuenetzin.  La  reine  dormait,  selon  les  affir- 
mations de  ses  suivantes.  Nezahuapilli  pénétra  dans  sa  chambre  ; 
une  poupée,  revêtue  des  habits  de  la  reine,  avait  pris  sa  place  dans 
le  lit  royal.  Le  roi,  dont  les  soupçons  étaient  justement  éveillés, 
poursuivit  ses  recherches  et,  dans  une  pièce  secrète  du  palais,  il 
vit  la  jeune  reine  complètement  nue,  dansant  avec  trois  de  ses 
principaux  officiers.  Les  statues  étaient  celles  de  ses  amants,  et 
elle  avait  voulu ,  par  un  étrange  caprice,  les  faire  représenter 
dans  le  costume  qu'ils  portaient,  la  première  fois  qu'ils  avaient 
obtenu  ses  faveurs.  La  punition  fut  terrible;  malgré  le  respect 
dû  à  son  rang,  la  reine  fut  étranglée  ;  et  avec  elle  périrent  ses 
amants,  les  femmes  attachées  à  son  service  et  plus  de  deux  mille 
personnes  convaincues  de  complicité,  ou  de  connaissance  à  un 
degré  quelconque  de  ses  désordres  (2). 

Ce  n'est  pas  le  seul  exemple  de  sévérité  que  l'histoire  rapporte 
de  INezahualpilli.  Son  fils  aîné  avait  montré  des  talents  remar- 

(1)  Il  avait  également   plusieurs  femmes  légitimes.  La  fille  d'Âxacayatl,  dont  nous 
parlons,  était  du  nombre,  ainsi  que  trois  nièces  de  Tizoc. 

(2)  Torquemada,  1. 1,  p.  184.  —  Ixtlilxochitl,  Hist.  Chichimeca,  l.  c.,p.  265,  267,  271. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  291 
qiiables  comme  généraL  II  était  le  favori  du  roi  qui  venait  de  lui 
conférer  le  titre  de  Tlatecatl,  le  plus  grand  honneur  que  pût  re- 
cevoir un  Tezcuan.  Un  jour  il  fut  accusé  d'avoir  parlé  trop  libre- 
ment à  une  des  concubines  de  son  père.  Le  roi  voulut  interroger 
les  coupables,  et  le  fait  étant  prouvé,  il  n'hésita  pas  à  appliquer 
une  loi  qu'il  avait  faite  ;  il  condamna  son  fils  à  mort  et  le  fit 
exécuter  malgré  les  supplications  de  ses  courtisans  (1).  Un  autre 
de  ses  fils  avait  commencé  la  construction  d'un  palais,  sans  en 
avoir  obtenu  l'autorisation  et  sans  s'être  fait  remarquer,  à  la 
guerre,  par  une  des  actions  qui  seules  donnaient  aux  princes  le 
droit  de  posséder  un  palais  séparé  ;  il  le  fit  également  exécuter. 
Quelques  années  après,  Tezozomoc,  beau-père  de  Montezuma, 
fut  accusé  d'adultère  ;  les  juges,  par  égard  pour  le  roi  de  Mexico, 
l'avaient  seulement  condamné  au  bannissement.  Nezahualpilli 
le  fit  étrangler,  à  la  grande  irritation  des  rois  ses  alliés  (2). 

Les  dernières  années  de  la  vie  du  roi  de  Tezcuco  furent  tristes; 
une  prophétie,  à  laquelle  les  Tezcuans  ajoutaient  une  grande 
confiance,  assurait  que  le  dieu  Quetzacoatl  reviendrait  sur  la 
terre,  sous  les  mêmes  traits  que  lors  de  sa  première  apparition. 
Les  temps  marqués  par  cette  prophétie  étaient  arrivés  et  coïnci- 
daient avec  le  débarquement  des  Espagnols.  L'esprit  supersti- 
tieux du  roi  fut  singulièrement  frappé  de  ce  fait.  Dès  lors, 
il  s'enferma  dans  son  palais,  ne  s'occupa  plus  des  affaires  publi- 
ques et  refusa  même  de  recevoir  ceux  à  qui  il  avait  confié  la 
direction  de  l'Etat.  Sa  mort,  que  l'on  place  en  1515,  fut  longtemps 
ignorée,  et  une  légende  formée  autour  de  son  nom  s'est  perpétuée 
jusqu'à  nous;  les  Tezcuans  prétendaient  que  la  mort  n'avait  pu 
l'atteindre  et  qu'il  s'était  retiré  à  Amaquemecan,  le  pays  de  ses 
ancêtres  (3). 

La  mort  de  JNezahualpilli,  la  mésintelligence  qui  éclata  entre 

(1)  Torquemada,  Mon.  Ind.,  t.  I,  p.  165. 

(2)  Iitlilxochitl,  l.  c. 

(3)  Torquemada,  t.  I,  p.  216.  —  Ixtlilxochitl,  Hist.  Chic.  p.  28-2,  388,  410.  —  Tezozo- 
moc, Kingsborough,  t.  IX.  p.  178.  —  Fray  Diego  Duran  place  sa  mort  en  1509.  Hist.  de  las 
Indias  de  la  Nueva  Espana,  écrite  entre  1567  et  1581  et  publiée  à  Mexico  par  D.  Ra- 
mirez  en  1867. 


292  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ses  fils,  servaient  les  projets  ambitieux  de  Montezuma.  11  fut,  un 
instant,  le  maître  incontesté  de  l'Anahuac;  mais  la  fortune  l'aban- 
donna rapidement;  il  ne  sut  ni  résister  aux  Espagnols,  ni  traiter 
avec  eux,  ni  obtenir  le  dévouement  de  son  peuple.  L'empire 
des  Aztecs  était  condamné,  et  l'Anahuac,  comme  le  Nouveau- 
Monde  tout  entier,  allait  appartenir  à  d'autres  races  à  qui  par 
d'impénétrables  décrets  l'avenir  de  l'Amérique  était  réservé. 
Religion  et  L'idéc  religicusc,  autant  que  l'on  peut  en  juger  aujourd'hui,  se 
rencontre  chez  toutes  les  races  américaines,  avec  les  contrastes  les 


Fig.  116.  —  Idole  en  terra  cotta. 

plus  frappants.  Certaines  peuplades  n'avaient  pu  dépasser  le  féti- 
chisme, la  forme  la  plus  dégradée  et  la  plus  primitive  du  culte. 
L'idolâtrie,  qui  dominait  chez  les  nations  de  l'Amérique  centrale, 
était  déjà  une  forme  plus  élevée;  le  sauvage  adore  la  vague  de 
la  mer,  l'arbre  de  la  forêt,  l'eau  de  la  fontaine,  l'étoile  du  firma- 
ment, la  pierre  du  chemin  ;  il  investit  de  pouvoirs  surnaturels  le 
premier  objet  qui  frappe  ses  yeux  ou  son  imagination.  L'idolâtre 
lui  est  supérieur  ;  il  adore  non  la  matière  elle-même,  mais  le 
dieu  du  soleil,  de  la  mer,  de  la  forêt,  de  la  fontaine  ;  souvent 
il  revêt  ce  dieu,  devant  lequel  il  tremble,  de  formes  humaines 
(fig.  114,  115,  116),  et  il  lui  prête  les  passions  qui  sont  dans  son 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  293 
propre  cœur.  Le  monothéisme,  au  point  de  vue  purement  philo- 
sophique, est  un  progrès  considérable.  On  a  prétendu  que  les 
Aztecs  adoraient  un  dieu  invisible,  Teotl,  le  maître  suprême  (1); 
mais  ce  fait  est  contesté,  et  tout  prouve  au  contraire  que  le  poly- 
théisme existait  chez  eux  et  même  un  polythéisme  très  inférieur^ 
comme  conception,  à  celui  que  l'histoire  nous  montre  chez  les 
Egyptiens  ou  chez  les  Grecs  (2).  Le  nombre  des  divinités  secon- 
daires était  très  considérable  ;  chaque  tribu,  chaque  famille, 
chaque  profession  avait  ses  patrons,  et  croyait  honorer  ces  dieux 


Fig.  117.  —  Couteau  en  obsidienne  à  l'usage  des  sacrificateurs.  (Musée 
du  Trocadéro.) 

par  des  jeûnes  sévères,  une  chasteté  prolongée,  des  bains,  des 
purifications,  souvent  aussi  par  de  cruelles  mortifications. 

C'est  ainsi,  qu'avant  de  célébrer  la  fête  du  dieu  Camaxtli,  les 
prêtres  étaient  tenus  à  une  rigoureuse  abstinence,  qui  ne  durait 
pas  moins  de  cent  soixante  jours,  et  pendant  tout  ce  temps  ils 
devaient  se  percer  la  langue  avec  des  centaines  de  petits  bâtons 
pointus  variant  de  un  à  trois  centimètres  de  diamètre  (3). 


(1)  «  The  Aztecs  recognised  the  existence  of  a  suprême  Creator  and  Lord  of  the 
universe.  »  Prescott,  the  Conqw^st  of  Mexico,  t.  I,  p.  hl. 

(2)  «  Their  Mytbology,  as  far  as  we  knovv  it,  présents  a  great  number  of  unconnected 
Gods,  without  apparent  System  or  unity  of  design.  »  Gallatin,  Am.  Ant.  Soc.  Trans., 
t.  I,  p.  3.Î2. 

(3)  Las  Casas,  Hist.  Apologetica  de  las  Yndias  Occidentales,  c.  clxxii  et  clxxv. 
Kingsborough,  t.  VIII. 


294  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  fêtes  religieuses  étaient  fréquentes  chez  tous  les  peuples  de 
race  Nahuatl,  et  chacune  d'elles  était  accompagnée  de  sacrifices 
humains.  A  telle  fête,  selon  un  rite  strictement  observé,  des 
enfants  à  la  mamelle  étaient  offerts  au  dieu  qui  présidait  à 
la  pluie;  ils  devaient  être  immolés  sur  de  hautes  montagnes, 
ou  précipités  dans   le  lac   qui  baigne   la  ville  de  Mexico.   Le 


Fig.  118.  —  Collier  de  sacrifice.  (Musée  du  Trocadéro.) 


mois  suivant,  le  dieu  des  orfèvres  exigeait  des  sacrifices  non 
moins  sanglants.  Des  centaines  de  misérables  captifs  étaient  suc- 
cessivement amenés  aux  pieds  du  grand  prêtre  ;  leur  poitrine 
était  ouverte  avec  un  couteau  en  obsidienne  (fig.  117  et  118)  ;  leur 
cœur  arraché  et  offert,  tout  pantelant  encore,  à  l'idole.  A  d'au- 
tres fêtes,  s'il  est  permis  de  les  appeler  ainsi,  la  peau  du  malheu- 
reux était  arrachée  ;  des  gladiateurs  s'en  revêtaient,  pour  se 
livrer  à  des  combts  simulés;  ou  bien,  dans  un  élan  de  ferveur, 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  295 
des  prêtres  s'honoraient  de  porter  ces  dépouilles  (fig.  U9  et  120) 
jusqu'à  ce  qu'elles  tombassent  en  lambeaux  (1).  Le  hideux  tro- 
phée était  alors  suspendu  dans  le  temple  de  Yapico,  ou,  si  c'était 
un  prisonnier  pris  les  armes  à  la  main,  rendu  à  celui  qui  avait 
offert  la  victime.  Les  réjouissances  en  l'honneur  de  Mixcoatl,  le 
dieu  '^2)  de  la  chasse  et  du  tonnerre,  étaient  inaugurées  par  des 
battues,  où  les  animaux,  daims,  coyottes,  lièvres,  lapins,  tom- 


Fig.  119.  —  Prôtre  Aztec,  revêtu  d'une  peau  humaine. 

baient  sous  les  flèches  des  dévots.  Puis  venaient  les  inévitables 
sacrifices  humains;  on  allumait  enfin  un  grand  feu,  où  les 
hommes  jetaient]  des  pipes  ou  des  vases  (fig.  121),  les  femmes  des 
fuseaux,  dans  l'espérance  que  le  dieu  leur  rendrait  leurs  offrandes 
avec  usure,  dans  la  vie  qui  les  attendait  au  delà  de  la  tombe  (3). 

(1)  •  Ils  puaient  comme  des  chiens  morts,  »  ajoute  Sahagun  qui  nous  a  transmis  ce 
détail. 

(2)  Peut-être  faudrait- il  dire  la  déesse;  ce  point  est  très  controversé. 

(3)  Bancroft  (t.  II,  ch.  ix  et  t.  III,  p.  355-412)  donne  un  détail  très  exact  de  ces 
fêtes .  Nous  ne  pouvons  qu'y  renvoyer  le  lecteur  désireux  de  les  connaître  plus  com- 
plètement. 


296  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Au  jour  consacré  à  Xuihtecutli,  le  dieu  du  feu,  les  captifs 
étaient  portés  en  triomphe  sur  les  épaules  des  prêtres,  jusqu'à  la 
plate-forme  où  s'élevait  le  teocalli,  puis  précipités  dans  un  foyer 
ardent.  La  foule  accourue  de  toutes  parts  se  repaissait  avec 
transport  de  l'agonie  de  ces  malheureux  ;  et  des  danses,  des  ré- 


Fig.  120.  —  Vase  destiné  aux  sacrifices  (la  tête  est  celle  d"uu  sacrificateur  revêtu 
d'une  peau  humaine).  (Musée  du  Trocadéro.) 


jouissances,  des  festins,  où  la  viande  humaine  (1)  était  le  mets  le 
plus  recherché,  terminaient  la  journée.  A  Tlascala,  un  des  mois 
de  l'année  était  consacré  aux  plaisirs  sensuels.  Il  était  inauguré 

(I)  Les  morceaux  les  plus  délicats  étaient  réservés  aux  prêtres.  Une  partie  du  cada- 
vre devait  être  rendue  à  celui  qui  avait  offert  le  malheureux.  Sahagun  nous  apprend 
que  cette  viande  était  accommodée  avec  du  maïs.  Ce  mets  s'appelait  TlacatlaoUi  et  le 
maître  de  l'esclave  devait  s'abstenir  d'en  manger,  car  l'esclave  était  regardé  comme  un 
membre  de  la  famille. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  297 
par  le  sacrifice  de  nombreuses  vierges.  D'autres  fois,  un  jeune 
homme  et  une  jeune  fille,  choisis  pour  leur  beauté,  étaient  entre- 
tenus pendant  toute  une  année  avec  un  luxe  royal,  puis  traînés 
au  supplice,  comme  des  victimes  agréables  aux  dieux. 

Telles  étaient  les  fêtes  qui  se  renouvelaient  chaque  année.  Il  y 
avait  aussi  les  fêtes  extraordinaires,  une  victoire,  l'avènement 
d'un  roi,  la  dédicace  d'un  temple;  ces  derniers  événements 
étaient  fréquents  à  Mexico,  et  toujours  l'occasion  d'hécatombes 
de  victimes.  Si  une  défaite,  une  maladie  pestilentielle,  une  famine, 


Fig.  121.  —  Vase  trouvé  dans  l'île  de  Los  Sacrificios. 

un  tremblement  de  terre  venaient  frapper  les  Aztecs,  le  peuple 
réclamait  avec  ardeur  des  sacrifices  pour  apaiser  la  colère  des 
dieux. 

La  dédicace  par  Ahuizotl  du  grand  temple  de  Huitzilopochtli, 
en  1487  (1),  fut  marquée  par  l'immolation  de  72,344  malheu- 

(1)  La  légende  de  Huitzilopochtli,  le  dieu  de  la  guerre,  mérite  d'être  rapportée.  Une 
pieuse  veuve  vivait  à  Tula.  Un  jour  qu'elle  était  au  temple,  elle  vit  flotter  dans  les  airs 
une  petite  boule  de  plumes.  Elle  la  ramassa  et  la  mit  dans  son  sein.  A  son  retour  ello 
voulut  la  rechercher;  la  boule  avait  disparu.  Peu  de  temps  api-ès  elle  était  grosse. 
Ses  fils,  irrités  du  déshonneur  de  leur  mère,  voulaient  la  tuer,  lorsque  du  fond  de  ses 
entrailles,  une  voix  se  fit  entendre  :  «  Ne  crains  rien,  ma  mère,  car  tout  tournera  à  ta 
gloire  ;  »  et  au  même  instant  Huitzilopochtli  parut  portant  sa  lance,  son  bouclier  étin- 
celant  et  sa  couronne  de  plumes  vertes,  et  tombant  sur  ces  fils  dénaturés,  il  les  mit 
tous  à  mort.  De  ce  jour  il  fut  appelé  Tetsauhteoll,  le  dieu  terrible  (Bancroft,  t.  III, 
p.  28S). 


'2\)8  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

reux  (1)  ;  les  prêtres  étaient  fatigués  de  frapper  ;  il  fallait  successi- 
vement les  remplacer;  mais  le  peuple  ne  se  lassait  pas  de  cette 
effroyable  boucherie  ;  il  répondait,  par  des  exclamations  de  joie, 
aux  hurlements  de  ceux  qui  mouraient  (2).  Sous  Montezuma  II, 
12,000  captifs  périrent,  lors  de  l'inauguration  d'une  pierre  mysté- 
rieuse amenée  à  grands  frais  à  Mexico  et  destinée  à  former  l'autel 
des  sacrifices  (3).  Ces  sacrifices  touchaient  heureusement  à  leur 
fin  ;  en  1518,  au  moment  même  où  Juan  de  Grijalva  débar- 
quait sur  la  côte  où  s'élève  aujourd'hui  Vera-Gruz,  de  nombreux 
prisonniers  furent  immolés  en  l'honneur  de  la  dédicace  du  tem- 
ple de  Coatlan.  Ce  devait  être  la  dernière  de  ces  horribles  fêtes  ; 
les  Espagnols  vainqueurs  s'empressèrent  de  les  abolir  (4). 

En  dehors  des  sacrifices  extraordinaires  que  nous  venons  de 
raconter,  le  nombre  des  victimes  qui  périssaient  dans  les  satur- 
nales annuelles  dépasse  toute  créance.  Zumarraga,  le  premier 
évêque  de  Mexico,  dans  une  lettre  datée  du  12  juin  1531  et 
adressée  au  chapitre  général  de  son  ordre,  ne  l'évalue  pas  à 
moins  de  20,000;  Gomara  le  porte  même  à  50,000  (5).  Ces  chiffres 

(1)  Le  Senor  Orozco  y  Berra  montre  dans  les  annales  du  musée  national  de  Mexico, 
l'existence  de  sacrifices  humains  chez  les  Juifs,  les  Egyptiens,  les  Perses,  les  Phéni- 
ciens, les  Pélasges  et  bien  d'autres  nations  de  l'antiquité.  Des  recherches  récentes 
permettent  aussi  de  croire  que  le  nombre  des  victimes  a  été  singulièrement  exagéré 
par  ies  historiens  espagnols.  En  admettant  même,  ce  qui  nous  semble  probable,  cette 
exagération,  il  faut  aller  dans  l'intérieur  de  l'Afrique  pour  voir  de  pareilles  héca- 
tombes. 

(2)  Torquemada,  1. 1,  p.  186.  —  Vetancurt,  Teatro  Mex.,  t.  II,  p.  37.  D'autres  écrivains 
portent  le  nombre  des  victimes  à  60,460  et  celui  des  spectateurs  à  plus  de  six  millions 
(Bancroft,  t.  II,  p.  577  ;  t.  V,  p.  4i(i). 

(3)  Les  autels  destinés  aux  sacrifices  peuvent  se  ramener  à  trois  types  différents  : 
1°  le  Tehcatl  généralement  en  obsidienne  ou  en  serpentine,  de  forme  convexe  :  la  poi- 
trine de  la  victime  se  trouvait  ainsi  placée  de  manière  à  faciliter  la  tâche  du  sacrifi- 
cateur. Sa  hauteur,  rapporte  Duran  [Hist.  de  las  Yndias  de  Nuevu  Espana),  atteignait  la 
ceinture  d'un  homme,  et  sa  longueur  pouvait  être  de  8  pieds  ;  2°  le  Tema/acat/,  pierre 
de  forme  cylindrique,  à  laquelle  était  attaché  le  malheureux  qui  devait  montrer  sa  bra- 
voure, en  luttant  contre  ses  assaillants  à  l'aide  d'un  bouclier.  Dès  qu'une  flèche  l'avait 
atteint,  il  était  traîné  au  tehcatl  et  son  cœur  immédiatement  arraché  par  le  sacrifica- 
teur ;  3"  le  Cuaufixicalli,  pierre  concave  avec  un  bassin  au  centre,  où  le  sang  était 
recueilli.  C'est  à  ce  dernier  type,  que  se  rapporte  la  célèbre  pierre  découverte  à 
Mexico  en  1791.  —  Ann.  del  Musto  Nacional,  Mexico,  1877  et  1878. 

(4)  Torquemada,  /.  c,  t.  I,  p.  186.  —  Vetancurt,  /.  c,  t.  II,  p.  46.  —  Veytia,  Hist. 
ant.  de  Mejico,  t.  III,  p.  476. 

(5)  Hist.  Gen.  de  las  Indias.  Anvers,  1564. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  299 
que  contredit  Las  Casas,  dans  son  célèbre  mémoire  (1),  peuvent 
être  exagérés;  mais  les  faits  subsistent;  ils  sont  indéniables,  et  ils 
montrent  à  quel  point  les  Aztecs,  malgré  leur  civilisation  appa- 
rente, étaient  restés  sanguinaires  et  barbares.  Peut-être  étaient- 
ils  conduits  fatalement  à  ces  massacres,  par  la  grande  fécondité 
de  la  race,  par  l'absence  d'animaux  domestiques  et  la  privation 
de  viande,  qui  en  était  la  conséquence.  Ce  sont  là,  chez  toutes 
les  races  sauvages,  les  causes  premières  de  l'anthropophagie. 

L'espérance  ou  l'attente  d'une  vie  au  delà  du  tombeau  sont  vie  future. 
répandues  chez  toutes  les  races  humaines.  L'homme,  quelque 
dégradé  qu'on  le  suppose,  répugne  à  la  pensée  de  l'annihilation 
complète  de  son  être  et  aspire  à  une  vie  meilleure  que  celle  qu'il 
traverse.  Avant  le  christianisme,  la  conception  de  cette  vie  se  ré- 
sumait en  un  bonheur  tout  matériel;  elle  variait  selon  le  degré 
de  civilisation  ;  le  Grec  rêvait  des  joies  plus  pures  dans  l'Elysée, 
que  le  Musulman  sensuel  dans  les  bras  de  ses  houris,  ou  le 
Viking  Scandinave  au  milieu  de  festins  perpétuels.  Chez  le  sau- 
vage, la  conception  d'une  autre  vie  est  faible;  les  notions  du 
passé  et  de  l'avenir  sont,  chez  lui,  si  confuses  et  si  vagues,  qu'il 
est  difficile  de  se  rendre  compte  de  ses  véritables  impressions  (2). 
Ce  qui  paraît  certain,  c'est  qu'en  Amérique  comme  chez  les  na- 
tions de  l'ancien  continent,  ces  notions  variaient  de  peuplade  à 
peuplade.  Quelques  tribus  du  Pacifique  admettaient,  avec  la  vie 
future,  la  pensée  d'une  rétribution;  d'autres  croyaient  que 
l'homme  renaissait  de  ses  cendres,  pour  passer  par  les  mêmes 
phases  qu'il  avait  traversées,  mais  dont  le  souvenir  était  à  jamais 
effacé  de  sa  mémoire.  Sur  plusieurs  points,  on  trouve  l'idée  de  la 
métempsycose.  Les  Tlascallas  de  race  Nahuatl  étaient  persuadés 
que  la  hiérarchie  sociale  se  perpétuait  au  delà  du  tombeau  ;  les 
gens  du  peuple  étaient  transformés  en  insectes;  les  chefs  en 
oiseaux.  Les  conceptions  des  Aztecs  étaient  plus  élevées  ;  ils  ad- 
mettaient une  série  de  gradations  dans  le  bonheur  réservé  aux 
hommes.  Les  guerriers   morts  en  combattant  devaient  immé- 

(1)  Hist.  Apol.  de  las  Yndias  Occidentales.  Kingsborough,  t.  VIII. 

(2)  Tylor,  Primitive  culture,  p.  22. 


300  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

diatement  habiter  la  maison  du  soleil  ;  les  gens  plus  obscurs 
avaient  des  demeures  moins  brillantes  dans  les  divers  astres 
qui  peuplent  le  firmament.  Il  paraît  cependant  que  ce  n'était 
pour  eux  qu'un  état  de  transition,  des  limbes  où  ils  séjour- 
naient avant  d'arriver  à  leur  destination  finale.  Cet  état  durait 
quatre  ans,  et  durant  tout  ce  temps,  les  parents  et  les  amis 
étaient  tenus  d'offrir  au  mort  des  viandes,  des  vins,  des  fleurs, 
des  parfums  et  d'honorer  sa  mémoire  par  des  fêtes  et  par  des 
danses  (1). 
Cérémonies        Ccs  mêmcs  idécs  se  montrent  chez  toutes  les  nations  d'origine 

funéraires.  ^ 

Nahuatl,  et  elles  se  reflètent  naturellement  dans  les  cérémonies 
•observées  aux  obsèques.  Chez  les  Aztecs,  quand  un  chef  mou- 
rait, le  corps  était  couvert  de  manteaux  richement  brodés  et 
ornés  de  pierres  précieuses.  Pendant  que  quelques-uns  des  ser- 
viteurs habillaient  ainsi  le  cadavre,  d'autres  découpaient  des 
morceaux  de  papier,  en  ayant  soin  de  donner  à  chacun  d'eux 
une  forme  particulière  et  les  plaçaient  sur  le  corps  du  défunt. 
Un  prêtre  versait  de  l'eau  sur  sa  tête,  en  répétant  les  paroles 
consacrées  par  le  rite  funéraire  (2)  ;  il  lui  remettait  ensuite  di- 
vers papiers.  «  Avec  celui-ci,  lui  dis'kit-il,  tu  seras  admis  à  tra- 
verser le  défilé  des  deux  montagnes;  avec  cet  autre,  tu  éviteras 
le  grand  serpent;  avec  ce  troisième,  tu  mettras  en  fuite  l'alli- 
gator; avec  ce  quatrième,  tu  franchiras  heureusement  les  huit 
grands  déserts  et  les  huit  collines.  »  Les  manteaux  étaient  des- 
tinés à  protéger  le  mort,  contre  les  vents  aussi  tranchants  que 
l'obsidienne,  qu'il  devrait  rencontrer  sur  sa  route.  On  tuait  en- 
suite un  petit  chien,  au  poil  roux,  on  lui  mettait  au  cou  une 
laisse  de  coton  et  on  l'enterrait  auprès  du  défunt.  Ce  chien 
jouait  un  grand  rôle  ;  il  devait  guider  son  maître  et  l'aider  à  tra- 
verser heureusement  le  Chicunahuapan,  les  neuf  torrents  ;  il  est 
difficile  de  ne  pas  voir  là  une  allusion  aux  neuf  firmaments  oii  les 

(1)  Bancroft,  /.  c.,t.  II,  p.  618.  Ces  fêtes  avaient  lieu  aux  deux  mois  de  Tlnxochimalco 
et  de  Xocotlhuezin.  Le  premier  était  consacré  aux  enfants  ;  le  second  aux  chefs  et  aux 
guerriers  morts  les  armes  à  la  main. 

(2)  Brasseur  de  Bouvbourg,  liist.  des  nat.  civilisées,  t.  III,  p.   569. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  301 
âmes  devaient  séjourner  durant  leurs  migrations  successives  (1). 

Des  esclaves  et  des  concubines  étaient  généralement  immolés 
aux  funérailles  dun  chef;  leur  devoir  était  de  le  servir  durant  ce 
redoutable  passage  d'un  firmament  à  Fautre.  Aux  obsèques  des 
rois  Chichimèques,  le  gardien  des  idoles  domestiques  était  le 
premier  sacrifié.  Chez  les  Miztecs,  qui  habitaient  la  province 
actuelle  d'Oajaca,  on  immolait  deux  esclaves  mâles  et  trois  fem- 
mes que  l'on  avait  auparavant  stupéfiés  avec  des  boissons  nar- 
cotiques. Les  corps  étaient  déposés  au  milieu  d'une  forêt,  et, 
quand  cela  était  possible,  dans  les  profondeurs  d'une  grotte. 

Burgoa,  qui  écrivait  il  y  a  deux  siècles  (2),  raconte  avoir  vu 
plusieurs  de  ces  sépultures.  De  nombreux  squelettes  couverts  de 
bijoux,  d'ornements  d'or  ou  d'argent,  gisaient  dans  des  niches 
creusées  le  long  des  parois  de  la  grotte.  Çà  et  là,  des  niches  plus 
petites  étaient  destinées  aux  dieux  protecteurs  des  morts,  et  leurs 
statues  existaient  encore  à  l'époque  des  explorations  de  Burgoa. 
Tout  récemment,  il  a  été  découvert  dans  la  vallée  du  Rio  Nazas 
(prov.  de  Durango)  une  caverne  d'une  étendue  considérable; 
des  milliers  de  momies  appartenant  à  une  race  fort  différente 
des  Indiens  actuels  y  dormaient  leur  dernier  sommeil.  Chaque 
momie  était  recouverte  d'un  manteau  de  feuilles  d'agave,  riche- 
ment coloriées.  Les  corps  paraissaient  dans  un  état  de  conser- 
vation remarquable,  la  chair  avait  une  apparence  de  vie,  les 
cheveux  étaient  soyeux.  Les  recherches  n'ont  donné  aucun  ob- 
jet en  métal  ;  c'est  la  seule  indication  que  nous  possédions  sur 
l'antiquité  de  cette  sépulture  (3).  D'autres  fois  des  monuments 
somptueux  étaient  consacrés  au  mort.  C'est  ainsi  que  la  grande 
pyramide  de  Mexico,  détruite  par  les  Espagnols,  avait  été  élevée, 
rapporle-l-on,  pour  recevoir  les  cadavres  des  rois.  Ce  qui  est  plus 
certain,  c'est  que  les  Conquistadores  y  recueillirent  de  riches 
trésors. 


(1)  Torquemada,  Mon.  Ind.,  t.  II,  p.  527.— Clavigero,  St.  ant.  del  Messico,  t.  II,  p.  94. 

(2)  Geografica  Dexcripcion  de  la  parte  septentrionale  del  Polo  Artico  de  la  America 
(Oajaca).  Mexico,  1674,  t.  1  et  t.  II. 

(3)  Proc.  Anth.  Society  of  Washington,  1879-1880. 


302  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Pour  les  gens  du  peuple,  les  funérailles  étaient  nécessaire- 
ment plus  simples  ;  le  rite  cependant  était  toujours  fidèlement 
suivi.  Le  corps,  lavé  à  trois  reprises  avec  des  eaux  aromati- 
ques, était  successivement  revêtu  d'habits  ordinaires,  d'habits 
et  de  plumes  d'un  rouge  éclatant  ;  enfin  de  vêtements  et  de 
plumes  noires.  Une  pierre  {tentell),  dont  nous  ignorons  la  signi- 
fication, était  placée  entre  les  lèvres  du  mort.  Des  papiers,  véri- 
tables passeports  pour  l'autre  vie,  lui  étaient  remis  avec  les 
paroles  liturgiques.  A  côté  de  lui,  on  déposait  un  vase  rem- 
pli d'eau,  le  chien,  compagnon  indispensable  pour  assurer 
le  voyage,  les  armes  ou  les  outils  de  son  état;  une  hache  pour 
le  soldat,  une  bêche  pour  le  laboureur,  un  fuseau  ou  un  balai 
pour  la  femme.  On  couvrait  enfin  le  cadavre  du  manteau  du 
dieu  patron  de  sa  corporation,  ou  même,  s'il  est  permis  de 
croire  les  écrivains  espagnols,  du  dieu  des  vices  qui  avaient  si- 
gnalé son  existence  terrestre,  ou  de  la  mort  qui  l'avait  frappé  (1). 
Ainsi  le  soldat  était  revêtu  du  manteau  du  dieu  de  la  guerre; 
le  marchand,  de  celui  du  dieu  du  commerce;  l'ivrogne,  de  celui 
du  dieu  du  vin  ;  le  noyé,  de  celui  des  dieux  qui  présidaient  aux 
fleuves;  l'adultère,  du  manteau  consacré  au  dieu  des  plaisirs 
sensuels;  quand  tout  était  ainsi  préparé,  les  parents  et  les  amis 
apportaient  leurs  offrandes.  C'étaient  des  fleurs,  des  aliments, 
des  vêtements  ou  des  outils,  que  l'on  devait  renouveler  plu- 
sieurs jours  de  suite.  L'idée  dominante  de  ces  rites  était  le 
désir  d'assurer  au  défunt  une  existence  semblable  à  celle  qu'il 
avait  eue  sur  la  terre.  On  le  conduisait  enfin  à  sa  dernière  de- 
meure, une  caverne,  ou  plus  simplement  encore  une  fosse 
creusée  dans  la  terre. 

Il  serait  difficile  de  parcourir,  même  rapidement,  les  cou- 
tumes funéraires  observées  dans  des  régions  d'une  semblable 
étendue;  elles  variaient  de  nation  à  nation,  de  tribu  à  tribu.  Cer- 
tains Chichimecs  se  livraient,  après  avoir  enterré  leurs  morts,  à 

(1)  Gomara,  HUt.  ant.  de  Mexico,  ï"  309.  —  «  Vcstivano  lo  d'un  abito  corrispon- 
dente  alla  sua  condizione,  aile  sue  facolta  ed  aile  circonstanze  délia  sua  morte.  »  Cla- 
vigero  {J,.  c,  t.  II,  p.  39). 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  303 
des  danses  et  à  des  fêtes  qui  duraient  souvent  plusieurs  jours  (1). 
Grijalva  découvrit  auprès  de  Tabasco  les  squelettes  d'un  jeune 
garçon  et  d'une  jeune  fille  enveloppés  dans  des  toiles  de 
coton  et  couverts  de  bijoux;  ils  avaient  simplement  été  déposés 
dans  le  sable  du  rivage  (2).  Au  Yucatan,  les  cadavres  étaient 
embaumés,  les  prêtres  retiraient  les  entrailles  et  les  dépo- 
saient dans  de  grandes  amphores  ornées,  tantôt  de  têtes  hu- 
maines, tantôt  de  têtes  d'animaux.  Dans  le  Goazacoalco,  pour 
ne  plus  citer  que  cet  exemple,  les  ossements  dépouillés  de  leur 
chair  étaient  mis  dans  un  panier  et  placés  sur  la  cime  d'un  arbre 
auprès  du  domicile  même  du  défunt,  pour  que  celui-ci  pût  sans 
doute,  les  retrouver  avec  plus  de  facilité  dans  ses  migrations 
successives  (3). 

La  crémation  remonte  aux  premières  tribus  nomades,   qui    créniation, 

*  -"^  funérailles 

pouvaient  ainsi  transporter  plus  facilement  les  restes  de  leurs  an-  royales. 
cêtres.  L'usage  persista  durant  de  longs  siècles,  et  à  l'arrivée  des 
Conquistadores,  il  était  encore  en  honneur  sur  certains  points, 
pour  les  chefs  et  pour  les  nobles  (4).  Les  historiens  espagnols 
nous  ont  conservé  le  récit  des  funérailles  royales  (5).  Le  corps, 
couvert  de  vêtements  somptueux,  était  assis  sur  un  trône  élevé 
et  les  principaux  courtisans  venaient  tour  à  tour  lui  présenter 
leurs  hommages,  comme  s'il  eût  été  encore  en  vie.  Ils  exal- 
taient ses  vertus,  la  douleur  que  sa  mort  causait  au  peuple,  et  le 
priaient  d'accepter  les  présents  d'usage.  Chaque  noble  était  tenu 
d'offrir  dix  esclaves  et  cent  manteaux  d'une  magnificence  con- 
forme au  rang  qu'il  occupait.  Les  gens  du  peuple  s'avançaient  en- 
suite avec  de  moins  riches  offrandes.  C'était  enfin  le  tour  des  fem- 
mes ;  et  pendant  qu'elles  présentaient  au  royal  défunt  les  mets 

(1)  Sahagun,  Hist.  gen.  de  lus  cosas  de  Nueva  Espana,  t.  III,  I.  X,  p.  119. 

(2)  Chronica  de  la  Orden  de  N.  P.  S.  Aug.  Mexico,  1624. 

(3)  Herrera,  /.  c,  déc.  IV,  1.  IX,  c.  vu. 

(4)  Brasseur  de  Bourbourg  dit  qoe  la  crémation  était  en  usage  chez  les  Toltecs  ; 
Torquemada  et  Clavigero  chez  les  Ghichimecs,  et  Veytia  dans  son  Hist.  antigua  de 
Meijico,  dit  que  les  corps  des  premiers  rois  Aztèques  furent  brûlés. 

(5)  J.  de  Acosta,  Hist.  naturnl  y  moral  de  las  Yndias,  Sevilla,  1590,  p.  321  et  s.  — 
Herrera,  /.  c,  déc.  III,  lib.II,  c.  xviii.  —  Ixtlllxochitl,  Relaciones,  Kingsborough,  t.  IX, 
p.  370. 


304  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

qu'il  aimait,  ses  plus  vieux  serviteurs  entonnaient  le  Miccacuicatl, 
ou  chant  funéraire.  C'était  le  signal  des  sacrifices  humains,  l'ac- 
compagnement obligé  de  la  cérémonie.  Le  cinquième  jour,  après 
la  mort,  la  procession  se  formait  pour  se  rendre  au  teocalli.  Le 
cortège  était  précédé  d'une  grande  bannière,  sur  laquelle  étaient 
peints  les  hauts  faits  du  mort;  puis  venaient  pies  prêtres  avec  des 
encensoirs  et  les  serviteurs,  portant  le  corps  étendu  sur  une  litière. 
Tout  autour,  marchaient  les  seigneurs  de  la  cour,  revêtus  de  man- 
teaux de  couleur  sombre,  traînant  à  terre,  et  couverts  de  pein- 
tures ou  de  broderies,  représentant  des  têtes  ou  des  ossements  de 
mort.  Les  ambassadeurs  des  rois  du  pays  portaient  les  armes,  les 
insignes,  les  ornements  destinés  au  bûcher.  Les  esclaves  du  roi 
étaient  chargés  des  vêtements,  des  objets  destinés  à  son  usage, 
des  mets  qu'il  aimait.  Certains  prêtres  appelés  Coacuiles  rece- 
vaient le  corps  à  son  arrivée  au  temple.  Leurs  chants  rappe- 
laient aux  assistants,  qu'eux  aussi,  seraient  bientôt  des  cadavres 
inertes,  jetés  sur  le  bûcher  funéraire,  et  que  leurs  bonnes  actions 
porteraient  seules  témoignage  en  leur  faveur.  Les  fonctions  de 
ces  Coacuiles  paraissaient  si  importantes,  qu'ils  devaient  s'y  pré- 
parer par  des  jeûnes  rigoureux;  selon  les  uns,  ils  revêtaient  en 
ces  occasions  le  même  costume  que  le  roi  défunt.  D'autres  récits 
au  contraire  les  montrent  déguisés  en  démons,  portant  des  robes 
couvertes  de  têtes  hideuses,  dont  les  yeux  étaient  figurés  par  des 
petits  morceaux  de  mica,  ou  bien  encore  nus,  avec  le  corps  peint 
en  noir  et  agitant  des  bâtons  qui  devaient  servir  à  attiser  le  feu. 
Le  bûcher  avait  trois  pieds  de  hauteur;  le  corps  y  était  déposé 
et,  au  moment  où  les  flammes  s'élevaient,  les  assistants  devaient 
jeter  au  milieu  d'elles  les  objets  qu'ils  portaient  ;  puis  de  nou- 
veaux sacrifices  commençaient. 

Dans  les  premiers  temps,  quelques  victimes  seulement  étaient 
immolées;  mais  la  pompe  des  funérailles  grandissant  avec  le 
luxe  et  la  richesse  du  pays,  leur  nombre  augmenta  rapidement. 
Nous  voyons  par  exemple  que,  pour  honorer  le  roi  Nezahual- 
pilli,  on  égorgea  successivement  deux  cents  hommes  et  cent  fem- 
mes. Quelquefois,  avant  de  mourir,  un  chef  désignait  celles  de 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  305 
ses  concubines  qui  devaient  le  suivre  (1).  Quand  les  victimes 
étaient  rangées  autour  du  bûcher.  Un  des  plus  proches  parents 
du  roi  leur  adressait  une  longue  harangue,  pour  les  remercier 
des  services  rendus  au  défunt,  et  pour  les  engager  à  le  servir 
avec  la  même  fidélité,  dans  le  monde  nouveau  où  elles  allaient 
entrer  avec  lui.  Puis  ces  malheureux  étaient  saisis  tour  à  tour 
par  les  prêtres,  étendus  sur  la  pierre  sacrée  :  la  poitrine  était 
ouverte,  le  cœur  arraché  et  jeté  sur  le  bûcher,  le  cadavre 
rapidement  enlevé  (2). 

Quand  le  corps  du  roi  était  entièrement  consumé,  on  éteignait 
le  feu  avec  le  sang  des  victimes  conservé  à  cet  effet  ;  les  cendres, 


Fig.  122.  —  Urne  sépulcrale,  trouvée  à  Huehuetenango  (Guatemala). 

les  ossements  calcinés,  les  débris  d'ornements  étaient  rassemblés 
etplacésdans  une  urne  (fig.  112)  surmontée  d'une  effigie  du  roi, 
et  cette  urne  était  déposée  soit  aux  pieds  du  dieu,  que  l'on  voulait 
particulièrement  honorer,  soit  de  celui  qui  avait  été  le  protecteur 
du  défunt. 

(1)  Dans  le  Michoacan,  sept  femmes  de  naissance  noble  devaient  être  immolées  à  la 
mort  du  roi.  L'une  était  chargée  de  la  garde  de  l'émeraude  sacrée  que  le  roi  portait 
suspendue  à  ses  lèvres,  une  autre  de  celle  de  ses  bijoux  ;  une  troisième  devait  lui  pré- 
senter sa  coupe.  Toutes  étaient  destinées  à  le  servir  et  à  lui  préparer  des  aliments 
conformes  au  rang,  qu'il  conservait  dans  sa  vie  nouvelle.  On  choisissait  aussi  parmi  les 
esclaves,  ceux  qui  pouvaient  être  les  plus  utiles  au  roi  ;  mais  au  lieu  de  leur  ouvrir  la  poi- 
trine et  de  leur  arracher  le  cœur  comme  chez  les  Aztecs,  on  se  contentait  d'une  mort 
plus  vulgaire.  Ils  étaient  assommés. 

(2)  Gomara,  qui  écrivait  au  seizième  siècle,  prétend  que  la  victime  était  enterrée  ; 
d'autres  historiens,  qu'elle  était  brûlée  sur  un  bûcher  voisin. 

De  Nadaillac,  Amérique.  20 


306  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

A  la  fin  de  la  cérémonie,  les  assistants  prenaient  part  à  un 
grand  banquet;  ils  étaient  tenus  de  retourner  pendant  quatre 
jours  au  teocalli,  et  de  renouveler  leurs  offrandes.  Le  quatrième 
jour,  un  dernier  sacrifice  de  quinze  ou  vingt  misérables  esclaves 
terminait  la  fête.  Chez  les  Chichimecs,  elle  durait  plus  longtemps^ 
et  pendant  quatre-vingts  jours,  il  fallait  recommencer  les  sacri- 
fices et  les  offrandes. 
connaissan-        Qu  cst  étonué  dc  la  sciencc  astronomiciue  des  diverses  races 

ces    astrono-  '■ 

miqiies.  quj  occupèrcnt  successivement  l'Amérique  centrale.  Ces  hommes 
connaissaient  la  division  du  temps,  fondée  sur  le  mouvement  so- 
laire, et  bien  des  siècles  avant  la  conquête,  ils  possédaient  un 
système  régulier  (1).  11  comprenait,  chez  les  Aztecs,  des  pério- 
des de  cinquante-deux  ans,  divisés  en  cycles  de  treize  ans,  expri- 
més daps  leurs  pictographies  par  des  signes  hiéroglyphiques. 
L'année  se  composait  de  dix-huit  mois,  de  vingt  jours  chacun 
et  de  cinq  jours  complémentaires,  qui  passaient  pour  néfastes 
et  durant  lesquels  aucun  Aztec  n'aurait  voulu  accomplir  un 
acte  important.  Les  jours  enfin  comprenaient  des  divisions 
assez  semblables  à  nos  heures.  Les  calculs  de  leurs  astro- 
nomes avaient  montré  de  bonne  heure,  que  l'année  de  trois  cent 
soixante-cinq  jours  ne  correspondait  pas  exactement  au  mouve- 
ment solaire;  aussi,  bien  des  années  avant  que  la  réforme  grégo- 
rienne ne  fût  acceptée  en  Europe,  avaient-ils  ajouté  treize  jours 
à  chaque  cycle  de  cinquante-deux  ans  (2).  A  côté  de  l'année  solaire, 
les  Mexicains  conservaient  aussi  l'année  lunaire,  qui  paraît 
n'avoir  servi  que  pour  les  fêtes  religieuses;  elle  était  divisée  en 


(1)  Ixtlilxocliitl  {Helacmies,  l.  c,  p.  322)  rapporte  qu'en  l'an  5097  de  la  création, 
une  réunion  d'astronomes  eut  lieu  à  Hueliue-Tlapallan,  et  que  ce  fut  eux  qui  fixè- 
rent la  division  du  temps  telle  qu'elle  subsista  jusqu'à  la  conquête.  Le  prof.  Valentini 
{The  Katunes  of  Maya  History)  place  ce  changement  dans  la  division  du  temps  eu 
l'an  29  av.  J.-C. 

(2)  En  1790,  des  fouilles  exécutées  à  la  Plaza  Mayor  de  Mexico,  sur  l'emplacement 
présumé  du  grand  Teocalli  détruit  par  les  Espagnols,  mirent  au  jour  un  bloc  de  por- 
phyre ne  pesant  guère  moins  de  23  tonnes.  Sur  ce  bloc  était  gravé  un  cercle  d'un  peu 
plus  de  1 1  pieds  de  diamètre  qui  renfermait  les  divisions  du  cycle  astronomique  des 
Aztecs,  Il  a  été  reproduit  par  Charnay,  pi.  I;  Short  [The  North  Americans,  p.  409}  le 
donne  d'après  lui. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.        307 
périodes  de  treize  jours  qui  suivaient  les  phases  de  la  lune  (1). 

Chez  les  Mayas,  chez  les  Toltecs,  comme  chez  les  peuples  de 
rAmérique  centrale,  les  mois  étaient  également  de  vingt  jours  ; 
et  chez  tous,  le  nombre  vingt  paraît  avoir  été  la  base  de  leur 
système  de  numération. 

La  principale  arme  des  Aztecs  était  la  javeline  [tlacochtli) ,  courte  .  Armes.; 
lance  en  bois  dur,  dont  l'extrémité  était  armée  d'une  pointe  en  si- 
lex, en  obsidienne,  plus  rarement  en  cuivre.  Cette  pointe  était  fixée 
dans  le  bois  par  une  fente  et  maintenue  par  une  corde  gommée. 
Chaque  guerrier  portait  aussi  des  dards  qu'il  lançait  de  loin,  un 
arc  {tiauitolli)  souYeni  de  plus  de  cinq  pieds  de  longueur  (2),  et 
des  frondes  [tematlatl).  Le  Macuahuitl  (3)  était  une  lame  en  bois 
semblable  comme  forme,  aux  espadasde  dosmanos  des  Conquis- 
tadores. On  insérait  sur  les  bords  des  fragments  d'obsidienne  aussi 
tranchants,  ajoutent  les  Espagnols,  que  des  lames  de  Tolède  (4). 
Les  coups  de  cette  arme  dont  les  Aztecs  se  servaient  comme  d'une 
massue,  étaient  des  plus  redoutables;  mais  l'obsidienne  se  brisait 
facilement  au  premier  choc  ;  et  dès  lors  le  macuahuitl  devenait 
inutile.  Le  bouclier,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  celui  que  les 
chefs  portaient  aux  danses  et  aux  processions,  était  petit,  rond  et 
rembourré  de  coton  (5).  Les  braves  (6),  tel  était  un  des  titres 
des  chefs  des  guerriers,  l'attachaient  au  bras  gauche.  Ces  armes, 
on  le  voit,  ne  différaient  guère  de  celles  des  autres  Nahuas,  que 
nous  avons  précédemment  décrites. 

Sur  certains  points,  les  travaux  défensifs  étaient  importants.      FortiCca- 
Le  mode  de  fortification  usité  chez  les  Mexicains,  consistait  à 
choisir  une  position  naturellement  forte,  une  éminence  difficile 
d'accès,  à  agrandir,  au  besoin,   par  des  terres   rapportées,   la 

(1)  Bancroft,  t.  II,  p.  502,  755  et  s.  — Bandelier,  On  the  Social  Organisation  and  Mode 
of  Government  of  the  Ancient  Mexicans.  Report  Peabody  Mus.,  t.  II,  p.  475,  55T  et  s. 

(2)  Glavigero,/.  c,  L.  VII,  c.  xxiti. 

(3)  De  macua  main  et  cuahuiil  bois. 

(4)  El  Conquistador  anonimo.  Coll.  Doc.  inédits,  t.  I,  p.  373. 

(5)  Raccolta  di  Mendoza,  coll.  Kingsborougli.  - 

(6)  Le  titre  ou  plutôt  le  grade  de  brave  s'obtenait  par  une  action  d'éclat.  Les  braves, 
comme  les  Indiens  actuels,  portaient  les  noms  caractéristiques  de  carnassiers,  de  grandes 
aigles,  de  flèches  ailées  et  autres  semblables. 


308  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

plate-forme  et  à  Tentourer  soit  de  murs  en  pierres  soit  de  palis- 
sades. La  hauteur  de  ces  murs,  celle  de  l'éminence  elle-même 
étaient  les  principaux  obstacles  opposés  à  l'ennemi  ;  le  système 
des  Aztecs  se  rapproche  de  celui  des  Mound-Builders  ;  c'est  une 
preuve  de  plus  des  liens  qui  existaient  entre  les  deux  races  (1). 
Vêtements,  Lc  costume  dcs  Mcxicains  se  composait  d'une  tunique  sans 
manches  {nuepil)  attachée  sur  l'épaule  droite  et  d'une  ceinture 
[maxtlatl),  aux  couleurs  voyantes.  La  tête,  les  bras,  les  jambes 
restaient  nus.  Les  chefs  ajoutaient  un  manteau,  dont  la  longueur 
indiquait  leur  rang;  ce  manteau  était  orné  de  plumes  de  couleur 
qui  variait  selon  la  tribu  à  laquelle  ils  appartenaient.  Clavi- 
gero  (2)  rapporte  que  les  soldats  portaient  uniquement  le  maxt- 
latl  et  qu'avant  d'aller  au  combat,  ils  se  peignaient  tout  le  corps 
et  spécialement  le  visage  en  noir.  Alvarado  dans  une  lettre  adres- 
sée à  Cortès  (3)  dit,  au  contraire  que  les  Guatémaliens,  revêtaient 
des  vêtements  rembourrés  en  coton,  qui  descendaient  jusqu'aux 
chevilles.  Les  chaussures  {cactli-cotaras)  ressemblaient  aux  mo- 
cassins indiens.  On  les  voit  reproduites  sur  certains  bas-reliefs 
de  Palenque. 

Les  guerriers  portaient  en  guise  de  coiffure  des  têtes  de  tigre, 
de  loup,  de  serpent,  imitées  en  bois  et  recouvertes  avec  la  peau  de 
l'animal.  La  récompense  de  la  valeur  à  la  guerre  était  le  droit 
de  porter  au-dessus  des  oreilles,  une  ou  plusieurs  raies  dans  les 
cheveux.  La  pictographie  a  conservé  jusqu'à  nous  ces  coiffures  et 
ces  marques  d'honneur. 

Les  chefs  s'appelaient,  à  Mexico,  teachcautin^  frères  aînés.  Us 
devaient  non  seulement  conduire  leurs  soldats  au  combat,  mais 
aussi  les  instruire  durant  la  paix,  de  leurs  devoirs  militaires  et  en 
particulier  du  maniement  des  armes.  Comme  insignes  de  leur 
dignité,  ils  portaient  des  ornements  à  leurs  oreilles  et  à  leurs 
lèvres  (4),  c'est  ainsi  qu'ils  sont  déjà  représentés  à  Palenque  et  à 
Copan. 

(1)  Tezozoraoc,  /.  c,  c.  xc,  p.  158-9.  Duran,  l.  c,  c.  LVi,  p.  443. 

(2)  L.  c,  1.  VII,  c.  XXIII. 

(3)  Lettre  du  28  juillet  1524,  reproduite  par  Vcytia,  Hist.  Ant.  de  Mejico,  t.  I. 

(4)  Duran,  /.  c,  c.  xix,  p.  169.  —  Sahagun,  lib.  IX,  c.  vi,  p.  264. 


ment. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  309 
On  avait  constamment  représenté  le  gouvernement  Aztèque  Gouveme- 
comme  une  monarchie  héréditaire,  fortement  organisée  et  ap- 
puyée sur  une  noblesse  également  héréditaire.  Les  premières  no- 
tions à  cet  égard  remontent  à  Cortès  lui-même  (1).  «  11  y  a  dans 
la  ville  de  Mexico,  écrivait-il,  un  nombre  considérable  de  gran- 
des et  belles  maisons,  qui  sont  les  résidences  de  tous  les  seigneurs 
du  pays,  vassaux  de  Montez  uma.  »  Les  récits  presque  unanimes  des 
écrivains  espagnols,  dominés  à  leur  insu  peut-être  par  les  im- 
pressions ou  les  préjugés  de  leur  pays,  contribuèrent  à  établir 
cette  légende.  Les  recherches  nouvelles  permettent  au  contraire 
de  croire  que  le  gouvernement  était  très  démocratique  et  que  les 
fonctions  s'obtenaient  par  l'élection  (2).  Le  roi,  Tlaca-Tecuhtli,  le 
chef  des  hommes,  le  sage  vieillard,  tels  étaient  les  titres  qu'il 
portait,  était  élu  à  vie.  Il  est  juste  cependant  d'ajouter  que  ce 
roi  était  presque  toujours  choisi  dans  la  même  famille.  Chez 
les  Tezcuans,  cet  office  passait  du  père  au  fils  ;  chezles  Aztecs,  du 
frère  au  frère,  de  l'oncle  au  neveu,  mais  toujours  le  droit  hérédi- 
taire, si  tant  est  qu'il  existât,  devait  être  confirmé  par  l'élection. 
Le  chef  suprême  pouvait  être  déposé  ;  c'est  ainsi  que  Montezuma 
fut  dégradé  et  remplacé  par  son  frère  Cuitlahuatrin  (3). 

Un  autre  chef  également  élu,  portait  le  titre  bizarre  de  Chihua 
Cohuatl,  le  serpent  femelle  (4).  Il  siégeait  à  côté  du  roi  et  il  devait 
présider  à  l'administration  de  la  justice  et  à  la  rentrée  des  tributs. 
Selon  les  uns,  il  ne  devait  jamais  aller  à  la  guerre  ;  selon  d'autres 
au  contraire,  il  commandait  les  Mexicains,  tandis  que  le  Tlaca- 
Tecuhtli  dirigeait  les  alliés.  Celui-ci  avait  seul  le  droit  de  porter 


(1)  Carta  segunda,  p.  12  et  13. 

(2)  Bandelier,  /.  c,  Report  Peabody  Mus.,  t.  II,  p.  95,  475,  657,  600.  —  M.  Bancroft 
(t.  II,  p.  230)  et  Prescott  soutiennent,  au  contraire,  que  le  gouvernement  mexicain  était 
une  monarchie  féodale. 

(3)  Cortès  {Carta  segunda)  n'y  fait,  il  est  vrai,  aucune  allusion  ;  mais  Bernai  Diaz  de 
Castillo  {Hist.  verdadera  de  la  Conquista  de  la  Nueva  Espana,  c.  xxvi,  p.  132),  Las 
Casas  {Brevùsima  Relacion,  p.  49),  Sahagun  (L.  XII,  c.  xxi,  p.  28),  Torqucmada  (L.  IV, 
c.  Lxviii,  p.  494),  Herrera  (déc.  II,  L.  X,  c.  viii,  p.  264)  sont  unanimes  à  cet  égard. 

(4)  Cette  dignité  ne  paraît  avoir  existé  qu'à  partir  de  l'alliance  entre  Mexico,  Tezcuco 
et  Tlacolpan.  Duran,  c.  xxiv,  p.  205.  —  Tezozomoc,  Chronica,  c.  xxix,  p.  35.  —  Ixtlilxo- 
chitl,  Relaciones,  Kingsborough,  t.  IX. 


310  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

une  touffe  de  plumes  vertes  sur  la  tête,  des  anneaux  d'or  aux 
oreilles  et  aux  lèvres,  une  émeraude  attachée  aux  cartilages  du 
nez,  des  bracelets  d'or  et  d'autres  en  plumes  rares  aux  chevilles. 
11  ajoutait  à  son  costume  de  guerre,  une  grande  tresse  en  plumes 
qui  pendait  jusqu'à  la  ceinture  ;  un  petit  tambour  lui  servait 
dans  ces  occasions  à  transmettre  ses  ordres  (1). 

Souvent  la  guerre  n'avait  lieu  que  dans  le  but  unique  de  se 
procurer  les  prisonniers  nécessaires  pour  les  sacrifices.  Quand 
elle  était  résolue,  les  Mexicains  envoyaient  des  ambassadeurs 
au  pueblo,  dont  ils  avaient  à  se  plaindre;  les  ambassadeurs 
portaient,  en  signe  de  leur  mission,  une  flèche  avec  la  pointe 
tournée  en  bas  et  un  bouclier  attaché  au  bras  gauche  (2).  Arrivés 
à  la  chambre  du  conseil,  ils  exposaient  leurs  réclamations;  si 
les  chefs  du  pueblo  consentaient  à  y  faire  droit,  les  envoyés 
acceptaient  les  présents  qui  leur  étaient  offerts;  si,  au  contraire, 
leurs  réclamations  étaient  rejetées,  ils  s'approchaient  du  chef  de 
la  tribu,  lui  peignaient  les  bras  avec  de  la  peinture  blanche, lui 
posaient  des  plumes  sur  la  tête  et  lui  offraient  un  sabre  et  un 
bouclier.  Telle  était  la  forme  voulue  de  la  déclaration  de  guerre, 
et  aussitôt  après  l'avoir  faite,  les  ambassadeurs  devaient  se 
retirera  la  hâte,  car  leur  vie  courait  les  plus  grands  dangers  (3). 
oiganisation        \  yrai  dire,  ni  les  Aztecs  ni  les  autres  Nahuas  ne  formaient 

sociale.  , 

un  État,  ni  une  nation,  ou  même  une  société  politique.  C'était 
une  simple  confédération  de  tribus,  composées  elles-mêmes 
d'une  agglomération  de  clans  ou  Calpulli  (4). 

Les  Calpulli,  véritables  familles  unies  sans  doute  par  les  liens 
d'une  proche  parenté,  étaient  responsables  des  actes  et  de  la  con- 
duite de  leurs  membres.  Ceux-ci  étaient  obligés  de  se  défendre 

(1)  Duran,  /.  c,  c.  xiv  et  xvi.  —  J.  de  Acosta,  l.  c,  c.  xxv,  p.  441. 

(2)  Torquemada,  /.  c,  1.  XIV.  ch.  i,  p.  534. 

(3)  Ixtlilxochitl,  Hist.  Chic,  c.  xxxviir.  —  G.  de  Mendieta,  Hist.  Eccl.  Indiana. 
Mexico,  1870,  L.  II,  c.  xxvi,  p.  129. 

,  (4J  Bandelier,  l.  c,  p.  557  et  s.  Cette  organisation  présente  quelques  rapports  avec 
colle  qui  existait  dans  le  nord  de  l'Ecosse  ou  en  Irlande.  Tous  les  membres  du  clan 
liés  entre  eux  par  une  parenté  réelle  ou  supposée  et  portant  le  même  nom,  avaient  un 
droit  collectif  sur  les  terres  de  la  tribu,  dont  ils  jouissaient,  moyennant  une  redevance 
annuelle  au  chef.  . 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  311 
mutuellement,  de  venger  les  outrages  faits  à  l'un  des  leurs,  de 
soutenir  les  vieillards,  les  infirmes,  tous  ceu\  incapables  de 
prendre  part  au  travail  commun. 

La  propriété  individuelle  n'existait  pas,  au  moins  en  ce  qui 
concernait  les  terres.  Celles-ci  [Calpulalli)  appartenaient  aux 
Calpulli,  qui  ne  pouvaient  ni  les  échanger,  ni  les  vendre.  Elles 
étaient  partagées  à  des  époques  fixes,  entre  tous  les  individus 
mâles,  à  la  charge  de  les  cultiver  et  de  résider  dans  les  limites 
du  Calpulli.  Certaines  terres  [tlamilli)  étaient  réservées  aux  chefs; 
mais  ni  ces  chefs,  ni  leurs  familles  n'avaient  aucun  droit  sur 
elles,  et  quand  ils  quittaient  leur  charge,  elles  rentraient  dans  le 
domaine  public.  D'autres  terres  [tlatocatlalli)  étaient  appropriées 
au  tribut,  que  chaque  CalpUUi  devait  au  roi  de  Mexico.  Elles 
étaient  cultivées  par  tous  les  membres  de  la  famille,  elles  récoltes 
portées  dans  des  granges  spéciales.  Sauf  l'obligation  de  ce 
paiement  annuel,  les  tribus  et  les  Calpulli  paraissent  avoir  été 
complètement  indépendantes;  leurs  chefs  étaient  élus  pour  la 
vie,  et  nul  ne  pouvait  intervenir  dans  ces  choix  ;  ils  se  portaient 
presque  toujours  sur  des  vieillards  qui  avaient  subi,  ou  qui 
devaient  subir  une  initiation  religieuse  très  sévère,  que  nous 
aurons  à  raconter.  Cet  ensemble  d'institutions  ne  présente,  on 
le  voit,  aucune  trace  de  féodalité  (1). 

La  famille  était  fondée  sur  la  mère  et  uniquement  constituée 
par  les  alliances  maternelles.  Ce  ne  fut  que  bien  plus  tard  que 
l'on  admit  la  descendance  paternelle.  Le  mariage  existait  ;  il 
était  interdit  de  se  marier  entre  proches  parents,  peut-être  même 
entre  membres  du  même  Calpulli  (2).  La  situation  des  femmes, 
en  général,  fort  méprisées,  était  dure  ;  elles  devenaient  en  toutes 
choses,  la  propriété  de  leurs  maris.  Cependant  le  mariage  pou- 
vait être  annulé  sur  la  demande  de  la  femme,  pourvu  que  cette 
annulation  eût  l'approbation  du  Calpulli,  et  dans  ce  cas  la  femme 
retournait  à  la  famille  d'où  elle  était  sortie.  Tout  homme  arrivé  à 
l'âge  de  vingt  ans,  était  tenu  de  se  marier,  et  il  n'y  avait  d'ex- 

(I)  Orozco  y  Berra,  Geographia  de  las  lenguas  y  car  ta  ethnografica  de  Mexico. 
[Tj  Bancroft,  t.  II,  p.  2SI. 


312  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

ception  que  pour  certains  prêtres,  qui  faisaient  vœu  de  chasteté, 
en  l'honneur  des  dieux  qu'ils  servaient.  La  polygamie  n'était 
pas  interdite  ;  le  mari  ou  plutôt  le  maître  avait  le  droit  d'avoir 
autant  de  concubines  qu'il  désirait  (1).  La  nécessité  de  les 
nourrir  était  le  seul  frein  imposé  à  son  ardeur. 

Tout  nom  patronymique  était  inconnu  [2).  La  mère  à  la  nais- 
sance de  l'enfant  désignait  le  nom  qu'elle  désirait  qu'on  lui 
donnât.  Ce  nom  se  rapportait  en  général  soit  au  mois,  où  il  était 
né,  soit  aux  circonstances  de  sa  naissance.  Quand  il  sortait  de 
l'enfance,  Y  homme  delamédecine  (3),  qui  jouait  un  rôle  considé- 
rable parmi  les  tribus  mexicaines,  lui  imposait  le  nom  sous  lequel 
il  devait  être  désormais  connu.  Le  guerrier  pouvait  obtenir 
un  troisième  nom  par  un  acte  de  bravoure  exceptionnelle; 
c'était  alors  le  Calpulli  qui  le  lui  décernait. 

Le  Calpulli  était  aussi  chargé  de  l'éducation  des  enfants.  Un 
édifice  public  [Telpuchcalli]  était  destiné  à  cet  usage.  Tous  les 
garçons  sans  exception  s'y  rendaient;  le  travail  manuel,  l'art 
de  la  guerre,  le  maniement  des  armes,  la  danse  et  le  chant  for- 
maient les  bases  de  l'éducation  (4).  Ceux  parmi  les  écoliers  qui 
avaient  la  force  nécessaire,  devaient  cultiver  les  terres  appar- 
tenant aux  teocallis  et  destinés  à  l'entretien  des  prêtres  et  du 
culte. 

L'esclavage  existait  chez  les  diverses  tribus  de  l'Amérique 
centrale.  L'homme  appartenant  à  un  Calpulli  qui  refusait  de  se 
marier,  ou  qui  ne  cultivait  pas  les  terres  qui  lui  étaient  allouées, 
les  prisonniers  faits  à  la  guerre,  alors  qu'ils  n'étaient  pas  sacrifiés 
aux  dieux,  devenaient  esclaves  (5).  Si  l'esclave  s'échappait, 
son  maître  avait  le  droit  de  lui  faire  porter  un  collier  en  bois. 
S'il  prenait  la  fuite  une  seconde  fois,  il  était  conduit   au  tem- 


(1)  Pierre  Martyr,  déc.  V,  c.  x,  p.  232. 

(2)  Torqnemada,  L.  XIII,  c.  xxii,  p.  454  et  s. 

(3)  The  Médecine  Man.,  l'homme  de  la  médecine,  joue  aujourd'hui  encore  un  rôle 
considérable,  tant  chez  les  Indiens  des  pueblos  que  chez  les  Indiens  nomades. 

(4)  Gomara,  Hist.  de  Mexico.  —  Sahagnn,  Hist.  Gen.,  L.  III,  c.  iv,   p.  268;  c.  v, 
p.  269,  c.  viii,  p.  275. 

(5)  On  les  appelait  tlacolti,  littéralement  hommes  achetés. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  313 
pie  et  immédiatement  immolé.  Dans  le  cas  fort  rare,  où  il  par- 
venait à  gagner  la  chambre  du  conseil,  destinée  aux  chefs 
de  la  tribu,  sans  être  arrêté  ni  par  son  maître,  ni  parles  autres 
hommes  du  Calpulli,  il  acquérait  sa  liberté  (1).  L'esclave  qui 
accomplissait  dans  un  combat  un  acte  de  valeur,  avait  droit  non 
seulement  à  sa  liberté,  mais  il  pouvait  aussi  être  adopté  par  le 
Calpulli  ;  dès  lors,  il  devenait  un  de  ses  membres,  jouissait  des 
mêmes  droits  que  ses  frères  et  recevait  comme  eux  des  armes. 
Tant  que  l'esclave  n'était  pas  ainsi  libéré,  il  faisait  à  la  guerre  le 
métier  de  porteur,  comme  aujourd'hui  encore  certains  nègres 
de  l'intérieur  de  l'Afrique.  Les  bêtes  de  somme  étant  inconnues, 
les  porteurs  devaient  transporter  le  maïs  nécessaire  à  la  très  fru- 
gale nourriture  des  soldats,  les  tentes  et  les  cordes  destinées  à  les 
assujettir,  les  perches  et  la  paille  pour  la  construction  des  abris. 
Leur  métier  était  fort  rude,  et  en  cas  de  capture  par  l'ennemi,  les 
malheureux  étaient  presque  toujours  offerts  en  holocauste  aux 
dieux. 

Chez  toutes  les  nations  de  race  nahuatl,  les  pénalités  étaient 
sévères  si  nous  devons  en  juger  par  les  récits  qui  nous  sont  par- 
venus, ou  parles  anciennes  peintures  conservées  à  Mexico  (2).  Le 
meurtrier  était  puni  de  mort,  selon  Las  Casas  (3),  de  l'esclavage 
à  perpétuité,  selon  Duran.  L'homme  ou  la  femme  qui  portaient 
les  vêtements  d'un  autre  sexe,  étaient  aussi  condamnés  à  mort. 
Le  viol,  l'inceste,  la  sodomie,  étaient  punis  de  la  même  peine; 
mais  pour  chaque  crime  le  genre  de  supplice  variait  ;  l'inces- 
tueux était  pendu  (4);  celui  qui  dans  le  Michoacan,  avait  violé 
un  enfant  était  empalé;  le  sodomite  était  brîilé  (5).  Celui  qui 

(1)  Mendieta,  Hist.  Ecc.  /nrf.,L.  II,  c,  xxvii,  p.  30. 

(2)  Bancroft,  t.  II,  p.  460  et  s,  —  Bandelier,  /.  c,  p.  623  et  s. 

(3)  Hist.  Apol.,  Ap.  Kingsborough,  t.  VIII. 

(4)  Torquemada,  L.  XII,  c.  iv. 

(5)  Malgré  la  sévérité  do  ce  châtiment,  la  sodomie  n'était  pas  moins  commune  chez 
les  Aztecs  que  chez  les  anciens  peuples  de  notre  continent.  «  Un  certain  nombre  de 
prêtres,  dit  le  père  Pierre  de  Gand  {Lettre  insérée  dans  la  coll.  Ternaux  Compans, 
r*  série,  t.  X,  p.  197),  ne  pouvaient  avoir  de  femmes,  sed  earum  loco  puei'os  abuteban- 
tur.  Ce  péché  était  si  commun  dans  le  pays  que  jeunes  ou  vieux  en  étaient  infectés  ; 
ils  y  étaient  si  adonnés  que  même  des  enfants  de  six  ans  s'y  livraient.  »  Il  faut  pro- 
bablement tenir  compte  de  l'exagération  de  ce  récit. 


314  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

dans  un  combat,  s'emparait  d'un  prisonnier  fait  par  un  autre, 
celui  qui  était  chargé  de  cultiver  les  terres  des  enfants  ou  des 
incapables  et  qui  négligeait  ce  devoir  pendant  deux  années 
consécutives,  celui  qui  volait  des  objets  d'or  ou  d'argent 
consacrés  aux  dieux,  devaient  aussi  être  punis  de  mort  (1). 
Il  en  était  de  môme  pour  la  séduction  d'une  femme,  ayant 
fait  vœu  de  chasteté,  ou  d'une  femme  mariée,  appartenant 
au  même  Calpulli.  La  femme  adultère  était  écartelée  et  ses 
membres  partagés  entre  tous  les  hommes  du  Calpulli. 

La  restitution  de  l'objet  volé  effaçait  le  vol  ;  mais  <à  défaut  de 
cette  restitution,  le  voleur  devenait  esclave  pour  la  vie.  Les  ca- 
lomniateurs avaient  les  lèvres  coupées.  Les  vieillards  âgés  de 
plus  de  soixante-dix  ans  pouvaient  seuls  s'enivrer;  au-dessous 
de  cet  âge,  l'ivrogne  avait  les  cheveux  rasés  et,  s'il  était  revêtu 
d'une  dignité,  il  était  publiquement  dégradé. 

Les  peines  corporelles  étaient  rares.  Il  était  honteux  même 
pour  un  esclave  d'être  frappé.  La  pictographie  cependant  nous 
montre  un  père  ou  un  maître,  châtiant  un  enfant  par  le  fouet. 
Des  prisons  existaient  dans  les  différents  teocallis  et  dans  les 
édifices  publics  (2);  si  nous  devons  en  croire  les  Conquistadores, 
ces  prisons  étaient  des  locaux  infects,  et  l'air  tellement  vicié 
que  les  malheureux  y  périssaient,  rapidement  asphyxiés. 

Aucune  loi  écrite  ne  réglait  ces  diverses  peines;  elles  étaient 
probablement  appliquées  selon  d'anciennes  coutumes  et  devaient 
certainement  varier  chez    les   diverses  tribus. 

jNous  avons  dit  que  la  réunion  des  Calpulli  unis  par  les  liens 
d'un  territoire  commun,  de  rites  religieux  communs,  d'un  lan- 
gage commun,  formait  la  tribu  (3);  elle  était  gouvernée  par  un 
conseil  composé  des  délégués  de  chaque  Calpulli  [Tlatoani,  les 
orateurs,  ou  Tcchiitatoca,  les  chefs  parleurs).  Ils  se  réunissaient 
au  Tecjjan,  la  salle  du  conseil,  et  avaient  le  devoir  de  maintenir 

(1)  Mendieta,  l.  c,  L.  II,  c.  xxix.  — Vetancurt,  Teutro  Mexicano,  t.  I,  p.  484. 

(2)  Teilpiloyaii  ou  Tecaltzaqualoyan.  Mendieta,  l.  c,  c.  xxix,  p.  138.  —  Molina, 
Vocabulario  in  Lengua  Castillana  y  M exicana  ;  Mexico,  1571,  t.  II,  p.  86-91. 

(3)  On  cite  des  tribus  qui  comprenaient  jusqu'à  vingt  Calpulli. 


LES  PEUPLES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  313 
la  coutume  des  ancêtres,  avant  tout  de  conserver  la  bonne  har- 
monie parmi  les  Calpulli,  tâche  fort  difficile,  au  récit  des  chro- 
niqueurs (1). 

Dans  la  tribu,  comme  dans  le  Calpulli,  aucune  charge, 
aucune  dignité,  n'étaient  héréditaires.  Elles  s'obtenaient  toutes 
par  l'élection,  à  l'exception  du  titre  de  Tecuhtli  (grand-père)  qui  se 
donnait  pour  des  actes  de  bravoure  devant  l'ennemi ,  pour  de  longs 
et  importants  services  soit  au  conseil,  soit  dans  les  ambassades 
dont  nous  avons  dit  les  périls.  Il  était  aussi  possible  de  l'obtenir 
par  une  série  d'initiations,  auxquelles  devait  se  soumettre  celui 
qui  prétendait  à  cet  honneur.  Pendant  quatre  jours  et  quatre 
nuits,  il  était  enfermé  dans  le  principal  teocalli  de  la  tribu  et 
soumis  au  jeûne  le  plus  rigoureux.  Des  saignées  étaient 
pratiquées  sur  toutes  les  parties  de  son  corps;  tout  sommeil  lui 
était  interdit;  ses  gardiens  lui  arrachaient  ses  vêtements,  le  flagel- 
laient cruellement,  et  pour  ajouter  à  sa  misère,  ils  se  livraient 
devant  lui  à  des  festins  somptueux,  auxquels  il  devait  assister, 
^ans  perdre  un  instant  son  impassibilité.  Les  quatre  jours  écoulés, 
le  novice  retournait  à  son  Calpulli,  y  passait  une  année  entière 
dans  la  retraite  et  la  pénitence  la  plus  sévère,  se  mutilant  et 
s'infligeant  des  tortures  corporelles,  souvent  intolérables.  Pen- 
dant ce  temps,  ses  frères  réunissaient  les  présents  qu'ils  étaient 
tenus  d'offrir  aux  dieux,  aux  chefs  de  la  tribu,  aux  prêtres  et 
aux  hommes  de  la  médecine.  A  l'expiration  de  l'année,  le  futur 
TecwA^/z  devait  se  rendre  au  teocalli  et  se  soumettre  de  nouveau 
aux  épreuves  qu'il  avait  déjà  subies;  elles  se  terminaient  enfin  ! 
par  un  grand  festin,  où  on  lui  remettait  les  ornements,  qu'il 
avait  désormais  le  droit  de  porter  et  qui  constituaient,  paraît-il, 
son  unique  privilège  (2). 

Nous  avons  résumé  tous  les  faits  actuellement  connus  surTorga- 

(1)  A  de  Zurita,  Rapport  sur  les  différentes  classes  de  chefs  de  la  Nouvelle-Espa- 
gjie.  Ternau\  Compans,  2*  série,  t.  II. 

(2)  Sahagun,  L.  VIII,  c.  xxxviii,  p.  329.  —  Ixtlilxochitl,  Relaciones,  app.,  p.  257.  — 
Mendicta,  L.  II,  c.  xxxviii,  p.  156.  Il  est  curieux  de  retrouver  chez  les  Indiens  de  l'Ore- 
jioque  et  chez  les  Yucas,  des  cérémonies  à  peu  près  analogues  (Bandelier,  /.  c,  p.  C43 
et  note  171.) 


316  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

nisation  et  le  gouvernement  des  divers  peuples  appartenant  à  la 
puissante  race  nathuatl,  qui  s'étaient  successivement  abattus  sur 
l'Amérique  centrale  et  particulièrement  sur  l'Anahuac.  Il  nous 
reste  à  raconter  les  ruines,  dont  chaque  jour  fait  mieux  ressortir 
l'importance,  qui  surgissent  sous  les  yeux  du  voyageur  jusque 
dans  les  déserts  et  au  milieu  des  forêts  réputées  impénétrables. 
Avant  d'aborder  ces  nouvelles  questions,  nous  ne  saurions 
omettre  une  observation,  qui  ne  peut  avoir  échappé  au  lecteur. 
Tous  les  progrès  dont  la  démocratie  moderne  s'attribue  et 
l'honneur  et  le  profit,  existaient  chez  les  peuples  de  l'Amérique, 
bien  avant  la  conquête  espagnole  ;  l'absence  de  tout  principe 
d'hérédité  dans  la  propriété  comme  dans  la  famille,  le  commu- 
nisme dans  le  pueblo  comme  dans  le  Caipulli,  l'omission,  si 
étrange  qu'elle  puisse  paraître,  de  tout  nom  se  transmetlant  du 
père  au  fils,  et  pouvant  perpétuer  chez  les  descendants  la  gloire 
des  ancêtres;  l'éducation  en  commun  de  tous  les  enfants,  sous  la 
seule  autorité  des  représentants  du  Caipulli;  l'élection  à  tous  les 
offices,  à  toutes  les  charges  ;  l'annihilation  de  l'individu  au  profit 
de  la  communauté.  Où  donc  ont  abouti  ces  institutions,  que 
l'ignorance  ou  la  passion  se  plaisent  à  montrer  au  genre  humain, 
comme  les  phares  lumineux  de  l'avenir?  A  l'anarchie  la  plus 
complète;  à  des  luttes  sans  fin  ni  trêve,  de  tribu  à  tribu,  de 
Caipulli  à  Caipulli;  à  des  haines  si  intenses,  que  les  Espagnols 
apparurent  comme  des  libérateurs  et  que  leur  victoire  fut  due 
autant  aux  services  d'alliés,  ardents  à  échapper  au  joug  qui 
pesait  sur  eux,  qu'au  courage  de  leurs  soldats. 


\ 


CHAPITRE  VU 

LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE. 


Dans  un  précédent  chapitre,    nous   avons  résumé    ce  qu'il   lcs  ruines  de 

^  ^  ^         l'Amérique 

était  possible  de  savoir  sur  les  races,  qui  du  nord  de  l'Améri-  centrale. 
que  s'élançaient  vers  le  sud,  fondant  des  empires,  bâtissant 
des  villes,  couvrant  des  régions  entières  de  leurs  constructions; 
puis  disparaissant,  sans  que  l'histoire  ait  consacré  leur  nom, 
sans  que  la  tradition  ait  conservé  leur  souvenir.  Pour  complé- 
ter cette  étude,  il  faut  maintenant  demander  ce  qu'ils  peuvent 
raconter,  aux  monuments  ou  plutôt  aux  ruines,  que  le  temps  et 
les  hommes  ont  été  également  impuissants  à  détruire. 

Une  première  remarque  s'impose  ;  nous  ne  voyons  surgir  ces 
constructions  grandioses,  telles  que  celles  de  l'Egypte  ou  de 
l'Assyrie,  de  l'Inde  ou  de  la  Chine,  que  dans  des  conditions 
identiques  ;  il  faut  des  peuples  vivant  sous  un  régime  despo- 
tique, une  race  conquérante  imposant  par  la  force  les  travaux 
nécessaires  à  un  peuple  soumis.  Les  vainqueurs  apportent  leur 
goût,  leurs  traditions,  leur  génie  particulier;  les  vaincus  don- 
nent les  éléments  matériels,  leurs  labeurs  et  leurs  sueurs.  Les 
études  récentes  permettent  d'affirmer  que  les  mêmes  faits  se 
sont  passés  en  Amérique  et  que  les  monuments  qui  subsistent 
encore,  n'ont  pas  eu  une  autre  origine. 

Ces  études  entreprises  au  prix  d'explorations  toujours  diffici- 
les, souvent  dangereuses,  ont  permis  de  tenter  des  essais  de  clas- 
sement, de  noter  les  points  de  ressemblance  et  de  différence  ; 


318  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

déjà  on  peut  distinguer  l'architecture  Maya,  de  l'architecture 
Nahuatl,  et  chez  les  Mayas  eux-mêmes,  les  édifices  du  Chiapas 
de  ceux  du  Yucatan  (1). 
Le  Chiapas        Lcs  monumeuts  de  Palenque  (2)  comptent  à  bon  droit  parmi 

Palenque.  i  \    /  i  i 

les  plus  remarquables  du  Chiapas.  La  yille  s'élevait  dans  la  ré- 
gion arrosée  par  l'Usumacinta;  c'est  là  que  se  sont  établis  les 
premiers  immigrants,  dont  il  a  été  possible  de  retrouver  la  trace. 
Sa  position,  au  pied  des  premiers  contreforts  des  montagnes, 
sur  les  bords  d'une  petite  rivière  l'Otolum,  un  des  tributaires 
du  Tulija,  était  admirablement  choisie  (3)  ;  les  rues  s'étendaient 
sur  une  longueur  de  six  à  huit  lieues  et  suivaient  irrégulière- 
ment le  cours  des  ruisseaux,  qui  descendaient  des  montagnes 
et  fournissaient  en  abondance  aux  habitants,  l'eau  qui  leur 
était  indispensable.  Les  ruines  se  présentent  aujourd'hui  au 
milieu  de  solitudes  imposantes  qui  ajoutent  à  l'effet  qu'elles 
produisent.  Elles  étaient  totalement  inconnues;  Cortès  dans  une 
de  ses  expéditions  passa  à  quelques  miles  de  Palenque,  sans  se 
douter  de  son  existence,  et  ce  ne  fut  qu'en  1746,  que  le  hasard  y 
conduisit  un  curé  du  voisinage  (4). 

La  première  description  est  due  à  José  de  Calderon,  que  le 
gouvernement  espagnol  avait  envoyé  pour  les  reconnaître  (5). 
Depuis  elles  ont  été  visitées  par  de  nombreux  explorateurs; 
l'année  dernière  encore,  M.  Charnay  y  est  retourné  pour  la 
seconde  fois  et  les  estampages  des  hiéroglyphes  qu'il  a  relevés, 

(1)  Short,  The  Novth  Americans  of  Antiquity,  p.  340. 

(2)  Palenque  vient  d'un  mot  espagnol  qui  signifie  palissade  ;  le  nom  ancien  de  la 
ville  est  resté  inconnu. 

(3)  A.  del  Rio,  Descripcion  del  terreno  y  poblacion  antigua,  trad.  Ang.  Londres, 
1822.  —  Capitaine  Dupaix,  Relation  des  trois  expéditions  ordonnées  en  1805,  &  et  1 
pour  la  recherche  des  antiquités  du  pays,  notamment  de  celles  de  Mitla  et  de  Palenque, 
3  V.  f".  Paris,  1833  ;  voy.  aussi  Kingsborough,  /.  c,  t.  V  et  VI.  —  Waldeck,  Voy.  arch. 
et  pittoresque  dans  la  province  du  Yucatan,  f°.  Paris,  1838.  —  Stephens  and  Cather- 
wood.  Incidents  of  Travel  in  Central  America.  New- York,  1841.  — Idem  m  Yucatan, 
New-Vork,  1858.  —  Brasseur  de  Bourbourg,  Recherches  sur  les  ruines  de  Palenque 
avec  les  dessins  de  Waldeck,  f".  Paris,  1866.  —  Bancroft  (/.  c,  t.  IV,  p.  289  et  s.)  donne 
un  index  bibliographique  très  complet,  qu'il  est  utile  de  consulter. 

(4)  En  1750  seulement,  selon  D.  Diego  Juarros  {Hist.  of  the  Kingdom  of  Guatemala. 
London,  1823). 

(5)  Son  rapport  est  daté  du  15  décembre  1764. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  319 

figurent  au  nombre  des  pièces  les  plus  curieuses  du  nouveau 
musée  du  Trocadéro. 

Parmi  les  ruines  les  mieux  conservées,  nous  citerons  le  palais, 
le  temple  des  trois  tablettes,  le  temple  du  bas-relief,  le  tempje 
de  la  croix  et  le  temple  du  soleil  (1).  11  en  est  d'autres  encore, 
mais  moins  importantes;  Dupaix  parle  de  onze  édifices  encore 
debout;  quelques  années  auparavant,  A.  del  Rio  en  citait  vingt; 
Waldeck  dit  dix-huit  et  M.  Maler,  qui  visita  les  ruines  de  Palen- 
que  en  1877,  fixe  cà  douze  le  nombre  des  temples  ou  des  palais. 
Ces  contradictions  sont  plus  apparentes  que  réelles  ;  elles  s'expli- 
quent par  les  impressions  personnelles  de  chaque  voyageur  et 
par  les  divisions  qu'il  croit  devoir  adopter. 

Le  palais,  l'édifice  le  plus  important  de  Palenque,  repose 
sur  une  pyramide  tronquée  (2)  de  40  pieds  environ  de  hau- 
teur, et  dont  la  base  mesure  310  pieds  sur  260.  L'intérieur  de 
cette  pyramide  est  en  terre  rapportée  ;  les  faces  extérieures^sont 
revêtues  de  larges  dalles;  des  escaliers  conduisent  au  bâtiment 
principal,  qui  forme  un  quadrilatère  de  228  pieds  sur  180  (3); 
les  murs,  qui  ont  deux  à  trois  pieds  d'épaisseur,  sont  en  bloca- 
ges, couronnés  par  une  frise  encadrée  entre  deux  corniches  dou- 
bles. A  l'intérieur  comme  à  l'extérieur,  ils  étaient  revêtus  d'un 
stuc  très  fin  et  très  résistant,  peints  en  rouge  ou  en  bleu,  en  noir 
ou  en  blanc.  La  façade  principale  s'ouvre  à  l'est;  elle  compre- 
nait quatorze  entrées  de  9  pieds  environ  de  largeur,  séparées  par 
des  pilastres  ornés  de  figures  pleines  de  mouvement  (4)  ;  au- 
dessus  de  chaque  tête  sont  des  hiéroglyphes,  incrustés  dans  le  stuc 
(fig.  123).  Un  jour  on  découvrira  sûrement  leur  clef  ;  et  ce  jour-là, 
toute  l'histoire  de  Palenque  nous  sera  révélée.  De  nombreuses 

(1)  Nous  conservons  les  noms  donnés  par  les  divers  explorateurs,  faute  d'en  con- 
naître de  meilleurs. 

(2)  Des  galeries  souterraine  sont  été  reconnues  dans  Tintérieur  de  la  pyramide.  Ces 
pyramides  qui  rappellent  les  travaux  des  Mound-Buildors,  sont  le  point  le  plus  saillant 
de  l'architecture  de  l'Amérique  centrale. 

(3)  Stephens,  /.  c,  t.  II,  p.  310.  —  Waldeck,  Palenque,  pi.  2.  —  Armen  (bas  heulige 
Mexico)  donne  le  plan  par  terre  et  un  essai  de  restauration  du  temple.  —  Bancroft 
donne  également  un  essai  de  restauration  [l.  c,  t.  IV,  p.  323). 

(4)  Ces  figures  mesurent  plus.de  six  pieds  de  hauteur. 


320  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

niches  en  maçonnerie  qui  existent  dans  les  _  murs  méritent  une 
certaine  attention  à  raison  de  leur  ressemblance  avec  la  lettre  T 
ou  plutôt  avec  le  tau  égyptien  (1).  Waldeck  a  reconnu  sur  un 


Fig.  123.  —  Bas-relief  en  stuc  du  palais  de  Palenque. 

certain  nombre  d'entre  elles  des  traces  de  noir  de  fumée.  Il  en 
a  conclu  qu'elles  étaient  destinées  à  recevoir  des  torches  ;  d'au- 

(1)  «  Quant  aux  figures  de  tau,  si  fréquentes  dans  les  édifices,  dans  les  ornements 
des  bas-reliefs  et  même  dans  la  forme  des  jours,  quoiqu'il  soit  impossible  de  se  pro- 
noncer à  cet  égard  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  ou  ne  peut  guère  s'em- 
pêcher de  les  remarquer.  »  Jomard,  Bul.  Soc.  géog.  de  Paris,  t.  V,  2"  série,  p.  620.  — 
Sur  un  des  bas-reliefs  du  palais  reproduit  par  Bancroft  (/.  c,  t.  IV,  p.  317),  on  remar- 
que un  personnage  portant  un  ornement  en  forme  de  tau.  Nous  citons  au  chapitre  viii 
dans  la  vallée  de  Yucay  (Pérou)  des  fenêtres  ayant  également  cette  forme.  On  sait  que 
le  tau  dans  les  hiéroglyphes  égyptiens  signifie  la  vie.  Max  Uhlman,  Handbuch  der 
gesanten  Mgypstichen  AUerthumskunde,  t.  I,  p.  108. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  32i 

très  pouvaient  donner  à  des  salles  obscures  l'air  et  la  lumière, 
dont  elles  avaient  grand  besoin. 

L'intérieur  du  palais  répond  à  la  magnificence  de  l'extérieur  ; 
des  galeries  formant  péristyle  s'étendent  tout  autour  de  la  cour  ; 
les  salles  sont  ornées  de  bas-reliefs  en  granit  (fig.  124),  figures 
bizarres  qui  atteignent  jusqu'à  13  pieds  d'élévation.  Le  dessin, 
les  proportions  anatomiques  sont  corrects  et  toutes  ont  une 
expression,  qui  témoigne  de  l'habileté  de  l'artiste;  mais  le  faire 


Fig.  124.  —  Bas-relief  du  palais  de  Palenque. 

est  mou,  rond,  et  accuse  plutôt  un  art  en  décadence  que  l'àpreté 
d'un  art  naissant  (1). 

Ces  salles  étaient  réunies  par  des  corridors  ;  nous  reproduisons 
la  coupe  d'un  d'entre  eux  (fig.  125),  qui  permet  de  mieux  saisir  le 
genre  de  construction.  Les  architectes  de  Palenque  ignoraient 
le  plein  cintre  et  les  voûtes  étaient  formées  d'assises  superposées, 
comme  dans  les  monuments  cyclopéens  de  la  Grèce  ou  de  l'Italie. 

L'ensemble  de  l'édifice  est  complété  par  une  tour  à  trois 
étages,  mesurant  30  pieds  carrés  à  sa  base.  Ici  aussi  nous  trou- 
vons des  décorations  symboliques,  très  riches  et  encore  assez 

(1)  Viollet-le-Duc,  ap.  Charnay,  Cités  et  Ruines  américaines,  Int.,  p.  74. 
De  Nadaillac,  Amérique.  21 


322  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

bien  conservées.  Rien  n'indique  l'âge  de  ce  palais  ;  il  était,  nous 
l'avons  dit,  abandonné  lors  de  la  conquête  espagnole,  et  à  cette 
époque,  aucune  des  races  qui  peuplaient  le  sol  américain  n'é- 
tait capable  d'entreprendre  de  semblables  constructions.  Il  est 
cependant  possible  de  fixer  certaines  limites;  ainsi,  avec  les. 
pluies  tropicales  qui  durent  pendant  six  mois  de  l'année,  avec 
la  végétation  arborescente  qui  remplit  toutes  les  fissures,  aucun 
monument  n'aurait  pu  subsister  durant  le  nombre  de  siècles, 
que  l'on  attribue  par  exemple  à  ceux  de  l'Lgypte,  et  les  conjec- 
tures les  plus  hardies  ne  permettent  pas  de  faire  remonter  les 


1    1 

II 
1  '  1 

1     1 

1    '  -L 

1    -r 

Fig.  125.  —  Section  d'un  corridor  double  k  Palenque 

monuments  de  Palenque  plus  haut  que  les  premiers  siècles  de 
notre  ère  (1).  M.  Charnay,  depuis  sa  dernière  visite,  n'accepte 
même  pas  une  date  aussi  reculée  ;  pour  lui,  tous  les  monuments 
du  Yucatan  sont  dus  aux  Toltecs  et  ont  été  construits  entre  le 
douzième  et  le  quatorzième  siècle  (2).  Il  est  impossible  que 
ces  ornementations  délicates,  composées  de  petits  rondins  de 
ciment  appliqués  en  forme  de  losange,  sur  le  corps  de  la  mu- 
raille, aient  pu  résister  plus  longtemps  aux  effets  d'un  climat  des- 
tructeur. Une  seconde  observation  est  non  moins  importante  ; 
les  escaliers  sont  neufs,  les  marches  sont  entières,  les  arêtes  sont 


(1)  Bancroft  (t.  IV,  p.  362,  note  68)  rapporte  toutes  les  hypothèses  émises  sur  la 
date  de  la  fondation  de  Palenque  ;  elles  varient,  du  déluge  au  quinzième  siècle  de  1  "ère 
chrétienne.  La  marge,  on  le  voit,  est  large. 

(2)  BuL  Soc.  géog.,  novembre  1881. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  323 

vives  ;  nulle  part  on  ne  voit  l'usure,  indice  certain  d'une  longue 
habitation.  La  conclusion  est  forcée  ;  les  Palenquéens,  pour  des 
motifs  qui  restent  ignorés,  ont  dû  évacuer  la  ville  peu  de  temps 
après  la  construction  des  principaux  édifices. 

La  grosseur  des  arbres  qui  surplombent  les  toits  et  les  pyrami- 
des avait  été  acceptée  jusqu'ici,  comme  une  preuve  concluante 
de  l'antiquité  de  ces  constructions.  C'était  en  s'appuyant  sur  cette 
preuve,  que  Waldeck  parlait  de  deux  mille  ans  ;  M.  Larrainzar 
citait  un  arbre  des  ruines,  sur  lequel  il  avait  pu,  à  l'aide  du  mi- 
croscope, compter  jusqu'à  dix-sept  cents  cercles  concentriques  et 
auquel  il  accordait,  en  se  fondant  sur  les  données  reçues,  une  anti- 
quité de  1700  ans.  Mais  voici  que  M.  Charnay  apporte  des  conclu- 
sions toutes  différentes.  11  avait  coupé  un  arbuste  âgé  de  dix-huit 
mois  au  plus,  il  constatait  dix-huit  de  ces  cercles.  Sa  première 
pensée  fut  qu'il  y  avait  là  une  anomalie  ;  mais  après  avoir  fait 
abattre  des  arbres  d'espèce  et  de  grandeur  différentes,  il  vit  chez 
tous,  les  mêmes  faits  se  produire  dans  des  proportions  semblables. 
Ce  n'est  pas  tout  :  lors  de  sa  première  visite  à  Palenque  en  1859, 
M.  Charnay  avait  fait  abattre  des  arbres  qui  obstruaient  les  rui- 
nes, afin  de  prendre  des  photographies   plus  exactes.   D'autres 
arbres  les  avaient  remplacés  ;  ils  étaient  donc  âgés  en  1881  de 
vingt-deux  ans  ;  or  sur  la  tranche  de  l'un  d'eux,  de  soixante  à 
soixante-dix  centimètres  de  diamètre,  il  comptait  deux  cent  trente 
cercles  concentriques.   C'est  là  un  fait  de  physiologie  végétale 
curieux  ;   si   son  exactitude  est   reconnue,  nous   ne  saurions, 
sous  les  tropiques,  évaluer  l'âge  des  arbres  par  les  mêmes  procé- 
dés que  dans  nos  régions,  et  une  des  preuves  les  plus  sérieuses, 
que-  l'on  puisse  invoquer  pour  l'ancienneté  des  édifices  de  Pa- 
lenque ferait  absolument  défaut. 

Il  serait  trop  long  de  décrire  les  autres  monuments  de  Palen- 
que, que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  temples  (1).  Nous  devons 
cependant  une  mention  à  l'un  d'eux,  situé  sur  l'autre  rive  de  l'O- 

(1)  Le  grand  temple  de  Palenque  correspond  si  exactement  à  celui  de  Boro-Boudor, 
situé  dans  l'île  de  Java,  qu'il  n'est  guère  possible  de  contester  sérieusement  la  commu- 
nauté d'origine  et  la  destination  de  ces  deux  monuments.  fteDwerf'ffdmôour^,  avril  18G7. 


3:24  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

tolum  et  connu  sous  le  nom  de  Temple  de  la  Croix.  11  s'élève  sur 
une  pyramide  tronquée  et  forme  un  quadrilatère  avec  trois  ou- 
vertures de  face,  séparées  par  des  pilastres  massifs,  ornés  les  uns 
de  hiéroglyphes,  les  autres  de  figures  humaines.  La  frise  est 
également  couverte  de  figures,  et  parmi  celles  encore  visibles, 
Stephens  cite  une  tête  et  deux  torses,  qui  par  la  perfection  de 
leurs  formes  rappellent  l'art  grec.  Les  ouvertures,  toutes  à  angle 
droit,  donnent  sur  une  galerie  intérieure  qui  communique  avec 
trois  petites  chambres.  L'une  de  ces  chambres,  celle  du  centre, 
renferme  un  autel  qui  figure  assez  bien  une  caisse  ouverte,  ornée 
d'une  petite  frise  avec  encadrement.  Aux  deux  extrémités  supé- 
rieures de  la  frise  se  déploient  deux  ailes  qui  rappellent  le  genre 
d'ornementation  si  souvent  employé  sur  les  frontons  des  monu- 
ments de  l'Egypte  (1). 

Au-dessus  de  l'autel  était  la  tablette  de  la  croix  (fig.  126),  arra- 
chée de  son  emplacement  primitif  par  la  main  d'un  fanatique  qui 
voulait  y  voir  le  signe  sacré  de  la  foi  du  chrétien,  miraculeuse- 
ment conservé  par  les  anciens  habitants  du  palais.  La  tablette 
fut  enlevée,  puis  abandonnée,  nous  ne  savons  pour  quel  motif,  au 
milieu  de  la  foret  qui  couvre  une  partie  des  ruines.  Ce  fut  là  que 
les  Américains  la  découvrirent,  s'en  emparèrent  et  la  transpor- 
tèrent à  Washington,  où  elle  fait  partie  des  collections  du  musée 
national  (2).  Le  centre  représente  une  croix  appu\ée  sur  une 
figure  hideuse  et  surmontée  d'un  oiseau  fantastique.  A  droite,  un 
personnage  debout  offre  des  présents  ;  à  gauche,  un  autre  per- 
sonnage dans  une  attitude  recueillie,  semble  implorer  la  divinité. 
Le  costume  des  deux  personnages  ne  ressemble  à  rien  de  ce  que 
l'on  connaît  ;  au-dessus  de  leurs  têtes,  on  distingue  plusieurs  carac- 
tères hiéroglyphiques.  Une  dalle  située  à  droite  en  est  également 
couverte.  Ces  inscriptions  sont-elles  des  prières  aux  dieux,  l'histoire 
du  pays  ou  celle  du  temple,  le  nom  ou  la  dédicace  des  fondateurs, 
c'est  ce  qu'il  est  impossible  de  dire  dans  l'état  actuelde  la  science. 

(1)  Charnay,  l.  c,  p.  417.  Nous  lui  empruntons  la  plupart  de  ces  détails.  — Del  Rio, 
/.  c,  p.  17.  —  Waldeck,  pi.  XX.  —Stephens,  l.  c,  t.  II,  p.  344. 

(2)  Ch,  Rau,  The  Valenque  Tablet.  Smith.  Cont.,  t.  XXII. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  325 

Au  fond  d'un  sanctuaire  récemment  découvert  par  M.  Maler 
auprès  de  Palenque  (fig.  127,  page  326)  (1),  on  voit  trois  dalles  de 
pierre  sculptées  en  faible  relief.  A  droite  et  à  gauche  sont  des 
hiéroglyphes;  au  centre,  une  croix  surmontée  d'une  tête  d'un 
aspect  étrange,  portant  au  cou  un  collier  avec  un  médaillon  ;  au-des- 


Fig.  12G.  —  Tablette  de  la  croix  à  Palenque. 

SUS  de  cette  tête,  un  oiseau  et  des  deux  côtés  des  personnages  qui 
rappellent  exactement  ceux  du  temple  de  la  Croix.  C'était  là,  un 
type  hiératique,  dont  il  n'était  pas  permis  à  l'artiste  de  s'écarter. 
La  présence  de  la  croix  à  Palenque,  sur  des  monuments  anté- 
rieurs à  l'introduction  du  christianisme,  n'est  pas  un  fait  isolé  ;* 


(1)  Nature,  11  octobre  1879. 


326  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Tauditeur  de  justice  Palacio  vit  à  Copan,  une  croix  avec  un  de  ses 


bras  brisés  (l);le  jésuite  Ruiz  en  cite  une  dans  le  Paraguay;  Gar- 

(1)  Carta  dirigada  al  Rey  de  Espaîïa  ano  lôîG  (publiée  à  Albany  avec  une  traduction 
anglaise  en  18G0). 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  327 

cilaso  de  la  Vega,  une  autre  à  Cuzco  ;  nous  en  avons  nous-mêmes, 
donné  plusieurs  exemples  (1  ).  La  croix 
était  regardée  comme  le  symbole  de 
la  puissance  créatrice  et  fertilisante 
de  la  nature,  et  sur  plusieurs  points 
on  l'honorait  par  des  sacrifices  de 
cailles,  d'encens  et  d'eau  lustrale. 

Nous  ne  pouvons  quitter  les  ruines 
de  Palenque  sans  mentionner  une 
statue  (fîg.  128)  remarquable  à  plus 
d'un  titre  (2).  L'expression  du  visage 
calme  et  souriante  est  celle  des 
statues  égyptiennes  :  la  coiffure 
rappelle  les  coiffures  assyriennes  ; 
un  collier  entoure  le  cou  ;  le  per- 
sonnage presse  sur  sa  poitrine  un 
instrument  et  appuie  sa  main  gau- 
che sur  un  ornement  ;  l'un  et 
l'autre  difficiles  à  déterminer.  Le 
socle  de  la  statue  porte  un  cartouche 
avec  une  inscription  hiéroglyphi- 
que (3)  indiquant  probablement  le 
nom  du  dieu  ou  du  héros  à  qui  elle 
était  dédiée. 

Ces  hiéroglyphes  présentent  une 
certaine  conformité  avec  ceux  de  l'E- 
gypte. Nous  revenons  avec  insistance 
sur  ce  point  curieux,  sans  vouloir 
cependant  résoudre  par  quelques 
ressemblances  accidentelles  le  grand 
problème  de  l'origine  des  races,  encore  moins  établir  que  des 

(1)  Voy.  chap.  rv,  p.  175. 

(2)  La  hauteur  de  la  statue  est  de  dix  pieds  six  pouces  ;  une  autre  semblable  lui  fai- 
sait pendant.  L'une  et  l'autre  devaient  former  des  pilastres,  car  un  côté  est  resté  brut  ; 
elles  ont  été  découvertes  et  reproduites  par  Waldeck. 

(-3)  On  peut  remarquer,  dans  les  divers  hiéroglyphes  que  nous  reproduisons,  la  pré- 


Fig  128.  —  Statue  provenant 
de  Palenque. 


328  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

rapports  aient  existé  entre  les  habitants  de  l'Egypte  et  ceux  de 
l'Amérique  centrale  à  l'époque  relativement  récente  où  les  mo- 
numents de  Palcnque  ont  été  érigés, 
copan.  Deux  raccs   ont  successivement  porté  le  nom  de  Quiches  :  les 

vieux  Quiches  d'origine  Maya,  à  qui  sont  dus  les  monuments  de 
Copan  et  de  Quirigua,  et  les  Quiches  Cakchiquels  qui  descen- 
daient probablement  des  premiers,  mais  qui  avaient  été  modifiés 
par  de  nombreuses  immigrations  Nahuatl.  Ces  derniers  existaient 
encore  à  l'état  de  nation,  lors  de  l'invasion  espagnole  ;  ils  oppo- 
sèrent une  vigoureuse  résistance  aux  Conquistadores  et  leur  capi- 
tale Utatlan  fut  prise  et  détruite. 

Copan  est  aujourd'hui  un  pauvre  village,  à  une  petite  dis- 
tance des  ruines,  sa  seule  réputation  est  l'excellence  de  son 
tabac  qui  rivalise  avec  celui  de  Cuba.  La  ville  ancienne  était 
située  sur  le  Rio  Copan,  affluent  duMotagua(l),aupied  des  mon- 
tagnes qui  séparent  le  Guatemala  du  Honduras  (2)  ;  ses  ruines 
sont  ensevelies  depuis  longtemps,  dans  des  forêts  à  la  puissante 
végétation,  où  l'on  ne  peut  avancer  que  la  hache  à  la  main  ; 
de  là,  l'oubli  où  elles  sont  si  longtemps  restées,  et  où  elles  restent 
encore  malgré  l'intérêt  qu'elles  présentent.  Nous  les  trou- 
vons mentionnées  pour  la  première  fois  dans  une  lettre  adressée 
en  1576,  au  roi  Philippe  II  par  Diego  de  Palacio  ;  mais  c'est  à 
Stephens,  que  nous  devons  la  seule  description  complète  qui 
existe  et  c'est  à  elle  que  se  réfère  l'abbé  Brasseur  de  Bourbourg 
qui  visita  deux  fois  Copan  en  1863  et  en  1866  (3). 

sence  de  plusfeurs  points  dans  un  ordre  déterminé  et  séparés  par  une  barre  du  reste 
de  l'inscription;  il  y  a  peut-être  là  une  clef  pour  un  Chanapollion  futur. 

(1)  Le  Motagua  se  jette  dans  la  baie  de  Honduras. 

(2)  Les  ruines  sont  situées  à  la  latitude  de  14''4.V  et  à  la  longitude  de  90''52'.  On 
a  quelquefois  confondu  Copan  avec  la  ville  qui  offrit  en  1530  une  si  héroïque  résis- 
tance à  Hernandez  de  Ghiaves. 

(3)  Outre  ceux  que  nous  venons  de  nommer,  on  cite  parmi  les  explorateurs,  Fran- 
cisco de  Fuentes  en  1700;  son  récit  a  été  publié  par  Domingo  Juarros,  A  Staiistical 
and  Commercial Hist.  of  Guatemala.  London  1824,  et  parle  colonel Galindo  en  1832. 
Bul.  Soc.  Géog.  de  Paris,  2'  s.  1836,  t.  V,  p.  267.  —  Stephens  et  Catherwood  visitèrent 
les  ruines  en  1839.  Leur  ouvrage  est  intitulé  :  Views  of  Ancient  Monuments  in  Central 
America,  Chiapas  and  Yucntan  f".  New- York,  1844.  Bancroft  donne  pour  Copan,  comme 
pour  Palenque,  un  index  bibliographique  très  complet. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  329 

Dans  leur  état  actuel,  les  ruines  couvrent  une  enceinte  de 


900  pieds  sur  1600.  Les  murs,  construits  en  immenses  blocs 
de  pierre,  partiellement  détruits  par  les  racines  des  arbres  qui 


330  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

les  pénètrent  de  toutes  parts,  mesurent  près  de  25  pieds  d'é- 
paisseur à  leur  base  ;  sur  certains  points,  ils  s'élèvent  en 
terrasses  et  conservent  encore  quelques  traces  de  peinture. 
Le  bâtiment  principal,  connu  sous  le  nom  de  temple,  est  situé 
au  nord-ouest  de  l'enceinte.  Sa  forme  est  celle  d'une  pyramide 
tronquée,  dont  les  côtés  ont  624  pieds  au  nord  et  au  sud,  et 
809  pieds  à  l'est  et  à  l'ouest.  Les  murs,  sur  la  face  qui  regarde 
la  rivière,  sont  perpendiculaires  et  varient  de  60  à  90  pieds  de 
hauteur;  sur  les  autres  faces,  ils  sont  fortement  inclinés.  Il  esta 
peine  nécessaire  de  faire  ressortir  la  ressemblance  de  cette  cons- 
truction avec  les  mounds  duMississipiet  del'Ohio.  Les  pyramides 
étaient  consacrées  aux  dieux  des  Mayas,  comme  aux  dieux  des 
Mound-Builders  et  c'est  sur  les  plates-formes  qui  les  couronnaient 
que  les  uns  et  les  autres  prétendaient  honorer  ces  dieux,  par  des 
sacrifices  trop  souvent  sanglants. 

En  s'éloignant  de  la  rivière,  des  pans  de  mur,  des  terrasse- 
ments, des  pyramides  qu'il  a  été  impossible  de  reconnaître  com- 
plètement, s'étendent  dans  la  direction  de  la  forêt  ;  des  montagnes 
de  décombres  indiquent  des  édifices  écroulés,  et  promettent 
une  ample  moisson  aux  archéologues  futurs  (1). 

Le  grand  nombre  de  statues,  d'obélisques,  de  colonnes 
chargées  de  sculptures  et  de  hiéroglyphes  (2),  est  un  des  faits 
les  plus  intéressants  que  nous  puissions  citer  parmi  les  décou- 
vertes de  Gopan.  JNous  donnons  une  de  ces  statues  (fîg.  130)  qui 
paraît  la  plus  haute  expression  de  l'art  maya  et  nous  ne  savons 
ce  qui  doit  le  plus  étonner,  de  la  bizarrerie  de  la  conception,  de 
la  richesse  de  l'ornementation  ou  de  la  finesse  de  l'exécution.  On 
peut  aussi  citer  un  alligator  tenant  dans  sa  gueule  une  figure 
avec  une  tête  humaine  et  les  extrémités  d'un  animal,  et  un 
crapaud  gigantesque,  ayant  des  mains  terminées  par  des  ongles 
de  félide. 

(1)  Galindo,  Am.  Ant.  Soc.  Trans.,  t.  II,  p.  547.  Dans  une  des  salles  du  palais,  le 
colonel  Galindo  découvrit  plusieurs  vases  en  terre  rouge  renfermant  des  ossements 
mêlés  à  de  la  chaux.  Bul.  Soc.  Géog  ,  t.  V,  2"  série.  Paris,  1836. 

(2)  Ces  hiéroglyphes  se  rapprochent  de  ceux  de  Palenque  ;  comme  ces  derniers,  ils 
sont  restés  indéchiffrables. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  331 


Fig.  130.  —  Statue  trouvée  parmi  les  ruines  de  Copan. 


332  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Sur  les  faces  d'une  des  pyramides  comprise  dans  le  périmètre 
de  l'enceinte  principale,  on  voit  des  rangées  de  têtes  (fig.  131). 
Pour  les  uns,  ce  sont  des  têtes  de  mort  (1),  pour  les  autres,  des 
singes  ;  ces  animaux  sont  très  nombreux  dans  la  région  et  pou- 
vaient bien  être  l'objet  de  la  vénération,  du  culte  même  des 
habitants.  Une  figure  humaine  (fig.  132)  découverte  auprès  du 
temple,  mérite  aussi  d'être  reproduite.  Les  habitants  de  Copan 
ont  laissé  leur  portrait  dans  les  bas-reliefs,  ils  l'ont  sculpté  sur  la 
pierre  dure,  ils  l'ont  modelé  en  terre  cuite.  Le  désir  de  perpétuer 


Fig.  131.  —  Tôte  de  singe  sur  une  pyramide  de  Copan. 

son  souvenir   est  un  sentiment  inné  chez  l'homme,   nous   le 
trouvons  dans  toutes  les  régions  et  dans  tous  les  temps. 

Le  Yucatan  entier  est  couvert  de  ruines  intéressantes.  Au 
nord,  Izamal,  Ake,  Merida,  Mayapan  ;  au  centre,  Uxmal, 
Kabah,  Labnâ  et  dix-neuf  autres  villes,  dont  l'étendue  atteste 
l'importance  ;  à  l'est,  Chichen-Itza,  une  des  merveilles  de 
l'Amérique.  La  région  du  sud  surtout  celle  qui  avoisine  le 
Guatemala,  est  moins  connue  ;  mais  déjà  nous  savons  que  la 
province  d'iturbide  réserve  de  brillantes  découvertes  aux  explo- 

(1)  Nous  avons  d'autres  exemples  de  cette  décoration.  A  Nohpat,  on  a  trouvé  une 
fi-ise  chargée  de  têtes  de  mort  et  de  tibias  en  croix.  Nohpat  pouvait  être  une  ville 
aussi  considérable  qu'Uxmal  ;  mais  les  ruines  elles-mêmes  ont  presque  entièrement 
disparu  (Stephens,  Yucatan,  t.  II,  p.  348). 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  GEiNTRALE.  333 

rateurs  (1).  La  plupart  de  ces  ruines  ont  été  décrites;  nous  nous 
bornerons  donc  à  résumer  rapidement  les  plus  importantes  parmi 
elles. 

Une  première  observation  est  nécessaire;  entre  les  monu- 
ments du  Chiapas  et  ceux  du  Yucatan,  il  existe  de  notables 
différences.  «  Le  système  de  construction  à  Palenque,  dit 
M.  Viollet-le-Duc,  ne  consiste  pas  comme  à  Chichen-ltza  ou  à 
Uxmal,  en  des  revêtements  d'appareil  devant  des  massifs  en 
blocages  ;  mais  en  des  enduits  de  stucs  ornés  et  de  grandes  dalles 


Fig.  132.  —  Fragment  découvert  auprès  du  temple  do  Copan. 

recouvrant  les  blocages.  Le  caractère  de  la  sculpture  à  Palenque 
est  loin  d'avoir  l'énergie  de  celle  que  nous  voyons  dans  les 
édifices  du  Yucatan  ;  les  types  des  personnages  représentés  dif- 

(1)  «  That  extensive  ruins  yet  lie  hidden  in  thèse  unexplored  régions  can  hardly  be 
doubted  ;  indeod  it  is  by  no  means  certain  that  the  grandest  cities,  even  in  the  sett- 
Icd  and  partially  explored  part  of  the  Peninsula,  hâve  yet  been  described.  »  (Bancroft, 
/.  c,  t.  IV,  p.  148.)  La  prédiction  de  M.  Bancroft  s'est  vérifiée  et  pendant  l'impression 
de  ce  volume,  M.  Charnay  découvi-ait  à  la  limite  de  la  province  de  Pachualco  et  du 
pays  revendiqué  par  le  Guatemala,  une  ville  en  ruines,  où  se  trouvent  des  monuments 
du  môme  style  que  ceux  de  Palenque.  L'origine  et  le  nom  de  cette  ville  sont  absolu- 
ment inconnus  et  M.  Charnay  s'est  cru  autorisé  à  lui  donner  le  nom  de  Lorillavd-City . 
La  décoration  consiste  généralement  en  une  application  de  stuc,  elle  est  en  très  mau- 
vais état  ;  l'habile  explorateur  a  pu  néanmoins  relever  cinq  bas-reliefs  et  en  prendre 
les  estampages.  Comme  à  Palenque,  on  retrouve  un  symbole  cruciforme  ;  mais  il  se 
rapproche  plus  de  la  croix  bouddhique  que  de  la  croix  chrétienne.  Hamy,  Soc.  de 
Géog.  séance  du  2  janvier  1882. 


334  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

fèrent  plus  encore  ;  ils  accusent  des  traits  éloignés  de  ceux  de 
la  race  Aryenne  à  Palenque  ;  ils  s'en  rapprochent  sensiblement 
à  Chichen-Itza.  Enfin  ce  n'est  que  dans  les  monuments  du  Yuca- 
tan  qu'apparaissent  les  traditions  si  sensibles  de  la  structure  en 
bois  (1).  » 

«  Rien  ne  peut,  ajoute  Charnay  (2)  après  ses  premières  explo- 
rations, lutter  de  richesse,  de  grandeur  et  d'harmonie  avec  les 
édifices  d'Uxmal.  Il  n'est  pas  improbable  que  les  fondateurs 
des  yilles  yucatèques  descendissent  des  habitants  de  Palenque,  ou 
tout  au  moins,  que  leur  civilisation  ne  procédât  de  cette  civili- 
sation beaucoup  plus  ancienne.  » 

A  ces  très  justes  remarques,  il  faut  ajouter  qu'à  Copan,  on 
peut  déjà  constater  ces  différences.  Les  sculptures,  les  orne- 
ments qui  les  surchargent,  s'éloignent  de  ceux  de  Palenque, 
pour  se  rapprocher  de  ceux  que  nous  allons  décrire  à  Uxmal 
ou  à  Chichen-Itza.  Nous  avons  donc  là,  le  trait  d'union,  entre 
deux  genres  de  constructions  en  apparence  seulement  dissem- 
blables. 
Uxmal.  L'origine  du  nom  d'Uxmal  est  inconnue.  Les  ruines  sont  à  une 

distance  de  35  miles  environ  de  Mérida  et  couvrent  une  super- 
ficie considérable  (3).  La  Casa  del  Gohernador  (fig.  133),  la  plus 
remarquable  de  toutes,  s'élève  sur  une  éminence  naturelle,  arti- 
ficiellement agrandie  au  moyen  de  blocages  et  coupée  par  trois 
terrasses  successives;  les  parois  sont  en  pierres  appareillées,  re- 
liées par  un  mortier  très  dur.  La  Casa  elle-même  a  322  pieds  de 
longueur  sur  39  de  largeur  et  environ  26  de  hauteur.  L'intérieur 
comprend  un  double  corridor,  dont  la  section  rappelle  celle  que 
nous  avons  décrite  à  Palenque  (fig.  125)  et  plusieurs  chambres 

(1)  VioUot-le-Duc,  Int.^  p.  97  ap.  Charnay,  Cités  et  Ruines  américaines.  Il  faut  ce- 
pendant relever  l'étrange  erreur  qu'il  commet  à  propos  des  Aiyens,  Rien  jusqu'à  pré- 
sent ne  permet  de  rattacher  les  races  aryennes  aux  races  américaines. 

(2)  Cités  et  Ruines  am.,  p.  437. 

(3)  Waldeck,  Voy.  pittoresque  et  arch.  dans  (a  prov.  de  Yucatan,  f°.  Paris,  1838.  — 
Norman,  Rumbles  in  Yucatan.  New- York,  1843.  —  Baron  von  Friederichstahl,  les  mon. 
du  Yucatan; Nouv.  Ann.  des  Voy.,  1841.  —  Charnay,  Cites  et  Rtcinesamér.  Paris,  1863. 
—  Bancroft,  The  Native  Races,  t.  IV,  p.  149.  —  Short,  The  North  Americans  of  Ant., 
p.  347. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  335 

de  dimensions  très  variables.  Les  murs  de  ces  chambres  sont  en 
pierres  brutes  sans  trace  de  peinture,  ni  de  sculpture;  sur  un  ou 
deux  points  seulement,  se  voient  quelques  restes  de  plâtre.  Les 
portes  étaient  surmontées  de  linteaux  en  bois  de  sapotillier; 
un  de  ces  linteaux,  couvert  d'ornements  finement  fouillés,  est  au 
musée  de  Washington. 

Toute  la  richesse  de  l'ornementation  était  réservée  pour  Is 
murs  extérieurs.  A  un  tiers  environ  de  la  hauteur,  une  frise 
court  autour  du  bâtiment  et  présente  une  série  de  méandres, 
d'arabesques,  d'ornements  de  tout  genre,  d'un  travail  aussi 
capricieux  que  bizarre  (1).  Parmi  ces  ornements  dominent  les 
grecques;  ce  motif  d'ornementation,  si  connu  depuis  des  siècles 
sur  notre  continent,  vient  témoigner  à  son  tour  du  génie  de 
l'homme,  toujours  et  partout  semblable,  et  cela  jusque  dans  ses 
moindres  conceptions. 

On  a  cru  reconnaître  parmi  les  ornements  des  trompes  d'élé- 
phants; ce  serait  un  fait  curieux  (2),  car  l'éléphant  ne  vivait  cer- 
tainement pas  en  Amérique,  lors  de  l'érection  des  monuments 
d'Uxmal  ;  son  souvenir  s'était  conservé  par  une  constante  tradi- 
tion et  peut-être  avons-nous  là  une  preuve  de  l'origine  asiatique 
de  cette  civilisation. 

D'autres  animaux  avaient  également  servi  de  modèle  aux  ou- 
vriers ;  à  la  Casa  de  Tortuguas  la  décoration  consiste  en  une  imi- 
tation de  palissades  formées  de  rondins  de  bois;  sur  la  frise 
supérieure,  des  tortues  saillantes  rompent  seules  les  lignes  hori- 
zontales (3). 

Devant  le  palais,  une  pierre  ronde  de  plusieurs  mètres  de  hau- 
teur, sans  ornements,  sans  trace  même  d'un  travail  humain,  se 
dresse  comme  une  colonne  ;  d'autres  pierres  semblables  avaient 


(1)  Brasseur  de  Bourbourg,  Eist.  des  nat.  civ.  du  Mexique  et  de  CAm.  centrale, 
t.  II,  p.  23. 

(2)  On  retrouve  ce  même  ornement  à  la  Casa  Grande  de  Zayi,  à  une  petite  distance 
d'Uxmal.  «  J'ai  été  frappé,  dit  Waldeck  (Foy. /)i7f.,  p.  74),  de  la  ressemblance  qu'of- 
frent ces  étranges  édifices  Mayas  avec  la  tête  de  l'éléphant.  »  Voy.  aussi  Humboldt, 
Vues  des  Cordillères,  éd.  1810,  p.  92. 

(3)  Viollet-le-Duc,  Int.,  p.  C9. 


I 


336  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

été  érigées  sur  plusieurs  points  de  La  ville.  On  a  voulu  y  voir  des 
imitations  du  phallus  et  conclure  de  là,  au  culte  phallique  des 
anciens  Yucatèques  (1).  Ne  serait-il  pas  plus  à  propos  de  regar- 
der ces  pierres  comme   des  gnomons,  semblables  à  ceux  que 


Fig.  133.  —  Casa  del  Gobernador,  Uxmal. 


nous  aurons  plus  tard  à  décrire,  en  parlant  des  monuments  du 
Pérou? 

La  Casa  de  Monjas  passe  pour  la  construction  la  plus  remar- 
quable de  l'Amérique  centrale  ;  elle  offre  de  grandes  ressemblan- 
ces avec  la  Casa  del  Gobernador.  Ici  aussi  nous  voyons  le  mound 
traditionnel,  surmonté  d'une  plate-forme,  sur  laquelle  s'élèvent 
quatre  bâtiments  différents,  entourant  la  cour  (2).  Ces  bâtiments 

(  1  )  Brasseur  de  Bourbourg  (/.  c,  t.  IV,  p.  G7)  nous  dit  que  les  indigènes  appellent  ces  pier- 
res Aq^ picotes  et  croient  qu'elles  étaient  destinées  à  servir  de  poteaux  de  flagellation. 

(2)  Les  mesures  de  ces  bâtiments  données  par  les  différents  explorateurs  diffèrent 
considérablement.  Bancroft  (t.  IV,  p.  174)  les  reproduit.  Nous  y  renvoyons  le  lecteur- 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  337 

renferment  88  chambres  assez  petites,  régulièrement  espacées 
et  rappelant  celles  des  pueblos  du  Nouveau  Mexique  ;  les  murs 
intérieurs  sont  nus  ;  les  portes  manquent  complètement.  Il  est 
évident  que  les  habitants  protégés  par  leur  pauvreté,  peut-être 
parla  sainteté  du  lieu,  vivaient  dans  une  complète  sécurité. 

Les  murs  extérieurs  sont  ornés  d'une  vaste  frise,  où  l'art  des 
indigènes  se  montre  dans  sa  grandeur  et  dans  son  origi- 
nalité. «  Chaque  porte  de  deux  en  deux,  est  surmontée  d'une 
niche  merveilleusement  ouvragée,  que  devaient  occuper  des 
statues.  Quant  à  la  frise  elle-même,  c'est  un  ensemble  extraor- 
dinaire de  pavillons,  où  de  curieuses  figures  d'idoles  ressortent 
comme  par  hasard  de  l'arrangement  des  pierres  et  rappellent  les 
têtes  énormes  sculptées  sur  les  palais  de  Chichen-Itza  ;  des  méan- 
dres de  pierres  finement  travaillées,  leur  servent  décadré  et  don- 
nent une  vague  idée  des  caractères  hiéroglyphiques  :  puis  vien- 
nent une  succession  de  grecques  de  grande  dimension,  alternées 
.aux  angles  de  carrés  et  de  petites  rosaces  d'un  fini  admirable  (1).  » 
On  a  calculé  que  toutes  ces  sculptures  couvraient  une  superficie 
de  24,000  pieds  carrés;  aucune  ne  se  ressemble  et  partout 
l'artiste  a  pu  donner  libre  carrière  à  son  imagination. 

Le  bâtiment  de  l'Ouest  est  le  plus  remarquable  de  cet  ensemble 
de  constructions;  malheureusement  il  est  en  grande  partie 
écroulé.  L'aile  gauche,  Casa  de  la  Culebra,  encore  debout,  pré- 
sente un  immense  serpent  à  sonnettes  courant  sur  toute  la  façade, 
dont  le  corps  se  roulant  en  entrelacs,  va  servir  de  cadre  à  des 
panneaux  divers  (2).  Le  bâtiment  du  Nord,  élevé  sur  une  plate- 
forme de  20  pieds  environ  de  hauteur,  domine  toute  la  cour  (3). 
Il  était  surmonté  de  treize  tourelles  (4)  chargées  d'ornements, 
dont  quatre  seulement  étaient  encore  debout,  lors  de  la  visite  de 
Stephens  (5).  Sur  quelques  points,  mieux  abrités  contre  les  intem- 

(1)  Charnay,  /.  c,  p.  36S. 

(2)  Charnay,  Z.  c,  p.  367. 

(3)  Waldeck,  /.  c,  pi.  XIII  et  XVIII. 

(4)  Ces  tourelles  mesuraient  7  pieds  de  hauteur. 

(5)  On  remarquait  sur  ces  tourelles  deux  figures  avec  le  pénis  en  érection,  ce  fait 
serait  une  confirmation  de  l'existence  du  culte  phallique  à  Uxmal. 

De  Naoaillac,  Amérique.  22 


338  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

péries,  on  a  constaté  des  traces  de  peintures  d'un  rouge  vif  et 

brillant  (1). 

On  ignore  absolument  la  destination  de  la  Casa  de  Monjas.On  a 
supposé  que  c'était  la  demeure  de  nobles  vierges  mayas,  chargées, 
comme  les  vestales  romaines  ou  les  mamacunas  péruviennes, 
de  la  garde  du  feu  sacré.  C'est  là  une  supposition  que  rien  n'au-- 
torise  ni  à  faire  ni  à  contredire.  Parmi  les  autres  édifices  d'Uxmal, 
nous  citerons  la  Casa  del  Adivifio  (2)  élevée  sur  une  pyramide 
de  88  pieds  de  hauteur  et  construite  en  blocages  noyés  dans  le 
mortier;  la  Casa  del  Ena?io  (3),  le  Tolokh-eis  ou  la  montagne 
sainte  et  la  pyramide  de  Ringsborough.  A  une  faible  distance  de 
la  ville,  on  rencontre  d'autres  ruines  datant  probablement  de  la 
même  époque,  présentant  la  même  architecture,  et  toujours  éle- 
vées sur  des  mounds,  qui  forment  une  plate-forme  inférieure. 
C'était  évidemment  là,  un  rite  consacré;  des  temples  des  dieux 
il  s'était  étendu  aux  palais  des  rois. 

En  racontant  les  kjôkkenmôddings,  les  mounds,  les  habitations 
des  Cliff-Dwellers,  il  fallait  mentionner  à  chaque  page,  les  ins- 
truments en  pierre  ou  en  os,  les  fragments  de  poterie  qui  venaient 
attester  la  présence  de  l'homme.  Nous  n'avons  à  raconter  au- 
cune découverte  semblable,  ni  à  Palenque,  ni  à  Copan,  ni  à 
Uxmal,  ni  dans  les  autres  villes  dont  nous  aurons  à  parler  et, 
les  fouilles  faites  jusqu'ici  n'ont  donné  que  quelques  rares  silex 
et  des  débris  de  poterie  plus  rares  encore.  Il  est  cependant 
impossible  que  des  monuments  semblables  aient  été  élevés, 
sans  une  population  importante  et  sans  une  longue  habitation. 
Pourquoi,  les  armes,  les  outils,  les  vases  ont-ils  disparu  ?  pour- 
quoi leurs  sépultures  ne  viennent-elles  pas  rendre  leurs  osse- 
ments ?  aucune  réponse  n'est  actuellement  possible  ;   la   terre 

(1)  Stephens,  Yucalan,  t.  II,  p.  307. 

(2)  A  la  Casa  del  Adivino,  les  murs  extérieurs  avaient  été  peints  eu  différentes 
couleurs. 

(3)  La  maison  du  nain,  dit  Charnay,  se  compose  d'un  corps  d'habitation  avec  deux 
salles  intérieures  et  d'une  espèce  de  chapelle  on  contre-bas.  Ce  petit  morceau  est 
fouillé  comme  un  bijou.  «  Chef-d'œuvre  d'art  et  d'élégance  »,  Waldeck,  /.  c,  p.  96. 
«  Loaded  with  ornaments  more  rich,  more  elaborate  and  carefully  executed  than  thoso 
of  any  other  édifice  in  Uxmal.  »  Stephens,  Yiicatan,  t.  I,  p.  313, 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  339 

d'Amérique  est  un  profond  mystère  ;  nous  ne  pouvons  que 
réunir  les  faits,  en  laissant  à  ceux  qui  viendront  après  nous,  le 
soin  d'en  tirer  les  conclusions. 

Les  ruines  de  Rabah  et  de  Labnâ,  très  rapprochées  de  celles 
d'Uxmal,  méritent  de  nous  arrêter  un  instant.  A  Kabah  une  pyra- 
mide mesurant  180  pieds  carrés  à  la  base  et  un  portique  (fig.  134) 


Kabah  et 
Laboà. 


Fig.  134.  —  Portique  à  Kabah. 

qui  rappelle  les  constructions  romaines,  surgissent  devant  le 
voyageur.  Comment  ce  souvenir  de  la  vieille  Rome  se  trouve-t-il 
au  milieu  des  solitudes  du  Nouveau  Monde?  et  comment  ne  pas 
admirer  cette  merveilleuse  similitude  du  génie  de  l'homme  arri- 
vant constamment  à  un  but  identique  ?  Nous  ne  nous  lassons 
jamais  de  le  montrer,  c'est  un  des  intérêts  de  cette  étude  (1). 

(l)  Stephens,  /.  c,  t.  I,  p.  398.  —  Baldwin,  Ancient  America.  New-York,  187.» 
p.  139. 


340  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  édifices  de  Labiîâ  n'étaient  guère  moins  remarquables  que 
ceux  d'Uxmal  ;  malheureusement,  leur  état  de  dégradation  est 
extrême  (1).  Le  bâtiment  principal  était  couvert  d'ornements  en 
stuc  qui  se  brisent  et  qui  disparaissent  rapidement.  On  peut  en- 
core reconnaître  une  rangée  de  têtes  de  mort,  des  bas-reliefs 
représentant  des  personnages  et  un  globe  d'un  diamètre  considé- 
rable, soutenu  par  deux  hommes,  dont  l'un  est  agenouillé.  Toutes 
ces  figures  conservent  quelques  traces  de  peintures. 

A  Zayi,  la  Casa  Grande  offre  trois  étages  en  retrait  (2)  ;  un 
escalier  mesurant  32  pieds  de  largeur  et  assez  semblable  à  ceux 
que  l'on  rencontre  sur  divers  points  du  Yucatan,  conduit  jusqu'au 
troisième  étage. 
€iiichcn-itza.  Chicheu-Itza  (3)  une  des  seules  villes  qui  ait  conservé  son 
antique  nom  maya,  dépendait  de  l'empire  de  Mayapan.  Lors 
de  la  destruction  de  cet  empire  au  xv"  siècle,  elle  parvint  à 
maintenir  son  indépendance  et  ce  fut  seulement  deux  siècles 
après  la  conquête,  le  13  mars  1697,  qu'elle  fut  prise  par  les 
Espagnols  et  livrée  au  pillage  ;  c'est  de  celte  époque  que  date 
sa  complète  destruction  (4), 

Sur  un  parcours  de  plusieurs  miles,  ce  ne  sont  que  des 
mounds  artificiels,  des  colonnes  renversées  (5),  des  sculptures 
brisées,  des  lourdes  colonnades,  qui  étonnent  par  leur  étendue, 
des  amas  de  décombres,  dernière  forme  de  monuments,  que 
l'homme  dans  son  fol  orgueil,  s'imaginait  édifier  à  jamais.  Ghi- 
chen  était  un  des  principaux  centres   religieux  du  Yucatan; 

(1)  Stephens,  l.  c  ,X.  II,  p.  16.  —  «  The  summits  of  the  neighbouring  hills  are  cap- 
ped  with  gray  brokeu  walls  for  many  miles  around.  »  Norman,  Rambles  in  Yucatan, 
p.  150. 

(2)  Le  premier  étage  mesure  265  pieds  sur  120  ;  le  second,  220  sur  60  ;  le  troisième 
enfin,  150  sur  18. 

(3)  De  Chichen  ouverture  d'un  puits  et  Itza  un  des  principaux  rameaux  de  la  race 
Maya. 

(4)  Landa  (Ev.  de  Merida  f  1579)  Relacion  de  la^  Cosas  de  Yucatan,  p.  .110.  —  Frie- 
dcrichstahl,  Nouv.  Ann.  de  Voy.,  1841,  p.  300  et  s.  —  Stephens,  Yucatan,  t.  II, 
p.  282.  —  Norman,  Rambles  in  Yucatan,  p.  104.  —  Charnay,  /.  c,  p.  339.  Le  baron  de 
Friederichstahl  visita  les  ruines  en  1840,  Stephens  et  Norman  en  1842,  Charnay  en 
1858. 

(5)  On  a  pu  compter  jusqu'à  480  socles  de  colonnes. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  341 

de  là  son  importance,  le  nombre  et  la  magnificence  de  ses 
temples  et  de  ses  édifices  (1).  Parmi  ceux  encore  debout,  on  cite 
le  cirque,  le  château,  le  palais  des  nonnes,  le  Caracol  ou 
escargot,  le  Chichanchob  ou  la  maison  rouge  :  tels  sont  les  noms 
sous  lesquels  ils  sont  aujourd'hui  désignés. 

Le  cirque  n'était  probablement  qu'un  gymnase  (2),  où  les 
jeunes  gens  venaient  lutter  de  vigueur,  d'adresse  et  d'agilité. 
Le  monument  comprenait  autrefois  deux  pyramides  parallèles 
avec  un  développement  de  110  mètres  environ.  Celle  de  gauche, 
encore  bien  conservée,  est  couverte  de  peintures.  Ce  sont  des 
processions  de  guerriers  ou  de  prêtres,  portant,  soit  des  armes, 
soit  des  offrandes;  ils  ont  la  barbe  noire,  des  coiffures  étranges 
sur  la  tête,  sur  les  épaules  de  larges  tuniques.  Les  couleurs  em- 
ployées sont  le  noir,  le  rouge,  le  jaune  et  le  blanc.  Les  bas- 
reliefs  extérieurs  sont  remarquables  ;  toutes  les  figures  offrent  le 
type  de  la  race  yucatèque  actuelle  et  sont  en  contraste  complet 
avec  les  têtes  en  pointe,  les  fronts  fuyants  qui  sont  repré- 
sentés à  Palenquc  et  que  l'on  prétend  retrouver  encore  aujour- 
d'hui chez  les  races  inférieures,  établies  dans  la  montagne. 

Le  Palais  des  Nonnes  repose  sur  un  massif  de  maçonnerie  de 
32  pieds  de  hauteur  et  de  160  sur  112  pieds  à  sa  base.  Le  bâti- 
ment, auquel  on  arrive  par  un  large  escalier,  était  à  deux  étages; 
les  murs  sont  ornés  de  riches  sculptures,  semblables  à  celles 
d'Uxmal  (3)  et  la  porte  possède  une  ornementation  de  cloche- 
tons de  pierre,  que  l'on  ne  saurait  mieux  comparer  qu'aux 
constructions  chinoises  ou  japonaises  (4).  A  l'intérieur,  se  trouve 
une  salle  de  47  pieds  de  longueur;  les  murs  sont  recrépis  en 


(1)  «  A  city,  which  I  hazard  little  in  saying,  raust  hâve  becn  one  of  the  largest  the 
world  lias  everseen.  »  Norman,  Ramhles,  p.  108. 
(•2)  Charnay,  /.  c,  p.  340  et  s. 

(3)  «  C'est  le  bijou  de  Chichen  pour  la  richesse  de  ses  sculptures.  »  Charnay,  /.  c. 
p.  342. 

(4)  Un  missionnaire  protestant  (Hardy,  Indian  Monachism,  p.  122)  fait  ressortir  les 
rapports  entre  les  édifices  de  Chichen  et  les  Topes  ou  les  Dagobas  des  Bouddhistes. 
«  Les  premiers,  ajoute-t-il,  ressemblent  tellement  à  ce  que  j'ai  vu  à  Anarajapoura 
(ancienne  capitale  du  Ceylan),  qu'après  avoir  jeté  les  yeux  sur  la  gravure  qui  repré- 
sente ces  ruines,  je  crus  tout  d'abord  avoir  affaire  à  une  illustration  des  dagobas.  » 


342  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

plâtre;   on  y  distingue   encore,  bien   qu'elles  aient  beaucoup 

souffert,  de  l'humidité,  des  hommes  couronnés  de  plumes. 

On  a  donné  le  nom  de  château  à  une  pyramide  dont  la  base 
mesure  197  pieds  sur  202.  Sa  hauteur  est  de  75  pieds  et  elle 
est  terminée  par  une  plate-forme  à  laquelle  on  accède  par  un 
escalier,  fermé  par  une  balustrade,  couverte  de  têtes  de  ser- 
pents ;  sur  cette  plate-forme  a  été  érigé  un  bâtiment  (1),  dont 
la  porte  principale  est  tournée  vers  le  nord.  Les  montants  de 


Fig.  135.  —  Montant  do  porte  au  château  de  Chichcn-Itza. 


cette  porte  sont  en  pierre,  et  chargés  de  sculptures.  Nous  repro- 
duisons un  des  bas-reliefs  (fig.  135)  qui  peut  donner  une  idée 
de  la  figure  et  de  la  coiffure  des  habitants.  L'ornement  atta- 
ché au  nez  est  particulièrement  caractéristique.  La  disposition 
intérieure  que  le  plan  (fig.  136)  permet  de  juger,  diffère  de 
tout  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'à  présent. 

Le  Chichanchob  (2)  ou  la  maison  rouge  (fig.  137),  est  le  monu- 
ment le   mieux  conservé  de    Chichen .  Il  comprend  un   seul 

(1)  Ce  bâtiment  mesure  seulement  49  pieds  sur  43. 

(2)  Nous  ne  savons  pourquoi  les  Indiens  donnent  à  cet  édifice  le  nom  de  la  Cuicel, 
la  prison. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  343 

corps  de  logis,  placé  sur  une  pyramide  peu  élevée,  avec  trois 
portes  au  couchant,  éclairant  une  galerie  de  la  même  longueur 
que  le  palais.  Cette  galerie  donne  accès  à  trois  salles,  qui  n'ont 


Fig.  13G.  —  Plan  par  terre  du  château  de  Chichen-Itza. 
a.  Piliers  carrés  au  centre  de  la  salie  principale  ;  6.  Colonnes  qui  supportent  la  porte  du  Nord. 

de  jour  que  par  leurs  portes.  M.  Charnay,  qui  donne  ce  détail, 
ajoute  qu'il  n'a  jamais  remarqué  de  fenêtres,  dans  les  nom- 
breuses ruines  du  Yucatan  qu'il  a  visitées. 


Fig.  137.  —  Le  Chichanchob  à  Chichen-Itza. 

Le  Caracol  est  un  bâtiment  circulaire  dont  le  diamètre  est 
de  22  pieds  seulement.  L'intérieur  rappelle  les  estufas  que  l'on 
voit  chez  les  Cliff-Dwellers  et  consiste  en  un  massif  de  maçon- 


344  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

nerie  avec  un  double  corridor  très  étroit.  Le  bâtiment  s'élève 
sur  deux  terrasses  artificielles  superposées  l'une  à  l'autre  (1); 
un  escalier  de  vingt  marches  (2)  conduit  de  la  première  à  la 
seconde,  il  est  orné  d'une  balustrade,  qui  représente  des  ser- 
pents enlacés.  Le  serpent  joue  un  grand  rôle  dans  l'architecture 
de  Chichen-ltza.  Il  se  rencontre  à  chaque  pas  et  il  est  difficile 
de  ne  pas  y  voir  un  symbole  religieux. 

On  ne  saurait  trop  répéter  la  richesse  des  sculptures  ;  l'é- 
glise bâtie  pour  les  Indiens,  est  remplie  de  bas-reliefs  arrachés 
aux  raines  (3).  Les  peintures  sont  plus  nombreuses  encore  que 
les  sculptures  ;  on  peut  voir  partout  de  longues  processions 
d'hommes  ou  d'animaux,  des  défilés,  des  combats,  des  luttes 
de  l'homme  contre  le  tigre  ou  contre  le  serpent,  des  arbres, 
des  maisons  (4).  Une  des  peintures,  encore  visible  sur  les  murs 
du  cirque,  représente  un  bateau,  qui  ressemble  aux  jonques  chi- 
noises, c'est  le  seul  exemple  connu,  jusqu'à  présent,  des  procédés 
de  la  navigation  de  ces  anciens  peuples  (5). 

Les  hiéroglyphes  ne  font  pas  non  plus  défaut.  Leur  forme 
rappelle  ceux  de  Copan.  Comme  eux,  ils  étaient  restés  indé- 
chiffrables et  nous  ne  savons  qu'une  seule  exception  que  nous 
hésiterions  même  à  rapporter,  tant  elle  paraît  étrange,  si  elle 
n'arrivait  avec,  l'autorité  d'une  société  scientifique  importante; 
celle  des  Antiquaires  américains  (6). 

Avant  de  raconter  cette  découverte,  il  convient  de  dire  la 
légende  sur  laquelle  elle  repose.  Chaac  Mol  (7)  était  un  des 
trois  frères,  qui  s'étaient  partagé  le  gouvernement  du  Yucatan. 
Il  avait  épousé  Rinich  Katmô,  princesse  d'une   merveilleuse 

(1)  La  terrasse  inférieure  mesure  223  pieds  sur  150,  la  terrasse  supérieure  80  pieds 
sur  55.  Stepiiens,  Yucatan,  t.  II,  p.  298. 

(2)  Les  marches  ont  45  pieds  de  longueur. 

(3)  Charnay,  /.  c,  p.  336. 

(4)  Stephens,  Yucatan,  t.  II,  p.  303,  305. 

(5)  Stephens  dit  en  parlant  de  ce  bateau  :  «  The  greatest  gem  of  aboriginal  art 
which  on  the  whole  continent  of  America  now  survives.  » 

(6)  Salisbury,  The  Mayas,  the  Sources  of  their  History.  Worcester,  1877.  —  Maya 
Arch.  Worcester,  1879.  —  Short,  The  North  Américain,  p.  390  et  s.  —  Lettre  du 
D'  Le  Plongeon  du  15  janvier  1878.  Proc.  Am.  Ant.  soc,  21  cet.  1878. 

(7)  Il  est  aussi  connu  sous  le  nom  de  Balam,  le  roi  tigre. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  345 

beauté,  qui  excita  l'ardent  amour  d'Aac,  un  de  ses  beaux-frères. 
Aac,  pour  obtenir  sa  main,  n'hésita  pas  à  faire  assassiner  son 
mari;  mais  Kinich  resta  fidèle  à  la  mémoire  de  Chaac,  et  sa 
piété  conjugale  la  porta  à  faire  exécuter  sa  statue  et  à  orner 
son  palais  de  peintures,  retraçant  les  principaux  événements  de 
sa  vie  et  les  tristes  scènes  de  sa  mort.  Dans  une  de  ces  pein- 


Fig.  138.  —  Bas-relief  trouvé  par  le  docteur  Le  Plongeon  à  Chichen-ltza. 

tures,  Aac  porte  à  la  main  trois  lances  qui  symbolisent  les 
trois  blessures  infligées  à  son  frère.  On  croit  reconnaître  le 
type  assyrien  dans  les  personnages  principaux  représentés  aux 
trois  quarts  de  leur  grandeur  naturelle.  A  côté  d'eux  on  re- 
marque d'autres  hommes  de  grande  taille,  avec  des  tètes  as- 
sez petites,  des  lèvres  épaisses,  des  cheveux  crépus;  on  a  pré- 
tendu y  voir  le  type  négroïde. 


346  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Le  docteur  Le  Plongeon  qui  visita  les  ruines  de  Chichen- 
Itza  en  1875,  parvint,  raconte-t-il,  à  déchiffrer  une  partie  des 
hiéroglyphes  qui  accompagnaient  les  figures;  ils  lui  apprirent 
que  le  tombeau  de  Chaac  Mol  se  trouvait  en  un  point  désigné,  à 
400  mètres  environ  du  palais.  Des  fouilles  furent  entreprises, 
et  mirent  successivement  au  jour  plusieurs  bas-reliefs,  représen- 
tant des  félidés  ou  des  oiseaux  de  proie  (fig.  138),  une  statue  de 
tigre  à  figure  humaine,  à  sept  mètres  plus  bas,  une  urne  en  pierre, 
surmontée  d'un  couvercle  en  terre  cuite  et  remplie  de  cendres 


/f5^?:;& 


Fig.  139.  —  Statue  de  Chaac  Mol  trouvée  à  Cliichen-Itza. 

qu'on  ne  paraît  pas  avoir  songé  à  analyser,  une  statue  enfin  figu- 
rant un  homme  couché  sur  une  pierre  sépulcrale  (fig.  139)  (1). 
Le  type  du  visage,  le  costume,  la  coiffure,  ne  ressemblent  en  rien 
à  ce  que  nous  avons  vu  soit  à  Chichen-Itza,  soit  dans  les  autres 
villes  du  Yucatan;  et  pour  ne  citer  qu'un  seul  fait,  les  sandales 
sont  celles  que  portent  à  leurs  pieds  les  momies  guanches  des 
îles  Canaries. 

Le  docteur  Le  Plongeon  ne  put  profiter  de  l'heureux  résultat 
de  ses  fouilles;  le  gouvernement  mexicain  réclama  la  statue;  elle 
est  aujourd'hui  déposée  au  musée  national  de  Mexico. 

(1)  Cotte  statue  mesure  l'^,bb  de  longueur  sur  0'",80  de  largeur  et  l^.lS  de  hauteur. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  347 
Cette  découverte  n'est  pas  isolée  ;  on  connaît  plusieurs  sta- 
tues semblables;  une  d'elles,  qui  fait  également  partie  des  col- 
lections du  musée  national,  a  été  trouvée  à  Mexico  même(l), 
une  autre  vient  de  Tlaxcala;  un  pequeho  ChaacMol  de  Merida. 
Cette  constante  répétition  de  la  même  figure  sur  des  points 
différents,  éloignés  les  uns  des  autres,  fait  supposer  qu'elle  re- 
présente, non  un  roi  légendaire  de  Chichen-Itza,  mais  une  di- 
vinité  restée   inconnue.  Tel  est  le  sentiment  de  31,  Charnav. 


"A  Cl/gA       -    J^ 

Fig.  140.  —  Cara  Gigantesca  trouvée  à  Izamal. 

«  La  statue  du  Yucatan,  nous  dit-il,  ne  peut  représenter  un 
roi,  parce  qu'on  ne  peut  admettre  qu'un  roi  du  Yucatan  fût 
vénéré  comme  une  divinité  à  Mexico  ou  à  Tlaxcala  (2).  » 

11  faudrait  de  longues  pages  pour  raconter  les  innombrables 
ruines  qui  couvrent  le  Yucatan  (3),  nous  ne  voulons  plus  citer 
qu'une  tête  gigantesque,  la  Cara  Gigantesca  (fig.  140),  remar- 

(1)  Lettre  du  Rév.  John  Butler  du  10  octobre  1878.  M.  Butler  regarde  la  statue 
trouvée  à  Mexico  comme  plus  ancienne  que  celle  de  Chichen  ;  mais,  comme  il  ne 
donne  pas  les  raisons  sur  lesquelles  il  s'appuie,  nous  ne  pouvons  que  reproduire  sou 
opinion.  Voy.  aussi  Short,  /.  c,  p.  399.  —  Revue  d'Ethnographie,  t.  I,  p.  163. 

(2)  Bévue  d'Ethnographie,  t.  I,  p.  107. 

(3)  Peut-être  devrions-nous  citer  Ako  avec  ses  murs  cyclopéens,  formés  d'énormes 
blocs  de  pierres  brutes,  que  Stephens,  un  des  seuls  explorateurs  qui  les  ait  visités, 
regarde  comme  les  plus  anciennes  ruines  de  la  région  {Yucatan,  t.  I,  p.  127). 


Izamal. 


348  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

quable  par  son  expression;  c'est  une  sorte  de  gros  blocage,  dont 
les  moellons  posés  avec  art  par  le  sculpteur,  ont  formé  les  joues, 
la  bouche,  le  nez,  les  yeux;  la  tête  a  été  complétée  au  moyen 
d'un  stuc  assez  dur  pour  avoir  résisté  aux  siècles  (1).  Cette  tète 
a  été  découverte  à  izamal,  une  des  villes  saintes  du  Yucatan, 
où  l'on  place  la  sépulture  de  Zamnà,  le  compagnon  et  le  dis- 
ciple de  Votan  (2).  C'est  à  lui  que  les  Yucatecs  rapportent  tous 
leurs  progrès;  la  tradition  lui  attribue  l'invention  de  l'écri- 
ture hiéroglyphique  et  c'est  lui  qui,  le  premier,  apprit  au  peuple 
à  donner  un  nom  aux  choses  et  aux  hommes. 

Outre  la  Casa  Gigantesca,  Izamal  possède  plusieurs  pyrami- 
des. Une  d'elles  mesure  de  700  à  800  pieds  de  longueur  et  ren- 
ferme, comme  les  pyramides  de  l'Egypte,  plusieurs  chambres 
intérieures;  elle  passe  pour  la  construction  la  plus  considérable 
de  la  région  (3).  Beaucoup  de  ces  pyramides  disparaissent  chaque 
jour.  L'évêque  Landa  en  comptait  onze  ou  douze  au  moment 
de  la  conquête  ;  déjà,  à  cette  époque,  les  temples  qui  les  cou- 
ronnaient étaient  en  ruines  (4). 

Les  récits  des  historiens  espagnols  (5)  ne  peuvent  laisser  de 
doutes  sur  l'existence  de  routes,  établies  pour  faciliter  les 
voyages,  l'accès  surtout  des  centres  religieux.  Elles  dépas- 
saient parfois  les  limites  du  Yucatan  et  s'étendaient  dans  les 

(1)  Cette  tête  mesure  7  pieds  de  hauteur  (Viollet-le-Duc,  /.  c,  p.  4G).  M.  Charnay 
cite  une  autre  tôte  de  ce  même  genre  cyclopéen,  entourée  d'ornements  étranges;  elle 
est  plus  grande  que  celle  que  nous  reproduisons  et  atteint  12  p.  de  hauteur.  Dans  un 
second  voyage,  M.  Charnay  découvrit  un  bas-relief  qu'il  dit  le  plus  beau  de  tous  ceux 
trouvés  jusqu'à  ce  jour.  Le  sujet  principal,  malheureusement  endommagé,  représente 
un  félin  à  tête  humaine,  d'un  modèle  parfait;  à  la  gauche  de  l'animal,  sont  des  déco- 
rations bizarres  qui  rappellent  les  ornements  de  Palenque  et  d'Uxmal.  Lettre  de  Me- 
rida  du  28  janv.  1882.  Rev.  d'Et/m.,  t.  I,  p.  160. 

(2)  Selon  le  récit  des  Indiens,  le  prophète  Zamnà  était  enterré  sous  plusieurs  pyra- 
mides. Celle  du  Nord-Est  (Kab-ul,  la  main  travailleuse)  renferme  sa  main  droite;  la 
tête  est  enfouie  sous  la  pyramide  du  Nord  [Kinieli-Kakmo,  le  soleil  aux  rayons  de  feu). 
Le  cœur  se  trouve  sous  la  troisième,  où  s'élèvent  aujourd'hui  une  église  et  un  couvent 
de  Franciscains.  Cette  pyramide  s'appelait  Ppapp-hol-chac,  la  maison  des  tètes  et  des 
éclairs. 

(3)  Stcphens,  Yucatan,  t.  II,  p.  43'». 

(4)  Relacion  de  lai  cosas  de  Yucatan,  p.  326. 

(ô)  Landa,  /.  c,  p.  344.  —  Cogolludo,  Hist.  de  Yucathan,  p.  193.  —  Charnay,  Cités 
et  Ruines  américaines,  p.  321. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  349 

royaumes  voisins  de  Guatemala,  de  Chiapas  et  de  Tabasco.  Quel- 
ques-unes de  ces  routes  étaient  pavées,  ce  sont  les  CalzadcLs  dont 
parlent  CogoUudo  et  l'évêque  Landa;  elles  conduisaient  à  Chi- 
chen-Itza,  à  Uxmal,  à  Izamal,  à  Tihoo  dont  les  ruines  ont 
servi  à  édifier  la  ville  moderne  de  Merida.  Ces  dernières  voies 
mesurent  sept  à  huit  mètres  de  largeur  ;  elles  sont  construites 
en  blocs  de  pierre,  recouverts  d'un  mortier  très  bien  conservé 
et  d'une  couche  de  ciment  de  deux  pouces  environ  d'épais- 
seur. Les  rivières  étaient  franchies  au  moyen  de  ponts  en 
maçonnerie  ;  Clavigero  (1),  qui  parcourut  tout  le  Mexique  au 
siècle  dernier,  dit  avoir  vu  encore  debout  sur  plusieurs  points,  les 
piles  massives  destinées  à  les  soutenir. 

Nous  terminerons  par  une  observation  générale  ce  que  nous 
avons  à  dire  des  monuments  Mayas.  Leur  nombre,  leurs  di- 
mensions, le  goût  qui  règne  dans  leur  conception,  la  richesse 
de  leur  ornementation,  frappent  l'observateur  même  le  plus 
superficiel.  Les  progrès  de  ces  races  encore  si  peu  connues  dans 
la  céramique,  le  tissage,  la  broderie,  dans  tous  les  arts  techni- 
ques ou  industriels  n'étaient  pas  moins  remarquables.  Il  est  in- 
contestable qu'au  moment  de  l'arrivée  des  Espagnols,  les  In- 
diens étaient,  à  tous  ces  points  de  vue,  très  supérieurs  aux 
Conquistadores  ;  mais  ceux-ci  avaient  les  chevaux,  ils  avaient 
la  poudre,  ils  étaient  surtout  doués  d'une  énergie  supérieure. 
Les  Indiens  succombèrent  dans  une  lutte  inégale  et  ils  devin- 
rent rapidement  la  proie  d'avides  étrangers,  incapables  même 
de  comprendre  la  civilisation  qu'ils  allaient  détruire. 

Les  édifices  dus  aux  INahuas  étaient,  au  dire  des  histo-  Les  Nahuas. 
riens,  plus  importants  encore  que  ceux  des  Mayas.  Nous 
avons  raconté  la  magnificence  de  la  cour  des  rois  de  Tenotchit- 
lan  et  de  Tezcuco,  leurs  palais  devaient  répondre  à  cette  magni- 
ficence ;  mais  ces  monuments  de  leur  grandeur  ont  péri.  La 
rage  des  Espagnols  irrités  d'une  résistance  inattendue,  le  sombre 
fanatisme  des  prêtres  et  des  moines  qui  accompagnaient  l'armée, 

(1)  Storia  antica  del  Messico,  t.  II,  p.  371. 


350  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

furent  la  cause  principale  de  ces  destructions  à  jamais  irré- 
parables pour  la  science.  Les  ruines  qui  restent  encore  debout, 
seuls  témoins  du  passé,  ajoutent  à  nos  regrets.  Il  serait  impossible 
de  les  décrire,  de  les  énumérer  même.  Nous  choisirons  donc 
parmi  elles,  celles  qui  peuvent  servir  de  type  à  Tarchitecture 
Nahuatl  et  nous  faire  le  mieux  connaître  les  mœurs  et  la  religion 
des  Nahuas. 
choiuia.  La  pyramide  de    Cholula   (1)  est  située   dans  un  misérable 

village,  à  dix  miles  environ  de  Puebla  de  los  Angeles.  Un  tem- 
ple magnifique  dédié  au  soleil,  selon  les  uns,  à  Quetzacoatl,  selon 
les  autres,  s'élevait  sur  la  plate-forme  qui  couronnait  la  pyra- 
mide ;  il  fut  entièrement  détruit  par  Cortès  après  un  combat 
livré  au  pied  même  du  monument.  La  pyramide  encore  debout 
mesure  1440  pieds  carrés  et  couvre  une  superficie  presque  dou- 
ble de  celle  de  la  grande  pyramide  de  Ghéops  ;  sa  hauteur,  selon 
Humboldt,  était  de  177  pieds  (2),  et  on  arrivait  au  sommet  par 
quatre  terrasses  successives.  Ici  la  construction  n'était  plus  en 
pierres  appareillées  comme  dans  le  Yucatan,  mais  en  adobes  de 
quinze  pouces  environ  de  longueur,  semblables  à  celles  employées 
par  les  Cliff-Dwellers  et  reliées  par  un  mortier  très  dur,  mêlé  de 
petites  pierres  et  même  de  fragments  de  poterie.  Un  voyageur 
allemand  (3)  ajoute  que  les  quatre  faces  avaient  été  recrépies 
avec  un  ciment  analogue  à  celui  dont  nous  nous  servons  actuel- 
lement. 

Les  fouilles  ont  montré  la  régularité  de  la  construction  et  ont 
mis  au  jour  une  tombe  en  dalles  de  pierre,  soutenues  par  des 
poutres  en  bois  de  cèdre.  Deux  squelettes  reposaient  dans  cette 
tombe  et  à  côté  d'eux  gisaient  deux  figures  en  basalte,  divers 
ornements  de  peu  de  valeur  et  quelques  fragments  de  pote- 

(I)  Humboldt,  Essai  pol.  sur  le  roy.  de  la  Nouv.-Espagne.  Paris,  1811,  p.  239.  — 
Id.,  Vues  des  Cordillères.  Paris,  1816,  p.  96.  — Dupaix,  Prewi.  £'a;p.  Kingsborough,  t.  V 
et  VI.  —  Jones,  Smith  Cont.,  t.  XXII.  —  Clavigero,  St.  Ant.  del  Messico,  t.  Il,  p.  33. 
—  Clavigero  visita  Cholula  en  1744,  Humboldt  eu  1803.  —  Bancroft  (t.  IV,  p.  471) 
donne,  selon  son  excellente  habitude,  une  bibliographie  complète. 

(rî)  Mayer  [Mexico  as  it  was,  p.  26)  dit  204  pieds;  Tylor  (A7iahuac},  205  pieds. 

(3)  Heller,  Reisen  in  Mexiko.  Leipsig,  1853,  p.  131. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉUIQUE  CENTRALE.  351 

rie  (1).  La  pyramide  de  Cholula  était  donc  un  tombeau;  mais, 
pas  plus  qu'en  Egypte,  sa  fastueuse  construction  n'a  pu  préserver 
les  ossements  de  ses  hôtes  de  la  profanation  redoutée. 

Certaines  légendes  pieuses,  dont  on  retrouve  les  traces  chez 
les  indigènes,  veulent  que  la  pyramide  ait  été  érigée  dans  la  pré- 
vision d'un  nouveau  déluge.  Le  père  Duran  donne  une  autre 
version  (2)  :  les  hommes  éblouis  par  l'éclat  du  soleil  avaient 
tenté  d'ériger  une  tour  qui  pût  atteindre  le  firmament  ;  les 
habitants  des  cieux  indignés  d'une  telle  audace,  détruisirent  l'é- 
difice et  dispersèrent  les  constructeurs.  Les  données  historiques 
ne  sont  ni  plus  sérieuses,  ni  plus  précises  que  les  légendes.  Les 
dates  de  l'érection  de  la  pyramide  varient  du  septième  au  dixième 
siècle  de  notre  ère.  Cholula  était  alors  une  ville  importante  au 
pouvoir  des  Toltecs  ;  ce  serait  donc  à  eux  que  remonterait  cette 
construction. 

Xochicalco,  à  75  miles  S.-O.  de  Mexico,  est  assurément  un  des  xocMcaico. 
monuments  les  plus  originaux  du  Mexique  (3).  Au  milieu  de  la 
plaine  se  dresse  une  éminence  conique,  dont  la  base  de  forme 
ovale,  mesure  deux  miles  de  circonférence  et  dont  la  hauteur 
est  diversement  évaluée  de  trois  à  quatre  cents  pieds.  Deux  tun- 
nels percés  dans  le  flanc  de  la  colline,  s'ouvrent  au  nord  ;  le 
premier  a  été  reconnu  sur  une  longueur  de  82  pieds,  où  les 
explorateurs  ont  dû  s'arrêter.  Le  second  tunnel  pénètre  dans  le 
massif  calcaire  de  la  colline,  par  une  large  galerie  haute  de  neuf 
pieds  et  demi  et  qui  se  continue  par  divers  embranchements  sur 

(1)  Quelques  doutes  subsistent  sur  la  destination  de  la  pyramide  de  Cholula.  Les 
squelettes  n'étaient  pas  déposés  au  centre  du  monument,  où  les  explorateurs  n'ont  point 
encore  pénétre.  Ou  a  voulu  en  conclure  qu'ils  étaient  ceux  d'esclaves  immolés  lors  de 
l'érection  ou  de  la  consécration  du  monument.  Pour  M.  Bandelier,  les  constructions  de 
Cholula  auraient  eu  surtout  un  but  défensif  (4rc/<.  Inst.  of  America,  nov.  1881). 

(2)  Hist.  Ant.  de  la  Nueva  Espafia,  t.  I,  c.  i  (cette  histoire  a  été  écrite  vers  1585). 

(3)  Alzate  y  Ramirez  visita  Xochicalco  en  1777  et  publia  en  1791,  d'une  manière  fort 
inexacte,  ses  découvertes  sous  le  titre  de  Desa'ipcion  de  las  Antiguedades  de  Xochi- 
calco. Dupaix  et  Castaneda  visitèrent  les  ruines  en  1831  et  la  Revista  Mexicana,  t.  I, 
p.  539)  donne  les  résultats  d'une  exploration  plus  récente,  conduite  aux  frais  du 
gouvernement  mexicain.  Enfin  parmi  les  autres  explorateurs  nous  citerons  :  Hum- 
boldt,  Vues  des  Cordillères,  t.  I,  p.  98.  —  Tylor,  Anahuac,  p.  189.  —  Nebel,  Viaje 
pittoresco  y  arqueologico  sobre  la  rep.  Mejicdna. 


352    •  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE, 

une  longueur  de  plusieurs  centaines  de  pieds.  Le  sol  est  pavé  à 
une  grande  profondeur  (1)  ;  les  parois  sont  soutenues  par  des 
murs  en  maçonnerie,  partout  où  ces  travaux  ont  été  nécessaires, 
puis  recrépies  en  ciment,  et  peintes  en  ocre  rouge.  La  galerie 
principale  conduit  à  une  salle  qui  mesure  80  pieds,  et  telle  était 
la  connaissance  pratique  de  leur  art,  que  les  architectes  avaient 
su  ménager  deux  pilastres,  pour  donner  plus  de  solidité  à  la 
voûte.  Dans  un  des  coins  de  la  salle,  s'ouvre  une  petite  rotonde 
de  six  pieds  de  diamètre,  excavée  comme  la  salle  elle-même  dans 
le  rocher,  et  dont  le  dôme  en  forme  d'ogive  frappa  singulière- 
ment les  premiers  explorateurs,  qui  ne  s'attendaient  guère  à 
trouver  au  fond  du  Mexique,  un  spécimen  de  l'art  gothique. 

A  l'extérieur,  la  colline  tout  entière  est  revêtue  d'une  che- 
mise en  maçonnerie,  formant  cinq  terrasses  successives,  d'une 
hauteur  de  70  pieds,  soutenues  par  des  murs  couronnés  de  para- 
pets. Dupaix  rapporte  que  l'on  arrivait  au  sommet  par  un  che- 
min ayant  8  pieds  de  largeur.  La  plate-forme  mesure  328  pieds 
sur  285.  Un  temple  (fig.  141)  s'élevait  sur  cette  plate-forme  en 
l'honneur  d'un  dieu  inconnu  (2)  ;  le  bâtiment  de  forme  rec- 
tangulaire était  construit  en  blocs  de  granit  porphyritique  (3) 
posés  sans  mortier  et  avec  un  tel  art,  que  les  joints  sont  à 
peine  visibles.  Il  serait  impossible  de  dire  le  travail  qu'il  a 
fallu,  pour  amener  ces  blocs  d'une  carrière  éloignée  et  pour  les 
placer  à  la  hauteur  qu'ils  occupent. 

En  1755,  le  temple  comptait  cinq  étages,  en  retrait  les  uns  sur 
les  autres  ;  il  était  couronné  par  une  pierre  qui  pouvait  servir 
de  siège  et  qui  était  couverte,  comme  le  reste  de  l'édifice, 
d'une  ornementation  aussi  difficile  à  exécuter  qu'à  décrire  (4). 
11    est  juste   d'ajouter  que   ce  n'est  pas  aux  Espagnols  qu'il 

(1)  Le  pavage  n'a  pas  moins  d'un  pied  et  demi  d'épaisseur. 

(2)  Ce  temple  mesure  65  pieds  de  l'est  à  l'ouest  et  58  pieds  du  nord  au  sud. 

(3)  «  Porflrdo  granitico  ».  Revista  Mex.,  t.  I,  p.  648.  —  «  Basalto  porfirico  ».  Nebel.  — 
«  Basait.  »  Lôwenstcrn,  Mex.,  p.  209.  «  La  calidad  de  piedra  de  esta  magnifica  arqui- 
tectura  est  de  piedra  vitrificabile.  »  Alzate,  l.  c.  p.  8. 

(4)  Une  réduction,  malheureusement  très  inexacte  du  monument  figurait  à  l'exposi- 
tion internationale  de  1867.  Elle  a  été  reproduite  dans  Vlllustrated  London  News  du 
l"juin  1867. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.         353 

faut  imputer  la  destruction  de  Xochicalco  ;  cet  acte  de  vanda- 
lisme a  eu  pour  auteur,  un  propriétaire  voisin  qui  se  proposait 
d'utiliser  les  pierres  pour  les  bâtiments  d'une  manufacture. 


Fig.  l4l.  —  Ruines  du  temple  de  Xochicalco  (Mexique). 


Les  lonprues  guerres  qui  désolèrent  l'Anahuac  et  qui  étaient,  à  Foniacations 

o  C  i  ^  U  >  Pyramide 

vrai  dire,  l'état  normal  du  pays,  avaient  amené  de  vastes  travaux  ^«  ^«°''*- 
défensifs  ;  on  a  reconnu  les  traces  de  ces  fortifications  à  Hua- 
tusco  dans  la  province  de  Vera-Cruz,  d'où  elles  s'étendent  sur 
une  très  grande  longueur  vers  le  Nord  (1).  Centla  paraît  avoir 
été  un  des  principaux  points  choisis  pour  la  défense;  les 
ruines  couvrent  la  plaine  ;  mais  elles  disparaissent  chaque 
jour,  devant  les  destructions  des  habitants.  Une  forêt  voisine 
cache  plusieurs  pyramides,  qui,  grâce  à  sa  protection,  sont  res- 
tées debout  (2).  Nous  reproduisons  une  d'elles  qui  peut  servir  de 
type  (fig.  142).  Les  murs  sont  en  pierres  appareillées,  reliées  par 

(1)  Bancroft.  /.  c,  t.  IV,  p.  466. 

(2)  Sartorius,  Soc.  Mex.  Geog.  Boletin,  2»  Epoca,  t.  I,  p.  821  ;  t.  II,  p.  148. 

De  Nadaillac,  Amérique.  23 


334  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

un  mortier  de  chaux;  mais  la  chaux  était  sans  doute  rare,  et 
tout  l'intérieur  des  murs  est  en  moellons  bruts,  cimentés  avec 
de  l'argile.  Partout  on  avait  disposé  des  niches  pour  recevoir  les 
statues  ou  les  symboles  des  dieux  protecteurs. 


Fig.  142.  —  Pyramide  à  Centla. 


Tula. 


Ces  pyramides  sont  certainement  le  fait  le  plus  saillant  de 
l'ancienne  architecture  américaine.  C'est  sur  des  pyramides 
tronquées  que  les  teocallis  ou  les  palais  s'élèvent  à  Palenque 
comme  à  Copan,  dans  le  Yucatan  et  le  Honduras,  comme  dans 
l'Anahuac;  elles  se  dressent  devant  le  voyageur  jusque  sur 
l'isthme  de  Tehuantepec  (1).  On  peut  constater  des  différences 
locales,  dont  il  faut  le  plus  souvent  chercher  la  cause  dans  la 
différence  des  matériaux  à  la  disposition  des  constructeurs  ;  mais 
toujours,  le  type  primitif  persiste  et  se  relie  au  souvenir  lointain 
des  mounds,  qui  des  rives  de  l'Ohio  et  du  Mississipi  ont  pénétré 
dans  la  Floride,  puis  dans  des  régions  plus  au  Sud,  où  elles  res- 
tent, comme  les  derniers  témoins  des  migrations  de  ces  peuples; 

Telles  sont  les  principales  ruines  qui  rappellent  les  Nahuas . 
l'incurie,  le  fanatisme,  l'avidité  des  vainqueurs,  ont  rapidement 
détruit  des  monuments  dont  la  magnificence  avait  ébloui  les 
Espagnols. 

Tula  (2),  l'ancienne  capitale  des  Toltecs,  est  représentée  au- 

(1)  On  signale  notamment  deux  pyramides  auprès  de  Tehuantepec,  la  plus  grande 
mesure  120  pieds  sur  55  à  sa  base  et  66  pieds  sur  30  à  la  plate-forme  qui  la  couronne, 
un  escalier  n'ayant  pas  moins  de  30  p.  de  largeur  conduit  à  cette  plate-forme. 

(2)  Il  existe  plusieurs  localités  du  nom  de  Tula,  Tullia  ou  Tulan,  de  là  une  difficulté 
sérieuse.  [Popol-Vuh,  p.  lxxxv  et  ccliv.)  Tula  fut,  dit-on,  détruite  par  les  Chichimecs 
en  10C4  et  les  habitants  se  réfugièrent  à  Cholulan,  la  cité  den  exilés.  Cette  dernière 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  355 

jourd'hui  par  un  pauvre  et  chétif  \illage  à  30  miles  au  N.-O.  de 
Mexico;  de  sa  grandeur  passée,  elle  n'a  conservé  que  son  nom. 
Cinq  siècles  avant  la  conquête  «  cette  célèbre  et  grande 
ville,  dit  Sahagun  (1),  partagea  la  fortune  adverse  de  Troie  ». 
Les  ruines  qui  subsistaient  ont  disparu  à  leur  tour,  et  des  fouil- 
les exécutées  en  1873  n'ont  donné  qu'une  idole  monstrueuse  et 
deux  colonnes  en  basalte.  Une  de  celles-ci  (fig.  143),  couverte 


Fig.  143.  —  Colonne  provenant  de  Tula. 


d'ornements  finement  exécutés,  est  intéressante,  en  ce  qu'elle 
nous  fait  connaître  le  mode  d'assemblage  avec  tenons  et  mor- 
taises employé  par  ces  hommes  très  avancés  déjà  dans  tous  les 
procédés  techniques   (2).   D'autres  ruines  peu  importantes  se 

ville  prit  à  son  tour  un  rapide  essor,  car  les  Espagnols,  rapporte-t-on,  lui  donnèrent  le 
nom  de  Rome,  à  raison  de  la  splendeur  de  ses  monuments. 

(1)  Hist.  de  las  cosasde  Nueva  Eipaiia,  prol.  al  lib.  VIII. 

{'2)  Soc.  Mex.  Geog.,  Boletin,  3*Epoca,  t.  I,  p.  185.  «  Le  Toltèque  employait  indif- 
féremment la  pierre  mélangée  de  boue  et  de  mortier  pour  l'intérieur  des  murailles,  le 
ciment  et  la  chaux  pour  les  revêtir.  Il  employait  la  brique  cuite  et  la  pierre  taillée 
pour  le  roTêlement  intérieur,  la  brique  et  la  pierre  pour  ses  escaliers  et  le  bois  pour  ses 
toitures.  Il  connaissait  le  pilastre  que  nous  avons  trouvé  dans  ses  maisons;  il  avait  la. 


3o6  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

rencontrent  dans  les  environs,  mais  ne  nous  apprennent  rien 
sur  l'antique  Tula.  Telle  était  la  situation,  lorsque  des  décou- 
vertes récentes  sont  venues  révéler  des  faits  qui,  s'ils  étaient 
confirmés,  seraient  d'une  importance  capitale,  pour  l'histoire  du 
passé  de  l'Amérique. 

M.  Charnay,  dans  l'exécution  d'une  mission  qui  lui  était  con- 
fiée par  le  gouvernement  français,  s'est  rendu  à  Tula  et  a  fait 
fouiller  sous  ses  yeux  des  tumuli,  des  montagnes  de  décombres 
probablement,  qui  recouvraient  depuis  de  longs  siècles  les 
reliques  des  anciens  Toltecs.  Une  habitation  ainsi  exhumée  se 
composait  de  24  chambres,  de  2  citernes,  de  12  corridors  et  de 
15  petits  escaliers,  «  d'une  architecture  extraordinaire  et  d'un  in- 
térêt palpitant  »,  s'écrie  avec  enthousiasme  l'heureux  explo- 
rateur (1). 

«  Ce  n'est  pas  tout,  ajoute-t-il,  au  milieu  d'échantillons  de 
terres  cuites  de  toute  espèce,  depuis  les  plus  grosisières,  em- 
ployées à  la  construction,  telles  que  briques,  tuiles,  conducteurs 
d'eau,  jusqu'aux  plus  fines  servant  aux  usages  de  la  famille,  j'ai 
recueilli  des  émaux,  des  fragments  de  faïence  et  de  porcelaine  et, 
chose  plus  singulière,  un  goulot  de  verre  avec  l'irisation  des  an- 
ciennes verreries  romaines.  » 

Parmi  ces  débris  gisaient  des  ossements  de  ruminants  gigan- 
tesques (des  bisons  peut-être  ?)  dont  les  tibias  ont  0",3o  de  lon- 
gueur sur  0"',10  d'épaisseur  et  des  fémurs  dont  la  tête  mesure 
0'",14  sur  0", 10. 

Ce  sont  là  des  faits  absolument  nouveaux;  il  était  admis  jusqu'à 
présent  que  les  Américains  ne  savaient  fabriquer  ni  le  verre,  ni  la 
porcelaine,  qu'avant  l'arrivée  des  Conquistadores,  on  ne  con- 
naissait en  Amérique  aucun  de  nos  animaux  domestiques  et  que 
les  bœufs,  les  chevaux  et  les  moutons  qui  y  vivent  actuellement 
descendent  tous  d'ancêtres  importé^  d'Europe. 

colonne  engagée,  les  cariatides  et  la  colonne  libre  et  l'on  n'imagine  guère  de  motifs 
architecturaux  qu'il  ne  connût  et  n'utilisât.  »  Charnay,  Bul.  Soc.  Géog.  Novembre 
1881. 

(1)  Lettre  au  Trait  d'Union  du  28  août  1880.  —  Archives  des  Missions  scientifiques, 
t.  VII. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  357 

Les  fouilles  ont  aussi  donné  des  petits  chariots  que  M.  Charnay 
croit  des  jouets  d'enfants.  Or  les  jouets  étant  la  reproduction  en 
petit  des  instruments  de  l'homme  fait,  nous  devrions  conclure 
que  les  Toltecs  se  servaient  de  voitures  et  que  leur  usage  était 
non  seulement  abandonné,  mais  complètement  inconnu  à 
l'arrivée  de  Cortès  (1). 

Ces  découvertes,  nous  ne  pouvons  que  le  répéter,  modifieraient 
singulièrement  les  conclusions  acceptées  jusqu'à  ce  jour.  Mais 
sont-ce  bien  là  des  produits  originaux  ?  sont-ce  vraiment  des 
souvenirs  asiatiques  importés  par  les  immigrants  ?  11  est  permis 
d'en  douter  et  il  faudrait  des  preuves  nouvelles  et  surtout  la  cer- 
titude que  les  objets  découverts  remontent  bien  à  l'époque  pré- 
colombienne, pour  admettre  qu'au  onzième  siècle  les  Toltecs 
possédassent  des  animaux  domestiques,  qu'ils  connussent  la  por- 
celaine, le  verre,  le  fer  peut-être  (2),  puis  que  tous  ces  éléments 
d'une  civilisation  avancée  eussent  disparu,  sans  laisser  la  moin- 
dre trace  dans  la  mémoire  des  hommes.  Il  est  donc  probable  que 
les  différents  objets,  mis  au  jour  par  M.  Charnay,  sont  postérieurs 
à  la  conquête  espagnole  et  il  convient  de  réserver  toute  opinion 
à  leur  égard  jusqu'à  plus  ample  informé 

Aucun  monument  de  Mexico  n'est  resté  debout.  Rien  ne  rap-  M«ico. 
pelle  la  puissance  des  Aztecs  ;  pyramides,  palais,  téocallis,  tout  a 
disparu  ;  les  ruines  elles-mêmes  sont  ensevelies  sous  la  poussière 
que  trois  siècles  ont  accumulée  ;  et  on  ignore  jusqu'à  la  position 
des  édifices,  dont  les  écrivains  espagnols  vantent  à  l'envi 
l'imposante  grandeur  (3).   Pour  mieux  montrer   ce  qu'étaient 


(1)  Revue  des  questions  scientifiques,  octobre  1881,  p.  640. 

(2)  M.  Charnay  recueillait  aussi  dans  ses  fouilles  plusieurs  outils  en  fer  ;  mais  il  exprime 
lui-même  la  pensée,  que  ce  dernier  métal  devait  remonter  à  l'époque  espagnole.  Il  ne 
dit  pas  pourquoi  il  excepte  de  la  même  conclusion  les  objets  en  verre  ou  en  porcelaine. 

(3)  Bernai  Diaz,  Hist.  verdadei'a  de  la  Conquisla  de  la  Nueva  Espana,  ("  70.  —  Re- 
Intione  futta  pf-r  un  gentil'huomo  del  signor  F.  Cwfeie  ;  Ramusio,  Naoigalioni  et 
Viaggi,  t.  III,  f  .307,  309.  —  Torquemada,  Mon.  lui.  Lib.  II,  p.  107.  —  Certes,  Car- 
tas  y  Relaciones,  p.  106.  -  Sahagun,  Hist.  Gén.,  t.  I,  1.  II,  p.  197.  —  Goraara,  Hist. 
de  Mex.,  f"  118.  —  Las  Casas,  Hist.  Apol.,  c.  xlix,  li,  cxxiv.  —  Tezozomoc,  Hist. 
Alex.,  t.  I,  p.  151.  Parmi  les  écrivains  modernes,  on  peut  consulter  Prescott, Hist.  on 
the  Conquest  of  Mexico,  et  Tylor,  Anahuac. 


358  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

les  constructions  des  Aztecs  (1),  il  faut  reproduire  la  description 
du  grand  temple  élevé  par  le  roi  Ahuitzotl,  en  l'honneur  du  dieu 
Huitzilopochtli. 

Ce  temple  occupait  le  centre  de  la  ville;  il  était  situé  au  milieu 
d'une  enceinte  entourée  de  murs  qui  s'étendaient  sur  une  lon- 
gueur de  4,800  pieds.  Ils  étaient  bâtis  en  moellons  liés  avec  du 
mortier,  recrépis  avec  du  plâtre,  polis  sur  les  deux  faces, 
surmontés  de  tourelles  et  de  mâchicoulis  en  forme  de  colima- 
çons, ornés  enfin  de  nombreuses  sculptures  représentant  princi* 
paiement  des  serpents.  De  là  le  nom  de  Coetpantli,  ou  murs  des 
serpents,  sous  lequel  ils  étaient  connus  (2).  Sur  chaque  face 
se  voyait  un  bâtiment,  dont  le  rez-de-chaussée  servait  de  portail 
pour  pénétrer  dans  l'intérieur  delà  cour. 

Dès  l'entrée,  on  se  trouvait  en  face  du  grand  temple,  qui  for- 
mait un  parallélogramme  régulier  de  375  pieds  sur  300,  et  qui, 
comme  les  autres  téocallis,  s'élevait  par  cinq  terrasses  construites 
en  retrait  les  unes  sur  les  autres  (3).  Les  murs  étaient  bâtis  en 
moellons  mêlés  à  de  l'argile  et  à  de  la  terre  battue,  puis  revêtus 
de  larges  dalles  de  pierre  soigneusement  cimentées  et  recou- 
vertes d'une  épaisse  couche  de  gypse.  La  plate-forme  supérieure, 
à  laquelle  on  accédait  par  un  escalier  de  cent  quatorze  marches, 
contournant  successivement  chacune  des  terrasses,  était  sur- 
montée de  deux  tours,  à  trois  étages  (4).  Par  une  exception  rare 
les  deux  étages  supérieurs  étaient  en  bois  et  l'on  n'y  pouvait 
pénétrer  qu'au  moyen  d'échelles.  Le  toit  également  en  bois  était 
disposé  en  coupole  et  soutenu  par  des  colonnes  peintes  alterna- 
tivement en  noir  et  en  rouge. 

Les  sanctuaires  des  dieux  étaient  à  l'étage  inférieur  du  téocalli  ; 
adroite  celui  d'IIuitzilopochtli  (5),  à  gauche  celui  de  son  demi- 

(1)  Nous  avons  déjà  dit  que  les  Aztecs  étaient  une  branche  des  Nahuas. 

(2)  «  Era  labrada  de  piedras  grandes  a  manera  de  culebras  asidas  las  unas  a  las 
otras.  »  Acosta,  Hist.  <ie  lus  Yndias,  p.  333. 

(3)  Bernai  Diaz,  l.  c,  f"  70. 

(4)  Leur  hauteur  atteignait  5G  pieds. 

(5)  La  statue  du  dieu  fut  exhumée  presque  intacte  en  1790.  Les  Indiens  s'empressè- 
rent de  la  couvrir  de  fleurs.  Ce  fait  est  étrange  et  le  devient  plus  encore  si  on  le 
compare  à  l'oubli  complet  de  tous  les  souvenirs  du  passé,  que  l'on  voit  chez  eux. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  351) 

frère  Tezcatlipoca.  Leurs  statues  gigantesques  étaient  cachées  au 
regard  des  fidèles  par  de  magnifiques  draperies;  à  leurs  pieds 
était  préparée  la  pierre  du  sacrifice  (1)  sur  laquelle  tant  de  mal- 
heureuses victimes  avaient  été  immolées.  Las  Casas  est  enthou- 
siaste jusqu'à  l'exagération,  de  la  richesse  de  la  décoration  inté- 
rieure du  temple  (2).  Bernai  Diaz,  probablement  plus  véridique, 
raconte  que  les  murs  et  les  planchers  ruisselaient  de  sang  humain 
et  exhalaient  une  odeur  si  fétide,  que  les  visiteurs  étaient  rapide- 
ment mis  en  fuite  (3).  Dans  tous  les  temples,  devant  toutes  les 
idoles  brûlait  le  feu  sacré  toujours  scrupuleusement  entretenu, 
car  son  extinction  menaçait  le  pays  de  grands  dangers.  Du  haut 
du  téocalli  principal,  on  pouvait  compter  six  cents  brasiers,  qui 
brûlaient  jour  et  nuit. 

Quarante  temples  plus  petits,  couronnant  pour  la  plupart  des 
pyramides  s'élevaient  sur  divers  points  de  l'enceinte  sacrée, 
comme  les  satellites  des  dieux  suprêmes,  auxquels  le  grand  temple 
était  consacré.  On  arrivait  à  celui  de  Tlatoc  par  un  perron  de 
cinquante  marches  (4)  ;  celui  de  Quetzacoatl  était  circulaire  et 
terminé  en  dôme  ;  la  porte  était  basse  et  figurait  la  gueule  d'un 
serpent  ;  les  dévots,  pour  adorer  leur  dieu,  devaient  passer 
par  cette  bouche  entr'ouverte  qui  semblait  prête  à  les  dévo- 
rer (o).  \J Ilhiiicatlican  était  dédié  à  la  planète  Vénus,  et  un  captif 
devait  être  sacrifié,  au  moment  même  où  cette  planète  paraissait 
à  l'horizon.  Par  une  conception  assez  originale,  une  cage  im- 
mense était  disposée  dans  un  des  téocallis,  pour  recevoir  les  sta- 
tues des  dieux  étrangers,  afin  qu'ils  ne  pussent  profiter  de  leur 
liberté,  pour  secourir  leurs  adorateurs  (6). 

Le  Qucmhxicako  était  un  immense  ossuaire,  où  l'on  accumu- 
lait les  ossements  des  victimes.  Les  crânes  étaient  mis  à  part  et  dé- 
posés dans  le  Tzempantli  situé  au  dehors  de  l'enceinte,  auprès  de  la 

(1)  Clavigero  {l.  c,  t.  II,  p.  216)  dit  que  cette  pierre  était  en  jaspe  vert. 
(2;  Hist.  Apol.,  c.  cxxxii. 

(3)  Hist.  de  la  Conq.,  f»  7. 

(4)  Ovicdo,  Hist.  Gen.  y  Nat.  de  las  Indias,  t.  III,  p.  302. 

(5)  Torquemada,  Mo/i.  Ind.,  t.  II,  p.  145. 

(6)  Torquemada,  /.  c,  t.  II,  p.  117. 


360  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

porte  de  l'Ouest.  C'était  une  immense  pyramide  oblongue,  formée 
de  têtes  humaines,  enchâssées  dans  la  maçonnerie.  Deux  colonnes 
j  dominaient  la  plate-forme  de  la  pyramide  et  elles  étaient  en- 
tièrement composées  de  têtes  qui  faisaient  l'office  de  pierres  (1). 
Quand  la  victime  était  un  chef,  la  tête  était  placée  dans  son  état 
naturel  et  rien  ne  saurait  rendre  l'horreur  et  le  dégoût  qu'inspi- 
raient ces  faces  grimaçantes  dans  la  mort.  Les  Espagnols  ont  pré- 
tendu que  le  nombre  des  têtes  ainsi  exposées  atteignait  le  chiffre 
de  136,000  ! 

La  cour  formait  la  partie  la  plus  considérable  de  l'enceinte. 
C'était  là  que  se  pressait  une  foule  immense  pour  assister  aux  sa- 
crifices et  aux  combats  des  gladiateurs.  Là  aussi  se  trouvaient  les 
logements  de  milliers  de  prêtres,  de  femmes  et  d'enfants  chargés 
de  l'entretien  des  temples  et  des  lieux  sacrés.  Quel  que  fût  le  nom- 
bre des  visiteurs,  dit  Bernai  Diaz,  l'enceinte  était  entretenue  avec 
un  tel  soin,  qu'il  aurait  été  impossible  d'y  découvrir  même  un 
brin  de  paille. 

Tezcuco.  Tezcuco  a  disparu  comme  son  ancienne  et  ardente  rivale  ;  les 
pierres,  les  bas-reliefs,  les  sculptures,  ont  servi  à  construire  les  mai- 
sons de  la  ville  moderne,  et  sur  quelques  points  des  amas  d'adobes 
informes,  dedécombres  de  tout  genre,  rappellent  seuls  aujourd'hui 
la  splendeur  passée  d'une  ville  qui  renfermait  140,000  maisons  et 
où  200,000  ouvriers  travaillèrent  pendant  des  années  à  l'érection 
du  palais  du  roi  (2).  M.  Tylor,  dans  une  visite  récente,  a  reconnu 
les  fondations  de  deux  grands  téocallis  et  plusieurs  tumuli  qui  té- 
moignaient d'anciennes  sépultures.  Par  un  de  ces  phénomènes 
géologiques  qu'il  est  difficile  d'expliquer  d'une  manière  satis- 
faisante, mais  qu'il  faut  constater  sur  tous  les  points  du  globe, 
le  lac  qui  baignait  jadis  la  capitale  des  Tezcuans  est  aujourd'hui 
à  plusieurs  miles  de  la  ville  moderne. 

Quemada.         Malgré   uotrc  désir  d'abréger  une  nomenclature   nécessaire- 

(1)  Warden,  Recherches  sur  les  Ant.  de  l'Am.  du  No7'd.  Ant.  Mex.,  t.  II,  p.  66. 

(2)  Torquomada,  Mon.  hvK,  t.  I,  p.  304.  Les  chiffres  qu'il  donne  peuvent  bien  être 
exagérés.  Pierre  Martyr  parle  seulement  de  20,000  maisons,  et  Carbajal  Espinosa,  de 
30,000  {Uist.  de  Mexico.  Mexico,  1862,  t.  I,  p.  87). 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.         361 

ment  très  aride,  il  est  impossible  d'omettre  les  ruines  de  Que- 
mada(l)  dans  la  partie  sud  du  Zacatecas,  non  seulement  à  cause 
de  la  masse  de  décombres  qui  couvrent  une  superficie  considé- 
rable et  qui  attestent  l'ancienne  importance  de  la  ville,  mais 
aussi  à  raison  des  différences,  qui  distinguent  ces  constructions 
de  toutes  celles  dont  nous  avons  parlé  jusqu'ici. 

L'origine  de  Quemada  est  inconnue  ;  on  rapporte,  sans  preu- 
ves bien  sérieuses,  que  les  Aztecs  s'y  arrêtèrent  dans  leurs  mi- 
grations vers  le  Sud  et  que  c'est  à  eux  que  la  ville,  dont  le  nom 
véritable  est  ignoré,  doit  sa  fondation  (2). 

Le  Cerro  de  los  Edificios  est  une  colline  assez  irrégulière  qui 
s'étend  sur  un  demi-mile  de  longueur  et  une  largeur  moyenne  de 
deux  à  trois  cents  mètres,  pour  atteindre  brusquement  cinq  cents 
mètres  vers  son  extrémité.  C'était  la  forteresse,  véritable  camp 
retranché,  entouré  de  murs  qui  n'ont  pas  moins  de  douze  pieds 
d'épaisseur,  avec  plusieurs  étages  de  bastions,  reliés  entre  eux  par 
des  courtines.  Une  grande  pyramide  de  treize  mètres  de  hauteur 
forme  une  véritable  redoute. 

C'est  kLos  Edificios,  comme  le  nom  l'indique,  que  se  trouvent 
les  ruines  les  plus  importantes.  Il  n'est  guère  possible  de  les  dé- 
crire ;  elles  ne  sont  pour  la  plupart,  nous  l'avons  dit,  que  des 
amas  de  décombres  et  un  déblaiement  très  long  et  très  dispen- 
dieux pourrait  seul  permettre  de  juger  de  la  forme  et  de  la  desti- 
nation des  diverses  constructions.  Plusieurs  colonnes  sont  restées 
debout  et  la  position  de  quelqu'unes  d'entre  elles  indique  qu'elles 
devaient  faire  partie  de  portiques.  C'est  là  un  fait  exception- 
nel dans  l'ancienne  architecture  américaine.  Ces  colonnes  sont 
en  porphyre  gris  (3)  et  rappellent  les  colonnes  massives  des  tem- 
ples égyptiens. 

(1)  Quemada  est  située  sur  la  route  de  Zacatecas  à  Villanueva,  à  quatorze  lieues  en- 
viron de  la  première  de  ces  villes,  à  deux  lieues  de  la  seconde. 

(2)  Lyon,  Journal  of  a  Tour  in  the  Republic  of  Mexico.  London,  1828,  t.  I,  p.  225. 
—  Marcos  de  Esparza,  Infoi'me  presentado  al  Gobieimo.  Zacatecas,  1830.  —  J.  Bur- 
\iaH,  Aufenthal  und  Reisen  in  Mexico.  Stuttgart,  1836.  —  Nebel,  Viaje  sobre  la  Repu- 
blica  Mejicann.  Paris,  1839.  —  Soc.  Mex.  Geog.  Bol.,  2"  epoca,  t.  III,  p.  278.  — 
Fégueux,  Lei  ruines-  de  la  Quemada.  Rev.  a'Et>i7i.,  t.  I,  p.  119. 

(3)  Une  de  ces  colonnes  ne  mesure  pas  moins  de  li.'  pieds  de  circonférence.  Sa  liau- 


362  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Outre  la  pyramide  que  nous  avons  citée,  il  en  est  plusieurs 
autres  qui  se  rattachent  à  ce  type  maintenant  si  connu.  Le  mor- 
tier qui  relie  les  pierres  est,  comme  chez  les  Mound-Builders, 
un  mélange  d'argile  et  de  paille.  On  n'a  relevé  jusqu'à  présent 
aucune  de  ces  sculptures,  hiéroglyphes  ou  pictographies,  qui  se 
rencontrent  au  contraire  si  fréquemment  dans  les  autres  villes 
-anciennes  (1). 

La  plaine  qui  entoure  le  cerro,  est  couverte  de  ruines  ;  on  ne 
trouve  parmi  elles  ni  poteries,  ni  silex,  ni  armes,  ni  outils.  Par 
un  problème  étrange,  nous  sommes  en  présence  d'une  ville, 
dont  tout  atteste  l'importance  et  où  rien,  cependant,  ne  révèle 
l'habitation  de  l'homme. 
Les  zapotecs  La  provincc  d'Oajaca  située  sur  les  rives  du  Pacifique,  tra- 
versée par  la  Cordillère,  comprend  une  région  montagneuse  et 
stérile,  dominant  les  terras  calientes  à  la  riche  végétation  tropi- 
cale. C'était  là  qu'habitaient  les  Zapotecs  (2);  ils  se  rapprochaient 
des  Mayas  par  leur  langage  (3),  des  Nahuas,  par  leurs  rites  reli- 
gieux et  le  style  de  leur  architecture  ;  ils  provenaient  très  pro- 
bablement d'un  mélange  de  ces  deux  races.  Les  hommes  étaient 
forts  et  bien  bâtis,  vaillants,  souvent  féroces  (4)  ;  l'expression 
de  leur  visage  était  désagréable  ;  les  femmes,  au  contraire,  pas- 
saient pour  jolies  et  leurs  traits  étaient  fins  et  délicats. 

Leurs  rites  religieux,  venons-nous  de  dire,  se  rapprochaient 
de  ceux  des  Aztecs  ;  au  milieu  de  leurs  nombreuses  divinités, 
patrons  de  toutes  les  vertus  et  aussi  de  tous  les  vices,  on 
a  cru  distinguer  quelques  traces  de  monothéisme.  Ils  recon- 


teur est  de  18  pieds.  M.  Fc^ueux  parle  de  11  colonnes  et  leur  donne  un  diamètre 
d'un  métro  sur  une  hauteur  de  3  mètres. 

(1)  M.  Fégueux  parle  cependant  d'une  pierre  sur  laquelle  sont  gravés  cinq  serpents. 
Elle  est  située  au  pied  de  l'cscarpemeut  de  Los  Edificios. 

(2)  M.  MaXer  Qcvix  Tzapoteques  (Nature,  25  déc.  1880).  Peut-être  a-t-il  raison  carie 
nom  paraît  dériver  de  Tzapotl;  «  cierta  fruta  conocida  »  dit  Molina,  Vocabulario  en 
lengua  Castellana  y  Mexicana.  Ils  s'appelaient  eux-mêmes  Didsasa. 

(31  Bancroft(/.c.,t.  III,  p.  754)  donne  des  détails  assez  complets  sur  ce  langage;  il  cite 
les  autorités  sur  les  lesquelles  il  s'appuie. 

(4)  «  Ferozes  y  valientes  »  dit  Burgoa,  Geog.  Descv.,  t.  I,  p.  2,  f"  196;  t.  II,  f"  362. 
—  Herr er a,  His t.  Gen.,  t.  III.  Dec.  III,  L.  III,  c.  cxiv. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  363 

naissaient  un  dieu  suprême  Piyexoo;  Têtre  ïncréé  Pitao-Cozamia , 
le  créateur.  Ce  qui  est  plus  certain,  c'est  que,  comme  les 
Aztecs,  ils  honoraient  leurs  divinités  par  des  sacrifices  humains; 
les  hommes  étaient  immolés  sur  les  autels  des  dieux;  les  femmes 
sur  les  autels  des  déesses.  Au  jour  consacré  à  Teteionan  (1),  une 
femme  devait  avoir  la  tête  tranchée  ;  elle  était  assise  sur  les 
épaules  d'une  autre  femme  et  celle-ci  devait  paraître  devant  la 
déesse,  inondée  du  sang  qui  venait  de  couler.  A  la  célébration 
d'une  fête  en  l'honneur  de  l'arrivée  des  dieux,  les  victimes 
étaient  brûlées;  à  d'autres  occasions,  des  enfants  étaient  noyés 
ou  murés  dans  des  grottes  ;  là  ils  expiraient  lentement,  dans  les 
horribles  tortures  delà  faim  et  de  la  peur  (2), 

Les  Zapotecs  étaient  soumis  à  un  roi  et  la  couronne  était 
transmise  héréditairement.  A  côté  de  ce  roi  vivait  un  pontife  su- 
prême le  Weyetao  qui  résidait  à  Yopaa  et  qui  jouait  un  rôle  im- 
portant dans  le  gouvernement  du  pays.  Ses  pieds  ne  devaient 
jamais  toucher  la  terre  ;  il  était  porté  sur  les  épaules  de  ses  ser- 
viteurs et  dès  qu'il  paraissait,  tous,  les  princes  eux-mêmes,  de- 
vaient se  prosterner  et  nul  n'osait  lever  les  yeux  sur  lui.  Le 
Weyetao  ne  pouvait  se  marier  et  il  était  astreint  à  la  continence  ; 
mais  à  un  certain  jour  de  l'année,  il  avait  le  droit  de  s'enivrer  et 
dans  cet  état  on  lui  amenait  une  vierge  jeune  et  belle  ;  c'était 
l'aîné  des  enfants  issus  de  cette  union  d'un  jour,  qui  héritait  de 
la  dignité  sacerdotale  (3). 

La  splendeur  des  édifices  dus  aux  Zapotecs  ne  le  cédait  en  rien 
à  celle  des  autres  peuples  de  l'Amérique  centrale  etMitla(4),  leur 
capitale  et  leur  ville  sainte,  était  de  tous  points  comparable  à  Pa- 
lenqueouà  Uxmal,  à  Chichen-Itza  ou  à  Tenotchitlan.  On  rap- 
porte qu'elle  fut  fondée  par  les  disciples   de  Quetzacoatl  et  une 


(1)  Déesse  adorée  par  les  divers  peuples  de  race  Nalmalt  ;  elle  était  aussi  connue 
sous  les  noms  de  Tozi,  Toccy  et  Tocitzin. 

(2)  Clavigero,  St  Ant.  del  Messico,  t.  II,  p.  45.  . 

(3)  Burgoa,  /.  c.  —  Brasseur  de  Bourbourg,  Ilist.  desNat,  civ.,  t.  III,  p.  59. 

(4)  Le  nom  Zapoteque  était  Lio6a  ou  Yobbo,  la  ville  des  tombes  ;  le  nom  de  Mitla 
parait  avoir  été  imposé  par  les  Aztecs.  Vient-il  de  Mictlan,  le  séjour  des  âmes  après 
leur  mort,  ou  de  Mitl,  un  des  dieux  Naliuas?  C'est  ce  qu'il  est  impossible  de  dire. 


364  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

légende  venue  jusqu'à  nous,  raconte  qu'un  jour  un  vieillard  à 
l'aspect  vénérable,  sortit  subitement  du  lac  Huixa.  Il  était  vêtu 
d'une  robe  et  d'un  manteau  d'un  bleu  éclatant  et  il  portait  une 
mitre  sur  sa  tête;  une  jeune  fille  d'une  incomparable  beauté  l'ac- 
compagnait. Ce  vieillard  désigna  une  éminence  sur  laquelle  un 
temple  fut  construit  par  ses  ordres;  il  donna  au  pays  des  lois  sages 
et  justes  et  disparut  aussi  mystérieusement  qu'il  était  arrivé  (1). 
Mais  déjà  une  ville  s'était  élevée  auprès  du  temple  et  pendant  des 
siècles  la  prospérité  de  cette  ville,  grâce  à  la  protection  céleste,  ne 
se  démentit  jamais.  Son  histoire  montre  d'immenses  lacunes, 
que  quelques  faits  bien  douteux  viennent  à  peine  combler.  Nous 
savons  seulement  que  les  Zapotecs  soutinrent  de  longues  luttes 
contre  les  Aztecs  et  qu'à  la  fin  du  xv«  siècle,  vers  1494,  Mitla  fut 
pris  et  livré  au  pillage  ;  les  prêtres  qui  avaient  dirigé  la  dé- 
fense, furent  conduits  à  Mexico  et  immolés  sur  les  autels  de 
Huitzilopoclîtli. 

La  ville  de  Mitla  s'élevait  au  milieu  d'une  vallée  étroite  et  pou- 
dreuse, encadrée  par  des  montagnes  tristes  et  nues.  Ses  ruines 
apparaissent  subitement  aux  yeux  du  voyageur  et  leur  magnifi- 
cence constraste  singulièrement  avec  le  pays  aride  et  désert  qui 
les  entoure.  «  Les  monuments  delà  Grèce  et  ceux  de  Rome  de  la 
meilleure  époque,  dit  un  archéologue  éminent  (2),  en  parlant  du 
palais  principal,  égalent  seuls  la  beauté  de  l'appareil  de  ce  grand 
édifice.  Les  parements  dressés  avec  une  régularité  parfaite,  les 
joints  bien  coupés,  les  lits  irréprochables,  les  arêtes  d'une  pureté 
sans  égale,  indiquent  de  la  part  des  constructeurs  du  savoir  et 
une  longue  expérience.  » 

L'édifice  le  plus  remarquable  de  Mitla  est  le  palais,  célébré  en 
des  termes  si  enthousiastes  ;  que  l'on  se  figure  une  cour  inté- 
rieure (3)  entourée  de  trois  côtés  (4)  par  des  mounds  surbaissés. 


(1)  Torquemada,  t.  I,  p.  255.  —  Herrera,  déc.  III,  lib.  II,  c.  xi.  —   Veytia,  t.  I, 
p.  164.  —  Burgoa,  l»  297,  343. 

(2)  VioUet-le- Duc,  ap.  Charnay,  Cités  et  Ruines  américaines.  Int.,  p.  77. 

(3)  Cette  cour  mesure  130  pieds  sur  120. 

(4)  Sur  le  plau  donné  par  Dupaix,  figure  un  quatrième  bâtiment.  Viollet-le-Duc  le 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.         365 

sur  lesquels  s'élevaient  des  constructions  importantes  (fig.  144). 
Le  bâtiment  du  Nord  (A)  est  bien  conservé  ;  celui  de  l'est  (G)  ne 
présente  plus  que  quelques  murs  écroulés  au  milieu  desquels  se 
dressent  un  portique  et  deux  colonnes  {ce).  Le  bâtiment  de 
Fouest  (D)  a  été  plus  maltraité  encore  ;  ses  fondations  seules  sub- 
sistent. A  Palenque,  les  murs  étaient  entièrement  construits  en 
pierres  appareillées  ;  dans  le  Yucatan,  des  parements  en  grandes 


^■a*,--". 


D 


iSMliipun 


\ 


E 


Fig.  14i.  —  Plan  du  grand  temple  de  Mitla 


dalles,  masquent  un  blocage  en  moellons  et  en  mortier;  c'est  aussi 
ce  dernier  mode  qui  a  été  employé  à  Mitla  ;  mais  le  mortier  est 
remplacé  par  l'argile  et  les  revêtements  forment  un  appareil 
composé  de  pierres  parfaitement  taillées,  de  la  dimension  d'une 
petite  brique,  produisant  par  leur  assemblage,  des  méandres 
et  des  treillis  très  variés  dans  leurs  combinaisons  (1). 


reproduit  (/.  c,  p.  75).  Les  fondations    elles-mêmes  ont  aujourd'hui  complètement 
disparu. 
(I)  Viollet-le-Duc,  l.  c. 


366  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Leis  bâtiments  latéraux  mesurent  96  pieds  sur  17;  celui  du 
nord  130  pieds  sur  36.  Plusieurs  marches  (G)  conduisent  aux 
trois  portes  {h)  qui  y  donnent  accès.  Les  linteaux  ne  sont  plus  en 
bois,  mais  en  grandes  pierres,  comme  ceux  des  monuments  de  la 
Grèce  ou  de  Rome. 

La  salle  principale  (fig.  145)  était  ornée  de  six  colonnes  {a) 
sans  base  et  sans  chapiteau.  Ces  colonnes  étaient  probablement 
destinées  à  soutenir  la  toiture  et  à  diminuer  ainsi  la  portée  des 
filières  (1).  Ilumboldt  qui  parcourut  les  ruines  en  1802,  parle  de 
grandes  poutres  ;  Dupaix  dit  qu'elles  étaient  en  bois  d'ahuehuete, 
de  la  famille  des  conifères  ;  telle  était  également  l'opinion  de 
VioUet-le-Duc  et  M.  Maler  rapporte  que  lors  de  sa  visite  toutes 
les  poutres  avaient  disparu.  Burgoa,  au  contraire,  dit  avoir 
vu  en  place  de  grandes  dalles  de  plus  de  deux  pieds  d'épaisseur 
reposant  sur  des  piliers  d'une  hauteur  de  9  pieds,  et  l'abbé  Bras- 
seur de  Bourbourg  confirme  le  fait,  en  ajoutant  que  tout  autour 
du  bâtiment  régnait  une  corniche  ornée  de  sculptures  capricieuses 
dont  l'ensemble  formait  comme  une  sorte  de  diadème  posé  sur 
l'édifice  (2),  Nous  avons  tenu  à  raconter  ces  détails  peu  impor- 
tants, pour  montrer  combien  toute  conclusion  est  impossible 
en  présence  de  faits  très  obscurs  et  obscurcis  encore  comme  à 
plaisir,  par  les  différents  explorateurs. 

Les  murs  et  le  pavé  avaient  été  revêtus  de  trois  couches  d'un 
stuc  très  résistant,  peint  en  rouge,  d'nn  ton  assez  semblable  à 
celui  qui  décore  les  murs  de  Pompéi  (3). 

De  la  salle  des  colonnes,  on  pénétrait  par  un  couloir  fort  som- 
bre dans  une  deuxième  cour  (I)  entourée  de  chambres  [b.b.],  qui 
malgré  leur  exiguité  devaient  être  les  principales  du  palais.  La  ri- 
chesse de  leur  ornementation  était  remarquable  ;  les  murs  étaient 
revêtus  d'une  véritable  mosaïque  en  petites  pierres  (4)  formant 

(1)  On  peut  citer  des  exemples  semblaljles  dans  certains  pueblos,  assurément  de 
construction  plus  récente  que  le  palais  de  Mitla  et  à  Tuloom,  sur  la  côte  Est  du  Yucatan. 

(2)  Hist.  des  Nat.  civ.,  t.  III,  p.  26. 

(3)  Nature,  25  déc.  1880. 

(4)  Les  pierres  qui  tombent  de  ces  mosaïques  sont  soigneusement  rocuoillios  par  les 
habitants.  Est-ce  un  souvenir  des  ancêtres,  ou  bien  une  superstition  populaire? 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  367 

des  dessins  réguliers,  des  grecques,  ou    des  arabesques  (1).  Il 


est    difficile  de  dire   si    ces   mosaïques,  d'une   exécution  très 

(I)  Bancroft, /.  c.,t.  IV,  p.  401.—  Charûay,  pi.  IX.  — Humboldt  remarque  avec  raison 


368  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

habile,  montrent  un  art  plus  avancé  que  les  sculptures  d'Uxmal; 
il  est  plus  difficile  encore  d'assigner  une  date  à  la  constructiou 
des  unes  et  des  autres.  On  est  cependant  assez  généralement 
d'accord  pour  regarder  les  monuments  d'Uxmal  comme  plus 
anciens  que  ceux  de  Mitla. 

Les  trois  autres  palais,  dont  les  ruines  sont  debout,  doivent  être 
rapidement  mentionnés.  Us  sont,  mais  sur  une  plus  petite  échelle, 
semblables  au  précédent  ;  l'influence  hiératique  consacrait  vrai- 
semblablement un  type  dont  nul  ne  pouvait  s'écarter  ;  par- 
tout on  retrouve  ces  mosaïques  de  pierre  si  caractéristiques  de 
l'architecture  de  Mitla.  Nous  citerons  seulement,  sous  un  de  ces 
palais,  une  galerie  souterraine  en  forme  de  croix.  Les  cryptes 
sont  en  effet  rares  dans  l'Amérique  centrale. 
Tehuantepec.  Lcs  Zapotocs  avaicut  poursuivi  Icurs  conquêtes  jusqu'à  l'isth- 
me de  Tehuantepec  et  c'est  vraisemblablement  à  eux  que  sont 
dues  les  pyramides  qui  s'élèvent  encore  aujourd'hui  sur  plusieurs 
points,  ainsi  que  les  fortifications  du  Ccrro  de  Guiengola  (1),  dont 
j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  parler;  ces  fortifications  avaient  été 
érigées  après  la  prise  de  Mitla,  par  ordre  du  roi  Cociyoeza,  elles 
permirent  auxZapotecs  une  résistance  victorieuse,  dont  le  résultat 
fut  une  paix  honorable  pour  les. vaincus.  Une  sépulture  creusée 
sur  les  flancs  même  du  Cerro  a  donné  plus  de  deux  cents  pièces  de 
poterie,  principalement  des  vases  ou  des  figurines  d'animaux. 
Tout  rintérieur  du  tombeau  était  revêtu  d'une  épaisse  couche  de 
ciment  et  par  une  disposition  assez  rare,  les  morts  avaient  été 
placés,  le  visage  tourné  vers  le  sol. 

Le  Cerro  de  Guiengola  n'est  éloigné  que  de  quelques  lieues,  de 
Tehuantepec  la  capitale  de  la  province,  où  l'on  annonce  la 
découverte  récente  de  la  sépulture  d'un  des  anciens  rois  du 
pays  (2):  ■    -I"«ie..ic 

En  1875,  en  démolissant  une  maison,  les  ouvriers  trouvèrent 

que  de  tout  temps,  les  hommes.se  sont  plu  à  la  répétition  des  mêmes  dessins.  Vues 
des  Cordillères,  t.  II,  p.  284, 

(1)  Arias,  Aniiguedades  Zapotecas,  Museo  Mex.  —  Muller,  Reisen  in  den  Vereitiiç' 
ten  Staaten,  Canada  und  Mexico.  Leipzig,  1864. 

(2)  F.  Maler,  Nature,  li  juin  1879. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  369 

de  nombreux  et  riches  bijoux  en  or  avec  plusieurs  squelettes  hu- 
mains, qui  tombèrent  en  poussière  au  premier  contact  de  l'air. 
Ce  tombeau  était  complètement  inconnu  au  moment  de  la  con- 


ta 


Fig.  140.  —  Image  d'un  roi 
Zapotèque. 


Fig.  147.  —  Ornement  Zapotèque  trouvé 
à  Tehuantepec. 


quête  ;  il  n'eût  sûrement  pas  échappé  à  la  rapacité  des  Espagnols. 
Ce  dernier  fait,  l'état  des  ossements,  permettent  de  présumer  la 
grande  antiquité  de  la  sépulture  et  ajoutent  à  la  valeur  de  la 
découverte.  Malheureusement,  les  bijoux  ont  été  vendus  pour  le 

De  Nadaillac,  Amérique.  24 


370  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

poids  de  l'or  et  presque  tous  ont  été  immédiatement  fondus.  Il 
n'est  resté  que  ceux  que  nous  reproduisons  (fig.  146  à  149).  On  a 
voulu  voir  dans  l'un  d'eux,  l'image  du  roi  Zapotèque  placé  auprès 
de  son  cadavre  ;  l'oiseau  paraît  être  un  pendant  pour  la  lèvre. 
Un  semblable  ornement  est  attaché  à  la  lèvre  rovale.  Plusieurs 


Fig.  148.  —  Ornement  Zapotèque        Fig.  149  —  Bijou  Zapotèque,  ornement 
trouvé  à  Tehuantepec.  pour  la  lèvre. 


figurines  représentaient  des  tortues.  Elles  sont  toutes  d'une  seule 
pièce,  creuses,  sans  trace  de  soudure  et  telles  que  les  plus  habiles 
orfèvres  de  nos  jours  seraient  fort  embarrassés  pour  les  imiter. 
Avec  ces  ornements  en  or,  on  recueillait  aussi  quelques  objets 
en  cuivre,  des  vases  en  terre  cuite  de  forme  gracieuse,  une 
tasse,    dont   l'anse  est   une   patte    de   fétide,    d'autres    ornées 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  371 

de  peintures  exécutées  avec  goût  ;  puis  des  colliers  en  pierres 
rondes,  des  bracelets  en  coquilles  marines.  A  des  époques  anté- 
rieures, on  avait  trouvé  plusieurs  petites  figurines  en  terre 
cuite  qui  sont  au  musée  de  Mexico.  Ces  découvertes,  comme  les 
monuments,  ou  plutôt  comme  les  ruines  qui  subsistent,  témoi- 
gnent de  l'industrie  des  Zapotecs. 

Il  nous  faut  omettre  nombre  de  ruines,  temples  ou  palais, 
mounds,  pyramides  ou  fortifications.  L'Amérique,  centrale  de- 
puis le  Mississipi  jusqu'à  l'isthme  de  Panama,  en  est  littérale- 
ment couverte  et  cela  dans  les  régions  les  plus  différentes,  dans 
les  plaines  fertiles  où  l'homme  pouvait  largement  vivre,  comme 
dans  les  montagnes  arides,  où  l'on  a  peine  à  concevoir  son  exis- 
tence. J\ous  ne  saurions  décrire,  quelque  soit  leur  intérêt,  toutes 
ces  découvertes  ;  notre  seul  but  est  de  faire  ressortir  le  luxe,  la 
richesse,  la  civilisation  de  ces  peuples,  dont  le  nom  est  effacé 
de  la  mémoire  des  hommes. 

Dans  cet  ordre  d'idées,  il  ne  reste  plus  guère  qu'un  seul  fait    santa  Luda 

!•!  A  Mil  111  •  ciiT-  Guatemala. 

sur  lequel  il  peut  être  utile  d  appeler  1  attention.  Santa  Lucia 
Cosumalhupa  (1)  s'élève  au  pied  du  volcan  del  Fuego.  Tout 
autour  du  village,  le  célèbre  voyageur  allemand  Bastian  qui 
parcourait  le  pays  en  1876,  a  constaté  l'existence  de  ruines  im- 
portantes, mais  dont  la  plupart  sont  encore  cachées  au  milieu 
de  forêts  impénétrables  (2). 

Parmi  des  blocs  de  pierre  cyclopéens,  parmi  des  décombres 
1        de  toute  sorte,  on  aperçoit  des  sculptures  qui  diffèrent  essentiel- 
lement de  celles  que  nous  avons  décrites  et  qui  leur  sont  infini- 
ment supérieures. 

A  la  plantation  de  sucre  de  don  Manuel  H  errera,  M.  Bastian     • 
vit  des  têtes  colossales  en  pierre  (fig.  150)  d'un  type  étrange  et 
inconnu  et  plusieurs  figures  d'animaux,  des  tapirs  et  des  caïmans. 
Ces  statues  gigantesques  étaient  groupées  trois  par  trois,  à  égale 

(1)  Dans  le  département  d'Escuintla  (Guatemala).  Cette  petite  ville,  de  création  ré- 
cente, ne  se  ti-ouve  encore  marquée  sur  aucune  carte. 

(2)  Habel,  Investigations  in  Central  and  SouUi  America.  Smith  Cont.,  t.  XXII.  — 
Schôbel,  Un  chap.  (te  l'Arch.  Am.  Congrès  de  Luxembourg,  t.  II. 


372  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

distance  les  unes  des  autres,  comme  si  elles  eussent  indiqué 
une  colonnade  détruite.  A  la  Hacienda  de  los  Taros,  gisaient  trois 
autres  figures  en  relief,  d'une  exécution  hardie  (1).  Deux  de 
ces  figures  portent  des  boucles  d'oreilles,  et  leur  coiffure  se  rap- 
proche du  turban  asiatique. 

Plus  loin  sont  des  bas-reliefs  sculptés  sur  des  roches  porphy- 
ritiques  très  dures  (2).  Ces  bas-reliefs  de  grande  dimension, 
représentent  des  personnages  aussi  bizarres,  comme  conception 


Fig.  150  —  Tète  eu  pierre,  trouvée  auprès  de  Sauta  Lucia. 

que  comme  exécution,  des  scènes  mythologiques  parfaitement  à 
part  de  tout  ce  que  nous  connaissons,  soit  de  l'art  Maya,  soit  de 
l'art  Nahuatl.  Plusieurs  de  ces  scènes  montrent  l'adoration  du 
soleil  et  de  la  lune,  ou  plutôt  des  dieux  qui  présidaient  à  ces 
astres,  car  déjà  ces  hommes  étaient  arrivés  à  l'anthropomor- 
phisme et  ils  ayaient  adopté  pour  leurs  dieux  la  forme  humaine. 
Les  prêtres  et  les  adorateurs  sont  nus  ;  mais  les  ornements  ou  les 
bijoux  dont  ils  sont  surchargés  offrent  un  grand  intérêt.  Plus  loin 


(1)  La  hauteur  des  figures  était  de  ô  pieds  9  pouces,  leur  largeiu-  de  3  pieds 
7  pouces. 

(2j  Des  roches  semblables  ne  se  trouvent  qu'auprès  du  volcan  d'Acatenango  ;  il  a 
donc  fallu  amener  les  blocs  k  une  grande  dislance. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  373 

un  chef  ou  un  dieu  est  assis  sur  son  trône  ;  l'oreille  est  disten- 
due par  un  anneau  de  taille  et  de  poids  considérables  (1).  A  la 
main  droite,  il  tient  un  instrument,  insigne  sans  doute  de  son 
autorité,  et  que  nous  ne  saurions  mieux  comparer  qu'à  une  de 
nos  rames.  Le  bas-relief  le  plus  intéressant  montre  un  sacrifice 
humain  (fig.  151).  Le  personnage  principal  est  un  prêtre,  sa 
coiffure  très  singulière  est  un  crabe  ;  il  tient  de  sa  main  droite 
un  silex,  vraisemblablement  le  couteau  du  sacrificateur,  de  la 
main  gauche,  la  tête  de  la  victime  qu'il  vient  d'immoler.  Plus 
bas,  deux  acolytes  portent  l'un  et  l'autre  des  têtes  humaines, 
un  d'eux  représente  sans  doute  la  mort  ;  sa  figure  est  celle  d'un 
squelette,  et  la  forme  de  sa  tête  est  d'une  apparence  simienne. 
Les  tètes  coupées  paraissent  appartenir  à  des  races  différentes  de 
celles  du  pontife  ou  de  ses  assistants. 

Les  corps  sont  nus,  les  proportions  gardées;  des  ornements 
sont  disposés  pour  cacher  les  parties  sexuelles  ;  les  pieds  sont 
chaussés  de  sandales  ;  les  traits  expriment  la  satisfaction.  C'est 
la  tête  de  la  victime,  enfin,  que  l'on  présente  aux  dieux  et  non 
le  cœur,  selon  une  coutume  constante  des  Aztecs. 

Les  sculptures  trouvées  à  Santa  Lucia  ne  sont  point  un  fait  Quirigna. 
isolé.  Tout  le  Guatemala,  cette  vieille  terre  des  Quiches  et  des 
Cakchiquels,  est  couvert  de  ruines,  où  les  bas-reliefs,  les  statues, 
les  monolithes  atteignent  jusqu'à  25  pieds  de  hauteur,  les 
représentations  d'hommes  et  d'animaux  abondent.  A  Quirigua 
notamment,  sur  le  Rio  Motagua,  à  huit  lieues  environ  d'Ysabal, 
petit  port  sur  le  golfe  de  Honduras,  il  a  été  découvert  une  tête 
colossale,  une  statue  de  femme  dont  les  pieds  et  les  mains 
manquent,  et  qui  porte  sur  sa  tête  une  idole  couronnée;  tout 
à  côté  les  fouilles  ont  donné  une  tête  de  tigre  en  roche  porphy- 
ritique  ;  la  terreur  que  ce  grand  félide  inspirait,  l'avait  sans 
doute  fait  admettre  au  rang  des  dieux  (2).  Un  autel  où  sur  l'une 

(1)  Ce  fait  est  remarquable,  car  nous  retrouverons  plus  tard  cette  même  coutume 
barbare,  imposée  par  les  Incas  aux  habitants  du  Pérou. 

(2)  Stephens,  Central  America,  t.  II,  p.  118.  —  Scherzer,  Ein  Besuch  beiden  Ruinen 
von  Quirigua  im  staate  Guatemala.  Wien,  1865. 


374 


L'AMER IQ  CE   PRÉHISTORIQUE. 


Fig.  151.  —  Sacrifice  humaiu. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  375 

des  parois  on  avait  sculpté  une  tortue,  une  idole  enfin  qui  ne 
mesure  pas  moins  de  23  pieds  de  hauteur,  méritent  aussi  d'être 
mentionnés.  Toutes  ces  figures  sont  menaçantes  ou  repoussantes  ; 
les  corps  humains  sont  surmontés  de  têtes  simiennes.  Les  Améri- 
cains ne  recherchaient  pas  le  beau  ou  plutôt  ils  ne  le  compre- 
naient, comme  les  immortels  créateurs  de  l'art  en  Grèce;  leurs 
conceptions  ne  pouvaient  s'élever  à  une  semblable  hauteur. 

Ce  qui  surprend  à  juste  titre,  c'est  le  travail  considérable 
exigé  pour  ces  sculptures,  avec  les  moyens  mécaniques  qui 
paraissent  avoir  été  les  seuls  connus.  Il  fallait  tout  d'abord 
détacher  des  blocs  de  pierre  dure,  avec  de  misérables  outils  en 
quartzite  ou  en  obsidienne,  scier  le  granit  ou  le  porphyre  en 
plaques,  avec  du  fil  d'agave  et  de  l'émeri  (1).  Un  dessin  grossier 
du  contour  indiquait  la  partie  de  l'épaisseur  à  enlever,  on  exé- 
cutait ce  travail,  soit  par  le  sciage  d'une  certaine  portion  que 
l'on  éclatait  ensuite  habilement,  soit  par  le  marlellement  obtenu 
au  moyen  d'une  pointe  de  silex;  enfin  à  l'aide  de  pierres  plates 
ou  de  polissoirs  et  d'eau  mêlée  d'émeri,  on  frottait  la  surface  des 
plans  de  manière  à  enlever  toute  trace  du  travail.  Ces  procédés 
étaient  longs  et  exigeaient  nécessairement  chez  l'ouvrier  une 
véritable  patience  pour  obtenir  les  résultats  qu'il  désirait.  C'est 
là  un  indice  certain  de  l'enfance  d'une  société,  où  l'homme  n'a 
pas  encore  appris  à  connaître  la  valeur  du  temps. 

Nous  avons  dit  les  gravures  sur  roche,  les  hiéroglyphes  que  Pictographie. 

^      _    ^  '  n  jr  .^  Hiéro- 

l'on  rencontre  dans  les  régions,  occupées  par  les  Cliff-Dwellers  giyphes. 
et  les  habitants  des  pueblos;  nous  retrouvons  les  mêmes  gravu- 
res, les  mêmes  hiéroglyphes  dans  toute  l'Amérique  centrale  ;  le 
désir  de  perpétuer  par  la  reproduction,  les  objets  qui  frappent 
ses  yeux,  est  un  des  traits  les  plus  caractéristiques  de  l'homme 
dans  tous  les  temps  et  sous  tous  les  climats.  On  voit  dans  le  Hon- 
duras, un  rocher  couvert,  sur  une  superficie  considérable,  de 
figures  d'hommes,  d'animaux,  de  plantes,  gravées  en  creux  à  une 

(1)  Soldi,  Les  camées  et  les  pierre^'  gravées,  l'art  au  moyen  âge,  l'art  Khmer,  les 
arts  du  Pérou  et  du  Merique,  l'art  égyptien,  les  arti  industrie/s,  les  musées  du  Tro- 
cadéro.  Paris,  1880. 


376  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

profondeur  de  plus  de  deux  pouces,  et  M.  Pinarl  décrit  dans 
l'État  de  Panama,  des  falaises  entières  chargées  de  hiéroglyphes 
sur  lesquels  il  y  aurait  à  faire,  nous  dit-il,  des  études  pleines 
d'intérêt  (1). 

Au  Mexique,  ce  sont  des  peintures,  véritables  annales  du  peu- 
ple, et  qui  retracent  ces  premières  migrations  (2).  Le  musée  de 
Mexico  possède  une  série  de  peintures  qui  montrent  l'éducation 
des  enfants,  la  nourriture  qu'on  leur  donnait,  les  travaux 
auxquels  ils  étaient  astreints,  les  punitions  qui  leur  étaient 
infligées  (3). 

Ces  peintures  offrent  les  traits  nets  et  les  couleurs  brillantes, 
que  recherchaient  surtout  les  Aztecs  ;  ils  ne  tendaient  point, 
nous  l'avons  déjà  vu  pour  leurs  sculptures,  <à  une  imitation 
exacte  de  la  nature,  encore  moins  à  un  beau  idéal,  qu'ils 
étaient  incapables  de  comprendre.  «  On  distingue,  dit  Hum- 
boldt  (4),  des  têtes  d'une  grandeur  énorme,  un  corps  excessive- 
ment court,  et  des  pieds,  qui  par  la  longueur  des  doigts  ressem- 
blent à  des  griffes  d'oiseau Tout  ceci  indique  l'enfance  de 

l'art  ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  des  peuples  qui  expriment 
leurs  idées  par  des  peintures,  attachent  aussi  peu  d'importance 
à  peindre  correctement,  que  des  savants  d'Europe  à  employer 
une  belle  écriture  dans  leurs  manuscrits.  » 

Sans  admettre  la  comparaison  de  M.  de  Humboldt,  il  est  cer- 
tain qu'il  ne  faut  point  chercher  chez  les  Aztecs  des  modèles  de 
peinture  décorative,  tels  que  ceux  récemment  découverts  au 
Palatin  ;  l'ignorance  de  leurs  artistes  montre  bien  que  l'art  était 
un  produit  spontané  de  leur  génie,  et  qu'ils  n'ont  subi  aucune 
influence  étrangère  au  sol  de  l'Amérique.  La  tradition  veut 
qu'ils  aient  puisé  leurs  procédés  chez  les  Toltecs,  les  initiateurs 
de  tout  progrès  sur  le  Nouveau  Continent.  Après  leur  victoire 
définitive,  les  rois  de  Mexico  firent  détruire,  rapporte-t-on,  les 

(1)  Lettre  du  26  mars  1882. 

(2)  Bancroft  (t.  II,  p.  544,  545,  547)  reproduit  ces  peintures  d'après  Gemelli,  Garer 
ei  Lord  Kingsborough.  Elles  sont  fort  curieuses. 

(8)  Bancroft  (t.  II,  p.  589}  donne  ces  figures  d'après  le  Codex  Mendoza. 
^4)  Vues  des  Cordillères,  t.  I,  p.  198. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  377 

peintures  qui  rappelaient  la  grandeur  de  ceux  qu'ils  avaient 
vaincus.  Par  une  rétribution  juste,  mais  malheureuse  pour  la 
science,  les  Espagnols  vinrent  à  leur  tour  détruire  les  annales 
des  Aztecs  et  quelques  copies  bien  incumplètes,  quelques  frag- 
ments échappés  à  cette  destruction  barbare,  sont  les  seules 
sources  originales  où  il  soit  aujourd'hui  possible  de  puiser. 
'  Il  est  facile  de  se  rendre  compte  de  la  conception  première 
des  hiéroglyphes.  Les  gravures  sur  roches  fixent  tout  d'abord 
l'objet  animé  ou  inanimé  qui  frappait  les  yeux  de  l'artiste.  C'est 
là,  dans  tous  les  temps,  la  forme  primitive  de  l'art.  Puis  on 
voulut  reproduire  non  seulement  des  hommes  ou  des  objets,  mais 
aussi  certaines  scènes  telles  qu'une  migration,  une  bataille,  un 
incendie,  dont  on  désirait  perpétuer  le  souvenir.  Plus  tard,  pour 
abréger,  on  se  contenta  d'exprimer  des  noms  ou  des  choses  par 
des  signes  conventionnels.  Une  flèche,  par  exemple,  signifiait  un 
ennemi,  plusieurs  flèches,  plusieurs  ennemis  ;  la  direction  de  la 
pointe,  la  direction  que  ces  ennemis  avaient  suivie.  Souvent,  aussi 
les  noms  eux-mêmes  avaient  une  signification  qui  permettait  de 
les  rendre  par  une  image  ;  ainsi  Chapultepec,  la  colline  de  la  sau- 
terelle ;  Tzompanco^  la  place  des  crânes  ;  Chimalpopoca,  le  bou- 
clier plein  de  fumée  ;  Acamapitzin,  la  main  remplie  de  roseaux  ; 
Macuilxochitl^  les  cinq  fleurs  ;  Quauhtenchan,  la  demeure  del'aigle. 
D'autrefois  les  noms  se  traduisaient  par  de  véritables  rébus  ; 
pour  n'en  citer  qu'un  seul,  Itzcoalt,  roi  de  Mexico,  était  figuré  pai 
un  serpent  coa^/ percé  de  plusieurs  traits  d'obsidienne  iizli.  Delà 
on  arriva  rapidement  à  donner  aux  objets,  non  leur  figure  vraie, 
mais  la  représentation  du  nom  qu'ils  portaient  dans  la  langue 
parlée  ;  puis  par  un  enchaînement  fort  simple,  à  remplacer  les 
signes  par  des  lettres  et  à  compléter  un  alphabet. 

Les  hiéroglyphes,  véritables  signes  conventionnels,  marquent 
donc  une  période  de  l'évolution  humaine.  On  les  trouve  sur  les 
monuments  du  Chiapas,  comme  sur  les  monuments  du  Yucatan  ; 
sur  les  murs  de  Palenque  ou  de  Copan,  comme  sur  ceux  de  Chi- 
chen-ltza  ou  de  Quirigua  (fig.  H3,  124,  126,  127,  128,  130)  ; 
ils  étaient  sculptés  ou  gravés  sur  le  granit  et  sur  le  porphyre 


738  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

avec  des  outils  en  silex,  en  quartzite,  en  obsidienne  (1),  Le  fer, 
répétons-le,  faisait  absolument  défaut;  nulle  part,  on  ne  le  voit 
mentionné;  nulle  part,  on  ne  trouve  la  rouille  caractéristique, 
indice  incontestable, de  sa  présence. 

Il  n'a  pas  été  possible  de  découvrir  jusqu'à  présent  une  clef 
qui  permette  de  déchiffrer  les  hiéroglyphes.  Las  Casas  nous  ap- 
prend qu'il  y  avait  encore  de  son  temps,  des  hommes  initiés  à 
la  lecture  et  à  la  reproduction  de  ces  signes  (2)  et  qui  étaient 
chargés  d'annoter  les  événements,  en  fixant  le  jour,  le  mois  et 
l'année  où  ils  s'étaient  accomplis  ;  et,  ajoute-t-il,  ces  hommes 
comprenaient  si  bien  ce  qu'ils  avaient  écrit  et  ce  que  les  anciens 
avaient  écrit  avant  eux,  que  nos  lettres  leur  eussent  été  bien 
inutiles.  Plus  anciennement,  ces  hiéroglyphes  étaient  exécutés 
par  les  prêtres  du  dieu  Centeotl,  qui  devaient  être  des  vieillards, 
veufs,  voués  à  la  continence  et  à  la  vie  contemplative.  C'était 
donc  une  écriture  hiératique  connue  des  seuls  initiés,  qui  se 
trouve  reproduite  dans  les  manuscrits  Mayas,  dont  nous  avons 
parlé  et  notamment  dans  le  Codex  Peresianus  et  dans  celui  de 
Dresde  (3).  L'évêque  Diego  de  Landa  parle  d'un  système  graphi- 
que (4).  Il  a  même  conservé  un  alphabet  de  trente-trois  signes, 
dont  un  est  destiné  à  marquer  l'aspiration;  mais  malheureuse- 
ment cet  alphabet  ne  nous  est  parvenu  que  sous  une  forme 
très  défectueuse  ;    et  malgré   d'estimables  travaux  (5),  il  a  été 

(1)  Gomara,  Conq.  Mex.,  p.  318.  —  Clavigero,  Stor.  Ant.  del  Messico,  t.  II,  p.  205. 

(2)  Hist.  Apologetica  de  las  Yndias  Occidentales. 

(3)  Bancroft  (t.  II,  p.  771)  entre  dans  de  grands  détails  sur  ces  divers  manuscrits  ; 
il  reproduit  des  fragments  de  deux  d'entre  eux  ;  il  est  facile,  par  la  comparaison,  de 
s'assurer  de  leur  similitude  avec  les  hiéroglyphes  dont  nous  parlons. 

(4)  Relacion  de  las  cosas  de  Yucatan  publié  en  1864  par  Brasseur  de  Bourbourg  avec 
une  traduction  française.  Le  but  de  l'évêque,  il  est  juste  de  le  dire,  était  de  préparer 
pour  les  indigènes  des  livres  religieux  avec  les  signes  qui  leur  étaient  familiers.  Il 
ne  s'occupait  ni  d'art,  ni  d'histoire,  ni  d'archéologie.  Quelques  doutes  bien  fondés, 
faut-il  ajouter,  existent  sur  la  valeur  de  son  alphabet. 

(5)  Nous  citerons  L.  de  Rosny,  Essai  de  déchiffrement  de  l'écriture  hiératique  de 
l'Amérique  centrale.  Paris,  1875.  —  De  Charencey,  Recherches  sur  le  codex  Troano. 
Paris,  1876. —  Essai  de  déchiffrement  r/'une  inscription  palenquéenne;  actes  de  la  Soc. 
de  Philologie,  t.  I,  mars  1878.  Malheureusement  au  moment  où  ce  dernier  travail  a 
paru,  on  n'avait  que  des  reproductions  très  imparfaites  des  hiéroglyphes  de  Palenque. 
M.  Charnay  vient  d'envoyer  à  Paris  leurs  moulages  en  plâtre.  Chacun  pourra  désor- 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  379 

impossible  de  déchiffrer  avec  son  secours,  soit  les  manuscrits, 
soit  les  hiéroglyphes  plus  anciens  selon  toute  apparence  que  les 
manuscrits. 

Cependant  les  lettres  données  par  Landa,  se  rapprochent  sensi- 
blement de  celles  des  manuscrits  (1);  elles  pourraient  donc  être 
un  trait  d'union  entre  les  hiéroglyphes  et  l'écriture  graphique. 
Les  mots  disposés  dans  le  même  ordre  que  les  nôtres,  paraissent, 
selon  les  conclusions  les  plus  probables,  être  construits  sur  le 
système  polysynthétique  et  présenter  ce  caractère  si  particulier 
aux  langues  du  Nouveau  Monde  (2).  Ils  étaient  écrits  sur  un 
véritable  papier,  fabriqué  soit  avec  la  racine  de  certains  arbres, 
tels  que  des  agaves,  soit  sur  des  peaux  préparées,  soit  encore  sur 
de  la  toile  de  colon.  Plusieurs  feuilles  étaient  enfermées  entre 
des  planches  en  bois  richement  ornées.  On  les  appelait  analtees^ 
et  ce  mot  ne  saurait  être  mieux  rendu  que  par  celui  à' annales  (3). 

En  résumé,  les  manuscrits  mexicains  qui  ont  survécu  à  tant  de 
causes  de  destruction  renferment  trois  sortes  de  peintures  très 
distinctes  :  la  peinture  figurative  où  l'artiste  reproduit  l'image  plus 
ou  moins  exacte  des  objets  qui  sont  devant  ses  yeux  ;  la  peinture 

mais  les  consulter  au  musée  du  Trocadéro.  On  peut  aussi  voir  les  essais  de  M.  Bol- 
laërt,  insérés  dans  les  Mém.  de  la  Soc.  anth.  de  Londres,  t.  II,  p.  298.  —  Nous  ne 
parlons  pas  des  travaux  de  l'abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  l'imagination  l'emporte  trop 
souvent  sur  une  science  incontestable. 

(1)  Ch.  Rau,  p.  57.  Smith  Cont.,  t.  XXII. 

(2)  Voy.  chap.  i,  p.  6. 

(3)  Pierre  Martyr,  déc.  IV,  lib.  VIII.  —  Juan  de  Villagutien*e  y  Sotomayor,  Hist. 
de  la  Conquistnde  la  Provincia  de  el  Itza.  Madrid,  1701.  —  Le  manuscrit  Troano  est 
écrit  sur  un  papier  ayant  14  pieds  de  longueur  sur  9  pouces  environ  de  largeur.  Les 
caractères  couvrent  le  recto  et  le  verso;  ils  sont  rouges,  bruns  et  quelquefois  bleus, 
selon  le  texte  auquel  ils  se  rapportent.  Le  papier  se  ploie,  comme  un  de  nos  éventails, 
et  chaque  feuille  représente  ainsi  trente- cinq  pages.  Les  principaux  manuscrits  par- 
venus jusqu'à  nous  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  ceux  que  nous  avons  déjà  men- 
tionnés, sont  :  le  codex  Mendoza  envoyé  à  Charles-Quint  par  le  vice-roi  Mendoza, 
actuellement  à  la  bibliothèque  Bodléenne  à  Oxford  et  dont  une  copie  est  à  l'Escurial  ; 
le  codex  Telleriano-Remensis  dans  la  Bibliothèque  Nationale  ;  le  codex  Vaticanus 
copié  à  Mexico  en  1566  ;  le  codex  Borgia  dans  le  collège  de  la  Propagande  à  Rome  ;  le 
codex  Bologna,  que  l'on  prétend  un  traité  d'astrologie  ;  enfin  un  codex,  dont  on  ignore 
l'origine,  mais  que  l'on  sait  avoir  été  donné  en  1677,  par  un  duc  de  Saxe  Eisenach  à 
l'empereur  Léopold.  Lord  Kingsborough  reproduit  aussi  des  fragments  de  plusieurs 
autres  manuscrits,  c'est  à  son  magnifique  ouvrage  que  doivent  avoir  recours  ceux  qui 
désirent  faire  une  étude  spéciale  de  la  question. 


et    Poterie. 


380  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

symbolique  où  l'objet  est  représenté  par  une  image  convention- 
nelle ;  la  peinture  phonétique  enfin,  où  ce  n'est  plus  l'objet,  mais 
le  nom  qu'il  porte,  que  le  peintre  cherche  à  rendre.  Ces  trois 
modes  existaient  encore  au  Mexique  à  l'arrivée  des  Espagnols, 
car  nous  savons  que  lorsque  Juan  de  Grijalva  parut  sur  la  côte  de 
Vera-Cruz,  les  chefs  de  Cuetlachtlan  s'empressèrent  d'envoyer 
à  Montézuma  des  peintures  très  exactes  des  vaisseaux,  des  armes, 
des  vêtements  de  ces  étrangers,  qui  excitaient  déjà  chez  les 
Mexicains  de  si  justes  alarmes  (1). 
Ornements  L©  luxc  privé  dcs  habitauts  de  ces  villes  somptueuses  était  à 
la  hauteur  des  monuments  publics.  Les  sièges  sur  lesquels  ils 
s'asseyaient  à  la  mode  des  Orientaux,  étaient  en  bois,  imi- 
tant souvent  les  formes  d'un  animal,  celles  d'un  tigre  ou  d'un 
aigle  par  exemple.  Ils  les  recouvraient  de  peaux  de  bêtes  fauves 
tannées  et  ornées  de  broderies  d'or  et  d'argent,  lisse  servaient  de 
ces  mêmes  peaux  pour  décorer  les  murs  des  salles  principales  ; 
ou  bien  ils  les  peignaient  en  couleurs  voyantes;  le  rouge  et 
le  bleu  étaient  celles  le  plus  généralement  employées  (2).  On  vo- 
yait chez  eux,  des  vases  en  agate  ou  en  pierres  précieuses,  des 
ornements,  des  statuettes  en  or  ou  en  argent  faites  d'un  seul  jet, 
des  plats  à  huit  faces  chacune  d'un  métal  différent,  des  poissons 
dont  les  écailles  étaient  mêlées  d'or  et  d'argent,  des  perroquets 
qui  remuaient  la  tête  et  les  ailes  ;  ils  connaissaient  l'art  d'émail- 
1er  et  ils  savaient  donner  au  cuivre  une  trempe  assez  dure  pour 
pouvoir  en  faire  des  haches  et  des  couteaux  fort  tranchants  (3). 
Cortès  mandait  à  Charles-Quint  sa  surprise,  du  nombre  de 
bijoux  en  or,  en  argent,  en  plomb,  en  cuivre,  en  étain  (4)  publi- 
quement exposés  en   vente  (5).  Sur  quelques  points,   de  petits 

(1)  Torquemada,  Mon.  Ind.,  p.  378.  —  Acosta,  Hist.  de  las  Ynd.,  p.  515.  —  Veytia, 
Hist.  ant.  de  Mejico,  t.  III,  p.  377.  —  Herrera,  Hist.  Gen.,  déc.  II,  lib.  HI,  c.  ix. 

(2)  Ordonez,  Pnlenque,  cité  par  Brasseur  de  Bourbourg,   Hist.  des  Nat.  civilisées, 
t.  II,  p.  69. 

(3)  On  prétend  également  que  les  Péruviens  avaient  ce  secret,  mais  aucune  des  armes 
ni  des  outils  découverts  ne  justifie  cette  assertion. 

(4)  L'étain,  tachco,  se  trouvait  surtout  auprès  de  la  ville  de  Tazco  qui  lui  a  emprunté 
son  nom. 

(5)  Cai^tn  secunda  de  Relacion,  30  oct.  1520. 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.         381 

morceaux  d'étain  servaient  de  monnaie  ;  sur  d'autres  c'étaient 
des  morceaux  de  cuivre  dont  la  forme  répondait  assez  bien  à 
celle  du  tau  (-)  ou  bien  encore  des  tuyaux  de  plumes  remplis  de 
poudre  d'or  (1).  Souvent  les  objets  en  cuivre  renfermaient  une 
certaine  quantité  d'argent  ;  mais,  comme  l'argent  se  rencontre 
dans  le  cuivre  natif,  on  ne  saurait  en  conclure  que  les  Mexicains 
connussent  l'alliage  des  métaux  (2),  Les  étoffes  étaient  non  moins 
riches  ;  la  déesse  Ixalzavoh,  rapportait-on,  avait  elle-même 
enseigné  aux  Yucatèques  l'art  de  filer  et  de  tisser  le  coton  ;  et 
les  bois  de  teinture  si  nombreux  et  si  variés  dans  ces  régions, 
fournissaient  amplement  le  moyen  de  colorer  les  étoffes, 

La  poterie  était  remarquable  comme  travail  et  comme  déco- 


Fig.   152.  —  Vase  en  terre  cuite  trouvé  à  Ticul. 

ration.  Herrera  parle  d'une  province  du  Guatemala,  où  les 
femmes  étaient  spécialement  chargées  de  sa  fabrication  et 
Palacio  ajoute  que  cette  fabrication  était  la  principale  industrie 


(1)  Le  plus  souvent  on  procédait  par  voie  d'échange  et  les  paiements  se  faisaient  au 
moyen  de  balles  de  coton  ou  de  cacao.  W.  Bollaërt,  Numismatics  oftheNew  World. 

i2)  Torquemada  etClavigero,  cités  par  Valentini,  — S.Salisbury,rAe  Mexican Copper- 
TooU  translated  from  the  German.  Worcester  Mass,  1880. 


382  L'AMÉRIQUE  PREHISTORIQUE. 

d'Aguachipa,  une  des  \illes  des  Pipiles  (1).  Nous  reproduisons  un 
Yase  découvert  à  Ticul,  auprès  d'Uxmal  (fig.  152)  ;  la  figure 
humaine  qui  forme  le  centre  de  la  décoration,  est  remarquable  par 
le  front  fuyant,  si  caractéristique  des  Palenquéens.  Nous  donnons 


Fig.  153.  —  Figurine  en  terre  cuite 
trouvée  à  Ococingo. 


Fig.  154.  —  Flûte  en  terre 
cuite. 


aussi  une  figurine  en  terre  cuite  (fig.  153)  trouvée  dans  le  Chia- 
pas auprès  d'Ococingo  ;  idole  ou  grotesque,  elle  répond  à  un 
certain  mouvement  artistique. 

Les  Nahuas  ne  le  cédaient  en  rien  aux  Mayas.  Ils  façonnaient 
non  seulement  des  vases  aux  formes  les  plus  variées  pour  leurs 


>1)  Tribus  de  race  Maya,  qui  habitaient  le  territoire  actuel  de  la  république  de  San 
Salvador. 


LES  RUINES   DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.         383 

usages  domestiques  (1),  mais  aussi  les  images  des  dieux  qu'ils 
adoraient,  des  statuettes  d'animaux  ou  de  serpents,  des  encen- 
soirs où  l'on  brûlait  du  copal  aux  jours  des  fêtes  religieuses;  des 
boules,  des  grains  pour  l'ornement  de  leurs  personnes  ;  des 
trompettes  ou  des  flûtes,  avec  lesquelles  ils  imitaient  le  cri  des 
divers  animaux. 

Ces  instruments  de  musique  en  terre  cuite  étaient  très  recher- 
chés; ils  ont  de  quatre  à  cinq  pouces  de  longueur  et  sont  percés 
de  plusieurs  trous  qui  émettent  de  deux  à  six  notes  différentes. 
Chez  presque  tous,  l'embouchure  est  modelée  de  manière  à 
présenter  un  objet  animé,  une  fleur,  un  animal,  un  homme  par 
exemple  (fîg.   154).  Ces  figures   humaines,   comme  celles    des 


Fig.  155.  —  Idole  provenant 
de  Zachila. 


Fig.   156.  —  Va^e  du  Musée  National 
de  Mexico  (d'après  Waldeck). 


idoles  (fig.  155),  sont  toujours  grotesques  et  hideuses  (2)  ;  elles 
montrent  une  fois  de  plus,  que  ces  peuples  n'avaient  aucune  idée 
du  beau  ou,  pour  mieux  dire,  du  beau  tel  que  nous  le  concevons 


(1)  Les  différents  musées  de  l'Europe,  la  collection  Christy  à  Londres,  la  collection 
Undeà  Heidelberg,  d'autres  encore  renferment  de  nombreux  spécimens  de  l'art  des 
potiers  américains.  Avant  tout  il  convient  de  citer  le  Musée  National  de  Mexico.  l'Ins- 
titut Philosophique  et  le  Musée  de  Washington.  Le  catalogue  du  premier  de  ces  éta- 
blissements a  été  publié  dans  le  t.  III  des  Phifosophical  Transactions  et  celui  du  se- 
cond par  M.  Ch.  Rau  {Smith  Cont.,  t.  XXII). 

(2)  Report  Peabody  Muséum,  1871. 


384  L'AMPRIQUE    PRÉHISTORIQUE. 

d'après  les  modèles  qui  ont  formé  notre  goût  esthétique.  Dès 
que  les  Mexicains  s'écartent  des  formes  humaines  la  décoration 
de  leurs  yases  est  peut-être  trop  chargée,  mais  elle  ne  répu- 
gne] point  aux  régies  de  Tart  (fig.  156,  157,  158).  Nous  men- 
tionnerons particulièrement  un  vase  mesurant  vingt-deux  pouces 


*•'(  aSA 


Fig.  157.  —  Vase  provenant  du  Musée  National  de  Mexico. 


de  hauteur  sur  plus  de  quinze  pouces  de  diamètre  trouvé  dans 
une  fouille,  sous  une  des  places  publiques  de  Mexico,  non  seule- 
ment à  raison  de  l'élégance  de  ses  formes  et  de  sa  décoration, 
mais  aussi  parce  qu'il  était  rempli  de  crânes  humains  curieuse- 
ment empilés  les  uns  sur  les  autres. 

Certaines  poteries  mexicaines  remontent  probablement  à  une 
grande  antiquité  ;  elles  pourraient  même  être  antérieures  à 
l'arrivée  des  Toltecs  dans  l'Anahuac.  Ainsi  on  a  découvert  ré- 
cemment dans   une   grotte  de    la  province  de  Durango,    des 


LES  RUINES  DE  L'AMÉRIQUE  CENTRALE.  385 

milliers  de  momies  desséchées,  appartenant  à  une  race  très  dis- 
tincte des  Indiens  actuels  et  avec  ces  momies,  des  haches,  des 
pointes  de  flèche  en  silex,  des  vases  remarquables  comme  forme 
et  dont  la  décoration  offre  quelque  analogie  avec  celle  des  vases 
Égyptiens  (1). 

Les  Aztecs  étaient  non  moins  habiles  à  travailler  l'obsidienne 


Fig.  158.  —  Vase  mexicain  provenant  du  Musée  national  de  Mexico. 

qu'à  pétrir  l'argile.  Ils  en  fabriquaient,  malgré  les  difficultés  que 
présentaient  la  taille  et  le  polissage,  des  couteaux,  des  rasoirs, 
des  têtes  de  lances  ou  de  flèches,  des  miroirs,  quelquefois  aussi 
des  masques  humains,  que  l'on  plaçait  sur  le  visage  des  morts  au 
moment  des  obsèques.  Ce  dernier  usage  était  général,  au  moins 
pour  les  chefs,  car  on  a  découvert  sur  plusieurs  points  des  mas- 
ques semblables  non  seulement  en  obsidienne,  mais  aussi  en 
marbre  ou  en  serpentine  (2).  Le  musée  national  de  Mexico  enfin, 
renferme  de  nombreux  et  intéressants  ornements  en  agate,  en 
corail,  en  coquilles.  La  collection  Christy  à  Londres  n'est  pas 
moins  riche  ;  nous  reproduisons  un  couteau  en  calcédoine  (fig.  1 59) 

(1)  Proc.  Ant.  Soc.  of  Washington,  1879,  p.  80. 

(2)  Matli.  de  Fossey,  le  Mexique.  Paris,  1857,  p.  213. 
De  Nadaillac,  Amérique.  25 


386  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

qui  fait  partie  de  cette  dernière  collection.  Le  manche  est  une 
mosaïque  formée  de  turquoises,  de  malachite  et  de  coquilles  rares, 
blanches  ou  rouges.  On  est  surpris  de  voir  un  peuple  encore  à 
l'âge  de  pierre,  exécuter  avec  les  misérables  outils  que  nous 
connaissons,  un  travail  aussi  délicat. 

En  résumé  tout  montre  chez  les  anciennes  races  de  rAméri- 
que  centrale,  une  civilisation  matérielle  avancée,  une  culture 
intellectuelle,  des  notions  exactes  de  certains  arts  et  de  certaines 


Fig.  159.  —  Couteau  à  lame  do  calcédoine,  provenant  de  la  collection  Christy. 

sciences,  des  connaissances  techniques  remarquables.  «  Les  Es- 
pagnols en  quelques  années,  dit  un  écrivain  contemporain  (1), 
parvinrent  à  détruire  une  civilisation  assurément  supérieure  à 
celle  qu'ils  cherchaient  à  lui  substituer.  »  Nous  ne  nous  étonnons 
guère  de  ce  jugement  sévère  et  telle  serait  notre  propre  impres- 
sion, si  l'introduction  du  Christianisme  et  la  suppression  des 
sacrifices  humains,  dont  nous  avons  raconté  les  sombres  horreurs, 
ne  devaient  entrer  en  ligne  de  compte,  avant  de  prononcer  un 
jugement  définitif  sur  les  peuples  du  nouveau  monde  et  sur  leurs 
cruels  et  fanatiques  vainqueurs. 


(1)  L.  Morgan,  Nurth  American  Review.  Boston,  1869. 


CHAPITRE  VIII 


LE  PEROU. 


La  chaîne  des  Andes  traverse  toute  l'Amérique  du  Sud  ;  vers 
la  frontière  de  la  Bolivie  et  du  Chili,  elle  se  divise  en  deux 
branches  parallèles  au  Pacifique  (1),  qui  renferment  entre  elles 
à  1,000  m.  d'altitude,  le  Desaguadero,  immense  plateau,  dont  la 
superficie  égale  celle  de  la  France.  A  une  des  extrémités  de 
ce  plateau,  est  Potosi,  la  ville  la  plus  élevée  du  globe  (2)  ;  au 
JNord,  Cuzco,  l'ancienne  capitale  des  Incas  ;  entre  les  deux,  le 
lac  Titicaca,  la  grande  nappe  d'eau  douce  de  l'Amérique  du  Sud. 

Tout  le  pays  est  morne  et  désolé  ;  aucune  végétation  arbores- 
cente ne  vient  rompre  la  tristesse  du  paysage  ;  les  grains  n'y 
peuvent  mûrir,  les  animaux  y  sont  rares.  Entre  la  Cordillera 
de  la  Costa  et  l'Océan,  des  rochers  arides,  des  sables  impropres 
à  toute  végétation  ressemblent  aux  grands  déserts  de  l'Afrique  (3), 
et  quelques  vallées,  formées  par  les  affluents  de  l'Amazone,  per- 
dues dans  ces  immenses  solitudes,  possèdent  seules  les  richesses 
de  la  nature  tropicale. 

Sur  aucun  point  du  globe,  peut-être,  l'homme  n'a  déployé 
plus    d'énergie.   C'est   dans   ces  régions  déshéritées,  que  s'est 

(1)  La  branche  principale  continue  à  porter  le  nom  de  Cordillère  des  Andes,  la 
plus  rapprochée  du  Pacifique  s'appelle  la  Cordillera  de  la  Costa, 

(2)  Son  altitude  est  de  40G1  mètres.  La  limite  des  neiges  perpétuelles  dans  les  An- 
des est  à  4800  mètres. 

(3)  «  Sahara  is  a  thing  of  beauty  and  Arizona  a  joy  for  ever,  compared  with  the  coast 
of  Peru.  »  Squier,  Peru,  p.  25. 


388  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE. 

élevé  l'empire  le  plus  puissant  et  le  plus  avancé  en  civilisation 
des  deux  Amériques  et  aujourd'hui  encore  tout  rappelle  son 
souvenir,  les  ruines  imposantes  qui  couvrent  le  pays,  les  forte- 
resses qui  le  défendent,  les  routes  qui  le  sillonnent,  les  acequias 
qui  conduisent  l'eau  destinée  à  fertiliser  les  campagnes,  les  tam- 
bos  ou  maisons  de  refuge  dans  les  montagnes  à  l'usage  des 
voyageurs  (1),  les  poteries,  les  étoffes  de  laine  et  de  coton,  les 
ornements  en  or  et  en  argent,  que  les  sépultures  recèlent  et 
que  les  Tapadas  recherchent  avec  une  insatiable  ardeur  (2). 
Les  incas.  L'cmpirc  des  Incas,  c'est  de  lui  que  nous  voulons  parler, 
s'étendait  sur  une  longueur  de  3,000  miles  et  une  largeur  dé 
400,  du  4°  au  34°  de  latitude  (3).  Il  comprenait  dans  ses  limites 
le  Pérou  (4),  la  Bolivie,  l'Equateur,  une  partie  du  Chili  et  de  la 
république  Argentine.  Sa  superficie  atteignait  un  million  de 
miles  carrés  et  au  moment,  où,  sous  l'Inca  Huayna-Capac,  il 


(1)  Le  uom  Qquichua  était  tampu,  c'est  par  corruption  que  les  Espagnols  ont  adopte 
le  nom  de  tambo. 

(2)  Montesinos,  Memorias  antiguas  historiales  del  Peru.  M.  Ternaux  Compans  en  a 
publié  en  1840,  une  traduction  française;  des  faits  vrais  se  mêlent  à  beaucoup  de 
fables.  —  Garcilaso  de  la  Vega,  Los  Comentarios  reaies  que  tratan  del  origen  de 
los  Yncas,  Reyes  que  fueron  del  Peru...  Lisboa,  2  v.  f",  1609-1616.  Hist.  des  Incas  Rois 
du  Pérou,  trad.  franc.  Paris,  1744.  C'est  le  récit  le  plus  complet  que  nous  ayions  de 
l'histoire  des  Incas,  mais  Garcilaso  retiré  en  Espagne,  écrivait  quarante  ans  après  les 
événements  dont  il  fut  le  témoin  et  avec  une  évidente  partialité  pour  les  Incas,  dont 
il  était  le  descendant  par  les  femmes.  —  Très  relacmies  de  Antiguedades  Pei^uanas 
publicalas  el  Ministerio  de  Fomento.  Madrid,  1879.  Ce  volume  renferme  Relacion  par 
el  Licenciado  Fernando  de  Santillon;  Rel.  Anonima;  Rel.  por  D.  Joan  de  Sanla- 
Cruz  Pachacuti.  —  Humboldt,  Vues  des  Cordillères  et  Mon.  des  peuples  indigènes  de 
l'Amérique.  Paris,  1810.  —  D'Orbigny,  YHomme  américain.  Paris,  1834-1847  (Extrait 
du  Voy.  dans  CAm.  Méridionale,  9  v.  4°).  —  E.  de  Rivero  et  Tsclmdi,  Antiguedades 
Peruanas.  Vienne,  1851.  —  Idem,  Die  Kechua  Sprache.  Wien,  1853.  —  W.  H.  Prescott, 
Hist.  of  the  Conquest  of  Peru,  7*  éd.  London,  1854.  —  Hutchinson,  Two  Years  sin 
Peru.  —  E.  Desjardins,  le  Pérou  avant  la  conquête  Espagnole.  Paris,  1858.  —  W. 
Bollaert,  Antiquarian,  Ethnological  and  other  Researches  in  New  Granada,  Equador, 
Peru  and  Chili.  London,  1860.  —  Mateo  Paz  Soldan,  Geog.  del  Peru.  Paris,  1862.  — 
V.  F.  Lopez,  Les  races  Aryennes  du  Pérou.  Paris  et  Montevideo,  1871.  —  Squier,  Peni, 
Incidents  of  Travel  and  Exploitation  in  the  Land  of  the  Incas,  2*  éd.  London,  1878. 
Ch.  Wiener,  Pérou  et  Bolivie.  Paris,  Hachette,  1880. 

(3)  De  la  rivière  Andasmayo  au  nord  de  Quito,  jusqu'à  la  rivière  Maule  (Chili).  Bol- 
laert, /.  c,  p.  133. 

(4)  Le  nom  de  Pérou  a  été  créé  par  les  Espagnols.  Les  habitants  lui  donnaient  celui 
de  Tavaniiswju,  littéralement  les  quatre  parties  du  monde. 


LE  PÉROU.  389 

avait  atteint  le  point  culminant  de  sa  grandeur,  sa  population 
pouvait  être  de  dix  à  onze  millions  d'âmes  (1). 

L'origine  des  Incas  est  inconnue  et  ce  n'est  guère  que  400  ans 
avant  la  conquête  espagnole  que  l'on  aborde  l'histoire  sérieuse 
du  pays.  La  tradition  rapporte  que  Manco-Capac  et  la  belle  Ma- 
ma-Oello,  sa  sœur  et  sa  femme,  firent  connaître  les  premiers 
éléments  de  la  civilisation  à  des  tribus  jusqu'alors  sauvages  et 
barbares  (2).  A  leur  voix,  ces  hommes  brisèrent  leurs  idoles, 
pour  adorer  un  pur  esprit,  illimité  dans  le  temps  et  dans  l'espace, 
créateur  et  conservateur  du  monde,  dont  le  soleil  et  la  lune 
étaient  la  forme  visible.  Montesinos  donne  l'histoire  de  cent  un 
souverains,  qui  portèrent  après  Manco-Capac  le  bandeau  royal 
{llautu)  et  fait  remonter  leur  origine  au  v"  siècle  avant  le  déluge. 

Un  peu  de  vérité  se  mêle  dans  ce  récit  à  beaucoup  de  fable. 
11  est  certain  qu'avant  Manco-Capac,  les  habitants  du  pays 
n'étaient  nullement  plongés  dans  la  barbarie.  La  civilisation 
Qquichua  avait  un  passé  dont  l'organisation  théocratique  et  so- 
ciale fondée  par  le  premier  Inca  n'était  que  le  reflet.  De 
nombreux  édifices  sont  sûrement  antérieurs  aux  Incas,  à  ceux  du 
moins  dont  l'histoire  a  conservé  le  souvenir.  On  les  reconnaît 
à  leur  caractère  plus  massif,  à  leur  construction  plus  hardie  et 
plus  artistique,  à  des  traits  généraux,  qui  offrent  une  certaine 
ressemblance  avec  les  monuments  de  l'Asie  (3).  Quant  au  récit 
de  Montesinos,  il  faut  sans  doute  l'appliquer  à  l'histoire  partielle 
des  diverses  peuplades  ou  tribus,  dont  la  réunion  forma  plus 
tard  l'empire  Incasique.  Ces  peuplades  avaient  évidemment  des 
liens  communs.  Les  monuments  que  l'on  peut  leur  attribuer, 
montrent  une  curieuse  analogie  ;  les  tumuli  funéraires ,  les 
forteresses,  les  temples  affectent  le  même  style,  depuis  Arica 
jusqu'à  San  José  ;  partout  les  ornements,  la  poterie,  le  mode  de 
sépulture,  sont  identiques,  tout  indique  la  même  origine. 

(1)  Un  recensement  prescrit  par  Philippe  II  n'indiquait  déjà  plus  que  8,280,000  âmes^ 
la  population  de  ces  pays  n'atteint  guère  aujourd'hui  que  la  moitié  de  ce  chiffre.       ■ 

(2)Rel.deDonJ.deSanta-CtnizPachacuti. 

(3)  Angrand,  Lettre  sur  les  Antiquités  de  Tiaguanaco  Paris,  1866.  —  Allen,  La  très 
ancienne  Amérique.  Nancy,  1874.  ...... 


390  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Au  moment  de  la  conquête  espagnole,  ces  races  aborigènes 
étaient  représentées  par  les  Aymaras  qui  habitaient  le  plateau 
des  Andes  et  les  Qquichuas  établis  autour  de  Cuzco  (1).  D'Orbi- 
gny  prétend  que  les  différences  entre  eux  étaient  plus  appa- 
rentes que  réelles.  La  structure  grammaticale  des  langues 
offre  de  sérieuses  analogies  ;  un  grand  nombre  de  mots  sont 
semblables  et  les  diversités  que  nous  voyons  sont  celles  qui 
se  rencontrent  habituellement  dans  les  dialectes  sortis  de  la 
même  souche  (2),  A  côté  de  ces  rapports  indéniables,  il  est 
des  dissemblances  tellement  tranchées  qu'on  ne  peut  les  attri- 
buer uniquement  à  d'autres  conditions  biologiques  et  il  faut 
conclure  que  si  une  parenté  existe  entre  ces  races,  leur  com- 
mune origine  doit  être  reportée  à  des  époques  très  reculées. 

En  résumé,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  il  est 
difficile  de  préciser  le  lien  entre  les  Aymaras  et  les  Qquichuas 
et  on  ne  peut  mieux  le  comparer  qu'à  celui  que  nous  avons 
montré  entre  les  Mayas  et  les  Quiches,  ou  bien  encore  entre  les 
Toltecs  et  les  Aztecs.  En  admettant  cette  hypothèse,  il  en  est  une 
autre,  plus  plausible  encore,  que  M.  de  liumboldt  a  énoncée  le 
premier  et  que  M.  Angrand  soutient  avec  de  solides  raisons.  Les 
Qquichuas  seraient  venus  du  Nord,  plusieurs  siècles  proba- 
blement après  les  Aymaras  et  c'est  parmi  les  races  prolifiques 
de  l'Amérique  centrale,  qu'il  faut  chercher  leurs  ascendants  (3). 

Si  nous  sortons  des  conjectures  plus  ou  moins  fondées,  l'his- 
toire montre  Manco-Capac  régnant  de  1021  à  1062  (4).  Qua- 
torze Incas  lui  succédèrent  ;  plusieurs  furent  des  hommes 
remarquables  ;  sous  leur  gouvernement,  l'empire  se  consolida  et 

(1)  Markham,  The  Tribes  of  the  Empire  of  the  Incas,  Royal  Géog.  Soc,  1871.  — 
D'Orbigny,  ÏHomme  ainéricain,  t.  II,  p.  306.  —  Forbes,  The  Aymara  Indians  ;  Journ. 
of  the  Eth7i.  Soc.  London,  1870.  —  Ch.  Wiener,  Pérou  et  Bolivie.  Paris,  1880. 

(2)  Don  V.  F.  Lopez  a  prétendu  que  le  Qquichua  était  une  langue  Aryenne  ;  mais 
pourquoi  dans  ce  cas  serait-il  resté  agglutinant  avec  des  mots  comme  Mananccallaby- 
cucullaliuancupasraocchu,  ils  tiunt  pas  eu  la  bonté  ou  la  charité  de  s'occuper  de  moi. 
Voy.  aussi  Tschudi,  Die  Kechua  Sprache  et  Cong.  des  Américanistes.  Luxembourg, 
1877,  t.  II,  p.  75. 

(3)  Angrand,  l.  c,  p.  37  et  s.  ■         . 
(i)  Selon  d'autres  récits,  il  ne  régna  que  36  ans  et  mourut  en  10S4. 


LE  PÉROU.  391 

s'agrandit  (1).  Le  dernier  fut  Atahualpa,  dont  le  court  règne 
fut  marqué  par  une  lutte  ardente  contre  son  frère  Huascar  et 
par  les  cruels  supplices  qui  la  terminèrent. 

Un  ennemi  plus  dangereux  allait  paraître;  Pizarre  débarqua 
dans  la  baie  de  San  Mateo  en  1534  (2);  il  avait  avec  lui  trois 
vaisseaux,  174  hommes  et  27  chevaux.  11  reçut  un  peu  plus 
tard,  un  renfort  de  130  hommes.  Ce  fut  devant  ces  faibles  for- 
ces que  l'empire  des  Incas  devait  succomber.  Atahualpa  fut 
battu  et  fait  prisonnier  à  Caxalmalca.  Peu  de  temps  après, 
impliqué  dans  une  conspiration,  probablement  imaginaire,  il 
fut  condamné  à  périr  par  le  feu.  En  vain,  il  offrit,  pour  sauver 
sa  vie,  de  remplir  jusqu'à  la  hauteur  qu'un  Espagnol  debout 
pourrait  atteindre  avec  sa  main,  une  des  salles  de  son  palais, 
d'ornements,  de  vases,  de  bijoux  en  or  ou  en  argent.  Les  Con- 
quistadcTres  acceptèrent  ses  richesses  (3)  ;  mais  la  seule  grâce 
que  put  obtenir  le  malheureux  Inca,  et  encore  à  la  condi- 
tion de  recevoir  le  baptême,  fut  d'être  garrotté  au  lieu  d'être 
brûlé  (4). 

Nous  ne  voulons  raconter  ici,  ni  l'histoire  des  Incas  (5),  ni 
celle  de  la  domination  espagnole  ;  c'est  par  la  description  des 
ruines,  par  celle  des  produits  des  arts  et  de  l'industrie,  par 
l'étude  des  mœurs,   des  lois,  des  conceptions  religieuses,  que 


(1)  Garcilaso  de  la  Vega,  trad.  franc.,  t.  I.  —  «  No  ha  habido  en  la  tierra  monarcas 
mas  despoticos  que  los  Incas.  Eran  adorados  como  seres  sobrinaturales.  »  Paz-Sol- 
dan.  Geog.  del  Paru. 

(2)  Une  première  exploration  des  côtes  du  Pérou  par  Pizarre  avait  eu  lieu  dès  1524, 
sous  le  règne  de  Huayna-Capac.  F.  Xérès.  Rel.  de  la  coiiq.  du  Pérou;  trad.  Ternaux- 
Compans. 

(3)  Cette  salle,  au  dire  de  Xérez  le  secrétaire  de  Pizarre,  avait  22  pieds  de  longueur 
sur  17  de  largeur. 

(4)  Le  notaire  Sanchez  nous  a  conservé  l'acte,  en  date  du  17  juin  1533,  qui  consa- 
crait le  partage  de  la  rançon  de  l'Inca.  Pizarre  reçut  pour  sa  part  2,350  marcs  d'argent 
et  57,220  pièces  d'or;  son  frère  Hernandez,  1,267  marcs  d'argent  et  31,080  pièces  d'or. 
L'église  préleva  comme  dime,  90  marcs  d'argent  et  2,220  pièces  d'or.  Hakluyt  Society 
Publications. 

(5)  Itinerariesof  Francisco  and  Hernandez  Pizarre  published  for  the  Hakluyt  Society 
by.  C.  R.  Markham.  London,  1872. 

On  peixt  consulter  l'excellent  travail  de  M.  Desjardins,  Le  Pérou  avant  la  con- 
quête Espagnole. 


392  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

nous  prétendons  faire  connaître  ce  peuple  singulier  qui,  malgré 
les  difficultés  d'une  nature  ingrate,  était  arrivé  à  jouer  le  pre- 
mier rôle  parmi  les  nations  de  l'Amérique  du  Sud.  Nous  dirons 
ce  qu'étaient  Pachacamac,  Chimu,  Tiaguanaco,  Titicaca,  Cuzco, 
les  villes,  les  monuments  de  tout  genre,  dont  les  ruines  attes- 
tent l'importance.  Malheureusement  l'homme  active  chaque 
jour  leur  destruction  ;  grisés  par  les  innombrables  légendes  sur 
les  richesses  cachées  des  Incas,  les  chercheurs  de  trésor,  les 
tapadas,  fouillent  partout  avec  ardeur,  les  murailles  s'écroulent 
sous  la  pioche  ;  les  sculptures  se  brisent  ;  les  souterrains  s'effon- 
drent; tous  les  souvenirs  d'un  grand  passé  disparaissent;  les 
hommes  renversent  en  un  instant  ce  que  les  siècles  avaient 
respecté. 
Pachacamac.  Pachacamac  (1)  est  située  sur  le  Pacifique  à  20  miles  de 
Lima.  Quelques  misérables  cabanes  en  jonc  ont  remplacé  la 
ville  sacrée  des  anciens  Péruviens  ;  quelques  ruines  qu'il  est 
difficile  même  de  décrire,  les  monuments  déjà  vieux,  lors  de 
l'arrivée  du  premier  Inca.  Un  silence  de  mort,  à  peine  inter- 
rompu par  le  vol  de  quelques  condors  (2),  règne  dans  les  lieux 
ou  les  pèlerinages  attiraient  un  immense  concours  de  fidèles  et 
un  cimetière  (fig.  160,  161)  d'une  étendue  considérable,  reste 
comme  le  seul  témoin  d'une  grandeur  disparue. 

«  La  ville  est  une  grande  chose,  écrivait  Estete,  un  des  com- 
pagnons de  Hernandez  Pizarre,  qui  fut  envoyé  par  son  frère 
pour  soumettre  Pachacamac  ;  près  du  temple  s'élève  une  mai- 
son entourée  de  cinq  rangées  de  murailles  ;  on  l'appelle  la  mai- 
son du  Soleil.  Il  existe  aussi  dans  la  ville  beaucoup  d'autres 
grandes  maisons,  avec  des  terrasses  semblables  à  celles  que 
l'on  voit  en  Espagne.  Ce  doit  être  une  très  vieille  ville,  à  en 
juger  par  les  nombreux  édifices  en  ruines,  que  l'on  >/  voit;  elle, 
est  entourée  d'une  muraille,  tombée  en  ruines  sur  bien  des 
points  ;  de  grandes  portes  y  donnent  accès.  » 

(1)  De  pacha  la  terre,  et  camac,  participe  de  camani  créer.  M.  Desjardins  (note  1^ 
p.  23)  donne  une  autre  étymologie. 
(2j  Le  condor  établit  son  nid  à  des  altitudes  de  5,000  mètres. 


LE  pp:rou. 


393 


El   Castillo    auquel   se  rapporte    sans  doute   la    description 
d'Estele,  s'élevait  sur  un  rocher  à  500  pieds  au-dessus  de  la 


Fig.  160.  —  Momie  péruvienne. 


Fig.  IGl.  —  Momie  péruvienne. 


mer.  Les  parois  du  rocher  étaient  revêtues  d'adobes  peints  en 
rouge,  qui  formaient  quatre   terrasses  (1),  en  retrait  les  unes 


Fig.  162.  —  Nielle  dans  un  mur  à  Pacliacamac. 

sur  Jes  autres.  C'est  une  disposition  semblable  à  celles  obser- 


(1)  Tel  est  le  récit  de  Squier.  Wilkos  {U.  S.  Exploring  Expédition)  et  Markham 
{Cuzco  and  Lima)  parlent  seulement  de  trois  terrasses. 


394  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

vées  dans  l'Amérique  centrale  (1);  elle  témoigne  des  rapports 
qui  ont  certainement  existé  entre  les  populations.  La  plate-forme 
couvre  plusieurs  acres  de  terrain  ;  et  l'on  peut  encore  y  distinguer 
les  ruines  d'édifices  (fîg.  162)  autrefois  importants.  Le  temple 
était  construit  vers  le  Sud.  «  C'est  une  assez  belle  maison,  con- 
tinue Estete,  bien  peinte  et  bien  ornée  ;  dans  un  réduit  toujours 
fermé,  très  obscur  et  très  puant,  était  une  idole  en  bois  qui 
pour  ces  gens  était  l'image  du  dieu  créateur.  A  ses  pieds,  on 
voyait  de  nombreux  ornements  en  or  et  en  argent,  offrandes 
de  ses  adorateurs.  Nul  à  l'exception  des  prêtres,  ne  peut  péné- 
trer dans  ce  réduit.  » 

Ilernandez  après  une  visite  au  sanctuaire,  visite  qui  pénétra 
les  indigènes  de  stupeur,  fit  briser  la  statue  de  Pachacamac, 
(le  dieu  avait  donné  son  nom  à  la  ville).  Il  était  plus  pressé 
encore  de  s'emparer  du  trésor  et  les  chroniqueurs  contempo- 
rains racontent  que  les  Espagnols  obtinrent  27  cargas  (2)  d'or 
et  16,000  onces  d'argent;  malheureusement,  ajoutent-ils,  on  ne 
parvint  pas  à  découvrir  le  trésor  principal,  qui  pouvait  bien 
se  monter  à  400  cargas  d'or. 

A  un  mile  et  demi  d'El  Caslillo,  auprès  d'un  petit  lac,  on  peut 
encore  distinguer  les  ruines  d'un  couvent  de  femmes  [Mamacunà). 
Les  détails  de  la  construction  rappellent  ceux  des  édifices  dus 
aux  Incas;  aussi  leur  attribue-t-on  l'érection  de  ce  couvent;  par 
une  politique  habile  ils  tenaient  à  montrer  leur  vénération  pour 
ce  lieu  si  sacré  pour  leurs  sujets, 
ciiimu.  Garcilaso  raconte  que  toute  la  côte  de  Truxillo  (3)  à  Tumbez, 

sur  une  étendue  de  plus  de  mille  kilomètres  appartenait  à  un 
peuple  connu  sous  le  nom  de  Chimus.  Montesinos  est  le  seul  qui 
parle  de  l'origine  de  ce  peuple.  Il  prétend  que  des  étrangers 
étaient  arrivés  de  la  haute  mer,  et  que  plus  belliqueux  ou  mieux 
armés  que  les  indigènes,  ils  avaient  rapidement  soumis  tous  ceux 


(1)  On  peut  citer  notamment  le  mound  pyramidal  de  Cholula.  —  Hutchinson.  Two 
Years  in  Peru,  t.  I,  p.  159-300.  —  Markham,  Cuzco  and  Lima. 

(2)  Le  cargas  équivaut  à  deux  arobas  et  demi,  soit  à  un  peu  plus  de  28  kilogrammes. 
(:?)  Truxillo  est  une  ville  moderne,  fondée  en  1535  par  Pizarre. 


LE  PÉROU.  395 

qui  vivaient  entre  les  montagnes  et  l'Océan.  Nous  avons  dit  com- 
Lieo  les  récits  de  Montesinos  étaient  sujets  à  caution  ;  mais  ici 
ils  sont  corroborés  par  la  singulière  ressemblance  des  Huacas, 
que  nous  allons  décrire,  avec  les  teocallis  du  Mexique  et  de  l'Amé- 
rique centrale.  Une  telle  ressemblance  ne  peut  être  fortuite.  Les 
historiens  ajoutent  (1)  qu'au  temps  de  Pachacutec,  le  neuvième 
Inca,  le  pays  était  gouverné  par  Chimu-Canchu,  très  redouté 
de  ses  voisins.  Yupanqui,  fils  de  Pachacutec,  voulut  l'obliger  à 
se  reconnaître  le  vassal  de  son  père  et  à  abandonner  le  culte  des 
animaux  (2)  pour  adorer  le  dieu  Soleil.  Une  sanglante  guerre 
suivit  le  refus  de  Canchu  ;  mais  les  Chimus  furent  contraints  de 
céder  à  la  supériorité  du  nombre  et  de  se  soumettre  aux  vain- 
queurs. A  partir  de  ce  moment,  jusqu'à  l'arrivée  des  Espagnols, 
leur  histoire  peut  se  résumer  en  une  suite  d'incessantes  révoltes, 
qui  témoignaient  de  leur  horreur  pour  le  joug  étranger. 

Leur  capitale,  qui  portait  aussi  le  nom  de  Chimu,  couvrait  une 
superficie  considérable  (3).  Dans  toutes  les  directions,  sur  un 
parcours  de  plusieurs  lieues,  on  distingue  de  longues  lignes  de 
murs  massifs,  de  huacas,  de  palais,  d'aqueducs  (4),  de  réservoirs 
d'eau,  de  greniers.  Tout  montre  la  puissance  et  la  richesse  d'un 
peuple,  dont  le  nom  même  est  resté  incertain. 

Parmi  les  monuments,  les  huacas  sont  les  plus  importants  : 
On  appelle  ainsi  des  pyramides  tronquées,  presque  toujours  cons- 
truites en  cailloux,  cimentés  avec  une  argile  très  plastique  et 
formant  un  conglomérat  résistant.  Le  huaca  Obispo,  un  des  plus 
remarquables,  ne  mesure  pas  moins  de  150  pieds  de  hauteur,  sur 
une  base  de  580  pieds  carrés  (5)  ;  et  on  a  calculé  qu'il  était  entré 

(1)  Garciiaso,  l.  c,  t.  I,  p.  234. 

(2)  Les  animaux,  objets  de  leur  adoration  étaient  probablement  symboliques  ;  les 
poissons,  la  tortue,  le  crabe,  représentaient  IVau  ;  le  serpent,  le  lézard,  la  terre.  La 
lance  qui  se  voyait  aussi  dans  les  temples  était,  croit-on,  l'image  de  la  foudre  ou  de 
l'éclair. 

(3)  Les  ruines  s'étendent  depuis  le  Monte  Campana  au  nord,  jusqu'au  Rio  Moche  au 
sud,  sur  une  aire  de  20  à  24  kilomètres  de  long,  et  8  à  9  kil.  de  large. 

(4)  Le  mot  huaca  indique  en  général  une  sépulture.  Par  extension,  on  l'étend  à 
tout  endroit  sacré  ou  vénéré. 

(5)  Il  couvre,  dit  Squier,  une  superficie  de  huit  acres.  Pei'U,  p.  120. 


396  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

dans  sa  construction,  près  de  50  millions  de  pieds  cubes  de  ma- 
tériaux. Des  excavations  ont  été  entreprises,  sur  la  foi  de  légen- 
des qui  racontaient  des  chambres  souterraines,  remplies  d'or  et 
d'argent;  et  Squier,  un  des  derniers  voyageurs,  qui  l'aient  visité, 
nous  dit  qu'il  apparaît,  de  loin,  comme  un  immense  cratère  de 
volcan. 

Un  autre  huaca  s'élève  non  loin  de  l'Obispo,  au  milieu  d'une 
enceinte  en  adobes  de  252  pieds  sur  222  (1).  Nous  le  mention- 
nons, bien  que  sa  hauteur  soit  peu  importante  à  raison  des 
ossements  qu'il  renfermait  et  qui  sont  la  meilleure  preuve  de  la 
destination  d'un  certain  nombre  tout  au  moins,  de  ces  huacas. 

Les  asiles  de  la  mort,  sous  toutes  les  formes,  semblent  être  le 
dernier  souvenir  de  ce  peuple;  ils  se  rencontrent  dans  tous  les 
environs  de  Chimu.  Une  vaste  plaine  de  sables,  dominée  par  une 
colline,  sur  laquelle  s'élève  un  huaca  comme  une  sentinelle 
avancée  s'étend  vers  la  mer;  cette  plaine  est  couverte  detombel- 
les,  où  gisent  des  squelettes  enterrés  fort  irrégulièrement  et  dans 
les  positions  les  plus  variées,  victimes  sans  doute  des  combats, 
où  les  Chimus  défendaient  leur  indépendance.  C'est  là  une  sup- 
position plausible,  car  beaucoup  de  crânes  sont  fracturés  comme 
par  un  coup  de  massue  et  d'autres  présentent  des  ouvertures, 
telles  que  pourraient  en  faire  les  pointes  de  flèche  en  bronze 
recueillies  sur  les  mêmes  lieux. 

En  longeant  cette  plaine,  on  arrive  au  petit  village  de  Moche. 
Ce  village  possède  un  huaca,  dont  il  faut  bien  dire  aussi  quelques 
mots,  car  il  passe  pour  le  plus  considérable  de  tous  ceux  du 
pays  (2).  El  templo  del  Sol  (toutes  les  ruines  importantes  du  Pé- 
rou portent  le  nom  de  temples  du  Soleil)  est  un  édifice  rectangu- 
laire de  800  pieds  de  longueur  sur  470  pieds  de  largeur.  Il  couvre 
une  superficie  de  plus  de  7  acres  et  sa  plus  grande  hauteur  est  de 
200  pieds.  Le  mode  de  construction  est  très  particulier  ;  d'im- 
menses blocs  d'adobes,  à  une  petite  distance  les  uns  des  autres, 
forment  de  véritables  piliers  sinclinés,  sous  un  angle  de  77  dé- 

(1)  Les  murs  mesurent  14  pieds  de  hauteur  sur  6  pieds  de  largeur  à  leur  base. 

(2)  Squier,  Peru,  p.  130. 


LE  PÉROU.  397 

grés.  Ces  piliers  étaient  recouverts  d'un  stucage  d'une  grande 
épaisseur  qui  assurait  la  solidité  de  la  plate-forme.  Elle  était  cou- 
ronnée par  plusieurs  édifices,  dont  il  est  possible  de  reconnaître 
les  vestiges.  A  l'extrémité  sud  s'élève  une  pyramide  tronquée, 
formée  de  terrasses  en  retrait  les  unes  sur  les  autres.  Sept  de  ces 
terrasses  subsistent  encore  et  un  examen  attentif  permet  de  por- 
ter à  neuf  leur  nombre  primitif;  une  pente  insensible  conduisait 
au  sommet.  Les  chambres,  les  réduits,  les  passages  souterrains 
avaient  été  fouillés  avec  rage,  mais  sans  plus  de  succès  qu'au 
huaca  Obispo.  Les  fouilles  ont  seulement  montré  que  ces  deux 
huacas  n'étaient  pas  des  lieux  de  sépulture,  comme  on  l'avait 
d'abord  supposé. 

Le  palais  (1)  comprenait  une  suite  irrégulière  de  constructions 
en  adobes  couvrant  une  superficie  de  plusieurs  acres  et  s'élevant 
sur  un  mound  à  terrasses  successives!  Les  murs  extérieurs  étaient 
ornés  de  manière  à  rompre  leur  monotonie.  Nous  reproduisons 
une  des  dispositions  les  plus  fréquentes  (fig.  163)  ;  elle  permet  de 
juger  de  l'effet  général.  L'intérieur  comprenait  une  série  de  salles, 
de  chambres,  de  corridors,  de  souterrains  voûtés;  une  de  ces 
salles  mesure  plus  de  52  pieds  de  largeur;  sa  longueur  reste 
incertaine,  à  raison  des  décombres,  dont  elle  est  obstruée.  Mais 
elle  dépassait  sûrement  100  pieds.  Les  murs  sont  richement 
ornés  de  stucages  en  relief,  de  fines  arabesques,  de  grecques  qui 
rappellent  celles  de  Mitla.  A  une  hauteur  de  12  pieds  environ, 
on  remarque  plusieurs  niches  de  5  pieds  de  largeur.  Ces  niches 
sont  un  des  caractères  frappants  de  l'architecture  Péruvienne  ; 
il  est  impossible  de  connaître  leur  destination.  Dans  d'autres 
salles,  les  murs  sont  revêtus  d'une  couche  de  couleur,  en  général 
rouge  foncé.  Citons  aussi  un  corridor,  la  porte  qui  y  donne  accès 
est  formée  par  un  double  rang  de  pilastres,  les  murs  sont  cou- 
verts de  figures  en  relief,  où  l'on  a  voulu  voir  des  singes  portant 
sur  leur  tête  une  sorte  de  demi-lune.  Cet  ornement  devait  avoir 


(1)  Nous  conservons  le  nom  de  palais  donné  par  Squier.  Telle  parait  clairement  la 
destination  de  cet  édifice  ou  plutôt  de  cette  collection  d'édifices. 


398  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

une  signification  particulière;  car  il  est  souvent  répété  sur  les 
poteries  et  sur  les  vases  en  métal  des  Chimus. 

Le  colonel  La  Rosa,  un  des  tapadas  les  plus  ardents  et  les  plus 
heureux,  découvrit  dans  un  souterrain  en  forme  de  puits,  où  il 
dut  pénétrer  par  une  étroite  ouverture,  une  collection  considé- 


Fig.  163.  —  Mui'S  en  ruine  à  Chimu. 


rable  de  vases  d'or  et  d'argent  (fig.  164),  dont  quelques-uns  étaient 
chargés  d'ornements  en  relief.  Ces  vases  avaient  des  parois  très 
minces  ;  ceux  en  argent  étaient  fortement  mélangés  de  cuivre  et 
leur  oxydation  était  telle,  qu'ils  se  brisaient  sous  les  doigts  des 
fouilleurs.  Presque  tous  malheureusement  ont  été  fondus  immé- 
diatement après  leur  découverte  (1).  Le  désordre  où  se  trouvaient 
ces  richesses,  évidemment  cachées  à  la  hâte,  fait  supposer  qu'on 
avait  cherché  à  les  mettre  à  l'abri,  soit  durant  les  luttes  entre 

(1)  Le  vase  que  nous  reproduisons  provient  de  la  collection  Squier;  il  est  un  des 
seuls  qui  aient  été  conservés. 


LE  PÉROU.  399 

les  Chimus  et  les  Incas,  soit  lors  de  l'arrivée  des  Conquistadores. 
La  nécropole  des  Princes  de  Chimu  était  à  une  faible  distance 
de  leur  palais  (1).  Une  excavation  a  permis  de  reconnaître 
des  murailles  d'une  grande  épaisseur,  dont  la  longueur  n'a 
point  été  vérifiée.  Un  escalier  conduisait  à  une  série  de  chambres 
voûtées,  ayant  toutes  une  ou  plusieurs  niches.  Dans  ces  niches  re- 
posaient des  momies  desséchées  ;  quelques-uns  des  crânes  avaient 


Fig.  164.  —    Coupe  en  argent  trouvée  à  Chimu. 

été  peints  en  rouge  ;  d'autres,  si  l'on  accepte  le  récit  du  colonel 
La  Rosa,  étaient  dorés;  les  cadavres  étaient  revêtus  de  riches 
étoffes,  de  couronnes  de  plumes,  d'ornements  d'or  et  d'argent. 
Ces  ornements  ont  disparu  et  Squier  ne  put  se  procurer  que 
quelques  fragments  d'une  étoffe  mêlée  de  coton  et  de  laine,  por- 
tant tissée  dans  la  trame,  des  figures  de  lézards  et  d'oiseaux  aux 
couleurs  les  plus  variées. 

iNous  ne  nous  arrêterons  pas  à  raconter  en  détail  toutes  les 
ruines  de  Chimu;  el  Presidio,  la  prison,  mérite  seule  une  excep- 
tion. C'est  une  enceinte  de  320  pieds  sur  240,  entourée  par  un 
mur  de  25  pieds  de  hauteur,  sur  5  pieds  et  demi  à  sa  base.  Au 
centre  est  un  mound,  dont  les  fondations,  d'une  solidité  excep- 

(1)  Squier,  Peru,  p.  144. 


400  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

tionnelle,  reposent  sur  de  grands  blocs  de  pierre.  Les  fouil- 
les ont  mis  au  jour  un  peu  au-dessous  du  niveau  du  sol,  quarante- 
cinq  cellules  sans  aucune  communication  entre  elles  et  disposées 
sur  cinq  rangs.  De  là  le  nom  donné  à  l'édifice  ;  si  véritablement 
nous  sommes  en  présence  d'une  prison,  ce  serait  aux  habitants 
de  Chimu  qu'il  faudrait  faire  remonter  la  pensée  première  du 
système  cellulaire  (1). 

Nous  pouvons  nous  rendre  compte  à  Chimu  des  habitations  par- 
ticulières. C'est  là  un  fait  assez  rare,  car,  dans  la  plupart  des  villes 
en  ruines,  les  monuments  seuls  ont  résisté  aux  injures  du  temps 
et  aux  destructions  bien  autrement  redoutables  des  hommes. 
Ces  habitations  tantôt  rondes,  tantôt  carrées,  étaient  disposées 
avec  une  grande  régularité  sur  des  rues  ou  sur  des  places.  Les 
chambres  variaient  naturellement  et  comme  nombre  et  comme 
dimensions.  Les  plus  grandes  atteignaient  25  pieds  de  longueur 
sur  12  de  hauteur.  Une  poterie  fort  curieuse  figure  une  maison 
au  toit  pointu,  avec  une  seule  porte  et  un  trou  dans  le  pignon 
pour  assurer  probablement  la  ventilation.  Telles  devaient  être 
les  demeures  du  peuple;  leur  nombre  témoignait  d'une  popula- 
tion considérable  (2). 
Tiaguanaco.  Tiaguanaco  (3)  s'élève  au  centre  d'un  bassin,  formé  par  deux 
lacs  de  grandeur  très  inégale,  le  lac  Titicaca  et  le  lac  Aullagas, 
sur  un  plateau  entouré  de  hautes  montagnes,  que  domine  l'Il- 
lampu  (4).  Ce  plateau  est  à  12,000  pieds  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer,  presque  à  la  limite  des  neiges  éternelles.  A  cette  altitude, 
aucune  végétation  n'est  possible,  aucune  céréale  ne  peut  mûrir; 
la  respiration  est  pénible,  tous  les  éléments  sont  insuffisants  pour 
maintenir  la  vie. 


(1)  M.  Wiener  remarque,  que  la  ville  actuelle  bâtie  en  1533  a  été  renversée  trois  fois 
par  des  tremblements  de  terre.  La  solidité  des  constructions  des  vieux  habitants  leur 
a  permis  de  résister  à  ces  terribles  chocs. 

(2)  Squier,  l.  c,  p.  181. 

(3)  Tel  est  le  nom  donné  à  la  ville  par  les  Incas.  Son  nom  ancien  reste  inconnu. 
Angrand,  Lettre  sur  les  Ant.  de  Tiaguanaco.  —  Paz-Soldan,  Geog.  del  Peru. 

(4)  La  hauteur  de  l'IUampu  est  de  5,500  mètres,  c'est  la  montagne  la  plus  élevée 
des  deux  Amériques. 


LE  PEROU. 


401 


Dans  cette  région  aride  et  désolée,  d'un  accès  si  difficile,  les 
hommes  avaient  cependant  construit  une  ville  importante,  des 
édifices  remarquables  (1).  Garcilaso  rapporte  que  lorsque  Mayta- 
Capac,  le  quatrième  Inca,  pénétra  pour  la  première  fois  dans  le 
pays,  la  vue  de  ces  monuments  jeta  les  Péruviens  dans  un  pro- 
fond étonnement;  ils  ne  pouvaient  se  rendre  compte  des  procédés 
qui  avaient  été  employés  pour  les  ériger.  C'est  à  Tiaguanaco  que 
se  trouvait  le  siège  de  la  civilisation  à  la  fois  la  plus  ancienne  et 
la  plus  brillante  de  l'Amérique  du  Sud.  Ce  contraste  continuel 
entre  la  nature  et  les  œuvres  de  l'homme  est  un  des  grands 
intérêts  de  cette  étude. 

Dès  son  arrivée  au  milieu  des  ruines,  l'explorateur  est  frappé 
par  le  nombre  des  monolithes  (fig.  165),  plantés  debout  à  des  dis- 


Vis.  165.  —  Menhirs  à  Tiaguanaco. 


tances  régulières,   rappelant   ceux  de  Stonehenge  (2)    par  les 
dimensions  cyclopéennes  des  pierres  employées  (3);  par  la  pro- 


(1)  Desjardins,  le  Pérou  avant  la  domination  espagnole.  —  Rivero  et.  Tschudi,  Ant. 
Peruanas. 

(2)  Leur  hauteur  est  très  inégale  ;  le  plus  élevé  mesure  14  pieds.  Les  monolithes  do 
Stonehenge  varient  de  16  à  21  pieds. 

1'^)  Acosta,  un  des  premiers  Espagnols  qui  entra    à    Tiaguanac.i\  parle  de  pierres 
qui  atteignaient  38  pieds  de  longueur,  18  de  largeur  et  6  d'épaisseur. 

De  Nadaii.lac,  Amérique.  26 


402  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

fusion  de  sculptures,  d'ornements,  de  bas-reliefs,  de  statues  de 
grandeur  colossale  (1). 

Les  têtes  humaines  n'ont  pas  les  oreilles  déformées;  c'est  une 
preuve  de  plus  qu'elles  sont  antérieures  aux  Incas,  car  nous 
savons  que  ce  fut  l'Inca  Roca,  qui  introduisit  la  mode  de  porter 
de  lourds  anneaux  aux  oreilles,  d'oii  le  surnom  à'Orejones,  que 
les  Espagnols  donnèrent  aux  indigènes. 

Les  pierres  employées  sont  le  grès  rouge,  un  trachyte  se  rap- 
prochant de  la  couleur  de  l'ardoise  et  un  basalte  très  dur  et  très 
foncé  (2).  Toutes  ces  pierres  sont  admirablement  polies  et  la 
perfection  de  la  taille  est  comparable  à  celle  des  granits  des 
pylônes  égyptiens.  On  a  peine  à  concevoir  comment  des  ou- 
vriers ont  exécuté  un  travail  aussi  difficile  (3),  alors  que  le  fer 
leur  était  inconnu  et  qu'il  leur  fallait  se  servir  d'outils  soit  en 
silex,  soit  en  un  alliage  de  bronze  [champi)  peu  résistant.  Les 
pierres  étaient  posées  avec  une  telle  précision  que  les  joints  sont  à 
peine  perceptibles,  puis  assujetties  avec  des  crampons  en  bronze. 
Les  débris  des  monuments  ont  servi  à  construire  toutes  les 
églises  des  vallées  environnantes  et  les  sculptures  de  Tiaguanaco 
se  retrouvent  à  plus  de  vingt  lieues  de  distance,  jusque  sur  les 
murs  de  la  cathédrale  de  la  Paz,  la  capitale  actuelle  de  la  Bolivie. 

Le  bois  n'entrait  point  dans  ces  constructions  ;  à  cette  hauteur, 
les  arbres  ne  pouvaient  grandir  et  quelques  misérables  brous- 
sailles, plus  souvent  encore  la  fiente  desséchée  des  lamas,  étaient 
le  seul  mode  de  chauffage. 

Il  faut  maintenant  décrire  rapidement  les  ruines  de  Tiagua- 
naco; nous  conserverons,  comme  points  de  repère,  les  noms  qui  ont 
été  donnés  aux  divers  édifices;  mais  les  désignations  populaires, 
observe  avec  raison  M.  Desjardins  (4),  ne  sont  rien  moins  que 

(1)  On  n'a  retrouvé  jusqu'ici  que  huit  statues. 

(2)  Il  existe  de  grandes  falaises  de  grès  rouge  à  cinq  lieues  des  ruines  et  des  couches 
de  trachyte  et  de  basalte  à  Yunguyo.  Le  transport  dans  les  montagnes  venait  s'ajou- 
ter aux  immenses  difficultés,  que  les  constructeurs  avaient  à  vaincre. 

(3)  «  In  no  part  of  the  world,  hâve  I  seen  stones  eut  with  such  mathematical  préci- 
sion and  admirable  skill  as  in  Peru  ;  and  in  no  part  of  Peru  are  there  any  to  surpass 
those  which  are  scattered  over  the  plains  of  Tiahuanuco.  >■  Squier,  Peru,  p.  279. 

(4)  L.  c,  p.  150. 


LE  PEROU.  403 

conformes  à  la  destination  des  édifices  auxquels  elles  s'appli- 
quent. 

La  forteresse  (1)  est  un  mound  de  forme  rectangulaire,  qui 
s'élève  à  une  hauteur  de  150  pieds,  par  terrasses  successives,  en 
retrait  les  unes  sur  les  autres  et  soutenues  par  des  murs  massifs; 
c'est  ici  encore  la  même  disposition  qu'au  Mexique  et  dans  le 
Yucatan.  La  plate-forme  était  couverte  de  constructions,  dont  les 
fondations  restent  à  peine  visibles.  Nulle  part,  les  tapadas  n'ont 
déployé  une  plus  sauvage  ardeur,  excités  sans  doute  par  la  tradi- 
tion, qu'aucun  Indien  ne  s'aviserait  de  mettre  en  doute,  qu'une 
communication  souterraine  existe  entre  cette  forteresse  et  la 
ville  de  Cuzco,  à  plus  de  160  lieues  de  distance  ! 

Il  n'est  pas  probable  que  cette  pyramide,  malgré  le  nom 
que  les  indigènes  lui  ont  donné,  ait  jamais  servi  pour  la  défense. 
Les  forteresses  du  Pérou  ont  toujours  été  construites  sur  des 
points  désignés  par  leur  situation  même.  Beaucoup  d'archéo- 
logues veulent  donc  y  voir  un  temple  et  y  placent  le  théâtre  des 
sacrifices  humains  qui  existaient,  rapporte-t-on,  avant  la  domi- 
nation des  Incas.  C'est  là  une  pure  conjecture  ;  dans  l'ignorance 
où  nous  sommes,  il  n'est  permis,  ni  de  l'accepter,  ni  de  la  re- 
pousser. 

Au  nord  de  la  forteresse,  s'élève  le  temple  (2),  le  monument 
le  plus  ancien  de  la  ville.  Il  forme  un  parallélogramme  de 
445  pieds  sur  388  et  il  était  entouré  d'un  vaste  parvis,  construit 
en  blocs  de  trachyte  (3)  de  forme  irrégulière,  et  moins  soigneu- 
sement préparés  que  les  pierres  qui  entrent  dans  les  autres  édi- 
fices de  Tiaguanaco. 

La  Salle  de  justice  n'est  plus  qu'une  masse  de  pierres  amon- 
celées; il  faut  une  longue  et  patiente  étude  pour  reconnaître 
l'exactitude  du  récit  que  Cieca  de  Léon  écrivait,  il  y  a  trois  siècles, 

(1)  «  La  ville  de  Tiahuanacu  était  singulière  par  ses  grands  et  incroyables  bâtiments. 
Le  plus  beau  bâtiment  que  l'on  vit  dans  ce  pays,  c'est  une  montagne  faite  de  main 
d'homme,  mais  prodigieusement  élevée.  »  Garcilaso,  trad.  franc.,  1. 1,  p.  59. 

(2)  Squier,  Peru,  p.  299. 

(3)  Ces  blocs  mesurent  de  8  à  10  pieds  de  longueur  sur  2  à  4  pieds  de  largeur  et 
20  à  30  pouces  d'épaisseur. 


404  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ou  môme  du  plan  que  dressait  d'Orbigny  en  1833.  Selon  toute 
apparence,  c'était  un  édifice  de  forme  parallélogrammique  (1). 
Des  murs  entouraient  une  plate-forme  enterre,  ayant  au  centre 
une  excavation  qui  descendait  au  niveau  du  sol.  On  ignore  la 
destination  de  cette  excavation,  dont  les  parois  étaient  formées 
de  pierres  de  grande  dimension  (2).  Une  porte  encore  debout 
(fig.  166)  y  donne  accès;  les  jambages  sont  des  monolithes  qui 


Fig.  IGG.  —  Porto  à  Tiaguaiiaco. 


rappellent  ceux  de  l'Egypte  ;  la  frise  est  ornée  de  figures  humaines 
sculptées  en  bas-relief. 

A  l'est  de  la  salle  de  justice,  on  aperçoit  un  mound  de  8  à  10 

(t)  Il  mesure  420  pieds  sur  370. 

(2)  Cieça  de  Léon  les  dit  de  30  pieds  de  longueur  sur  15  pieds  do  largeur  et  G  pieds 
do  hauteur.  Squier  donne  des  dimensions  plus  faibles. 


LE  PÉROU.  405 

pieds  de  hauteur  (1).  Au  centre,  s'élevait  ua  édifice  mesurant  50 
pieds  carrés,  auquel  Squier  a  donné  le  nom  de  Sanctuaire.  On  y 
accédait  par  des  perrons  aux  marches  très  étroites,  et  il  est  fa- 
cile de  distinguer  une  sorte  de  Naos  qui  devait  être  un  but  de 
pèlerinage.  Tiaguanaco  avait  en  effet  un  grand  renom  de  sain- 
teté, qui  ne  le  cédait  en  rien  à  celui  de  Pachacamac,  et  à  cer- 
taines fctes,  les  hommes  y  affluaient  de  toutes  les  parties  du 
Pérou. 

Plusieurs  portes  monolithes,  semblables  à  celles  que  nous  avons 
décrites,  dominent  les  ruines  qui  les  entourent.  Une  d'entre  elles 
est  probablement  le  monument  le  plus  curieux  de  la  ville.  Qu'on 
se  figure  un  bloc  de  trachyte  de  13  pieds  5  pouces  de  longueur, 
sur  7  pieds  2  pouces  de  hauteur  (2),  surmonté  par  une  frise  que 
la  foudre  a  brisée  ;  puis  quatre  séries  de  cartouches  portant  des 
figures  humaines,  quelques-unes  inachevées,  gravées  en  creux, 
et  au  centre,  une  ornementation  très  originale  et  très  compli- 
quée (fig.  165).  C'est  une  représentation  humaine,  entourée  de 
bas-reliefs  que  l'on  dit  des  jaguars  et  des  condors  (3).  Ces  figures 
sont  très  probablement  symboliques  ;  mais  la  religion  des  anciens 
habitants  de  la  ville  ne  nous  est  pas  assez  connue,  pour  que  nous 
puissions  les  interpréter.  La  face  occidentale  porte  cinq  niches, 
dont  deux  sont  enfoncées  dans  le  sol,  la  hauteur  du  monolithe 
reste  donc  à  déterminer. 

L'histoire  et  la  tradition  sont  également  muettes  sur  les  liens 
qui  peuvent  rattacher  les  constructeurs  de  Tiaguanaco  aux 
Qquichuas.  Nous  sommes  non  moins  ignorants  des  rapports  qui 
ont  existé  entre  eux  et  les  Aymaras.  Il  est  probable,  sans  que 
rien  permette  cependant  de  l'affirmer,  que  les  uns  et  les  autres 
sortent  des  races  Nahuas  et  qu'ils  sont  venus  du  Nord,  peut-être 
même  de  ce  plateau  d'Anahuac,  si  fertile  en  populations.  Ce 

(1)  Il  forme  un  carré  parfait  de  175  pieds  sur  chacun  de  ses  côtés. 

(2)  Les  dimensions  de  la  porte  sont  4  pieds,  6  pouces  de  hauteur  sur  2  pieds,  9  pou- 
ces de  largeur.  M.  Desjardins  (/.  c,  p.  159)  donne  une  excellente  description  de  ce 
monument. 

(;j)  M .  Angrand,  qui  a  visité  Tiaguanaco,  fait  ressortir  sa  ressemblance  jusque  dans 
les  moindres  détails  avec  les  monuments  de  Palenque,  d'Ococingo  et  de  Xochicalco. 


406  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

qui  est  certain,  c'est  que  de  semblables  monuments  ne  peuvent 
être  les  vestiges  d'une  civilisation  autochthone,  ni  l'œuvre  d'une 
race  qui  aurait  puisé  dans  ses  propres  efforts,  dans  son  génie 


Fjg,  167.  —  Partie  centrale  du  grand  monolithe  de  Tiaguanaco. 

personnel,  des  connaissances  architecturales  aussi  complètes  ; 
nous  nous  associons  donc  a  la  conclusion  de  M.  Angrand  (1), 
que  la  civilisation  dont  ils  portent  l'empreinte  n'a  pu  prendre 


(1)  L.  c,  p.  18. 


Titicaca. 


LE  PÉROU.  407 

naissance  sur  ces  plateaux  glacés.  L'homme  a  dû  y  arriver  suf- 
fisamment préparé  à  la  lutte,  par  la  pratique  féconde  de  la  vie 
sociale. 

Le  lac  de  Titicaca,  de  forme  ovale  irréffulière,  mesure  120  lac  de 
miles  de  longueur,  sur  50  à  70  de  largeur  (1)  ;  des  sondages  ré- 
cents ont  donné  une  profondeur  de  530  mètres  (2).  Plusieurs 
îles  émergent  de  ses  eaux;  la  plus  importante  est  Tile  de  Titi- 
caca (3),  aux  rochers  abruptes,  aux  criques  dentelées.  C'était  l'île 
sainte  des  anciens  Péruviens  et,  selon  une  légende  encore  chère 
aux  habitants,  c'était  là  que  le  soleil  reparut  resplendissant  après 
une  éclipse  totale  qui  avait  duré  plusieurs  jours  ;  c'est  là  aussi 
que  naquirent  Manco-Capac  et  Oello,  les  enfants  du  soleil,  et 
c'est  de  là  qu'ils  partirent  pour  préparer  les  grandes  destinées 
de  leur  peuple. 

L'île  était  couverte  de  monuments,  pieux  hommages  des  Incas 
aux  mânes  de  leurs  glorieux  ancêtres.  Nous  citerons  le  temple 
du  Soleil,  un  couvent  de  prêtres  attachés  à  son  culte  et  le  palais 
des  Incas.  En  débarquant  du  bateau  en  roseaux  [balsa],  sur  lequel 
tout  voyageur  doit  s'aventurer,  on  aperçoit  successivement  les 
ruines  de  trois  portiques,  que  les  pèlerins  avaient  à  traverser,  le 
Pitîna  puncOj  la  porte  du  puma,  où  ils  étaient  tenus  de  confesser 
leurs  péchés  ;  le  Kenti  pimco,  orné  de  sculptures  représentant 
un  oiseau  appelle  kenti,  où  d'autres  cérémonies  les  attendaient; 
le  Pillco  piinco  enfin  ou  la  porte  de  l'espérance.  Après  l'avoir 
franchi,  il  était  permis  au  fidèle  de  s'approcher  du  rocher  sacré, 
où  le  soleil  s'était  levé,  éclairant  l'horizon  de  ses  feux  (4).  Tout 
ce  rocher  était  recouvert  de  magnifiques  tentures  ornées  de  pla- 
ques d'or  et  d'argent;  dans  tous  les  creux  étaient  déposées  les  plus 
riches  offrandes.   Nul,  hormis  les  prêtres,  n'approchait  de  ce 

(1)  L'altitude  moyenne  du  lac  est  de  12,488  mètres. 

(2)  Wiener,  /.  c,  p.  390. 

(3)  L'île  do  Titicaca  mesure  6  miles  de  longueur  sur  3  à  4  de  largeur.  Son  nom  vient 
de  titi,  tigre  et  kaka,  rocher;  et  la  tradition  rapporte,  qu'avant  la  venue  des  hommes, 
l'île  était  habitée  par  un  tigre  qui  portait  sur  sa  tête  un  magnifique  rubis,  dont  les 
feux  illuminaient  toutes  les  eaux  du  lac. 

(4)  Nous  empruntons  ce  récit  au  Padre  Ramos,  qui  l'écrivait  peu  de  temps  après  la 
conquête. 


408  L'AiMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

lieu  vénéré;  les  pèlerins  le  contemplaient  de  loin  ;  ils  se  tenaient 
dans  une  grande  enceinte,  où  l'on  distingue  encore  les  fonda- 
tions de  deux  sanctuaires  dédiés  à  des  dieux  inférieurs,  repré» 
sentes  par  le  tonnerre  et  par  les  éclairs. 

Le  temple  formait  un  parallélogramme  de  105  pieds  sur  30; 
il  s'élevait  sur  un  rocher  situé  à  l'extrême  pointe  de  l'île  (1).  On  y 
accédait  par  des  escaliers  taillés  dans  le  roc.  Les  murs  étaient  en 
cailloux  empâtés  dans  une  argile  très  résistante  et  revêtus  d'un 
enduit  en  stuc.  A  l'intérieur,  on  remarque  toute  une  série  de  ces 
niches  si  caractéristiques  des  monuments  Péruviens.  La  façade 
principale  était  percée  de  cinq  portes  et  de  deux  fenêtres  placées 
à  égales  distances  entre  chaque  porte.  Au  côté  opposé,  une 
seule  porte  s'ouvrait  sur  une  suite  de  terrasses,  en  retrait  les  unes 
sur  les  autres;  en  les  parcourant  et  en  descendant  des  degrés 
habilement  ménagés,  on  arrivait  à  deux  temples  plus  petits, 
du  même  style.  Comme  la  plupart  des  édifices  de  l'île,  ils  ont  été 
érigés  par  Tupac-Yupanqui,  le  onzième  Inca.  Ils  sont  moins  bien 
construits,  moins  chargés  d'ornements  que  ceux  de  Tiaguanaco; 
l'art  est  en  décadence,  indice  presque  certain  d'une  civilisation 
sur  son  déclin.  Si  nous  en  croyons  les  Conquistadores,  les  ri- 
chesses de  ces  temples  étaient  immenses  ;  mais  les  prêtres  s'em- 
pressèrent, à  l'arrivée  des  Espagnols,  de  jeter  dans  le  lac  tous 
leurs  vases  en  or  et  en  argent,  pour  éviter  qu'ils  ne  devinssent 
la  proie  du  vainqueur. 

El palacio  del  Inca  est  dans  une  magnifique  position,  d'oii  la 
vue  s'étend  sur  le  lac  et  sur  les  montagnes  aux  cimes  char- 
gées de  neige  qui  le  dominent.  11  forme  un  rectangle  assez 
exigu  (2)  et  on  peut  reconnaître  deux  étages  sans  communica- 
tion entre  eux;  l'un  et  l'autre  comprennent  une  série  de  douze 
chambres  disposées  sur  des  plans  absolument  différents  (3).  Les 
murs  intérieurs  et  extérieurs  étaient,  comme  ceux  des  temples, 


(1)  L'emplacement  du  temple  est  très  discuté  ;  nous  acceptons  l'opinion  de  Squier 
(/.  c,  p.  369)  qui  nous  paraît  la  mieux  fondée. 

(2)  11  mesure  seulement  51  pieds  sur  44. 

(3)  Squier  {Peni,  p.  344  et  345)  donne  le  plan  de  chacun  de  ces  étages. 


LE  PÉROU.  409 

revêtus  d'un  stuc  assez  dur,  peint  en  jaune  ;  les  montants  des 
portes  et  les  niches  qui  étaient  la  seule  ornementation  se  dé- 
tachaient en  rouge.  Le  toit,  de  forme  pyramidale,  était  construit 
en  pierres  surplombant  les  unes  sur  les  autres;  l'extrême  rareté 
du  bois  avait  sans  doute  amené  ce  mode  d'architecture,  qui  ne 
laissait  pas  que  d'offrir  de  grandes  difficultés. 

Mentionnons  enfin  rapidement,  les  tambos,  où  logeaient  les 
pèlerins  ;  la  pila^  la  fontaine  des  Incas,  où  l'eau  arrive  encore 
aujourd'hui,  de  sources  inconnues  par  des  conduits  souterrains; 
la  Chingana  ou  labyrinthe,  avec  ses  caves  voûtées,  ses  ouver- 
tures étroites,  ses  nombreux  corridors,  ses  chambres  toutes 
d'une  extrême  petitesse.  Nous  conservons  le  nom  de  Chingana 
à  ces  ruines ,  auxquelles  les  Espagnols  avaient  tout  d'abord 
donné  celui  de  dispensa,  prétendant  que  les  trésors  du  temple  et 
les  objets  nécessaires  au  culte  y  étaient  déposés.  Squier  veut 
y  voir  un  aclahiiasi,  tel  est  le  nom  donné  aux  demeures  des 
vierges  du  soleil;  toutes  ces  suppositions  sont  possibles;  nous 
les  livrons  à  nos  lecteurs. 

La  petite  île  de  Coati  (1)  jouait  dans  le  système  religieux  iie  de  coati. 
des  Péruviens,  un  rôle  presque  aussi  considérable  que  l'île  de 
Titicaca;  si  celle-ci  était  dédiée  au  Soleil,  Coati  était  consacrée 
à  la  Lune.  Nous  y  retrouvons  les  portes  de  purification  où 
s'accomplissaient  les  mêmes  cérémonies  religieuses  qu'à  Titi- 
caca et  les  tambos  destinés  aux  pèlerins  ;  mais  les  ruines  les 
plus  remarquables  sont  celles  du  palais  des  Mamacunas,  les  vier- 
ges du  soleil.  Cet  aclahuasi  occupait  les  trois  côtés  d'une  vaste 
cour  ;  les  murs,  comme  ceux  des  autres  édifices  dus  aux  Incas, 
étaient  en  pierres  brutes,  noyées  dans  de  l'argile  et  recouvertes 
d'un  ciment  fort  dur.  Au  rez-de-chaussée,  on  peut  encore  comp- 
ter trente-cinq  chambres;  une  d'entre  elles,  que  l'on  appro- 
chait par  un  corridor  voûté,  la  seule  dont  les  murs  fussent  en 
pierres  appareillées,  était  probablement  un  lieu  sacré.  Les  portes 
étaient  surmontées  de  niches,  ici  aussi  l'unique  ornementation  ; 

(I)  L'île  de  Coati  était  distante  de  l'île  de  Titicaca  de  six  miles  environ  ;  sa  longueur 
était  de  deux  miles  et  demi,  sur  une  largeur  do  trois  quarts  de  mile. 


MO  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

nulle  part  on  ne  rencontre  les  sculptures ,  les  arabesques , 
si  nombreuses  au  contraire  à  Tiaguanaco  et  à  Chimu.  Un 
étage,  auquel  on  accédait  par  plusieurs  escaliers,  s'élevait 
au-dessus  du  rez-de-chaussée  et  le  toit  coupé  par  plusieurs 
frontons,  offre  une  certaine  ressemblance  avec  le  style  d'Elisa- 
beth, si  cher  aux  Anglais,  Toutes  les  chambres  se  communi- 
quaient ;  c'est  la  même  disposition  que  dans  les  pueblos  du 
Nouveau-Mexique.  Au  premier  étage  deux  grandes  salles  s'ou- 
vraient sur  la  façade  principale  ;  l'une  et  l'autre  possédaient 
l'inévitable  niche,  dans  la  première  était  placée  une  statue  en 
or  du  Soleil  ;  dans  la  seconde  une  statue  en  argent  de  la  Lune. 
On  descendait  enfin  jusqu'au  lac,  par  une  série  de  terrasses  et 
de  perrons,  assez  semblables  à  ceux  qui  accompagnaient  le  pa- 
lais de  rinca  dans  l'île  de  Titicaca.  Les  deux  édifices  datent  de 
la  même  époque,  car  si  le  palais  des  Vierges  a  été  érigé  sous  le 
règne  de  Huayna-Capac ,  son  père  Tupac-Yupanqui  en  avait 
jeté  les  fondations.  A  l'ouest  du  palais,  on  peut  encore  distin- 
guer les  ruines  d'une  cour  semi-circulaire,  où  vivaient  les  lamas 
et  les  vigognes  sacrés.  Les  Mamacunas  étaient  chargées  de  tis- 
ser la  laine  qui  devait  servir  pour  leurs  propres  vêtements,  pour 
ceux  des  Incas  et  de  leurs  enfants. 
Ile  de  soto.  D'autres  îles  couvraient  le  lac,  nous  nous  contenterons  de  citer 
l'île  de  Soto,  oii  les  Incas  se  retiraient  dans  des  circonstances 
graves,  pour  obtenir  par  le  jeûne  et  la  prière,  la  protection  de 
leur  glorieux  ancêtre. 
cuzco.  La  légende  veut  que,  lorsque  Manco-Capac  et  Oello   quit- 

tèrent l'île  de  Titicaca,  le  soleil  leur  remit  un  rameau  d'or,  en 
leur  enjoignant  de  marcher,  jusqu'à  ce  que  le  rameau  s'enfonçât 
en  terre.  Ce  fut  à  Cuzco,  que  le  prodige  s'opéra  et  les  Incas  pé- 
nétrés de  reconnaissance  pour  leur  père,  y  établirent  le  siège  de 
leur  empire.  La  ville  acquit  rapidement  une  grande  importance 
et  sans  accepter  le  récit  exagéré  de  certains  écrivains  espagnols, 
qui  portent  à  200,000  le  chiffre  de  ses  habitants  (1),  il  est  évident 

(1)  Aujourd'hui  le  nombre  des  habitants  de  toute  la  province,  dont  Cuzco  est  la  capi- 


LE  PEROU.  -ill 

qu'une  population  nombreuse  et  obéissante  était  indispensable 
pour  ériger  les  constructions  dont  les  ruines  frappent  aujour- 
d'hui encore  le  voyageur  par  leurs  proportions  imposantes.  On  a 
peine  cependant  à  concevoir  comment  des  hommes  pouvaient 
vivre  à  une  altitude  de  H, 380  pieds,  sur  un  sol  stérile,  alors  que 
les  animaux  domestiques  faisaient  défaut  et  que  le  maïs,  la  seule 
céréale  qu'ils  connussent,  ne  pouvait  mûrir  que  dans  quelques 
vallées  éloignées. 

La  ville  s'élevait  sur  des  pentes  abruptes  ;  partout  il  avait  fallu 
niveler  des  rochers,  ériger  des  terrasses,  soutenir  les  terres  par 
des  murailles,  qui  rappellent  les  constructions  cyclopéennes  de  la 
Grèce  ou  de  la  Syrie.  Nous  avons  vu  à  Tiaguanaco,  les  murs 
maintenus  par  des  crampons  en  bronze,  dans  l'île  de  Titicaca, 
ces  murs,  tantôt  en  adobes  séchées  au  soleil,  tantôt  en  cailloux 
cimentés  avec  de  l'argile;  à  Cuzco,  ils  sont  en  roches  d'une 
extrême  dureté,  en  diorite,  en  porphyre,  en  gros  blocs  de  tra- 
chyte  brune,  amenés  à  force  de  bras,  sans  chemins  frayés  des 
carrières  d'Anduhaylillas,  à  22  miles  de  distance  (1).  Ces  blocs 
étaient  soigneusement  équarris,  puis  attachés  les  uns  aux  autres 
au  moyen  d'un  trou  de  30  à  40  centimètres  de  profondeur,  sur  un 
diamètre  de  50  à  60  centimètres,  oi^i  venait  s'adapter  une  pointe 
de  dimensions  à  peu  près  égales,  taillée  dans  le  bloc  supérieur. 
Les  murs  se  maintenaient  par  leur  seul  poids,  car  Squier,  après 
un  examen  attentif,  déclare  qu'aucun  ciment  n'avait  été  em- 
ployé ;  il  ajoute,  que  toute  maçonnerie  moderne,  exécutée  soit  en 
Europe,  soit  en  Amérique,  est  médiocre,  en  comparaison  de 
celle  de  l'ancienne  capitale  des  Incas  (2).  Cette  architecture  mas- 
sive rappelle  par  certains  de  ses  caractères,  celle  des  Egyptiens; 
mais  la  ressemblance,  si  curieuse  qu'elle  puisse  paraître,  ne 
comporte    aucune  conclusion  ;  les   conceptions    primitives    de 

talc  ne  dépasse  guère  300,000  âmes.  La  stérilité  du  sol,  les  difficultés  de  la  vie  sont 
telles,  que  ce  nombre  n'est  guère  susceptible  d'augmentation. 

(1)  «  How  the  stoncs  were  ti-ansported  to  Cuzco,  is  not  easy  to  say  ;  but  as  tlie  Incas 
had  no  beasts  of  draught,  it  must  hâve  been  done,  through  the  direct  application  of 
human  force.  »  Squier,  Pei'U,  p.  419. 

(2j  L.  c,  p.  4:35. 


412  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

rhomme  naissent  naturellement  et  se  développent  progressive- 
ment, suivant  une  loi  universelle,  que  nous  pouvons  suivre  dans 
toutes  les  régions  et  dans  tous  les  temps. 

La  vallée  est  dominée  par  le  Sacsahuaman  (1)  construit  sur 
un  rocher  à  pic,  qui  s'avance  comme  un  éperon  entre  deux  ruis- 
seaux, le  Iluatenay  et  le  Rodadero.  Du  côté  de  la  ville,  toute  as- 
cension est  impossible,  un  chemin  avait  été  creusé  sur  le  revers 
opposé,  le  long  du  Rodadero;  il  formait  la  seule  voie  d'arrivée  à 
cette  forteresse,  qui,  avec  sa  triple  enceinte  en  gros  blocs  irrégu- 
liers (2),  ses  terrasses  et  ses  parapets,  ses  angles  saillants  et  ren- 
trants semblables  à  ceux  de  nos  bastions  modernes,  était  véri- 
tablement imprenable  avant  l'invention  de  l'artillerie.  «  Je  mets 
cet  ouvrage,  s'écrie  Garcilaso  (3),  au  rang  de  tout  ce  que  l'on  a 
célébré  dans  l'antiquité,  car  l'exécution  en  paraît  impossible 
même  avec  tous  les  instruments  et  toutes  les  machines  connues 
en  Europe.  Aussi  plusieurs  personnes  ont  cru  qu'il  n'avait  été 
fait  que  par  enchantement,  à  cause  de  la  familiarité  que  les  In- 
diens avaient  avec  les  démons  et  je  ne  suis  pas  fort  éloigné  de 
ce  sentiment.  »  Pour  être  différent,  l'enthousiame  de  Squier 
n'est  pas  moins  expansif  ;  il  n'hésite  pas  k  comparer  le  Sacsahua- 
man aux  Pyramides,  à  Stonehenge,  au  Cotisée.  Comme  ces  glo- 
rieux monuments,  il  doit,  ajoute-t-il,  défier  le  temps  et  rester 
un  éternel  témoin  de  la  puissance  de  l'homme. 

Trois  ouvertures  en  forme  de  trapèze  allongé  donnaient  accès 
sur  l'enceinte  extérieure,  le  Tiupuncu,  la  porte  de  sable,  VAca- 
huanapuncii  et  le   Viracochapuncu  (4),  du  nom  du  dieu  protec- 


(1)  Comte  de  Sartiges,  Rev.  des  Deux  Mondes,  1851.  —  Squier,  Peru,  p.  468.  — 
Les  historiens  diffèrent  sur  l'époque  de  l'érection  du  Sacsahuaman.  Les  uns  l'attri- 
buent à  Yupanqui,  les  autres  à  Huayna-Capac,  le  père  d'Atahualpa  et  de  Huascar.  Il 
est  probable  que  l'érection  dura  de  longues  années  et  usa  plusieurs  générations 
d'ouvriers. 

(2)  La  longueur  totale  des  murs  est  de  1,800  pieds  ;  la  hauteur  actuelle  de  27  pieds 
pour  la  première  enceinte,  de  17  pieds  pour  la  seconde,  de  14  pieds  pour  la  troisième. 

(3)  Hist.  des  Incas,  rois  du  Pérou,  trad.  franc.,  t.  I,  p.  268. 

(4)  Aujourd'hui  encore  le  mot  de  Viracocha  est  chez  les  modernes  Péruviens  un 
titre  d'honneur.  Viracocha-tatai  notre  père  Viracocha,  telle  est  la  salutation  toujours 
usitée  vis-à-vis  des  Fùuropéens. 


LE  PEROU.  413 

leur  de  la  ville.  D'immenses  blocs  de  pierre  étaient  préparés  pour 
fermer  ces  ouvertures  à  la  première  apparence  de  danger.  Au 
centre  de  la  citadelle,  on  peut  encore  distinguer  plusieurs  réduits 
et  parmi  eux,  une  tour  ronde,  le  Muyuc-Marca,  on  étaient  déposés 
les  trésors  des  Incas  et  d'oii,  par  un  de  ces  jeux  de  la  fortune  dont 
l'histoire  offre  de  si  curieux  exemples,  leur  dernier  descendant 
allait  se  précipiter,  après  l'insuccès  final  d'une  insurrection 
qui  coûta  la  vie  à  Juan  Pizarre  et  mit  les  Espagnols  à  deux 
doigts  de  leur  perte  (1). 

Si  les  fortifications  de  la  citadelle  montrent  l'habileté  des  ar- 
chitectes, la  conduite  des  eaux  du  Rodadero  par  des  acequias 
d'un  travail  remarquable,  témoigne  encore  plus  de  celui  des  in- 
génieurs. Nous  donnons  le  dessin  d'un  de  ces  aqueducs  (fig.  168), 
comme  le  portique  de  Kabali  (fig.  134),  il  rappelle  les  travaux 
grandioses  des  Romains,  une  des  gloires  assurément  de  notre 
vieille  civilisation. 

Une  colline  voisine  du  Sacsahuaman  est  couverte  de  blocs  grani- 
tiques chargés  de  scultptures  et  transformés  en  sièges,  en  galeries 
ornées  de  marches,  de  terrasses  et  de  niches.  Les  Incas  n'omet- 
taient rien  de  ce  qui  pouvait  ajouter  à  la  splendeur  de  leur  ca- 
pitale. 

Le  temple  du  Soleil,  dont  la  richesse  est  restée  proverbiale,  était 
situé  sur  une  éminence,  à  80  pieds  au-dessus  du  Huatenay.  On 
descendait  à  la  rivière,  par  une  suite  de  terrasses.  Là  s'étendaient 
les  célèbres  jardins,  où,  selon  le  récit  des  chroniqueurs  espagnols, 
les  animaux,  les  insectes,  les  fleurs,  les  arbres  eux-mêmes,  étaient 
en  or  ou  en  argent  (2).  Le  temple  converti  aujourd'hui  en  un 
couvent  de  Dominicains,  occupait  un  des  côtés  d'une  vaste  cour, 
qui  conserve  le  nom  à'Intipampa,  le  champ  du  soleil.  Les  murs 


(1)  Manco-Capac  II  fut  reconnu  par  Pizarre  comme  Inca,  après  l'exécution  d'Ata- 
hualpa.  Une  autre  légende  chère  aux  Indiens,  raconte  différemment  sa  mort;  Manco- 
Capac,  après  la  soumission  définitive  de  Cuzco,  se  serait  retiré  dans  les  Andes,  où  il 
continua  à  lutter  contre  les  Espagnols  et  où  il  périt  assassiné  par  ceux  qui  n'avaient 
pu  le  vaincre.  Voy.  Prescott,  Conquest  of'Peru,  liv.  III,  ch.  x. 

(2)  Tout  le  quartier,  où  s'élevait  le  temple,  portait  le  nom  caractéristique  de  Cori- 
cancha,  la  ville  d'or. 


414  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

intérieurs  et  extérieurs  étaient  revêtus  de  plaques  en  or  (1).  Au- 
dessus  de  l'autel  tourné  vers  l'est,  on  voyait  une  représentation 
colossale  du  soleil,  également  en  or  (2).  Tout  autour,  étaient  dé- 


Fig.  168.  —  Aqueduc  sur  le  Rodadero. 


posés  les  corps  desséchés  des  Incas,  qui  semblaient  rendre  un 
dernier  hommage  à  leur  père. 

La  cour  était  entourée  de  sanctuaires  dédiés  à  des  divinités 
inférieures,  telles  que  la  lune,  les  étoiles,  le  tonnerre,  les  éclairs, 
l'arc-en-ciel,  manifestations  visibles  et  actives  de  l'Etre  supérieur 
à  tous,  essence  et  cause  suprême  de  toutes  choses.  Au  centre, 
une  fontaine  creusée  dans  une  pierre  d'assez  grandes  dimen- 
sions verse  encore  aujourd'hui  aux  religieux,  l'eau  nécessaire  à 

(1;  Ce  dernier  fait  peut  être  vrai;  car  Squier  raconte  avoir  vu  dans  diverses  mai- 
sons de  Cuzco,  conservées  comme  des  reliques,  des  plaques  en  or,  provenant  du  tem- 
ple du  Soleil.  Ces  plaques,  nous  dit-il,  avaient  à  peineTépaisseur  d'une  feuille  de  papier. 

(2)  Lors  de  la  conquête,  la  figure  du  soleil  échut  à  un  certain  Mancio-Serra  de  Le- 
guicano,  joueur  effréné,  qui  la  perdit  en  un  seul  coup  de  des. 


LE  PÉROU.  413 

leurs  besoins.  Cette  pierre,  comme  celles  qui  entraient  dans  les 
murs  du  temple,  était  revêtue  de  plaques  en  or  et  Garcilaso 
raconte  qu'il  avait  vu  lui-même  l'eau  y  couler  par  des  conduits 
également  en  or. 

h'Aclahuasi  n'était  séparé  du  temple  que  par  un  grand  bâ- 
timent qui  servait  de  logement  aux  prêtres.  Les  murs  sont  encore 
debout,  sur  une  longueur  de  750  pieds  et  une  hauteur  variant  de 
20  à  25.  Ils  attestent  la  splendeur  de  l'édifice,  où  les  filles  des 
Incas  étaient  envoyées  dès  l'âge  le  plus  tendre  et  oii  elles  étaient 
soumises  à  une  rigoureuse  discipline. 

Les  Incas  ne  pouvaient  oublier  leurs  propres  demeures,  dans 
la  ville  011  ils  résidaient.  Chaque  Inca  élevait  un  palais  à  son 
avènement  et,  à  sa  mort,  ce  palais  devenait  l'habitation  de  ses 
fils.  Celui  de  Iluayna-Capac,  le  plus  illustre  de  sa  race,  n'avait 
pas  moins  de  800  pieds  de  longueur;  toutes  les  autres  dimensions 
étaient  aussi  considérables  et  les  jésuites  ont  pu  établir  une 
église  ;  les  vice-rois,  une  prison  et  une  caserne  dans  ces  cons- 
tructions d'une  inébranlable  solidité.  Le  palais  d'Atahualpa 
était  en  adobes  ;  on  montre  encore  la  salle  oii  il  fut  empri- 
sonné et  qu'il  devait  remplir  d'or  pour  sa  rançon.  En  face  de 
celui  de  l'Inca  Roca,  étaient  les  écoles  Yachahuasi,  qu'il  avait 
fondées  et  qu'il  se  plaisait  à  surveiller;  là,  les  Amautes,  littéra- 
lement les  hommes  sages,  enseignaient  les  grandes  actions  des 
incas  et  conservaient  les  légendes  qui  les  rappelaient.  Des  ser- 
pents entrelacés  élaientsculptéssurla  porte  du  palais  de  Iluayna- 
Capac,  on  les  trouve  également  sur  les  murs  du  Yachahuasi  et 
sur  ceux  de  plusieurs  autres  des  édifices  de  Cuzco.  Ces  sculptures 
qui  sont  un  fait  exceptionnel  dans  les  constructions  Incasiques, 
ont  évidemment  une  signification  mythologique  qui  nous 
échappe.  On  a  aussi  prétendu  voir  sur  d'autres  points  des  hiéro- 
glyphes qui  ont  été  comparés  à  ceux  du  Mexique  ou  du  Brésil, 
mais  sans  autre  résultat,  que  des  conjectures  fort  hasardées. 

Les  Incas  paraissent  avoir  pris  des  précautions  extrêmes  con-    Forteresses. 
tre  des  dangers  inconnus  pour  nous.  Etaient-ce  les  révoltes  de 
leurs  propres  sujets?  Etaient-ce  les   incursions  des   farouches 


416  F/AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Chinchas  qui  vivaient  dans  les  forets  impénétrables  arrosées 
par  l'Amazone  et  ses  affluents  ?  nous  ne  pouvons  le  dire  ;  un  seul 
point  est  certain  c'est  que  d'importantes  forteresses  s'élevaient 
sur  divers  points  du  Pérou;  outre  le  Sacsahuaman,  dont  nous  ve- 
nons de  parler,  nous  citerons  parmi  beaucoup  d'autres,  Ollantay- 
Tambo,  Pisac,  Piquillacta  et  Ghoccequirao. 
oiiantay-         L'Ucavali  (1),  unc  des  branches  de  l'Amazone,  coule  à  travers 

Tambo.  J  \    /'  ^   ^  ' 

la  fertile  vallée  de  Yucay,  au  milieu  de  rochers  abruptes  que 
dominent  au  loin  les  hautes  cîmes  chargées  de  neige  des  Andes, 
Ces  rochers  témoignent  du  travail  et  de  l'énergie  des  hommes; 
de  tous  les  côtés,  on  voit  des  niches,  des  grottes  artificiellement 
agrandies,  des  mausolées  soutenus  par  des  piliers  couronnés 
d'un  linteau,  des  sculptures  (2),  jusque  sur  des  points  qui 
paraissent  inaccessibles  et  à  des  hauteurs  que  les  condors  seuls 
sembleraient  pouvoir  atteindre. 

OUantay-Tambo  située  <à  15  lieues  au  nord  de  Cuzco,  était  des- 
tinée à  défendre  cette  vallée  ;  elle  était  couronnée  par  de  hautes 
tours  aujourd'hui  presque  entièrement  écroulées  (3). A  l'intérieur, 
sont  des  amoncellements  de  gros  blocs  porphyritiques  rouges 
qui  permettent  de  se  rendre  compte  de  ce  que  devait  être  l'im- 
portance de  la  forteresse  (flg.  169). 

Quelques-uns  de  ces  blocs  portent  des  ornements  finement 
exécutés,  qui  rappellent  ceux  de  Tiaguanaco.  Des  murailles  de 
25  pieds  de  hauteur,  crénelées  comme  celles  des  châteaux  forts 
qui  couronnent  les  rives  du  Rhin,  couvrent  les  flancs  de  la 
montagne  et  s'étendent  en  zigzag  jusqu'à  des  précipices,  qui 
formaient  une    barrière   infranchissable. 

Sur  un  des  rochers  qui  s'élève  à  pic,  à  plus  de  900  pieds  de 
hauteur,  on  aperçoit  les  ruines  d'un  petit  bâtiment;  une  porte 
s'ouvre  au  ras  du  précipice  ;  les  Espagnols  lui  ont  donné  le  nom 
de  la  horca  del  hombre  et  la  légende  rapporte  que  les  criminels 

(1)  Cette  rivière  porto  successivement  les  noms  de  Vilcamayo,   d'Ui-ubamba   et  do 
Yucay. 

(2)  Parmi  ces  sculptures,  nous  citerons  un  puma  allaitant  son  petit. 

(3)  Cieça  de  Léon,  c.  xciv.  —  Garcilaso,  Comm.  Reaies,  liv.  V,  c.  xxvii.  —  Markliam, 
Cuzco  and  Lima.  —  Squier,  Peru,  p.  482. 


LE  PÉROU. 


4n 


^  étaient  conduits  et  précipités  dans  l'abîme.  Un  peu  plus 
loin  est  la  horca  de  miijei\  où  les  épouses  infidèles  des  Incas  de- 
vaient subir  le  même  supplice. 

Nous  ne  quitterons  pas  la  vallée  du  Yucay,  sans  parler  d'une 
tour  ronde,  située  sur  un  rocher  isolé  et  construite  en  pierres 
brutes  revêtues  d'un  enduit  en  stuc.  A  l'intérieur  se  voient 
des  niches,  à  l'extérieur,  une  sculpture  où  un  artiste  peu  habile,  a 


Fig.  169.  —  Mur  avec  niches  faisant  partie  des  fortifications  d'Ollantay-Tambo. 


prétendu  retracer  un  serpent.  Au-dessus  des  portes,  en  guise  de 
fenêtres  nous  retrouvons  le  tau  Egyptien,  que  nous  avons  déjà 
vu  à  Palenque.  Ces  ornements,  le  soin  apporté  à  la  construc- 
tion, ont  fait  croire  que  cette  tour  n'était  pas  un  poste  d'obser- 
vation ou  de  défense,  mais  plutôt  un  temple.  La  vénération 
particulière  des  anciens  Péruviens  pour  les  rochers  isolés  justifie 
cette  supposition.  Les  Indiens  actuels  ont  hérité  de  la  superstition 
de  leurs  devanciers;  aucun  d'eux  ne  se  hasarderait  à  passer  de- 
vant la  tour  de  Calca,  sans  la  saluer  profondément  et  sans  lancer 
une  pierre  en  murmurant  une  invocation  inintelligible. 

De  Nadaillac,  Amérique.  27 


418  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Pisac.  La  vallée  de  Pauca-Tambo  est  parallèle  à  celle  de  Yucay,  dont 

elle  est  séparée  par  la  chaîne  des  Andes,  Elle  était  protégée  par 
la  vaste  enceinte  fortifiée  de  Pisac.  Toutes  les  déclivités  pouvant 
faciliter  l'ascension,  sont  couronnées  de  tours  ;  tous  les  endroits, 
où  le  roc  présente  des  aspérités,  revêtus  de  dalles  recouvertes  d'un 
stuc  très  dur  et  très  poli,  qui  interdit  toute  approche;  chaque 
point  stratégique  défendu  par  des  ouvrages,  que  ne  saurait  sur- 
passer la  science  moderne.  Ces  fortifications  s'étendent  à  des 
distances  considérables  et  forment,  si  Ion  peut  se  servir  de  ce 
mot,  un  vaste  camp  retranché,  où  des  populations  entières  pou- 
vaient vivre  à  l'abri  des  attaques  et  se  livrer  en  paix  à  leurs  occu- 
pations agricoles.  *  = 

Nous  ne  pouvons  omettre  des  monuments  fort  curieux,  aux- 
quels on  a  donné  le  nom  à'intihuatana{\).  Ce  sont  des  rochers 
isolés,  dont  le  sommet  a  été  parfaitement  nivelé  et  qui  sont  sur- 
montés d'une  petite  colonne  en  forme  de  cône  tronqué.  Ces  in- 
tihuatana  se  rencontrent  fréquemment  dans  toutes  les  provinces 
du  Pérou  (2)  et  leur  destination  est  restée  fort  incertaine. 

Celui  de  Pisac  est  un  des  mieux  conservés,  à  raison  sans  doute 
de  sa  position  presque  inaccessible  (fig.  170).  11  mesure  11  pouces 
de  diamètre  à  sa  base,  9  à  son  sommet;  sa  hauteur  est  de  16  pou- 
ces et  on  raconte,  qu'il  y  a  quelques  années  à  peine,  il  était  en- 
touré d'un  collier  en  champi  {3),  qui,  comme  tant  d'autres  reli- 
ques intéressantes,  est  devenu  la  proie  des  tapadas.  Tout  le  ro- 
cher est  entouré  de  murailles  présentant  la  forme  d'un  D,  et 
construites  en  pierres  équarries,  parfaitement  polies  et  taillées  de 
manière  à  s'adapter  à  chaque  aspérité  du  rocher. 

Différentes  conjectures  ont  été  émises  pour  expliquer  l'usage 
des  intihuatanas.  La  plus  plausible  sans  contredit  est  celle  qui 

(1)  Fnti  signifie  soleil;  huatana,  le  point  où  une  chose  est  fixée;  Intihuatana  signi- 
fierait donc  littéralement,  le  point  où  le  soleil  est  fixé. 

(2)  Squier  en  cite  plusieurs  dans  la  vallée  de  Pisco;  un  dominant  la  petite  ville  d'Ol- 
lantay-Tambo,  un  autre  au  pied  de  la  terrasse  de  Colcompata  à  Cuzco.  Il  est  bien  pro- 
bable qu'un  de  ces  intihuatana  s'élevait  devant  le  temple  du  soleil  et  on  peut  encore 
retrouver  les  traces  d'un  autre,  devant  le  temple  do  l'île  de  Titicaca. 

(3)  Le  champi  est  le  nom  du  bronze  péruvien.  Squier,  Peru,  p.  525. 


LE  PEROU. 


449 


les  représente  comme  des  gnomons,  destinés  à  mesurer  la  hau- 
teur du  soleil. 

La  forteresse  de  Piquillacta  était  située  au  sud  des  posses- 
sions des  premiers  Incas,  non  loin  des  carrières,  qui  avaient 
fourni  les  pierres  pour  les  constructions  de  Cuzco.  Un  mur  qui 
mesure  750  pieds  de  longueur,  sur  36  pieds  de  profondeur  à 
sa  base  et  34  pieds  de  hauteur  reste  encore  debout,  pour  indiquer 


Piquillacta. 


Fig  170.  —  L'intihuatana  de  Pisac. 

son  emplacement.  Les  montants  des  deux  entrées  sont  en  pierres 
appareillées,  les  autres  parties  en  moellons  bruts  noyés  dans 
l'argile.  Près  de  Piquillacta  était  Tancienne  ville  de  Muyna,  où 
s'était  réfugié  l'Inca  Yahuar-Huacac,  dans  la  terreur  que  lui 
causait  une  invasion  des  Chinchas  (1)  et  où  son  fils  Yiracochale 
contraignit  à  demeurer,  après  avoir  vaincu  par  sa  bravoure  les 
rebelles  et  ceint  le  Uautu  royal  (2). 

(1)  Garcilaso,  /.  c,  trad.  franc.,  1. 1,  p.  136  et  s. 

(2)  Le  Uautu  était  un  bandeau  qui  faisait  deux  ou  trois  fois  le  tour  de  la  tête  et  qui 
était  orné  d'une  frange  tombant  sur  les  yeux.  Il  était  noir  pour  les  membres  de  la 
famille  de  l'Inca,  jaune  pour  ses  descendants  directs,  l'Inca  seul  avait  le  droit  de 
porter  un  Uautu  rouge.  Il  portait  aussi  comme  insignes,  le  Masca-paycha  ou  aigrette 
rouge  et  le  Capac-ongo  ou  manteau  royal. 


420  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

choocequirao-  Au  bords  dc  l'Apurimac  (1),  sur  la  crête  du  contrefort  d'un 
glacier  entouré  de  précipices,  s'élevait  la  forteresse  de  Chocce- 
quirao,  la  résidence  des  héritiers  de  la  couronne  des  Incas  (2), 
plus  tard,  l'asile  des  derniers  survivants  de  la  race  de  Manco- 
Capac. 

Rien  ne  peut  égaler  la  grandeur  sauvage  de  ces  lieux  (3).  On 
est  confondu  de  voir  que  l'industrie  de  l'homme  avait  pris  pied 
sur  les  rochers,    où   le  condor   avait   construit  son   aire.   Les 
premières  ruines,  qui  se  dressent  devant  le  voyageur  sont  des 
circonvallations  de   défense.  M.  Angrand  a  conjecturé  que  les 
bâtiments,  que  l'on  aperçoit  ensuite,  devaient  servir  de  prison; 
il  avait  en  efîet  remarqué  que  les  portes  étaient  fermées  par 
des  pierres  d'un  poids  énorme.  A  150  mètres  plus  bas,  en  sui- 
vant l'inclinaison  de  la  crête,  on  arrive  au  palais,  à  la  salle  des 
bains,  où  l'on  peut  encore  voir  l'emplacement  dc  la  baignoire 
qui  devait  être  en  or  comme  tous  les  vaisseaux  et  tous  les  usten- 
siles  à  l'usage  des  Incas,   puis  à  deux  bâtiments ,  qui ,  selon 
M.  Angrand,  auraient  été,  l'un,  une  salle  pour  la  célébration  des 
fêtes  (4),  l'autre,  une  ménagerie.  Sur  les  murs  de  la  ménagerie 
sont  fixés  des  anneaux  en  pierre   faisant  saillie  ;  les  animaux 
féroces  envoyés  aux  princes  de  toutes  les  parties  de  leur  empire 
y  étaient  enchaînés. 

Le  palais  comprend  trois  corps  de  bâtiments  rectangulaires  (5)  ; 
les  deux  premiers  se  composent  d'un  rez-de-chaussée  et  d'un 
étage.  Ils  sont  partagés,  dans  le  sens  de  leur  longueur,  par  un 
mur  intérieur  qui  forme  à  chaque  étage  deux  pièces  allongées. 
Le  troisième  bâtiment  n'avait  qu'un  rez-de-chaussée,  de  plein 


(1)  L'Apurimac,  selon  toute  apparence,  est  la  branche  principale  de  l'Amazone. 
("2)  Le  nom  môme  de  Choccequirao  {berceau  précieux}  indique  cette  destination. 

(3)  Desjardins,  Le  Pérou  avant  la  co7iquêle  espagnole,  p.  138  et  s.  —  Le  comte  de 
Sartiges  en  1834,  M.  Angrand  en  1847,  sont  les  seuls  Français  qui  aient  visité  Chocce- 
quirao. C'est  à  eux  que  nous  empruntons  les  détails  que  nous  donnons. 

(4)  Cette  salle  a  42  mètres  de  long  sur  12  mètres  de  large.  Les  fenêtres  qui  l'éclai- 
rent,  présentent  une  forme  analogue  à  celle  des  monuments  égyptiens. 

(5)  Deux  d'entre  eux  ont  10  mètres  de  large  sur  15  de  long  ;  le  troisième  8  mètres 
sur  15. 


LE  PÉROU.  421 

pied  avec  l'étage  des  deux  autres,  la  terrasse  qui  le  couronnait 
leur  servait  d'accès. 

De  l'autre  côté  du  palais,  à  une  assez  grande  élévation,  est 
une  véritable  forteresse,  qui  commande  l'entrée  et  ne  laisse 
d'issue,  que  quatre  ouvertures  pratiquées  dans  les  murs.  Sur  le 
sommet  de  la  crête,  au  delà  de  ces  quatre  portes,  sont  des  rui- 
nes, celles  d'un  temple  probablement. 

Nous  pourrions  multiplier  ces  descriptions,  dans  toutes  les 
parties  du  vaste  empire  des  Incas,  on  rencontre  des  construc- 
tions imposantes,  élevées  souvent  sur  des  hauteurs  inaccessibles. 
Les  Indiens  connaissent-ils  d'autres  chemins  que  ceux  que  les 
rares  voyageurs  doivent  aujourd'hui  affronter?  C'est  un  point 
qui  reste  douteux;  mais  quand  même  on  découvrirait  des  voies 
plus  praticables,  nous  serions  toujours  en  présence  de  difficul- 
tés qui  paraissent  insurmontables  et  qui  cependant  n'avaient 
poini  arrêté  les  vieux  habitants  du  pays. 

Des  travaux  plus  utiles  restent  comme  les  témoins  du  gouver-  Routes,  ca- 
nement  des  Incas.  Des  routes  couvraient  déjà  le  pays  dans  des  servoirs. 
temps,  où  il  n'en  existait  guère  en  Europe.  Deux  de  ces  routes 
allaient  du  nord  au  sud,  de  Quito  vers  Cuzco;  l'une  se  dirigeait 
sur  un  parcours  de  1200  miles,  à  travers  les  sierras  et  les  contre- 
forts des  Andes  ensevelis  sous  des  neiges  perpétuelles  (1).  L'autre, 
achevée  par  l'Inca  Huayna-Capac,  suivait  la  côte;  sa  longueur 
était  de  1600  miles.  Ces  routes,  que  Humboldt  ne  craint  pas  de 
comparer  aux  chaussées  romaines,  avaient  de  18  à  26  pieds  de 
largeur;  elles  étaient  protégées  contre  l'éboulement  des  terres 
par  des  murs  en  pisé,  pavées  en  blocs  de  pierres  et  sur  certains 
points  chargées  de  cailloux,  premier  essai  de  macadam.  Elles 
suivaient  toujours  la  ligne  droite,  gravissant  les  pentes  les  plus 
raides,  selon  la  coutume  des  Indiens  qui  ne  savent  point  tourner 
un  obstacle.  Les  ravins,  les  marais  étaient  comblés  par  des 
remblais  en  maçonnerie  ;  les  rochers  coupés,  quelquefois  sur 
un  parcours  considérable,  les  ruisseaux,  les  torrents  franchis  au 

(1)  Ce  fut  cette  route  que  suivit  Almagro,  lorsqu'il  fut  envoyé  par  Pizarre,  pour  sou- 
mettre le  Chili. 


422  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

moyen  de  ponts  en  fibres  d'aloès,  en  lianes,  en  roseaux  dont  la 
légèreté  n'excluait  pas  la  solidité  (1);  là  où  la  végétation  était 
possible  les  routes  étaient  plantées  d'arbres  qui  apportaient 
l'ombre  et  la  fraîcheur,  et  des  tambos  oii  le  voyageur  fatigué 
pouvait  se  livrer  au  repos,  s'élevaient  de  distance  en  distance, 
dans  les  montagnes. 

Tel  est  le  récit  des  historiens  espagnols  (2)  qui  ont  quelque 
peu  exagéré  l'importance  de  ces  travaux  (3).  Des  recherches 
récentes  permettent  de  rétablir  la  vérité.  Sur  certains  points  du 
parcours,  dans  les  endroits  difficiles  surtout,  le  chemin  n'était 
pas  creusé,  la  roche  n'était  pas  aplanie  ;  des  jalons  indiquaient 
simplement  la  direction  que  l'on  devait  suivre  pour  éviter  les 
précipices.  Dans  les  déclivités  du  sol,  on  avait  construit  des  mar- 
ches, soutenues  seulement  par  une  rangée  de  petites  pierres;  ce 
ne  sont  point  des  escaliers  propres  à  faciliter  l'ascension,  mais  de 
simples  remblais,  pour  empêcher  les  terres  de  s'ébouler.  Comme 
les  Péruviens  ne  possédaient  pas  de  bêtes  de  somme,  les  voyages 
se  faisaient  à  pied,  les  transports  à  dos  d'homme  ;  dans  ces  con- 
ditions, ces  chemins  tout  défectueux  qu'ils  peuvent  nous  paraître, 
répondaient  à  tous  les  besoins  des  habitants. 

Nous  avons  déjà  dit  que  l'eau  si  précieuse  dans  les  climats 
tropicaux,  étaient  recueillie  avec  soin  dans  des  réservoirs 
établis  à  des  altitudes  élevées,  puis  conduites  par  des  ace- 
quias  ou  canaux  d'irrigation  en  maçonnerie,  à  des  distances 
parfois  de  plusieurs  centaines  de  miles  (4).  Pour  donner  une 

(1)  La  construction  de  ces  ponts  aujourd'hui  encore  en  usage,  est  fort  simple.  On  se 
sert  de  deux  cordes  en  fibres  de  maguey  ou  d'agave  du  diamètre  de  trente  centimè- 
tres, passant  sur  des  piles  en  maçonnerie  et  solidement  amarrées  à  5  ou  6  mètres  do 
la  pile.  Des  cordes  verticales  sont  attachées  à  ces  cables  et  sur  elles  repose  le  tablier 
du  pont  en  roseaux  tressés.  Les  Péruviens  savaient  cependant  construire  des  ponts  en 
maçonnerie  ;  celui  de  Rumichaca  par  exemple,  remonte  à  Huayna-Capac  (Bollaërt,^w^. 
Ethn.  and  other  Reaearches,  p.  90). 

(2)  Citons  notamment  Zviva.te,  Hist.del  Descubriemento  y  Conquistadel  Peru.  An\crs. 
1^55,  liv.  I,  c.  XIII.  On  peut  aussi  consulter  Gieça  de  Léon  (c.  xxxvii),  Garcilaso  et  parmi 
les  écrivains  modernes  Humboldt,  Rivero  et  Tschudi. 

(3)  Desjardins,  /.  c,  p.  165  et  s. 

(4)  «  I  hâve  followed  them  for  days  together  and  hâve  seen  them  winding  amidst  tho 
projections  of  hills,  curving  in  and  out  as  topography  required;  hère  sustained  by  high 


LE  PÉROU.  423 

faible  idée  de  ce  qu'étaient  ces  travaux,  nous  citerons  dans  la 
vallée  de  la  Nepana,  un  réservoir  établi  au  moyen  d'un  bar- 
rage en  quartiers  de  roches  fortement  cimentés,  qui  fermait 
deux  gorges  profondes.  Le  réservoir  n'avait  pas  moins  de  trois 
quarts  de  mile  de  longueur,  sur  une  largeur  d'un  demi-mile. 
Les  murs  mesuraient  80  pieds  d'épaisseur  à  leur  base  et  pou- 
vaient supporter  les  plus  fortes  pressions.  M.  Wiener  cite  éga- 
lement un  travail  hydraulique  remarquable;  d'immenses  vases 
communiquant  entre  eux  conduisaient  à  une  hauteur  considé- 
rable l'eau  du  Cerro  de  Pasco  au  Cerro  de  Sipa, 

Des    constructions   moins    importantes,    d'un    grand  intérêt 
néanmoins,    se  voient   à    Huanuco  Viejo  (1),   où    existait   un 


Fig.  171.  —  El  Castillo  de  Huanuco. 


palais  des  Incas  (fig.  171),  et  où  la  tradition,  fondée  peut-être  sur 
les  nombreuses  sculptures  de  pumas  qui  ornent  les  murs, 
veut  qu'ils   entretenaient  une    ménagerie.  Des  portes  monu- 


walls  of  masonry,  there  eut  into  the  living  rock  and  in  some  cases  conductcd  in  tun- 
nels, through  sharp  spurs  of  the  obstructing  mountains.  Occasionally,  they  were  car- 
ried  over  narrow  valleys  or  dépressions  in  the  ground  on  embankeraents  fifty  or 
sixty  feet  high;  but  generally  they  were  deflected  around  opposing  obstacles,  on 
an  easy  and  uniform  descending  grade.  »  Squier,  Peru,  p.  218. 

(1)  Huanuco  Viejo,  àpeu  de  distance  des  célèbres  mines  d'argent  du  Cerro  de  Pasco, 
est  ainsi  appelé  pour  distinguer  la  ville  ancienne  de  la  ville  nouvelle,  située  à  16  lieues 
plus  à  l'Est.  Xérès  dit  que  la  première  avait  près  de  3  lieues  de  tour.  Les  pierres, 
ajoute-t-il,  étaient  admirablement  travaillées  et  s'adaptaient  les  unes  aux  autres  sans 
ciment  ni  mortier  d'aucune  sorte.  Paz-Soldan,  Geog.  del  Peru,  p.  271. 


sépulcrales. 


424  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

mentales,  assez  semblables  aux  pylônes    égyptiens   y    condui- 
saient (1). 

Les  travaux  d'eau  étaient  nécessaires  non  seulement  pour  l'a- 
limentation de  la  population,  mais  aussi  pour  l'irrigation  des 
terres.  L'agriculture  élait  en  grand  honneur  chez  les  vieux  Pé- 
ruviens; aucune  difficulté  ne  les  arrêtait;  ainsi  dans  les  dunes 
désolées  qui  forment  les  côtes,  le  sable  était  enlevé  à  une  grande 
profondeur,  jusqu'à  ce  que  l'on  eût  atteint  un  sol  naturelle- 
ment humide;  les  excavations  étaient  remplies  avec  du  guano 
dont  on  appréciait  déjà  l'utilité.  Les  jardins  de  l'Inca,  tel  est 
le  nom  qui  leur  a  été  donné,  conservent  encore  leur  fertilité  et 
c'est  sur  un  sol  ainsi  préparé  que  poussent  les  riches  vignes  qui 
entourent  la  ville  d'Iça. 
Cimetières,  La  sépulturc,  disious-uous  dans  une  étude  précédente  (2), 
pX^Grottes  a  été  constammcut  une  des  préoccupations  les  plus  sérieuses 
de  l'humanité  et  toujours  un  sentiment  religieux  s'est  associé 
aux  honneurs  funéraires  :  «  Priver  les  hommes  de  sépulture, 
disait  Euripide,  c'est  offenser  les  dieux.  »  Le  Pérou  enseigne 
à  son  tour  cette  même  histoire  ;  partout  les  tombeaux  sont  nom- 
breux et  les  modes  de  sépulture  des  plus  variés.  A  Chimu,  les 
cadavres  étaient  inhumés  dans  une  position  repliée  et  disposés 
au  milieu  des  sables,  par  couches  qui  diminuaient  toujours  d'éten- 
due à  mesure  que  la  nécropole  s'élevait  et  formaient  ainsi  une 
pyramide  (3).  Auprès  d'Acora,  petite  ville  non  loin  du  lac  de 
Titicaca,  ils  étaient  placés  sous  des  mégalithes  (4)  qui  rappellent 

(1)  «  Theso  ruins  are  intoresting  from  the  six  stone  portais,  one  witliin  the  othor.  » 
Bollaërt,  l.  c,  p.  199. 

(5)  Les  Premiers  Hommes,  t.  II,  p.  235. 

(3)  M.  Desjardius  [L  c,  p.  168)  décrit  une  des  sépultures  les  plus  considérables, 
la  Huaca  San  Pedro. 

(4)  On  rencontre  aussi  des  mégalithes  témoignant  d'un  art  plus  avancé.  Wiener  parle 
d'une  construction  cyclopéenne  auprès  de  Vilcabamba.  Squier  reproduit  un  mégalithe 
intéressant  qui  s'élève  auprès  de  Chicuito.  C'est  un  rectangle,  mesurant  G5  pieds 
de  longueur,  formé  par  de  gros  blocs  do  pierre  fichés  en  terre  et  s'élevant  à  14  pieds 
au-dessus  du  sol.  Il  existe  une  seule  ouverture  tournée  vers  l'Est  et  masquée  par 
deux  blocs  de  dimensions  considérables.  On  attache  dans  l'Amérique  du  Sud  une 
certaine  importance  à  ces  mégalithes.  «  Pero  lo  que  sin  duda  es  aun  de  mas  impor- 
tancia  es  cncontrarse   por  muchos  puntos  dcl  tcrritorio  peruano,  construcciones  en 


LE  PÉROU.  *25 

nos  dolmens  el  nos  cromlechs  (fig.  172).  Une  vaste  plaine  est 
couverte  de  pierres,  plantées  debout,  formant  tantôt  des  cercles, 
tantôt  des  carrés  et  souvent  recouvertes  de  larges  dalles,  qui 
renferment  la  chambre  sépulcrale. 

Ces  sépultures,  sont  dues  aux  Aymaras,  et  elles  datent 
probablement  de  l'époque  où  ces  peuples  obéissaient  à  des 
chefs  indépendants.  Nous  ne  savons  de  leur  histoire  que  le 
titre  de  Curacas  que  portaient  ces  chefs  el  qu'ils  ont  conservé 


Fig.  172.  —  Sépulture  mégalithique  à  Acora. 

SOUS  es  incas.  Plus  tard,  avec  les  progrès  du  pays,  les  monu- 
ments grossiers  firent  place  à  des  tombeaux  plus  magnifiques; 
de  là,  les  tours  ou  chulpas,  qui,  confondus  avec  les  méga- 
lithes couvrent  toute  la  plaine  d'Acora.  Les  chulpas  compren- 
nent un  massif  de  maçonnerie  en  pierres  brutes  et  en  argile, 
revêtu  à  l'extérieur  de  gros  blocs  de  trachyte  ou  de  basalte. 
Le  massif  est  construit  de  façon  à  ménager  un  cist,  où  le 
corps  était  déposé;  la  porte  généralement  très  basse,  est  toujours 
tournée  vers  l'est,  comme  un  hommage  sans  doute  au  soleil 
levant.  Presque  tous  portent  une  corniche  rapprochée  du  som- 
met et  sont  érigés  sur  une  petite  plate-forme  en  dalles.  Squier 

pie.dra,  iguales  por  el  estilo  y  gl  carâcter  à  esos  cromlechs,  dolmenes,  circules  del 
Sol  6  druidicos  de  la  Escandinavia,  las  islas  Britânicas,  Francia,  Asia,  etc.  »  Ameghino, 
/.  c,  t.  I,  p.  100. 


426  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

en  cite  dont  la  hauteur  dépassait  24  pieds.  Une  ouverture  de 
iS  pouces  carrés  donnait  accès  à  la  chambre  funéraire  (1).  Il 
parvint  à  y  pénétrer  avec  de  grandes  difficultés;  mais  seule- 
ment pour  constater  que  d'autres  l'avaient  précédé  et  pour 
ne  recueillir  que  quelques  débris  d'ossements  humains  et  quel- 
ques misérables  fragments  de  poterie. 

Nous  reproduisons  un  de  ces  chulpas,  situé  dans  la  montagne 
auprès  du  village  de  Palca  (fig.  173).  Il  s'élève  sur  une  excava- 


Fig.  173.  —  Chulpa  auprès  de  Palca. 

tion  de  quatre  pieds  de  profondeur  formant  une  véritable  cave, 
soutenue  par  des  murs  en  pierres  brutes.  Sa  hauteur  est  de 
16  pieds,  et  à  2  pieds  environ  du  sommet,  on  distingue  une 
corniche  formée  à'ichu,  herbe  grossière  qui  pousse  dans  les  mon- 
tagnes, fortement  comprimée,  puis  taillée  à  l'aide  d'instruments 
tranchants  (2).  La  maçonnerie  est  un  mélange  de  cailloux  et 

(1)  Cette  chambre  mesurait  H  pieds  carrés  ;  sa  liauteur  était  de  13  pieds. 

(2)  Des  corniches  semblables  se  retrouvent  sur  plusieurs  points.  Squier  en  cite 
auprès  de  Tiuhuani  [Peru,  p.  388). 


LE  PÉROU.  427 

d'argile,  enduit  en  stuc,  puis  peint  en  blanc  et  en  rouge  de 
manière  à  produire  des  dessins  variés.  Les  ossements  humains 
confondus  dans  le  plus  étrange  désordre,  formaient  dans  la 
chambre  sépulcrale,  un  dépôt  de  plus  d'un  pied  d'élévation. 

Les  chulpas  sont  en  général  de  forme  carrée  ou  rectangu- 
laire; quelquefois  cependant  on  rencontre  des  tours  rondes, 
mais,  par  une  disposition  particulière,  leur  diamètre  va  en  s'é- 
largissant  de  la  base  au  sommet.  Les  distributions  intérieures 
ne  sont  pas  moins  diverses  ;  les  unes  renferment  des  voûtes  cin- 
trées ;  d'autres  des  cists  recouverts  de  dalles  de  pierre,  ou  même 
de  simples  niches.  Nombreux  dans  la  Bolivie  et  dans  tout  le 
Collao  (1),  on  peut  les  voir  par  groupes  variant  de  vingt  à  cent  sur 
les  flancs  des  montagnes,  ou  sur  les  rochers  isolés  ;  partout,  ils 
forment  un  des  traits  caractéristiques  du  paysage. 

Auprès  de  Tiuhuani,  sur  la  rive  est  du  lac,  on  trouve  plu- 
sieurs chulpas,  qui  renferment  deux  cists  funéraires.  Us  sont 
peints  en  rouge,  en  jaune  ou  en  blanc,  et  comme  les  pluies  sont 
des  plus  rares  dans  toute  la  région,  les  couleurs  sont  remarqua- 
blement conservées.  Ces  chulpas  doubles_,  véritables  tombeaux 
de  famille,  renfermaient  jusqu'à  douze  squelettes.  Dans  la  vallée 
d'Escoma,  on  cite  un  chulpa,  avec  deux  chambres  sépulcrales, 
ayant  chacune  une  entrée  séparée.  Il  avait  été  fouillé  à  diverses 
reprises  et  complètement  dévalisé  par  les  tapadas.  Quelques 
débris  d'ossements  restent  seuls,  comme  les  témoins  de  sa  desti- 
nation première. 

Las  Casas  (2)  raconte  qu'au  moment  de  la  conquête  espa- 
gnole, les  Péruviens  continuaient  ce  même  mode  d'enseve- 
lissement :  «  Dans  certaines  provinces,  ajoute-t-il,  leurs  sépul- 
tures sont  des  tours  de  construction  massive,  creusées  à  la 
hauteur  d'un  estado  (3).  Sur  certains  points,  elles  sont  rondes, 
sur  d'autres  carrées,  mais  toujours  très  élevées  et  assez  nom- 
breuses pour  couvrir  de  grands  espaces.  Quelques-uns  des  indi- 

(1)  Le  Collao  est  le  bassin  du  lac  Titicaca  ;  il  est  limité  par  les  Andes  et  la  Cordillère. 

(2)  Hist.  Apologetica  de  las  Yndias. 

(3)  Six  pieds. 


428  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

gènes  les  construisent  sur  des  éminences  à  une  demi-lieue  et 
plus  des  villes,  en  sorte  qu'elles  semblent  de  loin  des  villages 
populeux.  Chacun  a  une  sépulture  particulière  pour  ses  ancêtres. 
Les  morts  sont  enveloppés  de  peaux  de  lama,  où  l'on  a  soin 
de  marquer  les  yeux  et  la  bouche,  puis  recouverts  d'autres  vête- 
ments; ils  sont  ensuite  placés  sur  leur  séant  et  les  portes  des 
sépultures,  qui  s'ouvrent  toujours  vers  l'est,  sont  murées.  Sur 
d'autres  points,  les  morts  enveloppés  comme  nous  venons  de  le 
dire,  sont  déposés  dans  leurs  maisons,  souvent  au  milieu  des 
vivants.  Ils  n'exhalent  aucune  odeur,  à  raison  des  peaux  dans 
lesquelles  ils  sont  fortement  cousus  et  aussi  à  cause  du  froid  qui 
les  momifie  rapidement.  Les  chefs  sont  placés  dans  la  prin- 
cipale pièce  de  leur  demeure,  chargés  des  insignes  de  leur  rang 
et  des  bijoux  qu'ils  affectionnaient.  » 

Sur   les  côtes   du  Pacifique,  les  modes  de  sépulture  étaient 


Fig.  174.  —  Vase  ea  terre  provenant  d'une  ancienne  tombe  péruvienne  (1/4  grandeur). 

différents.  Auprès  de  Quito,  au  nord  du  royaume  des  Incas, 
le  corps,  réduit  à  une  dessiccation  complète,  était  déposé  dans 
un   tombeau,  construit  en   pierres  ou  en   adobes  ;   on  plaçait 


LE  PEROU. 


429 


auprès  du  mort  des  vases  (1)  de  forme  souvent  originale  (fig.  174, 
175  et  176)  destinés  à  recevoir  le  mais  ou  la  chicha  (2),  de  tout 
temps  la  boisson  nationale  par  excellence.  On  a  retiré  de  ces 
tombeaux,  des  petites  haches  en  cuivre,  des  miroirs,  les  uns  en 
pierre  polie  ou  en  obsidienne,  les  autres  en  métal,  des  colliers, 
des  pendants  pour  le  nez  ou  pour  les  oreilles,  des  bracelets,  des 
figurines  en  or  ou  en  argent.  A  l'extrême  sud,  toute  la  vallée 
de  Copiapo  (Chili),  est  couverte  de  huacas,  en  forme  de  mound, 


175.  —  Vase  provenant  d'une  tombe     Fig.  HG.  —  Vase  d'une  ancienne  tombe 
péruvienne  (1/4  grandeur).  de  la  baie  de  Cliacota  (1/4  grandeur). 


qui  mesurent  jusqu'à  12  pieds  de  hauteur  et  de  20  à  30  pieds 
de  longueur.  Darwin,  dans  son  voyage  autour  du  monde,  avait 
assisté  aux  fouilles  d'un  de  ces  tumuli  ;  il  renfermait  deux  sque- 


(1)  Des  vases  de  forme  à  peu  près  semblable,  servent  encore  aujourd'hui  à  préparer 
les  infusions  de  Coca  (Erythroxylon  Coca).  On  peut  consulter  sur  cette  plante  une 
excellente  monographie  du  D'  L.  A.  Cosse,  publiée  ^  Bruxelles  en  1861. 

(2)  La  cliicha  est  obtenue  par  la  fermentation  du  mais  grillé. 


430  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

lettes,  celui  d'un  homme  et  celui  d'une  femme  (fig,  177).  A  en 
juger  parles  objets  recueillis  dans  la  tombe,  ils  appartenaient  à 


Fig.  m.  —  Momie  d'Aymara  (Muséum  d'Hist.  nat.  de  Paris). 


la  classe  la  plus  pauvre.  C'étaient  de  grandes  jarres  en  poterie 
du  travail  le   plus  grossier,    des  pointes   de  flèche  en   silex, 


LE  PÉaOU.  -431 

des  épingles  en  cuivre,  et  des  pierres  à  peine  dégrossies,  desti- 
nées à  broyer  le  mais  (1). 

Entre  ces  deux  points  extrêmes,  nous  trouvons  d'autres  sépul- 
tures, variant  seulement  selon  la  richesse  du  vivant.  Des  huacas 
auprès  d'Arica  fouillés  en  1712,  ont  montré  des  morts  enveloppés 
de  riches  étoffes  et  à  côté  d'eux,  des  vases  en  or  et  en  argent  (2). 
Les  cadavres  momifiés  par  la  sécheresse  du  climat,  car  ils 
n'offraient  aucune  trace  d'embaumement,  étaient  assis.  Plu- 
sieurs portaient  dans  leur  bouche  une  petite  plaque  en  or  (3). 
En  1836,  de  nouveaux  explorateurs  reprenaient  ces  fouilles  sur 
les  rivages  de  la  baie  de  Chacota,  à  un  mile  et  demi  d'Arica  (4). 
Les  tombes  étaient  toutes  de  forme  circulaire,  leur  diamètre 
variait  de  3  à  5  pieds,  leur  profondeur  de  5  à  6  pieds;  souvent 
elles  étaient  entourées  d'un  cromlech  de  pierres  debout,  d'autres 
fois  surmontées  d'un  mound.  Toutes  conservent  les  traces  de 
grands  feux  allumés  après  l'inhumation,  pour  obéir  sans  doute 
à  un  rite  consacré. 

Le  plus  grand  nombre  de  ces  tombes  avait  été  violé.  Celles  res- 
tées intactes  permirent  de  constater  le  mode  de  sépulture  ; 
quelques-uns  des  corps  avaient  évidemment  été  desséchés  avant 
l'inhumation;  d'autres  paraissaient  enduits  avec  une  substance 
résineuse  (5).  Tous  étaient  assis  sur  des  dalles  de  pierre,  les  bras 
ramenés  sur  la  poitrine,  les  jambes  repliées,  la  tête  penchée  sur 
les  genoux.  Ils  étaient  vêtus  d'une  grossière  étoffe  de  laine  cousue 
en  guise  d'aiguilles,  avec  de  fortes  épines  de  cactus,  laissées  dans 
le  vêtement.  Le  cadavre  portait  tous  les  objets  nécessaires  à  la 
vie.  Les  hommes  (fig.  178),  des  armes,  des  outils,  desornements; 


(1)  Voyage  d'un  Naturaliste  autour  du  monde,  p.  368.  — Bollaërt,  /.  c,  p.  175. 

(2)  Bollaërt,  /.  c,  p.  151. 

(3)  Rivero  et  Tschudi,  Antiguedades  Peruanas. 

(4)  J.  Blake,  Notes  on  a  Collection  from  the  ancient  Cemetery  of  the  Bay  of  Cha- 
cota; Reports  Peabody  Muséum,  t.  II,  p.  177  et  s. 

(5)  Agassiz  cite  des  corps  conservés  par  ce  procédé  à  Pisagua.  Selon  M.  Putnam, 
ceux  provenant  du  cimetière  d'Ancon  ne  sont  pas  momifiés  à  l"aide  de  substances  ré- 
sineuses. Sur  ce  dernier  cimetière,  il  faut  consulter  Wiener  [Pérou  et  Bolivie)  qui  y 
a  fouillé  de  nombreuses  tombes. 


432  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

les  enfants,  des  jouets;  les  femmes  (fig,  179)  (1),  des  quenouilles 
chargées  de  laine,  des  pelotons  de  fil,  des  aiguilles  en  bois 
souvent  d'une  extrême  finesse,  des  peignes,  bien  d'autres  instru- 
ments dont  l'usage  est  inconnu,  des  petites  coquilles  servant  de 
monnaie  (2),  des  sacs  renfermant  soit  des  cheveux,  dernier  sou- 


l'"ig.   178.  —  Momie  péruvienne. 

venir  adressé  au  mort,  soit  des  provisions  pour  le  long  voyage  (3), 
épis  de  maïs,  ou  feuilles  de  coca. 

(1)  La  momie  que  nous  donnons  (fig.  179)  a  été  reproduite  sur  une  photographie 
exécutée,  après  qu'on  eût  retiré  tous  les  objets  que  la  femme  portait. 

(2)  Littorina  Peruviann. 

(3)  Le  Peabody  Muséum  possède  un  véritable  panier  à  ouvrage,  renfermant  les 
objets  nécessaires  au  travail  féminin.  Il  a  été  trouvé  sous  un  huaca  du  Pérou. 


LE  PÉROU.  ^33 

Tous  ces  objets,  grâce  à  la  sécheresse  du  climat,  sont  merveil- 
leusement conservés  (i).  Par  une  pensée  touchante,  les  parents 
de  la  morte,  dont  nous  reproduisons  les  traits,  avaient  déposé 


Fig.  179.  —  Momie  d'une  femme  trouvée  dans  la  baie  de  Cbacota. 

auprès  d'elle,  non  seulement  des  vases  de  toutes  formes  (fig.  174, 
173, 176,  180),  mais  encore  des  étoffes  qu'elle  avait  commencé  à 
tisser  et  que  la  mort  l'avait  sans  doute  empêché  d'achever  (2).  Les 
cheveux  de  couleur  brune  peu  foncée  étaient  fins  et  soyeux  ;  les 
jambes  depuislachevillejusqu'aux genoux,  peintes  en  rouge,  mode 
chère  probablement  à  la  coquetterie  féminine,  car  on  avait  pris 
soin  de  placer  auprès  de  la  morte  des  petites  vessies  remplies 
de  gomme  résineuse  et  de  poudre  rouge,  pour  continuer  sa 
toilette,  dans  la  vie  nouvelle  qui  commençait  pour  elle  (3). 


(1)  Bul.  Soc.  Anth.,  1881,  p.  550. 

(2)  A  Pachacamac,  les  fouilles  ont  donne  un  métier  chargé  d'une  étoffe  à  demi 
tissée. 

(3)  Les  femmes  Galibis  se  peignent  encore  aujourd'hui  les  jambes  au  moyen  du 

De  Nadaillac,  Amérique.  28 


^*'i4  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

A  Iquique,  un  huaca  ne  renfermait  pas  moins  de  cinq  cents 
cadavres,  tous  assis  et  enveloppés  de  longs  manteaux  de  couleur 


Fig.  180.  —  Vase  d'un  tombeau  de  la  baie  de  Chacota. 

différente    (1).   Certains    rites   restent   inexpliqués  :    ainsi,   en 
1830,   on  découvrait,   à  l'entrée   de  la  vallée  de  Tarapaca  un 


Fig.  181. —  Vase  d'une  ancienne  sépulture  péruvienne  (Grandeur  naturelle). 

huaca  entouré  d'un  cercle  de   pierres   debout  ;   au  centre,   on 

Toucou,  poudre  végétale  d'un  beau  rouge,  que  l'on  fait  dissoudre  dans  de  l'huile  extraite 
de  certaines  graines  oléagineuses. 
(1)  Bollaërt,  l.  c,  p.  167. 


r 


LE  PÉROU.  ^35 

relevait  le  squelette  d'une  femme  et  auprès  d'elle,  ceux  de  quatre 
hommes;  sur  chacun  on  avait  placé  trois  grosses  pierres.  Parmi 
les  nombreux  objets  provenant  de  cette  sépulture,  on  cite  une 
statue  de  femme,  dont  le  visage  était  en  argent. 

Pachacamac  était,  nous  l'avons  dit,  un  lieu  sacré  pour  les 
anciens  habitants  du  Pérou,  et  le  temple  un  but  de  pèlerinage. 
Ses  abords  sont  un  vaste  cimetière  ;  et  le  sol  sableux  et  chargé 
de  nitre  a  conservé  jusqu'à  nous  les  momies  confiées  à  la  terre. 
Sur  certains  points,  il  est  facile  de  constater  trois  ou  quatre 
étages   de   cadavres  ;    des  générations  d'adorateurs  reposaient 
à  l'ombre  des  murs,  objet  de  leur  respect.  Les  tombes  étaient 
construites  en    adobes   et    recouvertes   en   cannes.    Les   corps 
avaient  été  repliés  ou  plutôt  roulés  sur  eux-mêmes,  puis  enve- 
loppés dans  une  toile  de  coton  très  fine  et  dans  des  couvertures 
fabriquées  avec  la  laine  du  vigogne  ou  de  Talpaca.  Ici  aussi  les 
tombes  renfermaient  les  objets  les  plus  variés.  Les  riches  conser- 
vaient leurs  ornements,  les  pauvres  devaient  se  contenter  d'un 
petit  morceau  de  cuivre,  l'obole  destinée  à  Caron  dans  les  rites 
funéraires  de  la  Grèce  (1).  A  côté  de  chacun,  on  plaçait  les  outils 
(le  sa  profession  ;  auprès  du  pêcheur,  les  filets  et  les  hameçons  ; 
auprès  de  la  jeune  fille,   les  ustensiles   du  ménage.  Avec  les 
vases  qui   se   rencontrent  toujours  dans  les  sépultures   péru- 
viennes, on  trouve  souvent  à  Pachacamac,  des  morceaux  de 
quartz  ou  de  cristal  grossièrement  taillés  ;  c'étaient,  selon  le  père 
Arriaga  (2)^  les  Canopas,  les  dieux  lares  du  foyer  qui  devaient 
continuer  leur  protection  au  défunt  dans  la  nouvelle  vie  où  il 
entrait  ;  les  Canopas  chargés  de  veiller  sur  la  famille  étaient 
toujours  remis  à  l'aîné  des  fils. 

Si  nous  nous  éloignons  du  Pacifique,  les  grottes  au  besoin 
artificiellement  agrandies,  servaient  fréquemment  de  lieux  de 
sépulture.  Dans  la  vallée  du  Yucay,  comme  dans  celle  dominée 
par  la  forteresse  de  Pisac,  les  flancs  presque  inaccessibles  des 

(1)  M.  Wiener,  dans  ses  fouilles  d'Ancon,  a  trouvé  un  grand  nombre  de  ces  petites 
plaques  en  argent  ou  en  bronze,  placées  dans  la  bouche  des  momies. 

(2)  Extirpacion  de  la  Idolatria  del  Peru.  Lima,  1621. 


436  L'AMÉRIQUE   PRÉHISTORIQUE.     . 

montagnes  en  sont  couverts  jusqu'à  une  hauteur  de  plusieurs 
centaines  de  pieds  ;  et  aujourd'hui  encore,  les  rares  habitants  du 
pays  les  appellent,  en  souvenir  de  leurs  hôtes,  Tantama-Marca^ 
les  précipices  de  la  désolation.  Les  rites  funéraires  étaient  sem- 
blables à  ceux  que  nous  avons  décrits;  les  cadavres  étaient  assis, 
enveloppés  tantôt  dans  des  toiles  de  coton,  tantôt  dans  de  simples 
nattes,  mais  toujours  la  tête  était  inclinée  sur  les  genoux;  des 
vases,  des  outils  fort  grossiers  composaient  le  mobilier  funéraire. 

Dans  la  vallée  de  Paucar-Tambo,  les  rochers  avaient  été  nivelés 
et  les  tombeaux  construits  en  pierres  appareillées.  Ils  étaient 
murés  après  l'ensevelissement  et  les  pierres  recouvertes  d'une 
couche  de  stuc  peint  en  couleurs  voyantes.  Le  soin  apporté  à 
ces  tombes  avait  été  un  appas  irrésistible  pour  les  tapadas, 
elles  avaient  été  les  premières  violées  et  tout  ce  qu'elles  ren- 
fermaient, dispersé  sans  profit  pour  la  science  (1). 

Plusieurs  voyageurs  parlent  aussi  d'une  grotte  d'une  certaine 
étendue,  qui  a  reçu  le  nom  approprié  à' Infernillos  (2).  A  l'entrée 
sont  de  grossières  sculptures  figurant  des  personnages  des  deux 
sexes.  Sur  les  parois,  on  remarque  plusieurs  fois  répétée  l'em- 
preinte d'une  main  humaine  tracée  soit  avec  du  cinabre,  soit 
avec  de  l'oxyde  de  fer  ou  plus  simplement  encore  par  l'appli- 
cation de  la  main  elle-même,  trempée  dans  une  substance 
colorante.  C'est  la  mano  Colorado,  dont  nous  ignorons  la  signi- 
fication, mais  qui  se  retrouve  sur  divers  points  des  deux  Amé- 
riques (3)  et  qui  est  signalée  aussi  en  Australie  (4).  Il  est  difficile 
de  croire  que  ce  soit  là  une  circonstance  purement  fortuite. 
Religion,  Les  Péruviens  distinguaient  l'âme  [runa) ,  intelligente  et  imma- 

térielle, du  corps,  dont  le  nom  allpacamasca  (la  terre  animée), 
est  caractéristique  (5).  Ils  admettaient  une  vie  future  ;,  l'homme 
qui  avait  bien  employé  sa  vie  mortelle,  se  rendait  après  sa  mort 
dans    Y Hananpacha,  le    monde    d'en    haut,   o\x   l'attendait  sa 

(1)  Squiei-,  Peru,  p.  491-531. 

(2)  Bollaërt,  /.  c,  p.  152. 

(3)  Voy.  ch.  V,  p.  253. 

(4)  Miles,  Ethn.  Soc.  of  London,  t.  III.  —  Nature,  7  mai  1&81. 

(5)  Desjardins,  /.  c,  p.  100. 


Culte. 


LE  PÉROU.  437 

récompense;  si,  au  contraire,  il  avait  mal  vécu,  il  était  précipité 
dans  YUrupacha,  le  monde  d'en  bas.  Cette  vie  future,  heureuse 
ou  malheureuse,  devait  être  toute  matérielle.  Quelle  autre  signi- 
fication peut-on  donner  aux  objets  si  divers,  amoncelés  dans 
les  tombes,  chez  les  Aymaras  comme  chez  les  Qquichuas,  chez 
les  prédécesseurs  des  Incas,  comme  chez  les  contemporains  des 
Espagnols? 

La  croyance  à  l'immortalité  de  l'àme,  à  la  récompense  des 
bons,  à  la  punition  des  méchants,  implique  nécessairement  celle 
d'êtres  supérieurs  à  l'homme,  exerçant  sur  lui  une  influence 
et  durant  sa  vie  et  après  sa  mort.  Les  Péruviens  adoraient,  nous 
l'avons  dit  à  plusieurs  reprises,  le  soleil,  la  lune,  les  étoiles,  le 
tonnerre.  Dans  certaines  contrées,  la  terre  était  l'objet  de  leur 
culte  ;  dans  d'autres,  la  mer,  les  sources,  les  montagnes,  princi- 
palement celles  couvertes  de  neige  [razu]  (1).  A  côté  de  ces 
forces  visibles  de  la  nature,  il  existait  des  dieux  inférieurs,  Papap- 
conopa,  que  l'on  invoquait  pour  obtenir  une  bonne  récolte  de 
patates,  Caullama^  le  protecteur  des  troupeaux,  Chichic,  qui, 
comme  le  dieu  Terme,  assurait  le  respect  des  propriétés,  Lacar- 
villca^  qui  présidait  aux  travaux  d'irrigation.  Sur  d'autres  points, 
les  morts  eux-mêmes  étaient  invoqués  comme  les  protecteurs  de 
leur  famille.  Ces  dieux  étaient  probablement  les  représentants 
d'anciennes  idolâtries,  qui  survivaient  aux  peuples  chez  lesquels 
elles  avaient  pris  naissance.  Quelques  tribus  plus  grossières  ado- 
raient les  animaux,  le  condor,  le  puma,  la  chouette,  le  serpent, 
les  produits  mêmes  de  la  terre,  tels  que  le  mais  ou  les  patates. 
Mais  ces  différents  peuples,  en  se  soumettant  aux  lois  des  Péru- 
viens, se  convertissaient,  de  gré  ou  de  force,  au  culte  du  soleil. 
Les  guerres  des  Incas  avaient  un  caractère  essentiellement 
religieux  (2)  et  nous  ne  pouvons  mieux  les  comparer  qu'à  celles 
des  Musulmans,  alors  que  l'Islamisme,  propagé  par  le  glaive,  se 


(1)  Les  pierres  étaient  aussi  l'objet  de  la  vénération  des  Péruviens  ;  elle  s'explique 
par  une  de  leurs  traditions,  qui  raconte  que  Viracocha  avait  communiqué  la  vie  aux 
pierres  et  crée  ainsi  les  premiers  hommes  et  les  premières  femmes. 

(2)  Desjardins,  /.  c,  p.  95. 


438  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

répandit  avec  une  si  étrange  rapidité  sur  des  régions  entières. 

Des  recherches  récentes  ont  montré  qu'à  une  certaine 
époque,  les  prêtres  péruviens  enseignaient  l'existence  d'un  dieu 
suprême,  le  Deus  ignotus,  auquel  aucun  temple  n'était  dédié  (1) 
et  dont  nul  ne  devait  retracer  l'image  (2).  Il  était  adoré  sous  le 
nom  de  Pachacamac  dans  le  haut  Pérou,  sous  celui  cle  Vira- 
cocha  à  Cuzco;  le  soleil,  la  lune,  les  astres,  n'étaient  que  les  for- 
mes symboliques  de  sa  puissance,  celles  sous  lesquelles  il  se 
manifestait  aux  hommes;  les  animaux  étaient  sa  création,  les 
produits  de  la  terre  un  don  de  sa  bonté.  Molina  a  conservé 
quelques  prières  fort  belles,  toutes  adressées  à  ce  dieu  unique  et 
créateur  ;  elles  attestent  chez  leurs  auteurs  les  sentiments  les 
plus  élevés  (3).  Mais  leur  authenticité  ne  paraît  pas  suffisamment 
prouvée  et  il  est  probable,  que  si  la  conception  d'un  dieu  unique 
existait  chez  quelques  esprits  éclairés,  les  masses  confondaient 
avec  ce  dieu  lui-même,  les  symboles  qui  le  caractérisaient. 

Les  Péruviens  offraient  à  leurs  dieux  des  fleurs,  de  l'encens, 
des  animaux,  tels  que  les  tapirs,  les  cobayes,  les  serpents.  A  la 
grande  fête  du  Raymi  ou  du  feu  sacré,  on  sacrifiait  un  lama.  A 
certaines  occasions  solennelles,  lors  d'une  victoire  ou  de  l'avène- 
ment d'un  Inca  par  exemple,  on  immolait  devant  l'image  du 
Soleil,  un  enfant  ou  une  vierge  choisie  pour  sa  beauté  (4);  mais 
ces  sacrifices  étaient  rares  et  ils  n'étaient  jamais  suivis  des 
odieux  festins,  qui  accompagnaient  invariablement  les  sacrifices 
humains  chez  les  Mexicains. 


(1)  Il  existe  cependant  un  temple,  érigé  en  l'honneur  de  ce  dieu  suprême,  par  l'Inca 
Viracocha,  à  qui  il  était  apparu,  pour  lui  ordonner,  au  refus  de  son  père  Yahuar- 
Huacac,  de  marcher  contre  les  ennemis  qui  osaient  envahir  les  terres  du  soleil,  lui 
promettant  une  victoire  décisive.  Garcilaso  nous  a  conservé  une  description  de  ce  tem- 
ple qui  fut  détruit  par  les  Espagnols. 

(2)  fielacion  Anonijm.  de  las  Costumbres  Ajitiguas  de  los  Nalwales  del  Peru. 

(3)  Saggio  délia  Storia  del  Chili.  —  Markham,  Narratives  of  the  Rites  and  Laws 
ofthe  Incas,  published  for  the  Hackluyt  Society,  London,  187-3. 

(4)  Garcilaso  (Com.  Real.,  p.  I,  lib.  II,  c.  ix)  affirme  que  les  sacrifices  humains  avaient 
été  complètement  abolis  par  les  Incas  ;  mais  il  est  contredit  par  tous  les  chroniqueurs 
espagnols,  Sarmiento,  Montosinos,  Balboa,  Gieça  de  Léon,  Ondegardo,  Acosta.  Leur 
unanimité  permet  de  supposer  que  Garcilaso  descendant  des  Incas,  a  été  entraîné  dans 
son  récit  par  sa  vénération  naturelle  pour  ses  ancêtres. 


LE  PÉROU.  439 

On  a  prétendu  que  la  confession  existait  chez  les  Péruviens  et 
plusieurs  historiens  espagnols  (1)  sont  d'accord  pour  l'attester. 
Nul  n'était  privilégié  pour  l'entendre  ;  elle  pouvait  se  faire  à  tous, 
à  des  hommes  comme  à  des  femmes,  et  le  confesseur  avait  le 
droit  d'imposer  une  pénitence  selon  la  gravité  des  faits  accusés. 
On  a  voulu  attribuer  à  ces  pratiques  une  certaine  importance, 
en  les  rattachant  aux,  dogmes  du  christianisme,  nous  croyons 
qu'il  y  a  là  une  simple  coïncidence  d'un  grand  intérêt,  comme 
tout  ce  qui  touche  aux  conceptions  religieuses  ;  mais,  jusqu'à  pré- 
sent, nous  n'avons  absolument  aucune  preuve  sérieuse  que  le 
christianisme  ait  été  connu  en  Amérique,  avant  l'arrivée  des 
Espagnols. 

L'autorité  despotique  des  Incas  était  la  base  du  gouvernement  ;  Lois  et  cou- 
elle  était  fondée  sur  le  respect  religieux  porté  au  descendant  du 
Soleil  et  appuyée  par  une  hiérarchie  savamment  combinée  (2). 
La  population  était  divisée  en  décuries  ;  parmi  les  dix  individus 
qui  formaient  chaque  décurie,  Tlnca  ou  ses  représentants  en 
désignaient  un,  qui  devenait  le  chef  des  neuf  autres.  Cinq  décu- 
ries avaient  à  leur  tête  un  décurion  d'un  rang  supérieur  ;  cin- 
quante décuries,  un  chef  qui  commandait  ainsi  à  cinq  cents  hom- 
mes. Cent  décuries  enfin,  obéissaient  à  un  chef  suprême  qui 
recevait  directement  les  ordres  de  l'Inca. 

En  dehors  de  cette  organisation  qui  possédait  les  inconvé- 
nients réunis  de  la  démocratie  et  du  despotisme,  étaient  les  Cura- 
cas  ou  gouverneurs  de  provinces.  Les  uns  appartenaient  à  la 
famille  des  Incas  ;  les  autres  descendaient  des  anciens  chefs  des 
pays  successivement  soumis.  Leur  dignité  paraît  avoir  été  héré- 
ditaire ;  elle  passait  à  l'aîné  des  fils,  à  défaut  d'enfants,  à  Taîné 
des  frères  (3). 

(1)  «  Este  vilahoma  eligia  senalaba  confesores,  paraque  asi  en  el  Cuzco  como  en 
todas  las  demas  provincias  y  pueblos  confesasen  secretamente  â  todas  las  personas, 
liombres  y  mujeres,  oyendo  sus  pecados  y  dando  las  penitencias  per  ellos.  »  L'auteur 
anouyme  de  la  relation  à  laquelle  nous  empruntons  ces  détails,  ajoute  que  les  confes- 
seui's  des  Vierges  du  soleil  devaient  être  des  eunuques.  Voy.  Herrera,  Hist.  Gen. 
Dec,  V,  lib.  IV,  c.  IV.  —  Acosta,  /.  c,  c.  xxv. 

(2)  Desjardins,  /.  c,  p.  117. 

(3)  La  situation  exacte  des  Curacas  est  peu  connue.  Dans  certains  cas  ils  pouvaient 


440  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  lois  pénales  étaient  sévères  (1)  et  appliquées  selon  la  seule 
volonté  de  Flnca.  Les  homicides,  les  adultères,  ceux  qui  avaient 
osé  blasphémer  contre  le  Soleil,  ou  contre  l'Inca  son  représen- 
tant, étaient  punis  de  mort.  Le  décurion  qui  ne  dénonçait  pas 
les  crimes  commis  dans  sa  décurie,  était  passible  de  la  même 
peine  que  le  coupable.  Le  sodomite  était  écorché;  l'incestueux, 
pendu.  Comme  les  Vestales  de  Rome  (2),  les  Vierges  du  Soleil 
qui  avaient  manqué  à  leurs  vœux,  étaient  enterrées  vivantes  ; 
leur  maison  était  rasée  et  le  village  ou  le  quartier  habité  par  leur 
famille  subissait  le  même  sort.  Des  fautes  plus  légères  étaient 
punies  par  le  fouet  ou  par  la  prison  ;  d'autres  fois,  le  coupable 
était  astreint  à  porter  une  lourde  pierre,  pendant  un  temps  déter- 
miné. 

Le  mariage  était  obligatoire  ;  un  homme  ne  pouvait  posséder 
qu'une  seule  femme  ;  mais  les  Curacas  étaient  dispensés  de  cette 
règle  et  quant  à  Tlnca,  le  nombre  de  ses  femmes  ou  de  ses  con- 
cubines était  illimité.  Il  les  choisissait  parmi  les  filles  de  sa 
race,  parmi  ses  sœurs  elles-mêmes,  parmi  les  Vierges  du  Soleil 
qui  lui  étaient  signalées  pour  leur  beauté.  Aucun  lien  du  sang, 
aucun  respect  religieux,  ne  limitaient  son  choix.  Quand  il  était 
fatigué  d'une  de  ses  épouses  d'un  jour,  l'honneur  du  lit  royal  la 
suivait  dans  sa  retraite  et  elle  était  l'objet  du  respect  de  tous. 

A  un  jour  fixé  chaque  année,  les  jeunes  gens  qui  avaient  atteint 
l'âge  de  vingt-quatre  ans,  lesjeunes  filles  celui  de  dix-huit  ans, 
étaient  réunis  sur  la  place  publique.  Les  représentants  de  l'Inca 
joignaient  les  mains  de  chaque  couple  et  proclamaient  leur 
union  devant  le  peuple.  Telle  était  la  seule  forme  de  mariage  ;  il 
ne  semble  pas  que  l'inclination  des  époux  fût  consultée  ;  en 
général  cependant  chacun  se  mariait  dans  sa  propre  famille.  La 
décurie,  dont  nul  ne  pouvait  sortir,  sans  la  permission  expresse 

être  élus  par  le  peuple,  mais  leur  élection  devait  être  soumise  à  l'Inca,  qui  avait  égale- 
ment le  droit  de  les  révoquer. 

(1)  «  El  castigo  era  riguroso  que  por  la  mayor  parte  era  de  muerte  por  liviano  que 
fuese  el  delito.  »  Garcilaso,  Com.  Reaies,  p.  I,  lib.  II,  c.  xii.  Cf.  F.  de  Santillan  et  la 
Relation  anonyme. 

(2)  Le  mariage  était  permis  entre  parents  à  partir  du  second  degré. 


LE  PÉROU.  441 

de  rinca,  était  tenue  de  faire  construire  une  demeure  pour  cha- 
que nouveau  ménage  et  de  lui  assigner  une  quantité  de  terre  suf- 
fisante pour  sa  nourriture.  A  la  naissance  de  chaque  enfant,  la 
contenance  allouée  était  augmentée  :  d'un  fanega  (1)  pour  un 
garçon,  d'un  demi-fanega  pour  une  fille. 

Cette  division  de  la  terre  était  modifiée  par  une  révision  an- 
nuelle et  un  nouveau  partage  avait  lieu,  selon  le  nombre  des 
membres  de  chaque  famille.  C'était,  on  le  voit,  une  véritable 
loi  agraire  ;  la  propriété  individuelle,  telle  que  nous  la  compre- 
nons, paraît  n'avoir  jamais  existé  (2)  ;  le  Péruvien  était  seule- 
ment le  fermier,  pendant  un  an,  du  lot  que  le  sort  ou  la  volonté 
des  décurions  lui  attribuaient.  Outre  les  terres  appartenant  à  la 
communauté  et  partageables  entre  tous  ses  membres,  d'autres, 
et  ce  n'étaient  pas  les  moins  importantes,  formaient  la  propriété 
exclusive  du  Soleil  ou  de  l'Inca.  Les  habitants  devaient  cultiver 
ces  terres,  même  aux  dépens  des  leurs,  et  nul,  hormis  lés 
malades  ou  les  infirmes,  ne  pouvait  se  dispenser  de  ce  devoir 
sacré. 

Les  lamas  étaient  la  grande  ressource  agricole  du  Pérou.  Ces 
animaux  qui,  comme  leurs  congénères  les  chameaux,  se  conten- 
tent de  la  nourriture  la  plus  chétive  et  vivent  là  oii  tous  les  au- 
tres mammifères  mourraient  de  faim,  étaient  précieux  dans  ces 
régions  deshéritées.  Tous  appartenaient  à  l'Inca.  Il  désignait  les 
bergers  qui  les  conduisaient  par  troupeaux  immenses  dans  les 
montagnes  ;  à  la  saison  voulue,  leur  laine  était  portée  dans  des 
magasins  construits  à  cet  effet.  Une  certaine  quantité  de  laine 
était  distribuée  à  chaque  famille,  suivant  le  nombre  des  femmes 
qui,  en  faisaient  partie  et  pendant  que  les  hommes  cultivaient  la 
terre,  celles-ci  filaient  et  tissaient  les  vêtements  nécessaires.  Elles 
devaient  aussi  préparer  une  certaine  mesure  d'étoffes;  ces  étoffes 

(1)  L'évaluation  exacte  du  fanega  est  inconnue  ;  nous  savons  seulement  qu'il  était 
égal  à  la  superficie  que  l'on  pouvait  ensemencer  avec  cent  livres  de  mais. 

(2)  fie/,  primera  del  Licenciado  Polo  de  Ondegardo.  Ondegardo  avait  été  corrégidor 
de  Cuzco  vers  1560.  Prescott  avait  fait  faire  une  copie  de  ses  rapports,  adressés  à 
Philippe  II  et  conservés  aux  archives  de  Simancas.  Ils  ont  été  depuis  partiellement 
imprimés  aux  frais  de  VHaklwjt  Society  de  Londres. 


442  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

étaient  entassées  et  devaient  servir  pour  les  besoins  imprévus  de 
la  communauté. 

Les  demeures  des  Péruviens  étaient  en  rapport  avec  la  situa- 
tion qui  leur  était  ainsi  faite.  Sauf  celle  des  Incas  ou  des  Curacas, 
toutes  semblent  bâties  sur  le  même  modèle  (1)  ;  elles  étaient  dou- 
bles et  ne  communiquaient  que  par  des  portes  extérieures  s'ou- 
vrant  sur  un  corridor,  qui  régnait  sur  toute  la  longueur  de  l'édifice 
et  que  l'on  ne  saurait  mieux  comparer  qu'à  nos  anciens  cloîtres. 
Les  toits  étaient  quelquefois  à  deux  pentes  (2),  soutenus  par  des 
murs  latéraux  à  double  pignon,  sur  lesquels  venaient  s'appuyer 
des  traverses  en  roseaux  que  l'on  chargeait  de  feuilles  d'agave, 
de  paille  de  mais,  quelquefois  même  de  nattes. 

Cette  savante  organisation  assurait  la  domination  incon- 
testée du  maître  suprême.  Chaque  individu  était  parqué  dans 
un  clan,  dont  il  lui  était  interdit  de  sortir.  Il  ne  pouvait 
améliorer  ni  sa  propre  situation,  ni  celle  des  siens;  il  ne 
pouvait  non  plus  déchoir.  Dès  lors,  les  mobiles  qui  agissent 
le  plus  puissamment  sur  l'homme,  le  patriotisme,  l'ambition,  le 
désir  de  larichesse,  l'esprit  d'initiative,  faisaient  défaut.  Tous  les 
ressorts  étaient  brisés  ;  c'est  la  meilleure  explication  de  la  faci- 
lité avec  laquelle  quelques  aventuriers  espagnols  soumirent  avec 
une  étrange  rapidité,  une  population  de  plusieurs  millions  d'âmes. 
Arts  niéca-  La  céramiquc  péruvienne  était  supérieure,  comme  fabrication, 
à  celles  des  autres  peuples  de  l'Amérique.  La  roue  du  potier 
paraît  cependant  avoir  été  inconnue  et  l'on  s'étonne  à  bon 
droit  de  la  régularité  que  les  ouvriers  obtenaient,  sans  l'em- 
ploi de  moyens  mécaniques.  On  peut  voir  au  musée  archéolo- 
gique de  Madrid,  une  série  très  complète  de  vases  provenant  des 
côtes  du  Pacifique  et  destinés  les  uns  à  aller  au  feu,  les  autres, 
aux  divers  usages  de  la  table  ou  des  appartements.  Les  formes 
sont  extrêmement  variées,  depuis  le  vase  le  plus  grossier  rappelant 
la  poterie  lacustre  de  nos  pays,  jusqu'aux  aiguières  d'un  excellent 
travail,  représentant  des  hommes,  des  animaux  et  une  série  cu- 

(1)  Comte  de  Sartiges,  Rev.  des  Deux  Af ondes,  1851. 

(2)  Wiener,  /.  c,  p.  503. 


niques,  Pote 
rie 


LU  PEROU- 


443 


rieuse  de  végétaux,  dont  l'étude  permettra  de  reconstituer  toute 
l'antique  flore  du  pays. 

Cette  poterie  (1)  était  noire,  grise  ou  rouge,  plus  rarement  jaune 
ou  bleue  (2),  cuite  au  four  (3)  et  recouverte  extérieurement  d'un 
vernis  perméable  probablement  silico-alcalin.  On  a  prétendu 
attribuer  ce  vernis  à  un  polissage  à  froid  ;  mais  M.  Demmin  a 
prouvé  qu'il  était  obtenu  par  la  cuisson,  car,  il  n'a  réussi  à  l'enle- 
ver, ni  par  l'esprit-de-vin,  ni  par  l'essence. 

Les  vases  étaient  moulés  en  deux  morceaux  et  soudés  avant  la 
cuisson  ;  aussi  ont-ils  constamment  un  bourrelet  au  point  de  jonc- 


Fig.   182.  —  Vase  funéraire  provenant      Fig.  183.  —  Vase  péruvien  représentant 
d'un  liuaca  du  Pérou.  un  homme  accroupi . 

tion.  La  forme  était  souvent  ovoïde  (fig.  1 76)  et  un  pied  spécial  était 
indispensable  pour  les  poser.  L'ornementation  présente  une  ori- 
ginalité particulière  ;  elle  est  moins  simple,  plus  contournée  que 
celle  des  poteries  mexicaines.  11  en  est  cependant  qui  sont  ornées 
de  grecques,  de  losanges,  de  chevrons,  de  spirales  ou  de  cercles 

(1)  Desjardins,  /.  c,  p.  171.  —  Wiener,  Pérou  et  Bolivie,  p.  620  et  s. 

(2)  Demmin,  Guide  de  l'amateur  de  faïences  ou  de  porcelaines.  3*  éd.  Paris,  1867. 
—  Barnard  Davis,  Anth.  Institute  of  Great  Britain,  april  1873. 

(3)  Bollaërt  dit  (/.  c,  p.  210)  que  la  poterie  était  cuite  au  soleil  et  que  l'usage  du 
four  était  inconnu.  C'est  là  une  erreur  évidente. 


444  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

concentriques  (fig,  174,  175,  182).  Le  Louvre  possède  une  pièce 
remarquable  d'origine  péruvienne,  malheureusement  enfouie  de- 


Fig.  184.  —  Vaso  péruvien.     Fig.  185.  —  Poterie  péruvienne  représentant  un  lama. 

puis  longues  années  dans  les  réserves  (1).  Les  ornements  témoi- 
gnent de  rapports  évidents  entre  l'art  grec  et  l'art  américain.  Ces 


.Fig.  186.  — Poterie  péruvienne. 

mêmes  réserves  renferment  une  autre  poterie  des  côtes  du  Paci- 


(1)  Demmin,  l.  c,  p.  1-34.  —  Birch,  Ancient  Pottertj,  t.  II,  p.  253. 


LE  PEROU. 


445 


fique,  dont  le  dessin  rappelle  Hercule  luttant  contre  un  poisson, 
sujet  si  fréquemment  reproduit  parles  Étrusques.  On  peut  \oir 
au  musée  ethnographique  de  Saint-Pétersbourg  une  figure  ac- 
croupie de  quarante  centimètres  environ  de  hauteur;  si  les  oreil- 
les, démesurément  grandes,  rappellent  les  Orejones,  la  tète  est 
surmontée  d'une  couronne  murale,  semblable  aux  couronnes  que 


Fig.  187.  —  Vase  trouvé  à  Cliimbote. 


portent  certaines  statues  antiques  (1).  Il  n'est  guère  de  collec- 
tion péruvienne,  publique  ou  privée  (2),  qui  ne  renferme  des  types 

(1)  Schôbel,  Antiquités  Américaines  du  Musée  Ethnographique  de  Saint-Péters- 
bourg. Cong.  des  Americ.  Nancy,  1875,  t.  II,  p.  273. 

(2)  La  collection  Macedo,  récemment  acquise  par  le  gouvernement  prussien,  renfer- 
mait de  nombreux  types  d'animaux.  Plusieurs  sont  reproduits  dans  la  Nouvelle  Revue 
d'Ethnographie  (1882,  n"  1)  qui,  sous  l'habile  direction  du  D'  Hamy,  est  appelée  à  ren- 
dre de  réels  services  à  la  science.  Notre  Musée  du  Louvre  possède  aussi  dans  ses  salles 


446  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTOHIQUE. 

se  rapprochant  curieusement  de  ceux  que  nous  pensions  jusqu'ici 
l'apanage  exclusif  de  l'ancien  continent.  11  faut  noter  ces  faits  ; 
peut-être  permettront-ils,  un  jour,  des  conclusions  qui  nous  sem- 
blent aujourd'hui  prématurées. 

De  nombre u>5es  poteries  figurent  des  hommes  (fig.  183, 184),  des 
animaux  dans  des  postures  familières  (fig.  185, 186),  un  lama,  par 
exemple,  mangeant  un  épi  de  maïs. 

Le  Peabody  Muséum  possède  cinquante  et  une  pièces  prove- 
nant de  la  collection  Agassiz,  parmi  elles,  plusieurs  représenta- 


Fig.  188.  —  Vase  en  terre  cuite 
trouvé  sous  un  huaca  auprès 
de  Santa. 


Fig.  189.  —  Silvador. 


lions  de  singes  et  trois  figures  humaines,  variant  de  1 3  à  17  pouces 
de  hauteur.  Deux  vases  trouvés  l'un  à  Chimbote  (fig.  190),  l'autre 
sous  un  huaca  auprès  de  Santa  (fig.  188)  sont  remarquables  ;  le 
premier  est  dû  aux  Chimus  et  remonte  aux  temps  de  la  domi- 
nation des  Incas,  car  les  oreilles  sont  distendues  par  un  ornement 
qui  date  de  cette  époque  ;  le  second  est  une  figure  humaine  en 
argile  rouge,  d'un  type  très  caractérisé. 

publiques,  une  collection  précieuse  de  figurines  d'hommes  et  d'animaux  (De  Longpéricr, 
Notice  des  monuments  exposés  dans  la  salle  des  Antiquités  Américaines,  n"'  658  et  s.). 


LE  PEROU- 


447 


Le  silvador  (fig.  189),  tel  est  le  nom  donné  à  une  pièce  conser- 
vée au  musée  du  Trocadéro,  mérite  une  mention  spéciale,  ne 
fût-ce  qu'à  raison  de  son  originalité.  Use  compose  de  deux  vases 
à  goulots  communiquant  entre  eux  (1).  Un  seul  des  goulots  est 


Fig.  190.  —  Poterie  peinte,  représentant  un  chasseur  de  Vigognes. 

libre   et  quand  on  y  verse    un  liquide,   l'air  comprimé    dans 
l'autre,  s'échappe  avec  un  sifflement  particulier  ;  par  une  habile 


(1)  J.  Bertillon,  Natwe,  10  juin  1882.  M.  Wiener  reproduit  un  certain  nombre  de 
silvadors  ;  ils  rappellent  les  nasiternes  étrusques,  mieux  encore  les  jarres  jumelles  qui 
se  fabriquent  aujourd'hui  encore  en  Kabylie. 


448  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

disposition,  les  sons  se  modifient  et  imitent  les  cris  des  divers 
animaux,  et  même  la  voii  humaine.    Sur  le  goulot  d'un  des 


Fig.  191  et  192.  —  Disques  destinés  à  servir  de  pendants  d'oreilles. 

vases,  dont  nous  donnons  la  gravure,  on  a  posé  une  petite  figure, 
d'une  assez  bonne  exécution,  qui  représente  un  homme  portant 


» 


LE  PÉROU.  449 

un  casse-tête,  l'arme   la   plus   redoutable   des   anciens  Péru- 
viens. 

Certaines  poteries  sont  ornées  de  sujets  d'une  exécution  en 
général  très  médiocre  ;  on  se  demande  même  si  le  chasseur  de 
vigognes  (fîg.  190)  n'est  pas  une  véritable  caricature.  Quelques- 
unes  de  ces  peintures  sont  certainement  symboliques,  mais 
leur  interprétation  est  purement  conjecturale;  d'autres  sont  des 
plus  obscènes  (1),  et  par  une  association  assez  étrange,  plusieurs 
d'entre  elles  ont  été  recueillies  sous  des  huacas,  mêlées  à  des 
ossements  humains. 

Comme  les  Mexicains,  les  Péruviens  façonnaient  en  terre 
cuite  des  instruments  de  musique,  des  flûtes  de  Pan  ou  des 
trompettes,  des  ornements  de  tout  genre,  surtout  ces  lourds 
disques  (fîg.  191,  192),  nous  ne  savons  quel  autre  nom  leur 
donner,  destinés  à  être  fixés  aux  oreilles  et  à  amener  par  leur 
poids  la  forme  bizarre,  imposée  aux  sujets  des  Incas. 

Nul  peuple  américain  n'a  surpassé  les  Péruviens  pour  la  Étoifes 
fabrication  des  étoffes.  Le  coton  qu'ils  cultivaient  dans  les 
vallées  chaudes  et  humides,  la  laine  des  lamas,  des  alpacas  ou 
des  vigognes  fournissaient  d'excellents  matériaux,  ils  connais- 
saient l'art  de  la  teinture  ;  souvent  l'étoffe  était  tissée  en  laine  de 
couleurs  différentes  et  l'on  obtenait  ainsi,  dans  la  trame,  les  dessins 
les  plus  variés  (fig.  193).  Les  toiles  de  coton,  en  général  d'une 
grande  finesse,  étaient  teintes  en  couleurs  diverses  et  les  ouvriers 
savaient,  par  des  combinaisons  d'ornements  ou  de  figures,  ob- 
tenir les  effets  les  plus  heureux.  Ils  se  servaient  pour  cela  de 
véritablesplanches  tantôt  en  écorce,  tantôt  en  terre  cuite  (fig.  194)  ; 
on  ajoutait  aussi  des  plumes  au  brillant  coloris,  nuancées  avec 
goût,  et  les  vêtements  des  Incas  ou  des  Curacas  excitèrent,  par 
leurs  reflets  chatoyants,  l'enthousiasme  des  premiers  chroni- 
queurs espagnols. 

BoUaërta  rapporté,  il  y  a  de  longues  années  déjà,  au  musée 
britannique,  d'intéressants  spécimens  des  étoffes  péruviennes. 

(1)  «  From  the  North  of  Peru,  I  hâve  seen  clay  figures  characterised  by  a  prurient 
indeceney.  »  Bollaërt,  /.  c,  p.  211. 

De  Nadaillac,  Amérique.  29 


450 


L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 


^d/^-^/^^ 


// 


^ 


®y ^     (^^       (C&S        /"e> 


Fig.  193.  —  Étoffe  péruvienne. 


LE  PEROU. 


45! 


On  peut  également  voir,  aux  musées  du  Louvre  et  du  Trocadéro^ 
des  fragments  remarquables  par  la  variété  des  combinaisons  et 
le  goût  naturel  des  ouvriers.  On  est  vraiment  frappé  du  résultat 
auquel  ils  avaient  su  arriver,  malgré  les  obstacles  que  devait 


Fig.  194.  —  Planche  pour  l'impression  des  étoffes. 


opposer  à  toute   industrie  le  régime  social  auquel  ils  étaient 
soumis. 

Les  riches  mines  du  Pérou,  celles  surtout  si  célèbres  de  Pasco, 
conservent  les  traces  d'anciennes  exploitations,  dont  il  est  diffi- 
cile de  préciser  l'époque.  Une  seule  chose  est  certaine  :  les  ou- 
vriers qui  travaillaient  les  métaux  précieux  avaient  acquis  cette 
habileté  que  le  temps  seul  peut  donner.  Bien  qu'un  nombre  con- 
sidérable d'objets  ait  disparu  dans  le  creuset,  il  reste  cependant 
encore  assez  de  bracelets,  d'épingles,  d'épiloirs,  de  vases  portant 
des  ornements  en  relief  (fig.  196),  pour  apprécier  le  talent  des  or- 
fèvres. Les  figurines  sont  plus  remarquables  encore,  ce  sont  des 
lézards,  des  serpents  (fig.  197),  des  singes,  des  oiseaux  avec  leurs 
plumes,  des  poissons  avec  leurs  écailles,  des  arbres  avec  leurs 


Métaux. 


432  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

feuilles,  modelés  tantôt  en  plein,  tantôt  en  creux.  L'artiste  ne 
reculait  même  pas  devant  la  représentation  de  scènes  complètes. 


Fig.  195.  —  Vase  en  argent  découvert  à  Cliirau. 

Nous  citerons  un  enfant  couché   dans  un   hamac,   sur  lequel 
va  s'élancer  un  serpent  enroulé  autour  d'un  arbre  et  un  homme 


Fig.  19G.  —  Serpent  en  argent. 


assis  entre  deux  femmes  (1).  Cette  dernière  scène  malheureuse- 
ment est  d'une  reproduction  impossible.  S'il  est  vrai,  comme  on 
l'a  prétendu,  que  les  Péruviens  ignoraient  l'art  du  fondeur,  le 
seul  procédé  connu  pour  la  fabrication  de  pièces  aussi  compli- 

(1)  Ce  groupe  faisait  partie  de  la  collection  de  M.  Squier  ;  il  pesait  49  onces,  soit 
environ  1510  grammes. 


LE  PEROU. 


453 


quées  était  ramalgamation  de  l'or  avec  le  mercure  (1).  Cette 
pâte  très  plastique  se  prêtait  facilement  au  modelage  ;  quand 
l'artiste  avait  terminé  son  œuvre,  il  volatilisait  le  mercure,  en 
l'exposant  à  un  feu  ardent  ;  l'or  seul  restait  et  il  suffisait  d'un 
simple  polissage  pour  amener  le  résultat  cherché.  Cieça  de 
Léon  (2)  rapporte  que  c'étaient  surtout  les  gens  de  Chimu  qui 
travaillaient  les  métaux,  et  il  ajoute  qu'après  la  soumission  du 
pays,  rinca-Yupanqui  emmena  à  Cuzco  les  meilleurs  ouvriers 
de  la  ville. 


Fig.  197.  —  Grains  de  collier  en  or,  en  argent,  en  terre  cuite,  en  pierre  dure,  en  verre. 


Mentionnons  encore  plusieurs  petites  pièces  rondes,  en  or,  en 
argent  ou  en  cuivre,  percées  d'un  trou  et  portant  sur  une  de 
leurs  faces  la  grossière  empreinte  soit  d'un  homme,  soit  d'un 

(1)  Le  mercure  est  fort  commun  dans  le  pays  et  les  Indiens  savent,  aujourd'hui  en- 
core, l'obtenir. 

(2)  Cieça  de  Léon,  un  des  compagnons  de  Pizarre,  resta  17  ans  au  Pérou.  Son  his- 
toire. Primera  parte  de  la  Chronica  del  Peru,  a  été  imprimée  à  Séville  en  1553,  à 
Anvers  en  1554. 


■454  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

animal.  Sont-co  des  monnaies?  Rien  ne  fait  supposer  que  ces 
hommes  eussent  créé  un  moyen  d'échange,  inutile  à  leurs  mo- 
destes besoins,  et  il  est  plus  probable  que  c'étaient  là  des  orne- 
ments semblables  à  ceux  en  or,  en  argent,  en  terre  cuite,  en 
verre,  en  pierre  dure  trouvés  sous  les  huacas  (fig.  197). 

Le  fer  paraît  toujours  avoir  été  inconnu  aux  Péruviens, 
comme  aux  autres  habitants  de  l'Amérique.  11  était  remplacé  par 
le  bronze  ou  le  cuivre  (1)  et  on  a  recueilli  en  quantités  considé- 
rables des  armes,  des  outils,  des  instruments,  des  ornements  (2) 
fabriqués  avec  l'un  ou  l'autre  de  ces  métaux.  Le  cuivre  était 
mélangé  de  cinq  à  dix  pour  cent  d'argent.  Etait-ce  bien  là  un 
alliage?  Ne  devons-nous  pas  y  voir  plutôt  le  produit  naturel  de  la 
mine  (3)  et  la  séparation  des  métaux  ne  dépassait-elle  pas  la 
science  métallurgique  des  anciens  habitants  du  Pérou? 

La  bêche,  le  ciseau  présentent  les  formes  qui  se  sont  conser- 
vées dans  le  pays  ;  les  celts  ressemblent  aux  celts  en  pierre  de 
l'Europe  ;  les  couteaux,  à  ceux  encore  en  usage  chez  nos  selliers. 
Quelquefois  les  outils  étaient  plus  grossiers  ;  Darwin  raconte  avoir 
vu  des  pierres  brutes  percées  d'un  trou  pour  recevoir  un  manche, 
servir  aux  habitants  du  Chili,  pour  labourer  ou  plutôt  pour  grat- 
ter la  terre. 

Les  armes,  en  général  des  plus  misérables,  étaient  des  pointes 
de  lance  (4),  de  javeline,  de  flèche,  des  casse-têtes  en  bronze. 
Comme  tous  les  peuples  primitifs,  les  habitants  de  l'Amérique 
du  Sud  avaient  su  de  bonne  heure  utiliser  la  pierre.  Auprès  des 
mines  de  Pasco  notamment,  il  a  été  recueilli  des  haches  ou  des 

(1)  Certains  écrivains  ont  prétendu  que  les  Péruviens  connaissaient  un  système  de 
trempe  qui  ajoutait  à  la  puissance  de  résistance  du  cuivre.  Aucun  des  objets  décou- 
verts jusqu'à  ce  jour  ne  justifie  cette  assertion. 

(2)  A  l'Exposition  de  Madrid,  ou  a  pu  voir  une  statuette  en  bronze,  haute  de  vingt 
centimètres,  représentant  un  homme  assis,  les  jambes  croisées  sur  une  tortue  et  appuyant 
ses  bras  sur  une  tablette,  où  est  tracée  une  inscription.  Or,  l'inscription  est  chinoise 
et  la  tortue  est  d'une  espèce  asiatique.  La  statuette  aurait  été  extraite  d'un  huaca  au 
pied  des  Andes. 

(3)  Nous  avons  cité  ce  même  fait  pour  le  cuivre  extrait  par  les  Mound-Builders  des 
mines  du  lac  Supérieur. 

(4)  Squier  possédait  dans  ses  collections  une  pointe  de  lance,  qui  ne  mesure  pas 
moins  de  vingt  pouces  de  longueur. 


LE  PEROU. 


ioo 


pointes  de  flèche  en  silex,-  en  obsidienne,  en  diorite,  en  basalte 
et  des  mortiers  en  pierre  semblables  à  ceux  de  la  Californie. 

Le  musée  du  Trocadéro  renferme 
plusieurs  bâtons  en  bois,  où  l'on  a  voulu 
voir,  par  un  rapprochement  assez  curieux 
avec  ceux  des  temps  néolithiques  de  nos 
régions,  les  insignes  du  rang  (1).  Nous 
en  reproduisons  un  (fig.  198)  d'un  travail 
intéressant  (2)  ;  sept  oiseaux  sont  sculptés 
le  long  du  bâton,  ils  semblent  grimper 
vers  le  sommet,  couronné  de  deux  autres 
oiseaux,  des  pélicans,  assure-t-on.  On 
peut  encore  citer,  comme  spécimen  du 
travail  du  bois,  un  siège  soutenu  par 
deux  pumas,  trouvé  à  Cuzco  (fig.  199),  et 
des  escabeaux  à  quatre  jambes,  taillés 
dans  une  seule  pièce  de  bois.  Ces  esca- 
beaux ont  figuré  à  l'exposition  de  Ma- 
drid ;  ils  rappellent  la  forme  des  sièges 
représentés  dans  les  pictographies  mexi- 
caines. Le  bois  servait  également  pour 
tous  les  objets  de  la  vie  usuelle.  On  con- 
naît, par  exemple,  plusieurs  modèles  de 
peignes  (fig.  200),  travaillés  avec  goût; 
ils  étaient  presque  toujours  placés  dans 
les  huacas,  auprès  des  morts. 

Il  reste,  pour  terminer  ce  qui  est 
relatif  aux  Péruviens,  à  raconter  les  Pin- 
tados,iei\  est  le  nom  donné  aux  gravures 
et  aux  sculptures  qui  se  rencontrent  si 


(0  II  est  remarquable  que  les  insignes  du  rang  ont 
constamment  eu  le  bâton  pourpoint  de  départ.  Telle 
est  l'origine  du  sceptre  des  rois,  de  la  crosse  des 
évêques,  du  bâton  des  maréchaux  de  France. 

{■l)  Nature,  10  juin  1882. 


LesPintados. 


Fig.  198.  —  Bâton  de  com- 
mandement. 


456  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

fréquemment  sur  les  roches  granitiquesdelachaînedes  Andes(l). 
Ce  sont  des  hommes,  dont  quelques-uns  atteignent  j usqu'à  30  pieds 


Fig.  199.  —  Siège  en  bois  de  maguoy  trouve  à  Cuzco. 

de  hauteur,  des  animaux,  des  chiens  et  des  lamas  principalement, 
des  plantes,  des  objets  inanimés.  Un  bloc  de  granit  de  douze  pieds 


^8SSl8588gSSgS8g5?g%8S!8ggaS8fig!%!%S?«^^ 


«S?S??SggS8%S!%!?!S8%!%S%!Sa%S!3*8a!3^^ 


^^^^88?^^^S^8?ggîg??a%^?!SKÏ 


{   t 


III    ' 


Fig.  200.  —  Peigne  péruvien. 


carrés  auprès  deMacaya,  connu  sous  le  nom  de  laPiedradel  Léon, 

(1)  Bollaërt,  l.  c,  p.  157.  —  Trans.  Ethn.  Soc.  of  London,  1857. 


LE  PEROU. 


457 


est  chargé  de  sculptures  très  anciennes.  Le  groupe  le  plus  im- 
portant représente  la  lutte  d'un  homme  et  d'un  puma  (1).  Sur 
un  autre  rocher,  il  est  également  facile  de  reconnaître  un 
puma.  Auprès  de  la  petite  ville  de  Nepen,  on  voit  un  serpent 
colossal  ;  à  Caldera,  à  une  faible  distance  d'Arequipa,  des  arbres 


ZZH 

! T 


i  D 

ri 


Fig.  201.  —  Pictographie  péruvienne.  Province  de  Tarapaca. 

et  des  fleurs.  Aux  Pintados  de  las  Rayas,  auprès  de  Noria,  ce 
ne  sont  plus  des  objets  animés,  mais  des  figures  géométriques, 
des  cercles  ou  des  parallélogrammes.  Dans  la  province  de  Tara- 
paca, des  surfaces  considérables  sont  couvertes,  non  seulement 
de  figures  d'hommes  et  d'animaux,  la  plupart  d'une  remarqua- 
ble exécution  (fig.  201),  mais  aussi  de  caractères  qui  paraissent 
écrits  verticalement.  Les  lignes  ont  de  12  à  18  pieds  de  longueur 
et  chaque  caractère  plusieurs  pouces  de  profondeur.  Auprès  de 
Huara,  on  cite  des  inscriptions  très  eflTacées,  et  entre  Mendoza  et 
la  Punta  (Chili),  un  grand  pilier,  où  l'on  a  voulu  voir  des  lettres 
offrant  quelque  ressemblance  avec  celles  de  lalphabet  chi- 
nois (2).  Tout  cela  est  bien  vague,  bien  incertain  et  ne  comporte 
guère  de  conclusion. 
Je  serais  disposé  à  accorder  plus  d'importance  aux  découvertes 


(1)  Bollaërt,  l.  c,  p.  102. 

(2)  Bollaërt,  /.  c,  p.  218. 


458  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

du  professeur  Liberani,  dans  la  vallée  de  Santa  Maria  (province 
de  Catamarca,  République  Argentine)  (1).  Il  décrit  des  figures 
animées,  évidemment  symboliques,  accompagnées  de  la  repro- 
duction d'objets  inanimés,  de  figures  géométriques,  de  lignes  de 
points  diversement  combinés.  On  trouve  les  mômes  signes,  et 
c'est  là  un  fait  digne  d'attention,  fréquemment  répétés  et  tou- 
jours dans  un  ordre  semblable.  Ne  sont-ce  point  là  des  signes 
phonétiques?  M.  Ameghino  n'en  veut  pas  douter  ;  il  voit  dans  ces 
inscriptions  un  système  complet  d'écriture,  composé  en  partie  de 
figures  et  de  caractères  symboliques,  en  partie  de  caractères  pu- 
rement phonétiques;  et  il  paraît  même  disposé  à  admettre  que 
ce  sont  là  les  restes  de  l'ancienne  écriture  péruvienne  ainsi  per- 
pétuée loin  des  lieux  où  elle  avait  pris  naissance.  Au  dire  de 
Montesinos  (2),  cette  écriture  avait  été  proscrite  par  Pachacuti  III, 
un  des  fabuleux  prédécesseurs  des  Incas  historiques  ;  il  fit  même 
brûler  un  amauta  pour  avoir  osé  enfreindre  ses  ordres  (3). 

Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'au  xvi°  siècle  les  Péruviens  ne 
connaissaient  aucun  système  d'écriture  soit  hiéroglyphique,  soit 
phonétique,  aucun  mode  de  numération.  Ils  se  servaient,  pour  les 
usages  ordinaires  de  la  vie,  de  quipos  (fig.  202),  cordelettes  de 
longueur  très  variable,  portant  un  certain  nombre  de  fils  atta- 
chés par  des  nœuds.  La  couleur  des  fils,  le  nombre  et  la  distance 
des  nœuds  avaient  une  signification  tantôt  historique,  tantôt  ma- 
thématique (4).  Garcilaso  rapporte  que  les  quipos,  qui  relataient 
l'histoire  des  Incas,  étaient  soigneusement  conservés  par  le  Quipo 

(1)  Ameghino,  La  Ânliguedad  del  Hombre,  t.  I,  p.  94. 

(2)  Mém.  hist.  sur  l'ancien  Pérou,  trad.  Franc,  coll.  Ternaux-Compans.  Paris,  1849. 

(3)  «  Uno  de  los  reyes  del  Peru  prohibio  en  efecto  su-uso  bajo  las  penas  mas  seve- 
ras,  y  uno  de  sus  subditos  que  algunos  anos  mas  tarde  se  propuso  inventar  un  ouevo 
sistema  de  escritura  lu  quemado  vivo.  »  Ameghino,  /.  c.  On  peut  consulter  du  même 
auteur  :  Inscripciones  ante  colomhianas  encoyitradits  en  la  republica  Argentina, 
in-8",  Bruxelles,  1880. 

(4)  Les  Chinois  avant  l'avènement  de  l'Empereur  Fo-Fli  (3300  ans  av.  J.-C.)  ne 
connaissaient  pas  l'écriture  et  se  servaient  eux  aussi  de  quipos.  On  trouve  dans  les 
écrits  do  Confucius  un  passage  qui  ne  peut  laisser  de  doutes  à  cet  égard  :  «  Les 
hommes  de  l'antiquité,  est-il  dit,  se  servaient  de  cordes  à  nœuds,  pour  donner  des 
ordres.  Ceux  qui  leur  succédèrent  leur  substituèrent  des  signes  ou  figures.  »  Saffray, 
Nature,  1876,  t.  II,  p.  405. 


LE  PEROU. 


459 


Camayol  (1).  Le  plus  grand  nombre  fut  détruit  par  quelques 
moines  fanatiques,  comme  des  monuments  d'idolâtrie  ;  mais 
leur  perte  n'est  pas  importante  pour  l'histoire,  puisqu'aucune 
tradition,  aucune  étude  n'ont  permis  d'interpréter  ceux  qui 
restent  (2).  C'était  au  moyen  de  ces  quipos,  que  les  Incas  trans- 


Fig.  202.  —  Fragment  de  quipo. 


mettaient  leurs  instructions  ;  sur  toutes  les  routes  qui  partaient 
de  la  capitale,  à  des  distances  régulières,  excédant  rarement  cinq 
miles,  s'élevaient  des  tambos,  destinés  aux  chasquis  ou  coureurs 

(  I  ;  Littéralement,  le  gardien  des  quipos. 

(2)  Les  Indiens  ont  conservé  longtemps  et  conservent  peut-être  encore  ce  mode  de 
correspondance  secrète.  Une  grande  révolte  contre  les  Espagnols  fut  organisée  en  1792. 
Elle  avait  été  préparée,  ainsi  qu'on  l'apprit  plus  tard,  par  des  messagers  portant  un 
morceau  de  bois  dans  lequel  étaient  renfermés  des  fils,  dont  les  extrémités  formaient 
des  franges  rouges,  noires,  bleues  ou  blanches.  Le  fil  noir  portait  quatre  nœuds  qui 
signifiaient  que  le  messager  était  parti  de  Valdura,  la  résidence  du  chef  de  la  cons- 
piration, quatre  joui-s  après  la  pleine  lune.  Le  fil  blanc  portait  dix  nœuds,  ce  qui  vou- 
lait dire  que  la  l'évolte  éclaterait  dix  jours  après  l'arrivée  de  Ce  messager.  La  personne 
à  qui  le  quipo  était  remis  devait  à  son  tour  faire  un  nœud  au  fil  rouge  s'il  acceptait 
de  se  joindre  aux  conjurés,  aux  fils  rouges  et  bleus,  si  au  contraire  il  s'y  refusait. 


460  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

qui  allaient  d'an  poste  à  l'autre.  Les  ordres  de  l'inca  étaient 
ainsi  connus  avec  une  inconcevable  rapidité;  ceux  qui  éma- 
naient directement  de  lui  étaient  marqués  d'un  fil  rouge  du 
llautu  royal  et  rien  n'égalait,  assurent  les  historiens,  le  respect 
avec  lequel  ces  messages  étaient  accueillis  (1). 

Ce  mode  si  imparfait  de  communication  présentait  de  bien 
autres  inconvénients,  quand  il  s'agissait  de  la  conservation  des 
faits  historiques,  de  leur  transmission  à  la  postérité.  Il  était  cer- 
tainement, à  ce  point  de  vue,  très  inférieur  aux  pictographies  des 
Mexicains,  au  système  hiéroglyphique  usité  dans  le  Yucatan  et 
dans  le  Chiapas  et  même  aux  grossières  représentations  des  Amé- 
ricains du  JNord;  il  offre  un  contraste  singulier  avec  les  progrès 
de  tout  genre  dont  les  Péruviens  ont  été  les  initiateurs. 

Nous  ne  saurions  terminer  ce  qui  concerne  le  Pérou,  sans  ré- 
péter l'admiration  qui  saisit  l'historien  et  le  philosophe  en  étu- 
diant l'organisation  si  curieuse,  la  civilisation  si  avancée  des  po- 
pulations qui  bravaient  le  dur  climat  des  Andes,  le  soleil  brûlant 
des  côtes  du  Pacifique.  Nous  reviendrons  sur  les  originesde  cette 
civilisation,  sur  les  rapports  qui  ont  pu  exister  entre  ces  peuples 
et  ceux  de  l'ancien  continent  ;  mais  avant  d'aborder  cette  question, 
il  faut  compléter  notre  travail,  par  l'étude  des  autres  populations 
de  l'Amérique  du  Sud. 
Leschibciias.  Sur  Ics  platcaux  montagneux  qui  forment  la  chaîne  des  Andes, 
par  4°  de  latitude  nord,  à  une  altitude  de  près  de  3000  mètres, 
vivaient  les  Chibchas  (2). 

Ils  étaient  de  race  forte  et  courageuse,  agricole  et  laborieuse, 
ayant  un  caractère  propre   et  une  civilisation  originale.  Isolés 

(1)  Prescott,  Hist.  ofthc  Conquest  of  Peru,  p.  29. 

(2j  Piedrahita,  Hist.  Gen.  de  la  Conquista  del  Nuevo  Reyno  de  Granada.  Madrid, 
1688.  —  Humboldt,  Voy.  aux  régions  équinoxiales  fait  dans  les  années  1799  et  1804. 
—  Vues  des  Cordillères  et  Monuments  des  peuples  indigènes  de  V Amérique.  Paris, 
1807  et  a.  s.  —  J.  Acosta,  Compendio  hist.  del  descubnmiento  y  colonisacion  de  la 
Nueva  Gra7iada,  Paris,  1848.  —  BoUaërt,  Ant.  Etlin.  ar.d  other  Researches  in  New 
Granada.  London,  1860.  —  Uricochœa,  Mem.  sobre  las  antiguedades  Neo  Granadi- 
nas.  Berlin,  s.  d.  —  Nature,  1877,  t.  I,  p.  359.  —  Isographia  fisica  y  politica  de  los 
Estados  Unidos  de  Colombia.  Bogota,  2  v.,  1862-3.  —  D"'  Saffray,  Voyage  à  la  Nou- 
velle Grenade,  Le  Tour  du  Monde,  t.  XXIV,  XXV  et  XXVI. 


LE  PÉROU.  461 

sur  Tétroit  espace  qui  formait  leur  patrie,  ils  avaient  toujours  su 
maintenir  leur  indépendance  contre  des  voisins  plus  puissants, 
dont  les  rapprochaient  leurs  mœurs,  leurs  usages,  leurs  arts  et 
leur  culte  (1).  Moins  avancés  peut-être  que  les  Aztecs  ou  les  Péru- 
viens, les  Chibchas  savaient  cependant  tracer  et  paver  des  routes, 
jeter,  comme  les  sujets  des  Incas,  des  ponts  suspendus  sur  des 
cours  d'eau,  bâtir  à  leurs  dieux  des  temples  à  colonnes,  sculp- 
ter des  statues,  graver  des  figures  sur  la  pierre,  tisser  et  teindre 
le  coton  ou  la  laine,  orner  les  étoffes  de  dessins  variés,  tra- 
vailler le  bois,  la  pierre,  les  métaux.  Leur  céramique  ressemblait 
àcelle  des  autres  peuples  de  l'Amérique  ;  leurs  vases  sont  formés, 
en  général,  de  trois  couches  superposées  ;  la  couche  centrale  est 
de  couleur  noire,  les  couches  internes  et  externes  sont  en  terre 
plus  fine,  et  de  couleur  plus  claire.  Les  ornements  des  Chibchas 
étaient  des  colliers  de  coquilles  qui  venaient  des  côtes  du  Paci- 
fique distantes  de  plus  de  deux  cents  lieues,  des  pendeloques  en 
pierre,  en  or,  en  argent ,  des  perles  et  des  émeraudes.  Leur  ri- 
chesse était  considérable  et  les  chroniqueurs  rapportent  que, 
dans  les  premiers  mois  qui  suivirent  la  conquête,  les  Conquista- 
dores recueillirent  un  butin,  dont  la  valeur  dépassait  trente  mil- 
lions de  notre  monnaie  (2).  Si  ce  chiffre  n'est  pas  exagéré,  il  serait 
véritablement  énorme  pour  le  temps  et  pour  le  pays. 

Nous  ne  savons  que  peu  de  choses  sur  ce  peuple,  que  l'on  re- 
garde comme  un  des  auteurs  de  l'antique  civilisation  de  l'Amé- 
rique du  Sud.  Sa  langue  elle-même  a  disparu  (3)  et  le  nom  sous 
lequel  nous  le  connaissons  remonte  aux  Espagnols  (4),  qui  l'ont 

(1)  Après  la  conquête  espagnole,  le  pays  des  Chibchas,  qui  ne  comprenait  guère 
qu'un  territoire  de  45  lieues  de  longueur  sur  12  à  15  lieues  de  largeur,  devint  la  pro- 
vince de  Cundinamarca  et  fut  compris  dans  la  vice-royauté  de  la  Nouvelle-Grenade. 
L'État  de  Cundinamarca  fait  partie,  depuis  1861,  de  la  Confédération  qui  a  pris  pour 
nom:  Les  États-Unis  de  la  Colombie. 

(•2)  Acosta,  /.  c,  p.  123,  126. 

(3)  M.  Uricœchea  a  publié,  en  1871,  une  grammaire  Chibcha.  Cette  langue,  nous  ap- 
prend-il, ne  peut  être  étudiée  aujourd'hui  que  dans  deux  autres  qui  ne  sont  proba- 
blement que  des  dialectes,  celle  des  Turievos,  peuple  qui  vit  au  nord  de  Bogota,  ou 
celle  des  Itocos,  qui  habitent  près  des  célèbres  mines  d'émeraudes  de  Muzo. 

(4)  Les  Chibchas,  croit-on,  s'appelaient  eux-mêmes  il/wiscas,  mot  qui  dans  leur  langue 
signifie  hommes.  , 


462  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

emprunté  à  Chibchachimi,  un  des  principaux  dieux  du  pays,  le 
protecteur  à  la  fois,  par  une  association  assez  étrange,  de  ceux 
qui  travaillaient  la  terre  et  de  ceux  qui  travaillaient  l'or.  Les  tra- 
ditions qui  concernent  les  Chibchas  sont  peu  importantes.  Ils  se 
disaient  autochtones,  nés  avant  que  la  lune  ne  fût  créée  (1),  sur 
le  plateau  même  où  s'élève  aujourd'hui  Santa  Fe  de  Bogota.  Ils 
erraient  nus,  sans  lois  et  sans  culture,  lorsqu'un  étranger,  Bo- 
chica,  vint,  de  régions  éloignées,  leur  apprendre  l'art  de  cons- 
truire des  maisons,  de  se  vêtir,  et  de  vivre  en  société.  Les  lé- 
gendes qui  se  rapportent  à  Bochica  ont  une  curieuse  analogie  avec 
celles  qui  concernent  Quetzacoatl  ou  Manco-Capac  et,  par  un  de 
ces  hasards  dont  l'histoire  offre  de  fréquents  exemples,  le  civi- 
lisateur de  la  Colombie  participe  à  la  fois  du  réformateur  du 
Bouddhisme  et  du  premier  Inca  du  Pérou. 

Outre  leurs  dieux  particuliers,  comme  Chibchachimi  ou  Nehm- 
quitiba,  les  Chibchas  adoraient  aussi  le  soleil  et  la  lune  ;  ils 
offraient  au  soleil,  mais  seulement  dans  de  rares  occasions, 
des  victimes  humaines.  Une  de  ces  occasions  était  le  renouvelle- 
ment de  chaque  cycle  de  quinze  ans,  qui  formait  la  base  de  leurs 
calculs  astronomiques  ;  par  une  cruauté  qui  s'accorde  peu  avec 
leurs  mœurs  habituelles,  la  victime  était  souvent  choisie  plusieurs 
années  à  l'avance  et  préparée  par  une  longue  initiation  à  la  mort 
qui  l'attendait.  Les  hautes  cimes  des  montagnes,  les  cours  d'eau, 
les  lacs  étaient  consacrés  à  leurs  divinités.  Parmi  les  lacs,  celui 
de  Quatavita  était  le  plus  vénéré  ;  on  rapporte  qu'au  moment  de 
la  conquête,  les  habitants  jetèrent  dans  ses  eaux  tous  leurs  tré- 
sors, pour  qu'ils  ne  devinssent  pas  la  proie  des  vainqueurs,  dont 
la  renommée  leur  avait  déjà  appris  toute  l'avidité.  Cette  légende, 
qui  ne  concorderait  guère  avec  le  récit  des  sommes  immenses 
que  les  Espagnols  tirèrent  de  la  Nouvelle-Grenade,  est  restée 
très  vivante.  A  plusieurs  reprises,  les  tapadas  ont  cherché  à  ex- 


(1)  La  légende  Chibcha  voulait  que  la  lune  fût  la  femme  de  Bochica  qui  personni- 
fiait le  soleil  ;  elle  faisait  autant  de  mal  aux  hommes  que  celui-ci  leur  faisait  de  bien. 
Bochica  irrité  la  condamna  à  éclairer  la  terre  durant  la  nuit.  Desjardins,  le  Pérou  avant 
la  conquête  espagnole,  p.  44  et  ICfâ. 


LE  PÉaOU.  463 

ploiterces  richesses;  mais  le  résultat  n'a  guère  réjDondu  aux  espé- 
rances des  explorateurs;  en  1562,  il  a  été  retiré  des  eaux  un 
alligator,  deux  singes  et  treize  batraciens  en  or  ;  des  tentatives 
plus  récentes  n'ont  donné  que  quelques  figurines,  sans  va- 
leur. 

Non  loin  de  Tunja,  dans  TEtat  de  Boyaca,  on  voit  encore  debout 
treize  colonnes  de  quatre  à  cinq  mètres  de  hauteur,  placées  en 
cercle  ;  un  peu  plus  loin  auprès  de  ruines  considérables,  se 
dressent  vingt-neuf  colonnes  moins  élevées  (1);  de  nombreuses 
pierres  taillées  et  chargées  d'ornements  sont  répandues  de  tous 
les  côtés,  sur  une  longueur  de  plus  de  deux  miles.  On  a  supposé 
que  c'était  la  ville  de  Sogomuxi  et  le  temple,  dont  les  colonnes 
sont  les  témoins,  serai!  celui  de  Nehmquitiba,  qui  fut  détruit 
par  Quesada. 

Quoique  appartenant  à  la  même  race,  les  Chibchas  ne  parais- 
sent point  avoir  formé  un  corps  de  nation  ;  les  uns  obéissaient  à 
un  prince,  appelé  Zippa,  qui  commandait  à  Bogota;  le  chef  de 
l'autre  fraction  portait  le  titre  de  Zoque  et  résidait  à  Hunsa,  au- 
joud'hui  Tunja.  L'autorité  de  ces  chefs  était  aussi  despotique  que 
celle  des  Incas,  et  nul  n'aurait  osé  enfreindre  leur  volonté.  Le 
Zippa  ne  pouvait  avoir  qu'une  femme  légitime  ;  mais  des  milliers 
de  concubines  [Thigiiyes]  le  consolaient  du  frein  qui  lui  était  im- 
posé. Aucun  des  fils  n'héritait  de  la  puissance  paternelle  ;  par 
une  coutume  qui  se  retrouve  encore  au  centre  de  l'Afrique,  elle 
se  transmettait  au  fils  aîné  de  la  sœur. 

Dès  que  le  Zippa  était  mort,  ses  viscères  étaient  enlevés  et 
remplacés  par  une  résine  odoriférante  ;  le  corps  était  ensuite 
placé  dans  un  cercueil  de  bois  de  palmier,  garni  intérieurement 
et  extérieurement  de  plaques  en  or.  Ce  cercueil  était  déposé  dans 
une  sépulture  tenue  secrète  ;  et  ce  secret  a  été  si  bien  gardé,  que, 
jusqu'à  ce  jour,  les  tombes,  objet  de  tant  de  convoitises,  n'ont  pu 
être  découvertes.  Tel  est  le  récit,  tout  empreint  de  leur  exagération 

(1)  Bul.  Soc.  Geog.,  1847.  —  Les  voyageurs  diffèrent  sur  le  nombre  de  colonnes  en- 
core debout.  Voy.  Saffray,  Viaje  a  Nueva  Granada.  —  Ameghino,  La  Antigiiednd  del 
Hombre,  t.  I,  p,  103. 


464  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

habituelle,  que  nous  empruntons  aux  écrivains  espagnols.  Il  est 
probable  que  la  grotte,  située  non  loin  de  Bogota  et  qui  a  livré 
une  ample  moisson  de  bijoux  en  or  et  en  argent,  ou  bien  celle  au- 
près de  Tunja,  oii  l'on  voyait  rangées  de  nombreuses  momies 
revêtues  de  riches  manteaux,  étaient  bien  les  lieux  consacrés  à 
la  sépulture  des  Zippas  et  des  Zoques.  On  enterrait  avec  ces  chefs 
leurs  armes,  leurs  vêtements,  les  insignes  de  leur  rang  et  même 
celles  de  leurs  concubines  qu'ils  avaient  préférées.  Dans  toutes 
les  tombes  sans  exception,  on  trouve  les  objets  de  la  vie  usuelle, 
les  outils  de  la  profession  et  des  vases  remplis  de  chicha.  Pour 
ces  hommes,  comme  en  général  pour  tous  les  peuples  de  l'Amé- 
rique, la  vie  nouvelle  qui  commençait  après  la  mort  continuait 
celle  qui  s'était  écoulée  sur  la  terre. 

Les  lois  des  Chibchas  n'étaient  guère  moins  sévères  que  celles 
des  Aztecs  ou  des  Péruviens.  Le  viol  et  l'homicide  étaient  punis 
de  mort  ;  le  voleur  subissait  la  peine  du  fouet.  Parfois  les  peines 
étaient  plus  originales  ;  celui  qui  montrait  de  la  lâcheté  à  la  guerre 
était  habillé  en  femme  et  astreint  à  des  travaux  féminins.  La 
femme  accusée  d'adultère  devait  avaler  une  certaine  quantité  de 
poivre  rouge;  si  elle  avouait  sa  faute,  elle  était  impitoyablement 
mise  à  mort;  si  elle  pouvait  résister  à  l'épreuve,  le  mari  devait 
lui  adresser  des  excuses  publiques. 

Ces  hommes  ne  possédaient  des  bestiaux  d'aucune  sorte  ;  ils  ne 
paraissent  même  pas  avoir  su  utiliser  les  lamas.  Leur  nourriture 
se  composait  du  miel  très  abondant  sur  les  pentes  des  montagnes, 
de  maïs  et  de  patates  qu'ils  obtenaient  en  cultivant  la  terre  avec 
des  outils  en  bois  et  en  l'arrosant  fréquemment,  au  moyen  des 
canaux  qu'ils  avaient  creusés.  Leurs  demeures  s'élevaient  au  mi- 
lieu d'enceintes  circulaires,  cercadas,  souvent  défendues  par  des 
postes  d'observation.  Elles  étaient  construites  en  bois  et  en  argile 
délayée  dans  de  l'eau  ;  le  toit  était  conique  et  couvert  de  nattes  en 
roseaux.  Les  ouvertures  étaient  fermées  par  des  joncs  entre- 
lacés. 

Tout  primitifs  que  peuvent  les  faire  paraître  leurs  habitations 
et  leur  mode  de  vie,  les  Chibchas  connaissaient  le  bronze,  le 


LE  PÉROU. 


465 


cuivre,  l'élain,  le  plomb,  l'or  et  l'argent  (1).  Ils  étaient  très 
habiles  à  se  servir  de  ces  métaux  et  leur  principale  occupation 
était  la  fabrication  d'objets  en  or  et  en  argent.  On  peut  voir  au 


Fig.  203.  —  Armes  et  bijoux  des  Cliibchas  (Masée  de  Saiut-Germain). 


Musée  de  Saint-Germain  d'intéressants  spécimens  de  l'art  chi- 
bcha  (fig.  201).  M.  Uricoechea  possède  une  collection  plus  remar- 
quable encore  ;  parmi  les  pièces  qui  la  composent,  il  faut  men- 

(l)  Le  fer  seul  leur  manquait;  il  en  était  de  même,  nous  l'avons  souvent  répété, 
dans  toute  l'Amérique. 

Db  Nad&illac,  Amérique.  30 


466  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

lionner  deux  masques  humains  en  or,  plus  grands  que  nature 
et  des  centaines  de  petites  figurines,  représentant  des  hommes, 
des  singes,  des  grenouilles.  Ces  dernières  figurines  abondent 
dans  toute  la  Nouvelle-Grenade  ;  nous  devons  supposer  que  la 
vénération  des  Muyscas  pour  les  cours  d'eau,  s'étendait  aux 
batraciens  qui  les  peuplaient. 

Les  Chibchas  paraissent  avoir  fait  un  grand  commerce  des 
divers  objets  qu'ils  fabriquaient;  ils  exportaient  aussi  chez 
leurs  voisins,  le  sel  de  mine  très  abondant  sur  leur  territoire  ;  en 
retour,  ils  recevaient  les  grains  que  la  pauvreté  de  leur  sol  ren- 
dait indispensables.  On  prétend  qu'ils  avaient  créé  une  mon- 
naie pour  faciliter  ces  échanges  et  c'est  à  cet  usage  qu'étaient 
destinés  certains  petits  disques  en  or,  d'une  forme  spéciale  ;  il 
est  plus  probable  qu'ils  étaient  des  ornements;  rien  de  ce  que 
nous  savons  de  l'état  social  des  peuples  du  sud  de  l'Amérique,  ne 
permet  de  croire  qu'ils  connussent  la  monnaie. 

Les  monuments,  à  l'exception  des  colonnes  dont  nous  avons 
parlé,  sont  rares  dans  le  pays  des  Chibchas  et  leur  énumération 
sera  rapide.  On  cite  une  pierre  vraisemblablement  destinée  à  des 
sacrifices  et  soutenue  par  des  cariatides,  un  jaguar  sculpté  à 
l'entrée  d'une  grotte  auprès  de  Neyba,  plus  loin  des  lamas  gigan- 
tesques. Humboldt  (1),  signale  entre  le  deuxième  et  le  quatrième 
parallèles,  à  l'entrée  du  pays  des  Muyscas,  des  rochers  de  granit 
ou  de  syénite  couverts  de  figures  colossales  de  crocodile  et  de 
tigre.  Ils  semblent  chargés  de  défendre  les  représentations  du 
soleil  et  de  la  lune  qui  les  accompagnent.  M.  Ameghino  parle 
aussi  des  hiéroglyphes  delà  Nouvelle-Grenade  (2)  et  peut-être 
faut-il  faire  remonter  à  ces  mêmes  hommes,  deux  colonnes  d'une 
grande  hauteur,  chargées  de  sculptures  et  situées  au  confluent 
du  Carare  et  du  Magdalena.  Elles  sont  l'objet  de  la  vénération 
superstitieuse  des  indigènes  (3). 

(1)  Humboldt,  Vices  des  Cordillères  et  Monuments  des  peuples  indigènes  de  l'Amé- 
rique. 

(2)  «  En  Nueva  Granada  las  inscrlpciones  geroglificas  se  encuentran  â  cado  paso.  » 
La  Ant.  del  Nombre,  t.  I,  p.  92. 

(3)  Zamora,  Hist.  de  la  Prov.  del  Nuevo  Reino  de  Granada. 


LE  PÉROU.  467 

Chaque  jour,  pour  ainsi  dire,  amène  des  faits  nouveaux  qui 
ajoutent  à  nos  connaissances.  Nous  ne  pouvons  omettre  les  cu- 
rieuses pictographies  récemment  découvertes  dans  les  vallées  de 
Bogota,  de  Tunga  et  de  Cauca  ;  elles  paraissent  une  carte  du  pays 
grossièrement  tracée,  où  l'on  peut  cependant  reconnaître  les 
pueblos  les  plus   rapprochés  (1). 

A  chaque  pas,  l'Amérique  du  Sud  montre  les  vestiges  d'une 
race  disparue,  d'une  civilisation  éclipsée  et  toujours  il  faut  arri- 
ver à  cette  même  conclusion,  notre  impuissance  absolue  à  dire 
l'origine  ou  la  décadence  de  ces  races,  représentées  aujourd'hui 
par  quelques  misérables  sauvages,  sans  passé,  comme  sans  avenir! 

Dans  nulle  région  du  globe,  la  nature  n'a  été  plus  prodigue  Le  Brésil. 
que  dans  les  pays  immenses,  qui  s'étendent  de  la  Guyane 
à  l'Uruguay,  de  l'Atlantique  (2)  aux  premiers  contreforts  des 
Andes,  et  qui  forment  l'empire  du  Brésil.  La  fertilité  du  sol, 
sous  la  double  influence  de  la  chaleur  et  de  l'humidité,  est 
admirable  ;  partout  croissent  les  essences  forestières  les  plus 
variées;  partout  poussent  à  l'envi  de  précieuses  plantes  médici- 
nales qui  ne  se  trouvent  sous  aucun  autre  climat,  des  végétaux 
utiles  à  l'alimentation  ou  à  l'agrément  de  l'homme,  des  fleurs 
au  coloris  le  plus  éclatant  (3).  La  faune  n'est  pas  moins  riche  que 
la  flore;  les  forêts  vierges,  dont  rien,  au  dire  des  voyageurs,  ne 
peut  dépeindre  la  magnificence,  sont  remplies  de  singes,  de 
félidés,  de  tapirs,  de  pécaris,  d'oiseaux  au  brillant  plumage.  L'a- 
bondance des  poissons  dans  les  fleuves  et  les  rivières  n'est  pas 
moins  remarquable    (4).   Le    pirarucu  (5)   que   les    indigènes 

(1)  Bastian,  Zeilschrift  der  Geselschaft  Erd  Kunde.  Berlin,  18T8. 

(2)  Le  littoral  brésilien  mesure 8, 500 kil.Macedo,  Chorographie  duBrésil.Leip.,iS'Z, 

(3)  Quinze  mille  espèces  végétales  propres  au  Brésil  ont  déjà  été  reconnues.  Agassiz, 
en  racontant  sa  mémorable  expédition  de  l'Amazone  entreprise  durant  les  années  1865 
et  1866  {Life  and  Explorations  in  Brazil.  London,  1868),  ajoutait  :  «  Un  empire  pourrait 
se  dire  riche,  s'il  possédait  seulement  une  des  sources  d'industrie  qui  abondent  dans 
cette  vallée  et  cependant  la  plus  grande  partie  de  ces  richesses  merveilleuses  périt  sur 
le  sol,  va  former  un  peu  de  limon,  ou  teint  les  eaux  sur  les  bords  desquelles  ces  pro- 
duits sans  nombre  se  perdent  et  se  décomposent.  » 

(4)  L'Ichtyologie  brésilienne  est  si  riche  que,  dans  son  exploration  de  l'Amazone, 
Agassiz  put  classer  trois  cents  espèces  nouvelles. 

(5)  Sudis  Gigas. 


468  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

prennent  avec  la  lance,  quand  il  paraît  à  la  surface  de  l'eau, 
et  la  tortue  suffiraient  seuls  à  la  nourriture  d'une  nombreuse 
population  ichtyophage  (1). 

La  barbarie  des  hommes  formait  un  étrange  contraste  avec  la 
richesse  de  la  nature.  Tandis  que  des  peuples  puissants,  indus- 
trieux, ayant  des  gouvernements  réguliers,  des  lois,  des  villes, 
toute  une  organisation  sociale,  prospéraient  sur  les  côtes  sablon- 
neuses du  Pacifique,  sur  les  plateaux  élevés  des  Andes,  à  des 
altitudes  oii  le  froid  et  la  famine  étaient  toujours  des  ennemis 
redoutables,  les  Portugais  ne  rencontraient,  au  milieu  des  fer- 
tiles contrées  du  Brésil,  qu'une  population  clairsemée  (2),  plon- 
gée dans  la  plus  triste  dégradation  et  où  le  cannibalisme  a  persisté 
jusqu'à  nos  jours  (3). 

Celte  population  indigène  appartenait  à  la  race  appelée  Gua- 
ranie  par  les  Espagnols,  Tupi  par  les  Portugais.  C'était  la  race 
la  plus  prolifique  de  l'Amérique  du  Sud  (4),  On  la  retrouve  aux 

(1)  Prince  Max  de  Neuwied,  Reise  nach  Brésilien,  3  v.  4°,  Francfort-sur-le-Mein, 
1820.  —  A.  de  Saint-Hilaire,  Voyage  dans  les  provinces  de  Rio  de  Janeiro  et  de  Minas 
Geraës.  —  F.  Denis,  Le  Brésil,  Univers  pittoresqwe.  Paris,  1837.  —  F.  de  Castelnau, 
Exp.  dans  les  parties  centrales  de  l'Amérique  du  Sud  de  1843  à  1847.  6  v.  8.  — A.  de 
Varnhagen,  Htst.  Gérai  do  B>'azil.  Madrid  et  Rio  de  Janeiro,  1855-7.  —  D' Th.  Waitz, 
Anthropologie  der  Naturvolker,  t.  III.  Leipzig,  1862.  —  C.  de  Martius,  Beitrage  zur 
Ethnographie  und  Sprachenkunde  Amerikas  zumal  Braziliens.  Leipzig,  1867-72.  — 
Marcoy  (Saint-Cricq\  Voyage  à  travers  V Amérique  du  Sud,  de  l'Océan  Pacifique  à 
l'Océan  Atlantique,  Paris,  1868.  —  R.  Burton,  Highlands  of  Brazil.  London,  1868.  — 
Hartt,  Geology  and  physical  Geography  of  Brazil.  Boston,  1870.  —  Pompeu  de 
Souza,  Compendio  de  Geographia  gérai  e  especial  do  Brazil.  —  Lacerda  et  Pexioto, 
Contribuçoes  arao  pestudo  anthropologico  das  Ragas  indigenas  do  Brazil,  Archivas 
do  Museu  Nacional  Rio  di  Janeiro. 

(2)  Varnhagen  estimait  à  un  million  environ,  le  nombre  des  indigènes  au  moment 
de  la  conquête  portugaise.  Les  différentes  tribus  restées  encore  sauvages,  peuvent  s'é- 
lever aujourd'hui  à  500,000  âmes.  Les  autres  se  sont  fondues  dans  les  populations  du 
pays.  Ce  sont  les  Capufos,  fils  de  nègres  et  d'Indiennes,  les  Mamelucos  ou  les  Curi- 
bocos,  fils  de  blancs  et  d'Indiennes,  les  Mulattos  fils  de  blancs  et  de  noirs.  Les  subdi- 
visions, à  mesure  que  les  générations  s'accroissent,  sont  infinies. 

(3)  Nous  avons  déjà  dit  que  tous,  hommes,  femmes  et  enfants,  erraient  dans  un  état 
de  complète  nudité  ;  dans  quelques  tribus  cependant,  on  trouve  des  tangas  en  terre 
cuite  couvi'ant  les  parties  sexuelles.  Ces  tangas  sont  en  argile  très  fine,  cuite  au  feu. 
Le  côté  concave  a  conservé  sa  couleur  naturelle,  le  côté  convexe  est  émaillé  avec  de 
l'argile  blanche  ;  sur  quelques-uns  d'entre  eux  on  a  figuré  un  visage.  Archives  du  Mus. 
Nat.  de  Rio  de  Janeiro,  1. 1. 

(4)  Les  Galibis,  que  l'on  rencontre  dans  la  Guyane  française,  appartiennent  à  une 


LE  PÉROU.  469 

Antilles,  dans  l'Uruguay,  dans  la  Guyane  et  jusque  dans  la 
Bolivie.  Les  Guaranis  étaient  d'une  nuance  moins  foncée  que 
les  Aymaras  ou  les  Qquichuas  ;  leur  conformation  était  plus  ro- 
buste et  plus  vigoureuse  ;  en  revanche,  leur  caractère  était  plus 
violent,  leur  intelligence  moins  ouverte,  moins  accessible  sur- 
tout au  progrès. 

Le  docteur  Crevaux  (1)  constatait  de  grandes  analogies  entre 
les  langues  de  la  Guyane,  de  la  Haute-Amazone,  des  Antilles  et 
celle  des  anciens  habitants  de  la  baie  de  Rio  de  Janeiro  ;  c'est 
une  preuve  considérable  à  l'appui  de  l'opinion,  qu'une  race 
unique  avait  peuplé  toutes  les  côtes  américaines  de  l'Atlan- 
tique (2).  Mais  cette  race  a  été  profondément  modifiée  par  des 
mélanges  ultérieurs  ou  antérieurs.  Quelques  peuplades  présen- 
tent un  type  asiatique  très  accusé  ;  leur  conformation  est  trapue 
et  ramassée;  leur  visage  aplati,  le  nez  écrasé,  les  pommettes 
saillantes  ;  les  yeux  sont  fendus  obliquement,  la  peau  est  de 
couleur  jaune,  la  barbe  peu  fournie,  les  cheveux  sont  noirs, 
longs  et  plats.  On  retrouve  aujourd'hui  ces  mêmes  caractères 
chez  les  Aïmorès  (3)  auxquels  les  Portugais  ont  donné  le  nom 
de  Botociidos  (4)  à  raison  de  l'immense  rondelle  de  bois  [botoqiie) 
qu'ils  ont  l'habitude  d'introduire  dans  une  fente  artificielle 
de  leur  lèvre  inférieure  (fig.  201). 

Ces  peuples  se  ramifiaient  en  tribus  innombrables,  qui,  malgré 

souche  probablement  alliée  aux  Tupis  et  qui,  selon  Martius,  a  donné  naissance  par  lo 
croisement  avec  les  peuples  conquis  des  Antilles,  à  la  redoutable  race  des  Caraïbes. 
D'Orbigny,  YHomme  américain,  t.  II,  p.  268.  —  M.  Girard  de  Rialle  a  fait  très  bien 
connaître  les  Galibis,  en  rendant  compte  de  la  présence  de  plusieurs  naturels  du  pays 
au  Jardin  d'Acclimatation  {Nature,  19  août  1882). 

(1)  Au  moment  même,  où  nous  écrivions  ces  lignes,  on  apprenait  que  le  D'  Crevaux 
avait  été  massacré  par  les  sauvages;  sa  mort  est  une  perte  très  grande  pour  la  science. 

(2)  Bul.  Soc.  Anth.,  1881,  p.  56i. 

(3)  Olfers,  Eschwege,  Journal  v.  Brésilien,  t.  Il,  p,  194.  —  Selon  MM.  Lacerda  et 
Peixoto  [Arch.  du  Mus.  Nut.  de  liio  de  Janeiro,  t.  I)  ce  seraient  les  Botocudos,  qui  se 
rapprocheraient  le  plus  de  la  race  primitive  du  Brésil. 

(4)  M.  Rey  décrit  le  crâne  des  Botocudos  comme  caractérisé  par  la  saillie  de  la  gla- 
belle et  des  arcades  sourcilières,  par  l'enfoncement  de  la  racine  du  nez,  l'absence  de 
bosses  frontales,  la  simplicité  des  sutures,  la  forme  globuleuse  de  l'occipital  et  par  la 
voûte  crânienne  en  forme  de  carène.  L'indice  cépbaiique  varie  entre  71,67  et  74,86.  — 
Bordier,  Bul.  Soc.  Anth.,  1881,  p.  566. 


470  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

une  origine  commune,  étaient  constamment  en  lutte  les  uns 
contre  les  autres.  A  côté  des  Tupis,  les  Portugais  rencontraient 
les  Tapuyas  et  les  Tupinambas  (1)  qui  dominaient  toute  la  côte, 
depuis  l'île  Saint- Vincent,  jusqu'à  l'île  de  Maranhâo,  d'autres 
encore,  dont  l'énumération  ne  serait  de  nul  intérêt.  Etaient-ce  là 
lesplusanciennespopulations  du  Brésil;  celles,  par  exemple,  dont 


Fig.  204.  —  Botocudo. 

les  ossements  ont  été  retrouves  dans  les  cavernes  de  la  province 
de  Minas-Geraës?  Il  est  permis  d'en  douter,  et  bien  que  le  type  des 
hommes  du  Lagoa-Santa  se  rencontre  encore  au  moment  de  l'in- 
vasion européenne  (2),  tout  semblé  prouver  que  les  barbares 
Guaranis  avaient  eu,  soit  comme  prédécesseurs,  soit  comme  con- 
temporains, une  race  plus  civilisée.  Si  nous  admettons  cette 
dernière  hypothèse,  ce  serait  à  cette  race  inconnue  qu'il  faudrait 
attribuer  les  rares  mégalithes  et  surtout  les  peintures  et  les  gra- 
vures sur  roche,  que  l'on  rencontre  si  fréquemment  au  Brésil. 
Herkman,  envoyé  dans  l'intérieur  de  la  province  de  Pernam- 
buco  par  le  prince  de  Nassau-Siegen,  durant  la  domination 
hollandaise,  signalait  deux  pierres  parfaitement  rondes,  dont  la 
plus  grande  mesurait  seize  pieds  de  diamètre,  placées  l'une  sur 

(1)  Ce  sont  les  Topinambours  des  anciens  écrivains  français. 

(2)  De  Quatrefagcs,  Co?îg'.  Anth.  de  Moscou,  1877. 


LE  PÉROU.  ^471 

l'autre  (1).  C'était  là  une  de  ces  constructions,  qui  marquent 
l'enfance  de  Tart  dans  toutes  les  sociétés.  On  a  prétendu  y  voir  un 
autel,  à  raison  des  pierres  accumulées  tout  autour,  qui,  selon 
une  coutume  presque  universelle,  témoignent  de  la  vénération 
des  indigènes.  Sur  plusieurs  points  de  l'intérieur  du  pays,  les 
explorateurs  ont  rencontré  des  tumuli  tantôt  en  pierres,  tantôt 
en  terre.  Dans  tous,  les  fouilles  ont  donné  des  ossements  et  avec 
ces  ossements,  des  armes,  des  ornements  en  silex  ou  en  roches 
dures,  des  morceaux  de  cristal,  de  corail  ou  de  racine  de 
jutah  (2). 

Les  solitudes  du  Para  et  du  Piauhy  renferment  des  sculptures   Les  Pedras- 

''  ^  Pintadas  ou 

en  creux,  dues  à  des  populations  disparues  !  Ce  sont  des  animaux,  ^''^^fg*''' 
des  oiseaux,  des  hommes  dans  les  attitudes  les  plus  variées  ; 
parmi  ces  derniers,  les  uns  ont  le  corps  tatoué,  les  autres  sont 
couronnés  de  plumes  ;  des  arabesques  et  des  enroulements,  com- 
plètent la  scène  (3).  M.  Philippe  Rey  signale  à  la  Sierra  da  Onça, 
sur  les  rochers  qui  dominent  la  rive  droite  du  Rio  Doce,  des 
dessins  tracés  à  l'ocre  rouge,  tantôt  isolés,  tantôt  groupés  sans 
ordre  apparent  (fîg.  202).  Est-ce  là  une  inscription  et  devons-nous 
attribuer  à  ces  dessins  une  autre  signification  que  celle  du  ca- 
price de  l'artiste?  Nous  n'oserions  le  dire;  toute  interprétation 
paraît  impossible  (4).  Dans  la  province  de  Ceara,  des  rochers 
rappellent  par  les  gravures  dont  ils  sont  couverts,  ceux  de 
la  Scandinavie  (fig.  203)  ;  M.  A.  de  Saint-Hilaire  en  cite  de  sem- 
blables sur  les  rochers  de  Tijuco;  M.  Koster  parle  d'une  barque 
sculptée  en  creux  (5)  et  tout  permet  d'espérer  de  nouvelles  dé- 
couvertes à  mesure  que  les  voyageurs  pourront  pénétrer  plus 
librement  dans  les  forêts  vierges,  les  savanes  et  les  déserts  qui 
couvrent  la  plus  grande  partie  du  territoire  brésilien. 

Au  nord,  la  zone  des  Pedras  Pintadas,  tel  est  le  nom  qu'on 

(1)  F.  Denis,  Le  Brésil,  p.  25?. 

(2)  Hymencea cuiùarii.  —  C.  Rath,  Revista do  Instxtuto historico, geographico, ethno- 
graphico  do  Brazil,  1871,  2*  trim. 

(3)  Debret,  Voy.  pitt.  et  hist.  au  Brésil  depuis  tSl6  jusqu'en  1831.  Paris,  1839. 

(4)  Bul.  Soc.  Anth.,  1879,  p.  732. 

(5)  Voyage  dans  la  partie  septentrionale  du  Brésil  depuis  1809  jusqu'en  1815. 


*72  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

leur  donne,  s'étend  dans  les  Guyancs,  des  monts  Paracaïma  à 
Uruana.  Ces  dessins,  selon  M.  de  Humboldt,  datent  d'époques 
différentes  et  sont  dus  à  des  populations  très  diverses.  Mais 
quelles  sont  ces  populations?  L'illustre  voyageur  allemand  n'a- 
joute rien  qui  puisse  les  faire  connaître.  Ces  Pedras  pintadas  se 
rencontrent  au  sud  comme  au  nord,  au  Chili  et  au  Pérou, 
comme  dans  l'Arizona  et  le  Nouveau-Mexique  ;  partout  elles  pré- 


if\^' 


-:2s 


J^Lx^ 


/^ 


L 


^t^ 


Fig.  205.  —  Gravures  sur  roche  sur  la  rive  droite  du  Rio-Doce. 

sentent  une  analogie  remarquable.  Cette  constante  disposition, 
qui  ne  se  rencontre  au  même  degré,  chez  aucune  des  autres 
populations  du  globe,  est  un  caractère  de  race  difficile  à  mécon- 
naître. M.  Ameghino  reproduit  un  grand  nombre  d'inscriptions 
qu'il  a  découvertes  sur  le  territoire  de  la  République  Argentine  et 
qui  se  peuvent  comparer  à  celles  du  Brésil  (1);  elles  paraissent 

(1)  «  Puro  los  objetos  mas  notables,  crco  son  las  numerosas  inscripciones  sobre  ro- 


LE  PEROU. 


473 


plus  compliquées,  comme  on  peut  le  voir  par  celle  que  nous 
reproduisons  (fig.  204);  elles  montrent  un  art  plus  développé 


Fig.  206.  —  Inscription  sur  pierre  à  Coara. 

et    doivent    sans    doute    dater    d'une    époque    plus    récente. 
11   est   impossible   d'attribuer   les    dessins   du   Brésil  ou   de 


Fig.  207.  —  Rocher  couvert  de  gravures  (Province  de  Catamarcal. 

l'Uruguay,  aux  tribus  de  race  guaranie  ;  rien  ne  permet  de 

cas  que  han  descubierto   en  diverses  puntos  de  la  provincia.  »  La  Antiguedad  del 
Hombre,  t.  I,  p.  541,  fig.  353  à  364. 


474  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

supposer,  que  des  sauvages  aussi  dégradés  qu'on  nous  les  dé- 
peint, aient  eu  Tintelligence  et  la  volonté  nécessaires,  pour 
retracer  sur  la  pierre,  les  objets  qui  frappaient  leur  imagina- 
tion. La  même  observation  s'applique  avec  plus  de  force  à  un 
souterrain  d'une  longueur  considérable,  excavé  dans  un  grès 
compact  et  que  des  explorations  ont  mis  au  jour  dans  ces  der- 
nières années. 

En  pénétrant  dans  ce  souterrain,  el  Palacio,  tel  est  le  nom 
qui  lui  a  été  donné,  on  est  surpris  à  la  vue  de  colonnes  pla- 
cées à  des  distances  régulières,  supportant  de  véritables  voûtes 
et  convergeant  toutes  vers  un  centre  commun  (1).  Les  fouilles 
très  superficielles  exécutées  jusqu'à  présent  n'ont  donné  que 
quelques  pointes  en  agate;  or,  le  gisement  d'agate  le  plus  rap- 
proché se  trouve  sur  les  bords  du  Rio-Negro  ;  ce  serait  donc 
de  là,  que  ces  pointes  de  flèche  auraient  été  apportées.  Aucune 
tradition  sérieuse  ne  se  rattache  à  ces  constructions,  nous  nous 
bornons  à  les  mentionner,  en  ajoutant  que  notre  ignorance  est 
complète  sur  l'époque  à  laquelle  elles  peuvent  remonter,  et  sur 
les  hommes  à  qui  elles  sont  dues. 
Poterie.  Nous  cn  dirous  autant  pour  les  poteries  recueillies  en  grand 

nombre  au  Brésil  et  à  La  Plata.  Les  plus  importantes  de  ces 
découvertes  sont  celles  faites  par  le  professeur  Hartt  (2).  Sur 
l'île  de  Pacoval-Marajo  et  à  Taperinha  sur  le  Rio-Tapajos  (3). 
Elles  permettent  de  juger  de  la  forme  et  de  l'ornementation 
des  objets;  cette  dernière  consiste  principalement  en  lignes  assez 
compliquées,  tracées  tantôt  sur  l'argile  molle,  tantôt  sur  l'argile 
déjà  durcie  au  soleil.  D'autres  fois  les  vases  étaient  peints  ;  on 
cite  notamment  des  coupes  en  forme  d'oiseaux,  aux  couleurs  les 
plus  brillantes.  Les  anses  présentent  une  variété  non  moins 
curieuse  ;  elles  imitent  soit  des  animaux,  soit  les  diverses  par- 
lies  du  corps  humain,  plus  souvent  encore  des  têtes  grotesques  : 

(1)  Mario  Isola,  Caverna  conocida  por  palacio  suterreano  de  Povongo9  dép.  de  San 
José  (R.  0.  del  U.).  —  Ameghino,  /.  c,  p.  461.  —  El  Siglo  de  Montevideo. 
12)  Report  Peabody  Muséum,  1873,  p.  20. 
(3)  Un  des  affluents  de  l'Amazone. 


LE  PÉROU.  475 

rimagination  ne  faisait  assurément  pas  défaut  à  ces  potiers  in- 
connus. Une  urne  de  deux  pieds  et  demi  de  hauteur  sur  quatre 
pieds  de  diamètre,  imitation  assez  grossière  du  corps  de  l'homme 
est  le  plus  remarquable  des  objets  transmis  par  M.  Hartt  au  Pea- 
body  Muséum.  11  a  été  trouvé  un  certain  nombre  d'urnes  sem- 
blables (i),  dont  quelques-unes  renfermaient  des  ossements  hu- 
mains. Elles  doivent  remonter  à  des  temps  éloignés  ;  rien  de 
ce  que  nous  savons  du  genre  de  vie  des  Tupis  et  en  particulier 
de  leurs  rites  funéraires,  ne  permet  de  les  leur  attribuer. 

Des  fragments  de  poterie  ont  aussi  été  trouvés  sous  un 
kjôkkenmodding  auprès  de  Santarem  (province  de  Para)  ; 
M.  Hartt  date  ce  kjôkkenmodding  exclusivement  formé  de 
mollusques  d'eau  douce,  de  la  même  époque  que  les  plus  anciens 
amas  de  la  Floride.  Les  tessons  étaient  accompagnés  d'osse- 
ments d'animaux  divers  ;  ces  ossements,  renfermés  dans  une 
brèche  compacte,  auraient  pu  fournir  quelques  indications  uti- 
les; malheureusement  ils  n'ont  pas  été  décrits,  ou  du  moins  leur 
description  n'est  point  parvenue  en  Europe. 

M.  Barboso  Rodriguez,  chargé  par  le  gouvernement  brési- 
lien, d'explorer  la  vallée  de  l'Amazone,  raconte  les  innombra- 
bles tessons  de  poterie  amoncelés  à  dix-huit  miles  en  amont  du 
confluent  du  Rio  das  Trombettas  (2)  et  de  l'Amazone  (3).  Il  dé- 
couvrit aussi  dans  cette  expédition,  plusieurs  exemplaires  d'un 
idole  en  pierre,  appelée  Muirakitan.  Elle  représente  un  crapaud 
ou  une  grenouille  sculptés  sur  des  roches  dures.  La  tradition 
veut  que  ce  fussent  là  les  amulettes  données  par  les  Amazones, 
à  leurs  amants,  lorsqu'elles  se  rendaient  chaque  année  au- 
près d'eux,  sur  les  bords  du  Yamunda.  De  semblables  imitations 
de  batraciens  se  trouvent  au  Mexique,  au  Pérou  et  nous  avons 
dit  l'idée  superstitieuse  qu'y  attachaient  les  Chibchas.  Quant  à  la 
fable  des  Amazones,  elle  remonte  au  récit  d'Orillana,  un  des 

(1)  M.  Hartt  les  appelle  des  Face  Vrns. 

(2)  Le  Rio  das  Trombettas  est  aussi  appelé  l'Orixamena  ;  son  cours  est  sur  la  rive 
gauche  de  l'Amazone. 

(.3)  H.  Fischer,  Sur  l'origine  des  pierres  dites  d'Amazone  et  sur  ce  peuple  fabuleux. 
Mat.,  1880,  p.  127. 


476  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

compagnons  de  Pizarre ,  qui  descendit  le  fleuve  durant  les 
années  1539  et  1540,  et  qui  de  retour  en  Espagne,  raconta  les 
combats  qu'il  avait  eu  à  soutenir  contre  des  femmes  aussi  bel- 
liqueuses que  des  hommes;  ses  adversaires  étaient  probablement 
les  Uaupès,  Indiens  sveltes,  imberbes,  aux  extrémités  fines,  aux 
traits  féminins  et  leurs  femmes  n'étaient  que  les  témoins  du 
combat  auquel  elles  ne  prenaient  qu'une  part  indirecte. 

11  faut  enfin,  pour  terminer  tout  ce  qui  concerne  les  poteries 
de  l'Amérique  du  Sud,  parler  des  urnes  trouvées  dans  les  îles 
situées  au  nord  de  Buenos-A^res,  vers  l'embouchure  du  Pa- 
rana  (1).  Ces  urnes  sont  en  argile  plastique  noire,  ayant  subi 
une  cuisson  très  superficielle  ;  elles  tombent  en  fragments  dès 
qu'elles  sont  déterrées  (2).  L'une  d'elles  a  pu  être  conservée  à 
grand'peine  ;  elle  mesure  plus  de  18  pouces  de  hauteur,  sur  un 
diamètre  de  près  de  23  pouces.  Sa  forme  est  circulaire  et  par- 
faitement régulière;  la  partie  supérieure  s'infléchit  rapidement, 
de  manière  à  former  une  espèce  de  col  de  2  pouces  de  hauteur 
et  présentant  une  large  ouverture.  Le  vase  était  peint  en  blanc, 
et  orné  de  lignes,  de  cercles,  de  carrés,  peints  en  rouge.  Ces 
décorations  varient  à  l'infini  ;  et  un  grand  nombre  de  poteries 
portent  des  ornements  modelés  en  relief  dans  la  pâte.  Chaque 
urne  renfermait  un  squelette  assis,  la  lête  inclinée  sur  la  poi- 
trine, les  genoux  relevés  vers  le  menton.  Tous  les  ossements 
étaient  tellement  décomposés  par  les  inondations  fréquentes  du 
cimetière,  qu'il  fut  impossible  de  les  étudier.  On  signale  dans  la 
province  de  Tucuman,  des  urnes  semblables,  renfermant  égale- 
ment des  squelettes  ;  dans  celle  de  la  Rioja  les  corps  étaient  placés 
dans  une  position  analogue,  mais  cette  fois  dans  des  corbeilles 
de  jonc.  Les  vases  ou  les  corbeilles  étaient  déposés  dans  des  grottes 
naturelles  ou  artificielles.  Nous  sommes  en  présence  d'un  rite 
funéraire  bien  caractérisé. 

Nous  avons  tenu  à  n'omettre  aucune  de  ces  découvertes.  Ces 

(1)  Burmeister,  Congrès  d'Anthropologie  et  d'Archéologie  préhistoriques.  Bruxelles, 
1872,  p.  348. 

(2)  L'épaisseur  des  fragments  recueillis  varie  d'un  pouce  à  un  quart  de  pouce. 


LE  PÉaOU.  477 

sculptures,  ces  peintures,  ces  poteries  trouvées  sur  des  points 
situés  à  des  distances  considérables,  témoignent  assurément  de 
races  plus  civilisées  que  celles  rencontrées  par  les  premiers 
Européens  qui  abordèrent  sur  les  côtes  américaines.  Il  a  été 
fréquemment  recueilli  au  Brésil  et  dans  l'Uruguay  des  haches, 
des  armes,  des  outils  de  toute  sorte,  en  pierre.  On  apportait 
récemment  à  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris  (1),  de  sem- 
blables outils  trouvés  dans  des  gisements  aurifères  de  la  pro- 
vince de  Maranhâo  (2).  Ils  sont,  disait  à  cette  occasion  le 
D""  Hamy,  analogues  à  ceux  qui  nous  viennent  de  la  Guyane, 
de  la  Martinique,  de  la  Guadeloupe,  de  Haïti  et  du  Haut-Pérou; 
ils  plaident  en  faveur  de  l'affinité  du  groupe  Guarani  avec  les 
races  qui  habitaient  les  Antilles.  Pour  les  indigènes,  ces  pierres 
de  formes  diverses  qu'ils  regardent  avec  une  terreur  supersti- 
tieuse, sont  toutes  tombées  du  ciel.  Il  est  intéressant  de  retrouver 
en  Amérique  cette  légende  répandue  chez  toutes  les  nations  de 
l'ancien   continent  (3). 

Ici  se  termine  notre  tâche  archéologique  (4).  Nous  avons  ré- 
sumé les  œuvres  de  l'homme  si  nombreuses  dans  les  deux  Amé- 
riques ;  il  nous  faut  maintenant  étudier  cet  homme  lui-même 
dans  sa  conformation  physique  ;  ce  sera  l'objet  du  chapitre 
suivant. 


(1)  Bul.  Soc.  Anth.,  1881,  p.  206. 

(2)  Province  située  sur  la  côte  N.-E.  du  Brésil. 

(3)  Les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  Préhistoriques,  t.  I,  p.  11. 

(4)  M.  Barboso  Rodriguez  aurait  récemment  trouvé,  écrivait  l'Empereur  du  Brésil  à 
M.  de  Quatrefages,  une  hache  en  jadéite  ;  ce  serait  là  un  fait  remarquable,  puisqu'aucuu 
gisement  de  jadéite  n'est  connu  en  Amérique. 


CHAPITRE   IX 

LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE. 


Dans  les  chapitres  précédents,  nous  avons  dit  tout  ce  qu'il  était 
actuellement  possible  de  savoir  sur  les  temps  qui  ont  précédé  en 
Amérique  l'invasion  espagnole.  Nous  avons  vu  les  premiers  ha- 
bitants du  nouveau  continent  passant  successivement  par  les 
phases  d'une  civilisation  analogue  à  celle  de  nos  ancêtres,  luttant 
avec  d'humbles  silex  contre  les  animaux  gigantesques  à  jamais 
disparus,  exécutant  des  terrassements  immenses  pour  défendre 
leurs  foyers,  pour  honorer  leurs  dieux  ou  leurs  morts,  gravissant 
des  rochers  presque  inaccessibles,  pour  y  placer  leurs  demeures, 
fondant  des  villes,  élevant  de's  monuments,  cultivant  les  arts,  éta- 
blissant des  gouvernements,  obéissant  à  des  lois  régulières.  Il 
faut  maintenant  étudier  ces  hommes  au  point  de  vue  de  leur 
conformation  physique  ;  chercher  les  conséquences  qui  découlent 
de  ces  études  et  les  conclusions  encore  bien  incomplètes  qu'elles 
permettent. 

Parcourons  à  nouveau  les  régions  où  nous  avons  constaté  les 
reliques  ou  les  souvenirs  de  l'homme  ;  demandons  aux  sables  des 
pampas,  aux  mounds  du  Mississipi,  aux  huacas  du  Pérou,  aux 
huttes  des  Esquimaux  les  ossements  qu'ils  recèlent.  Rien  de  ce 
qui  touche  à  ces  questions,  ne  saurait  être  indifférent  au  penseur. 
Ces  hommes,  dont  quelques  misérables  débris  restent  les  derniers 
témoins,  ont  vécu,  ont  aimé,  ont  lutté  et  souffert  comme   nous. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  479 

Leur  vie  a  été  la  vie  de  nos  pères;  leur  passé,  le  passé  de  notre 
propre  race  ;  leurs  instincts,  leurs  aspirations,  leurs  conceptions 
sont  nos  instincts,  nos  aspirations,  nos  conceptions. 

Malheureusement  ces  ossements,  dont  autrefois  on  ne  soupçon- 
nait guère  l'importance,  n'ont  pas  toujours  été  conservés  avec  le 
soin  désirable  ;  les  fouilles  entreprises,  soit  dans  un  but  de  curio- 
sité, soit  pour  chercher  des  trésors,  que  la  crédulité  et  l'avarice 
se  disputaient  à  l'envi,  n'ont  été  ni  méthodiquement  dirigées,  ni 
surveillées  par  des  hommes  compétents  ;  de  là  des  causes  nom- 
breuses d'erreur,  dont  il  faut  tout  d'abord  prévenir  le  lecteur. 

Parmi  les  plus  anciens  débris  humains,  découverts  sur  la  terre  cràne  prégla- 
ciaire. 

d'Amérique,  nous  devons  sans  doute  ranger  un  crâne  que  les 
travaux  d'une  voie  ferrée  ont  mis  au  jour,  auprès  de  Denver,  à 
trois  pieds  et  demi  de  la  surface  du  sol  (1).  11  gisait  dans  un  loess 
qui  paraît  n'avoir  subi  aucun  remaniement,  ce  loess  couvre  des 
plaines  immenses  et  offre  une  ressemblance  frappante  avec  les 
dépôts  glaciaires  de  l'Europe.  Nous  avons  déjà  dit  (2)  qu'il 
avait  livré  de  nombreux  instruments  d'une  fabrication  très  ana 
logue  à  celle  de  nos  instruments  paléolithiques.  Tout  permet 
de  supposer  que  le  cràne  remonte  à  la  même  époque  ;  mais  nous 
n'avons  aucun  détail  sur  sa  conformation  et  s'il  peut  prouver 
l'existence  de  l'homme  sur  le  sol  de  l'Amérique  dès  l'époque 
glaciaire,  il  ne  nous  dit  pas  quel  était  cet  homme  qui  vivait  au 
milieu  des  glaciers,  qui  combattait  le  mastodonte  et  le  mega- 
therium,  ses  redoutables  rivaux  dans  la  lutte  pour  la  vie. 

Nous  avons  raconté  les   découvertes  si  curieuses  de  M.  Ame-     squelette 

trouvé  dans 

ehmo  dans  les  pampas  de  la  Plata  (8)  ;  des  découvertes  nouvelles    le*  Pampas 

^  .  ,  ^,  .^  ^    ^  de    la  Plata. 

venaient,  l'année  dernière,  les  compléter  et  les  affirmer  (4). 

Tout  le  pays  entre  Buenos-Ayres  etRosario,  le  long  du  Parana, 
est  une  vaste  plaine  ondulée,   d'une  superficie  d'environ  cinq 

(1)  Ch.  Abbott,  The  l'aleolithic  Implements  from  the  Glacial  Drift  in  the  Valley  of 
the  Delaware  near  Trenton  {New  Jersey).  Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  II,  p.  257. 
(2)Chap.  I,  p.  19. 

(3)  Chap.  I,  p.  28. 

(4)  C.  Vogt,  Squelette  humain  associé  aux  ghjptodontes.  Bul.  Soc.  Anth.,  20  oct. 
1881, 


480  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

mille  lieues  carrées.  La  formation  pampéenne  se  trouve  au-des- 
sous d'une  première  couche  de  terre  végétale  d'une  puissance 
moyenne  d'un  mètre;  elle  comprend  une  couche  supérieure  va- 
riant de  5  à  24  mètres,  qui  descend  sur  les  hords  du  fleuve  jusqu'au 
niveau  des  eaux  et  qui  est  caractérisée  par  la  présence  du  glypto- 
don,  du  mylodon,  de  l'hoplophorus ,  d'équidés  (1),  et  de  ru- 
minants; puis  une  deuxième  couche,  de  1  à  3  mètres,  où  les  os- 
sements sont  moins  friables  et  mieux  conservés.  Elle  renferme 
les  restes  du  mastodonte,  du  megatherium,  du  toxodon. 
M.  Roth,  à  qui  nous  devons  ces  renseignements,  regarde  les 
deux  couches  comme  appartenant  au  quaternaire  ;  mais  il  af- 
firme que  dans  les  nombreuses  fouilles  qu'il  a  dirigées,  il  a  cons- 
tamment trouvé  les  deux  faunes  complètement  distinctes. 

C'est  dans  la  première  couche  que  des  débris  humains  ont  été 
recueillis  auprès  de  Pontimelo,  au  nord  de  la  province  de 
Buenos-Ayres.  Ils  comprenaient  un  crâne  avec  sa  mâchoire  infé- 
rieure; les  vertèbres  cervicales  étaient  distantes  du  crâne;  les 
côtes  gisaient  çà  et  là;  un  seul  fémur  tenait  au  bassin.  Les  os 
d'une  des  mains  étaient  en  place  ;  ceux  de  l'autre  et  les  os  du 
pied  étaient  dispersés  ;  il  en  manquait  même  plusieurs. 

Tous  ces  os  étaient  décomposés  et  les  parties  extérieures  enle- 
vées parla  pourriture.  Ils  étaient  placés  au-dessous  de  la  cara- 
pace d'un  glyptodon  dont  le  dos  était  retourné.  Sous  le  crâne 
se  trouvaient  une  coquille  d'huitre  et  un  instrument  en  bois  de 
cerf,  où  le  travail  humain  était  peu  apparent. 

Tels  sont  les  faits,  nous  devions  les  raconter  pour  ne  rien 
omettre  sur  le  sujet  important  qui  nous  occupe.  Malheureuse- 
ment nous  n'avons  aucun  renseignement  sur  la  forme  du  crâne 
ou  sur  celle  des  os  longs.  Les  remaniements  rapides  causés  par  les 
pluies  et  les  vents,  par  la  violence  des  cours  d'eau,  suite  inévi- 
table de  la  fréquence  des  orages  dans  la  région  ne  permettent  pas 
d'ailleurs  d'affirmer  avec  une  complète  sécurité,  la  contempora- 
néité  de  cet  homme  et  du  glyptodon. 

(1)  Equus  curvidens. 


LES  HOMMES  DE  LAMÉRIQUE.  481      * 

Nous  n'avons  rien  à  ajouter  à  ce  que  nous  avons  dit  sur  les    crânes  des 

t  •  '11  1      1  •        ■  cavernes. 

squelettes  humains,  rencontres  dans  les  cavernes,  habitation  ou 
sépulture  des  vieux  Américains.  Quelques-uns  de  ces  ossements 
remontent  vraisemblablement  à  une  grande  antiquité,  mais  les 
observations  ne  sont  pas  encore  assez  nombreuses  pour  permettre 
une  conclusion  sérieuse. 

Nous  ne  ferons  d'exception  que  pour  le  crâne  du  Lagoa-Santa  Les  hommes 
(Brésil),  et  nous  emprunterons  la  description  que  M.  de  Quatre-  santa. 
fages  donnait  avec  la  grande  autorité  qui  lui  appartient,  au  Congrès 
d'Anthropologie  réuni  à  Moscou  en  1879  (1).  «  Ce  crâne,  disait-il, 
appartient  à  un  individu  âgé  de  plus  de  trente  ans  ;  il  présente 
extérieurement  un  aspect  métallique  bronzé  ;  son  poids  est  con- 
sidérable ;  les  arcades  zygomatiques  sont  brisées  dans  la  région 
médiane  ;  les  apophyses  styloïdes  ont  disparu  ;  à  la  région  tempo- 
rale droite,  on  voit  une  ouverture  elliptique  de  48  millimètres 
sur  20,  causée  probablement  par  le  coup  de  quelque  instrument, 
qui  a  donné  la  mort.  Le  front  est  bas  et  incliné  en  arrière, 
comme  dans  tous  les  crânes  américains;  la  glabelle  est  saillante; 
les  bosses  sus-orbitaires  très  proéminentes,  l'occiput  presque 
vertical.  La  protubérance  occipitale  externe  est  large,  plane  et 
peu  saillante,  le  plan  du  trou  occipital  prolongé  passe  par  une 
ligne  horizontale  joignant  les  deux  orbites.  Les  os  malaires  sont 
saillants  et  projetés  en  avant.  Les  orbites  sont  quadrangulaires, 
les  parois  latérales  du  crâne  sont  verticales.  Les  apophyses  mas- 
toïdes  sont  peu  volumineuses,  presque  toutes  soudées.  On  voit  au 
maxillaire  supérieur  quatorze  alvéoles  plus  ou  moins  fracturées 
et  la  seconde  molaire  est  usée  (2).  » 

Il  faut  dire  aussi  que  la  capacité  crânienne  (1388  ce),  bien  que 
faible,  est  supérieure  aux  moyennes  que  donnent  les  crânes  des 
Mound-Builders  et  que  l'indice  céphalique  (69,  72)  montre  une 


(1)  Outre  le  compte  rendu  de  ce  congrès,  on  peut  consulter  les  Mém.  de  la  Soc. 
d'hist.  et  de  géog.  du  Brésil. 

(2)  Un  crâne  présentant  des  formes  générales  assez  semblables,  a  été  trouvé  à  Rock- 
Buff,  sur  les  bords  de  l'Illinois.  Schmidt,  Zur  Urgeschichte  Nord  Amerika  ;  Archiv  fur 
Anthropologie,  t.  V,  p.  241. 

De  Nadaillac,  Amérique.  31 


482  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

dolichocéphalie  prononcée  (1).  L'usure  des  incisives  dont  nous 
avons  déjà  eu  l'occasion  de  parler  (2),  avait  singulièrement  frappé 
Lund.  Il  regardait  ce  caractère  comme  particulier  à  l'homme  de 
Sumidouro  et  comme  devant  le  séparer  des  diverses  races  hu- 
maines à  l'exception  peut-être  des  anciens  Égyptiens,  chez  qui  il 
se  rencontre  également.  Pour  M.  de  Quatrefages,  au  contraire, 
cette  particularité  constatée  chez  toutes  les  races  fossiles  euro- 
péennes, établit  un  rapport  inattendu  entre  les  habitants  primitifs 
de  l'ancien  et  du  nouveau  monde.  Il  est  curieux,  ajoute-t-il,  de 
voir  un  caractère  artificiel  aussi  tranché  et  qui  peut  tenir  seule- 
ment à  un  mode  de  mastication  commun,  se  montrer  chez  les 
populations  paléontologiques,  puis  disparaître  également  chez 
les  populations  actuelles  des  deux  continents. 

M.  de  Quatrefages  établit  (3)  non  moins  nettement  que  la  forme 
céphalique  des  hommes  du  Lagoa-Santa,  se  rencontre  sur  le  lit- 
toral des  deux  Océans  et  jusqu'au  cœur  de  la  Cordillère  péru- 
vienne. On  la  retrouve  sur  deux  crânes  Aymaras  modernes  et 
sur  quelques  têtes  observées  par  M.  Wiener.  Il  est  raisonnable 
d'en  conclure  que  la  race  dont  la  tête  trouvée  par  Lund  est  le 
type  (4),  a  contribué  pour  une  part  encore  indéterminée  dans 
la  constitution  des  races  Brésiliennes  et  Ando-.Péruviennes. 

Les  recherches  faites  dans  toutes  les  régions  du  nouveau  monde 
confirment  ce  fait.  Les  populations  actuelles  de  l'Amérique 
comme  celles  de  l'Europe  sont  issues  du  mélange  de  plusieurs 
races.  Les  croisements  sont  les  véritables  modifications  des  types 
fondamentaux.  Les  hommes  des  races  primitives  ont  résisté  à  ces 
modifications;    ils  n'ont  point  complètement  disparu  et  malgré 

(1)  MM.  Lacerda  et  Peixoto  affirment  la  dolicochéphalie  des  anciennes  races  du 
Brésil.  Le  même  fait  est  constant  pour  les  crânes  recueillis  dans  les  plaines  de  la  ré- 
publique Argentine  et  le  Sefior  Moreno  le  proclame  à  son  tour  pour  ceux  provenant 
des  paraderos  de  la  Patagonie.  i  -,  • 

(2)  Chap.  I,  p.  24. 

(3)  Congrès  de  Moscou,  p.  13. 

(4)  M.  de  Quatrefages  attache  de  l'importance  au  fait  que,  sur  le  crâne  du  Lagoa- 
Santa,  le  diamètre  vertical  l'emporte  sur  le  diamètre  transversal  maximum.  Cette  tête 
est  donc  non  seulement  dolichocéphale,  mais  aussi  hypsisténocéphale  à  un  très  haut 
degré.  Ce  double  caractère  se  retrouve  par  atavisme  chez  les  hommes  actuels. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  483 

des  variations  allant  souvent  d'un  extrême  à  l'autre,  une  étude 
attentive  permet  de  reconnaître  un  type  prédominant  qui  n'a 
cédé  ni  à  l'influence  du  climat  ou  de  la  nourriture,  ni  à  l'état 
nomade  ou  stationnaire  et  au  genre  de  vie  qui  en  était  la  consé- 
quence forcée  (1). 

Les  explorations  des  kiôkkenmôddinffs,  très  nombreux  sur  les  Kjokken- 
côtes  de  l'Orégon  et  de  la  Californie  ont  amené  des  résultats 
intéressants  (2).  Sur  bien  des  points,  les  fouilles  ont  donné  les 
mortiers  et  les  pilons  si  caractéristiques  des  anciens  habitants  du 
pays,  des  poteries,  des  petits  vases  en  stéatite,  des  pipes,  des  poi- 
gnards, des  couteaux,  des  pointes  de  flèche  en  silex,  des  essais 
de  sculpture  sur  pierre  dure,  des  instruments  en  os  ou  en  test 
de  coquille.  Dans  un  de  ces  kjôkkenmôddings,  au  milieu  de  dé- 
bris de  toute  sorte,  on  recueillait  trente  crânes  en  assez  bon 
état  de  conservation  et  deux  ou  trois  squelettes  à  peu  près  com-* 
plets. 

L'île  de  Santa  Catalina  renferme  une  carrière  de  stéatite, 
dont  le  nombre  de  vases,  de  pots,  de  plats  à  tous  les  degrés  de 
fabrication  atteste  l'importance.  Dans  la  carrière,  gisaient  cin- 
quante crânes  de  ces  vieux  ouvriers  ;  vingt-neuf  ont  pu  être  me- 
surés ;  la  capacité  de  l'un  d'eux  est  élevée,  elle  atteint  1680  ce; 
mais  c'est  un  cas  isolé,  la  moyenne  reste  faible,  elle  est  seulement 
de  1326  c.  c.  pour  les  crânes  masculins,  de  1279  c.  c.  pour  les 
crânes  féminins. 

Les  crânes  retirés  des  kjôkkenmôddings  de  la  Floride,  formés 
principalement  de  mollusques  d'eau  douce,  donnent  une  moyenne 
un  peu  plus  élevée  (1375  c.  c).  Les  os  sont  d'une  épaisseur  remar- 
quable, plus  de  10  millimètres,  et  un  des  crânes  ne  pèse  pas 
moins  de  995  grammes,  poids  rarement  atteint  par  les  crânes 
fossiles  (3). 

Bien  que  les  ossements  et  surtout  les  crânes  des  Mound-Buil-  Les  Mounds- 

Builders. 

(1)  De  Qaatrefages  et  Hamy,  Cranta  Ethnica.  —  Foster.  Préh.  Races  of  the  U.  S. 
Chicago.  1873. 

(2)  P.  Schumacher,  Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  II,  p.  203. 

(3)  Rep.  Peabody  Mus.,  1871,  p.  13.  —  Foster,  Préh.  Races,  p.  159. 


484  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

ders  étudiés  d'une  manière  sérieuse,  tant  au  point  de  vue  de 
leur  conformation,  qu'à  celui  du  gisement,  où  ils  ont  été  décou- 
verts, soient  encore  rares,  il  est  déjà  permis  d'établir  quelques 
caractères  généraux  tels  que  la  brachycéphalie,  la  dépression  du 
crâne,  sa  faible  capacité,  la  platycnémie,  la  perforation  de  l'hu- 
mérus. Ces  caractères  se  retrouvent  dans  toutes  les  régions  qu'ils 
ont  peuplées  et  durant  les  longs  siècles  oii  ils  ont  vécu  sur  le  sol 
américain  ;  ils  peuvent  même  nous  aider  à  distinguer  les  osse- 
ments des  Mound-Builders  de  ceux  des  Indiens  modernes,  qui 
bien  souvent  se  sont  approprié  pour  la  sépulture  des  leurs,  les 
tombes  de  ceux  qui  les  avaient  précédés  (1). 

En  disant  que  ce  sont  là  les  caractères  généraux  des  osse- 
ments des  Mound-Builders,  nous  ne  prétendons  pas  nier  les 
nombreuses  exceptions.  Nulle  part,  ni  sur  l'ancien,  ni  sur  le 
nouveau  continent,  on  ne  trouve  des  formes  exactement  sem- 
blables, des  caractères  de  race  absolument  typiques.  L'excessive 
variété  est  la  loi  générale  qui  reste  encore  inexpliquée. 

Un  des  plus  anciens  crânes  qui  puisse  être  attribué  aux 
Mound-Builders  a  été  découvert  dans  le  comté  du  New-Madrid 
(Missouri),  sous  un  mound  qui  renfermait  de  nombreux  débris 
de  victimes  humaines,  sacrifiées  sans  doute  en  l'honneur  du 
mort.  Ce  crâne  gisait  à  une  profondeur  de  trente  pieds  environ, 
et  sur  le  mound  s'élevaient  des  arbres  séculaires,  rejetons  d'une 
forêt  plus  ancienne  encore,  car  leurs  racines  enlaçaient  les  vieux 
troncs  de  leurs  ancêtres.  Depuis  l'érection  du  mound,  le  Missis- 
sipi  avait  déposé  des  alluvions  qui  atteignaient  six  pieds  de  hau- 
teur. Près  de  là,  on  a  recueilli  dans  des  conditions  identiques 
une  dent  de  mastodonte  ;  tout  fait  présumer  qu'il  était  le  con- 
temporain de  l'homme,  auquel  l'avait  associé  le  hasard  de  la  sé- 
pulture. Si  une  seule  preuve  n'est  pas  suffisante,  pour  justifier 
l'extrême  ancienneté  de  ce  crâne,  il  semble  que  l'ensemble  de 

(1)  Le  Rév.  M.  Peet  a  constaté  dans  les  différentes  découvertes  d'ossements  dont  il 
a  été  témoin,  qu'aune  exception  près,  celle  d'un  vieillard  d'un  âge  avancé,  les  dents 
étaient  toujours  excellentes,  quoique  souvent  fortement  usées.  American  Antiqua- 
rian  Oct.  1879. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  485 

celles  que  nous  donnons,  permet  de  Taffirmer  avec  une  certaine 
sécurité.  Nous  hésitons  cependant  encore,  car  non  seulement  il 
est  petit,  ovale,  peu  différent  des  crânes  modernes  ;  mais  encore 
M.  Swallow,  en  rendant  compte  de  ces  faits  à  l'Association  amé- 
ricaine pour  l'avancement  des  sciences  (1),  ajoutait  le  récit 
d'une  fouille  exécutée  sous  ses  yeux  sous  un  mound  voisin  qu'il 
prétend  dater  de  la  même  époque.  Plusieurs  corps  avaient  été 
déposés  dans  cette  sépulture,  les  ossements  étaient  décomposés  et 
il  ne  restait  que  quelques  faibles  amas  de  poussière  grise, 
suprêmes  reliques  de  l'homme.  On  rencontrait  en  revanche  de 
nombreux  fragments  de  poterie,  des  vases  ornés  de  dessins  re- 
présentant des  têtes,  des  bustes,  quelquefois  des  corps  entiers 
d'hommes  ou  de  femmes.  Ces  figures  montrent  un  type  élevé 
peu  en  rapport  avec  l'ancienneté  que  l'on  prétend  attribuer  au 
mound  et  surtout  très  éloigné  de  celui  que  l'on  s'accorde  à  re- 
garder comme  caractéristique  des  Mound-Builders. 

Sur  d'autres  points  nous  arrivons  à  des  conclusions  opposées. 
Dès  1872,  M.  Foster  signalait  la  ressemblance  de  certains  crânes 
trouvés  à  Chicago  (Illinois),  à  Mérom  (Indiana)  et  à  Dubuque 
(lowa)  (2).  Cette  même  ressemblance  se  retrouve  dans  les  ar- 
mes, dans  les  poteries,  dans  les  ornements,  comme  dans  les  tra- 
vaux de  terrassements  et  permet  de  conclure  à  l'identité  de  la 
population  de  ces  régions.  Les  ossements  qui  la  rappellent  pré-' 
sentent  les  caractères  que  nous  sommes  habitués  à  regarder 
comme  appartenant  à  des  races  inférieures.  Ainsi  l'examen  d'un 
crâne  trouvé  à  Dubuque,  celui  d'un  autre  provenant  de  Dun- 
leith-Mound  (Illinois)  (fig.  208  D)  (3),  l'étude  de  nombreux  frag- 
ments de  boîte  osseuse  trouvés  à  Mérom  (4)  et  à  Chicago  montrent 


(1)  Am.  Ass.  Portland,  1873,  p.  403. 
{1)  Americ.  Ass.,  Dubuque  (lowa],  1872. 

(3)  Foster,  Preh.  Ruces  of  the  U.  S. 

(4)  Il  est  juste  d'ajouter  que  d'autres  crânes  trouvés  auprès  de  Mérom  offrent  un  type 
supérieur  ;  mais  ils  ont  été  extraits  de  Stone  Graves,  dont  les  parois  sont  formés  de 
lames  de  pierre  fort  minces,  recouvertes  de  pierres  plates.  Il  est  probable  que  ces  sé- 
pultures sont  celles  d'une  race  plus  avancée.  Putnam,  Proc.  Boston  Soc.  of  Nalural 
History. 


486  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

les  caractères  si  connus  du  crâne  de  Neanderthal  (fîg.  208  C)  (1), 
un  des  plus  inférieurs  parmi  tous  ceux  que  les  fouilles  ont  donné 
en  Europe.  - 

Ce  ne  sont  point  là  des  faits  exceptionnels  ;  le  crâne  trouvé  à 
Stimpson's-Mound  (fig.  208  B)  rappelle  celui  de  Borreby  dont  le 


Fig.  â08.  —  A,  erâne  européen.  —  B,  crâne   de    Stimpsou's-Mound.  —  C,  crâne  de 
Neanderthal.  —  D,  crâne  de  Dunleith  Moiind.  —  E,  crâne  de  chimpanzé. 

type  dégradé  est  célèbre;  ceux  provenant  de  Kennicott-Mound 
sont  également  caractérisés  par  une  extrême  dépression  frontale. 
Un  crâne  d'enfant,  autant  que  l'on  peut  en  juger,  car  il  est  très 
incomplet,  eSt  plus  étrange  encore,  il  se  rapproche  probable- 
ment plus  que  tout  autre  crâne  connu,  de  celui  des  anthro- 
poïdes (2). 

Les  mêmes  faits  sont  constatés  dans  le  Missouri.  Deux  sque- 
lettes ont  été  retirés  d'une  sépulture  régulière,  sous  un  mound 
non  remanié  ;  le  front  est  déprimé,  la  tête  singulièrement 
aplatie  (fig.  209)  et  cependant  d'autres  squelettes,  trouvés  sous  le 
même  mound,  ne  présentent  point  ce  type  étrange.  Les  explora- 
teurs crurent  d'abord  à  une  erreur  et  attribuèrent  les  deux  pre- 
miers à  un  ensevelissement  secondaire  (3)  ;  mais  un  examen 
attentif  leur  prouva  que  tous  les  ossements  remontaient  bien  à  la 


(i)  Les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  Préhistoriques,  t.  I,  p.  149. 

(2)  Ce  crâne  était  conservé  dans  les  collections  de  l'Académie  de  Chicago.  Il  a  péii 
dans  le  grand  incendie  de  î871. 

(3)  Cenant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races,  p.  106. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  487 

même  époque.  Les  mêmes  vases  avaient  été  placés  dans  la  même 
position,  et  le  mound  avait  été  érigé  après  la  sépulture  de  tous 
les  corps  que  les  hommes  du  dix-neuvième  siècle  devaient  mettre 
au  jour. 

Un  crâne  recueilli  sous  un  mound  du  Dakota  montre  aussi  un 
front  très  fuyant(l),  desorbites  presque  aussi  saillantes  que  celles 


Fig.  209.  —  Fragment  d'un  crâne  provenant  du  Missouri. 

du  gibbon,  un  prognathisme  accentué.  La  mâchoire  est  massive 
et  comme  contraste  à  ces  caractères  inférieurs,  le  nez  est  aquilin 
et  bien  conformé.  Des  crânes  offrant  un  type  analogue  ont  été 
trouvés  dans  certaines  sépultures  du  Chihuahua,  où  les  corps 
n'étaient  point  étendus  horizontalement,  mais  assis  et  légère- 
ment inclinés.  Les  crânes  les  plus  anciens  de  TOhio  portent 
aussi  ce  môme  front  fuyant  et  Lapham  cite  deux  crânes  con- 
servés au  musée  de  Milwaukie  au  front  déprimé,  aux  arcades 
sourcilières  proéminentes  ;  ce  sont  là  pour  le  docteur,  les  carac- 
tères typiques  des  anciennes  races  du  Wisconsin,  caractères  suc- 
cessivement modifiés  soit  par  des  croisements  avec  une  race  su- 
périeure, soit  peut-être  par  le  progrès  de  la  race  primitive 
elle-même. 

Cette  proéminence  des  arcades  sourcilières  est  non  moins 
exagérée  sur  des  crânes  provenant,  l'un  d'un  mound  de  la 
vallée  du  Mississipi  (2),  l'autre  d'un  tumulus  du  Tennessee  (3). 

(1)  Une  ligne  perpendiculaire  tirée  de  la  mâchoire  inférieure  au  sommet  du  crâne 
passerait  à  deux  pouces  environ  de  distance  du  front.  Sliort,  The  North  Americaiis  of 
Ant.,  p.  128,  167.  —  Ce  crâne  a  été  découvert  par  le  général  H.  W.  Thomas. 

(2)  American  Antiquarian.  July,  1879. 

(3)  Jones,  Explorations  of  Aboriginal  Reynains  of  Tennessee,  Smith.  Cont.,  t.  XXII. 


488  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  dénis  de  ce  dernier  sont  usées,  plusieurs  présentent  môme 
des  traces  de  carie.  La  tête  est  surtout  déprimée  du  côté  droit. 
Cette  dépression  artificielle,  qui  varie  selon  les  tribus  et  proba- 
blement aussi  selon  la  mode  du  moment,  est  un  des  caractères 
typiques  de  la  race  américaine. 

Nous  avons  précédemment  raconté  les  mounds  élevés  dans  la 
région  des  grands  lacs,  et  nous  avons  dit  qu'ils  étaient  dus  à  la  race 
qui  avait  couvert  de  ses  terrassements  les  vallées  de  l'Ohio  et  du 
Mississipi  (1).  Nous  citerons  le  grand  mound  de  la  Rivière-Rouge 
où  il  a  été  trouvé  les  fragments  d'un  crâne  en  mauvais  état  rappe- 
lant par  ses  formes  massives  le  crâne  de  Neanderthal  et  le  mound 
circulaire  auprès  de  la  rivière  Détroit.  Ce  dernier  a  donné  onze 
squelettes  et  à  côté  d'eux  des  vases  funéraires,  des  haches,  des 
pointes  de  lance,  des  ciseaux,  des  perçoirs  en  pierre,  des  pipes,  des 
ornements  en  coquilles (2).  On  a  également  recueilli  des  objets  en 
cuivre  provenant  sans  doute  du  lac  Supérieur,  une  aiguille  lon- 
gue de  plusieurs  pouces  et  un  collier  formé  de  grains  enfilés  sur 
une  corde  faite  avec  des  filaments  d'écorce.  Tous  ces  objets  fai- 
saient-ils partie  du  mobilier  funéraire  ?  Il  est  permis  d'en  dou- 
ter, car  on  rçncontre  aussi  les  cendres  du  foyer  et  on  peut  pré- 
sumer que  l'habitation  du  vivant  avait  remplacé  la  dernière 
demeure  du  mort.  Cette  habitation  devait  être  fort  ancienne  ;  en 
effet,  les  habitants  actuels  du  pays  se  rappellent  avoir  vu  le 
mound  couvert  de  vieux  arbres,  que  les  besoins  de  la  population 
ont  successivement  fait  disparaître. 

Un  des  crânes  provenant  de  ces  dernières  fouilles,  déposé  au 
Peabody  Muséum  offre  des  particularités  importantes.  Il  est 
singulièrement  bas  et  long,  et  bien  qu'il  soit  celui  d'un  adulte, 
car  la  suture  sagittale  est  soudée,  sa  capacité  égale  à  peine 
36  pouces  cubes,  soit  917  c.  c.  Selon  les  tables  de  Morton  la  ca- 
pacité moyenne  d'un  crâne  Indien  est  de  84  p.  c  ;  et  la  capacité 

(1)  Gillman,  The  Ancient  Me)i  of  the  Great  Lakes.  —  Am.  Ass.  Détroit,  1875.  — 
Cong.  des  Am.  Luxembourg,  1877,  p.  65. 

(2)  Les  crânes  sont  pour  la  plupart  en  mauvais  état.  Un  crâne  de  Circular  Mound 
donne  comme  indice  céphalique  74,1,  un  du  Western  Mound  76,7,  un  autre  du  Fort 
Wayne  77,3. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  -«89 

minima  observée  par  cet  éminent  anthropologiste  est  de  69  p.  c. 
La  différence  est  sensible,  et  ce  crâne  est  certainement  un  des 
plus  petits  connus.  Une  autre  particularité  n'est  pas  moins  im- 
portante ;  la  distance  entre  les  arcades  temporales  des  deux 
côtés  du  front,  varie  presque  toujours  entre  trois  et  quatre 
pouces.  Le  minimum  connu  jusqu'à  ce  jour  est  de  deux  pouces; 
dans  le  crâne  de  Détroit,  il -n'est  plus  que  de  trois  quarts  de 
pouce.  C'est  là  assurément  un  caractère  simien  très  prononcé 
et  tel  qu'il  se  trouve,  chez  le  chimpanzé  par  exemple.  Le  pro- 


Fig.  210.  — Crâne  provenant  d'un 
mound  du  Tennessee. 


Fig.  211.  —  Crâne  provenant  d'un  mound 
du  Missouri. 


fesseur  Wyman  qui  a  examiné  ce  crâne  avec  soin,  affirme  qu'il 
n'a  subi  aucune  déformation  artificielle.  INous  avons  donc  là  un 
fait  curieux;  mais  il  est  impossible  de  tirer  une  conclusion  sé- 
rieuse d'un  cas  de  variation  extrême,  variation  exceptionnelle, 
puisqu'elle  ne  se  trouve  sur  aucun  des  autres  crânes  de  la  même 
provenance  (1). 

Si  les  crânes  que  l'on  peut  attribuer  avec  quelque  certitude 
aux  Mound-Builders,  sont  en  général  brachycéphales  (2),  il  est 

(1)  Report  Peabody  Mics.,  1873,  p.  12.  —  Americ.  Ass.  Buffalo,  1876. 

(2)  On  appelle  brachycéphales  les  crânes  où  l'indice  céphalique  est  de  80  et  au- 
dessus,  orthocéphales,  ceux  où  l'indice  varie  de  74  à  79,  dolichocéphales  enfin  quand 
il  est  au-dessous  de  74.  Voy.  Les  Premiers  Hommes,  t.  II,  p.  156. 


490  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

de  nombreuses  exceptions,  et  souvent,  sous  le  même  mound,  il  a 
été  trouvé  des  crânes  qui  paraissent  remonter  à  la  môme  époque 
et  qui  affectent  des  formes  différentes  ;  de  nombreuses  fouilles  ont 
constaté  des  faits  semblables  sur  l'ancien  continent,  ce  qui  natu- 
rellement diminue  l'importance  que  l'on  peut  être  disposé  à  attri- 
buer à  ces  formes. 

Quelques  exemples  éclairciront  mieux  la  question  ;  M.  Putnam 
cite  deux  crânes,  l'un  brachycéphale,  l'autre  dolichocéphale  gi- 
sant dans  la  même  sépulture  (1).  Sur  huit  crânes  provenant  du 
grand  mound  de  la  Rivière-Rouge,  trois  seulement  sont  brachy- 
céphales.  En  revanche,  sur  quatre  crânes  trouvés  à  Chamber's 
Island  (Wisconsin),  trois  sont  franchement  brachycéphales.  Dix 
crânes  ont  été  recueillis  sous  un  mound  sépulcral  à  Fort-Wayne, 
un  est  dolichocéphale,  les  autres  sont  orthocéphales  ou  brachycé- 
phales avec  un  indice  céphalique  variant  de  77  à  82  pour  ceux  qu'il 
a  été  possible  de  mesurer.  Le  front  est  fuyant,  les  arcades  sour- 
cilières  proéminentes,  l'épaisseur  des  os  moyenne.  Ces  mêmes 
caractères  se  montrent  sur  tous  les  crânes,  bien  qu'ici  l'ensevelis- 
sement paraisse  remonter  à  des  époques  différentes.  Dans  le 
Michigan,  'les  crânes  trouvés  sous  les  mounds  sont  dolicho- 
céphales et  les  tibias  platycnémiques  (2). 

Le  D' Farquharson  a  opéré  sur  vingt-cinq  crânes  recueillis  sous 
divers  mounds  (3),  l'indice  céphalique  donne  une  moyenne 
de  75,8,  soit  une  forme  légèrement  dolichocéphalique.  M.  Carr 
a  examiné  soixante-sept  crânes  provenant  des  Stone  Graves  du 
Tennessee,  vingt-neuf  sont  brachycéphales,  cinq  seulement 
dolichocéphales,  dix-huit  orthocéphales,  et  quinze  artificielle- 
ment déprimés  (4).  M.  Jones,  après  l'étude  de  vingt  et  un  crânes 
trouvés  également  dans  les  Stone  Graves  du  Tennessee,  est  arrivé 
à   un  résultat  peu  différent.  11  n'a  trouvé  aucun  crâne  dolicho- 


(1)  Report  Peabody  Muséum,  1878,  t.  II,  p.  316. 

(2)  Hubbard,  Am.  Ant.  March.,  1880. 

(3)  Observations  on  tlie  Crania  from  the  Stone  Graves  in  Tennessee.  Report  Peabody 
Mus.,  t.  II,  p.  3G1. 

(4)  Récent  Exploitations  of  Mounds  near  Davenport  lowa.  Am,  Ass.,  Détroit,  1875. 


LES  HOiMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  491 

céphale  ;  cinq  étaient  orthocéphales,  huit  brachycéphales  et  huit 
artificiellement  déformés  (1)  (fig.  210). 

Dans  le  Missouri  on  a  constaté  deux  catégories  de  crânes  diffé- 
rant autant  entre  eux,  que  ceux  des  Caucasiens  ou  des  Négroïdes 
par  exemple  (2).  Les  squelettes  sont  dans  la  même  position.  Les 
mêmes  vases,  les  mêmes  armes,  les  mêmes  outils  ont  été  déposés 
auprès  des  uns  et  des  autres;  il  est  difficile  de  supposer  qu'ils 
n'appartiennent  pas  à  la  même  race,  ou  qu'ils  ne  datent  pas  de  la 
même  époque. 

Les  variations  individuelles  sont  considérables.  On  cite  le 
crâne  d'un  enfant  provenant  d'Atacama,  oii  l'indice  céphalique 
n'est  que  de  66  ;  et  un  autre  trouvé  sous  un  mound  de  l'Alabama, 
où  il  s'élève  à  IH  ,8.  Sauf  peut-être  des  limites  aussi  extrêmes  (3), 
nous  constatons  les  mêmes  faits  en  Europe  durant  les  temps  pré- 
historiques et  ils  se  sont  perpétués  jusqu'à  nous.  Devons-nous  voir 
là  le  résultat  du  mélange  très  ancien  des  races,  des  exemples 
d'atavisme,  ou  bien  le  genre  de  vie,  la  différence  des  occupations 
prolongée  pendant  des  siècles,  peuvent-ils  exercer  une  influence 
notable  ?  Quelles  que  soient  les  causes  de  ces  modifications,  il 
est  certain  qu'elles  existent  et  il  faut  bien  reconnaître  que  la 
'forme  du  crâne  prise  pour  type  unique  d'une  race,  donne  des 
résultats  aussi  peu  satisfaisants  dans  le  nouveau  monde  que  dans 
l'ancien. 

Nous  sommes  loin  de  la  théorie  de  Morton  qui  avait  constam- 
ment professé  l'unité  de  type  chez  tous  les  habitants  des  deux 
Amériques  (4)  à  la  seule  exception  des  Esquimaux  (5).  Pour  lui, 
les  crânes  longs  des  Péruviens  ne  différaient  des  crânes  ronds  des 

(1)  Antiquities  of  Tennessee. 

(1)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races. 

(3)  «  Dans  aucune  autre  partie  du  monde,  disait  Retzius,  la  morphologie  crânienne 
ne  montre  des  différences  aussi  bien  définies  ni  des  extrêmes  plus  exagérés.  »  Ethnol. 
SchHften,  p.  37,  98. 

(4)  Ci-ania  Americana,or  a  Comparative  View  of  the  Skulls  of  varions  Ahoriginal 
Nations  of  North  and  South  America.   Philadelphia,  1839. 

(ô)  MM.  de  Quatrefages  et  Hamy  dans  les  Crania  Ethnica,  rattachent  les  Esquimaux 
au  groupe  Mongolique  parce  qu'ils  leur  paraissent,  comme  à  Morton,  plus  voisins  du 
type  jaune  que  du  type  américain.  Les  Esquimaux  sont  en  général  dolichocéphales. 


492  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Indiens,  qu'à  raison  de  la  pression  exercée  durant  l'enfance, 
et  dont  le  résultat  avait  été  de  modifier  la  forme  primitive.  Il 
ajoutait  que  chez  toutes  ces  races,  on  trouvait  le  même  mode 
d'ensevelissement  et  que  depuis  le  Canada  jusqu'à  la  Patagonie, 
les  morts  étaient  placés  dans  une  position  assise.  Nous  avons  déjà 
montré  combien  cette  dernière  assertion  était  peu  fondée.  La 
première  (1)  est  aussi  complètement  abandonnée  et  des  décou- 
vertes chaque  jour  plus  importantes  ne  permettent  plus  de  la 
défendre. 

Cette  conclusion  toute  négative  est  la  seule  que  l'on  puisse 
encore  formuler.  La  différence  d'opinion  parmi  les  anthropolo- 
gistes  les  plus  éminents  vient  ajouter  aux  difficultés  déjà  si 
grandes  par  elles-mêmes.  Prenons  pour  exemple  le  crâne  de 
Scioto,  découvert  sous  un  mound  auprès  de  Chilicothe.  Ce  crâne 
remarquable  par  son  développement  vertical  et  transversal  et  par 
la  forme  tronquée  de  sa  partie  postérieure  a  été  longtemps  con- 
sidéré, comme  offrant  le  type  le  plus  complet  des  Mound- 
Builders  (2).  MM.  de  Quatrefages  et  Hamy  dans  le  magnifique 
ouvrage  (3)  qui  reste  un  des  monuments  de  la  science  française 
au  dix-neuvième  siècle,  nous  disent  :  «  que  les  orbites  sont  larges  et 
quadrangulaires,le  nez  proéminent,  les  maxillaires  hauts,  lourds,' 
massifs  et  quelque  peu  proéminents.  »  Le  D""  Wilson  décrit  le 
crâne  comme  franchement  brachycéphale  ;  selon  lui,  le  front  est 
large  et  élevé  et  la  dépression  que  l'on  constate  est  artificielle  (4). 
Morton  donne  une  description  différente  et  le  D""  Fosto-r  ne  veut 
voir  dans  le  crâne  de  Scioto,  que  celui  d'un  Indien  moderne.  Ces 
contradictions  montrent  l'inconvénient  dans  l'état  actuel  de  la 
science  de  théories  trop  absolues.  On  prétend  ramener  tous  les 
crânes  d'une   race  à  un  type  unique,   sans   se  préoccuper   de 

(1)  Elle  avait  cependant  été  acceptée  par  des  savants,  tels  qu'Agassiz,  Nott,  Meigs  et 
bien  d'autres. 

(2)  Squier  et  Davis,  Ane.  Mo7i.  ofthe  Mississipi  Valley.  Smith.  Cont.,  t.  I,  pi.  XLVII 
et  XLVIII. 

("3)  Crania  Ethnica,  p.  464. 

(4)  Prehistoric  Man.,  t.  II,  p.  127.  M.  L.  Carr  a  publié  aussi  dans  les  rapports  du 
Peabody  Muséum  un  excellent  article  sur  la  question.  Observations  on  the  Crania  from 
ihe  Stone  Graves  of  Tennessee. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  493 

l'immense  territoire  habité  par  cette  race,  ni  des  conditions 
biologiques  au  milieu  desquelles  elle  a  vécu. 

Ce  qui  paraît  démontré   c'est  la    faible   capacité  crânienne   capacité  crà 

'  _  _  '■  ■  uieaae. 

des  Mound-Builders  qui  se  retrouve  chez  les  diverses  races  de 
l'Amérique  et  qui  s'est  même  perpétuée  jusqu'à  nous.  Quelques 
mesures  permettront  mieux  d'en  juger. 


PROVENANCE. 


Crânes  (observés  par  Farquharson). 

Crânes  (observés  par  Jones) 

Tennessee  (Stone-Graves) 

Kentucky 

Albany 

Rock-River 

Henry-County 


NOMBRE 

de  crânes. 


Santa-Catalina  (Californie) 

Santa-Crux  (Californie)  (2)... 


15 

21(1) 
30 
24 

9 
11 

4 

18M 
11F 
40  M 
32  F 


c.  c. 
13G2 

1667 

1825 

1540 


1680 
1451 
1625 
1528 


c.  c. 

936 

crâne  d'Albany 

1100 

I08't 

1130 


1282 
1098 
1144 
1048 


c.  c. 
1188 

1318 

1341 

1313 

1100 

1205 

1205 

1326 

1279 

1.365 

1219 


Ces  moyennes  sont  faibles;  elles  paraîtront  plus  faibles  encore 
si  nous  les  rapprochons  de  celles  obtenues  pour  d'autres  races  et 
à  d'autres  époques  (3). 

(  l)  La  moyenne  pour  les  crânes  d'hommes  est  de  1459,  pour  les  crânes  de  femmes  de 
1250.  Jones,  Smith.  Cont.,  t.  XXII. 

(2)  D'après  Morton,  les  crânes  des  Indiens  actuels  donnent  en  moyenne  84  pouces 
cubes  soit  1359  c.  c.  et  non  1376,  comme  le  dit  le  D-'Wyman,  probablement  par  erreur. 

(3)  Nous  empruntons  ce  tableau  à  un  très  intéressant  travail  du  D'  Topinard,  publié 
dans  la  revue  d'Anthropologie  de  juillet  1832. 


494  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Nombre 
de  crânes  Race  Caucasique.  Capacité, 

observés. 

26.          Solutré,  époque  do  la  pierro  taillée 1525  c.  c. 

19.  Caverne  de  l'Homme-Mort,  époque  de  la  pierre 

polie 1543  » 

•44.          Grotte  de  Baye 1483  >- 

38.          Gaulois 1552  » 

65.          Mérovingiens  de  Chelles 1465  » 

12&.          Parisiens  de  la  Cité  (xli«  siècle 1449  » 

49.          Hollandais  de  Zaandara 1463  » 

88.          Auvergnats  de  Saint- Nectaire 1529  » 

63.          Bas  Bretons 1479  » 

ST.          Basques  de  Saint-Jean  de  Luz 1556  » 

6O4          Basques  de  Zaraus  (Guipuzcoa) 1 499  » 

27  j          Savoyards 1 494  « 

11,          Croates  des  Confins  Militaires  (race  Slave) 1433  » 

28*          Corses  d'Avapesa  (xviii*  siècle) lt7o  » 

•  19.          Arabes 1447  » 

''  Race  Mongolique. 

'28.  Chinois 1486  c.  c. 

'     '     29.  Javanais  (coll.  Vrloik) 1473      » 

♦2.  Polynésiens.. 1449      » 

11.  Lapons 1585       » 

21.  Esquimaux  du  Groenland 1482      » 

■r  * 

Race  Elhiopique. 

»  Hottentots 1317  » 

»  Nubiens 1329  » 

a  Australiens 1337  « 

»  Nègres  occidentaux 1423  » 

»  Néo-Calédoniens 1462  » 

Il  faut  descendre  bien  bas,  dans  l'échelle  humaine,  pour  trou- 
ver des  races  présentant  une  aussi  faible  capacité  crânienne  que 
les  Mound-Builders. 

11  a  été  cependant  trouvé  quelques  crânes  exceptionnels  ;  un 
de  ceux-ci  provenant  d'un  Stone-Grave  du  Tennessee  ne  mesure 
pas  moins  de  1825  c.  c,  (1)  ;  il  égale  par  conséquent  le  crâne  de 
Cuvier.  On  cite  un  autre  crâne  également  recueilli  dans  un  Stone 
Grave,  qui  atteint  1667  c.  c.  Le  D'  Jones  en  possède  un  dans  sa 
collection  de  1688  c.  c.  ;  le  musée   des  médecins  militaires  à 

(1)  L.  Carr,  Obs.  on  the  Cranta  from  the  Stones  Graves  in  Tennessee.  Peabody. 
Mus.  Reports,  t.  II,  p.  383. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  ^^S 

Washington  un  autre  découvert  dans  l'Illinois  de  1785  c.  c.  et 
Schoolcraft  parle  d'un  crâne  de  1704  c.  c.  Comparées  au  crâne 
d'Albany  qui  ne  mesure  que  936  c.  c.  (1),  ces  différences  sont 
considérables.  Les  crânes  extrêmes  sont  un  grave  argument 
contre  la  valeur  des  moyennes,  il  est  évident  qu'ils  vicient  tous 
les  résultats  que  l'on  peut  obtenir. 

S'il  reste  acquis  que  le  développement  du  volume  du  crâne  chez 
les  diverses  races  du  nouveau  monde  est  inférieur  à  celui  des 
autres  races  humaines  tant  anciennes  que  modernes,  à  l'excep- 
tion peut-être  de  celles  réputées  les  plus  inférieures  du  globe, 
c'est  là  un  caractère  anatomique  plutôt  que  physiologique,  et 
nous  ne  saurions  en  conclure  Tinfériorité  de  l'intelligence  chez 
ces  hommes.  D'autres  causes  assurément  influent  sur  la  valeur 
intellectuelle  ;  nul  ne  songerait  à  comparer  les  anciens  péruviens, 
le  peuple  le  plus  avancé  de  l'Amérique  et  les  Indiens  nomades, 
sauvages  et  sanguinaires,  et  cependant  la  moyenne  des  crânes 
de  ceux-ci  est  de  1359  c.  c.  et  celle  des  crânes  péruviens 
de  1250  c.  c.  seulement.  En  parcourant  le  tableau  précédent,  il 
est  facile  de  voir  que  la  capacité  crânienne  n'est  nullement  en 
rapport  avec  la  valeur  de  la  race  et  si,  au  point  de  vue  individuel, 
les  crânes  de  Cuvier  et  de  Byron  présentent  une  capacité  élevée, 
on  pourrait  citer  nombre  d'hommes  remarquables  et  même  émi- 
nents,  où  cette  capacité  est,  au  contraire,  très  faible.  Le  crâne  du 
Dante  dépasse  à  peine  la  moyenne,  tandis  que  trois  crânes  in- 
connus, retirés  de  la  fosse  commune  à  Paris,  atteignent  le  maxi- 
mum. La  supériorité  ou  l'infériorité  d'un  peuple  ne  tiennent  donc 
ni  à  la  capacité  crânienne  ni  aux  caractères  de  certains  os- 
sements ;  il  est  évident  qu'il  est  d'autres  facteurs  que  nous 
ignorons  encore. 

La  forme  aplatie  des  tibias  ou  platycnémie  se  montre  fréquem- 
ment chez  les  diverses  races  américaines  (fig.  212  et  213)  elle  est 
souvent  plus  prononcée  que  chez  le  gorille  ou  le  chimpanzé  (2). 

(1)  Wymaa  cite  bien  un  crâne  cubant  seulement  530  c.  c,  mais  c'est  le  crâne  d'un 
microcéphale. 

(2)  Chez  ces  deux  singes,  le  rapport  moyen  entre  les  deux  diamètres  est  de  67. 
Gillman,  Am.  Ass.  Détroit,  1875,  p.  316. 


-196  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Pour  M.  Wyman,  c'est  là  un  caractère  distinctif,  car  sous  cer- 
tains mounds,  il  se  trouve  sur  presque  tous  les  tibias  découverts, 
et  ceux  qui  ne  le  présentent  pas,  appartiennent  généralement  à 
des  hommes  enterrés  postérieurement  à  l'érection  du  tumulus. 
Mais  de  ce  que  ces  tibias  platycnémiques  ou  en  lame  de  sabre 
sont  communs  chez  les  grands  singes,  rien  ne  prouve  que  nous 


Fig.  212.  —  Coupe  du  tibia  ordinaire 
au  niveau  du  trou  nourricier. 


Fig.  213.  —  Coupe  du  tibia  plactyné- 
raique. 


devions  y  voir  un  caractère  d'infériorité.  En  réservant  ce  point, 
il  est  certain  que  parmi  les  ossements  recueillis  sous  les  mounds 
du  Rentucky,  du  Missouri,  du  Michigan,  de  l'indiana,  comme 
au  milieu  des  kjokkenmôddings  de  la  Floride,  on  peut  évaluer 
à  30  0/0  le  nombre  de  ceux  où  la  platycnémie  domine.  Elle  n'est 
pas  moins  marquée  sur  un  certain  nombre  de  tibias  découverts 
dans  les  cavernes  voisines  de  la  célèbre  grotte  du  Mammouth  (1). 
La  platycnémie  est  plus  apparente  encore  et  la  ligne  âpre  plus 
prononcée  sur  les  tibias  extraits  du  grand  mound  de  la  Rivière 
Rouge  et  sur  ceux  de  Fort  Wayne  (2).  Les  tumuli  de  la  Rivière 
Saint-Clair,  ceux  élevés  auprès  du  lac  Iluron,  un  mound  très 
ancien,  situé  sur  Chamber's  Island  (Wisconsin)  fournissent  des 
exemples  analogues  (3).  Sous  tous  ces  mounds,  les  débris  humains 
sont  associés  à  des  intruments  en  pierre,  à  des  ossements  d'oi- 
seau, à  des  arêtes  de  poisson,  à  des  poteries  grossières,  à  des  col- 

(1)  Report  Peabody  Muséum,  1875,  p.  49. 

(2)  Gillman,   Am.  Ass.,  Buffalo,  1876. 

(3)  Report,  Peabody  Mus.,  1873.  —  Sliort,  No7'th  Americans  of  Antiquity,  p.  30. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  497 

liers  en  dents  ou  en  petits  os  ;  tous  ces  objets  témoignent  d'une 
civilisation  peu  développée. 

Sur  quelques-uns  de  ces  tibias,  le  rapport  du  diamètre  trans- 
versal au  diamètre  antéro-postérieur  n'est  guère  que  de  0,48; 
ce  n'est  même  pas  la  limite  extrême,  car  sur  certains  ossements 
provenant  d'un  mound  auprès  de  la  rivière  Détroit,  il  s'abaisse, 
exceptionnellement  faut-il  ajouter,  à  0,43  et  même  à  0,40.  Ces 
chiffres  sont  remarquables  ;  on  le  comprendra  mieux  encore,  en 
les  comparant  à  ceux  donnés  par  Broca  pour  le  vieillard  de  Cro- 
Magnon  ;  le  rapport  entre  les  deux  diamètres,  nous  apprend-il,  est 
de  0,68  et  cependant  c'est  là  un  des  cas  de  platycnémie  extrême 
observés  en  France. 

La  platycnémie,  ainsi  que  la  compression  des  fémurs  qui  est 
en  général  considérable,  sont  peut-être  dues  aux  efforts  vérita- 
blement immenses,  que  les  anciens  habitants  de  l'Amérique 
privés  d'animaux  domestiques,  étaient  condamnés  à  faire.  Il  leur 
fallait  suivre  le  gibier  à  la  course  et  gagner  sur  lui  de  vitesse,  à 
travers  les  montagnes  et  à  travers  les  marais,  il  leur  fallait 
porter  de  lourds  fardeaux  ;  il  n'est  donc  pas  extraordinaire  que 
leur  conformation  physique  se  ressentît  d'un  semblable  genre 
de  vie.  Pour  d'autres  anatomistes,  ces  anomalies  proviendraient 
d'une  plus  grande  liberté  des  mouvements  du  pied  et  d'une  plus 
grande  habitude  de  la  préhension.  Peut-être  faut-il  aussi  faire 
entrer  en  ligne  de  compte  le  genre  de  nourriture  de  ces  popula- 
tions, qui  avec  le  temps  pouvait  modifier  les  parties  osseuses. 

Nous  avons  dit  que  l'aplatissement  des  tibias  était  bien  plus 
rare  en  Europe  qu'en  Amérique,  Il  est  facile  cependant  d'en 
citer  des  exemples  sur  notre  continent  ;  M.  Busk  l'a  constaté  un 
.des  premiers  sur  des  ossements  provenant  de  Gibraltar  (1); 
M.  Carter  Blake,  sur  d'autres  trouvés  dans  le  Wiltshire  qui 
remontent  aux  temps  néolithiques  (2)  ;  le  docteur  Prunières,  sur 
de  nombreux  squelettes  du  département  de  la  Lozère,  qu'il  date 


(1)  Bull.  Soc.  Anth.,  1869,  p.  148. 

(2)  Journal  ofthe  Anth.  Soc.  of  Londo7i,  1865,  p.  146. 

De  Nadaillac,  Amérique.  32 


498  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

également  de  la  même  époque  (1)  ;  le  Baron  von  Dûben,  sur  ceux 
de  la  Scandinavie  (2)  ;  M.  Bertrand,  sur  un  tibia  trouvé  àClichy  (3)  ; 
M.  Broca,  sur  un  autre  provenant  de  Sainte-Suzanne  (Sarthe)  (4). 
A  côté  de  ces  exemples,  les  tibias  trouvés  par  M.  Dupont  dans  les 
cavernes  de  la  Belgique  (5),  d'autres  en  grand  nombre  qui  datent 
selon  toute  vraisemblance  des  temps  paléolithiques,  sont  trian- 
gulaires et  semblables  à  ceux  des  Européens  modernes.  Les 
caractères  qui  différencient  les  races  existaient  donc  dès  la  plus 
haute  antiquité;  c'est  là  sans  doute  un  fait  important. 
Peiforaiioii        La  pcrforaliou  de  l'humérus  est  également  considérée  comme 

oléciànienne.  ^  .      . 

un  caractère  de  race  (o),  sans  que  nous  puissions  dire  quelles  sont 
la  race  ou  les  races  qui  ont  légué  ce  caractère  à  leurs  descendants. 
On  le  remarque  très  fréquemment  sur  les  ossements  provenant 
des  mounds,  et  elle  existe  parfois  sur  la  moitié  de  ceux  recueillis.  En 
descendant  vers  le  Sud,  cette  proportion  diminue  et  elle  n'est  plus 
guère  que  31  0/0.  Le  Peabody  Muséum  renferme  80  humérus 
trouvés  sous  les  mounds  de  l'Ouest,  ou  sous  ceux  de  la  Floride, 
25  sont  perforés  ;  il  renferme  également  52  humérus  appar- 
tenant à  des  races  blanches,  deux  seulement  présentent  ce  carac- 
tère typique  (7).  A  côté  de  ces  faits,  sur  dix  squelettes  trouvés 
au  Fort  Wayne,  un  seul  montre  la  perforation  olécrânienne. 

Une  loi  générale  est  donc  difficile  à  établir;  il  a  bien  été  dit 
que  cette  perforation,  dont  on  ne  peut  expliquer  ni  l'origine  (8) 
ni  la  cause,  était  un  caractère  d'infériorité;  on  se  base  sans  doute 
sur  ce  qu'elle  est  plus  fréquente  chez  les  anthropoïdes  (9),  que 

(1)  Bul.  Soc.  Anth.,  1878,  p.  214. 

(2)  a  Le  tibia  est  toujours  comprimé  et  en  lame  de  sabre.  »  Cong.  préh.  de  Copenha- 
gue, 1869,  p.  243.  —  Mat.,  1869,  p.  5i4. 

(3)  Bull.  Soc.  Anth.,  février  1869. 

(4)  Bul.  Soc.  Anth.,  1866,  p.  642. 

(5)  M.  Hamy  nous  apprend  cependant  qu'un  tibia  provenant  de  la  grotte  de  Goyet 
est  platycnémique.  Bul.  Soc.  Anth.,  1873,  p.  427. 

(6)  Lettre  du  D'  Topinard. 

(7)  Report  Peabody    Mus.,  1872,  p.  28.  —  Cong.  des  Améric.  Luxembourg,  1877, 
t.  I,  p.  69. 

(8)  Elle  est  peut-être  due  à  la  longueur  de  l'os  qui  empêche  le  jeu  de  l'articulation. 

(9)  Wyman  a  constaté  la  perforation  olécrânienne  sur  un  seul  des  humérus  de  deux 
gorilles  mâles  qu'il  avait  pu  examiner.  Il  ne  l'a  pas  rencontrée  sur  un  chimpazé  femelle. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  499 

chez  les  hommes,  plus  fréquente  chez  les  Nègres  (1),  ou  chez  les 
Indiens,  que  chez  les  Blancs;  enfin  sur  ce  qu'elle  tend  à  di- 
minuer chez  les  races  européennes  et  qu'on  la  rencontre  plus 
souvent  sur  les  ossements  provenant  d'anciens  cimetières  que 
chez  nos  contemporains  (2).  Ici  encore  cette  conclusion  quel- 
que flatteuse  qu'elle  puisse  être  pour  notre  amour-propre,  nous 
paraît  prématurée  et  l'état  actuel  des  études  anthropologiques 
ne  saurait  la  justifier. 

On  a  aussi  raconté  que  les  Mound-Builders  avaient  les  bras  très 
longs  ;  c'est  là  encore  un  de  ces  caractères  simiens,  qu'une  cer- 
taine école  recherche  avee  plus  d'empressement  que  de  succès. 
M.  Gillman  vient,  en  efTet,  nous  apprendre  qu'il  n'en  est  rien, 
tout  au  moins  pour  les  hommes  ensevelis  sous  le  mound  de  Fort 
Wayne  et  qu'en  exprimant  la  taille  totale  par  1000  on  arrive 
pour  la  longueur  des  bras  aux  rapports  suivants  : 

Indiens  modernes 353 

Blancs 348 

Mound-Builders 343 

Les  bras  de  ces  derniers  loin  d'être  plus  longs,  seraient  donc 
plus  courts  que  ceux  des  Indiens  ou  des  hommes  de  race  blanche. 

La  taille  des  Mound-Builders  devait  présenter  les  mêmes  varia-  laiiie. 
lions  que  celles  de  nos  races  modernes.  On  cite  un  squelette 
trouvé  dans  un  Stone  Grave  du  Tennessee  qui  mesurait  plus  de 
sept  pieds  (3)  ;  un  autre  découvert  à  Fort  Wayue,  atteignait  cinq 
pieds  onze  pouces.  Deux  squelettes  provenant,  l'un  de  l'Utah, 
l'autre  du  Mich)gan(4),  dépassent  six  pieds.  Ce  dernier  renfermé 

ni  sur  un  orang  mâle  appartenant  l'un  et  l'autre  au  British-Museum.  La  Société  d'Anthro- 
pologie de  Paris  possède  un  beau  squelette  de  gorille,  un  seul  des  humérus  est  perforé. 

(1)  Je  ne  connais  pas  d'observations  bien  exactes,  faites  sur  des  sujets  nègres  ;  sur 
quatorze  humérus  conservés  au  Jardin  des  Plantes,  sept  sont  perforés. 

(2)  Remarquons  que  chez  les  races  préhistoriques  françaises,  l'humérus  perforé 
semble  appartenir  à  une  autre  race  que  celle  qui  présente  le  tibia  platycnémique  et  le 
fémur  à  ligne  âpre.  Rev.  d'Anth.,  1878,  p.  514. 

(3)  Jones,  Explorations  of  the  Aboriginal  Remains  in  Tennessee.  Smith.  Cont., 
t.  XXII. 

(4)  Am.  Antiquarian,  July  1879. 


500  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

dans  un  véritable  linceul  d'argile  était  remarquable  par  son  front 
fuyant  et  la  proéminence  des  arcades  sourcilières.  A  côté  de  lui 
gisaient  des  fragments  de  poterie  ornée  de  figures  humaines  et 
des  pierres  travaillées.  Ce  sont  là,  très  probablement  des  cas  ex- 
ceptionnels ;  le  professeur  Putnam  qui  a  fouillé  avec  une  atten- 
tion extrême  de  nombreuses  sépultures  dans  le  Tennessee,  est 
convaincu  que  les  hommes  qui  y  reposaient  étaient  d'une  taille 
ordinaire  ;  et  s'il  a  souvent  rencontré  des  tombes  construites 
en  dalles,  mesurant  sept  à  huit  pieds  de  longueur,  il  a  tou- 
jours remarqué  un  assez  grand  intervalle  entre  la  tête  ou  les  pieds 
du  mortel  les  parois  de  la  tombe  (1).  Ajoutons  que  tous  les  sque- 
lettes trouvés  dans  les  nombreux  cists  en  pierre  du  comté  de 
Madison  (Illinois),  étaient  de  petite  taille  et  que  les  os  étaient 
remarquablement  grêles  (2). 
Losciiff-  Nous  avons  décrit  les  nombreux  canons  qui  se  rencontrent 
dans  le  Nouveau-Mexique,  le  Colorado  ou  l'Arizona  et  les  ruines 
qui  s'élèvent  partout  où  le  rocher  a  livré  un  espace,  quelque 
limité  qu'il  puisse  être.  Nous  possédons  peu  d'ossements  de  ces 
constructeurs  toujours  à  l'œuvre  ;  les  difficultés  des  fouilles  dans 
un  pays  encore  inhabité  et  où  les  Apaches  exposent  les  explora- 
teurs à  d'incessants  dangers,  l'expliquent  facilement. 

On  cite  bien  un  crâne  provenant  du  canon  Chaco  (Nouveau- 
Mexique).  Parmi  des  alluvions  anciennes  qui  rappellent  les 
arroyos  aujourd'hui  desséchés,  des  pans  de  murs,  des  fondations 
viennent  témoigner  d'une  population  autrefois  nombreuse, 
antérieure  peut-être  à  l'arrivée  des  Cliff-Dwellers.  C'est  au  milieu 
de  ces  dépôts,  à  quatorze  pieds  environ  de  profondeur,  sur  un 
amas  de  poteries  brisées  que  ce  crâne  (fig.  214)  a  été  trouvé. 
Probablement  il  avait  été  entraîné  par  les  eaux,  car  les  recherches 
n'ont  amené  la  découverte  d'aucun  autre  ossement  humain  (3). 
A  quelle  époque  faut-il  le  faire  remonter,  à  quelle  race  devons- 

(1)  Report  Peabody  Mus.,  t.  II,  p.  306. 

(2)  Bandelier,  Am.  Ass.  Saint-Louis,  1878.  —  ^hler,  Stone   Cist  near  Highland, 
Madison  County,  Illinois. 

(3)  D'  W.  Hoffman,  Repoi^t  on  the  Chaco  Cranium  ;  U.  S.  Geol.  and  Geog.  Survey. 
Washington,  1878. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  504 

nous  le  rattacher  ?  Il  est  impossible  actuellement  de  le  décider. 
JNous  savons  seulement  qu'il  appartenait  à  une  jeune  femme  ; 
les  dernières  molaires  n'avaient  point  encore  paru.  Il  est  asymé- 
trique, le  front  est  bas,  les  orbites  ovales  et  peu  proéminentes.  Le 
caractère  le  plus  curieux  est  l'aplatissement  considérable  de  la 


Fig.  214.  —  Crâne  trouvé  dans  le  canon  Chaco  et  attribué  à  un  CllÉF-Dweller. 

partie  postérieure  de  la  tête.  Cet  aplatissement  est  non  moins 
marqué  sur  les  pariétaux  et  surtout  sur  le  pariétal  gauche.  Le 
crâne  était  tellement  rempli  de  sable  agglutiné  qu'il  aurait  fallu 
le  briser  pour  obtenir  des  mesures  exactes  ;  sa  capacité  est  donc 
restée  indéterminée. 

Nous  devons  au  docteur  Bessels  (1)  une  description  complète 
de  plusieurs  crânes  récemment  découverts  que  l'on  peut  attri- 
buer soit  aux  Cliff-Dwellers,  soit  aux  habitants  des  Pueblos. 

Deux  d'entre  eux  viennent  d'un  ancien  cimetière  auprès  d'A- 
biquico  (Nouveau-Mexique).  Chaque  tombe  était  entourée  de 
pierres  levées  formant  tantôt  un  rectangle,  tantôt  un  cercle,  et 
auprès  de  chaque  corps,  on  avait  eu  soin  de  déposer  de  nombreux 
fragments  de  poterie.  Le  premier  de  ces  crânes  présente  un  apla- 

(1)  The  Humàn  Remains  found  amo7ig  the  Ancient  Ruins  of  S,  W.  Colorado  and 
N.  New  Mexico,  p.  47. 


502  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

tissement  très  marqué  du  pariétal  gauche  et  un  aplatissement 
moins  apparent  du  pariétal  droit.  Les  orbites  sont  proéminentes; 
le  front  ne  se  distingue  par  aucun  caractère  particulier;  les  mâ- 
choires sont  massives;  les  dents,  les  incisives  surtout  légèrement 
usées.  La  capacité  est  de  1325  ce.  Le  second  crâne  est  celui  d'une 
femme  de  dix-sept  ans  environ,  les  dernières  molaires  commen- 
cent à  paraître,  le  prognathisme  est  très  marqué.  On  constate  le 
même  aplatissement  que  sur  le  crâne  précédent,  seulement  sur 
celui  de  l'homme,  il  est  plus  prononcé  du  côté  gauche  et  sur  celui 
de  la  femme  du  côté  droit.  La  capacité  de  ce  dernier  est  très 
faible  et  ne  dépasse  guère  1020  c.  c. 

Quelque  temps  après  le  docteur  Bessels  assistait  à  l'arrivée  de 
nombreux  objets,  recueillis  sous  lesMounds  du  Tennessee  et  des- 
tinés aux  collections  du  Smithsonian-Institute  (1).  Parmi  ces  ob- 
jets se  trouvaient  deux  crânes  (fig.  210  et  211),  qui  le  frappèrent 
par  leur  ressemblance  avec  ceux  du  Nouveau-Mexique.  Cette  res- 
semblance est  telle,  dit-il,  qu'il  est  impossible  de  les  distinguer. 

Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur  les  autres  crânes  des  Cliff- 
Dwellers;  ce  serait  à  peu  de  chose  près,  une  constante  répétition; 
sur  tous,  on  reconnaît  cette  dépression  caractéristique  tantôt  plus 
marquée  à  droite,  tantôt  à  gauche  ;  elle  est  certainement  artifi- 
cielle et  nous  la  constatons  très  prononcée  déjà  sur  le  crâne  d'un 
enfant  de  dix  ans,  dont  la  mâchoire  témoigne  aussi  d'une  ten- 
dance sensible  au  prognathisme  (2).  Le  crâné  d'une  jeune  femme 
présente  une  déformation  semblable  à  celle  des  Péruviens.  Les 
orbites  sont  peu  proéminentes,  le  front  est  fuyant,  les  dents  très 
irrégulièrement  plantées. 

MM.  de  Quatrefages  et  liamy,  en  discutant  ces  découvertes, 
ajoutent  que  nul  doute  ne  peut  exister  sur  l'identité  ethnique  des 
Mound-Builders  et  des  Cliff-Dwellers  :  cette  conclusion  s'étendrait 
aux  constructeurs  des  Casas-Grandes  du  Rio  Gila,  si  tous  offraient 
les  mêmes  caractères,  que  le  sujet  exhumé  par  M.  A.  Pinart 

Cl)  Congrès  des  Américanistes.  Luxembourg,  1877,  t.  I,  p.  147. 
(2)  Cette  tète  est  conservée  dans  ÏOsteotogical  Collection  U.  S,  A)niy.  Sa  capacité 
est  de  1213  c.  c.  ■      . 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  303 

d'un  lumulus  voisin  de  la  Casa-Grande  de  Monlezuma  (1). 
Le  crâne  qui  appartient  aujourd'hui  au  Muséum  de  Paris,  ne 
possède  que  sa  voûte.  L'indice  est  de  90, 36.  L'un  des  crânes  en- 
voyés de  Teul,  présente  les  mêmes  traits  céphaliques,  si  ce 
n'est  qu'il  est  plus  aplati  d'avant  en  arrière  et  que  l'indice  dé- 
passe 97. 

Mais  si  les  caractères  ethniques  des  Mound-Builders  se  rencon- 
trent jusque  dans  les  régions  où  ils  n'ont  jamais  pénétré,  leur  type 
ne  s'observe  plus  guère,  au  dire  des  savants  auteurs  des  Crania 
Ethnica,  dans  les  pays  qu'ils  ont  peuplés,  c'est  à  peine  si  sur  le 
nombre  de  crânes  des  Indiens  modernes,  conservés  dans  les  di- 
verses collections,  il  s'en  rencontre  quelques-uns  qui  se  rappro- 
chent de  ceux  dont  nous  venons  de  parler.  Ce  qui  ressort  le  plus 
clairement  de  ces  faits,  c'est  la  rapidité  des  modifications  anato- 
miques  d'un  ordre  secondaire,  par  suite  leur  peu  d'importance 
pour  fixer  avec  quelque  assurance  les  caractères  d'une  race  et 
surtout  pour  suivre  avec  succès  le  développement  de  ces  carac- 
tères à  travers  les  générations. 

Les  analogies  entre  les  Mound-Builders  et  les  anciens  habitants    peuples  de 

inii  •/•  II  1  l'Amérique 

delAnahuac  ne  sont  pas  moins  frappantes  que  celles  entre  les  centrale. 
Mound-Builders  et  les  Cliff-Dwellers  (2).  Quatre  crânes  provenant 
des  tombeaux  de  Mexico,  d'Otumba  et  de  Tacuba,  reproduisent 
le  type  des  habitants  de  l'Amérique  du  Nord  ;  d'autres  trouvés  à 
Santiago-Tlatelolcoli  laissent  moins  de  doutes  encore  (3).  Chez 
tous  nous  voyons  l'aplatissement  de  l'occiput,  le  front  fuyant,  les 
os  massifs,  si  communs  chez  les  Mound-Builders  et  plus  particu- 
lièrement chez  ceux  qui  habitaient  les  rives  de  l'Ohio  et  du  Mis- 
sissipi. 

Chez  les  Mayas,  cet  aplatissement,  dû  sans  doute  à  une  pres- 
sion artificielle,  est  plus  apparent  encore.  Les  bas-reliefs  de  Pa- 
lenque  en  sont  la  preuve  (fig.  123  et  124).  Les  tètes  en  pointe, 
les  fronts  fuyants  d'un  aspect  si  étrange,  témoignent  évidem- 

(i)  Crania  Ethnicn,  p.  465. 

(2)  Morton,  Crayiia  AmetHcana,  pi.  XIX,  XXXI.  —  Quatrefages  et  Hamy,  l.  c,  p.  466. 

(3)  Ces  crânes  appartiennent  au  Muséum  de  Paris. 


504  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

menl  du  type  le  plus  recherché  par  eux.  Les  explorateurs  récents 
croient  retrouver  ce  type  chez  les  populations  inférieures  qui 
habitent  la  montagne;  mais  il  a  disparu  ou  il  n'a  jamais  existé 
parmi  les  populations  qui  ont  érigé  les  monuments  du  Yucatau 
et  du  Honduras.   Les  sculptures  de  Chichen-Itza  montrent  un 
type  absolument  différent  du  précédent  (fig.  135).  «  Le  crâne  est 
large,  nous  dit  M.  Charnay  (1),  aplati  à  la  partie  supérieure,  sans 
pour  cela  que  le  front  soit  bombé,  il  forme  avec  le  nez  aquilin, 
une  ligne  presque  droite.  » 
Péruviens.        La  déformatiou  artificielle  des  crânes  chez  les  Péruviens  rend 
leur  étude  bien  difficile;  cette  déformation  est  due  à  une  pression 
mécanique  exercée  sur  le  crâne   d'enfants  nouveau-nés,   dans 
différentes  directions,  à  divers  degrés,  pendant  un  temps  plus  ou 
moins  long  (2).  Sur  cinq  cents  crânes  provenant  du  Pérou,  que 
possède  le  Muséum  de  Paris,  soixante  à  peine  sont  exempts  de 
cette  déformation  (3).  Elle  existe  tantôt  d'avant  en  arrière,  c'est 
le  cas  pour  presque  tous  ceux  extraits  des  huacas  d'Ancon  (4)  ; 
d'autres   fois,   elle  est  circulaire,  ce  qui  donnait  à  la  tête   la 
forme  pyramidale.  C'était  là  la  coutume,  la  mode  si  l'on  veut, 
recherchée  par  les  Péruviens  qui  habitaient  les  environs  du  lac  de 
Titicaca  ;  les  crânes  provenant  des  chulpas  présentent  presque 
tous  ce  caractère  (5). 

Comme  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  le  remarquer,  la  capa- 
cité crânienne  est  très  faible.  Sur  onze  crânes  d'Ancon,  qui  ne 
portaient  aucune  trace  de  déformation,  la  moyenne  est  seulement 
de  1129  c.  c.  (6). 

(1)  Cités  et  Ruines  Américaines,  p.  341. 

(2)  Gosse  [Dissertations  sur  les  races  du  Pérou;  Mém.  Soc.  Ânth.,  t.  I)  dit  qu'on 
pratiquait  trois  espèces  de  déformations  «  l'occipitale  chez  les  Ghinchas  et  peut-être 
dans  la  famille  des  Incas,  la  symétrique  allongée  chez  les  Aymaras  ;  la  cunéiforme 
relevée  dans  plusieurs  provinces  telle  que  celle  de  Chiquito.  »  Gette  dernière  donnait 
h  la  tête  une  forme  allongée  d'avant  en  arrière.  Ces  déformations  étaient  encore  pra- 
tiquées en  1545  et,  à  cette  époque,  le  concile  de  Lima  les  proscrivit  solennellement 
sous  les  noms  de  Caito,  d'Opalta  et  d'Uino. 

(3)  De  Quatrefages  et  Hamy,  Crania  Ethnica,  p.  474. 

(4)  Report  Peabody  Muséum,  1874,  p.  8. 

(5)  Report  Peabody  Muséum,  187G,  p.  10. 

(Gj  Le  maximum  n'est  que  de  1260  c.  c.  ;  le  minimum  descend  à  1040  c.  c. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  505 

Sur  d'autres  points  du  Pérou,  comme  on  peut  le  voir  par  le 
tableau  que  nous  donnons,  les  résultats  ne  sont  guère  supérieurs; 
à  Chimu,  la  moyenne  descend  même  plus  bas  (1). 


PROVENANCE. 

NOMBRE 

de  crânes. 

MAXIUCM. 

MINIMUM. 

MOYENNE. 

Chulpas  auprès  du  lac  de  ïiticaca 
Casma 

6 
14 
16 
7 
4 
5 
4 

C.  c. 

1445 
1455 
1320 
1460 
1365 
1410 
1325 

c.  c. 
1155 

1050 

1055 

10G5 

1035 

1155 

1135 

C.  C. 

1292 
1254 
1170 
1094 
1195 
1268 
1236 

Amacavilca 

Chimu 

Pacliacamac 

Cajamarquilla 

Truxillo 

Morton  et  Meigs  donnent  1230c.  c,  comme  la  capacité  moyenne 
des  crânes  mesurés  par  eux  ;  nous  avons  nous-mêmes  précédem- 
ment indiqué  le  chiffre  de  1250  c.  c.  Ces  moyennes,  qui  ne  diffèrent 
pas  sensiblement  de  celles  de  Squier,  sont  d'une  extrême  fai- 
blesse et  ne  se  retrouvent  chez  aucune  autre  race  connue.  Les 
maxima  péruviens  égalent  à  peine  les  moyennes  des  autres  peu- 
ples. 11  y  a  là  un  fait  anormal,  dont  nous  ne  connaissons  aucune 
explication  satisfaisante. 

Rivero  et  Tschudi  (2)  distinguent  au  Pérou  trois  races  diffé- 
rentes: les  Chinchas  qui  occupaient  les  côtes  du  Pacifique  du  10°  au 
1 4°  de  latitude  (3)  ;  les  Aymaras  établis  sur  les  hauts  plateaux  de  la 
Bolivie,  les  Huancas  enfin,  du  nom  de  la  tribu  la  plus  puissante  par- 

(1)  Squier,  Incidents  of  Travel  and  Explroation  in  the  Land  of  the  Incas,  2*  éd. 
London, 1878,  p.  582. 

(2)  Anli'juedades  Perunnas. 

(3\  Les  Chimus,  dont  j'ai  parlé  au  chapitre  précédent,  doivent  être  classes  parmi  les 
Chinchas.  —  Meyer  [Reise  um  die  Erde;  Beitrnge  zur  zoologie.  Bonn,  1834)  les  dési- 
gne sous  le  nom  d'habitants  primitifs  du  Pérou. 


506      ^  L'AMÉRIQUE  PllÉHISTORIQUE. 

mieux,  qui  vivaient  entre  la  Cordillère  elles  Andes  du  9"  au  14«  de 
parallèles.  Les  auteurs  des  Antiquités  péruviennes  n'admettent 
la  déformation  artificielle  que  chez  les  Chinchas  et  préten- 
dent que  chez  les  autres  races,  elle  est  congénitale  et  qu'elle 
existe  chez  des  enfants  qui  n'ont  subi  aucune  espèce  de  pression 
et  même  chez  certains  fœtus.  Ce  fait  isolé  ne  saurait  être  une 
preuve,  caries  déformations  imprimées  au  corps  dès  la  naissance, 
observe  M.  Gosse,  peuvent  jusqu'à  un  certain  point  se  transmettre 
par  hérédité.  Elles  deviennent  permanentes,  lorque  les  deux  sexes 
ont  été  soumis  aux  mêmes  déformations,  à  un  même  degré,  pen- 
dant plusieurs  générations  successives  et  à  la  condition  que  les 
moyens  employés  aient  modifié  profondément  la  nutrition  et  la 
structure  des  os  (1). 
Aux  difficultés  dues  à  la  déformation,  qui  était  loin  d'être  pra- 


Fig.  215.  —  Crâne  déformé  dit  Aymara  [Crania  Ethnica). 

tiquée  par  les  mêmes  procédés  dans  toute  l'étendue  de  l'empire  des 
incas,  viennent  s'ajouter,  comme  partout,  les  mélanges  inces- 
sants de  race  et  de  type  qui  se  retrouvent  dans  la  mort.  Squier 
voyait  réunis  au  Castillo  du  grand  Chimu,  des  têtes  régulières  at- 
tribuées aux  Qquichuas,  des  crânes  carrés  obtenus  par  une  com- 
pression postérieure  et  des  crânes  allongés  (fig.  215),  dont  les 

(l)  Gosse,  /.  c,  p.  162.  Ce  fait,  dit-il,  paraît  être  corroboré  par  des  expériences  mo- 
dernes sur  les  animaux  domestiques. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  507 

caractères  céphaliques  se  rapprochent  de  ceux  de  Palenque  ou 
de  Copan,  tels  que  les  sculptures  nous  les  font  connaître. 

Le  docteur  Wilson  n'admet  que  deux  types  distincts  (1)  ; 
les  Péruviens  du  temps  des  Incas  étaient  brachycéphales  et 
de  petite  taille  ;  ils  avaient  le  front  fuyant  mais  très  élevé,  l'oc- 
ciput aplati  ;  leurs  ossements  étaient  légers  et  délicats  ;  les  doigts 
longs  et  effilés.  Ces  hommes  devaient  former  une  caste  aristocra- 
tique, incapable  de  travaux  fatigants.  Les  Péruviens  plus  anciens 
étaient  au  contraire  dolichocéphales,  leurs  ossements  sont  lourds 
et  massifs,  les  attaches  robustes;  tout  indique  chez  eux  une 
grande  force  musculaire.  Morton  confond  ces  deux  types  et 
prétend  que  le  second  procédait  du  premier  et  était  obtenu 
par  la  compression  artificielle  exercée  sur  les  enfants  (2).  Mais 
M,  Wilson  lui  répond  avec  raison  que  les  crânes  déformés  arti- 
ficiellement, sont  toujours  asymétriques  (3)  et  que  les  crânes  do- 
lichocéphales, considérés  comme  normaux,  présentent  au  con- 
traire une  régularité  complète.  Ils  ont  aussi  des  caractères 
distincts  ;  ainsi  ils  sont  plus  longs,  plus  étroits  ;  la  mâchoire  su- 
périeure est  fortement  prognathe  ;  les  dents,  les  incisives  prin- 
cipalement, sont  obliques. 

Nous  ne  contestons  aucune  de  ces  assertions,  nous  nous  con- 
tenterons de  répéter  ce  que  nous  avons  déjà  dit  à  plusieurs 
reprises,  c'est  que  l'existence  de  types  différents  ne  saurait  avoir 
pour  conséquence  celle  de  races  diverses  ;  les  causes  de  l'origine  ou 
des  modifications  de  types  étant  encore  absolument  inconnues  (4). 

L'usage  sur  certains  points  de  momifier  les  cadavres  a  permis 


(1)  Prehistoric  Man,  t.  II,  ch.  xx,  p.  145,  158,  165. 

(2)  Nottand  Gliddon,  Types  of  Mankind. 

(3)  «  Few  who  hâve  had  extensive  opportunities  of  minutely  examining  and  compa- 
ring  normal  and  artificially  formed  crania,  will,  I  think,  be  prepared  to  dispute  the 
fact  that  the  later  are  rarely,  if  evcr,  symnactrical.  »  Wilson,  /.  c. 

(4)  M.  Virchow  signale  la  grande  fréquence  sur  les  crânes  Péruviens  d'une  anoma- 
lie connue  sous  le  nom  A'os  des  Incas  ou  d'os  intevpainétal  et  prétend  la  retrouver 
chez  les  Indo-Chinois  et  les  Malais  des  îles  Philippines.  Ce  serait  là,  selon  lui,  un  ca- 
ractère typique;  mais  M.  Anoutchine  dans  un  travail  récent  {Rev.  d'Anth.,  1881)  a 
montré  que  ce  caractère  se  trouve  aussi  chez  les  races  nègres.  Il  n'en  saurait  donc 
ressortir  aucune  conclusion.  Voy.  Gosse,  /.  c,  p.  165  et  s. 


508  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

plusieurs  constatations  utiles;  ainsi  la  momie  découverte  à 
Chacota  et  que  nous  avons  reproduite  (fig.  179)  donne 
comme  longueur  de  l'humérus  9  pouces,  de  la  main  5  pouces 
5  lignes,  du  doigt  médius  3  pouces  5  lignes,  du  fémur  13  pou- 
ces, du  tibia  12  pouces,  du  pied  7  pouces  7  lignes;  la  largeur 
de  la  main  n'est  que  de  2  pouces,  celle  du  pied  de  2  pouces  et 
demi  (1). 

Une  coutume  funéraire  voulait  que  l'on  déposât  dans  la 
tombe  du  mort  comme  un  dernier  souvenir,  des  boucles  de  che- 
velure. Ces  cheveux  sont  aussi  fins  que  ceux  des  races  anglo- 
saxonnes;  la  couleur  varie  en  général  du  brun  foncé  au  châ- 
tain. La  mode  était  de  porteries  cheveux  longs,  nattés  et  rejetés 
derrière  la  tête.  Les  femmes  ajoutaient  des  cheveux  à  leurs 
nattes,  et  après  de  longs  siècles,  la  tombe  s'est  ouverte  pour 
rendre  témoignage  de  leur  vanité.  Il  n'est  que  juste  d'ajouter 
que  ce  n'étaient  pas  les  femmes  seules  qui  demandaient  ainsi 
à  l'art  de  venir  au  secours  de  la  nature.  La  tête  desséchée  d'un 
homme  déjà  d'un  certain  âge,  car  les  cheveux  sont  grisonnants 
(fig.  216),  est  couverte  de  petites  nattes  rapportées  et  ramenées 
sur  le  front  (2). 
RaccsduSud.  Si  nous  continuons  à  descendre  vers  le  Sud,  nous  rencontrerons 
des  races  franchement  dolichocéphales,  se  rapprochant  probable- 
ment des  anciennes  races,  chez  qui  nous  avons  constaté  cette 
forme  céphalique.  L'homme  découvert  par  M.  Ameghino  dans 
les  pampas  était  de  petite  taille  ;  le  crâne  était  dolichocéphale.  Il 
en  était  de  même  de  ceux  trouvés  par  M.  Moreno  dans  les  para- 
deros  de  la  Patagonie  ;  les  uns  et  les  autres  rappellent  le  type 
actuel  des  Esquimaux. 

Le  crâne  fossile  du  Lagoa  Santa  était  aussi  dolichocéphale, 

(1)  J.  Blake,  Notes  on  a  Collection  from  the  Ancient  Cemetery  ofthe  Batj  of  Chacota. 
Rep.  Peabudi/  Muséum,  1878,  p.  284. 

f2)  Cette  tète,  qui  provient  d'un  ancien  cimetière  du  Pérou,  présente  de  notables  diffé- 
rences avec  toutes  les  autres  récemment  découvertes.  Le  front  est  élevé,  le  nez  proé- 
minent, les  pommettes  saillantes,  les  incisives  plantées  verticalement,  les  oreilles  dé- 
mesurément distendues.  Les  cheveux  sont  bruns,  les  nattes  pendent  en  cadenettes 
comme  chez  les  hussards  français  de  la  fin  du  siècle  dernier.  Blake,  /.  c,  p.  301.  — 
Morton,  Crania  Americ,  pi.  I. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  S09 

et  les  savants  auteurs  des  Crania  ethnica  citent  plusieurs  autres 
crânes  semblables  découverts  au  Brésil  (1).  L'indice  céphalique 
d'un  de  ceux  qui  ont  pu  être  mesurés  est  de  70. 
Les    Bolocudos,    qui    sont    bien    distincts     des    populations 


Fig.  216.  —  Tête  de  momie  provenant  d'une  ancienne  sépulture  péruvienne. 

qui  les  entourent,  et  qui  représentent  sans  doute  les  plus 
vieilles  races  du  pays,  sont  également  dolichocéphales.  Ils 
sont  non  moins  remarquables  par  le  développement  de  leur 
crâne  en  hauteur,  la  saillie  des  arcs  sourciliers,  le  peu  d'élé- 
vation et  la  forme  rectangulaire  des  orbites.  Sous  tous  ces  rap- 
ports, ils  offrent,  comme  les  Patagons,  de  nombreuses  ressem- 
blances avec  les  Esquimaux  (2),  qui  habitent  à  l'autre  extrémité 

(1)  L.  c,  p.476. 

(2)  «  La  raza  esquimal  diffière  de  la  masa  de  la  poblacion  americana,  y  conserva 
una  tal  homogeneidad  que  présenta  el  aspecto  de  una  razo  primitiva  apenas  modifi- 
cada  por  unes  que  otros  cruzamientos.  Lo  que  sobre  todo  distingue  al  esquimal  de 
todos  los  demis  pueblos  de  la  ticrra  es  su  cabeza  sumamente  larga.  »  Ameghino,  La 
Antignedad  del  Nombre  en  el  Plata,  t.  I,  p.  163.  —  «  Les  Esquimaux  et  les  Botocu- 


olO  L'AMÉBIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

du  continent  Américain.  INe  doit-on  pas  supposer  que  les  uns  et 
les  autres  ont  été  dispersés,  puis  détruits  peu  à  peu  par  des  races 
conquérantes,  auxquelles  ils  ne  pouvaient  offrir  qu'une  résis- 
tance inefficace.  C'est  là  ce  qui  s'est  passé  en  Europe,  lors  des 
invasions  des  Aryas  ou  des  autres  races  asiatiques  ;  les  Basques  et 
les  Finnois  ont  été  rejetés  aux  extrémités  de  notre  continent,  dans 
des  régions  arides  et  incultes  ;  et  s'il  est  difficile  de  l'établir 
avec  quelque  degré  de  certitude,  il  est  permis  d'admettre 
que  les  mômes  faits  se  sont  passés  en  Amérique  et  que  ces 
races  anciennes,  violemment  repoussées  des  régions  qu'elles 
habitaient,  ont  été  les  contemporaines  de  nos  races  paléolithi- 
ques. Tout  porte  à  croire  que  les  plus  anciens  habitants  de  l'A- 
mérique ne  le  cèdent  en  rien  sous  le  rapport  de  leur  antiquité, 
aux  premiers  habitants  de  notre  Continent. 

AfTections         Lcs  Espaffuols  apportèrent  avec  eux  la  petite  vérole  qui  causa 
puthologi-      ^  /   *=  ^^         .   ,       .     ,.    ,  A       *  -u  rA' 

qucs.  de  grands  ravages  parmi  les  mdigenes  ;  des  tribus  entières  dis- 
parurent emportées  par  le  fléau.  Ils  reçurent  à  leur  tour  des 
Américains  un  mal  non  moins  cruel,  les  affections  syphilitiques 
destinées  à  flétrir  sinon  à  détruire  les  sources  même  de  la  vie  (1). 
Cette  dernière  assertion  a  été  vivement  controversée  ;  il  est  cer- 
tain que  la  syphilis  existait  en  Amérique  avant  le  seizième  siè- 
cle ;  existait-elle  aussi  en  Europe  ?  c'est  un  point  resté  fort 
obscur  (2).  On  a  beaucoup  insisté  sur  le  mot  espagnol,  Buba, 
que  l'on  traduit  par  afï'ection  syphilitique  ;  mais  il  reste  à  savoir 
si  ce  mot  avait  alors  la  même  signification  que  nous  lui  donnons 


dos  sont  de  petite  talile  ;  l'indice  céphalique  (73)  est  le  même  :  tous  les  deux  ont  les 
pommettes  saillantes  ;  les  yeux  obliques  petits  et  bridés  ;  les  cheveux  noirs,  gros, 
droits  ;  l'oreille  grande,  écartée  ;  le  visage  plat,  arrondi  ;  une  tendance  à  l'obésité.  Il 
n'est  pas  jusqu'à  la  botoque,  ce  singulier  ornement  auquel  les  Botocudos  doivent  leur 
nom,  qui  ne  se  trouve  chez  les  Koloches.  »  Bordicr,  Topinard,  Bull.  Soc  Anth.,  1881. 

(1)  Clavigero,  Stoina  antica  del  Messico,  1. 1,  p.  117,  t.  IV,  p.  303.  —  Herrera,  Hisl. 
Gen.,  déc.  II,  1.  XCXXI.  —  Gomara,  Co7iq.  Mex.,  î°  148.  —  Sahagun,  Hist.  Gen.  de 
las  Cosas  de  Nueva  Espana,  t.  II,  1.  VII,  p.  24G.  —  Oviedo,  Hist.  de  las  Indias. 

(2)  Les  historiens  chinois  rapportent  que  2637  ans  av.  J.-C,  l'empereur  Hoang-ty 
décrivait  des  affections  syphilitiques  chez  l'homme  et  chez  la  femme.  Mais  ce  fait,  qui 
prouverait  l'existence  de  la  syphilis  avant  la  découverte  de  l'Amérique,  est  très  con- 
testé. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  5H 

aujourd'hui  (1).  Ce  qui  n'est  point  douteux,  c'est  que  des  osse- 
ments portant  les  témoignages  irrécusables  de  cette  maladie  ont 
été  trouvés  dans  les  Stone  Graves  du  Tennessee  (2)  et  que  les 
mêmes  traces  existaient  sur  d'autres  ossements  provenant  des 
mounds  de  l'Iowa,  de  l'Illinois,  de  Rock  River  (3)  et  de  ceux 
situés  auprès  de  Nashville  (4).  Ce  n'est  pas  seulement  dans 
l'Amérique  centrale  que  nous  voyons  ces  traces  indélébiles,  et 
nous  avons  déjci  cité  un  crâne  des  paraderos  de  la  Patagonie, 
sur  lequel  Rroca  avait  constaté  une  ostéite,  qu'il  n'hésita-it  pas 
à  attribuer  à  une  affection  syphilitique. 

Il  serait  loisible  de  demander  si  toutes  ces  lésions  sont  bien 
dues  aux  mêmes  causes  pathologiques  (5)  ;  mais  d'autres  faits 
viennent  confirmer  cette  hypothèse.  Les  récits  qui  nous  sont 
parvenus  feraient  croire  que  les  Mayas  connaissaient  les  afTec- 
tions  vénériennes  et  qu'ils  se  servaient  pour  les  guérir  de  l'é- 
corce  d'un  arbre,  le  Guayacan,  originaire  du  Nicaragua  (6).  Ce 
qui  est  également  certain,  c'est  que  l'on  trouve  dans  les  langues 
anciennes  de  l'Amérique,  des  mots  qui  se  rapportent  à  ces  mala- 
dies, dont  les  indigènes  par  une  conception  assez  bizarre  fai- 
saient remonter  l'origine  à  un  de  leurs  dieux,  Nanahuatl,  qui 
le  premier  aurait  ainsi  infecté  le  genre  humain  (7). 

D'autres  maladies  des  os  pour  être  moins  fréquentes,  n'étaient 
pas  inconnues.  Le  D'  Farquharson  décrit  une  curieuse  affection 
des  vertèbres  cervicales  qui  paraît  avoir  été  suivie  de  guérison  (8). 

(1)  IIP  Cong.  des  Américanistes.  Madrid,  1881. 

(2)  «  Several  Skeletons  in  thèse  Mounds  bore  unmistakable  marks  of  the  ravages  of 
syphilis.  >;  iones,  Aboriginal  Remains  of  Tennessee.  Smith.  Cont.,  t.  XXII. 

(3)  Farquharson,  Proc.  Ain.  Ass.  Détroit  (Michigan).  1875. 

(4)  Putnam,  Aixh.  Expl.  in  Tennessee,  Report  Peabody  Mus.,  t.  II,  p.  305. 

(5)  n  Several  Pathologists  who  hâve  examined  thèse  bones  unité  in  stating  that  they 
do  not  prove  the  évidence  of  syphilis  ;  as  other  deseases  but  syphilis  might  leave  such 
effects.  »  Putnam,  Rep.  Peabody  Mus.,  t.  II,  p.  316. 

(6)  Le  D""  Bruhl  {Cincinnati  Lancet  and  Clinic  May  29,  1880)  parle  d'autres  remèdes 
antisyphilitiques,  connus  des  habitants  de  l'Amérique  centrale  et  du  Pérou. 

(7)  Brasseur  de  Bourbourg,  Hist.  des  Nations  civilisées,  t.  1,  p.  181. 

(8)  La  guérison  fort  rare  et  fort  difficile  de  cette  lésion,  exige  un  temps  très  long  et 
des  soins  continuels  (Nélaton,  Patfiologie  chirurgicale).  Ces  peuples  vivaient  donc  ea 
société  et  n'abandonnaient  pas  ceux  des  Iem"S  qui  étaient  atteints  d'inflrmitQS  graves 
{Am.  Ass.  Détroit,  Michigan,  1875). 


512  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Plusieurs  crânes  du  Tennessee  portent  les  traces  d'inflammations 
anciennes  ;  d'autres,  des  excroissances  osseuses  qui  effacent  les 
sutures  lambdoïdales  ou  pariétales  (1).  On  a  également  constaté 
sur  les  os  longs,  de  vieilles  ankyloses. 

Les  blessures  dues  à  des  causes  traumatiques,  n'étaient  point 
rares.  Le  Peabody  Muséum  renferme  deux  crânes  péruviens, 
qui  méritent  d'être  cités.  L'un  d'eux  montre  une  fracture  longue 
de  cinq  centimètres,  large  de  trois  et  profonde  de  quatre-vingt- 
quatre  millimètres.  Le  travail  de  réparation  est  très  visible,  et 
quatre  fragments  de  la  substance  osseuse  sont  de  nouveau  soli- 
difiés (2).  L'autre  crâne  appartient  à  un  adulte;  il  porte  une  frac- 
ture frontale  très  étendue  (onze  centimètres  de  longueur  sur  cinq 
de  largeur)  ;  elle  avait  été  sans  doute  produite  par  un  violent  coup 
de  massue.  Ici  aussi  les  cinq  ou  six  fragments  que  l'on  peut 
encore  distinguer  étaient  solidifiés.  Dans  les  deux  cas,  les 
blessés  avaient  survécu  probablement  durant  de  longues  années. 
Ils  avaient  triomphé  par  la  force  de  leur  constitution,  car  rien  ne 
témoigne  d'une  opération  chirurgicale,  l'enlèvement  des  frag- 
ments osseux  par  exemple  (3). 

Il  n'en  était  pas  toujours  ainsi.  Sur  un  autre  crâne  provenant 
également  de  la  remarquable  collection  du  Peabody  Muséum, 
on  peut  voir  une  perforation  probablement  tentée  comme  un 
mode  de  guérison  pour  une  inflammation  de  la  boîte  osseuse 
dont  la  trace  est  très  apparente,  et  Squier  (4)  a  rapporté  du 
Pérou  un  crâne  (fig.  217)  trouvé  dans  un  cimetière  de  la  A^allée 
du  Yucay,  où  un  morceau  paraît  avoir  été  enlevé  au  moyen  de 
quatre  incisions  régulières  (5).  Ici  aussi,  les  os  présentent  les 
traces  d'une  ancienne  inflammation,  et  d'éminents  chirurgiens. 


(1)  L.  Carr,  Observations  on  the  Crania  from  theStone  Graves  of  Tennessee: Pea- 
body Mus.  Rep.,  t.  II,  p.  381. 

(2)  Ce  crâne  porte'le  n°  720G  et  provient,  ainsi  que  le  suivant  (n"  716.Î),  de  la  col- 
lection péruvienne  formée  par  Agassiz. 

(3)  Wyraan,  Report  Peabody  Muséum,  1874,  p.  10. 

(4)  Peru,  Incidents  of  Travel  and  Exploration  in  the  Land  of  the  Incas,  p.  457. 
Append.  A. 

(5)  L'ouverture  mesure  177  sur  146  millimètres. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  513 

tels  que  Nélaton  et  Broca,  n'ont  pas  hésité  à  attribuer  la  perfora- 
tion à  une  opération  tentée  durant  la  vie. 

Une  fautpas  confondre  ces  opérations  avec  les  trépanations  pos-  Trépanations 
thumes,  très  fréquentes  sur  divers  points  de  l'Amérique  (1). 
On  ne  sait  rien  de  précis  sur  ces  trépanations;  étaient-elles  une 


Fig.  217.  —  Crâne  péruvien  trépané. 

marque  d'honneur,  un  rite  religieux?  devaient-elles  servir  à 
l'extraction  de  la  cervelle  et  à  la  suspension  de  la  tête,  ou  bien 
étaient-elles  destinées  à  permettre  à  l'âme  de  visiter  de  nouveau 
le  corps  qu'elle  avait  habité?  Toutes  les  hypothèses  sont  pos- 
sibles, aucune  ne  peut  être  prouvée.  Les  fouilles  d'un  mound 
en  forme  de  cône  irrégulier,  de  dix  à  quinze  pieds  de  hauteur, 
situé  auprès  de  la  rivière  Devil,  ont  mis  au  jour  cinq  squelettes 
enterrés  debout  ;  un  sixième  était  couché  au  centre  du  tumulus 
et  occupait  évidemment  la  place  d'honneur;  les  uns  et  les  autres 
portaient  au  crâne  la  même  perforation. 

On  a  aussi  retiré  des  crânes  trépanés  d'un  mound,  auprès  de 

(1)  Americ.  Ass.  Détroit,  1875.  —  H.  Gillman,  Add.  Facts  conceiming  artificial  Pré- 
paration of  the  Cranium  in  ancient  Mounds  in  Michigan.  Am.  Ass.  Nashville,  1877. 
De  Nadaillac,  Amérique.  33 


514  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

la  rivière  Sable  et  du  grand  tumulus  de  la  rivière  Rouge, 
dont  nous  avons  déjà  parlé  ;  mais  les  perforations  sont  en  gé- 
néral plus  petites  que  celles  des  crânes  provenant  des  autres 
mounds. 

Les  trépanations  du  Michigan  sur  lesquelles  nous  avons  des 
détails  plus  complets,  étaient  toujours  faites  après  la  mort  et  uni- 
quement sur  des  adultes  du  sexe  masculin  (1)  ;  elles  ont  de  un  à 
deux  centimètres  de  diamètre  et  sont  constamment  placées  sur  la 
suture  sagittale  (2),  généralement  au  point  de  jonction  avec  la 
suture  coronale.  Elles  étaient  obtenues  au  moyen  d'un  instru- 


Fig.  218.  —  Crâne  perforé  (Coll.  de  M.  de  Baye). 

ment,  probablement  d'un  silex  pointu,  que  l'on  faisait  rapide- 
ment tourner.  Nous  avons  raconté  (3)  ces  perforations  en  Europe 
et  notamment  en  France,  où  elles  ont  été  si  complètement  élucidées 
par  Broca  (4).  Elles  étaient  souvent  chirurgicales  et  pratiquées 
sur  le  vivant  (fig.  218).  Tous  les  âges,  tous  les  sexes  y  étaient 
soumis.  Leur  position,  leur  forme,  leur  longueur  variaient  selon 
la  blessure  ou  la  maladie  que  l'on  prétendait  soulager.  Toute 
comparaison  entre  elles  et  les  trépanations  américaines  est  donc 

U)  Broca,  Rev.  d'Anth.,  1876,  p.  435. 

(2)  La  suture  sagittale  unit  les  doux  pariétaux  et  s'étend  d'avant  en  arrière  sur  la 
ligne  médiane.  La  suture  coronale  s'étend  dans  la  région  frontale. 

(3)  Les  Premiers  Hommes,  t.  II,  p.  218  et  s. 

{k)  Mémoire  lu  en  1876  au  Congrès  de  Buda-Pest.  Rev.  d'Anth.,  1877. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  315 

impossible.  On  cite  bien  une  rondelle  crânienne  de  tous  points 
semblable  à  celles  trouvées  en  France  par  le  D""  Primières  ;  mais 
nous  ne  saurions  attacher  une  importance  très  grande  à  une 
découverte  jusqu'ici  unique. 

Il  nous  faut  revenir  sur  ces  curieuses  déformations  artificielles   Déformations 

crâniennes. 

du  crâne  si  fréquentes  au  nord  comme  au  sud  du  continent 
Américain,  Lors  de  la  conquête  espagnole,  le  plus  grand  nom- 
bre des  indigènes,  surtout  ceux  qui  habitaient  les  côtes  du  Paci- 
fique, conservaient  leur  ancienne  habitude  de  comprimer  la  tête 
des  enfants  dès  leur  naissance  (1),  La  plus  récente  de  ces  défor- 
mations, la  plus  à  la  mode,  si  ce  mot  est  permis,  était  l'apla- 
tissement du  front,  de  sorte  que  la  tête  s'élargissait  sur  les  côtés, 
et  paraissait  comme  couchée  en  arrière  sous  un  angle  variable. 
Il  en  était  d'autres  :  au  premier  congrès  des  Américanistes, 
tenu  à  Nancy  en  1875,  on  a  pu  voir  successivement  un  crâne 
Aymara  provenant  de  la  Bolivie,  allongé  en  pointe;  un  autre 
crâne  de  la  même  origine  en  forme  de  cylindre  ;  un  crâne  indien 
aplati  d'avant  en  arrière,  de  manière  à  donner  au  front  des 
dimensions  énormes  ;  des  crânes  patagons  enfin,  dont  l'un  avait 
aussi  été  allongé  d'avant  en  arrière  et  l'autre  avait  subi  une 
telle  pression  sur  le  milieu  de  la  tête  qu'il  offrait  une  apparence 
bicorne. 

Cet  usage  remonte  aux  plus  anciennes  races  qui  ont  peu- 
plé le  pays.  Presque  tous  les  crânes  des  Mound-Builders  décou- 
verts jusqu'à  ce  jour,  ont  l'occiput  aplati  ;  mais  la  déformation 
présente  peut-être  chez  eux  des  caractères  moins  exagérés  que 
chez  d'autres  races  américaines.  Sous  un  des  mounds  de  l'Utah, 
au  milieu  de  ce  pays  qui,  il  y  a  quelques  années  à  peine,  était 
absolument  désert  et  inconnu,  on  a  recueilli  un  crâne  montrant 
une  dépression  artificielle  considérable  (2).    Cette  déformation 

(1)  Wilson,  Prehistoric  Man,  t.  II,  c,  xxi.  —  Jones,  Ant.  of  Tennessee;  Smith.  Cont., 
1876.  —  Catlin,  North  American  Indians,  t.  II,  p.  40.  —  Bancroft,  The  Native  Races, 
1. 1,  II  et  IV.  —  Le  D'  Moreno  {Rev.  d'Anth.,  1874)  a  recueilli  dans  les  cimetières  de 
la  Patagonie  quarante-cinq  crânes  des  anciens  Tehuelches  ;  dix-huit  présentent  une 
déformation  très  marquée. 

(2)  Report  Peabody  Muséum,  1877,  t.  II,  p.  199. 


S16  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

existait  chez  toutes  les  races  Mayas  ;  les  représentations  humaines 
trouvées  dans  le  Chiapas,  le  Honduras  ou  le  Yucatan,  ne  peuvent 
laisser  de  doute  à  cet  égard  (fig.  123, 124, 126, 128).  Les  crânes  re- 
tirés par  le  D'  Flint  des  grottes  du  Nicaragua,  portent  aussi  une 
dépression  frontale  très  marquée  (1).  L'origine  de  cette  coutume 
est  inconnue  ;  on  croyait  qu'elle  avait  été  introduite  parmi  les 
hommes,  par  les  dieux  eux-mêmes.  Les  idoles  ont  toutes  la  tête 
curieusement  aplatie,  et  des  fouilles  récentes  ont  mis  au  jour 
auprès  de  Vera-Cruz,  des  figurines  en  terre  cuite  qui  présentent 
cette  même  déformation  (2). 

Les  moyens  employés  variaient  singulièrement.   Tantôt  les 
déformations  étaient  obtenues  au  moyen  de  planchettes  attachées 


Fig.  219.  —  Déformation  artificielle  pratiquée  sttr  un  enfant. 

sur  la  tête  des  enfants.  La  figure  (fig.  219)  que  nous  reprodui- 
sons témoigne  du  supplice  infligé  à  ces  petits  êtres,,  et  ce  sup- 
plice durait  huit  ou  dix  mois  !  La  tête  de  la  mère  montre  celle 


(1)  Report  Peabody  Muaeum,  1880,  t.  Il,  p.  716. 

(2)  Ces  figurines  portent  selon  la  coutume  des  nobles  Mexicains,  une  barbiche  au 
menton. 


LES  HOMMES  DE  L'AMERIQUE.  Ml 

qu'elle  voulait  créer,  c'est  bien  le  cas  de  le  dire,  chez  son  enfant. 
D'autres  fois  on  entourait  la  tête  des  nouveau-nés  de  bandelettes 
de  laine.  Les  Choctaws  (1)  se  servaient  d'un  petit  sac  de  sable,  sur 
lequel  la  tète  était  constamment  appuyée  (2).  Les  Mosquitos  pla- 
çaient sur  le  crâne  des  enfants,  dès  qu'ils  avaient  un  mois,  une 
planche,  et  ils  augmentaient  la  pression  jusqu'à  ce  que  le  résul- 
tat obtenu  fût  satisfaisant.  Dans  le  Yucatan,  quatre  ou  cinq  jours 
après  sa  naissance,  l'enfant  était  couché  sur  le  ventre  et  la  tête 
placée  entre  deux  planchettes.  L'une  comprimait  le  front,  l'autre 
l'occiput,  et  cette  position  qui  paraît  si  cruelle  était  maintenue 
sans  changement,  durant  des  temps  assez  longs  (3). 

Il  ne  semble  pas  que  des  coutumes  si  bizarres  aient  nui  à 
la  santé  ou  à  l'intelligence.  Elles  ne  sauraient  au  surplus  nous 
étonner,  car  nous  les  retrouvons  à  chaque  page  de  l'histoire 
ethnique.  Hippocrate  (4)  parle  d'une  tribu  macrocéphale  qui 
habitait  près  du  Palus  Mœotide;  les  parents,  dès  la  naissance 
des  enfants,  cherchaient  à  donner  à  leur  tête  une  forme  al- 
longée. Strabon  (5)  cite  un  peuple  asiatique,  où  par  des  moyens 
artificiels,  on  forçait  le  front  à  dépasser  la  ligne  du  menton. 
Blumenbach  a  vu  un  crâne  portant  cette  dépression  retiré  d'un 
tumulus  de  la  Crimée  ;  un  autre  absolument  semblable  a  été 
trouvé  auprès  de  Kertch  (6),  c'était  donc  un  usage  général.  Telle 
était  aussi  la  coutume  des  Avares  de  race  Mongole  (7),  si  comme 
nous  le  pensons,  on  doit  leur  attribuer  soit  les  crânes  de  Grafenegg 
et  d'Atzgerrsdorf  auprès  de  Vienne,  soit  d'autres  découverts  sur 

(1)  Chez  les  Choctaws,  comme  chez  les  Aymaras,  la  déformation  crânienne  était  exclu- 
sivement réservée  aux  enfants  mâles. 

(2)  Adair,  Hist.  of  the  American  Indians,  p.  284. 

(3)  Oviedo  y  Valdes,  Hist.  Gen.  y  Nat.  de  ias  Indias,  Madrid,  1851-4,  t.  IV,  p.  54. 
—  Herrera,  Hist.  Gen.  de  los  Hechos  de  los  Castellanos  en  las  Islas  i  Tierra  Firme 
del  Mar  Oceano.  Dec.  III,  lib.  IV,  c.  vu  ;  Dec.  X,  lib.  X,  c.  m.  Madrid,  1601.  —  Squier, 
Nicaragua,  New- York,  1860,  t.  II,  p.  341.  —  Landa,  Relacion  de  las  Cosas  de  Yuca- 
tan. Paris,  1864,  p.  114,  180,  194. 

(4)  De  Aeris,  Aquis  et  Locis. 

(5)  Geog.,  lib,  I,  c.  xix. 

(6)  Millier,  Archiv  fur  Anatomie. 

(7)  Retzius  en  constatant  cette  déformation  constante  chez  les  Mongols,  prétend 
qu'elle  fut  introduite  en  Amérique  par  des  immigrants  asiatiques.  Archives  des  Scien- 
ces Naturelles.  Genève,  1860.  —  Smilh.  Report,  1859,  p.  270. 


518  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

divers  points  de  l'Allemagne  ou  de  la  Suisse,  qui  présentent  la 
même  déformation.  Une  médaille  frappée  en  l'honneur  d'Attila 
à  la  date  de  452  de  notre  ère,  porte  le  buste  du  Fléau  de  Dieu,  la 
tête  est  visiblement  déprimée.  Un  crâne  ainsi  déformé,  apparte- 
nant à  un  squelette  de  très  grande  taille  a  été  trouvé  auprès  de 
la  porte  de  Damas  à  Jérusalem  (1).  Le  D""  Meigs  reconnut  que  la 
forme  était  due  à  une  compression  exercée  dès  l'enfance.  Cette 
modification  artificielle  de  la  tête  existait  aussi  chez  les  Calédo- 
niens, les  Scandinaves  (2)  et  chez  les  Anglo-Saxons  dès  l'épo- 
que la  plus  reculée  (3).  Elle  existe  de  nos  jours  dans  un  grand 
nombre  des  îles  de  l'Océanie  ;  la  forme  de  la  tête  est  même 
un  moyen  de  reconnaître  ces  insulaires;  car  chaque  île  a  sa  cou- 
tume transmise  par  les  ancêtres  et  toujours  religieusement  ob- 
servée. Sur  d'autres  points,  c'est  un  privilège  aristocratique,  et  il 
n'est  permis  ni  aux  esclaves,  ni  aux  hommes  de  condition  infé- 
rieure, de  l'adopter  pour  leurs  enfants. 

Mais  sans  chercher  si  loin  cette  coutume,  nous  la  trouvons 
aujourd'hui  encore  dans  certaines  parties  du  midi  de  la  France, 
où  elle  est  connue  sous  le  nom  de  déformation  toulousaine. 
Elle  s'obtient  en  comprimant  avec  des  bandes  la  tête  du  nou- 
veau-né (4).  '.•,•• 

11  est  curieux  de  voir  un  usage,  qui  tout  d'abord  paraît  si 
étrange,  exister  chez  les  vieilles  races  de  notre  continent,  se  re- 
trouver chez  les  envahisseurs  asiatiques,  comme  chez  les  plus 
anciens  habitants  de  l'Amérique,  se  perpétuer  à  travers  les  temps 
et  à  travers  l'espace,  non  seulement  chez  les  Indiens  (5)  ouïes 


(1)  Ce  crâne  fait  aujourd'hui  partie  des  collections  de  l' Académie  des  sciences  na- 
turelles de  Philadelphie.  Description  of  a  Deformed  Fragmentary  Skull  in  an  An- 
cienf  Quarry  Cave  at  Jérusalem.  Trans.  of  Philadelphia  Âc.  of  Nat.  Se,  1859. 

(2)  Gosse,  Essai  sur  les  déformations  artificielles  du  crâne,  p.  72. 

(3)  Thurnam,  Crania  Britannica,  p.  38. 

(4)  Il  existe  dans  le  département  des  Deux-Sèvres  un  mode  de  compression  différent 
de  la  déformation  Toulousaine  ;  on  pourrait  citer  d'autres  exemples  de  ces  coutumes 
locales,  invétérées  chez  nos  populations. 

(5)  De  là  le  nom  de  Flat-Heads  donné  aux  Indiens  de  la  Colombie  anglaise.  Cette 
compression  est  d'un  usage  général  chez  tous  les  Indiens  du  JNord,  notamment  chez  les 
Haidahs  de  l'ile  de  Vancouver,  les  Qualsinos  et  les  Quackolls,  où  la  perfection  semble 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  M9 

sauvages  insulaires  de  la  Polynésie,  mais  encore  chez  les  races  les 
plus  civilisées  et  jusque  dans  notre  propre  pays.  Cette  similitude 
des  conceptions  et  des  goûts  même  les  plus  bizarres,  dans  tous 
les  temps  et  chez  les  races  les  plus  différentes,  est  un  fait  d'une 
haute  portée,  digne  des  profondes  méditations  de  tous  ceux  qui 
s'intéressent  à  l'étude  de  l'homme. 

Une  question  a  été  soulevée.  Cette  dépression  a-t-elle  tou- 
jours été  volontaire  et  ne  provient-elle  pas  souvent  du  mode 
vicieux,  employépour  tenir  ou  pour  attacher  les  nouveau-nés  (1)? 
Garcilaso  de  la  Yega  (2)  rapporte  que  chez  les  Péruviens,  l'enfant 
était  constamment  couché  dans  un  cadre  en  bois,  garni  de 
cordes  tressées;. il  était  attaché  de  manière  à  gêner  tous  ses  mou- 
vements; on  ne  le  sortait  jamais  de  ce  lit,  même  pour  lui  donner 
le  sein,  ce  qui  se  faisait  régulièrement  trois  fois  par  jour.  L'apla- 
tissement du  crâne  tenait-il  uniquement  à  cette  cause  et 
était-il  involontaire?  Cela  est  peu  probable,  et  il  paraît  certain 
que  ces  populations  croyaient  ajouter  à  leur  beauté  par  de  sem- 
blables déformations. 

On  a  été  plus  loin  et  on  a  voulu  y  voir  une  disposition  congé- 
nitale. «  Je  ne  crains  pas  d'affirmer,  a  dit  M.  Robertson,  à  un 
Congrès  d'Américanistes  (3),  que  l'aplatissement  provient  non 
d'une  compression  artificielle  mais  d'une  loi  de  nature.  »  C'est  là 
une  erreur  complète,  que  viennent  également  démentir  les  lois 
physiologiques  et  les  faits  historiques;  elle  mériterait  à  peine 
d'être  mentionnée,  si  nous  ne  tenions  à  mettre  sous  les  yeux  de 
nos  lecteurs,  toutes  les  hypothèses  émises,  quelque  peu  fondées 
qu'elles  puissent  paraître. 

Nous  avons  résumé  tout  ce  qui  est  actuellement  connu  sur  les 
ossements  humains  trouvés  en  Amérique,  et  qui  remontent  aux 
races  préhistoriques.  Quelles  conséquences  peut-on  tirer  de  ces 
découvertes?  quelles  lois  générales  permettent-elles  de  dégager? 

la  forme  du  pain  de  sucre,  les  Chinooks,  les  Sahaptins,  etc  Parmi  les  Indiens  du  Sud, 
aous  citerons  les  Choctaws  et  les  Catavvbas. 

(1)  Conant,  Foot  Prints  of  Vanished  Races,  p.  102  et  s. 

(2)  Hisl.  des  Incas,  rois  du  Pérou,  c.  xii,  trad.  franc.  Paris,  1744. 

(3)  Les  Mound-Builders,  Luxembourg,  IS'l,  p.  43. 


520  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Une  première  conclusion  se  présente  naturellement,  L'Améri- 
cain, si  haut  qu'on  puisse  le  faire  remonter,  ne  diffère  en  rien 
des  hommes  qui  habitent  aujourd'hui  les  rives  de  l'Atlantique  ou 
du  Pacifique.  La  faune  et  la  flore  ont  changé;  les  conditions  cli- 
matériques  et  biologiques  ont  subi  de  profondes  modifications, 
l'homme  seul  est  resté  semblable  à  lui-même,  semblable  par  sa 
charpente  osseuse,  semblable  par  ses  habitudes  et  par  ses  affec- 
tions pathologiques.  Partout  et  toujours,  il  a  subi  les  dures  lois 
de  la  vie  ;  il  a  soutenu  les  mêmes  luttes,  il  a  été  amené  aux 
mêmes  progrès.  Une  seconde  conclusion  n'est  pas  moins  impor- 
tante. Entre  l'homme  du  Nouveau-Monde,  et  ceux  qui  ont  peu- 
plé l'Ancien  Continent,  il  n'existe  nulle  différence  essentielle  ; 
l'unité  du  genre  humain  s'impose  comme  la  grande  loi,  qui 
domine  l'histoire  de  l'humanité. 

Sans  doute  comme  les  vieilles  races  de  notre  Continent,  les 
races  Américaines  se  composent  d'éléments  bien  divers,  de  va- 
riétés bien  différentes  (1).  Une  première  race  dolichocéphale  sem- 
ble avoir  envahi  tout  d'abord  les  vastes  régions  comprises  entre 
les  deux  Océans.  Les  hommes  de  cette  race  ont  vu  les  grands 
pachydermes,  les  grands  édentés,  il  ont  parcouru,  comme  leurs 
contemporains  en  Europe,  les  diverses  phases  de  l'âge  de  pierre. 
Dautres  races  sont  arrivées  par  des  migrations  successives  dont 
les  premières  remontent  sans  doute  à  des  époques  bien  recu- 
lées (2)  ;  elles  ont  apporté  chez  les  anciens  habitants  de  l'Amé- 
rique de  profondes  modifications,  analogues  à  celles  produites  en 
Europe  par  la  venue  des  Aryas.  C'est  à  la  recherche  de  ces  mi- 
grations, à  l'étude  de  ces  origines,  qu'il  nous  faut  consacrer  les 
dernières  pages  de  cette  étude. 

Assurément,  bien  des  points  restent  encore  obscurs  et  insolu- 


(1)  Bordier,  Bul.  Soc.  Anih.  Janvier,  1881. 

(2)  a  Hence  we  find  Mound-Builder's  skuUs  with  this  ancient  form,  associated  with 
others  of  more  modem  type.  The  discovery  of  thèse  skulls,  with  characteristics  so 
much  like  those  of  the  most  ancient  of  the  prehistoric  types  of  Europe,  would  seem 
to  indicate  that  if  America  was  peopled  by  émigration  from  the  old  world,  that  event 
must  hâve  taken  place  at  a  very  early  time,  far  back  of  any  of  which  we  hâve  any 
record.  »  Letter.  of  D""  Lapham  to  D'  Poster,  Conant,  /.  c,  p.  108. 


LES  HOMMES  DE  L'AMÉRIQUE.  521 

blés  :  «  De  quelque  côté  que  l'homme  se  tourne,  a-t-on  dit  (1), 
qu'il  regarde  dans  le  passé  ou  dans  l'avenir,  qu'il  scrute  l'univers 
sidéral,  ou  qu'il  interroge  les  vestiges  et  les  documents  mutilés 
de  l'histoire  de  la  vie  sur  cette  planète,  si  l'homme  veut  partir 
de  quelque  point  fixe  ou  assuré,  s'il  cherche  un  fondement  iné- 
branlable, une  pierre  angulaire,  il  n'en  trouvera  point.  »  Nous 
nous  associons  volontiers  à  ces  paroles  ;  l'homme  par  ses  seules 
forces  ne  saurait  résoudre  les  grandes  questions  de  nos  origines 
et  de  nos  fins,  des  causes  premières  et  des  causes  finales. 
L'intelligence  de  l'homme,  quelque  admirable  que  la  montrent 
les  progrès  sans  cesse  grandissants  de  l'humanité,  est  limi- 
tée. L'infini  se  dresse  devant  lui  ;  l'homme  ne  saurait  l'a- 
border. 

(1)  J.  Soury,  Int.  à  l'Hist.  des  Protistes  de  Hœckel,  p.  VI. 


CHAPITRE  X 


L'ORIGINE  DES  AMERICAINS. 


ISous  Yoici  au  terme  de  notre  tâche  ;  le  problème  qui  domine 
les  recherches  sur  l'Amérique  préhistorique,  se  dresse  devant 
nous  avec  toutes  ses  incertitudes  et  vient  réclamer  une  solution. 
Ce  que  l'on  nomme  la  science,  est  une  conquête  de  l'esprit  hu- 
main (1);  elle  se  fait  lentement  et  laborieusement,  par  le  con- 
cours de  tous,  et  toujours  elle  procède  de  la  même  manière,  par 
l'observation  des  faits  particuliers,  qu'elle  groupe,  dont  elle  ré- 
sume les  causes  communes,  dont  elle  découvre  les  lois  générales. 
Nous  avons  fait  connaître  les  races  qui  ont  successivement 
occupé  le  continent  américain;  nous  avons  dit  leurs  caractères 
physiques, les  travaux  qui  perpétuent  leur  souvenir;  nous  avons 
raconté  les  faits;  il  reste  à  dégager  la  loi  générale,  à  cher- 
cher les  rapports  qui  ont  existé  entre  des  races  en  apparence 
si  diverses,  ceux,  s'il  en  est,  qui  les  relient  aux  races  de 
l'ancien  continent.  Nous  ne  pouvons  cependant  nous  dissimuler 
que  malgré  les  remarquables  travaux  qui  honorent  les  savants 
de  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  l'histoire  des  premiers  Améri- 
cains reste  encore  bien  vague  et  bien  obscure  (2).  Est-il  possible 
d'affirmer  l'origine  de  ces  populations  ?  Est-il  possible  de  remon- 
ter du  sauvage  nomade,  contemporain  du  mégatherium  et  du 

(1)  Jamin,  Revue  des  Deux-Mondes.  Octobre  1881. 

(2)  Bandelier,  On  the  Sources  of  Aboriginal  Hist.  of  Spanish  America.  Am.  Âss. 
Saint-Louis,  1878. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS-  323 

mastodonte,  à  rhomme  sauvage  encore,  mais  ayant  déjà  une 
demeure  fixe,  que  viennent  attester  les  kjokkenmôddings  ou  les 
sambaquis?  Du  Mound-Builder,  élevant  à  ses  dieux  ou  à  ses  an- 
cêtres de  gigantesques  tumuli,  au  Mexicain  ou  au  Péruvien,  dont 
tous  les  récits  attestent  la  richesse  et  la  civilisation  ?  Nous  conce- 
vons bien  le  lien  qui  unit  ces  populations,  malgré  leurs  dissem- 
blances ;  mais  ce  lien  est  difficile  à  établir  avec  quelque  préci- 
sion, et  si  même  nous  arrivions  à  le  faire,  notre  curiosité  ou  notre 
ardeur  scientifique  ne  seraient  guère  satisfaites,  car  ces  hommes, 
si  haut  que  nous  puissions  remonter,  avaient  des  ancêtres.  Quels 
étaient  donc  ces  ancêtres,  les  premiers  occupants  de  ces  régions 
immenses  que  baignent  l'Atlantique  et  le  Pacifique  ?  Etaient-ils 
aborigènes,  issus  d'une  création  distincte  que  ne  mentionnent 
pas  nos  traditions  ?  Venaient-ils  de  l'ancien  continent  par  des 
immigrations,  dont  on  croit  retrouver  les  traces  et  qui  expli- 
quent les  caractères  si  différents  que  l'on  constaté  dès  le  sei- 
zième siècle  parmi  les  Américains  ?  Dvons-nous  accepter  la 
dernière  théorie  de  l'abbé  Brasseur  de  Bourbourg  qui  place  en 
Amérique  le  berceau  de  la  civilisation  primitive?  C'est  le  Nou- 
veau Monde,  'selon  lui,  qui  aurait  peuplé  l'ancien  ;  et  c'est  de 
l'Amérique,  que  seraient  arrivés  en  Afrique  et  en  Asie,  les  ani- 
maux domestiques,  les  arts,  l'industrie,  les  hiéroglyphes  et 
môme  les  rites  religieux  (1).  Que  l'on  ne  croie  pas  que  ce  soit  là 
une  opinion  isolée,  formée  dans  la  soUtude,  ou  sortie  dun  cer- 
veau mal  équilibré.  Un  écrivain  contemporain  distingué,  sou- 
tient à  son  tour  une  thèse  semblable  ;  pour  lui,  ce  sont  les  ha- 
bitants de  l'Amérique  qui  ont  été  peupler  la  Chine  et  qui  de  là 
se  sont  étendus  sur  le  globe  entier.  Dans  l'ignorance  où  nous 
sommes,  toutes  les  hypothèses  sont  possibles  ;  mais  les  hypothèses 
n'ont  qu'une  existence  éphémère;  les  faits  seuls  assurent  le  pro- 
grès véritable  de  la  science.  C'est  sur  eux  que  nous  voulons  nous 
appuyer  ;  nous  rechercherons  donc  tout  ce  que  l'histoire  ou  la 
légende  ont  conservé  ;  nous  ne  négligerons  aucune  des  données  du 

(1)  Quatre  lettres  sur  le  Mexique.  Paris,  1868. 


S24  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

problème  ;  leur  exposition  est  un  premier  pas  vers  sa  solution. 

Tout  en  évitant  une  conclusion  prématurée,  on  ne  saurait  mé- 
connaître les  analogies  curieuses,  qui  existent  entre  les  monu- 
ments, les  inscriptions,  les  armes,  les  outils,  entre  les  coutumes 
elles-mêmes  des  anciens  Égyptiens,  des  Assyriens,  des  Etrusques, 
des  Ibères,  des  Lybiens,  des  Guanches,  avec  ceux  des  peuples 
les  plus  anciens  de  l'Amérique.  Outre  les  nombreux  exemples  que 
j'ai  déjà  donnés,  on  peut  citer  des  cylindres  en  pierre  trouvés  en 
Amérique,  semblables  à  ceux  de  Babylone  ou  de  Persépolis.  La 
coiffure  égyptienne  appelée  Calantica  se  retrouve  sur  les  statues 
mexicaines  (1).  En  Egypte,  comme  au  Mexique,  les  bras  et  les 
mains  des  figurines  en  pierre  sont  rarement  détachés  du  corps. 
L'usage  de  momifier  les  cadavres,  de  leur  mettre  au  cou 
des  colliers  se  rencontre  au  Mexique,  au  Pérou,  en  Egypte 
et  aux  Canaries.  Des  fragments  de  lame  d'argent  ont  été 
recueillis  dans  la  bouche  de  momies  péruviennes  ;  les  Égyptiens 
étaient  aussi  dans  l'usage  de  placer  une  petite  lame  de  métal 
dans  la  bouche  des  cadavres  avant  leur  embaumement  (2).  Les 
villes  de  l'Amérique  centrale  possédaient  une  écriture  hiérogly- 
phique ;  les  pyramides  des  Mound-Builders  se  retrouvent  chez 
les  Mexicains,  et  certains  temples  du  Yucatan  et  du  Chiapas  rap- 
pellent dans  leur  construction  comme  dans  leurs  détails  les 
monuments  de  l'Egypte. 

On  dit  bien  (3)  qu'il  existe  un  nombre  de  formes  données  par 
la  nature,  que  tous  les  peuples  adoptent,  quand  ils  sont  arrivés 
à  un  certain  degré  de  civilisation,  la  forme  pyramidale  pour  les 
temples,  la  forme  ovoïde  pour  les  vases,  les  méandres  ou  les 
grecques,  les  torsades  ou  les  zigzags  pour  la  décoration  ;  mais  il 

(1)  On  a  trouvé  récemment  sous  un  mound  à  Yahala,  auprès  du  lac  Harris  (Floride), 
une  figurine  en  terre  cuite,  absolument  semblable  à  celles  qui  se  rencontrent  par  mil- 
liers dans  les  tombes  égyptiennes.  M.  Putnam  à  qui  la  statuette  a  été  communiquée 
n'a  pas  hésité  à  déclarer  qu'elle  était  une  imitation  moderne  {Am.  Art.  Review.  April 
1880).  Ces  contrefaçons  ajoutent  singulièrement  aux  difficultés  qui  attendent  l'archéo- 
logue comme  l'historien. 

(2)  A.  de  Longpérier,  Notice  des  Monuments  exposés  dans  la  salle  des  Antiques  au 
Musée  du  Louvre,  p.  125. 

(3)  Soldi,  Les  Arts  méconnus.  Paris,  1881. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  525 

paraît  impossible  d'expliquer  aussi  facilement  de  telles  ressem- 
blances, et  l'identité  si  remarquable  des  conceptions  ne  saurait 
provenir  de  la  seule  similitude  du  génie  de  l'homme. 

Que  penser  aussi  des  singulières  affinités  que  l'on  signale 
entre  l'Eskuara,  cette  langue  primitive,  conservée  chez  les  Bas- 
ques espagnols  ou  français,  et  les  divers  idiomes  américains  (1)? 
M.  de  Charencey  (2),  un  de  ceux  qui  ont  le  mieux  étudié  la  ques- 
tion, n'hésite  pas  à  dire  :  «  Nous  croyons  que  par  l'ensemble  de 
ses  caractères,  le  Basque  se  rattache  directement  aux  dialectes 
canadiens  et  par  eux  à  tous  les  idiomes  du  Nouveau  Monde,  car 
ils  ont  à  peu  près  tous  la  même  physionomie  grammaticale,  s'ils 
diffèrent  énormément  entre  eux  par  le  vocabulaire  (3).  »  Les 
ressemblances  des  noms  de  personnes  et  de  lieu  aux  Canaries  et 
à  Haïti  ne  peuvent  être  absolument  fortuites  (4).  Les  cosmogo- 
nies  antiques  en  Afrique,  en  Asie,  en  Amérique,  les  légendes 
qui  concernent  Bouddha,  Odin  ou  Yotan  présentent  des  ana- 
logies frappantes,  qu'il  est  impossible  d'attribuer  au  seul 
iiasard(5).  En  Europe  comme  en  Amérique,  les  tumuli,  lescairns, 
les  cryptes  souterrains  marquent  le  lieu  de  la  sépulture  ;  les  ca- 
davres sont  tantôt  étendus  horizontalement,  tantôt  assis  ou  re- 
pliés sur  eux-mêmes,  comme  l'enfant  dans  le  sein  de  sa  mère  ; 
la  crémation  a  existé  sur  les  deux  continents.  Si  nous  ne  possé- 
dons pas  des  preuves  suffisantes  pour  des  conclusions  absolu- 


(1)  Bladé,  Études  sur  C origine  des  Basques.  —  Baudrimont,  Hist.  des  Basques  ou 
Escualduns  primitifs. 

(2)  Des  affinités  de  la  langue  Basque  avec  les  idiomes  du  Nouveau  Monde.  Cacn, 
1867.  M.  de  Charencey  dit  que  la  famille  Algique,  comprenant  le  Delaware,  l'Algon- 
quin, le  Chippeway,  rillinois,  est  celle  qui  offre  les  affinités  les  plus  remarquables  avec 
le  Basque.  Dans  tous  ces  idiomes,  il  relève  un  procédé  uniforme  pour  former  les  mots 
composés. 

(3)  Il  faut  cependant  noter  entre  eux  de  frappantes  différences.  Le  Basque  n'emploie 
le  procédé  d'élimination  que  pour  les  composés  de  deux  substantifs,  les  dialectes  amé- 
ricains s'en  servent  pour  former  des  phrases  entières.  La  déclinaison  ne  se  rencontre 
guère  dans  ces  derniers.  Le  D""  Pruner-Bey  a  traité  toute  la  question  devant  la  Société 
d'Anthropologie  de  Paris. 

(4)  Berthelot,  Hist.  des  Canaries. 

(5)  Brasseur  de  Bourbourg,  S'il  existe  des  sources  de  l'histoire  primitive  du  Mexi- 
que dans  les  Monuments  Egyptiens. 


526  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

ment  certaines,  nous  avons  du  moins  des  éléments  précieux  pour 
les  recherches  futures. 
Traditions  et       Lcs  plus  ancieuncs  traditions   parvenues   jusqu'à  nous,  font 

légendes.  ^  -  r\ 

allusion  à  des  hommes  arrivés  de  l'Orient,  de  régions  froides  et 
glacées,  par  une  mer  triste  et  nébuleuse,  et  ces  traditions  étaient 
restées  si  puissantes  parmi  Les  indigènes,  que  les  Mexicains 
regardaient  les  premiers  Espagnols  débarqués  dans  leurs  pays, 
comme  les  fils  de  leurs  ancêtres  (1).  Ixtlilxochitl,  descendant 
chrétien  des  anciens  rois  de  l'Anahuac,  raconte  qu'après  la 
dispersion  des  hommes  qui  suivit  la  tentative  de  construction 
de  la  tour  de  Babel,  sept  Toltecs  parvinrent  en  Amérique 
et  furent  les  pères  d'une  race  nombreuse.  Les  Quiches  parlent 
d'hommes  blancs  venus  de  la  terre  du  soleil  (2).  Les  peuples  du 
Yucatan  croyaient  que  leurs  ancêtres  étaient  arrivés  de  l'Est, 
par  la  grande  mer,  que  Dieu  avait  desséchée  pour  leur  livrer 
passage. 

C'était  aussi  de  l'Est  que  venaient  Zamna,  le  disciple  et  l'é- 
mule de  Votan,  et  Cukulcan,  le  fondateur  de  Chichen-Itza  et 
le  même  personnage  probablement  que  Quetzacoatl  (3).  L'un 
et  l'autre  prêchèrent  aux  Yucatecs  le  célibat,  l'ascétisme,  et 
furent  les  initiateurs  de  leur  civilisation.  A  leur  mort,  les  peu- 
ples reconnaissants  leur  érigèrent  des  temples  et  les  adorèrent 
comme  des  dieux  (4). 

11  existe  aussi  chez  les  Indiens  quelques  traditions  intéres- 
santes. Les  Shawnees  rapportent  que  les  anciens  habitants 
de  la  Floride  étaient  des  blancs  et  que  leurs  ancêtres,  en 
arrivant  dans  le  pays,  trouvèrent  des  constructions,  des  habi- 
tudes, une  civilisation  très  étrangère  à  leur  race.  Les  Natchez 
croyaient    qu'ils   avaient    reçu   leur   culte    et   leurs  lois    d'un 

(1)  Cortès,  Carias  y  Relaciones  al  Emperador  Carlos  V. 

(2)  Brasseur  de  Bourbourg,  Hist  des  Nations  civilisées  du  Mexique  et  de  V Amérique 
centrale,  1. 1,  p.  105,  106,  166. 

(3)  Cukulcan  et  Quetzacoatl  signifient  l'un  et  l'autre  le  serpent  couvert  de  plumes. 
Ce  ne  saurait  être  là  une  circonstance  fortuite.  ' 

(4)  Landa,  Relacion  de  las  Cosas  de  Yucatan,  p.  28.  —  Herrera,  Hist.  Gen.  de  los 
Heclios  de  los  Custellanos  en  las  Islas  i  Tierra  Firme  del  Mar  Oceano.  Dec.  IV,  1.  IV, 
c.  II.  —  Cogolludo,  Hist.  de  Yucatan,  p.  178. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  527 

homme  et  d'une  femme  envoyés  par  le  soleil  (1).  Les  Tuscaro- 
ras  possèdent  une  chronologie  remontant  à  près  de  trois  mille 
ans;  leurs  pères,  selon  eux,  étaient  originaires  de  Textrème 
Nord,  des  régions  situées  bien  au  delà  des  grands  lacs  ;  ils  s'éta- 
blirent sur  le  Saint-Laurent  ;  un  peuple  étranger  arriva  par 
mer,  et  de  longues  et  sanglantes  guerres  éclatèrent  entre  les  leurs 
et  ces  nouveaux  venus.  Il  est  probable  que  toutes  ces  traditions 
reposent  sur  quelque  fond  de  vérité. 

Au  sud  de  l'Amérique,  nous  trouvons  également  des  récits  qui 
font  remonter  l'origine  du  peuple  ou  tout  au  moins  de  sa  civili- 
sation à  des  étrangers.  Les  Péruviens  attribuent  leurs  progrès  à 
Manco-Capac  et  à  la  belle  Mama-Oello,  sa  sœur  et  sa  femme, 
qui  avaient  traversé  la  mer  pour  aborder  dans  leur  pays  (2).  Une 
autre  tradition  rapporte  qu'un  homme  blanc,  portant  une  longue 
barbe,  avait  enseigné  aux  habitants  l'art  de  bâtir  des  maisons  et 
d'ensemencer  les  terres.  Il  avait  ensuite  disparu  pour  vivre 
pendant  deux  mille  ans,  dans  la  retraite  et  la  pénitence,  avant 
de  reparaître  sur  la  terre. 

Les  Guaranis  rapportent  que  deux  frères  Tupi,  et  Guarani,  dé- 
barquèrent à  la  suite  d'une  grande  inondation  sur  les  côtes  du 
Brésil  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  et  c'est  d'eux  que  se- 
raient sorties  les  races  qui  portent  leurs  noms  (3). 

D'autres  traditions  font  allusion  à  des  convulsions  de  la  na- 
ture, à  des  inondations,  à  des  perturbations  profondes,  à  des 
déluges  terribles,  au  milieu  desquels  des  montagnes  et  des  vol- 
cans auraient  subitement  surgi.  Celles  de  ces  légendes  qui  ont 
trait  à  un  déluge  universel  (4),  seraient  d'un  intérêt  très  vif,  s'il 

(1)  Du  Pratz,  Hist.  of  Louisiana,  t.  II,  p.  175.  London,  1763. 

(2)  Squ'iGi',  Peru,  Incidents  ofTravel  and  Exploration  intheLand  ofthe  Incas.  Dsins 
une  autre  partie  du  Pérou,  l'on  croyait  que  trois  œufs  étaient  tombés  du  ciel,  le  premier 
était  en  or,  le  second  en  argent,  le  troisième  en  cuivre.  Du  premier  étaient  sortis  les 
curacasou  chefs;  du  second,  les  nobles;  du  troisième,  le  peuple.  (Avendano,  Serm.  IX, 
p.  100.)  M.  Desjardins  à  qui  nous  empruntons  cette  légende  ajoute  :  «  Ces  fictions,  quj 
rappellent  à  la  fois  la  Bible  et  les  religions  de  l'Egypte  et  de  l'Inde,  ont  assurément  un 
grand  intérêt.  »  Le  Pérou  avant  la  conquête  Espagnole,  p.  S9. 

(3J  Guevara,  Hist.  del  Paraguay  en  la  col.  Hist.  Argentina,  t.  I,  p.  76. 
(4)  «  Ce  mythe  est  répandu  dans  le  Nouveau  Continent,  d'un  pôle  pour  ainsi  dire  à 
l'autre.  »  D'Eichtal,  Etudes  sur  les  origines  Bouddhiques,  V  p.,  p.  65. 


528  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

était  permis  de  croire  qu'elles  n'ont  été  ni  amplifiées,  ni  exagé- 
rées par  les  missionnaires  espagnols,  les  premiers  à  nous  les 
faire  connaître.  Elles  montrent  les  récits  chrétiens  conservés 
chez  des  peuples  séparés  depuis  de  longs  siècles  des  sources  ou 
nous  les  avons  puisés  ;  à  ce  titre,  il  convient  de  résumer  quel- 
ques-unes d'entre  elles. 

Nous  reproduisons  dans  sa  naïveté,  le  récit  donné  par  l'é- 
vêque  Landa  (1).  «  Les  eaux,  dit-il,  furent  alors  gonflées  et  il  se 
fit  une  grande  inondation,  qui  vint  au-dessus  de  la  tête  des  ha- 
bitants. Ils  furent  couverts  d'eau  et  une  résine  épaisse  descen- 
dit du  ciel  ;  la  face  de  la  terre  s'obscurcit  et  une  pluie  téné- 
breuse commença  ;  pluie  de  jour,  pluie  de  nuit,  et  il  se  fit  un 
grand  bruit  au-dessus  de  leur  tète.  Alors  on  vit  les  hommes 
courir  en  se  poussant  ;  remplis  de  désespoir,  ils  voulaient  mon- 
ter sur  les  arbres  et  les  arbres  les  secouaient  loin  d'eux  ;  ils  vou- 
laient entrer  dans  les  cavernes,  et  les  cavernes  s'écroulaient  de- 
vant eux.  » 

Le  codex  Ghimalpopoca  raconte  aussi  un  déluge,  oii  les 
hommes  périrent  et  furent  changés  en  poissons  (2).  En  un 
jour,  la  terre  disparut;  les  plus  hautes  montagnes  furent  cou- 
vertes d'eau  et  restèrent  sous  les  flots  pendant  tout  un  printemps. 
Mais  avant  ce  désastre,  Titlahuacan  (3)  avait  appelé  Nata  et  sa 
femme  Nena.  «  Ne  vous  occupez  plus  à  faire  du  pulque  (4),  leur 
avait-il  dit,  mais  au  mois  Tozotli,  creusez  un  grand  cyprès  et 
faites-en  votre  demeure,  quand  vous  verrez  les  eaux  s'élever  vers 
les  cieux.  »  Nata  et  Nena  obéirent  aux  ordres  divins.  Ils  se  nour- 
rissaient de  maïs,  durant  les  jours  où  leur  barque  flottait  sur 
les  eaux.  Elle  s'arrêta  au  bout  des  temps  marqués,  et  ils  purent 
voir  pour  la  première  fois  quelques  poissons  ;  ils  se  hâtèrent  de 
les  prendre  et  de  les  faire  rôtir  sur  un  feu  qu'ils  allumèrent,  en 

{{)  Relacion  de  las  Cosas  de  Yucatan.  Diego  de  Landa  de  la  maison  de  Calderon 
moine  franciscain,  fut  le  second  évêque  de  Merida. 

(2)  Bancroft,  /.  c,  t.  III,  p.  69. 

(3)  Un  des  dieux  Nahuas  appelé  souvent  Tezcatlipoca. 

(4)  Boisson  fermentée  faite  avec  la  sève  de  l'aloès  et  connue  au  Mexique,  où  elle  est 
encore  en  usage,  sous  le  nom  d'octli. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  529 

frottaat  deux  morceaux  de  bois  l'un  contre  l'autre;  mais  les 
Dieux  se  plaignirent  de  la  fumée  qui  arrivait  jusqu'à  eux; 
Titlahuacan  irrité  se  hâta  de  descendre  sur  la  terre,  et  prenant 
les  poissons,  il  les  transforma  en  chiens. 

Une  autre  tradition  mexicaine  nous  apprend  que  Coxcox  et  sa 
femme  Xochiquetzal  échappèrent  seuls  au  déluge  (1)  ;  ils  s'é- 
taient réfugiés  sur  le  tronc  creux  d'un  cyprès  qui  flotta  sur  les 
eaux  et  s'arrêta  enfin  sur  le  sommet  d'une  montagne  du  Culhua- 
can.  Ils  eurent  de  nombreux  enfants  ;  mais  ces  enfants  restaient 
muets.  Le  grand  Esprit  prit  pitié  d'eux  et  leur  envoya  une  co- 
lombe pour  leur  apprendre  à  parler  ;  cette  colombe  s'empressa 
de  remplir  sa  mission;  quinze  des  enfants  de  Coxcox  parvinrent 
à  se  comprendre,  et  c'est  d'eux  que  descendent  les  Toltecs,  les 
Aztecs  et  les  Acolhuas  (2).  Nous  trouvons  une  légende  à  peu  près 
semblable  dans  le  Michoacan  ;  le  nom  seul  de  l'homme  préservé 
du  déluge  varie  ;  il  s'appelle  Tespi,  et  l'oiseau  précurseur  du 
beau  temps  est  un  colibri.  Au  Guatemala  et  en  Californie,  le 
souvenir  d'un  grand  cataclysme  existe  parmi  les  plus  anciennes 
traditions  des  indigènes,  et  les  habitants  de  l'isthme  de  Tehuan- 
tepec  racontent  que  le  monde  fut  repeuplé  par  un  homme  et  une 
femme,  sauvés  des  eaux  qui  couvraient  toute  la  contrée. 

Les  Péruviens  ont  également  plusieurs  légendes  qui  témoi- 
gnent d'un  grand  déluge.  A  Quito,  on  rapportait  que  dans  des 
temps  très  éloignés,  les  eaux  avaient  envahi  la  terre  en  punition 
des  crimes  des  hommes  ;  un  petit  nombre  parmi  eux  fut  épargné  ; 
ils  s'étaient  retirés  dans  une  maison  en  bois  sur  le  haut  du  Pichin- 


(1)  Nous  donnons  la  version  de  Clavigero  reproduite  par  M.  de  Humboldt  et  par  Lord 
Kingsborough.  D'après  des  travaux  plus  récents,  elle  serait  une  fausse  interprétation 
de  la  carte  de  Gemelli  Carreri  (GhurchiU's,  Coll.  of  Voyages,  t.  IV)  à  laquelle  elle  est 
empruntée.  La  peinture  qui  consacre  cette  tradition  représenterait  le  départ  et  les 
migrations  dune  tribu  parmi  les  lacs  de  l'Anahuac.  On  voit  un  oiseau  perché  sur  un 
arbre  et  au  pied  de  cet  arbre  une  foule  d'hommes  tournés  du  même  côté  et  prêts  à  se 
mettre  en  route.  Le  nom  de  cet  oiseau,  tihuitodinn  et  son  cri  tihui  qui  signifie  en 
langue  aztèque,  il  faut  partir,  sont  probablement  l'origine  de  la  légende  que  nous 
rapportons,  mais  qui  n'est  mentionnée  par  aucun  des  plus  anciens  écrivains,  tels  que 
Sahagun,  Mendieta  ou  Ixtlilxochitl. 

(2)  Desjardins,  /.  c,  p.  25. 

De  Nadaillac,  Amérique.  34 


530  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

cha.  A  Cuzco  le  soleil  interviat  et  fit  cacher  dans  l'île  de  Titi- 
caca  ceux  qui  devaient  être  préservés.  Selon  la  tradition  con- 
servée à  Pachacamac,  bien  des  siècles  avant  les  Incas,  le  pays 
entier  fut  couvert  d'eau;  quelques  hommes  se  réfugièrent  dans 
les  montagnes;  lorsque  les  eaux  baissèrent,  ils  lâchèrent  des 
chiens,  qui  revinrent  mouillés  ;  quelques  jours  après  les  ayant 
lâchés  une  seconde  fois,  ils  rentrèrent  souillés  de  boue.  A  ce 
signe,  ces  hommes  reconnurent  que  les  eaux  s'étaient  retirées  ;  ils 
sortirent  de  leur  retraite  et  leur  postérité  repeupla  le  pays. 

Un  récit  plus  étrange  encore  est  celui  d'un  berger  qui  remar- 
quant que  ses  lamas  passaient  la  nuit  à  regarder  les  étoiles, 
interrogea  l'un  d'eux  sur  les  causes  de  sa  préoccupation.  Le 
lama  lui  fit  remarquer  la  conjonction  insolite  de  six  étoiles  et 
ajouta  que  c'était  là  un  signe  certain  que  le  monde  allait  bientôt 
être  détruit  par  les  eaux  et  qu'il  devait  se  réfugier  avec  sa  fa- 
mille et  son  troupeau  sur  la  montagne  voisine,  s'il  voulait  éviter 
d'être  victime  de  la  catastrophe  imminente.  Le  berger  s'em- 
pressa de  déférer  à  cet  avis  et  se  retira  sur  la  plus  haute  monta- 
gne du  pays  (1),  oij  déjà  une  foule  d'animaux  l'avaient  devancé. 
A  peine  y  fut-il  arrivé  que  la  mer  en  furie  couvrit  la  terre  ; 
mais  la  montagne  flottait  comme  une  barque  et  s'élevait  à  me- 
sure que  les  eaux  grandissaient.  Ce  déluge  dura  cinq  jours  et 
fut  accompagné  d'une  éclipse  totale  du  soleil.  Puis  les  eaux  se 
retirèrent  peu  à  peu  et  le  berger  et  sa  famille  furent  les  ancêtres 
du  peuple  péruvien  (2). 

D'autres  traditions  qui  se  retrouvent  principalement  dans  les 
contrées  qui  forment  la  république  actuelle  de  l'Lquateur,  attri- 
buent la  paternité  universelle  à  deux  frères  qui  s'étaient  réfu- 
giés sur  la  montagne  de  Huaca-Ynan  pour  éviter  les  eaux.  Leurs 
provisions  étaient  épuisées  ;  il  leur  fallut  quitter  la  misérable 
hutte  où  ils  avaient  trouvé  un  abri,  pour  descendre  dans  la 
vallée  à  peine  émergée.  A  leur  retour,  ils  trouvèrent  avec  éton- 

(1)  La  montagne  d'Ancasmarca,  à  cinq  lieues  de  Cuzco,  selon  les  uns,  le  mont  Hua- 
rocheri,  plus  rapproché  de  la  mer,  selon  les  autres. 

(2)  Molina,  Be/acion  de  las  Fabulas  y  Ritos  de  los  Ingas.  Ms  des  Arch.  de  Madrid. 


L'ORIGINE  DES  AMERICAINS.  S3I 

nemeat  leur  repas  préparé  ;  curieux  de  connaître  celui  qui  était 
ainsi  venu  à  leur  secours,  un  des  frères  sortit  seul  le  lende- 
main, tandis  que  l'autre  faisait  le  guet;  bientôt  il  vit  arriver 
deux  aras  à  figure  de  femme  (1)  chargées  de  vivre.  Il  parvint  à 
saisir  l'une  d'elles,  qui  devint  sa  femme  et  la  mère  du  genre 
humain. 

Une  légende  de  Cholutec  raconte  que  le  pays  était  habité  par 
des  géants  et  que  tous  à  l'exception  de  sept,  périrent  dans  un 
déluge  subit.  Quand  les  eaux  furent  retirées,  ils  voulurent  éle- 
ver une  haute  montagne  pour  échapper,  dans  l'avenir,  à  une 
semblable  catastrophe  ;  les  Dieux  irrités  de  leur  audace,  firent 
périr  un  grand  nombre  d'ouvriers  et  l'œuvre  ne  put  être  achevée. 
Selon  une  des  traditions  californiennes,  Montezuma  formé  par  le 
Grand  Esprit  de  la  boue  de  la  terre,  fut  averti  par  son  ami  le 
Coyotte  (2)  du  déluge  qui  menaçait  les  hommes,  et  l'un  et  l'autre 
se  sauvèrent  dans  une  arche.  Le  monde  se  repeupla  rapidement; 
mais  Montezuma  oublia  vite  la  reconnaissance  qu'il  devait  au 
Grand  Esprit,  il  voulut  le  braver  et  élever  une  tour  qui  atteignît 
le  ciel.  Le  Grand  Esprit  irrité  lança  sa  foudre  et  la  tour  s'écroula 
entraînant  dans  sa  chute  Montezuma  et  ses  ouvriers  (3). 

Une  tradition  esquimaude  mérite  d'être  rapportée  dans  toute 
sa  naïveté.  «  L'eau  ayant  envahi  le  globe  terrestre,  on  s'é- 
pouvanta; les  tentes  des  hommes  disparurent;  le  vent  les 
emporta  ;  on  lia  côte  à  côte  plusieurs  barques  ;  les  vagues  dé- 
passèrent les  Montagnes  Rocheuses.  Un  grand  vent  les  poussait 
sur  la  terre,  les  hommes  se  firent  sécher  au  soleil  sans  doute  ; 
mais  le  monde  et  la  terre  disparurent.  Par  une  chaleur  affreuse 
les  hommes  périrent.  Par  les  flots,  ils  périrent  également.  Les 
hommes  se  lamentaient;  ils  tremblaient.  Les  arbres  déracinés 

(1)  Brasseur  de  Bourbourg  qui  rapporte  cette  légende,  veut  que  ce  soit  deux  femmes 
dont  le  nom  était  Ara.  Il  ajoute  que  le  peuple  de  cette  province  conserve  une  grande 
vénération  pour  les  aras,  à  raison  du  service  que  ces  oiseaux  avaient  rendu  à  leurs 
ancêtres. 

(2)  Le  coyotte  ou  loup  des  prairies  joue  un  grand  rôle  dans  les  traditions  ou  les  lé- 
gendes de  l'Amérique  du  Nord. 

(3)  Bancroft,  /.  c,  t.  III,  p.  77,  80  et  s.,  t.  V,  p.  18.  —  Short,  North  Americans, 
p.  385. 


532  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

flottaient  au  gré  des  vagues.  Les  hommes  tremblants  de  froid 
lièrent  ensemble  leurs  barques.  Hélas!  sous  une  tente  qu'ils 
dressèrent  ils  se  tinrent  accroupis.  Cependant  un  homme,  le  fils 
du  Hibou,  jeta  son  arc  dans  les  flots  :  «Vent  ne  souffle  plus,  s'é- 
cria-t-il,  c'est  assez.  »  Puis  cet  homme  jeta  dans  l'eau  ses  pendants 
d'oreilles.  La  fin  arriva  (1),  »  Aujourd'hui  encore  les  Mandans  (2) 
se  réunissent  chaque  année  autour  d'un  canot.  Ce  canot  est  figuré 
par  un  grand  tonneau  (3)  toujours  entretenu  par  la  tribu,  avec  un 
soin  superstitieux,  en  souvenir  de  la  barque  sur  laquelle  le  seul 
survivant  du  déluge  universel  parvint  à  se  sauver.  La  fête  a  lieu 
ta  l'apparition  des  premières  feuilles  de  saule,  en  mémoire  du 
rameau  qu'une  colombe  portait  dans  son  bec  (4).  Selon  le  récit 
des  Mandans,  un  homme  blanc  venu  de  l'Ouest  leur  avait  appris 
le  déluge  et  les  divers  faits  qui  s'y  rattachent.  Au  Brésil  enfin, 
un  dieu  appelé  Monan,  irrité  de  la  corruption  des  hommes, 
détruisit  la  terre  par  l'eau  et  par  le  feu.  Un  seul  homme 
échappa  à  la  destruction  de  tous  les  êtres  ;  Monan  prit  pitié 
de  sa  misère,  il  lui  donna  une  femme,  et  ce  fut  eux  qui  re- 
peuplèrent la  terre  après  ces  événements  terribles  (5). 

Cette  tradition  d'un  grand  déluge,  où  les  hommes  périrent, 
se  trouve  donc  répandue  dans  les  deux  Amériques.  Nous  la 
voyons  jusque  dans  les  îles  Aléoutes,  jusque  chez  les  sau- 
vages Kolosches  (6).  Il  est  à  peine  besoin  de  faire  ressortir 
l'analogie  de  ces  légendes  avec  le  récit  de  la  Bible.  Des  faits 
curieux,  sur  lesquels  nous  aurons  à  revenir,  montrent  que  des 

(1)  Le  P.  Petitot,  Cong.  des  Américanistes.  Nancy,  1875,  t.  I,  p.  336. 

(2)  Nous  verrons  plus  loin  que  l'on  prétend  que  les  Mandans  sont  d'origine  Galloise. 

(3)  Il  peut  paraître  étrange  de  voir  un  tonneau  figurer  un  canot  ;  mais  il  est  bon  de 
rappeler  que  les  canots  actuels  des  Mandans  se  rapprochent  de  cette  forme. 

(4)  Cattlin,  Letters  and  Notes  on  the  Manners,  Customs  and  Condition  of  the  North 
American  Jndians,  4'i>  éd.  London,  1844. 

(5)  Le  P.  Thevet,  Cordelier,  Les  siiigularités  de  la  France  Antarctique  autrement 
nommée  Amérique.  Paris,  1858. 

(6)  Les  Kolosches,  tel  est  le  nom  donné  par  les  Russes  à  des  hommes  qui  s'appel- 
lent eux-mêmes  Thlinkeets,  et  qui  habitent  les  côtes  de  TAmérique  du  Nord  jus- 
qu'à la  Colombie  leur  limite  extrême.  On  les  a  souvent  confondus  avec  les  Esqui- 
maux, bien  qu'ils  présentent  avec  eux  des  différences  physiques  remarquables.  Le 
P.  Wenjaminow,  Notice  sur  les  îles  du  district  d'Unalaska.  Saint-Pétersbourg,  1840. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  333 

rapports  ont  certainement  existé  entre  l'Asie  et  l'Amérique  de- 
puis l'ère  chrétienne,  bien  plus,  que  le  christianisme  a  été  répan- 
du dans  le  Nouveau-Monde  avant  l'arrivée  des  Espagnols,  sinon 
la  religion  telle  que  nous  la  pratiquons,  au  moins  certains 
dogmes  chrétiens  et  les  formes  mêmes  du  culte  catholique 
très  reconnaissables  malgré  les  altérations  qu'elles  ont  subies  : 
le  baptême,  le  dogme  de  l'Eucharistie  et  la  communion  au 
Mexique,  la  confession  auriculaire  au  Pérou,  le  régime  monasti- 
que dans  ces  deux  pays  (1).  C'est  peut-être  aussi  dans  ces  rap- 
ports qu'il  faut  chercher  l'origine  des  diverses  versions  du  dé- 
luge et  du  genre  humain  renouvelé  par  un  couple  unique. 
M.  Maury  (2)  estime,  et  nous  sommes  de  cet  avis,  qu'une  infil- 
tration d'idées  chrétiennes  depuis  la  conquête,  ne  saurait  suffire 
à  les  expliquer.  C'est  donc  dans  des  faits  antérieurs  qu'il  faut 
chercher  cette  explication,  sans  toutefois  exagérer  leur  impor- 
tance, au  point  de  vue  de  l'origine  des  Américains. 

Les  immigrations  viennent  suppléer  à  l'insuffisance  des  tra- 
ditions et  des  légendes.  Les  preuves  historiques  et  scienti- 
fiques à  leur  appui  ne  font  pas  défaut,  nous  allons  chercher  à  les 
résumer. 

Pour  une  école  peu  nombreuse,  même  de  l'autre  côté  de 
l'Atlantique,  la  race  indigène  est  autochthone,'née  sur  le  sol  de 
l'Amérique,  légèrement  modifiée  tout  au  plus,  par  des  croise- 
ments étrangers.  A  cette  exception  près,  il  est  admis  que  le 
Nouveau-Monde  a  été  peuplé  par  des  immigrations  de  l'ancien 
continent;  mais  si  l'on  est  d'accord  sur  ce  fait  important,  on 
diffère  beaucoup  sur  l'origine  des  immigrants,  sur  leur  point 
de  départ,  sur  la  route  qu'ils  ont  suivie.  Pour  les  uns,  ils  sont 
arrivés  soit  par  le  nord-ouest  et  la  mer  de  Behring  (3),  soit  par  le 
nord-est  et  l'océan  Atlantique  ;  pour  les  autres,  cette  arrivée  a 
eu  lieu  par  les  îles  du  Pacifique  ou  les  îles  du  Sud-Est.  Les 

(1)  Desjardins,  Le  Pérou  avant  la  conquête  Espagnole,  p.  81. 

(2)  Encyclopédie  moderne,  art.  Déluge. 

(3)  Un  excellent  travail  de  M.  Maury,  sur  la  facilité  du  passage  entre  les  côtes 
nord-est  de  l'Asie  et  nord-ouest  de  l'Amérique,  a  été  inséré  dans  la  Revue  des  Deux- 
Mondes  du  15  avril  1858. 


334  L'AMÉRIQUE    PRÉHISTORIQUE. 

recherches  récentes  permettent  même  de  croire  à  l'existence  de 
l'Atlantide,  cette  terre  mystérieuse  abîmée  dans  les  flots  et  dont 
jusqu'au  souvenir  avait  disparu  de  la  mémoire  des  hommes. 
Toutes  les  hypothèses  sont  possibles  ;  aucune  ne  peut  être  abso- 
lument prouvée.  Nous  allons  les  examiner,  avant  d'étudier  les 
conclusions  qu'elles  comportent. 

11  est  aujourd'hui  prouvé  que  des  aventuriers  nombreux  avaient 
précédé  Colomb  en  Amérique  (1).  Dès  les  débuts  de  la  navigation, 
quelques  barques  poussées  par  le  vent,  quelques  individus  isolés 
ont  pu  gagner  les  côtes  de  l'Amérique  ;  les  communications  ont 
toujours  dû  être  relativement  faciles  entre  l'Asie  et  l'extrême 
nord  de  l'Amérique.  De  la  côte  d'Afrique  à  celle  du  Brésil,  la 
distance  n'est  guère  que  de  cinq  cents  lieues;  de  l'Islande  au  La- 
brador, elle  n'est  pas  beaucoup  plus  considérable.  La  Norwège  et 
l'Islande  ne  sont  séparées  du  Groenland  que  par  deux  cent 
soixante  lieues.  Le  Gulf-Stream  facilite  les  relations  entre  les  Ca- 
naries et  le  Venezuela  (2).  Si  nous  devons  ajouter  foi  aux  récits 
d'anciens  historiens,  tels  que  Pline,  Plutarque,  Pomponius- 
Mela  (3),  quelques  indigènes  américains  entraînés  par  la  tem- 
pête, seraient  même  arrivés  par  une  de  ces  voies  en  Europe  ou  en 
Afrique.  On  cite  des  faits  analogues  dans  les  temps  modernes. 
Un  Esquimau  parti  avec  son  attirail  de  pêche  pour  surprendre 
des  morses,  était  venu  sombrer  sur  la  côte  d'Ecosse  (4).  Le  petit 
canot  qu'il  montait  est  conservé  au  Musée  de  Mareschal  Collège 
à  Aberdeen,  en. souvenir  de  sa  périlleuse  aventure. 

C'est  sur  ces  données  ou  d'autres  semblables,  que  des  cartes 
antérieures  au  seizième  siècle  placent  dans  l'Atlantique  des 
terres  inconnues.  En   1400,    Fra  Mauro  traçait  sur  une  carte, 


(1)  Voyez  Kuntzmann,  Atlas  zur  Entdeckungs  Geschichte  America.  Munich,  1859. 

(2)  Ameghino,  Antiguedad  del  Hombre,  1. 1,  p.  159. 

(3)  Pline,  Hist.  Nat.,  1.  II.  —  Pomponius  Mêla,  1.  III.  —  Horn,  De  Originibus  Ame- 
ricanis,  t.  IV.  La  Haye,  1C52.  —  ^neas  Sylvius,  Geog.  et  Hist.  del  Mundo.  —  Plutar- 
que parle  d'un  grand  continent  transatlantique  et  d'un  étranger  ari-ivé  à  Carthage  de 
cette  terre  mystérieuse.  Il  place  ce  fait  deux  ou  trois  siècles  avant  notre  ère.  {Mora- 
lia,t.  II,  p.  115  et  s.,  éd.  Didot). 

(4)  Southall,  Récent  Origin  of  Man,  p.  573. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  533 

des  îles  au  delà  des  Açores  (1).  Ces  îles  ne  peuvent  être  que  les 
Antilles.  Déjà  en  1367,  la  carte  de  Picigano  marquait  dans 
l'Océan,  un  grand  continent,  auquel  il  donnait  le  nom  à'Antille. 
Ce  continent  est  reproduit  sous  le  même  nom,  sur  la  carte  du 
Vénitien  André  Bianco,  qui  le  place  à  l'ouest  des  Canaries,  et  lui 
donne  la  forme  d'un  quadrilatère  allongé.  Une  autre  carte,  pro- 
bablement plus  ancienne,  indique  dans  les  régions  du  Nord,  une 
vaste  terre,  que  l'on  croit  être  Terre-Neuve,  et  une  île  à  laquelle 
on  avait  donné  le  nom  caractéristique  de  Vile  du  Diable.  Nous 
citerons  aussi  un  globe  terrestre  exécuté  à  Nuremberg  en  1492, 
l'année  même  de  la  découverte  de  FAmérique,  par  Martin 
Behaïm.  On  peut  y  voir  une  étendue  de  terre  considérable,  là 
où  est  aujourd'hui  le  Brésil  (2).  Ces  faits,  qu'il  serait  très  facile 
de  multiplier,  prouvent  à  n'en  pouvoir  douter,  la  connaissance 
vague  et  incertaine  d'un  continent  mystérieux,  au  delà  des 
limites  qui  paraissaient  être  celles  du  globe. 

Les  populations  de  l'extrême  Orient  fréquentaient  aussi  dès 
l'antiquité  la  plus  reculée,  les  côtes  occidentales  de  l'Amérique  du 
Nord.  M.  de  Quatrefages,  qui  a  traité  la  question  avec  une  grande 
supériorité,  pense  que  le  Nouveau-31onde  a  été  peuplé  par  les 
trois  races  jaune,  blanche  et  noire  (3).  La  race  blanche  habitait 
principalement  le  nord-ouest;  la  race  jaune  est  encore  représen- 
tée de  nos  jours  par  différentes  peuplades  ;  la  race  noire,  peu  nom- 

(1)  Cette  mappemonde  a  été  longtemps  conservée  au  couvent  de  St-Michel  de  Murano 
près  de  Venise.  L'amiral  Paris  vient  de  faire  don  à  la  Société  de  géographie  de  Paris, 
d'une  photographie  qui  la  reproduit. 

(2)  A  l'exposition  américaine  de  Madrid  en  1881,  on  a  pu  voir  une  mappemonde 
peinte  sur  bois  par  un  auteur  inconnu,  peut-être  par  El  Cano  lui-même,  au  retour  de 
son  voyage  de  circumnavigation.  Sur  ce  curieux  document,  appai-tenant  au  ministère 
de  la  marine,  les  deux  continents  et  les  principales  îles  apparaissent  pour  la  première 
fois  avec  leurs  formes  approximatives.  —  Hevue  d'Ethn,  Mai-juin  188?. 

3)  l^' Espèce  Humaine.  Paris,  187G.  Dans  un  travail  récent  {Rev.  d'Anth.  Oct.  1881), 
M.  de  Quatrefages  raconte  les  voyages  de  Moncatch-Apé  de  la  tribu  des  Yazoux,  tels 
qu'ils  avaient  été  recueillis  dès  les  premières  années  du  dix-huitième  siècle  par  un  colon 
français,  le  Page  du  Pratz.  Il  résulte  de  ces  récits  qu'à  une  époque  antérieure  à  celle 
où  les  Européens  ont  connu  cette  partie  des  côtes  de  l'Amérique  du  Nord,  l'embou- 
chure de  la  Colombia  et  les  plages  voisines  étaient  fréquentées  par  des  hommes  blancs 
et  barbus,  venus  selon  toute  vraisemblance  des  îles  du  Japon,  dans  le  but  de  s'appro- 
visionner de  bois  de  teinture  et  peut-être  aussi  de  se  procurer  des  esclaves. 


536  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

breuse  il  est  vrai,  avait  pris  possession  de  l'isthme  de  Panama, 
et  à  l'arrivée  des  Espagnols,  elle  occupait  l'île  de  Saint-Vincent, 
à  l'entrée  du  golfe  du  Mexique.  Certaines  populations  de  la  Flo- 
ride, du  Brésil,  de  la  Californie  étaient  également  noires.  Du  mé- 
lange de  ces  races,  sont  sorties  celles  qui  peuplaient  le  nouveau 
continent  au  seizième  siècle  et  qui  présentaient  au  plus  haut  de- 
gré, les  traits  caractéristiques  des  races  mêlées  dans  tous  les  temps 
et  dans  tous  les  pays. 

Les  premiers  hommes,  Européens,  Asiatiques  ou  Africains,  qui 
abordèrent  en  Amérique,  appartenaient  certainement  à  des  peu- 
ples différents.  C'est  le  second  point  qu'il  faut  dégager.  Ceux  qui 
l'ont  plus  spécialement  étudié  disent  ces  hommes  tour  à  tour 
Sibériens,  Chinois,  Indiens,  Egyptiens,  Phéniciens,  Celtes,  Scan- 
dinaves, Juifs  même.  Toutes  ces  immigrations  d'autres  encore 
sont  possibles.  11  est  évident  que  bien  des  races,  bien  des  peu- 
ples ont  contribué  au  peuplement  de  ces  immenses  régions  que 
nous  avons  appelées  le  Nouveau-Monde. 
Peuples  asia-  Lcs  hommcs  qui  ont  érigé  les  tumuli  innombrables  dont  est 
couverte  la  Sibérie  ont  pu  facilement  traverser  les  eaux  générale- 
ment calmes  du  Pacifique,  se  répandre  dans  le  Mississipi  et  dans 
rOhio,  où  s'élèvent  des  tertres  semblables  aux  tertres  Sibériens. 
Durant  les  hivers  rigoureux,  le  détroit  de  Behring  est  complète- 
ment gelé  et  les  communications  entre  les  deux  continents  peuvent 
avoir  lieu  à  pied  sec.  Le  même  manuscrit  qui  nous  apprend  que 
les  ancêtres  du  peuple  Quiche  vinrent  des  régions  où  le  soleil  se 
lève,  ajoute  qu'ils  traversèrent  la  mer  comme  si  cette  mer 
n'existait  pas  ;  qu'ils  allaient  de  rocher  en  rocher,  et  que  le  soleil 
qui  vint  enfin  dissiper  cette  longue  et  sombre  nuit  n'était  pas  le 
soleil  et  n'avait  aucune  force.  Brasseur  de  Bourbourg  prétend 
appliquer  ce  texte  fort  incomplet  et  fort  obscur,  à  un  passage  par 
l'extrême  Nord  (1).  La  mer  qui  n'est  plus  une  mer,  le  soleil  qui 
ne  réchauffe  plus,  se  rapportent  selon  lui  aux  régions  arctiques. 
Ces  migrations  auraient  été  plus  faciles  encore,  si  comme  le  sup- 

(I)  Le  Popol-Vuh,  le  livre  sacré  et  les  mythes  de  l'Ant.  Américaine.  Paris,  1861, 
p.  231-242.  —  Hist.  des  ISIations  civilisées  du  Mexique,  t.  I,  p.  169-176. 


tiques. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  537 

pose  Darwin,  une  température  plus  modérée  avait  régné  à  des 
époques  éloignées  dans  les  régions  hyperboréennes  (1),  et  si  la 
Sibérie  n'avait  point  été  soumise  aux  froids  rigoureux  qu'elle 
subit  aujourd'hui  (2). 

Mais,  en  se  plaçant  même  dans  les  conditions  qui  existent 
actuellement,  la  navigation  dans  ces  parages  ne  présente  aucune 
difficulté  sérieuse  ;  elle  est  facilitée  par  des  relâches  successives 
au  Kamchatka,  aux  îles  Aléoutiennes,  à  la  presqu'île  d'Alaska,  et 
c'est  avec  raison  que  Lyell  comparait  le  passage  du  détroit  de 
Behring  à  la  traversée  de  la  Manche  entre  Douvres  et  Calais  (3). 
Les  vents  constamment  favorables  viennent  aider  à  cette  naviga- 
tion, et  c'est  un  jeu  pour  les  Esquimaux  d'accomplir  le  voyage 
d'une  presqu'île  à  l'autre,  non  seulement  en  barques  isolées, 
mais  encore  par  grandes  flottilles  de  pêcheurs  (4). 

Si  nous  acceptons  cette  théorie,  il  faut  supposer  une  série  in- 
calculable de  migrations  des  races  Aryo-Indiennes.  Ces  hommes 
seraient  partis  des  bords  de  l'Indus  et  du  Gange,  auraient  tra- 
versé la  chaîne  de  l'Himalaya,  les  hauts  plateaux  du  Thibet,  les 
déserts  de  la  Mongolie,  les  steppes  de  la  Sibérie  ;  ils  auraient  en- 
suite gagné  par  le  détroit  de  Behring,  les  pays  qui  forment  au- 
jourd'hui les  possessions  anglaises,  les  Etats-Unis,  le  Mexique, 
s'étendant  peu  à  peu,  depuis  le  Labrador  jusqu'au  cap  Horn. 

Il  existe  d'autres  hypothèses  ;  de  grandes  ruines  préhistoriques 
sont  disséminées  à  travers  les  épaisses  forêts  de  l'Hindoustan, 
du  Ceylan  et  de  l'Indo-Chine  ;  elles  se  continuent  à  travers  l'île 
de  .lava,  se  reliant  visiblement  à  une  suite  non  interrompue  de 
curieux  monuments,  de  gigantesques  constructions  découvertes 
à  travers  la  Polynésie,  aux  îles  des  Larrons,  à  Taïti,  à  Tonga,  aux 
îles  Sandwich,  à  l'île  de  Pâques.  Toutes  ces  constructions  sont 


(1)  Au  pliocène,  selon  Wallacc,  il  existait  une  communication  non  interrompue  en- 
tre l'Asie  et  l'Amérique,  le  détroit  de  Behring  ne  fut  formé  que  durant  l'époque  qua- 
ternaire. 

(2)  Les  Premiers  Hommes,  t.  II,  p.  153. 

(3)  Antiquity  of  Man,  p.  367. 

(4)  L.  de  Rosny,  Cojig.  des  Américanistes.  Nancy,  t.  I,  p.  136.  —  Morgan,  Syslems 
of  Consanguinity  und  Affinity  of  the  Human  Family.  Smith.  CoJit.,  1871. 


538  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

situées  le  long  d'une  grande  ligne  allant  de  l'Est  à  l'Ouest,  et 
dominant  une  chaîne  sous-marine,  qui  s'étend  jusqu'au  conti- 
nent américain.  Ces  ruines  ne  marquent-elles  pas  les  différentes 
étapes  d'une  grande  race  émigrant  de  l'ancien  monde  vers  le 
nouveau  (1)? 

Sans  doute  de  semblables  odyssées  confondent  l'imagination; 
on  a  de  la  peine  à  concevoir  des  peuples  entiers,  chassés  de  leur 
patrie  par  la  défaite,  la  famine,  les  maladies  pestilentielles,  s'é- 
branlant  avec  leurs  femmes,  leurs  enfants,  leurs  tentes,  leurs 
troupeaux,  parcourant  des  régions  inhospitalières,  oii  la  vie  même 
allait  leur  manquer,  pénétrant  enfin,  après  de  longues  années 
de  marche,  dans  des  régions  où  tout  était  nouveau  pour  eux.  On 
se  reporte  involontairement  aux  difficultés  que  rencontreraient 
nos  armées  modernes  dans  de  semblables  entreprises.  Mais  ces 
populations  étaient  nomades  ;  leurs  besoins  étaient  peu  nombreux, 
et  il  est  certain  que  les  progrès  de  la  civilisation  et  du  bien-être 
ont  singulièrement  affaibli  l'énergie  virile  et  multiplié  les  besoins 
factices.  On  ne  saurait  donc  juger  ces  migrations,  en  se  plaçant  à 
notre  point  de  vue.  La  science  et  l'histoire  sont  d'ailleurs  là  pour 
attester  leur  possibilité  ;  elles  ont  pu  être  facilitées  par  des  modi- 
fications dans  la  forme  comme  dans  l'étendue  des  terres  et  des 
mers,  par  des  émergements  et  des  affaissements  dont  Thistoire 
géologique  du  globe  montre  la  fréquence.  Ainsi,  en  étudiant  la 
stratification  des  roches,  la  faune  et  la  flore,  on  peut  supposer  un 
émergement  qui  aurait  formé  un  seul  continent  du  Japon,  des 
îles  Aléoutiennes  et  de  l'Alaska.  On  a  également  prétendu  que 
vers  l'époque  tertiaire,  l'Asie  s'étendait  à  travers  le  Pacifique,  soit 
dans  la  direction  de  la  Npuvelle-Zélande,  soit  dans  celle  de 
l'Australie  et  que  des  îles  rapprochaient  par  une  chaîne  non 
interrompue,  ce  dernier  continent  de  l'Amérique  du  Sud.  Mais 
les  sondages  récemment  effectués  montrent  sur  tous  les  points  de 
l'Océan  où  ils  ont  été  tentés,  des  profondeurs  de  3,500  à  5,500 
mètres,  et  il  est  difficile  d'admettre  un  exhaussement  de  cette  im- 

(I)  Edinburgh  Review.  Oct.  1876.  — Lesson  et  Martinet,  Les  Polynésiens,  leur  ori- 
gine, leurs  migrations,  leur  langage.  —  Baldwin,  Ancient  America,  App.  C,  p.  288. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  539 

portance  (1).  S'il  faut  renoncer  à  cette  seconde  hypothèse,  la 
première,  d'autres  que  l'avenir  nous  révélera,  n'ont  assurément 
rien  de  contraire  aux  données  de  la  science. 

Si  nous  interrogeons  l'histoire,  nous  verrons  les  Aryas,  les 
plus  illustres  parmi  nos  ancêtres,  partir  du  centre  de  l'Asie,  s'é- 
tendre successivement  sur  l'Hindoustan,  sur  la  Perse,  sur  la 
plus  grande  partie  de  l'Europe.  Les  migrations  des  Cimbres  et 
des  Teutons  sont  mieux  connues  encore.  On  ne  peut  sans  éton- 
nement  suivre  sur  une  carte  le  chemin  parcouru  par  Alexandre 
et  ses  lieutenants.  Les  Huns  (2),  partis  des  hauts  plateaux  de 
l'Asie,  ont  pénétré  au  cœur  de  l'Europe,  livrant  partout  sur  leur 
passage  de  sanglants  combats.  De  nos  jours  même,  n'avons-nous 
pas  vu,  sur  une  échelle  moins  considérable  il  est  vrai,  les  Boers 
s'enfoncer  dans  le  Transvaal,  pour  éviter  la  domination  anglaise, 
et  les  Mormons  pénétrer  dans  les  déserts  de  l'Utah,  pour  fuir 
celle  des  États-Unis. 

Tous  ces  faits,  qui  montrent  la  force  expansive  des  races  pri- 
mitives, tranchent  la  question  de  la  possibilité  des  migrations 
asiatico-américaines.  Comment  d'ailleurs  admettre  le  peuple- 
ment des  régions  immenses  qui  forment  le  Nouveau-Monde,  par 
quelques  aventuriers  isolés,  par  quelques  misérables  naufragés.  11 
faut  donc  de  toute  nécessité  que  des  peuples  entiers  soient  arrivés 
d'un  continent  à  l'autre,  sans  que  nous  puissions  encore  déter- 
miner avec  l'exactitude  désirable,  soit  leur  point  de  départ,  soit 
leur  point  d'arrivée,  ou  que  la  population  de  l'Amérique  soit  au- 
tochthone,  née  sur  le  sol  même  qu'elle  habite.  Ce  sont  là  les  deux 
termes  d'un  dilemme  auquel  on  ne  peut  échapper. 

(1)  La  comparaison  des  faunes  et  des  flores,  la  dispersion  de  certains  animaux,  de 
certains  oiseaux  surtout,  que  leurs  moyens  de  locomotion  n'ont  pas  mis  à  même  de 
passer  d'une  de  ces  stations  dans  les  autres,  permettent  de  croire  qu'à  une  époque  re- 
lativement récente  l'océan  Pacifique  baignait  un  vaste  continent  austral  dont  la  Nou- 
velle-Zélande, les  îles  Maquarie,  Campbell,  Chatham,  restent  les  témoins.  Parmi  les 
oiseaux,  MM.  Blanchard  et  A.  Milne-Edwards  citent  VApterix,  le  Dinomis,  \e  Palapte- 
ryx  et  le  Strygnps,  perroquet  nocturne  incapable  de  voler  {Ac.  des  Sciences,  l.'>  fév.  1882). 

(2)  Trois  siècles  environ  avant  notre  ère,  les  Huns  [Hiong-mi)  se  rendirent  redou- 
tables aux  Empereurs  de  la  Chine.  Après  une  longue  lutte,  ils  furent  vaincus;  de  là 
leurs  migrations  qui  peuvent  assurément  s'être  étendues  jusqu'au  Nouveau-Monde. 


540  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

napportsen-       La  commuiiicalioii  fréquente  entre  les  deux  mondes,  écrivait 
tiques  et  les  Ilumboldt,   sc  Hianifcste  d'une  manière  indiscutable   dans  les 

Améiicains.  i         i   •  >  i        i  i  •  •         • 

cosmogonies,  les  monuments,  les  hiéroglyphes,  les  mstitutions 
des  peuples  de  l'Amérique  et  de  l'Asie  (1).  Quand  l'illustre  Alle- 
mand publiait  ses  travaux,  on  ne  savait  encore  que  peu  de  cho- 
ses du  Bouddhisme,  de  sa  puissance  d'expansion,  de  son 
alliance  ou  de  ses  rapports  avec  les  autres  cultes  asiatiques.  On 
ne  connaissait  que  très  imparfaitement  les  terrassements  des 
Mound-Builders,  les  édifices  du  Mexique  ou  de  l'Amérique 
centrale,  et  bien  qu'il  soit  encore  prématuré  de  poser  des  con- 
clusions formelles,  on  peut  dire  que  toutes  les  découvertes  nou- 
velles sont  venues  justifier  les  assertions  de  Humboldt  (2). 

Un  des  bas-reliefs  de  Palenquc  offre  une  ressemblance  indé- 
niable avec  les  images  de  Bouddha  (3),  et  l'offrande  faite  aux 
dieux,  qui  s'y  trouve  reproduite,  est  fréquemment  répétée  sur 
les  monuments  du  culte  bouddhique.  A  la  Casa  de  Monjas 
(Uxmal),  on  voyait  sur  le  seuil  de  la  niche  qui  surmonte  chaque 
porte,  une  fisjure  accroupie  qui  portait  l'empreinte  visible  du 
Bouddhisme  (4).  Un  bas-relief  récemment  découvert  à  Chichen- 
Itza,  amené  une  conclusion  semblable  (5),  et  les  monuments 
de  cette  ville  sainte  des  Yucatecs  rappellent  singulièrement  les 
topes  et  les  dagobas  de  l'Inde  (6).  (Juetzacoall  est  souvent  repré- 
senté avec  le  bonnet  et  dans  la  posture  que  la  tradition  hiéra- 
tique assigne  à  Bouddha  (fig.  114). 

Quelques  ainéricanistes  croient  retrouver  dans  le  nouveau 
monde  les  deux  sectes  de  l'Inde  :  telle  des  adorateurs  de  Vichnou 

(1)  Vues  des  Cordillères  et  des  Monuments  des  peuples  indigènes  de  V  Amérique,  t.  I, 
p.  31,  39.  —  Examen  critique  de  l'hist  et  de  la  géog.  du  Nouveau  Continent,  t.  II, 
p.  67. 

(2)  On  peut  consulter  sur  les  difficultés  qui  s'opposent  à  des  conclusions  trop  affir- 
matives, L.  de  Rosny,  Le  Bouddhisme  en  Amérique;  Cong.  des  Améric.  Nancy,  1875, 
t.  I,  p.  137. 

(3)  G.  d'Eichtahl,  Etude  sur  les  origijies  Bouddhiques  de  la  civilisation  américaine. 
Paris,  1865,  p.  70. 

(4)  F.  de  Waldeck,  Palenque  et  autres  ruines.  Paris,  1866.  —  D'Eichthal,  /.  c,  p.  78. 
Ces  figures  d'après  les  derniers  voyageurs  qui  ont  visité  ces  ruines  auraient  disparu. 

(5)  Stephens,  Incidents  of  Travel  in  Yucatan,  t.  II,  p.  292. 

(6)  Voy.  cil.  VII,  p.    341,  note  4. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  541 

et  celle  des  adorateurs  de  Çiva.  Ils  prétendent  que  le  culte  pé- 
ruvien n'est  autre  chose  que  celui  de  Vichnou,  se  manifestant 
sous  la  figure  de  Krichna  le  soleil  ;  le  culte  barbare  des  Mexi- 
cains rappellerait  celui  de  Çiva.  On  trouve  aussi  une  frappante 
conformité  entre  la  divinité  hindoue  Cali  ou  Bhâvani,  symbole 
de  la  mort  ou  de  la  destruction  et  à  laquelle  on  faisait  des 
sacrifices  humains  et  Mictlancihuatl  déesse  de  l'enfer,  au 
Mexique  (1). 

Le  culte  du  serpent  existait  sur  les  bords  du  Mississipi  et  dans 
toute  l'Amérique  centrale.  Rappelons  le  tertre  immense  de 
Brush-Creek  dans  l'Ohio,  qui  figure  un  serpent  avalant  un  œuf; 
on  cite  auprès  de  Mexico,  une  sculpture  à  peu  près  sembla- 
ble (2)  ;  l'un  et  l'autre  se  rattachent  visiblement  à  la  cosmogo- 
nie de  l'Inde  et  à  la  conception  de  l'œuf  du  monde,  d'où  sort  un 
dieu  créateur.  Nous  trouvons  le  serpent  sur  les  édifices  sacrés 
du  Chiapas  et  du  Yucatan,  comme  sur  les  murs  du  grand  temple 
de  Mexico,  aux  pieds  de  los  Edificios  à  Quemada,  comme  sur  les 
jTionuments  de  Cuzco.  M.  de  liumboldt  veut  y  voir  un  souvenir 
du  serpent  Kaliya,  vaincu  par  Vichnou  et  qui  joue  un  grand 
rôle  dans  la  mythologie  indienne  (3).  Suivant  Lassen  (4),  le 
Bouddhisme  aurait  été  connu  à  Mexico,  dès  le  cinquième  siècle 
de  notre  ère;  il  aurait  compté  de  nombreux  sectaires  jusqu'au 
treizième  siècle,  où  les  Aztecs  victorieux  avaient  proscrit  le  culte 
de  Bouddha  et  remplacé  l'humanité  envers  les  vaincus,  prêchée 
par  Çakyamouni,  par  les  horribles  cruautés  que  nous  avons  ra- 
contées. Peut-être  faut-il  également  rattacher  au  culte  boud- 


(1)  Desjardins,  Le  Pérou  avant  la  conquête  Espagnole,  p.  101. 
(2j  Melgar,  Mex.  Geog.  Bolletin,  2*  epoca,  t.  III,  p.  112  et  s. 

(3)  Ce  serpent  est  aussi  appelé  Kalinaga.  Humboldt,  Vues  des  Cordillèt^es,  t.  I, 
p.  236.  —  Moor,  Hindu  Panthéon,  4°  London,  1813. 

(4)  Indische  Alterthum's  Kunde,  t.  IV,  p.  749.  —  Dès  le  troisième  siècle  avant  notre 
ère,  le  Bouddhisme  avait  commencé  à  se  répandre  hors  de  l'Inde.  Il  avait  pénétré 
chez  les  Birmans  au  sud,  chez  les  Chinois  et  les  Japonais  à  l'est,  chez  les  Thibétains 
et  les  Mongols  au  nord.  Il  jeta  de  profondes  racines  chez  ces  diverses  nations,  et  65  ans 
ap.  J.-C,  le  Bouddhisme  fut  solennellement  reconnu  par  l'empereur  Ming-li  comme 
troisième  religion  de  l'État.  Max  Muller,  Buddhism  and  Budihist  Pilgrims,  p.  24.  — 
E.  Burnouf,  Introduction  àChistoire  du  Bouddhisme.  —  D'Eichthal,  /.  c,  p.  20. 


542  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

dhique,  la  conception  chez  les  Mexicains  d'un  dieu  suprême 
adoré  sous  les  trois  formes  de  Ho,  liuitzilopochtli  et  de  Tlaloc 
qui  rappellent  la  Trimurtis  indienne,  de  Brahmah,  Yichnou  et 
ÇiYa 

L'éléphant  était  totalement  inconnu  lors  de  l'arrivée  des  Con- 
quistadores ;  aucune  tradition  ne  se  rapportait  à  son  existence 
sur  le  continent  américain.  Cependant  plusieurs  des  princi- 
paux monuments  du  Chiapas  et  du  Yucatan,  la  Casa  del  Gober- 
nador  et  la  Casa  de  Monjas,  par  exemple,  portent  des  trompes 
d'éléphants,  comme  motif  de  décoration.  Sur  un  des  bas-reliefs 
du  palais  de  Palenque,  la  coiffure  du  grand  prêtre  simule  une 
tête  de  proboscidien  (1)  (fig.  123).  On  conserve  au  musée  de 
la  Paz  (Bolivie),  deux  vases,  vestiges  de  l'ancien  art  aymara  ;  sur 
chacun  d'eux  est  figuré  en  couleur  noire,  un  éléphant  portant 
un  palanquin.  Tout  récemment,  on  a  recueilli  dans  l'Iowa  une 
pipe  taillée  dans  un  grès  assez  tendre  (fig.  72).  Cette  pipe  abso- 
lument semblable,  comme  forme  et  comme  travail,  à  celles  trou- 
vées sous  les  mounds  du  Mississipi  ou  de  l'Ohio,  et  œuvre  évi- 
dente d'ouvriers  de  la  même  race,  représente  un  éléphant  (2).  Il 
est  difficile  de  ne  pas  voir  des  souvenirs  de  l'Asie,  dans  ces  images 
exécutées  à  des  distances  si  considérables  les  unes  des  autres. 

Des  haches  polies  en  néphrite  ou  en  jadeïte  ont  été  trouvées 
dans  le  Yucatan  et  au  Mexique  (3).  Le  musée  de  Copenhague 
possède  des  pointes  de  flèche  en  néphrite  de  provenance  améri- 
caine (4)  ;  des  idoles  également  en  néphrite  viennent  des  environs 
de  Mexico.  Tout  gisement  de  ces  roches  est  inconnu  sur  le  conti- 
nent des  deux  Amériques.  Comment  ces  haches,  ces  flèches  y 
sont-elles  parvenues  ?  Des  fouilles  dans  le  New-Jersey  ont  donné 
un  marteau  en  pierre,  portant  le  Swastika  (fig.  9).  Comment  le 
signe  mystérieux  des  Aryas  se  trouve-t-il  aux  États-Unis? 

C'est  surtout  dans  leurs  calculs  pour  établir  le  calendrier,  que 

(1)  Rappelons  que  Ganesa,  le  dieu  do  la  sagesse  dans  la  mythologie  hindoue,  est  tou- 
jours figuré  avec  une  trompe  d'éléphant. 

(5)  Short,  North  Âmericans  of  Antiquity.  App.  B. 

(3J  Leemans,  Cong.  préh.  de  Bruxelles,  1872. 

(4)  Cong.  des  Améric.  Luxembourg,  1877,  t.  IT,  p.  317. 


L'ORIGINE  DES  AxMÉUIGAINS.  543 

nous  trouvons  une  preuve  évidente  des  communications  qui  ont 
dû  exister  entre  les  Asiatiques  et  les  Américains  (1).  Chez  tous 
les  peuples  civilisés  de  l'Amérique,  le  calendrier  était  semblable 
et  la  méthode  ingénieuse  dont  ces  peuples  se  servaient  pour 
désigner  le  jour  et  l'année  dans  un  cycle  donné,  est  identique 
avec  celle  des  Hindous,  des  Thibétains,  des  Chinois  et  des  Japo- 
nais, qui  distinguent  aussi  les  années  par  la  correspondance  de 
plusieurs  séries  périodiques.  Peut-on  supposer  que  des  métho- 
des chronologiques  si  avancées,  une  connaissance  si  approchée 
de  la  durée  exacte  de  l'année  (2),  soient  des  conceptions  spon- 
tanées du  génie  américain  et  les  ressemblances  que  nous  signa- 
lons, entièrement  fortuites  ? 

On  cherche  aussi  à  justifier  l'hypothèse  des  immigrations  asia- 
tiques par  la  ressemblance  des  différents  idiomes.  Dans  un  tra- 
vail récent,  M.  Mendoza  s'est  efforcé  de  montrer  l'identité  d'un 
certain  nombre  de  mots  nahuatl  et  sanscrits  (3).  Un  ministre  pro- 
testant voyait  une  grande  analogie  entre  les  dialectes  de  l'Amé- 
rique du  Sud  et  ceux  du  Deccan  (4)  ;  il  prétendait  établir  cette 
analogie  parla  comparaison  des  mots  qui  indiquent  la  mesure  du 
temps,  et  par  le  mode  de  construction  du  verbe,  dans  les  plus 
vieilles  langues  du  sud  de  l'Inde  et  dans  le  Qquichua,  la  langue 
sacrée  des  anciens  Incas.  Don  V.  F.  Lopez  de  Montevideo  s'efforce 
également  de  prouver  que  le  Qquichua  appartient  à  la  famille 
des  langues  aryennes  (5).  D'autres  soutiennent  l'analogie  des 
langues  américaines  avec  les  langues  ouralo-altaïques  (6)  et 
dans  un  congrès  d'orientalistes,  tenu  en  1876  à  Saint-Péters- 
bourg, on  faisait  ressortir  les  ressemblances  frappantes  qui  exis- 
tent entre  les  langues  américaines  et  celles  de  l'Arménie  et  du 

(1)  Humboldt,  Vues  des  Cordillères,  t.  I,  p.  363,  384,  392  et  pi.  XXIII.  —  D'Eich- 
thal,  /.  c,  p.  40.  —  Cong.  des  Améric.  Nancy,  1875,  p.  140. 

(2)  Ces  mesures  du  temps  ne  différaient  du  temps  vrai  que  de  2'  9". 

(3)  Awî.  del  Museo  Nacional  de  Mexico,  t.  I,  p.  70. 

(4)  On  donne  le  nom  de  Deccan  ou  Dekan  à  toute  la  région  méridionale  de  l'Inde, 
comprise  entre  les  monts  Viudhyas,  le  Comorin  et  les  golfes  du  Bengale  et  Arabique. 

(5)  Les  Races  Aryennes  au  Pérou. 

(6)  Forchammer,  Vergleichung  der  Amerikanischen  Sprachen  mit  deji  Ural-AUais- 
chen,  hinsichtlich  ihrer  Grammatick. 


ponais. 


S44  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Caucase.  Il  faut  mentionner  ces  faits  ;  il  serait  facile  d'en  citer 
d'autres  ;  mais  nous  ne  pourrions  que  répéter  ce  que  nous  avons 
déjà  dit  en  parlant  de  l'Eskuara,  les  connaissances  philologi- 
ques en  ce  qui  concerne  les  anciennes  races  de  l'Amérique,  ne 
sont  pas  encore  assez  avancées,  pour  permettre  des  conclusions 
bien  sérieuses. 
Chinois  et  jd-  Nous  avons  dit  la  présence  de  prêtres  bouddhistes  à  Mexico, 
dès  le  cinquième  siècle  de  notre  ère  (1).  Voici  ce  que  rappor- 
tent à  cet  égard  les  historiens  chinois  :  «  Autrefois  la  religion  de 
Bouddha  n'existait  pas  dans  ces  contrées  ;  ce  fut  dans  la  qua- 
trième année  du  règne  de  Hiao-wou-te  des  Soung  (458  ans  ap. 
J.  C.)  que  cinq  pi-khieoii  ou  religieux  du  pays  de  Ki-pin  (an- 
cienne Rophène)  allèrent  au  Fou-sang  et  y  répandirent  la  loi 
de  Bouddha.  Ils  apportèrent  avec  eux  les  livres,  les  images  sain- 
tes, le  rituel  et  instituèrent  les  habitudes  monastiques,  ce  qui  fit 
changer  les  mœurs  des  habitants.  » 

Un  de  ces  missionnaires,  Hoei-chin,  revint  de  ce  voyage  lointain 
en  499  et  c'est  son  récit  embelli  par  les  fables  les  plus  invraisem- 
blables, que  nous  ont  conservé  les  écrivains  chinois  (2).  Ce  ne 
serait  même  pas  la  première  mention  du  Fou-sang  dans  les 
histoires  du  Céleste  Empire.  Tong-fang-so,  qui  vivait  deux  siècles 
avant  notre  ère,  raconte  que  le  pays  de  Fou-sang  est  situé  à  l'est 
de  la  mer  Orientale.  «  Quand  on  débarque,  sur  les  rivages  de  ce 
pays,  continue-t-il,  faut  s'avancer  dans  la  direction  de  l'Orient  et 
après  avoir  parcouru  10,000  li  (3)  on  trouve  la  mer  de  couleur 

(1)  Nous  reproduisons  la  version  de  M.  D'Eichthal  (/.  c,  p.  18).  Les  considérations 
sur  lesquelles  il  l'appuie  sont  remarquables.  On  peut  consulter  sur  toute  la  question 
Ch.  Leland,  Fusaiig  or  ihe  Discovery  0/  America  by  Chinese  Buddhist  Priests  in  the 
Fifth  Century,  London,  1875,  et  un  excellent  mémoire  présenté  en  1876  par  le 
M"  D'Hervey  de  Saint-Denys  à  l'Académie  des  Inscriptions,  et  intitulé  :  Le  pays  connu 
des  anciens  Chiîiois,  sous  le  nom  de  Fou-sang. 

(2)  «  Pendant  le  i"ègne  des  Tzi,  dans  la  première  année  de  l'Origine  Éternelle,  un 
prêti'e  Bouddhiste  chinois,  qui  portait  le  nom  monastique  de  Hoei-chin  {compassion 
universelle)  vint  du  Fou-sang  dans  le  district  de  Houkouang  et  dans  les  districts  voi- 
sins. Il  raconta  que  le  Fou-sang  est  à  20,000  li  à  l'est  de  Ta-han  et  de  l'Empire  du 
Milieu.  »  Ext.  des  Nan-szu  ou  Annales  de  la  Chine. 

(3)  L'évaluation  du  /i  chinois  présente  de  grandes  difficultés  ;  cette  mesure  itinéraire 
a  en  effet  considérablement  varié  selon  les  temps.  On  peut  consulter  sur  la  question. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  5^3 

bleue,  vaste,  immense  et  sans  bornes  (1).  »  Un  autre  historien, 
Li-ijen^  nous  apprend  que  le  Fou-sang  est  à  40,000  li  à  l'est  du 
pays  de  Ta-han  et  aussi  à  l'est  de  la  Chine.  Le  marquis  d'Hervey, 
enfin,  raconte  que,  d'après  un  ouvrage  intitulé  Leang-sse-kong, 
ou  Mémoh^es  de  quatre  seigneurs  de  V époque  des  Leang,  une  am- 
bassade du  Fou-sang  serait  arrivée  en  Chine  dans  les  années 
^eew-Aiew  commençant  en  502,  date  trop  rapprochée  du  retour  de 
Hoei-Chin,  ajoute  avec  raison  M.  d'Hervey,  pour  qu'elle  ne  doive 
pas  éveiller  l'attention. 

C'est  31.  de  Guignes  qui,  le  premier,  a  établi  que  le  Fou-Sang 
devait  être  l'Amérique  (2).  Après  avoir  relevé  sur  une  carte  la 
route  probable,  suivie  par  ceux  qu'il  appelle  des  navigateurs 
chinois  :  «  J'ai  examiné,  ajoute-t-il,  leurs  mesures,  elles  m'ont 
conduit  vers  les  côtes  de  Californie,  et  j'ai  conclu  de  là  qu'ils 
avaient  connu  l'Amérique  458  ans  après  J.-C.  »  Les  connais- 
sances géographiques,  au  temps  où  vivait  l'éminent  sinologue, 
ne  permettaient  pas  la  solution  complète  du  problème.  De  Guignes 
avoue  lui-même  qu'il  avait  été  longtemps  arrêté  par  les  diffi- 
cultés que  présentait  l'itinéraire  suivi  par  les  Chinois,  pour 
arriver  au  Fou-Sang,  et  surtout  par  la  confusion  qu'apportait  le 
pays  de  Ta-han,  situé  sur  le  continent  asiatique,  et  oii  devaient 
cependant  aborder  les  vaisseaux  se  rendant  en  Amérique.  Cette 
difficulté  n'existe  plus;  M.  d'Hervey,  en  s'appuyant  sur  le  Youen- 
kien-loui-han ,  vaste  encyclopédie  publiée  dans  les  premiers 
temps  de  la  dynastie  actuellement  régnante,  prouve  qu'il  existait 
deux  pays  de  Ta-han.  «  Le  premier  est  celui  qui  a  induit  de 
Guignes  en  erreur,  en  l'empêchant  de  porter  ses  vues  au  delà  du 
Kamchatka,  et  le  second,  celui  dont  il  est  fait  mention  dans  l'iti- 
néraire de  Fou-Sang,  lequel  ne  saurait  trouver  place  en  Asie, 
par  cela  seul  qu'il  est  à  l'est  du  premier  (3).  » 

d'Anville,  Mém.  de  l'Acad.  des  Inscr.,  t.  XXVIII.  On  l'évalue  actuellement  à  un  tiers 
de  mile  anglais,  soit  environ  506  mètres. 

(1)  D'Hervey  de  Saint-Denys,  /.  c,  p.  6. 

(2)  Sur  les  navigations  des  Chinois  du  côté  de  l'Amérique  et  sur  plusieurs  peuples 
situés  à  Vextrémité  de  l'Asie  orientale.  Ac.  des  Inscr.,  t.  XXVIII,  1761. 

(3)  D'Hervey,  /.  c,  p.  4. 

De  Nadaillac,  Amérique.  35 


546  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Les  faits  donnent  raison  à  ceux  qui  croient  que  le  Fou-Sang 
était  l'Amérique,  et  malgré  les  objections  nombreuses  qui  ont 
été  faites  (1),  objections  sur  lesquelles  nous  aurons  à  revenir,  il 
nous  paraît  encore  que  c'est  l'hypothèse  la  plus  vraisemblable  de 
toutes  celles  mises  en  avant.  C'est  à  l'influence  chinoise  que 
seraient  dues  les  traces  de  Bouddhisme  dans  la  cosmogonie  et 
dans  les  institutions  de  certains  pays  du  nouveau  Monde  (2). 

De  Guignes  attribuait  également  à  des  immigrations  chinoises 
la  civilisation  des  Péruviens.  Les  curieuses  analogies  que  l'on 
remarque  dans  les  coutumes,  dans  les  règlements  minutieux  qui 
atteignent  toutes  les  actions  extérieures  de  l'homme,  le  patronage 
accordé  à  l'agriculture,  la  fête  annuelle,  célébrée  en  l'honneur 
des  agriculteurs  par  l'inca  du  Pérou  et  l'empereur  de  la  Chine, 
le  système  des  irrigations,  le  paiement  des  impôts  en  nature, 
l'usage  des  quipos,  la  construction  des  ponts  suspendus  avec  des 
cordes,  la  ressemblance  de  certains  détails  de  l'architecture, 
celle  des  barques  péruviennes  avec  les  jonques  chinoises  (3), 
sont  toutes  de  nature  à  justifier  cette  hypothèse. 

Des  découvertes  récentes  viennent  appuyer  ces  analogies. 
Des  idoles  en  argent  offrant  le  même  type  que  les  idoles  du 
Céleste  Empire,  et  portant  des  inscriptions  où  l'on  a  cru  recon- 
naître les  plus  anciens  caractères  usités  en  Chine,  ont  été  trouvées 
au  milieu  des  ruines  de  Chimu  et  à  Chinca-Alta,  à  quatre  cents 
miles  plus  au  sud  (4).  Les  catacombes  des  Muyscas,  auprès  de 


(1)  Klaproth,  Ost-Asien  und  West- America,  Zeitschrift  fur  Algemeine  Erdkunde, 
avril  1833.  —  Vivien  de  St-Martin,  Une  vieille  histoire  remise  à  flot,  Année  géog.,  1865. 
—  Lucien  Adam,  Le  Fou-sang,  Cong.  des  Améric.  Nancy,  1875,  t.  I,  p.  145. 

(2)  Certains  araéricanistes  ont  soutenu  que  Quetzacoatl,  Bochica  le  législateur  et 
le  dieu  des  Chibchas,  et  Viracocha,  étaient  des  prêtres  bouddhistes.  Cela  peut 
être  vrai,  mais  les  preuves  manquent  et  les  seules  que  Ion  puisse  donner  sont 
les  curieuses  similitudes  qui  existent  dans  toutes  les  légendes  relatives  aux  initia- 
teurs de  la  civilisation  américaine.  Tous  sont  représentés  comme  des  hommes  blancs, 
barbus,  portant  de  longues  robes  et  prêchant  aux  hommes  la  vertu  et  la  pénitence. 

(:J)  Le  môme  fait  peut  être  cité  au  Mexique  ;  quatre  proues  de  navire  présentant 
une  certaine  ressemblance  avec  les  proues  des  jonques  chinoises  ont  été  trouvées 
dans  une  hypogée,  par  Vasqucz-Cornado. 

(4)  D'  Le  Plongeon,  Vestiges  of  Antiquity,  Lecture  delivered  before  the  New-York 
Geog.  Suc.  January,  1873. 


L'ORIGINE  DES  AMERICAINS.  547 

Bogota,  ont  fourni  des  figurines  en  or  dont  la  physionomie 
mongole  est  caractéristique.  Sur  le  territoire  de  Washington,  des 
tranchées  pour  la  construction  du  chemin  de  fer  Nord-Pacifique 
ontniisau  jourun  autel  portant  des  caractères  gravés,  semblables 
à  ceux  de  Pékin.  La  surprise  des  ouvriers  chinois  fut,  rapporte- 
t-on,  extrême,  en  voyant  cette  relique  de  leur  pays  natal  (1). 
Le  senor  Mendoza  mentionne  une  idole  aztèque  en  diorite, 
trouvée  sous  un  mound  de  l'État  de  Puebla,  et  dont  la  prove- 
nance chinoise  ne  lui  paraît  guère  douteuse  (2),  et  nous  avons 
déjà  parlé  d'une  statuette  qui  figurait  à  l'exposition  américaine 
de  Madrid,  à  laquelle  la  même  origine  peut  être  attribuée  (3). 
Il  convient  de  mentionner  ces  faits;  nous  n'oserions  affirmer 
leur  exactitude  (4). 

Au  XIII*  siècle,  une  flotte  envoyée  contre  le  Japon  par  l'empe- 
reur mongol  Rublai-Khan  fut  dispersée  par  une  violente  tem- 
pête, et  un  grand  nombre  de  vaisseaux  furent  jetés  sur  les  côtes 
de  l'Amérique  du  Sud.  On  prétend  même  que  le  premier  Inca 
était  le  fils  de  Rublai-Khan  (5).  Ces  faits  sont  loin  d'être  prouvés, 
et  le  fussent-ils,  qu'ils  ne  sauraient  jeter  la  moindre  lumière  sur 
l'origine  de  la  population  ou  de  la  civilisation  du  Pérou. 

Les  courants  marins  et  surtout  le  Kuru-Suvo,  le  courant  noir 
du  Japon,  ont  pu  jouer  un  rôle  important  dans  les  commu- 
nications entre  les  deux  continents  (6).  De  1782  à  1876,  quarante- 
neuf  jonques  ont  été  entrainées  par  ces  courants  à  travers  le 

(1)  American  Antiquarian,  1880,  p.  303. 

(2)  Bandelier,  National  Muséum  of  Mexico,  Am.  Ant.,  1879,  p.  24. 

(3)  Voy.  ch.  VIII,  p.  454,  note  2. 

(4)  Le  village  d'Eten  serait  habité  par  des  hommes  qui  parlent  un  langage  diffé- 
rent de  celui  de  leurs  voisins  et  incompréhensible  pour  eux.  Or,  ces  hommes, 
rapporte-t-on,  peuvent  facilement  se  faire  comprendre  par  les  coolies  chinois,  qui  ar- 
rivent chaque  année  en  grand  nombre  dans  le  pays.  Il  en  serait  de  môme  sur  d'autres 
points,  mais  ces  faits  avancés  par  quelques  voyageurs  sont  énergiquement  niés  par 
d'autres.  Cong.  des  Améric.  Luxembourg,  1877,  t.  II,  p.  54. 

(5)  Ranking,  Hist.  Researches  on  the  Conquest  of  Peru  and  Mexico  bythe  Mongols. 
London,  1827. 

(6)  Le  retour  est  beaucoup  plus  difficile  et  il  n'existe  aucune  trace  dans  les  temps 
anciens  d'une  navigation  régulière  entre  les  deux  continents.  Bull.  Soc.  Géog.,  1880, 
p.  229.  —  R.  King,  Narrative  of  a  Joumey  to  the  Shores  of  t/ie  Arctic  Océan.  Loudon, 
1836,  t.  II,  ch.  XII. 


S48  L'AMERIQUE  PREHISTORIQUE. 

Pacifique,  dix-neuf  ont  fait  côte  aux  îles  Aléoutes,  dix  sur  les 
rivages  de  la  presqu'île  d'Alaska,  trois  sur  celles  des  États-Unis, 
deux  enfin  aux  îles  Sandwich  (1).  Récemment  encore,  une 
jonque  japonaise  entraînée  par  les  flots,  a  été  découverte 
par  un  navire  anglais,  non  loin  de  la  Californie,  et  une  bouée 
recueillie  sur  la  côte  ouest  de  l'Amérique,  a  été  reconnue  pour 
une  de  celles  que  les  Russes  avaient  placées  à  l'embouchure  de 
l'Amour  (2).  Rien,  assurément,  n'empêche  que  des  faits  sem- 
blables ne  se  soient  produits  durant  des  siècles  antérieurs  au 
nôtre.  Quelques  malheureux  naufragés  ont  bien  pu  s'établir  dans 
le  pays,  assurément  ils  n'ont  pu  le  peupler  (3). 

Il  est  enfin  un  dernier  argument  que  nous  ne  pouvons 
omettre,  c'est  la  ressemblance  qui  existe  entre  les  races  mongo- 
liques  et  les  habitants  du  nord-ouest  de  l'Amérique.  Cette 
ressemblance  est  signalée  par  tous  les  navigateurs  modernes,  et 
notamment  par  Wrangel  (4).  «  Elle  est  telle,  ajoute  un  autre 
récit  (5),  que  sans  leur  queue  et  leurs  habits  différents,  il  serait 
difficile  de  distinguer  les  Chinois  des  Indiens.  »  On  a  également 
prétendu  voir  un  caractère  mongolique  dans  le  teint  cuivré  et 
jaunâtre  des  habitants  du  Yucatan  (6).  Comme  tous  les  faits  qui 
touchent  à  l'origine  et  à  la  filiation  des  races,  ceux-ci  sont  vive- 
ment   controversés,    et  certains   écrivains  (7)   s'attachent  avec 


(1)  California  Acad.  of  Science,  —  San  Francisco  Evening  Bulletin.  Marcji,  1875. 

(2)  Evening  Standard.  London,  17  sept.  1881. 

(3)  «  The  fact  now  well  established  that  Japaneso  vessels  hâve  been  driven  across 
the  Pacific  upon  the  North  West  Coast,  will  of  course  suggest  but  one  way  that  our 
country  may  hâve  been  first  populated.  »  Schoolcraft,  Archives  of  Aboriginal  Know- 
ledge. Philadelphia,  18G0,  t.  III,  p.  201. 

(4)  Nouv.Ann.  des  Voy.,  1853,  t.  GXXXVII,  p.  213.  —  Bancroft  [Native  Races,  t.  V, 
p.  237)  cite  des  faits  nombreux  et  curieux,  auxquels  nous  renvoyons  le  lecteur. 

(5)  Grant,  Océan  to  Océan.  Toronto,  1873,  p.  304. 

(6)  Morelet,  Vuy.  dans  l'Am.  centrale,  l'île  de  Cuba  et  le  Yucatan.  Paris,  1857,  t.  I, 
p.  148. 

(7)  Cf.  Nott  et  Gliddon,  Warden,  Recherches  sur  les  Ajit.  Mexicaines.  «  On  doit  se 
garder,  dans  l'étude  de  questions  aussi  difficiles,  de  tout  espèce  de  parti  pris,  leur  ré- 
pond avec  infiniment  de  raison  le  D'  Hamy,  et  nous  trouvons  autant  d'inconvénient  à 
qualifier  avec  MM.  de  Hellwald  et  Gravier  de  serpent  de  mer  scientifique,  l'histoire  du 
Fou-sang  et  du  bouddhiste  Hoei-Shin,  qu'à  traiter  de  race  Aryenne  comme  M.  Lopez 
de  Lima,  les  Quechuas  du  Haut-Pérou.  »  Revue  d'Ethnographie,  t.  I,  p.  142. 


LORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  549 

autant  de  soin  à  signaler  les  différences  que  d'autres  à  rechercher 
les  ressemblances  (1)  ;  adhiic  snhjudice  lis  est  et  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances,  il  faut  se  garder  de  trancher  la  question 

Les  objections,  en  effet,  ne  manquent  pas  à  l'hypothèse  de 
l'origine  asiatique  des  premières  populations  de  l'Amérique.  Les 
immigrants,  nous  dit-on,  n'avaient  pu  arriver  par  mer,  car  les 
hommes  qui  vivaient  dans  l'intérieur  des  terres,  étaient  supé- 
rieurs aux  habitants  des  côtes.  La  civilisation  mexicaine  s'est 
développée  sur  le  plateau  d'Anahuac,  celle  des  Péruviens  dans  le 
bassin  du  lac  Titicaca  ;  les  villes  et  les  palais  de  l'Amérique  cen- 
trale, les  fortifications  de  l'Ohio  et  du  Mississipi,  les  tertres  si 
étranges  du  Wisconsin  étaient  tous  éloignés  de  la  mer.  Mais  cette 
objection  perd  de  sa  force,  si  nous  supposons  que  les  immigrants, 
arrivés  par  Je  Nord,  sont  successivement  descendus  vers  le  Sud, 
en  suivant,  non  plus  les  rivages  de  la  mer,  mais  le  cours  des  fleu- 
ves, qui  leur  offraient  des  ressources  plus  abondantes. 

Aucune  tradition  sérieuse,  dit-on  aussi,  n'existe  chez  les 
peuples  asiatiques  sur  leurs  rapports  avec  l'Amérique  ;  les  récits 
des  écrivains  chinois  se  rapportent  à  des  époques  où  la  civilisa- 
tion américaine  était  déjà  parvenue  à  son  point  culminant.  Cela 
peut  être  vrai  ;  mais  existe-t-il  chez  nos  plus  anciens  historiens 
quelques  données  si  vagues  qu'elles  puissent  être,  sur  la  venue 
des  Aryas,  contemporains  probablement  des  premières  immigra- 
tions américaines,  et  songe-t-on  pour  cela  à  nier  l'existence  des 
Aryas  ou  leur  influence  sur  notre  civilisation? 

Si  les  immigrants  étaient  arrivés,  soit  par  terre,  soit  à  la  suite 
d'un  trajet  maritime  de  peu  d'importance,  comment  n'auraient- 
ils  pas  amené  avec  eux  des  animaux  domestiques,  leurs  chevaux, 
par  exemple,  de  tout  temps  si  recherchés  par  les  Asiatiques? 
Comment  tout  souvenir  de  ces  chevaux  aurait-il  été  si  complète- 
ment effacé  de  l'esprit  de  leurs  descendants,  qu'ils  ne  pouvaient 
dominer  leur  terreur,  à  la  vue  de  ceux  que  débarquaient  les  Espa- 

(1)  Prichard  [Hist.  Nat.  de  rHomme,  trad.  Roulin,  t.  II,  p.  127)  parle  d'un  crâne, 
provenant  d'un  tumulas  du  Mississipi  qui  offre  une  ressemblance  frappante  avec  les 
crânes  chinois.  On  pourrait  citer  d'autres  faits  semblables. 


530  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

gnols?  On  répond  bien  que  ces  immigrations  avaient  lieu  à  des 
époques  où  la  navigation  était  à  peine  développée,  et  où,  assu- 
rément, les  immigrants  ne  possédaient  aucun  vaisseau  d'un  ton- 
nage suffisant  pour  transporter  des  bestiaux.  Je  donne  cette  ré- 
ponse pour  ce  qu'elle  vaut  ;  mais  j'avoue  qu'elle  me  paraît  peu 
satisfaisante.  C'est  un  point  obscur  et  qui  ne  peut  s'expliquer 
qu'en  faisant  remonter  à  des  époques  très  reculées  les  premières 
immigrations. 

Humboldt,  qui  appuie  cependant  l'hypothèse  asiatique  (1), 
s'étonne  de  rencontrer  rarement  en  Amérique  le  culte  phallique 
si  commun,  au  contraire,  chez  les  Indiens.  Nous  avons  déjà  fait 
remarquer  cette  rareté  des  figures  du  phallus  ou  du  lingam  ;  elle 
peut  s'expliquer  parla  différence  des  mœurs  et  des  rites  religieux  ; 
et  si  nous  admettons  les  tendances  bouddhiques,  que  l'on  croit 
retrouver  à  Mexico,  il  serait  possible  que  les  missionnaires,  dont 
nous  avons  dit  le  rôle,  appartinssent  à  la  secte  nombreuse  des 
Vaichava,  ou  adorateurs  de  Vichnou,  qui  rejetaient  absolument 
le  culte  de  la  force  génératrice  (2).  11  est  vrai  que  des  savants 
éminents  repoussent  toute  immigration  asiatique  (3).  Lyell  (4) 
nous  dit  qu'il  est  impossible  d'attribuer  à  cette  origine  la  ci- 
vilisation des  Toltecs ,  par  exemple ,  alors  que  leur  langue 
n'offre  aucune  analogie,  soit  avec  les  langues  actuelles,  soit  avec 
les  langues  anciennes  de  l'Asie.  Nous  avons  dit  que  d'autres 
savants,  au  contraire,  prétendaient  prouver  l'origine  asiatique 
des  populations  américaines  par  l'identité  des  langues  ;  la  con- 
fusion, on  le  voit,  est  complète,  et  nous  pouvons  seulement 
répéter  que  toutes  les  questions  qui  touchent  à  l'origine  et  à  la 
formation  des  langues,  et  en  particulier  à  la  linguistique  amé- 

(1)  «  Il  est  très  remarquable  aussi  que  parmi  les  hiéi-oglyphes  mexicains,  on  ne  dé- 
couvre absolument  rien  qui  annonce  le  symbole  de  la  force  génératrice  ou  le  culte  du 
lingam  qui  est  répandu  dans  l'Inde  et  parmi  toutes  les  nations  qui  ont  eu  des  rap- 
ports avec  les  Hindous.  »  (Vues  des  Cordillères,  t.  I,  p.  275.) 

(2)  C'est  M.  Langlès,  je  ci-ois,  qui  le  premier  a  émis  cette  théorie. 

(3)  Citons  notamment  Prescott  [Hist.  of  the  Conquest  of  Mexico)  ;  Gallatin  [Notes 
on  the  civUized  Nations  of  Mexico,  Yucatan  and  Central-America)  ;  —  Stepliens,  Inci- 
dents of  Travel  in  Central-America, 

(4)  Travels  in  North  America,  t.  II,  p.  38. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  531 

ricainc,  sont  encore  si  peu  avancées,  qu'il  est  impossible  d'en 
tirer  une  preuve  sérieuse,  soit  dans  un  sens,  soit  dans  un  autre. 
Chacun  les  aborde  avec  des  idées  préconçues,  et  les  faits  eux- 
mêmes  doivent  trop  souvent  se  plier  aux  théories  du  moment. 
Dans  tous  les  cas,  si  l'on  veut  admettre  que  les  langues  aryennes 
se  greffèrent  sur  les  langues  primitives  de  l'Amérique,  il  faut 
également  admettre  que  celles-ci  avaient  une  existence  anté- 
rieure ;  c'est  là  un  dilemme  auquel  il  est  difficile  d'échapper. 

Nous  vovons  dans  l'Amérique  centrale,  comme  dans  la  vieille   Egyptiens  et 

'  "  .  ^  ,  Phéniciens. 

Egypte  ,  des  populations  au  teint  rouge  et  cuivré ,  des  hom- 
mes constamment  représentés  avec  peu  ou  point  de  barbe.  A 
cela  il  faut  ajouter  les  curieuses  ressemblances  que  nous  avons 
déjà  signalées  entre  les  monuments  de  l'Amérique  et  ceux  de 
l'Egypte  (1).  La  simple  comparaison,  au  Musée  du  Louvre,  entre 
les  spécimens  de  la  céramique  péruvienne  et  ceux  de  la  collec- 
tion égyptienne,  excite  une  surprise  involontaire.  Ces  mêmes 
ressemblances  ressortent  dans  la  construction  des  pyramides  et 
dans  l'érection  des  monolithes  (2).  Des  mois  égaux  de  trente 
jours,  une  année  de  trois  cent  soixante  jours  et  de  cinq  jours 
complémentaires  se  comptaient  à  Thèbes  et  à  3Iexico  à  une  dis- 
tance de  trois  mille  lieues  (3).  L'étoffe  rayée  d'une  ou  plusieurs 
couleurs  que  les  Mexicaines  roulent  encore  aujourd'hui  autour 
de  leurs  corps,  en  la  serrant  à  la  ceinture  de  manière  à  former 
un  jupon  qui  descend  au-dessous  des  genoux,  se  trouve  être 
exactement  le  costume  que  l'on  voit  aux  images  d'isis  et  que 
portaient  les  Égyptiennes  du  temps  des  Pharaons  (4).  En  1862,  on 
a  trouvé  auprès  de  Tuxtla  (prov.  de  Vera-Crux)  une  figure  en 
granit  de  près  de  deux  mètres  de  hauteur  dont  on  ne  peut  mé- 


(1)  Desjardins,  Le  Pérou  avant  la  conquête  Espagnole,  p.  171.  —  Delafeld,  Inquiry 
into  the  Origin  oftlie  Ant.  of  America.  Cincinnati,  1839. 

(2)  Gennarelli,  Soc.  Ant.  et  Ethn.  Italiana,  1872.  —  Carmichael,  On  the  Existence 
of  II  Race  of  Red  Men  in  Northern  Africa  and  Southern  Europa  in  Prehisioric  Times. 
British.  Ass.,  1863. 

(3)  Lettre  de  Jomard,  citée  par  Bancroft,  /.  c,  t.  V.  p.  62. 

(4)  Brasseur  de  Bourbourg,  /.  c,  t.  II,  p.  67.  On  peut  aussi  consulter  les  planches 
publiées  par  M.  de  Waldeck  sur  Palenque. 


552  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

connaître  le  type  éthiopien  (1).  L'île  de  Zapatero  a  fourni  des 
idoles,  grossières  représentations  des  colosses  égyptiens.  Ces 
faits  sont  sans  doute  curieux;  mais  les  égyptologues  ne  peuvent 
rien  nous  apprendre  sur  les  pictographies  du  Mexique,  sur  les 
nombreux  hiéroglyphes  de  l'Amérique  centrale  (2),  et  <à  leur  tour 
les  merveilleux  hiéroglyphes  de  l'Egypte,  qui  nous  ont  conservé 
avec  une  si  surprenante  fidélité  ,  toute  la  vieille  histoire  du 
pays,  ne  font  nulle  mention  de  ce  continent  qui  aurait  été  dé- 
couvert par  les  habitants  de  la  vallée  du  Nil,  et  peuplé  par  leurs 
colonies.  Ce  dernier  fait  paraît  capital,  et  ne  permet  guère  de 
faire  remonter  aux  Égyptiens  la  découverte  du  Nouveau-Monde. 
La  renommée  des  Phéniciens,  comme  hardis  navigateurs, 
est  un  des  axiomes  de  l'histoire  ancienne.  Ils  entreprirent  de 
longs  voyages  dans  l'intérêt  de  leur  commerce,  nous  dit  Dio- 
dore  de  Sicile  (3)  ;  ils  établirent  de  nombreuses  colonies  en 
Europe,  en  Afrique  et  ne  craignirent  môme  pas  de  franchir  les 
colonnes  d'Hercule  et  de  naviguer  sur  le  Grand  Océan.  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  que  leurs  flottes  abordassent  aux  Indes  et 
aux  rivages  de  l'Amérique.  Pour  les  uns,  le  royaume  d'Ophir 
serait  le  Pérou  ;  pour  les  autres,  après  la  prise  de  Tyr  par 
Alexandre  le  Grand  (232  ans  avant  J.-C),  quelques  malheu- 
reux fugitifs  parvinrent  à  s'enfuir,  à  gagner  les  îles  Fortunées 
et  de  là,  le  continent  américain  (4)  ;  des  écrivains  récents  ont 
même  prétendu  reconnaître  la  trace  de  ces  navigateurs  phéni- 
ciens (5).  Il  est  prouvé  que  les  anciens  ont  navigué  sur  l'At- 
lantique, et  il  est  très  possible  qu'ils  aient  débarqué  ou  qu'ils 
aient   été  jetés   par  la    tempête    sur    les  côtes    du  Nouveau- 

(1)  Soc.  Mex.  Geog.  Bol.  T  Epoca,  t.  I,  p.  292. 

(2)  M.  de  Waldeck  seul  reproduit  plus  de  1,400  hiéroglyphes  différents. 

(3)  Liv.  V,  g§  19,  10.  On  peut  aussi  consulter  le  Périple  d'Hannon,  où  ce  navigateur 
célèbre  raconte  ses  découvertes.  Son  récit  imprimé  pour  la  première  fois  à  Bâh;  en  1533 
a  été  inséré  par  M.  Miller  dans  les  Géographia  veteris  scriptores  Minores.  Didot,  1855. 

(4)  G.  Jones  [Hist.  of  Ane.  America.  London,  1843)  a  consacré  un  fort  gros  volume 
à  défendre  cette  opinion.  —  P.  Gaffarel,  Cong.  des  Améric.  Nancy,  t.  I,  p.  93. 

(5)  Nous  ne  parlons  pas  de  l'Inscription  de  Grave  Creek  à  l'ouest  des  Alleghanys, 
près  de  Wheeling  (Virginie).  On  s'en  est  beaucoup  occupé  un  moment,  et  M.  Levy 
Bing  a  cru  devoir  en  entretenir  le  Congrès  des  américanistes  réuni  à  Nancy  (Voy.,  t.  I, 
p.  215).  Sa  fausseté  est  aujourd'hui  certaine. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  553 

Monde  (I)  ;  mais  le  passage  de  Diodore,  que  nous  avons  cité,  ceux 
d'Aristote  que  nous  aurions  pu  ajouter,  sont  si  peu  concluants, 
toutes  les  données  que  nous  avons,  sont  si  vagues,  qu'il  est  bien 
difficile  d'étayer  à  leur  aide  un  système  qui  se  puisse  défendre  (2). 

Un  certain  nombre  d'écrivains  ont  prétendu  que  les  premières  juifs. 
nations  civilisées  de  l'Amérique,  descendaient  des  Chananéens, 
chassés  par  Josué  de  la  Palestine,  et  qui,  des  côtes  de  l'Afrique, 
étaient  arrivés  à  celles  de  l'Amérique.  Cette  opinion,  toute  fan- 
taisiste qu'elle  puisse  paraître,  a  trouvé  des  partisans  :  Lescar- 
bot  (3),  au  xvii"  siècle,  et  de  nos  jours  certains  écrivains  amé- 
ricains, toujours  à  la  recherche  d'excentricités  (4).  Une  autre 
version  qui  s'appuie  sur  le  récit  d'Esdras  (5),  veut  que  lorsque 
les  Israélites  furent  vaincus  et  conduits  en  captivité  par  Salma- 
nassar,  dix  tribus  furent  séparées  de  leurs  frères  et  se  dirigèrent 
vers  des  régions  inconnues.  Leur  migration  dura  un  an  et  demi, 
et  au  bout  de  ce  temps,  ces  hommes  arrivèrent  au  pays  d'Anian, 
après  avoir  traversé  la  mer  qui  sépare  cette  terre  de  l'Asie.  On 
prétend  voir  dans  le  pays  d'Anian,  le  continent  américain.  La 
première  version  connue,  se  trouve  dans  un  manuscrit  conservé 
à  la  bibliothèque  de  Mexico  (6);  elle  a  été,  depuis,  généralement 
acceptée  par  les  écrivains  espagnols  des  premiers  siècles  qui  sui- 
virent la  conquête.  Nous  la  trouvons  reproduite  en  Angleterre, 
au  xvif  siècle  (7)  ;  et  de  nos  jours,  lord  Ringsborough  (8j   a  dé- 

(1)  On  sait  que  Colomb  lui-même  recueillit  à  la  Guadeloupe  les  épaves  d'un  navire 
européen  qui  avait  fait  naufrage  (F.  Colombo,  Hist.  délia  vita  e  de'  fatti  del  Ammi- 
raglio  D.  Christoforo  Colombo,  suo  Padre.  Venetia,  1709). 

(2)  Il  faut  grandement  se  défendre  de  prétendues  découvertes  d'inscriptions  sémi- 
tiques. Le  colonel  VVhittlesey  a  publié  à  cette  occasion  une  brochure  dont  le  titre,  A)'- 
chêeological  Frauds,  indique  clairement  le  but. 

(3)  Hist.  de  la  Nouvelle-France.  Paris,  160!). 

(4)  Haven,  Arch.  ofthe  United  States;  Smithsonian  Institute,  185G. 

(5)  L.  IV,  c.  III.  Voy.  aussi  Rois,  L.  XIV,  c.  xvii. 

{6j  Ce  manuscrit  écrit  vers  1585  est  du  père  Duran,  originaire  de  Tczcuco.  Il  forme 
trois  gros  volumes  in-folio  et  est  intitulé  Hist.  Antigua  de  la  Nueva  Espana.  Une  co- 
pie est  conservée  dans  la  bibliothèque  du  Congrès,  à  Washington. 

(7)  Thorovvgood,  Jewes  in  America.  London,  in-4°,  1650.  —  L'Estrange  combattit  cette 
théorie,  et  il  nous  paraît  curieux  de  citer  sa  conclusion  :  «  I  am  of  opinion  that  the 
Americans  originated  before  the  captivity  of  the  ten  tribes,  even  from  Sem's  uear  pro- 
geny.  »  [Am,ericans  no  Jews.  London,  1654,  in-4°,  p.  13.) 

(8)  Antiquities  of  Mexico,  9  volumes  in-f».  London,  1831-1848. 


554  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

pensé  des  sommes  considérables  pour  prouver  que  c'est  à  ces  tri- 
bus d'Israël  que  le  Nouveau-Monde  doit  les  origines  de  sa  civili- 
sation. Adair,  qui  avait  longtemps  résidé  parmi  les  Indiens  du 
Sud,  était  resté  tellement  frappé  de  leurs  cérémonies  religieuses, 
qu'il  ne  savait  les  attribuer  qu'à  leur  origine  Israélite  (1).  L'abbé 
Brasseur  de  Bourbourg  parle  à  son  tour  avec  étonnement  des 
types  juifs,  assyriens,  égyptiens,  qu'il  avait  eu  l'occasion  de  re- 
marquer durant  ses  longues  explorations,  parmi  les  populations 
indiennes  du  Mexique  et  de  l'Amérique  centrale.  «Plus d'une  fois, 
dit-il,  nous  avons  observé  des  profils  semblables  à  celui  du  roi  de 
Juda,  sculptés  parmi  les  ruines  de  Karnac  et  vu  des  Indiens  qui, 
dans  leur  fière  nudité,  ressemblaient  à  s'y  méprendre  aux  belles 
statues  égyptiennes  des  Musées  du  Louvre  ou  de  Turin.  Une 
foule  d'étrangers  ont  remarqué  avec  autant  de  surprise  que  nous, 
dans  certains  villages  guatémaliens,  le  costume  arabe  des  hom- 
mes, et  le  costume  juif  des  femmes  de  Palin  ou  de  celles  des 
bords  du  lac  d'Amatitlan,  aussi  parfaits  et  aussi  beaux  que  dans 
les  tableaux  d'Horace  Vernet  (2).  » 

La  circoncision  était  en  usage  chez  les  Yucatecs  et  chez  les 
Aztecs,  mais  nous  ne  pouvons  ajouter  qu'une  importance  fort  se- 
condaire à  ce  fait,  car  cette  même  coutume  se  retrouve  chez  plu- 
sieurs peuples  qui  n'ont  eu  aucun  rapport,  soit  avec  les  Juifs, 
soit  avec  les  Musulmans  (3).  Un  récit  de  Bancroft  nous  paraît 
plus  curieux  (4).  Deux  fois,  raconte-t-il,  les  fouilles  ont  mis  au 
jour  des  reliques  israélites  ;  la  première  fois  des  extraits  de  la  loi 
écrits  en  hébreu,  sur  des  feuilles  de  parchemin  et  renfermés 
selon  l'usage  juif  dans  un  étui;  une  autre  fois  une  pierre,  sur  la- 

(1)  Hist.  oft/ie  American  Indians.  London,  1775,  in-i". 

(2)  Hist.  des  Na(io?is  cioilisées,  t.  I,  p.  17  ;  t.  II,  p.  180. 

(3)  On  rapporte  notamment  son  existence  chez  diverses  tribus  de  l'Australie.'  En 
Amérique  cette  coutume  s'est  conservée  chez  les  habitants  de  Goazacoalco,  qui  affir- 
ment l'avoir  reçu  d'une  longue  suite  d'ancêtres,  et  le  P.  Petitot  l'a  constatée  chez  les 
Déné-Dindjies,  grande  famille  de  Peaux  Rouges,  qui  habitent  entre  le  53*  et  le  C9"  degré 
de  latitude. 

(4)  Native  Race-:,  t.  V,  p.  92.  Tous  ceux  qui  veulent  étudier  la  question  doivent  lire 
le  chap.  I  de  ce  volume  ;  il  y  trouveront  entre  autres  renseignements  importants,  les 
recherches  bibliographiques  les  plus  curieuses. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  555 

quelle  était  gravé  un  personnage  portant  le  costume  traditionnel 
du  grand-prêtre  et  au-dessus  de  sa  tête,  les  dix  commande- 
ments de  Jéhovah  en  caractères  hébreux.  En  admettant,  ce  que 
nous  sommes  disposés  à  faire ,  la  parfaite  authenticité  de  ces 
découvertes,  rien  ne  permet  de  dire  que  les  parchemins  ou  la 
pierre  portant  les  commandements  de  Dieu,  soient  antérieurs 
à  l'arrivée  des  Espagnols.  L'Etat  d'Antioquia  enfin,  qui  fait 
partie  de  la  nouvelle  république  des  Etats-Unis  de  Colombie,  a 
été,  rapporte-t-on,  peuplée  par  une  colonie  israélite.  C'est  ainsi 
que  l'on  explique  l'élément  sémitique  fortement  représenté  parmi 
la  population  blanche,  les  prénoms  empruntés  à  l'Ancien-Testa- 
ment  communs  dans  le  pays,  la  beauté  des  femmes,  dont  le  teint 
brun  et  les  grands  yeux  noirs  rappellent  les  belles  Juives  de  l'O- 
rient, enfin  le  génie  commercial  des  habitants,  très  différents  en 
cela  de  leurs  concitoyens.  Mais  ces  hommes  ne  sont-ils  pas  les 
descendants  des  Israélites  chassés  de  l'Espagne  par  les  rois  ca- 
tholiques, et  qui  après  avoir  été  forcés  de  recevoir  le  baptême, 
auraient  cherché  un  asyle  dans  le  Nouveau-Monde,  et  n'est-ce 
pas  là  l'explication  la  plus  vraisemblable  de  leur  origine  (i)  ? 

Les  Sagas,  bien  antérieurs  au  xvi*  siècle  (2),  ont  conservé  le  peuples  du 
souvenir  des  longues  et  périlleuses  navigations  des  hommes  du  rope.  ' 
Nord,  et  nous  apportent  la  première  preuve  sérieuse  de  rapports 
entre  les  Européens  et  les  Américains.  Dès  877,  l'Islandais  Gun- 
biorn  découvrait  le  littoral  montueux  du  Groenland.  D'autres 
attribuent  cette  découverte  à  Eirekr-Raiidi  (Eric  le  Rouge)  (3)  ; 
mais  si  ce  point  reste  douteux,  il  paraît  certain  que  le  Mark- 
land,  où  l'on  a  voulu  voir  tantôt  Terre-Neuve,  tantôt  la  Nou- 
velle-Ecosse, fut  visité  en  986,  par  Bjarne-Herjulson;  en  1007, 

(1)  Vergara  y  Vergara,  Hist.  de  la  Literatura  en  Nueva  Granada. 

(2)  Ces  sagas  sont  reproduits  dans  le  Heimskringla  ou  Imago  Mundi  composé  en 
1241  par  Snorri  Sturluson ,  et  mentionnés  dans  le  Codex  Flaloensis,  compilation 
écrite  au  plus  tard  en  1396,  dans  un  monastère  de  l'île  de  Flatoë  et  conservée  aujour- 
d'hui aux  Archives  royales  de  Copenhague. 

(3)  De  Costa,  The  Precolumbian  Discovery  of  America.  On  trouvera  dans  le  Journal 
de  la  Soc.  Roy.  de  Géog.  de  Londres  un  résumé  de  tous  les  faits  qui  peuvent  justifier 
la  théorie  norvégienne  ou  islandaise  de  la  découverte  de  l'Amérique.  —  B.  Grondais, 
Congr.  Âmà'ic.  Nancy,  1875,  t.  I,  p.  37.  —  L.  de  Rosuy,  Idem,  p.  13. 


556  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

puis  encore  en  lOH,  par  Thorfinn-Rarlœfni.  Le  premier  voyage 
de  Thorfinn  est  resté  célèbre  ;  il  put  successivement  reconnaître 
quelques  parties  de  l'Amérique  septentrionale,  les  côtes  du  Mas- 
sachussetts,  peut-être  même  la  baie  de  New- York.  Les  Islandais 
occupèrent  vers  la  même  époque,  une  partie  du  Labrador,  auquel 
ils  donnèrent  le  nom  de  Vinland,  à  raison  de  la  quantité  de  rai- 
sins sauvages  que  le  pays  produisait.  De  semblables  expéditions 
n'ont  rien  qui  puisse  surprendre  ;  il  est  certain  que  bien  avant  le 
x^  siècle,  les  Scandinaves  construisaient  des  bateaux  pontés, 
marchant  à  la  voile  et  à  la  rame  et  portant  jusqu'à  cent  hommes 
d'équipage  (1). 

Les  curieuses  recherches  de  Rafn  (2)  nous  montrent  non  plus 
la  découverte,  mais  la  coloni-sation  du  Groenland  (3),  par  des 
chefs  Scandinaves  qui  avaient  fui  l'Islande,  pour  échapper  à  la 
tyrannie  d'IIarald  aux  cheveux  d'or.  Une  bulle  du  pape  Gré- 
goire IV,  de  835,  fait  mention  des  missions  du  Groenland.  Un 
évêché  était  érigé  en  1124,  et  jusqu'au  xv  siècle,  les  habitants  de 
ces  côtes  aujourd'hui  si  inhospitalières,  payaient  annuellement 
au  Saint-Siège  à  titre  de  dîme,  2,600  livres  pesant  de  dents  de 
morse.  Le  commerce  et  la  civilisation  de  ces  contrées  s'arrêtè- 
rent à  la  suite  d'un  refroidissement  graduel,  attesté  par  des 
modifications  profondes  dans  la  faune,  dans  la  flore  et  dans  les 
conditions  biologiques  (4). 

Auprès  delà  rivière  Taunton  dans  le  Massachussetts,  se  dresse 
un  bloc  ératique  de  gneiss,  en  forme  de  pyramide  tronquée  (5). 
Ce  bloc  est  connu  depuis  1680,  sous  le  nom  àeDighton  Rock.  Il  est 
couvert  de  dessins,  de  figures  humaines  et  de  véritables  caractè- 
res qui,  jusqu'à  ce  jour,  ont  défié  toutes  les  recherches  des  archéo- 


(1)  Gravier,  Découverte  de  V Amérique  par  les  Normands  au  dixième  siècle.  —  Rev. 
d'Anthr.  Janv.  1881. 

(2)  Ant.  Americanx  sive  Sa'iptores  Septentrionales  rerum  anle  Colombianarum  in 
America  edidit  Soc.  Regia.  Ant.  Sept.  Hafniae,  1837. 

(3)  Des  pierres  chargées  d'inscriptions  runiques,  muets  témoins  des  premiers  co- 
lons, ont  été  découvertes  à  plusieurs  reprises  dans  le  Groenland. 

(4)  Les  Premiers  Hommes  et  les  Temps  Préhistoriques,  t.  II,  p.  154,  161,  391. 

(5)  Ce  bloc  mesure  4  mètres  à  sa  base  sur  l^.TO  de  hauteur. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  So7 

logues  (1).  Celte  inscription  n'est  assurément  pas  due  aux  Peaux 
Rouges;  on  connaît  bien  d'eux  quelques  rares  représentations 
d'hommes  ou  d'animaux;  mais  ils  n'ont  jamais  connu  l'emploi  de 
signes  pouvant  représenter  des  mots.  L'explication  la  plus  plau- 
sible, est  d'attribuer  leur  origine  aux  premiers  navigateurs  Scan- 
dinaves et,  si  l'on  veut,  à  leur  chef  Thorfinn,  dont  on  a  même 
prétendu  lire  le  nom  (2). 

Les  Islandais  avaient  été  devancés  sur  le  Nouveau-Continent 
par  les  Irlandais,  si  nous  devons  accepter  soit  une  légende 
pieuse  qui  veut  que  dès  le  cinquième  siècle,  saint  Patrice  avait 
envoyé  des  missionnaires  aux  îles  américaines  (3),  soit  le  récit  de 
certains  Sagas,  qui  parlent  d'un  pays  appelé  Huitramannaland 
ou  Irland-it-Mykla.  Ce  pays  découvert  par  Thorfmn  était  ha- 
bité, selon  le  témoignage  de  quelques  Skrœllings  ou  Esqui- 
maux, par  des  hommes  vêtus  de  blanc,  qui  marchaient  en  chan- 
tant et  en  portant  des  drapeaux  suspendus  à  des  perches.  On  a 
voulu  voir  dans  ces  hommes,  connus  seulement  par  ce  vague 
récit,  des  moines  chrétiens,  successeurs  des  missionnaires  irlan- 
dais (4). 

Les  annales  galloises  racontent  à  leur  tour,  un  voyage  entre- 
pris à  la  fin  du  douzième  siècle  par  Madoc,  fils  d'Owen  Gvvinedd, 
prince  de  Galles.  Baldwin  prétend  qu'il  fonda  une  colonie  dans 
la  Caroline  (5).  D'autres  chroniqueurs  placent  cette  colonie  soit 
dans  la  Virginie,  soit  dans  la  Floride.  Ces  faits,  le  teint  blanc 
et  les  yeux  bleus  des  Mandans  (6),  certaine  ressemblance  entre 
leurs  canots  et  les  coracles  ou  bateaux  des  anciens  Gallois  (7), 

(1)  Ces  inscriptions  ont  été  reproduites  dans  le  compte  rendu  du  Congrès  américa- 
caniste  de  Nancy,  t.  I. 

(2)  Gravier,  Le  Roc  de  Dighton.  Cong.  des  Amer.  Nancy,  1875,  t.  I,  p.  1G6. 

(3)  Monasticon  Britannicum,  p.  131,  132,  187,  188. 

(4)  E.  Beauvois,  Cong.  des  Americ.  Nancy,  1875,  t.  I,  p.  41.  —  Luxembourg,  18'i7, 
t.  I,  p.  174. 

(5)  Prehistoric  Nations.  New-York,  18G9.  Alonso  de  Hojeda,  gouverneur  espagnol  du 
Venezuela,  rapportait  dès  1501,  la  présence  depuis  plusieurs  années  de  navigateurs 
anglais  sur  la  côte  occidentale  (Navarette,  Coll.  de  las  Viages  y  Descubrimientos,  t.  III, 
p.  41,  86,  88,  543,  545). 

(6)  Schoolcraft,  Arch.  of  Aboriginal  Knowledge,  t.  II,  p.  320. 

(7)  Les  coracles  sont  faits  de  peaux  de  buffle  appliquées  sur  une  carcasse  de  roseaux 


Grecs  et  Ro- 
mains. 


558  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

sont  les  seuls  témoignages  qu'il  a  été  possible  de  recueillir  à 
Tappui  de  la  yersion  que  les  Celtes  furent  les  premiers  à  tra- 
verser la  grande  mer.  Faut-il  même  mentionner  une  lettre  du 
Rev.  Morgan  Jones,  écrite  en  1686  mais  publiée  seulement 
en  1740  (1)?  11  raconte  qu'étant  chapelain  du  général  Bennett, 
il  avait  été  fait  prisonnier,  dans  la  province  de  New- York,  par 
les  Indiens  Tuscarora,  et  qu'il  allait  être  mis  à  mort,  lorsqu'une 
exclamation  en  gallois  lui  sauva  la  vie.  Les  Indiens  compre- 
naient cette  langue  qui  avait  été  celle  de  leurs  pères;  elle  s'était 
fidèlement  transmise  de  génération  en  génération,  et  durant  son 
séjour  parmi  eux,  Jones  put  prêcher  et  se  faire  comprendre  de 
nombreux  auditeurs  ;  ce  récit  légendaire  est  cher  aux  Celtes  de 
tous  les  pays  ;  c'est  à  ce  titre  que  nous  le  reproduisons  (2). 

L'étendue  et  l'importance  des  villes  du  Mexique  et  du  Pérou, 
les  chaussées  pavées,  les  ponts,  les  aqueducs  construits  par  les 
habitants  (3),  le  goût  qu'ils  témoignaient  pour  les  combats  de 
gladiateurs,  la  découverte  enfin,  bien  peu  authentique,  de  quel- 
ques monnaies,  telles  sont  les  faibles  preuves  à  l'aide  des- 
quelles, on  prétend  attribuer  au  peuple  romain  les  premières 
colonies  et  les  premiers  progrès  du  continent  américain. 

Nous  discuterons  moins  longuement  encore  les  ressemblances 
que  Brasseur  de  Bourbourg  prétend  établir  entre  les  divinités 
de  la  Grèce  et  celles  du  Mexique.  Ces  ressemblances  sont  des 
faits  accidentels  qui  se  rencontrent  dans  toutes  les  mytho- 
logies. 
Malais  et  Po-  Nous  avous  déjà  parlé  de  la  possibilité  d'immigrations  partant 
lynesiens.  ^^  Tlndo-Chine  et  arrivant  par  la  longue  chaîne  des  îles  du 
Pacifique,  jusqu'aux  côtes  occidentales  du  Nouveau-Monde.  Les 
habitants  de  ces   îles  ont  dû,    eux   aussi,    aborder  à  plusieurs 

ou  de  baguettes.  Catlin,  Illustrations  of  the  Manners,  Customs  and  Condition  of  thc 
North  Americans  ludions.  London,  1806,  t.  II,  p.  261. 

(1)  Gentleman's  Magozine,  ad.  an. 

(2)  Peut-être  devrait-on  également  rappeler  le  voyage  entrepris  par  l'un  des  deux 
frères  Nicolas  ou  Antonio  Zeno  vers  le  Nord.  Ils  abordèrent  au  Groenland. 

(3)  Il  suffit  de  rappeler  le  portique  de  Kabah  (fig.  134)  et  l'aqueduc  du  Rodadero  à 
Cuzco  (flg.  168). 


L'ORIGINE  DES   AMERICAINS.  559 

reprises  sur  le  continent  américain  ;  et,  Pickering  (I)  croit  avoir 
trouvé  toute  une  zone  malaise  (2)  s'étendant  des  côtes  du  Pérou 
jusqu'à  celles  de  la  Californie.  M.  Virchow  et  d'autres  an- 
thropologis tes  éminents  rapprochent  les  populations  de  l'Amé- 
rique du  Sud,  des  Malais  et  signalent  les  difîérences  qui  les 
séparent  des  races  mongoliques.  Il  est  vrai  que  les  mers  pro- 
fondes rendaient  ces  communications  difficiles  durant  les 
temps,  oii  nous  savons  d'une  manière  certaine  l'existence  de 
l'homme;  mais  les  insulaires  de  la  Polynésie  étaient  d'excellents 
marins  ;  ils  entreprenaient  sans  crainte  de  longues  expéditions 
sur  des  bâtiments  de  faible  tonnage  et  de  mauvaise  construc- 
tion (3).  Les  courants  et  les  vents  qui  régnent  habituellement 
sur  l'océan  Pacifique  facilitent  cette  navigation  ;  ils  condui- 
raient rapidement  dans  les  parages  de  Quito  un  canot  détaché 
de  l'île  de  Pâques  (4).  D'autres  témoignages  concordent  avec  ce 
fait  important  ;  on  trouve  dans  les  îles  de  la  mer  du  Sud,  des 
outils  et  des  armes  en  silex  ou  en  jade  absolument  semblables 
à  ceux  du  Pérou,  et  une  massue  en  bois  provenant  de  fouilles 
faites  dans  la  Colombie,  rappelle  exactement  une  massue  poly- 
nésienne. «  Comment  arrive-t-on,  s'écrie  M.  Taylor,  à  une  uni- 
formité aussi  complète  (5)?  La  conclusion  que  partout  l'homme 
exécute  les  mêmes  choses  sous  l'empire  des  mêmes  circonstances, 
peut  bien  l'expliquer  partiellement  ;  mais  il  est  douteux  que 
cette  explication  puisse  s'étendre  au  plus  grand  nombre  des  faits 
observés.  L'autre  côté  de  la  question  montre  cette  similitude 
due  aux  rapports  qui  ont  existé  entre  les  hommes,  et  la  vérité  pro- 
bable est  qu'elle  tient  aux  deux  causes,  sans  que  nous  puissions 
bien  définir  la  proportion,  dans  laquelle  chacune  d'elles  a  agi  (6).» 

(1)  The  Races  of  Men  and  their  Geographica'  Distribution.  Philadelphia  1848.  — 
Admirai  Fitzroy,  On  the probable  Migrations  and  Variations  of  the  earlier  Fauilies 
of  the  Humai  Race.  Traus.  Ethn.  Soc,  1858. 

(2.)  La  race  Malaise  semble  issue  du  mélange  d'éléments  blancs,  jaunes  et  noii-s,  en 
proportion  inégale  et  variable. 

(3)  John  Williams,  Missionary  Entreprises,  p.  512. 

(4)  SirO.  Dilke,  Greater  Britain,  p.  255. 

(5)  Early  History  of  Mankind,  p.  206. 

(6)  Il  paraît  même  inutile  de  discuter  une  autre  hypothèse,  l'origine  américaine  des 


560  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

En  résumé,  il  est  certain  qu'avant  la  découverte  de  Christophe 
Colomb,  des  marins,  des  aventuriers  appartenant  à  des  pays 
différents,  avaient  pénétré  sur  divers  points  de  la  terre  d'Amé- 
rique (1)  ;  des  naufragés  s'y  étrdent  sans  doute  établis;  mais  ces 
individus  isolés,  loin  de  modifier  le  type  existant,  avaient  dû 
être  rapidement  absorbés  par  les  races  au  milieu  desquelles  ils 
vivaient  ;  leur  présence  n'a  pu  avoir  sur  la  population  qu'une 
importance  secondaire.  Les  seules  immigrations  sérieuses  sont 
celles  des  Malais,  qui  ont  peut-être  précédé  les  Asiatiques  dans 
l'Amérique  du  Sud,  puis  celles  des  Asiatiques  eux-mêmes.  Il 
paraît  aujourd'hui  certain  que  ces  derniers,  à  des  époques  diffé- 
rentes, encore  indéterminées,  avaient  envoyé  par  l'Atlantique, 
surtout  parle  Pacifique,  de  nombreuses  colonies,  qui  ont  apporté 
de  profondes  modifications  chez  les  indigènes,  qui  ont  influé 
sur  leurs  idées  religieuses,  comme  sur  leurs  conceptions  artisti- 
ques, et  qui  ont  aidé  au  développement  d'une  civilisation,  dont 
la  ressemblance  avec  celle  des  peuples  de  l'ancien  continent 
éclate  à  chaque  page  de  cette  étude.  Mais  toutes  les  immigra- 
tions, dont  on  peut  retrouver  la  trace  remontent  à  des  épo- 
ques relativement  modernes.  A  ce  moment,  l'Amérique  comp- 
tait déjà  des  habitants  ;  nous  sommes  en  face  de  populations 
bien  antérieures  à  toutes  les  traditions  reçues.  Ce  sont  ces  popu- 
lations barbares  et  nomades,  contemporaines  d'animaux  dis- 
parus, ignorantes  de  toute  culture,  se  nourrissant  des  mollusques 
de  la  mer  ou  des  rivières,  du  produit  de  leur  chasse  ou  de  leur 
pêche,  dont  nous  cherchons  l'origine.  Une  dernière  hypothèse 
reste  à  examiner,  celle  de  l'existence  dans  les  temps  préhisto- 


Polynésiens.  Elle  a  été  mise  en  avant  pour  la  première  fois  en  1803  par  Zuniga,  l'un 
des  historiens  des  Philippines,  et  soutenue  de  nos  jours  par  plusieurs  savants  dis- 
tingués. Mais  un  examen  attentif  des  preuves  alléguées  à  son  appui  ne  permet  guère  de 
l'entretenir,  et  c'est  avec  raison  que  M.  de  Quatrefages,  avec  sa  grande  autorité,  la  relè- 
gue au  rang  des  fables. 

(1)  A  tous  les  peuples,  que  nous  avons  cités  comme"  les  premiers  occupants  du  sol 
américain,  il  aurait  peut-être  fallu  ajouter  les  Basques  qui  s'attribuent  l'honneur  de  la 
découverte  de  Terre-Neuve  (F.  Duro,  Lapescade  los  Vascongados  y  el  descubvimiento 
de  Terra  Nova]. 


L'ORIGINE  DES   AMÉRICAINS.  361 

riques  de  ce  vaste  continent,  auquel  l'histoire  et  la  fable  ont 
donné  le  nom  A' Atlantide. 

Une  terre  plus  vaste  que  l'Asie  et  la  Libye  réunies,  douée  d'un  LAtiantide. 
air  pur,  d'un  climat  doux,  d'un  sol  fertile,  s'élevait  jadis  au  delà 
des  colonnes  d'Hercule  et  s'étendait  au  loin  dans  l'océan  Atlan- 
tique. Les  Atlantes,  tel  fut  le  nom  donné  aux  habitants,  étaient 
soumis  à  des  rois,  dont  la  conquête  avait  assuré  la  domination. 
L'Egypte  jusqu'à  la  Libye,  l'Europe  jusqu'à  la  Tyrrhénie  obéis- 
saient à  leurs  lois.  Les  peuples  en  deçà  de  ces  limites  s'unirent 
pour  leur  résister,  les  Athéniens  se  mirent  à  leur  tête  et,  après 
une  longue  et  sanglante  lutte,  ils  restèrent  vainqueurs  de  la 
puissante  armée  qui  prétendait  asservir  l'Europe  et  l'Asie.  Les 
forfaits  des  Atlantes  provoquèrent  le  courroux  céleste  ;  l'éruption 
soudaine  d'un  volcan  et  un  tremblement  de  terre  vinrent  détruire 
leurs  demeures  ;  puis  un  déluge,  tel  que  les  hommes  n'en  virent 
jamais,  fit  disparaître  en  une  nuit  l'Atlantide,  dont  les  Canaries, 
les  Açores,  les  îles  du  Cap- Vert  et  Madère  sont  les  muets  témoins. 

Tel  est  le  récit  que  firent  à  Solon  les  prêtres  de  Sais,  en  ajou- 
tant que  ces  événements  avaient  eu  lieu  9,000  ans  avant  sa 
venue  en  Egypte.  Son  authenticité  paraît  incontestable  ;  Critias, 
dont  le  grand-père  était  le  contemporain  de  Solon,  l'avait  ra- 
conté à  Socrate,  et  Platon,  qui  le  tenait  de  la  bouche  même  de 
Socrate,  l'a  transmis  à  la  postérité  (1).  Une  tradition  constante 
avait  conservé  à  Athènes  la  mémoire  de  ces  faits,  et  dans  les  petites 
Panathénées  célébrées  en  l'honneur  de  Minerve,  on  portait  un 
péplum  qui  rappelait  la  protection  de  la  déesse  dans  la  guerre, 
que  les  Athéniens  avaient  dû  soutenir  contre  les  Atlantes  (2). 

D'autres  écrivains  mentionnent  à  leur  tour  l'Atlantide.  Aris- 
lote  (3)  parle  d'une  grande  île,  Antilla,  à  plusieurs  journées  de 
navigation  du  continent;  elle  avait  été,  rapporte-t-il,  découverte 
et  colonisée  par  les  Carthaginois  ;  mais  ils  cachaient  son  exis- 

(1)  Timée,  éd.  Ou  Panthéon  littéraire,  t.  II,  p.  643.  On  peut  aussi  consulter  Critias, 
trad.  V.  Cousin,  t.  XII. 

(2)  Bekker,  Comment,  in  Platonem,  t.  II,  p.  395. 

(3)  De  Mirahilibua  auscultationibus,  c.  iv. 

De  Nadaillac,  Amérique.  36 


562  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

tence  avec  un  soin  si  jaloux,  qu'ils  faisaient  mourir  ceux  qui 
osaient  la  nommer.  Diodore  de  Sicile  (1)  cite  aussi  une  île  située 
à  l'ouest  de  la  Libye  ;  il  ajoute  ce  détail  important  qu'elle  était 
arrosée  par  des  fleuves  navigables,  ce  qui  témoigne  de  son  éten- 
due. Théopompe,  qui  écrivait  comme  Platon,  au  quatrième  siècle 
avant  notre  ère,  rapporte  (2)  que  l'histoire  de  l'Atlantide  avait 
fait  partie  des  enseignements  donnés  par  Silène  à  l'antique  roi 
Midas,  et  Virgile  dans  l'Enéide  (3)  en  a  immortalisé  le  souvenir  (4). 

De  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  nous  trouvons  une  tradition 
constante  de  cataclysmes,  de  déluges,  d'éruptions  volcaniques, 
ayant  amené  la  destruction  de  régions  immenses,  de  continents 
entiers.  Ces  traditions  peuvent  être  exagérées;  il  est  impossible 
qu'elles  reposent  uniquement  sur  des  faits  imaginaires  (5). 

Ces  témoignages  concordants  de  l'histoire  et  de  la   tradition 

(1)  Bibl.  Hisi.,  1.  V,  c.  xix,  trad.  Hoefer,  t.  II. 

(2)  Il  ne  reste  de  Théopompe  que  quelques  fragments  reproduits  dans  les  Hù't. 
Grsec.  Fragmenta  de  la  collection  Didot.  Celui  que  nous  citons  a  été  conservé  par 
Elien  {Hist.  Div.,  1.  III,  c.  xviii)  ;  voici  le  passage  le  plus  important  du  récit  de  Si- 
lène :  «  l'Europe,  l'Asie  et  la  Libye  étaient  des  îles,  autour  desquelles  coulait  l'Océan 
comme  un  cercle  ;  mais  il  est  une  autre  île,  en  dehors  de  ce  monde,  qui  seule  mérite  le 
nom  de  continent.  » 

(3)  L.  VI. 

(4)  Nous  bornons  là  nos  citations;  il  serait  facile  de  les  multiplier.  Ammien  Marcellin 
appelle  l'Atlantide  «  Insulu  Orbe  spatiosior.  »  Proclus  dans  son  commentaire  sur  Timée 
parle  également  de  cette  île,  qui  exerça  durant  un  long  espace  de  temps  une  domina- 
tion incontestable.  Timagène,  qui  vivait  vers  le  premier  siècle  avant  l'ère  chrétienne, 
raconte  que  les  récits  des  Druides  s'accordent  avec  ceux  de  Platon  et  de  Théopompe. 
Hérodote  (L.  IV,  c.  clxxxiv,  p.  234,  éd.  Didot),  Pomponius  Mêla  (L.  I,  c.  iv  et  viii), 
Denys  de  Mitylène  {Argonautiques,  Hist.  Grcec.  Fragm.,  t.  II,  p.  9)  signalent  tous 
les  Atlantes  comme  un  peuple  puissant  ;  ils  les  appellent  indifféremment.  'AtXàvxE;, 
'ATXtxvTEOt,  'Atapàvre;.  Traditur,  dit  à  son  tour  Pline  (L.  VI,  ss.  4G,  trad.  Littré, 
p.  272),  alla  insula  contra  montein  Atluniem  et  qua  Atlantis  appellata.  Enfin  Sénèque 
s'écrie  : 

Veulent  annis  sœcula  seris,  .     • 

Quibus  Oceanus  vincula  rerum  ,   , 

Laxet,  et  ingens  pateat  tellus 
/  Tethysque  novos  detegat  orbes, 

Nec  sit  terris  ultima  Thule. 

Médée,  v.  375  et  s. 

Il  faut  citer  ces  vers  remarquables,  bien  qu'on  puisse  aussi  bien  les  appliquer   à, 
l'Amérique  qu'à  l'Atlantide. 
(3)  Brasseur  de  Boui-bourg,  le  Popol-Vu/i,  ch.  m. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  563 

sont  importants,  et  bien  que  les  données  paraissent  vagues  et 
obscures,  la  science  parviendra  peut-être  un  jour  à  les  éclaircir 
et  à  les  compléter. 

Une   première  remarque  s'impose  :   Nous  suivons  les  traces 
des  premières  immigrations  des  Aryas;  nous  voyons  bien  cet 
hommes  partir  du  fond  de  l'Asie,  envahir  successivement  l'Inde, 
la  Perse,  les  différentes  régions  de  l'Europe;   mais   des    races 
nombreuses,  des  peuples  entiers  restent  encore  étrangers,   non 
seulement  aux  Aryas,  mais  aussi  à  toutes  les  filiations  que  l'on 
a  prétendu  établir.  Les  Egyptiens  se  disaient  autochtones,  créés 
par  le  dieu  Horus  sur  la  terre  même  qu'ils  habitaient  (1).  S'ils 
avaient  été  d'origine  asiatique,  comment  le  cheval,  qui  ne  paraît 
que  sous  la  dix-huitième  dynastie,  le  chameau  importé  seule- 
ment vers  le  quatrième  ou  le  troisième  siècle  avant  Jésus-Christ, 
leur  seraient-ils  restés  si  longtemps  inconnus  (2)  ?  D'où  pouvait 
sortir  cette  population  de  quelques  millions  d'habitants,   isolés 
dans  la  vallée  du  Nil,  sans  lien  avec  les  populations  voisines? 
La  même   question  se  pose  pour  les  Berbères,  les  Ibères,   les 
Etrusques,  dont  on  relève  les  caractères  communs.  Dans  toute 
la  région   Atlantique,    dit    le    docteur  Lagneau    (3),   dans  les 
Canaries,    dans  la  Berbérie  ou  Mauritanie,   si  différente  sous 
le   rapport   zoologique   du   reste   de    l'Afrique,    dont  elle  était 
séparée  par  la  mer  du  Sahara,  il  se  trouve  une  race  humaine 
identique.  A  cette  race  se  rattachent  les  Kabyles,  les  Corses,  de 
nombreux  habitants  de  l'ancienne  Bétique  et  de  la  Lusitanie, 
certains  Basques  du  Guipuzcoa,  les  Troglodytes  dont  les  osse- 
ments ont  été  recueillis  à  Sordes,  àCro-Magnon,  à  Gibraltar,  dans 
la  caverne  de  l'Homme-Mort.  Ces  peuples  étrangers  aux  Aryas 
ne  sont-ils  pas  sortis  d'une  souche  commune?  et  ne  peut-on  pas 
retrouver  chez  les  Atlantes  leur  origine  ;  dans  l'Atlantide,  le  point 
de  départ  de  leurs  migrations  ? 

(1)  Brugsch,  Hist.  de  VEgypte  depuis  les  premiers  temps  de  son  existence.  Leipzig, 
1859,  1«  p.,ch.  I. 

("2)  A.  Desmoulins,  Sur  la  patrie  du  chameau  à  une  bosse  et  sur  l'époque  de  son 
introduction  en  Afrique. 

(3)  Revue d'Anthr op.,  1880,  p.  464.  —De  Quatrefages  et  Hamy,  Cranta  Etknica,  p.  06. 


564  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Nous  avons  dit  que  la  faune  Américaine  était  essentiellement 
distincte  de  la  faune  de  l'ancien  continent.  Les  mammifères,  les 
oiseaux,  les  poissons,  les  mollusques  présentaient  des  différences 
si  nettement  accusées,  que  les  zoologistes  n'ont  pas  hésité  à  les 
ranger  dans  d'autres  familles.  L'étude  de  la  flore  conduit  à  des 
conclusions  analogues.  Au  moment  de  la  découverte  de  l'Amé- 
rique, la  séparation  dans  tous  les  règnes  était  complète.  11  n'en 
avait  pas  toujours  été  ainsi;  les  travaux  qui  resteront  la  gloire  la 
plus  incontestable  de  notre  siècle  l'ont  prouvé  sans  réplique  (1). 

Il  y  a  quelques  années  déjà,  M.  Gaudry  faisait  remarquer  la 
ressemblance  de  l'éléphant  qui  vivait  en  Amérique,  au  début  des 
temps  quaternaires,  avec  VElephas  primigenms,  dont  on  a  re- 
cueilli les  ossements  dans  les  environs  de  Paris  (2).  Il  existe  éga- 
lement une  grande  analogie  entre  VElephas  americanus ,  et 
VElephas  antiquus^  de  nos  régions,  he  Mastodon  americanus ^Rraii 
avoir  eu  des  rapports  étroits  avec  le  Mastodon  turicensis,  qui  a 
vécu  en  Europe  durant  les  périodes  miocène  et  pliocène.  Si  on 
réfléchit,  continue  M.  Gaudry,  qu'à  côté  de  ces  affinités  des  pro- 
boscidiens,  des  affinités  non  moins  grandes  ont  existé  entre  les 
bisons,  les  ovibos,  les  rennes,  les  cerfs  de  l'Amérique  du  Nord  et 
leurs  congénères  Européens,  on  est  bien  disposé  à  croire  qu'il  y 
a  eu  autrefois  une  communication  entre  l'ancien  et  le  nou- 
veau continent.  Remontons  encore  l'échelle  des  temps,  des  re- 
cherches récentes  ont  prouvé  que  la  faune  éocène  des  environs 
de  Reims  se  rapproche  singulièrement  de  la  même  faune  dans 
le  Nouveau-Mexique,  L'étude  des  mollusques  tertiaires  des  Etats- 
Unis  établit  la  complète  identité  de  quelques-uns  d'entre  eux  avec 
ceux  des  couches  françaises  correspondantes,  et  on  trouve  dans 
le  Yang-tse-Kiang,  des  coquilles  dont  les  analogues  ne  vivent 
actuellement  que  dans  les  grands  cours  d'eau  de  l'Amérique  du 
Nord  (3),  Un  nombre  considérable  de  vertébrés  tertiaires  de  la 


(1)  Hamy,  De  l'homme  tertiaire  en  Amérique  et  des  centres  multiples  de  création 
{Revue  des  cours  scientifiques,  19  mars  1870), 

(2)  Bul.  Soc.  Geol.,  t.  I,  3«  série.  Paris,  1875. 

(3)  Sauvage,  Naiwre,  1874,  t.  II,  et  1881,  t.  TI. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  565 

France  centrale,  aujourd'hui  complètement  disparus,  ont  leurs 
similaires  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique  (1).  Un  nombre  plus 
considérable  encore  d'insectes  semblables  ont  vécu  sur  les  riva- 
ges opposés  de  l'Océan  et  présentent  à  peine  quelques  légères 
difTérences  de  l'Angleterre  à  l'Alabama  (2). 

L'observation  des  flores  fossiles  a  permis  de  constater  ces 
mêmes  analogies  entre  les  végétaux  tertiaires  de  l'Europe  et  ceux 
de  l'Amérique  (3).  Dans  les  terrains  tertiaires  Européens  on  a 
trouvé  des  tulipiers,  des  cyprès  de  la  Louisiane,  des  robiniers, 
des  pacanes  ou  noix  des  États-Unis,  des  feuilles  d'érables,  de 
magnolias,  de  sassafras,  d'ifs,  de  séquoias  californiens  qui  ne  se 
rencontrent  que  dans  l'Amérique  du  Nord  (4).  Comment  expli- 
quer ces  analogies,  ces  similitudes  remarquables? 

Si  l'on  étudie  la  belle  carte  géologique  de  l'Espagne  dressée 
par  MM.  Collomb  et  de  Verneuil,-  on  verra  trois  immenses  dépôts 
lacustres  remontant  à  l'époque  tertiaire  et  couvrant  près  de 
145,000  kilomètres  carrés.  Leur  puissance  sur  plusieurs  points 
dépasse  cent  mètres  ;  lentement  déposés  en  couches  horizontales, 
ils  supposent  des  fleuves  considérables  qui  ont  déversé,  durant  un 
laps  de  temps  fort  long,  leurs  eaux  dans  ces  larges  bassins  ;  ces 
fleuves  n'ont  pu  être  alimentés  que  par  des  continents,  dont 
l'étendue  devait  correspondre  au  volume  des  eaux.  Ces  conti- 
nents n'ont  pu  exister  que  vers  le  nord-ouest  de  l'Espagne.  Au 
nord,  en  effet,  les  roches  des  Pyrénées,  à  l'ouest,  les  granits  et 
les  gneiss  des  monts  Carpentaniques,  les  massifs  siluriens  de  la 

(1)  Nous  pouvons  citer  parmi  eux  les  Chelydres  dont  les  congénères  appartiennent 
à  l'Amérique  du  Nord  ;  les  Didelphes  qui  rappellent  les  Sarigues  de  l'Amérique  du 
Sud;  les  Geotrtjpes  qui  lient  nos  taupes  aux  Condyures des  États-Unis  ;  les  Archœomis 
et  les  Palnnœma  qui  rappellent  les  formes  les  plus  caractéristiques  de  la  faune  Sud- 
Américaine;  un  tapir  presque  identique  au  T.  americanus  ;  un  ours  qui  ressemble  à 
celui  des  Cordillères  ;  un  Megathcrion  qui  diffère  peu  de  celui  du  Brésil  (Hamy,  /.  c). 

(2)  On  a  découvert  récemment  dans  les  travertins  éocènes  de  Sézanne  qui,  selon 
toute  apparence,  appai  tiennent  à  la  base  des  terrains  tertiaires,  un  coléoptère  qui  vit 
aujourd'hui  au  Brésil. 

(3)  Les  travaux  de  M.  Unger  [Die  Versimkene  Insel  Atlantis),  de  M.  O.  Heer  {Flora 
tertiaria  Helvetias},d\i  marquis  de  Saporta  [Ass.  Franc.,  Montpellier,  1879)  ne  peuvent 
laisser  de  doute  à  cet  égard. 

(4)Gafifarel,  Revue  <'e  Géog.,  1880. 


566  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Sierra  Morena  et  des  monts  Lusitaniques  barraient  déjà  com- 
plètement le  passage  aux  fleuves.  Au  sud  et  à  l'est,  les  dépôts 
tertiaires  marins  de  l'Andalousie,  de  Murcie,  de  Valence  et  de  la 
Catalogne  formaient  les  rivages  d'une  mer  intérieure.  C'est  donc 
au  nord-ouest,  entre  les  côtes  de  l'Espagne  et  celles  de  l'Irlande, 
qu'il  faut  chercher  cette  Atlantide  qui  a  pu  servir  de  pont,  si  ce 
mot  est  permis,  aux  migrations  plus  ou  moins  lentes  des  plantes, 
des  animaux,  de  l'homme  lui-même. 

Que  l'Atlantide  ait  été  située  vers  le  nord,  que  ses  limites  aient 
été  reculées  vers  le  sud,  il  est  difficile  de  rien  préciser,  et  toutes 
les  hypothèses  sont  permises  (1).  Nous  croyons  seulement  que  les 
documents  historiques,  les  faits  anthropologiques  et  géologiques 
que  nous  avons  cités,  prouvent  l'existence  de  vastes  terres  dispa- 
rues, soit  par  une  de  ces  catastrophes  brusques,  rares  dans  l'his- 
toire moderne  du  globe  (2),  soit  par  un  affaissement  lent  et  con- 
tinu que  la  géologie  permet  d'affirmer  dans  le  passé  et  qui 
s'accomplit  sous  nos  yeux,  sur  tant  de  points  différents.  Mais  nous 
restons  encore  dans  une  ignorance  profonde  sur  la  forme,  l'é- 
tendue, la  position  même  de  ces  continents  (3).  Il  est  même  pro- 
bable qu'ils  ont  dû  éprouver  durant  le  cours  des  siècles  des 
changements  considérables,  avant-coureurs  de  leur  disparition 
complète.  Les  sondages  du  Challenger  (4)  ont  montré  qu'un 
émergement  de  1,800  mètres  serait  nécessaire  pour  rattacher 

(1)  Bory  de  Saint-Vincent  avait  entrepris  de  dresser  la  carte  conjecturale  de  l'Atlan- 
tide {l'Homme,  Essai  zoologique  sur  le  genre  humain) . 

(2)  Ou  a  prétendu  que  l'Atlantide  s'était  afifaissé  dans  les  flots,  à  l'époque  où  la  région 
qui  s'étend  des  Carpathes  au  plateau  central  de  l'Asie  et  qui  était  couverte  par  rOcéan 
Scythique  en  est  sortie.  J.  Clavé,  Hydrologie  de  l'Afrique  {Rev.  des  Deux-Mondes, 
l"mai  1882). 

(3)  Nous  n'avons  à  parler  ici  que  de  l'Atlantide.  Sur  d'autres  points,  la  forme  des  terres 
a  singulièrement  varié  depuis  les  temps  géologiques.  Si  l'on  jette  les  yeux  sur  une  carte 
des  pays  tertiaires,  on  sera  surpris  de  la  différence  que  présente  la  configuration  des 
continents,  avec  celle  à  laquelle  nos  yeux  sont  accoutumés.  Pour  n'en  citer  qu'un  seul 
exemple,  la  Bretagne,  le  Cornwall,  l'Irlande,  les  îles  du  canal  de  Saint-Georges,  les 
îles  Scilly  sont  les  sommets  restés  émergés  d'un  continent  qui  s'étendait  fort  loin 
dans  l'Atlantique. 

(4)  Sir  G.  Wyvilie  Thomson,  The  Atlantic.  —  Scienti fie  American,  28  July  1877.  — 
Le  journal  anglais  Nature  reproduit  dans  ses  numéros  383  et  391  la  carte  de  ces 
sondages. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  367 

Madère  au  Portugal,  les  Canaries  à  l'Afrique.  D'autres  sondages 
ont  fait  connaître,  à  des  profondeurs  variant  de  1,800  à  3,600  mè- 
tres, une  série  de  montagnes  et  de  vallées  se  continuant  à  travers 
l'Atlantique  de  l'est  k  l'ouest,  sur  une  longueur  de  plus  de 
mille  miles.  Les  Açores,  Saint-Paul,  Tristan  d'Acunha  restent 
les  pics  de  cette  chaîne  submergée,  dernier  vestige  peut-être 
de  l'Atlantide.  En  poursuivant  cette  voie  féconde,  les  recherches 
ultérieures  de  la  science  permettront  de  pénétrer  les  secrets 
que  l'Océan  garde  encore  dans  ses  eaux.  Peut-être,  d'ailleurs,  si 
la  vie  persiste  assez  longtemps  sur  notre  globe,  nos  arrière- 
neveux  verront-ils  l'Atlantide,  par  un  relèvement  semblable  à  son 
affaissement,  reparaître  à  leurs  yeux  et  justifier  d'une  manière 
éclatante  les  hypothèses  de  leurs  ancêtres  sur  les  premiers 
hommes  qui  ont  peuplé  le  continent  américain  (1). 

11  existe  enfin  une  opinion  soutenue  avec  ardeur  de  l'autre  ^*47^„^"*"' 
côté  de  l'Atlantique  et  dont  nous  trouvons  les  traces  dès  le  dix- 
huitième  siècle  (2).  Morton  (3),  Nott  et  Gliddon  (4),  Agassiz  (5), 
bien  d'autres  à  leur  suite,  uniquement  préoccupés  des  différences 
qui  existent  comme  type,  comme  langage,  comme  civilisation, 
entre  les  races  américaineset  celles  de  l'ancien  continent,  ne  veu- 
lent pas  admettre  qu'elles  puissent  descendre  d'ancêtres  communs. 

«  La  race  américaine,  s'écrie  Morton,  est  essentiellement  dif- 
férente et  séparée  de  toutes  les  autres;  et  si  on  les  considère  sous 

(1)  De  nombreux  auteurs  ont  traité  la  question  ;  parmi  les  travaux  plus  intéressants, 
nous  citerons  :  Bailly,  Lettres  sur  V Atlantide  de  P/a^o/i ;— Brackenridge,  Views  o' 
Louisiana.  Pittsburg,  1814;  —  Moreau  de  Jonnès,  VOcéan  de<!  anciens;  —  Brasseur  de 
Bourbourg,  Ms.  Troano.  Paris,  1869-78;  —  D'Arbois  de  Jubainville,  les  Premiers  Habi- 
tants de  l'Europe.  A  ces  noms,  il  faut  ajouter  ceux  de  MM.  Hamy  et  Lagneau,  dont 
nous  avons  parlé. 

^2)  «  God  bas  created  an  original  pair  hère,  as  well  as  elscwhere.  »  Roman's,  Concise 
Nnt.  Hist.  of  E.  and  W.  Florida.  New- York.  1775,  p.  55. 

(3)  Crania  Amej-icana  or  a  comparative  View  of  the  Skulls  of  vaiious  Aboriginal 
Nations  ofNorth  and  South  America.  Philadelphia,  1839. 

(4)  Types  ofMankind,  in-4'.London  and  Philadelphia,  1854.  —  On  peut  aussi  consul- 
ter Pickering,  The  Races  of  Men  and  their  Geographical  Distribution.  New-York  and 
Philadelphia,  in-4'',  1848;  —  Sir  G.  Lyell,  The  Antiquity  of  Man  ;  Forshey,  Squier  et 
d'autres  savants  éminents. 

(5)  Sketches  of  the  Naiural  Provinces  of  the  Animal  World  and  their  Relation  to 
the  différent  Types  ofMen. 


568  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

leurs  aspects  physiques,  moraux  ou  intellectuels,  nous  ne  pou- 
vons voir  aucun  rapport  entre  les  peuples  de  l'Ancien  et  du  Nou- 
veau Continent.  Si  même  on  parvient  à  prouver  plus  tard  que  les 
arts,  les  religions,  les  sciences  de  l'Amérique  remontent  à  des 
sources  exotiques,  je  maintiendrais  encore  que  les  caractères  or- 
ganiques de  notre  peuple,  toujours  persistants  à  travers  ses  rami- 
fications sans  fin  de  tribus  et  de  nations,  prouvent  que  tous  ap- 
partiennent à  une  môme  race  et  que  cette  race  est  différente  de 
toutes  les  autres  (1).  »  Quelques  années  après,  il  reprenait  la  môme 
thèse,  avec  plus  de  véhémence  encore  :  «  Je  déclare,  répétait-il, 
que  seize  ans  de  travaux  incessants  n'ont  fait  que  confirmer  les 
conclusions  posées  dans  les  Crania  Americana^  que  toutes  les  na- 
tions de  l'Amérique,  à  la  seule  exception  des  Esquimaux,  appar- 
tiennent à  la  môme  race  et  que  cette  race  est  complètement  dis- 
tincte de  toutes  les  autres  (2).  » 

Agassiz  avait  depuis  longtemps  émis  l'opinion  qu'il  avait  existé 
des  centres  de  création  différents  pour  les  animaux.  Il  avait  fini 
par  étendre  cette  hypothèse  aux  races  humaines.  «  Nous  soute- 
nons, disait-il,  que  comme  les  autres  ôtres  organisés,  les 
hommes  n'ont  pu  paraître  individuellement;  les  hommes  ont  été 
créés  par  nations,  comme  les  abeilles  par  essaims  (3).  » 

Ecoutons  encore  M.  F.  Muller  (4)  :  «  L'Amérique,  en  exceptant 
la  région  du  Nord  occupée  par  les  Innuits  (5)  appartenant  à  la 
race  hyperboréenne,  est  habitée  par  une  seule  variété  humaine, 
qui  ne  présente  ni  par  ses  caractères  physiques,  ni  par  ses  parti- 
cularités intellectuelles,  aucune  franche  parenté  avec  les  «  races 
habitant  le  monde  ancien  ». 

«  Pourquoi,  dit  enfin  un  écrivain  contemporain   (6),  ne  pas 


(1)  An  Inquiry  into  the  Distinctive  Characters  of  the  Aboriginal  Races  of  America, 
p.  35. 

(2)  Ethnologij  and  Archceologij  of  American  Aborigines.  Newhaven,  1846,  p.  9. 

(3)  Nott  and  Gliddon,  Types  of  Manhind,  p.  78. 
[i)  AUye)7îeine  Ethnographie,  p.  24G. 

(5)  Tel  est  le  uom  donné  aujourd'hui  aux  Esquimaux  ou  du  moins  à  une  de  leurs 
tribus  les  plus  importantes. 
(G)  Simonin,  l'Homme  Américain.  Paris,  1870. 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  1^9 

supposer   des  centres  de  création  ou   d'apparition   difîérents? 

«...  Pourquoi  supposer  à  plaisir,  pour  la  race  humaine,  une 
unité  qui  n'existe  point  et  surtout  des  migrations  qui  n'ont  pas 
eu  lieu  ?  Encore  aujourd'hui  il  serait  impossible  à  des  Européens 
de  franchir  le  continent  américain,  je  ne  dis  pas  de  New- York 
à  San-Francisco,  mais  même  de  Panama  à  Aspinwall,  s'ils  n'a- 
vaient pas  les  chevaux,  les  diligences,  les  chemins  de  fer;  et  l'on 
veut  que  des  sauvages  aient  descendu  toutes  ces  régions  le  long 
de  l'Atlantique  et  le  long  dTi  Pacifique  (1)  !...  On  ne  compte  donc 
pour  rien  les  Andes,  les  Sierras,  les  animaux  malfaisants,  les 
forêts  impénétrables,  les  climats  torrides  et  malsains.  Par  les  itiné- 
raires qu'on  suppose,  la  route  est  impraticable,  et  les  sauvages 
l'auraient  suivie,  l'auraient  ouverte  !  erreur!  » 

«  Aujourd'hui  même,  les  Indiens  des  contrées  boréales  ne  tien- 
nent jamais  dans  les  Prairies  ;  les  Indiens  des  Prairies,  quoique 
très  nomades  et  chassant  sur  des  étendues  de  terrain  considérables, 
ne  descendent  jamais  sur  les  plateaux  mexicains  ;  les  Indiens 
du  Mexique  ne  quittent  jamais  leur  sol  natal.  Pourquoi  donc 
tous  ces  Indiens  auraient-ils  autrefois  tenté  les  migrations  que 
l'on  suppose,  du  détroit  de  Behring  au  détroit  de  Magellan.  » 

Les  conclusions  de  M.  Simonin  sont  nettes.  «  L'homme 
américain,  continue-t-il,  est  un  produit  du  sol  américain  (2).  » 

La  différence  radicale  entre  la  faune  et  la  flore  de  l'ancien  et 
du  nouveau  continent  est  un  argument  dont  on  ne  saurait  con- 
tester l'importance.  Nul  ne  peut  croire  que  l'ocelot  ou  le  jaguar 
par  exemple,  qui  font  entendre  leurs  rugissements  du  Rio  Gila 
jusqu'aux  bords  de  l'Amazone,  soient  arrivés  à  la  nage,  de  l'Asie 
ou  de  l'Afrique  ;  ou  bien  que  les  hommes  les  aient  amenés  à 
leur  suite  de  régions  où  rien,  absolument  rien,  ne  prouve  leur 
existence  antérieure.  Si  donc  nous  sommes  forcés  d'admettre 
des  centres  de  création  différents  pour  les  animaux,  pourquoi 
l'homme  seul  formerait-il  une  exception  dans  la  nature  ? 

(1)  Comment  M.  Simonin  explique-t-il  donc  les  migrations  non  pas  des  Aryas,  il 
pourrait  les  nier;  mais  celles  très  indiscutables  desCimbres,  des  Teutons,  des  Francs, 
des  Huns. 

{2)L.c.,  p.  12. 


570  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Nous  avons  tenu  à  citer  les  propres  paroles  des  écrivains  les 
plus  autorisés  qui  ont  soutenu  la  théorie  d'une  race  autochtone, 
elles  ne  sauraient  entraîner  notre  conviction. 

Il  faudrait  tout  d'abord  que  l'on  nous  montrât  que  la  race 
américaine  est  une,  semblable  à  elle-même  depuis  les  régions 
glacées  du  Canada  jusqu'aux  zones  torrides  de  l'Amérique  du 
Sud.  Or  c'est  le  contraire  qui  a  lieu  (1)  ;  partout  nous  trou- 
vons des  variétés,  plus  nombreuses  peut-être  que  celles  qui 
existent  sur  les  anciens  continents.  D'Orbigny  (2),  après  un  long 
séjour  en  Amérique,  repoussait  avec  énergie  l'idée  d'un  peuple 
unique  ;  il  affirmait  qu'à  ses  yeux  il  existait  plus  de  différence 
entre  le  Patagon  et  le  Péruvien  qu'entre  un  Grec,  un  Ethiopien 
et  un  Mongol.  M.  Virchow  établit  à  son  tour  avec  une  grande 
force  (3)  la  pluralité  des  races  du  Nouveau-Monde  et  l'impos- 
sibilité absolue  de  considérer  ses  habitants,  quelque  haut  que 
l'on  remonte,  comme  une  race  pure. 

Des  types  absolument  différents  se  rencontrent  jusque  dans  la 
collection  de  crânes  américains  formée  par  Morton  pour  soute- 
nir une  doctrine,  dont  il  était  un  des  plus  ardents  propagateurs 
et  qui  est  devenue  au  contraire  la  meilleure  preuve  que  nous 
puissions  donner  contre  elle  (4).  Si  donc  la  race  américaine 
offre  des  différences  typiques  aussi  importantes  qu'indéniables, 
ce  n'est  pas  un  seul,  mais  un  nombre  indéterminé  de  centres  de 
création  qui  seraient  nécessaires  ;  or  nous  ne  connaissons  aucun 
fait  anthropologique,  géologique,  historique  ou  linguistique  qui 
puisse  justifier  cette  assertion  (5). 

(1)  Les  fouilles  et  les  recherches  approfondies  du  D'  Wilson  viennent  prouver  une 
fois  de  plus  la  fausseté  absolue  de  ce  type  unique,  si  cher  à  tant  d'anthropologistes 
américains.  07i  the  supposed  Uniformity  of  Crania  throughout  ail  Varieties  of  the 
Human  Race.  Americ.  Ass.  Montréal,  1857,  p.  112. 

(2)  L'Homme  Américain,  t.  I,  p.  123. 

(3)  Bull.  Soc.  Afithr.,  1882,  p.  171. 

(4)  «  There  is  no  évidence  furnished  by  the  measurement  of  crania,  thatan  American 
Race  as  unique  in  itself  and  distinct  from  the  rest^of  Mankind  ever  existed.  »  Short, 
The  North  Americans  of  Antiquiiy,  p.  165.  —  Retzius,  Smith.  Contributions,  1869, 
p.  264.  —  Lathara,  Nat.  Hist.  ofthe  Varieties  of  Man,  p.  452. 

(5)  M.  Hyde  Clarke  disait  en  1873  h  la  réunion  de  l'Association  britannique  :  «  So  far 
as  the  évidence  of  language  is  as  yet  availlable,  and  so  far  as  probabilities  go,  the  lan- 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS.  RTl 

Je  sais  bien  que  les  doctrines  à  la  mode  sont  plus  larges. 
L'homme,  nous  dit-on,  est  apparu  sur  des  points  bien  divers, 
quand  les  circonstances  favorables  ont  permis  à  cette  forme  nou- 
velle de  paraître,  succédant  à  d'autres  qui  peu  à  peu  se  rappro- 
chaient de  la  forme  humaine  actuelle.  Nous  ne  nous  arrê- 
terons pas  à  demander  pourquoi  on  ne  nous  montre  aucune  de 
ces  formes  intermédiaires,  aucun  débris,  quelque  faible  qu'il  soit, 
qui  puisse  combler  les  lacunes  existantes  ;  lacunes  que  les  plus 
ardents  sont  forcés  d'admettre.  Notre  objection  a  plus  de 
portée  ;  elle  s'attaque  au  principe  même  que  l'on  invoque,  et 
nous  demanderons  comment  il  se  peut  faire  que  des  conditions 
biologiques  et  climatologiques  différentes,  une  faune  différente, 
une  flore  différente,  aient  abouti  enfm  de  compte  à  un  homme 
semblable  à  l'homme  de  l'ancien  monde,  semblable  par  ses  dé- 
tails anatomiques  ou  physiologiques,  semblable  par  ses  instincts 
comme  par  son  intelligence  et  son  génie  créateur.  Ces  hommes 
séparés  par  des  mers  immenses  savaient  fournir  par  les  mêmes 
moyens  aux  mêmes  besoins,  bâtir  une  demeure,  fonder  une  fa- 
mille, se  soumettre  à  des  chefs,  élever  des  temples,  reconnaître 
par  conséquent  un  être  supérieur  à  eux,  créer  un  langage,  arri- 
ver enfin  à  une  civilisation  comparative  par  un  progrès  incessant, 
ce  caractère  distinctif  du  genre  humain  à  travers  le  temps  et  à 
travers  l'espace.  Comment  se  peut-il  que  des  coefficients  diffé- 
rents, pour  nous  servir  des  mots  de  l'école,  aient  toujours  abouti 
à  des  résultats  identiques  ?  Le  domaine  des  hypothèses  est  large  ; 
il  est  toujours  facile  de  le  parcourir.  Celui  des  faits  est  plus 
étroit,  plus  difficile  à  aborder,  et  c'est  cependant  par  les  faits 
seuls,  il  ne  faut  jamais  l'oublier,  que  l'on  assure  le  vrai  progrès 
scientifique. 

Pour  les  animaux,  pour  les  mammifères  notamment  du  Nou- 
veau-Monde, les  différences  qui  les  séparent  de  ceux  de  notre 

guage  and  culture  of  America  are  connected  with  those  of  the  old  world  and  there  is 
no  exclusive  or  indigcnous  American  language,  grammar  or  culture.  The  inference 
drawn  is  that  an  original  community  of  races  and  culture  was  arrestcd  in  its  develope- 
raent  by  the  stoppage  of  the  migration  of  the  advanced  races.  »  Tke  Migration  of 
Man  zn  Relation  to  Comparative  Philology,  p.  41. 


572  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

continent  sont  telles,  que  l'on  ne  saurait  leur  trouver,  parmi  les 
espèces  actuelles  de  l'Europe  ou  de  l'Asie,  ni  ancêtres,  ni  congé- 
nères. La  conclusion  naturelle  est  qu'ils  n'ont  pu  arriver  du 
vieux  monde.  «  L'homme,  au  contraire,  a  dit  excellemment 
M.  de  Quatrefagcs  en  parlant  des  Américains,  appartient  au  type 
des  anciens  continents  ;  seul,  il  est  semblable  à  lui-même  dans 
deux  régions  si  différentes  au  point  de  vue  de  la  faune  (1).  » 
<(  L'homme,  répétait-il  plus  tard,  dans  son  beau  livre  sur  V Unité 
de  r espèce  humaine  (2),  ce  type  à  part,  cette  espèce  privilé- 
giée entre  toutes,  alors  môme  qu'on  ne  voit  en  lui  que  l'être 
physique,  pouvait-il  naître  à  la  fois  en  tous  lieux  ?  Non,  ou  bien 
il  eût  constitué  une  de  ces  exceptions  uniques,  dont  nous  ne 
connaissons  pas  encore  d'exemples.  » 

Non  seulement  les  Américains,  dans  l'exagération  de  leur  ar- 
deur patriotique,  veulent  que  l'homme  américain  soit  né  sur 
le  sol  même  du  nouveau  continent,  ils  vont  plus  loin  encore, 
et  ils  prétendent  que  la  race  jaune  était  originaire  d'Amé- 
rique et  que  cette  race  aborigène  s'est  répandue  sur  le  nord  de 
l'Asie,  chassant  devant  elle  vers  l'ouest  et  vers  le  sud-est  les 
peuples  qui  occupaient  ces  régions.  Puis,  mêlée  aux  races  noires, 
elle  aurait  formé  la  grande  famille  Malaye  d'un  côté,  et  de 
l'autre,  par  la  Sibérie,  elle  se  serait  étendue  sur  l'Europe  alors 
habitée  par  des  sauvages,  les  hommes  de  l'âge  de  pierre 
vraisemblablement  (3).  C'est  à  cette  race  dominante  et  civilisa- 
trice que  seraient  dus  les  premiers  progrès  de  nos  ancêtres  et 
aussi  les  anciens  monuments  qui  existent  dans  certaines  par- 
ties de  l'Asie,  dans  certaines  îles  de  la  Malaisie  (4)  et  dont  l'origine 
jusqu'à  présent  a  défié  toutes  les  investigations  de  la  science. 

(1)  l^evue  des  Cours  scient.,  18G5,  p.  768. 

(2)  Ch.  XXI. 

(3)  «  Cuando  toda  la  Europa  estaba  poblada  por  verdaderos  salvages,  en  America 
habia  puoblos  sumamente  adelantados,  que  vivian  en  grandes  ciudades,  y  levataban 
suntuosos  monumentos.  »  Ameghino,  la  Antiyuedad  del  Nombre  e;i  el  Plata,  t.  I, 
p.  211. 

(4)  Le  grand  temple  de  Palcnquc  correspond  si  exactement  à  celui  de  Boro-Boudor 
dans  l'île  de  Java,  qu  il  paraît  impossible  de  contester  une  communauté  d'origine. 
{Edinburgh  Review,  april  1867.) 


L'ORIGINE  DES  AMÉRICAINS-  573 

C'est  encore  là  une  de  ces  théories  faciles  à  poser.  Nulle  n'est 
plus  dénuée  de  preuves;  aucun  fait,  si  haut  que  nous  puissions 
remonter  dans  l'histoire  des  peuples,  ne  permet  même  de  la 
discuter. 

Nous  voici  au  terme  de  ces  études.  Nous  avons  exposé  les  dé-  conclusion. 
couvertes  nouvelles,  les  théories  qu'elles  suggèrent.  Malgré 
d'innombrables  et  savants  travaux,  le  peuplement  de  l'Amérique 
reste,  il  faut  bien  le  dire,  un  des  points  les  plus  obscurs  de  l'his- 
toire de  l'humanité.  Quelques  faits  commencent  cependant  à  se 
dégager  du  chaos.  Il  est  certain  que  l'existence  de  l'homme  sur  le 
continent  américain  date  des  temps  les  plus  reculés,  de  ces 
temps  auxquels  la  géologie  a  donné  le  nom  de  quaternaires, 
l'archéologie  celui  d'âge  de  pierre.  Ce  ne  serait  même  pas  la 
limite  extrême,  et  on  a  voulu,  comme  en  Europe,  faire  remonter 
notre  race  à  l'époque  tertiaire;  mais,  comme  en  Europe,  toute 
preuve  sérieuse  manque  encore  à  l'appui  de  ces  assertions.  En 
scra-t-il  toujours  de  même  ?  C'est  un  problème  qui  appartient  à 
l'avenir  ;  nous  constatons  ce  qui  est,  il  ne  nous  est  pas  donné  de 
prévoir  ce  qui  sera. 

Après  ces  premiers  temps,  restés  si  obscurs  même  dans  nos 
propres  régions,  nous  voyons,  non  sans  un  certain  étonnement, 
les  civilisations  de  l'ancien  et  du  nouveau  monde  se  dévelopner 
pour  ainsi  dire  parallèlement,  suivre  les  mêmes  phases,  aboutir 
aux  mêmes  résultats.  Quels  ont  été  les  rapports  entre  ces  races  ? 
Quels  ont  été  les  points  de  contact  de  ces  civilisations?  Ici  aussi, 
nous  sommes  en  présence  de  problèmes  difficiles  ;  mais  bien  que 
nous  soyons  souvent  réduits  à  des  hypothèses  pour  les  expli- 
quer, nous  pouvons  déjà  affirmer  que  ces  rapports  ont  existé,  que 
l'Amérique  a  été  successivement  peuplée  par  des  races  très  di- 
verses, aux  types  très  différents,  mais  qu'une  élude  atten- 
tive permet  déjà  de  rapprocher.  «  Les  nations  civilisées  du 
Mexique,  de  l'Amérique  centrale  et  du  Pérou,  disent  les  savants 
auteurs  die?>Crania  Ethnica  (i),  abstraction  faite  des  déformations 

(1)  P.  480. 


574  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

crâniennes,  trop  fréquemment  usitées  dans  leur  sein,  se  rap- 
prochent de  plus  en  plus  les  unes  des  autres,  et  si  on  tente  de 
les  décomposer  dans  leurs  éléments  formateurs,  on  constate  que 
ces  éléments  sont  sinon  identiques,  du  moins  extrêmement  voi- 
sins, quoiqu'ils  ne  se  superposent  pas  dans  le  même  ordre,  sur 
les  divers  points  de  l'habitat  historique  des  peuples  qu'ils  ont 
contribué  à  former.  » 

Parmi  ces  éléments,  les  plus  importants  comme  nombre  et 
comme  influence  sont  les  immigrations  asiatiques.  Ces  immigra- 
tions des  races  jaunes  etbrachycéphales  sonl  incontestables;  elles 
ont  sûrement  duré  pendant  de  longs  siècles.  La  plupart  ont  eu 
lieu  par  les  îles  du  Nord;  les  différents  peuples  de  race  Nahuatl 
successivement  descendus  vers  le  sud  sont  les  représentants  les 
plus  directs  de  ces  migrations.  Mais  avant  l'arrivée  de  ces  Asia- 
tiques, d'autres  hommes  occupaient  depuis  des  temps  considé- 
rables le  continent  américain;  les  Esquimaux  au  nord,  les 
Botocudos  et  les  Patagons  au  sud  pourraient  bien  être  les  repré- 
sentants de  cette  race,  refoulée  comme  les  Basques  et  les  Finnois 
sur  notre  propre  continent,  par  des  vainqueurs  étrangers.  Pour 
ceux-là,  l'histoire  et  la  tradition  sont  muettes,  et  de  toutes  les 
suppositions  mises  en  avant  pour  expliquer  l'origine  de  ces  races 
dolichocéphales,  celle  qui  paraît  la  mieux  fondée  s'appuie  sur 
l'existence  de  terres  disparues  soit  dans  un  cataclysme  soudain, 
que  l'histoire  géologique  du  globe  mieux  connue  pourrait  seule 
révéler,  soit  par  une  série  de  ces  transformations  lentes,  que 
nous  pouvons  constater  et  mesurer,  même  durant  le  court  espace 
d'une  existence  humaine. 

Nous  ne  cherchons  pas  cependant  à  dissimuler  combien  ces 
hypothèses  restent  précaires,  combien  les  preuves  que  nous  pos- 
sédons ont  besoin  d'être  confirmées  ;  et  après  de  longs  et  patients 
travaux,  dont  ceux  qui  les  ont  entrepris  peuvent  seuls  compren- 
dre la  difficulté,  il  faut  en  finissant  nous  écrier  comme  un 
savant  américain  :  The  new  Woi^ld  is  a  great  mystery,  la  terre 
d'Amérique  est  un  grand  mystère. 


APPENDICE 


A.  —  DÉCOUVERTES   FAITES  EN  CALIFORNIE. 
Chapitre  I,  page  40. 

Nous  croyons  utile  de  résumer  les  principales  découvertes  faites 
en  Californie  et  d'y  joindre  la  liste  des  mammifères  qui  vivaient  sur 
les  côtes  du  Pacifique  à  l'époque  quaternaire. 

Comté  de  Mariposa,  ossements  de  mastodonte  mêlés  à  des  osse- 
ments humains  et  à  des  armes  de  pierre,  dont  la  plus  remarquable 
est  une  pointe  de  lance  en  obsidienne  de  5  pouces  de  longueur. 

A  Hornitos  et  à  Princeton,  des  mortiers  en  pierre  (1)  avec  leurs 
pilons,  des  têtes  de  flèche  et  de  lance  en  obsidienne  avec  des  osse- 
ments d'éléphant,  de  cheval  et  d'une  espèce  indéterminée  se  rappro- 
chant du  chameau. 

Comté  de  Merced,  nombreux  outils  auprès  de  Snelling. 

Comté  de  Stanislas,  une  défense  d'éléphant  mesurant  10  pieds  de 
longueur. 

Comté  de  Tuolumne.  Ossements  de  mastodonte  à  pleins  wagons. 
Mombreux  objets  en  pierre.  Dans  tous  les  sables  aurifères,  dans  toutes 
les  failles  calcaires  on  a  trouvé  des  ossements  d'animaux  de  race 
éteinte  associés  à  des  produits  de  l'industrie  de  l'homme  (2). 

Sous  les  couches  basaltiques  de  Table  Mountain,  il  a  été  découvert 
une  mâchoire  humaine  avec  deux  têtes  de  lance,  un  pilon,  et  plusieurs 
objets  en  pierre  qui  présentent  l'apparence  de  nos  cuillers  à  pot  (3). 
Un  squelette  humain  a  été  rencontré  en  creusant  un  tunnel  sous 

(1)  Oa  cite  un  mortier  de  18  pouces  de  hauteur  et  du  poids  de  50  livres,  c'est  un 
des  plus  grands  connus. 

(2)  La  plus  grande  profondeur  des  fouilles  fructueuses  a  été  de  200  pieds. 

(3)  «  Scoops  or  ladles  with  well  sbaped  handles.  »  Whitney,  Auri ferons  Gravels, 
D.  264. 


576  L'AMÉRIQUE  PRÉHISTORIQUE. 

Table  Mountain  (l);mais  les  détails  sont  encore  trop  incomplets  pour 
permettre  une  conclusion. 

Comté  d'Amador,  objets  divers  en  pierre. 

Comté  d'El  Dorado,  à  Shingle  Springs,  des  mortiers  en  pierre  et  des 
ossements  de  mastodonte  ;  à  Diamond  Springs,  des  mortiers  ;  à  Spanish 
Fiat,  Tools,  Kitchen  uslensils  and  ofher  indestructible  traces  of  Mans 
présence  and  activily,  dit  M.  Yoy,  un  des  plus  infatigables  chercheurs 
de  la  Californie.  Quelques  ossements  humains  ont  été  recueillis  dans 
un  lit  d'argile  (2).    • 

Comté  de  Placer,  près  de  Gold-Hill,  nombreux  objets  en  pierre  ;  à 
Forest-Hill,  un  plat  creusé  dans  un  granit  fort  dur  et  mesurant  envi- 
ron 18  pouces  de  diamètre  ;  à  Devil's  Canon,  deux  os  humains  sous  une 
épaisse  couche  de  lave. 

Comté  de  Nevada,  de  1853  à  1864  il  a  été  recueilli  de  nombreux 
objets  fabriqués  par  l'homme. 

Comté  de  Butte,  les  premières  découvertes  remontent  à  plus  de 
vingt  ans;  elles  consistent  en  instruments,  en  armes^  en  outils  des 
formes  les  plus  variées. 

Quelques  traces  de  la  contemporanéité  de  l'homme  et  des  animaux 
de  race  éteinte  ont  aussi  été  constatées  dans  les  comtés  de  la  Trinité 
et  de  Siskiyou.  Il  est  bien  probable  que  des  recherches  ultérieures 
compléteront  les  découvertes  déjà  connues. 
Faune  ter-  Lcs  osscmcuts  dout  il  rcste  à  parler  n'ont  jamais  été  trouvés  dans 
leur  position  naturelle  ;  ils  avaient  évidemment  été  entraînés  par  des 
eaux  tumultueuses  auxquelles  les  ossements  des  mammifères  les  plus 
robustes  pouvaient  seuls  résister. 

Quelques-uns  de  ces  ossements  ont  été  recueillis  sous  des  couches 
profondes  de  basalte  ou  de  lave.  On  ne  remarque  dans  ces  couches 
aucune  fissure  qui  puisse  faire  croire  que  les  ossements  ont  coulé 
sur  les  points  où  ils  gisaient,  postérieurement  au  dépôt  de  matières 
volcaniques.  Les  espèces  découvertes  dans  de  semblables  conditions 
sont  peu  nombreuses;  on  n'en  cite  jusqu'à  présent  que  trois  qui  pré- 
sentent quelques  conditions  d'authenticité  (3)  :  un  rhinocéros  [R.Hes- 
perius]  qui  tient  a  la  fois  du  li.  Indicus  et  du  R.  Occidentalis  ;  il  est 

(1)  Proc.  Boston  Soc.  of  Nat.  Hist.,  t.  XV,  1873,  p.  257. 

(2)  «  No  one  who  should  givo  the  slightest  attention  to  the  physical  configuration 
of  the  country,  but  must  be  struck  with  the  almost  inflnity  of  years,  which  hâve  elap- 
sed  since  the  being,  whose  skeleton  I  had  found  was  animated  with  life.  »  L.  du  D" 
Boy  ce,  du  2  nov.  1870. 

(3)  J.  Leidy,  The  extinct  Mammalia  Fauna  of  Dakota  and  Nebraska.  Philadelphia, 
1869.  —  Contributions  to  the  extinct  Vertébrale  Fauna  of  the  Western  Territories, 
Report  of  the  U.  S.  Survey,  Washington,  1873. 


tiairc. 


APPENDICE.  577 

sensiblement  plus  petit  que  ce  dernier  ;  VElotherium  superbum,  d'une 
espèce  probablement  voisine  de  VElotherium  ingens  du  Dakota  ;  un 
pachyderme  enfin,  dont  il  n'a  été  trouvé  qu'un  fragment  de  dent. 
Leidy  dit  en  en  pariant  :  «  Apparently  the  fragment  of  an  incisor  or 
canine  of  some  large  pachyderm,  not  the  mastodon  or  éléphant,  and 
probably  allied  to  the  hippopotamus.  » 
Les  espèces  quaternaires  sont  naturellement  plus  nombreuses.  Nous    Faune  qua- 

^  ^  ^  ternaire . 

citerons  parmi  elles  : 

Félidés,  Felis  Imperialis. 

Canidés,  un  loup  que  le  D'  Leidy  croit  le  C.  Indianensis  que  l'on 
rencontre  avec  le  megalonyx  sur  les  bords  de  l'Ohio . 

Buvides.  —  B.  latifrons. 

Camélidés.  M.  Voy  a  trouvé  dans  le  comté  de  Merced  un  lama  {Au- 
chenia  Califo7'nica),de  très  grande  taille;  des  dents  provenant  du  comté 
d'Alameda  appartiendraient  à  une  espèce  plus  petite  [A.hestef'na). 

Le  D""  Snell  possède  dans  sa  collection  une  molaire  dun  grand  ru- 
minant trouvée  auprès  de  Sonora  ;  elle  ressemble  à  une  dent  recueillie 
auprès  de  la  rivière  Niobrara  et  attribuée  parle  D""  Leidy  à  un  genre 
auquel  il  propose  de  donner  le  nom  de  Megalomeryx,  mais  qui  pour- 
rait bien  n'être  autre  que  le  Procamelus. 

Caprides.  Aucun  des  ossements  trouvés  ne  se  rapporte  d'une  manière 
absolue  à  ce  genre. 

Cervidés.  On  ne  connaît  qu'un  métatarse  provenant  du  comté  de 
Mariposa  et  appartenant  à  un  Cervus  plus  petit  que  le  C.  Virginianus. 

Proboscidiens.  Nous  avons  déjà  vu  combien  ils  étaient  nombreux  en 
Californie.  Durant  la  période  tertiaire  et  probablement  durant  la  plus 
grande  partie  de  la  période  quaternaire,  ils  erraient  librement  dans 
toute  l'Amérique  du  Nord  jusqu'au  Labrador  {\).  La  plupart  se  rap- 
portent au  M.  Americanus.  Le  D'  Leidy  sur  de  légères  différences  a 
cru  cependant  pouvoir  créer  trois  nouveaux  genres  :  M.  mirificus, 
M.  Andium  et  M.  obscuru^. 

Les  éléphants  [Elephas  Columbi,  Falconer)  étaient  moins  nombreux 
que  les  Mastodontes.  Un  squelette  complet  a  été  découvert  auprès  de 
la  rivière  Fresno,  sa  colonne  vertébrale  mesurait  plus  de  vingt  pieds 
de  longueur. 

Equidés.  On  en  connaît  plusieurs  :  E.  excelsus  trouvé  à  Santa- 
Maria  Oil  Springs  ;  E.  Caballus,  qui  rappelle  notre  cheval  actuel  ;  enfin 
E.  pacificus,  la  plus  grande  de  toutes  les  espèces  californiennes.  Il 

(I)  «  Cart  loads  of  Mastodon  bones  hâve  been  accumulated  at  various  places  between 
Sonora  and  the  Stanislaus  River  at  the  workings  in  the  lime  stone  crevices.  »  Whitney, 
The  Auriferous  Gravels,  p.  251. 

De  Nadaillac,  Amérique.  37 


578 


L'AMÉRIQUE  PREHISTORIQUE. 


Floro. 


a  été  trouvé  dans  le  comté  de  Contra  Costa,  et  M.  Whitney  le  date 
même  de  iV  période  pliocène. 

Pour  compléter  notre  étude,  nous  reproduisons  la  flore  dont  on  a 
constaté  lalprésence  dans  les  sables  aurifères  et  dans  les  dépôts  de 
Table  Mouiltain  (1). 

Fagus  Antlpofi. 
Quercus  Ellpenoides. 
Quercus  coi^vexa. 
Salix  Callfoiinica. 
Platanus  dissecta. 
Ulmus  Califûrnica. 
Ulmus  affinisv 
Ficus  microphylla. 
Persea  pseudo^Carilinensis. 

B.  — .ESPÈCES  TROUVÉES  DANS  LES  KJÔKKENMODDINGS  DU  MAINE  ET  DU  MASSACHUSSETS. 
\  Chap.  II,  p.  51. 


Aralia  Zaddachi. 
Cornus  ovalis. 
Acer  Bolanderi. 
Ilex  prunifolia. 
Zizyphus  micropliyllus. 
Rlius  typhinoides. 

1)      metopioidos. 

1)      dispersa. 
Cerocarpus  antiqua. 


[ \          =g 

\ 

MOUNT 
DESERT. 

couch's 

COVE. 

EAGLE  HILL. 

COLNIT  PORT. 

Homo 

Cervus  canadonsis 

1) 
1 
1 
» 
1 
» 
1 
1 

)> 
)) 
« 

1 
1 
1 
1 

1 
1 
» 
1 
)) 
1 
« 
1 

1 

» 
» 

» 
» 
1 
1 
1 
1 
» 

» 
1 
1 
1 

B 

1 
1 
» 
1 
» 
1 

1 

1 
1 
1) 
1 
1 
1 

1 
1 

» 

» 
1 
» 
» 
1 
» 
» 

« 
» 

1 

» 

» 

» 
» 
1 
» 
» 
» 
1 
1 
1 

» 
» 

1 

« 

>) 

1    (?) 

1 

» 

1 

1 

1 

» 

1 

» 

1 

1 

» 

1 

» 

» 
1 
1 
1 
1 

1 

» 

Alces  aniericanus 

Rangifor  caribou 

Cervus  virginianus 

Canis  occidcntalis 

Canis  (species  domcsticata") 

Vulpes  lu) vus 

Felis 

Lutra  canadeasis 

Putorius  vison 

Mustela  americana 

Mephitis  mephitia 

Phoca  vitulina 

Castor  canadensis 

Arctomyx  monax 

Alca  imponnis 

Alca  torda 

Anser  {species  duo)  

Morhua  americana 

Lophius  americanus 

Buccinum  undatum 

Pyrula  canaliculata  et  P.  carica. 
Ostrea  edulis  et  Mya  arenaria. 
Venus  mercenaria 

Pecten  tenuicostatus  et  P.  islan- 
dicus 

Mactra 

(I)  Wiîitney,  l.  c,  p.  235. 


APPENDICE. 


579 


C.  —  ESPÈCES   TROUVÉES   DANS   DES  KJÔKKENMÔDDINGS  DE  l'iOWA. 
Chap.  II,  p.  59. 


KEOSOQUA. 

SABULA. 

BELLEVUE. 

Mammifères 

Bos  americanus  ..... 

» 

» 

1 

— 

Cervus  virginianus 

1 

1 

Oiseaux 

Bernicla  canadensis. . . 

» 

» 

Reptiles  cheloniens 

Chelydra  serpentina.. 

1 

» 



Trionyx  ferox 

„ 

» 

Poissons 

Pimelodus  (?) 

o 

» 

« 

Embiotoca  (?) 

Mollusques 

Paludina  intégra  {Say). 

1 

1 

— 

Unio  œsopus  {Green). . . 

1 

» 

— 

—    anodontoides  {Lea) 

1 

1 

— 

—  crassus  (Say)  .... 

—  ebenus  (Lea)  .... 

1 

» 

1 

1 

— 

—    gibbosus(/?arnes). 

1. 

1 

— 

—    nodosus  (Barnes) . 

1 

1 

— 

—    ovatus  (Say) 

1 

1 

— 

—    plicatus  {Say) 

1 

1 

— 

—    pustulosus  (Lea).. 

1 

1 

— 

—    rectus  (Lamark).. 

J 

» 

— 

—    rugosus  {Barnes). 

1 

1 

— 

—    tuberculatus  (Id.). 

1 

« 

u 

— 

—    undatus   {Id.) 

1 

1 

~ 

—    ventricosus  {Id.).. 

» 

1 

ERRATA 


Page     71,  ligne  A,  au  lieu  de  :  Rio-Norzas,  lisez  :  Rio  Nazas. 


166,  note  6,  — 

176,  flg.    85,  - 

192,   ligne  6,  — 

305,  ligne  13,  — 


Marck, 
Stoue  Gave,  — 
Lel  County,  — 
fig.  112, 


March. 
Stone  Grave. 
Lee-County. 
fîg.  122. 


396!  ligne  ib,  supprimez  la  virgule  après  colline  et  placez-la  après  avancée, 

ligne  16. 
405,  ligne  17,  au  lieu  de  :  fig.  165,  lisez 


451,  ligne  14, 
ligne  16, 
465,  ligne  5, 
469,  ligne  22, 
471,  ligne  19. 
ligne  24, 
473,  ligne  12, 


flg.  190, 
fig.  197, 
flg.  201, 
fig.  201, 
fig.  202, 
fig.  203, 
fig.  204, 


fig.  167. 
flg.  195. 
flg.  196. 
flg.  203. 
flg.  204. 
flg.  205. 
flg.  206. 
flg.  207. 


TABLE    DES    CHAPITRES 


Préface v 

CHAPITRE  PRExMIER. 

L'homme  et  le  mastodonte 1 

CHAPITRE   H./ 
Les   Kjôkkenmôddings  et  les   cavernes 48 

CHAPITRE  III. 

Les  Mound  Builders ' 82 

CHAPITRE  IV. 

Poterie,  armes,    ornements    des    Mound-Builders,    Leur 
origine  et  leurs  migrations 136 


CHAPITRE 

Les   Clifî   Dwellers    et  les   habitants  des  Pueblos.  .  .  .     199 

CHAPITRE  VI. 
Les  peuples  de  l'Amérique  centrale 262 


S82  \  TABLE  DES  CHAPITRES. 

CHAPITRE  YII. 

Les  ruines  ^ie  l'Amérique  centrale 317 

CHAPITRE  VIII. 
Le  Pérou.  .  i 387 

CHAPITRE  IX. 

Les  hommes  d^^  l'Amérique 478 

CHAPITRE  X. 

L'origine  des  Américains 522 

Appendice.  .  .  .\ 575 


TABLE  ALPHABETIQUE  DES  MATIÈRES 


Abbott,  découvertes  de  Trenton,  20. 
Affections  pathologiques,  510. 
Ahuitzotl,  dédicace  du  temple  de  Huit- 

zilopochtli,  297,  358. 
Alahama,  pyramide  à  Florence,  110. 
Ameghino,  ses  découvertes,  28,  31,  56. 
Ancient  Fort  (Ohio),  95. 
Animaux  de  race  éteiute,  15,  25,  26,   28, 

31,  4.3,  —  Elephas  Colombi,  22,  43,  164, 

—  Glyptodon,  29,  —  Mylodon,  30,  — 
Megatherium,  32,  —  Mastodonte,  37,  43, 
129,  130. 

Anthropophagie,  60,  296. 

Arizona,  223,  —  Blocs  erratiques  chargés 
de  figures,  249. 

Armes,  haches  en  pierre  des  Mound-Buil- 
ders,  169,  —  armes  en  cuivre  du  Wis- 
consin,  176,  —  armes  en  pierre  des 
Cliff-Dwellers,  247,  —  armes  des  Mayas, 
270,  —  des  Aztecs,  307,  —  des  Péru- 
viens, 454. 

Atlantide,  561. 

Aymaras  {\qs) ,  peuplade  du  Pérou,  390,  — 
momie,  4-30,  —  crâne,  506. 

Aztalan  (Wisconsin),  95. 

Aztecs  éiah\\A  dans  l'Anahuac,  11,  —  leur 
histoire,  285,  —  leur  pays  d'origine,  285, 

—  religion  et  culte,  292,  —  sacrifices 
humains,  294,  305,  —  cérémonies  funé- 
raires,   300,  —    crémation,  funérailles 


royales,  303,  —  connaissances  astrono- 
miques, 306,  —  fortifications,  307,  353, 

—  vêtements,  308,  —gouvernement,  309, 

—  organisation  sociale. —  310,  pyramide 
de  Cholula,  350,  —  Xochicalco,  351,  — 
Centla,  353. 

Botocu'fos  (les),  469,  509. 

Bourneville  (Ohio),  91. 

Brésil,  sa  découverte,  9,  —  époque  gla- 
ciaire, 18,  —  ossements  du  Lagoa  do 
SumidourO,  23,  —  Sambaquis,  55,  —  sa 
situation,  467,  —  anciens  monuments, 
470. 

Buenos- Ayi'es,  sa  fondation,  8,  —  tumulus 
auprès  de  Campaua,  86,  —  El  palacio, 
474.       i 


Cahokia  (Illinois),  pyramide,  106. 

Californie,  crânes  humains,  41.  42,  — 
Kjôkkcnmôddings,  52,  —  les  Hohgates, 
66. 

Canaux  exécutés  par  les  Mound-Builders, 
134,  —  par  les  Péruviens,  421. 

Capacité  crânienne,  Lagoa-Santa,  481,  — 
Kjôktenmôdddings,483,  —  Mound-Buil- 
ders, 488,  493,  —  Péruviens,  504. 

Casa  Grande  dans  la  vallée  du  Gila,  225. 

Caveroes  ou  grottes,  comté  dePulaski,  72. 


584 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES. 


Rholter  cave,  73,  —  Ash  cave,  74,  — 
comté  de  Summit,  75,  —  Louisville,  76, 

—  Kentucky.  76,  —  Oajaca,  77,  —  Grcg- 
sons-Sprin^s,  77,  —  Sait  cave,  77. 

Centla,  pyramide,  353. 

Chaac-Mol,  légende  et  tombeau,  344. 

Chiapas,  ruinés  de  Palenque,  318,  —  Co- 

pan,  328,  —  \)oterie,  382. 
Chibchas  (les),  ijiistoire,  460,  —  culte,  462, 

—  le  Zippa  et  le  Zoque,  463. 
Chichen-Itza,    sicrifices,    268,    —    ruines 

?40,  —  cirque,  341,  —  palais  des  non- 
nes, 341,  —  le  château,  342,  —  le  chi- 
chanchob,  343,  ^  tombeau  de  Chaac- 
Mol,  3i4. 

Chichimecs,  13,—  leur  histoire,  280. 

Chihuahua,  les  casas  grandes,  227. 

Chilicothe  (Missouri),  mound,  103,  116. 

Chimu,  394,395,  —  huaca  obispo,  395,  — 
cimetières,  396,  —  El  templo  del  sol, 
396,  —  palais,  397,  -  el  presidio,  399, 

—  habitations  du  peuple,  400. 
Cholula,  pyramide,  350. 
Chunk-Yards^  191. 
Cirdeville  (Ohio),  mounds,  104. 
Clîff-Dwellers,  199,  —  leur  nom,  204,  — 

classement,  205,  —  Rio-Mancos,  209,  — 
vallée  du  Mac-Elmo,  216,  —  Hovcnvs'eep, 
218,  —  vallée  du  Montezuma,  219,  - 
Rio-Chelly,  220,  -  le  San  Juan,  222,  — 
vallée  de  la  Plata,  223,  —  rapports  avec 
les  autres  habitants  de  l'Amérique,  258. 

—  ossements,  500. 

Coail  (île   de),   palais    des    Mamacunas, 

409. 
Colorado,  Aztec  Spring,  217. 
Colorado,  fleuve,  230. 
Colorado-Chiquito,    ruines    importantes, 

229. 
Copan,  328,    —    sculptures,    obélisques, 

colonnes,  330. 
CoRTÈs  (Fernand),   débarquement,   2,    — 

lettre  à  Charles-Quint,  7,  —  ses  alliés, 

11. 
Crémation,  115,  122,  305. 


Croix,  la  croix  sert  de  motif  d'ornementa- 
tion, 175,  325. 

Culture,  Mound-Builders,  182,  —  Péru- 
viens, 441. 

Cuzco,  4 10,  —  le  Sacsahuaman,  412,  — 
aqueduc  sur  le  Rodadero,  413,  —  Tem- 
ple du  Soleil,  413,  —  Aclahuasi,  415. 

Déformations  crâniennes,  515. 

Époque  glaciaire,  17,  —  Brésil,  18,  —  New- 
Jersey,  18. 

Espagnols,  arrivée  dans  le  Nouveau- 
Monde,  2,  8,  —  Grijalva  sur  la  côte  du 
Yucatan,  175, —  Hernandez  de  Soto,  190, 
—  Pizarre  soumet  le  Pérou,  391. 

Esquimaux  (les\  1,  3,  45,  478. 

Estufas,  205,  2l6,  235,  257. 

Faune  de  l'Amérique,  4. 

Flore  de  l'Amérique,  4. 

Floride,  Kjôkkenmôddings,  59,  —  mound, 

123. 
Fort-Hill  (Ohio),  92. 

Fort-Wayne  (Indiana),  burial-mound,  117. 
Forteresses    du    Pérou,    Ollantay-Tambo, 

416,  —  Pisac,  418,  -  Piquillacta,  419,— 

Choccequirao,  420. 

Géorgie,  kjôkkenmôddings,  49,  50,  — 
Messicr-mound,  109. 

Grave-Creek  (Virginie),  120. 

Guatemala,  constructions  cyclopéennes, 
267,  —  les  Quiches  et  les  Cakchiquels, 
272,  —  Santa-Lucia,  371,  —  Quirigua, 
373,  —  poterie,  381. 

Guyane,  tribus  indigènes,  10,  —  ancien- 
neté de  la  race  humaine,  27,  —  langues, 
469,  —  pedras  pintadas,  472. 

Hiéroglyphes,  Amérique  centrale  263,  265 

319,  327,  330,  344,  375. 
Honduras,  rocher  couvert  de  sculptures, 

379. 
Huttes  servant  d'habitation,  79.- 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES. 


585 


Idoles,  Mouiid-Builders,  167,  —  les  rauira- 

kitans,  475. 
Illinois,  mounds,  89,  —  pyramide  de  Caho- 

kia,  106,  —  Seltzertown,  107,—  groupe  de 

Mounds  à  la  jonction  du  Straddie-Creek 

et  du  Plumb-River,  125. 
Incas  (les),  388,  389,  401,  407,  408. 
Indiana,  Fort  Wayne,  117. 
Indiens,  194. 
lowa,  fouilles  de  M.  Farquharson,  117,  — 

haches  en  cuivre,  177. 
Izamal  (Yucatan),  ruines,  347. 

Kabah  (Yucatan),  portique.  339. 

Kentucky,  époque  glaciaire,  18,  —  grotte 
à  Louisville,  76,  —  Gregson-Springs, 
77. 

Kjôkkenmôddings,  leur  nombre,  49,  — 
Géorgie,  50,  —  Californie,  52,  —  Orégon, 
53,  —  île  de  Vancouver,  54,  —  Brésil, 
55,  —  formés  de  mollusques  d'eau 
douce,  58,  —  Floride,  59,  —  leur  anti- 
quité, 66,  —  ossements  liumains,  483. 

Labnà  (Yucatan),  339. 
Lama,  son  utilité,  3,  4il. 
Langages,  nombre  des  dialectes,  5. 
Louisiane,  garden-beds,  183. 
Lund,  découverte  d'ossements   humains, 
23. 

Magellan,  découvertes,  9. 

Manco-Capac  et  sa  femme  Oello,  389, 
410. 

Mandans,  peuplade  indienne,  194,  557. 

Marieita  (Ohio),  pyramide  tronquée,  105. 

Mayas,  264,  —  leur  empire,  266,  —  leur 
religion,  268,  270,  —  leurs  monuments, 
319,  328. 

Métaux,  grains  de  cuivre  à  Connett's- 
Mound,  174,  —  objets  en  cuivre,  175,  — 
cuivre  du  lac  Supérieur,  178,  —  fer  in- 
connu, 180,  270,  —  métaux  employés 
par  les  Mayas,  279,  —  par  les  Péru- 
viens, 451,  —  par  les  Chibchas,  464. 


Mexico,  sa  fondation,  288.  —  le  temple 
érigé  par  Ahuitzotl,  358. 

Mexique,  voy.  Aztecs. 

Mines,  exploitation  des  mines  du  lac  Su- 
périeur, 178,  —  du  Pérou,  451. 

Minnesota,  sépulture  de  la  Tortue  Noire, 
126,  —  Tertre  figurant  une  araignée, 
128. 

Missouri,  mounds,  87,  —  Sandy,  Wood's, 
Settlement,  97,  —  Cnilicothe,  103,  — 
New-Madrid ,  107  ,  —  Big  mound  de 
Saint-Louis,  1 15. 

Mitla,  palais,  364. 

Mounds,  leur  nombre,  82,  —  étendue  du 
territoire  occupé,  88,  —  enceintes  sa- 
crées, 101,  —  temples,  105,  —  tertres 
à  sacrifices,  110,  —  tertres  tumulaires, 
113,  —  Chambered-mounds,  120,  —  ter- 
tres animaux,  127,  —  alligator,  lézard, 
mastodonte,  singe,  129,  130,  —  serpent, 
131,  —  leur  âge,  197. 

Mound-Builders,  13,  82,  —travaux  défen- 
sifs,  90,  —  leur  importance,  94,  —  mo- 
des de  sépulture,  113,  —  canaux,  134,— 
poterie,  136,  —  pipes,  153,  —  idoles, 
167,  —  ^mes  et  outils,  169,  —  orne- 
ments, l73,  —  vêtements,  177, —  exploi- 
tation deis  mines  du  lac  Supérieur,  178, 
culture,  182,  —  origine  et  migrations, 

184,  —  ils  ont  disparu  sans   postérité, 

185,  — (les  Indiens  actuels  les  repré- 
sentent! 189,  —  crânes  et  ossements, 
483. 

Mound-Clt'j,  sur  la  rivière  Yellowstone, 
187. 

NahuasI  leur  nom  de»  Culhuas,  132,  — 
leur  origine,  273,  —  culte  et  sacrifices 
humains,  294,  —  vie  future,  299,  — 
montments  qui  leur  sont  dus,  349. 

New-Jersey,  époque  glaciaire,  18,  19,  — 
instruments  en  silex,  171. 

New-Uadrid,  mound,  107,  117. 

New-York,  enceintes,  87. 

Nezahualcoyotl,  roi  de  Tezcuco,  289. 


586 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES. 


Nezahualpilli,  roi  de  Tezcuco,  290. 

Nicaragua,  tr»nchées  de  Juigalpa,  99,  — 
sacrifices  hiimains,  ?C9,  —  balsas  ou 
radeaux,  27lj  —  maisons,  272. 

Nouveau- Mexique ,  voir  Cliff-Dwellers, 
pueblos,  2.31 


Oajaca,  cavernes,  77. 

Ohio,  Shelter-caW!,  73,  —  Ash-cave,  74,— 
l'éduit  dans  le  Oomté  de  Summit,  75,  — 
mounds,  87,  88,  —  Bourneville,  91,  — 
Fort-Hill,  92,  —  comté   de   Clarko,  93, 

—  Ancicnt-Fort,  95,  —  groupe  à  Li- 
berty, 103,  —  Çircleville,  104.  —  Ma- 
rietta,  105,  —  alligator,  lézard,  129,  — 
Brush-Creek,  131. 

Ore5'0?2,kjôkkenraôddings,  53. 

Origine  des  Américains,  522,  —  traditions 
et  légendes,  526,  —  immigrations,  533, 
peuples  asiatiques,  536,  —  Chinois  et 
Japonais,  544,  —  Égyptiens  et  Phéni- 
ciens, 551,  —  Juifs,  553,  —  peuples  du 
nord  do  l'Europe,  555,  —  Grecs  et  Ro- 
mains, 558,  —  Malais  et  Polynésiens, 
5S8,  —  l'Atlantide,  561,  —  races  auto- 
chtones, 567. 

Ornements,  Mound-Buildere,  173,  —  en 
métal,  176,  —  Amérique  centrale,   380, 

—  Pérou,  429,448,  451,  453. 
Ossements  humains,  Brésil,  23,   481,  — 

Patagonie,  33,  —  Floride,  S4,  123,  — 
IVatchez.  34,  —  Nouvelle-Orléans,  35,— 
Missouri,  37,  —  Californie,  41,  —  crâne 
de  Calaveras,  42,  —  cavernes  de  l'Améri- 
que du  nord,  71,  72,481,  — Shelter-cave, 
73,  —  Louisville  (Kentucky),  76,  —  crâne 
moulé  dans  un  vase,  108,  —  squelette 
des  pampas  de  la  Plata,  479,-  -  Kjôkken- 
môddings,  483,  —  Mound-Builders,  483, 

—  Cliff-Dwellers,  500,  —  peuples  de 
l'Amérique  centrale,  503,  —  Péruviens, 
504, 

Pachacamac,  maison  du  soleil,  392,  —  el 
Gastillo,  393,  —  cimetière,  435. 


Palenque,  temples,  319,  —  hiéroglyphes, 
319,  —  palais,  320,  —  ancienneté  des 
édifices,  323,  —  tablette  de  la  croix, 
324. 

Pampas,  leur  formation,  31,  —  faune,  32,  — 
découverte  d'un  squelette  humain,  479. 

Paraderos  de  la  Plata,  56. 

Palagons,  3,  9,  —  ossements  recueillis 
par  le  docteur  Moreno,  33. 

Perforation  olécrânienne,  498. 

Pérou,  dépôts  de  guano,  70,  —  situation  et 
étendue,  387,  —  Pachacamac,  392,  — 
Chimu,  394,  —  Tiaguanaco,  400,  —  lac 
et  île  de  Titicaca,  407,  —  île  de  Coati, 
409,  —  île  de  Soto,  410,  —  Cuzco,  410.— 
forteresses,  416,  —  routes,  canaux,  ré- 
servoirs, 421,  —  Huanuco-Viejo,  423.  — 
cimetières,  huacas,  chulpas,  grottes  sé- 
pulcrales, 424,  —  momies,  430,  432,  433, 

—  religion,  culte,  4.'}6_,  —  lois  et  coutu- 
mes, 439,  —  arts  mécanique,  poterie, 
442. 

Peuples  de  l'Amérique  centrale,  262,  — 
Mayas,  264,  —  Nahuas,  273,  —  Aztecs, 
285,  —  Quiches,  272,  328. 

Pewaukie  (Wisconsin),  tertres  animaux, 
128. 

Pictographie,  Cliff-Dwellers,  248,  —  Ari- 
zona, 249,  —  sur  les  bords  du  San- 
Juan,  251,  —  auprès  du  lac  Salé,  252, 

—  Tennessee,  254,  —  se  rencontre  dans 
toute  l'Amérique  espagnole,  375,  —  Pé- 
rou, 455,  —  République  Argentine,  458, 

—  Chibchas,  466,  —  Brésil,  471. 
Pintados  ou  Pedras    pintadas,  voy.  Picto- 
graphie. 

Pipes,  des  Mound-Builders  en  poterie,  153, 

—  en  pierre  dure,  161,  —  pipes  des 
Cliff-Dwellers,  258. 

PizAURE  soumet  le  Pérou,  .391. 

Platycnémie,  495. 

Portugais,  leurs  expéditions,  8. 

Poterie,  Mound-Builders,  136,  —  modes  de 
fabrication,  139,  —  formes,  142,  —  or- 
nementation, 144,  —  vases  à  goulot,  117, 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES. 


587 


—  vases  pour  la  cuisson,  149,  —  lam- 
pes, 151,  —  terrines,   151,  —  coupes, 

152,  —  vases  funéraires,  153,  —  pipes, 

153,  —  imitations  de  fruits,  154,  —  d'a- 
nimaux, 155,  —  figures  humaines.  158, 

—  Cliff-Dwellers,  211,  243,  —  Amérique 
centrale,  381,  —  Guatemala,  381,  —  Chia- 
pas, 382,  —  Pérou,  428,  430,  434,  442,— 
Brésil,  474. 

Pueblos,  201,  —  Taos,  20?,  —  Acoma,  202, 

—  vallée  du  Mac-Elmo,  215,  —  Pueblo 
Bonite  dans  le  canon  Chaco,  231,  —  P. 
Una  Vida,  P.  Pintado,  P.  Weje-Gi,  P. 
Penasca-Blanca,  P.  de  l'Arroyo,  P.  Alto, 
286,  —  P.  Chettro-Kettle,  237,  —  P.  du 
Rio-Pecos,  239,  —  leur  existence  lors  de 
l'arrivée  des  Espagnols,  259. 

PuTNAM,  fouilles  des  puits  de  Madisonville, 
55,  117,  —  découvertes  à  Gregson, 
Springs,  77,  —  Sait  cave,  77,  —  Green- 
wood  (Tennessee),  97. 

Qquichuas,  peuplade  du  Pérou,  389,  390, 

405. 
QcATREFAGES  (de),  Ics  hommes  du  Lagoa- 

Santa,  481. 
Quemada,  360,  —  los  Edificios,  361. 

QUETZACOATL,  275,  291. 
Quiches,  272,  328. 
Quipos,  458. 
Quirigua,  373. 

Saint-Louis  (Missourij,  Bigmound,  115, 
121. 

Snndy  TFood's  Seulement  (Missouri),  97. 

Santa  Lucia  (Guatemala),  ruines,  371,  — 
têtes  colossales  en  pierre,  371,  —  bas- 
relief  représentant  un  sacrifice  humain, 
373. 

Seltzertown  (Illinois),  mound,  107. 

Serpents,  tertre  figurant  un  serpent  à 
Brush  Creek,  131,  —  le  rôle  qu'ils 
jouent  en  Amérique,  132,  —  leur  culte, 
541. 

Shell-Mounds,  voy.  Kjôkkenmôddings. 


Tehuantepec,  découverte  de  bijoux  zapo- 
tèques,  368. 

Tennessee,  Greenwood  auprès  de  Lebanon, 
97,  —  mound  dans  Cumberland-Valley, 
109,  —  fouilles  de  tumuli  funéraires, 
119,  —  instrument  en  serpentine,  170, — 
ornement  en  cuivre,  176,  —  pictogra- 
phie,  254. 

Tezcuans,  283,  —  les  rois  de  Tezcuco,  283, 
289. 

Tezcuco,  ruines  peu  importantes,  300. 

Tiaguanaco,  sa  situation,  400,  —  menhirs, 
401,  —  forteresse,  temple,  403,  —  porto 
monolithe,  404,  —  ornement  central, 
405. 

Titicaca  (île  de),  position  du  lac,  407,  — 
temple  du  soleil,  407,  —  el  palacio  del 
Inca,  408. 

Toltecs,  11,  —  leur  histoire,  277,  -  magni- 
ficence de  leurs  rois,  279,  —  Tula  leur 
capitale,  354. 

Trépanations,' 51 3. 

Tula,  capitale  des  Toltecs,  354,  —  décou- 
vertes de  M.  Charnay,  356. 

Utah,  pierrps  servant  d'instruments  agri- 
coles, 17 1|  —  mounds,  18 1 ,  183, —  urne  fu- 
néraire, '245,  —  gravures  sur  roche, 
252. 

Uxmal,  caÉa  del  Gobcrnador,  334,  —  casa 
de  Tortiguas,  335,  —  casa  de  Monjas, 
336,  —  iasa  de  Culebra,  337. 

Vases  en  or  et  en  argent  recueillis  au  Pé- 
rou, .39l8. 

Vermont,  pictographie,  233. 

Vêtements,  Mound-Builders,  177,  —  guer- 
riers llayas,  271,  —  Péi-uviens,  449. 

Virginie,  Grave  Creek,  120, 

V  OTAN,/ 266,  577. 

WHîrNBY,  découverte  d'un  crâne  en  Cali- 
fornie, 42. 

Whittleset  (colonel),  Shelter  cave,  74,  — 
groupe  de  Newark,  102. 


588 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  MATIÈRES. 


Wisconsin,  Aztalan,  95,  —  groupe  sur  la 
rivière  Kickapoo,  112,  1 1 3,  —  Povvaukie, 
tertres  animaux,  128,  —  l'homme  et 
l'élan,  133,  —  armes  en  cuivre,  176. 


Xochicalco,  temple,  351. 

Yucatan ,    navigation ,    271, 
j 


—    nombre 


considérable     de    villes     en  ruines, 

332,  —  Uxmal,  334,  —  Kabah,  339,  — 

Labnà,  Chichen-Itza,    340,    —  Izamal, 
347. 

Zapotecs,  362,  —  Mitla,  363,  —  Tehuan- 
tepec,  368,  —  découverte  des  bijoux  d'un 
roi  zapotèque,368. 


5440-82.  —  CoRBEiL.  Typ.  et  ètér.  Crété. 


#• 


«s 

,«0 


©    te 

3  p. 


s 


o 

H 

d 


■i<2 


lÇ>l      «r^ 
C^  O 


;        1^ 


0) 


UNIVERSITY  OF  TORONTO 
LIBRARY 


<        H 


ï^mi 


--^' 


f-^ 


V