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Full text of "La mythologie et les fables expliquées par l'histoire"

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Rare  Book  «  ^«Tia^TORAGÊ 
Cotiserions  liKrary 


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L  A 

MYTHOLOGIE 

E  T 

LES    FABLES 

EXPLIQUEES  PAR  L'HISTOIRE, 
TOME      PREMIER. 


L  A 

MYTHOLOGIE 

E  T 

LES    FABLES 

EXPLIQUE'ESPAR  L'HISTOIRE; 

Par  M.  VAbbé  B  a  n  i  e  r,  de  P  Académie  des 
înfcnptions  &  Belles-Lettres. 

TOME       PREMIER. 


A    PARIS, 

Chez  Briasson,  Libraire  ,  rue  S.  Jacques  y 
à  la  Science. 


M.    DCC     XXXVIII. 

AVEQ  APPROBATION  ET  PRIVILEGE   DU    ROY. 


PT 


P  R  E  F  A  CE. 

UOIQUEnousnefoyons  plus 
dans  ces  fiecles  malheureux  , 
ou  l'Univers  prefqu'  entier  étoic 
plonge'  dans  les  ténèbres  de  l'I- 
dolâtrie ,  on  ne  peut  guéres  fe 
difpenfer  de  fçavoir  l'Hiftoirc 
des  Dieux  8c  les  Fables  du  Paganifme;  &  la 
Mythologie ,  qui  apprend  à  connoître  ces 
Fables  8c  cts  Dieux  ,  fait  une  partie  trop 
confîderable  des  Belles  Lettres ,  pour  qu'on 
puiffela  négliger.  En  effet,  nous  lifons  cha- 
que jour  les  Ouvrages  des  Grecs  8c  des  Ro- 
mains ,  ceux  de  leurs  Poètes  fur-tout ,  qu'il 
feroit  fouvent  très-difficile  d'entendre  fi  on 
ne  connoiffbit  les  Fables  aufquelles  ils  fonr 
d'éternelles  allumons. 

D'ailleurs  tout  confpire  à  nous  rappeller 
le  fouvenir  de  ces  anciennes  fictions,  Sta- 
tues ,  Bas-Reliefs  ,  Monumens  de  toute  ef- 
pece;  8c  de  quoi  en  effet  font  remplis  les  Li- 
vres des  Antiquaires  ,  8c  les  Cabinets  des 
Curieux  ,  que  de  Figures  de  Divinités  d'Inf- 
trumens  de  Sacrifices  ,  8c  de  tout  ce  qui  nous 
refte  de  l'ancien  Paganifme?.  Nos  Galieries  » 
nos  Plafonds  ,  nos  Peintures ,  nos   Statuei 

a  iij 


P~    /«îirvi    U    *    41 


V)  ^       PREFACE. 

nous  repréfentent  fans  cefle  les  mêmes  objets; 
&  comme  fi  l'Hiftoire  fainte  8c  profane  ne 
fourniflbient  pas  affez  de  faits  intéreffants ,  8c 
capables  de  nous  infpirer  des  fentimens  ver* 
tueux,  nous  empruntons  nos  fujets  de  la  Fa- 
ble, fur-tout  dans  notre  Poëfie  Dramatique* 
Nos  Théâtres  retentifTent  tous  les  jours 
-des  plaintes  d'Iphigenie  8c  d'Andromaque , 
des  fureurs  d'Orefte,  8c  des  emportemens 
d'Achille  8c  de  Clytemneftre;  8c  ne  rougif- 
fons  pas  de  l'avouer ,  nous  voyons  toujours 
fur  notre  Scène  ces  He'ros  8c  ces  Héroïnes 
avec  un  nouveau  plaifir  ,  pendant  que  nous 
avons  fouvent  de  la  peine  à  y  fupporter 
d'autres  perfonnages  plus  propres  à  excitée 
en  nous  une  noble  émulation. 

Il  eft  donc  utile ,  8c  même  en  quelque  for- 
te néceffaire  de  fçavoir  la  Mythologie  ;  auflî 
voyons-nous  que  ceux  qui  l'ignorent,  paf- 
fent  pour  être  dépourvus  d'éducation ,  8c  des 
lumières  les  plus  nécefTaires  à  un  Homme  de 
Lettres.  Mais  lorfqu  on  vient  à  confîderer  que 
les  Fables  ne  font  pas  de  pures  fixions ,  com- 
me je  le  prouve  au  commencement  de  cet 
Ouvrage;  qu'elles  ont  un  rapport  réel  avec 
l'Hiftoire  des  premiers  fiécles ,  qu'elles  en 
contiennent  des  évenemens  confiderables ,  8c 
que  la  plupart  des  Dieux  ont  été  des  hom- 
mes ,  dont  l'Hiftoire  fait  partie  de  celle  des 
Peuples  qui  les  adoroient  :  alors  la  Mytholo- 
gie devient  un  objet  plus  important,  8c  en 
même  temps  plus  digne  de  notre  curiofité. 

C'eft  ce  fond  d'Hiftoire  caché  fous  l'enve- 
loppe de  la  Fable,  qui  fut  le  principal  objet 
de  mes  recherches ,  lorfque  je  commençai  à 
n'appliquer  à  Pétude  de  la  Mythologie,  8c 
le  Public  reçut  favorablement  l'Explication 


FÈ  ET  A  CE.  ?ij 

tîiftorlque  des  Fables ,  qui  fut  le  premier 
eifai  que  je  donnai   fur  cette  matière  (i);    (OEndera 
niais  ea  même  temps  il  parut  fouhaiter  une  Volumes  in 
Mythologie  plus  étendue  &  plus  approfon- ^ [£^£! °* 
die.  Cet  Ouvrage,  m'ont  dit  fouvent  des  Per-  à,*n  ttoiûémG 
fonnes  éclairées ,  manque  à  notre  Langue  ,  ïome  en 
puifque  fans  parler  du  tfyle  furanné  de  ceux  1715.  On  en 
que  nous  avons  en  François  fur  ce  fujet ,  on  donnera  m- 
ny  trouve  rien  de  fyftématique  ;  les  Fables  c^™™%. 
n'y  font  rapportées  à  aucune  fource ,  à  au-  E4ition,  chc5t 
cun  temps  déterminé  :  l'origine  des  Dieux  n'y  Briatfbn ,   en 
ett  point  développée;  on  n'y  diftingue  point  '-faveur  d?s 
ces  Dieux,  qui  fouvent  etoient  les  mêmes  ieiinesSe^ 
fous  differens  noms  :  enfin  fi  on  y  trouve  ^bréc/feta 
quelques  traits  d'Hiftoire,  ils  font  noyés  dans  très-mile, 
un  amas  d'Allégories  8c  de  Moralités  arbi- 
traires (2).  D'ailleurs  les  Auteurs  de  ces  My-   (1)  Vov-z 
thologies,  privés  des  découvertes  des Sça*  dansleChap, 
vans  qui  font  venus  depuis,  avoient  fuivi  des  l^^^^ 
Guides  peu  fûrs  ;  &  nous  femmes  aujourd'hui  <{es  Myth0lo- 
plus  en  état  qu'ils  ne  l'etoient ,  de  traiter  cette  giçs  qui  01* 
matière.  Quelles  lumières  en  effet  n'y  ont  pas  précédé  cet- 
répandues  les  Meziriac,  les  Bochart ,  les  Vof-  le"ci» 
fîus  ,  ôc  pîufieurs  autres  ?  &  fi  ces  fçavans 
hommes  avoient  expliqué  toutes  les  Fables, 
comme  ils  ont  expliqué  celles  qui  fe  font  trou- 
vées avoir  quelque  îiaifon  avec  les  matières 
qu'ils  avoient  entrepris  d'éclaircir,  nous  n'au- 
rions pas  befoin  d'une  nouvelle  Mythologie. 
Pour  fatisfaire  à  ce  qu'on  attendoit  de  moi, 
je  formai  le  deflein  de  l'Ouvrage  que  je  don* 
ne  aujourd'hui.  Mes  DifFertations  fur  diffe- 
rens fujets  de   la  Fable,  qui  font  imprimées 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Belles- 
Lettres,  &  les  Explications  que  j'ai  jointes 
à  la  Traduction  des  Metamorphofes  d'Ovide, 
prouvent  que  je  ne  l'ai  jamais  perdu  de  vue» 

a  iiij 


?iîjt      r         PREFACE. 

J'avoïs  déjà  beaucoup  profité  dans  mon 
Explication  Hiftorique ,  des  découvertes  des 
Sçavans  du  dernier  fiécle ,  &  il  fera  aifé  de 
voir  dans  cette  Mythologie  que  je  les  ai  en- 
core relus  avec  un  nouveau  foin  ;  &  que  j'ai 
fait  le  même  ufage  de  quelques  autres  Livres 
qui  ont  rapport  à  mon  fujet ,  ôc  qui  ont  pa- 
ru depuis;  fur-  tout  des  Réflexions  Critiques  fur 
les  anciens  Peuples ,  Ouvrage  profond ,  où 
(*)  M. four-  l'Auteur  (*)  pour  qui  les  Langues  fçavantes 
montl'aîné.  n'0nt  rien  de  caché,  fait  patoître  partout  au- 
tant de  fagaeité  que  de  fçavoir.  En  effet ,  foie 
qu'il  entreprenne  de  prouver  Tau tenticite  d'un 
précieux  fragment,  de  manière  à  ne  pouvoir 
plus  déformais  la  conteft?r;lou  qu'il  déve- 
loppe l'origine  des  anciens  Peuples;  ou  enfin 
qu'il  ramené  la  plupart  des  Fables  à  leur  pre- 
mière fource ,  c'efl  toujours  avec  une  érudi- 
tion peu  commune ,  6c  fouvent  par  des  dé- 
couvertes qui  avoient  échapé  aux  autres  Sça- 
vans. 

Guidé  d'ailleurs  dans  mes  recherches  par 
les  lumières  d'une  Compagnie  dans  laquelle 
l'érudition  la  plus  profonde  fe  trouve  réunie 
à  la  Critique  la  plus  judicîeufe  ,  j'ai  égale- 
ment profité  du  précieux  Recueil  de  fes  tra- 
vaux ,  8c  des  fçavantes  converfations  qui 
remplifTent  quelques  raomens  de  fes  AfTem- 
blées. 

Avec  ces  fecours,  &  par  une  étude  conti- 
nuée pendant  plufieurs  années ,  j'ai  cru  enfin 
être  en  état  de  donner  cette  Mythologie;  Se 
pour  la  mettre  à  la  portée  de  tout  le  monde  , 
j'ai  évité ,  autant  que  je  l'ai  pu  ,  ces  dif- 
euffions  épineufes ,  qui  rebutent  ordinaire- 
ment le  plus  grand  nombre  des  Le&eurs» 
pour  ne  dire  fur  chaque  fujet  que  ce  qu'il  j 


T  R  E  FACE,  ix 

■ft.de  plus  utile  &  de  plus  intereffant;  8c  on 
verra  bien  que  fouvent  mes  égards  pour  eux 
m'onr  été  plus  chers  que  ma  réputation  ;  car 
il  ne  faut  pas  compter  pour  rien  qu'  un  Au- 
teur fupprime  des  traits  d'érudition  qu'il  a 
fous  fa  main ,  8c  qu'il  ne  lui  couteroit  que  la 
peine  de  tranfcrire. 

Voici  donc  la  méthode  que  fai  fuivie* 
Lorfque  je  me  fers  du  témoignage  d'un  Au- 
teur ,  j'en  rapporte  ordinairement  les  paro- 
les ,  8c  j'en  donne  la  tradu&ion  ;  8c  lorfque 
cette  traduâion  manque ,  le  difcours  qui  pré- 
cède ou  qui  fuit  la  citation ,  en  fait  affez  con- 
noître  le  fens.  J'obferve,  autant  qu'il  eft  pof- 
fîbîe,  de  citer  les  plus  anciens,  avant  ceux 
qui  ne  font  venus  qu'après  ;  ainfi  Homère  8c 
Hefiode  parmi  les  Poètes ,  Hérodote  8c  quel- 
ques autres  parmi  les  Hiftoriens,  font  tou- 
jours préférés  à  ceux  qui  les  ont  fuivis.  Ce 
n'eft  pas  que  je  néglige  ces  derniers  :  ils  ont 
pu  confulter  des  Traditions ,  ou  des  Ouvra- 
ges qui  fubfiftoient  de  leur  temps  ;  ik  les  pre- 
miers fans  doute  n'avoient  pas  tout  dit  :  il 
n'eft  ici  queftion  que  de  la  préférence  que  je 
donne  aux  uns  fur  les  autres.  Les  Poëtes  qui 
nous  ont  tranfmis  tant  de  fi&ions,  font  pour- 
tant, quoiqu'on  en  dife,  les  premiers  dépo- 
fitaires  des  Traditions  anciennes  de  la  Grèce, 
8c  fes  premiers  Hiftoriens  ,  puifqu  on  ne 
commença  que  fort  tard  à  y  écrire  en  Profe. 

Aux  Poëtes  8c  aux  Hiftoriens  j'ai  quel- 
quefois joint  les  Médailles  8c  les  Inscriptions, 
parce  que  ce  font  autant  de  Monumens  qui 
atteftent  l'ancienne  Tradition. 

A  l'égard  des  Modernes  qui  ont  travaillé 
fur  cette  matière  ,  je  me  contente  de  rappor- 
ter leur  fentiment  en  gênerai ,  8c  celles  de 
leurs  preuves  qui  m'ont  paru  les  plus  cou- 

av 


x  PRETA  CE. 

cïuantes.  LorfquMs  ont  fait  des  Diflerta- 
lions  particulières  fur  ces  mêmes  fujets ,  j'en 
prends  la  fubftance,  8c  je  renvoyé  aux  Dif- 
fertations  mêmes ,  ceux  qui  pourroient  avoit 
la  curiofité  de  les  lire. 

Je  ne  crois  pas ,  au  refte ,  que  j'aie  à  me  re- 
procher de  m'être  fervi  des  découvertes  des 
autres,  fans  leur  rendre  du  moins  la  juftice  de 
les  nommer.  Le  crime  de  Plagiat  m'a  toujours 
paru  un  crime  odieux  :  &  qui  feroit  plus  Pla- 
giaire que  moi ,  fi  je  n'a  vois  indiqué  avec  foin 
lesfourcesoîi  j'ai  puifé,  &  où  doit  neceflaire- 
ment  puifer  tout  Auteur  qui  donne  un  Ouvrage 
femblable  au  mien  1  Ouvrage ,  qui  à  la  vérité 
fait  moins  d'honneur  qu'un  Syftême  nouveau  ; 
mais  qui  en  même  temps  eft  prefque  toujours 
plus  utile  au  Public  Ceux  qui  fe  donneront  la 
peine  de  lire  le  premier  Chapitre  de  cette  My- 
thologie, qui  eft  une  fuite  de  cette  Préface  , 
verront  à  combien  de  fuppofitions  gratuites  fe 
font  expofés  ceux  qui  ont  voulu  ramener  les 
Fables  à  un  Syftême  gênerai.  Car  enfin  fi  cha- 
que Peuple  a  eu  fes  fictions  ,  elles  font  plûrôt 
le  fruit  de  l'efprit  de  l'Homme  toujours  porté 
pour  le  merveilleux  ,  que  la  fuite  d'un  projet 
concerté. 

Mon  deflèin  dans  cet  Ouvrage  eft  de  prou- 
ver que  malgré  tous  les  ornemens  qui  accom- 
pagnent les  Fables,  il  n'eft  pas  difficile  de  vois 
qu'elles  renferment  une  partie  de  l'Hiftoire  des 
premiers  temps  ,  &  que  F  Allégorie  ôc  la  Mo- 
rale n'ont  pas  été  le  premier  objet  de  ceux  qui 
les  ont  inventées  ;  8c  bien  loin  d'avoir  changé 
defentiment,  je  m'y  fuis  encore  confirmé  par 
de  nouvelles  études.  Ce  n'eft  pas  qu'il  n'y  ait 
quelques  fi&ions  particulières  où  Ton  cherche- 
Ç)  voyexfe  roic  vainement  quelques  t^S  d'Hiftoire  (*)  £ 


PRE  F  A  CE.  xj 

rtiaïsen  gênera!  elles  y  ont  prefque  toutes  quel- 
que rapport ,  ou  fe  trouvent  liées  à  des  évene- 
mens  qu'autorife  tout  ce  que  l'Antiquité'  a  de 
plus  refpe6table. 

Autrefois  les  Mythologues  croyoient  avoir 
pénétré  le  fens  d'une  Fable  ,  lorfqu'ils  avoient 
fçu  en  tirer  quelque  allégorie  ou  quelque  mora- 
lité; &  c'eft  à  quoi  fe  réduifent  prefque  toutes 
leurs  explications.  Aujourd'hui  les  Sçavans  per- 
suadés que  les  Fables  cachent  fous  d'ingenieu- 
fes  enveloppes  l'Kiftoire  des  temps  qui  fui* 
virent  le  Déluge  ,  fe  font  appliqués  à  lever  le 
voile  myfterieux  qui  déroboit  à  des  yeux  peu 
elair-voyans  les  vérités  qu'elles  renferment» 
Il  eft  des  temps  favorables  à  certaines  opi- 
nions ,  &  celle  de  la  vérité  des  Fables  a  tel- 
lement pris  le  deffus ,  qu'il  faut  déformais 
renoncer  de  bonne  grâce  à  y  trouver  aucun 
fens  raifonnable ,  ou  les  rapporter  à  THiftoire» 
Cependant  on  peut  former  contre  cette 
opinion  une  difficulté  qui  d'abord  paroit  très* 
folide.  Comment  ramener  à  THiftoire  ce  que 
les  Grecs ,  par  exemple ,  difent  de  leurs  Dieux* 
puifque  ces  Dieux  vivoient  dans  les  temps 
qu'ils  appellent  eux-même3,  inconnus?  Quel- 
le Hiftoire  peut-on  tirer  d'un  temps  inconnu, 
&  qui  ne  leferoit  plus  ?  fi  on  en  avoit  quelque 
connoiflance  ? 

Pour  être  mieux  au  fait  de  cette  difficultés 
il  faut  fe  rappelîer  la  célèbre  divifion  de  Var~ 
i on  ,  qui  partageoit  les  temps  ,  en  remps  in- 
connus ,  en  temps  fabuleux  ,  &  en  temps  his- 
toriques. Les  premiers  renfermoient  tout  ce 
qui  étoit  arrivé  dans  le  monde  jufqu'àOgygès  -? 
&  c'écoit  dans  cet  intervalle  qu  avoient  vêca 
les  Dieux.  Les  féconds  s'étendoient  depuis 
<Pâv£ès  jufqu  au  retabliffêment  des  Olyra- 

3L  V  J 


xij  ,P.RE  FA  CR 

piades  ;  &  c'étoit  dans  ce  fécond  efpace  gu'a-^ 
voient  paru  les  Héros  &  les  Demi-Dieux» 
Enfin  aux  Olympiades  commençoient  les 
temps  hifloriques. 

Pour  répondre  à  cette  difficulté' ,  je  dis  , 
i°.  Que  cette  divifion  ne  regardoit  que  Ies# 
Grecs  ;  car  ces  temps  qu'ils  appelloient  in-* 
connus ,  ne  l'étoient  pas  pour  TAfie  ni  pour 
l'Egypte  ,  ou  il  y  avoit  de  puiïïantes  Monar- 
chies ,  &  un  Syftême  de  Religion  établi  dès 
les  fiécles  les  plus  reculés.  Les  Grecs  n'étoienc 
pas  encore ,  ou  du  moins  c'étoit  un  Peuple 
groffier  ,  &  vagabond  ,  fans  Loix  ,  fans  po- 
liteffe ,  &  prefque  fans  Religion  ,  dans  le  temps 
que  les  Peuples  d'Orient  jouifïbient  de  tous 
les  avantages  que  procurent  les  Arts  &  les 
Sciences. 

i°.  Pour  que  cette  objection  eût  quelque 
force ,  il  faudroit  que  ces  Dieux ,  dont  on 
entreprend  de  donner  l'Hiftoire,  fuflent  Grecs 
d'origine  ;  car  on  pourroit  dire  alors  que  les 
Grecs  ,  qui  ne  fçavoient  rien  de  certain  des 
temps  oii  ils  prétendoient  qu'ils  avoient  vécu  , 
ne  pouvoient  pas  en  avoir  tranfmis  iHiftoire 
à  la  pofteriré  :  mais  ces  Dieux  leur  étoient 
étrangers.  Les  Colonies  qui  vinrent  en  differens 
temps  d'Egypte  8c  de  Phenicie  s'établir  dans 
la  Grèce ,  y  portèrent  la  Religion  8c  les  Dieux 
de  leur  Pays.  Ceft  une  vérité  qu'on  ne  fçau- 
roit  nier ,  8c  Hérodote ,  inftruit  de  la  Reli- 
gion des  Egyptiens  par  leurs  Prêtres  mêmes» 
le  dit  pofîtivement.LesDieux  des  Grecs  étoient 
donc  originaires  d'Egypte 8c  de  Phenicie,  8c 
avoient  été  l'objet  d'un  culte  religieux  dans 
ces  deux  Pays,  long-temps  avant  que  les 
Colonies  dont  je  parle  ,  fuffent  arrivées  dans 
la  Grèce,  Les  Phéniciens  8c  les  Egyptiens, 


PREFACE.  srTiy 

tîuî  avoient  cultivé  depuis  les  premiers  Siècles 
les  Arts  &  les  Sciences  ,  avoient  écrit  PHif- 
toire  de  leur  Religion  ,  &  rien  n'eft  plus 
célèbre  dans  l'Antiquité  que  les  Livres  que 
Mercure  Trifmegifte  avoir  compofés  far  cette 
matière.  Il  eft  vrai  que  la  Langue  dans  laquel- 
le ils  étoient  écrits ,  étoit  une  Langue  facrée* 
&  qui  n  étoit  entendue  que  des  Prêtres  ;  mais 
ne  peut  on  pas  fuppcfer  que  les  Chefs  des 
Colonies  qui  allèrent  chercher  des  établifîe- 
mens  dans  les  Mes  de  la  Méditerranée,  de 
l'Archipel ,  &  dans  la  Grèce  ,  emmenèrent 
avec  eux  quelques-uns  de  ces  Prêtres ,  pour 
avoir  foin  des  chofes  qui  concernoient  la  lle- 
ligion  ;  8c  que  ces  Prêtres  en  irrfxruifirent  les 
Grecs ,  lorfqu'  ils  reçurent  le  culte  des  Dieux 
que  ces  Etrangers  étoient  venus  établir  dans 
leur  Pays  ? 

On  ne  niera  pas  cette  fuppofition ,  puis- 
qu'on convient  qu'Inachus,  qui  conduifît  dans 
la  Grèce  la  première  Colonie ,  y  communi- 
qua l'ufage  de  cette  Langue  facrée ,  c'eft-à- 
dire ,  les  Hiéroglyphes  qui  fervoient  à  l'ex- 
primer. Long-temps  même  avant  l'arrivée  de 
cette  Colonie ,  les  Egyptiens  avoient  commen- 
cé à  inftruire  les  Grecs  fur  les  matières  de 
la  Religion.  »  Les  Pelafges  qu'on  doit  mettre 
a»  au  nombre  des  plus  anciens  Habitans  de 
»  la  Grèce  ,  honoroient ,  dit  Hérodote ,  de9 
»  Dieux  dont  ils  n'avoient  aucune  connoif- 
a>  fan  ce  ,  leur  offrant  en  gênerai  leurs  Prières 
»  8c  leurs  Sacrifices.  Comme  ils  voulurent 
y>  enfin  fçavoir  leurs  noms  ,  i's  confulterent 
»  l'Oracle  de  Dodone  ,  le  feul  qui  fat  alors 
»  dans  la  Grèce,  oiiils  les  apprirent  desEtran- 
»  gers  qui  le  defiervoient  ».  Or  l'Oracle  de 
Dodone ,  félon  le  même  Auteur ,  avoit  été 


•xxv  PREFACE. 

établi  par  une  femme  EgyptienncSccesEtrârw 
gersqui  inftruifirent  lesPelafges,  ne  pourvoient 
être  que  des  Egyptiens* 

Mais  quand  même  quelques-uns  des  Dieux 
auroient  tiré  leur  origine  de  la  Grèce  ,  ou 
qu'ils  Pauroient  conquife  ,  comme  Jupiter  Se 
les  Princes  Titans  ;  8c  qu'à  l'occafîon  de  cet- 
te Conquête  on  auroit  fait  leur  Apotheofe 
dans  des  temps  où  les  Grecs  ignoroient  l'u- 
fage  des  lettres ,  n'y  a-t'il  pas  plufieurs  ma- 
nières de  tranfmettre  à  la  pofterite  les  faits 
éclatans  ?  Des  Fêtes ,  des  Jeux ,  des  Hymnes  * 
des  Cantiques ,  des  Colomnes ,  des  Monceaux: 
de  terre  ,  un  amas  de  pierres ,  ou  enfin  une 
tradition  tranfmife  de  père  en  fils  :  tout  cela 
étoit  capable  de  faire  connoître  ces  Hommes 
célèbres  qui  avoient  mérité  les  honneurs  di- 
vins :  8c  dès-là  il  n'eft  donc  pas  impoffible 
de  fçavoir  leur  hiftoire  ;  8c  les  explications 
historiques  qu'on  donne  des  Fables  qu'on  y 
a  mêlées ,  ne  font  pas  fans  fondement. 

Il  arrive  quelquefois  dans  le  monde  des  éve- 
nemens  fi  célèbres ,  qu'on  ne  les  oublie  point. 
Tels  ont  été  dans  l'Antiquité  les  Conquêtes 
des  Princes  Titans ,  que  l'Ecriture  fainte  dit 
avoir  dominé  fur  la  terre  ;  8c  celles  de  Bao 
chus ,  ou  Ofiris  :  8c  de  quelque  manière  que 
le  fouvenir  en  foit  pafle  à  la  pofterite  ,  il 
eft  fur  qu'on  ne  les  a  pas  ignorées ,  8c  que 
Diodore  de  Sicile  8c  les  autres  Anciens  qui 
en  ont  écrit  PHiftoire ,  ne  l'avoient  pas  in- 
ventée. * 

Que  les  Dieux  du  Paganifme  ayent  été  les 
Patriarches  des  Hébreux  ,  comme  le  préten- 
dent plufieurs  Sçavans  ;  ou  qu'ils  ayent  été 
d'anciens  Rois  d'Egypte  &  de  Phenicie  >  8c 
des  autres  Peuples  voifins  3  c'eû  ce  que  jre  n!çr 


PREFACE.  'm  x? 

*ataine  pas  préfentement  ;  maïs  toujours  eft- 
il  certain  qu'an  connoiffoit  leur  Hifloire  ,  ôc 
qu'on  avoir  des  traditions  fur  lefquelies  oa 
pouvoit  compter. 

S'il  eft  vrai ,  après  ce  que  je  viens  de  dire, 
qu'on  peut  ramener  à  l'Hiftoire  les  Fables 
des  Dieux  ,  perfonne ,  je  crois ,  ne  doutera 
qu'on  ne  puifle  en  faire  du  moins  autant  de 
celle  des  Héros  8c  des  Demi- Dieux,  puif- 
que  les  Grecs  ont  été  en  état  de  nous  la  trans- 
mettre. Il  eft  inutile  d*  rechercher  préfente- 
mcnt  jufqu'à  quel  temps  ils  demeurèrent  fans 
avoir  l'uiage  des  Lettres  :  perfonne  ne  doute  au 
moins  qu'ils  ne  l'ayent  reçu  de  Cadmus  qui  leur 
apporta  l'Alphabet  Phénicien  ,  comme  je  le 
prouverai  en  fon  lieu.  Or  les  Héros  de  la  Grèce 
&  les  évenemens  qui  donnèrent  lieu  à  leur 
Heroïfme,  fontpofterieursà  l'établiffement  de 
la  Colonie  qui  vint  fous  la  conduite  de  ce  Chef 
s'établir  dans  la  Béotie  ;  par  confequent  dans 
un  temps  où  les  Grecs  ne  manquoient  pas  de 
fecours  pour  écrire  leur  Hiitoire.  Le  nom  de 
temps  fabuleux  que  Varron  donne  aux  fiécles, 
où  les  Héros  parurent,  &  qui  (  félon  Scaliger ) 
auraient  dû  être  nommés  les  temps  héroïques  0 
ne  porte  nullement  à  croire  qu'on  n'en  fçavoit 
rien  de  certain  ,  puifque  la  Conquête  des  Ar- 
gonautes ,  la  Guerre  des  Centaures  &  desLa- 
pithes ,  les  Travaux  d'Hercule ,  les  deux  Guer- 
res de  Thebes  8c  celles  deTroye,  font  des  éve- 
nemens qu'on  ne  fçauroit  révoquer  en  doute: 
ce  içavant  Romain  ne  leur  a  donc  donné  le 
nom  de  temps  fabuleux,  qu'à  caufe  que  l'Hif- 
toire de  ces  évenemens  fe  trouve  mêlée  d'une 
infinité  de  fictions ,  ce  qui  ne  doit  pas  paroître 
étonnant  :  car  fi  Ton  a  reproché  tant  de  fois 
aux  Grecs  d'avoir  facrifié  la  vérité  au  panchant 


**)  #        P  REFACE. 

qu  ils  a  voient  pour  le  merveilleux  ,  dans  des 
Kiftoires  plus  connues  &r  plus  récentes,  com- 
ment l'auroient-iîs  refpeclée  quand  ii  s'agiffoit 
de  ces  temps  éloignés  ,  fur  lefquels  il  nétoit 
pas  aifé  de  les  démentir  ? 

Donnons  encore  un  nouveau  jour  à  cette 
réponfe.  Les  Grecs  ont  été  iniïruits  par  les 
Peuples  de  l'Orient ,  8c  en  particulier  par  les 
Egyptiens ,  de  PHiftoire  des  Dieux  qui  avoient 
vécu  dans  Pefpace  de  temps  que  Varron  nom- 
rooit  les  temps  inconnus.  Cadmus  leur  apprit 
Fufage  des  Lettres  >  &  les  mit  en  état  d'écrire 
eux-mêmes  l'Hifloire  de  leurs  Héros,  ceit-à- 
dire  celle  des  temps  fabuleux.  Lés  Ouvrages 
qui  la  conrenoient ,  fubfiftoient  apparemment 
du  temps  d'Hefiode  8c  d'Homère  ,  qui  en  ti- 
rèrent le  fond  de  leurs  Poëmes ,  ou  le  pui- 
ferent  du  moins  dans  une  tradition  encore  af- 
fez  récente.  Je  fuis  perfuadé  que  ces  Poëmes 
cauferent  la  perte  de  la  plupart  des  autres  Ou* 
vrages  plus  anciens  ;  car  il  eft  arrivé  plus  d'une 
fois ,  qu'un  bon  livre  a  fait  oublier  8c  enfin 
difparoître  ceux  qui  l'avoient  précédé.  Mais 
comme  Homère  &  Hefiode  n'avoient  pas  em- 
ployé toutes  les  traditions  qui  étoient  reçues 
de  leur  temps  ,  les  autres  Poètes  qui  font 
venus  après  eux  ,  s'en  font  fervis  ;  8c  c'eft 
pour  cela  qu'on  en  trouve  de  fi  différentes 
dans  Sophocle ,  dans  Euripide  ,  8c  dans  les 
autres  Tragiques.  Pour  les  Auteurs  qui  dans 
la  fuite  ont  recueilli  en  Profe  l'Hiftoire  de 
ces  anciens  évenemens  ,  tels  qu'Apollodore* 
Diodore  8c  quelques  autres ,  ils  ont  tiré  ce 
qu'ils  en  racontent ,  ou  de  cette  même  tra- 
dition, ou  des  Ouvrages  qui  fubfiftoient  en- 
core de  leur  temps ,  8c  qui  avoient  eux-mê- 
mes été  compofés  fur  d'autres  encore  plu* 
anciens. 


PREFACE.-  xvï) 

Ceft  ainfi  que  s'eft  confervée  d'âge  en  âge 
FHilioire  des  Dieux  &  des  Héros ,  &  c'eft 
en  même  temps  le  fondement  des  Explica- 
tions Hiftoriques  des  Fables.  Mais  fuppofont 
pour  un  moment  que  les  Grecs  n'écrivirent 
que  fort  tard  ;  qu'Homère  fut  leur  premier 
Auteur  ,  8c  que  leur  Poëfie  commença  pat 
un  Chef-d'œuvre  ,  ce  qui  feroit  aflïuément 
fort  extraordinaire  ,  je  foutiens  encore  que 
ce  Poète  auroit  eu  affez  de  fecours  pour  le 
fond  de  fes  deux  Poèmes.  La  Grèce  n'avoie 
rien  de  plus  facré  que  les  Fables,  qui  faifoiene 
partie  de  fa  Religion  ;  &  elles  ne  pouvoient 
pas  périr ,  s'il  rn  eft  permis  de  m'exprimer  ainiï. 
Les  Peintures  ,  les  Statues  ,  les  Jeux  &  les 
Fêtes ,  en  rappeiloient  fans  ceffe  le  fouvenir  ; 
&  Athènes  qui ,  félon  Paulanias  ,  avoit  de 
ces  Statues  &  de  ces  Peintures  dans  tous  les 
quartiers  de  la  Ville  ,  &  dans  tous  les  Tem- 
ples ,  auroit  pu  feule  en  conferver  la  tradirion. 
Ajoutons  encore  que  quelques  Sages  de  la 
Grèce  peu  contens  des  connoiffances  que  leur 
avoient  communiquées  lesColonies  qui  étoient 
arrivées  en  differens  temps  dans  leur  Pays ,  al- 
lèrent eux-mêmes  en  Egypte  pour  y  en  puifet 
de  nouvelles?  qu'il  y  en  eut  même  quelques- 
uns  qui  firent  ce  voyage  avant  la  Guerre  de 
Troye  ,  c'eft-à-dire ,  dans  le  temps  même  que 
Varron  nomme  le  temps  fabuleux.  Diodorc, 
qui  avoit  voyagé  auffi  dans  ce  Pays  ,  l'affùre 
pofitivement ,  &  entre  dans  le  détail  des  con- 
noiffances que  ces  Sages  y  avoient  puifées ,  ôc 
qu'ils  avoient  enfuite  communiquées  aux 
Grecs,  ce  Les  Prêtres  lifent  dans  leurs  An- 
»  nales  ,  dit  cet  Auteur  (a)  ,  qu'on  avoit  vu  (a)  i,  i.c.j^ 
»  chez  eux  Orphée,  Mufée  ,  Mélampe  &  De- 
*  dale ,  (  car  je  ne  parle  pas  d'Homère  ni  des 


kvîij  PREFACE. 

»  autres  qui  avoient  fait  le  même  voyage  cîans 
*>  des  temps  pofterieurs  à  la  Guerre  de  Troye) 
»  &  il  n'en  eil  aucun  deux  ,  du  paffage  ou  du 
=»  fejour  duquel  on  ne  montre  quelque  marque; 
°»  comme  leur  Portrait,  ou  quelque  Ouvrage, 
33  ou  même  quelque  lieu  qui  porte  leur  nom. 
*>  Ils  donnent  auffi  diverfes  preuves  ,  qui  font 
j»  voir  que  tous  ces  Sages  ont  tiré  de  l'Egypte 
»  ce  qu'il  y  a  eu  de  plus  merveilleux  dans  les 
**  Sciences  qu'ils  ont  profeffées  :  Orphée,  difenc 
*  les  Egyptiens ,  a  rapporté  de  fon  voyage  fes 
98  Myfteres ,  fes  Orgies  ,  &  toute  la  Fable  de 
»  l'Enfer. 

*  On  dit  que  c'eft  Mélampe  y  qui  a  apporté 
fc  du  mêmePays  les  Fêtes  de  Bacchus  en  Grèce  , 
*>  la  Fable  de  Saturne,  le  Combat  des  Titans  » 
»  les  périls  &  les  malheurs  des  Dieux  ,  &c. 

Il  eft  inutile  de  fuivre  préfentement  cet  Au-* 
reur  dans  les  autres  détails  où  il  entre  à  ce  fu- 
jtt  ;  j'en  ai  parlé  ail!  vrs  ;  mais  toujours  eft-iî 
certain  que  ces  Sages  puiferent  en  Egypte  plu- 
fieurs  connoiffances  concernant  fa  Religion  8c 
tes  myfteres. 

Hérodote  (a)  convient  qij.e  ce  même  Mé- 
lampe ,  homme  fage  &  éclairé  ^  avoir  appris 
des  Egyptiens,  &  enfeigné  enfuire  aux  Grecs  3 
ce  qui  regardoir  le  culte  6c  les  myfteres  de 
Bacchus ,  à  quelques  changemens  près  qu'il 
avoir  introduits  de  fon  chef.  Il  eft  vrai  qu'iî 
y  a  cette  différence  entre  ces  deux  Auteurs  , 
que  Diodore  de  Sicile  affûte  que  Melampe 
avoir  puifé  ces  connoiflances  en  Egypte  ,  ou 
il  avoic  voyagé,  au  lieu  qu'Hérodote  dit  qu'il 
les  tenoit  de  Cadmus  ;  mais  cela  revient  au 
même  pour  mon  deffein. 

Les  Grecs  ont  donc  eu  afTez  de  fecours  , 
pour  connoître  ôc  nous  tranfmetue  i'Hiftoirs 


PREFACE  xïx 

des  Dieux  ,  &  de  plus  grands  encore  pour 
celle  des  Héros;  8c  dès-là  tombe  l'objection 
que  j'ai  propofe'e. 

Comme  une  Mythologie  doit  renfermer 
non-feulement  tout  ce  qui  regarde  les  Dieux 
&  les  Héros ,  en  expliquer  les  Fables  ,  les 
ramener  à  leurs  fources  ;  mais  qu'elle  doit 
contenir  encore  leSyftême  de  l'Idolâtrie,  fon 
origine ,  fes  progrès ,  &  tout  ce  qui  concerne 
le  Culte  8c  les  Cérémonies  du  Paganifme, 
j'ai  fait  entrer  dans  celle  que  je  donne  au- 
jourd'hui ,  toutes  ces  différentes  matières  ; 
&  voici  Tordre  dans  lequel  j'ai  cru  devoir 
les  arranger. 

^  Après  avoir  examine'  dans  le  premier  Cha- 
pitre quelles  doivent  être^es  connoiflances 
d'unMythoIogue,3c  expofé  ce  que  je  penfe  dea 
differens  Ouvrages  que  nous  avons  fur  la  My- 
thologie ,  je  tâche  de  prouver  dans  les  fui- 
vans  ,  la  vérité'  des  Fables  :  j'en  rapporte 
les  diiferentes  fources ,  les  divifions ,  8cc.  8c 
c'eft  la  matière  du  premier  Livre  ,  qui  eft  une 
efpece  d'Introdu&ion  nécefiaire  à  l'intelli- 
gence de  TOuvrage.  Le  fécond  contient  les 
différentes  Théogonies  âzs  Peuples  connus  / 
des  Chaldèens  ,  des  Phéniciens  ,  des  Egyp- 
tiens, des  Atlantides,  des  Grecs,  des  Indiens, 
des  Chinois ,  &  des  Sauvages  de  l'Amérique; 
&  c'eft-Ià  qu'on  verra  ce  qu  ils  ont  penfé  de 
la  formation  du  monde  ,  Se  de  l'origine  de 
leurs  Dieux.  Je  traite  dans  le  troifie'me  de 
l'origine  8c  du  progrès  de  l'Idolâtrie  :  j'y  fais 
voir  à  quel  excès  elle  fut  porte'e ,  8c  le  nom- 
bre infini  de  Dieux  qu'elle  adopta.  PafTant 
enfuite  au  Culte  de  ces  Dieux ,  je  parle  des 
Vi&imes  ,  des  Sacrifices  ,  8c  des  Inftrumens 
dont  on  fe  fervoit  dans  cet  aâe  de  Religion  ; 


*î  PREFACE. 

des  Prêtres ,  des  Temples ,  des  Autels ,  âe$ 
Bois-Sacrés,  des  Afyles,  desFêtes,  &c.  Dana 
le  quatrième  ,  qui  eft  une  fuite  du  troifiéme  9 
je  traite  des  Superftitions  que  lTdolâtrie  au- 
torifoit  ;  ce  qui  me  donne  lieu  de  parler  de$ 
Oracles  ,  des  Sibylles ,  des  différentes  fortes 
de  Divination  ,  des  Aufpices ,  des  Arufpices , 
des  Augures ,  de  l'Aftrologie  judiciaire  ,  de 
la  Magie  ,  des  Préfages  ,  des  Prodiges  ,  des 
Expiations  ,  des  Dévouemens  ,  des  Evoca- 
tions ,  8cc.  J'expofe  dans  le  cinquième  les 
fentimens  des  Phiiofophes ,  des  Hiftoriensôc 
des  Poètes  ,  fur  la  nature  des  Dieux  &  des 
Génies  ,  que  le  Paganifme  avoir  introduits  ; 
&  après  avoir  divifé  ces  Dieux  &  ces  Génies 
en  différentes  Claies,  je  finis  ce  Traité  de 
l'Idolâtrie  par  dss  Reflexions  générales  ,  éga- 
lement propres  à  en  faire  voir  lVofurdité  9 
&  l'excès  ou  elle  fut  portée. 

Mais  comme  ce  n'eit  pas  af&z  d'avoir  fait 
connoître  ce9  Dieux  en  gênerai  ,  &  que  je 
dois  en  donner  une  idée  plus  préclfe  Se  une 
Hiîioire  plus  détaillée  ,  je  parie  d'abord  de 
ceux  des  Egyptiens ,  des  Arabes  leurs  voifins, 
&  de  ceux  des  Ethiopiens.  Dc-là  je  pafle 
à  ceux  des  Carthaginois  &  des  autres  Peuples 
de  l'Afrique,  dont  la  Religion  nous  eft  con- 
nue ;  <k  c'eft-îà  la  matière  du  fixiéme  Livre. 
Je  traite  dans  le  feptiéme  ,  de  ceux  des  Chal- 
déens,  des  Syriens,  des  Phéniciens,  desPerfes, 
des  Cappadociens,  &  des  autres  Peuples  d'A- 
fie  ;  8c  je  poufle  ces  recherches  jufqu'à  ceux 
des  Scythes,  des  Sarmates,  &  des  autres  Peu- 
ples du  Nord  de  PAGe. 

La  fuite  contient  l'Hiftoire  des  Dieux  de 
l'Europe  ;  c'eft-à  dire  ,  de  ceux  des  Grecs, 
des  Romains ,  des  Gaulois ,  des  Germains  , 


PREFACE.  xx) 

«îes  Efpagnols ,  &c.  matière  immenfe  que  j'ai 
divifée  en  plufieurs  Livres. 

Enfin  je  parle  des  Héros  &  des  Demi-  D  ieux  : 
&  pour  en  donner  une  connoiflance  plus  par- 
riculiere ,  j'entre  dans  le  fond  de  l'Hiftoire 
ancienne  de  la  Grèce ,  de  celles  des  Peuples 
qui  Thabitoient ,  &  de  tous  les  évenemens 
qui  la  rendirent  célèbre  ;  &  j'ai  terminé  cet 
Ouvrage  par  l'explication  des  Fables  ,  qui 
n'ont  aucune  liaifon  avec  les  faits  rapportés 
dans  tous  les  Volumes. 

On  trouve  à  la  tête  de  chaque  Volume  une 
Table  des  Chapitres  ,  qui  fait  connoître  avec 
plus  de  détail  tous  les  fujets  que  je  traite  , 
&  à  la  fin  du  dernier,  une  Table  générale, 
que  j'ai  tâché  de  rendre  la  plus  utile  qu  i! 
a  été  poffible. 

Quelques  Perfonnes  auroient  fouhaité  que 
I  euffe  mis  dans  cet  Ouvrage  les  Figures  des 
Dieux,  &  j'avoue  qu'elles  en  auroient  fa- 
cilité l'intelligence  ,  &  m'auroient  épargné 
fouvent  des  détails  ;  mais  outre  qu'elles  en 
auroient  beaucoup  augmenté  le  prix,  j'ai  crû 
qu'il  fuffifoit  d'indiquer  les  Livres  ,  où  elles 
fe  trouvent  ;  Livres  aujourd'hui  affez  répan^ 
^us  &  allez  connus» 


Xxij 

TABLE 

DES  LIVRES  ET  DES  CHAPITRES, 
qui  compofent  ce  premier  Volume. 

LIVRE     PREMIER. 

QUi  contient  des  J3 uejltons préliminai- 
res, dontVintelXigence  cflnécejfaire 
pour  V  étude  delà  Mythologie,  p.  i 
CHAP.  I.  Réflexions  générales  fur  la 
Mythologie.  a 

Art.  I.  Quelles  doivent  être  les  con- 
noijfances  d'un  Mythologue.  $ 

Art.  IL  Quels  écueils  il  doit  éviter.  14 
Art.  III.  De  quelle  manière  on  doit  je 
conduire  dans  PExplication  des  Fa- 
bles. 29 
CHAP.  IL  Ou  Von  prouve  que  les  Fables 
ne  font  point  de  pures  Allégories ,  & 
qu }  elles  renferment  à ^  anciens  événe- 
ment.                                           3  > 
CHAP.  III.  Divifon  des  Fables.       52 
CHAP-  IV.  CopjeûuresfurPOrigine  des 
Fables.                                           $6 
CHAP.  V.  Où  Ton  conthnte  de  recher- 
cher V Origine  des  Fables.            82 


TABLE  DES  LIVRES,  &c.  x&y 

CHAP.  VI.  Continuation  de  la  même 
matière.  1 1 1 

CHAP.  VIL  Dans  lequel  on  recherche 
V Origine  des  Metamorphofes  d"* Ovi- 
de, &  de  quelques  autres  Poètes.  130 


LIVRE     IL 

Des  differentesTheogonies  dont  V Antiqui- 
té nous  a  conservé  la   conno:,j[ancei 
ou  j  Sentiment  des  Anciens  fur  VOn-* 
gine  du  Monde  &  des  Dieux.     136 
CHAP.  î.  Tradition  des  Chaldéens.  137 
CHAP.  IL  Théogonie  desPheniciens.  151 
CHAP.  III.   La  Théogonie    des  Egy 
ptiens.  17  £ 

CHAP.  IV.  Théogonie  des  Atlantides. 

182 

CHAP.  V.   Théogonie  des  Grecs:     188 

CHAP.  VI.    Cofmogonie  &  Théogonie 

d**  Ovide.  21  £ 

CHAP.  VIL  LaTheogonie  des  Chinois 

&  des  Indiens.  225* 

CHAP.  VIII.  Théogonie  des  Brambies 

des  Indes.  239 

CHAP.  IX.     Théogonie    des    Ameri* 

quains.  242 

CHAP.  X.  Dek*TheologiePayetme9& 

en  particulier  de  celle  des  Poètes. 257 


îcxïv TABLE  DES  LIVRES,  Sec. 


LIVRE     III. 

Où  il  eft  traité  de  l'Idolâtrie. 

^Avant-Propos.  27? 

CHAP.  ï-  De  l'Origine  &  du  progrès  de  l  Idolâ- 
trie* mu**1 
CHAP.  II.  £«  iuel  temîs  commença  l  Idolâtrie. 

300 
CHAP.  III.  Ou  l'on  prouve  que  l'Idolâtrie  a  com- 
mencé par  le  culte  dis  Ajires.  ^  318 
CHAP.  IV.  Du  progrès  de  F  idolâtrie.            3  33 
CHAP.  V.  Des  Temples  des  Payens*              3  67 
CHAP.  VI.  Des  Autels.                               4°  7 
CHAP   \  II.  Des  Bois  facrés,                         4r7 
CHAP.  VIII.  Des  Afyles.                             4** 
CHAP.  IX.  Des  Statues  des  Dieux*  &  de  quelle 
manière  on  les  repré fient  oit.                       4lS 
CHAP.  X.  Des  Sacrifices  &  des  Viclimes.     443 
CHAP.  XI.  Des  Injtrumens  dont  on  fe  fervoit 
dans  les  Sacrifices  &  dans  les  Cérémonies  Re* 
ligkufes.                                                  480 
£HAP.  XII.  Des  Prêtres  &  des  autres  Minifir  es 
des  Sacrifices.                                           48* 
ÇHAP.  XIII.  Des  Fêtes  des  Grecs  &  des  Ro- 
mains.                                                  S]6 
ÇHAP.  XIV.  Des  Supplications  publiques y  des 
Lettijïernes,  des  Evocations ,  &  des  Dévoue* 
mens.                                                       *42 
CHAP.  XV.  Des  Cérémonies  Religieuses  prati- 
quées a  la  fondation  des  Villes.               $  6o. 


LA  MYTHOLOGIE 


I  A 


MYTHOLOGIE 

ET  LES  FABLES 

EXPLIQUEES 

PAR    L'HISTOIRE. 


LIVRE   PREMIER, 

Qui  contient  les  Que  fiions  pr  éliminai* 
res  ,  dont  l'intelligence  ejl  nécejjairc 
pour  F  étude  de  la  Mythologie. 

||  V  a  N  T  que  d'entrer  dans 
le  détail  de  la  Mythologie  y 
Se  dans  l'explication  des  Fa- 
-  blés  qui  4a  compofent  ,  j'ai 
Crû  qu'il  étoit  nécefTaire  d'examiner  au- 
paravant plufieurs  questions  générales, 
dont  rintelligence  fera  très-utile  à  ceuç 
gui  liront  cet  Ouvrage. 

Tome  If  *     ^ 


2         La  Mythologie  &  les  Fables 

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CHAPITRE   I. 

Réflexions  générales  fur  la  Mythologie. 

LA  connoiffance  de  la  Mythologie 
n'efl:  pas  fans  doute  aujourd'hui  fi 
néceffaire  ,  qu'elle  le  parut  aux  pre- 
miers Pères  de  PEglife  ,  qui  avoient  en- 
trepris d'établir  la  Religion  Chrétienne 
fur  la  ruine  de  l'Idolâtrie  ,  ou  de  ven- 
ger par  de  fçavantes  apologies  cette 
même  Religion ,  des  calomnies  qu'on 
publioit  contre  elle.  Ils  dévoient  pé- 
nétrer les  myftéres  les  plus  cachés  du 
Paganifme  ,  pour  en  faire  connoître 
toutes  les  horreurs  ;  &  ils  avoient  à 
répondre  à  des  Philofophes  fubtils  qui 
pour  diminuer  l'abfurdité  du  culte  qu'on 
leur  reprochoit ,  avoient  recours  à  des 
explications  allégoriques,  qui  fembloient 
donner  un  fens  raifonnable  aux  prati-» 
ques  les  plus  impies.  De  là  les  Ouvra- 
ges de  Porphyre  ,  de  Jamblique  ,  de 
Proclus  ,  de  Photin  ,  &  de  plufïeurs 
autres  Philofophes (  Platoniciens.  De 
là  les  Apologies  des  Pères  des  premiers 
fiécles  ,  S.  Juflin ,  Arnobe  ,  Théodo-*- 
ret ,  Laftance  ,  Clément  d'Alexandrie  $ 
Jertyllien  ,  S.  Auguftin  ;  &ç* 


'ExpLyar  PHifl.  Lrv.  I.  Ch.  I.       5 

La  vérité  a  enfin  triomphé  de  Ter- 
reur ;  &  s'il  fe  trouve  encore  parmi  des 
Nations  groiîieres  &  ignorantes  quel- 
ques reftes  des  anciennes  fuperftitions , 
ce  n'eft  pas  la  Religion  qui  les  autorife, 
elles  ont  même  difparu  à  mefure  que  le 
monde  eft  devenu  plus  éclairé. 

J'ofe  cependant  affurer  que  la  con- 
noiflance  de  cette  même  Mythologie 
eft  encore  très-utile.  Elle  fait  une  par- 
tie des  Belles-Lettres  ,  &  elle  fert  infi- 
niment à  l'intelligence  des  Poètes  &  de 
quelques  Hiftoriens  qui.  racontent  les 
anciennes  Fables  ,  ou  qui  y  font  d'éter- 
nelles allufions.  On  les  trouve  partout, 
ces  Fables ,  &  elles  font  encore  le  fujet 
de  la  plupart  de  nos  Pièces  dramatiques 
ou  lyriques  &  de  nos  peintures.  Or,  on 
doit  convenir.  i°.  Que  lors  qu'on  lit 
les  Poètes  &  qu'on  trouve  ces  ancien- 
nes fixions  qu'ils  ont  fçû  employer  avec 
tant  d'art ,  on  a  une  vive  curiefîté  d'en 
vouloir  pénétrer  le  feus,  2\  Que  des 
explications  heureufes  &  démarrées  de 
ce  fatras  d'allégories  &  de  moralités, 
qui  faifoient  tout  le  fond  de  nos  pre- 
miers Mythologues  ,  jettent  une  grande 
lumière  fat  ces  anciens  Auteurs  ,  &  fer- 
vent à  les  entendre  avec  plus  de  facilité. 
Voilà  les  jufte*  bornes  dans  lefquelles  je 

Aij 


4         La  Mythologie  &  les  Fables 
^enferme  Futilité  de  la  Mythologie. 

Je  n'ignore  pas  que  nous  poffedon$ 
fur  cette  matière  un  grand  nombre  d'Où-? 
vrages  tajit  anciens  que  modernes  ;  j'ai 
cru  cependant  qu'il  étoit  encore  nécef-r 
fairjs  d'en  donner  un  qui  fût  &  plus  mé- 
thodique &  plus  complet  que  ceux  que 
nous  avons.  Ce  que  je  vais  dire  de  ceux 
que  j£  connpis  prouvera  ce  que  je  viens 
d'avancer  ;  après  que  j'aurai  exhorté  de 
bonne  foi  ceux  qui  ont  quelque  talent 
pour  cette  matière ,  à  y  travailler  ferieu- 
fement.  Car  on  fe  tromperait  fî  on  s'i- 
maginoit  que  je  croye  l'avoir  épuifée, 
&  on  me  connoîtroit  mal ,  fi  on  me  ju- 
geoit  capable  de  cette  baffe  jaloufîe 
qu'on  a  contre  ceux  qui  portent  lafaulx 
dans  une  moiffon  qu'on  femble  s'être 
réfervée  :  le  champ  que  je  cultive  de* 
puis  tant  d'années ,  eft  affez  vafte  pouf 
recevoir  plufîeurs  ouvriers. 

Comme  ces  réflexions  pourroient  être 
trop  étendues,  je  me  bornerai  à  exami- 
ner dan$  ce  chapitre  quelques  chefs  prin- 
cipaux. Le  premier  ,  quelles  doivent 
être  les  cônnoiffances  d'un  Mytholo- 
gue ,  &  quels  livres  il  doit  avoir  lus. 
Le  fécond ,  quelle  utilité  il  peut  tirer 
des  fyftêmes  déjà  imaginés  pour  l'expli- 
cation des  Fables.   Le  troifiéme  enfin? 


Ëxpl  par  PHtJÎ.  Li v.  ï.  C* .  ï.      f 

Comment  il  doit  fe  conclure  dans  Fex* 
plication  qu'il  veut  en  donner  lui-mê* 
me. 

Article    Premier. 

Quelles  doivent  être  les  connoijfances 
cPun  Mythologue. 

Vu  ntends  par  la  Mythologie  la 
connoifîance  de  la  Fable  ,  &  en  même 
temps  de  la  Religion  Payenne  ,  de  fes 
myfterefr ,  de  fes  cérémonies  &  du  culte 
dont  elle  honoroit  fes  faufles  Divini- 
tés. 

On  conçoit  aifément  que  pour  bien 
fçavoir  la  Fable,  il  faut  avoir  lu  avec 
foin  les  Poètes ,  Homère  &  Heiîode ,  fuf 
tout  les  Tragiques  qui  en  ont  tiré  les  fu* 
jets  de  leurs  Poëmes  ,  &  ceux  qui  en  ont 
fait  des  Recueils  ,  en  vers ,  comme  Ovi- 
de ;  en  profe  ,  comme  Àntonînus  Libe- 
ralis ,  Diodore  de  Sicile ,  Apollodore  > 
Hygin  &  quelques  autres. 

Sçavoir  à  fond  la  Fable ,  n'eft  à  pro- 
prement parler  que  la  première  démar- 
che du  Mythologue.  Comme  les  Fa- 
bles renferment  plufieurs  fens ,  &  qu'el- 
les font  comme  autant  d'enveloppes  fous 
lefquelles  les  Anciens  ont  caché  plu- 
sieurs vérités  ;  ceux  qui  fe  font  mis  en 
ftat  de  les  expliquer  ;   fe  font  jette* 


*>  La  Mythologie  &  les  Fables 
dans  difFerens  partis ,  &  chacun  a  cru  y 
découvrir  ce  que  le  tour  de  fonefprit, 
ou  le  plan  de  fes  études  Font  porté  à  y 
vouloir  trouver.  Le  Phyficien  y  a  ap- 
perçû  les  myfteres  de  la  nature  ;  le  Po- 
litique ,  des  règles  pour  la  conduite  des 
Etats  ;  le  Philofophe  ,  la  morale  ;  le 
Chimifte  ,  les  fecrets  de  fon  art;  ainiî 
des  autres.  De  là  tant  de  fyilêmes  dif- 
ferens  ,  dont  il  n'y  a  en  a  pas  un  feul  qui 
puiïTe  fatisfaire  à  toutes  les  difficultés  qui 
fe  rencontrent  fur  cette  matière  ,  comme 
onle  verra  dans  la  fuite  de  cesRéfîéxions. 
Les  Fables  font  de  plufieurs  fortes. 
Il  y  en  a  d'Hiiloriques  ,  de  Phyfiques, 
d'Allégoriques ,  de  Morales ,  &  d'au- 
tres qui  ne  font  que  de  fîmples  Apolo- 
gues. Les  premières  font  d'anciennes 
hifloires  mêlées  de  plufîeurs  fîâions  :  fé- 
lon moi  j  elles  font  le  plus  grand  nom- 
bre. Les  Fables  Phyfiques ,  font  celles 
que  quelques  Poètes  Philofophes  inven- 
tèrent ,  comme  quand  on  a  dit  que  l'O- 
céan étoit  le  père  des  Fleuves  ;  que  la 
Lune  époufa  l'air  &  devint  mère  de  la 
rofée  ,  Se  prefque  toutes  les  Cofmogo- 
nies  des  anciens  Peuples^  que  jerappor- 
terai  dans  la  fuite.  Les  Allégoriques 
ctoient  une  efpéce  de  parabole  qui  ca- 
çhoit  quelque  fens   myftique  ,  comme 


ExpL  par  PHift.  Li v.  I.  Ch,  1.      % 

telle  qui  *fe  trouve  dans  Platon  >  de  Po~ 
rus  &  de  Penie  ,  ou  des  richelTe--  &  de 
la  pauvreté ,  d'où  naquit  l'Amour.  Les 
Fables  morales  font  celles  qu'on  a  in- 
ventées pour  envelopper  quelques  véri- 
tés propres  à  régler  les  mœurs  ;  comme 
celle  de  Narciffe  ,  dont  le  but  eft  de  ren- 
dre ridicule  l'amour  propre  ,  quand  il 
eft  pouiTé  trop  loin.  Je  mets  dans  le 
genre  des  Fables  morales  tous  les  apo^ 
logues  ,  où  l'on  fait  prefque  toujours 
parler  les  bêtes  ,  pour  apprendre  aux 
hommes  leurs  devoirs  ,  ou  pour  criti- 
quer leurs  défauts.  Il  y  a  des  Fables  in- 
ventées à  plaifir  ,  qui  paroifTent  n'avoir 
d'autre  fin  que  de  divertir  ,  comme  les 
Fables  Miiéfiennes  &  les  Sybaritides. 
Enfin  il  y  en  a  de  mixtes ,  qui  avec  un 
fond  hiftorique  ,  font  cependant  des  aî- 
lufîons  manifeftes  ou  à  la  morale ,  ou  à 
la  Phyfique. 

Le  Mythologue  doit  avoir  une  ex- 
trême attention  à  démêler  &  à  pénétrer 
tous  ces  fens  ,  &  ne  pas  croire  qu'une 
Fable  eft  purement  phyfique  ou  morale, 
parce  qu'elle  fait  allufion  ou  à  la  mo- 
rale ou  à  la  phyfique  ;  ou  qu'elle  eft  en- 
tièrement hiftorique  ,  parce  qu'on  y  dé- 
couvre quelque  événement  ;  &  c'eft  un 
#cueil  que  n'ont  pas  évité  la  plupart  de 

A  iiij 


J8         La  Mythologie  &  les  Tables 
ceux  qui  ont  voulu  expliquer  les  Fables; 
Pour  ce  qui  regarde  l'intelligence  de 
la  Religion  payenne  &  de  fes  myftéres, 
.dont  les  Fables  faifoient  le  fond  prin- 
cipal ,  quelles  connoiflances  ne  doit  pas 
avoir  acquifes  un  Mythologue  ?  Outre 
tous  les  Poètes  &  les  Hiftoriens ,  il  doit 
avoir  lu  principalement  les  Ouvrages 
des  Philofophes  qui  vécurent  au  com- 
mencement du  Chriftianifrrie  ;  &  ceux 
des  Pères  &  des  Apologiftes  de  la  Re- 
ligion chrétienne  ,   qui  les  attaquoient, 
ou  qui  fe  défendoient  de  leurs  calom- 
nies :  j'entends  ,  S.  Juilin  Martyr  ,  Eu- 
febe  |  Clément  d'Alexandrie  ,  Laftance, 
Theodoret  ,  Arnobe ,  fur-tout  les  Li- 
vres de  la  Cité  de  Dieu  de  S.  Auguftin. 
Pour  n'avoir  indiqué  au  Mythologue 
<jue  ces  anciens  Auteurs ,  je  ne  le  dif- 
penfe  pas  pour  cela  ,  de  la  lefture  d'une 
infinité  d'autres  Ouvrages  :  car ,  comme 
une  bonne  Mythologie  ,  telle  que  je 
conçois  qu'elle  devroit  être  ,  doit  con- 
tenir tout  ce  qui   regarde  ,  outre  les 
dogmes  de  la  Religion  payenne  &  les 
cérémonies  religieufes ,  toutes  les  autres 
branches  de  cette  Théologie  ;  les  Prê- 
tres ,  &  leurs  vêtemens  ,  les  Temples , 
les  marques  fymboliques  de  leurs  Dieux, 
ies  f^çrifiçes  ;  les  vi&imes  différentes  t 


Expl.par  PHiJi.  Liv.  I.  Ch.  I.     9 

les  Myfteres ,  les  Augures  &  Arufpices, 
les  Oracles ,  les  Sorts ,  les  Jeux ,  les  Fê- 
tes ,  les  Autels ,  &c.  &  fur  cela  je  dois 
lui  indiquer  les  Auteurs  qu'il  doit  con- 
fulter ,  fans  prétendre  néanmoins  lui  en 
donner  une  Lifte  complette.     Sur  les 
Temples,  les  Devins  &  les  Oracles,  il 
doit  lire  Van-Dale  ,  &  le  Traité  de  Ju- 
les-Cefar  Boulanger  ;  fur  les  Fêtes  ,  Fa- 
foldus  j  Caftellanus ,  Jean  Jonflon ,  Se 
Meurfius  ;  pour  les  Jeux  parmi  lefquels 
la  Religion  étoit  mêlée ,  le  même  Meur- 
fius ;  pour  les  Autels ,  le  Traité  qu'en  a? 
fait  le  Père  Berthold  ;  pour  les  Myfte- 
res de  Cerès  &  deBacchus ,  Jean-Henri 
Éggelin  ;  &   pour  les  Bacchanales  en- 
particulier  ,  Jean-Nicolas  ;  pour  ceux 
de  Cerès  ou  Eleufîniens ,  Meurfius  ,  & 
M.  le  Clerc  qui  Fa  rendu  plus  métho- 
dique &  plus  net  ;  pour  ceux  de  Mi- 
thras  ,  M.  délia  Torre  Evêque  d'Adria  ; 
pour  ceux  d'Atys  &  de  Cybeie ,  Lau- 
rent Pignorius  ;  pour  ceux  dTïis  &  d'O- 
firis ,  le  Traité  de  Plutarque  fur  ce  fu- 
jet,  &  le  même  Pignorius  ;  pour  l'O- 
racle de  Dodone  en   particulier,  Hé- 
rodote ,  le  Fragment  d'Etienne  de  By~ 
zance  le    Grammairien  ,  avec  les  No- 
tes de  Jacques  Triglandius  ,  &  ce  que 
JVL  FAbbé  Sallier  en  a  donné  dans  nos 

A  y 


10  La  Mythologie  &  les  Fable f 
Mémoires  ;  pour  les  Afyles  ,  Jean  O* 
(O  i.voi  fîander,  &feu  M.  l'Abbé  de  Bôiffi  ;  (i) 
Sede  pour  les  Sorts  ,  les  Augures ,  &  les  au- 
des  Belles-  très  Preftigcs  ,  Jules-Cefar  Boulanger  : 
•Leitres*  en  général  pour  plufîeurs  cérémonies  ÔC 
coutumes  religieufes ,  Pitifcus  &  Rofîn; 
bien  entendu  ,  comme  l'a  remarqué  Rei- 
neiîus  5  qu'il  ne  faut  ajouter  foi  à  ce  der- 
nier j  que  quand  il  rapporte  les  paflages 
des  Anciens.  Pour  les  vœux  ,  les  Ta- 
bles votives ,  le  Traité  de  Jacques-Phi- 
lippe Thomafînus.  Sur  ce  qui  regarde 
les  fermens  ,  toujours  liés  avec  la  Reli- 
gion ,  le  petit  Traité  de  J.  B.  Hanfe- 
nius  ;  pour  les  facrifices  &  les  Prêtres , 
Merula.  Enfin  ,  on  peut  lire  ce  que 
Dom  Bernard  de  Montfaucon  a  tiré  de 
ces  Auteurs ,  &  de  pluiîeurs  autres,  dans 
fon  Antiquité  expliquée  par  les  figures  ; 
Se  un  grand  nombre  d'autres  morceaux 
répandus  dans  le  Trefor  de  Graevius 
&  de  Gronovius  ,  &  dans  les  Mémoi- 
res de  l'Académie  des  Belles-Lettres. 

On  m'objeftera  fans  doute  que  nou-s 
avons  déjà  des  Mythologies  toutes  faites, 
&  un  grand  nombre  d'Auteurs  qui  ont 
travaillé  fur  les  Fables.  Je  le  fçais  ,  & 
c'efl  par  un  court  examen  de  ces  ouvra- 
ges que  je  vais  tâcher  d'en  faire  connox- 
tre  le  mérite.  Je  ne  parlerai  poiiit  ck? 


rExpl  par  PHijî.  Liv.  L  Ch.  I.    i  ï 

€)iodore  de  Sicile  ,  ni  d'Apollodore  ,  ni 
d'Hygin  ,  parce  qu'ils  iront  fait  que  re- 
cueillir les  Fables  ,  comme  Ovide  ,  An- 
toninus  Liberaiis ,  &  quelques  autres  , 
fans  les  ramener  à  aucun  fens  raifonna- 
ble.  Palephate  qui  a  voulu  les  expliquer, 
eft  un  guide  peu  far.  Les  cinquante  Nar- 
rations de  Conon  ne  font  guéres  d'une 
plus  grande  utilité.  Heraclide  &  un  Au- 
teur anonyme ,  dont  nous  avons  deux 
Traites  des  chofes  incroyables ,  ont  à  la 
vérité  ramené  à  l'Hiftoire  les  Fables 
qu'ils  rapportent  ;  mais  ces  ouvrages , 
ou  peut-être  ces  fragmens  ,  font  trop 
courts  &  ne  contiennent  aucune  autorité 
pour  prouver  les  faits  qu'ils  avancent. 
Les  Catafterifmes  d'Eratoftene  le  Cy-  - 
rénéen  ,  ouvrage  beaucoup  moins  éten- 
du que  celui  d'Hygin,  contiennent  l'hif- 
toire  des  constellations  &z  de  quelques 
étoiles  ;  &  pour  bien  connoitre  le  ciel 
Poétique  &  Agronomique  il  faut  les 
avoir  lus  ,  auffi-bien  que  le  Traité  de 
Cœfius  ou  Elaeu  5  fans  négliger  même 
ce  qu'a  fait  fuf  le  même  fujet  l'Abbé 
l;Artigaut.  Le  livre  de  Pharnutus  fur  la 
Nature  des  Dieux  ifeflE  rempli  que  d  al- 
légories ,  &  n'eft  prcfque  d'aucun- ufage 
pour  un  Mythologue.  L'ouvrage  du 
'Ehiluforhe  Saiîufte  ;  eft  un  Traité  trèsr 

A  vj 


12  La  Mythologie  &  les  Fable f 
fuccinft  ,  mêlé  de  Morale  &  de  Phyfc 
que  ,  qui  ne  contient  rien  ni  d'inftruftif  9 
ni  de  fingulier.  On  peut  juger  fur  le  feul 
titre  du  livre  d'Heraclide  de  Pont ,  in- 
titulé Les  Allégories  d'Homère ,-  du  cas 
que  Ton  doit  faire  de  cet  ouvrage.  Les 
trois  premiers  Livres  de  Planciade  Fui- 
gence  ,  Mythologue  latin ,  peuvent  être 
lus  avec  utilité.  L'ouvrage  de  Laftance 
Placide  ne  contient  que  les  Argumens 
abrégés  des  Métamorphofes  d'Ovide  , 
Se  celui  du  Philofophe  Albricus  la  ma- 
nière de  reprefenter  les  Dieux  avec  leurs 
fymboles.  Ce  que  nous  avons  de  Ptolo- 
mée  Epheftion  n'eft  que  le  fommaîre  des 
fept  livres- qu'il  avoit  compofés  fur  la 
Mythologie  ;  &  par  ce  qui  nous  en  refte, 
nous  devons  regretter  la  perte  de  cet 
ouvrage.  Celui  de  Parthenius  de  Nice  a 
cela  de  bon  qu'il  tire  d'anciens  Auteurs 
les  hiftoires  fabuleufes  qu'il  raconte  , 
mais  il  n'en  contient  pas  un  grand  nom- 
bre. Les  Métamorphofes  d'Antoninus 
Liberalis  font  d'un  mérite  bien  inférieur 
à  celles  d'Ovide,  mais  il  en  rapporte 
quelques  unes  dont  le  Poète  latin  ne  par- 
le pas. 

Pour  venir  maintenant  aux  Mytholo- 
gues modernes ,  je  vais  dire  ce  que  je 
penfe  de  «eux  que  j'ai  lus.  Je  mets  à  lèxui 


ËxpL  par  mift.  Lïv.  ï.  Chap.  T.  rj 

tête  Natalis  Cornes ,  Auteur  fçavant ,  ôc 
qui  nous  difpenferoit  peut-être  de  tra« 
vailler  fur  le  même  fujet ,  iî  trop  préve-- 
nu  pour  les  fens  allégoriques  &  moraux' 
des  Fables  ,  il  s'étoit  un  peu  plusappli- 
que  à  n'en  pénétrer  que  Phiftoire.  Ilman- 
quoit  d' ailleurs  des  fecours  que  les  Bo- 
chart ,  les  Voiïîus ,  &  tant  d'autres  nous 
ont  fournis  depuis  par  leurs  fçavantes  dé* 
couvertes.  La  Mythologie  de  Cartari , 
continuée  par  du  Verdier.n'a  rien  de  bien 
inftru&if ,  ni  de  bien  digéré.  La  Généa- 
logie des  Dieux  par  Bocace  ,  a  cela  de 
particulier  ,  que  l'Auteur  a  connu  &  ci" 
té  des  livres  qui  ne  fe  trouvent  plus  au- 
jourd'hui. L'ouvrage  de  Lylio  Gyraldï 
eft  très-bon  pour  ce  qu'il  copient  ;  mais 
outre  qu'on  n'y  trouve  pas  tous  les  fujets 
qui  doivent  entrer  dans  une  Mytholo- 
gie, il  a  négligé  l'hiftoire  renfermée  dans 
fes  anciennes  fiétions  ;  ce  qu'il  a  de  meil- 
leur eft  la  lifte  des  furnoms  des  Dieux 
dont  il  parle ,  &  qui  paroît  faite  avec 
beaucoup  de  foin  ,  quoiqu'il  ait  fouvent 
négligé  de  donner  l'explication  de  ces. 
noms.Le  Commentaire  de  Vigenere  fur 
les  Tableaux  de  Philoftrate  eft  très-fça- 
vant ,  mais  trop  mêlé  de  Phyfîque  &  de 
Morale  ,  ôc  d<$S  un  langage  qu'on  Btf 


f  4     La  Mythologie  &  les  Fabkf 

Article     IL 

Quels   écueils  il  doit  éviter. 

Àpre's  avoir  traité  des  connoiflànces 

préliminaires  que  doit  acquérir  un  My- 
thologue ,  je  vais  lui  montrer  les  écueils 
qu'il  doit  éviter  ,  par  rapport  aux  fyftê- 
mes  qu'on  a  inventés  pour  expliquer  les 
Fables  ;  car  comme  il  n'y  en  a  aucun  qui 
fatisfafle  à  toutes  les  difficultés;  point  de 
règles  générales  qui  puiflent  fervir  dans 
toutes  les  occafîons  ;  on  peut  aïïïïrer  ce- 
pendant qu'il  n'y  a  aucun  de  ces  fyfté- 
mes  dont  on  ne  puilTe  tirer  quelque  uti- 
lité. 
Examen  des      Un  des  premiers  &  des  plus  anciens  eft 
quWpropo-  celui  des  Philofophes  Platoniciens  ,  qui 
fés   les  Sça-  preffés  par  les  objections  des  Apologif- 
€xpiiquer°  L  tes  delaReligion  Chrétienne ,  dont  Tob- 
Fables.  jet  étoit  de  leur  prouver  l'abfurdité  du 

Paganifme  par  celle  des  Fables  qui  en 
faifoient  le  fond  ,  prétendirent  que  ces- 
Fables  n'étoient  que  des  allégories  qui 
cachoient  de  grands  myfieres,  &  fur  tout 
celui  des  productions  différentes  des  cau- 
fes  fécondes  ,  animées  par  le  même  ef- 
prit  qui  les  avoit  déveiopées  &  tirées 
du  chaos  où  elles  étoient  confondues  : 
que  ce  grand  nombre  de  Dieux  ,   dont 


Expl.par  PHîfi.Liv.  I.  Chà*.L    rjr 

€>n  leur  reprochoit  le  culte  ,  n'étoieng 
que  des  Génies  d'un  ordre  inférieur  aix 
premier  moteur  ,  qui  leur  avoit  confié 
le  foin  de  gouverner  le  monde  ;  &  qu'en- 
fin des  chofes  qui  paroiffoient  ou  ab- 
furdes  ou  obfcénes,  cachoient  feulement 
le  myftere  de  la  génération  des  plantes 
&  des  animaux, 

Mon  objet  n'eft  point  de  rapporter  ici 
les  réponfès  des  Pères ,  qui  prouvoient 
à  ces  Philofophes  que  les  Fables  étoient 
de  véritables  hiftqires  de  leurs  Dieux  , 
dont  ons'avifoit  trop  tard  de  couvrir  les 
crimes  par  d'ingénieufes  allégories;  ni 
ce  qu'ils  répliquoientaux  Stoïciens  ,  qui 
n'abandonnoient  la  Religion  établie , 
qu'en  fe  jettant  dans  Pathéifme,  &  ne  re- 
connoiffant  d'autre  divinité  qu'un  Efprit 
univerfel,  étendu  comme  la  matière  qu'il 
animoit  :  ce  que  Virgile  (  i  )  a  exprimé  (l)yEw#^, 
dans  ces  deux  vers,  i.  *. 

Sprints  intus  dit ,  totamque  irrfufa  fer 

anus 
Mens  agitât  molem  >  &  magno  fe  corfore 

mifcet, 

Tel  étoit  en  effet  le  fentiment  favori 
des  Stoïciens  (2)  ,  de  Straton  ,  de  Pro-  wlCtlih  t 
fcigoras  ,  de  Pline,  renouvelle  depuis  -de  lui.  d**, 


t  S  La  Mythologie  &  les  Vallès 
par  Spinofa.  Mais  lefyftême  que  je  vieflî 
d'expofer,  quoique  faux  en  général,  par- 
ce que  les  Fables  n'ont  jamais  été  un 
ouvrage  médité  ,  ni  compofë  pour  faire 
un  tout,explique  cependant  d'une  maniè- 
re très-ingénieufe  ,  les  allégories  qu'el- 
les renferment  quelquefois  ;  &  Platon 
lui-même ,  le  maître  des  Philofophes  qui 
formèrent  ce  fyftême  ,  en  avoit  expliqué 
quelques  unes  fur  ce  principe. 

Quelques  Sçavans  du  dernier  fîécîe 
ont  pris  une  autre  route  pour  pénétrer 
le  fens  des  Fables.  Le  Père  Kirker  a 
prétendu  en  trouver  le  dénouement  dans 
l'explication  des  Hiéroglyfes ,  ou  de  la 
langue  facrée  des  Egyptiens  ;  &  cette 
prétention  eft  faufle  en  général ,  &  nul- 
lement fûre  ,  par  le  peu  de  connoifTance 
que  nous  avons  de  ce  langage  myfté- 
rieux  ,  &  parce  qu'en  effet  toutes  les  Fa- 
bles ne  font  pas  originaires  d'Egypte. 
Cependant ,  comme  ce  pays  a  été  peu- 
plé des  premiers  ,  &  peu  de  temps  après 
la  difperfîon  des  fils  de  Ncë,  &  que  les 
Fables  paroiffent  auffi  anciennes  que 
cette  première  féparation  ,  puifque  l'I- 
dolâtrie avec  laquelle  elles  font  liées, 
commença  alors ,  rien  n'effc  plus  utile 
pour  leur  intelligence  ,  &  pour  mettre  le 
Mythologue  en  état  de  lf g  expliquer  A 


Expl.  fat  TElfl.  Liv.  I.  Chat».  I  Vj 

<que  la  connoifTance  de  la  Religion  & 
des  Cérémonies  de  cet  ancien  Peuple  ;  6c 
pour  cela  YOedipus  sEgyptiacus  de  ce 
fçavant  Jefuite  peut  être  lu  avec  uti* 
lité. 

Le  célèbre  Bochart  a  cru  trouver  Fex* 
plication  de  la  plupart  des  Fables  dans 
les  équivoques  de  l'ancienne  langue  des 
Phéniciens  ;  mais  fon  fyfteme  feroit  in-» 
foutenable  iî  on  l'étendoit  trop.  Toutes 
les  Fables  n'ont  pas  été  inventées  par  les 
Phéniciens  ,  &  nous  ne  pouvons  pas 
nous  aflîirer  d'entendre  aïîez  leur  lan- 
gue ,  pour  reùflir  à  expliquer  celles  qu'ils 
inventèrent.  Cependant  il  eft  certain  que 
les  Phéniciens  font  les  premiers  Peuples 
qui  ont  exercé  le  commerce  &  la  naviga- 
tion. D'ailleurs  on  ne  fçauroit  douter 
qu'on  n'ait  trouvé  dans  prefque  toutes 
les  Mes  de  la  Méditerranée ,  fur  les  côtes 
de  l'Afie  mineure ,  dans  la  Grèce ,  &  ju£ 
qu'au  fond  même  de  TEfpagne  ,  des 
marques  de  leur  féjour  dans  ces  différent 
Pays3&  des  veftiges  de  leur  Religion  :  ôC 
dès  là  quelles  lumières  la  connoifTance 
des  Langues  ne  peut-elle  pas  répandre 
furies  Fables  ,  &  quels  fecours  ne  peut- 
on  pas  tirer  des  ouvrages  de  ce  fçavant 
homme  ?  Que  d'explications  heureufes 
liVt'il  pas  données  lyi-nieme }  o\j  n'a  j,'j) 


t8       La  Mythologie  &  les  Fables 

Cas  fournies  à  M.  le  Clerc  en  particulier, 

Se  à  tant  d'autres  ? 

Le  fyftême  de  ceux  qui  rapportent 
toutes  les  Fables  à  l'Ecriture  Sainte  mal 
entendue  ,  &  à  des  traditions  corrom- 
pues ,  efl  certainement  faux ,  lorfqu'il  effc 
pris  dans  fa  généralité.  Il  y  à  dans  les  Fa- 
bles une  infinité  de  chofes  qui  n'ont  au- 
cun rapport  avec  les  faits  qu'on  trouve 
dans  les  Livres  Saints;  lefquels  d'ailleurs 
étoient  confervés  par  un  Peuple  jaloux 
de  fa  Religion9nullement  communicatif , 
fort  meprifé ,  &  peu  connu  avant  les  con- 
quêtes d'Alexandre,  Cependant  il  eft  ai- 
fé  de  fe  convaincre  par  la  left'ure  des  ou- 
vrages du  P.Thomaflïn ,  de  M.  Huet ,  de 
1* Auteur  de  l'Homère  Hebraïzant ,  dans 
le  livre  intitulé  Theologia  Gentilis  de  Da- 
niel Clafenius ,  dans  la  Conférence  de  la 
Fable  avec  l'Ecriture  Sainte  ,  &  plus  en- 
core dans  les  Reflexions  de  M.  Four- 
mont  l'aîné  fur  les  anciens  Peuples,qu'on 
peut  réùffir  à  découvrir  dans  les  ancien- 
nes fi&ions,  quelques  reftes  des  traditions 
des  Hébreux.  Mais ,  pour  dire  ici  ce  que 
je  penfe  fur  ce  fujet ,  il  n'y  a  aucun  des 
Auteurs  que  je  viens  de  nommer ,  qui  ne 
foit  allé  trop  loin.  Il  eft  dangereux  de  fe 
laifler  éblouir  par  les  premières  lueurs  de 
^eiïemblance  qui  nous  frappent  yôc  c'eft 


Expl.  par  PHiJï.  Liv.  I.  Chàp.  I.  ip 
tin  écueil  contre  lequel  de  fçavans  hom- 
mes ont  échoué.  Si  feu  M.PEvêque  d' A~ 
vranches  s'étoit  contenté  de  dire  qu'il  n'é- 
toit  pas  difficile  de  trouver  quelques  rap- 
ports entreMoyfe&leMercuredesGrecs; 
rapports  d'ailleurs  qui  pouvoient  fort  na- 
turellement fe  trouver  entre  deux  perfon- 
nés ,  foit  dans  le  cara&ére ,  foit  dans  quel- 
ques unes  de  leurs  aftions ,  il  feroit  loua- 
ble d'en  avoir  fait  le  parallèle  ;  mais  que 
charmé  de  cette  découverte,  il  l'ait  pouf- 
fée  jufqu'à  croire  que  le  Législateur  des 
Hébreux  avoit  été  le  modèle  de  prefque 
tous  les  Dieux  des  Payens ,  comme  Ma* 
rie  fa  fœur ,  ou  Sephora  fa  femme  ,  ce- 
lui de  toutes  leurs  Déefles  ;  c'eft  un  de 
ces  écarts  où  une  trop  grande  érudition 
jette  quelquefois,  (a) 

Que  les  voyages  d'Abraham  &  ceux 
du  même  Moyfe  ayent  été  connus  des 
Payens  ,  c'eft  un  fait  qu'il  ne  feroit  peut- 
être  pas  difficile  de  prouver  ;  mais  que 
ces  voyages  &  les  prodiges  qui  y  furent 
opérés  ,  ayent  été  l'objet  des  anciens 
Poètes  dans  l'hiftoire  de  Jafon  ,  &  de 
l'expédition  des  Argonautes ,  c'eft  une 
prétention  que  tous  les  efforts  d'un  Au-*- 


(  a  )  Voyez  la  quatorzième  fource  des  Fables  C  J»  oà 
Von  développe  plus  au  long  cette  penfée* 


2o     La  Mythologie  &  les  Fables 
TOConfer  teur  m°dcrne  n'ont  pu  rendre  proba- 
'  ble.  (i) 

De  même  ,  quoiqu'il  foit  certain  que 
ce  n'eft  point  du  fein  de  l'erreur  qu'eft 
fortie  la  vérité ,  mais  que  c'eft  la  vérité 
elle-même  mal  entendue  qui  a  produit 
ce  grand  nombre  de  Fables  qui  ont  fé- 
duit  pendant  plufieurs   fïécles  l'univers 
jprefque  entier;  &  que  par  conféquent 
ceux  quri  ont  cherché  à  découvrir  cette 
ancienne  vérité  dans  le  fond  même  de 
l'erreur ,  foient  dignes  de  louanges ,  oft 
ne  fçauroit  s'empêcher  de  les  blâmet 
d'avoir  voulu  porter  trop  loin  leurs  con* 
jeftures  :  comme  d'avoir  avancé  ,  pat 
exemple,  qu'on  trpuvoit  des  veftiges  du 
tnyftere  de  la  Trinité ,  ou  dans  les  ou- 
vrages de  Platon ,  &nfî  que  S.  Juftin , 
Eufebe ,  Clément  d'Alexandrie ,  &  quel-* 
«jues  autres  fe  le  font  imaginé  ;  ou  dans 
les  (îgures   hieroglyfîques  de  la  Table 
Ifîaque,  comme  d'autres  l'ont  cru;  ou 
dans  les  Divinités  des  anciens  Germains , 
ainfî  que  l'a  avancé  Cluvicr  ;  ou  dans  les 
trois  principaux  Dieux  des  Indes  Orien- 
tales ,  Brama ,  Vichnou  &  Routren  ;  ou 
dans  lTdole  à  trois  têtes  du  Japon  ;  ou 
dans  celle  du  Pérou  ,  nommée  Tanga- 
Tanga ,  nom  qui ,  félon  Acofia ,  fïgnifîc 
çn  (n  trçis  k  p^  mis  m  un  i  ç'eft  vqylog 


lïxpL  par  PBift.  LlV- 1.  CffÀf.  I  2» 
fe  diftinguerpar  des  fçavantes  fîngula* 
rites  ,  aux  dépens  de  cette  même  vérité 
jqu'on  fe  fait  honneur  de  chercher.  Dieu 
auroit-il  révélé  à  ces  Peuple  cet  ineffa- 
ble myftére ,  d'une  manière  plus  clairQ 
qu'il  ne  Pavoit  révélé  aux  Hébreux  ? 

Que  tous  les  hommes  qui  habitent  la 
terre ,  foient  fortis  d'une  même  tige ,  c'eft 
une  vérité  que  la  Religion  nous  oblige 
de  croire  :  que  quelques  uns  d'eux  ayenï 
confervé  ,  même  après  une  longue  fépa- 
ration  Je  fouvenir  de  ces  fortes  d'évene-* 
mens,qui  ne  font  pas  de  nature  à  être  ou- 
bliés ,  comme  le  Déluge,  c'eft  une  vérité 
qu'on  ne  fçauroit  guère  contefter.malgré 
la  manière  différente  dont  les  Peuples  les 
plus  éloignés  de  nous,en  ont  raconté Phif- 
toire  à  ceux  qui  les  ont  découverts  ;  mais 
vouloir  trouver  parmi  eux  des  refies  de 
nos  myftéres  ;  une  conformité  marquée 
entre  leurs  mœurs  &  celles  de  nos  pre- 
miers Patriarches  ;  leur  fuppofer  une  no-* 
tion ,  même  affez   exafte ,  des  Orgyes 
de  Bacchus  ,  des  myftéres  d'Ifîs  &  cTO- 
fïris ,  de  la  Fable  de  Jafon  &  de  Medée  , 
&c.  c'eft  un  de  ces  excès  où  ne  manquent 
gueres  de  tomber  ceux  qui  frappés  d'a- 
bord par  quelques  traits  de  vraifemblan* 
ce ,  commencent  par  former  un  fyftême  , 
qu'ils  cherchent  eafuite  à  jyftifîer  par  de§ 
parallèles  fo,i*césa 


*z       La  Mythologie  &  les  Tables 

Le  fyftême  de  ceux  qui  rapportent  les 
Fables  à  l'Hiftoire  ancienne,mais  défigu- 
rée par  lesPoëtes5qui  ont  été  les  premiers 
Hiftoriens;fyftême  qui  paroît  aujourd'hui 
le  plus  goûté ,  &  que  j'ai  fuivi ,  encoura- 
gé par  le  fuccès  de  quelques  Sçavans  du 
dernier  fiécle  ,  qui  ont  fi  heureufement 
expliqué  quelques  Fables  particulières , 
auroit  aufli  fes  inconveniens  fi  on  vouloit 
généralement  tout  rapporter  à  l'Hiftoi- 
te  ;  puifqu'il  eft  fur  qu'il  y  a  des  Fables 
qui  ne  font  que  de  pures  allégories,  ou 
à  quelque  vertu ,  ou  à  quelque  vice  ,  ou 
enfin  aux  productions  de  la  nature  ;  d'au*- 
très  dont  le  fond  eft  hiftorique ,  quoique 
pour  nous  les  débiter ,  on  fe  foit  fervi  de 
l'allégorie ,  comme  dans  la  Fable  des  en- 
fans  de  Niobé  ,  qui  périrent  dans  la  con-* 
tagion  qui  affligea  la  ville  de  Thebes ,  <5c 
qu'on  dit  poétiquement  avoir  été  tués 
par  Apollon  &  par  Diane  ,  parce  qu'on 
attribuoit  les  morts  fubites  &  celles  que 
caufoit  la  pefte  ,  à  Appollon  pour  les 
hommes ,  &  à  Diane  pour  les  femmes  , 
ainfi  qu'on  le  voit  en  cent  endroits  d'Ho- 
înere  ;.&  cela  parce  qu'on  croyoit  que  la 
contagion  étoit  l'effet  des  influences  du 
Soleil  6c  de  la  Lune  ,  marquées  par  les 
flèches  de  ces  deux  Divinités. 
,Ce  fyilême  pris  avec  ces  modifications 


Expl  par  rHiJl.  Lrv.  I.  Cktap.  î.  aj* 
Se  quelques  autres  encore  ,  efl  le  plus 
raifonnable ,  &  celui  qui  fatisfait  le  mieux 
dans  les  détails  :  bien  entendu  qu'on  ne 
doit  point  entreprendre  d'expliquer  tou-» 
tes  les  circonflances  de  chaque  Fable  , 
&  que  pour  bien  réiiffir  à  les  expliquer  , 
il  faut  les  prendre  dans  les  Poètes  les  plus- 
anciens  ,  dans  Homère  ,  par  exemple  ,  & 
dans  Hefîode ,  où  elles  font  beaucoup 
plus  lîmples ,  &  annoncent  plus  naturel-* 
lement  les  faits  aufquels  elles  fe  rapport 
tent  ;  &  cela  quelquefois ,  fans  tous  ces 
ornemens  qu'on  y  a  mêlés  dans  la  fuite  , 
ou  pour  les  rendre  plus  refpeftables,  par-, 
ce  qu'elles  faifoient  partie  de  laReligion, 
ou  plus  furprenantes ,  parce  que  l'hom- 
me aime  naturellement  le  merveilleux.  Je 
pourrais  en  rapporter  plufîeurs   exem- 
ples ,  mais  je  me  contente  de  celui  de 
Bellerophon ,  dont  Phîftoire  efl  racontée 
fort  au  long  dans  l'Iliade  ,  fans  qu'il  foie 
fait  mention  du  Cheval  Pegafe,qu'on  dit 
dans  la  fuite  que  Minerve  avoit  dompté 
pour  le  donner  à  ces  Héros.  Cet  ancien 
Poète  ne  parle  pas  aufîï  des  Centaures  9 
félon  l'idée  qu'on  en  a  eu  dans  la  fuite  : 
il  les  repréfentent  commodes  gens  féro- 
ces &  brutaux  ,  &  nullement  comme  des 
monflres  demi-hommes  ,  demi-chevaux; 
&  je  crois  que  c'eft  Pindare  qui  le  pre^ 
jB?ier  les  a  peints  de  h  forte? 


£4    Là  Mythologie  &  les  Fallet 

Je  ne  dis  pas  qu'une  Fable  n'étoïf  pa& 
inventée  du  temps  de  ces  anciens  Poètes* 
parce  qu'ils  n'en  parlent  pas.  Ils  n'ont  pas 
eu  occafîon  ni  le  deiïein  de  faire  men* 
taon  de  toutes  :  voici  comme  je  l'entends. 
Xorfqu'ils  racontent  une  Fable ,  ce  qu'ils 
n'en  rapportent  pas  paroît  n'avoir  été 
inventé  qu'après  eux  :  ainfi  par  exemple  » 
Hefiode  dit  que  Jafon  eut  de  Medée , 
Medus ,  Se  ne  dit  rien  de  plus  ;  d'où  je 
conclus  que  ce  n'eft  qu'après  lui  qu'on 
rajouté  à  cette  Fable  ,  que  ce  Medus 
étoit  perc  des  Medes,  Hefiode  n'avoit 
garde  de  le  dire ,  puifque  les  Medes ,  qui 
tt'ont  commencé  à  paraître  qu'environ 
^jo.ans  avant  Jefus-Chrift,ne  pouvoient 
pas  être  connus  d'un  Poè'te  qui  vivoit 
•près  de  900.  ans  avant  cette  époque. 
Quand  le  même  Po€te  parle  de  Maïa, 
une  des  Pléiades  ,  &  mère  de  Mercure , 
îi  ne  dit  rien  de  fes  fix  autres  fœurs ,  qui 
avec  elle  avoient  formé  la  Conftellation 
des  Pléiades  ;  encore  moins  de  la  feptié- 
me  de  ces  filles ,  nommée  Merope,  qui  fe 
cache  ,  difent  les  Poètes  pofterieurs  , 
parce  qu'elle  avoit  été  la  feule  qui  eût 
epoufé  un  homfhe mortelles  fœurs  ayant 
été  mariées  avec  des  Dieux.  Cette  Fable 
phyfique  qui  nous  apprend  que  depuis 
long-temps  cette  étoile  s'enfonce  dans  la 

profondeur 


Expl  par  PHijl.  Liv.  L  Cnkv.  L  2f 

profondeur  immenfe  du  ciel ,  &  qui  cft 
rapportée  dans  Ovide  &  dans  Hygin  , 
n'étoit  pas  connue  fans  doute  ,  ni  d'Ho- 
rpere  ni  d'Hefiode. 

Une  autre  règle  qu'il  faut  fuivre  lors- 
qu'on veut  adopter  le  fyftême  hiflorique, 
c'eft  qu'il  faut  bien  fe  convaincre  que  les 
Fables  font  un  tout  mal  aflbrti ,  qui  ne 
fut  jamais  un  ouvrage  médité,  inventé 
dans  un  même  pays ,  ni  dans  un  même 
temps  ,  ni  par  les  mêmes  perfonnes.  J'a- 
vois  fait  cette  çeflex-ion  dans  la  Préface 
de  ma  traduction  des  Métamorphofes 
d'Ovide.  J'avois  prouvé  même  dans  l'Ex- 
plication des  Fables ,  que  l'Egypte  &  la 
Phcnicie  ne  les  avoient  pas  vu  naître 
toutes,  quoique  le  plus  grand  nombre  en 
fut  forti  ;  que  la  Grèce  &  l'Italie  en 
avoient  inventé  plufieurs ,  &  qu'il  y  en 
avoit  d'affez  modernes  :  telle ,  étoit  cel- 
le des  Vaifîeaux  d'Enée ,  changés  par 
Cybele  en  Nymphes  de  la  mer  ;  Fable 
qu'Ovide  a  copiée  de  Virgile  5  fans  que 
fur  cette  tradition  on  puiffe  remonter 
plus  haut  que  le  temps  d'Augufte 

J'ajoute  qu'il  eft  aifé  de  fe  méprendre; 
que  quelquefois  on  regarde  une  Fabl& 
comme  nouvelle  ,  quoiquelle  foit  fort 
ancienne  ,  &  que  pour  ne  point  s'expofer 
à  y  être  trompé, il  faut  en  l'examinant ^ 
Jomç  L  9    B 


ù6  La  Mythologie  &  les  Fables 
voir  s'il  ne  feroit  pas  pofïïble  d'en  décou* 
vrir  l'origine  ;  &  fur  cela  je  crois  qu'on 
peut  avancer  que  les  noms  des  Perfon-* 
nages  de  ces  Fables ,  font  très-  propres 
à  marquer  le  pays  où  elles  ont  pris  naif- 
fance.  Lorfque  ces  noms  font  allufion 
aux  Langues  de  l'Orient ,  comme  par 
exemple  ,  celui  de  Cadmus  ,  on  peut  af- 
fùrer  qu'ils  tirent  leur  origine  de  Pheni- 
cie  ou  d'Egypte.  Quand  ces  noms  font 
Grecs  ,  comme  ceux  de  Daphné  ,  des 
Eliades  ,  des  Myrmidons  ,  d'Alopis ,  de 
Galanthis  ,  &c.  on  doit  croire  que  les 
Fables  qui  regardent  ces  perfonnages  , 
font  d'origine  Grecque  ;  &  enfin  lorfque 
ces  noms  font  Latins  ,  tels  que  ceux  de 
Carmente ,  de  Flore  &  d* Anna  Perenna  f 
on  peut  penfer  que  les  Fables  qu'on  en 
débite  ,  pnt  été  inventées  en  Italie.  Ce 
qui  fert  à  confirmer  cette  règle  ,  c'eft 
qu'on  ne  trouve  point  ces  dernières  fic- 
tions hors  du  pays  Latin ,  ni  les  autres 
hors  de  la  Grèce. 

Mais  cette  règle  a  encore  fon  incon- 
vénient ;  car  fi ,  parce  que  les  noms  de 
Matuta  &  de  Portumnus  font  Latins ,  on 
vouloit  afîïirer  que  leur  Fable  a  pris  naif- 
fance  en  Italie ,  on  fe  tromperoit ,  puifi» 
que  nous  la  trouvons  dans  la  Grèce  fous 
içs  noms  de  Leucothoé  &  dç  Palemoa 


Expl.  par  PHift.  Liv.  L  Chap.  I.  $7 
Se  que  ce  Palémon  lui-même  ,  ainfï  que 
Ta  très-bien  prouvé  Selden ,  (1)  eft  le  (i)Synt.vt 
Melicerte  des  Phéniciens.  C'eft  ainfï  MsSjriis. 
qu'on  peut  découvrir  quelquefois  l'ori- 
gine des  Fables  ,  &  leur  tranfport  de 
l'Egypte  ou  de  la  Phenicie ,  dans  la  Grè- 
ce &  l'Italie  ,  &  dans  d'autres  pays  en- 
core ;  car  il  n'y  en  a  peut-être  aucun, 
où  l'on  n'en  ait  trouvé. 

Il  ne  faut  pas  s'imaginer  cependant 
que  les  Peuples  que  je  viens  de  nommer, 
les  ayent  toutes  inventées  :  l'Afîe  mi- 
neure ,  les  Mes ,  la  Grèce  ,  les  Gaules 
&  PEfpagne  ,  étoient  fans  doute  habi- 
tées par  les  defeendans  de  Japhet ,  dès 
les  premiers  temps;  &  cesPeuples  avoient 
comme  les  autres  Nations  leur  Religion 
Se  leurs  Fables  ,  lorfque  les  premières 
Colonies  d'Egypte  &  de  Phenicie  y  ar- 
rivèrent ;  &  fi  elles  apportèrent  dans  ces 
differens  pays  leurs  Dieux  &  leur  culte, 
ceux  qui  retournèrent  en  Egypte  &  en 
Phenicie ,  &  ceux  de  ces  Peuples  que 
je  viens  de  nommer  qui  y  voyagèrent, 
ne  manquèrent  pas  à  leur  tour  d'y  com- 
muniquer la  connoiiîance  des  Divinités 
qu'ils  honoroient  avant  que  des  étran- 
gers arrivaient  chez  eux.  Hammon  & 
B'elus  ,  par  exemple ,  étoient  les  deux 
premières  Divinités  de  l'Egypte  &  de 


28  La  Mythologie  &  les  Fables 
la  Phenicie  ,  comme  Jupiter  éteit  \ô 
plus  grand  des  Dieux  des  Grecs.  Ce- 
pendant nous  trouvons  dans  l'Antiquité 
la  plus  reculée  ,  que  Belus  &  Hammon 
étoient  auffi  appelles  Jupiter  ;  ce  qui  ne 
peut  être  que  I;efFet  de  ce  commerce  de 
Religion  dont  je  viens  de  parler. 

Les  Peuples  qui  recevoient  les  Divi- 
nités étrangères  ,  faifoient  dans  la  fuite 
des  temps   de    fi    grands    changemens 
dans  le  culte  qu'ils  leur  rendpient  ,  & 
même  dans  leurs  noms  ,  que  fouvent 
*  on  n'en  pouvoit  plus  reconnoître  la  vé- 
ritable origine  ;  &  les  Colonies  qui  arri- 
voient  dans  les  pays ,  où  le  culte  de  leurs 
Dieux  avoit  été  apporté  par  celles  qui 
les  avoient  précédées ,  n'y  connoiffoient 
plus  rien  ,  ou  croyoient  qu'on  y  ado- 
roit  des  Dieux  différens  des  leurs  ;  ce 
qui  fans  doute  a  dû  porter  beaucoup  de 
confufion  dans  l'ancienne  Mythologie. 
Quelques  Sçavans  des  derniers  fiécles 
(0  Bochart,  (  i  )  ,  ont  eu  affez  de  fagacité   pour 
sdden  %  m.  ^claircir  en  partie  un  article  fi  effentiel. 
^viuV,  &"  Ils  ont  reconnu  ,  par  exemple,  que  le 
^lufieursau-    Jheutat    des    Gaulois  ,   l'Hermès  des 
ues#  Grecs ,  &  le  Mercure  des  Latins,  étoient 

les  mêmes  ,  que  le  Thot  ou  Thaut  des 
Egyptiens;  que  leBelenus  des  Celtes, 
^Apollon  des  Grecs  t  &  le  Mithras  des 


ExpLparPHiJÎ.  LivA.  Chap.L  29 
Perfes  ,  étoient  POfîris  &  F Orus  de  ces 
mêmes  Egyptiens  ;  que  Diane  &  Luci- 
ne ,  étoient  Ilîs  ;  Se  que  TÀlilat  des  Ara- 
bes ,  FAflarté  des  Syriens  ,  &  la  Venus 
célefte  des  Grecs  ,  étoient  la  Planète 
que  nous  appelions  la  belle  étoile  ou 
Vefper.  Quelques Sçavans même,  parmi 
le/quels  on  peut  nommer  Bochart  ,  le- 
Père  Thomaflïn ,  Cumberland,  Voiïius, 
M.  Huet ,  M.  Fourmont ,  &  plufieurs 
autres  ,  ont  cru  trouver  ces  anciens 
Dieux  dans  les  premiers  Patriarches  ; 
Saturne  dans  Noé  ou  dans  Abraham; 
Jupiter ,  Neptune  &  Pluton  dans  Sem, 
Cham  &  Japhet ,  ainli  des  autres  ;  mais 
cet  article  mérite  encore  de  nouvelles 
reflexions ,  &  peut  -  être  qu'il  ne  nous 
fera  pas  impoflîble  de  trouver  dans  la 
fuite  de  cet  ouvrage ,  la  reflemblance, 
ou  plutôt  Pidentité  des  huit  ou  des  dou- 
ze grands  Dieux  ,  dont  parle  Hérodote, 
avec  les  Dieux  des  Grecs  &  des  autres 
Peuples. 

Article    1 1 L 

De  quelle  manière  on  doitfe  conduire  dans 
V explication  des  Fables. 

Avant  que  de  finir  ces  reflexions , 
je  crois  devoir  montrer  à  ceux  à  qui  el- 
les pourront  être  de  quelque  utilité ,  de 

Biij 


30  La  Mythologie  &  les  Vallès 
quelle  manière  ils  doivent  fe  conduire 
dans  l'explication  des  Fables.  Pour  les 
bien  entendre ,  il  faut  -d'abord  voir  par 
la  manière  dont  une  Fable  eft  compo- 
fée  ,  û  elle  préfente  l'idée  de  quelque 
fait  hiftorique  ,  ou  fi  elle  ne  fait  qu'allu- 
fion  à  quelque  effet  de  la  nature ,  ou  à 
quelque  vertu  ;  &  fou  vent  la  plus  Am- 
ple réflexion  fuffit  pour  en  pénétrer  le 
myfterc.  Lorfque  la  Fable  paroît  hifto- 
îique  ,  il  faut  en  écarter  le  furnaturel 
qui  l'accompagne  :  un  Poète  qui  a  des 
événemens  à  décrire ,  ne  les  raconte  pas 
Amplement  &  en  Hiftorien  ,  mais  il  y 
mêle  des  machines  ,  ambages  Deorumque 
mimfleria  ,  comme  dit  Pétrone.  Il  faut 
donc  ôter  cette  intervention  des  Dieux, 
donner  ou  à  la  valeur ,  ou  à  la  prudence, 
eu  à  FadrefTe  ,  ce  que  le  Poète  donne  à 
Mars  ,  ou  à  Minerve ,  ou  à  ?»lercure.  Il 
faut  examiner  encore  en  quelle  langue 
la  Fable  qu'on  veut  expliquer  ,  a  été 
écrite  ,  &  on  trouve  fouvent  que  c'eft 
une  fimple  équivoque  de  cette  langue , 
qui  a  donné  lieu  à  la  fî&ion  ;  Bochart 
en  fournit  un  très -grand  nombre  d'e- 
xemples. Il  efl  inutile  &  impofiïble  en 
même  temps  d'expliquer  toutes  les  cir- 
conftances  des  Fables ,  dont  la  plupart 
p'ont   été   inventées   que  long -temps 


Ëxph  par  PHîft.  Liv.L  Chap.X.    3* 

après,  par  les  Poètes  qui  ont  eu  ocra* 
lion  de  les  employer  ;  ainfî  il  faut  le» 
prendre  dans  les  Poètes  les  plus  anciens, 
où  ordinairement  elles  font  plus  iîmples, 
comme  je  l'ai  déjà  remarqué.  Il  édile*4 
ceffaîre  auiîi  d'avoir  lu  les  Anciens,  pour 
\7oir  fi  le  fait  contenu  dans  la  Fable,  eft 
lié  avec  quelque  autre  événement  hifto- 
rique  ;  car  alors  il  eft  aifé  de  le  débar- 
rafler  du  merveilleux  qui  l'accompagne. 
Le  voyage  des  Argonautes  ,  par  exem- 
ple ,  &  les  travaux  d'Hercule  ,  font  des 
Vérités  hiftoriques  :  de  combien  de  fic- 
tions ne  les  a-t'on  pas  embellies  ?  Le 
plus  grand  embarras  que  rencontre  un 
Mythologue  ,  confîfte  à  débrouiller  le 
chaos  des  opinions  différentes  fur  une 
inême  Fable ,  qui  fe  trouve  racontée  en 
tant  de  manières  ,  &  fî  différentes  Tune 
de  l'autre  ,  qu'il  eft  impoffible  de  les 
concilier  toutes. 

Suppofons  qu'on  veuille  examiner, 
par  exemple  ,  le  partage  du  monde  en- 
tre les  trois  enfans  de  Saturne  ;  d'abord 
on  fera  effrayé  de  la  diverfïté  des  fenti- 
mens  des  Sçavans  fur  ce  fujet.  On  trou- 
vera dans  les  Hiftoriens  (  1  )  des  tradi-  (l)  Voyez 
tions  très-oppofees  ,  quoiqu'égaiement  D-°d.  de  sic. 
anciennes.  Pendant  que  le  plus  grancl 
pcwbre  fuppoferale  partage  comme  un^ 

B  iiij 


3  2  La  Mythologie  &  les  Fables 
chofe  fûre,d'autres  rapporteront  des  faits 
qui  le  détruifent.  On  dira ,  par  exem- 
ple, que  Neptune  étoit  forti  de  la  Li- 
bye, &  Minerve  des  bords  du  lac  Tri- 
ton dans  le  même  pays  ,  &  qu'ainfi  ils 
n'avoient  rien  de  commun  avec  Jupiter, 
dont  ils  ne  pouvoient  pas  même  être  pa- 
ïens. Il  faut  d'abord  examiner  ces  diffé- 
rentes traditions ,  abandonner  celles  qui 
parciffent  fe  contredire  ,  &  qui  détrui- 
fent des  faits ,  qu'on  fçait  par  des  Au- 
teurs dignes  de  foi. 

Ceft  ce  qu'ont  fait  nos  meilleurs  My- 
thologues, &  je  n'en  connois  point  qui 
ait  adopté  cette  Fable  ,  fans  avoir  re- 
cherché auparavant  ce  qui  a  pu  y  don- 
ner lieu.  Les  plus  fenfés  ,  tels  que  Gé- 
rard Vofïius  ,  Marsham ,  Bochart  &  le 
Père  Thomafîin  ,  ont  cru  que  le  parta- 
ge du  monde  entre  les  enfans  de  Noé, 
Sem ,  Cham  &  Japhet ,  étoit  l'origine 
de  la  tradition  du  même  partage  entre 
Jupiter ,  Neptune  &  Pluton  ;  &  fur  cet- 
te idée  ,  ils  n'ont  pas  manqué  de  faire 
des  parallèles  fort  recherchés ,  entre  les 
trois  Princes  fabuleux  ,  &  les  trois  fils  du 
Patriarche.  Cependant  ces  mêmes  Au- 
teurs varient  encore  fur  les  traits  de  re£ 
femblance  qu'ils  trouvent  entre  les  uns 
jk  les  autres  ;  &  ce  ne  font  pas  les  me- 


Zxpl.pârPHtf.  Liv.I.  Chap.L    35 

mes  personnes  qui  entrent  dans  le  même 
parallèle.  Dans  le  fond ,  quelle  reiïem- 
blance  peut-on  trouver  entre  Sçm  &  Ju- 
piter, entre  Cham  &  Pluton  f'Tout  ce 
qu'on  pourroit  conclure  de  plus  raifon- 
nable  de  l'opinion  de  ces  grands  hom- 
mes ,  efl  ,  non  que  les  deux  familles , . 
qu'on  ne  fçauroit  confondre  fans  s'écar- 
ter de  tous  les  Anciens  ,  n'en  fanent 
qu'une  ;  mais  feulement  la  vérité  de 
cette  propofition ,  que  les  Grecs  ont  fou- 
vent  embelli  Fhifloire  de  leurs  temps  fa- 
buleux ,  de  celle  des  Peuples  de  l'O- 
rient j  dont  ils  tiroient  leur  origine. 

L'Empire  des  Titans  ,  fuivant  les  An- 
ciens ,  étoit  extrêmement  étendu.  Ces 
Princes  pofiedoient  la  Phrygie ,  la  Thra- 
ce ,  une  partie  de  la  Grèce  ,  l'Ifle  de 
Crète  &  plufieurs  autres  Provinces ,  ju£- 
qu'au  fond  de  l'Efpagne,  Saïichonia.- 
thon  (  1  )  femble  y  joindre  la  Syrie  ,  &  /  O  D-ns 
Diodore  (2)  y  ajoute  une  partie  de  l'A-  Evang!  re?* 
frique  &  les  Mauntanies.  Je  n'entre  (Z)  l,  ît 
point  dans  les  preuves  de  ce  fait ,  qu'on 
trouvera  fort  détaillé  dans  l'ouvrage 
que  le  Père  Dom  Pezron  a  compofé  fur 
l'origine  &  1" antiquité  de  la  Langue  des 
Celtes.  Il  fuffit  de  dire  ici ,  que  ce  fça- 
vant  homme  prétend  que  le  partage  qui 
fut  fait  de  ce  vafte  Empire  ,  fut  regardé 

B  v 


54  La  Mythologie  &  les  Fable t 
dans  la  fuite  comme  le  partage  du  mon* 
de  :  que  TAfîe  demeurée  à  Jupiter,  lç 
plus  puifTant  des  trois  frères  ,  l'avoit  fait 
regarder  comme  le  Dieu  de  l'Olympe, 
montagne  célèbre  où  il  faifoit  fa  réfî- 
dence  ,  &  qui  fut  dans  la  fuite  prife  pour 
le  ciel  même  :  que  la  mer  &  les  Mes, 
qui  avoient  été  le  lot  de  Neptune  ,  lui 
avoient  fait  donner  le  titre  de  Dieu  de 
la  mer  :  &  que  l'Efpagne  ,  le  bout  du 
monde  connu,  pays  confideré  comme 
très-bas,  par  rapport  à  l'Afie  ,  célèbre 
d'ailleurs  par  fes  excellentes  mines  d'or 
Se  d'argent ,  devenue  le  partage  de  Plu- 
ton  ,  l'avoit  fait  prendre  pour  le  Dieu 
des  Enfers. 

Un  Mythologue  doit  propofer  & 
examiner  avec  foin  ces  différentes  opi- 
nions ,  pour  mettre  le  Lefteur  en  état 
d'en  juger;  &  il  peut  fe  déterminer  lui- 
même  en  faveur  de  celle  qui  lui  aura 
paru  la  plus  vraifemblable  ,  &  l'appuyer, 
s'il  peut ,  de  nouvelles  preuves  ,  fans 
irop  s'embarrafîer  des  difficultés  qu'on 
pourroit  lui  faire  ;  car  on  o(e  aflurer 
ici ,  qu'on  n'oppofera  jamais  rien  con- 
tre la  fraternité  des  trois  Princes  Titans, 
qui  foit  plus  fort  que  ce  qu'on  aura  pu 
dire  pour  l'établir. 


Expl  par  PHift.  Liv.L  Chap.IL  3J 


CHAPITRE   IL 

Où  Ponjprouve  que  les  Fables  ne  font  point 
de  pures  Allégories  ,  &  qu'elles  renfer- 
ment cP  anciens  événemens. 

LEs  Fables  ne  doivent  être  regar- 
dées que  comme  de  belles  envelopp- 
ées ,  qui  nous  cachent  les  vérités  de 
THiltoire  ancienne  ;  &  quelque  défigur 
rées  qu'elles  foient  par  le  grand  nomr 
bre  d'ornemens  qu'on  y  a  mêlés ,  il  n'eli 
pas  abfoiument  impoffible  d'y  découvrir 
les  faits  hifloriques  qu'elles  renferment. 
Je  ne  difconviens  pas  qu'il  n'y  ait  dans 
les  Fables  des  circonftances  qui  étoient 
de  l'invention  des  Poètes  ;  mais  il  y  a 
bien  de  l'apparence  que  le  fond  en  étoit 
vrai  (  a  )  :  &  û  on  ne  doit  pas  prendre 
-à  la  lettre  tout  ce  qu'ils  ont  dit  de  leurs 
Dieux  ôc  de  leurs  Héros ,  on  auroit  tort 
de  le  rejetter  entièrement,  d'autant  plus 
qu'ils  parlent  fouvent  de  perfonnes,  dont 
les  Hiftorîens  nous  ont  raconté  les  ac- 
tions ;  ce  qui  fait  dire  àPaufanias(i):    f,j  rnAtt# 

C,  2. 

(a  )  W.or,  cnlrr,  r*.s  ipf*sgep-     colorent  rébus.  Lafl,  de  faifa 
Jas    ,    pnyerv.nt  Po'èU   ,  jed      Rel  Lib.  I.  Ci  2. 

B  vj 


3  6      La  Mythologie  &  les  Fables 
»  De  tout  temps  les  événemens  extraor- 
»  dinaires  &  fînguliers  ,  en  s'éloignant 
y>  de  la  mémoire  des  hommes ,  ont  cefle 

*  de  paroître  vrais ,  par  la  faute  de  ceux 

*  qui  ont  bâti  des  Fables  fur  le  fonde- 
3>  ment  de  la  vérité.  » 

Je  fçais  que  les  Poètes  ont  quelque 
fois  inventé  jufques  aux  perlonnages 
mêmes  dont  ils  parlent  ;  mais  il  eft  aifé 
de  les  reconnoître  ,  ces  perfonnages 
feints  ,  &  aiTûrément  les  gens  raifonna- 
blés  ne  jugent  pas  de  Saturne  ou  de  Nep- 
tune j  comme  de  la  Fortune  &  du  Def- 
îin.  Il  n'eft  pas  impoffible  de  diftinguer 
parmi  tous  ces  perfonnages  poétiques  , 
ceux  qui  etoient  réels  ,  d'avec  ceux  qui 
n'étoient  que  métaphoriques  ou  allégo- 
riques. De  fçavans  hommes  l'ont  fait 
avant  moi ,  ôc  S.  Àuguftin ,  Laftance  & 
Arnobe  n'avoient  pas  jugé  cet  article 
indigne  de  leur  application  ,  &  avoient 
crû  rendre  un  grand  fervice  à. la  Reli- 
gion j  en  découvrant  à  tout  le  monde 
que  les  anciennes  Divinités  desPayens, 
n' avoient  été  que  des  hommes.  J'avoue 
que  s'il  n'y  avoit  dans  les  Fables  des 
Poètes  que  quelques  allégories  ,  je  ne 
vois  pas  qu'on  dût  faire  beaucoup  de 
cas  de  leurs  ouvrages  :  je  ne  trouverois 
rien  de  fi  froid.  Au  lieu  que  s'il  eft  vrai 


Expl.parVfftft.  Liv.L  Chàp.IL  ff 

qu'elles  renferment  d'anciens  événe-» 
mens  ,  on  n'eft  pas  furpris  qu'ils  en  ayent 
employé  un  û  grand  nombre  ;  on  a  mê- 
me meilleure  opinion  du  génie  des 
Grecs  ,  puifqu'ûn  voit  que  malgré  le 
penchant  infini  qu'ils -avoient  pour  les 
Hâions  ,  ils  ne  fe  repaiflbient  pourtant 
pas  de  contes  purement  inventés  (  a  )  ; 
&  que  s'ils  ont  embelli  leurs  narrations, 
on  fçait  du  moins  qu'elles  renferment 
plufîeurs  vérités  intereflantes»  Aufïï  eft- 
il  certain  que  les  plus  grands  hommes  de 
l'Antiquité,  ont  toujours  eu  une  haute 
idée  des  Poètes ,  qu'ils  regardoient  com- 
me les  premiers  Hiftoriens.  Strabon 
dit  (i) ,  que  les  Hiftoriens  approchoient  (i)  Lft* 
d'autant  plus  du  caraftere  d'Homère, 
qu'ils  étoient  plus  anciens  :  ce  qui  fait 
dire  à  Cafaubon  (f?)  ,  que  lorfqu'il  li- 
foit  Hérodote,  il  lui  fembloit  lire  Ho- 
mère lui-même.  Croira-t'on  de  bonne 
foi ,  qu'Alexandre  eût  tant  fait  de  cas 
de  ce  Poète  ,  s'il  ne  l'avoit  regardé  que 
comme  un  conteur  de  Fables  ?  Et  au- 
roit-il  envié  le  fort  d'Achille  d'avoir 
eu  un  tel  Panégyrifte  ?  Y  auroit-il  ea 
du  fens  à  fouhaiter  un  Hiftorien  qui ,  au 

(a)   Voyez  M.   le  Clerc,  fœpè  Herodotum    cum    lego , 

Bibl.  Ch.  Tom.  II.  Homcrnm  aliqnetn  videur  U*. 

(  b)    Nota  in    Strabon.  £erf© 
lib.  l .   yiQ  mibi  ^nicUm  per- 


$8      La  Mythologie  &  les  Fable i 
lieu  de  raconter  les  véritables  a£Hon$  dé 
ce  Prince ,  n'en  auroit  écrit  que  de  fa- 
buleufes  ?  Il  fçavoit  bien .  que  parmi 
ces  fîdions  que  le  Poète  employoit  pour 
enluminer  le  fond  de  fes  Hiftoires  ,  il 
confervoit  parfaitement  le  caraétere  dç 
fon  Héros.    Paufanias  eft  de  même  avis 
que  Strabon  ,  ainfi  que  Polybe  ,  Héro- 
dote &  tant  d'autres.     On  fçait  com- 
ment Deny  s  d'Halicarnaffe  ,  cet  Au^ 
teur  fi  grave  &  fi  judicieux  ,  explique 
les   avantures    d'Enée    &    des    autres 
Troyens.     On  n'ignore  pas  aufîï  que 
Tite-Live  humanife  les  Fables  qui  re- 
gardent les  antiquités  de  Rome ,  com- 
me la  naiflance  de  Romulus  ,  fon  édu- 
cation ,  Sec.  Ne  rapporte-t'il  pas  à  FHifv 
toire  les  voyages  d'Antenor  &  d'Enée, 
les  guerres  &  les  vi&oires  de  ce  dernier, 
&  fon  Apotheofe  ?  Ne  regarde-t'il  pas 
le  fujet  de  FEneïde  ,  comme  Polybe  & 
Strabon  avoient  regardé  l'Iliade  &  l'O- 
dyifée  ?  Ciceron  ne  met-il  pas  au  nom- 
bre des  Sages,  UlyiTe  &  Neftor  (a)l 
Y  auroit-il  placé  des  Phantômes  ?  N'ex* 
plique-Ml  pas  les  Fables  d'Atlas  ,  de 
Cephee  Se  de  Prornethée  ?  Ne  nous  ap- 

(  a  )  Kec  veto  ccclum  <At-  divina  ccgnkh  nornen  eorum 

las  fvjîinere  ,  nec  Prometheus  adurroremjAOuU  condnxijfrt» 

AJfixHs  Caucafo  ,  me  Csp/j€us  Tuf«.  Quaeft.  L.  5* 
fieliatns  *  • . . .  nifi  caeleflium 


ExplparTHifl.  LïV.I  CkâtU.  $9 

J>rend-il  pas  que  ce  qui  a  donné  occa* 
fîon  de  débiter  que  Pun  foutenoît  le 
ciel  fur  Ces  épaules ,  &  que  Pautre  étoit 
attaché  au  mont  Caucafe ,  c'étoit  leur 
application  infatigable  à  la  contempla- 
tion des  chofes  céleftes  ?  Je  pourrois 
•joindre  ici  Pautorité  de  la  plupart  de* 
Anciens  :  j'y  ajouterais  celle  des  pre- 
miers Pères  de  PEglife  ,  des  Arnobes, 
desLaétances  &  de  plufieurs  autres,  qui 
ont  regardé  le  fond  des  Fables  comme 
de  véritables  Hiftoires  ;  &  je  finiroi» 
cette  lifte  par  les  noms  de  nos  plus  il- 
luftres  Modernes  ,  qui  ont  découvert 
dans  les  anciennes  fi&ions  ,  tant  de  ren- 
tes de  la  tradition  des  premiers  temps. 

Mais  ,  dira-t'on  ,  ne  feroit-ce  pas  a£- 
fez  accorder,!!  Pon  difoit  que  les  Fables 
renferment  laPhilofophie  Se  la  Religion 
des  Anciens  ?  Il  efl  vrai  qu'on  y  a  mêlé 
quelques  allégories  qui  y  ont  rapport  ; 
mais  le  premier  objet  des  Poètes  a  été 
d'y  renfermer  Phiftoire  de  leurs  Héros; 
&  on  s'éloigne  de  leur  véritable  but  5 
lorfqu'on  ne  s'attache  qu'aux  allégories. 
Croit-on  de  bonne  foi ,  que  lorfqu'ik 
ont  dit  queBacchus  fut  mis  dans  lacuiife 
de  Jupiter  ,  ils  ayent  voulu  ne  nous  ap- 
prendre autre  chofe ,  iînon  que  le  vin 
dont  ce  Dieu  eft  le  fymbole,  doit  avoir 


%0  La  Mythologie  &  le f  Fables 
pour  meurir  une  chaleur  modérée ,  com* 
me  •l'eft  celle  de  cette  partie  du  corps? 
Que  le  combat  des  Dieux  dans  Homère, 
ne  lignifie  que  le  combat  de  nos  pallions, 
ou  la  conjon&ion  des  Planètes  dans  le 
même  point  du  Zodiaque  ,  comme  Font 
rêvé  quelques  Scholialles?  Que  Vulcain 
n'elt  boiteux  que  parce  que  le  feu  fans 
bois,  s'éteint,  déficit,  claudicat  (a)? 
Peut-on  penfer  que  lorfqu'ils  ont  dit 
que  Pluton  ayant  enlevé  Proferpine, 
Jupiter  avoit  ordonné  qu'elle  feroit  lîx 
mois  en  enfer  ,  ôc  fix  mois  chez  fa  mère 
Cerès ,  ils  n'ayent  voulu  nous  appren- 
dre autre  chofe  ,  fînon  que  le  grain  de- 
meuroit  lîx  mois  en  terre  &  lïx  mois  de- 
hors (b)  ?  Qu'ils  n'ont  marié  Jupiter 
avec  Junon  ,  que  parce  que  Jupiter  eft 
l'air  &  Junon  la  terre  ,  &  que  Jupiter 
envoyant  des  pluyes  fur  la  terre  la  ren* 
doit  féconde  ?  Que  le  mauvais  ménage 
de  ces  deux  époux  ,  &  les  jaloulïes  de 
Junon  nous  apprennent  feulement  que 
Pair  agité  excite  les  tempêtes  qui  cau- 
fent  tant  de  ravages  far  la  terre  (c)  ?  Pour 
moi  je  ne  fçaurois  me  le  perfuader  ,  ôc 
je  crois  qu'Homère  feroit  bien  furpris 

(a)  S.  Augruftin  ,  après         (f)  Eufebe  après  Plutar- 
Us  anciens  Poètes.  que  l'explique  ainii. 

(  b  Y  Sallufte  U  de  DiU 


Expl.  par  PHîfl.  Liv.L  Châî.II.  41 

s'il  venoit  au  monde  ,  &  qu'il  apprît 
tout  ce  qu'on  lui  fait  dire  ;  fans  mentir, 
s'écrieroit-il ,  comme  le  fait  parler  l'in- 
génieux Auteur  des  Dialogues  des 
Morts  (a) ,  je  m'étois  bien  doute  que 
de  certaines  gens  ne  manqueraient  pas 
d'entendre  fineffe ,  où  je  n'en  avois  point 
entendu  :  comme  il  n'efl:  rien#el  que  de 
prophétifer  des  chofes  éloignées  en  at- 
tendant l'événement  ,  il  n'efl;  rien  tel 
auflî  que  de  débiter  des  Fables  en  at- 
tendant l'allégorie.  Et  fî  on  lui  deman- 
doit ,  s'il  étoit  vrai  qu'il  n'eût  point  ca- 
ché de  grands  myfleres  dans  fes  ouvra- 
ges ,  il  avouëroit  ingénument  qu'il  n'y 
avoit  pas  penfé  ;  mais  que  comme  il  /ça- 
voit  que  le  vrai  &  le  faux  fympathifent 
extrêmement ,  &  que  l'efprit  humain  ne 
cherche  pas  toujours  le  vrai ,  il  avoit 
crû  devoir  emprunter  la  figure  du  faux, 
pour  le  faire  recevoir  agréablement. 

Ce  n'efl:  pas  d'aujourd'hui  qu'on  fait 
dire  aux  Auteurs  des  chofes  aufquelles 
ils  n'ont  jamais  penfé  ;  &  s'il  faut  re- 
courir aux  allégories  ,  on  verra  feule- 
ment comme  le  remarque  un  Sçavant  (*)  M*  l* 
moderne  (  1  ) ,  que  les  premiers  habitans  iC< 
de  la  Grèce  firent  confifter  toute  leur 
fagefle  à  dire  fort  obfcurement  des  cho^ 

(4)  Dialogue  d'Honaeie  &  d'EiY 


42  g  ta  Mythologie  &  les  Vahles 
fes  triviales.  Qui  ne  fçait  que  la  pluyê 
rend  la  terre  féconde  ?  cependant  félon 
les  Allégoriftes  ,  il  a  fallu  pour  nous 
l'apprendre ,  faire  de  l'air  &  de  la  terre, 
leur  Jupiter  &  leur  Junon ,  qu'ils  au- 
roient  enfuite  adorés.  Les  Anciens  y 
alloient  de  bonne  foi  :  comme  ils  nV 
voient  p|p  beaucoup  d'idée  du  vice  & 
de  la  vertu  ,  quand  ils  eurent  mis  leurs 
premiers  Rois  au  rang  des  Dieux ,  ils 
en  racontèrent  les  a&ions  ,  bonnes  Se 
jmauvaifes  ,  comme  auparavant  ;  &  après 
nous  avoir  reprefenté  Jupiter  fou^ 
droyant  les  Titans  ,  ils  le  changent  eiï 
Bouc  ou  en  Satyre ,  pour  féduire  de 
Simples  Bergères* 

Mais  ,  dira-t'on  ,  ne  trouvons  -  nous 
pas  dans  les  Poètes  des  chofes  qui  ne 
peuvent  s'entendre  que  d'une  manière 
allégorique  ?  Ne  prennent-ils  pas  à  tous 
momens  Jupiter  pour  l'air  ,  Cerès  pour 
le  bled ,  &  Bacchus  pour  le  vin  ?  Sine 
Cererê&Bacchofriget Venus.  Manetfub 
love  frigido  Venator  ,  &c.  De  même 
quand  on  lit  dans  un  vers  de  Naevius, 
Coquus  de etit  Neptunum yVenerem ,  Cere~ 
rem  9  cela  ne  veut-il  pas  dire  que  le  Cui- 
fînier  avoit  fourni  le  poifïbn  ,  les  her- 
bes &  le  pain  ?  comme  l'interprète  JuC* 
iSJgJ*  te  Lipfe  (i).   Quand  ils  difent  que  l'O- 


Expl.parrHiJl.Livl.  Chàp.II.  4? 

cean  efl  le  père  des  Fleuves  ,  que  les 
Sirènes  font  filles  d' Acheloiis ,  Sec.  ne 
font-ils  pas  des  allégories  évidentes  à  la 
Phyfique  ?  Je  l'avoue  ;  mais  ce  n'eft  pas 
là  l'ancien  état  des  Fables  :  Bacchus  y 
efl:  regardé  comme  un  Prince  conqué- 
rant ;  Jupiter  comme  un  Roi  de  Crète, 
fameux  par  fes  conquêtes;  Cerès  com- 
me une  Reine  de  Sicile ,  qui  enfeigna 
l'Agriculture  à  fon  peuple  ;  &  ainïi  des 
autres  :  Se  ce  n'eft  que  dans  la  fuite  qu'on 
a  attaché  à  ces  Fables  anciennes  ,  l'i- 
dée des  Elémens  &  de  toute  la  nature  ; 
ce  qui  prouve  feulement  qu'il  s'y  efl 
mêlé  beaucoup  d'allégories,  ce  qu'on 
ne  nie  pas  ;  &  c'eft  fans  doute  ce  qui 
les  rend  fi  difficiles  à  expliquer,  les  Poe-» 
tes  partant  tout  d'un  coup  de  THiftoi- 
re  à  la  Phyfique.  Ainfi  l'on  doit  regar- 
der ces  allégories  ,  comme  des  métapho- 
res Se  des  expreffions  figurées  ,  qui  ont 
été  ajoutées  pour  marquer  les  cara&eres 
des  perfonnes  dont  on  veut  parler.  L'ar- 
rivée ,  par  exemple  ,  de  Cecrops  dans 
la  Grèce  ,  les  loix  qu'il  y  porta  ,  &  le 
foin  qu'il  prit  de  polir  les  habitans  de 
l'Attique  ,  font  des  événemens  hiftori- 
ques ,  qu'on  pouvoit  raconter  naturel- 
lement ;  Se  peut-être  que  ceux  qui  les 
écrivirent  les  premiers ,  n'y  mêlèrent 


44  La  Mythologie  &  les  Fahles 
aucune  fi&ion  ;  cependant  on  publia 
dans  la  fuite ,  que  Cecrops  étoit  com- 
pofé  de  deux  natures  (a)  ,  qu'il  avoit 
la  partie  fuperieure  du  corps  d'un  hom- 
me ,  &  l'autre  d'un  ferpent  ;  allégorie 
qui  nous  apprend  que  ce  Prince  corn- 
rnandoit  à  deux  Nations  ;  aux  Egyp* 
tiens  ,  peuple  dont  les  mœurs  douces 
&  polies  les  rendoient  dignes  d'être  vé- 
ritablement appelles  des  hommes  ;  & 
aux  Grecs  ,  dont  la  férocité  &  l'impo- 
liteffe  les  rendoient  femblables  aux  fer- 
pens,  qui  habitoient  comme  eux  dans 
les  antres  &  dans  les  forêts.  Ainfî  prêt* 
que  toutes  les  Fables  ont  deux  parties, 
l'une  hiftorique  ,  &  l'autre  métaphore 
<jue.  Atlas  ,  par  exemple  ,  étoit  un 
Prince  Aftronome  ,  qui  fe  fervoit  de  la 
Sphère  pour  étudier  le  mouvement  des 
aftres  ;  voilà  Fhiftoire  ;  on  exprime  cela 
en  difant ,  qu'il  portoit  le  ciel  fur  fe3 
épaules  ;  voilà  la  parabole.  Protée,  étoit 
un  Prince  fage  ôc  prévoyant ,  éloquent 
&  artificieux  ;  c'étoit  fon  caraébere  :  on 
l'annonce  heureufement,  en  difant  qu'il 
prenoit  plufieurs  figures.  Dédale  in- 
venta l'uîage  des  voiles  au  lieu  des  ra- 
mes dont  on  fe  fervoit ,  &  il  fe  fauva 
heureufement  des  mains  de  Minos;  voilà 

£a)  Gemm  de  w$ore ,  comme  l'exprime  Ovide* 


Expl.  par  PH'tft.  Lïv.  I.  CfîAp.II.  47 

U  fait  :  pour  nous  l'apprendre  ,  on  nous 
dit  d'une  manière  figurée  ,  qu'il  avoit 
fait  des  ailes  avec  lefquelles  il  s'étoit  en-» 
volé  ;  expreffion  vive  &  qui  marque  bierç 
la  légèreté  des  Wfleaux  à  voile.  Les 
Poètes  pour  s'attirer  des  admirateurs , 
ont  mêlé  ces  fiâions  amufantes  aux  hifr 
toires  qu'ils  vouloient  raconter.  Tel  a 
toujours  été  le  génie  des  hommes ,  fur- 
tout  des  Orientaux  ,  d'où  nous  font  ve- 
nues la  plupart  des  Fables  :  cet  efprit  rè- 
gne encore  parmi  eux  ;  &  l'on  voit  dan$ 
leurs  Livres  remplis  de  paraboles,  qu'ils 
font  encore  aujourd  hui  ce  qu'étoientles 
Grecs  dans  les  temps  les  plus  fabuleux. 

Mais  iî  d'un  côté  les  Poètes  fe 
croyoient  obligés  pour  divertir  les  Lec- 
teurs ,  d'inventer  des  Fables  ,  ils  fça- 
voient  fort  bien  cependant  qu'on  n'ai- 
moit  pas  à  fe  repaître  purement  de  chi- 
mères ;  ainfi  il  falloit  chercher  quelque 
fondement  à  ces  fiftions  :  &  THifloire  du 
monde  leur  offrant  des  événemens  ex- 
traordinaires &  merveilleux,  qui  avec  de 
petits  ornemens  avoient  le  même  agré- 
ment que  la  Fable,  pourquoi  ne  vouloir 
pas  qu'ils  les  ayent  choifis  ,  pour  en 
faire  le  fondement  de  leurs  ouvrages , 
plutôt  que  d'avoir  inventé  des  contes  , 
dont  on  fe  fexoh  certainement  bien-tôt 
Mi  l 


46      La  Mythologie  &  les  Fablef 

La  judicieufe  remarque  de  Strabon  ; 
au  fujet  des  voyages  d'Ulyfie ,  où  Ho- 
mère a  mêlé  tant  de  Fables  ,  confirme 
bien  ce  qu'on  vient  de  dire.  *>  En  fe  re-, 
»  mettant ,  dit  cet  Auteur ,  PHifloire  an- 
»  cienne  devant  les  yeux  ,  il  faut  exami- 
»  ner  fur  ce  pied  ,  ce  que  difent  ceux  qui 
»  foutiennent  qu'Ulifiè  a  été  porté  dans 
»  les  mers  d'Italie  &  de  Sicile  ,  comme 
»  Homère  Ta  dit ,  &  ceux  qui  le  nient  : 
»  car  ces  deux  opinions  ont  chacune 
»  leur  bon  &  leur  mauvais  ,  Se  l'on  peut 
•>  avoir  raifon  &  fe  tromper  des  deux  cô- 
»  tés.  On  a  raifon  fi  Ton  croit  qu'Home- 
»  re  ,  perfuadé  qu'Ulyffe  avoit  été  por- 
*  té  dans  tous  ces  lieux ,  a  pris  pour  le 
»  fond  de  fa  Fable  ce  fujet  très-vrai  5 
»  mais  qu'il  a  traité  en  Poète ,  c'efb-à-di- 
»  re,en  y  mêlant  la  fiftion  ;  car  on  trouve 
»  dans  ces  mers  des  veftiges  de  fes  voya* 
*>  ges  :  &  on  fe  trompe  fi  on  prend  pour 
x>  une  Hiftoire  circonflantiée  tout  le  refis 
»  de  la  fiâion,comme  fon  Océan,  fes  En* 
»  fers,fesMétajnorphofes,  la  figure  horri- 
£  ble  de  Scylla,  celle  duCyclope.Â:  le  ref- 
»te.  Celui  qui  foutiendroit  tous  ces 
»  points?comme  autant  de  vérités  hiftori*- 
3D  ques,  ne  mériteroit  pas  plus  d'être  refu- 
3>  té  ,  que  celui  qui  afTùreroit ,  qu'Ulyiîe 
»  eft  véritablement  arrivé  à  Ithaque ,  de 


Ëxpl.  par  PHiJl.  Liv.  I.  Chàp.  IL  tf 
»  la  manière  qu'Homère  l'a  raconté.  ~ 
L'une  &  l'autre  opinion  font  ridicules,  i\ 
faut  tenir  le  milieu,  &  démêler  ce  qui  eft 
hiftorique  d'avec  les  ornemens  de  la  fie* 
tion.Ainfi  pour  deviner  juftefurce  fujet,il 
faut  s'éloigner  des  deux  extrémités  ;  il 
faut  regarder  le  fond  des  Fables  comme 
quelque  chofe  de  vrai  &  d'hiftorique ,  & 
croire  que  tous  les  ornemens  font  faux. 
Il  faut  fe  mettre  bien  avant  dans  la  tête 
ce  principe ,  que  les  Fables  ne  font  point 
tout-à-fait  des  fixions  ;  que  ce  font  des 
JSîftoifes  des    temps  reculés,  qui  ont 
été  défigurées  ou  par  l'ignorance   des 
Peuples,  ou  par  l'artifice  des  Prêtres, 
pu  par  le  génie  des  Poètes  ,  qui  ont  tou- 
jours préféré  le  brillant  au  folide.  Mais 
comment  développer  tout  cela  f  On  ira 
prendre  pour  la  vérité  ce  qui  n'eft  qtfu* 
ne  fiction  ,  &  on  traitera  peut-être  de 
Fable ,  la  feule  circonflance  qui  renfer- 
me la  vérité.  A  -  t'on  quelques  règles  ; 
£our  en  faire  un  jufte  difeernement  f  Oui 
fans  djoute  :  il  faut  d'abord  écarter  d'une 
Fable  tout  ce  qui  y  paroît  furnaturel , 
tout  ce  pompeux  attirail  de  fixions  qui 
fautent  aux  yeux.  De  tous  les  combats 
dont  parle  Homère  ,  par  exemple ,  ôtez- 
en  d'abord  les  Dieux  qu'il  y  mêle  ;  don- 
nez à  la  prudence  &  à  la  bonne  conduite 


4$  La  Mythologie  &  les  FaMes 
des  Chefs ,  ce  qu'il  attribue  à  Minerve  5 
à  la  valeur  d'Heftor ,  ce  qu'il  met  fur  le 
compte  de  Mars  ;  dites  que  le  hafard  , 
plutôt  que  Pallas ,  fît  rencontfer  Ulyflc 
par  Nauficaa  fille  d'Alcinolis ,  &  que  le 
nuage  myfterieux  dontlaDéefTele  cou- 
vrit ,  marquoit  les  ténèbres  de  la  nuit  à  la 
faveur  desquelles  le  Roi  d'Ithaque  entra 
fans  être  reconnu  dans  la  Ville  des  Phéa- 
ciens.  Ne  croyez  pas  que  Mercure  con«* 
duifit  Priam  à  la  tente  d'Achille ,  comme 
le  raconte  Homère  ;  mais  dites  que  ce 
Roi  étant  parti  la  nuit  pour  aller  retirer 
le  corps  de  fon  fils  des  mains  des  Grecs  , 
déclara  en  arrivant  qu'il  venoit  avec  des 
prefents  fléchir  le  vainqueur  de  fon  fils. 
Si  vous  voyez  qu'une  Déefle  a  enlevé 
qn  Héros  du  combat ,  figurez-vous  que 
c'eft  une  enveloppe  qui  nous  cache  fa 
fuite.  Si  les  Poètes  parlent  de  Géants 
dont  la  tête  touchoit  les  cieux  ,  mettez- 
vous  dans  l'efprit  qu'ils  étoient  plus 
monftrueux  par  leurs  defordres  ,  que  par 
la  grandeur  énorme  de  leur  taille.  Si  on 
dit  qu'Hercule  fépara  avec  ifes  deux  mains 
deux  montagnes  ,  nommées  Calpé  &  A** 
byla ,  qui  étant  fituées  entre  l'Afrique  & 
l'Efpagne  arrêtaient  l'Océan  ,  &  qu'auf- 
fi-tôt  la  mer  entra  avec  violence  dans  les 
tcxxcs ,  &  fit  ce  grand  Golfe  ,  qu'on  ap- 
pelle 


Exphpar  PHîft.  Liv.  I.  Chap.  IL  4$ 
celle  la  Méditerranée  ;  vous  pourrez 
croire  que  du  temps  de  quelque  Hercu- 
le ,  car  il  y  en  a  eu  plusieurs  .  1  Océan  fc 
fit  un  paffage  ,  à  l'aide  peut-être  d'un 
tremblement  de  terre  ,  &  fe  jetta  entre 
l'Europe  &  l'Afrique  ;  &  alors  vous  ap- 
procherez beaucoup  de  la  vérité  ,  & 
vous  pourrez  vous  vanter  d'avoir  la  pre- 
mière clef  des  Fables. 

Mais  direz-vous^quand  on  les  a  mifes  fur 
le  pied  des  chofes  naturelles  ,  tout  le  re£- 
te  eft-il  vrai  ?  Non  ;  &  avant  que  d'en  ju- 
ger ,  il  faut  û  l'on  peut ,  confulter  les  an- 
ciens Hiftoriens  ;  &  à  leur  défaut ,  (  car 
ils  ne  rapportent  pas  toujours  ces  fortes 
d'évenemens  )  il  faut  avoir  recours  aux 
Médailles  ,  aux  Infcriptions ,  &  autres 
Monumcns  antiques  ;  &  lorfque  tout  ce- 
la manque  ,  il  faut  fe  ietter  dans  les-  éty- 
mologies ,  &  chercher  dans  les  anciennes 
Langues  le  dénouement  de  la  plupart  de 
ces  anciennes  liftions.  Il  faut  examiner 
avec  attention  ce  qui  peut  y  avoir  don- 
né lieu  :  quelquefois  un  mot  équivoque 
d'une  langue  que  le  Poète  a  entendoit 
pas  ,  la  porté  à  débiter  une  Fable  ,  en 
préférant  fuivant  fon  goût ,  la  figniaca- 
tion  qui  tenoit  du  merveilleux  ,  à  celle 
qui  n'offroit  rien  que  de  naturel.  Il  efl 
vrai  qu'on  diminue  beaucoup  de  la  beau- 
Tome  I.  *      C 


JO    La  Mythologie  &  les  Fables 
té  de  ces  fixions  en  les  expliquant  :  dès 
quelles  viennent  à  être  dépouillées  des 
ornemens  qui  les  accompagnent  ,  elles 
font  le  même  effet  qu'une  perfpeftivs 
dans  une  décoration  ;  il  ne  faut  pas  les 
voir  de  trop  près.  On  eft  fâché  d'appren« 
dre  que  les  Dragons  qui  jettoient  du  feu 
par  la  bouche  ,  les  Taureaux  aux  cornes 
d'airain  qui  gardoient  la  Toifon  d  or  , 
n'étoient  qu'une  fauffe  clef  que  Médée 
donna  à  Jafon  pour  enlever  les  trefors 
de  fon  père ,  qu'une  bonne  muraille  avec 
des  doubles  portes  ,  rendoient  inacces- 
sibles. Accoutumés  à  nous  former  l'idée 
d'un  grand  Héros ,  lorfqu'on  entend  par- 
ler d'Hercule ,  on  eft  furpris  de  voir  par- 
tager tant  de  belles  aétions  entre  quel- 
ques Marchands  qui  trafiquent  en  divers 
pays ,  où  ils  conduifent  quelques  colo<- 
nies  :  de  ne  voir  dans  Ganimede  enlevé 
par  Jupiter,  &  dans  Hyacinthe  tué  par 
Apollon  ,  que  deux  jeunes  Princes ,  1  un 
enlevé  par  un  Roi  de  Lydie  &  l'autre 
tué  par  un  accident  imprévu  :  dans  les 
ailes  de  Dédale  &  d'Icare,  un  Vaiiîeau 
à  voile  ;  dans  tous  les  changemens  d'A?- 
cheloiis  ,  des  inondations  fréquentes  , 
Se  dans  le  combat  d  Hercule  avec  1© 
Dieu  de  ce  Fleuve  ,  une  digue  qui  fut 
élevée  pour  en  arrçter  les  débordement 


ExpLpar  PH$.  Liv.  L  Chap.  II.-  fi 
Je  ferai  voir  que  le  Minotaure  avec  Paiî- 
phaé  &  toute  la  fuite  de  la  Fable ,  ne  ren- 
ferme autre  chofe  que  les  amours  de  la 
Reine  de  Crète  avec  un  Capitaine  nom- 
mé Taurus  ;  &  1  artifice  de  Dédale  qu'un 
confident  habile  :  que  Scylla  &  Charyb- 
de  ,  ces  deux  monfires  redoutables  qui 
dévoroient  les  paflans  ,  n  étoient  que 
deux  rochers  près  de  Mile  de  Sicile  ,  où 
les  vaiffeaux  couroient  quelque  danger  : 
que  le  monftre  affreux  qui  ravageoit  les 
champs  de  ïroye  ,  n'étoit  que  les  inon- 
dations de  la  mer  ;  &  qu'on  ne  lui  a  ex- 
pofé  la  belle  Hefîone  ,  que  parce  qu'el- 
le devoit  être  la  récompenfede  celui  qui 
en  arrêterait  le  cours  :  que  Jupiter  ne  fe 
changea  pas  véritablement  en  pluie  d'or, 
mais  quePrétus  corrompit  la  fidélité  des 
Gardes ,  pour  entrer  dans  la  Tour  ou 
Danaé  étoit  enfermée  :  que  la  Fable  de 
Bellerophon  qui  ccmbat  la  Chimère  , 
nous  apprend  feulement  que  ce  Prince 
défit  quelques  troupes  de  Lyciens.  Au 
lieu  de  reprefenter  Hercule  combattant 
l'Hydre  de  Lerne  ,  on  fera  voir  un  hom- 
me qui  delîeiche  des  marais:  que  Jupiter 
,  foudroiant  les  Géants ,  eft  un  Prince  qui 
réprime  une  fédition  :  Atlas  portant  le 
ciel  fur  fes  épaules  ,  un  Roi  Aftronome 
avec  une  fphére  à  la  main  :  les  pommes 

Cij 


y  2  La  Mythologie  &  les  Fallet 
d'or  du  Jardin  délicieux  des  Hefpéride$ 
&  leur  Dragon ,  des  Oranges  que  quel* 
ques  dogues  gardoient.La  vérité  doitpa* 
roître  plus  aimable3quelque  fîmplequ'el* 
le  foit ,  &  faire  plus  de  plaiiîr  fans  orne?» 
mens  ,  que  parée  de  tout  le  merveilleux 
qui  Taccompagne  dans  lçs  Poètes.,  (a) 

(a)  Ttfglitu  eft  qitedetmque  verum  &  quam  vmne  quodex  arbte 
trio  fingi  poteJit  Àug.  de  verâ  Religione. 


CHAPITRE    III. 

Divifon  des  Fables. 

JE  trouve  dans  les  Poètes  fix  fortes  d$ 
Fables  (a)  ;  des  Fables  Hiftoriques  % 
Phîlofophiques  ,  Allégoriques  ,  Mora* 
les  5  Mixtes  ,  &  inventées  à  plaiiîr. 

Les  premières  font  d  anciennes  His- 
toires ,  mêlées  avfec  pluïîeurs  fïclions  ; 
telles  font  celles  qui  parlent  d'Hercule  , 
de  Jafon  ,  Sec.  au  lieu  de  dire  iîmple^ 
ment  que  ce  dernier  alla  redemander 
les  trefors  quç  Phrixus  avoit  emportés 
dans  la  Colchide  ,  on  a  débité  la  Fable 
de  la  Toifon  d'or. 

Les  Fables  Phîlofophiques  font  celles 

(d)  Le  mot  de  Fable  en  Grec  eft  ^y  6®^  ,  comme  yc% 
fap#  i  djfcours  par  excejjence? 


Expl  p  ir  PHIJI.Liv.LCkav.  III.  ff 

que  les  Anciens  ont  inventées,  corr me 
des  paraboles  propres  à  envelopper  les 
myfteres  de  leur  Philofophie  ;  comme 
quand  on  dit  que  l'Océan  eft  le  père  des 
fleuves,  que  la  Lune  époufa  l'air  &  de- 
vint mère  de  la  rofée. 

Les  Allégoriques  étoient  aufîî  des  pa- 
raboles où  ils  cachoient  quelque  fens 
myftique  ,  comme  celle  qui  eft  dans  Pla- 
ton ,  de  Porus  ou  de  Penie  ,  ou  des  ri- 
che/Tes &  de  la  pauvreté,  d'où  naquit  le 
plaifïr. 

Les  Fables  Morales  font  celles  que 
Ton  a  inventées  pour  débiter  quelques 
préceptes  propres  à  régler  les  mœurs  , 
comme  celle  qui  dit  (i)  que  Jupiter  en-  (  T  j  py& 
voye  pendant  le  jour  les  étoiles  far  la  Pr^  <k  W. 
terre  ,  pour  s'informer  des'  aôions  des 
hommes  ;  ainfi  que  les  Fables  d  Efope  , 
&  en  général  tous  les  Apologues. 

Il  y  a  auflï  des  Fables  Mixtes ,  mêlées 
d'allégorie  &  de  morale  ,  &  qui  n'ont 
rien  d  hiftorique.  Telle  eft  celle  d'Até  , 
rapportée  par. Homère  (2).  Selon Icé  ,*}  ^ 
Poëte  ,  Até  étoit  fille  de  Jupiter  ;  fon 
nom  marque  fon  caraftere  &  fes  inclina- 
tions. Elle  ne  penfoit  en  effet  qu'à  faire 
du  mal.  Odieufe  aux  Dieux  &  aux  hom- 
mes ,  Jupiter  la  faifit  par  les  cheveux ,  la 
précipita  du  haut  des  Cieux  ,  Se  fit  fer* 

C  iij 


£4     La  Mythologie  &  les  Vahhs 
ment  qu'elle  n  y  rentreroit  jamais. 

On  voit  bien  en  effet  que  ce  Poète  3 
Voulu  reprefenter  fous  cette  Fable  le 
penchant  que  nous  avons  au  mal ,  ou  le 
mal  même  fous  une  figure  allégorique -.car 
aprcsavoir  fait  le  portrait  de  cette  mau- 
vaife  fille,  qui  parcourt,  félon  lui ,  toute 
la  terre  avec  une  célérité  incroyable  ,  Se 
fait  tout  ie  mal  qu  elle  peut,  il  ajoute  que 
fes  fœurs,  filles  de  Jupiter  comme  elle  f 
qu  il  nomme  *<***  ,  c  eft-à-dire  les  Priè- 
res ,  vent  toujours  après  elle  ,  pour  cor- 
riger autant  qu'il  eft  en  leur  pouvoir  ,  le 
mal  qu'elle  fait  ;  mais  qu'étant  boiteufes  $ 
elles  vont  beaucoup  plus  lentement  que 
leur  fœur  ;  c'eft-à-dire  ,  que  le  mal  eft 
toujours  plus  prompt  &  plus  réel ,  que 
la  réparation  &  le  repentir. 

Les  Fables  inventées  à  plaifîr  ,  font 
celles  qui  n'ont  d'autre  but  que  de  di- 
vertir ,  comme  celle  de  Pfyché  (i) ,  & 
celles  qu'on  nommoit  Milefîennes  &  Sy- 
barkides. 

•Les  Fables  Hiftorîquej  font  aifées  à 
diftinguer ,  parce  qu'il  y  efl  parlé  de  gens 
qu'on  connoît  d'ailleurs.  Celles  qui  font 
inventées  à  plaifîr,fe  découvrent  aufli  fort 
aifément  par  les  contes  ridicules  qu'el- 
les font  de  perfonnes  inconnues  :  le  fens 
des  Fables  Morales  &  Allégoriques  fau- 


ExplpsnrHift.LivA.CHkV.nl.  ï? 

te  auxyeux  ;  pour  les  Philofophiques.el-* 
les  font  remplies  de  Profopopécs  qui  ani- 
ment la  nature  :  l'air  &  la  terre  y  font 
enveloppés  fous  les  noms  de  Jupiter  & 
de  Junon. 

Généralement  parlant,  il  y  a  très-peu 
de  Fables  dans  les  anciens  Poètes ,  qui 
ne  referment  quelques  traits  dHiftoire; 
ce  ne  font  que  ceux  qui  font  venus  après, 
qui  y  ont  ajouté  des  circonstances  pure- 
ment inventées.  Quand  Homère  ,  par 
exemple,  dit  (2)  qu'Eole  avoit  donné  les  (*)  ody£ 
vents  à  UlylTe  enfermés  dans  une  peau, 
d'où  fes  compagnons  les  laifTerent  échap- 
per ,  c'eft  un  trait  d'Hiftoire  enveloppé  , 
qui  nous  apprend  que  ce  Prince  avoit 
prédit  à  Ulyife  le  vent  qui  devoit  fouf- 
fler  pendait  quelques  jours  ,'&  qu'il  ne 
fît  naufrage  que  pour  n'avoir  pas  voulu 
fuivre  fes  confeils  ;  mais  quand  Virgile 
ajoute  (3)  que  le  même  Eole  ,  à  la  prière  (3)  Eneid, 
de  Junon  ,  excita  une  terrible  tempête 
qui  jetta  la  flote  dEnée  fur  les  côtes  d'A- 
frique ,  c'eft  une  pure  Fable ,  fondée  fur 
ce  qu'Eole  étoit  regardé  comme  \z 
Dieu  des  Vents.  Les  Fables  même  que 
nous  avons  appellées  Philofophiques  , 
étoient  d'abord  Kiftoriques  ,  &  ce  n'efi 
qu'après  coup  qu'on  y  a  attaché  l'idée 
des  chofes  naturelles  :  de  là  ces  Fables 

C  iiij 


i, 


$6  La  Mythologie  &  les  Tables 
mixtes  ,  pour  ainfî  parler ,  qui  renferment 
Un  fait  Hifîorique  &  un  trait  de  Phyfi- 
que,  comme  celle  de  Myrrha  &  de  Leu- 
cothbé  changées  en  l'arbre  qui  porte  1  en- 
cens ,  &  celle  de  Clytie  en  Tournefol* 
Mais  avant  que  d'entreprendre  d'ex- 
pliquer les  Fables,  il  eft  à  propos  d'en 
découvrir  les  fources ,  &  d'en  recher- 
cher l'origine  ;  ce  qui  fera  la  matière  dij- 
chapitre  fuivant. 


CHAPITRE   IV. 

Conjeâures  fur  V origine  des  Fables. 

LA  vanité  a  été  fans  doute  la  premiè- 
re fource  des  Fables  :  la  vérité 
n'ayant  pas  toujours  paru  afTez  belle  ni 
afîez  amufantejes  hommes  ont  cru  qu'el- 
le avoit  befoin  pour  paroître ,  d'être  pa- 
rée d'ornemens  étrangers  (à)  ;  ainfî  ceux 
qui  ont  raconté  les  premiers  les  aftions 
de  leurs  Héros ,  y  ont  mêlé  mille  fixions, 
foit  qu'ils  ayent  voulu  les  rendre  par  là 
plus  recommandables  ,  ou  porter  à  la 
vertu  ceux  qui  les  écoutoient ,  en  leur 
propofant  de  grands  exemples.  Mais  ils 

(a)  Voyez,  le  Projet  du  Livre  fur  ce  fujet ,  publié  par  le 
P«   Tournemme  dans  le*  Journaux  de  Trévoux,  en- 171** 


ExplparPHiJt.  LïV.  I.  Chap.  IV.  57 
fçavoient  bien  peu  ce  que  c'étoit  que  la 
véritable  vertu ,  puifque  pour  la  rendre 
aimable  ,  il  faut  la  faire  paroître  dans  des 
modèles  qu'on  puifle  imiter ,  &  que  ceux 
qu'ils  propofoient  ,  étoient  inimitables. 
J'ajouterai  qu'il  s'entendoient  bien  mal 
en  belle  gloire ,  puifqu'ils  meloient ,  fans 
y  penfer  ,  dans  FHiftoire  de  ces  préten- 
dues belles  aétions ,  des  circonftances  de 
rabais  qui  ôtent  à  leurs  Héros  tout  le 
mérite  gui  pourrait  rejaillir  fur  eux.  Si 
Perfée  tue  Medufe,  il  la  furprend  dans  le 
fommeil  :  s'il  délivre  Andromède  ,  il  a 
les  ailes  de  Mercure.  Si  Bellerophon  de- 
vient le  vainqueur  de  la  Chimère  ,  il  eft 
monté  fur  le  cheval  Pégafe.  Achille  efl 
couvert  des  armes  que  Vulcainlui  avait 
faites  >  &il  eft  invulnérable.  Jafon  ne  tue 
le  Dragon,  que  lorfque  Medée  lui  a  don- 
né un  breuvage  pour  endormir  ce  nionf- 
tre  ;  &  Thefée  a  b.efoin  du  fil  d'Ariadne  , 
pour  fortir  du  labyrinthe.  Concluons 
avec  M.  Defpreaux  ,  que 

Rien  ri  eft  beau  que  le  vrai,  le  vrai  feul  efl airnabtn 

Il  doit  régner  far  tout,  &  même  dans  la  fable* 

Venons  à  la  féconde  fource. 

Avant  que  l'ufage  des   Lettres    eût     Seconde 
été  introduit  \  les  grands  événemens  Se  j 
les  belles  actions  n'avoîent  point  d'au-  trcs- 

Cy 


Le*- 


58  La  Mythologie  &  les  Fables 
très  monumens  que  la  mémoire  des  hom*- 
mes ,  ou  tout  au  plus  quelques  hierogly- 
fes  obfcurs  &  dont  le  fens  toujours  ambi- 
gu ,  pouvoit  lignifier  tout  ce  qu'on  vou- 
loit(^);de  forte  que  pour  perpétuer  le 
fouvenir  des  faits  éclatans  ,  les  pères  les 
racontoient  aux  enfans ,  &  fuivant  la  cou- 
tume de  ne  dire  jamais  les  chofes  fimple- 
ment  aux  jeunes  gens  ,  ils  meloient  dans 
leurs  récits  quelques  circonftances  pro- 
pres à  les  en  faire  reffouvenir.  On  gar- 
doit  même  cette  méthode  à  l'égard  des 
Etrangers.Àinfî  fe  rempMbit  d'idées  fu- 
blimes  la  mémoire  &  l'imagination  des 
enfans  ,  qui  venants  dans  la  fuite  à  racon- 
ter les  mêmes  chofes ,  y  ajoutoient  enco- 
re quelques  autres  circonstances.  Lorf- 
qu'on  eft  venu  dans  la  fuite  à  écrire  ces 
Hiftoires  pour  en  remplir  les  Annales , 
ou  en  faire  le  fujet  des  Poèmes ,  &  qu'oa 


(a)  Il  y  avoit  encore  quel-  de  Sefoiliis  :   les  Cantiques 

ques  autres  moyens  de  con-  &  les  Hymnes  ,   comme  il 

ferver  i'Hiftoire;  comme  tes  paroît  non-feulement    dans 

Fêtes  établies  pour  perpétuer  les  livres  de  "Moyfe  *  mais 

le  fouvertir  de  quelque  erand  aufÏÏ  dans  ce  qu'on  dit  de  ceux 

événement.  On  en  voit  plu-  d'Orphée   ,   de    Linus  ,    ôc 

fleurs    exemples  parmi    les  d'Homère  :  les  Cachets  ,  les 

Hebieux.Le>  maftès  de  pier-  Pierres    gradées    ,    comme 

res  élevées   pour -le  même  font  la  plupart  de  n?$  Anti- 

fu]etysunu  qu'en  ufa  Jofué  quites*  Enfin  après  l'inven- 

aprés   avoir    pafîe  le   Jour-  tion  des  Lettres ;,  les  Inicrip* 

cîun  :  les  Colomnes,  comme  tions  les  Epîtres  a  les  Me* 

celles  d'Hercule,  de  Eacchus,  moires  ,  &c. 


Expl.par  PHift.  Liv.  I.  Chap.  IV.  $? 
îi'a  trouvé  d'autres  monumens  &  d'au- 
tres mémoires  que  cette  tradition  con- 
fufe  &  défigurée ,  on  a  été  obligé  de  s'en 
fervir  ,&ona  ainfî  rendu  les  Fables  éter- 
nelles ,  en  les  faifant  paffer  de  la  mémoi- 
re des  ho. âmes  ,  qui  en  étoit  la  dépofï- 
taire ,  dans  les  monumens  qui  dévoient 
durer  tant  de  fîécles  :  &  plût  à  Dieu  que 
ce  mal  n'eût  régné  que  dans  les  premiers 
temps,  où  faute  de  Lettres  &  de  Chro- 
nologie ,  on  fçavoit  û  peu  de  chofes 
avec  exa&itude  ;  mais  il  fe  communiqua 
par  une  efpece  de  contagion  aux  Hifto- 
riens  mêmes  les  plus  fameux ,  lefquels  en 
écrivant  l'Hiftoirs  des  grands  hommes  , 
y  ont  fouvent  mêlé  les  Fables  les  plus 
abfurdes  ,  fans  fe  donner  la  peine  de  les 
expliquer  ;  voici  peut-être  ce  qui  les  a 
trompés  ,  &  ce  fera  la  troifîéme  fource*      Troi/îéme 

On  avoit  anciennement  accoutumé  de  Sfi"^ 
loiier  les  Héros  après  leur  mort  Se  les  <Tjence  de* 
jours  de  leurs  Fêtes  ,  dans  des  Panégy-  °tmgm 
riques  étudiés  ,  où  de  jeunes  Rhéteurs 
dont  on  vouloit  éprouver  le  génie  par 
ces  coups  d'eflai ,  fe  donnoient  une  en- 
tière  liberté  de  feindre  &  d'inventer  , 
croyant  parla  fe  donner  la  réputation  de 
bel  efprit.  Ainfi  ils  s'étudioiem  à  faire 
voir  les,  Héros,  non  tels  qu'ils  avoient 
été  3  mais  tels  qu'ils  auraient  dû  être , 

Cvj 


6o  La  Mythologie  &  les  Fables 
fuivant  l'idée  chimérique  de  grandeuf* 
qu'ils  s'étoient  formée.Ils  ne  manquoient 
pas  fur-tout  de  les  élever  jufqu'au  ciel 
ôc  de  leur  donner  de  la  divinité  fans  au- 
cun ménagement  ;  c'étoit  le  titre  de  no- 
bleffe  le  plus  recherché  dans  les  premiers 
temps.  Bien  loin  de  blâmer  ces  Orateurs, 
on  les  loiioit  d'avoir  l'efprit  inventif;  on 
gardoit  leurs  meilleures  Pièces  ,  on  les 
apprenoit  fouvent  par  cœur  ;  &  fi  c'é- 
taient des  Vers  ou  des  Cantiques  ,  on 
les  chantoit  publiquement.  Dans  la  fuite 
on  a  travaillé  fur  ces  Mémoires  :  1  Hif- 
torien  lui-même  n'étoit  pas  fâché  d'avoir 
de  belles  choifes  à  débiter  ,  dont  il  n'é- 
toit garant  que  fur  la  foi  de  ces  Rela- 
tions. Dicdore(i)  raconte  quelque  cho- 
fe  de  femblable  des  Egyptiens,  à  l'égard 
de  leurs  Rois  morts  :  il  dit  que  tout  le 
Royaume  étoit  en  deuil ,.  ôc  qu'on  chan- 
toit en  vers  les  louanges  du  défunt  ;  fans 
doute  que  les  Prêtres  gardoient  ces  Piè- 
ces funèbres  ,  ôc  s'en  fervoient  pour 
écrire  lHiftoire  de  ces  Princes.  Les 
Grecs,  grands  imitateurs  des  Egyptiens, 
uferent  de  cette  méthode  ,  à  Fégard  ? 
non-feulement  de  leurs  Rois  ,  mais  de 
ceux  aufii  qui  avoient  ou  conduit  chez 
eux  des  Colonies  ,  ou  perfectionné  quel- 
ques Arts.  Ils  n'efl  pas  difficile  de  coin- 


ïpLpârPHiJl.  Liv.  I.  Chàp.  IV.  6t 
prendre  que  cet  ufage  a  fervi  à  introdui- 
re dan§  l'Hiftoire  un  nombre  de  Fables  ; 
car  dequoi  n'eft  pas  capable  une  imagi- 
nation vive  &  pétulante  ,  à  qui  on  don- 
ne la  permiflîon  de  s'égarer  à  fon  choix 
dans  le  Pays  des  belles  idées  ? 

Si  on  entreprenoit  encore  aujourd'hui 
de  compofer  l'Hiftoire  de  nos  Héros  fur 
la  plupart  de  leurs  panégyriques  ,  ou  de 
leurs  Oraifons  funèbres  5  elle  feroit  du 
moins  auffi  fabuleufe  ,  à  la  divinité  près , 
que  celles  de  l'antiquité.  Je  ne  fuis  pas 
furpris  que  l'ancienne  Hiftoire  foit  û 
remplie  de  Fables ,  puifqu'elle  a  été  écri- 
te fur  des  Mémoires  fî  peu  fûrs  ;  mais  ce 
qui  m'étonne  ,  c'eft  la  fotte  vanité  des-. 
Hiftoriens  Romains  ,  qui  ont  donné  li 
fouvent  dans  le  fabuleux  r  foit  pour  flat- 
ter leurs  Empereurs ,  foit  pour  ne  pas 
céder  en  merveilleux  aux  Grecs  ,  foit 
pour  faire  voir  la  protection  fenfible  de$ 
ï)ieux  fur  leurs  grands  hommes.  De-là 
ces  fréquentes  apothéofes  ,  cette- multi- 
tude de  prodiges  qu'ils  racontent  fi  grave- 
ment ,  &  tout  le  fumaturel  dont  ils  ont 
rempli  leurs  Hifloires.  Je  pardonne  au 
crédule  Valere  Maxime  ',  &  même  ,  fï 
vous  voulez  ,  à  Dion  Ca/ïïus ,  d'autorifer 
prefque  toujours  les  prodiges  qu'ils  rap- 
portent 5  mais  je  ne  fçauroisle  pardox* 


$2.  La  Mythologie  &  les  Tables 
ner  à  Tîte-Live  ,  &  encore  moins  à  VY\A 
ne  ,  qui  tout  incrédule  qu'il  étoit  ,  n'a 
pas  toujours  ofé  defapprouver  des  cho- 
ies qui  meritoient  la  cenfure  d'un  hom- 
me même  plus  religieux  que  lui.  Encore 
font-ils  en  quelque  façon  excufables  ;  ils 
vivoient  dans  une  Religion  qui  autori- 
foit  ces  faits  fabuleux  ,  &  dans  un  temps 
où  il  étoit  dangereux  d'attaquer  de  quel- 
que manière  que  ce  fut ,  les  opinions  po- 
pulaires. Mais  un  Sandoval  &  les  autres 
Hiftoriens  de  Charles -Quint,  Mezerai 
même  ,  &  M.  de  Perefixe,  fans  compter 
les  Hiftoriens  des  Croifades,  me  font 
pitié  lorfque  je  les  vois  rapporter  avec 
une  efpéce  de  confentement ,  des  pro- 
diges que  le  peuple  même  ne  croyoit 
Î>as.  Je  fçais  bien  que  c'eft  le  rolle  de 
'Hiftorien  ,  pour  me  fervir  des  termes 
de  Montagne  ,  de  coucher  par  écrit  ce 
qu'il  trouve  dans  les  Mémoires  dont  il 
fe  fert  ;  mais  je  fçais  bien  auffi  qu'il  de- 
vroit  y  mettre  fon  attache  :  car  en  vé- 
rité ,  ce  qui  eft  fabuleux  n'augmente  pas 
la  gloire  des  grands  hommes  ;  il  ne  fert 
tout  au  plus  qu'à  diminuer  la  créance  que 
Ton  doit  aux  faits  véritables.  Ces  grands 
hommes  ,  dont  ceux  que  nous  venons  de 
nommer  ont  écrit  les  aftions  ,  rt'avoient- 
ik  pas  aflez  de  mérite ,  fans  prétendiç 


Expl.  par  rHift.  Liv.  I.  Chap.  IV.  6? 
que  la  nature  fe  fût  mife  en  nouveaux 
frais,  pour  les  honorer  par  des  évene- 
mens  extraordinaires  ? 

Les  Voyageurs  Se  les  Marchands  ont       Quatrième 
auffi  beaucoup  gâté  lHiftoire  ,  en  intro-  Rehtîôns^dcr- 
duifant  un  grand  nombre  de  Fables  par  Voyageurs* 
leurs  relations.  Ces  fortes  de  gens  font 
fouvent  ignorans  ,  &  prefque  toujours 
menteurs  ;  ainfî  il  leur  a  été  facile  de 
tromperies  autres  ,  après  avoir  été  trom- 
pés eux-mêmes.  Quand  on  revient  d'un 
pays  éloigné ,  il  faut  avoir  de  belles  cho- 
ies à  en  dire;  on  croiroit  avoir  perdu  fon 
temps,  fi  on  n'en  rapportoit  que  de  com- 
munes ,  &  les  autres  en  jugeroient  ainfï. 
Pourquoi,  diroit-on ,  effayertant  de  dan- 
gers ,  aller  chercher  fi  loin  des  gens  faits 
comme  nous  ?  Ce  n'étoit  pas  la  peine  de 
fortir  de  fa  maifon.  Ainfi  on  ne  fe  croyoitr 
dédommagé  de  la  fatigue  des  Voyages , 
que  par  l'opinion  qui  fe  répandoit ,  qu'on 
y  avoit  vu  des  chofes  étonnantes  ;  ÔC 
trompés  par  les  habitans  du  Pays  où  ils 
ctoient  allé  ,  qui  pour  faire  honneur  à 
leur  Patrie  ,  ne  manquoient  jamais  d'en 
embellir  l'Hifioire  ,  ils  trompoSent  en- 
fuite  les  autres  par  des  narrations  fabu- 
lejfes»  Quand  on  fçait  qu'on  fera  crû , 
il  efl  bien  difficile  de  refifter  au  charme 
de  dire  des  chofes  extraordinaires.  Les 


&£     La  Mythologie  &  les  Fables 
Egyptiens    fur  tout    ,    dont  la  Théo-» 
logie  étoît  fort  myfterieufe  ,  &  la  Lan- 
gue équivoque,trompoientfouvent  ceux 
qui  voyageoient  chez  eux. 

C'eft  unufage  reçu  dans  tous  les  Pays: 
îl  n'y  a  qu'à  voir  combien  de  Fables  ont 
débité  les  peuples  de  l'Amérique  &  des 
Indes  ,  à  ceux  qui  les  ont  découverts. 
Les  Marchands  menoient  avec  eux  des 
gens  pour  les  efcorter  &  pour  les  dé- 
fendre dans  les  lieux  où  ils  alloient  éta- 
blir ou  des  colonies  ,  ou  des  correfpon- 
dances  ;  ils  avoient  befoin  fur-tout  de 
leur  fecours  contre  les  bêtes  féroces  , 
dont  les  bois  étoient  remplis  :  ceux-ci  fe 
diftinguoient  fouvent  par  leur  bravoure , 
&  c'eft  fans  doute  delà  que  font  venus 
les  Hercules  ,  &  les  autres  dompteurs  de 
monftres  &  redrefïeurs  de  torts  ,  dont 
l'Hiftoire  fabuleufe  eft  remplie.  C'eft 
fans  doute  fur  ces  relations  de  Marchands 
&  de  Voyageurs,  que  les  Poètes  établi- 
rent les  Champs  -Elifées  dans  le  char- 
mant Pays  de  la  Betique  ,  ou  dans  les 
Mes  Canaries  ;  c'eft  delà  auffi  que  nous 
font  venues  ces  Fables  qui  placent  des 
monftres  dans  certains  Pays ,  des  Har- 
pyes  dans  d'autres  ;  qui  portent  qu'il  y 
avoit  des  Peuples  couverts  d'éternelles 
ténèbres  7  qu'il  y  en  avoit  d'autres  qui 


Èrplpar  Pltifi  Lïv.  I.  Chat.  IV.  6$ 

habitoient  fous  terre  ,  d'autres  qui  n'a- 
voient  qu'un  œil ,  ou  qui  étoient  Sembla- 
bles à  des  Géants  ;  que  le  Soleil  &  les 
autres  Aftres  ,  alloient  tous  les  foirs  fe 
coucher  dans  l'Océan  ,  &  tant  d  autres 
fiétions  fondées  far  des  Relations  ampli- 
fiées, (a) 

PaiTons  à  la  cinquième  fource.  cinquième 

Les  Poètes  &  les  Peintres  font  fans  gg£f£ 
contredit  ceux  qui  ont  le  plus  produit  de  Peintres,  &1« 
Fables  dans  le  monde  :  rheaue. 

Pittoribus  atque  Voëtis 

Quidhhet  audendifernper  fuit  œqua poteftas  ( i )      (x)  Hor.  Art» 

Poà. 

Comme  ils  ont  toujours  cherché  à  plai- 
re ,  plutôt  qu'à  inftruire ,  ils  ont  préféré 
une  ingénieufe  faufleté,  à  une  vérité  con- 
nue. S  il  a  fallu  flatter  ou  confoler  quel- 
que Prince  defolé  de  la  perte  d'un  enfant, 
le  Poëte  le  placoit ,  ou  parmi  les  A  (1res  , 
ou  parmi  les  Dieux,comme  le  dit  La&an- 
ce  (a)  :  ceux  qui  avoient  aimé  les  belles 
lettres,étoient  regardés  ou  comme  les  en* 
fans  ou  comme  favoris  d'Apollon.  Hya- 
cinthe paflapar  cette  raifonpour  être  le 

(a)  Confultex  ce  que  dit  Strabon  à  ce  fujet  L.  i5.p« 
203Î- &  1038. 

{a)lAccefferHnt  autem  PoetJt  faciunt  qui  apud    R,?gcs  non 

Ht  compofitts   ad    voluptatem  mahs  panegyricis  mmdacibnè 

carmïaibtts  ,  adcotlum  eos  ,  id  adulant***  inft.  1,  X» 
qfi  tien  ai  j/H^nlerunt  ;  Jkn4 


~i6  La  Àfvtholope  &  les  Faites 
favori  de  ce  Dieu  :  &  parce  qu'il  fut  tué 
d'un  coup  de  palet  que  le  vent  détourna 
malheureufement ,  on  feignit  que  Borée 
jaloux  de  cette  amitié  avoit  caufé  cet  ac- 
cident. Le  fuccés  juftifta  Iheureufe  té- 
mérité des  Poètes  :  on  lut  leurs  Ouvra- 
ges avec  plaifir  '.  &  rien  n'y  plut  tant  que 
la  fîftion  :  auffi  prirent-ils  pour  une  rè- 
gle de  la  poétique  de  ne  jamais  rien  dire 
naturellement.  Les  Bergères  furent  des 
Nymphes  ou  des  Naïades  ;  les  Vaiffeaux 
devinrent  tantôt  un  Cheval  ailé ,  comme 
dans  l'Hiftoire  de  Bellerophon  :  &  tan- 
tôt des  Dragons  ,  comme  dans  celle  de 
Medée  :  les  Bergers ,  des  Satyres  ou  des 
Faunes  :  les  hommes  à  Cheval ,  des  Cen- 
taures :  ceux  qui  aimoient  la  Mufique  , 
des  Apollons  :  les  Médecins  ,  des  Éfcu- 
lapes  :  les  belles  voix  ,  des  Mufes  :  les 
belles  femmes ,  des  Venus  ;  les  débau- 
chées ,  des  Sirènes  ou  des  Harpyes  :  cek 
les  qui  aimoient  la  chaiTe  ,  des  Dianes  : 
les  Oranges  ,  des  Pommes  d'or  :  les  flè- 
ches &  les  dards ,  des  foudres  &  des-car- 
reaux.  Ils  firent  plus  ;  car  fe  voyant  les 
Maîtres  des  peintures  &  des  caractères 
qu'ils  donnoient  aux  perfonnes  &  aux 
<0  Juçe-  chofes  qu'ils  reprefentoient ,  pour  faire 
ment  des  sca-  voir  que  leur  Art  confifloit  principale* 
Tan»,  «m.*  ment  ^ans  ia  fiaion ,  ils  s'attachèrent  (i) 


Etpl.  par  PH:fl.  Liv.  I.  Chap.  IV.  67 

particulièrement  à  contredire  la  vérité  , 
&  de  peur  de  fe  rencontrer  avec  les  His- 
toriens ,  ils  changèrent  les  cara&eras  des 
perfonnes  dont  il  parloient.  Homère  a 
fait  d'une  femme  infîdelle  &  proftituée  , 
la  fage  &  vertueufe  Pénélope;  &  Virgile, 
d'un  traître  à  fa  Patrie  ,  un  IJeros  plein 
de  pieté  :  &  d'un  bandit  fugitif ,  qui  per- 
dit la  bataille  «Se  la  vie  contre  Mezence  , 
un  Conquérant  &  un  demi-Dieu.  Le  mê- 
me Poè'te  n'a  point  fait  de  difficulté  de 
deshonorer  une  PrinceiTe  très-vertu eufe 
(.2\&  de  lui  ôter  le  caraeftere  de  fa  chatte-  (2)  Didoik 
té  &  de  fon  courage  ,  pour  lui  donner 
celui  d'une  pafîion  honteufe  ,  &  d  une 
lâche^  capable  de  defefpoir.  Ils  ont  tous 
confpiré  à  faire  pafTer  Tantale  pour  un 
avare ,  Se  l'ont  mis  de  leur  chef  au  milieu 
du  Tartare,  où  il  fouflfre  une  peine  cruels 
le  proportionnée  à  fon  avance  ;  lui  qui 
a  été  un  Prince  très-religieux  &  fort  hon- 
nête homme ,  comme  le  dit  Pindare. 

Mais  ce  n'eft  pas  feulement  l'envie  de 
plaire  Se  de  flatter ,  qui  mit  les  Poètes 
dans  la  nécefiïté  de  feindre  &  d'inventer, 
ils  y  furent  fou  vent  obligés  par  la  médio- 
crité de  leurs  fujets.  Ce  qu'ils  avoient  à 
dire  auroit  été  fouvent  très-commun , 
fans  le  furnaturel  &  la  fiftion  qu'ils  ont 
§u  TadreiTe  d'y  mêler.  Si  on  vouloit  faire 


$8  La  Mythologie  &  les  FabUî 
l'analyfe  de  leurs  Poèmes ,  on  les  reduk 
roit  à  peu  de  chofes  :  il  y  a  une  infinité  de 
Marchands  &  de  Soldats  qui  ont  efïiiyé 
plus  de  dangers  ,  &  fait  paroître  plus  de 
courage  dans  les  occafîons  ,  qu  Enée, 
UlyiTe  &  Achille.  Que  feraient .  je  vout 
prie  ,  l'Enéide ,  1  Iliade  &  l'Odytfee  , 
fans  le  fecours  éternel  des  Dieux,  fans 
le  mélange  perpétuel  de  vérités  peu  in-* 
tereflantes ,  avec  des  fi& "ons  qui  atta- 
ÏOEnée.  chent  ?  Un  homme  (i)  échappé  à  la  rui- 
ne de  fa  Patrie  ,  construit  avec  d'autres 
fugitifs  quelques  vaiifeaux  ,  s'embarque  , 
arrive  en  Thrace  ,  en  Macédoine  ,  & 
dans  quelques  Ifles  de  l'Archipel  ;  il  s'ar- 
rête dans  rifle  de  Crète  ,  va  en  Sicile*, 
d'où  après  avoir  paffé  le  Phare  de  Meflî-* 
ne, il  arrive  enfin  par  l'embouchure  du  Ti- 
bre en  Italie  ,  où  il  fe  maria  après  avoir 
ii)  ulyffe.  tué  fon  Rival.  Un  autre  (2)  eft  abfent  de 
chez  lui  pendant  plufreurs  années  ;  ce- 
pendant tout  eft  en  defordre  dans  fa  fa^ 
mille  ,  fon  bien  eft  diffipé  ,  fa  femme  & 
fon  fils  font  perfecutés  ;  il  revient  enfin 
après  avoir  efîuyé  quelques  dangers ,  il 
reconnoît  quelques-uns  des  fiens  qui  lui 
étoient  demeurés  fidèles  ,  &  avec  leur 
fecours  il  rétablit  toutes  chofes  en  per- 
w  % .  ,  .„    dant  fes  ennemis.  Celui-ci  (  3  )  s'étant 

W) AchiUe.  ,  mi  /  a  r  •        1 

brouille  avec  Agamemnon ,  le  retire  dans 


Explpar  PHîft.  Liv.  Ï.Chap,  IV.  <?> 

fa  Tente  :  les  Troyens  profitent  de  la 
mefîntelligence  des  Chefs  ,  deviennent 
fupeneurs  ,  battent  les  Grecs  ,  forcent 
leurs  retranchement  ,  mettent  le  feu  dans 
leurs  Vaifleaux  ;  Patrocle  emprunte  le$ 
armes  d'Achille,  &  tue  Sarpedon  :  Hec- 
tor venge  la  mort  de  fon  ami ,  &  ôte  la 
vie  à  Pau  ocle  ;  alors  Achille  fort  de  fa 
Tente  ,  pouffe  lçs  Troyens  jufques  fou? 
leurs  murailles  ;  &  les  ayant  obligés  d'en- 
trer dans  leur  Ville  ,  trouve  He&orfeuji 
qu'il  tue  ,  Se  traîne  fon  cadavre  autour 
du  tombeau  de  fon  ami ,  à  qui  il  fait  de 
jnagnifiques  funérailles.  Voilà  les  trois 
plus  beaux  Poèmes  de  ceux  qui  noua 
j-eftent ,  fondés  fur  des  Hiftoires  aflez 
communes  ,  &  foutenus  par  des  Héros 
d'un  mente  affez  borné  ;  ainfî  leurs  Au- 
teurs ont  été  obligés  de  fournir  une  in- 
finité de  Fables  pour  les  foutenir ,  & 
pour  embellir  les  vérités  qu'ils  y  ont  mê- 
lées. Pour  dire  ,  par  exemple  ,  qu'Ulyfle 
arriva  ircognïto  chez  Alcinoiis,  (i)  Hc-  ^  Qâ  * 
mère  le  fait  conduire  par  Minerve  qui  le  1 1&  V 
couvre  d'un  nuage.  Virgile  fidèle  imita- 
teur du  Poète  Grec  ,  fait  arriver  de  la 
même  manière  Enée  chez  Didon ,  fous  la 
conduite  de  Venus  (2).  Si  les  délices  du  (zy  £nc^ 
pays  des  Lotophages  retiennent  trop  les  *•  u 
compagnons  tfUlyffç  ?  on  dit  cjue  les 


*J0      La  Mythologie  &  les  Tahlet 
fruits  de  cette  Ifle  font  oublier  leur  pays 
«i)Odyfl:i.  à  ceux  qui  en  mangent \i).  S'arrêtent-ils 
h  à  la  Cour  de  Circé  pour  s'y  livrer  à  la 

débauche  ;  on  publie  que  cette  préten- 
due Magicienne  les  avoit  changés  en 
pourceaux.  On  ne  dira  pas  Amplement 
qu  Ulifle  effraya  beaucoup  de  tempêtes  , 
il  faut  y  mêler  la  colère  de  Neptune  t 
qui  venge  ainfi  fon  fils  Polypheme-  Que 
de  myfteres  ,  que  de  préparatifs  avant 
qu'Achille  tue  He&or  !  Sa  mère  lui  por- 
te des  armes  de  la  fabrique  de  Yulcain  , 
elle  lavoit trempé  dans  le Satyx  pour  le 
Tendre  invulnérable.  Minerve  prend  la 
figure  de  Deïphobe „  pour  tromper  Hec- 
tor par  le  prétendu  fecoui  s  de  fon  frère, 
fe)  iliad.  Jupiter  (2)  prend  des  balances ,  pefe  les 
ti3'  deftins  de  ces  deux  Héros  v  &  voyant 

que  celui  dHc&or  defeend  jufquaux 
Enfers  ,  il  1  abandonne  ,  &  Achille  lui 
ôte  la  vie.  Rien  ne  fe  fait  p?rmi  eux  que 
par  machine  ,  ils  employant  à  tout  pro.* 
pos  le  miniftere  de  quelque  Divinité. 

Là  pour  nous  enchanter  tout  tft  mis  en  ufege 
iJ^P^ue.      Tout  pend  un  corps ,  une  ame  ,  un  efprit ,  un  vt~ 

Chaque  vertu  devient  une  Divinité', 
Minerve  cft  la  prudence ,  &  Venus  ia  beauté. 
Ce  n  tft  plus  ta  vap.ur  qui  produit  le  Tonnerre, 
Ctjl  jupiter  a>  me  pour  effrayer  la  terre. 
V»  Qitgc  terrible  mx  yeux  des  Matelots, 


ExplparrWJî.  Liv.L  Chàp.IV.  71 

Cefl  Neptune  en  courroux  qui  gourmande  Ut 

flots. 
Echo  neflplus  un  fin  qui  dans  l'air  retentijje, 
Ceft  une  Nymphe  en  pleurs  qui  fe  plaint  cU  Nar* 

ctfe. 

Ceft  ainfi  que  les  Poètes  ornent 
leurs  fu.ets  ,  &  les  rempliflent  défigu- 
res vives  &  ingénieufes.  N'appréhen- 
dez pas  qu  ils  difent  iîmplement  qaeles 
troupes  des  deux  Aloïdes  ,  ces  fiers 
Géants  qui  faifoient  la  guerre  à  Jupi^ 
ter  ,  augmentaient  leurs  forces  par  la 
jonction  de  quelque  fecours  ;  ils  diront 
que  ces  Géants  eux-mêmes  croiffbient 

chaque  jour  dune  coudée  (1).   Home-   (^  Hom» 
1     l      1  '       '      ^    1    r      odyû.  1.  xx- 

re  ,  au  lieu  de  raconter  qu  après  le  ian- 

glant  combat  qui  fut  donné  fur  les  ri- 
ves de  Xante ,  le  lit  de  ce  Fleuve  s'é- 
tant  trouvé  rempli  de  corps  morts>  l'eau 
fe  déborda  &  inonda  toute  la  campa- 
gne ,  jufqu'à  ce  que  ces  corps  étant  ro* 
tirés  de  l'eau ,  on  alluma  un  bûcher  dont 
la  flame  les  reduifit  en  cendres  ;  le  Poè- 
te feint  (2)  que  ce  fleuve  fe  fentant  (2)  iii*f; 
oppreiTé  dans  fonlit,  en  fit  fes  plaintes  1»<SI* 
à  Achille,  &  que  ce  Héros  ne  l'ayant 
pas  fatisfait ,  il  fe  déborda  contre  lui , 
&  le  pourfuivant  avec  rapidité ,  il  l'au- 
roit  noyé  dans  fes  eaux  ,  fi  Neptune  8t 
Minerve  envoyés  par  Jupiter  >  ne  lui 


7^  La  Mythoïogte  &  tes  Tables 
cuflent  promis  une  prompte  fatisfa&ioft* 
Le  même  Poète  ayant  à  nous  appren- 
dre que  les  inondations  de  la  mer  ,  rui* 
nerent  quelque  temps  après  la  retraite 
des  Grecs ,  cette  fameufe  muraille  qu'ils 
^voient  élevée  pendant  le  fiége  de 
Troye  ,  pour  fe  mettre  à  couvert  des 
tt)  Iliad.    infultes  de  leurs  ennemis  ,  dit  (i)  que 

&*•  Neptune  irrité  de  Tentreprife  des  Grecs, 

étoit  allé  prier  Jupiter  de  lui  permettre 
de  Tabattre  avec  fon  trident;  &  qu'ayant 
interefîe  Apollon  dans  fa  vengeance, 
ils  avoient  travaillé  de  concert  à  -ren- 
verfer  cet  ouvrage.  Si  le  Navire  des 
Phéaciensqui  avoit  conduit  Ulyïfe  à  Ita- 
que  ,  fait  naufrage  à  fon  retour  ,  on  ne 
manque  pas  de  dire  que  Neptune  irrité 
de  ce  qu'il  avoit  fervi  à  porter  UlyfTe, 
(2)  Odyr.  l'avoit  changé  en  rocher  (a\    Si  Tur- 

*•  i+-  nus  fait  brûler  la  Flotte  d  Enée ,  Vir* 

gile  fait  paroître  Cybele  qui  change  ces 
VaiïTeaux  en  Nymphes  de  la  mer. 

Quand  on  voyoit  un  bel  Ouvrage, 
comme  les  murailles  de  Troye,.les  Tours 
d'Argos  ,  &  quelques  autres  ,  e'étoient 
toujours  les  Dieux  qui  en  avoient  été 
les  Architc&es  ; 

•  <.  ....  Cet  no  Cyclofum  fncras 
Turres ,  labore  majus  humant!  decus,  Senec, 
iûlhieft,  AÔ.3. 


ExpLparPHifî.  Lïv.LChap.IV.  75 

1  On  ne  dit  pas  Amplement  qu'Ulyflb 
étoit  prudent ,  on  a  foin  de  lui  donner 
Minerve  pour  guide. 

Au  lieu  de  raconter  comment  Enéc 
s'étant  trouvé  au  commencement  du 
Printemps  fur  la  mer  de  Sicile ,  il  s'é- 
leva une  tempête  qui  Pécarta  de  cette 
Me ,  on  fait  venir  fur  la  fcéne  Junon 
irritée,  Eole ,  les  Vents  ,  Neptune , &c« 
Un  Hiftorien  raconterait  fans  figure, 
que  Beçpé  excita  les  Dames  Troyen- 
nes  à  brûler  leur  Flotte ,  de  peur  de  fe 
voir  expofées  à  de  nouveaux  dangers  : 
un  Poëte  fera  jouer  la  fcéne  par  la  Déef- 
fe  Iris,  fous  la  figure  de  cette  Dame 
Phrygienne  (ï).  Si  un  Prince  dans  l'Hif- 
toire  eft  habile  &  politique  ,  chez  les 
Poètes  on  lui  donne  plufieurs  têtes  ;  s'il 
eft  brave  ,  on  lui  donne  plufieurs  bras  ; 
s'il  eft  fin  &  rufé ,  on  lui  fait  prendre 
plufieurs  figures.  Au  lieu  de  dire  que 
Nauplius  ayant  appris  que- la  Flotte  des 
Grecs  approchoit,  fit  allumer  des  feux 
pour  l'attirer  près  des  rochers  dont  fon 
Ifle  étoit  environnée  ,  où  il  la  fit  périr; 
un  Poëte  fait  intervenir  la  Déefîe  Mi- 
nerve ,  qui  venge  ainfi  fur  Ajax ,  l'af- 
front qu'il  fit  à  Caffandre  dans  fonTem* 
pie.  Si  on  veut  nous  apprendre  qu'un 
Hcros  pour  s'éclaircir  de  fa  deftinée, 
Tome  I.  D 


74  ^a  Mythologie  &  les  Fables 
fit  quelque  évocation  ,  fuivant  l'ufage 
de  ce  temps-là  ,  le  Poète  le  fait  defcen- 
dre  aux  Enfers  ,  &  lailTant  prendre  à  foa 
imagination  un  libre  efîor  ,  il  débite 
mille  Fables.  Enfin  on  remarque  par- 
tout dans  leurs  Ouvrages  un  renverfe- 
ment  prémédité  des  droits  de  la  vérité  ; 
&  au  lieu  de  cet  air  de  {implicite  qu'elle 
demande  ,  ils  ont  adopté  les  emporte- 
mens  &  la  fureur  ,  fuivant  le  caractère 
que  Pétrone  leur  donne  ,  d^  dire  les 
chofes  en  hommes  polTedés  par  un  ei*? 
thoufîafme  prophétique  ,  &  remplis  de 
la  fureur  du  Dieu  qui  les  agite,  (a) 
l«  Théâtres.  On  peut  ajouter  que  les  Théâtres  ont 
fervi  à  introduire  beaucoup  de  Fables  : 
c'eft  fur  la  Scène  que  triomphe  la  li- 
berté de  déguifer  la  vérité  :  limagina- 
tion  &  les  fens  font  bien  plus  vivement 
frappés  quand  un  Auteur  fçait  ména- 
ger une  intrigue  aux  dépens  de  la  vé- 
rité ,  que  s'il  la  reprefentoit  telle  qu'elle 
;cft  arrivée.  Pafîphaé  amoureufe  d'un 
Capitaine  nommé  Taurus ,  n'auroit  pas 
fait  fur  les  Théâtres  de  la  Grèce,  où 

(  a  ï    "ti'/ti    enim  res  grfl-t  ÇYxciç'-endv.s  efl  lihor  fpmtHS9 

perjt&us  cewprehendenaœfunt-,  v.t  pctiùs  furpntis  animi  vati- 

ç/*s.1  long*-  melites  Hijioriii fy-  cinf.t'10  af-p.rs"tit  ,  CjHj.m  fli» 

finnt  ;  Je'içer  ar^bages-y  D*o-  giofx    oraiionis    fy,b    teftibpi 

fumque  minijieria  ,   (S  fabn-  fîdes.    Petr.  Sat./ 
pfhnifententiarunuQrrmnt^m 


ZxpLphrrHiJï.Liv.L  Chàp.IV.  7? 
«Ile  étoit  haïe  mortellement  à  caufe  de 
Minos  ,  la  même  impreffion  qu'elle  fit 
lorfqu'on  la  reprefenta  amoureufe  d'un 
Taureau  que  Neptune  avoit  fait  fortir 
de  la  mer.  On  eft  bien  plus  touché  de 
voir  Andromède  ou  Helione  expofées 
à  des  monftres  ,  qu'à  des  Corfaires  ;  & 
Didon  qui  defefperée  de  la  perte  d  un 
Amant  fe  perce  le  fein  ,  nous  frappe 
bien  plus  vivement ,  que  iî  elle  fe  tuoit 
pour  la  mort  d'un  Mari  ,  comme  1  Hif- 
toire  nous  l'apprend.  C'eft  airifî  qu'on 
s'eft  fait  un  mérite  de  mentir  avec  art, 
d'inventer  félon  certaines  règles  ,  de 
feindre  des  a&ions  ,  des  converfations, 
des  fentimens  ;  &  la  Fable  eft  montée 
-fur  le  Théâtre  comme  far  fon  Trône. 

Enfin  on  peut  dire  que  les  Peintres  U  Pcinra 
travaillant  d'après  les  imaginations  Poe-  *V  sSculP" 
tiques,  ont  aufïï  donné  cours  à  quelques 
Fables  ;  &  c'eft  peut-être  à  eux  ,  du 
moins  en  partie  ,  que  nous  devons  l'exif- 
tence  des  Centaures  ,  des  Sirennes,  des 
Harpycs  ,  des  Nymphes,  des  Satyres 
&  des  Faunes  ,  qu'ils  ont  peins  fur  les 
Portraits  qu'en  faïf jient  les  Poètes ,  ou 
for  quelques  Relations  de  Vovageurs 
Se  de  Pefcheurs  :  ils  ont  même  fou  vent 
donné  cours  aux  Hiftoires  fabuleufes  , 
en  les  reprefentant  avec  art  ;  ce  qui  eft 


rj6  La  Mythologie  &  les  fiables 
il  vrai ,  comme  je  le  remarquerai  dans 
la  fuite ,  que  les  Payens  dévoient  l'exis- 
tence de  plufieurs  de  leurs  Dieux  ,  à 
quelques  belles  Statues  ,  ou  à  des  Ta^ 
bleaux  bien  faits, 
skiémefoiu--  Comme  il  efl:  fouvent  arrivé  qu'une 
Uté  r^u *i'u"  niême  perfonne  a  eu  plufieurs  noms,  ce 
qui  étoit  fort  commun  parmi  les  peuples 
Orientaux ,  on  a  crû  dans  la  fuite  des 
temps  ,  en  lifant  des  Hiftoires  mal  digé- 
rées &  des  avantures  affez  incompatir 
blés  ,  qu'il  s'agiifoit  de  différentes  per- 
fonnes  ;  de  là  la  multiplication  des  Hé- 
ros :  on  a  partagé  entre  plufieurs  ,  les 
aftions  &  les  voyages  d  un  feul.  Mer* 
cure  ,  par  exemple  ,  s'appelloit  Thaut 
en  Egypte  \  Teutat  chez  nos  anciens 
Gaulois  ,  Hermès  chez  les  Grecs.  Plu- 
>  ton  3  Dis  chez  les  Celtes  ,  Ades  chez 
les  Grecs  ,  Sumanus  chez  les  Latins  , 
Sor anus  chez  les  Sabins  ;  &  comme  on 
ne  connoifïbit  quelquefois  dans  un  pays 
le  Héros  ou  le  Dieu  que  fous  un  feul 
nom  ,  &  qu'on  ne  fçavoit  pas  trop  ce 
qu'il  avok  fait  hors  delà  ;  quand  on  ve- 
noit  à  lire  d'autres  avantures  que  cel- 
les dont  on  avoit  oui  parler  ,  d'autres 
noms  ou  d'autres  qualités ,  on  ne  dou- 
toit  point  qu'il  ne  s'agît  de  différentes 
jperfonnes  ;  de  là  ce  prodigieux  nombf  e 


ExplparPHift.  Liv.I.  Chaî.IV.  77 

de  Jupiters  ,  de  Mercures  ,  &c.  On  a 
quelquefois  fait  tout  le  contraire  ;  & 
quand  il  eft  arrivé  que  plufieurs  perfon- 
nés  ont  porté  le  même  nom  ,  on  a  attri- 
bué à  un  feul ,  ce  qui  devoit  être  par- 
tagé entre  plufieurs  ,  &  PHiftoire  du 
plus  connu  ,  a  été  chargée  des  avantu- 
res  de  tous  les  autres  :  Telle  eft  PHif- 
toire  d'Hercule  de  Thebes  ,  dans  la- 
quelle on  a  mêlé  les  a&ions  &  les  Voya- 
ges d'Hercule  Phénicien  ,  &  de  plu- 
ïîeurs  autres  Héros  du  même  nom  :  telle 
eft  encore  PHiftoire  de  Jupiter  fils  de 
Saturne  ,  dans  laquelle  on  a  raiïemblé 
les  avantures  de  plulieurs  Rois  de  Crè- 
te ,  qui  ont  porté  le  même  nom  ,  qui 
étoit  commun  parmi  ces  anciens  Rois? 
comme  celui  de  Pharaon  ou  de  Ptole- 
mée  Pétoit  en  Egypte  ,  ou  celui  de  Ce- 
far  parmi  les  Empereurs  Romains. 

L'ignorance  de  la  Philofophie  ,  &     septième 
fur-tout  de  la  Phyfiquc  ,  a  auffi  donné  ^^cS 
lieu  à  beaucoup  de  Fables  :  la  curiofîté  te  Philoib- 
û  naturelle  aux  hommes ,  les  a  toujours  ri 
portés  à  chercher  la  caufe  des  évene- 
mens  qui  furprennent  (a)  ;  &  dans  les 
fiécles  barbares  ,  où  Pon  étoit  fi  peu 
avancé  dans  la  connoiffance  de  la  na- 
ture ,  on  avoit  recours  à  des  chofes  feu- 

(4)  Voyez  le  pcojet  du  P.  ïourncmine ,  toc*  du 

D  iij 


r-iUw. 


7$  La  Mythologie  &  les  Fables 
fibles  &  grofîieres  :  on  animoit  tout ,  les 
fleuves  ,  les  fontaines ,  les  aflres.  C;é- 
toit  un  excellent  abrégé  des  recherches  ; 
rien  de  plus  aifé  que  de  rapporter  à  des 
caufes  animées  ,  des  effets  dontonignc- 
roit  les  principes.  On  donna  enfuite  de 
la  Divinité  aux  chofes  qu'on  n'avoit  fait 
qu'humanifer  ;  le  Soleil  fut  adoré  fous 
le  nom  d'Apollon  ,  la  Lune  fous  celui 
de  Diane.  La  crainte  de  leurs  influen- 
ces ,  &  la  part  qu'on  leur  donne  à  tout 
ce  qui  fe  paffe  ici-bas  ,  furent  fans  dou- 
te la  caufe  de  leur  afotheofe  ,  &  du 
culte  qu'on  établit  pour  les  appaifer 
lorfqu'on  les  croyoit  irrités.  Les  Prê- 
tres établis  pour  cela  ,  inventèrent  des 
Hîftoires  ,  &  publièrent  des  apparitions 
de  leurs  prétendues  Divinités,  pour  per- 
pétuer par  là  un  culte  lucratif.  Ils  di- 
rent ,  par  .exemple  ,  que  Diane  étoit  de- 
venue amoureufe  d'Endymion  ,  &  que 
la  caufe  de  feséclipfes  devoit  fe  rappor- 
ter aux  vifites  quelle  rendoit  à  fon 
Amant ,  dans  les  montagnes  de  la  Ca- 
rie ;  mais  comme  fes  amours  ne  durè- 
rent pas  toujours  ,  il  fallut  chercher 
une  autre  caufe  de  fes  éclipfes.  On  pu- 
blia que  les  Sorcières  ,  fur-tout  celles 
de  Theffalie  ,  où  les  herbes  venimeufes 
.Ctoient  plus  communes  ,  par  l'écume 


'  ExplparVHlft.Liv.LCnAV.ÏY.  7^ 
que  Cerbère  tiré  des  Enfers  y  avoit  bif- 
fé tomber  ,  fuivant  une  autre  Fable, 
avoient  le  pouvoir  par  leurs  enchante- 
mens  ,  d'attirer  la  Lune  fur  la  terre  (a). 
De  même  ,  comme  on  ne  connoifibif 
pas  la  caufe  des  vents,  on  crut  que  c?é~ 
toient  des  Divinités  fougueufes  ,  qui. 
caufoient  des  ravages  fur  terre  &  fur 
mer;  &  pour  reprimer  leur  audace,  on 
leur  donna  une  Divinité  fuperieure  ; 
Eole  ,  pour  les  raifons  que  nous  dirons 
dans  fon  Hiftoire,  fut  établi  leur  Roi  (1).  ^à^tA 

(a)  L'Origine    de    cette  re  avec  elle  un  grand  bruit. 

Fable  venoit  d'une  certaine  pour  la  fane  remonter  a  fa 

Aganice     tille      d'Hegetor  place.  L  rfqa'on  voyait  d?.ns 

Theflf:Len  ,  qui  ayant  appris  la    fuite   le  commencement 

la   caufe    &    le    temps  â~s  d'une  Eclipie ,  on  fkiioi:  un 

Eclipfes   ,  quand  il  en  de-  grand  bruit  de  chaudrons  3c 

voit  arriver  publioir  que  par  d'autres    initrumens   ,  pour 

ihantemens  elle  aiioit  empêcher  d'entendre  les  cria 

attirer  la  Lune  fur  la  terre,  6V  les  prières  des  Magicicii? 

eifk^rtanc  en  même  temps  les  nés. 
femmes  ThciTàliennes  a  fai- 

Cauuis ,  &  è  air  ru  Ltmam  deducere tentai  » 
:trct ,  ji  non  ara  repuif a  forent. 

Comme  dit  Tibulle  ,   1.  i .  de  ne  la  pas  dévorer  entière-*- 

Eleg:  6.  Les  peuples  des  In-  ment,  si  l'on  vouloit  remon- 

àes   6c  de  la  Chine  croyent  ter  a  la  fource  de  cette  Coli- 

encore    aujourd'hui    que  la  tu  me  ,    on  trouvcioi:  qu'elle 

caufe   des  Eclipfes  vient  de  vient  d'Egypte    oftTfîs,  qui 

ce  cu'un  Dragon  veut  devo-  étoit  le  fynibok  de  la  Lu 

rerla  Lune  ,  de  quelques-uns  étoit  honorée  avec  u  i  bruit 

d'entr'eux    font    un    grand  pareil  de  chaudrons,  de t) um 

bruit  pour  lui    faire  lâcher  baies ,  de  tambours ,  &c« 

prife  ,  pendant  que  le;  au-  Voyez  Nie.  Friîchiia,  1.2* 

très  Te  mettent  dans  l'eau  juf-  Aftr.  p.  454. 
qu'au  col ,  pour  le  fupplier 


D 


un 


Ub  La  Mythologie  &  les  Fables 
Chaque  Fleuve  &  chaque  Fontaine, 
eurent  aufîî  leur  Divinité  tutelaire  ;  & 
foit  qu'on  eût  donné  aux  Fleuves  les 
noms  des  premiers  Rois  qui  avoient 
habité  le  Pays  où  ils  couloient ,  foit  que 
les  Rois  en  euffent  pris  le  leur  ;  comme 
nous  le  dirons  plus  bas  ;  on  les  confon- 
dit dans  la  fuite ,  &  on  divinifa  le  Prin- 
ce en  faveur  du  Fleuve.  Fallut-il  par- 
ler de  l'Iris  ou  de  l' Arc-en-ciel ,  dont 
ils  ignoroient  la  nature  ,  ils  en  forgèrent 
«ne  Divinité  ;  fa  beauté  la  fit  paifer 
pour  la  fille  de  Thaumas  ,  perfonnage 
poétique  >  dont  le  nom  veut  dire  mer* 
veilleux  :  &  parce  que  la  tradition  du 
Déluge  leur  avoit  apparemment  appris 
que  Dieu  avoit  fait  paroître  l'Arc-en- 
ciel  comme  un  fîgne  de  reconciliation, 
ils  regardèrent  depuis  leur  Iris  comme 
la  Meffagere  des  Dieux  ,  &  fur-tout  de 
Junon ,  parce  qu'elle  annonce  la  dif- 
pofition  de  l'air  ,  reprefenté  par  cette 
DeelTe.  Le  nom  même  d'Iris  lui  fut 
donné  ,  fi  nous  en  croyons  Platon  (a)  f 
pour  marquer  fon  emploi. 

(  *  )  Il  fait  venir  ce  nom  parce  que  les  meflages  d'Iris 

«le  îtûfHv  ?    nunciare»     Le  tendoient  à  la  diicorde  &à 

Scavant  Voflius    le    dérive  h  guerre ,  comme  ceux  de 

dé  W  ou  hir  ,  Ange  ou  Mef-  Mercure  à  la  paix  &  au  re- 

fager.     Paufanias    dit    qu'il  P°s. 
Vient  de  %^ç  ,   diforde  7 


ExpLparl'Hijl.  Liv.I.  Chat.  IV.  81 

~Ainfi  furent  formées  plufieurs  Divi- 
nités Phyfiques  ,  &  tant  de  Fables  As- 
tronomiques ,  comme  nous  le  dirons 
dans  la  fuite.  C'étoit-là  une  pitoyable 
Philofophie  ;  mais  on  n'avoit  rien  de 
meilleur,  &  les  Poètes  étant  venus  dans 
la  fuite  à  embellir  ces  idées  fenfibles ,  de 
tous  les  ornemens  que  leurs  Mufes,  fc-* 
condes  en  fi&ions  ,  purent  leur  fournir, 
on  fe  plut  tellement  à  ne  considérer  la 
nature  que  fous  ces  agréables  images, 
qu'on  ne  fongea  pcis  même  pendant  un 
allez  long-temps  ,  à  poufïer  plus  loin 
les  découvertes.  Le  plus  grand  mal5 
c'eft  que  la  Religion  fe  trouva  interef- 
fée  dans  ce  fyftême  :  elle  augmenta  fcs 
cérémonies  à  l'invention  de  chaque  Di- 
vinité ,  &  Ton  regarda  comme  des  im* 
pies,  ceux  qui  voulurent  voir  un  peu 
plus  clair,  Ainfî  l'infortuné  Anaxagore 
fut  puni  de  mort ,  pour  avoir  enfeigné 
que  le  Soleil  n'étoit  point  animé  ,  Se 
qu'il  n'étoit  qu'une  lame  d'acier  de  la 
grandeur  du  Peloponnefe.  On  peut  con- 
clure de  tout  ce  que  nous  venons  de 
dire  ,  qu'on  a  eu  raifon  de  croire  qu'u- 
ne partie  de  la  Philofophie  des  Anciens, 
étoit  renfermée  dans  leurs  Fables ,  pour- 
vu qu'on  veuille  avoiier  que  c'étoit  une 
Philofophie  fort  groffiere  ,  &  un  fyf- 

D  v 


$2     La  Mythologie  &  les  Fabien 
terne  fondé  fur  le  rapport  des  fens  ,  & 
tel  qu'un  Payfan  pourroit  l'imaginer. 


CHAPITRE  V. 

Ou  Von  continue  à  rechercher  Pcrigine 
des  Fables. 

Huitième  HT1  Ous  les  hommes  s'étant  trouvés 
5ELZÏ  *  Submergés  par  les  eaux  du  Déluge, 
fa  Colonies  excepté  Noe  &  fa  famille,  le  monde  ne 
dlTaT™  PutNêtre  repeuplé  que  très  long-temps 
après  :  on  ne  peut  pas  douter  auilî , 
comme  nous  le  dirons  bien-tôt ,  que  les 
Pays  les  plus  voifins  du  lieu  où  l'Arche 
s'arrêta  ,  n'ayent  été  peuplés  les  pre- 
miers ;  ainfi  la  Syrie  ,  la  Paleftine  ,  l'A- 
rabie ,  &  l'Egypte  ,  furent  habitées  long- 
temps avant  les  Climats  d'Occident. 
Ceux  qui  arrivèrent  les  premiers  dans 
la  Grèce ,  y  vécurent  dans  une  ignoran- 
ce &  dans  une  groiliereté  étonnantes , 
fans  arts  ,  fans  coutumes  ,  fans  loix ,  fe 
couvrant  de  feuilles  ,  &  broutant  l'her- 
be des  Champs  ;  les  Rochers  &  les  Ca- 
vernes leur  fervoient  de  demeure  ,  Se 
tout  leur  foin  étoit  de  fe  défendre  des 
bêtes  féroces ,  dont  les  bois  étoient  rem- 
plis: ils  n'avoient  gueres  d'autre- coin» 


Expl.parVHîjl.  Liv.I.  Chap.V.  8j 

inodités  que  celles  qu'ils  fe  procuroient 
par  la  guerre  qu'ils  faifoient  aux  ani- 
maux. Four  peu  qu'on  fçache  l'Anti- 
quité &  qu'on  ait  lu  les  Poètes ,  on  re- 
connoît  aifement  à  cette  peinture  les 
premiers  habitans  de  la  Grèce  (i).  (o  vov« 

Quand  les  étrangers  ,  Egyptiens  ou  Pio^-  dc  ** 
Phéniciens  ,  gens  polis  &  fçavans  eu 
égard  à  ces  temps-là  ,  y  arrivoient ,  ils 
tâchoient  d'adoucir  l'humeur  féroce  de 
ce  peuple  barbare  ,  foit  pour  découvrir 
par  ce  moyen  les  richeflès  de  leur  pays, 
foit  pour  les  obliger  à  foufïrir  qu'ils  y 
laillaffent  quelques  Colonies  pour  entre- 
tenir le  Commerce.  Enfuite  ils  leur 
firent  part  de  leurs  Coutumes  ,  de  leur 
manière  de  s'habiller  &  de  fe  nourrir  ; 
ils  leur  apprirent  à  manger  des  châtai- 
gnes fauvages  &  d'autres  fruits ,  au  lieu 
de  Therbe  dont  ils  fe  noumiîbient ,  fou- 
vent  avec  beaucoup  de  danger  pour 
leur  vie  ;  voilà  ,  pour  le  dire  en  pailant, 
l'origine  de  la  l  able  ,  qui  portoit  qu'on 
leur  avoit  appris  à  manger  du  gland  ;  ce 
qui  cft  faux,  le  gland  n  étant  en  aucune 
manière  propre  a  nourrir  l'homme  ;  ce- 
pendant cette  fi&ïon  fe  trouve  dans  tou- 
tes les  anciennes  traditions.  Ces  munes 
peuples  leur  apprirent  enfuite  à  fe  cou- 
vrir  de   la  peau   des    animaux    qu'ils. 

E>  vj 


84  La  Mythologie  &  les  Fables 
tuoient  :  ils  leur  faifoient  voir  que  la 
terre  pouvoit  porter  ,  lî  elle  étoit  cul- 
tivée ,  des  fruits  plus  propres  à  les  nour- 
rir ,  que  ceux  qu'elle  portoit  fans  qu'on 
en  prît  fo  n  ;  ainfi  ils  les  accoutumèrent 
peu  à  peu  à  labourer  ,  &  à  femer  du 
bled.  Aux  maifons  répandues  dans  la 
campagne ,  fuccederent  les  Villages ,  & 
enfuite  les  Villes  :  on  renonça  à  la  bru- 
tale coutume  de  vivre  fans  Loix  dans  le 
mariage  ,  &  l'on  régla  les  devoirs  de 
cet  état  ;  la  neceflité  de  reconnoître  fes 
champs  ,  en  fixa  les  limites  ;  la  manière 
de  fe  vêtir  de  peaux  parut  trop  groffie- 
re  ,  on  en  détacha  la  laine  pour  la  met- 
tre en  œuvre.  Cette  réforme  parut  fi 
admirable  ,  qu'on  crut  ne  pouvoir  por- 
ter trop  loin  la  reconnoiffance  à  l'égard 
de  ceux  qui  avoient  contribué  à  l'éta- 
blir :  on  les  prit  pour  des  hommes  en- 
voyés du  Ciel  ;  &  on  les  regarda  com- 
me des  Dieux. 

Tels  furent  fans  doute  les  premiers 
Dieux  des  Grecs  :  delà  font  venues  tou- 
tes les  Fables  des  Lycaons ,  des  Phoro- 
nées,  des  Cecrops  ,  &  de  tant  d'autres, 
comme  nous  le  dirons  quand  il  fera  temps 
de  les  expliquer  ;  &  pour  en  donner  dès 
à  prefent  quelques  exemples  ,  c'efl  ce 
qui  a  donné  lieu  à  celle  qui  dit  que  Pro- 


Expl.  par  VHijl.  Liv.I.  Chap.V.  $f 
Ifiethée  avoit  formé  Thomme  en  détrem- 
pant de  la  buue  ,  parce  que  véritable- 
ment il  cultiva  &  donna  des  Loix  à  un 
peuple  barbare  &  grolTier  ;  hyperbole 
permife  en  cette  occafîon ,  puifque  c'é- 
toit  véritablement  avoir  fait  1  homme , 
que  de  l'avoir  rendu  raifonnable.  De 
même  ,  parce  qu'Apollon  excella  dans 
la  Mufique  &  dans  la  Médecine ,  il  fut 
regardé  comme  le  Dieu  de  ces  deux 
Arts.  Mercure  fut  celui  de  l'éloquence, 
Cerès  laDéefTe  du  bled  ,  Minerve  ,  des 
Manufactures  de  laine  ,  ainfi  des  au- 
tres. 

Comme  on  s'étoit  fait  un  fyftéme  de 
Religion  accommodé  aux  inclinations 
&  à  tous  les  penchans  du  cœur  ,  on  ne 
fe  faifoitpas  une  grande  affaire  d'y  chan- 
ger ,  d'y  ajouter  ,  Se  d'y  retrancher. 
Les  Cérémonies  nouvelles  ne  coûtoient 
rien  à  établir  ,  &  les  raifons  qu'on  en 
rendoit  étoient  toutes  fabuleufes.  Des 
Hiftoires  forgées  par  les  Prêtres  ,  don- 
noient  lieu  de  changer  un  culte  ilerile  , 
en  un  autre  qui  fût  plus  lucratif,  &  on 
n'a  jamais  été  trop  fcrupuleux  fur  cet 
article.  Dès  qu'on  découvroit  quelque 
nouvelle  Divinité  ,  c'étoit  à  qui  lui  éle- 
veroit  plus  d'Autels  ,  &  qui  en  même 
temps  en  publierait  plus  de  merveilles  5 


t&      La  Mythologie  &  les  Fables 
&  comme  un  Dieu  compatriote  donnoît 
beaucoup  de  crédit  au  lieu  de  fa  naif» 
fance ,  chacun  le  faifoit  naître  chez  foi  : 
on  fuppofoit  des  Mémoires  remplis  de 
Fables  ;  des  Impofteurs  appuyoient  des 
apparitions  prétendues  que  les  Prêtres 
avoient  inventées,  &  que  les  Poètes  in- 
féraient dans  leurs  Ouvrages  :  de  là  ce 
fyftéme  monftrueux  &  fi  rempli  de  Fa- 
bles ,    que    nous    offre   la   Théologie 
Payenne.  • 
Neuvième        Ajoutez  à  cek  que  la  manie  la  plus 
fouïc%  l'en-  ordinaire    des    grands   hommes   de  ce 
Ses  Dieux     temps-là  ,  étoit   de  vouloir  defcendre 
^ourAncê-     des  Dieux  :  il  falloit  abfolument  pour 
être  Héros,  avoir  Jupiter  ou  Apollon 
pour  ancêtres  ;  &  comme  apparemment 
il  n'étoit  pas  difficile  de  trouver  alors 
des    Genéalogiftes    aufli    complaifants 
qu'ils  le  font  à  prefent ,  on  n'avoit  pas 
beaucoup  de  peine  à  faire  drefler  des 
titres ,  où  la  fouche  étoit  quelque  Dieu  : 
aufîî  prefque  toutes  les  Généalogies  an- . 
ciennes  étoient  à  peu  près  de  la  forte; 
le  chef  étoit  Jupiter ,  après  lui  venoit 
Hercule ,  &c. 
Dixième         Un  grand  nombre  de  Sçavans  du  cer- 
Source  L'E-    :     (]^c}e    &  quelques-uns  de  celui-ci, 

enture  Sainte  ;        *  "1  i  > 

mal  entendue,  ont  prétendu  que  la  plupart  des  râbles 
tiroient  leur  origine  de  l'Ecriture  Saiûr» 


Expî.  par  rWJt.  Lïv.I.  Chap.V.  87 
te  mal  entendue  ,  &  que  les  traditions 
du  Peuple  de  Dieu  confervées  dans  la 
Phenicie  ,  l'Egypte  ,  &  les  autres  pays 
voifins  ,  altérées  dans  la  fuite ,  avoient 
donné  lieu  à  un  grand  nombre-de  Fa- 
bles. Ces  Sçavans  ajoutent  que  les  Co- 
lonies forties  des  pays  voifins  de  laPa- 
lefline  ,  pour  aller  s'établir  dans  les  Mes 
de  la  Méditerranée  &  dans  la  Grèce  T 
y  avoient  porté  ces  traditions  ainfi  défi- 
gurées ,  &  que  les  Poètes  avoient  en- 
core plus  corrompues  dans  la  fuite  ,  par 
les  nouvelles  fixions  qu'ils  y  avoient 
ajoutées;  enfin  quêtes  Patriarches,  fur- 
tout  ceux  qui  vécurent  après  le  Déluge, 
Abraham ,  Jacob ,  Efaiï  ,  Moyfe  &  quel- 
ques autres  ,  étoient  les  premiers  Dieux 
du  monde  payen  ;  &  que  leurs  belles 
allions  ,  leurs  conquêtes  &  leurs  Loix, 
avoient  engagé  les  Peuples  à  les  déi- 
fier. Parmi  ces  Sçavans  on  peut  comp- 
ter le  célèbre  Bochart  ,  Gérard  Vof- 
fius,  M.  Huet.  le  Père  Thomaffin,  &c. 

Il  eft  confiant  que  Moyfe  &  Jofué 
furent  très -connus  non  feulement  en 
Egvpte  &  en  Phenicie  ,  mais  auffî  dans 
plufieurs  autres  Pays  ;  que  le  dernier 
fur-tout  ,  ayant  pouffé  fes  conquêtes 
bien  avant  dans  la  Palestine  ,  porta  fî 
fort  l'épouvante  fur  les  côtes  de  Syrie, 


8$  La  Mythologie  &  les  Fables 
que  l'on  croit  qu'il  y  eut  plufîeurs  per* 
formes  ,  qui  pour  éviter  de.tomber  fous 
fa  domination,  s'embarquèrent  aVec  leurs 
richefTes  pour  aller  s'établir  dans  de$ 
pays  éloignés  :  qu'il  y  en  eut  même  qui 
allèrent  fur  le  bord  de  l'Océan  ,  où  l'on 
affure  qu'ils  firent  élever  des  Colonnes 
avec  cette  Infcription  (a).  Nos  hifu- 
rnus  quifugerunt  à  fade  Jofue  filii  Navœ 
pr  adonis  ;  CV/ï  nous  quifommes  venus  ïd 
four  nous  meure  à  couvert  des  pourfuites 
de  Jofué  le  voleur  y  fils  de  Navé.  (b)  Il 
eft  fur  auflï  qu'Inachus,  Cecrops  ,  Da- 
naiis,  Cadmus  ,  &  quelques  autres,  c* 
toient  fortis  d'Egypte  &  de  Phenicie, 
pour  aller  conduire  leurs  Colonies  darls 
la  Grèce  &  dans  les  Mes  voifînes;  &  il 
y  a  apparence  que  remplis  du  fouvenir 
des  belles  aftions  de  ces  grands  hom- 
mes ,  ils  les  racontèrent  aux  habitans 
du  Pays ,  Se  que  les  Grecs  grands  ama- 
teurs du  fublime  &  du  furnaturel ,  ne 
manquèrent  pas  d'en  embellir  dans  la 
fuite  l'Hiftoire  de  leurs  Héros  ;  que  cel- 
les d'Hercule  fur-tout  &  deBacchus, 
laiflent  entrevoir  beaucoup  de  reifem- 

(a)    Procope  in  Fandat.  Geogr*  Sacra.    2.    Vofl'    de 

Les  Critiques  trouvent  dans  idoUL  3.    H  net  Demonfl.  4. 

cette  Infcription  ,  plufîeurs  le  P.  Thomajftn ,  Leiï,  det 

marqaes  de  fuppofîtion.  Poètes» 

(&)    Voyez   1.  Bochart 


ExpLparPHiJl.Liv.1.  Chap.V.  89 
blance  avec  ces  fameux  Ifraëlites.  On 
ne  manque  pas  de  faire  des  parallèles 
fort  recherchés  :  un  célèbre  Prélat  eft 
même  allé  fi  loin ,  qu'il  confond  tous  les 
Héros  de  la  Fable  avec  ceux  de  la  Bi- 
ble ,  &  qu'il  trouve  dans  le  feul  Moyfe 
l'original  d'Apollon  ,  de  Priape  ,  d'Ef- 
culape ,  de  Promethée  ,  de  Tirefias ,  de 
Typhon  ,  dePerfée  ,  d'Orphée  ,  de  Ja- 
nus ,  d'Adonis ,  &  d'une  infinité  d'au- 
tres ;  &  dans  Sephora  ,  femme  de  Moy- 
fe ,  ou  dans  Marie  fa  fœur ,  prefque 
toutes  les  DéefTes  ,  comme  Aftarté, 
Venus ,  Cybele  ,  Cerès  ,  Diane  ,  les 
Mufes,  les  Parques,  &c.  (1)  &  un  au-p(i)  Litett 
tre  Sçavant ,  prétend  même  qu'Homère hDPêmônft! 
Sans  fes  Poèmes,  a  fait  l'Hiftoire  des£vang.de  M. 


Huet. 


Héros  de  l'Ecriture  ,    fous  des  noms 

iuppOleS    (2)  le  Livre  inti« 

Enfin  depuis  quelques  années  ce  fen-tulé  Home* 
timent  ,  d  ailleurs  très-ancien  ,  a  ete  re-  J 
nouvelle  par  deux  Auteurs  qui  l'ont  en- 
core plus  étendu  que  ceux  que  je  viens 
de  nommer.  Le  premier  eft  M.  de  La- 
vaux  ,  dans  un  Ouvrage  ,  qui  a  pour 
titre  Conférence  de  la  Fable  avec  VHif- 
toire  Sainte  ;  lequel  pour  donner  plus  de 
poids  à  fon  opinion  ,  cite  ceux  des  Pè- 
res ,  &  des  Ecrivains  Ecclefiaftiques, 
qui  l'avoient  foutenu  avant  lui  ;  Tel? 


fO      La  Mythologie  &  les  Fables 
font  ,  S.  Juftin  ,  Ôrigene  ,  Tertullietr; 
Minutais  Félix  ,  S.  Cyrille,  Arnobe, 
Laftance  ,  S.   Auguftm ,  Theodoret . 
S.  Athanafe,  Philon,  Jofeph  ,  &  quel- 
ques autres.    Le  fécond  eft  M.  Four- 
mont  ,  de  l'Académie  des  Belles-Let- 
tres ;  dans  fes  Réflexions  Critiques  fur 
les  Hiftoires  des  anciens  Peuples.  Com- 
me ce  fçavant  Académicien  poflède  à 
fond  les  Langues  anciennes  ,  il  eft  celui 
de  tous  qui  s'eft  le  plus  étendu  fur  cette 
matière  :  &  il  a  appliqué  avec  tant  de 
jufteffe    aux  Patriarches   les  idées  que 
Sanchoniathon  nous  a  données  des  pre- 
miers hommes  ;   il  trouve  dans   leurs 
noms   tant  de  rapports  avec  ceux  que 
l'Ecriture  leur  donne  ,  &  dans  leur  ca-* 
raftere  &  leurs  aftions  tant  de  reflem- 
blance  ,  avec  ce  que  Moyfe  en  a  écrit, 
qu'il  eft  fouvent  bien  difficile  de  ne  pas 
fe  rendre  à  ks  raifons.    D'ailleurs  pour- 
roit-on  ,  comme  il  le  dit  dans  fa  Pré- 
face ,  faire  un  crime  à  quelqu'un  ,  de 
iuivre  une  foule  d'Auteurs  tous  recom- 
mandables ,  ou  par  leur  feience ,  ou  par 
leur  pieté  ;  &  de  vouloir  trouver,  dan* 
les  Patriarches  ,  les  Dieux  que  le  Paga- 
mfme  a  refpe&és  ,  Saturne  dans  Noé , 
Pluton  dans  Sem  ,   Jupiter  Hammon 
dans  Cham  ;  Neptune  dans  Japhet,  ainfi 


Expl.parPRitt.LivJ.  Ckav.V.  9* 
que  l'a  prouvé  Bochart  ;  Belus  &  Jupi- 
ter dans  Nemrod  ,  comme  d'autres  l'ont 
foutenu  ;  Minerve  dans  les  idées  de  la 
Trinité  ,  comme  l'a  penfé  le  Père  Tour- 
nemine  ,  Jefuite  ;•  Apollon  dans  Jubal, 
avec  le  Père  Thomaflîn ,  &  ainfi  des  au- 
tres? De  plus,  ajoute-t'il ,  il  n'y  a  rien 
de  plus  avantageux  pour  la  Religion , 
que  ce  fentiment.  C'eft  ainfi  qu'en  parle 
M.  Huet  (a). 

Quelque  eftime  que  j'aye  pour  ces 
grands  hommes  ,  je  ne  fçaurois  croire 
que  l'abus  que  les  Poètes  ont  pu  faire 
de  l'ancien  Teftament ,  ait  donné  lieu  à 
un  fî  grand  nombre  de  Fables  ,  qu'ils  le 
prétendent.  Car  ,  premièrement  ,  les 
Juifs  étoient  une  Nation  fort  méprifée 
de  fes'voiiîas  ,  peu  connue  des  Peuples 
éloignés  ,  &  extrêmement  jaloufe  de  far 
Loi  &  de  fes  cérémonies,  qu'elle  ca- 
choit  aux  Etrangers ,  comme  à  des  pro- 
fanes ,  même  dans  le  temps  qu'elle  a  été 
obligée  de  vivre  parmi  eux.  Quoiqu'on 
ne  puifle  nier  de  même  ,  que  les  mira- 
cles que  Dieu  fit  en  Egypte  du  temps 
de  Moyfe  ,  n'ayent  été  publics ,  il  n'y 
a  nulle  apparence  que  ceux  qui  les  ra- 

(  a  )    JQuo  argum-ntô  via  dam  Scriptara  Sacra  dignita- 

validiHS    niUm  ant  fplendi-  tetn  reperio  ,   qtM, ,  &c.     Dc- 

difts  y  ex  génère  e»rnm  qua  monft.  Evang.  P.  4.  c.  3. 
ttMi»  JU^eAitat ,  adfanc'ten* 


jpC      La  Myïkôidgii  &  les  Fables 
contèrent  aux  Grecs  ,  ayent  fait  beau** 
coup  de  cas  d'un  homme  qui  leur  de- 
voit  être  fi  odieux  ;  &  je  ne  doute  pas 
même  qu'ils  n'ayent  donné  la  préféren- 
ce à  leurs  Magiciens.  :   ou   plutôt  ne 
firent-ils  pas  tout  ce  qu'ils  purent ,  pour 
abolir  le  fouvenir  d'une  perfonne  qui 
leur  avoit  tant  fait  de  mal  ?  D'ailleurs 
démentira-t'on  toute  l'Hiftoire  ancien- 
ne ,  &  les  monumens  les  plus  authenti- 
ques qui  parlent  des  Héros  de  la  Grèce, 
qui  nous  apprennent  leurs  noms  ,  leurs 
parens  ,  &  le  lieu  de  leur  naiffance ,  pour 
croire  fur  quelques    foibles  Etymolo- 
gies  ,  ou  fur  quelques  légères  refTem- 
blances  ,  qulls  ne  font  copiés  que  d'a- 
près Moyfe  ?  Ne  peut-il  pas  être  arrivé 
en  differens  lieux  des  chofes  afï^  fem- 
blablcs?  Agamemnonne  peut-il  pas  avoir 
voulu  immokr  fa  fille  Iphigenie   dans 
la  crainte  de  perdre  le  commandement 
d'une  belle  Armée  ,  fans  qu'il  foit  be- 
foin  de  confondre  cet  événement  avec 
le  facriiïce  de  Jephté  ,  quelque  reflem- 
blance  qu'on  trouve  dans  le  temps  ,  (a) 
èc  dans  le  nom  des  deux  Prince/Tes  ?  (b) 
On  doit  dire  la  même  chofe  du  Déluge 

(a)   Le  Sacri^ce  d'Iphi-  s'appelloit  Iphianaflè,  nom 

génie  arriva  vers  le  temps  de  qu'Homère  donne  4  I4  fille 

ïephté.  d'AgamemnQft, 

{b)  U  fille   de   Jephté 


Expl.parPHiJl.  Liv.LChap.V.  9$ 

'de  Deucalion  ,  de  Minerve  fortie  du 
cerveau  de  Jupiter  ,  &  des  autres  Fables 
qui  femblent  avoir  quelque  rapport 
avec  les  vérités  de  l'Ecriture.  Efi>il  im- 
poffible  de  voir  revenir  fur  la  fcéne  du 
inonde  les  mêmes  évenemens  ?  Ne  fera- 
t'on  pas  toujours  des  facrifices  à  l'ambi- 
tion ?  Ne  verra-t'on  pas  toujours  des 
meurtres  ,  des  parricides  ?  &c.  Cela  eft 
fi  vrai  ,  que  qui  fçauroit  parfaitement 
î'Hiitoire  des  fiécles  paffés  ,  verroit  re- 
venir bien  des  chofe's  qui  font  déjà  ar- 
rivées plus  d'une  fois.  Après  tout ,  s'il 
fe  trouve  quelque  rapport  entre  les  Fa- 
bles &  FHiftoire  de  Moyfe  ou  de  Sam- 
fon,  on  doit  penfer  feulement  que  c'efl 
un  refte  de  Tradition  ,  que  rien  n'a  été 
capable  d'effacer.  On  ne  fçauroit  nier, 
par  exemple  ,  que  le  fouvenir  du  De- 
Juge  univerfel ,  confervé  chez  tous  les 
Peuples,  n'ait  contribué  à  embellir  ce- 
lui de  Deucalion  ;  qu'on  ne  fe  foit  fervi 
de  quelques  circonftances  de  l'Hiftoire 
de  Noé  ,  dans  celle  de  Saturne  &  de  fes 
enfans,  qui  vivoient  peu  de  temps  après  ; 
fur-tout  pour  ce  qui  regarde  le  partage 
du  monde  ,  ainfi  que  de  quelques  au- 
tres ;  mais  de  vouloir  tirer  le  dénoue- 
ment de  prefque  toutes  les  Fables  ,  de 
F  abus  prétendu  des  Livres  de  Moyfe, 
ç'eft  vouloir  s'aveugler. 


#4     La  Mythologie  &  les  Fable* 

En  effet  croira-t'on  aifément  que  les  me* 
tamorphofes  de  Protée  ,  n'ont  été  inven- 
tées que  fur  ce  que  l'Ecriture  dit  de  la 
(0  Voytr  Verge  de  Moyfe  (iï  ?  Que  Mercure  n'a 
eit,  :palle  poux  être  le  Meilager  des  Dieux  oc 

le  confident  de  leurs  amours  ,  que  parce 
que  la  curiofité  de  Chanaan  lui  attira  la 
maledi&ion  de  Noé  (2)  ?  Que  THiftoire 
des  Mufes  n'a  d'autre  fondement  que  la 
corruption  du  nom  de  Moyfe  ;  &  qu'on 
ne  leur  attribua  l'invention  de  la  Danfe 
£c  de  la  Mufique  ,  que  parce  que  Marie  , 
que  les  Grecs  appelierent  peut  -  être 
Moufa  ,  chanta  un  Cantique  en  danfant 

XaVHuet    (3)  -?  Que  ^a  Fable  qui  dit  que  Mercure 
bc.  cit.         conduifoit  les  âmes  en  enfer  ,  eft  fondée 
fur  ce  que  Moyfe  fit  engloutir  Dathan 
fa)  U.ibid.  -&  Abiron  (  ^  )  ?  Qu'Eunfthée  perfécu- 
tant  Hercule ,  c'efl  Moyfe  faifant  agir 
Jofué  ?  Que  Vulcain  tombant  du  ciel  , 
cil  Moyfe  defeendant  de  la  montagne  ? 
Que  le  combat  d  Hercule  avec  Ache- 
lotis  ,  eft  le  paffage  du  Jourdain?  Que 
Promethée  détaché  du  Mont- Caucafe 
par  Hercule ,  ceft  Moyfe  priant  fur  la 
montagne  pendant  que  Jofué  défait  les 
(s)  IL  îbid.  Amalecites  (y)  ?  S  il  étoit  permis  de  pro- 
fiter des  moindres  reffemblances  ,  je  di- 
rois  aufïi  que  le  chien  qui  reconnut  Ulyf* 
(6)  ody  a\  fe  ^  jfon  retour  en  Ithaque  (6) ,  eft  le  met 

lo    7. 


ExplparPHift.  Liv.L  Chajp.V.  f$ 

Hic  que  celui  de  Tobie  qui  carefla  foa 
jeune  Maître  à  fon  retour  de  la  maifon 
de  Raguel  (i)  :  Que  le  difeours  que  tint     0)  Tdbfc 
Achiile  à  fon  Cheval  (2)  ,  eft  une  imita-  ^lliadLl9. 
tation   de  la  converfation  de  Balaam  , 
avec  fon  âneffe  3).  Que  l'expédition  des  (*)  Knm.  24. 
Argonautes  ,  eft  une  Relation  bigarrée 
des  voyages  d'Abraham ,  &  de  ceux  des 
■Ifraëlites  dans  le  defert  (4)  :   Que  l' Hif-     <V  Con£ 
toire  de  Philemon  &  de  Baucis ,  eft  celle  \\  x*  p*  ,*  j; 
xTAbraham  &  de  Sara  ;  ou  de  Lot  &  de     (0  ^em, 
/a  femme  (;)  :  Que  la  Fable  de  Niobé ,  T' z' p* 47' 
^ft  la  copie  des  malheurs  de  Job  (6;.Cel-   (6)  id.  t.  a* 
le  de  Loamedon  ,  &  des  Dieux  qui  bâ^  p* s9' 
tifTent  Troye ,  1  hiftoire  de  Laban  &  de 
Jacob  (7)  :  Que  l'hiftoire  d'Orion,  eft   &}?-*>*> 
-tirée  de  celle  de  Jacob  &  de  Sara  ;  ainfî 
qu'une  infinité  d  autres  que  je  pourrais 
citer  ;  c'eft  ce  qui  eft  bien  difficile  à  prou- 
ver. 

D'ailleurs  fi  le  rapport  eft  fî  parfait  erv 
tre  les  Héros  de  la  Bible  &  ceux  de  la 
Fable  ,  pourquoi  nos  plus  célèbres  Au- 
teurs font-ils  différents  entre  eux  ?  Pour- 
quoi, félon  Bochart ,  Mercure  eft-illc 
même  que  Chanaan,  &  félon  M.  Huet 
le  même  que  Moyfe  ?  Pourquoi  l*un  dit* 
il  7  qu'Hercule  eft  Samfon ,  &  l'autre  que 
c'eft  Jofjé  ?  L'un  que  Noé  eft  Saturne  , 
f&  lautre  que  c  eft  Abraham  ?  Cette  va- 


p.  151. 


§6  La  Mythologie  &  les  Fables 
rieté  d'opinions  n'eft  pas  une  petite  preu- 
ve contre  le  fentiment  de  ces  Sçavans 
modernes':  auiïï  faut-il  avouer  que  quel- 
que étudiés  que  foient  les  parallèles  dont 
leurs  Livres  font  remplis  \  il  s'y  trouve 
toujours  des  chofes  bien  gratuites  ,  pour 
ne  rien  dire  de  plus.  Je  voudrais  bien 
voir  un  Sçavant  qui  ,  en  examinant  les 
Annales  de  la  Chine ,  trouverait  beau- 
coup de  reffemblance  dans  le  nom ,  dans 
l'humeur  &  dans  les  aâions  d'un  de  leurs 
Empereurs  ,  avec  un  de  nos  Rois  de 
France ,  s'il  ferait  bien  reçu  à  dire  que 
ce  Roi  de  France  a  été  Empereur  de  la 
Chine  ,  ou  que  le  Prince  Chinois  été 
Roi  de  France. 

Il  n'eft  rien  de  fi  arbitraire  que  les  Ety- 
mologies  des  noms,  qu'on  peut  fouvent 
lire  ,  &  qu'on  peut  toujours  interpréter 
à  fa  fantaifie.  Je  veux  croire  qu'Orphée 
&  quelques  autres  ont  fait  des  voyages 
■en  Egypte.du  temps  même  que  les  Ifraë- 
lites  y'habitoient  ;  mais  je  fçais  bien  aufïî 
qu'ils  s'y  inftruifirent  bien  plus  dans  lafu- 
nefte  fcience  de  la  Magie  ,  ou  du  moins 
dans  les  vaines  fuperftitions  de  ce  Peu- 
ple idolâtre ,  que  dans  la  connoiffance 
du  vrai  Dieu  ,  quoi  qu'en  ayent  penfé 
(i)Cchrt.  plufieurs  Sçavans  après  S.  Juftin(i)  ;  & 
ta  Gr*coi      d'ailleurs  ,  il  ne  nous  refte  lien  de  cet 

Orphée  5 


Expl.parPHîJ}.  Liv.I.  Chap.V.  9? 

Orphée  ,  quel  qu'il  foit.  De  quoi  s'inf- 
truifent ,  je  vous  prie ,  ceux  qui  voyagent 
dans  quelque  pays  ,  fi  ce  n'eft  de  fa  Re- 
ligion ,  de  fes  Loix ,  &  de  fes  Coutumes? 
Ne  confultent-ils  pas  plutôt  leurs  Prêtres 
v&  leurs  Doâeurs  ,  que  ceux  d'un  peuple 
captifhaï5perfecuté;&  d'ailleurs  peu  por- 
té à  révéler  fes  myfteres  aux  Etrangers?  Je 
ne  nie  pas  à  la  venté  \  que  ces  anciens 
Poètes  n'ayent  connu  plufieurs  vérités , 
comme  ,  l'unité  de  Dieu  ,  Finïmorfâlké 
de  l'ame  ,  les  peines  de  l'Enfer  ,  les  re- 
compenfes  du  Paradis  ;  vérités  qui  mal- 
gré l'attirail  de  fictions  dont  ils  les  ont  or- 
nées ,  brillent  dans  pluiîcurs  endroits  de 
leurs  Ouvrages  :  mais  croira-t'on  qu'ils 
les  ayent  puifées  dans  nos  divines -Ecri- 
tures ?  Ne  font-ce  pas  plutôt  ces  pré- 
cieux reftes  de  la  Tradition ,  que  rien  ne 
peut  effacer  ;  des  (étincelles  de  la  raifon 
&  de  la  lumière  naturelle ,  &  qui  font  , 
comme  dit  Tertullien  ,  le  témoignage 
d'une  ame  naturellement  Chrétienne  ? 
Teftimonium  animee  natural'iter  Chrijlianœ 
(i\En  un  mot  c'étoient  ces  divines  fe-  (,>Tert<  & 
mences  des  vérités  éternelles,qui  étoient  tefi.*»im* 
reliées  dans  le  fond  du  cœur  de  l'hom- 
me ,  de  fon  ancien  état  d'innocence ,  Se 
dont  Dieu  étoit  l'auteur  auffi-bien  que 
des  Livres  faints.  Non  multum  refert  an  à 
Tome  L  £ 


p 8      La  Mythologie  &  les  Fables 

Deo  format a  fit  anima  confcientia  \  an  liu 

(Oïdem.     terisDei(i). 

!hid>  On  peut  ajouter  que  les  r  ables  ayant 

pris  naiïfance  peu  de  fiecl.es  après  le  De-? 
luge ,  temps   auquel  les  Traditions  des 
chofes  ,  même  arrivées  avant   Noé  ,   é~ 
toier>t  encore  affez  récentes  ,  il  y  a  bien 
de  l'apparence  que  ceux  qui  les  fuivirent 
ne  manquèrent  pas  d'adopter  quelques 
traits  de  ces  anciennes  vérités  ;  ainfi  le 
Chaos,  le  Siècle  d'or,  &  tant  d'autres 
Fables ,  font  copiées  d'après  ce  que  ra- 
conte Moyfe  de  la  création  ,  de  l'état 
d'innocence,  &  de  cette  communauté 
où  vivpient  les  premiers  hommes.  Mais 
pour  ce  qui  eft  de  ces  rapports  infinis  que 
(z)Aà.  des  le  Père  ThomafTm  (2)  ,  &  après  luiFAu- 
^es-         teur  de  YHomere  Hebraifant  ,  trouvent 
à  chaque  page  entre  les  Livres  de  Moy- 
fe &  ceux  de  cet  ancien  Poëte ,  je  crois 
qu'ils  n'en  ont  vu  un  fi  gr^nd  nombre , 
que  par  la  difpofition  favorable  où  ils 
étoient  de  les  y  appercevoir.  Laiflbns 
donc  à  la  Grèce  fes  Héros  &  fon  Heroïf- 
jne  ,  .&  contentons-nous  de  dire  que  s'il 
y  a  quelques  Fables  qui  doivent  leur  ori- 
gine à  l'abus  que  les  Payens  ont  fait  de 
l'Ecriture  Sainte  &  de  la  Tradition  ,  le 
pombre  n'en  eft  pas  fi  grand  qu'on  h 
Kjrpit  commuaeniçnt:. 


Expl.  par  VHiJf.  Li v.  I.  Chap.  V.    99 

*  On  ne  fçauroit  nier  à  la  vérité  que 
Sanchoniathon  n'ait  fait  allufion  à  THif- 
toire  des  premiers  hommes  ,  quoiqu'il 
Tait  entièrement  défigurée  ,  comme  j'ef- 
père  de  le  faire  voir  lors  qu'il  fera  quef- 
tion  du  Fragment  de  cet  Auteur  qu'Eu- 
febe  nous  en  a  confervé  ;  mais  cet  Ecri- 
vain qui  vivoit  avant ,  ou  peu  après  la 
guerre  de  Troye  ,  Se  qui  n'a  été  connu 
dans  la  Grèce  que  par  la  traduction  de 
Philon  de  Byblos  ,  faite  au  temps  d'Ha- 
drien ,  a-t'il  été  le  Précepteur  d  Hefio- 
de  &  d'Homère  ,  dans  lefquels  on  trou- 
ve tout  le  fond  de  la  Mythologie  Grec- 
que ?I1  eft  vrai  encore  que  les  Grecs  ont 
tiré  la  connoiffance  de  leurs  Dieux ,  des 
Phéniciens  &  des  Egyptiens  ,  par  les 
Colonies  qui  leur  arrivèrent  de  ce  pays  ; 
mais  l'Hiftoire  desPatriarches  devoit  être 
bien  obfcurcie  du  temps  d'Inachus ,  de 
Cecrops  Se  de  Cadmus ,  l'Idolâtrie  étant 
alors  répandue  dans  l'Orient  depuis  plu- 
sieurs fïecles..  Difons  cependant  qu^on 
ne  manquera  pas  dans  l'occafion ,  de  rap- 
porter le  fentiment  de  ces  Sçavans  ,  afin 
que  le  Ledeur ,  qu'on  cherche  à  inflrui- 
re  dans  cet  Ouvrage,  fans  vouloir  le  con- 
traindre de  fuivre  un  fentimentt  plutôt 
qu'un  qjitre  ,  puiiTe  être  en  état  de  juger 
jui-même  quel  parti  il  doit  prendre. 

Eij 


*00    La  Mythologie  &  les  Fables 
Otmémt       Une  fource  plus  féconde  Se  plus  favo4 
fource.    Vi-  rable  à  Pintroduftion  des  Fables ,  c'eiî 

gfnorance    de  iv  i     i?TT-n     •  •  « 

THirtoue  an- ]  ignorance  de  1  Jtiiftoire  ancienne  ,  &  de 
môà*  la  Chronologie.  Comme  on  ne  commen- 
ça que  fort  tard  ,  fui>tout  dans  la  Grèce, 
à  avoir  l'ufage  des  Lettres  ,  il  fe  pafla 
plusieurs  fîecles ,  pendant  lefquelsle  fouf- 
venir  des  çvençmens  remarquables  ,  ne 
fut  conferyé  que  par  Tradition  ,  ou  tout 
au  plus  par  quelques  Monumens  qui  de* 
venoient  dans  la  fuite  fort  équivoques. 
Lors  même  qu'on  commença  à  fe  fervir 
de  l'Ecriture  ,  on  n'écrivit  pas  d  abord 
des  Hiftoires  fuivies  ;  on  compofa  des 
Eloges,  des  Cantiques  ,  &  quelques  Gé* 
pealqgies  remplies  de  Fables ,  qui  furent 
dreiîees  par  les  foins  des  Prêtres  ,  ainfî 

PLmTe°rycha-  <ïu'on  *'a  déJa  infinué(i)  ;  en  forte  qu'on   : 
pitrç.  ne  trouvoit  par  tout  que  confufîon  ;  & 

même  quand  on  voulait  un  peu  appro^ 
fondir  ces  Hiftoires  anciennes  ,  après 
qu'on  étoit  remonté  jufqu'à  trois  ou  qua- 
tre générations  ,  on  fe  trouvoit  dans  le 
labyrinthe  de  PHiftoire  des  Dieux ,  où 
Ton  rencontrait  toujours  Jupiter,  Sa-» 
turne  ,  le  Ciel  ,  &  la  Terre.  Les  Grecs 
far-tout ,  ne  fçavoient  rien  de  plus  fur 
leur  origine;c'étoitrlà  qu'aboutiffoittou* 
te  leur  Tradition  ,  même  parmi  Jfs  plus 
r&ifoçnables  ;  ç^x  les  autrç§  publioien* 


Expl.par  PRift.LivJ.  Chàp.  V.  iof 

bonnement  que  leurs  Ancêtres  étoient 
fortis  déterre  comme  des  champî  nons, 
ou  des  fourmis  de  la  forêt  d'Egine  {a)  , 
ou  des  dents  du  Dragon  de  Cadmus.  Ce- 
pendant comme  ils  vouloiént  paffer  pour 
anciens  ,  ainfî  que  la  plufpart  des  autres 
peuples,  ils  fe  forgeoient  une  Hiftoire 
fabuleufe  ,  des  Rois  imaginaires  ,  des 
Dieux  ,  &  des  Héros  qui  ne  furent  ja-* 
mais  :  &  lors  qu'ils  vouloiént  parler 
des  premiers  temps  ,  dont  ils  avoient  re- 
çu quelque  connoifTance  des  Colonies 
qui  ëtoient  venues  s'établir  dans  leur 
pavs,  ils  ne  faifoient  que  fubfïituer  des 
Fables  à  la  vérité.  S'il  étoit  queftion  de 
la  création  du  monde  ,  ils  debitoient 
celle  du  Chaos:  s'agiiToit-il  des  premiers 
inventeurs  des  Arts ,  au  lieu  d'Adam  3c 
de  Caïn  ,  qui  ont  les  premiers  cultivé  la 
terre  ,  ils  en  donnoient  tout  l'honneur  à 
Cerès  &  à  Triptoleme.  Pan  félon  eux  , 
au  lieu  d'Abel,  étoit  le  premier  qui  a- 
voit  mené  la  vie  paftorale  :  Apollon 
étoit  l'inventeur  de  la  Mufique%  qu'on 
doit  attribuer  à  Jubal  :  Vulcain  ave: 
fes  Cyclopes  ,  paiTa  pour  celui  qui 
avoit  appris  à  forger  le  fer  &  les  metau  c , 

[a] Qui  rupo  rebore  nati , 

Cvmfofuique  Mo  mtiios  kabut re  farentes,  Juvcn. 
Sat.  L 

£iij 


102     La  Mythologie  &  les  Fables 
au  lieu  de  Tubulcaïn  :  Bacchus  fut  che2 
eux  le  Dieu  de  la  Vigne,  que  Noé  culti- 
va :  fubftituant  à  tous  propos  leurs  Di- 
vinités modernes  ,  à  la  place  des  anciens 
Patriarches  ,  que  FEcriture  Sainte  nous 
apprend  avoir  été  les  premiers  &  les  vé- 
ritables inventeurs  des  Arts.  11$  étoient 
de  vrais  enfans ,  comme  le  leur  reproche 
Anftote ,  lors  qu'il  s'agiïlbit  de  parler 
des  temps  éloignés.  Ils  avoient  même  la 
folie  de  croire  que  c'étaient  leurs  colon- 
ies qui  avoient  peuplé  tous  les  autres 
pays  >  &  ils  tiroient  les  noms  des  diffé- 
rents pays  qu'ils  connoïïbient ,  de  ceux 
de  leurs  Héros.  Ainfi  l'Europe  prenoit 
le  fien  d'Europe ,  fœur  de  Cadmus  ;  Y A- 
fie ,  de  la  mère  de  Promethée  ;  la  Libye , 
de  la  fille  d'Epaphe  ;  l'Arménie  ,  d'Ar- 
menus  ;  la  Medie ,  de  Medus  ;  les  Perfes, 
de  Perfée  ;  ainfi  des  autres  ,  ne  fçachant 
pas  que  les  premiers  noms  étoient  don- 
nés aux  lieux  où  l'on  venoit  habiter  9 
conformément  aux  qualités  du  pays  ,  ou 
aux  mœurs  &  coutumes  de  ceux  qui  y 
arri voient ,  comme  le  prouve  le  fçavant 
c£DanSfon  Bochart  (i).Ainfi  l'Europe  ,  prit  ce  nom 
de  la  blancheur  de  fes  habitans  ;  les  Cel- 
tes ,  furent  ainfi  nommés  à  caufe  de  leur 
cheveux  blonds  ;  les  Latins,  parce  qu'ils 
étoient  adonnés  à  la  magie  ;  les  Leftri- 


Expl.  par  mijl.  Liv.I.  Chap.  \  .  îo} 

Eons  ;  à  caufe  de  leur  férocité  ;  les  Cre- 
tois,pour  leur  adreffe  à  tirer  de  l'Arc  ;  les 
Thraces  ,  par  leur  nobleffe.  Quelquefois 
auflï  le  nombre  d'animaux  qu'on  trouvoit 
dans  un  pays  ,  lui  faifoit  donner  un  nom 
qui  y  faifoit  allufion.  Ainfi  1  Efpagne 
prit  le  fiën  des  lapins  dont  elle  étoit  rem- 
plie ;  l'Ifle  de  Rhodes ,  des  ferpens  ;  la 
ville  de  Lyon  ,  des  corbeaux  ;  l'Ifle  d  1- 
care  ,  des  poiflons  :  quelquefois  auffices 
noms  provenoient  des  bois  &  des  forets 
dont  un  pays  étoit  couvert ,  comme  les 
Pyrénées  ;  ou  des  pâturages ,  comme  le 
Parnafle  :  enfin  des  fruits  qu'on  y  trou- 
voit ,  comme  Sais  en  Egypte  ,  des  oli- 
viers qui  y  venoient  en  abondance  :  le 
Portugal ,  de  fon  grand  nombre  d'aman- 
diers :  ou  quelque  fois  des  Volcans  qui 
fortoient  des  montagnes  ,  comme  le 
Mont-Etna  ;  ainfi  des  autres. 

Les  moindres  équivoques  donnoient 
lieu  à  une  Fable.  Plutarque  dans  la  vie 
de  Licurgue  ,  dit  fur  la  foi  d'un  Ancien  , 
qu'Apollon  ayant  donné  à  quelques  Cre- 
tois un  Dauphin  pour  condu&eur  ,  ils  a - 
lerent  dans  la  Phocide  ,  où  ils  bâtirent  h 
ville  de  Cyrrha  :  on  voit  bien  qu'ils  y  fu- 
rent conduits  fur  un  Vaiffeau  nommé  le 
Dauphin.  Ce  n'en:  donc  pas  parmi  les 
Ecrivains  Grecs ,  qu'il  faut  chercher  1  o? 


404    La  Mythologie  &  les  Fattes 
ngine  des  anciens  Peuples  ,  ni  des  autres 
raonumens  de  l'Antiquité  ;  ils  n'ont  fait 
que  copier  les  Egyptiens  &  les  autres 
peupics  d  Or.ent,qm  eux-mêmes  avoient 
rempli  de  Fables  leur  ancienne  Hiftoire. 
Lorfqu'il  s'agiffoit  de  chercher  l'ori- 
gine des  Villes  &  de  leurs  Fondateurs, 
c  etoït  toujours  quelque  Héros  ,  quel- 
que fils  de  leurs  Dieux  qui  les  avoit  bâ- 
ties. La  ville  de  Cyparifle  dans  la  Phoci- 
de  ,  étoit  environnée  de  cyprès  <jui  lui 
avoient  fait  donner  ce  nom  ;  &  celle  de 
JJaulis  dans  le  même  Pavs ,  étoit  entou- 

JîîSSé.  tldchres  $>* dont  eûe  avoit  Pns  le 

m*  Livre  d.-  fen->es  origines  etoient  trop  fimples  , 
r.i.aie.  ils  aimoient  mieux  avoir  recours  à  un 
certain  CyparifTûs  ,  &  au  prétendu  Ty- 
ran Daulis  ,  qui  donnèrent  leur  nom  à 
ces  deux  V  illes.  Lycoreus  avoit  bâti  cel- 
le de  Lycorée  fur  le  ParnafTe  ,  qui  avoit 
pris :  fon  nom  de  la  quantité  de  loups  qui 
y  étoient.  On  pourroit  joindre  ici  un 
nombre  mfini  d'autres  exemples,  mais 
ceux-là  fuffiient  pour  ce  que  je  viens  d'a- 
vancer. 

Celt  donc  dans  l'Ecriture  Sainte  qu'il 
faut  chercher  la  véritable  Antiquité  : 
les  Hiftonens  profanes  ne  commencent 
qu'au  temps  d  Efdras  ,  c'eft-à-dire  ,  du 
dernier  ELitonea  facré ,  fi  vous  exceptes 


*Expl  par  PW(l.  Lir.  t  CrfA*.  V.  to$ 
ï  Auteur  des  Machabées  :  Homère  mê- 
me &  Hefiode  ,  leurs  plus  anciens  Poè- 
tes &  leurs  plus  grands  Théologiens  , 
n'ont  vécu  que  long-temps  après  la  guer- 
re de  Troye.  Pour  ce  qui  regarde  Darès 
Phrygien  ,  Di&ys  de  Crète  &  quelques 
autres ,  quand  même  ils  ne  feroient  pas 
des  Auteurs  fuppofés  ,  comme  ils  le  font 
en  effet ,  ils  n'auroient  vécu  que  vers  le 
temps  de  la  guerre  de  Troye  ,  époque 
qui  répond  au  temps  des  Juges  ;  &  fe- 
roient toujours  bien  profterieurs  aux  éve- 
nemens  dont  parie  Moyfe.  Les  Grecs* 
n'étoient  donc  nullement  instruits  des 
temps  un  peu  reculés  ,  &  leur  Hilfoire 
ne  commença  à  devenir  raifonnable  ,  que 
du  temps  des  Olympiades ,  avant  lequel 
Varron  avoue  qu'on  n'y  voyoit  que 
confuiîon  &  que  chimère. 

Mais  pour  éclaircir  tout  ceci ,  &  fça- 
voir  en  quel  temps  les  Fables  ont  pris 
naiflance  ,  il  faut  diftinguer  trois  for- 
tes de  temps  ;  les  temps  inconnus  ,  les 
temps  fabuleux  ,  &  les   temps  Lftori- 
ques  (ï).  Les  premiers  ,  qui  font  corn-     (ijjf^ 
me  l'enfance  &  le  berceau  du  monde  -,  a*>  ,  Mv&J 
comprennent  ce  qui  s'eft  paifé  depuis  le  <*V*e***»ij 
Chaos  ,  ou  plutôt  depuis  la  création  ,  for£^ 
jufqu'au  Déluge  d'Ogygcs  ,.  arrivé  vers 
Km  1 600»  avant  J.  Cr  Les  temps  fabu- 

Ey 


ïc6  La  Mythologie  &  les  Fables 
leux  renferment  ceux  qui  fe  font  écoulés 
depuis  ce  Déluge,  jufqu'à  la  première 
Olympiade  ,  où  commencent  les  temps 
hifloriques.  Il  eft  bon  de  remarquer  que 
cette  célèbre  divifion  de  Varron  ,  ne  re- 
garde que  THiftoire  Grecque  ;  car  non- 
leulement  les  Ifraëlites  ,  mais  les  Egyp- 
tiens même,  &  les  Phéniciens,  avoient 
connoiffance  des  temps  les  plus  reculés  ,, 
par  la  Tradition  &  par  des  Annales  y 
quoique  fouvent  mêlées  de  Fables  ;  maïs 
il  ne  s'agit  ici  que  des  Grecs  ,  qui  n'a- 
voient  qu'une  connoiffance  très-confufe 
des  premiers  ficelés  du  monde  ;  &  c'eft 
dans  Pefpace  du  fécond  intervalle  qu'on 
doit  placer  l'origine  de  ce  nombre  pro- 
digieux de  Fables  qu'on  trouve  répan- 
dues dans  leurs  Poètes.  Il  faut  avouer 
cependant,  que  tous  les  fiecles  des  temps 
fabuleux  ,  n'ont  pas  été  également  fé- 
conds en  Fables  &  en  Heroïfme  :  celui 
fans  doute  d'où  nous  en  eft  venu  la  plus 
grande  quantité  ,  a  été  celui  de  laprife 
de  Troye. 

Cette  célèbre  Ville  fut  prife  deux  fois; 
la  première  fois  par  Hercule  ,  &  30.  ou 
£jy.  ans  après  ,  c'eft-à-dire  ,  l'an  avant 
Jeius-  Chrift  1282.  par  l'Armée  des 
Grecs  fous*  la  conduite  d'Agamemnon, 
Au  temps  de  la  première  pnfe ,  on  voit 


ExpLparPHift.Livl.Cii'A?.V.  Ï07 

paroitre  Telamon  ,  Hercule  ,  Thefée  ; 
Jafon  ,  Orphée  ,  Caflor  &  Pollux  ,  Se 
tous  ces  autres  Héros  de  la  Toifon  d'Or, 
A  la  féconde  prife  ,  paroiffent  les  fils  ou 
les  petits  fils  des  premiers ,  Agamemnon, 
Menelaiis  ,  Achille  ,  Diomede ,  Ajax  , 
He&or ,  Paris  ,  Enée  ,  &c.  &  dans  lç 
temps  qui  s'écoula  entre  ces  deux  épo- 
ques ,  arrivèrent  les  deux  guerres  d^ 
Thebes  où  parurent,  Adrafte ,  OEdipe  , 
Etheocle  ,  Polynice  ,  Capanée  /  &  tant 
d'autres  Héros  ,  fujets  éternels  des  Fa- 
bles des  Poètes.  Heureux  fiecle  pour  les 
Poèmes  &  les  Tragédies!  Auffi  les  Théâ- 
tres de  la  Grèce  ,  ont  il  retenti  mille  fois 
de  ces  noms  iliuftres.  On  peut  ajouter" 
que.  ceux  de  la  France  en  retentiffent  en- 
core tous  les  jours  ;  enforte  que  les  Hé- 
ros de  notre  fîecle  \  fouvent  plus  Héros 
que  ceux  de  l'Antiquité  ,  n'ofent  y  pa- 
roitre que  fous  des  noms  empruntés;  Ce 
n'eft  pas  là  ce  qui  furprend  le  plus  ;  c'eft 
de  voir  qu'on  y  fait  paroitre  tous  les 
jours  les  Divinités  ufées  du  Paganifme , 
&  que  dans  une  Ville  Chrétienne  on 
voye  ces  Divinités  déplorables  y  donner 
l'affreux  fpeftale  de  leurs  débauches  :  en- 
forte:  qu'on  eft  également  feandalifé  dy 
voir  l'ancienne  idolâtrie  paroitre  avec 
autant  de  pompe  &  d  appareil ,  qu'on  I* 

£  vj 


ioS     La  Mytholoçrie  &  les  Fahlef 
royoit  autrefois  à  Rome  &  à  Athènes  ? 
comme  des  leçons  dangereufes  qu'une 
morale  toute  payenne  infpire  à  la  jeunef- 
fe.  Mais  revenons  à  notre  fujet. 

Enfin  l'Hifioire  Grecque  ,  jufques-là 
fi  fabuleufe  ,  prit  une  nouvelle  forme  par 
le  retabliflfement  des  Olympiades  :  Ton 
commença  alors  à  placer  les  évenemens 
fous  leurs  époques. 

On  ne  convient  pas  trop  du  temps  où 
les  Jeux  Olympiques ,  qui  y  donnèrent 
lieu  ,  furent  inftitués.  Leur  origine  fe 
trouve  cachée  dans  la  plus  profonde  obs- 
curité :  Diodore  de  Sicile  dit  feulement 
que  ce  fut  Hercule  de  Crète  qui  les  infti- 
tua  ,  fans  nous  apprendre  ni  en  quel 
temps  ,  ni  à  quelle  occafîon  ;  mais  l'o- 
pinion la  plus  commune  parmi  les  Sça-^ 
<i)  Voyez  vans  ç^   efl.  q.uerpeiops  en  fut  l'Auteur, 

Scahger  après  ^   (J  T.  ,/_         .  r       r> 

Eufebe.  oc  que  la  première  célébration  en  lut  fai- 
te dans  FElide  4  la  vingt-neuvième  année 
du  règne  d'Acrife y  la  trente  quatrième 
du  règne  de  Sicyon  ,  dix-neuviéme  Roi 
de  Sicyone  ;  &  pour  concilier  les  épo- 
ques profanes  avec  la  Chronologie  de  FE- 
criture  Sainte  ,  ce  fut  Fannée  vingt-troî- 
fiéme  de  la  Judicature,  de  Debbora.  A-., 
trée  ,  fils  de  Pelops,  les  renouvella.,  Se 
en  ordonna  la  féconde  célébration',  l'an 
avant  J esus-Chkit  141 .8.  Enfin Heto^ 


txpl  par  mifl.  Liv.L  Cet kv.  V.  iof 

le  ,  au  retour  de  la  conquête  de  la  Toi- 
fon  d'Or  ,  affembla  les  Argonautes  fur 
les  bords  du  Fleuve  Alphée  près  de  la 
ville  de  Pife  dans  l'Elide,  pour  y  célé- 
brer ces  mêmes  Jeux  ,  en  a&ion  de  grâce 
de  1  heureux  fuccts  de  leur  voyage  ;.& 
Ton  promit  de  s'y  raiTembler  au  bout  de 
quatre  ans  pour  le  même  iujet.  Cepen- 
dant ces  Jeux  furent  discontinues  ,  juf- 
qu'à  ce  que  Iphitus  Roi  d'Elide  les  réta- 
blit 442.  ans  après  ,  Tan    avant  1  Ere. 
chrétienne  777.  La  Grèce  en  fit  fon  épo- 
que. &  on  ne  compta  plus  que  par  Olym- 
piades ;  &  depuis  ce  temps-là  1  Hiftoire 
Grecque  neft  plus  fî  remplie  de  Fables. 
Cette  divifîon  ,  comme  je  1  ai  déjà  re- 
marqué ,  nous  vient  des  Grecs  qui  igno- 
roient  les  Antiquités  ;  &  ces  mêmes  temps, 
qu'ils  appellent  ou  inconnus  ou  fabuleux,, 
font  des  temps  fort  connus  lorfqu'on  les 
concilie  avec  THiftoire  Sainte.  &même 
avec  celle  d'Egypte  ,  &  de  plufieurs  au- 
tres peuples  de  i'Afîe  ,  ce  que  les  Sça- 
vans  n'ont  pas  négligé  ;  &  c'eft  ce  qui 
fait  que  Scabger.'vi'  fe  plaint  fouvent ,  (0<5a».I6fi 
&  même  avec  des  fentimensde  douleur, 
de  ceux  qui  leur  ont  donné  le  nom  de 
Fabuleux  ,  au  lieu  de  celui  d'Héroïques  , 
qui  leur  conviendroit  mieux,  Diodore 
de  Sicile  ,avoit  dit  avant  lui  7  <jue  quoi^ 


T I O    La  Mythologie  &  les  faite f 
qu'on  ne  puiiTe  pas  ajouter  la  même  foi 
à  ce  qu'on  nous  raconte  de  ces  anciens 
temps  i  qu'à  ce  qui  fe  païTe  de  nos  jours , 
on  ne  doit  pas  pourtant  regarder  com-^ 
ine  des  Fables,  tout  ce  qu'on  en  façon-. 
te ,  puifqu'on  y  trouve  les  actions  de  ces 
Héros  qui  font  devenus  fi  célèbres. 
•    Quoiqu'il  en  foit  ,  les  Olympiades 
Ont  répandu  une  grande  clarté  fur  le, 
chaos  de  l'Hiftoire.  Àuflî  les  Sçavans 
leur  ont  des  obligations  infinies  ;  mais 
perfonne ,  que  je  fçache ,  ne  leur  a  té- 
moigné fa  reconnoiïfance  avec  plus  d'af-» 
fedion  que  le  même  Scaliger  \  que  nous 
venons  de  citer.  Il  leur  fait  le  plus  joli 
compliment ,  qu'un  Sçavant  puiiTe  faire  : 
*>  Je  vous  falue.  dit-il ,  divines  Olympia- 
*>  des  ,  facrées  dépofitaires  de  la  vérité  ; 
»  vous  fervez  à  reprimer  l'audacieufe  té- 
*>  mérité  des  Chronologues  ;  c'eft  par 
=»  vous  que  la  lumière  s'elt  répandue  dans 
»  FHiftoire  ;  fans  vous  ,  que  de  vérités 
»  feroient  enfevelies  dans  les  ténèbres  der 
s>  l'ignorance    !  Enfin   c'efl   par   votre 
»  moyen  que  nous  fçavons  avec  certitu- 
»  de  ,  les  chofes  mêmes  qui  fe  font  pa& 
»  fées  dans  des  temps  fî  éloignés  (i). 

Mais  en  voilà  afîez  pour  cet  article  ; 
venons  à  la  treizième  fource  ,  qui  efl  ti- 
rée de  l'ignorance  des  langues» 


Expi.parVHijl.Lw.l.  Chap.  VI  in 


CHAPITRE   VI. 

Continuation  de  la  même  matière. 

Ignorance  des  Langues ,  fur-tout  çJj*h%? 
^  de  la  Phénicienne  ,   a  été  aufli  la  gnorance  des 
fource  d'une  infinité  de  Fables.  Ileftfûr  Langues, 
que  les  Colonies  forties  de  Phenicie  allè- 
rent peupler  plufieurs  contrées  de  laGre- 
ce  ;  fans  doute  que  leur  Langue  fe  mé- 
loit  avec  celle  des  pays  où  ils  alloient  (a): 
&  comme  la  Langue  Phénicienne  a  plu- 
fieurs mots  équivoques  ,  les  Grecs  qui 
dans  la  fuite  lurent  leur  ancienne  Hiftoi- 
re ,  qui  étoit  remplie  de  phrafes  Phéni- 
ciennes ,  y  ayant  trouvé  ces  mots  équi- 
voques ,  ne  manquèrent  pas  de  les  expli- 
quer dans  le  fens  qui  étoit  le  plus  félon 
leur  goût;  Il  ne  faut  pas  douter  même  , 
que  lorfqu'ils  confultoient  lesPheniciens, 
qui   connoifïbient    le    penchant    qu'ils 
avoient  pour  les  fixions  ,  ceux-ci  ne  leur 
en  ayent  fouvent  impofé.  De  là  ont  pris 
nailîance  une  infinité  de  Fables  :  en  voi- 
ci plufieurs  exemples  ,  tirés  pour  la  plu- 
part deBochart* 

(a)  Bochart  &  VofTms  ont  prouvé  fans  réplique  ,  que  l'ai* 
phabet  queCadmus  porta  en  Grèce  ,  étoit  Phénicien  ;  celui 
dont  on  s'y  fervoit  écoit  Pehfgien  ,  &  ilfc  forma  une  Lan- 
gue des  deux. 


ï't  2     La  Mythologie  &  les  Tables     ' 

Le  mot  alpha,  ou  ilpha ,  dans  la  Lan* 
gue  Phénicienne  ,  lignifie  également  un 
Taureau  ,  ou  un  navire  :  les  Grecs  au 
heu  de  dire  qu'Europe  avoit  été  emme- 
née fur  un  vaiffeau  dans  l'Ifle  de  Crète , 
publièrent  que  Jupiter  changé  en  Tau- 
reau l'avoit  enlevée.  Dans  la  même  Lan- 
gue  des  Phéniciens  s'appelloient  Hevéens, 
ou  Achiviens;  &  comme  le  mot  Chiva 
lignhe  un  ferpcnt,  les  Grecs  l'ayant  trou- 
vé dans  les  Annales  de  Cadmus ,  débi- 
tèrent que  ce  Prince  avoit  été  changé  en 
ferpent.  De  même  encore.du  mot  Sir.qui 
veut  dire  un  Cantique,ils  ont  fait  la  Fable 
des  Srencs.Eole  n'a  pafle  parmi  eux  poul- 
ie Dieu  des  vents  &  des  tempêtes ,  que 
parce  que  le  mot  Eol ,  ou  Chol ,  lignifie 
tempête.  La  Fable  qui  dit  que  le  Vaif- 
feau  des  Argonautes  parloit ,  5c  que  Mi- 
nerve avoit  employé  au  gouvernail  un 
des  chênes  de  la  Forêt  de  Dodone  qui 
rendoient  des  Oracles,  tire  aulïîfon  ori- 
gine d'une  équivoque  de  la  Langue  Phé- 
nicienne ,  dans  laquelle  le  même  mot  li- 
gnine parler  ,  &  gouverner  un  vaifTeau 
h  Fife°£  Î,r)-Du  ™<*Moun,  ou  Mon,  qui  veut 
Argonaute.     """e  vice ,  on  a  fait  le  Dieu  Mornus ,  cen- 

V'e  -le -c  feur  deS  defajts  des  hommes  ■».  La  Fa- 

*«  Hefiode."    ^le  de  la  fameu  fe  Fontaine  Caftalie  ,  en 

Beotie  j  tire  aulli  fon  origine  d'une  équi- 


ExpI.parrRîfl.Liv.l.CKAV.  VI.  il? 
que  :  comme  elle  couloit  avec  un  mur- 
mure qui  paroiffoit  avoir  quelque  chofe 
de  fmgulier  (à),  &C  que  fon  eau  troubloit 
l'efprit  de  ceux  qui  en  buvoient  ,  on 
s'imagina  d'abord  qu'elle  communiquait 
le  don  de  prophétie  ;  &  quand  il  fut  quef- 
tion  de  jfçavoir  d'où  lui  venoit  cette  ver- 
tu ,  on  inventa  une  Fable.  Une  Nymphe, 
dit-on,  fut  aimée  d'Apollon  (i)  ;  comme  ,,  Lumî  r 
ce  Dieu  la  pourfuivoit  un  jour ,  elle  fe 
jetta  dans  cette  Fontaine  :  Apollon  pour, 
fe  confoler  de  la  perte  de  faMaîtrefTe, 
communiqua  à  l'eau  de  cette  Fontaine  le 
don  de  prophétie.  Si  les  Grecs  avoient 
entendu  la  Langue  Hébraïque  ,  ils  au- 
roient  bien  vu  que  le  mot  Caftalie  ,  vient    , 
de  Caftala  ,  qui  veut  dire  bruit  (2)  ;  &  ils   (l)  Bocfurfe 
ne  fe  feroient  pas  jettes  dans  des  Fables  Cna«-  i-L  11 
ridicules  ,  reflburce  ordinaire  de  leur  c'  1<s' 
ignorance.  On  doit  dire  à  peu  près  la 
même  chofe  de  l'origine  de  la  fontaine 
Hippocrene,qu'on  dit  que  le  cheval  Pe- 
gafe  fit  fortir  d'un  coup  de  pied  fur  le 
mont  Helicon  ,  parce  que  le  mot  Pxgran 
dont  on  fît  Hippigrana  &  enfaite  Hippo* 
crtne ,  veut  dire  fortir  de  terre  (£).  La  Fa- 

(a)  CafialiatjKefon  ans  liquide  ;  tde  labitur  utuLuV  irç.  in  CiJi  ce* 
(b)  Voyez  BchmChari.  ce;  ideo  Perfcfins  labaUi- 
1.  i.c.  16.  &  M.  le  Clerc  ntu^hinc  naxa  FabnU de  foH- 
fur  Hefiode.  De  Pigran  les  te  è  terra  editë  eoui  ungnU 
Grecs  ont  fan  i7çts-xkç1wvi  çeratjf** 
$4inquam  ab  eqno  dedneia  vb- 


î  1 4  La  Mythologie  &  les  Fables 
ble  de  la  fontaine  Arethufe  &  d' Alphée 
fon  Amant ,  qu'Ovide  décrit  û  bien ,  n  efi 
fondée  que  fur  une  pareille  équivoque. 
Les  Phéniciens  étant  arrivés  en  Sicile  , 
voyant  cette  fontaine  environnée  de  Sau- 

(0  Bcchart. leS.'  k  ^^nt  peut-être  Alphaga  , 

chan.  i.  u     qui  veut  dire  ,  la  fontaine  des  Saules  (î). 

*«»«  Les  Grecs  qui  abordèrent  enfuite  dans 

le  même  lieu ,  n'entendant  pas  la  fignifi- 

(2)  il  ccuie  Cation  de  ce  rTlot  5  &  fe  fouvenant  de  leur 
a»$r£iide.ie  fleuve  Alphée  (2),  s'imaginèrent  que 
puifque  la  fontaine  &  le  fleuve  avoient  à 
peu  près  le  même  nom ,  il  falloit  qu'ils 
euïTent  la  même  origine  ;  &  là  deffus  t 
quelque  bel  efprit  compofa  le  Roman  des 
Amours  du  Dieu  du  Fleuve  ,  avec  la 
Nymphe  Arethufe.  Prefque  tous  ks  His- 
toriens enfuite  furent  la  dupe  de  cette 
Fable  ,  &  dirent  que  F  Alphée  traverfoit 
la  mer,  &  alloitrefTortirdansriflede  Si- 
cile, près  de  la  fontaine  d'Arethufe  (a). 
Une  même  racine  Phénicienne  du  mot 
fiahhafch  pouvoit  fîgnifîer  également  j 
ou  un  Gardien  ,  ou  un  Dragon  :  dès 
qu'on  lifoit  une  Hiftoire  où  ce  mot  fe 
rencontroit ,  pour  marquer  le  gardien  de 
quelque  choïe  précieufe  ,  on  ne  man- 
quoit  pas  de  dire  que  c'étoit  un  Dragon. 

W  Bochart  croit  que  le  mot  Arethufe  vient  du  mot  Phc* 
Oicien  Arith ,  <jui  veut  dire  ruiflèau. 


ExpLparPHift.Liv.I.CHkV.VI.  iij 
De  là  toutes  ces  Fables  des  fameux  Dra- 
gons ,  par  lefquels  on  fait  garder  le  Jar- 
din des  Hefperides  ,  la  Toifon  d'or  , 
l'antre  de  Delphes,  &  la  fameufe  fontai- 
ne de  Thebes  :  au  lieu  d'y  mettre  des 
hommes  ,  on  y  a  mis  des  monftres  ;  &  ce 
qui  a  autorifé  la  liberté  qu'on  fe  donnoit 
de  prendre  dans  cette  fïgnification  le  mot 
Phénicien ,  c'eft  que  pour  être  le  gar- 
dien d'une  chofe  précieufe  ,  &  veiller  à 
fa  confervation  ,  il  faut  être  vigilant  & 
clair-voyant  ;  ce  que  les  mots  Grecs  J>/* 
^gi'««,  fignifient(».Voilà  ce  qui  a  trompé 
fouvent  Palephate ,  Diodore ,  &  quel- 
ques autres ,  qui  pour  expliquer  ces  Fa- 
bles en  ont  fubftitué  d*autres  en  leur  pla- 
ce ,  &  ont  introduit  des  perfonnages  à 
qui  ils  ont  donné  le  nom  de  Draco.  De 
même  quand  les  Poètes  difent  que  les 
Dieux  épouvantés  par  les  menaces  des 
Géants  ,  fe  revêtirent  en  Egypte  de  la 
figure  de  plufïeurs  animaux  (i),  cela  n'eft  MJtl)L°v* 
fondé  que  fur  des  allufions  aux  nomsPhe- 
niciens  ou  Hébreux  ,  qui  donnèrent  oc- 
cafion  à  ces  Fables.  C'eft  ainiî  ,  pour  me 
fervir  d'exemples ,  qu'on  ne  fçauroit  COn- 
fc)   Le  Clerc   fur  Hef.   p       le  eft  eamdem  vocem  Phenicik 
63.  ces  mots,  dit  cet  Auceur.     lingua.  (7  feront em  CJ  <"«/?»• 
viennent  à'v^o/u.eq  &  fof     demjîgnificajjc. 
k  &p  aj  videre*  Igitur  aedibi- 


4 16  La  Mythologie  &  les  Tables 
teftpr  que  le  Dieu  Anubis  fut  change  elf 
chien  ,  parce  que  nobeah  fîgnifie  aboyer  : 
Apis  en  bœuf,  parce  que  abïr  veut  dire 
un  bœuf:  Venus  en  poiïfonrJunon  en  va- 
che, parce  qu' Ajtarot  qui  étoit  le  nom  de 
Junon  ,  fîgnifie  des  troupeaux  :  &  Dag , 
qui  étoit  celui  de  Venus  ,  ou  Aftarté  , 
veut  dire  un  poiflbn.  Je  pourrois  rap- 
porter ici  une  infinité  d'autres  exemples  ; 
mais  i'efpere  dans  la  fuite  en  donner  tant 
de  preuves,  que  je  convaincrai  les  plus 
incrédules. 

Il  me  refle  à  prouver  maintenant ,  que 
non-feulement  les  équivoques  des  Lan- 
gues Orientales  ont  donné  lieu  à  une  in- 
finité de  Fables  ,  mais  auffi  celles  de  au* 
très  Langues. 

Les  mots  équivoques  de  la  Grecque  ,' 
par  exemple ,  en  ont  produit  un  grand 
>&!•>.  nombre.  De  crias  (i)  ,  qui  étoit  le  nom 
du  Gouverneur  des  enfans  d'Athamas, 
&  qui  fïgnifioit  unbelier,ik  ont  compofé 
la  Fable  du  Bélier  à  la  Toifon  d'or ,  com- 
me nous  le  dirons  plus  au  long  en  l'expli- 
quant. Ils  ont  changé  de  même  Lycaon 
en  loup ,  parce  que  fon  nom  efi  le  même 
que  celui  de  cet  animal.  Ils  ont  publié 
que  Cyrus  avoit  été  nourri  par  une  chien- 
ne ,  parce  que  la  femme  du  Bouvier 
d'Aflyage  ,  qui  le  nourrit,  s'appelloit  eif 


ExpLparrHift.Livl.Cnkv.Vl.  rij 
^rec  Cyno  (  I  )  ,  &  dans  la  Langue  des    (,)  <&i  <& 
Medes  Spaco  ,  noms  qui  veulent  dire  »»f#V 
chienne    (  2  ).   Que  Venus  étoit  fortie   (2)  Hcrod& 
de  l'écume  de  la  mer  ,  parce  que  Aphro-  1 *• 
dite  y  qui  étoit  le  nom  qu'ils  donnoient 
à  cette  Déeffe  ,  fignifîoit  de  l'écume. 
Que  le  Temple  de  Delphes  avoit  été 
conftruit  avec  de  la  cire  ,  -&  les  ailes  des 
abeilles  qu'Apollon  avoit  fait  venir  des 
pays   Hyperboréens  ,   parce  que  Pte- 
ras  (3)  dont  le  nom  veut  dire  une  plu-   /-x^ft* 
me  ,  en  avoit  été  l'Architecte.    On  doit  o^Unna. 
dire  la  même  chofe  des  autres  Fables, 
où  l'on  trouve  que  quelques  enfans  ont 
été  nourris  par   des  Chèvres  ,  comme 
/Egifte  ;   ou  par  une  Biche  ,  comme 
Telephe  ,  fils   d  Hercule  ,    parce    que 
leurs  noms  répondent  à  ceux  de  ces  ani- 
maux. 

Mais  pour  donner  plus  de  vrai-fem-    Quatottî* 
blance  à  toutes  ces  origines  ,  ileftbon  mer°wce. 
de  faire  voir  en  peu  de  mots ,  &  par  des 
exemples  inconteftables ,  que  la  plupart 
des  Fables  des  Grecs  venoient  d?Egyp« 
te  &  de  Phenicie. 

Les  Grecs  ne  font  pas  à  beaucoup 
près  fi  anciens  que  les  autres  peuples 
d'Orient.  Les  Arts  &  la  politeife  rc- 
gnoient  en  Egypte  ,  lorfque  les  peuples 
4'Occident  vivoiçnt  encore  dans  unç 


i  ï8  La  Mythologie  &  les  Fallet 
brutale  groflïereté  :  c'étoit  par  les  Co* 
lonies  qui  fortoient  d'Orient ,  qu'ils  ap« 
prenoient  à  bâtir  des  Villes  ,  à  vivre  en 
focieté ,  &  à  s'habiller.  C'eft  delà  que 
venoient  les  cérémonies  de  la  Religion, 
le  culte  des  Dieux  ,  &  les  facrifices.  On 
n'en  fçauroit  douter  après  le  témoigna- 
ge formel  des  plus  anciens  Auteurs.  Les 
Fables  étoient  mêlées  avec  la  Religion, 
elles  en  étoient  le  fondement  :  c'étoit  la 
Fable  qui  avoit  introduit  ce  grand  nom- 
bre de  Dieux  qu'on  avoit  fubftitué  à  la 
place  du  véritable;  ainfi  en  apprenant 

.  .  la  Religion  des  Egyptiens,  les  Grecs 
apprenoient  auiîi  leurs  Fables.  Il  eft 
certain ,  par  exemple ,  que  le  culte  de 
Bacchus  étoit  formé  fur  celui  d'Ofïris; 

L.  i.  Diodore  le  dit  en  plus  d'un  endroit  (i). 
Les  repréfentations  obfcenes  de  leur 
Hermès  &  de  leur  Priape ,  n'étoient-el* 
les  pas  les  mêmes  que  le  Phallus  des 

l.z.  Egyptiens?  Hérodote  (2)  a  beau  dire 
que  c'étaient  les  Pelafges  qui  leur  a- 
voient  appris  ces  myflerieufes  infamies  : 
les  Pelafges  ,  tout  anciens  qu'ils  étoient 
dans  la  Grèce  ,  étoient  modernes  en 
comparaifon  des  Egyptiens  ;  &  comme 
ils  étoient  vagabonds  ,  quelqu'un  d'eux 
pouvoit  être  forti  d'Arcadie  ,  qui  étoit 
leur  première  habitation,  &  avoir  voya* 


Expl.parPHifl.Liv.ï.CHA*.VL  119 

gé  en  Egypte.  Cadmus  &  Melampe 
avoient  apporté  ce  culte  dans  la  Grèce  ; 
&  le  premier  ne  fouffrit  tant  de  per- 
fecution  ,  jufqu'à  être  chafle  de  (on 
Royaume ,  que  pour  s'être  oppofé  aux 
innovations  qu'on  avoit  introduites  dans 
les  Fêtes  de  cette  ancienne  Divinité. 
Tel  étoit  le  génie  des  Grecs  ;  ils  chan- 
geoient  &  les  noms  &  les  cérémonies 
des  Dieux  d'Orient ,  pour  faire  croire 
dans  la  fuite  qu'ils  étoient  nés  dans  leurs 
pays  ;  comme  nous  le  voyons  dans  cet 
exemple  ,  dans  celui  d^Ifîs  qu'ils  appel- 
aient Diane  ,  Se  dans  une  infinité  d'au- 
tres. La  Fable  deDerceto  ,  oud'Ater- 
gatis  ,  n'eft-elle  pas  la  même  que  celle 
de  Dagon  ?  Les  Qrecs  n'ont-ils  pas  com- 
pofé  ce  nom  de  ceux  $ Adir  Se  $Agony 
grand  poifTon  ?  comme  Selden  le  dé- 
montre (  1  )  :  &  n'eft-ce  pas  pour  cela  (x)  &&% 
qu'Ovide  dit  que  Derceto  fut  changée  4W' >  4>»' *• 
en  poiflbn  ?  La  Fable  de  Venus  Se  d'A-  c' 3* 
donis  n'étoit-elle  pas  originaire  de  Sy- 
rie ?  Et  lî  Ton  publia  que  cette  Déefle 
étoit  fortie  de  la  mer ,  c'eft  que  fon  culte 
étoit  paile  des  côtes  de  Syrie  en  Chy- 
pre ,  de  là  à  Cythere  ,  Se  enfuite  dans 
la  Grèce.  Io  changée  en  vache  ,  n'eft- 
elle  pas  la  même  qu'Ifis  adorée  par  les 
(Egyptiens  fous  la  figure  de  cet  animal  j? 


1 10     La  Mythologie  &  les  Fables 

{i)  inifide.  Et  lî ,  félon  Plutarque  (  i  )  ,  il  y  avoït 

une  ancienne  Tradition  qui  portoit  que 

cette  Déeffe  avoit  été  métamorphofée 

^  en  Hirondelle  ,  n'eft-ce  pas  ,  comme  le 

(2)  Deani-  remarque  Bochart  (2) ,  parce  que  dans 
ÎMip.P'  Z%      ^es  Langues  d'Orient ,   Sis  fignifie  une 

Hirondelle  ?  La  Fable  d'Arachné  chan- 
gée en  Araignée  ,  ne  vient-elle  pas  de 
FHebreu  Arag ,  qui  veut  dire  filer  ?  ter- 
me que  l'Ecriture  employé  pour  les  toi- 
les mêmes  que  les  Araignées  filent.  Cel- 
le d'Efculape ,  nourri  par  une  Chienne, 
ne  vient-elle  pas  de  Phenicie  ?  Et  quand 
Sanchoniathon  ne  le  diroit  pas  expreffé- 
ment ,  ne  verroit-on  pas  qu'on  a  com- 
pofé  ce  nom  &  cette  Fable  de  deux  mots 
Hébreux  ,  Is  Calibi ,  Vit  Canin  us  ,  d'où 
les  Grecs  ont  fait  leur  Afclepos  y  &  les 
Latins  leur  Efculape  ?  Pourquoi  ,  je 
vous  prie  ,  difoit-on  que  Diane  avoit 
été  changée  en  chat ,  finon  parce  que 

(3)  L.  2.     cette  DéeiTe  ,  félon  Hérodote  (3),  étoit 

appellée  en  Egypte  Bubafle  y  qui  veut 
dire  un  chat  dans  la  Langue  du  pays  , 

(4)  in  vue  comme  nous  l'apprend  Stephanus  (  4  )• 
php*        Le  Mercure  des  Latins,  l'Hermès  des 

Grecs  ,  &  le  Teutat  des  Gaulois  n'étoit- 
il  pas  la  copie  de  l'ancien  Thot  des 
Egyptiens  ?  Tout  l'attirail  des  Fables 
que  les  Poètes  mêlèrent  dans  UurAdès, 

£9 


Expl.par  rHtft.LivJ.Cnkv.VÏ.  rat 

fcn  un  mot  tout  leur  fyftême  Poétique 
de  l'Enfer ,  ne  vèhoit-il  pas  des  Egyp- 
tiens ?  Diodore  de  Sicile  (  i  )  &  Por-    d)Lib.  r; 
phyre  (  2  )  le  difent  formellement ,  &    (*)  L&.  & 
nous  le  proverons  fort  au  long  dans  la     ^  ^ 
fuite.    Pythagore  n'avoit~il  pas  puifé 
chez  ce  même  peuple  les  rêveries  de  la 
Métempfycofe  ,  Se  Homère  la  Fable  des 
Métamorphofes  de  Protée  ?  J'en  pour- 
rois  rapporter  encore  plufieurs  autres  ; 
mais  en  voilà  plus  qu'il  n'en  faut  pour 
prouver  que  le  plus  grand  nombre  des 
Fables  des  Grecs  &  des  Latins  venoienc 
d'Egypte  &  de  Phenicie  :  que  Bochart 
êc  quelques  autres  ont  eu  raifon  d'en 
chercher  fouvent  le  dénouement  dans 
îes  Langues  Orientales  ;  &  que  fi  on  a 
de  la  peine  à  les  reconnaître  ,  c'eft  que 
les  Grecs  qui  avoient  un  penchant  infini 
pour  les  fixions  ,  &  qui  d'un  autre  cô- 
té vouloient  pafTer  pour  anciens ,  aimant 
mieux  rapporter  leur  origine  aux  four- 
mis de  la  forêt  d'Egine ,  ou  aux  dents 
ch^  Dragon  de  Cadmus  ,  que  de  recon- 
îioître  qu'ils  defeendoient  des   Peuples 
étrangers  ,   changeoient  tout  dans  les 
Fables  ,  les  noms  ,  les  avantures  ,  &  les 
cérémonies  de  la  Religion  ;  voulant  fai- 
re voir  par  là ,  que  tout  avoit  commen- 
cé parmi  eux  ,  &  qu'ils  n'étoient  rede* 
Tome  L  *  Ç 


122  La  Mythologie  &  les  Tahks 
vables  à  aucun  Peuple  ,  ni  de  leufg 
Dieux ,  m  de  leurs  Héros.  C'eil  pour 
cette  raifon  fans  doute  ,  que  l'on  trouve 
dans  les  Poètes  Grecs  les  Fables  Egyp- 
tiennes  fi  défigurées ,  qu'il  feroit  diffi- 
cile fans  le  fecours  des  Langues  ,  d'en 
pouvoir  découvrir  l'origine  ;  &  qu'il  y 
a  tant  de  différence  entre  ce  que  Dio- 
dore  &  Plutarque  difent  d'Ifîs  &  d'Ofi- 
ris  après  les  Prêtres  d'Egypte ,  &  ce  que 
les  Poètes  difent  d'Io  ,  de  Bacchus  & 
de  Diane ,  qu'on  feroit  tenté  de  croire 
<[ue  ce  ne  font  pas  les  mêmes  Divinités. 

On  a  donné  dans  le  premier  Chapi- 
tre des  règles  &  des  exemples  pourcon- 
noître  en  général ,  les  Fables  Orienta- 
les ,  les  Grecques  &  les  Latines.  Ce  fe- 
roit ici  le  lieu  de  dire  en  quel  temps  ont 
commencé  les  Fables  ;  mais  il  eft  impo£« 
jible  d'en  fixer  au  jufte  l'époque  :  on  feait 
feulement  qu'elles  font  très-anciennes, 
puifque  nous  les  trouvons  dans  ce  qui 
nous  refte  de  plus  ancien  dans  l' Anti- 
quité profane  ;  à  quoi  on  peut  ajoute* 
*que  la  manière  différente  dont  les  racon- 
tent les  premiers  Poètes  ,  efl  une  preuve 
inconteftable  qu'elles  étoient  répandues 
•avant  leur  temps  ,  parmi  les  peuples 
-dont  apparemment  elles  contenoient 
l'ancienne  Tradition.    Mais  pour  dire 


Expl.  pœrVHlJÎ  JLiv.I.Cïiav.VL  12% 

Quelque  chofe  de  plus  précis,  je  crois 
que  û  avant  le  Déluge ,  les  Fables  n'ont 
pas  corrompu  la  Religion  de  Caïn&de 
fa  famille  ,  ainfi  que  l'idolâtrie  avec  la- 
quelle elles  paroiffent  fî  naturellement 
liées ,  elles  ont  du  moins  pris  naifTance 
peu  de  temps  après  ,  dans  la  famille  de 
Cham  ,  &  de  Chanaan  fon  fils  ,  pre- 
miers auteurs  de  l'idolâtrie.    Ainfî  on 
doit   regarder  la  Phenicie  &  l'Egypte 
comme  le  premier  Théâtre  des  Fables, 
d'où  elles  pafTerent  avec  les  Colonies  en 
occident  ,  &  dans  la  Grèce  fur -tout, 
où   elles  multiplièrent  infiniment  ,  les  * 
Grecs  ayant  un  génie  porté  aux  fî&ions. 
De  la  Grèce  elles  pafTerent  en  Italie,  ôc 
dans  les  autres  pays. 

Il  efl  confiant  qu'en  fuivant  un  peu 
l'ancienne  Tradition ,  on  découvre  ai- 
fément  que  c'eft  là  le  chemin  de  l'idolâ- 
trie &  des  Fables  ,  qui  ont  toujours 
marché  enfemble.  Qu'on  ne  s'imagine 
donc  pas  qu'Homère  &Hefiode  font  le* 
inventeurs  de  ces  Fables  :  l'idolâtrie 
étoit  plus  ancienne  que  ces  deux  Poètes, 
&  par  confequent  les  Fables  ,  qui  y  font 
nécefTairement  enchaînées  ,  Tétoient 
auflî.  Les  Poètes  fqui  avoient  précédé 
ceux  que  je  viens  de  nommer,  en  avoient 
apparemment  rempli  leurs  Ouvrages ,  <5j 

Fij 


ï*4     ^  Mythologie  &  les  Fables 
je  ne  doute  pas  qu'Homère  n'ait  eu  des 
modèles  qu'il  a  imité.  La  Poëfîe  Grec- 
que auroit-elle  commencé  par  des  Chefs- 
d'oeuvres  ?  Il  y  avoit  eu  fans  doute  avant 
lui  des  Poètes  ,  qui  avoient  traité  le  fu- 
jet  de  la  guerre  de  Troye ,  &  qui  avoient 
fait  des  lliades ,  où  apparemment  le  com- 
merce des  Dieux  avec  les  hommes ,  & 
les  autres   Fables  ,   regnoient   comme 
dans  l'Iliade  &  l'Odyfïee  ;  car  il  ne  faut 
pas  croire  que  les  Dieux  de  la  Grèce 
doivent  leur  origine  aux  Poèmes  d'Ho- 
mère &  d;Hefiode.    Ces  deux  Poètes , 
&  ceux  qui  les  ont  précédés ,  avoient 
fuivi  dans  leurs  Ouvrages  les  principes 
de  la  Théologie  de  leurs  pays  ,  dont 
le  fyftême  avoit  été  formé  dès  le  temps 
de  Cecrops  qui  établit  dans  la  Grèce  le 
culte  des  Divinités  d'Egypte  &  de  Phe- 
nicie  ,  comme  il  paroît  par  le  témoigna- 
ge des  Anciens ,  ainfi  qu'on  peut  le  voir 
(0  Dans  le  dans  Saint  Epiphane  (  i  ).   Les  autres 
Liv.i.  de  fes  Chefs  de  Colonies  ,  tels  queCadmus, 
lwcfo,$.7.  qui  porta  en  Grèce  les  myfleres  de  Bac- 
chus  &  d'Ofiris  ,  fuivirent  la  même  mé- 
thode ;  or  ces  Chefs  de  Colonies  étoient 
tous  antérieurs  de  plufieurs  fiécles  à  ces 
deux  Poètes.    Mais  pour  tout  dire  en 
un  mot,  k  Poëfîe  Grecque  n'eft  qu'une 
ôopie  de  cette  ancienne  Poëiie  fi  con- 


JExpLparPHîfi.  Liv.I.Chap.VL  12 f 

ïluë  en  Orient,  &  que  Moyfe  a  fi  heu- 
reufement  employée  dans  ces  admira- 
bles Cantiques  ,  où  il  célèbre  avec  tant 
de  majefté  les  vi&oires  du  Dieu  des  Ar- 
mées fur  les  ennemis  des  Hébreux  ;  <fc 
peut-être  même  que  c'efl  ce  commerce 
facré  du  Dieu  d'Ifraël  avec  fon  peuple, 
que  fait  fî  fouvent  fentir  ce  faint  Legif- 
lateur ,  qui  a  donné  lieu  dans  la  fuite  aux 
Poètes  ,  de  mêler  à  tous  propos  leurs 
Dieux  avec  les  hommes  ,  n'ayant  pas  fçu 
expliquer  autrement  cette  divine  Provi- 
dence qui  règle  les  évenemens ,  &  qui 
paroît  dans  ces  divins  Cantiques  fi  rem- 
plie de  foin  &  de  follicitude.  Ainfî  les 
premières  vérités  ont  donné  occalîon 
aux  Fables  les  plus  anciennes,  qui  fe 
font  enfuite  multipliées  au  gré  du  génie 
des  peuples  qui  les  ont  adoptées. 

Il  eft  bon  de  remarquer  encore  ,  que 
les  Fables  qui  fortirent  de  la  Phenicie 
&  de  l'Egypte,  ne  prirent  pas  toutes  la 
route  d'Occident  ,  je  veux  dire  de  la 
Grèce  &  de  l'Italie;  il  y  en  eut  beaucoup 
qui  paflerent  dans  les  Indes- avec  les  Co- 
lonies qui  allèrent  s'y  établir  ;  &  c'eft  ce 
qui  fait  qu'il  y  a  peu  de  pays  où  l'on 
n'ait  trouvé  une  Tradition  du  combat 
des  Géants  ,  &  de  la  Guerre  qu'ils  firent 
$ux  Dieux,  comme  on  le  peut  voir  dans 


1 26  La  Mythologie  &  les  Fables 
plufieurs  Relations  (a).  On  trouve  en- 
core dans  les  pays  les  plus  éloignés  plu- 
sieurs veftiges  des  anciennes  Fables ,  où 
elles  ne  font  pas  même  allez  défigurées, 
pour  n'être  pas  reconnues;  ce  qu'on  doit 
penfer  aufli  de  l'idolâtrie  de  ces  Peuples, 
qu'on  voit  bien ,  malgré  les  changemens 
qu'on  y  a  faits ,  être  la  fuite  de  l'ancien- 
ne ,  qui  fut  portée  dans  les  climats  éloi- 
gnés avec  les  Colonies.  Sur  quoi  on 
peut  confulter  l'Ouvrage  du  P.  Laffi- 
teau  j  pour  ce  qui  regarde  les  Sauvages 
de  l'Amérique ,  dont  les  mœurs  ,  félon 
lui ,  reffemblent  à  celles  des  premiers 
hommes.  Mais  il  eft  temps  de  palier  à 
une  autre  fource. 

Comme  dans  ces  premiers  temps  l'art 
de  la  Navigation  étoit  peu  perfection- 
né :  &  qu'on  ne  fçavoit  guère  bien  la. 
Géographie ,  les  voyages  de  mer  étoient 
fort  dangereux.  Lorfqu'on  vint  enfuite 
à  faire  des  Relations  de  ces  voyages , 
on  y  mêla  plufîeurs  Fables  :  on  ne  parla, 
par  exemple  ,  de  l'Océan  que  comme 
d'un  lieu  couvert  de  ténèbres  ,  où  le 
Soleil  allqit  fe  coucher  tous  les  foirs 

(  a  )    Voyez  ce   que  M.  de  Malabar  ,  Se  des  pays  voU 

Dellon   en  a  écrit  dans  fon  fins  :  Se  ce  que  le  Père  Laffi- 

troisième  Tome  des  Divinx-  teau  en  a  dit  dans  fes  mœurs 

tés  qu'adorent  les  peuples  des  des  Sauvages.  T»  iv 
Indes  j  fer  tout  fur  les  cotes 


Èxpl.  par  PHifl.  Liv.I.  Chap.VL  127 

dans  le  Palais  de  Tethys   (a). 

Les  Rochers  qui  compofent  le  Dé- 
troit de  Scylla  &  de  Charybde  ,  pafle- 
rent  pour  deux  monftres  qui  engloutif-* 
foient  les  vaifTeaux.   On  publioit  que  les 
Symplegades  ou  les  Cyanées ,  qui  font 
à  Tentrée  du  Pont-Euxin  ,  s'entreheur- 
toient  pour  engloutir  les  navires  qui  y 
pafïbient.  On  regardoit  les  Cimmeriens, 
comme  un  Peuple  enfeveli  dans  des  té- 
nèbres éternelles  :  les  Arimafpes  &  les 
IfTedons,  comme  des  hommes  qui  n'a~ 
voient  qu'un  œil  :  les  Hyperboréens, 
comme  des  gens  qui  vivoient  mille  ans 
fans  chagrin,  fans  maladie,  &fansref- 
fentir  aucune  des  incommodités  de  la 
vie.  Ici  ,  il  y  avoit  un  peuple  couvert 
de  plumes;  là,  dés  hommes  fans  tête, 
ou  Acéphales;  des  Cynocéphales,  ou: 
hommes  à  tête  de  chien  ;  d'autres ,  dont 
les  oreilles  pendoient  jufqu'aux  talons  ; 
d'autres  enfin  qui  n'avoient  qu'un  pied, 
car  c'efl  ce  que  xontenoient  les  Rela- 
tions des  Indes  &  du  Nord  :  partout  des 
monftres  effroyables  qu'il  falloit  domp- 
ter.  Si  quelqu'un  alloit  dans  le  Golphe 
de  Pcrfe ,  on  publioit  qu'il  étoit  allé  juf- 

(a)  ....  Tarte fis  JltbnUnti  confcU  Photbo  (  i  ).  L(l)  SiUtal* 

freferat tccidHHS  Tartefut  tittWA  PhaLs  '(  z\  #     ?  ^Z\ °Virl# 


_F  iiij 


Met.  L.  i$. 


ï  28  La  Mythologie  &  les  Fables 
qu'au  fond  de  FOrient ,  &  au  pays  oà 
Y  Aurore  ouvre  la  barrière  du  jour.  Parce 
que  Perfée  eut  la  hardiefle  de  fortir  dw 
détroit  de  Gilbraltar  pour  aller  jufqu'aux 
Ifles  Qrcades  ,  an  lui  donna  3e  Cheval 
Pegafe  ,  avec  Féquipage  de  Pluton  & 
de  Mercure  ,  comme  s'il  avoit  été  im- 
pofïîbîe  de  faire  un  û  long  voyage  ,  fans 
quelque  fecours  fumaturel. 

Que  de  Fables  ridicules  ,  que  de  fic- 
tions puériles  ne  trouve-ton  pas  dans  le 
faux  Orphée  ,  dans  Apollonius  de  Rho- 
des ,  au  fujet  du  retour  des  Argonau*- 
tes  ;  combien  de  Pays  &  de  Peuples  in- 
connus ,  ne  leur  font-ils  pas  rencontrer 
dans  ce  voyage  chimérique  ?  Qui  eft-ce 
qui  peut  dire  où  étoient  les  Cimmeriens 
d'Homère  ,  &  FIfle  de  Calypfo  ? 
SemAïte  &•  On  peut  ajouter  à  toutes  ces  fources, 
^ermere four-  je  fQ'm  qU>on  a  pris  fou vent  de  fauver 

tendus  com-  Fhonneur  de  pluiieurs  femmes*  Lorfque 
gerces  des  quelque  Princeiïe  avoit  eu  de  la  foiblefTe 
pour  fon  Amant ,  les  flatteurs  ne  man- 
quoient  pas  d'appeller  au  fecours  de  fa 
réputation  quelque  Divinité  favorable  : 
il  falloit  que  ce  fût  un  Dieu  métamor- 
phofé  ,  qui  eût  triomphé  de  Finfenfîbi- 
lité  de  la  Belle  ;  on  fauvoit  par  là  fa  ré- 
putation ,  &  ces  fortes  de  galanteries, 
bien   loin  d'être  diffamantes  r  étoxçfifi 


JZxpLp.tr  PHijl.Liv.L  CdAP.VL  129 

très -honorables.  Il  n'y  avoit  pas  jus- 
qu'aux époux  trop  faciles  ,  qui  ne  les 
favorifaffent  ;  &  l'hiiloire  de  Pauline  ôc 
de  Mundus  ,  n'eft  pas  le  feul  monument 
qui  nous  refte  de  la  fotte  crédulité  des 
maris.  Mundus  ,  jeune  Chevalier  Ro- 
main ,  étoit  devenu  amoureux  de  Paur 
line  ,  &  ayant  employé  inutilement  tous 
les  moyens  de  la  rendre  fenfible ,  il  s'a- 
vifa  de  gagner  les  Prêtres  d'Anubis ,  qui 
firent  fçavoir  à  Pauline  que  ce  Dieu  étoit 
amoureux  d'elle  ;  Pauline  fut  le.  même 
foir  conduite  dans  le  Temple  par  fou 
mari.  Quelques  jours  après  ,  Mundus 
qu'elle  rencontra  par  hafard  „  lui  déclara 
le  fecret.  Pauline  au  defefpoir  s'en  plai- 
gnit à  Tibère  ,  qui  tout  Tibère  qu'il, 
étoit ,  fît  Brûler  les  Prêtres  d'Anubis , 
traîner  fa  Statue  dans  le  Tybre ,  &  fit. 
exiler  Mundus  (i>    _       :  fi)  Jb*fp& 

Il  efl  fur  qu'une  infinité  de  Fables.  Ant;  l  *«* 
tirent  leur  origine  de  cette  fource.  Cel- 
le de  Rhea  Silvia ,  mère  de  Remus  $C 
Romulus ,  en  eft  une  preuve  (2).  -  Amu-   /*)  .r>en, 
lius  fon  oncle  entra  dans  fa  cellule ,  Se  a^rS^. 
Numitor  fon  père  ,  fit  courir  le  bruit  i-iii*»-!* 
que  les  deux  enfans  qu'elle  mit  au  mon-  ?e"  L' lm 
de  avoient .  pour  père  le  Dieu  de  la 
Guerre.  Souvent  même  les  Prêtres  étant: 
amoureux  de  quelque  femme,  luia*ï- 

Fy 


«30  La  Mythologie  &  les  Fables 
nonçoient  qu'elle  étoit  aimée  du  Dieœ 
qu'ils  fervoient ,  &  elle  fe  préparoit  à 
aller  coucher  dans  le  Temple ,  où  les 
parens  la  conduifoient  avec  cérémo- 
nie (i).  A  Babylone  une  femme  ,  de- 
celles  que  Jupiter-Belus  avoit  fait  choi- 
fîr  par  fon  Prêtre  ,  alloit  coucher  dans 
fon  Temple.  De  là  ce  grand  nombre 
<i'enfans  qu'on  donne  aux  Dieux. 


CHAPITRE  VIL 

Dans  lequel  on  recherche  Vorigtne  des 
Metamorphofes  d ) Ovide  y  &  de  quel* 
ques  autres  Poètes* 

POUR  ne  rien  laifTer  à  délirer  fur  Po~ 
rigine  des  Fables ,  il  faut  ajouter  à 
ce  que  nous  avons  dit  dans  les  Chapi- 
tres precedens ,  que  prefque  toutes  cel- 
les qui  fe  trouvent  dans  les  Metamor- 
phofes d'Ovide  ,  d'Hyginus ,  &  d'An* 
toninus  Liberalis  ,  ne  font  fondées  que 
fur  des  manières  de  s'exprimer  figurées 
&  métaphoriques  :  ce  font  ordinaire- 
ment de  véritables  faits ,  aufquels  on  a 
ajouté  quelque  circonflance  furnaturelle 
pour  les  embellir.  La  vie  retirée ,  par 
temple  >  que  menereAt  en  Illyrie  £ad*. 


ExplparrHift.Liv.LCHAT.YIL  131 

mus  &  Hermione  ,  après  avoir  été  chaf- 
fés  du  Trône  de  Thebes ,  donna  fans 
doute  lieu  à  les  faire  changer  en  Ser- 
pens  ;  furtout  à  l'aide  des  équivoques, 
dont  nous  parlerons  dans  leur  hiftoire. 
La  cruauté  de  Lycaon ,  qui  immoloit 
des  vidâmes  humaines  à  Jupiter  Ly»- 
caeus ,  Ta  fait  metamorphofer  en  loup. 
Céyx  &  Alcyone  ont  été  changés  en 
Alcyons ,  pour  nous  donner  une  idée 
d'un  amour  parfait  entre  deux  époux. 
Quand  quelque  PrincefTe  mouroit  dç 
douleur  de  la  perte  de  fonmarioudefes 
enfans  ,  le  dénouement  de  l'Elégie  qui 
étoit  compofée  à  ce  fujet:,  étoit  de  la 
changer  en  Fontaine  ou  en  Rocher.  L'a- 
drefTe  &  l'agilité  de  Periclymene  ,  frère 
rie  Neftor ,  qui  fut  tué  par  Hercule ,  ont 
fait  dire  que  ce  jeune  Prince  prenoit  tou- 
tes fortes  de  figures  ,  &  qu'il  fe  chan- 
gea en  Aigle.  On  doit  penfer  de  même 
de  Protée ,  de  Thetis  ,  &  de  Metra  fille 
d'Erefi&on.  Si  quelqu'un  fe  rendpit  haï&  ■ 
fable  ,  comme  Afcalaphe  ,  on  le  chan- 
g^oit  en  Hibou.  La  ftupidité  de  My«* 
das  ,  ou  peut-être  l'excellence  de  fon  * 
oùie ,  lui  ont  fait  donner  des  oreille*  s 
d'âne.  On  dit  qu' Amphion  bâtit  les  mu- 
railles de  Thebes  au  fon  défa  Lyre ,  par- 
ce qu'il  fut  aflez  éloquent  pour  perfua-^ 

F  vi 


%  3^  La  Mythologie  &  les  Fables 
der  à  un  peuple  barbare  \  de  bâtir  une' 
ville  pour  y  vivre  en  focieté  :  qu'Or- 
phée charma  les  Tygres  &  les  Lions ,  Se 
rendit  les  arbres  &  les  rochers  fenfibles 
à  fes  accords ,  parce  qu'il  étoit  fî  infi- 
rmant &  perfuafif ,  que  rien  ne  pouvoit 
Tefîfler  à  la  force  de  fon  éloquence.  Au 
lieu  de  dire  que  quelqu'un  étoit  guéri 
«d'une  maladie  defefperée  ,  comme  Hy- 
polite -,  on  publioit  qu'il  étoit  reffufeité  ; 
&  le  Médecin  qui  en  avoit  pris  foin  r 
étoit  toujours  Efculape; 

Quelquefois  la  reffemb lance  des  noms 
donnoit  lieu  à  la  metamorphofe  :  ainiï 
furent  changés  Picus  en  Pivert ,  Gygnus 
en  Cygne  ,  Hierax  en  Epervier ,  Alo- 
pis  en  Renard ,  les  Cercopes  en  Singes; 
Enfin  on  trouve  des  Fables ,  dont  le  fon* 
dément  eft  le  fruit  de  l'imagination  de3 
Poètes  :  ainfi  pour  nous  apprendre  que 
•Cephale  fe  levoit  de  grand  matin  pour 
aller  à  la  ehafiè ,  on  publia  que  l'Au- 
Tore,  qui  en  étoit  amoureufe  ,  venoit 
l'enlever  :  qu'Hebé ,  Déefle  de  la  jeu- 
nefle  j  avoit  rajeuni  Iolas  compagnon 
d'Hercule  ',  parce  qu'il  vécut  très-long 
temps ,  &  qu  il  eonferva  fa  vigueur  juA 
qu'à  une  extrême  vieilleffe  :  que  Gères 
avoit  aimé  Jafion  ,  pa?ce  qu'il  avoit  per- 
fectionné  l' Agriculture  ,    dont   cet» 


Expl.parPHiJl.  Liv.I.  Chàp.VÏI.  13  J 

♦DéefTe  avoit  appris  l'ufage  à  la  Grèce  : 
que  Diane  venoitvifïter  Endymion  dans 
les  montagnes  de  la  Carie,  parce  qus 
ee  Berger  s'y  appliquent  à  eonfiderer  les 
cours  de  la  Lune;  ainfi  des  autres. 

On  en  trouve  qui  ne  font  que  des 
deferiptions  métaphoriques  de  quelques 
effets  naturels  ;  ainfi:  les  amours  d'A- 
pollon &  deDaphné,  marquent  laver- 
dure  perpétuelle  du  Laurier  ,  appelle 
Daphné  par  les  Grecs.  Enfin  on  doit 
penfer  que  toutes  les  metamorphofes 
qu'on  attribue  à  Jupiter  &  aux  autres 
Dieux  ,  n'étoient  que  des  fymboles  qui 
nous  marquoient  les  moyens  dont  les 
Princes  qui  portoient  ces  noms  ,  s'é^ 
toient  fervis  pour  feduire  leurs  Maîtref- 
fes.  Ainfi  l'or  dont  fe  fervitPretus  pour 
tromper  Danaé  ,  fit  dire  qu'il  s'étoit 
changé  en  pluye  d;or;  ou  bien,  com- 
me le  remarque  Eufîathe  (  1  )  ,  ces  pré-  (1  )  Sur  te 
tendues<  metamorphofes  n'étoient  que  J|^/'  dcl^ 
des  Médailles  d'or  ,  fur  lefquelles  on 
les  voyoit  gravées  ,  &  que  les  Amans- 
donnoient  à  leurs  MaîtrefTes  ;  prefens* 
plus  propres  par  la  rareté  du  métal  &  la* 
finefTe  de  la  gravure ,  à  rendre  fenfiblesr 
les  femmes ,  que  de  véritables  metamor- 
phofes. 

JI  efl  nçcdîkije  de  remarquer  ava«t 


ï  34     La  Mythologie  &  les  Fables 
que  de  finir  cet  article  ,  qu'il  n'y  eut  ja* 
mais  de  Pays  plus  fertile  en  Fables-,  que 
la  Grèce.  Peu  contente  de  celles  qu'elle 
avoit  reçues  d'Orient ,   elle  en  inventa 
un  nombre  infini  de  nouvelles.    Pour 
s'en  convaincre  ,  il  n'y  a  qu'à  examiner 
l'immenfe   Recueil  qu'Ovide  en  a  fait, 
£c  on  verra  que  de  XV.  Livres  que  com- 
prend fon  Ouvrage  des  Métamorpho- 
ses ,  il  y  en  a  près  de  XIII.  qui  ne  font 
compofésque  de  Fables  Grecques.  J'ai 
donné  dans  le  premier  Chapitre  des  rè- 
gles &  des  exemples  pour  les  distinguer. 
La  Langue  dans  laquelle  elles  paroif- 
fént  avoir  été  compofées  ,  eft  la  plus 
fûre.  Si  les  noms  font  tirés  des  Langues 
de  l'Orient .,  elles  font  étrangères  à  la 
Grèce  ;  &  s'ils  font  Latins ,  elles  doi- 
vent être  regardées  comme  originaires 
d'Italie.    Or  fur  ce  principe  ,  il  y  en  a 
peu  dans  les  Metamorphofes  d'Ovide , 
qui  ne  foient  Grecques  d'origine  ;  car 
fî  vous  exceptez  celles  du  Chaos  ,  de  la  * 
formation  de  l'homme  ;  des  compagnons 
de  Cadmus ,  fortis  des  dents  du  Serpent  ; 
celles  de  Derceto  changée  en  poiflbny- 
de  Semiramis  en  colombe ,  de  Pyrame 
&  de  Thisbé  ,  d'Ino  &  de  Melicerte, 
de  Cadmus  &  d'Hermione ,  de  Medufe, 
4' Atlas  ;  d'Andromède }  de  Cer.ès ,  d'Aftr 


Expl.parPHifl.  Liv.LChap.VIL  13  $ 

Calaphe  ,  des  Dieux  cachés  en  Egypte* 
de  Minerve  ,  de  Protée  ,  de  Byblis ,  de 
Memnan  ,  des  Cabires  ,  &  peu  d'au- 
tres ;  &  celles  enfin  qui  comprennent  la 
moitié  du  XIVe.  Livre  &  le  XVe.  qui 
Jbnt  vifiblement  compofés  de  Fables 
purement  Latines,  toutes  les  autres  font: 
Grecques  d'origine,  comme.il  efl  aifé: 
de  s'en  convaincre. 

Telle  efl  l'origine  de  la  plupart  des 
Fables  ;  &  quand  on  n'en  trouve  pas 
le  dénouement  dans  les  fources  que  j'ai 
rapportées  ,  on  le  trouve  aifément  dans 
ces  métaphores.- 

Mais  après  avoir  découvert  les  four-  - 
ces  de  tant  de  Fables  particulières ,  il 
faut  remonter  encore  à  une  fource  plus 
éloignée  ,  &  donner  THiftoire  des  Cof- 
mogonies  &  des  Théogonies  des  an- 
ciens Peuples  ;  c'eft-à-dire ,  la  manière 
dont  ils  ont  conçu  l'origine  &  la  forma- 
tion du  Monde  ,  &  les  générations  de 
leurs  Dieux  :  c'efl  là  principalement 
qu'on  verra  à  combien  d'erreurs  l'hom- 
me eft  livré  ,  lorfqu'il  n'a  pour  guide 
gue  fes  feules  lumières. 


LIVRE  SECOND, 

Des  différentes  Théogonies  dont  f  Anti- 
quité nous  a  confervé  la  cotinoijjan* 
ce  3  ou  Sentiment  des-  Anciens ,  fut 
ï origine  du  Monde  &  des  Dieux. 

Omme  l'opinion  des  An- 
ciens fur  l'origine  des  Dieux, 
étoît  toujours  mêlée  avec  cel- 
le de  l'origine  du  Monde , 
ainlî  qu'un  Sçavant  Anglois  l'a  fort  bien' 
obfervé  (ï)  ,  &  comme  il  eft  aifé  de  le 
juger  par  le  fragment  célèbre  de  San- 
choniathon -,  je  me  vois  obligé  d'expli- 
quer également  dans- ce  Livre,  leurs 
Cofmogonies  ôc  leurs  Théogonies, 

Ceux  qui  ne  connoiffent  la  Mytho- 
logie que  par  les  Ouvrages  des  Grecs 
&  des  Latins  ,  foit  en  vers  ou  en  profe, 
s'imaginent  que  le  premier  des  deux 
Peuples  que  je  viens  de  nommer  ,  eft 


Éxpl.par  PRift.  Liv.  II.  Chàp.L  137 
Fauteur  &  l'inventeur  de  ces  erreurs 
monftrueufes  qui  compofoient  leur  Re- 
ligion, &  de  tous  les  Dieux  qu'ils  ado- 
roient.  Mais  il  eft  certain  que  les  Grecs 
étoient  modernes  ,  eu  égard  aux  Pen- 
pies  d'Orient  ;  que  leur  Pays  a  été  peu- 
plé tard  ,  &  que  ce  font  les  Colonies 
venues  de  Phenicie  &  d'Egypte  ,  qui  y 
apportèrent  leur  Religion ,  leurs  céré- 
monies &  leurs  myfteres.  Ainfi  c'eft 
parmi  les  Peuples  de  l'Aiîe  qu'il  faut 
chercher  l'origine  de  l'idolâtrie.  Je 
commencerai  par  la  Tradition  des  Chal- 
déens  ,  comme  le  plus  ancien  Peuple 
que  nous  connoiflions  ,  &  enfuite  je  par- 
ferai aux  autres. 


CHAPITRE    L 

Tradition  des  Chaldéens. 

ON  ne  peut  difputer  aux  Chaldéens 
l'avantage  d'être  un  des  plus  an- 
ciens Peuples  de  la  terre.  Nembrot  qui 
en  fut  le  premier  Roi ,  vivoit  du  temps 
même  de  Phaleg ,  &  il  eft  regardé  com- 
me l'auteur  du  deffein  infenfé  de  la  Tour 
de  Babel.  Ce  Peuple  ,  au  rapport  de 
^ofeph  (1.)  r  avoit  eu  foin  dès  les  temps  A^comi^ 


138  La  Mythologie  &  les  Fables 
les  plus  reculés,  de  conferver  par  des 
Infcriptions  publiques  ,  &  par  d'autres 
monumens  ,  lcfouvenirde  ce  qui  s'étoit 
paiTé  ,  &  de  faire  écrire  fes  Annales  par 
les  plus  fages  de  la  Nation  ;  mais  rien  ne 
prouve  mieux  l'antiquité  des  Chaldéens, 
que  le  rapport  de  leur  opinion  fur  l'ori- 
gine du  monde  ,  fur  les  dix  générations 
qui  précédèrent  le  Déluge,  &  fur  les 
dix  autres  qui  fuivirent  cet  événement, 
avec  ce  qu'en  a  dit  Moyfe. 

Quatre  Auteurs  anciens  avoient  écrit 
Fhiftoire  des  Chaldéens ,  Berofe  ,  Aby- 
dene ,  Apollodore ,  &  Alexandre  Po- 
lyhiftor  :  leurs  Ouvrages  font  perdus, 
mais  il  nous  en  refte  quelques  fragmens 
dans  Jofeph ,  dans  Eufebe  ,  &  dans  Syn- 
.  celle.    C'eft  dans  ce  dernier  (1)  qu'on 
trouve  le  morceau  de  Berofe  qui  regar- 
de^ leur  Théogonie.     Un  homme  ,  ou 
plutôt  un  monftre  moitié  homme  &  moi- 
tié poifïbn ,  forti  de  la  mer  Ery thréenne, 
parut ,  difoit  cet  Auteur ,  près  d'un  lieu 
voifovde  Babylone.  Il  avoit  deux  têtes  ; 
celle  d'homme  étoit  fous  celle  de  poif- 
fon.    A  fa  queue    de  poiflbn    étoient 
joints  des  pieds  d'homme  -,  &il  en  avoit 
la  voix  &  la  parole;  on  conferve  en- 
core aujourd'hui  fon  image  peinte.  Be- 
ro&  dit  de  lui  que  Vétoit  fe,  ^m^' 


ExpLparPHift.Liv.Tl.CKAV:L  13$ 
ce  que  Goar  traduit ,  animal  ratione  def- 
îitutum  ;  mais  comme  il  paroît  que  ce 
p'étoit  point  là  l'idée  qu'en  avoit  l'Au- 
teur Chaldéen ,  &  que  le  mot  aphrenon 
n'eft  pas  grec ,  il  faut  qu'il  y  ait  faute 
dans  le  texte  de  Syncelle  ,  &  il  doit  y 
avoir  *pp«n»  ,Jlrenuus ,  comme  l'a  con- 
jecture un  Sçavant  moderne.  Quoiqu'il 
en  foit  ,  ce  monftre  ,  félon  l'Auteur 
Chaldéen  ,  demeuroit  le  jour  avec  les 
hommes  ,  fans  manger ,  &  il  leur  don- 
noit  la  connoifTance  des  Lettres  &  des 
Sciences,  &  leur  enfeignoit  la  pratique 
des  Arts ,  à  bâtir  des  Villes  &  des  Tem- 
ples ,  à  établir  des  Loix ,  à  s'appliquer 
à:  la  Géométrie ,  à  femer  &  à  recueillir 
les  grains  &  les  fruits  ;  en  un  mot,  tout 
ce  qui  pouvoit  contribuer  à  adoucir  leurs 
mœurs.    Au  foleil  couchant ,  il  fe  reti-- 
roit  dans  la  mer  ,  &  paffoit  la  nuit  dans 
les  eaux.  Il  en  parut  dans  la  fuite  d'au- 
tres femblables  à  lui  3  &  Berofe  avoit 
promis  de  révéler  cesmyfteres ,  dans  les 
Hiftoires  des  Rois  ,   mais  il  ne  nous  en 
eft  rien  refté.    Le  même  Auteur  ajoute 
qu'Oannès  avoit  laiffé  quelque  Ecrit  fur 
les  origines  ,  dans  lequel  il  enfeignoit- 
qu'il  y  avoit  eu  un  temps  où  tout  n'é— 
toit  que  ténèbres  &  eau ,  &  que  cette^ 
eau  &  les  ténèbres  renfermoient  des  ani* 


*4°    La  Mythologie  &  Us  Fables 
maux  monftrueux  ;  des  hommes  avec 
deux  ailes  ,  d'autres  qui  en  avoient  qua- 
tre, avec  deux  têtes  dans  un  même  corps, 
1  une  d'homme  ôc  l'autre  de  femme,  avec 
les  deux  fexes.    Qu'on  en  voyoit  avec 
des  jambes  &  des  cornes  de  chèvre; 
que  d  autres  avoient  ou  la  partie  anté- 
rieure ,  ou  lapoftérieure  du  cheval, 
comme  les  Hippocentaures.    D'autres 
naiffoient  avec  la  tête  d'un  homme  &  le 
corps    d'un  Taureau  ;  que  les  chiens 
avoient  quatre  queues  ,  ayant  les  par- 
ties  de  derrière  comme  les  poiiTons. 
■Cnfen ,  que  tous  les  animaux  étoient  d'u- 
ne figure  monfîrueufe  &irréguliere,  ôc 
tels  quon  en  voyoit  les  reprefentations 
dans  le  Temple  de  Bel.  Cet  Auteur  aiou- 
toit  encore,   qu'une  femme   nommée 
Omorca  (a)  ,  étoit  la  maîtrelTe  de  l'U- 
nivers     &  que  Bel  la  divifa  en  deux  : 
que  dune  defes  parties  il  avoit  formé 
la  terre  ,  &  de  l'autre  le  ciel,  &  avoit 
donne  la  mort  à  tous  ces  monftres,   Ce 
-Uieu  partagea  enfuite  les  ténèbres,  fé- 

*«  du  „pom  d'e^w  u:z&oitjré  Tha- 

M.  Je  m'en  tiens  au  Svncell-  t,     ■     •      V  q"e  J  eai1  et0It 

qui    le  dérive"     K  ^"f'P;.  ^toutes  chofes; 

»om ,  dit-il  ,  ouf  lL  &e  '  UT   "e  h  méme  ch"fe 

donnent  à  la  mer   ce  qu.  .  £ÏÏKemenï  avec  Homere> 

»»o«  à  une 7*^  ^^oule^ed* 


Exp/.p^rHî/î.Liv.n.CHAp.ï.  *4* 

para  la  terre  d'avec  le  ciel ,  &  arrangea 
l'Univers  ;  &  après  avoir  détruit  les  ani- 
maux qui  ne  pouvoient  foutenir  l'éclat 
de  la  lumière ,  Se  voyant  le  monde  de- 
fert  ,  il  ordonna  à  un  des  Dieux  de  lui 
couper  la  tête  à  lui-même,  de  mêler 
avec  de  la  terre  le  fang  qui  couleroit 
de  la  playe ,  &  d'en  former  les  hommes 
&  les  animaux  :  après  quoi  il  forma  les 
aftres  &  les  planètes  ,  &  acheva  ainfî  la 
production  de  tous  les  êtres. 

Voilà  ,  fçlon  Alexandre  Polyhiftor  , 
ce  que  renfermoit  le  premier  Livre  de 
Berofe  ;  c'eft-à-dire ,  une  Phyfique  grof- 
fiere,  &  une  Théogonie  qui  ne  l'efl  pas 
moins.  Il  eft  vrai  que  cet  Auteur  a  pen- 
fê  que  tout  ce  fyftême  étoit^  allégori- 
que ;  mais  quelles  allégories  pourraient 
le  rendre  fupportable  ?  Difons  cepen- 
dant que  quelque  monftrueux  qu'il  foit, 
il  paroît  n'être  qu'une  tradition  défigu- 
rée de  PHifloire  de  la  création ,  tirée 
des  écrits  de  Moyfe  ,  ou  puifée  dans 
une  tradition  encore  plus  ancienne.  Il 
eft  inconteftable  que  l'endroit  où  il  eft 
parlé  des  ténèbres  qui  couvraient  la  ter- 
re ,  mêlée  alors  avec  l'eau  ,  &  tenebra 
erant fîtper faciem  abyjfîy  (i)  eft  le  fon-  (i>  Go; 
dément  de  toute  cette  Cofmogonie  ,  Cf  I#  Ym  *• 
dans   laquelle    les  Chaldéens  avoient 


Ï42  La  Mythologie  &  les  Fables 
imaginé  les  monftres  dont  on  vient  de 
voir  FHifloire  ,  pour  décrire  d'une  ma- 
nière plus  fenfîble  &  plus  effrayante , 
cet  état  de  confuiîon  qui  régna  dans  le 
monde  immédiatement  après  la  créa- 
tion. 

Pour  ce  qui  regarde  la  formation  de 
l'homme  ,  on  voit  bien  que  l'Hiftoire 
ç&  eft  prife  aufïî  de  la  d^fcription  de 
Moyfe  ,  qui  dit  que  Dieu  ,  après  s'être 
comme  exhorté  lui-même  à  la  produc- 
tion de  ce  chef-d'œuvre ,  prit  de  la  terre 
qu'il  détrempa  avec  de  l'eau  ,  &  lui  fouf- 
fla  un  efprit  de  vie.  Ces  dernières  pa- 
roles ont  apparemment  donné  occafion 
à  l'Auteur  du  fyfléme  Châldéen  ,  de  di- 
re que  Bel  s'étoit  fait  couper  la  tête  ; 
ou  ,  fuivant  une  autre  tradition  ,  qu'il 
avoit  coupé  lui-même  celle  d'Omor- 
ca ,  d'où  Berofe  conclut  que  c'eft  pour 
cela  que  l'homme  fut  doué  d'intelli* 
gence. 

Pour  ces  hommes  monftrueux  j  qui 
avoient  deux  têtes  ,  quatre  bras ,  &  les 
deux  fexes ,  on  peut  penfer  que  l'idée 
en  étoit  prife  aufli  dans  ces  paroles  de 
Moyfe ,  où  cet  Hiftorien  faifant  au  Cha- 
pitre II.  une  recapitulation  de  ce  qu'il 
avoit  dit  dans  le  premier ,  ajoute  en  par- 
lant d'Adam  &  d'Eve  >  mafeulum  &fc* 


ExpLparVHijt.  Liv.IL  Cetap.  I.  14$ 

rriinam  creavit  tllos  :  ôc  c'efl;  cette  idée 
des  Chaldéens ,  pour  le  dire  en  paffant, 
qui  a  donné  lieu  à  la  Fable  des  Andro- 
gynes  ,  lî  célèbres  dans  le  Dialogue  de 
Platon  ,  intitulé  h  Banquet  ;  fable  que 
ce  Philofophe  fait  débiter  à  Ariftopha- 
ne  ,  un  des  interlocureurs.  Les  Dieux, 
dit-il  (1) ,  avoient  d'abord  formé  Thom-  (1  )  vkto* 
me  d'une  figure  ronde,  avec  deux  corps,  aans  le  Banr 
deux  viiages  ,  quatre  jambes  ,  quatre 
pieds ,  Se  les  deux  fexes.  Ces  hommesf 
étoient  d'une  force  fi  extraordinaire 
qu'ils  refolurent  de  faire  la  guerre  aux 
Dieux.  Jupiter  que  cette  entreprife  ir- 
rita, alloit  les  faire  périr,  comme  les 
Géants  qui  avoient  voulu  efealader  le 
Ciel  ;  mais  voyant  qu'il  faudroit  entiè- 
rement détruire  le  genre  humain ,  il  fe 
contenta  de  les  partager  en  deux ,  afin 
qu'ainfi  feparés  en  deux  parties  ,  ils 
n'euffent  plus  déformais  ni  tant  de  force, 
ni  tant  d'audace.  Il  donna  en  même 
temps  ordre  à  Apollon  d'ajufter  ces 
deux  demi-corps  ,  &  d'étendre  fur  la 
poitrine  &  fur  le  refte  ,  cette  peau  qui 
y  eft  encore  ,  &  qui  porte  dans  le  nom- 
bril la  marque  qu'elle  y  a  été  arrêtée, 
&  nouée  ,  comme  lorsqu'on  ferme  un 
fac  ou  une  poche  :  ces  deux  parties  d'un 
corps  ainfi  feparées  cherchent  à  fe  réu* 


^44    La  Mythologie  &  les  Fables 
ïiir  ,  &  voilà  l'origine  de  l'amour. 

Il  eft  aifé  de  juger  que  la  fiétion  de 
ces  hommes  partagés  en  deux ,  eft  tirée 
de  l'Hiftoire  que  raconte  Moyfe  de  la 
formation  de  la  femme  qui  fut  tirée  d'u- 
ne des  côtes  d'Adam ,  &  qui  étoit  os  de 

lz)  Gcn.  i.  fis  os  ?  &  chair  de  fa  chair  (i).  L'efprit 
humain  fait  en  vain  tous  fes  efforts  pour 
corrompre  la  vérité  ;  elle  laifle  toujours 
quelque  trace  lumineufe  qui  la  fait  re- 
connoître. 

Il  y  a  eu  quelques  Rabbins  qui  ne  fe 
font  pas  fort  éloignés  de  l'opinion  des 
Chaldéens,  en  difant  que  le  corps  d'A- 
dam avoit  été  créé  double ,  mâle  &  fe- 
melle ,  &  que  ces  corps  étant  joints  en- 
femble  par  les  épaules ,  Dieu  les  avoit 

U)  Voye*  feparés.  (*) 


Heifeg.  Hift.  Pour  dire  maintenant  ce  que  je  penie 
de^Parr.T.i.  d>0annès  &  du  fragment  de  Berofe ,  il 
eft  bon  d'obferver  que  cet  Auteur,  après 
avoir  fait  la  defeription  du  pays  de  Ba- 
bylone,  i°.  ajoute  immédiatement  a- 
près  ,  que  la  première  année  parut  cet 
homme  extraordinaire ,  fans  que  cette 
année  foit  relative  à  aucune  autre  ;  ainfî 
on  ne  peut  rien  conclure  pour  le  temps 
où  il  parut.  2°.  Le  nom  d'Oannès  ,  ou 
Oès  ,  comme  le  nomme  Helladius  }  pa- 
jroît  être  formé'  du  mot  Syriaque  Onedo, 

qui 


ExpL  parPHip.Liv.il.  Chàp.Ï.  147 
'qui  ngnifïe  un  Voyageur  ou  un  Etran- 
ger, Ainfï  tout  fe  réduit  à  dire  ,  que 
dans  un  temps  qu'on  ne  fçauroit  déter- 
miner ,  il  arriva  par  mer  un  homme  qui 
donna  aux  Chaldéens  quelques  princi- 
pes de  Philofophie  ,  &  quelque  connoif- 
fance  des  anciennes  traditions ,  &  leur 
laiffa  des  mémoires  fur  ce  fujek  On  ne 
Ta  reprefenté  comme  une  efpece  de 
inonflre  ,  moitié  homme  ,  moitié  poif- 
fon  ,  que  parce  qu'ifëtoit  couvert  d'é- 
cailles  :  on  n'a  dit  qu'il  fe  retirait  la  nuit 
dans  la  mer  ,  que  parce  qu'il  rentroit 
tous  les  foirs  dans  fon  vaifTeau  :  qu'il  ne 
mangeoit  point ,  parce  qu'il  prenoit  Ces 
repas  dans  fon  bord  ;  ainfî  du  relie.  Ce 
que  dit  Helladius ,  dont  nous  avons  un 
fragment  que  Photius  nous  a  confer- 
vé  (1),  d'Oès  ,  ou  Oen,  confirme  l'ex-  o)  2#Bib 
plication  que  je  viens  de  donner  de  cet-  Cod-  ^79.  * 
te  Fable  :  car  cet  Auteur  ,  dont  le  récit 
convient  aflez  avec  ce  qu'en  a  rapporté 
Berofe  y  ajoute  qu'Oen  ,  qui  avoit  des 
mains  ,  des  pieds ,  Se  une  tête  d'homme, 
étoit  réellement  un  homme  ,  &  n'avoit 
été  pris  pour  un  poiiïbn,  que  parce  qu'il 
étoit  couvert  depuis  la  tête  jufques  aux 
pieds  ,  de  peaux  de  poifTon.  Ce  qu'il 
dit  enfuite  ,  qu'on  publioit  qu  il  étoit 
Xbrti  de  l'œuf  primitif,  d'où  tous  les  au- 

Tome  I.  *         G 


*  4^       La  Mythologie  &  les  Fables 
l'opinion   des  Chaldéens  ;  &  la  durée 
de  leurs  règnes  parSares.  (a) 


Suivant  Af ri-  ' 
canus. 


i  Alorus   régna 
io.  Sares.  .  .  . 

2  Abfparus ,    3 

3  Ameion  ,    1  3 

4  Amenon ,   12 

5  Metalarus  5  1  8 

6  Daonus  ,     29 
7  Evedorachus,l8 

S  Amphis  ,  10 
9  Oriartes,  8 
10  Xixutrus  ,   18 


Suivant  Aby- 
dene  dans  le  mê- 
me Auteur, 

1  Alorus,      10 


Ala  parus ,  3 
Amillarusj  13 
Amenon ,  1  i 
M  égala  rus,  18 
Daos ,  10 

EvedorefcuslS 
8  Anedaphus    9 

9 

10  Sifuthrus , 


Suivant  Apol- 
lodore  dans  le 
même  Auteur. 

1  Alorus ,      10 

2  Alaparus,  .    » 

3  Ameion.   .    . 

4  Amenon ,   ,  . 

5  Megalarus,  18 

6  Daomis,     10 

7  Evedorifcus,l8 

8  Amenpfînus,  1  o 

9  Otiartes  ,  g 
10  Xixutrus  ,    18 


Iln'eftpas  douteux  que  comme  Alorus 
dans  le  fyftême  des  Chaldéens ,  eft  in- 
conteflablement  Adam ,  Xixutrus  ne  foit 
Noé.  Auffi  racontent-ils  que  ce  fut  de  fon 
temps  qu'arrivale  Déluge;  en  quoi ,  pour 
le  dire  en  paiïant ,  les  Auteurs  Chaldéens 


{a)  Les  Anciens  divi- 
foient  le  temps  en  Sares ,  en 
Neres,  &enSofes.  Le  Sare, 
fuivant  Syncelie  ,  marqnoit 
trois  mille  fîx  cens  ans  ;  le 
Nere  ,  iîx  cens ,  cV  le  Sofe, 
feixante  ;  ce  qui  donnoit  à 
là  durée  des  premiers  règnes, 
im  nombre  infini  d'années, 
chaque  Roi  ayant  régné  plu- 
sieurs Sares  ,  mais  lorfqu'on 
ne  regarde  les  Sares  que  com- 


me des  années  de  jours  ,  le 
calcul  de  ces  anciens  Auteurs 
fe  rapporte  afïèz.  exactement 
aux  années  données  par 
Moyfe  aux  premiers  Pa- 
triarches. Vovez  fur  cela 
Scaliger  ,  Petau  ,  &  les  au- 
tres Chronographes  ,  &  en 
particulier  THiftoire  Uni* 
verfelle  donnée  par  une  Sot 
cieté  d'Anglois. 


ExpLpar  PHift.  LiV.  IL  ChaIp.L  149 

font  plus  fidelles  que  Sanchoniathon ,  . 
dont  je  parlerai  dans  la  fuite  ,  lequel  rap- 
portant les  dix  premières  générations  du 
monde  naifTant ,  &  les  dix  qui  les  fuivi- 
rent  ,  par  une  prévarication  inexcufable 
ne  fait  aucune  mention  de  ce  célèbre  évé- 
nement. Voici  ce  qu'en  rapportent  les 
Auteurs  que  je  viens  de  citer  (1).  (l)  v   J 

Chronus  ou  Saturne  étant  apparu  en  syncd.  loc. 
fonge  à  Xixutrus ,  l'avertit  que  le  quin- CIU 
ziéme  du  mois  Dœfîus  le  genre  humain 
feroit  détruit  par  un  Déluge  ,  &  lui  or- 
donna de  mettre  par  écrit  Forigine  5  l'hif- 
toire ,  &  la  fin  de  toutes  chofes  ;  &  de  ca- 
cher fous  terre  fes  Mémoires  ,  dans  la 
Ville  du  Soleil ,  nommée  Sippara  ;  de 
construire  enfuite  un  VaifTeau  ,  d'y  met- 
tre les  provifîons  neceflaires  ,  &  d'y  en- 
trer ,  lui ,  fes  parens  &  fes  amis ,  &c  d'y 
enfermer  les  oifeaux  &  les  animaux  à 
quatre  pieds.  Xixutrus  exécuta  ponctuel- 
lement fes  ordres ,  &  fit  un  Navire  qui 
avoit  deux  flades  de  largeur ,  &  cinq  de 
longueur  ;  &  il  n'y  fut  pas  plutôt  entré 
que  la  terre  fut  inondée. 

Quelque  temps  après  voyant  les  eaux 
diminuées  ,  il  lâcha  quelques  oifeaux  , 
qui  ne  trouvant  ni  nourriture  ,  ni  lieu  où 
Te  repofer  ,  retournèrent  au  Vaiffeau* 
Quelques  jours  après  il  en  lâcha  d'autres, 

Giij 


iyo  La  Mythologie  &  les  Fables 
qui  revinrent  avec  un  peu  de  boue  aux 
pattes.  La  troifîéme  fois  qu'il  les  laiffe 
envoler ,  ils  ne  parurent  plus  ;  ce  qui  lui 
fit  juger  que  la  terre  commençoit  à  être 
fuffifamment  découverte.  Il  fit  alors  une 
ouverture  au  Vaiffeau  ,  &  voyant  qu'il 
s'étoit  arrêté  fur  une  montagne  ,  il  en 
fortit  avec  fa  femme,  fa  fille ,  &  le  Pilote; 
êc  ayant  adoré  la  Terre ,  élevé  un  An- 
tel  ,  Se  facrifié  aux  Dieux  ,  lui  &  ceux 
qui  Tavoient  accompagné  difparurent. 
Ceux  qui  étoient  demeurés  dans  le  Vaif- 
feau  ne  les  voyant  point  revenir  ,  forti- 
rent  &  les  cherchèrent  vainement  :  feu- 
lement une  voix  fe  fit  entendre,&  leur  an- 
nonça que  la  pieté  de  Xixutrus  lui  avoit 
mérité  d'être  enlevé  dans  le  ciel ,  &  d'ê- 
tre mis  au  nombre  des  Dieux ,  avec  ceux 
qui  Taccompagnoient.  La  même  voix  , 
les  exhorta  à  être  religieux,  &  à  f e  trans- 
porter à  Babylone ,  après  avoir  déterré  à 
Sippara  les  Mémoires  qui  y  avoient  été 
dépofés.  La  voix  ayant  cefTé  de  fe  faire 
entendre,  il  allèrent  rebâtir  la  Ville  qu'on 
vient  de  nommer  ;  &  quelques  autres. 


ExpLparVHifl.  Liv.II.Chap.IL  ï;i 


CHAPITRE     IL 

Théogonie  des  Phéniciens. 

SAnchoni  athon,  Prêtre  de 
Beryte  ,  qui  vivoit  à  ce  qu'on  pré- 
tend ,  avant  la  guerre  de  Troye  .  avoit 
écrit  fur  la  Cofmogonie ,  &  fur  la  Théo- 
gonie des  Phéniciens.  Eufebe  qui  nous 
a  confervé  un  long  Fragment  de  ce  Trai- 
té (i) ,  rapporte  en  faveur  de  cet  Auteur  COFrep; 
un  paflage  qui  ne  doit  pas  être  fufpeft  ,  vang' 
puifqu'il  eft  tiré  de  Porphyre  ,  le  plus 
grand  ennemi  que  les  Chrétiens  ayent  ja- 
mais eu.  Cet  Auteur  raconte  que  Sancho- 
niathon  avoit  écrit  fur  les  Juifs ,  des  cho- 
fes  très -véritable  s  ;  qu'il  étoit  conforme  à 
leurs  Ecrivains  ,  &  qu'il  avoit  appris  plu- 
fieurs  des  circonjîances  qu'il  rapporte ,  de 
Jerombaœl,  Prêtre  deJevo  ;  qu'il  avoit  de- 
diéfon  Ouvrage  à  Abib ail  Roi  de  Phenicie: 
que  non-feulement  ce  Prince ,  mais  ceux  qui 
•avoient  ordre  d'examiner  les  Livres ,  étoient 
convenus  de  la  vérité  de  VHifloire  de  cet 

Auteur Enfin  qu'il  avoit  tiré  ce  qu'il 

avançoit ,  partie  des  Ailes  des  villes  parti- 
culières, &  partie  des  Archives  qui  Je  con* 
fervoknt avec  foin  dans  les  Temples. 


i  S 2-     La  Mythologie  &  les  Fables 

Le  temps  nous  a  enlevé  l'Ouvrage  de 
cet  ancien  Auteur  ;  il  fubfiftoit  encore 
dans  les  premier?  fïecles  du  Chriftianif- 
ine  ,  puifque  c'efl  vers  ce  temps-là ,  c'eft- 
à-dire  vers  le  règne  des  Antonins ,  que 
Philon  de  Byblos  le  traduifît  en  Grec, 
E^LSr  S  hr  divifa5P  neuf  Livres  (2).  Dans  les 
rretaces  qu  il  y  avoit  ajoutées ,  il  difoit , 
»  que  Sanchoniathon ,  homme  fçavant  8c 
»  de  grande  expérience  ,  fouhaitant  avec 
a>  paffion  de  connoîjtre  les  Hiltoires  de 
x  tous  les  Peuples  ,  &  les  connoître  dès 
»  leur  origine  ,  avoit  fait  une  perquiiî- 
*  tion  exaéte  des  Ecrits  de  Taaut .,  per- 
»  fuadé  qu«  comme  il,  avoit  inventé 
»  les  Lettres  ,  il  étoit  auffi  le  premier  des 
»  Hiftoriens  »,  C'étoit  donc  dans  les  Ou- 
vrages de  ce  chef  des  Sçavans  ,  du  célè- 
bre Mercure  ,  que  l'auteur  Phénicien 
avoit  puifé  le  fond  defon  Hiftoire.  Après 
cela  il  blâme  les  Grecs  d'avoir  tourné  en 
froides  allégories  ,  ou  en  explications 
phyfiques  ,  des  faits  très-réels  ;  &  de  ce 
qu'ayant  voulu  allegorifer  l'hiftoire  des 
Dieux ,  ils  l'avoient  entièrement  renver- 
fée  ,  en  introduifant  à  la  place  de  la  vé- 
rité ,  des  idées  chimériques,  &  des  myf- 
teres  qui  n'avoient  pas  plus  de  réalité. 

Cette  Traduftion  ,  quoique   vifible- 
blement  interpolée  par  Philon  ;  &  acr 


ÎLxpL  par  VHifi.Liv.lI.  Chap.IL  i;3 

commodée  aux  idées  des  Grecs  de  fon 
temps  ,  comme  il  paroît  par  ce  qui  nous 
en  eft  refté  ,  ne  fubfifte  plus  prefente- 
ment  ;  mais  Eufebe  nous  en  a  confervé 
un  long  fragment ,  &  c'eft  tout  ce  que 
nous  en  avons. 

Malheureufement  encore  ,  car  il  eft 
bon  de  donner  une  idée  nette  &  exafte 
de  ce  fragment  ;  outre  qu'il  eft  interpolé 
par  Philon  ,  ainfi  qu'on  vient  de  le  dire, 
Eufebe  en  le  rapportant ,  au  lieu  de  l'a- 
voir copié  tel  qu'il  étoit ,  y  a  mêlé ,  conv- 
me  on  jugera  aifémentenle  lifant  avec  at* 
tention  ,  rion-feulement  les  réflexions  du 
Traducteur  Grec  ,  mais  aufïi  les  fiennes 
propres  ;  ce  qui  diminue  beaucoup  l'au- 
torité de  ce  précieux  refte  des  antiquités 
Phéniciennes  :  n'étant  pas  toujours  aifé 
de  diftinguer  ce  qui  eft  de  Sanehonia-r 
thon  ,  d'avec  ce  qui  n'eft  que  de  Philon 
eu  d'Eufebe.  Il  eft  bien  clair  ,  par  exem- 
ple ,  que  lorfqu'il  eft  parlé  des  Grecs  , 
comme  quand  il  dit  que  ,  trompés  par 
des  mots  équivoques  ,  ils  ont  pris  une- 
chofe  pour  une  autre  ;  ou  lorfqu'en  par- 
lant de  Thot  ou  Thaut,  on  ajoute  que 
c'eft  le  même  que  les  Grecs  nomment 
Hermès  ;  il  eft  clair  ,  dis- je  ,  que  ces 
reflexions  font  de  Philon  ou  d'Eufebe  ; 
car,  fî  Sanchonkthon  eft  aulîî  ancien 

G  y 


I J4  La  Mythologie  &  les  Fables 
qu'on  le  prétend  ,  les  Grecs  n'étoient 
guère  connus  des  Phéniciens  du  temps  de 
cet  Auteur  ;  ou  du  moins  leur  Religion , 
qu'ils  avoient  reçue  des  Phéniciens  eux- 
mêmes  par  les  Colonies  qui  étoient  ve- 
nues s'établir  parmi  eux  ,  n'étoit  pas  en- 
core changée  au  point  qu'elle  l'étoit  du 
temps  d'Hefîode  &  d'Homère ,  qui  n'ont 
vécu  que  plus  de  quatre  cens  ans  après 
Sanchoniathon. 

Quoiqu'il  en  foit ,  voici  le  fragment  t 
qui  peut  être  divifé  en  trois  parties. Ceux 
qui  en  voudront  voir  la  traduâion  en- 
tière ,  n'ont  qu'à  lire  les  Reflexions  de 
(i)Tom.i.  M.  Fourmont  furies  anciens  Peuples(i). 
i>.  4-  &  fui-  La  première  contient  la  Cofmogonie  des 

Vantes  ^  • 

Phéniciens  ;  la  féconde  ,  PHifioire  des 
premiers  hommes  avant  le  Déluge,  quoi- 
que cet  Auteur  ne  dife  pas  un  mot  de  ce 
célèbre  événement  ;  &  la  troiiiéme  parle 
de  ceux  qui  ont  vécu  après,  &  qui  font 
defeendus  des  premiers, 

i°.  Selon  cet  ancien  Auteur,  »  le 
»  premier  principe  de  l'univers  a  été 
»  un  air  ténébreux  &  fpiritueux  ;  un 
30  chaos  plein  de  confulîon  &  fans  clarté  ; 
»  éternel ,  ôc  d'une  durée  fans  fin.  L'ef- 
»  prit  devenu  amoureux  de  fes  principes, 
»  il  s'en  fit  une  conjonction  ,  &  cette 
»  conjonction  fut  appellée  l'amour.  De 


Expl.par  ftliji.  Liv.II.  Ckap .IL  1 75* 
*>  làfortit  Mot  ou  Mod,  c'eft-à-dire  ,  ou 
»  un  limon  ,   ou  plutôt  un  mélange  a- 
*>  queux  ,  qui  fut  le  principe  &  la  femen- 
»  ce  de  toutes  les  créatures  ,  &  la  gène- 
»  ration  de  l'univers.  Il  y  eut  d'abord 
»  des  animaux  qui  n'avoient  aucun  fen- 
»  timent ,  lefquels  en  engendrèrent  d'in- 
y>  telligens  ,  qui  furent  nommés  Zophe* 
»  zemin  ,  c'eft-  à  -  dire  ,  contemplateurs 
»  des  cieux.  Immédiatement  après  Mot , 
»  le  foleil ,  la  lune  ,  les  étoiles  ,  &  les 
*>  autres  Aflres  commencèrent  à  paroître 
»  &  à  luire.L'air  étant  fortement  illuminé 
»  par  le  violent  degré  de  chaleur ,  corn- 
»muniqué  à  la  terre  &  à  la  mer,  des- 
»  vents  furent  produits  ,  avec  des  nuées 
»  qui  tombèrent  en  pluyes  ;  &  les  eaux 
*  dont  la  terre  venoit  d'être  inondée  y 
»  attirées  par  l'ardeur  du  foleil,  furent 
»  de  nouveau  réunies  dans  l'air,  où  pouf- 
»  fées  les  unes  contre  les  autres ,  elles 
»  formèrent  les  éclairs  &  le  tonnerre  5 
»  dont  le  bruit  réveilla  les  animaux  in-- 
»  telligens,  &  les  effraya  tellement  qu'ils 
»  commencèrent   à  fe  mouvoir  dans  la. 
»  terre  &  dans  la  mer  ». 

Ce  premier  morceau  du  Fragment ,  ne* 
regarde  ,  comme  on  voit ,  que  la  forma- 
tion des  êtres  ,  &  mon  objet  n'eft  pas  de 
^'étendre  fur  cette  matière.  Il  fuffit  d'obr 


i  $6  La  Mythologie  &  fis  Fables 
ferver  que  ce  fyftême  desPheniciens  con* 
duifoit  à.  l'athéifme  ,  Dieu  n'ayant  au- 
cune part  dans  la  formation  de  l'univers. 
Sanchoniathon  dit  même  quel'efprit ,  tel 
qu'il  le  concevoit ,  ne  connoiiToit  pas  fa 
propre  production. 

2°..  L'Auteur  Phénicien  ,  après  cette 
Cofmogonie,  commence  l'Hiftoire  du 
premier  homme  &  de  la  première  fem- 
me ,  que  Philon  fon  Traducteur  nom- 
me Protogone  &  Mon  ,  &  ajoute  que 
»  celle-ci  trouva  que  les  fruits  des  arbres 
»  pouvoient  fervir  de  nourriture.  Les  en- 
»  fans  de  ces  premiers  parens  du  genre 
»  humain  ,  qui  furent  Genus  &  Genea , 
»  habitèrent  dans  la  Phenicie.  Une  gran- 
»  de  fechereiTe  étant  furvenue  ,  il  éten- 
y>  dirent  les  mains  vers  le  foleil ,  qu'ils. 
»  regardèrent  comme  le  feul  Dieu  &  le 
«>  maître  des  cieux  ,  &  lui  donnèrent  le 
»  nom  de  Beelzemen  y  lequel  enPheniciea 
»  lignifie  ,  Seigneur  des  cieux.  Genus 
»  dans  la  fuite  engendra  d'autres  hom- 
»  mes ,  qui  furent  nommés  Pkos ,  Pur  , 
»  Phlox.,  c'eft- à-dire  >  lumière  5  feu ,  & 
y>flame  :  ce  furent  eux  qui  en  frottant 
y>  deux  pièces  de  bois  l'une  contre  l'au- 
«  tre  ,  trouvèrent  l'ufage  du  feu.  Leurs 
a>  enfans  qui  furent  d'une  grandeur  dé- 
*  meiurée  ;  donnèrent  leurs  noms vaux 


HxpL  par  THlfl.  Llv.  II.  Chap.  IL  i;? 

»  montagnes  qu'ils  poïTedoient  ;  de  là 
»  les  noms  du  mont  Caflîus  ,  du  Liban 
»  &  Antiliban,  du  Brathys,  &c.  ». 

»  Les  enfans  de  ces  Géants  furent 
»  Mtrmmmus  ,  &  Hypfuranius.  Ce  der- 
9>  nier  habita  à  Tyr  ,  &  inventa  Fart  de 
»  conftruire  des  cabanes  de  rofeaux  & 
»  de  jonc  ,  ôc  le  papyrus  ;  &  fon  frère  , 
»  avec  qui  il  fe  brouilla ,  apprit  aux  hom=- 
»  mes  à  fe  couvrir  de  peaux  de  bêtes.  Il 
s»  fit  plus  encore  ,  car  un  vent  impétueux 
»  ayant  enflamé  une  forêt  qui  étoit  près 
«  de  Tyr ,  il  prit  un  arbre  ,  en  coupa  les 
»  branches ,  &  l'ayant  lancé  dans  la  mer 
»  il  le  fit  fervir  de  vaiffeau.  Il  rendit  auffi 
»  un  hommage  religieux  ,  &  repandit  le 
»  fang  de  quelques  animaux  en  l'honneus 
»  de  deux  pierres  qu'il  avoit  consacrées 
au  vent  &.  au  feu  ;  &  voilà  -,  pour  le  dire 
en  paflant ,  le  fécond  exemple  d'un  culte 
rendu  à  des  êtres  créés ,  le  foleil,  com- 
me on  Fa  vu  ,  ayant  été  le  premier  objet 
de  l'idolâtrie, 

^  Après  la  mort  de  Memrumus  & 
»  d'Hypfuranius  ,  continue  Sanchonia- 
»  thon  ,  leurs  enfans  leur  confacrerent 
»  des  morceaux  informes  de  bois  Se.  de 
ao  pierre  ,  qu'ils  adorèrent ,  &  établirent 
»  des  fêtes  annuelles  à  leur  honneur  *>* 
£'eft  ici  la  première  fois  cp'on  rendit  ua 


I  j"8     La  Mythologie  &  les  Fable  f 
culte  religieux  à  des  hommes  morts. 

»  Plusieurs  années  après  cette  gênera-* 
»  tion ,  qui  eft  lafîxiéme ,  vinrent  Agreus 
y>  &  Halieus, inventeurs  de  la  pêche  &  de 
»  la  chafle ,  comme  leurs  noms  le  figni- 
»  fient.  Ceux-ci  eurent  pour  enfans  deux 
»  frères  qui  inventèrent  Fart  de  faire  des 
»  inftrumens  de  fer.  Celui  des  deux  qui 
»  porta  le  nom  de  Chryfbr,  &  qui  eft  le 
y>  même  que  Hepheftus  ou  Vulcain  ,  s'a- 
»  donna  à  la  funeftefeience  des  enchante- 
*>  mens  &  des  fortileges  ;  inventa  Fhame- 
»  çon ,  F  amorce  &  la  ligne  à  pêcher ,  lu- 
»  fage  des  barques  utiles  à  ce  fujet ,  & 
»  même  les  voiles.  Tant  de  découvertes 
3o  lui  méritèrent  après  fa  mort  les  hon- 
»  neurs  divins  ,  fous  le  nom  de  Zeumi~ 
»  chius  ,  ou  Jupiter  le  machinifte.  On 
»  croit  encore  que  ces  deux  habiles  fre-^ 
s»  res  inventèrent  Fart  de  faire  des  murail- 
3o  les  de  brique.  Ils  eurent  pour  enfans 
»  Technites  ,  ou  Fartifte  ,  &  Geinus  Au- 
»  toâhone,  c'eft-à-dire  ',  né  dans  la  terre 
»  même3leiquels  ayant  trouvé  le  fecretde 
»  mêler  la  paille  avec  labrique,  en  forme- 
»  rent  des  thuiles  qu'ils  firent  feicher  au 
30  foleil.  Leurs  deux  fils  nommés  Agraï, 
»  le  champettre  ,  ôc  Agrotes ,  le  labou— 
au  reur  ,  s'adonnèrent  à  la  vie  ruftique ,  Se 
»  à  la  chaiTe,  On  les  noxnma  aufîî  Akta 


'ExpLparPRtjl.  Liv.IL  Chàp.IL  if$ 

»&  Titans.  Enfin  Amynus  &  Magus  ,  le 
*>  contre-foreur  Se  Fenchanteur  ,  furent  les 
»  derniers  de  cette  première  race  ,  &  ils 
»  enfeignerent  aux  hommes  Fart  de  bâ- 
30  tir  des  villages ,  &  d'y  raffembler  leurs 
»  troupeaux.  Il  y  avoit  auffi  de  leur  temps 
»  aux  environs  de  Byblos ,  un  certain 
»  Elion  ,  nom  qu'on  peut  rendre  en 
-»  Grec  par  celui  d'HypJijîus ,  le  plus  haut, 
»  qui  avoit  pour  femme, Beruth.  Ils  eurent 
s©  un  fils  nommé  Epigée ,  qui  fut  dans  la 
*>  fuite  appelle  Uranus  ,  Se  une  fille  qui 
30  porta  le  nom  de  Gé ,  Se  c'eft  le  nç>m  de 
»  ces  deux  enfans  que  les  Grecs  ont 
»  donné  au  ciel  &  à  la  terre. 

03  Hypfîftus  étant  mort  à  la  chafle ,  on 
»  l'honora  comme  un  Dieu  ,  Se  on  lui  fit 
*  des  libations  &  des  facrifices.  Uranus 
»  s'empara  du  Royaume  de  fon  père ,  & 
»  ayant  époufé  Géfa  fœur ,  il  en  eut  plu- 
^  fîeurs  enfans  ,  Ilus  ,  qui  fut  appelle 
*>  Chronos  ou  Saturne  ,  Betylus ,  Dagon, 
»  &  Atlas  ». 

Telles  furent,  félon  l'Auteur  Phéni- 
cien, les  dix  premières  générations  ,  les- 
quelles ,  fî  on  en  excepte  celle  d'Elior* 
ou  Hypfîftus  ,  font  celles  de  la  branche 
de  Caïn  :  furquoi  il  efl  bon  de  faire  qua- 
tre remarques.  La  première ,  que  cet  an- 
cien Ecrivain  ;  qui  vouloit  favorifer  Vit* 


i6o  La  Mythologie  &  les  Fables 
dolatrie  ,  a  afFefté  de  ne  parler  que  des? 
defcendans  de  Caïn  ,  qu'on  croit  ayes 
raifon  en  avoir  été  les  premiers  auteurs. 
La  féconde  ,  qu'il  ne  fait  aucune  mei> 
tion  du  Déluge  ,  lequel  félon  les  Pères 
de  l'Eglife  ,  fut  la  punition  des  crimes  de 
cette  race  ,  dont  le  plus  grand  étoit  le 
culte  facrilege  qu'ils  avoient  rendu  aux 
créatures.  La  troifïéme ,  efl  que  Sancho- 
niathon  compte  dix  générations  dans  la 
branche  de  Gain ,  quoique  Moyfe  n'en 
mette  que  huit,  pailant  de  la  troifiéme  , 
ou  d'Henoc ,  à  la  fixiéme ,  ou  à  Irad* 
Mais  5  on  peut  dire  que  Moyfe ,  dont  ls 
but  étoit  de  parler  principalement  de  la 
race  de  Seth  *ou  de  celle  des  Juftes,n'a 
pas  fuivi  de  même  celle  de  Caïn,  fur  tout 
la  quatrième  &  la  cinquième  ,  parce  que 
peut-être  c'étaient  des  hommes  qui  ne 
meritoient  pas  d'être  nommés  ;  car  il  n'y 
a  pas  d'apparence  que  les  huit  gênera* 
tions  de  Gain  ayent  duré  auilî  long- 
temps que  les  dix  de  Seth  ,  dont  Moyfe 
fait  mention.  La  quatrième  enfin  ,  que 
l'Auteur  Phénicien  attribue  à  ces  defcen* 
dans  de  Caïn  la  plupart  des  inventions 
utiles,  ainiî  que  Moyfë  ,  quoique  ces 
deux  Auteurs  ne  foient  pas  toujours  d^ac- 
cord  fur  le  temps  de  ces  découvertes-, 
ai  furies  perfonnes  qui  les  ont  faites  ^ 


Epi  parP  Hljl.  Li v.  II.  Chap.  IL  161 
Sanchoniathon  donnant  à  une  race  ce 
que  Moyfe  donne  à  une  autre ,  comme 
on  pourra  s'en  convaincre  en  lifant  les 
premiers  Chapitres  de  la  Genefe. 

J'ai  dit  que  ces  dix  générations  regar- 
doient  les  defcendans  de  Caïn ,  fi  on  en 
exceptoit  Hypfiftus  ,  parce  que  les  Sça- 
Vants  ,  après  Cumberland  qui  a  expliqué 
dans  un  grand  détail  ce  fragment  de  l'Au- 
teur Phénicien  ,  prétendent  que  cet  Hy- 
pfiftus étoit  le  père  de  Noé ,  &  qu'il  n'en 
eft  parlé  que  comme  en  paifant ,.  parce 
qu'il  étoit  ennemi  des  Idolâtres  dont 
Sanchoniathon  plaide  la  caufe. 

Pour  la  fatisfa&ion  des  Lecteurs,  je  vais 
mettre  ici  les  deux  Tables  des  defceu- 
•dans  de  Caïn. 

Selon  Moyfe»  Suivant  Sanchoniathon; 

%  Adam  ,  Eve,  i.  Protogonus^or*. 

a.  Caïn,  2.  Genus^  Genea  , 

3 .  Henoch  >  3 .  Phos,  Pur ,  Phlox  % 

4 4.  Caflius  ,  Libanus  ; 

S y.  Memrumus,ufous* 

6.  Irad,  6.  Agreus ,  Halieus  9 

7.  Mehuiaet  ,  7.  Chryfor    ou  He- 

pheftus  , 

8.  Mathufael  y  8.  Thechnitès ,  Geî- 

nus , 

9.  Lameth,  9.  Agrus,  Agrotes,. 
io.  Jubal    ,    Jujbal-  10.  Amynus ,  Magus> 

Tubulcaïa 


1 62     La  Mythologie  &  les  Fables 

Dans  Moyfe,  comme  on  le  voit  ,  h 
race  de  Cain  finit  aux  derniers  hommes 
que  je  viens  de  nommer,  parce  qu'eux- 
mêmes  ,  ou  leurs  defcendans  ,  furent  en- 
gloutis dans  les  eaux  du  Déluge ,  fans 
qu'il  s'en  fût  fauve  aucun.  Comment^ 
<lira-t'on ,  a-t'elle  donc  été  continuée  par 
Sanchoniathon  dans  la  troiïîéme  partie 
de  fon  extrait  que  je  vais  rapporter  ?  Il 
cft  aifé  de  répondre  à  cette  difficulté,  en 
<lifant  qu'il  a  pris  dans  les  defcendans  de 
JNoé,  les  periènnages  de  cette  féconde 
décade.  La  chofe  paroîtra  évidente  par 
les  réflexions  qu'on  trouvera  dans  la 
fuite. 

*>  3^.  De  ceux-ci ,  dit  Sanchoniathon  ^ 
»  c'eft-à-dire ,  d' Amynus  &  de  Magus  „ 
»  n'aquirent  Mifor  &  Sydic  ,  le  Libre ,  & 
y>  le  Jujie ,  qui  trouvèrent  l'ufage  du  fd. 
*>  Le  premier  fut  père  de  Thaautus,  l'in- 
*  venteur  des  premières  Lettres  ;  c'effe 
»  le  Thoot  des  Egyptiens ,  le  Thogit 
»  des  Alexandrins  ,  &  l'Hermès  des 
»  Grecs  :  &  Sydic  eut  pour  enfans  les 
«  Diofcures  ou  Cabires  ,  nommés  dans 
»la  fuite  Corybantes  ou  Samothraces. 
*>  Ceux-ci  perfectionnèrent  la  naviga- 
»  tion ,  en  faifant  un  vaiiTeau  ;  &  parmi 
*>  leurs  enfans,  il  y  en  eut  qui  trouvèrent 
*>  l'ufage  des  iîmples  ;  des  remçdes  corvj 


Expl.  par  PHifi.  Lrv.  IL  Chàp.IL  i  63 
9  tre  la  morfure  des  animaux  ,  &  enfin 
»  Part  des  enchantemens  ,  ou  la  manière 
»  de  guérir  cêsmorfures  par  des  paroles. 

»  Uranus ,  dont  les  enfans  vivoient  du 
00  temps  de  ceux  dont  on  vient  de  parler, 
»  ayant  fuccedé  à  fon  père  Elion  ,  eut 
»  de  Gé  fa  £œur ,  les  quatre  enfans  qu'on 
*  a  déjà  nommés  ,  Chronus  ,  Betylus  , 
»  Atlas  ,  &  Dagon  ou  Siton  ,  qui  fut 
30  fur-nommé  Zeus  Arotrius  ,  ou  Jupiter 
»  le  laboureur ,  lorfqu'il  eut  inventé  Fart 
»  de  femer  le  blé  ;  il  eut  auffi  plusieurs 
»  autres  enfans  de  différentes  Concubi- 
9  nés.  Gé  mécontente  des  galanteries  de 
«  fon  époux  ,  lui  en  fit  des  plaintes  ame- 
»  res  ;  ce  que  l'obligea  à  la  répudier.  Mais 
»  comme  il  Taimoit ,  il  la  reprit  &  en  eut 
»  plufïeurs  enfans  ,  qu'il  chercha  dans  la 
33  fuite  à  faire  périr.  Chronus  ayant  at- 
30  teint  l'âge  viril  ,  époufa  le  reffenti- 
m  ment  de  fa  mère  ,  mit  à  la  tête  de  fon 
»  Confeil  Hermès  Trifmegifte  qui  étoit 
00  fon  Secrétaire  ,  s'oppofa  vivement 
*>  aux  deffeins  d'Uranus  ,  le  chaiïa  du 
33  Royaume  ,  fucceda  à  fon  pouvoir  ; 
30  &  ayant  pris  dans  le  combat  une 
«  Concubine  que  fon  père  aimoit  ten- 
30  drement,il  la  donna,quoique  déjagrof- 
30  fe  ,  en  mariage  à  Dagon  ,  chez  qui  el- 
»  le  accoucha  peu  après  d'un  enfant  ma* 


i^4      La  Mythologie  &  les  Fables 
-»  le  ,  qui  fut  nommé  Demaroon. 

»  Pour  fe  mettre  en  fureté  ,  Chronos 
»  bâtit  une  muraille  autour  de  fa  maifon , 
»  &  fonda  Byblos  ,  la  première  Ville  de 
,*  Phenicie  (a).  Comme  il  conçut  quel- 
»  que  temps  après  un  violent  foupçon 
m  contre  fon  frère  Atlas  ,  il  le  fit  jetter , 
»  par  le  confeil  de  Trifmegifte ,  dans  une 
»  foiTe  où  il  périt.  Chronos  avoit  alors 
33  deux  filles  ,  Perfephoné  ou  Proferpine  , 
a>  &  Athené  ou  Minerve  ,  dont  la  pre- 
=>  miere  mourut  vierge  ;  &  un  fils  ,  nom- 
*>  n^é  Sadid  ,  qu'il  fît  mourir.  Il  coupa 
»  même  la  tête  à  fa  fille  ;  adions  dont  les 
y>  Dieux  ,  c'eft-à-dire  ,  ceux  de  fon  parti , 
»  qu'on  nommoit  Eloim  (b) ,  furent  fort 
»  étonnés.  Vers  ce  temps-là ,  continue 
»  r Auteur  Phénicien ,  les  defcendans  des 

•  »  Diofcures  ayant  conftruit  des  Vai£- 
a>  féaux  ,  fe  mirent  en  mer  ,  &  furent  je*- 
»  tés  parle  vent ,  près  du  Mont-Cafîus  , 
»  où  ils  bâtirent  un  Temple. 

»  Cependant  Uranus,  quoiqu'exilé , 

*  fongeoit  toujours  à  dreiTer  des  embû- 

{a)  L'Auteur    Phénicien  (£)    Eloim  eft  le   plu-iel 

avoit  déjà  parlé  de  Tyr,  corn-  #EXodh,&Gçniiehs  Dieux. 

me  la  première  Ville  de  ce  Cumberland    interprète-   ci 

pays-là:  peut-être  qu'elle  n'é-  mot  par  Chromons   ,  c'eft- 

toit  compafée  que  de  quel-  à-dire  ,  tes  erens  du  parti  afer 

«jues  cabanes ,  &  ,  que  By-  Chronos. 
bios  fut  une  Ville  plus  régu* 


ExpZ.  par  PHtJtJLiv.  IL  Cîtàp.  IL  i6ç 

ches  à  fon  fils  Chronos  ,  &  il  lui  en- 
voya, dans  le  deflein  de  le  faire  tuer, 
trois  de  fes  filles  ,  Aftarté ,  Rhée  &  Dio- 
ne  ;  mais  celui-ci  s'étant  faifï  d'elles  ,  les 
mit  au  nombre  de  Tes  concubines  auflî 
bien  qu'Eimarmené  &  Hora  qui  lui  furent 
envoyées  dans  le  même  deflein.  Il  eut 
fept  filles  d'Aftarté ,  qui  furent  nommées 
les  Titanides  ou  Artemides,  &  deux  fils , 
fçavoir  Pothos  &  Eros  ,  defir  &  amour. 
De  Rhée  ,  il  eut  fept  fils  ,  dont  le  plus 
jeune ,  que  l'Auteur  ne  nomme  pas ,  fut 
mis  au  nombre  des  Dieux  au  moment 
même  de  fa  naiflance  ;  c'eft-à-dire  ,  fut 
confacré  aux  Dieux  ,  Se  au  fervice  di- 
vin ;  il  eut  auflî  quelques  filles  de  Dione , 
qui  ne  font  point  nommées.  Le  même 
Chronos  ou  Saturne  eut  dans  la  Perée  , 
trois  fils ,  Chronos  ;  qui  porte  le  même 
nom  que  fon  père  ,  Zeus-Belus  ,  ôc  A- 
pollon  (a). 

Sydic  p  ou  le  jufle  ,  ayant  époufé  une 
de  ces  Titanides  dont  on  vient  de  parler , 
en  eut  un  fils  nommé  Afclepius.  Surquoi 
il  eft  bon  de  remarquer  avant  que  de  paf- 

(a)  M.  Fourmont  dans  la  nos\rpèiÇ7w^^tÇj  il  en  nom- 

traduction  de  cet  endroit  du  me  quatre  f  chronos ,  Zeus 

Fragment  paroît  s'être  trom-  ou  jUpitcr  ,  Belus  &   Ap^i-  • 

pé  ,  a  moins  qu'il  n'y  ait  une  jon  >  pendant  qu'il  faut  lire 

faute   d'impre/fion  ,  car  au  Z6«fr-B*A©-,>£  A'mKêi. 

lieu  des  trois  enfans  que  San-  _  r~  .    ._.       ..   .* 

«honiadion   donne  a  Chro-  «</•<>*.  T.  i .  f.  I  S. 


i  &>  L a  Mythologie  &  les  Fables 
fer  plus  avant  ,  que  Sydic  étant  feloif 
quelques  Auteurs  Sem ,  fils  de  Noé  ou 
Uranus  ,  il  faut  félon  Sanchoniathon  , 
qu'il  ait  pafle  dans  la  terre  de  Chanaan  , 
Se  y  ait  époufé  une  fille  de  Charn  ,  qui 
eft  le  Chronos  de  cet  Auteur.  Afclepius 
fon  fils  ,  eft  le  feul  des  enfans  de  Sydic  , 
dont  cet  Auteur  ait  fait  mention  ;  car  il 
ne  prenoit  intérêt  qu'à  fon  pays  ,  qui 
étoit  la  Phenicie  ,  peuplée  par  Cham  & 
fes  defcendans. 

Quoiqu'il  en  foit,  P  Auteur  ajoute  que 
ceux-ci  furent  contemporains  de  Pontus, 
de  Nereus  (à) ,  fon  fils  ,  &  de  Typhon. 
Pontus  eut  deux  enfans  ,  un  fils  nommé 
Poféidon  ,  ou  Neptune  ;  &  une  fille  ap- 
pellée  Sidon  ,  laquelle  ayant  une  voix 
admirable  ,  fut  la  première  qui  compofa 
des  Odes*  Demaroon  fut  père  de  Meli- 
certus  i  appelle  autrement  Hercule  (b). 
Ce  fut  alors  qu'Uranus  entreprit  une 
nouvelle  guerre  contre  Pontus  ;  il  fe  fe- 
para  de  lui  &  fe  jognit  à  Demaroon.  Ce- 
lui-ci tombe  fur  Pontus  qui  le  met  en 

(a)  Cumberland  ne  doute  l'Hiftoire  univerfellep  .247. 

pas  que  Nereus  ne  fcit  Ja-  (b)  C'eft  l'Hercule  Pheni- 

phet ,  &  il  eft  difficile  de  ne  cien  'e  plus  ancien  de-tous  , 

pas  fe  rendre  à  fes  raifons  ,  lequel  avoit  un  Temple  ,  à 

«jue  l'on  peut  voir  dans  fon  Gadira  ou  Gadis  ,  qui  fubfif- 

Ouvrage  ,  &  dans  une  Note  toit  encore  du  temps  de  Si- 

des  Auteurs  Anglois  qui  ont  lius  Italicus  ,  qui  en  parle 

donné.un  premier  volume  d*  dans  foa  fécond  livre. 


Expl.  par  PHift.  Lîv.  II.Chàp.  II.  1 6y 

fuite  ,  de  forte  qu'il  eft  contraint  de  faire 
un  vœu  aux  Dieux  pour  fa  propre  vie. 
Ilus,  c'eft-à-dire,Chronos  ou  Saturne  ,  la 
trente-deuxième  année  de  fon  règne  , 
s5 étant  mis  en  embufcade  dans  un  boca* 
ge  arrofé  de  fontaines  &  de  ruiffeaux  , 
pour  furprendre  fon  père  Uranus ,  il  lui 
coupa  les  parties  d'un  coup  de  fabre  ;  & 
ce  fut  en  cet  endroit  là  même  qu'Uranus 
fût  déifié.  Il  y  avoit  rendu  l'efprit ,  &  fon 
fang  forti  par  fa  playe  ,  s'y  voit  mêlé  a- 
vec  les  eaux  :  on  montre  encore  l'endroit 
où  cela  eft  arrivé. 

Voilà  donc  ,  (  &  c'eft  une  refle- 
xion qu'Eufebe  joint  au  récit  de  l'Au- 
teur Phenicien)voilà  FHiftoire  de  Chro- 
nos  ou  Saturne ,  &  ce  qu'il  y  a  de  véri- 
table fur  le  règne  d'un  Prince  que  les 
Grecs  ont  regardé  comme  fi  heureux, 
qu'ils  en  ont  fait  le  fiecle  d'or. 

Après  quelques  autres  chofes  ,  l'Au- 
teur continue  ainfi  (a).  *>  Aftarté  la  Gran- 
di de  ,  Jupiter  Demaroon,  &  Adod  le 
*>  Roi  des  Dieux,  regnoient  dans  le  pays, 
y>  fuivantles  confeils  de  Chronps  ou  Sa- 
»turne.  Aftarté  pour  marque  de  fa 
*>  Royauté  ,  mit  fur  fa  tête  celle  d'un 
y>  taureau.  Parcourant  la  terre ,  elle  trou- 

(a)  Ce  dernier  asticle  paroît  fort  mêlé  des  réflexions 
«ie  Philon. 


ï68     Lt  Mythologie  &  les  Fabkr 
y>  va  un  aftre  tombé  du  ciel  (#)  ;  elle  là 
w  prit  &  le  conféra  dans  Tyr ,  PIfïe  fain- 
»  te.  Aftarté ,  fuivant  les  Phéniciens ,  eft 
»  Aphrodite  ou  Venus.  Chronos  faifant 
^  aufîi  fon  tour  de  la  terre  donna  à  Athe- 
»  né  fa  fille  ,  le  Royaume  de  l'Attique. 
ai  Cependant  la  pelle  &la  famine  s'étant 
*>  fait  fentir  ,  Chronos  offre  à  fon  père 
»  Uranus  ,  fon  fils  Sadic  ,  &  fe  circoncit , 
*  ordonnant  à  tous  les  foldats  de  fon  ar- 
»  mée  d'en  faire  autant.  Quelque  temps 
»  après  ,  un  fils  qu'il  avoit  eu  de  Rhea  , 
»  appelle  Mouth  ,  fut  mis   au  rang  des 
»  Dieux.  Le  nom  que  les  Grecs  donnent 
3>  à  ce  fils  ,  peut  fe  rendre  en  Grec  par 
&  Qet'vaïoç ,  ou  Pluton.  Chronos  après  ce- 
»  la  donna  deux  de  fes  villes ,  fçavoir  , 
»  Byblos  à  la  DéeiTe  Baaltis  ou  Dioné , 
»  Beryt  à  Neptune  &  aux  Cabires,  aux 
33  Agrotès  ou  Laboureurs  ,  Se  aux  Pê- 
»  cheurs ,  c'efl-à-dire ,  aux  Dieux  appel- 
ï»  lés  Axiiïs.  Mais  avant  ces  chofes  le  Dieu 
»  Taaut  fit  auffi  le    portrait  des  autres 
«  Dieux  ,  de  Saturne  ou  Chronos ,  de 
»  Dagon  ,.&c.  pour  en  former  les  carac- 
»  teres  facrés  des  Lettres.  Pour  ligne  de 
»  Royauté  ,  il  donna  à  Chronos  quatre 
»  yeux  ,  deux  devant  &  deux  derrière. 

(a)  Un  Aigle ,  comme  on  le  dira  dans  les  remarques  fur  ce 
Fragment» 


Êxpt.  par  PHIJÎ.  Ltv.IL  Chap.  IL  16$ 

n  De  ces  quatre  yeux ,  deux  fe  fermoient 

»  pendant  que  les  deux  autres  veilloient 

?>  (i)  De  même  fur  fes  épaules  il  mettoit     (o  voiH 

*>  quatre  ailes  ,  dont  deux  étoient  éten-  i'0i*;?m- dc 

»  dues,  les  deux  autres  demeurant  dans  étoit  le  Saeu*. 

»  un   état  de  repos  ;    fon    idée  étant  ne  des  Launs* 

»  de  faire  entendre  ,  par  les  yeux ,  que 

»  Chronos  couché  veilloit ,  &  qu'éveil- 

»  lé  il  demeuroit  couché  &  fe  repofoit  ; 

»  par  les  ailes  ,  que  fe  repofant  il  ne  cef- 

»foit  pas  de  voler,  &  qu'avec  ce  mou- 

30  vement  il  demeuroit  tranquille.  Aux 

»  autres  Dieux  il  ne  donnoit  que  deux 

»  ailes  ,  une  fur  chaque  épaule  ,  pour 

30  montrer  que  leur  vol  étoit  feulement 

»  pour  accompagner  Chronos.  Il  avoit 

»  même  ajouté  au  portrait  de  Chronos 

3«>  deux  autres  ailes  au  haut  de  la  tête;  une 

»  pour  marquer  la  fuperiorité  de  fon  ef- 

33  prit  dans  l'art  de  régner ,  l'autre  pour 

»  defignerla  delicatefîe  de  fes  fenfations. 

•j  Chronos  étant  allé  dans  le  pays  du  mi- 

«  di  ,  donna  toute  l'Egypte  au  Dieu 

»  Taaut  ,  pour  en  former  un  Royaume  f 

3>  qui  lui  appartînt  en  propre  *. 

Après  avoir  traduit  ce  Fragment , 
Philon  de  Byblos  ajoute ,  que  cette  hif- 
toire  avoit  été  laiffée  aux  defeendans  de 
Sydik  ,  &  que  le  fils  de  Thabion,  c'eft? 
-à-dire  Sanchoniathon  lui-même  ,  après 
Tome  L  *  H 


17^     La  Mythologie  &  les  Fables 
l'avoir  enveloppée  ,   &  y    avoir  mélJ 
quelques  idées  phyfiques  fur  l'origine 
du  monde  ,  en  avoit  tranfmis  le  fyftêm^ 
aux  Prophètes  des  Orgies. 

„  Les  Grecs ,  dit  encore  le  même  Tra* 
5,  du&eur ,  qui  par  la  beauté  de  leur  ge- 
„  nie  Font  emporté  fur  toutes  les  autres 
5,  Nations  ,  fe  font  aproprié  toutes  les 
5,  anciennes  Hiftoires ,  les  ont  ornées  9 
„  &  exagérées  ,  n'ayant  cherché  qu'à  di* 
?,  vertir  par  leurs  récits  ;  &  dès-là  ,  ils 
w  ont  infiniment  changé  ces  mêmes  Hi& 
„  toires.  C'eft  de  là  qu'Hefiode  &  les  au- 
3,  très  Poètes  Cycliques  ont  forgé  de$ 
„  Théogonies ,  des  Gigantomachies ,  des 
„  Titanomachies  ,  &  d'autres  morceaux 
^  par  lefquels  ils  ont  comme  étouffé  la 
5,  vérité.  Nos  oreilles  accoutumées  dès 
I,  l'enfance  à  leurs  fiétions  ,  prévenues 
„  d'opinions  accréditées  depuis  plufieurs 
„  lîecles  ,  confervent  comme  un  dépôt 
&  facré  la  vanité  de  ces  fables.  Et  parce-* 
9,  que  le  temps  a  donné  infenfiblement  à 
„  ces  contes  frivoles ,  la  force  de  s'empa* 
9,  rer  de  nos  efprits ,  ils  en  font  tellement 
„  en  poffefïîon  ,  qu'il  eft  très^-difficile  do 
»,  les  rejetter.  Il  eft  même  arrivé  par  là 
3,  que  la  vérité ,  lorfqu'on  la  découvre 
*,  aux  hommes  ,  paroît  avoit  l'air  du 
$,  menfonge  >  pendant  que   les  narr^ 


texpl.parPHift.  Lïv.  IÏ.ChàP.IL  ift 

ç,  tions  fabuleules,quelqu'infenfées  qu'el* 
9,  les  foient ,  paflent  pour  les  faits  le» 
t5  plus  authentiques.  „ 

Tel  eft  le  Fragment  de  Sanchonia* 
thon.  Comme  j'aurai  occafion  dans  la 
fuite  de  cet  Ouvrage  ,  de  parler  de  tous 
les  perfonnages  dont  l'Auteur  fait  men- 
tion ,  je  ne  joindrai  ici  que  peu  de  re* 
Vexions. 

i  °.  Les  Auteurs  font  fort  partagés  fur 
l'authenticité  de  ce  morceau  ;  &  s'il  y 
en  a  quelques-uns  qui  ayent  foutenu 
qu'il  eft  véritablement  de  l'Auteur  Phé- 
nicien ,  quoiqu'interpolé  par  Philon  fon 
Traducteur  ,  &  mêlé  de  plufîeurs  refle- 
xions qui  ne  font  pas  de  Sanchoniathon  % 
le  plus  grand  nombre  l'a  toujours  regar- 
dé comme  un  ouvrage  fuppofé.  Le  célè- 
bre Cumberland  &  M.  Fourmont  l'ainé  , 
font  les  deux  qui  en  ont  foutenu  la  vé- 
rité avec  le  plus  de  force  &  d'érudition. 
On  peut  voir  dans  ce  dernier  fur  tout(  i  ),  (l)  Rcfl# 
l'hiftoire  des  fentimens  des  Sçavans  fur  râ.  fur  ke  i 
ce  fujet ,  &  les  raifons  qu'il  a  eues  de  les  JK  £«*• 
réfuter. 

2°.  Il  n'eft  pas  douteux  que  Sancho-» 
fliathon  n'ait  pris  les  idées  de  fa  Théo-» 
gonie  dans  des  traditions  très-anciennes  % 
mais  déjà  corrompues  chez  les  Pheni- 
«yens  ,  par  les  fiftiojis  qu'on  y  avoit  mi? 

h  y 


$0  La  Mythologie  &  les  Fable* 
lées  :  mais  il  eft  évident  en  même  temps  ± 
que  l'Auteur  dans  le  deflein  d'accrédi- 
ter l'Idolâtrie  ,  n'a  parlé  pour  les  Généa- 
logies d'avant  le  Déluge,  que  de  la  bran- 
che de  Çaïn ,  fans  faire  aucune  mention 
de  celle  deSeth. 

3°.  L'Auteur  eft  plus  clair  &  moins 
interpolé  pour  ces  dix  premières  Généa- 
logies ,  dont  nous  avons  donné  la  Table  f 
que  pour  celles  qui  ont  fuivi  le  Déluge  , 
fur  lefquelles  oi)  trouve  plus  de  confu- 
{ion,  &  moins  de  liaifon  ;  quoiqu'on  voyç 
bien  qu'il  a  voulu  les  conduire  jufqu'à 
la  famille  d'Abraham  ,  &  à  quelques-uns 
OVVoyex  de  fes  defcendans  (i). 

laTablequ^        ^0?  JJ  paro|t  que  je   but  Je  auteur  % 

Four^nt  l  '  après  celui  cju  crédit  qu'il  vouloit  don- 
!»•  h  P> %6%  ner  à  FIdolatrie ,  a  été  de  faire  connoître 
les  inventeurs  des  arts  ,  en  quoi  il  eft: 
quelquefois  d'accord  avec  Moyfe ,  &  en 
même  temps  l'hiftoire  des  Apotheofes  , 
ne  manquant  jamais  d'indiquer  ceux  qui 
pour  des  inventions  utiles,avoient  été  mis 
au  rang  des  Dieux ,  &  honorés  d'un  cuir 
te  public. 

D'où  il  fuit ,  yG.  qu'ayant  donné  peu 

ou  point  de  part  au  fouyerain  Etre ,  dan$ 

{%)  V.  Ep-  la  formation  du  monde  ,  fa  Cofmogoniç 

febe  loc.  cit.   eft  un  athéifme  (2)  ;  &  par  une  contra- 

&U  m^Foui-  d^i°n  des  plus  groflieres^  fa  Theogppig 


ExpLparïHift.  Llv.II.  Chav.  II.  173* 
eft  une  imagination  extravagante. 

6°.  Dans  les  deffeins  que  nous  venons 
de  donner  à  cet  Auteur ,  &  qu'il  eft  évi- 
dent qu'il  a  eu ,  il  n'a  dû  faire  aucune 
mention  du  Déluge ,  qu'il  avoit  fans  dou- 
te connu  aufli-bien  que  les  Chaldéens  & 
les  Egyptiens  qui  en  ont  parlé. 

70.  Quand  il  ne  feroit  pas  aufïï  évi- 
dent qu'il  l'eft ,  que  c'effc  dans  cette  Hif- 
toire  Phénicienne  que  les  Grecs  ont  puifé 
leur  Théogonie,  ainfi  qu'on  le  verra 
dans  la  fuite  ,  la  reflexion  du  Philon  de 
Byblos  ,  qu'on  vient  de  voir  à  la  fin  du 
fragment  3  ne  laifferoit  aucun  lieu  d'en 
douter. 

8°.  Eufebe  ,  à  qui  nous  devons  ce 
fragment ,  a  foutenu  que  la  Cofmogonie 
des  Phéniciens  introduit  direftement  l'a- 
théifme  ,  comme  nous  l'avons  remar- 
qué dans  la  cinquième  reflexion ,  &  il  a 
été  fuivi  en  cela  par  le  célèbre  Cumber- 
land  ,  qui  regardoit  avec  raifon  ce  fyftê- 
me  touchant  l'origine  du  monde ,  com- 
me uniquement  deftiné  à  faire  l'apolo  jij 
du  culte  idolâtre  rendu  à  différentes  par- 
ties de  l'univers  &  à  des  hommes  mor- 
tels ;  Thaut  ayant  plongé  Sanchonia-* 
thon  fon  copifte ,  dans  les  ténèbres  du 
plus  groflîer  paganifme,qui  eft  l'oubli  de 
ï'Etre  Souverain  dans  la  formation  & 

Hiij 


274  La  Mythologie  &  les  Vallès 
dans  le  gouvernement  du  monde  ,  3$ 
ayant  tâché  d'introduire  la  religion  des 
Egyptiens  &  des  Phéniciens  ,  qui  hono- 
roient  la  .créature  au  lieu  du  Créateur» 
<x)Cudword.  Cependant  un  célèbre  Moderne  (x)pre- 
tend  qu  en  donnant  une  interprétation 
favorable  aux  expreflïons  de  Sanchonia* 
thon ,  il  paroît  que  les  Phéniciens  fuppo^ 
foient  deux  principes ,  dont  l'un  étoit  u$ 
chaos  obfcur  &  ténébreux  ,  &  l'autre  uît 
vent ,  Tk?w*  ,  ou  plutôt  une  intelligence , 
douée  de  bonté  ,  qui  a  arrangé  le  mon* 
de  dans  l'état  où  il  eft:  &  fi  l'Auteur  Phe-* 
nicien  dit  que  cette  intelligence  ne  con* 
noiffoit  pas  fa  propre  produftion ,  c?effc 
qu'elle  étoit  éternelle  ,  &  n'avoit  jamais 
été  produite.Mais  cette  Cofmogonie  Phe* 
nicienne  étant  tirée  des  livres  de  Thaut* 
il  eft  bon  de  fufpendre  notre  jugement 
jufqu'à  ce  que  nous  ayons  donné  la  Cof- 
mogonie &  la  Théogonie  Egyptienne  * 
qui  vont  faire  la  matière  du  Chapitre  fui* 


Expl.pârmiJÏ.LivlLCHAvJlI.  17; 

CHAPITRE  III. 

La  Théogonie  des  Egyptiens. 

LES  Apologiftes  du  ChriftianifmQ 
ont  été  obligés  de  chercher  dans 
l'antiquité  la  plus  reculée  ,  l'origine  des 
autres  Religions ,  &  perfonne  n'y  a  tra- 
vaillé avec  plus  de  fuccès  qu'Eufebe  de 
Cefarée.  Que  de  morceaux  précieux  ne 
nous  a-t'il  pas  confervés  ,  que  l'injure 
des  temps  auroit  fait  périr  ,  fans  les  foins 
qu'il  a  pris  de  les  raflcmbler  dans  fon  ou-* 
vrage  ?  Outre  le  célèbre  fragment ,  dont 
nous  avons  parlé  dans  le  chapitre  précè- 
dent ,  nous  lui  devons  une  infinité  d'au- 
tres morceaux  fur  l'ancienne  Religion  • 
des  Egyptiens, desGrecs,&  depli-fieurs 
autres  Peuples.  C'eft  dans  fes  Ouvrages 
qu'on  remarque  de  quelle  manière  l'Ido- 
lâtrie s'eft  accrue  ;  quelle  a  été  Pincerti* 
tude  &  quelles  ont  été  les  variations  des 
Philofophes  fur  les  principes  Phyfîques , 
&  fur  l'origine  du  Monde  en  particulier. 
Le  fragment  que  nous  venons  de  rap- 
porter ,  ne  regarde  proprement  que  les 
Phéniciens  ;  mais  quels  étoient  les  Dieu^ 
île  la  Phenicie ,  finpn  les  Dieux  de  TE* 

Un 


ij6  La  Mythologie  &  le  Fahles 
gypte  {a)  ;  &  d'où  la  Grèce  tenoit-elle 
les  fiens ,  fuivant  Hérodote,  Platon,  Plu- 
tarque  ,  &  tant  d'autres ,  que  de  l'Egyp- 
te &  de  la  Phenicie  ?  Sanchoniathon  pa- 
roît  avoir  copié  Thot ,  ou  Thaut  :  or 
Thot  étoit  Egyptien,  &  l'homme  le  plus 
fçavant  de  fon  temps.  Il  faut  donc  s'at- 
tendre à  trouver  parmi  les  Egyptiens  les 
mêmes  idées  à  peu  près  ,  fur  l'origine  du 
monde  &  des  Dieux  ,  que  celles  des 
Phéniciens  ,  dont  on  vient  de  parler. 
Diodore  de  Sicile  nous  les  a  dévelop- 
pées dans  l'endroit  que  je  vais  rapporter, 
fans  cependant  avoir  nommé  les  Egyp- 
tiens en  particulier  ;  &  Eufebe  femble 
COEuf.Prcp.  l'avoir  copié  (i) ,  quoique  le  chapitre  où 
JEvang.  j|  en  parie5  f0jt  intitulé,  De  la  Cojmogonie 

des  Grecs.  Mais  on  fçait  que  ceux-ci  l'a- 
voient  reçue  des  Egyptiens. 
Au  commencement ,  dit  Diodore  de 
Xi)  Diod.  L.  Sicile  (2) ,  le  ciel  &  la  terre  n'avoient 
*'  *  7*         qu'une  forme  ,    étant  mêlés  enfemble 
par  leur  nature  ;  mais  enfuite  ayant  été 
îeparés ,  le  monde  commença  à  prendre 
l'arrangement    que   nous  y  obfervons. 

(a)  On    n'examine  point  trie   paflà  de  l'Egypte  dans 

ici  fi  les  Egyptiens  ont  reçu  la     Phenicie  ,    parce    qu'il 

les  Dieux  des  Phéniciens ,  eft   impofïible  de  le  décou- 

commele  prétendent  de  fça  vrir  ,  &  ailés  inutile  (te  le 

*ans  hommes  ;  *u  û  i'idoU-    f javoic» 


ÏÏxpl.par  VHiJl.  Liv.II.Chap.IIL  177 
Vhf  le  mouvement  de  l'air  les  parties 
ignées  s'élevèrent ,  &  donnèrent  au  So- 
leil ,  à  la  Lune  &  aux  autres  aftres  leur 
mouvement  circulaire.  La  matière  foli- 
de  tomba  en  bas,&  forma  la  mer  &  la  ter- 
re ,  d'où  fortirent  les  poiflbns  &  les  ani- 
maux ,  à  peu  près  comme  on  voit  encore 
en  Egypte  fortir  de  la  terre  détrempée 
des  eaux  du  Nil ,  une  infinité  d'infe&es 
&  d'autres  animaux. 

Eufebe  a  fort  bien  obfervéque  ce  fyf- 
terne  ,  non  plus  que  celui  des  Phéniciens, 
pris  dans  la  même  fource  ,  ne  donne  au 
Créatur  aucune  part  dans  la  formation 
de  l'Univers.  Pour  confirmer  fon  juge- 
ment ,  il  rapporte  un  paflage  de  Porphy- 
re ,  lequel ,  dans  fon  Epître  à  Anebo 
Prêtre  Egyptien  ,  écrit  que  Chaeremon 
&  d'autres  encore  ,  avoient  crû  qu'il  n'y 
avoit  rien  d'antérieur  àcertiondevifïble; 
que  les  Planètes  &  les  Etoiles  étoient  les 
vrais  Dieux  des  Egyptiens  ,  &  que  le 
Soleil  devoit  être  regardé  comme  l'arti- 
fan  de  l'Univers  :  &  il  eft  bon  de  remar- 
quer que  c'efl  à  cela  que  revient  P  Abré- 
gé de  la  Théologie  Egyptienne  ,  donné 
par  Diogene  Laërce  (1)  ,  qu'il  avoit  Ùfi*)  In  P°€ 
ré  lui-même  de  Manethon,&  d'Hecatée,  ml 
qui  avoient  dit  avant  lui ,  que  la  matière 
ctoit  le  premier  principe  ,  &  que  le  Sa- 
li v 


ï  7S    £<*  Mythologie  6V  les  Fables 
leil  &  la  Lune  étoient  les  premières  Dî^ 
vinités  de  cet  ancien  Peuple  ,  &  adorées 
fous  les  noms  d'Ofiris&d'Ifis. 
H  eft  bon  de  remarquer  cependant 
'(i)Ciulvvord.  qu'un  habile  Moderne  (i)  a  rendu  plu» 
Syft.mteU.F.cJe  juftice  aux  Egyptiens  ,  prouvant  par 
Eufebe  lui-même  ,    qu'ils  avoient   crû 
qu'un  Etre  intelligent  qu'ils  nommoient 
Cneph  ,  avoit  préfîdé  à  la  formation  du 
monde.  Ils  reprefentoient  cet  Etre  ,  fui- 
vant  Porphyre  ,  fous  la  figure  d'un  hom- 
me tenant  une  Ceinture  &  un  Sceptre  , 
avec  des  plumes  magnifiques  fur  la  tête  , 
&  de  fa  bouche  fortoit  un  œuf,  duquel 
à  fon  tour  fortoit  un  autre  Dieu  qu'ils 
nommoient  Pkta ,  &  les  Grecs  Vulcain. 
Ils  donnoient  eux  -  mêmes  l'explication 
de  cette  figure  myflerieufe.  Les  plumes 
dont  fa  tête  étoit  ombragée ,  marquoient 
la  nature  cachée  &  invifible  de  cette  in- 
telligence ,  le  pouvoir  qu'elle  avoit  de 
donner  la  vie ,  fà  fouveraineté  far  toutes 
chofes ,  &  la  fpiritualité  de  fes  mouve- 
mens.  L'œuf  qui  fort  de  fabouche,  de- 
fignoit  le  monde  ,  dont  il  étoit  l'artifan. 
Les  mêmes  Peuples  reprefentoient  auflî 
quelquefois  la  Divinité ,  fous  le  fymbo- 
le  d'un  Serpent  ,  avec  une  tête  d'Eper- 
vier  ,  lequel  en  ouvrant  les  yeux  remplit 
ie  monde  de  lumière  ;  &  en,  les  fermant 


Expl.f^r  rHî/?Xiv.ILCHAP.IIL  17* 

le  couvre  de  ténèbres.  On  peut  confir- 
mer lefentiment  de  Y  Auteur  moderne  , 
par  le  témoignage  de  Jamblique  ,  qui  du 
temps  d'Eufebe  ,  s'étoit  fort  appliqué  à 
étudier  l'ancienne  Théologie  des  Egyp- 
tiens ,  &  qui  tâche  de  prouver  comme 
Chaeremon  l'avoit  avancé  ,  qu'ils  ne 
croyoient  pas  généralement ,  qu'une  na- 
ture inanimée  étoit  l'origine  de  toutes 
chofes ,  mais  que  dans  le  monde ,  aufiï 
bien  que  dans  nous-mêmes ,  ils  recon- 
noiflbient  l'ame  fuperieure  à  la  nature  , 
&  l'intelligence  qui  a  créé  le  monde  , 
fuperieure  à  l'ame. 

Quelques  idées  qu'on  prête  aux  an- 
ciens Philofophes  Egyptiens  ,  &  à  Thaut 
qui  en  a  été  le  Maître  ,  il  eft  fur  que  leur 
Théogonie  eft  une  Idolâtrie  groffiere  , 
quia  été  l'origine  &  la  fource  de  celle 
des  Grecs  &  de  plufieurs  autres  Nations  , 
comme  on  le  verra  dans  la  fuite.  En  effet 
félon  Socrate  ,  dont  le  témoignage  eft 
rapporté  par  Eufebe  (1) ,  les  Egyptiens  (ij  î>fep.  ev. 
frappés  à  la  vue  du  Soleil  &  des  autres  *-  u**7* 
aftres  ,  s'imaginoient  que  ces  corps  lu- 
mineux étoient  les  Maîtres  du  monde ,  & 
les  premiers  Dieux  qui  le  gouvernoient. 
Ils  nommèrent  le  Soleil ,  Ofiris  ,  &  la 
Lune  lfîs.  Ofiris,  difoient-ils ,  fignifte 
pkin  d'ytux  y  ou  très-clair  -  voyant.  Ifis 

Hvj 


I 


80     La  Mythologie  &  les  Fables 
eft  la  même  chofe  que  UaxuU  Y  Antique 
ou  la  vieille  ,  &  ce  nom  a  été  donné  à  la 
Lune ,  à  caufe  de  fa  naiflance  éternelle. 

Mais  on  ne  s'en  tint  pas  là  :  dès  qu'on 
a  fait  le  premier  pas  dans  les  ténèbres  > 
on  s'égare  à  mefure  qu'on  avance.  Dio- 
dore  de  Sicile ,  qui  avoit  recueilli  avec 
foin  les  traditions  Egyptiennes  ,  dit  que 
leurs  grands  Dieux  étoienttfW ,  le  So^ 
leil ,  Xpovcç  9  Saturne.  Rhea  ,  z»* ,  JupL 
ter ,  h>*  ,  Junon ,  |i>w*f  9  Vulcain ,  eW 
Vefta,  i\jurtç ,  Mercure;  qu'on  regar- 
dait celui-ci  comme  le  demier,mais  qu'on 
ne  convenoit  pas  lequel  du  Soleil ,  ou  de 
Vulcain  ,  avoit  régné  le  premier.  Voilà , 
pour  le  dire  en  paffant ,  les  huit  grands 
Dieux  des  Egyptiens ,  dont  parle  plu- 
sieurs fois  Hérodote ,  fans  toutefois  les 
nommer. 

Chronos  ,  continue  toujours  Diodo- 
re  de  Sicile ,  ayant  époufé  Rhea,  devint , 
fuivant  quelques-uns  ,  père  d'Oiîris  & 
d'Ifîs ,  &  fuivant  d'autres  ,  de  Jupiter  & 
de  Junon.  De  Jupiter  ,  félon  ces  der- 
niers, étoient  fortis  cinq  autres  Dieux, 
Ofiris  ,  Ifis  ,  Typhon  ,  Apollon,  &  A- 
phrodité  ou  Venus.  Oiiris ,  ajoutaient- 
ils ,  étoit  le  même  que  Bacchus ,  Ifis ,  la 
même  que  Cerès.  Anubis  ,  &  Macedo 
étoient  fortis  d  Apollon  ;  lequel  aççom: 


ÏSxpl.parPHifî.  Liv.II.Chàp.IIL  i&r 
pagna  Ofiris  dans  fes  conquêtes.  Ofiris 
partant  pour  fes  expéditions  ,  avoit  laifïe 
en  fa  place  fon.  frère  Bufïris  ;  à  fon  re- 
tour des  Indes  Typhon  l'aflaffina ,  Se  on 
le  mit  au  rang  des  Dieux ,  à  caufe  de  fes 
belles  aftions ,  &  les  boeufs  Apis  Se  Mne- 
vis  qui  lui  avoient  été  confacrés  ,  furent 
eux-mêmes  honorés  comme  des  Divini- 
tés. Mais  comme  dans  les  Apotheofes 
on  changeoit  fouvent  les  noms  des  per- 
fonnes  déifiées ,  Ofîris  fut  appelle  Sera- 
pis ,  Dionylius  ,  Pluton  ,  Jupiter ,  Pan  , 
&c.  Ifis  fa  femme ,  fut  mife  auffi  au  rang 
des  DéefTes  ,  &  honorée  fous  les  noms 
de  Tefmophoros  ,  de  Selené  ou  la  Lune, 
d'Hera ,  ou  Junon  ,  &c.  Orus ,  fils  d'Ilîs 
&  le  dernier  des  Dieux ,  après  s'être  dé- 
robé aux  embûches  des  Titans ,  régna 
fur  l'Egypte ,  &  après  fa  mort  fut  mis  au 
nombre  des  Dieux,  &  c'eft  celui  que  les 
Grecs  nommoient  Apollon. 

Telle  eft ,  félon  Diodiore  de  Sicile ,  la 
Cofmogonie  &  la  Théogonie  des  Egyp- 
tiens ,  &  il  efl  aifé  de  voir  que  les  Grecs 
Tavoient  corrompue  &  ajuftée  à  leur  ma- 
nière. Ce  qu'on  en  peut  conclure  de  plus 
certain ,  eft  que  cet  ancien  Peuple  recon- 
noiffoit  deux  fortes  de  Dieux.  Les  aftres, 
fur  tout  le  Soleil  &  la  Lune  ;  &  les  hom- 
jues  iUiiftres  ^  aufquels  pour  leurs  biccg 


'ï!fe  La  Mythologie  &  les  Fahlet 
faits ,  ils  avoient  rendu  un  culte  reli- 
gieux.'Mais  foit  que  cette  Théologie  ait 
été  tirée  des  Livres  de  Thaut ,  ou  Thot, 
ou  de  quelque  tradition  confervée  par 
les  Prêtres  Egyptiens ,  il  eft  fur  que  les 
Grecs  en  ont  formé  leur  fyftême ,  com- 
me on  le  verra  dans  la  fuite. 


CHAPITRE    IV. 

Théogonie  des  Atlantides. 

jfe Iiv-  *•  T*\  I  o  d  o  R  E  de  Sicile  (i)  eft  le  feul 
JL/  des  Anciens  qui  nous  ait  confervé 
la  Théogonie  des  Peuples  de  la  partie 
Occidentale  de  l'Afrique  ,  qu'on  appel- 
loit  les  Atlantides  :  Comme  ces  Peuples  y 
dit-âl  j  racontent  fur  V  origine  &  la  nalf- 
fance  des  Dieux ,  des  choies  qui  rejfemblent 
ûffez  a  ce  que  les  Grecs  en  dijènt  eux-mê- 
mes y  il  nefî  pas  hors  de  propos  de  les  rap- 
porter. Ilsfe  glorifioient ,  continue  notre 
Hifîorien  ,  de  poffeder  un  pays  où  les 
Dieux  avoient  pris  naifTance ,  Se  citoient 
pour  le  prouver ,  l'endroit  où  Homère 
fait  dire  à  Junon  ,  qu'elle  alloit  aux  ex- 
trémités de  la  terre ,  voir  FOcean  &  Te- 
thys  j  le  père  &  la  mère  des  Dieux. 
■Uranus  j  ou  le  Ciel  fuivant  ces  Peuples^ 


ExpLparPH'îJl.Liv.îLCnAv.W.  iSj 
avoit  été  leur  premier  Roi  :  ce  Prince 
obligea  fes  fujets,  alors  errants  &  vaga- 
bonds ,  à  vivre  en  focieté  ,  à  cultiver  la 
terre  ,  &  à  jouir  des  biens  qu'elle  leur 
prefentoit.  Appliqué  à  FÀflronomie  f 
Uranus  régla  Tannée  fur  le  cours  du  So- 
leil ,  &  les  mois  fur  celui  delà  Lune  ;& 
fit  par  rapport  au  cours  des  affcres ,  des 
Prédirions  ,  dont  l'acccompliffement 
frappa  tellement  les  Atlantides  ,  qu'ils 
crurent  qu'il  y  avoit  quelque  chofe  de 
divin  dans  le  Prince  qui  les  gouvemoit , 
&  après  fa  mort  ils  le  mirent  au  rang  des 
Dieux.  Uranus  avoit  eu  de  plusieurs 
femmes  quarante-cinq  enfans  ;  Titée  feu- 
le lui  en  avoit  donné  dix-huit.  Quoique 
ces  derniers  euffent  chacun  leur  nom  ,  ils 
furent  en  gênerai  nommé  Titans ,  de  ce- 
lui de  leur  mère.  Cette  PrincefTe  étant 
morte ,  reçut  auffi  les  honneurs  divins  , 
&  fon  nom  fut  donné  à  la  terre ,  comme 
celui  de  fon  mari  avoit  été  donné  au 
Ciel. 

Parmi  les  filles  d'Uranus  &  de  Titée , 
les  deux  aînées  fe  diftinguerent  par  leur 
mérite  &  parleurs  vertus.  La  première  , 
qui  fut  nommée  la  Reine  par  excellence  , 
&  qu'on  croit  être  la  même  que  Rhea  ou 
Pandore  ,  prit  grand  foin  de  l'éducation 
4e  ies  frères  &  de  fçs  fœurs  5  &  voilà; 


I#4  L*  -Mythologie  &  les  Fables 
remarque  Diodore,la  raifon  pour  laquel* 
le  on  l'appella  la  Grande-Mere.  Cette 
Princefle  qui  avoit  toujours  fait  profef- 
fion  d  une  grande  chafteté ,  voulant  en- 
fin donner  des  héritiers  à  fon  père ,  fe 
maria  avec  Hyperion  fon  frère ,  &  en  eut 
deux  enfans  ,  Helion  &  Selené ,  qui  fe  dif- 
tinguerent  autant  par  leur  prudence  & 
parleur  fageffe,  qu'ils  étoient  remarqua- 
bles par  leur  beauté.  Leurs  Oncles  ja- 
loux de  voir  dans  Helion  un  Prince  fi 
parfait ,  &  dans  Selené  la  fille  du  monde 
la  plus  belle  &  la  plus  fage  ,  craignant 
que  l'Empire  ne  leur  fût  deftiné,  maffa- 
crerent  Hyperion ,  &  jetterent  Helion 
dans  l'Eridan  :  Selené  qui  aimoit  tendre- 
ment fon  frère  ,  fe  précipita  du  haut  du 
Palais.  La  Reine  cherchant  fon  fils  fur  les 
bords  du  fleuve  ,  s'affoupit  de  fatigue  & 
de  douleur  ;  &  vit  pendant  fon  fommeil, 
-Helion  qui  lui  prédit  que  les  Titans  fe- 
yoient  punis  de  leur  cruauté  ,  &  qu'elle 
&  fes  enfans  feraient  mis  au  rang  des 
,  Dieux  ;  que  le  feu  celefte  qui  nous  éclai- 
re ,  porteroit  déformais  le  nom  d'Helion, 
&  que-  la  Planète  qui  fe  nommoit  aupa- 
ravant Mené ,  prendrait  le  nom  de  Sele- 
r  WCTeftîe  né  (i).  Rhea  s'étant  reveillée  ,  raconta 
fa°Lune.T  e  f°n  r^ve  9  ordonna  qu'on  rendît  à  fes  en- 
&as  les  honneurs  divins l  défendit  cp'oa 


Expl.  par  mtf.  Liv.II.Chap.  IV.  itf 

touchât  jamais  fon  corps ,  &  étant  entrée 
tout  d'un  coup  dans  une  grande  fureur , 
fe  mit  à  courir  les  champs. ,  ayant  les 
cheveux  épars,  &  tenant  à  la  main  des 
Cymbales  ,  dont  le  bruit  mêlé  avec  fes 
hurlemens  ,  répandoit  l'épouvante  par- 
tout où  elle  pafïbit.  Ses  fujcts  qui  virent 
leur  Reine  dans  un  état  fi  déplorable  , 
Voulurent  l'arrêter  ;  mais  lorfqu'une  main 
téméraire  l'eut  touchée ,  le  ciel  fe  décla- 
ra pour  elle ,  &  parut  tout  en  feu  :  Il 
tomba  au  bruit  du  tonnerre  une  grande 
pluie  ,  &  ce  fut  pour  la  dernière  fois 
qu'on  vit  la  Reine  ,  qui  difparut  tout 
d'un  coup.  Après  cet  événement  les  At- 
lantides  rendirent  les  honneurs  divins  à 
leur  Reine ,  qu'ils  nommèrent  la  Grande- 
Mere  des  Dieux  ,  honorèrent  les  deux 
aftres  qui  nous  éclairent,  fous  les  noms 
d'Helion&  de  Selené. 

Cependant  les  Princes  Titans ,  princi- 
palement Saturne  &  Atlas ,  après  la  mort 
de  leur  père  Uranus,diviferent  fon  Empi- 
re. Les  parties  occidentales  de  l'Afrique 
échurent  au  dernier  ,  qui  donna  fon  nom 
à  cette  célèbre  montagne  qui  depuis  a  été 
appellée  le  Mont  Atlas  :  &  comme  ce 
Prince  s'étoit  entièrement  adonné  à  l'af- 
tronomie  &à  la  connohTance  delà  fphe- 
r e ,  on  publia  que  cette  montagne  foute: 


t&S  ta  Mythologie  &  les  Fable* 
îioit  le  ciel.  Hefperus  fut  celui  de  fe$ 
fils  qui  fe  diftingua  le  plus  par  fa  pieté 
&  par  fes  autres  vertus  ;  mais  un  jour 
qu'il  étoit  monté  fur  F  Atlas  pour  étudier 
le  ciel  ,  il  fut  enlevé  dans  un  nuage , 
&  on  ne  manqua  pas  de  le  placer  dans 
Fétoile  qui  porte  fon  nom  ,  &  de  lui 
décerner  les  honneurs  qu'on  rend  aux 
autres  Dieux. 

Atlas  avoit  eu  fept  filles  qu'on  nom-? 
ma  les  Atlantides ,  fçavoir ,  Maia ,  Elec- 
tre ,  Taygete  ,  Afterope  ,  Merope , 
Halcyone  &  Celéno.  Elles  furent  tou- 
tes mariées  à  des  Héros  ou  à  des  Dieux  ; 
&  comme,  plusieurs  Peuples  fe  vantoient 
d'en  tirer  leur  origine  ,  on  les  plaça 
après  leur  mort  dans  le  ciel ,  où  elles 
forment  la  conftellation  des  Pleïades. 

Les  Atlantides  ne  faifoient  pas  le  mê-« 
me  éloge  de  Saturne ,  qui  partagea  FEm- 
pire  avec  fon  frère  Atlas  :  il  étoit  cruel, 
&  d'une  extrême  avarice.  Ce  Prince 
ayant  époufé  Rhea  fa  fœur ,  en  eut  Ju*> 
piter  ,  qui  fut  furnommé  Olympien.  Ils 
jeconnoiffoient  à  la  vérité  un  autre  Ju- 
piter ,  frère  d'Uranus  &  Roi  de  Crète, 
mais  beaucoup  moins  célèbre  que  fon 
neveu  ,  qui  après  avoir  fait  la  conquête 
du  monde ,  &  avoir  comblé  les  hommes 
de  fes  bienfaits  ,  devint  le  plus  gr^nç}  dç. 
jous  les  Dieux» 


Exptparmfl.Uvll.CKAT.ïV.  iS? 

Telle  eft,  félon  Diodore  de  Sicile, 
la  Théogonie  des  Atlantides  ,  qui  eft 
afTez  femblable  à  celle  des  Grecs  ;  fans 
qu'on  puiffe  fçavoir  fi  ceux-ci  l'ont  re- 
çue  de  ces  Peuples  d'Afrique  ,  ou  fî 
eux-mêmes  l'ont  apprife  des  Grecs.    Je 
n'ajouterai  au  récit  de  cet  Hiftorien  que 
peu  de  remarques  ,  parce  que  j'expli- 
querai au  long  toute  cette  Mythologie, 
dans  l'Hiftoire  des  Dieux   de  la  Grè- 
ce (i).    J'obferve  donc  qu'il  eft  furpre- 
nant,   l°.  que  Diodore  ne  faffe  aucune 
mention  de  Neptune  ,  dont  la  connoif- 
fance  &  le  culte  paiTerent ,  félon  Héro- 
dote (2),   dans  la  Grèce,  de  la  Libye  (0  Liv.*3 
où  il  étoit  connu  &  adoré  de  temps  im- 
mémorial.  2°.  Qu'il  ne  parle  pas  non 
plus  de  Minerve  Tritonienne  ,  que  les 
Anciens  croyoient  être  née  fur  les  bords 
du  Lac  Triton  en  Afrique  ,   &  qui  de- 
voit   aufïî  être  connue  des  Atlantides. 
■  Enfin  je  remarque  en  troifiéme  lieu  qu'il 
paroît  par  tout  ce  qu'on  vient  de  rap* 
porter  ,  que  le  culte  des  Aftres  ,  &  en 
particulier  du  Soleil  &  de  la  Lune ,  a 
été  la  première  &  la  plus  ancienne  Reli- 
gion de  ces  Peuples  ,  comme  de  tous 
les  autres. 


S  88    La  Mythologie  &  les  Fahter 

CHAPITRE    V. 

La  Théogonie  des  Grecs. 

LA  Grèce  n'eut  jamais  qu'une  idée 
très-confufe  de  l'Hifloire  de  fa  Re- 
ligion.   Dévouée  fans  referve  ,  fur  un 
article  û  important ,  à  fes  anciens  Poè- 
tes ,  elle  les  regardoit  comme  fes  pre- 
miers Théologiens  ;  &  cependant  ces 
Poètes  ,  ainfi  que  le  remarque  judicieu- 
fement  Strabon  (i)  ,  foit  par  l'ignoran- 
ce de  l'antiquité ,  foit  par  flatterie  pour 
les  Princes  Grecs  ,  avoient  ajuiîé  en  leur 
faveur  toutes  les  Généalogies  de  leurs 
Dieux,  pour  faire  croire  qu'ils  en  def 
cendoient.     Auflî  quand  il  s'agit  dans 
leurs   ouvrages  de  quelqu'un  de  leurs 
Héros  ,  il  ne  faut  gueres  remonter  pour 
trouver  à  la  tête  de  leurs  Généalogies, 
Hercule  ,  Jupiter  ,  ou  quelque  autre 
Dieu.    La  folle  prétention  de  vouloir 
pafier  pour  très-anciens  ,  eft  remarqua- 
ble dans  prefque  tous  les  Peuples  ;  &  les 
Grecs  en  ont  été  les  plus  entêtés.   Ainiï 
nous  voyons  avec  furprife  qu'eux ,  qui 
ne  pouvoient  ignorer  qu'ils  avoient  re- 
çu plufieurs  colonies  d'Egypte  &  de 


Expl  par  PHifi.  Liv.IL  Chap.V.  ït$ 
Yhenicie  ,  &  que  ces  colonies  leur  a* 
voient  apporté  leurs  Dieux ,  &  les  cé- 
rémonies du  culte  qu'on  devoit  leur 
rendre  ,  ont  toujours  prétendu  que  ces 
mêmes  Dieux  étoient  originaires ,  ou  de 
la  Grèce  ,  ou  de  la  Thrace  ,  ou  de  I3 
Phrygie  ;  car  c'eft  là  où  fe  réduit  tout 
le  fyftême  de  leurs  Poètes.  Deux  mots 
d'Hérodote  ,  qui  dit  que  les  Dieux  des 
Crées  venoient  de  l'Egypte,  font  pré- 
férables à  tout  ce  que  leurs  Poètes  ont 
débité  fur  ce  fujet. 

Quoiqu'il  en  foit  ,  rapportons  leur 
Théogonie.    C'eft  d'Orphée   &  d'He- 
ïïode  que  nous  la  tirerons  ;  car  il  eft  vi- 
(îble  que  les  autres  Poètes  qui  les  ont 
fuivis  ,  n'ont  fait  que  les  copier.    Il  eft 
vrai  qu'il  ne  nous  refte  aucun  ouvrage 
d'Orphée  ;  mais  on  peut  puifer  fes  fen^ 
timens  ,  i°.  dans  les  Philofophes  Pytha- 
goriciens qui  renouvellerent  fa  doctri- 
ne ;  2°.  dans  un  Manufcrit  de  Damaf- 
cius  ,  intitulé  ne^  *p£«v,  cité  par  Çumber- 
land  (1)  ,  &  par  Cudword  (2) ,  3 -.  dans    o  )  Dans 
l'Abrégé  de  la  Cofmogonie  Orphique,  |Pn  5)^- 
fait    par  Timothée    le  Chronographe.  niathon  P. 
C'eft  de  ces  fourees  que  nous  déduirons  ig0;  c  a  . 

iyiteme  de  cet  ancien  roete.  tell. 

On  parle  bien  diverfement  de  la  Théo- 
logie d'Orphée.   Comme  il  a  été  le  pre* 


fj)0    La  Mythologie  &  les  Fable  f 

fnier  qui  a  introduit  parmi  les  Grecs  leS 

rites  religieux  du  Paganifme ,  on  Ta  at- 

cufé  d'avoir  inventé  les  noms  des  Dieux,. 

£c  forgé  leurs  Généalogies  ;  en  quoi 

ajoûte~t-on ,  il  a  été  imité  par  Homère 

<&  par  Hefîode.    Damafcius  même  dans 

le  MS.  que  je  viens  de  citer ,  dit  qu'il 

reprefentoit  un  des  principes  du  monde, 

fous  la  figure  d'un  Dragon  ,  avec  une 

jCi)  v.Cum-  tête  de  Taureau  &  une  de  Lion  (  i  ) , 
fecri. P.  us.   avec  ja  face  gun  jylcu  au  mjijeu  ^  &  çjçg 

ailes  dorées  à  fes  épaules.  Cependant 
malgré  cette  extravagante  affertion  ,  on 
le  regardoit  comme  un  profond  Philo- 
fophe  ,  &  comme  un  homme  infpiré  ;  & 
par  le  fecours  de  l'Allégorie  on  trou- 
voit  dans  cette  bizarre  imagination ,  les 
myfteres  les  plus  fublimes.  Quoiqu'il 
paroiffe  par  ce  que  les  Anciens  ont  cité 
de  ce  Poëte  ,  qu'on  doit  le  regarder  com- 
me  l'Apotre  du  Polythéifme  ,  cepen- 
dant plusieurs  fçavans  hommes  font  per-» 
fuadés  qu'il  reconnoiflbit  un  Dieu  fu- 
prême  &  incréé ,  comme  auteur  de  tou- 
tes chofes  ;  &  ils  fondent  leur  préten- 
tion, non  feulement  fur  la  grande  efti- 
me  qu'avoient  conçu  de  lui  les  Se&es 
des  Philofophes  qui  fe  piquoient  le  plus 
de  Religion  ;  fçavoir,  les  Pythagori- 
ciens &  les  Platoniciens,  mais  aulîîpar* 


fcequ'il  y  a  bien  de  l'apparence  que  c'eft 
dans  fes  Ecrits  que  ces  deux  Se&es  ont 
puifé  leurs  idées  Philofophiques  & 
Theologiques.  Cette  opinion  avanta- 
geufe  d  Orphée  fera  encore  mieux  fon- 
dée ,  fi  on  ajoute  foi  à  F  Abrégé  de  Ti- 
mothée  ;  car  cet  Auteur  nous  apprend 
que  cet  ancien  Poète  ,  en  racontant  la 
génération  des  Dieux  ,  la  création  du 
monde  ,  &  la  formation  de  l'homme, 
n'avoit  rien  avancé  d'auflï  extravagant  , 
que  ce  que  quelques  Auteurs  lui  ont  re- 
proche.  Suivant  cet  Abrégé ,  la  Théo- 
gonie d'Orphée  revient  à  peu  près  à 
ceci. 

Au  commencement  Dieu  forma  Y  JE* 
ther  ,  où  les  Dieux  ,  &  de  chaque  côté 
de  T^ther  étoit  ie  Chaos  ,  &  la  nuit 
qui  couvroit  tout  ce  qui  étoit  fous  P^E- 
ther  ;  voulant  fignifier  par  là  ,  que  la 
nuit  étoit  avant  la  création  ;  que  la  ter- 
re étoit  invifible  à  caufe  de  l'obfcurité 
qui  la  couvroit  ;  mais  que  la  lumière  per- 
çant à  travers  de  l'^Ether  avoit  éclairé 
tout  le  monde.  C'eft:  cette  lumière  qu'il 
appelle  le  plus  ancien  de  tous  les  Etres, 
auquel  un  Oracle  avoit  donné  les  noms 
de  Confeïl  ,  de  Lumière ,  de  Source  de 
<vie.  Timothée  ajoute  que  félon  la  doc* 
#ine  d'Orphée ,  ç'çtoit  par  le  pouvoir 


ipl  La  Mythologie  &  les  Tables 
de  cet  Etre  ,  qu'avoient  été  produit* 
tous  les  autres  Etres  immatériels  ,  aufïï 
bien  que  le  Soleil,  la  Lune  ,  &c*  Que 
le  genre  humain  avoit  été  formé  de  la 
terre  par  la  même  Divinité  ,  &  que 
l'homme  avoit  reçu  d'elle  une  ame  rai- 
sonnable. Enfin  le  même  Auteur  afîïire 
qu'Orphée  avoit  publié  un  autre  ouvra- 
ge ,  dans  lequel  il  enfeignoit  que  tou- 
tes chofes  avoient  été  produites  par  un 
feul  Dieu  ,  qui  avoit  trois  noms  ,  &  que 
ce  Dieu  étoit  lui-même  toutes  chofes, 

Quoiqu'il  en  foit  ;  car  il  efl  bien  aifé 
de  prêter  des  idées  à  un  Auteur  fi  an- 
cien ,  &  dont  les  écrits  étoient  peut- 
être  perdus  depuis  long-temps  ,  lorfque 
Timothée  écrivoit  en  fa  faveur  ;  il  efl: 
fur  que  les  premiers  Pères  de  l'Eglife 
ont  préféré  la  Théologie  d'Orphée ,  à 
celles  des  autres  Payens ,  Se  dès-là  il  y 
a  apparence  que  fi  cet  ancien  Poète  a 
introduit  le  Polythéifme  ,  il  l'a  fait  plu- 
tôt pour  fe  prêter  à  la  grofïïereté  de 
ceux  qu'il  vouloit  civilifer ,  que  parce 
qu'il  en  étoit  convaincu.  Mais  ce  qu'il 
y  a  de  plus  particulier  à  obferver  fur  la 
doftrine  de  cet  ancien  Poëte  ,  c'eft  qu'il 
eft  le  premier  qui  ait  enfeigné  aux  Grecs 
la  doâxine  de  Fœuf  primitif ,  d'où  for- 
tirent  tous  les  autres  êtres  (  I  )  ;  opi- 
nion 


Expl.  par.  VHift.  Liv JI.  Cm ap. V.   ip £ 

iiion  très-ancienne  ,  qu'il  avoit  apprife 
fans  cloute  des  Egyptiens ,  lefquels ,  ainfi 
que  plufieurs  autres  Peuples ,  repréfen- 
toient  le  monde  par  ce  fymbole.  Les 
Phéniciens  donnoient  à  leurs  Sophafe- 
rmm>  la  forme  d'un  œuf,  &  fe  fervoient 
de  cette  reprefentation  dans  leurs  Or- 
gies. Le  même  fymbole  étoit  employé 
par  les  Chaldéens ,  les  Perfans  ,  les  In- 
diens ,  &  les  Chinois  même  ;  &  il  y  a 
bien  de  l'apparence  que  telle  a  été  la 
première  opinion  de  tous  ceux  qui  ont 
.entrepris  d'expliquer  la  formation  de  l'u- 
nivers. 

Les  Orphiques ,  c'eft-à-dire  ,  les  myf- 
teres  établis  par  Orphée ,  du  moins  en- 
tendus fuivant  le  fyftême  deProclus, 
Philofophe  Platonicien  ,  forment  auiîï 
une  autre  efpece  de  Théogonie.  Sui- 
vant ces  Philofophes ,  Orphée  croyoit 
que  le  gouvernement  du  monde  n' avoit 
pas  toujours  appartenu  au  même  Dieu, 
&  qu'il  y  en  avoit  eu  fîx  qui  fe  l'étoient 
difputé  Se  arraché  fucceflivement.  Pha- 
nés  avoit  obtenu  ce  titre  à  fon  tour  ;  & 
ce  Phanès  n'étoit  autre  que  le  Bacchug 
«Egyptien  ,  c'eft-à-dire  ,  Ofîris. 

Voici  maintenant  la  Théogonie  d'He* 
(iode ,  dont  je  vais  donner  l'abrégé. 

Au  commencement  étoit  le  Chaos  | 
Tome  L  *    I 


jp4      La  Mythologie  &  les  Fables 
enfcite  la  Terre,  puis  1  Amour,  le  plus 
beau  des  Dieux  immortels.    Le  Chaos 
engendra  l'Erebe  &  la  Nuit  ,  du  mélan- 
ge defquels  naquit  TiEther  &  le  Jour. 
La   Terre  forma  enfuite  le  ciel  &  les 
étoiles  ,  fejour  des  Dieux  immortels.  El- 
le forma  auffi  les  montagnes  ,  &  par  fon 
mariage  avec  le  Ciel ,  elle  produifit  l'O- 
céan ,  &  avec  lui  Cœus ,  Creius ,  Hy- 
perion  ,  Japet ,  Thea  ,  Rhea  ,  Themis  , 
Mnemofyne ,  Phœbé  ,  Tethys  &  Satur- 
ne. Elle  engendra  auffi  les  Cyclopes  , 
Brontès  ,  Steropès  &  Argès  ,  qyi  forgè- 
rent la  foudre  dont  fut  arméJupiter.  Ces 
Cyclopes  reffembloient  en  tout  aux  au- 
tres Dieux,  à  cela  près,  qu'ils  n'avoient 
qu'un  œil  au  milieu  du  iront.  Le  Ciel 
&  la  Terre  eurent  encore  d'autres  en- 
fans  ,  les  fuperbes  Titans ,  Cottus ,  Bria- 
rée  &  Gygès  ,  qui  avoient  cent  mains 
&  cinquante  têtes.  Cependant  le  Ciel 
tenoit  fes  enfans  enfermés  ,  &  ne  leur 
permettoit  pas  de  voir  le  jour  ;  ce  qui 
affiigeoit   fi  fort  la  Terre  leur  mère  , 
qu'ayant  fabriqué  une  faulx  ,   Saturne 
S'en  feifit ,  &  s'étant  mis  en  embufcade, 
furprit  le  Ciel  qui  venoit  coucher  avec 
la  Terre  ,  &  lui  çuupa  les  parties.    Du 
fang  qui  fortit  de  la  playe  furent  formés 
les  Géants ,  les  Furies ,  &  les  Nymphes  5 


Expl.  par  PHift.  Liv.  ILCh ap.  V.  r $$ 

éc  ces  mêmes  parties  jettées  dam  la  lypc 
&  mêlées  avec  l'écume  de  Teau ,  don- 
nèrent naiflance  à  la  belle  Venus  ,  qui 
alla  habiter  Cythere.  On  la  nomma 
Aphrodite  ,  parce  qu'elle  étoit  née  de 
l'écume  de  la  mer  ;  Cyprine  ,  parce  que 
ce  fut  près  de  l'Ifle  de  Cypre  qu'elle 
prit  naiflance  ;  &  Cytherée ,  parce  qu'el- 
le alla  d'abord  dans  l'Ifle  de  ce  nom. 
L'Amour  &  Cupidon  furent  fes  compa- 
gnons inféparables  ,  &  cette  Déeïîe  fit 
les  délices  des  hommes  &  des  Dieux. 
Cependant  le  Ciel  étoit  toujours  en  que- 
relle avec  les  Titans  fes  enfans  ,  &  me- 
naçoit  de  les  punir. 

Outre  cela  ,  la  Nuit  toute  feule ,  3c 
fans  le  commerce  d'aucun  autre  Dieu, 
engendra  l'odieux  Deflin  &  la  noire  Par- 
que ;  la  Mort ,  le  Sommeil  &  tous  les 
Songes  ;  puis  Momus  ,  ^Erumna  ,  ou 
l'Inquiétude  ,  que  le  chagrin  &  la  dou- 
leur accompagnent;  les  Hefperides,  qui 
ont  la  garde  des  pommes  d'or  &  des 
arbres  qui  les  portent ,  au  delà  de  l'O- 
céan ;  les  trois  Parques  ,  Clotho  ,  La- 
chefîs  &  Atropos  ,  Déeffes  feveres  qui 
filent  nos  jours  ,  toujours  prêtes  à  ven- 
ger les  crimes  des  hommes  &  des  Dieux  ; 
Kemefis  ,  toujours  funefte  aux  hommes  ; 
la  fraude  &  l'amitié  j  la  vieillefle  &  là 


îp 6  La  Mythologie  &  les  Fables 
contention  ,  laquelle  mit  au  monde  le 
fâcheux  travail ,  l'oubli ,  la  famine  &  les 
tnftes  douleurs,  les  combats,  les  carna- 
ges ,  les  défaites  &  tout  ce  qui  détruit 
les  hommes  ;  les  querelles  ,  les  diffen- 
tions  ,  les  difcours  fourbes  &  trompeurs, 
le  mépris  des  loix  ;  la  fourberie  ,  le  fer- 
ment qui  fert  fi  fouvent  à  féduire  les 
hommes  lorfqu'on  fe  parjure. 

Pontus  de  fon  commerce  avec  la  Ter-? 
re  ,  eut  le  jufte  Nerée  ,  Thaumas,  Phor-» 
cys  ,  la  belle  Ceto  &  Eurybie.  De  Ne- 
rée &  deDoris  fille  de  l'Océan  vinrent 

(0  On  don- les  Néréides  (i),  au  nombre  de  cin-? 

nomsimeuis.q^^e-   Thaumas  époufa  Eleftra  fille 

de  l'Océan  ,  qui  fut  mère  d'Iris ,  &  des 

(2)  virgiîe  Harpyes ,  Aëllo  &  Ocypete  (2).   Phor-? 

LtUte  Ce"cys  eut  de  Ceto  ,  Pephredo  &  Enyo, 
aufquelles  on  donna  le  nom  de  Grées , 
parce  qu'en  venant  au  monde  ,  elles 
avoient  déjà  les  cheveux  blancs  ;  il  eut 
auffi  de  la  même  alliance  les  trois  Gor- 
gones ,  Stheno  ,  Euryale  ,  Se  Medufe  , 
du  fang  de  laquelle  ,  lorfque  Perfée  lui 
eut  coupé  la  tête  ,  fortirent  le  Cheval 
Pegafe,  &  Chryfaor  ;  lequel  ayant  épou- 
fé  Callirhoé  ,  fille  de  l'Océan ,  en  eut 
Geryon  à  trois  têtes.  La  même  Cal- 
lirhoé mit  au  monde  un  Monftre  qui 
ne  reflembloit  ni  aux  Dieux  ni  aux  hoias 


Êxpl.par  PHifl.  Ltv.IL  Chàp.V.  ïp? 

fhes  ,  Echidna  ,  ayant  la  moitié  du  corps 
d'une  belle  Nymphe  ,  l'autre  moitié 
d'un  ferpent  affreux  &  terrible.  Quoique 
les  Dieux  la  tinfTent  enfermée  dans  un 
antre  de  la  Syrie  ,  cependant  elle  eut 
de  Typhon ,  Orcus ,  le  Cerbère  ,  l'Hy- 
dre de  Lerne ,  la  Chimère  que  tua  Bel- 
lerophon  ,  le  Sphinx  ,  qui  caufa  tant  de 
ravages  à  Thebes ,  le  Lion  de  Nemée 
auquel  Hercule  ôta  la  vie.  Ceto  eut  de 
Phorcys  ,  le  Dragon  gardien  du  jardin 
des  Hefperides.  Tethys  eut  de  l'Océan 
tous  les  Fleuves  ,  le  Nil ,  Alphée  ,  &c, 
&  un  grand  nombre  de  Nymphes  qui 
habitent  les  eaux  &  les  fontaines.  Ici 
le  Poè'te  en  nomme  plufîeurs  ,  &  dit 
qu'il  y  en  avoit  trois  mille  ,  ainfî  que 
trois  mille  Fleuves  ,  tous  enfans  de  FO 
cean  &  de  Tethys.  Thea  eut  d'Hype- 
rion  ,  le  Soleil ,  la  Lune ,  &  la  belle  Au* 
rore  ;  &  Creius  de  fon  mariage  aveC" 
Eurybée ,  Aftreus ,  Perfé  &  Pallas.  Per- 
fé  s'étant  uni  à  l'Aurore  ,  eut  pour  en- 
fans  les  Vents  ,  Lucifer  ,  cette  belle 
étoile  du  matin  ,  &  les  Aftres  qui  or- 
nent le  ciel.  Du  commerce  de  Pallas 
avec  Styx  ,  fille  [de  l'Océan  &  de  Te- 
thys ,  naquirent  Zelus  ,  la  belle  Nice  f 
la  Force  &  la  Violence ,  compagnes  ia- 
feparables  de  Jupiter  :  car  lorfque  ç« 

liij 


*î  p 8  La  Mythologie  &  les  Fable s 
Dieu  voulut  fe  venger  des  Titans ,  8c 
qu'il  appella  tous  les  Dieux  à  fon  fe- 
cours  ,  Styx  arriva  la  première  à  l'O- 
lympe avec  fes  enfans  ;  ce  qui  caufa  tant 
de  joye  à  Jupiter  ,  qu'il  rendit  de  grands 
honneurs  à  cette  DéefTe  ,  la  combla  de 
prefens  ,  voulut  que  fon  nom  fût  em- 
ployé dans  le  ferment  inviolable  des 
Dieux  ,  &  garda  avec  lui  fes  enfans. 

Phœbé  eut  de  Cœus  l'aimable  Latone, 
&  Afterie  qui  fut  mariée  depuis  avec 
Perfé  j  &  devint  mère  d'Hécate  ,  que 
Jupiter  honora  plus  qu'aucune  autre 
DéefTe  ,  lui  donnant  un  pouvoir  abfolu 
fur  la  terre  ,  fur  la  mer  &  fur  le  ciel , 
en  forte  qu'on  n'offre  jamais  aux  Dieux 
de  facrifices  ou  de  prières  ,  fans  l'in- 
voquer. Elle  préfide  à  la  guerre ,  aux 
confeils  des  Rois ,  &  procure  la  vi&oire 
dans  les  combats. 

Rhea  s'étant  unie  à  Saturne  ,  en  eut 
d'illuftres  enfans ,  Vefta ,  Cerès  ,  Ju- 
non ,  Pluton  ,  Neptune  &  Jupiter  ,  le 
père  des  Dieux  &  des  hommes  ;  mais 
ce  Dieu  ayant  appris  d'un  oracle  rendu 
par  le  Ciel  &  par  la  Terre  ,  qu'un  de  fes 
enfans  le  détrôneroit ,  il  les  devoroit  à 
mefure  que  Rhea  les  mettoit  au  mon- 
de ;  ce  qui  la  jettoit  dans  une  extrême 
affii&ion.  C'eft  pourquoi  lorfqu'ello  fut 


ExplparPm.Uv.IL  Chat.V.  199 
prête  d'accoucher  de  Jupiter  ,  elle  con-' 
fulta  fes  parens  pour  fçavoir  de  quelle, 
manière  elle  pourrok  le  dérober  à  la 
cruauté  de  fon  pere.&  par  leur  confeil  el- 
le alla  accoucher  fecretement  dans  1 111e 
de  Crète  ,  &  prefenta  une  pierre  envi- 
ronnée de  langes  à  Saturne  ,  qui  1  avala. 
Jupiter  devenu  grand,  délivra  Cœlus 
que  Saturne  avoit  chargé  de  chaînes.' 
Celui-ci  pour  le  recompenfer  ,  lui  don- 
na la  foudre  ,  qui  le  rendit  le  maître 
des  Dieux  &  des  hommes. 

Cependant  Japet  ayant  époufé  Cly- 
mene  fille  de  l'Océan,  elle  mit  au  mon- 
de Atlas ,  Menetius ,  le  rufé  Promethée, 
&  l'infenfé  Epimethée  :  Jupiter  écrafa 
d'un  coup  de  foudre  &  précipita  dans 
les  enfers  Menetius  ,  qui  s'étoit  fouillé 
de  plufieurs  crimes  y  il  chargea  Atlas 
du  foin  de  foutenir  le  ciel  fur  fes  épau- 
les ,  dans  le  pays  des  Hefperides  aux  ex- 
trémités de  la  terre  ;  &  attacha  à  une 
colonne  avec  de  fortes  chaînes  Prome- 
thée, dont  une  Aigle  devoroit  fans  celle 
le  foye  ,  qui  renailfoit  chaque  nuit,  pour 
le  punir  de  ce  qu'il  l'avoit  trompé  dans 
un  facrifice  qu'il  lui  offroit. 

Hefiode  raconte  enfuite  la  guerre  de 
Jupiter  contre  fon  père  Saturne  &  con- 
tre les  Titans ,  fur  lefquels  le  père  de? 

I  mj 


£00  La  Mythologie  &  les  Fables 
Dieux  ayant  remporté  la  vi&oire  ,  il  les 
chafla  de  l'Olympe  ,  &  relégua  dans  le 
fond  du  Tartare  ,  aux  extrémités  de  la 
terre  ]  Cottus  ,  Gygès,  &  Briarée.  Nep- 
tune prit  ce  dernier  pour  fon  gendre , 
&  lui  donna  en  mariage  fa  fille  Cymo- 
polie. 

Cependant  la  Terre  5  mariée  avec  le 
Tartare  ,  mit  au  monde  le  dernier  de 
fes  enfans ,  Typhon  ,  des  épaules  du- 
quel naiffoient  cent  têtes  de  ferpens. 
JLe  feu  fortoit  de  ks  yeux ,  &  d'horri- 
bles voix  fe  faifoient  entendre  de  toutes 
fes  bouches.  Le  ciel  étoit  en  danger, 
Se  Jupiter  lui-même  rifquoit  de  perdre 
fon  empire  ;  mais  ce  Dieu  avec  le  fe- 
cours  de  fa  foudre  terraïTa  le  fuperbe 
Géant ,  Se  le  précipita  au  fond  du  Tar- 
tare. Ceft  à  ce  Typhon  que  les  Vents 
doivent  leur  origine  ,  fi  on  excepte  No- 
tus  ,  Borée,  &  leZephire  ,  qui  font  en- 
fans  des  Dieux  (a). 

Jupiter  ,  poiTeffeur  paifible  de  l'O- 
lympe Se  maître  des  Dieux  j  époufa 
-Métis  (i),  Déeffe  dont  les  connoiffan- 
cqs  étoient  fuperieures  à  celles  de  tous 
les  Dieux  &  de  tous  les  hommes.  Mai* 
dans  le  temps  qu'elle  étoit  prête  d'ac- 
çoucher   de  Minerve  ,  Jupiter  inftruit 

*(<0  te  yent  de  midi ,  celui  de  nord,  &  celui  ducouchaatt  - 


Expl.par  PHtfî.  Liv .IL  Chap.V.  201 

Qu'elle  étoit  deftinée  à  être  mère  d'un 
fils  qui  deviendroit  le  Souverain  de  l'u- 
nivers ,  avala  la  mère  &  l'enfant ,  afin 
qu'il  pût  apprendre  d'elle  le  bien  &  le 
mal.  Après  cela  il  époufa  Themis  qui 
enfanta  les  Saifons  ,  Eunomie  ,  Dice  * 
Irène ,  &  les  trois  Parques  Clotho  ,  La- 
chefis  ,  &  Atropos,  Il  eut  auflî  d'Eury- 
none  ,  fille  de  l'Océan ,  les  trois  Grâces 
Aglaïa ,  Euphrofyne ,  &  Thalie  ;  &  de 
Cerès  ,  Proferpine  que  Pluton  enleva* 
Devenu  amoureux  de  Mnemofyne  ,  il 
la  rendit  mère  des  neuf  Mufes  ;  Latone 
lui  donna  pour  enfans  Apollon  &  Diane. 
Enfin  fa  dernière  femme  fut  Junon,  qui 
le  rendit  père  d'Hebé ,  de  Mars  ,  &  de 
Lucine.  Elle  mit  auflî  au  monde  Vul- 
cain  ,  mais  au  moment  de  la  naiflance 
de  ce  dernier  elle  fe  brouilla  avec  font 
époux ,  qui  de  fon  côté  eut  feul  la  fage 
Minerve  ,  l'ayant  fait  fortir  de  fon  cer- 
veau. 

Neptune  eut  d'Amphitrïte,  Triton; 
&  Venus  eut  de  Mars  ,  la  terreur  &  la 
crainte ,  qui  accompagnent  ce  Dieu  dans 
les  combats,  &  la  belle  Harmonie  que 
Cadmus  époufa.  Maïa  fille  d'Atlas  de- 
vint mère  de  Mercure  qu'eiie  eut  de  Ju- 
piter ,  lequel  eut  auflî  Bacchus  ,  de  Se- 
mêlé  fille  de  Cadmus ,  &  Hercule  d  Alc-t 

lv 


202  La  Mythologie  &  les  Fable f 
mené.  Vulcain  époufa  Aglaïa  la  plus 
jeune  des  Grâces  ;  Bacchus  ,  Ariadne 
fille  de  Minos  ;  &  Hercule  après  fou 
Apothéofe ,  la  jeune  Hebé,  fille  de  Ju- 
piter &  de  Junon.  La  belle  Perféis  don- 
na pour  enfans  au  Soleil ,  Circé  &  /Ee- 
tès  ,  lequel  époufa  par  le  confeil  des 
Dieux  la  charmante  Idyia,  fille  de  l'O- 
céan ,  dont  il  eut  Medée. 

Après  avoir  ainlî  rapporté  les  Généa- 
logies des  Dieux,  Hefiode  parle  des  en- 
fans  que  les  Déeffes  eurent  des  hommes 
mortels  ,  &  qui  furent  mis  au  nombre 
des  Dieux.  Cerès  devint  mère  de  Plu- 
tus ,  le  Dieu  des  richeffes.  Harmonie , 
fille  de  Venus ,  eut  de  Cadmus  ,  Ino, 
Semelé  ,  Agave  ,  &  Autonoé  qui  épou- 
fa Ariftée  ,  &  Polydore.  Chryfaor  eut 
de  la  belle  Callirhoé,  fille  de  l'Océan, 
le  robufte  Geryon  ,  qui  fuccomba  fous 
les  efforts  d'Hercule.  L'Aurore  donnar 
pour  enfans  à  Tithon  ,  Memnon  Roi 
d'Egypte ,  Se  Hemathion  ;  &  à  Cephale, 
Phaëthon  (à)  ,  qui  fut  fi  cher  à  Venus, 
Jafon  ayant  époufé  Medée  fille  d'iEetès, 
en  eut  Medus.  Pfamathé ,  une  des  Né- 
réides ,  mariée  à  iEaque  ,  fut  mère  de 
Phocus.    Thetis ,  époufe  de  Pelée  ,  lui 

(a)  Il  n'efl  pas  le  même  I  7Aet*m.  L,  2.  &  qui  étoif 
qae  celui  dont  parle  Ovide,  I  fils  du  Soleil  &  deClymene» 


ExpLpaYPHiJl.Liv.ïI.CRAT.V.  205 
'donna  pour  fils  Achille  ;  &  Anchife  eut 
de  Venus  le  pieux  Enée ,  dans  les  forets 
du  mont  Ida.  Circé ,  fille  du  Soleil , 
eut  d'UlyïTe  Agrius  6c  Latinus.  Enfin 
Calypfo  donna  au  même  Ulyfle  deux 
enfans  ,  Naufithoiis  ,  &  Nauïinoiis. 

Telle  eft  la  Théogonie  des  Grecs  ^ 
compofé  monftrueux  d'hiftoire  &  de  far 
blés  ,  dans  lequel  on  remarque  à  tous 
momens  une  phyfïque  grofîiere ,  confon- 
due avec  des-traditions  défigurées  ;  des 
générations  naturelles ,  mêlées  avec  des 
générations  métaphoriques  ;  des  noms 
vifiblement  allégoriques  ,  à  côté  de 
noms  véritables  :  le  tout  recueilli  par 
Hefiode  ,  dans  une  efpece  de  Poème 
fans  art  ,  fans  invention  ,  &  fans  autre 
agrément  que  celui  de  quelques  épithe- 
tes  brillantes ,  dont  il  l'a  orné.  J'ai  cru 
cependant  qu'il  étoit  neceffaire  de  la 
rapporter  ,  parce  qu'elle  eft  le  fonde- 
ment des  fables  Grecques ,  que  j'expli- 
que dans  la  fuite  de  cet  Ouvrage. 

Ariftophane  ,  le  même  à  qui  Platon 
dans  fon  Banquet ,  comme  nous  l'avons 
remarqué  (1)  ,  fait  débiter  la  fable  des 
Androgynes ,  a  auffi  jette  dans  fa  Comé- 
die des  Oifeaux  ,  un  abrégé  de  la  Théo- 
gonie &  de  la  Cofmogonie  des  Grecs, 
avec  plus  de  méthode  &  plus  de  clarté 

ïvj 


!È04  La  Mythologie  &  les  Fables 
qu'Hefîode.  Au  commencement,  faît-îf 
dire  à  on  de  fes  A&eurs  ,  étoient  le 
Chaos  ,  le  noir  Erebe ,  &  le  vafte  Tar- 
tare  ;  mais  il  n'y  avoit  encore  ni  terre, 
ni  air  ,  ni  cieux.  La  Nuit  avec  des  ailes 
noires ,  mit  le  premier  œuf  dans  le  vafte 
fein  de  l'Erebe  ,  d'où  fortit  après  quel- 
que temps  l'Amour  bienfaifant  ,  revêtu 
d'ailes  dorées.  De  l'union  de  l'Amour 
&  du  Chaos  ,  vinrent  les  hommes  &  les 
animaux.  Au  refte  il  n'y  avoit  point  de 
Dieux  avant  que  l'Amour  eût  mêlé  tou- 
tes ôhofes  ;  mais  de  ce  mélange  furent 
engendrés  les  Cieux  &  la  Terre,  aufït 
bien  que  la  race  des  Dieux  immortels. 

Cette  Théogonie ,  mife  par  derifîor* 
dans  une  Comédie  ,  faifoit  fans  doute 
partie  de  quelque  ancien  fyftéme,dont 
on  ignore  l'Auteur.  Quoiqu'il  en  foit* 
pour  revenir  à  Heiîode,  il  paroît  par 
fes  autres  ouvrages  que  les  hommes  du 
fiecle  d'or  ,  font  devenus  Démons , 
Amuù.iï,  ou  bons  Génies  :  ce  font,  fé- 
lon lui ,  ceux  qui  veillent  fur  les  hom- 
mes ,  &  la  terre  eft  leur  partage.  Ceux 
de  Page  d'argent  ont  été  changés  en 
Mânes  ,  ou  Génies  fouterrains ,  heureux 
mais  mortels;  comme  s'ilpouvoit  y  avoir 
de  bonheur  fans  l'immortalité.  Ceux  du 
|îecle  d'airain  font  defeendus  aux  enfer§« 


Ëxpl.parrHiJl.liv.lLCHkT.V.  SoÇ 
Enfin  ceux  de  l'âge  Héroïque  font  allés 
habiter  les  Iflesfortunées,  ou  les  Champ* 
Elyfées,  fîtués  aux  extrémités  du  monde. 

On  peut  tirer  encore  une  quatrième 
Théogonie  Grecque  d'un  Auteur  très- 
ancien  ,  s'il  eft  vrai  qu'elle  ait  été  fuivie 
par  Pronapidès ,  Précepteur  d'Homère, 
ainfî  que  le  prétend  Bocace  (i)  ,  fur  un  (i)  GeneaS». 
fragment  de  Theodontius  ,  qui  exiftoit  jTx.  çTu 
apparemment  de  fon  temps.  Suivant  cet- 
te ancienne  Théogonie  ,  la  plus  raifon- 
nable  de  toutes  ,  il  n'y  avoit  qu'un  Dieu 
feul  qui  fût  éternel ,  duquel  tous  les  au- 
tres Dieux  avoient  été  produits.  Il  né- 
toit  pas  permis  de  donner  aucun  nom  à 
ce  premier  Etre  (a)  ,  &  on  ne  fçauroit 
dire  ce  qu'il  eft.  Anaxagore  croyoit  l'a- 
voir défini ,  en  difant  qu'il  eft  Tenten- 
dément  (2).  Cependant  comme  les  idées  (2)  Ntrig 
les  plus  fîmples  ont  été  altérées  dans  la 
fuite,  Laâance,  Scholiafte  de  Staee , 
nomme  cet  Etre  Souverain  Daimogor* 
gon  ,  ainfî  que  fait  après  Theodontius 
F  Auteur  que  je  viens  de  citer  ;  nom  qui 
veut  dire  le  Génie  de  la  terre  ,  &  qui 
par  la  defeription  qu'on  fait  de  ce  Dieu, 
ainfî  qu'on  le  verra  en  fon  lieu ,  ne  ré- 
pond gueres  à  l'idée  que  les  premiers 

{  a  )   Et  triplids  mundi  fummum  ,  yuan  frire  nefaflnm  eji ,       (  3  y  Theb*" 

jU»mfc4taceod  du  ùuce  u)»  L.  *.  v.  ut* 


'4o£  La  Mythologie  &  les  Fallet 
Philofophes  s'en  étoient  formée.  CaÊ 
enfin  ,  &  il  eil  bon  de  le  remarquer  ,  les 
Poètes  ,  qui  ont  été  les  premiers  Théo- 
logiens de  la  Grèce  ,  ont  pour  ainfi  di- 
re, perfonifié  leurs  idées,  &  fait  cha- 
cun à  leur  mode  des  Théogonies  ;  mais 
ils  femblent  toujours  fuppofer  un  Etre 
véritablement  indépendant.  Ils  convien- 
nent même  la  plupart  d'une  éternité, 
d'une  Ontogonïe ,  ou  génération  des  E- 
très ,  dont  les  uns  font  celeftes ,  les  au- 
tres terreftres  ou  infernaux  ;  mais  Dai~ 
mogorgon  ôc  Acklys  ,  font  ,  dans  leur 
fyfteme ,  avant  le  monde  ,  avant  même 
le  Chaos.  Leur  Acmon  ,  leur  Hypfiftus 
exiftent  avant  le  Ciel  ,  que  les  Latins 
nomment  Cœlus ,  &  les  Grecs  Ouranos. 
Selon  eux  encore  la  Terre  ,  le  Tartare, 
&  l'Amour  ,  avoient  précédé  Cœlus  y 
puifqu'on  trouve  dans  Hefiode  que  ce- 
lui-ci eft  lui  -  même  fils  de  la  Terre, 
Phornutus ,  Hefychius ,  &  Simmias  de 
Rhodes  fon  Scholiafte  ,  regardent  Ac- 
mon comme  le  père  de  Cœlus  ;  &  ce 
même  Acmon  eft  fils  de  Manès  ,  dans 
Polyhiftor  &  dans  Stephanus.  Cœlus 
a  été  premièrement  père  des  Hecaton- 
chires  ,  enfuite  des  Cyclopes  ,  puis  des 
Titans ,  &  de  Saturne ,  qui  à  fon  tour 
eft  devenu  le  père  des  autres  Dieux.  Les 


Expl.par  PEiJÎ.  Liv.II.  Chàp.  V.  207 1 
Géants ,  enfans  de  la  terre  ,  vinrent  en- 
fuite  ,  &  Typhon  eft  le  dernier  de  tous. 
Après  les  Dieux  &  les  Géants,  biendif- 
ferens ,  comme  on  voit ,  des  Titans  ,  qui 
étoient  des  Dieux  de  la  race  de  Cœlus, 
font  venus  les  Demi-Dieux ,  du  com- 
merce des  Dieux  avec  des  mortelles ,  ou 
des  Déeffes  avec  les  hommes. 

En  un  mot  ,  les  Grecs  regardoient 
comme  des  Dieux  ,  ceux  qui  avoient 
vécu  depuis  le  commencement  du  mon- 
de ,  jufqu'au  partage  qu'ils  font  faire  de 
Funivers  entre  Jupiter ,  Neptune  &  Plu- 
ton  ;  c'eft-à-dire  ,  fi  on  veut  concilier 
les  fables  avec  l'hiftoire  ,  jufqu'au  temps 
de  Phaleg  &  de  Nemrod.  Ils  n'ont  con- 
nu que  très  -  confufément  les  premiers 
temps  ;  ce  qui  leur  a  été  commun  avec 
tous  les  Peuples  qui  ont  confervé  d'an- 
ciennes Annales  ,  comme  les  Egyptiens, 
les  Chinois  ,  &c.  Il  ell  bien  aifé  de  voir- 
qu'ils  n'ont  fait  qu'altérer  l'ancienne  & 
véritable  tradition ,  que  Moyfe  feul  a 
confervée  ,  &  qu'ils  font  tombés  par  là 
dans  les  erreurs  les  plus  monftrueufes. 
En  voici  un  exemple  bien  autentique, 
qui  fuffira  pour  le  prefent. 

On  trouve  dans  le  texte  des  Septante, 
que  les  Géants  font  fortis  du  commerce 
ctes  Anges  avec  les  filles  des  hommes* 


4o§  La  Mythologie  &  les  Fabler 
Cette  opinion  a  même  été  fuivie  parlcS 
plus  anciens  Interprètes  de  l'Ecriture 
Sainte  ;  de  même  que  par  Philon ,  Jo- 
feph  ,  S.  Juftin  ,  Athenagore  ,  Clé- 
ment d' Alexandrie ,  &c.  Plufîeurs  Sca- 
vans  Rabbins  l'ont  adoptée ,  &  elle  efl 
encore  généralement  reçue  par  tous  les 
Mahometans.  En  a-t'il  fallu  davantage 
à  ceux  qui  ont  connu  cette  tradition  f 
pour  leur  faire  dire  que  les  Dieux  a- 
voient  été  amoureux  des  femmes  mor- 
telles ,  &  en  avoient  eu  des  enfans  ?  Les 
Anges  dans  l'Ecriture  font  nommés  fils 
de  Dieu  ;  ainfi  il  eft  vraifemblable  que 
les  Dieux  des  Grecs  ont  été  imaginés  fur 
l'idée  des  Anges  ,  bons  &  mauvais  :  de 
là  font  venus  les  Egregores  des  Hébreux, 
les  Annedots  des  Chaldéens,  les  G'innes 
enfin ,  les  Génies  ,  les  Eons  ,  les  Archon-* 
tes  ,  les  Titans  ,  les  Géants  ,  &  tous  les 
Dieux  ou  Demi-Dieux  du  Pagamfme. 

Le  Livre  d'Henoca  fans  doute  beau- 
coup contribué  à  faire  adopter  l'opinion 
du  commerce  des  Anges  avec  les  filles 
des  hommes.  Cet  ouvrage  eft  certaine- 
ment fuppofé  ;  mais  il  eft  très-ancien, 
puifqu'il  a  été  connu  des  Apôtres-  qui 
l'ont  cité.  Ainfî  Dodwel  ,  &  le  Père 
Dom  Pezron ,  ont  tort  de  douter  de  for* 
antiquité  ;  fur  ce  que  les  Grecs  ne  La- 


Expl.parPWJl. Liv.II. Chàp.V.  2cjf 

Voient  pas  connu  ;  comme  s'ils  avoient 
eu  connoiffance  de  tous  les  Livres  an- 
ciens ,  avant  qu'ils  euffent  été  traduits 
en  leur  langue. 

Mais  puifque  nous  fommes  tombés 
fur  l'article  de  ce  Livre  ,  il  eft  bon  d'en 
donner  une  idée  abrégée  ,  &  de  décou- 
vrir enfuite  l'origine  de  la  Fable  qu'il 
contient  ,  &  que  Philaftrius  met  au 
nombre  des  Herefies.  Lorfque  les  hom- 
mes fe  furent  multipliés  ^  dit  l'Auteur 
de  cet  Ouvrage  ,  ils  avoient  des  filles 
d'une  grande  beauté  ,  &  fi  aimables  que 
les  Egregores  ,  ou  les  Anges  gardiens, 
conçurent  pour  elles  une  violente  paf- 
fion.  Ils  dépendirent  du  Ciel,  allèrent 
fur  le  Mont  Hermon ,  fe  liguèrent  en- 
femble,  &  s'engagèrent  par  ferment  de 
fe  foutenir  l'un  l'autre.  Ayant  après 
cela  eu  commerce  avec  ces  filles  ,  elles 
conçurent  les  Géants  ,  les  Nephelim, 
fils  des  Géants ,  &  de  ceux-ci  vinrent 
les  Eliud. 

L'Auteur  nomme  vingt  de  ces  chefs 
des  Anges  ,  qui  apprirent  aux  hommes 
plufieurs  Arts  ,  fur-tout  l'art  funefte  de 
la  Magie,  &  l'ufage  des  Armes.  Il  ajou- 
te enfuite  que  Dieu  ,  voyant  les  défor- 
dres  affreux  où  les  Géants  ,  &  leurs  en- 
fcas  étoient  tombés  >  envoya  fur  la  terre- 


2T0  La  Mythologie  &  les  Fahles 
Michel  ,  Gabriel  ,  Raphaël  &  Uriel. 
L'Archange  Michel  fe  faifit  de  Semixas , 
le  chef  de  ces  Anges  rebelles  ,  le  lia  a- 
vec  fes  compagnons ,  &  les  relégua  dans 
les  lieux  les  plus  bas  de  la  terre  ,  où  ils 
doivent  demeurer  jufqu'au  jour  de  leur 
jugement.  Il  fema  enfuite  la  difcorde  en- 
tre leurs  enfans  ,  qui  s'exterminèrent  les 
uns  les  autres. 

J'explique  cette  Fable  dans  l'article 
(0  Voyez  des  Géants,  (i)  Elle  n'eft  fondée  que  fur 
"  un  mot  de  l'Ecriture  mal  entendu  ,  Se 
fur  une  équivoque.  Les  premiers  Inter- 
prètes ayant  vu  dans  Job  le  nom  de  Vils 
de  Dieu  donné  aux  Anges ,  l'ont  aufîî 
interprété  des  Anges  dans  le  paflage  de 
la  Genefe  ,  où  il  ne  s'agit  que  des  en- 
fans  de  Seth  ,  qui  par  oppofition  aux 
defcendans  de  Caïn  ,  font  appelles  fils* 
de  Dieu  :  Vtdentes  filii  Dei plias  homi- 
>  num  y  &c.  (2)  Ceux-ci  ayant  été  frappés 
de  la  beauté  des  filles  de  la  race  de  Caïn, 
fe  marièrent  avec  elles  ,  en  eurent  des 
enfans  ,  qui  fe  rendirent  redoutables  , 
plus  par  leurs  défordres  ,  que  pour  l'é-: 
normité  de  leur  taille  :  car  le  mot  de 
Nephelim  ,  dont  fe  fert  la  Genefe  pour 
défîgner  ces  enfans,  fignifie  également 
des  Géants  ,  &  des  gens  tombés  dans 
les  plus  grands  défordres  par  le  dére-r 
gleineut  de  km;  yiç, 


Expl  par  PH'îft.  Liv.II.  Chap.V.  2 1 1 
Quoiqu'il  en  foit ,  j'adopte  ici  la  ré- 
flexion de  M.  Fourmont  ,  qu'on  doit 
confulter  fur  cet  article  (i)  ,  dans  lequel  ^  Refl; 
il  rapporte  d'après  le  faux  Henoc,  les  cm.  Liv.  2.  * 
noms  des  vingt  Anges  rebelles ,  &  les  Sed* 2# 
explique  fçavamment.  Cette  reflexion 
eft  ,  que  l'Auteur  de  ce  Livre  introduit 
cinq  fortes  de  perfonnages.  i.Les  hom* 
mes  nés  d'Adam.  2.  Les  Egregores  ,  ou 
Anges  du  Ciel.  3.  Les  Géants  fortis  des 
Egregores.  4.  Les  Nephelim,  enfans  des 
Géants,  y.  Les  Eliud,  fils  des  Nephelim. 
En  quoi  cet  Auteur  paroît  conforme  à 
Hefiode  ,  dans  la  Théogonie  duquel 
on  trouve  auffi  ,  à  peu  près,  ces  cinq 
clafTes  ,  comme  je  l'ai  déjà  remarqué. 

On  me  blâmeroit  fans  doute ,  fi  après 
avoir  parlé   dans   ce  Chapitre  ,  d'Or- 
phée ,  d'Hefîode  ,  &  de  quelques  autres 
Poètes  Grecs ,  je  ne  difois  rien  d'Home- 
re ,  qui  dans  fon  Iliade  &  dans  fon  O- 
dyffée  ,  a  employé  avec  tant  d'appareil 
les  mêmes  Dieux  qu'Hefïode  &  Orphée; 
mais  il  eft   bon  de   remarquer   que  ce 
grand  Poète  n'a  pas  entrepris  comme  les 
deux  autres ,  de  donner  un  Syftême  fur     ,  xrsXmL   , 
ces  mêmes  Dieux  ,  oc  n  a  tait  que  le  1er-  fur  les  Dieux 
vir  de  la  Théologie  établie  de  fon  temps.  ^^"derA- 
Homere  ,  comme  l'a  judicieufement  re-  cad.des  Beiiei 
marqué  JVL  l'Abbé  Fraguier,(2)  n'eu  J~ T' 3* 


Si 2  La  Mythologie  &  les  Fables 
qu'un  Poëte  ;  s'il  efl:  Théologien  ,  comâ 
me  il  l'eft  en  effet ,  puifqu'il  parle  à  tout 
propos  ,  &  qu'il  employé  le  miniftere 
des  Dieux  ,  il  ne  l'eft  que  par  occafion  , 
&  nullement  par  fyftême.  Or  qu'eft-ce 
qu'un  Poëte  ?  C^eft  un  Peintre  ,  un  Imi- 
tateur :  il  ne  produit  pas  fon  objet ,  mais 
il  l'imite  &  le  peint.  Quelque  idée  qu'il 
ait  lui-même  fur  fes  Dieux  ,  comme  il 
en  parle  pour  plaire ,  &  pour  être  enten» 
du  ,  il  ne  fort  point  du  fyftême  reçu  de 
fon  temps.  Dès-là  Homère  ,  né  dans  le 
fein  du  Paganifme ,  n'a  pas  dû  reprefen- 
ter  les  Dieux  autrement  qu'il  ne  les  a 
reprefentés.  Il  n'a  pas  inventé  la  Théo* 
logie  qu'il  fuit ,  il  Ta  reçue  ;  mais  comme 
le  temps  qui  détruit  les  erreurs ,  a  refpec- 
té  fes  Ouvrages ,  Se  que  ce  grand  Poëte 
avoit  fçû  y  mettre  en  œuvre  tout  ce 
qu'une  fauffe  Religion  lui  fournifFoit, 
on  a  cru  dans  la  fuite  qu'il  étoit  le  père 
&  l'inventeur  de  tant  de  chofes  extraor- 
dinaires &  bizarres ,  dont  en  effet  il  n'a 
été  que  le  Copifte  &  le  Peintre. 

Ciceron  fe  plaint  qu'Homère  a  abbaif» 
fé  les  Dieux  jufqu'aux  hommes  ,  au  lieu 
d'élever  les  hommes  jufqu'à  la  perfec* 
tion  des  Dieux.  Ce  reproche  eft  injufte. 
La  plupart  des  Dieux  d'Homère  avoient 
cté  des  hommes ,  qui  par  des  afticmft 


Expl.-parPHifl.Lvr.lî.Citkt.'V.  2ï$ 

d'éclat  ,  &  par  l'invention  des  Arts  , 
avoient  mérité  les  honneurs  divins  ; 
mais  ces  avions  ,  quelques  brillantes 
qu'elles  fuiTent ,  n'étoient  pas  toujours 
fuivant  les  règles  d'une  exaâe  probité. 
La  Moralp  n'a  pas  toujours  eu  la  pure* 
té  ,  à  laquelle  Pythagore  &  Platon  l'ont 
reftrainte  dans  la  fpite.  La  force ,  les  ta* 
lens  ,  &  les  dons  de  la  nature ,  ont  long- 
temps tenu  la  place  du  vrai  mérite  ;  Se 
parce  qus  c'étoit-là  ce  qui  avoit  confa- 
eré  ces  grands  hommes  ,  on  croyoit  ces 
chofes  dignes  d'eux  après  leur  confecra- 
tion. 

En  un  mot  ,  des  hommes  déifiés  te* 
noient  &  de  la  perfe&ion  divine  ,  &  do 
la  foibleffe  humaine  ;  ainfi  le  Poète  a 
dû  les  reprefenter  fuivant  ces  deux  idées, 
&  dès-là  on  doit  voir  en  lui  un  mélange 
de  grandeur  &  de  petiteffe  ,  de  force  ÔC 
de  fpiblefle  ,  de  majefté  Se  d'abbaifTe-* 
ment ,  de  vertus  éclatantes  ôç  de  vices 
honteux. 

On  voit  par  ce  que  je  viens  de  dire  , 
que  les  Grecs  avoient  plufieurs  Théogo- 
nies ,  &  qu'ils  avoient  réduit  en  fyftê- 
me  la  Théologie  qu'ils  avoient  reçue 
des  peuples  de  l'Orient.  Les  Romains 
n'ont  rien  eu  de  femblable.  Contents  dç 
h  Religion  des  Grecs  $#des  autres  Peut 


2 1 4  La  Mythologie  &  les  Fables 
pies  qu'ils  avoient  vaincus  ,  ils  prirent 
leurs  Divinités,  le  culte ,  les  cérémonies, 
les  facrifices ,  les  Prêtres  ,  les  fêtes  ,  en 
un  mot  tout  l'appareil  que  l'Idolâtrie 
entraînoit  avec  elle  ,  fans  avoir  jamais 
fongé  à  réduire  en  fyfteme  une  Religion 
fi  bigarrée  ;  &  la  Ville  du  monde  la  plus 
Idolâtre ,  fut  celle  de  toutes  qui  négli- 
gea le  plus  FHiftoire  de  fes  Dieux.  Ci- 
ceron  à  la  vérité  donne  dans  fon  Traité 
de  la  nature  des  Dieux  quelques  Généa- 
logies ,  mais  comme  il  fe  fert  le  plus  fou- 
vent  des  idées  qu'il  avoit  puifées  dans 
les  Livres  des  Grecs  ,  &  qu'il  difpute  fur 
cette  matière  en  Académicien  ,  on  ne 
peut  pas  regarder  fon  Ouvrage  comme 
un  fyfteme  de  Théologie. 

Ce  feroit  ici  le  lieu  de  parler  des  diffe- 
rens  fentimens  des  Philosophes  Platoni- 
ciens ,  au  fujet  de  leurs  Dieux ,  &  fur  ce 
qu'en  avoient  penfé  les  Anciens  ;  mais 
outre  que  cette  difeution  m'écarteroit 
trop  de  mon  objet ,  les  reflexions  que  je 
fais  fur  cette  Article  à  la  fin  du  Traité  de 
l'Idolâtrie,  fuffifent  pour  en  donner  une 
idée  exaéte.  Après  tout ,  que  peut-on 
conclure  des  differens  partis  où  .fe  jet*» 
terent  les  Celfes ,  les  Jambliques  ,  les 
Porphyres  ,  &  quelques  autres  ,  finon 
que  ces  Philofophes,  pour  diminuer  l'ab« 


Expl.parVHift.  Lïv.II.  Chap.VL  gi£ 

furdké  &  la  groffiereté  de  lldolatrie  do- 
minante ,  &  fe  débaraffer  en  même-temps 
des  objections  triomphantes  des  premiers 
Pères  de  1  Eglife  ,  avoient  cherché  à  al- 
Jégorifer  un  fyftéme  monftrueux  ;  mais 
ces  allégories  ,  qui  n'avoient  d'autre  fon- 
dement que  leur  imagination  ,  nJavoient 
pas  même  été  entrevues  par  ceux  qui  les 
premiers  avoient  parlé  des  Dieux ,  &  de 
Jeurs  générations. 


CHAPITRE    VI. 

Cofmogonie  &  Théogonie  d?  Ovide. 

EN  F  1 N  Ovide  fidèle  imitateur  des 
Poètes  qui  l'avoient  précédé  ,  eft 
le  dernier  qui  nous  ait  donné  une  Cof- 
mogonie ,  au  commencement  de  fes  Mé- 
-tamorphofes.  «  Avant  que  la  Mer.,  la 
»  Terre  ,  &  le  Ciel  qui  les  enlevoppe  , 
*>  dit-il ,  fuflent  formés ,  l'Univers  entier 
»  ne  prefentoit  qu'une  feule  face  Cet 
*>  amas  confus  ,  ce  vain  &  inutile  poids  , 
»>  dans  lequel  les  principes  de  tous  les 
»  Etres  étoient  confondus,  c'eft  ce  qu'on 
-*>  a  appelle  leChaos.Le  Soleil  ne  prètoit 
9>  point  encore  fa  lumière  au  monde  ,  la 
jp  Lune  n'étoit  point  fujette  à  fes  vici£ 


$  1 6  LaMythologte  &  les  Tables 
*  fitudes  ;  la  Terre  ne  fe  trouvoit  point 
yy  fufpenduë  au  milieu  des  airs  où  elle  fc 
»  foutient  par  fon  propre  poids  ;  la  Mer 
»  n'avoit  point  de  rivages  ;  l'eau  &  Pair 
»  fe  trouvoient  mêlés  avec  la  terre  ,  qui 
»  étoit  fans  folidité.  L'eau  n'étoit  point 
»  fluide  ;  &  l'air  manquoit  de  lumière. 
33  Tout  étoit  confondu.  Nul  corps  n'a-» 
»  voit  la  forme  qu'il  devoit  avoir  ;  &  tous 
»  fe  faifoient  obftacle  les  uns  anx  autres, 
a>  Le  froid  combattoit  contre  le  chaud  , 
»  le  fec  avec  l'humide.  Les  corps  durs 
»  attaquoient  ceux  qui  ne  faifoient  point 
»  de  réfiftance,  &  les  pefants  difputoient 
*>  avec  ceux  qui  font  légers.  Dieu ,  ou  la 
*>  Nature  elle-même  ,  termina  tous  ces 
»  différends  ,  en  féparant  le  Ciel  d'avec 
»  la  Terre  ,  la  Terre  d'avec  les  eaux ,  & 
»  YJEther  ,  ou  l'air  le  plus  pur ,  d'avec 
y>  celui  qui  eft  plus  groiîier.  Le  Chaos 
»  ainfi  débrouillé,  chaque  corps  fut  pla^ 
33  ce  dans  le  lieu  qu'il  devoit  occuper  > 
od  Dieu  établit  les  Loix  qui  dévoient  en 
»  former  l'union.  Le  feu,  qui  eft  des 
33  Elemens  le  plus  léger ,  occupa  la  re~ 
*>  gion  la  plus  élevée.  L'air  prit  au-def- 
?>  fous  du  feu  la  place  qui  convenoit  à  fa 
»  légèreté  ;  la  terre ,  malgré  fa  pefan- 
33  teur  ,  trouva  fon  équilibre  ,  &  l'eau 
83  fut  placée  dans  le  lieu  le  plus  bas. 

»  Après 


ExplparP Hifi.  Liv.  IL  Chàp.VL  2ï? 
*>  Après  cette  première  divHion  ,  ce 
•»  Dieu  ,  quel  qu'il  aitété,arrondit  la  iur- 
»  face  de  la  terre  ,  &  repandit  les  mers 
»  par-deffus.  Il  permit  aux  vents  d'agi- 
*  ter  les  eaux  ,  fans  permettre  toutefois 
*>  que  les  vagues  puflent  pafler  les  bor- 
*>  nés  qui  leur  furent  prefcrites.  Il  for- 
*>  ma  enfuite  les  Fontaines  ,  les  Etangs  9 
»  les  Lacs  ,  &  les  Fleuves  ,  qui  renfer- 
»  mes  dans  leurs  rives  ,  coulent  fur  la 

»  terre Il  commanda  aufïi  aux  campa- 

»  gnes  de  s'étendre ,  aux  arbres  de  fe  cou- 
„  vrir  de  feuilles ,  aux  montagnes  de  s'é- 
v  lever  ,  &  aux  vallées  de  s'abaiïTer.  „ 

Ovide,après  avoir  décrit  cet  arrange- 
ment,parle  des  cinq  Zones,  deux  froides, 
deux  tempérées  ,  êc  une  brûlante ,  qui 
efl  la  Zone  Torride.  Il  traite  aufli  des 
vents  ,  &  marque  les  lieux-  d'où  ils 
foufflent  ;  enfuite ,  après  avoir  fait  men- 
tion de  la  région  des  airs ,  où  fe  forment 
la  grele,les  éclairs  &  le  tonnerre ,  il  pour- 
suit ainfî  ; 

„  Dès  que  les  limites;qui  dévoient  fer- 
.„  vir  de  barrière  aux  différents  corps  qui 
„  compofent  l'Univers  ,  furent  réglées  , 
„  les  Aflres  renfermés  jufques4à  dans  la 
ç,  mafTe  informe  du  Chaos ,  commence- 
, ,  rent  à  briller  ;  &  enfin  que  chaque  ré- 
*?  Sion  fût  peuplée  d'êtres  animes ,  les 
Tome  L  & 


$l8  La  Mythologie  &  les  Fables 
9,  Etoiles  ,  image  des  Dieux  ,  furent  pla* 
„  cées  dans  le  Ciel  ;  les  poiflbns  habite- 
„  rent  les  eaux ,  les  bêtes  à  quatre  pieds 
&  eurent  la  terre  pour  demeure  ,  &  l'ai* 
>?  devint  le  féjour  des  Dieux. 
5,Ilmanquoit  encore  au  monde  un  Etre 
15  plus  parfait.  Il  en  failoit  un  qui  fût 
„  doué  d'un  efprit  plus  élevé ,  &  qui  par-* 
3,  làfût  en  état  de  dominer  fur  les  autres, 
„  L'homme  fut  formé  ;  foit  que  l'Au- 
j,  teur  de  la  Nature  l'eût  compofé  de 
j,  cette  femence  divine  qui  lui  eft  pro? 
5,  pre  ,  ou  de  ce  germe  célefte ,  que  la 
»,  terre ,  toute  nouvelle ,  &  qui  ne  venoit 
Î5  que  d'être  féparée  du  ciel,  renfermoit 
.3,  encore  dans  fon  fein.Promethée  ayant 
5,  détrempé  de  cette  terre  avec  de  l'eau 
5,  en  forma  l'homme  à  la  reflemblance 
5,  des  Dieux  ;  &  pendant  que  tous  les 
5,  autres  animaux  portent  la  tête  pen? 
„  chée  vers  la  terre  ,  1  homme  feul  la  le* 
5,  ve  vers  le  ciel ,  &  porte  fes  regards 
9,  jufqu'aux  Aftres.  C'eft  ainfî  qu'un 
|j  morceau  de  terre  ,  qui  n'étoit  aupa* 
„  ravant  qu'une  maiïe  informe  ,  parut 
5,  fous  la  figure  d'un  Etre  ?  juftjuVJoxs 
v  inconnu  à  l'Univers, 


Expî.par  PHifî.  LiV.II.Chap.  VI.  si£ 

Réflexions  fur  les   différentes  Théogonie? 
des  Grecs. 

Telles  font  les  différentes  Gofmogo- 
ffies  &  Théogonies  des  Grées  ,  fur  leP 
quelles  je  vais  faire  les  reflexions  fuivan* 
tes. 

Nous  ne  connoiffons  pas  aflez  le  Sys- 
tème d'Orphée,  pour  fçavoir  quelle  part 
il  avoit  donnée  à  Dieu  dans  la  formation 
tlu  monde;&  fi  nous  n'avons  pas  de  preu- 
ves fuffifantes  ,  pour  croire  qu'il  a  penfé 
comme  les  autres  Poètes  8c  les  Phliofo- 
phes  les  plus  éclairés  qui  ont  paru  long-* 
temps  après  lui  ,  tels  que  les  Pythago-» 
riciens  6c  les  Platoniciens ,  nous  n'avons 
auffi  aucun  droit  de  confondre  fon  opi- 
nion avec  celle  de  Sanchoniathon ,  en* 
-core  moins  avec  le  Syftêrae  de  Diodore 
•de  Sicile, 'qui  fait  naître  les  p  remers 
hommes  à  peu  près  comme  les  Egyp* 
tiens  croyoient  ,  quoique  fauffement  , 
que  naiffoient  les  Infeftes,  après  que  les 
£aux  duNil  fe  font  retirées. 

Tous  ces  Syftêmes  fuppofent  que 
î'Amour  unit  les  principes  différens  * 
dont  le  Chaos  étoit  formé  ,  &  que  de 
cette  union  fortirent  tous  les  Etres.  Mais 
«ju'eft-ce  que  cet  Amour ,  fi  ce  n'eft  Tu- 
ftion  naturelle  des  Corps  homogènes  î 

M 


+L10  La  Mythologie  &  les  Fableè 
Et  fî  les  Auteurs  de  ces  opinions  extrd^ 
vagantes  l'ont  perfonifîé  ,  on  voit  bien 
que  ce  n'eft  qu'un  perfonnage  métapho- 
rique, qui  n'exifta  jamais  que  dans  leur 
imagination.  La  création  efl  un  myftere 
inconnu  à  la  raifon  humaine.  Les  Philo- 
fophes  ,  qui  ne  comprirent  jamais  que 
de  rien  on  pût  faire  quelque  chofe  % 
avoient  tous  généralement  adopté  cet 
Axiome  :  Ex  nihilo  nîhll ,  &  in  nibilum 
ml  pojfe  revenu  Ainfi  voyant  la  forme  adr 
mirable  de  l'Univers ,  qu'ils  attribuoient 
ou  à  un  Etre  fuperieur  à  la  nature  ,  ou 
plus  fouvent  encore  à  la  nature  même,  ils 
ont  toujours  fuppofé  une  matière  pré* 
exiftanite  ;  mais  confufe  &  informe ,  qui 
fut  débrouillée  dans  la  fuite;  &  ne  fâchant 
à  qui  donner  la  gloire  d'avoir  mis  dans 
le  monde  l'ordre  qui  y  règne  ,  ils  imagir 
ïierent  leur  Amour, qui  lyeftque  F  union 
caufée  par  le  feul  mouvement  des  corps. 
Ovide  ,  qui  n'eft  venu  au  monde  que 
huit  cens  ans  ,  ou  environ?  après  Her 
fiode,  a  commencé  comme  lui  fon  grand 
Ouvrage  des  Métamorphofes  par  le 
Chaos  ;  mais  il  ne  l'a  imité  qu'en  cela  ; 
car  pour  lfl.  manière  de  débrouiller  ce 
même  Chaos  ,  ij.  diffère  totalement  du 
Poète  Grec.  On  ne  voit  point  qu'il  fàfTç 
jnteryçnijr  F Amour  flzris  çettç  opera»^ 


ËxpLparVHtjl.Lw.ïLCXA*. VI.  22$ 
Cependant  5  comme  il  lui  faut  un  Agent, 
il  ne  fçait  pas  trop  à  quoi  fe  déterminer , 
&  fon  incertitude  paroît  dans  ce  vers.  (1)     (  1  )  Mew- 

morph.  L.   i- 
Hanc  Deus  >  &  melior  litem  natura  diremit*  v.  2 1 . 

Comme  dans  cet  autre  : 

(-i)  Sic  ubi  dijpofîtam,  quifquisfuit  ilk  deortm ,  M    M'd* 

Congeriemjicuit ,  &c.  v#  3it 

Voilà  donc  ce  Chaos  &  cet  Erébe  tant 
Chantés  par  les  Poètes,  dont  la  première 
idée  femble  prife  dans  Sânchoniathon  , 
qui  lui-même  Favoit  fafts  doute  emprun- 
tée ,  ou  de  ces  paroles  de  Moyfe  :  (  3  ) 
Terra  autem  eràt  inanis  &*  vàcua  ,-  Ù*  tc- 
webrœ  erantfuperfaciem  AbyJJi;  ou  plutôt 
des  Traditions  répandues  dans  le  pays 
où  vivoit  cet  Auteur  Phénicien  ,  &  plus 
anciennes  que  les  Ecrits  du  faint  Légis- 
lateur des  Hébreux. 

Je  fuis  bien  éloigné  de  trouver,  com- 
me quelques  Sçavans  ,  une  grande  con- 
formité entre  cette  tradition  de  la  créa- 
tion du  monde ,  &  ce  qu'en  ont  écrit , 
Sânchoniathon  ,  Hefiode  ,  &  Ovide  ; 
mais  je  ne  fuis  pas  aiïez  prévenu  pour  n  ; 
pas  croire  que  c'eft  dans  elle  qu'ils  ont 
puifé  Tidée  de  leur  Chaos.  Pour  le  refte, 
rien  de  plus  différent.  Ce  font  des  efprit» 
yifs ,  (jui  fur  une  fimple  lueur ,  ont  dou* 

1L% 


2522  La  Mythologie  &  les  fables 
né  carrière  à  leur  imagination ,  qui  ayant? 
perdu  un  guide  fidèle  ,  s'eft  égarée  un 
înftant  après  dans  le  vafte  pays  des  fic- 
tions. Mais  un  court  parallèle  du  com- 
mencement de  la  Genefe  ,  &  de  la  Théo- 
gonie d'Hefiôde ;  va  mettre  fous  les  yeux 
du  Leâeur  ce.  qui  peut  s'y  trouver  de 
reïïemblance  ,  ou  de  différence. 

Je  ne  dis  rien  de  la  création  ;  ni  He-* 
ïîode ,  ni  aucun  Auteur  profane  ne  l'ont 
reconnue.  Moyfe  commence  par  dire 
que  la  Terre  étoit  vuide ,  &  que  les  ténèbres 
étoient  répandues  fur  la  face  de  PAbyfmeé 
Hefiode  dit  :  le  Chaos  fut  avant  toutes 
chofes  ;  enfuite  la  terre  fpacieufe  ,  de* 
meure  des  Immortels  ,  &  le  Tartare  qui 
en  étoit  fort  éloigné.  Moyfe  ajoute  ,  Se 
Pefprit  étoit  porté  fur  les  eaux  ;  &  fpiritus 
ferebatut  fuper  aquas.  Hefiode  au  con- 
traire parle  immédiatement  après  ce  que 
j'en  ai  rapporté  ,  de  l'Amour ,  le  plus 
beau  &  le  plus  aimable  des  Dieux  ,  qui 
ôte  les  foucis  &  les  chaffe  du  cœur  des 
hommes  ,  &  des  Immortels.  Moyfe  ra~ 
conte  enfuite  ,  que  Dieu  avoit  dit  , 
fat  lux  ,  &  luxfaâaefl  ;  que  la  lumière 
foit  faite  ^  &  la  lumière  fut faite  :  paroles 
qu'un  Auteur  profane  a  trouvées  fi  fu- 
fOL  in  t&mes-  (  *  )  Hefiode  dit  aufîi  que  de  la 
°nSin#  nuit  fortit  T^Ether  &  le  Jour.  Le  Lé- 


ËxpU  par  mifl.Liv.ïl.CKAV.VL  215 

gîflateur  des  Hébreux  dit  enfuite  que 
Dieu  fit  lé  firmament  j  & \fecit  Deusfir* 
marnent um  ,  &  qu'il  divifa  les  eaux  qui 
étoient  au-dëfïus  dû  firmament  ^  d'avec 
celles  qui  étoient  au-deifous.  Il  ajoute 
immédiatement  après  3  que  Dieu  avoit 
ordonné  que  les  eaux  qui  étoient  fous 
le  Ciel  fe  raflembiaffent  en  un  lieu  ,  Se 
qu'il  appella  cet  affemblage  d'eaux  ,  la 
Mer  ;  &  la  partie  de  la  Terre ,  qui  par-là 
fe  trouvoit  defïechée  ,  fut  appellée  ,  A* 
ride  :  &*  vocavit  Deus  àridam  terrain  t 
çongregationefque  aquarum  appellavit  ma* 
na.  L'Auteur  de  la  Théogonie  lui  eft 
encore  aifez  femblable  en  cela.  La  Ter- 
re ,  dit-il ,  engendra  d'abord  le  Ciel  avec 
les  Etoiles ,  &  de  fon  union  avec  le  Ciel , 
elle  eut  l'Océan.  Mais  ici  l'Auteur  pro-* 
fane  s'égare  >  &  quelque  entêté  qu'on 
foit  en  fa  faveur ,  je  ne  crois  pas  qu'on 
puiffe  lui  trouver  aucune  reflemblance 
avec  Moyfe. 

Ovide  arrange  autrement  la  formation 
du  monde  ,  &  fa  defeription  ne  reffembie 
nullement  à  celle  d  Hefîode  ,  ainfi  qu'oi 
a  déjà  obfervé.  Mais  une  chofe  digne  ds 
remarque  ,  c'efl  qu'il  regarde  1  homme 
comme  la  dernière  produdion  de  1  Au- 
teur de  la  nature.  En  quoi  il  relTemblp 
plus  à  Moyfe  qu'aucun   autre  Auteuç 

Kiiij 


&24  La  Mythologie  &  les Tables 
Payen.  Un  autre  grand  trait  de  refléta* 
blance  ,  c'eft  qu'il  dit  que  l'homme  fut 
formé  avec  de  la  boue  détrempée  dans 
de  l'eau  ;  mais  quel  étoit  ce  Promethée 
qu'il  donne  pour  l'auteur  d'un  fi  bel  ou- 
vrage ?  c'eft  ce  qu'on  ne  fçauroit  devi- 
ner. Jufques-là  le  Poète  attribue  l'arran- 
gement de  l'Univers  ou  à  Dieu  ou  à  la 
nature  ;  Se  lorfqu'il  s'agit  de  former 
l'homme  ,  il  fait  paroître  un  Promethée 
fans  qu'il  en  ait  rien  dit  auparavant.  (  a  ) 
jHefîode  parle  à  la  vérité  de  Promethée , 
mais  il  ne  lui  donne  pas ,  comme  Ovide, 
la  gloire  d'avoir  formé  l'homme.  Cet  ef- 
pnt  de  vie,  au  refte ,  que  les  Poètes 
difent  que  Minerve  infpira  à  l'ouvrage 
de  Promethée  ,  eft  visiblement  imité  des 
paroles  de  Moyfe  ,  qui  dit  que  Dieu 
ayant  formé  l'homme  avec  de  la  boue  -y 
.  %  luifouffla  un  efprit  de  vie ,  (  T  )  infpiravit 
infaciem  ejusjpiraculum  vît  ce. 

(  a.  )  Voyez  ce  qu'on  dira  de  ce  Promethée  ,    dans  l'HiT* 
toire  de  Jupiter.  Tome  II. 


HxpL  par  ?Ht(t.  Li  v.  ILCtf AP.VI.  22^ 

CHAPITRE  VIL 

La  Théogonie  des  Chinois  Ù*  des  Indiens. 

LE  S  Chinois  ont  commencé  à  culti- 
ver les  Lettres  dès  les  premiers 
temps  de  leur  Monarchie  ,  du  moins  de- 
puis les.  règnes  d'Yao  &  de  Chum  ,  qui 
vivoient  plus  de  deux  mille  deux  cens 
ans  avant  Jefus-Chrift.C'eft  une  opinion 
commune  &  univerfellement  reçue  par 
ceux  qui  ont  cherché  à  approfondir  l'o- 
rigine d'un  Peuple  fi  inconteftablement 
ancien,  que  les  fils  deNoé  fe  répan- 
dirent dans  l'Afie  Orientale  ,  &  qu'il  y 
en  eut  parmi  eux  qui  pénétrèrent  dans  la 
Chine ,  peu  de  fîécles  après  le  Déluge, 
&  y  jetterent  les  premiers  fondemens  de 
la  plus  ancienne  Monarchie  qu'on  con- 
noilTe  dans  lemonde.On  ne  fçauroit  dis- 
convenir que  ces  premiers  Fondateurs  ? 
inftruits  par  une  tradition  peu  éloignée 
de  fa  fource ,  de  la  grandeur  &  de  la 
puiïïance  du  premier  Etre  ,  n'ayent  ap- 
pris à  leurs  defeendans  à  honorer  ce  fou- 
verain  Maître  de  l'Univers  ,  &  à  vivrç 
fuivant  les  principes  de  la  loi  naturelle  ? 
qu'il  avoit  gravée  dans  leurs  cœurs.Leurs 

Kv 


226  La  Mythologie  &  les  Fabîes 
Livres  claffiques  ,  dont  quelques  -  un» 
font  du  temps  même  des  deux  Empereurs 
que  j'ai  nommés  ,  ne  laiflent  aucun  lieu 
d'en  douter.  Les  Chinois  ont  cinq  de 
ces  Livres  \  qu'ils  nomment  les  Kink  ,• 
pour  lefquels  ils  ont  une  extrême  véné- 
ration. Quoique  ces  Livres  qui  contien- 
nent les  Loix  fondamentales  de  l'Etat , 
ne  foient  pas  des  Traités  de  Religion  , 
&  que  le  but  que  leurs  Auteurs  s'étoient 
propofé  ,  fût  de  maintenir  la  paix  &  la 
tranquillité  de  l'Empire  ;  ils  font  cepen- 
dant très-propres  à  nous  apprendre  quel- 
le étoit  la  Religion  de  cet  ancien  Peuple! 
puifqu'on  y  trouve  à  chaque  page  ,  que 
pour  parvenir  à  cette  tranquillité  &  à 
cette  paix,  il  y  avoit  deux  chofes  né- 
cessaires à  obferver  \  les  devoirs  de  la 
Religion  ,  &  les  règles  d'un  bon  gou- 
vernement. Il  paroît  partout  que  leur 
culte  avoit  pour  premier  objet  un  Etre 
Suprême ,  Seigneur  &  fouverain  Prin- 
cipe de  toutes  chofes  \  qu'ils  honoraient 
fous  le  nom  de  Chavgû  ,  c'eft-à-d:re  5 
Suprême  Empereur ,  ou  de  Tien ,  qui 
dans  leur  Langue  fignifîe  la  même  chofe* 
Tien ,  difent  les  Interprètes  de  ces  Livres , 
c'eft  l'Efprit  qui  preiîde  au  Ciel.  Il  eft 
vrai  que  fouvent  chez  les  Chinois  ,  ce 
jnot  fignîlîe  auiîî  îc  ciel  matériel  ;  &  cpj* 


Expl.parrHijl.LivlLCnkT.'VIÏ.  227 

tlepuis  quelques  fiecles  que  l'athéisme 
Veft  introduit  parmi  les  Lettrés  de  la 
Chine,  iinefignifie  que  cela;  mais  dans 
leurs  anciens  Livres  ,  on  entendoit  par 
ce  mot ,  le  Maître  du  Ciel  >  le  Souve- 
rain du  monde.  On  y  parle  à  tout  pro- 
pos de  la  providence  du  Tien ,  des  châti- 
mens  qu'il  exerce  fur  les  mauvais  Empe- 
reurs ,  des  recompenfes  qu'il  envoyé 
aux  bons.  Il  y  efl  marqué  qu'il  fe  laiiïe 
fléchir  aux  vœux  &  aux  prières  ,  que 
par  les  facrifices  on  l'appaife  ,  &  qu'on 
détourne  les  fléaux  dont  l'Empire  eft 
menacé ,  &  mille  autres  chofes  qui  ne 
fçauroient  convenir  qu'à  un  Etre  intel- 
ligent. On  n'a  pour  s'en  convaincre  , 
qu'à  lire  les  extraits  que  le  Père  du  Haldc 
a  faits  de  ces  anciens  Livres ,  dans  le 
fécond  volume  de  fa  grande  Hiftoire  de 
la  Chine  ,  &  ce  qu'il  en  dit  encore  au 
commencement  du  troifiéme. 

La  crainte  d'être  trop  long  &  de  m'é- 
carter  de  mon  but ,  doit  me  difpenfcr 
de  le  copier  ;  mais  on  nefçauroit  après 
le  long  détail  où  il  entre  ,  ne  pas  conr 
dure  avec  lui,  qu'il  par  oit  par  la  doc- 
trine des  Livres  clafîînues  des  Chinois, 
que  depuis  la  fondation  de  l'Empire  par 
Fo-hi  ,  &  pendant  une  longue  fuite  de 
fieçles  ,  l'Eue  fupreme  connu  chez  eux 

Kvj 


Ï28  La  Mythologie  &  les  Fables 
fous  le  nom  de  Changti  ou  de  Tien ,  étoif 
l'objet  du  culte  public  ,  &  qu'on  le  re~ 
gardoit  comme  l'àme  &  le  premier  mo- 
bile du  gouvernement  de  la  Nation  ; 
que  ce  premier  Etre  étoit  craint,  hono- 
re ,  refpefté  ;  &  que  non  feulement  les 
Empereurs  -,  qui  de  tous  temps  ont  été 
les  Chefs  &  les  Pontifes  de  la  Religion  9 
mais  les  Grands  de  l'Empire  &  le  peuple 
connoiffoient  qu'ils  avoient  au-deffus 
d'eux  un  Maître  &  un  Juge  ,  qui  fçait 
récompenser  ceux  qui  lui  obéiffent ,  Se 
6c  punir  ceux  qui  l'offencent. 

Il  eft  certain  que  fî  l'on  trouve  dans 
ces  anciens  Livres,  des  preuves  de  la* 
connoilîance  que  les  premiers  Chinois 
ont  eu  de  l'Etre-  fuprëme,  &  du  culte 
religieux  qu'ils  lui  ont  rendu  pendant 
une  longue  fuite  de  fîecles,  il  n  eft  pas 
moins  fur  qu'on  n'y  voit  nul  veitige  d'un 
culte  idolatrique.     Mais  cela  paroîtra 
moins  furprenant ,   lorfqu'on  fera  atten- 
tion ,    l°.  que  l'Idolâtrie  ne  s'eft  repanr- 
duë  dans  le  monde  ,  que  lentement ,  Se 
6c  de  proche   en  proche  ;  Se  qu'ayant 
vraifemblablement  commencé  ou  dans 
l'Aflyrie  ,  comme  le  prétend  Eufebe  9 
où  il  ne  parut  même  des  Idoles  que 
long-temps  après  Belus ,  ou  dans  la  Phe- 
»icie^  ou  dans  l'Egypte,  comme  d'autre* 


Expl.  par  PH#.Liv.II.Cif  ap.VII.  22p 

le  prétendent ,  elle  n'a  pas  dû  pénétrer 
fî-tôt  iufqu'à  la  Chine  ,  Peuple  de  tout 
temps  fequeftré  des  autres,  &  feparé 
par  les  grandes  Indes  du  centre  de  l'I- 
dolatrie. 

2°.  Qu'il  y  a  toujours  eu  à  la  Ch  ne 
un  Tribunal  fuprême  (p>r  pour  avoir  g^JJJ"1 
foin  des  affaires  de  la  Religion,  &  qu'il aa  tes 
a  toujours  veillé  avec  la  dernière  exac- 
titude à  fon  objet  principal.  Ainfi  il  a 
été  bien  difficile  d'introduire  de  nou- 
velles loix  &  de  nouvelles  cérémonies 
chez  un  Peuple  fi  attaché  à  fes  anciennes 
traditions.  D'ailleurs  comme  les  Chinois 
ont  toujours  écrit  leur  Hiftoire  avec  un 
grand  foin  ,  &  qu'ils  ont  des  Hiftoriens 
contemporains  de  tous  les  faits  qu'ils 
rapportent ,  on  n'auroit  pas  manqué  d  a- 
vertir  des  changemens  qui  feroient  ar- 
rivés en  matière  de  Religion  ,  comme 
ils  l'ont  fait  dans  un  grand  détail  ,  lorf- 
que  l'Idole  de  Fo  &  fon  culte  y  ont 
été  introduits. 

Telle  fut  la  Religon  dominante  de 
la  Chine  dans  les  premiers  temps  de  leur 
Empire  :  je  dis  la  Religion  dominante  , 
parce  que  le  peuple  ne  laiiToit  pas  de 
reconnoître  des  Efprlts  fubalternes  qui 
veiiloient  fur  les  villes  &  fur  les  cam- 
pagnes ,  &  il  les  honoroit  d'un  culte  fu- 


&30  t>a  Mythologie  &  les  Patte* 
perflitieux  .  pour  leur  demander  la  fau- 
te ,  la  réuffite  dans  les  affaires  ,  &  d'a- 
bondantes récoltes.  11  s'étoit  mêlé  dans 
ce  culte  plulîeurs  pratiques  fuperiLtieu- 
fes  qui  tenoient  de  la  magie  ,  à  laquelle 
Ce  Peuple  a  été  toujours  fort  addonné  : 
mais  ce  n'étoit  pas  la  P^eligion  de  l'Etat  ; 
&  le  Tribunal  des  Rites  a  toujours  con- 
damné ces  fortes  de  pratiques  ,  quoi- 
que fouvent  quelques-uns  des  ?vlanda- 
rins  qui  le  compofoient,  les  euffent  eux- 
mêmes  goûtées. 

Ainfï  ,  à  parler  exa&ement ,  les  Chi- 
nois n'ont  point  ce  que  nous  appelions 
Théogonie  ou  Cofmogonie.  Leurs  Phi- 
lofophes  y  uniquement  attachés  à  la  mo- 
rale 3  à  la  politique  Si  à  Phiftoîre  ,  ont 
toujours  négligé  la  phyfique  ,  &  on  ne 
trouve  point  dans  leurs  Ecrits  ,  je  parle 
des  anciens  ,  ces  fyflêmes  fi  connus  en 
Europe ,  en  Egypte  ,  &  dans  quelques 
parties  de  l'Afie  ,  fur  la  formation  du 
monde  Se  des  corps  qui  le  compofent , 
&  fur  les  Dieux  ,  dont  on  a  fait  tant 
de  Généalogies  (a).  J'ai  dit  ,  leurs  Phi- 
lofophes  anciens  ,  parce  que  les  mo- 
dernes ,  qui  ont  voulu  donner  des  ef- 

(a)  On  peut  lire  le?  Extraits  que  le  P.  du  Halde  a  faits  de 
fes  anciens  Livres  ,  fur-tour  des  Kir-k  ?  qui  font  les  pLs  an- 
ciens ,  dans  k  II.  Volume  de  ion  iiiiioire  de  la  Chine. 


ExpLparPUijl.LivlLCHkV.VÎl.  ^t 

peces  de  Cofmogonies ,  font  tombés  dan$ 
un  athéifme  femblable  à  celui  de  Stra-* 
ton  &  de  Spinofa* 

On  ne  trouve  pas  non  plus  qu'ils  ayent 
parlé  nettement  de  l'ame  ,  ôc  il  paroît 
qu'ils  n'en  avoient  pas  une  idée  exaâe. 
Néanmoins  on  ne  peut  douter  qu'ils  ne 
■  cruflent  qu'elle  fubfiftoit  après  la  mort  9 
non  feulement  par  les  hifîoires  d'appa-* 
ritions  ,  qu'on  trouve  même  dans  les  Li- 
vres de  Confucius  ,  le  plus  fage  ôc  le 
plus  éclairé  de  leurs  Philo fophes  ,  mais 
par  l'opinion  de  la  Metempfycofe ,  qu'ils 
ont  reçue  depuis  plusieurs  fiecles. 

Cependant  comme  l'homme  privé  d& 
la  révélation  ,  &  livré  aux  penchans  de 
fon  cœur ,  a  toujours  été  en  proye  à  Y  er~ 
reur  ,  je  fuis  bien  éloigné  de  croire  que 
les  Chinois  en  ayent  été  exempts  ;  ÔC 
c'eft  avoir  une  idée  bien  favorable  d'eux  , 
que  de  penfer  qu'ils  fe  livrèrent  peut- 
être  un  peu  plus  tard  que  les  autres  peu- 
ples, aux  pratiques  idolâtres.  Pvegardons- 
les ,  fî  on  veut ,  comme  les  Philofophes 
dont  parle  l'Apôtre  ,  qui  par  les  lu- 
mières naturelles  s'élevèrent  jufqu'à  la 
connoifTance  du  premier  Etre  ;  ne  font- 
ils  pas  auflî  coupables  qu'eux  de  l'avoir 
connu  ,  fans  l'avoir  glorifié  ?  Enfin  la 
Sefte  des  Tao-sé  parut  dans  la  Chine  9 


9fyl  La  Mythologie  &  les  VaMes 
près  de  fix  cens  ans  avant  Jefus^ 
Chrift.  Lao-Kiun  eft  le  Philofophe  qui 
en  fut  l'Auteur.  La  naiffance  de  cet 
homme ,  à  en  croire  fes  Difciples ,  fut 
des  plus  extraordinaires  :  porté  quatre- 
vingts  ans  dans  les  flancs  de  fa  mère  , 
il  s'ouvrit  un  pafTage  par  le  côté  gau- 
che ,  &  caufala  mort  à  celle  qui  l'avoit 
conçu. 

La  morale  de  ce  Philofophe  ,  appro- 
che fort  de  celle  d'Epicure  ,  &  il 
couvrit  fa  phyfique  d'une  obfcurité  im- 
pénétrable :  je  n'en  prends  que  ce  qui 
regarde  la  Cofmogonie.  LeTao,  difoit- 
il,  ou  la  Raifon  a  produit  Un  ,  Un  apro- 
duit  Deux  ,  Deux  ont  produit  Trois  ,  & 
drois  ont  produit  toutes  chofes.  Toute  la 
félicité  de  lhomme  ,  félon  ce  Philofo- 
phe j  confifloit  dans  cet  état  de  lame , 
que  les  Grecs  appelloient  Apathie ,  état 
où  l'homme  fans  crainte  &fans  chagrin, 
doit  être  exempt  de  toute  inquiétude  ; 
&  comme  il  eft  bien  difficile  de  fe  dé- 
livrer de  celle  de  la  mort  &  de  l'ave- 
nir, ceux  quifaifoient  profeiTion  de  cette 
Sefte  ,  sadonnoient  à  la  Magie  &  à  la 
Chimie  ,  pour  trouver  le  fecret  de  de- 
venir immortels  ;  fe  perfuadant  que  par 
le  miniftcre  des  Efprits  qu'ils  invo- 
cjuoient ,  ils  pourroient  enfin  le  trou* 


^ËxplparrUlfl.Liv.ILCnkv.  Vïï.  itf 

ver.  Il  y  en  a  eu  quelques-uns  qui  fe 
font  flattés  de  cette  découverte  ,  pat 
le  moyen  de  certains  breuvages  qu'ils 
compofoient ,  &  plus  d'un  Empereur  eft 
a  fait  inutilement  l'eiTaî. 

Lorfqu'on  connoît  l'efprit  de  Thom* 
me  ,  on  juge  bien  qu'une  Sefte  qui  don- 
noit  de  fi  flatteufes  efperances  ,  fit  bien- 
tôt fortune  ;  &  en  effet  il  y  eut  plu- 
sieurs Mandarins  qui  l'embrafTerent ,  & 
qui  s'adonnèrent  entièrement  aux  pra- 
tiques magiques  qu'elle  prefcrivoit  ; 
mais  elle  fit  de  plus  grands  progrès  en- 
core parmi  les  femmes  ,  naturellement 
curieufes  &  extrêmement  attachées  à  \â 
vie.  Enfin  l'Auteur  de  la  Sefte  fut  mis 
lui  même  au  rang  des  Dieux  ;  on  lui 
éleva  un  Temple  fuperbe ,  &  l'Empe- 
reur Hium-Tfong  fit  porter  dans  fon 
Palais  la  Statue  de  ce  nouveau  Dieu* 
On  donna  à  fes  Difciples  le  nom  de 
Dofteurs  celeftes  ,  &  (es  defeendans 
font  encore  honorés  de  la  dignité  de 
Mandarins.  Ce  font  eux  qui  ont  intro- 
duit cette  multitude  infinie  d'Efprits 
fubordonnés  au  Souverain  Etre  ,  qu'ils 
honorent  dans  des  Temples  &  dans  des 
Chapelles  particulières  ,  &  aufquels  ils 
facrifient  trois  fortes  de  victimes  ,  un 
jço chon ,  un  poiiTon  ;  une  pièce  de  voy 


3^4  taMythologie  &  les  Tables 
îaille.  Ils  ont  porté  même  la  fuperfîî- 
tion  jufqu'à  élever  plusieurs  Empereurs 
au  rang  des  Dieux  ;  &  on  voit  par-là 
que  les  Chinois  ,  gens  d'ailleurs  très- 
fpirituels,  ne  le  cèdent  en  rien  du  côté 
de  la  fuperftition  &  de  l'idolâtrie  ,  aux 
autres  Peuples  ,  qu'ils  fe  font  toujours 
fait  honneur  de  méprifer.  Cette  Sefte  a 
rempli  la  Chine  de  Devins  &  d'im- 
porteurs  ,  qui  impofent  au  peuple ,  8c 
quelquefois  aux  Grands  par  des  pres- 
tiges &  des  cérémonies  magiques  ,  qui 
ne  font  que  trop  capables  de  les  aveu- 
gler. 

Enfin  vers  la  foixante-cmquîéme  an-* 
fiée  depuis  Jefui-Chrift  ,  l'Empereur 
Mingti  donna  lieu  par  une  vaine  eu-* 
rioiîté,  à  rintroduftion  d'une  Sefte  en- 
core plus  dangereufé  :  Phiftoire  que  je 
Vais  en  faire  en  peu  de  mots  ,  rempli- 
ra la  féconde  partie  de  ce  Chapitre ,  fur 
la  Théogonie  des  Indes. 

Cet  Empereur  frappé  de  quelques 
paroles  que  Confucius  avoit  fouvent  re* 
petées ,  fçavoir  ,  que  fétoit  dans  POc- 
cldent  qu'on  trouveroït  le  Saint ,  envoya 
dans  les  Indes  des  Ambaffadeurs  pour 
ïe  chercher ,  &  pour  apprendre  la  Loi 
qu'il  enfeignoit .  Ces  Envoyés  crurent 
gflfîn  l'avoir  trouvé   parmi  les  adora* 


ËxpLpar m^.Liv.ILCHÀP.VII.  i& 

teurs  d'une  Idole  nommée  Fo ,  ou  Foé# 
Ils  tranfporterent  à  la.  Chine  l'Idole  9 
&  avec  les  Fables  dont  les  Livres  In- 
diens étoient  remplis  ,  leurs  fuperfti- 
tions  ,  la  Metempfycofe  ,  &  enfin  l'a- 
théifme.  Ils  rapportèrent  que  dans  cette 
partie  de  l'Inde  que  les  Chinois  appel- 
lent Chun-tien-cho,  Moyé  femme  du  Roi, 
fongea  qu'elle  avaloitun  Eléphant.  Lors 
que  le  temps  de  fes  couches  fut  arrivé  , 
l'enfant  lui  déchira  le  côté  droit  ,  ÔC 
&  dès  qu'il  fut  forti  du  fein  de  fa  mère  * 
il  fe  tint  debout ,  fit  fix  pas  ,  montrant 
d'une  main  le  ciel  ,  &  de  l'autre  la 
terre  ,  &  prononça  ces  mots  :  Il  n'y  a 
que  moi  dans  le  ciel  &  fur  la  terre  ,  qui 
mérite  d?être  honoré  ;  on  lui  donna  le  nom 
de  Che-Kia  5  ou  Cha-Ka.  A  l'âge  de 
dix-neuf  ans  il  abandonna  fes  femmes  , 
fon  fils  ,  &  tous  fes  foins  terreftres  , 
pour  fe  retirer  dans  la  folitude  ,  &  fe 
mettre  fous  la  conduite  de  quatre  Phi-* 
lofophes.  A  tfente  ans  il  fut  tout-à- 
fait  pénétré  de  la  Divinité  ,  &  devînt 
Fo  ,  ou  Pagode  ,  comme  s'expriment  les 
Indiens ,  &  ne  fongea  plus  qu'à  repan-* 
dre  fa  do&rine  de  tous  côtés.  Ses  pre£« 
tiges  furprirent  tout  le  monde  ,  lui  at- 
tirèrent la  vénération  de  tout  le  pays, 
&  un  uomjbre  infini  de  Difciples  >  qui 


fejff  La  Mythologie  &  les  Fabtet 
lui  fervirent  à  infecter  l'Orient  de  fe? 
dogmes  impies.  Les  Chinois  nomment 
cesDifciples  ,  Ho-Chang  ;  les  Tartares, 
Lamas  ,  les  Siamois  Talapoins  ,  &  les 
Japonois  Bonzes  ;  car  cette  Se&e  s'eft 
répandue  chez  tous  les  peuples  que  je 
viens  de  nommer. 

Cependant  Fo  parvenu  à  l'âge  de  7p. 
ans  ,  aflembla  quelques-uns  de  fes  Difr 
ciples  ,  &  après  leur  avoir  expliqué  fa 
doétrme  ,  il  mourut  ;  &  ils  publièrent 
cent  fables  fur  cette  mort.  Comme  la 
Metempfycofe  faifoit  le  principal  arti- 
cle de  cette  doctrine  ,  ils  dirent  que  leur 
Maître  étoit  né  huit  mille  fois ,  Se  qu'il 
âveit  paru  dans  le  monde ,  tantôt  fous 
la  figure  d'un  Singe  ,  tantôt  fous  celle 
d'un  Dragon  ,  d'un  Eléphant ,  Sec.  C'é- 
tait apparemment  pour  établir  le  culte 
de  cette  prétendue  Divinité  ,  fous  le 
fymbole  de  ces  diffèrens  animaux  , 
qui  véritablement  devinrent  l'objet  du 
culte  des  Indiens. 

Les  Chinois  ayant  reçu  cette  Idole, 
lui  élevèrent  une  infinité  de  Temples  , 
Se  fa  Seâe  ,  quoique  toujours  proferite 
par  le  Tribunal  des  Rites  ,  a  fait  dans 
le  pays  des  progrès  infinis  ,  fous  la  di- 
rection des  Bonzes  ,  les  gens  du  mon- 
jle  ks  plus  méprifables ,  les  plus  fujpe*- 


ftkieux  j     &   les   plus  îgnorans. 

Enfin  pour  abbreger  ce  qu'on  trou* 
Ve  très  au  long  au  commencement  du 
troifiéme  Tome  de  l'Hiftoire  de  la  Chi- 
ne ,  par  le  P.  du  Halde  ,  la  do&rine  de 
Fo  fe  divife  en  extérieure  &  en  inte-* 
rieure  :  la  première  ,  remplie  de  fuper-* 
ftitions  groiîîeres  ,  eft  enfeignée  par  le 
plus  grand  nombre  des  Bonzes.  La  fe-* 
conde  eft  refervée  aux  plus  fçavans ,  & 
^lle  confîfte  à  dire  que  le  vuide  eft  le 
principe  &  la  fin  de  toutes  chofes  ;  que 
c'eft  du  néant  que  nos  premiers  Pères 
ont  tiré  leur   origine  ,  &  qu'ils  y  font 
retournés  après  leur  mort  ;  que  le  vuide 
eft  ce  qui  conftitue  notre  être  &  notre 
fubftance  ,  &  que  c'eft  de  ce  néant ,  & 
<lu  mélange  des  élemens  ,  que  font  for- 
ties    toutes  les   productions,  qui  y  re- 
tournent dans  la  fuite  :  enfin  que  tous 
les  êtres  ne  différent  les  uns  des  autres  9 
que  par  leurs  figures  &  leurs  qualités; 
et  ils  prétendent  que  c'eft  ainfi  que  leui 
Maître  mourant  ,  expliqua  fa  doctrine  , 
c'eft-à-dire  ,  fon  athéifme  ,  à  fes  Difci«* 
pies  favoris. 

Je  dirai  peu  des  chofes  de  Théogo- 
nies des  autres  peuples  ;  parce  qu'elles 
paroiifent  peu  fyftêmatiques.  Par  exem-» 
j3le>  4ans  les  Jndes  Orientales  les  Brach* 


JI-J-8  ta  Mythologie  &  les  Fables 
inanes  ont  une  Tradition  de  leur  Dieu 
yichnou  ,  metamorphofé  en  Tortue ,  Se 
51s  difent  pour  l'expliquer  ,  que  par  la 
chute  d  une  montagne  le  monde  corn- 
jnençoit  à  s'ébranler ,  &  à  s'enfoncer  peu 
à  peu  vers  l'abyfme  ,  où  il  auroit  péri 
fi  leur  Dieu  bienfaifant  ne  fe  fût  meta'* 
jnorphofé  en  Tortue  pour  le  foutenir. 

Les  Chinois ,  dont  nous  venons  de 
parler  ,  ont  reçu  cette  Tradition  9  &  ils 
'  fi)Ch.ïi-l,aPpk(ïuent  »  a^nfi  que  le  remarque  le 
Juftw  p.  i87.  Père  Kirker  (i),  à  leur  Dragon  volant , 
qu'ils  difent  être  né  d'une  Tortue  ,  & 
être  devenu  le  foutien  de  Funivers  appuyé 
fur  lui.  Les  Troglodytes  avoient  appa- 
remment parmi  eux  la  même  fable  ,  pui£ 
.tju'ils  avoient  un  grand  refped  pour  la 
Tortue  ,  &  qu'ils  avoient  en  horreur  les 
Helinophages  leurs  voifins  ,  ainfî  nom- 
niés  ,  parce  qu'ils  fe  nouriffoient  de  la 
chair  de  Tortue.. 


ExpLpar  rHlft.LiwîI.Ciî&v.VîI.  *Jf 

II— —  Il  II— IM  —  ■  !  —  — ^— HMI    ■—! ■!  !■■■■■■!    f  ■■■■■M—— 

^— ■« 

CHAPITRE     VIIL 

Théogonie  des  Bramines  des  Indes* 

JE  ne  dois  pas  oublier  la  Théogonie  dé 
ces  Prêtres  des  Indes  que  nous  nom* 
jnons  Bramines  ou  Brachmanes  (à).  Ils 
ont  pris  ce  nom  de  Brahma  ,  qui  félon 
la  do&rine  des  Indiens ,  eft  le  premier 
des  trois  Etres  que  Dieu  a  créés,  &  par 
le  moyen  duquel  enfuite  il  a  formé  le 
monde.  Ce  Brahma  compofa  Se  laifîà 
aux  Indiens  ,  difent  leurs  Bramines  ,  les 
quatre  Livres  qu'ils  appellent  Betk  ou 
Bed  (i)  dans  lefquels  toutes  lesfeiences  &)  V°l*& 
ce  toutes  les  cérémonies  reiigieuies  font  or.p.  i\z% 
comprifes  ;  &  voilà  pourquoi  les  Indiens 
xeprefentent  ce  Dieu  avec  quatre  têtes. 
Le  mot  Brahma  y  dans  la  Langue  In- 
dienne ,  fignifie  celui  quipenetre  toutes  cho* 
fes.  Les  Bramines  compofent  la  première 
&  la  plus  refpeâable  Tribu  des  Indiens, 
&  font  uniquement  deftinés  au  culte  de 
leur  Dieu,  &  aux  cérémonies  de  la  Re- 
ligion. Un  célèbre  Bramine  y  nommé  Be- 
frergir,  communiqua  aux  Mahometans, 

(a)  Ce  font  les  mêmes  que  les  Grecs  nomm  ient  Gymne* 
tbphites,Py  ttogore  avoir  étudié  leur  doctrine  &  leurs  mœur* 


&jp     La  Mythologie  &  les  Tables 
dontilembraffa  la  Religion  ,  VAmberth* 
hend  ,  qui  contient  les  dogmes  des  In- 
diens, 

Le  Père  Kirker  qui  a  fait  graver  la 
figure  du  Dieu  Brahma  ,  s'eft  affez  è- 
tendu  fur  la  Mythologie  des  Indiens  à 
ce  fujet(l).  Les  Dieux  des  Brarrsines  , 
dit  ce  fçavant  Jefuite  ,  font  Brahma  , 
Veine  ou  Vichnou  &  Butzen  ,  &  ils 
font  les  Chefs  de  tous  les  autres  Dieux  , 
dont  le  nombre  va  jufqu'à  trente-trois 
millions  ;  mais  tous  les  hommes  font  for- 
tis  de  Brahma ,  &  ce  Dieu  a  produit  au- 
tant de  mondes  qu'il  y  a  de  parties  dans 
fon  corps.  Le  premier  de  ces  mondes  , 
qui  eft  au  deflus  du  ciel ,  eft  forti  de 
fon  cerveau  ;  le  fécond  ,  de  fes  yeux  ; 
le  troifîéme  ,  de  fa  bouche  ;  le  quatriè- 
me ,  de  l'oreille  gauche  ;  le  cinquième , 
du  palais  &  de  la  langue  ;  le  fixième, 
du  cœur  ;  le  feptiéme ,  du  ventre  ;  le 
huitième  ,  des  parties  que  la  pudeur  en> 
pêche  de  nommer  ;  le  neuvième ,  de  la 
cuifïe  gauche  ;  le  dixième  ,  des  genoux  ; 
l'onzième  ,  du  talon  ;  le  douzième  ,  des 
doigts  du  pied  droit  ;  le  treizième  ,  de 
la  plante  du  pied  gauche  ;  &  le  quatorz- 
ième enfin  ,  de  l'air  qui  l'environnoit 
dans  le  temps  de  ces  productions.  Si  on 
demande  aux  Braminçs  les  raifons  d'unç 

Jheologie 


BxplparrHiJ}.LivJI.CHA?.VIlL2^t 

Théologie  fi  impertinente  ,  ils  répon- 
dent que  les  différentes  qualités  des  hom- 
mes y  ont  donné  lieu.  Les  Sages  &  les 
Sçavans  defïgnent  le  monde  forti  du  cer- 
veau de  Brahma  ;  les  gourmands  vien- 
nent de  fon  ventre  ;  ainïî  des  autres.  De- 
là l'attention  que  ces  Prêtres  ont  à  la 
phylîonomie  &  aux  qualités  personnel- 
les ,  .prétendant  par-là  deviner  à  quel 
monde  chacun  appartient. 

Lorfqu'on  eft  une  fois  livré  à  la  fu~ 
perflition,  il  n'y  a  point  d'égarement  o& 
Ponnepuiffe  tomber.  Ces  mêmes  Bra- 
mines  ont  imaginé  fept  mers:  une  d'eau  9 
une  de  lait,une  de  fromage  caillé.une  qua- 
trième de  beurre  ,  une  cinquième  de  fel , 
une  fixiéme  de  fucre,&  enfin  une  feptiéme 
de  vin  ;  &  chacune  de  ces  mers  a  fes  Pa- 
radis particuliers  ,  dont  les  uns  font  pour 
les  fages  &  les  gens  d'efprit ,  &  les  au- 
tres pour  les  fenfuels  &  les  voluptueux  ; 
avec  cette  différence  que  le  premier  de 
ces  Paradis  ,  qui  nous  unit  intimement  à 
la  Divinité  ,  n'a  befoin  d'aucune  autre 
forte  de  délices  ;  au  lieu  que  les  autres 
font  remplis  de  tous  les  plaifirs  que  l'on 
peut  imaginer. 

Il  paroit  par  ce  que  je  viens  de  dire, 
que     £es    Indiens     fuivent    l'ancienne 
doftrine  des  Egyptiens  ,  que  l'Auteur 
Tome  I  *  L 


&±2    La  Mythologie  &  les  Fables 
tjue  je  viens  de  citer  nomme^^pp?*^^ 
(i)  Voyez ou  Métamorphofe  divine  (i). 
)ediP.  Egypt.      On  ne  parle  pas  ici  des  autres  rêve- 
îumên^Au—çg   des   lnc}iens   fur  la  formation    du 

sur»  .,  .  ^  f>> 

inonde  ,  qu  ils  croient  être  un  Ouvra- 
ge filé  par  une  araignée  ,  &  qui  fera 
détruit  lorfque  l'ouvrage  rentrera  dans 
le  ventre  de  cet  infefte  ;  parce  que  ce- 
la regarde  plus  la  Cofmogonie  que  la 
Théogonie  ,  qui  doit  être  le  principal 
objet  de  ce  Chapitre. 


o 


CHAPITRE    IX. 

Théogonie  des  Amerïquàins, 

N  ne  doit  pas  s'imaginer  que  les 
Sauvages  de  l'Amérique  ,  peuples 
errants  &  vagabonds,  fe  foient  jamais  ap- 
pliqués à  former  un  fyflême  de  Religion, 
On  trouve  cependant  parmi  quelques- 
uns  d'eux  des  traditions  ,  qui  peuvent 
former  une  efpece  de  Théogonie.  Voi- 
U)  Menu*  ci,  félon  le  Père  Laffiteau  (2)  ,  com- 
tes sauvages  ?  ment  les  Iroquois  ,  qui  font  parmi  ces 
IVi&'i»-  Sauvages   une  des   plus   confiderables 
ytarto.  Nations  ,  racontent  l'origine  du  monde. 

Dans   le  commencement  ,  il  y  avoit  , 
difent-ils ,  iîx  hommes  (  les  Peuples  dir 


TSxpLpar  PHift.  Liv.  IL  Chàï».  IX.  24? 
Pérou  &  du  Brefîl  conviennent  d'un  pa- 
reil nombre  :  )  comme  il  n'y  avoit  point 
alors  de  terre,  ces  hommes  étoient  por- 
tes dans  les  airs  au  gré  des  vents.  N'ayant 
point  de  femmes  ,  ils  voyoient  bien  que 
leur  efpece  alloit  finir;  mais  ayant  appris 
qu'il  y  en  avoit  une  dans  le  Ciel ,  il  fut 
refolu  que  l'un  d'eux ,  nommé  le  Loup, 
s'y  transporterait.  L'entreprife  étoit  dif- 
ficile &  dangereufe  ;  mais  les  oifeaux  l'y 
élevèrent  fur  leurs  ailes.  Lorfqu'il  y  fut 
arrivé ,  il  attendit  que  cette  femme  fortît 
à  fon  ordinaire ,  pour  aller  puifer  de  l'eau. 
L'ayant  apperçuë  ,  il  lui  fit  quelque  pré- 
fent  &  la  féduifît.  Le  Maître  du  Ciel 
s'en  étant  apperçu ,  la  chaffa  ;  ôc  une 
Tortue  la  reçut  fur  fon  dos.  La  Loutre 
&  les  Poiflbns  puifant  de  la  boue  dans 
le  fond  de  l'eau  ,  formèrent  du  corps 
de  la  Tortue  une  petite  Ifle ,  qui  s'a- 
grandit peu- à-peu  ;  &  voilà ,  félon  ces 
Sauvages  ,  quelle  eft  l'origine  de  notre 
terre. 

Cette  femme  eut  d'abord  deux  en- 
fans  ,  dont  l'un  qui  avoit  des  armes  ofFen- 
fives ,  tua  fon  frère  qui  n'en  avoit  point. 
Dans  la  fuite  elle  accoucha  de  plufîeurs 
enfans  ;  dont  les  autres  hommes  font 
fortis. 

-  Cette  tradition  ,  fi  elle  eft  exa&ement 

Lij 


244  La  Mythologie  &  les  Table* 
rapportée  ,  eft  fans  doute  un  refte  de  lai 
première  Hifloire  du  monde,  d'Eve  chaf- 
fée  du  Paradis  terrefîre  ,  ■&  du  meurtre 
d'Abel  par  Caïn.  Car  enfin  ,  il  fe  peut 
que  ces  Sauvages ,  venus  des  autres  hom- 
mes vay  eut  confexvé  un  fouvenir ,  qu'ils 
Gnt  bien  pu  altérer  ,  mais  non  pas  effa- 
cer totalement  de  leur  mémoire. 

Quoique  nous  ne  connoifïïons  pas  les 
traditions  des  autres  peuples  de  T Amé- 
rique 9  il  y  a  bien  de  l'apparence  qu'ils 
penfoient  la  plupart  comme  les  Iroquois , 
p.uifque  les  peuples  du  Pérou  Se  du  Brefil 
dans  l'Amérique  méridionale ,  convien- 
nent du  nombre  d'hommes  qu'il  y  avoit 
dès  le  commencement ,  ainiî  qu'on  vient 
de  le  dire.  Mais  ce  n'eft  p.as  feulement 
par  leur  Théogonie  que  les  Ameriquains 
ont  égalé  les  Grecs  &  les  autres  peuples 
de  notre  continent,  dans  le  bizarre lif- 
terne  qu'ils  ont  imaginé  touchant  leur 
origine  ;  ils  leur  relTemblent  encore  aflez 
fouvent  par  leurs  fables.  Ils  croyent , 
par  exemple  ,  que  la  pluye  venoit  de  ce 
qu'une  jeune  fille  qui  étoit  dans  les  nues, 
jouant  avec  fon  petit  frer.e  ,  il  lui  cafloit 
fa  cruche  pleine  d'eau.  Cda  ne  reflem- 
ble-t-il  pas  fort  à  ces  Nymphes  des  Fon- 
taines ,  &  à  ces  Dieux  des  Fleuves  qui 
v.erfent  de  l'eau  de  dedans  leurs  Urnes  ? 


Explpar  PHift.  Liv.  IL  Chat.  IX.  24^ 

Ils  étoient  perfuadés  aufîï  comme  les 
Grecs,  qu'il  y  aVoit  des  Dieux  qui  ha- 
bitoient  dans  les  Fleuves  &  les  autres 
amas  d'eau,  puifqu'en  une  de  leurs  fêtes, 
les  Peuples  du  Mexique  noyoient  fo- 
lemnellement  un  petit  garçon ,  pour  te- 
nir compagnie  à  ces  Dieux.  Selon  les 
traditions  du  Pérou  ,  l'Ynca  Manco- 
Guina-Capac  ,  fils  du  Soleil ,  trouva 
moyen  par  fon  éloquence  de  retirer  du 
fond  des  forêts  les  habitans  du  pays  , 
qui  y  vi  voient  à  la  manière  des  bêtes, 
&  il  les  fit  vivre  fous  des  Loix  raifon- 
nables.  Orphée  en*  fit  autant  pour  les 
Grecs  ,  &  il  paflbit  auffi  pour  être  fils 
du  Soleil.  Il  eft  fîngulier  que  les  ima- 
ginations de  ces  dieux  Peuples ,  û  éloi- 
gnés les  uns  des  autres ,  fe  foient  ac- 
cordées à  croire  fils  du  Soleil ,  ceux 
qui  avoient  des  talens  extraordinaires. 
Si  les  Grecs  ,  &  à  leur  imitation  nos 
anciens  Gltilois  ,  avoient  un  refpeft  re* 
ligieux  pour  les  arbres,  &  croyoient 
qu'ils  étoient  le  féjotir  des  Dryades  & 
des  Hamadryades  ,  les  Abenaquis,  ainfî 
que  le  rapporte  le  P.  Laffiteau  ,  (a)  a- 
voient  un  arbre  célèbre  dont  ils  raCOn- 
Çd)  Mœurs  des  sauvages ,  Tome  I.  page  149.  Comme  j'ai 
tiré  de  cet  Ouvrage  la  plupart  des  exemples  dont  je  me  fers  ? 
iliiifiù  de  l'avok  cité  une  fois. 

L  iij. 


2^6  La  Mythologie  &  les  Fables 
toient  plufieurs  merveilles,  &  qui  étoic 
toujours  chargé  d'offrandes  ;  &  ils  ne 
doutoient  pas  qu'il  n'eût  quelque  chofe 
de  divin.  On.  trouve  même  parmi  eux 
qu'ils  avoient  des  Bois  facres  ,  à  peu 
près  comme  tout  le  refte  du  monde  ido- 
lâtre. 

Pour  ce  qui  regarde  les  Sortilèges  , 
les  Evocations ,  les  Devins ,  les  Enchan- 
temens ,  ces  Peuples  du  nouveau  monde 
ne  reffemblent  que  trop  à  ceux  de  l'an- 
cien :  même  croyance  partout  fur  ces 
Génies  bienfaifans  ou  malfaifans ,  dont 
on  s'imaginoit  que  l'Univers  étoit  rem- 
pli, aufquelsprelidoit,  comme  le  Maître 
Se  le  fouverain  des  autres  Dieux  ,  le 
Jfâanttou  des  nations  Algonquines  ,  le 
Oiemitn  des  Caraïbes  ,  YOkki  ou  YAres- 
Koiû  des  Hurons.  Pour  les  fêtes  &  les 
myfteres  ,  qu'on  life  l'Auteur  que  je 
viens  de  citer,  &on  trouvera  que  celles 
des  Ameriquains  avoient  beaucoup  de 
rapport  avec  les  Orgies  des  Grecs.  Sur 
l'immortalité  de  Tarne  ,  &  fon  état  après 
la  mort ,  les  Sauvages  ont  penfe  à  peu 
çrès  comme  les  Grecs  ,  dans  le  temps 
xnême  qu'ils  ont  été  le  plus  civilifés.  Les 
Ameriquains  ne  croyoient-ils  pas  que 
les  âmes  de  ceux  qui  avoient  mal  vécu  , 
alloient  habiter  certains  Lacs  bourbeux 


Explpar  PHift.  Liv.  IL  Chàp. IX.  247 
&  defagréables ,  comme  les  Grecs  les 
cnvoyoient  fur  les  bords  du  Styx  &  de 
l'Acheron  ?  Ne  penfoient-ils  pas  aufli 
que  les  âmes  de  eeux  qui  avoient  mené 
une  vie  régulière  ,  avoient  pour  féjour 
des  lieux  agréables  ,  allez  reiTemblants 
aux  Champs  Elyfées  ?  Ils  ont  comme 
les  Romains  leurs  pleureufes  à  gages  > 
font  comme  eux  les  feftins  pour  les  morts;  d)  voyex 
&  ce  qui  eft  encore  plus  frappant ,  ils  5e  ?u'?n  ,dira 

1.n.       *  t     r~,  rr^  ,      la-deflus  dans 

diitinguent  comme  les  Lrrecs  ,   lame  de  utroifiéme 
fon  ombre  &  de  fon  fïmulachre  ,   (1)  &  [f^ny? 
croyent  que  pendant  que  Famé  eft  dans 
un  féjour  délicieux  ,  l'ombre  erre  autour 
du  lieu  de  la  fépulture. 

Le  feu  facré ,  confervé  par  prefque 
toutes  les  Nations  du  monde  ,  comme 
je  le  dirai  dans  l'Article  de  Vefta  ,  étoit 
auiîî  l'objet  du  culte  fuperftitieux   des 
habitans  de  l'Amérique.  Les  Nations  les 
plus  voifînes  de  Y Afie ,  ont  des  Temples  5 
où  le  feu  facré  eft  entretenu  avec  foin  ; 
&  ces  Temples  font  la  plupart  faits  en 
rotonde  \  comme  l'étoient  ceux  de  Vefta. 
Dans  la  Louïfîane  ,  les  Natchez  en  ont 
un  où  une  garde  veille  fans  ceiTe  à  la 
confervation  du  feu  qu'on  ne  lailTe  jamais 
éteindre.  Perfonne  n'ignore  combien  ces 
Temples  étoient  célèbres  fous  le  règne 
«îes  Yncas  ;  mais  ce  qui  parut  bien  fm~ 

Liiij 


'248     La  Mythologie  &  les  Fables 
prenant  .    c'ét oient  ces  Communautés 
de  filles  deftinées  au  fervice  du  Soleil, 
dont  lesLoix  étoient  encore  plus  feveres 
(0  Garcii-  que  celles  des  Veftales  Romaines ,  (  1  ) 
ulfo,  L.  *- 1-  &  }es  châtimens ,  lorfqu'elles  manquoient 
à  leurs  vœux,  précisément  les  mêmes, 
puifqu'onîes  enterroit  toutes  vives.  Ceux 
^ui  les  avoient  féduites  étoient  punis 
bien  plus  rigoureufement  qu'à  Rome , 
puifque  la  peine  s'étendoit  non  feulement 
fur  toute  la  famille  ,  mais  encore  fur  le 
lieu  où  ils  étoient   nés  ;  on  en  faifok 
périr  absolument  tous  les  habitans  ,  & 
on  n'y  laiflbit  pas  pierre  fur  pierre.  Le 
feu  facré  étoit  également  refpe&é  dans 
le  Mexique ,  &  confié  à  des  Veftales 
qui  menoient   une  vie  très-reguliere  ; 
&  fi  les  Sauvages  de  ce  vafte  continent 
n'avoient  pas  tous  des  Temples  pour  l'y 
entretenir .  les   falles  de  leur  Confeil , 
faites  à  peu  près  comme   les  Prytanes 
des  Grecs  ,    étoient  employées  à  cet 
ufage ,  principalement  chez  les  Iroquois 
&  les  Hurons. 

Les  Idoles  ,  fouvent  monftrueufes  , 
comme  dans  notre  continent ,  ou  char- 
gées de  fymboles  ,  comme  celles  que 
nous  nommons  Panthées  ,  ou  quelque 
fois  même  femblables  à  celles  de  Priape , 
prouvent  que.  les  Peuples  dont  je  parle  } 


ExpLparPHift.Liv.ïl.CHAV.IX.  249 
ne  le  cedoient  en  rien  à  ceux  du  pays 
que  nous  habitons  ,  par  l'extravagance 
de  leur  Idolâtrie  &  de  leurs  Fables.  La 
corruption  du  cœur  humain  pouvoit- 
elle  manquer  de  placer  fur  les  Autels, 
tout  ce  qui  flattoit  le  crime  6c  le  dérègle-- 
ment  des  mœurs  ? 

La  coutume  de  facrifier  dans  les  lieux 
élevés  ,  coutume  û  ancienne  &  tant  de 
fois  reprochée  par  les  Prophètes  aux 
Peuples  idolâtres,  étoitauflî  connue  chez 
les  Ameriquains.  On  n^a  qu'à  lire  pour 
s'en  convaincre ,  la  Relation  du  Sieur 
de  Rochefort,  (1)  dans  l'endroit  où  (,)H^r. 
il  parle  de  la  montagne  d'Olamii  ,  fur  Mer.  des iût# 
laquelle  les  Apalachites ,  Peuples  de  la  Anîllies- 
Floride,  vont  tous  les  ans  facrifier  au 
Soleil,  dans  une  Caverne  qui  fert  de 
Temple  à  cette  Divinité.  Leur  refpeft 
pour  des  Idoles,  qui  ne  font  que  des 
pierres  informes  ,  ou  quelquefois  d'une 
figure  conique ,  prouve  encore  que  leur 
Idolâtrie  reflembloit  à  celle  des  Anciens, 
qui  avant  l'art  de  la  Sculpture,  hono- 
roient  de  femblables  pierres  ,  ou  de 
fimples  colonnes,  comme  nous  le  dirons 
ailleurs* 

Les  Sacrifices  de  ces  Sauvages  étoient 
d'abord  très-fimples ,  comme  ils  l'étoient 
parmi  les  premiers  Idolâtres  de  notre 

Lv 


2 yo  La  Mythologie  &  les  Tables 
monde  ;  &  cette  {implicite  dure  encore 
parmi  quelques-unes  de  leurs  Nations, 
où  l'on  fe  contente  d'offrir  aux  Dieux 
les  fruits  de  laterre,ou  de  leur  faire  des 
libations  avec  de  Peau.  D'autres  at- 
tachent à  des  arbres  ou  à  des  colonnes 
les  peaux  des  animaux  qu'ils  ont  tués 
à  la  chaffe  :  il  y  en  a  qui  jettçnt  dans 
le  feu  quelques  feuilles  de  Tabac ,  en 
Phonneur  du  Soleil ,  Se  dans  les  fleuves 
&  les  rivières  ,  pour  appaifer  les  Génies 
qui  y  préiident.  Les  Caraïbes  offrent  la 
Cajfave  Se  VOuicou ,  c'eft-à-dire  ,  leur 
pain  &  leur  boiffon ,  aux  Dieux  qui  veil- 
lent à  la  confervation  de  ces  plantes , 
comme  les  Grecs  &  les  autres  Peuples 
offiroient  leurs  facrifices  à  Bacchus  &  à 
Cerès.  Qu'importe  que  les  noms  de  ces 
Dieux  ne  foient  pas  les  mêmes  dans  les 
deux  continents  ;  ce  font  toujours  les 
mêmes  idées  ,  Se  précifément  la  même 
forte  d'Idolâtrie. 

Mais  comme  dans  PAmerique  ,  ainfii 
que  parmi  nous ,  ces  mœurs  antiques  ne 
fubfifterent  pas  toujours  dans  cette  pre- 
mière llmplicité  ,  qui  fait  le  cara&ere  des 
premiers  temps  parmi  tous  les  peuples 
du  monde  ;  ceux  dont  nous  parlons  por- 
tèrent y  comme  lesPayens  de  notre  con- 
tinent ,  la  fuperftition  envers  leurs  Dieux^ 


Explparmijl.  Liv.  ILCitap.  IX.  25-  r 

jufqu'à  leur  immoler  des  Viétimes  hu- 
maines. Ces  fortes  de  facrifices  étoient 
en  ufage  fur-tout  dans  le  Mexique  ,  ôç 
s'ils  étoient  moins  connus  parmi  les  autres 
Sauvages  ,  il  y  en  avoit  cependant  qui 
dans  une  faifon  de  rannée,offroient  leurs 
enfans  aux  Dieux  qui  veilloient  à  la  con- 
fervation  des  fruits  de  la  terre.  La  Re- 
lation du  Sieur  le  Moyne  de  Mourgues 
nous  apprend  que  dans  cette  partie  de 
la  Floride,  qui  eft  proche  de  la  Vir- 
ginie ,  les  Peuples  de  cette  contrée  qui 
regardent  leurs  Chefs  comme  les  fils  du 
Soleil  ,  offrent  à  cetaftre,  leur  grande 
Divinité ,  leurs  enfans  en  facrifice,  com- 
me les  Chananéens  lesimmoloientàleur 
Moloch  ,  qui  étoitauiïï  le  Soleil  ;  avec 
cette  différence  feulement ,  que  ceux- 
ci  les  faifoient  brûler  dans  le  fourneau 
qui  étoit  pratiqué  dans  leur  Idole ,  com^ 
me  je  le  dirai  en  parlant  de  ce  Dieu  3 
au  lieu  que  ceux-là  les  affommoient  au 
milieu  de  l'afTemblée  du  peuple  >  &  en 
préfence  du  Chef  ,  qui  repréfentoit  lui- 
même  le  Dieu  dont  on  le  croyoit  kx 
fils. 

Les  Sacrifices  dans  le  nouveau  mondé 
comme  dans  l'ancien  ,   étoient  accom- 
pagnes d'inftrumens  \  de  danfes  ,    &.de 
toutes  les  marquas  aune  allegreiTe  pu- 
ll vj 


2$  2  La  Mythologie  &  tes  Tables 
blique  ;  mais  je  ne  poufferai  pas  plus 
loin  ce  parallèle  ,  pour  lequel  il  faudroit 
copier  l'Ouvrage  que  j'ai  cité  y  où  le 
fçavan*  Auteur  entre  dans  des  détails 
très-finguliers  :  ce  que  je  viens  de  dire 
fuffit  pour  faire  eonnoître  que  Fefprit 
de  l'homme ,  abandonne  à  fes  propres 
lumières  ,  n'eft  porté  qu'à- Terreur  &  à 
Tilluiion  ,  &  que  malgré  le  rafinement 
des  Nations  les  plus  policées ,  on  a  pen- 
ié  àpeu-près  de  même  dans  tous  les  lieux 
du  monde  oùia  véritable  Religion  n'a  pas 
été  connue. 

Enfin  il  y  a  peu  de  Pays  où  l'on* 
n'ait  trouvé  des  Fables  à  peu-près  fem- 
blables.  Partout  des  idées  prodigieufes-i 
des  hommes  extraordinaires ,  qui  fe  dî- 
foient  les  enfans  du  Ciel ,  ou  des  Etoiles , 
ou  des  Fleuves ,  &c.  Partout  des  fourbes-* 
qui  ont  voulu  împofer  par  l'hiftoire  d'une 
naiffance   extraordinaire   Se    fînguliere. 
Les  Eyptiens  ,  lés  Phéniciens ,  defqueta 
les  Grecs  &  lé&  Romains  ont  tiré  leurs 
Fables  3  ne  font  pas  les  feuls  qui  en  ont 
inventé  :   on  en  trouve  de  fémblables 
aux  leurs ,  chez  d^s  Peuples  qu'on-  ne 
foupçonne  pas  les  avoir  apprifes  d'eux». 
Kai-Souven  fe  vantoit  d'être  né  du  Diea 
d'un  Fleuve ,  pour  féduire  plusaifément 
h$  Peuples  de  la  Corée  par  l'éclat  d$ 


Expl.parPHifl.Lw.il.  Chàp  J5T.  2;3 

cette  naifTance  imaginaire.  Il  falloit  bien 
que  les  Coréens  attribuaient  la  Divi- 
nité aux  Fleuves  &  aux  Montagnes ', 
comme  les  Grecs  &  les  Romains  ,  puis- 
que lorfqu'iis  furent  devenus- tributaires 
de  la  Chine,  l'Empereur  confirma  leur 
Roi  dans  le  privilège  dont  il  jouifïbk 
de  facrifîer  feul  aux  montagnes  &  aux 
fleuves. 

L'origine  d'un  Peuple  de  Tartares 
Orientaux  ,  nommés  Kao-Kiuli ,  de  là 
race  des  Fou-Ya  ,  reffemble  aflfez  pour 
les  Fables  dont  elle  eft  mêlée  ,  à  nos 
Mions  d'Occident  ;  &  l'Hiftoire  Ro- 
maine ,  toute  grave  ôc  ferieufe  qu'elle 
eft,  nous  prefente  des  idées  iembla- 
bles  à  celle  que  je  vais  rapporter  de 
ces  Peuples.  Le  Prince  des  Kao-Kiuli 
avoit  en  la  puiflance  une  fille  du  Dieu 
Hohang-Ho ,  qu'il  tenoit  renfermée  dans 
une  prifon.  Un  jour  qu'elle  fut  frappée 
de  la  réverbération  du  Soleil \  elle  con- 
çut; &  elle  accoucha  d'un  Oeuf ,  qu'on 
rompit-,  &  dans  lequel  on  trouva  un 
enfant  mâle.  Lorfqu'il  fut  grand  ,  on 
lui  donna  le  nom  deTchu-Motig ,  qui 
fignifie  un  bon  Nocher.  Le  Roi  du  Pays, 
qui  le  prit  en  affe&ion ,  le  mena -un  jour 
à  la  chafle  ,  &  ayant  vu  fon  adrefle,.  il 
conçut  de  la  jaloufie  contre  lui.  Tçhu^ 


£5*4  La  Mythologie  &les  Fable f 
Mong  s'en  étant  apperçu,  pritlafuke; 
&  prêt  à  tomber  entre  les  mains  de 
ceux  qui  le  pourfuivoient ,  au  paffage 
d'une  Rivière  ;  il  adrefla  fa  prière  au 
Soleil  fon  père.  Alors  les  poifïbns  de 
la  Rivière  ayant  paru  fur  la  furface  de 
l'eau,  lui  fournirent  un  pont  fur  lequel 
il  la  traverfa.  Les  Fables  de  la  naiffance 
de  Perfée ,  &  de  celle  des  enfans  de 
Leda  ,  font  -  elles  moins  extravagan- 
tes ?  O) 

Si  nous  connoifTons  des  Peuples  quï 
facrifioient  leurs  enfans  à  leurs  faufles 
Divinités  ,  &  fi  les  Grecs  immolèrent 
Iphigenie  pour  obtenir  un  vent  favora- 
ble ,  le  Père  du  Halde  ne  rapporte-t-il 
pas  qu'on  lit  dans  les  Hiftoires  les  plus 
anciennes  ,  qu'il  y  a  des  Infulaires  dans 
la  mer  Orientale  ,  qui  vont  tous  les  ans 
pendant  la  feptiéme  Lune  ,  noyer  fo~ 
lemnellement  une  jeune  Vierge  f 

SI  les  Romains  publièrent  que  leur 
Janus  avoit  deux ,  &  même  quatre  fa- 
ces ,  comme  on  le  voit  fur  des  monu- 
mens  anciens  ,  les  Indiens  n'ont-ils  pas 
leur  Idole  Menipe  ,  qui  a  plufîeurs  tè- 
tes de  différentes  figures  ?  Ces  mêmes 
Indiens  ne  publient-ils  pas  qu'il  y  a  un 

(*}   Voyez  le  quatrième  Vcîume    de  FHiftoiie    cfe 
h  Chine  du  Père  du  Haide,pag.  343. 


Expl.  par  VHift.  Lïv.II.Ctf  À?.  IX.  4 jtf 
Pays  ,  où  les  hommes  ont  deux  vifages^ 
qu'ils  font  d'ailleurs  très  -  farouches  , 
qu'ils  n'ont  aucun  langage  ?  &  fe  laif- 
fent  mourir  de  faim  quand  on  les  a  pris  ? 
Ils  ajoutent  qu'on  en  avoit  pris  un  vêtu 
de  toile  ,  qui  fortoit  de  la  mer  :  hiftoire 
à  peu  prés  femblable  à  celle  d'Oannès* 
dont  on  a  parlé  plus  haut. 

Si  les  Egyptiens ,  &  Pythagore  après 
eux  ,  ont  enfeigné  la  Metempfycofe  , 
cette  doctrine  n'eft-elle  pas  répandue 
dans  toutes  les  Indes  ,  &  ne  fait-elle  pas 
le  fond  de  l'idolâtrie  deFoé?  Ce  qui  efl 
fi  vrai  que  le  grand  Lama  ,  qui  fe  dit  un 
Fo  vivant ,  publie  qu'il  eft  né  plufieurs 
fois ,  8c  qu'il  renaîtra  encore  ;  enforte 
que  quand  il  meurt  ,  on  cherche  avec 
foin  l'enfant  fous  la  figure  duquel  il  re- 
paraît ,  pour  le  mettre  à  fa  place  :  & 
quoiqu'on  voye  bien  que  c'eft  un  en- 
fant qu'il  a  fçu  difpofer  à  lui  fucceder, 
&  dont  les  autres  Lamas  fes  confidens 
fçavent  le  myftere  ,  cependant  ce  jeu 
dure  depuis  plufieurs  fîécles,  fans  que 
le  peuple  ait  là-deffus  la  moindre  mér 
fiance. 

On  a  dit  dans  l'origine  des  fables 
qu'une  Philofophie  groflïere  avoit  don- 
né lieu  à  en  introduire  un  grand  nom- 
bre :  peut-être  n'y  en  eut-il  jamais  une 


5 J 6  La  Mythologie  &  les  Fables 
aufli  extraordinaire  dans  la  Grèce  ,  que 
l'étoit  celle  des  Philofophes  Chinois  au^ 
fujet  du  flux  &  reflux  de  la  mer.  Une 
Princeffe  ,  difoient-ils ,  eut  cent  enfansy 
cinquante  habitèrent  les  rivages  de  la 
mer ,  &  les  cinquante  autres  les  monta- 
gnes. De-là  vinrent  deux  grands  Peu- 
ples ,  qui  ont  fouvent  guerre  enfemble*. 
Quand  ceux  qui  habitent  les  rivages  ont 
l'avantage'  fur  ceux  des  montagnes ,  Se 
les  pouffent  devant  eux ,  c'eft  le  flux  ; 
quand  ils  en  foat  repoufTés  &  qu'ils 
ftiyent  des  montagnes  vers  les  rivages, 
c'eft  le  reflux.  Cette  manière  de  philo- 
fopher  ,  dit  Monsieur  de  Fontenelîe  de 
qui  j'ai  emprunté  ce  trait,  reffemble  af- 
£ez  aux  Metamorphrofes  d'Ovide  :  tant 
il  eil  vrai  que  la  même  ignorance  a  pro- 
duit à  peu  près  les  mêmes  effets  chez: 
tous  les  Peuples. 

Telles  font  les  Cofmogonies  &  les* 
Théogonies  des  Peuples  les  plus  an- 
ciens. Les  autres  dont  la  Religion  & 
les  fables  entreront  dans  la  fuite  de  cet 
ouvrage,  quoique  livrés  aux  ténèbres 
de  l'Idolâtrie  la  plus  grofliere  ,  n'a-* 
voient  pas  Tefprit  affez  phiîofophique 
pour  rien  imaginer  fur  la  formation  du 
monde  ,  ou  fur  l'origine  des  Dieux  y 
qu'ils  fe  contenaient-  d'honorer  fui^ 
vaut  h  tradition  de  leur  pays. 


ExplparPHiJï.Ln.ll.  Chàp.X.  i<tf 

CHAPITRE    X. 

De  la  Théologie  Payenne,  &  en  particulier 
de  celle  des  Poètes, 

AP  r  F*  s  avoir  expofé  les  différen- 
tes Théogonies  des  Anciens, c'eft- 
à-dire ,  les  Théologies  particulières  à 
chaque  nation  ,  il  ne  fera  pas  inutile  de 
faire  connoître  plus  en  particulier  la 
Théologie  générale  du  Paganifme,  fur- 
tout  celle  des  Grecs  &  de  leurs  Poètes. 
Mon  deffein  n'eft  pas  d'en  développer 
toutes  les  horreurs ,  la  chofe  feroit  au- 
jourd'hui inutile.  Les  premiers  Pères 
de  l'Eglife  T  &  les  Apologifîes  de  la 
Religion  Chrétienne  ,  qui  s'y  trou- 
voient  obligés  ,  puifqu'il  étoit  nécef- 
faire  de  fapper  les  fondemens  du  Paga- 
nifme ,  qui  étoit  la  Religion  dominante 
de  leur  temps  ,  ont  dû  le  faire  ,  &  ils 
s'en  acquittèrent  avec  tant  d'érudition 
&  tant  de  force  ,  qu'ils  obligèrent  enfin 
les  Philofophes  les  plus  éclairés ,  à  ex- 
pliquer par  des  allégories. ,  fouvent  in- 
génieufes ,  un  fyftême  dont  l'expofîtion 
feule  faifoit  horreur.  Ce  fut  là  où  les 
reduifirent  S^  Ju(tiu ,  Arnobe,  Athe- 


25*8  La  Mythologie  &  les  Fables 
nagore ,  La&ance  ,  Clément  d'Alexan- 
drie ,  Minucius  Félix  ;  mais  fur -tout 
Tertullien  parfon  Apologétique,  Tune 
des  plus  excellentes  pièces  que  l'anti- 
quité nous  ait  confervée  ,  &  S.  Auguf- 
tin ,  dans  fa  Cité  de  Dieu  ;  ouvrage 
qu'on  peut  regarder  indépendamment 
des  autres  vues  de  fon  Auteur  ,  comme 
un  tréfor  de  Littérature  profane. 

A  parler  exactement ,  les  Philofophes 
n'attendirent  pas  le  temps  des  grands 
hommes  que  je  viens  de  nommer,  pour 
appercevoir  le  ridicule  de  leur  Théolo- 
gie. L'allégorie  avoit  commencé  ave- 
nir au  fecours  des  fables  monftrueufes, 
mêlées  avec  la  Religion,  plus  de  400. 
ans  avant  l'Ere  Chrétienne.  Platon  l'a- 
voit  mife  en  ufage  ,  &  (es  Difciples  la 
firent  valoir.  Pythagore  même ,  long- 
temps avant  Platon  ,  avoit  expofé  la 
Religion  dominante  de  fon  temps  ,  d'u- 
ne manière  qui  en  faifoit  difparoître  une 
partie  des  abfurdités  ;  mais  ce  que  j'ai 
voulu  dire  ,  c'effc  que  cette  même  allé- 
gorie ,  ne  fut  jamais  plus  en  vogue ,  que 
du  temps  de  Jamblique  &  de  Porphyre, 
qui  vivoient  l'un  &  l'autre  dans  les  pre* 
miers  fiecles  du  Chriftianifme.  J'exa- 
minerai ,  dans  les  réflexions  que  je  ferai 
•fur  l'Idolâtrie ,  le  peu  de  fuccès  qu'eut 


ExpLparPHijl.Liv.il.  Cjhav.X.  25$ 
la  manière  allégorique  d'exp  iquer  les 
fables  &  les  myfteres  de  la  Religion  ; 
&  je  ferai  voir  que  malgré  les  fubtilités 
des  Philofophes  qui  Pemployoient ,  cet- 
te même  Religion  &  les  fables  ,  fur  les- 
quelles elle  étoit  fondée ,  fubfiflerent 
toujours  ,  jufqu'à  la  deftruétion  entière 
du  Paganifme.  Entrons  maintenant  en 
matière. 

Varron  diftinguoit  trois .  fortes  de 
Théologies  ,  la  Fabuleufe ,  f**?*?*  >  la 
Phyfïque  fwii  &  la  Politique  y**htrix& , 
ce  que  S.  Auguftin  traduit  par  ces  mots, 
fabularis  ,  naturalis  ,  W  philofophica , 
civilis.  La  première  étoit  la  Théologie 
des  Poètes  ;  la  féconde  ,  celle  des  Phi- 
lofophes ;  &  la  troifiéme ,  celle  des  Mi- 
niftres  de  la  Religion.  Varron  a  tâché 
de  faire  valoir  cette  diftin&ion  ,  dont 
on  croit  auteur  Quintus  Scevola ,  fou- 
verain  Pontife  ,  celui-là  même  qui  fut 
tué  par  un  de  ces  meurtriers  qu'em- 
ployoit  Marius. 

La  Théologie  des  Poètes  étoit  rejet- 
tée  par  les  fages  du  Paganifme.  Varron, 
ainfi  que  le  rapporte  S.  Auguftin  (1),  (0  Deciri 
avouoit  qu'elle  mettoit  fur  le  compte  Dcu 
des  Dieux  ,  des  aftions  qu'on  auroit 
honte  d'attribuer  au  dernier  des  hom* 
jnçs.   Denique>  in  hac  omnia  Dits  attri+ 


'2.6o  La  Mythologie  &  les  Fables 
huuntur ,  quœ  non  modo  in  hominem  >feà 
eriam  in  contemptijjimum  hominem  cade- 
re  non  pojfunt.  Varron  ne  defaprouvoit 
pas  la  féconde  efpece  de  Théologie , 
qui  étoit  celle  des  Philofophes  ;  mais  il 
croyoit  qu'elle  devoit  être  renfermée 
dans  l'Ecole,  parce  qu'elle  difcourok 
librement  de  la  nature  des  Dieux ,  ce 
qui ,  félon  lui ,  étoit  dangereux. 

La  troisième  efpece  de  Théologie 
ibrmoit  le  fyftême  de  la  Religion  ,  Se 
étoit  le  fondement  du  culte  qu'on  ren- 
dfoit  aux  Dieux  ;  &  fi  elle  nTétoit  pas  la 
plus  eftimée  par  les  habiles  gens  ,  elle 
étoit  du  moins  la  plus  refpectée ,  &  la 
feule  qui  fût  fuivie  dans  la  pratique.  La 
Théologie  poétique,  étoit  donc  pro- 
ferite ,  comme  on  vient  de  le  voir  ;  ce- 
pendant elle  a  trouvé  des  Partifans  dans 
ces  derniers  temps.  Plusieurs  Auteurs 
modernes  charmés  des  beaux  traits 
qu'on  trouve  de  temps  en  temps  dans 
les  ouvrages  des  Poètes  ,  touchant  les 
vérités  les  plus  fublimes  ,  en  ont  parlé 
avec  tant  d'éloges  ,  qu'il  fémble  qu'on 
doive  les  regarder  comme  d'excellens 
Théologiens.  Le  Père  Tomaflîn  ,  Prê- 
tre de  l'Oratoire  ,  a  recueilli  avec  un 
grand  foin  (  i  )  tout  ce  qu'ils  ont  dit 
for  la  Divinité  &  fur  la  morale  ?  &  ih% 


Expl.par  PHlJî.  Liv.ILChapX  261 

crû  y  appercevoir  plufieurs  traits  con- 
formes à  l'Ecriture  Sainte  &  à  la  lumiè- 
re naturelle.  L'Auteur  du  Livre  inti- 
tulé Homère  Hebraizant ,  ne  s'eft:  pas 
contenté  de  regarder  les  Poètes  comme 
de  grands  Théologiens  ,  il  a  entrepris 
de  prouver  qu'Homère ,  dans  fes  deux 
Poèmes  ,  avoit  copié  en  plufieurs  en- 
droits ?  Moyfe  &  les  Prophètes.  Un  cé- 
lèbre Anglois  .(1),  après  avoir  fait  Té-  (i)Cucîwort; 
loge  de  la  Théologie  des  Poètes  ,  fur-  s?ft' intcU' 
taut  de  celle  d'Orphée  ,  rapporte  ce 
qu'ils  ont  dit  de  plus  beau  fur  la  Divi- 
nité. Enfin  un  Auteur  moderne ,  à  qui 
fes  ouvrages  ont  attiré  plus  d'une  dif- 
grace,  eft  allé  encore  plus  loin  que  ceux 
que  je  viens  dénommer,  puifque  dans 
fes  remarques  fur  Virgile  ,  il  ne  fait 
point  difficulté  de  préférer  ce  Poète  à 
la  plupart  de  nos  Théologiens  :  préten- 
dant qu'il  a  eu  fur  la  Divinité  &  fur  la 
Providence  ,  les  idées  les  plus  orthodo- 
xes. Il  a  eu  même  la  témérité  de  com- 
parer la  conduite  de  Jupiter  à  l'égard 
d'Enée ,  à  celle  de  Dieu  fur  David. 

A  entendre  ces  Auteurs  ,  prefque 
toutes  les  vérités  les  plus  effentielles  fe 
trouvent  dans  les  ouvrages  des  Poètes. 
La  piété  ,  &  le  culte  du  vrai  Dieu  y 
font  enfeignés  d'une  manière  fublime , 


Ï62  La  Mythologie  &  les  Fables 
quoiqu'enveloppés  damages  fenfibles. 
Telles  font  parmi  ces  vérités  ,  l'unité 
d'un  Dieu  ,  fa  toute-puiffance  ,  fa  bon- 
té infinie  ,  fon  immenfîté  ,  fon  éternité. 
Le  Confeil  des  Dieux  ,  dont  parle  Ho- 
mère ,  &  où  Jupiter  préfîde  toujours, 
eft  félon  eux,  une  imitation  de  ces  con- 
feils  myfterieux  que  Dieu  tient ,  dans  le 
Livre  de  Job  ,  avec  les  Anges.  LorA 
qu'ils  ont  dit  que  tous  les  biens  &  tous 
les  maux  partoient  de  la  main  de  Dieu, 
par  le  miniftere  des  Dieux  fubalternes, 
c'eft  une  copie  de  ce  que  l'Ecriture  dit 
des  Anges,  qui  font  fes  Miniftres.  Quand 
ils  donnent  à  Jupiter  une  prééminence 
fi  marquée ,  il  eft  évident ,  que  fous  ce 
nom  ils  ont  entendu  le  vrai  Dieu ,  & 
non  Jupiter  fils  de  Saturne  ,  &  Roi  de 
Crète.  Enfin ,  lorfqu'Aratus  dit  que  tout 
eft  plein  de  Dieu ,  la  terre  ,  la  mer ,  les 
campagnes  ,  l'homme  même  ,  ou  com- 
me s'exprime  S.Paul ,  fuivant  les  paro- 
les mêmes  de  ce  P oëte  ,  fumus  genus 
Dei ,  in  ipfo  vivimus  ,  movemur ,  &  fu- 
mus (  i  )  ,  n'eft-il  pas  évident  qu'il  a 
voulu  parler  de  l'immenfîté  de  Dieu  ? 

A  ces  vérités  fpéculatives ,  les  Auteurs 
dont  je  parle,  joignent  celles  qui  font 
de  pratique  ;  &  trouvent  établis  dans 
les  Poètes ,  non  feulement  les  devoirs 


Expl.parPHiJl.  Liv.II.  Chap.X.  26$ 
envers  Dieu  ,  mais  ceux  des  hommes 
entre  eux  ,  ainfi  que  les  autres  précep- 
tes d'une  morale  pure.  Leur  Enfer ,  & 
leurs  Champs  Elyfées,  font  propres  à 
reprimer  la  cupidité,  &  porter  à  la  pra- 
tique de  la  vertu.  Ces  Juges  ,  qui  exa- 
minent avec  tant  de  feverité  les  actions 
des  hommes  ;  &  les  furies ,  qui  châtient 
iî  rigoureufement  les  coupables  ;  tout 
cela  peut-il  avoir  été  imaginé  fans  un 
grand  fond  de  morale  ?  Enfin ,  pour  ex* 
pofer  le  fentiment  de  ces  Auteurs  en 
peu  de  mots ,  il  fuffit  de  dire  ,  qu'ils 
font  à  tout  propos  des  parallèles  re- 
cherchés entre  les  vérités  qu'ils  trou-, 
vent  dans  les  Poètes  ,  avec  celles  de 
l'Ecriture  Sainte. 

"  J'avoue,  pour  moi  ,  que  la  lefture 
des  Poètes  m'a  donné  une  toute  autre 
idée  de  leur  Théologie.  Il  eft  vrai  qu'ils 
parlent  quelquefois  de  la  Divinité  d'une 
Tiianiere  fablime  ,  mais  ils  ne  fe  foutien- 
îient  nullement  fur  ce  fujet  ;  &  après 
avoir  donné  à  leurs  Dieux  les  épithetes 
magnifiques  d'Immortels ,  de  Tout-puif- 
fants ,  &c.  ils  les  reprefentent  avec  des 
foibleffes  ,  qui  ne  conviennent ,  comme 
nous  venons  de  le  dire  ,  qu'aux  der- 
niers des  hommes  ,  Se  aux  plus  corrom- 
pus.   Enforte  que  je  fuis  étonné  que  de 


'â$4  La  Mythologie  &  les  Fabks 
fçavans  hommes  ayent  fi  fort  exalté  leur 
Théologie,  pendant  que  Platon,  pour 
cette  même  Théologie  qui  lui  paroif- 
foit  fi  monftrueufe  ,  les  banniflbit  de  fa 
République.  Ciceron  ne  penfoit  pas 
auflî  favorablement  des  Poètes  que  les 
Auteurs  dont  je  parle  ,  il  les  blâme  au- 
contraire  de  nous  avoir  appris  les  dé- 
bauches des  Dieux,  leurs  querelles,  leurs 
combats  ,  leurs  diffentions  :  Nec  multo 
abfurd'iorafum  ea  quœ  Poéuirmn  <vocïbus 
fufa  y  ipsâ  fuavitate  nocutrwn  ,  qui  & 
ira  inflammatos  ,  &  libidine  furentes  in- 
duxerunt  Deos  ,  feceruntque  ut  eorum  bel- 
la  ,  pugvas^  prϕta  ,  vulnera  vidtremus, 
odia  prxterea  >  dïjjldia  >  difcordias  y  or- 
(ï)  DeNat.  tus  ,  intérims  ,  querelas ,  &c.  (  i  )  Ce 
Dcor.L.  i.  même  Auteur  dit  ailleurs ?  que  ces  mê- 
mes Poètes  avoienjt  décrit  les  débau- 
ches des  Dieux*,  leurs  adultères ,  &c. 

Il  efl  vrai  qu'ils  les  nomment  Immor- 
tels ,  ces  Dieux  fabuleux ,  mais  en  mê- 
me temps  il  n'y  en  a  pas  un  dont  ils  ne 
nous  apprennent  la  généalogie  ;  ils 
nomment  leurs  pères  ,  leurs  mères ,  le 
lieu  de  leur  naiflance ,  &  toutes  les  cir- 
conftances  de  leur  vie  ,  depuis  leur  en- 
fance. Ce  font  eux  qui  nous  apprennent 
que  Jupiter ,  le  plus  grand  des  Dieux, 
étok  fils  dç  Saturne  ,  &  que  Saturne 

étoîl 


Ex/?/,  par  VHîJI.Ltv11.  Chap.X.  26c 
étoit  fils  d'Uranus  ,  ainfi  des  autres.  Ils 
parlent  même  quelquefois  de  leurs  tom- 
beaux. Dans  Homère  ,  le  plus  grand 
de  leurs  Poètes  ,  on  voit  les  Dieux  fer 
quereller  ,  fe  battre  ,  être  bleffés  par  des 
hommes ,  Se  pouffer  des  cris  Se  des  plain- 
tes en  voyant  couler  leur  fang.  Ils  fe 
difent  à  tout  propos  des  injures  grofïîe-* 
res.  Jupker  &  Junon  y  paroiffent  tou- 
jours dans  une  mésintelligence  feanda- 
leufe  entre  deux  époux.  Euripide  vou- 
lant exeufer  Phèdre  ,  qui  avoit  conçu 
pour  le  fils  de  fon  mari  une  violente  paf- 
ilon ,  en  met  la  faute  fur  le  compte  de 
Venus ,  qui  vouloit  fe  venger  du  mé- 
pris qu'Hippolyte  faifoit  de  fon  culte 
Se  de  fes  adorateurs.  Une  autre  tradi- 
tion ,  celle  qu'a  fuivi  Racine  (i)  y  non  (0  Trage? 
moins  deshonorable  pour  Venus,  por-^dePilc" 
toit  qu'elle  fe  vengeok  ainfî  de  ce  que 
le  Soleil ,  bifayeul  de  Phèdre ,  avoit 
découvert  fon  intrigue  avec  le  Dieu 
Mars  ;  &  c'eft  par  le  même  motif  de 
vengeance  ,  que  cette  Déeffe  avoit  in- 
fpiré  à  Pafiphaé ,  mère  de  Phèdre ,  cet- 
te pafïîon  honteufe  qui  fit  tant  de  bruit. 

Dans  la  même  pièce  ,  Euripide  fait 

intervenir  Diane  ,  &  cette  Déeffe  pour 

confoler   Hippolyte  mourant  ,   lui  dit 

qu'elle  ne  fçauroit  à  la  vérité  changer 

Tom  L  M 


2&6  La  Mythologie  &  les  Tables 
Tordre  du  Deftin  ,  mais  que  pour  le 
venger ,  «lie  tuera  de  fa  propre  main 
un  des  Amans  de  Venus.  %  Voilà  donc 
ces  Dieux  fi  puiflans  ,  fournis  au  Deftin  , 
&  qui  ne  pouvant  faire  tout  le  mal  qu'ils 
fouhaiteroientjfont  celui  qu'ils  peuvent. 
Que  peut-on  penfer  d'une  Théologie, 
dont  le  but  a  été  d'élever  l'homme  juf- 
qu'aux  Dieux  ,  &  d'abaifTer  ces  mêmes 
Dieux  ,  je  ne  dis  pas  feulement  à  la 
condition  des  hommes  ,  mais  jufqu'à 
leurs  plus  grandes  foibleïfes. 

Peut-on  concevoir  rien  de  plus  bizar- 
re que  l'idée  que  les  Poètes  donnent 
de  leurs  Dieux  ?  Que  dire  de  ce  mé- 
lange de  puiflance  &  de  foibleffe  ,  d'é- 
ternité &  de  mort ,  de  félicite  &  de  dou- 
leur ]  de  tranquillité  &  de  trouble?  Que 
penferons-nous  des  railleries  que  fait  de 
ces  Dieux  Ariftophane  *  dans  quelques- 
unes  de  Tes  Comédies  ,& des blafphêmes 
<jue  vomit  contre  eux  Efchyle  ,  dans 
Ion  Promethée  ? 

Mais  ,  dit-on  ,  les  Poètes  parlent 
fouvent  de  la  providence  des  Dieux, 
J&  du  foin  qu'ils  prennent  des  hommes. 
Quelle  providence  !  Choififfons  un  des 
évenemens  de  la  fable ,  où  elle  brille 
davantage  ,  &  celui  que  les  plus  grands 
Toetes  ont  décrit  avec  plus  de  foin  j 


Expl.  parTHtft.  Lïv.  IL  Chàp.  X.  267 

je  veux  dire  la  guerre  de  Troye.  Cette 
guerre  fit  périr  une  infinité  de  gens, 
&  ruina  un  beau  Royaume  :  elle  fut 
foivie  de  miferes  fans  nombre  ,  de  tem-i 
pêtes  ,  d'incendies ,  &  de  tout  ce  qui  a&r 
compagne  les  grandes  défolations.  Tous 
les  Dieux  y  prirent  parti  ,  FOlympe 
fe  trouva  divifé  en  deux  factions  :  il  n'y 
eut  point  d'intrigue  ,  de  refTorts  ,  de 
finefles  que  chacun  des  Dieux  n'em* 
ployât  ;  on  ne  peut  pas  apurement  les 
accufer  de  négligence  pendant  toute  cet- 
te guerre  ;  leur  providence  ne  manqua 
pas  d'emploi.  Homère  décrit  tous  leurs 
mouvemens  avec  des  détails  infinis  ;  les 
autres  Poètes  ont  fuivi  fôn  exemplç.C'eft; 
-donc-là  un  point  de  vue  très-propre  pour 
nous  convaincre  de  leur  fentiment  Theo- 
logique  fur  la  providence  :  voyons  donc 
quel  fut  le  motif  de  cette  guerre  ;  re- 
montons à  la  fource. 

S'agiflbit-il  de  châtier  une  nation  im- 
-pie ,  de  venger  l'innocent  opprimé  ,  ou 
■les  Dieux  eux  mêmes  méprifés  ;  ou  de 
donner  à  l'univers  un  exemple  fîgnalé 
de  juftice  &  d'équité  ?  Rien  moins  que 
cela.  Il  s'agiffoit  de  venger  une  Déefle 
du  mépris  qu'on  avoit  fait  de  fa  beauté. 

Au  mariage  de  Thetis  &  de  Pelée , 
la  Difcorde  jette  une  pomme  pour  la 

Mij 


ï£8  TLa  Mythologie  &  les Tables 
plus  belle  de  la  compagnie.  Les  Dieux 
qui  n'ofent  fe  rendre  arbitres  du  différend 
qui  naît  à  ce  fu jet  entre  trois  Déeïfes, 
tes  envoyant  en  Phrygie  fubir  le  juge- 
ant d'un  jeune  Berger  qui  éîoit  en 
t éputation  d'équité.  Le  Berger5que  cha- 
cune des  trois  De'effes  veut  feduire  par 
des  promefles  magnifiques  ,  juge  en  fa- 
veur de  Venus  ;  elle  étoit  effectivement 
îa  plus  belle  ,  ainfî  il  n'y  avoit  rien  à 
dire  à  ce  jugement.  Cependant  en  voilà 
affez  pour  irriter  les  deux  autres.  Junon , 
la  fege  Junon  refout  dans  ce  moment 
îa  perte  ,  non  pas  de  Paris  ,  ce  qui  au- 
rait même  été  une  vengeance  fort  in- 
juffé; ornais  celle  de:  tout  l'Empire  de 
^Priam  fôn  père  ,  &  de  toute  la  Phrygie. 
-L'enlèvement  d'Helene ,  femme  promife 
à  Paris  ,  devint  le  fignal  d'une  fanglante 
•guerre.  La  Grèce  arme  de  toutes  parts, 
pendant  que  Junon  par  toutes  fortes  de 
moyens  tâche  de  mettre  la  troupe  celefle 
<dans  fon  parti.  Elle  ufe  de  mille  ftrata- 
rgêmes  pour  gagner  les  autres  Dieux  , 
&  leur  fait  les  promeffes  les  plus  tou- 
chantes :  elle  parcourt  toutes  les  Villes 
de  la  Grèce  pour  les  animer  à  la  guerre. 
♦On^aflïege  la  Ville  de  Troye  ,  &  pen- 
dant dix  ans  la  Reine  des  Dieux  fait  le 
-tnanége  d'une  femme  forcenée ,  tâcte 


ff  endormir  fon  mari  pour  l'empêcher 
de  voir  la  déroute  des  Troyens  ,  &  le 
refle.  Minerve  donne  l'invention  du  Ch& 
val  de  bois  :  Junon  paroît  armée  ,  & 
ouvre  elle-même  les  portes  de  la  Ville  > 
appellant  les  Grecs,  trop  lents  pour  fa 
vengeance  : 

Hic  Jtwo  Scœas  fzviflima  portas 

Prima  tenet  ,fociumquefurensa  navibus  agmen  , 
Ferro  accinttavocat  (1  )  , 

pendant  que  Neptune  fon  allié  abbat 
les  murailles  à  coups  de  Trident.  Le? 
Grecs  entrent  dans  la  Ville  ,  on  y  com- 
met mille  defordres  \  qu'il  n'eft  pas  né?- 
ceflaire  de  décrire  ;  mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que  Virgile  a  grand  foin  de  nous 
faire  remarquer  qu'il  faut  les  attribuer 
à  la  colère  &  à  la  vengeance  des  Dieux, 

Verum  inclementia  Divûm 
Has  evertit  opes,Jiernitque  à  culmine  Trojam  (a). 

La  Ville  de  Troye  eft  donc  réduite  en 
cendres  ;  Paris ,  Priam  &  fes  autres  en- 
fans  maffacrés  ou  faits  efclaves  ;  ainfï  la 
colère  de  Junon  de  voit  être  appaifée. 
Mais  chez  les  Poètes  une  DéelTe  ou- 
tragée au  fujet  de  fa  beauté  ,  ne  s'ap- 
paife  pas  fi  facilement.  On  la  repréfente 
pourfuivant  avec  une  rage  extrême  le 
geftç  des.  Troyens  fugitifs  ;  elle  veut  les 

M'iij 


ùTjO     La  Mythologie  &  les  Fables 
empêcher  de  chercher  dans  l'Italie  la 
retraite  que  les  Deflins  leur  promet- 
taient. 

Troas  relliquias  Danaum....  arcebat  longé 
Lotie  y  &c    (i) 

Ici  elle  fupplie  d'une  manière  indigne 
Eole  ,  Divinité  fubalterne,  pour  le  por- 
ter à  exciter  une  tempête  contre  '  les 
ordres  de  Neptune  qui  avoit  changé  de 
parti ,  &  dont  la  Providence  s'interefibit 
alors  pour  les  Troyens.  Tantôt  elle  tâ- 
che d'arrêter  Enée  en  Afrique  par  les 
charmes  de  la  volupté.  Là  elle  fait  pa- 
roîtrelris  fous  la  figure  deBeroé,  pour 
obliger  les  Dames  Troyennes  à  brûler 
leur  Flotte.  Lorfqu'Enée  eft  arrivé  en 
Italie  ,  elle  envoyé  les  Furies  chez  Tur- 
nus  &  Amate,  pour  les  exciter  à  le  chaP- 
fer  de  leur  pays  ,  &  allume  une  guerre 
fanglante  ;  &  ne  pouvant  pas  abfolument 
empêcher  l'exécution  des  ordres  du  Def- 
tin ,  elle  tâche  du  moins  de  la  retar- 
der par  toutes  fortes  de  moyens.  Com- 
me l'arrêt  du  Defhin  portoit  que  Lavinie 
feroit  la  femme  du  Héros  Troyen  ,  elle 
veut  que  le  fang  d'une  infinité  de  Phry- 
giens foit  la  dot  avec  laquelle  ce  Princo 
achette  cette  alliance. 

Non  dabitur  regnis ,  ejlo  ^rohîbcn  Latinis  ; 


ExpL  par  VHijï.  Liv.  IL  Chap.  X.  271 

At  trahere,  a:que  moras  tamis  Ucet  addere  rébus  : 

At  Ucet  amborumfofulos  exfcindere  Regum* 

Hdc  Gêner  atque  bocer  cotant  mercede  fuorum* 

Sanguine  Trejano  &  Rutulo  dotabere ,  Virgo.  (i)      (?)  Eneid. 

Perfonne  n'ignore  tout  ce  que  fit  cette 
Déefle  pour  favorifer  le  parti  de  Tur* 
nus,  &  tout  le  manège  que  Virgile  lui 
fait  jouer  pendant  toute  cette  guerre. 
Enfin  voyant  queleDeftin  étoit  le  maî- 
tre ,  elle  tâche  pour  dernier  trait  de 
vengeance  ,  d'obtenir  de  Jupiter  que 
les  Latins  ne  prendront  point  le  nom 
des  Troyens  leurs  vainqueurs  ,  afin  que 
Troye  &  fa  mémoire  fulTent  plus  facile* 
ment  abolies  : 

Ne  vêtus  Indigenas  nomen  mut  are  Latinos, 

Neu  Troas  fieri  jubeas,Teucrofque  vocari. 

Occidit ,  occideritquefmas  cum  nomine  Troja.(i)     (2)  Enei&- 

Peut-on  concevoir  une  vengeance  plus 
complette  ?  &  a-t-on  jamais  pouffé  plus 
loin  le  reïTentiment  ?  Peut-on  en  avoir 
un  fujet  plus  frivole  ? 

—  ...  Manet  altâ  mente  refoflum 
Jtidicium  Pa  idis  ,ffretœque  injuria  forma, 

Et  rapti  Ganimedis  honores.  (3) 

r  (3)  Encid. 

Vantez  après  cela  la  Théologie  des 
Poètes  fur  la  Providence  de  leurs  Dieux , 
&  le  foin  qu'ils  prennent  des  évenemens 
les  plus  éclatans.  Voilà  les  motifs  qui 

Miiij 


272  La  Mythologie  *&  les  Tables 
les  font  agir  ,  félon  eux  :  eh  !  que  pou-* 
voit  on  apprendre  de  plus  impie  ?  Quel 
snodele  de  reffentiment  âc  de  vengeance 
pouvoient-ils  donner  ,  aux  femmes  fur- 
tout  ,  idolâtres  de   leur  beauté  ? 

S'il  m'étoit  permis  de  parcourir  les 
autres  exemples  dont  les  Poètes  font  rem- 
plis ,  on  verroit  que  c'eft  toujours  la 
vengeance ,  l'amour  ,  ou  quelqu'autre 
paffion  qui  fait  agir  leurs  Dieux  :  que 
le  véritable  motif  des  voyages  de  Jupi- 
ter fur  la  terre  ,  n'étoit  que  pour  fubor- 
ner  quelque  MaîtrefTe;  que  pendant  que 
le  prétexte  étoit  de  venir  reparer  les 
maux  que  fit  le  Déluge  ,  ou  l'incendie 
de  Phaëton  ,  Califto  &  Europe  étoient 
les  vrais  fujets  de  fes  pèlerinages  ;  que 
fi  Diane  envoyé  un  Sanglier  ravager  les 
champs  de  Calydon  ,  c'eft  qu'Oenéal'a- 
voit  oubliée  dans  un  facrifice  ; 

Oeteos  fpreta  per  agrot 
Miji-t  aprum.  (  1  ) 

Enfin  que  Venus  jetta  dans  îe  defordre 

les  filles  de  Tyndare  par  la  même  rai- 

(2)  sthefi    *°n'  (2)  ^  Niobé  voit  fes  quatorze  en- 

spud  schoi.    fans  afTaflïnés  fous  fes  yeux  par  des  flèches 

Oreit'  m      ^vifibles ,  c'eft  qu'elle  a  eu  la  témérité 

de  s'égaler  à  Latone.  Si  Cadmus  voit 

&  maifon  remplie  de  defordre  &  de  car- 


Expl.parmift.Liv.lI.CnAV.X.  2J3 
nage,  A&eon  fon  petit-fils ,  déchiré  par 
fes  chiens,  Penthée  mis  en  pièces  par 
les  Bacchantes  ,  &  lui-même  changé  en 
ferpent ,   c'eft  qu'il  avoit  une  fœur  & 
une  fille  dont  la  beauté  avoit  charmé 
Jupiter  ,  &  excité  la  jaloufie  de  Junon. 
Ino   pour  avoir  nourri   Bacchus ,   de- 
vient furieufe,  ainfi  que  fon  mari  Àtha- 
mas  :  celui-ci  écrafe  fon  fils  contre  un 
rocher  ,  &  cette  malheureufe  Reine  de. 
Thebes  fe  précipite   dans  la  mer  avec 
Melicerte.  Si  Andromède  fe  voit  expo- 
fée  à  lafurcur  d'un  Monflre  marin  ,  c'efï 
parce  que  fa  mère  avoit  égalé  fa  beauté 
à  celle  des  Néréides,  (i)  Venus  pour  L(I|Meum 
fe  venger  de  Diomede  qui  l'avoit  blei- 
fée  au  fiége  de  Troye  ,  jetta  fa  femme 
dans  la  proftitution. 

Qu'on  ait  recours  tant  qu?on  voudra 
à  l'allégorie  3  que  pouvoit-on  penfer 
en  voyant  Cybele  .  cette  grande  mère 
des  Dieux,  Lœta  Deumpartu  ,  centum 
complexa  nepotts  ,  courir  après  le  jeun© 
Atys ,  faire  tant  d'avances  pour  le  ren- 
dre amoureux  3  &  le  punir  fi  féverement 
de  fon  indifférence  ? 

Tels  font  les  fujets  de  la  vengeance 
des  Dieux  5  félon  les  Poètes  ,  Se  le  plus 
fouvent  ,  ce  n'eft  pas  fur  les  coupables 
que  tombent  de  fi  horribles  châtimens;, 

Mv- 


274  La  Mythologie  &  ht  Fables 
ou  fî  cela  arrive  quelquefois  ,  ce  n*efE 
pas  pour  les  corriger  ,  c'eft  pour  les 
rendre  plus  criminels.  Clio  reproche  à 
Venus  fa  trop  grande  tendrefle  pour 
Adonis  ;  au  lieu  de  profiter  d'un  avis 
fi  falutaire  ,  la  Déefle  s'en  venge  en  la 
rendant  amoureufe  d'un  jeune  homme, 
dont  elle  eut  Hyacinthe.  Cyanippe  ou- 
blie Bacchus  dans  un  facrifice  ;  celui- 
ci  le  fait  enyvrer ,  &  il  tombe  dans  un 
incefte.  Les  filles  de  Prœtus  préfèrent 
leur  beauté  à  celle  de  Junon  ;  la  Déefle 
les  rend  furieufes ,  &  les  jette  dans  la 
proftitution.  Une  des  filles  de  Danaiïs 
étant  allée  puifer  de  l'eau  pour  un  fa- 
crifice ,  fe  vit  attaquée  par  un  Satyre 
qui  vouloit  lui  faire  violence  ;  elle  ap- 
pella  Neptune  à  fon  fecours  ,  qui  après 
ravoir  délivrée  des  pourfuites  du  Sa- 
tyre ,  lui  fit  la  même  infulte  qu'elle  ve- 
noit  d'éviter  :  quel  fecours  ! 

Voilà  ce  que  nous  enfeignent  les 
Poètes  au  fujet  de  la  Providence  de 
leurs  Dieux  ,  Se  de  leurs  vengeances  : 
une  Providence  inquiète,  troublée  :  des 
vengeances  horribles  pour  des  fujets  fort 
légers  :  des  châtimens  ,  non  pour  punir 
le  vice  Se  animer  la  vertu ,  ce  qui  feroit 
une  bonne  Théologie  ;  mais  exercés  ex- 
près pour  venger  quelque  mépris  ;  non 


ExpLparPHift.  Liv.  IL  Chap.  X,  27; 
fur  les  coupables ,  mais  fur  lesinnocens; 
ou  fi  les  coupables  eux-mêmes  y  font 
enveloppés  ,  ce  n'eft  que  pour  en  faire 
des  fcelerats.   Vous  ne  verrez  pas  ces 
Dieux  empreffés  à  châtier  Pimpieté  ou 
l'injuftice  ;  ils  ne  s'acharnent  que  fur  ceux 
qui  les  oublient  dans  quelque  facrifice , 
ou  qui  comparent  leurs  cheveux  ou  leur 
teint  à  celui  de  quelque  DéefTe  :  fem- 
blables  à  ces  petits  Seigneurs  de  Pro- 
vinces ,  qui  fe  foucient  fort  peu  que  leurs 
VafTaux  foient  des  fcelerats  &  des  li- 
bertins ,  pourvu  qu'ils  ne  chaflent  point 
fur  leurs  terres  ,  &  qu'ils  faiïent  de  temps 
en  temps  des  prefens   à  leurs  femmes. 
Y  avoit-il  rien  de  plus  capable  d'inf- 
pirer  l'ambition  ,  &  les  projets  les  plus 
injuftes ,  que  FHiftoire  de  Saturne  qui 
avoit  fi  maltraité  Uranus  fon  père  ,    Se 
celle  de  Jupiter  qui  en  avoit  ufé  de  même  ' 
à. l'égard  du  fien  ,  Se  l'avoit  détrôné? 

Ce  feroit  ici  le  lieu  d'expliquer  la 
Théologie  des  Poètes  au  fuj et  des  mœurs 
de  leurs  Dieux  ;  mais  je  craindrois  dé- 
faire rougir  le  Le&eur  ,  au  récit  des  in- 
famies qu'ils  en  racontent.   Quel  Dieu 
que  leur  Jupiter  !   Il  n'y  avoit  point  fur  ~ 
la  terre  de  chafteté  à  l'épreuve  de  Ces 
violences  ;  point  de  figure  de  bêtes  qu'il I 
n'ait  prifes  pour  féduire- tantôt  de  ver* 

Mvj 


ùTj&  La  Mythologie  &  les  Vallès 
tueufes  PrinceïTes  ,  tantôt  d'innocentes 
Bergères.  Tous  les  autres  Dieux  avoient 
les  mêmes  foiblelTes.  Arnobe  ;  Laftance , 
&  les  autres  Pères  rapportent  de  ces* 
Dieux,  fuivant  les  Ecrits  de  ces  Poètes , 
mille  chofes  qui  font  rougir  (a).  Point 
de  crimes ,  de  defordres ,  d'ordures  dont 
ils  ne  fulTent  coupables  ;  &  les  Poètes, 
ces  prétendus  fublimesTheologiens,  font 
ceux  qui  ont  pris  le  plus  de  foin  de 
nous  en  conferver  le  fouvenir.  Homère, 
&  après  lui  Ovide  ,  racontent  comment 
le  Soleil  furprit  Mars  &  Venus  en  adul- 
tère ;  ce  dernier  y  ajoute  des  reflexions 
trés-libertines.  En  un  mot ,  toutes  les 
métamorphofes  dont  il  parle  ,  font  plu- 
tôt des  monumens  de  îa  foibleiTe  des 
Dieux  &  de  leurs  débauches ,  que  de 
leur  providence  &  de  leur  pouvoir.  Ces 
confîdérations  doivent  donc  porter  tou- 
te perfonne  raifonnable  à  fe  défaire  une 
bonne  fois  de  cette  eftime  que  font  tant 
de  gens  de  la  Théologie  des  Poètes; 
&  faire  connoître  à  ceux  qui  voudront 
prendre  leur  défenfe  ,  qu'excepté  quel- 
ques expreiîïons  vagues  qu'ils  lailTent 
échapper  fur  l'elîence  immortelle  de 
leurs  Dieux  ,  fur  leur  vigilance,  fur  cet 


Ça)  Us  en  ufoient  ainfî  pour  confondre  ks  Partifans  de  ÏV 


Exph  par  VHifl.  Liv.  IL  Cmap.  X.  277 
cfprit  univerfel  qui  vivifie  toutes  chofes, 
ce  qui  n'eft  point  foutenu  dans  le  relie, 
de  leurs  Ouvrages,,  tout  leur  Syftême 
confifte  à  nous  repréfenter  des  Dieux 
inquiets  &  intereïïes  dans  leur  provi- 
dence ,  paflionnés  &  emportés  dans  leur 
vengeance  ,  débauchés  &  infâmes  dans 
leurs  mœurs. 

Après  tous  ces  préliminaires ,  que 
j'ai  cru  devoir  traiter  avec  quelque  éten- 
due ,  il  eft  temps  d'entrer  dans  PHiftoire 
de  Tldolâtrie  dont  je  vais  examiner  Fori- 
gine  &  les  progrès. 


27$ 


K¥^ 

ékhé 

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Wk* 

*■  ^, \l!  I  f //i£jS>~~1fi  « 

X^<P0^  Vf^W    (fjë. 

^m* 

LIVRE    TROISIEME, 
Oàilefî  traité  de  Vldolâtrie. 


AVANT- PROPOS. 

UoiQu'à  proprement  par- 
ler ,  toute  cette  Mythologie , 
du  moins  ce  qui  en  compofe 
les  premiers  Volumes  ,  re- 
garde l'Idolâtrie  ,  puifqu'il  n'y  fera 
parlé  que  des  Dieux  &  du  culte  qu'on 
leur  rendoit  ;  cependant  j'ai  crû  qu'il 
étoit  à  propos  d'en  rechercher  dans  ce 
Livre  l'origine  &  le  progrès  ;  d'y  exa- 
miner quels  furent  les  premiers  Dieux 
du  monde  Payen  ;  de  nommer  la  plu- 
part de  ces  Dieux  ,  de  les  divifer  en 
différentes  claffes  ,  &  de  parler  de  leur 
nature  &  des  rangs  qu'ils  tenoient  dans 
la  Théologie  des  differens  Peuples ,  qui 
les  adoroient  ;  car  il  s'en  faut  bien  qu'ils 


Expl.  par  PHifl.  Liv.  IILCfïAP.  I.  279 

fufTent  tous  égaux  ,  Se  que  les  fonc- 
tions qu'on  leur  attribuoit ,  fuffent  éga* 
lement  nobles.  Enfin ,  d'y  enfermer  tout 
ce  qui  regarde  l'Idolâtrie  en  gênerai, 
Temples,  Autels,  Sacrifices,  Viftimes, 
Fêtes  ,  Supplications  ,  Prêtres  ,  inftru-» 
mens  des  Sacrifices  ,  Vœux  ,  Oracles , 
&c.  me  refervant  à  donner  dans  les  Livres 
fuivans,rHiftoire  particulière  desDieux, 
&  du  culte  qui  leur  fut  rendu. 

Il  efl  néceiîaire  ,  avant  que  d'entrer 
en  matière ,   de  donner  une  notion  des 
mots  Idolâtrie  &  Idoles.   Le  mot  Ido- 
lâtrie efl  grec  &  compofé  de  deux  au- 
tres ,  qui  fignifient  culte ,  &  représentation, 
foit  en  ftatuë ,  foit  de  quelques  autres 
manières.    Le  terme  $&****  comme  Ta 
fort  bien  remarqué  Tertullien  (1.)  ,  efl;     0)Lib;âi 
un  diminutif  de  celui  d'"^  qui  veut  dire;     °  ' c#  3; 
image  :  Ad  hoc  necejfaria  efl  vocabuli  in- 
terpretatio  ,   '^^greece  for^am  fonat  ;  ab 
eoper  dirriinuùonem*^»^  deduftum  ,  at+ 
que  apud  nos  formulant  fecit  ;  igitur  om- 
nis  formula  ,  vel  forma  y   Idolum  fe  dici 
expofeit.  Cependant  îe  fçavant  Rainoldus     ^  ^^ 
(2)  ne  veut  pas  convenir  de  cette  éty-  deldoL 
mologie  ,  &  foutient  que  le  mot  e  «/«*«, 
n'eft  pas  un  diminutif  de  celui  d'£'<^, 
qu'il  fignifie  toutes  fortes  de  formes  &de 
figures  >  même  les  plus  grandes  3  en  quoi 


sSo  La  Mythologie  &  lesFahles 
tout  le  monde  fera  d'accord  avec  lui;: 
mais  il  n'a  pas  voulu  remarquer  que  le 
mot  EÏ^^fignifie  la  forme  eflentielle,  in- 
terne ,  &  véritable  d'une  chofe,  &  que> 
celui  d'Idole  defîgne  la  forme  externe, 
ou  repréfentée  de  cette  même  chofe, 
grande  ou  petite.  En  un  mot ,  la.  forme 
&  l'étendue  réelle  du  corps  humain  ,. 
confiflant  dans  l'afTemblage  de  fa  chair  r 
de  ks  os  &  de  fa  peau  ,  s'appelle  iH& 
mais  larepréfentationdece  même  corps, 
foit  peinte  ,  foit  en  relief,  fe  nommoifc 
tWvxov  petits  forme ,  forme  fauffe  &  feu- 
lement apparente. 

Il  y  a  des  Sçavans  qui  tirent  l'étymo- 
îôgie  du  nom  d'Idole  de  deux  mots 
Grecs  ,  dont  un  fignifie  image  >  l'autre 
douleur ,  conformément  au  mot  Hébreu 
Hatfabbim ,  qui  veut  dire  la  même  chofe  y 
pour  faire  comprendre  par  là  que  les. 
Idoles  font  la  fource  de  la  douleur,  Ôc 
en  même  temps  des  châtimens  ,  dont 
Dieu  puniïïbit  ceux  qui  s'abandonnoient 
à  leur  culte. 

;  Cela  pofé  ,  par  le  mot  d'Idolâtrie  * 
on  doit  entendre  le  culte  qu'on  rendoit 
aux  Statues  &  autres  repréfentatiohs  des? 
Dieux ,  &  par  celui  d'Idoles,  tout  ce  qui 
les  repréfentoit. 


Explpar  TBft.  Liv.IIL  Chat.  I. 2%  1 


CHAPITRÉ    L 

VePorio-ine  &  du  progrès  de  P Idolâtrie. 

ON  pourrait  fe  perfuader  peut-être 
que  ce  que  je  viens  de  rapporter 
des  Théogonies  de  divers  Peuples  ,  fuf- 
firoit  pour  connoître  Porigine  de  PI- 
dolâtrie  ;  &  certainement  cette  origine 
s'y  trouve  renfermée.  Mais  il  y  a  tant 
d'autres  chofes  à  dire  fur  cette  matière , 
que  j'ai  cru    la  devoir  traiter   féparé- 

ment.  9  (OAdv» 

S.  Epiphane  (1)  diftingue  les  ancien-  haeffV.L.u 
nés  Religions  en  quatre.  Le  Barbarif- 
me  ,  qui  dura  depuis  Adam  jufqu'à  Noé  ; 
le  Scy  thîfme ,  depuis  Noé  jufqu'à  Sarug  ; 
l'Hellenifme  ,  &  le  Judaïfme  ,  qui  com- 
mença fous  Abraham.  D'autres  Auteurs 
divifent  feulement  les  Religions  de  ces 
premiers  temps ,  en  Sabifme  &  Hellenif- 
me  :  la  divifion  de  Saint  Epiphane  efl 
plus  jufte  ,  &  elle  a  pour  elle  PHiftoire 
du  monde.  En  effet,  d'Adam  à  Noé 
tout  eft  inconnu  ,  iï  on  excepte  ce  qu'en 
rapporte  Moyfe  ;  ainfr  S.  Epiphane  a 
pu  nommer  ce  temps  -,  le  Barbariime. 
]Les  Nations  Scythes  ont  eu  une  Re- 


2. 82  La  Mythologie  &  les  Fables 
ligion  particulière  ,  &  différente  de  cel- 
le des  Grecs  &  des  autres  Peuples  ;  d'ail- 
leurs la  difperfîon  de  cts  Peuples  etl 
très  -  ancienne  :  on  a  donc  dû  mettre 
leur  Religion  avant  l'Hellenifme,  puis- 
qu'une partie  des  Grecs  &  leur  Reli- 
gion venoient  de  Phenicie.  L  Heilenif- 
me  a  dû  être  mis  auflî  avant  le  Judaïfmc 
puifque  cette  fainte  Religion  dont  A- 
braham  fut  le  père  &  le  fondateur ,  eft  la 
reforme  des  autres  >  &  la  barrière  la  plus 
ferme  contre  l'Idolâtrie  ,  qui  inondoit 
la  terre  du  temps  de  ce  faint  Patriarche. 
Cependant  la  divifîon  de  Saint  Epi- 
phane  n'a  pas  été  reçue  de  tous  les  Sça- 
vans.  Le  P.  Petau  dit ,  qu'elle  n'a  aucun 
fondement  ;  &  à  dire  vrai ,  elle  efl  im- 
parfaite ,  puifqu'elle  ne  dit  rien  du  Sa- 
bifme,  Religion  des  anciens  Perfes  ;  qui 
adoroient  le  feu  ,  ainiî  qu'on  peut  le 
voir  dans  le  fçavant  Ouvrage  de  Tho* 

vcï.Ip?rfRcL  mas  Hide  (i)  3  Se  dans  Owen  (2)  ;  d'ail* 
(2)  De  orru  leurs  elle  ne  renferme  pas  totalement 

*p^-Woi,  l'Egyptianifme ,  dont  parle  l'Ecriture 

Sainte. 
siridolâtrie      Au  commencement ,  les  hommes  ne 

a  commencé  connoiffoient  &  ne  fervoient  qu'un  feul 

avant  le  De-     -■->. .  ^     ,  ^  i       -n  ■ r 

iuga.  JJieu ,   Créateur ,  Eternel ,   X  out-puii- 

fant.  Adam   forti    immédiatement    des 
mains  de   Dieu,  en  conferva  dans  fa, 


Expl.par  r&ft.  Liv.IILChà*.  I  283 

famille  Pidée  la  plus  pure ,  &  on  ne  fçau- 
roit  douter  qu'elle  n'ait  duré  dans  la 
branche  de  Seth  jufqu'au  Déluge.  Dieu 
s'étoit  trop  manifefté  à  nos  premiers  pa- 
ïens ,  pour  qu'ils  puflent  le  méconnoî- 
tre.  Il  ne  s'étoit  pas  contenté  de  fe  pein- 
dre dans  l'ouvrage  du  monde  ,  &  de 
leur  éclairer  l'efprit  par  les  lumières  de 
fa  grâce  ,  il  avoit  converfé  avec  eux  ,  & 
les  avoit  inftruits  par  lui-même  ,  ou  du 
moins  par  le  miniftere  de  fes  Anges  ; 
ainfi  ils  eurent  du  fouverain  Etre  l'idée 
la  plus  nette  &  la  plus  faine  >  que  l'hom- 
me puiffe  avoir  ;  &  dès-là  le  cuite  qu'ils 
lui  rendoient,  &  que  Dieu  leur  avoit 
preferit  lui-même ,  fut  pur  &  fans  tache. 
On  ne  doit  pas  penfer  de  même  de  la 
famille  de  Caïn  :  fes  defeendans  tom-. 
berent  non-feulement  dans  l'Idolâtrie, 
mais  dans  tous  les  autres  crimes  qui  atti- 
rèrent le  Déluge  y  dont  fans  doute  l'I- 
dolâtrie ,  que  l'Ecriture  nomme  fouvent 
ou  un  adultère  ,  ou  une  fornication  ,  fut 
une  des  principales  caufes.  Les  enfans 
des  hommes,  c'eft- à-dire  ,  félon  les  In- 
terprètes ,  les  defeendans  de  Caïn ,  fu- 
rent addonnés  aux  pafîîons  les  plus  infâ- 
mes :  l'idée  pure  d'un  Etre  très-parfait  , 
commença  infenfiblement  à  s'obfcurcir, 
&  parmi  des  hommes  charnels  elle  prit 


2&f  La  Mythologie  &  les  Fables 
commerce  avec  les  fensrainfi  on  l'attacha 
bien-tôt  à  des  chofes  feniibles  ;  &  ce 
qui  parut  le  plus  utile  <5c  le  plus  parfait  à 
leurs  yeux ,  fut  adoré  comme  leur  plus 
grand  Dieu. 

-  Le  fçavant  Maimonides  ,  dans  ion 
Traité  fur  l'origine  de  l'Idolâtrie ,  qu'on 
trouve  traduit  en  Latin  dans  l'ouvrage 
que  Voiîîus  a  fait  fur  le  même  fujet ,  s'ex- 
plique ainfï.  »  La  première  origine  de 
*>  l'Idolâtrie  doit  être  rapportée  au 
»  temps  d'Enos,  quand  les  hommes  com- 
»  mencerent  à  étudier  le  mouvement 
»  des  étoiles,  ôcdesfpheres  céleftes  ,  5c 
»  reconnurent  que  Dieu  les  avoit  créées 
30  pour  gouverner  le  monde.  Ils  imagi- 
er nerent  que  Dieu  les  avoit  placées 
»  dans  le  ciel  pour  les  faire  entrer  en 
»  partage  de  fa  gloire  ,  &  pour  lui  fer- 
s>  vir  comme  de  minières  ;  &  conclu- 
»  rent  que  dès-là  il  étoit  de  leur  devoir 
»  de  les  honorer.  Sur  ce  fondement , 
»  ils  commencèrent  à  bâtir  des  Temples 
»  aux  Etoiles  ,  à  leur  offrir  des  facrifi- 
»  ces  ,  &  à  fe  profterner  devant  elles  , 
»  pour  obtenir  des  faveurs  de  celui  qui 
3>  les  avoit  créées  ;  &  ce  fut  là  la  pre^ 
»  miere  origine  de  l'Idolâtrie.  Ce  n'eft 
»  pas  qu'ils  cruffent  qu'il  n'y  avoit  point 
*  d'autre  Dieu  que  les  Aftres  ;  mais 


Expl. farTHift. Uv JÎI.  CtfÀP.I  &$£ 

»  ils  étoient  perfuadés  qu'en  les  adorant, 
y>  ils  accompliffoient  la  volonté  du  Créa- 
»  teur.  Avec  le  temps  certains  faux  Pn> 

*  phétes  s'élevèrent  ,   prétendans  être 

*  envoyés  de  Dieu  ,  &  difant  qu'ils  a- 
»  voient  des  révélations  pour  faire  ado* 
»  rer  tel  ou  tel  Aftre ,  même  pour  faire 
»  offrir  des  facrifices  à  toute  l'armée  des 
»  cieux;&  ils  .en  firent  des  figures,  qu'ils 

*  expoferent  au  culte  public.  Là-deffus 
»  on  commença  à  placer  leurs  repréfen- 
»  tations  dans  les  Temples  ,  fous  les  ar- 
as bres ,  &  fur  le  fommet  des  Montagnes* 
y>  On  s'affembla  en  foule  pour  venir  les 
*>  adorer ,  &  on  rapportoit  la  profperité 
»  dont  on  jouiffoit ,  au  culte  qu'on  leur 

*  rendok De-là  vint,conclud  Mai- 

»  monides ,  que  le  nom  de  Dieu  fut  en- 
»  tierement  banni  de  la  bouche  &   an 

*  cœur  des  hommes*  » 

Tertullien ,  fans  parler  des  autres  ,' 
qui  a  cru  auffi  que  l'Idolâtrie  avoit  com- 
mencé avant  le  Déluge  ,  (i)  appuyoit  Id^î)c^& 
fon  opinion  fur  le  Livre  d'Henoc  ;  mais 
on  a  fait  voir  que  cet  ouvrage  ,  quoique 
très-ancien ,  portoit  toutes  les  marques 
d'un  Livre  apocriphe. 

C'eft  auffi  le  fentiment  de  la  plupart  M<*>  v°r*' 
des  plusfçavants  Rabbins  ;  (2)  ils  fe  fon-  UoU.K.kvW* 
dentfur  un  paflage  de  la  Genefe  (3)  ,  où  &^}  c  ^  y 


286  La  Mythologie  &  les  Tables 
il  eil  dit  d'Enos ,  IJle  cœpit  invocare  no* 
men  Domini  ;  ce  qu'une  autre  verfïon 
exprime  ainfi  :  Tune  profanatum  eft  in 
invocando  nomme  Domini  ;  &  cette  dif- 
férence vient  du  mot  chalal ,  qui  veut 
«dire  également,  commencer,  &  profa- 
ner. L'idée  que  les  Livres  faints  ,  ain- 
fi  que  les  Auteurs  profanes  ,  nous  don- 
nent des  anciens  Géants  ,  qu'ils  repré* 
fentent  comme  des  hommes  d'une  info-* 
lence  outrée  &  d'une  corruption  infinie, 
confirme  aflez  le  fentiment  de  ces  Rab- 
bins :  l'entreprife  de  ces  hommes  témé- 
raires contre  le  ciel  ,  ne  défigne-t'elle 
pas  qu'ils  vouloient  lui  difputer  la  Sou- 
veraineté ?  Mais  il  ne  faut  pas  appuïer 
davantage  fur  le  temps  qui  précéda  le 
■Déluge  ;  temps  fur  lequel  Moyfe  s'effc 
peu  étendu ,  &  de  ce  qu'il  en  dit ,  on  ne 
peut  rien  conclure  touchant  l'Idolâtrie. 
Car  enfin  le  païTage  fur  lequel  feul  on 
fe  fonde,  eft  très-difficile  à  entendre  ,  Se 
demanderoit  des  difcuilions  qui  m'éloi- 
gneroient  trop  de  mon  fujet.  On  peut 
consulter  la  fçavante  Diflertation  du 
P.  Souciet,  &  les  Reflexions  de  M.  Four* 
mont ,  lequel ,  quoiqu'il  convienne  qu'on 
n'en  peut  rien  conclure  pour  l'Idolâtrie 
devant  le  Déluge ,  ne  laiiTe  pas  pour  cela 
de  croire  qu'elle  commença  dan$nce 


Expï.parrHîJl.Liy.UI.CnAV.Î.  2&j 
temps-là  ,  &  en  afîïgne  cinq  caufes  , 
<jui  ont  fubfifte  également  après  Noé  ; 
l'admiration  ;  de-là  le  culte  des  Aftres  > 
fur  tout  du  Soleil  &  de  la  Lune  ,  ob- 
jets fifrappans  ,  fi  utiles,  &  dès-là  fi  pro- 
pres à  attirer  le  culte  des  hommes.  La 
tendreffe  ;  une  mère  n'a  qu'un  fils  qu'el- 
le chérit,  elle  le  perd  ,  en  fait  faire  une 
Statue  3  &  cette  image  devient  la  Divi- 
nité tutelaire  de  la  familie;  ainfi  qu  on 
le  voit  dans  le  Livre  de  la  Sageffe  :  cet 
exemple  rapporté  dans  l'Ecriture  n'eft 
pas  le  feul  qu'on  puiffe  citer.  La  crainte  ; 
tout  le  monde  fçait  cet  ancien  vers  , 

Primas  in  orbe  Deosfecit  timor  ; 

Se  perfonne  n'a  jamais  mieux  connu  cet- 
te foibleffe  des  hommes  que  nos  Million- 
naires de  l'Amérique ,  qui  entendoient 
dire  à  tout  propos  ;  fi  Dieu  eft  bon  ,  il 
n'apasbefoin  de  notre  culte":  les  Dé- 
mons feuls  3  ou  les  Génies  malfaifants  , 
le  méritent  pour  les  empêcher  de  nous 
nuire.  De  la  mêm€  fource  font  fans  dou- 
te fortis  parmi  les  Romains  les  Dieux 
Avenunci ,  c'eft-à-dire ,  qui  éloignoient 
le  mal  ;  de-là  encore  la  DéefTe  Angero- 
na  ;  la  fièvre  ,  les  maladies  déifiées,  &  la 
crainte  elle-même  ,  qui  devint  chez  ce 
Peuple  une  Divinité.  L'efpérance  ;  c'eft 


lS8    La  Mythologie  &  les  Fables 

à  elle  qu'on  doit  l'origine  des  Dieu* 

Salutaires  ,  tels  qu'Apollon  ,  Efculape , 
&  tant  d'autres  ,  fur  le  fecours  defquels 
on  fondoit  l'efpérance  de  la  guérifon. 
Enfin  ia  flatterie  ,  &  il  n'eft  pas  nécef- 
faire  de  citer  des  exemples  des  Dieux 
qui  lui  doivent  leur  origine. 

A  ces  cinq  caufes  on  doit  en  ajouter 
une  fixiéme  ,  la  corruption  du  cœur  :  un 
cœur  corrompu  adore  fes  défauts  &  fes 
excès  ;fes  crimes  font  fes  premières  Di^ 
vinités. 

Un  Auteur  moderne  ,  perfuadé  que 
l'Idolâtrie  ne  commença  qu'après  k 
Déluge  ,  rapporte  une  caufe  bien  fingu- 
liere  de  fon  origine  ;  félon  lui ,  Tathéif- 
me  s'étoit  répandu  dans  le  monde.  *>  Cet- 
»  te  difpofition   d'efprit    à   l'égard   de 

*  Dieu ,  dit-il ,  eft  k  fouverain  crime  ; 
i  car  les  Athées  font  beaucoup  plus  o« 
x>  dieux  à  la  Divinité  que  les  Idolâtres. 

*  De  plus  ce  fentiment  eft  plus  propre 
»  à  porter  les  hommes  à  cette  exceffive 

*  corruption ,  dans  laquelle  k  monde 
y>  tomba  avant  le  Déluge.  La  connoiffan- 

*  cedr'xmDieu  ,  continue-t'il ,  de  quel- 
»  que  nature  qu'on  le  conçoive  ,  &  le 
»  culte  de  la  Divinité ,  eft  d^  foi  propre 
Ȉfervir  de  bride  aux  hommes  ;  c'eft 
^>  pourquoi  l'Idolâtrie  n'a  pas  été  inutt» 

le 


Expl.  par  PHift.  Li  v\  III.  Ckap.  ï.  s8p 
*>  le  au  monde  pour  en  arrêter  la  cor- 
»  ruption.  Il  y  a  donc  appparence  que 
»  les  vices  horribles ,  où  tomboient  les 
»  hommes  avant  le  Déluge,  ne  venoient 
»  que  de  ce  qu'ils  ne  corihoiffoient  point 
*>  Dieu  ,  &  ne  le  fervoient  pas.  Je  crois 
»  même  que  l'Idolâtrie  &  le  Polythéif- 
»  me ,  après  le  Déluge  ,  tira  fon  origine 
»  de  l'impiété  &  de  l'athéifme  qui  avoit 
»  régné  avant.  C'efl-là  Pefprit  des  hom- 
*>  mes  :  quand  ils  ont  été  féverement  pu- 
»  nis  pour  quelque  crime,  ils  fe  jettent 
»  dans  un  autre  extrémité.  C'efl  en  effet 
*>  dit-il,  ce  qui  arriva  aux  Juifs:  com- 
»  me  ils  furent  châtiés  très-rigoureufe- 
»  ment  pour  s'être  abandonnés  à  l'Ido- 
»  latrie,  &  avoir  négligé  la  célébration 
»  du  Sabbat ,  de  retour  de  la  Captivité 
*  de  Babylone  ils  conçurent  tant  d'hor- 
»  reur  pour  les  Idoles  ,  qu'ils  fe  porte- 
»  rent  plus  d'une  fois  à  la  révolte ,  plû- 
»  tôt  que  de  fouffrir  que  leurs  Gouver- 
»  neurs  portaffent  les  Enfeignes  où  é- 
»  toient  peintes  les  Aigles  Romaines  ; 
»  &  qu'ils  fe  biffèrent  battre  dans  diffé- 
ra rentes  occasions,  pour  ne  pas  violer  la 
»  célébration  du  Sabbat.  Je  conjecture , 
»  conclut  le  même  Auteur ,  qu'il  eft  ar- 
»  rivé  quelque  chofe  de  femblable  aux 
§>  hommes  après  le  Déluge.  Comme  ils 
Tome  I.  *     N 


'2p0  La  Mythologie  &  les  Faites 
»  jugèrent  que  cet  horrible  châtiment  J 
*>  qui  portoit  des  marques  fî  évidentes  de 
*>  la  colère  de  Dieu  ,  étoit  arrivé  pour 
*  punir  TAtheifme  ,  ils  fe  jetterent  dans 
w  l'extrémité  oppofée  ;  ils  adorèrent  tout 
*>  ce  qui  parut  mériter  leur  culte  ».  On 
convient  aifément  avec  cet  Auteur  que 
r Athéifine  eft  le  plus  grand  de  tous  les 
crimes  ,  Se  que  l'Idolâtrie  ,  malgré  tout 
ce  que  M.  Bayle  a  dit  pour  détruire  cet- 
te prétention  ,  peut  fournir  contre  le  dé- 
règlement des  mœurs  un  frein  que  Y  A- 
théifme  ne  donne  pas  ;  mais  où  a-t-il  pris 
que  les  hommes  d'avant  leDeluge  fe  fuf- 
fent  portés  à  cet  excès  d'impiété  ?  Il  de- 
voit  du  moins  en  excepter  la  race  choi- 
fie ,  les  defeendans  de  Seth.  Moyfe  dit 
bien  à  la  vérité  Ça) ,  que  du  commerce 
des  Anges  ,  c'eft-à-dire ,  des  fuccefleurs 
de  Seth  ,  avec  les  filles  des  hommes,  par 
où  Ton  doit  entendre  celles  qui  defeen- 
doient  de  Caïn  ,  naquirent  les  Nephelim , 
qui  tombèrent  dans  les  plus  grands  dé- 
fordres,  comme  leur  nom  même  le  ligni- 
fie ;  mais  il  ne  dit  nulle  part  qu'ils  devin- 
rent des  Athées.  Orque  peut-on  fçavoir 
de  ces  premiers  hommes  ,  que  ce  que  ce 
iaint  Ecrivain  en  a  raconté  ? 

(a)  Voyez  ce  qui  a  e'té  dit  fur  ce  fujet  dans  le  Livre  pséc*3 
asm ,  pag.  205.  &  fuivames. 


Expl.parPHijt.Liv.îIl.CnAV.Ï.  291 

Quoiqu'il  en  foit  des  commencemens 
de  l'Idolâtrie  ,  il  eft  sûr  que  la  connoif- 
fance  &  le  culte  du  vrai  Dieu  furent  réu- 
nis dans  la  famille  de  Noé  ,  qui  refta 
feule  fur  la  terre  après  le  Déluge.   Ce 
faim  Patriarche  pour  rendre  grâces  à 
Dieu  de  l'avoir  confervé*,  lui  offrit  des 
facriiîces  folemnels  de  tous  les  animaux 
purs  qui  étoient  fortis  de  l'Arche  ;  & 
fans  doute  qu'il  ne  manqua  pas  de  re- 
commander à  fes  enfans  &  à  Ces  petits- 
fils,  de  conferver  avec  refpeâ  le  cuke 
que  Dieu  lui  avoit  preferit  lui-même. 
Ainfï  avant  la  divifion  des  langues ,  Se 
pendant  que  les  fils  &  petits-fils  de  ce 
Patriarche  ne   compofoient  qu'une  fa- 
mille Se  qu'un  peuple ,  il  y   a    toute 
apparence  que  la  pureté  de  ce  culte  ne 
•fut  point  altérée.  Noé  vivoit   encore  , 
il  étoit  le  chef  de  ce  peuple.  Sem ,  Cham  f 
&  Japhet,  témoins  eux-mêmes    de   h 
vengeance  de  Dieu  fur  leurs  contempo- 
rains ,  vivant  au  milieu  de  leurs  familles , 
auroient-ils    fouffert    que   leurs  enfans 
eufTent  abandonné  ce  même  culte  ?  On 
ne  lit  rien  dans  l'antiquité  qui  puiiTe  nous 
porter  à  le  croire.  Il  y  a  donc  toute  forte 
d'apparence  que  ce  ne  fut  qu'après  la 
difperfion  de  ce  peuple  ,  que  commença    - 
l'Idolâtrie  ;  &  pendant  que  dans  quel- 

•     Nij 


2p2  La  Mythologie  &  les  Tables 
ques  familles ,  furtout  dans  celle  d'où 
fcrtit  Abraham,  on  conferva  plus  long- 
temps la  véritable  Pveligion  ,  les  au- 
tres l'abandonnèrent  pour  adorer  de 
vaines  Idoles ,  que  leur  ignorance  \  ou 
plutôt  la  corruption  de  leur  cœur  ,  avoit 
formées. 

Cependant  Noé  furvêcut  à  l'introduc- 
tion de  ce  défordre  ,  &  ne  put  étouffer 
entièrement  le  fatal  penchant  qu'avok 
l'homme ,  à  chercher  des  objets  fenfibles 
pour  leur  rendre  fes  hommages  ;  &  de 
fon  vivant  même  (  car  il  ne  mourut 
qu'environ  le  temps  de  la  naiiïance  d'A- 
braham )  l'Idolâtrie  étoit  fort  répandue 
fur  la  terre. 

Il  n'eft  pas  aifé  de  dire  précifément 
ni  par  qui ,  ni  en  quel  temps ,  ni  par  quel 
objet  elle  commença  ;  l'Ecriture  Sainte 
n'en  parle  qu'en  paffant,  &  par  occafîon. 
La  première  fois  qu'elle  en  fait  mention , 
c'eft  au  fujet  du  fils  de  Zelpha  ,  Ser- 
vante de  Lia.  D'abord  que  cet  enfant  fut 
né ,  Lia  prononça  ces  deux  mots ,  Ba- 
Gad  \  &  elle  lui  donna  le  nom  de  Gad. 

(i)  vtDiis  Selden  dit  (i)  que  les  Hébreux  interpré- 
%&*•  toient  ce  mot  par  celui  d'Aftre  favora- 

(z)  m»L  ble  (2),  &  que  Gad  en  Arabe  figmfie  la 

?ok.  bonne  fortune.  Saint  Auguftin  prétend 

que  Lia  parla  en  cette  occafîon  à  lama-- 


ExpLpar  PHift.  Liv.III.Chàp.L  ip} 

niere  des  Idolâtres  ,  &  qu'elle  invoqua 
FAftre  favorable  à  la  naiflance  de  fon 
fils.  Ctrte  aut  Lia  pr opter e a  locuta  eft , 
quod  adhuc  Gentilitatis  confuetuditiem 
retinebat.  (i)Le  même  terme  de  Gad  fe  G)/» Geo! 
trouve  dans  Ifaïe  ;  la  Vulgate  le  traduit 
par  celui  de  fortune  :  Qmponitis  fortunce 
menfarriy  (2)  &  les  Septante  par  celui  [0[z)VL6s* 
de  Démon  ,  ^^«v,  qui  peut  fignifier 
tous  les  Dieux  en  général. 

La  féconde  fois  qu'il  eft  parlé  d'Ido- 
lâtrie dans  la  Genefe  ,  c'eft  lorfque  Ja- 
cob fortit  de  la  maifon  de  Laban  ,  &  que 
Rachel  enleva  fecrettement  les  Thera- 
phirm  de  fon  père.  La  Vulgate  à  traduit 
ce  mot  par  celui  d'Idoles  :  Rachel  furata 
eft  Idola  patris  fui  (3)  :  ôc  cette  verfîon  WGea.sw 
fe  juftifie  par  les  paroles  mêmes  de  La- 
ban ,  qui  fe  plaignant  à  Jacob  ,  lui  dit  : 
Pourquoi  avez-voas  dérobé  mes  Dieux  ? 
Car  fur at us  es  Deos  meos  (4)  ?  Ces  paf-  (4)  #*£ 
fages  marquent  bien  à  la  vérité  que  l'I- 
dolâtrie regnoit  du  tems  de  Jacob  ,  ce 
qu'on  ne  fçauroit  contefter  ;  elle  étoit 
même  beaucoup  plus  ancienne  que  lui', 
puifque  la  ville  de  Ur  en  Chaldée  où 
demeuraient  fes  ancêtres ,  étoit  une  vifë 
le  Idolâtre,  qu'Abraham  fon  père  ab- 
bandona  ;  mais  ils  ne  nous  apprennent 
pas  l'époque  de  fon  etabliïTement  dans 
|e  monde.  N  iij 


flp4    La  Mythologie  &  les  Fables 

L'Auteur   du    Livre  de  la  Sagefïe 
nous  propofe  deux  ou  trois  fources  de 
l'Idolâtrie.  La  première  eft  le  regret  & 
l'amour  d'un  père  qui  a  perdu  fon  fils 
dans  un  âge  peu  avancé.  Pour  fe  confo- 
ler  de  fa  mort ,  il  fait  faire  la  figure  de 
cet  enfant,  &  lui  rend  dans  fa  famille 
les  honneurs  divins.  De  fa  famille  ce  cul- 
te fe  répand  dans  la  Ville ,  &  d'un  Dieu 
particulier  ,  on  en  fait  bien-tôt  une  Di- 
0)Sa?.c.  vinké  publique  (a).  La  féconde  fut  la 
i3-J-  '*•  c  beauté  de  l'Ouvrage  d'un  Sculpteur  ;  on 
i*/v.  8.     "  crut  que  la  Divinité  habitoit  dans  des 
Statues  fi  bien  faites  (2).  La  troisième  , 
qui  revient  au  même  ,  eft  lorfqu'un  Ou- 
vrier en  argille ,  a  fait  une  Statue  bien 
proportionnée  ,  &  l'a  confacrée  cosnme 
une  Divinité  :  Et  cvtm  labore  vano  Deum 
fingit  de  eodem  luto >  &c.  (3)  Calvin, 
Tnfc! i..  i.'o  pour  s'autorifer  à  rejetter  le  Livre  delà 
?fc  Sageffe,  a  prétendu  que  l'Auteur  s'étoit 

grofîîerement  trompé  fur  l'origine  de  l'I- 
dolâtrie ;  mais  c'eft  qu'il  n'a  pas  voulu 
voir  que  celui  qui  a  compofé  ce  Livre,  n'a 
jamais  eu  deffein  de  traiter  dogmatique- 
ment de  l'origine  du  culte  des  faux 
Dieux  ,  &  qu'il  n'a  voulu  que  donner 

(a)  Acèfho  enirn  IhBh  dolens  pater  ,  cito  Çibi  y -afii  fr/iifecit 
imaginent  ,  <&  illnm  qui  tune  quafi homo  mortuns  fneïdt  ,  nnne 
t.wquam  Deum  colère  ccepit..-  Deiniie  intervenknte  tempore.-» 
tyc  çntar  tanquam  lex  cuj}QciitH$  eft,  (Jç.  sap,  15 .  Y.  15 .  &  1$% 


Expl.par  VHift.  Liv.  III.  Chap.  I.  295: 

en  pafîant  quelques  exemples  de  cette 
efpece  d'Idolâtrie,  qui  porta  les  An- 
ciens à  adorer  des  Statues  ,  &  à  rendre  à 
des  hommes  morts  ,  les  honneurs  divins. 

Ce  n'efl:  donc  point  dans  les  Livres 
Saints  ,  que  nous  pourrons  apprendre 
la  véritable  époque  de  l'établiïTement 
de  l'Idolâtrie ,  &  nous  a'avons  dans  l'An* 
tiquité  aucun  Auteur  qui  mérite  d'être 
fuivi  fur  cette  matière.  Voici  ce  qu^il  en 
faut  penfer. 

Dieu  s'étoit  trop  manifefté  aux .  Pa- 
triarches ,  comme  on  Fa  déjà  dit ,  pour 
qu'ils  puflent  le  méconnoître  &  le  laifTer 
ignorer  à  leur  pofterité.  Ainfï  les  pre^ 
iniers  defeendans  de  |Noé  conferverent 
la  pureté  du  culte ,  dont  Dieu  leur  a-* 
voit  lui-même *iiété  les  Loix.  Ce  culte 
fe  perpétua  non  feulement  dans  la  bran- 
che d'Abraham  ,  ilfe  trouva  même  quel- 
quefois dans  les  pays  les  plus  addon- 
îles  à  l'idolâtrie ,  des  hommes  qui  ado- 
roient  Dieu  en  efprit  &  en  vérité.  Mel- 
chifedech  Roi  de  Salem  ,  Jethro  beau- 
pere  de  Moyfe  ,  &  Job  ,  ne  font  peut- 
être  pas  les  feuls  qui  conferverent  1^ 
connoiïfance  du  vrai  Dieu. 

Cette  Religion ,  pure  dans  fes  corn* 
mencemens  ,  foufFrit  de  grandes  altéra-» 
jetions  dans  la  fuite  ;  mais  il  n'eft  pas 

Niiij 


2p6  La  Mythologie  &  les  Fables 
poffible  démarquer  les  véritables  épo-* 
ques  des  changements  qui  y  furent  faits. 
On  fçait  feulement  en  gênerai ,  que  l'i- 
gnorance ,  &  encore  plus  les  pafîîons  y 
cauferent  un  mélange  qui  corrompit 
tout.  Dès-lors  Tidée  de  Dieu  s'obfcur- 
cit  :  onfit  entrer  fes  ouvrages  en  concur- 
rence avec  lui  ;  Se  par  un  renverfement 
bîen  étrange,  mais  trop  réel,  au  lieu 
que  îa  beauté  des  Créatures  devoit  éle- 
ver Phomme  à  la  connoiflance  du  Créa- 
teur ,  elle  fit  oublier  celui  qui  les  avoit 
formées  ,  &  leur  attira  le  culte  qui  lui  é- 
toit  dû. 

Une  chofe  bien  digne  de  remarque  9 
c'eft  que  quelque  altération  qu'ait  fouf- 
fert  le  culte  primitif ,  le  fond  en  a  tou- 
jours été  le  même.  Parcourez  toutes  les 
Religions  du  monde  ,  &  vous  trouverez 
que  ce  font  prefque  partout  les  mêmes 
Miniftres  des  Autels  ,  le  même  caractè- 
re de  Sacrifices,  les  mêmes  obfervations 
légales  ,  ainfi  qu'on  le  verra  lorique  je 
parlerai  du  Sacerdoce  ôc  des  Viftimes  : 
en  forte  qu'il  femble  qu'on  peut  dire  du 
culte  en  général ,  ce  que  Procope  de 
Gaze  dit  des  Purifications  en  particu- 
lier ,  lorfqu'il  compare  celles  qui  étoient 
preferites  par  la  Loy  de  Moyfe  3  avec 
.celles  qui  étoient  pratiquées  dans  le  P%* 


m 


jËxpLparPHijl.Liv.IlL'  CrfAP.  I.  297 
ganifme.  Car  la  feule  différence  qu'il  y 
trouve  ,  c'eft  que  les  purifications  Ju- 
daïques étoient  plus  parfaites,  &  fans  au- 
cun mélange  de  fuperftition,pendant  que 
celles  des  Payens  en  étoient  infeftées. 

La  dépendance  qu'a  l'ame  de  l'hom- 
me ,  avec  les  fens  &  l'imagination  ,  né 
lui  permettant  pas  de  voir  Dieu  autre- 
ment qu'en  énigme ,  comme  dit  faint 
Paul  (1) ,  fait  qu'en  n'a  pu  nous  le  faire  C- 13 
connoître  que  fous  des  images  fenfîbles  ; 
images  qui  étoient  autant  de  fy mb oies 
capables  de  nous  élever  jufqu'à  lui ,  du 
moins  autant  que  le  comporte  l'état  de 
l'homme ,  comme  le  Portrait  nous  re- 
met celui  dont  il  ell  la  peinture.  Ces 
fymboles  furent  multipliés  dans  la  fuite 
à  l'infini ,  &  jetterent  fur  la  Religion  une 
ebfcurité  impénétrable. 

Les  Egyptiens  portèrent  plus  loin  que 
les  autres  Nations  cette  feience  fymbo- 
lique  &  hiéroglyphique  ;  mais  on  n'ofe- 
roit  affurer  qu'ils  en  furent  les  inven- 
teurs. Il  efl  sûr  du  moins  que  dans  toutes 
les  Religions  que  nous  connoilfons  dans 
les  Indes  Orientales  &  Occidentales  ,  il 
n'y  en  a  pas  une  dont  la  Théologie  ne  foit 
remplie  de  pareils  fymboles.  Si  nous 
nous  en  rapportons  àDiodore  de  Sicile 
(2)  les  Cretois  qui  fe.  vantoient  que  la. 

N  7 


(2)  iàv.2.t; 


i$$  La  Mythologie  &  les  Fable f 
plupart  des  Dieux  étoientnés  chez-eux  ^ 
le  glorifîoient  en  même-temps  d'être  les 
premiers  qui  leur  avoient  établi  un  culte, 
desfacrifices ,  des  myfleres,  lefquels  s'é- 
toient  répandus  de  chez  eux ,  chez  tous 
les  autres  Peuples. 

Quoiqu'il  en  foit ,  les  Philofophes  , 
fur-tout  les  Platoniciens ,  tâchoient  d'é- 
tablir ,  au  fujet  de  l'origine  de  l'Idolâtrie 
un  fiftême  particulier  ,  qui  feroit  très- 
capable  ,  s'il  étoit  bien  prouvé ,  d'en  di- 
minuer l'abfurdité.  Us  (outenoient  que 
l'idée  que  les  Sages  de  l'antiquité  s'é- 
toient  formée  de  Dieu  ,  étoit  celle  d'un 
Etre  fuperieurà  tout  ce  qui  exifte  ;  d'un 
Efprit  répandu  dans  l'Univers  ,  qui  ani- 
me tout,  qui  eft  le  principe  de  toute  gé- 
nération, &  qui  donne  la  fécondité  à 
tous  les  Etres  ;  d'une  Hame  vive  ,  pure , 
Se  toujours  aétive  ;  d'une  intelligence  in- 
finiment fage  ,  dont  la  Providence  veille 
fans  ceffe  à  tout  &  s'étend  fur-tout;  en 
un  mot ,  d'un  Etre  auquel ,  à  raifon  de  fa 
fuperiorité  ,  ils  avoient  donné  des  noms 
différents  ;  mais  qui  portoient  toujours 
le  caraftere  de  ce  domaine  Souverain  , 
qui  ne  convient  qu'au  Maître  abfolu ,  & 


à  celui  de  qui  tout  émane. 

sentira  ens  .       — < 


^payen^fur      Porphyre ,  après  Theophrafte  ,  s'ef- 
i  °ioutr%de    ^orÇa  m^mc  ^e  Prouvef  <luc  *a  Religion 


Expl.parPHijlIiiv  JILChavIIL  299 

dans  fes  commencemens  ,  étoit  fondée 
fur  des  pratiques  très-pures  ,  &  fur  des 
idées  bien  différentes  de  celles  qui  re- 
gnoient  de  fon  temps.  U  prétend  que 
dans  les  commencemens  on  n'adoroit 
aucune  figure  fénfible  ,  qu'on  n'offroit 
aucun  facrifice  fanglant ,  &  que  les  noms 
ôc  les  généalogies  de  cette  foule  de 
Dieux  qu'on  connoiïToit  de  fon  temps , 
n'étoient  pas  même  alors  inventés.  On 
rendoit,  difoit-il ,  au  premier  Principe  de 
toutes  chofes  des  hommages  purs ,  on  lui 
préfentoit  des  herbes  &  des  fruits ,  &  on 
faifoitdes  libations  de  liqueurs,  pourre- 
çonnoître  par-là  fon  fouverain  domaine» 
Tel  étoit ,  félon  lui ,  le  Paganifme , 
Bc  la  Religion  des  Sçavans  ;  celle  que 
Ton  combattoit  avec  tant  de  fuccès, 
n'étoit  que  celle  du  peuple  ôc  des  igno- 
rons. Ainfî  cet  habile  Philofophe  pré- 
tendoit  par  un  fyftême  rafiné ,  exeufer 
l'Idolâtrie  ;  mais  on  ne  prit  pas  le  chan- 
ge. On  lui  foutint  qu'on  n'avoit  jamais 
trouvé  nulle  part,  excepté  parmi  les 
Patriarches  ,  ôc  chez  les  Juifs ,  une  Re- 
ligion telle  qu'il  dépeignoit;  ôc.  que 
l'Idolâtrie  la  plus  groffiere ,  étoit  le 
fyftême  dominant.  Il  faut  pour  fe  con^ 
duire  dans  la  recherche  de  l'origine  de. 
l'Idolâtrie  ,  des  guides  plus  sûrs  que 
&tt  Philofophes  Payent .  KL  v j 


300     La  Mythologie  &  les  Fables 

Les  Pères  ont  pris  la  chofe  du  côté 
de  la  morale  ,  &  ils  ont  dit  avec  beau- 
coup de  raifon  ,  que  l'Idolâtrie  n'eft 
venue  dans  le  monde  ,  que  par  la  cor- 
ruption du  cœur  de  l'homme.  L'orgueil, 
l'amour  de  l'indépendance ,  le  penchant 
aux  plaifirs  des  fens  ,  font  les  véritables 
caufes  de  fon  établiiTement ,  &  on  ne 
fçauroit  en  difconvenir. 


CHAPITRE    IL 

En  quel  temps  commença  V Idolâtrie.. 


M 


Aïs  en  quel  temps  commença 
__  ce  defordre  ,  &  par  quels  degrés 
arriva-t-il  à  ce  comble  d'horreur, qui  fera 
toujours  rougir  de  honte  l'humanité  ?  Su 
(OLiv.  i.  Epiphane  croit  (i)  que  Sarug,  ayeuî 
dcb*ref>       de  Tharé  pere  d'Abraham  ,  en  ïxxt  le 
premier  Auteur  ;  mais  l'Ecriture  infinue 
z)  Jofué  24.  feulement  (2)  que  les  ayeuls  de  ce  Pa- 
triarche  étoient  engagés  dans  le  culte 
des  Idoles ,  fans  dire  qu'ils  en  avoient  été 
CO  Ant.  L,  les  inventeurs.  Jofeph  (3)  avance  mêu 
1  çht  9'       me  que  ce  mal  étoit  alors  fi  gênerai ,' 
qu'Abraham  fut  le  premier  qui  ofa  dire 
qu'il  n'y  avoit  qu'un  Dieu  ,  &  que  tout 
l'Univers  étoit  l'ouvrage  de  fes  mains  ; 

§S 


ExpLpar  PHïJl.  Liv.IJÏ.  Chap.II.  $ôt 
&  il  y  a  des  Pères  qui  n'ont  pas  même 
fait  difficulté  de  dire  que  ce  Patriarche 
lui-même  avoit  été  Idolâtre  :  quoique 
je  fois  du  fentiment  de  Jofeph  ,  & 
des  plus  fçavans  Rabbins  qui  le  nient, 
(a)  il  efl  toujours  sûr  que  l'Idolâtrie 
étoit  répandue  de  fon  vivant,  &  (£ue 
Dieu  le  préferva  de  cette  contagion, 
ou  du  moins  l'en  retira  ,  en  le  faifant 
fortir  de  la  Chaldée  où  il  demeuroit. 

Il  falut  donc  remonter  plus  haut.  Nem- 
rot  efl- celui  à  qui  on  attribue  ordinai- 
rement l'origine  de  l'Idolâtrie  :  on  pré- 
tend que  c'eft  lui  qui  introduiiît  le  culte 
du  feu,  qui  a  duré  fi  long-temps  (r).  0)  Hugo 
La  Ville  d'Ur  étoit  ainfi  appellée  à^*£*f 
caufe  qu'on  y  adoroit  le  feu,  &  c'eft 
ce  qui  a  donné  lieu  à  la  fable,  qui  dit 
que- le  Roi  qui  regnoit  du  temps  d'A- 
braham,  l'avokfait  jetter  dans  le  feu, 
parce  qu'il  s'oppofoit  à  cette  fuperfti- 
tion ,  &  que  Dieu  l'en  avoit  retiré  mi- 
raculeufement  ;  fable  Rabbinique ,  fon- 
dée fur  ce  qui  efl  dit  dans  l'Ecriture , 
que  ce  Patriarche  fortit  de  Ur  des  Chal- 
déens  (J?).  Mais  quelqu'idée  que  l'Ecri- 
ture nous  donne  de  l'infolence  de  NemK 

(a)  Uabbi  Maimonides  croit  cependant  qu'il  fut  Idolatrfi 
jufqu'à  l'âge  de  quarante-huir  ans. 
H)  yoyeis.Jçrgjfte,  Q,ueii,  Hebiaiques  fur  la  Getttfe* 


^oa  La  Mythologie  &  les  Fables 
rot ,  qui  fut  l'auteur  du  deflein  de  1*. 
Tour  de  Babel ,  deflein  qu'on  peut  re- 
garder comme  une  efpece  de  révolte 
contre  le  Ciel ,  il  n'eft  dit  nulle  part 
qu'il  ait  porté  les  Chaldéens  à  adorer 
des  Etres  fenfibles. 

On  n'eft  pas  mieux  fondé  à.  dire  que 
Ninus  fut  le  premier  auteur  de  l'Idolâ- 
trie :  elle  eft  plus  ancienne  que  lui , 
puifqu'il  ne  vivoit  que  vers  le  temps 
des  premiers  Juges  ,  comme  Uflerius  le 
prouve  (a)  fans  réplique ,  &  que  l'Ecri- 
ture. Sainte  reproche  long-temps  aupa- 
ravant à  Tharé  &  à  Nachor  le  culte 
des  Idoles.  On  peut  dire  feulement  r 
pour  ne  pas  s'éloigner  du  fentiment  de 
faint  Jérôme  &  de  faint  Cyrille  r  que 
ce  Fondateur  de  l'Empire  des  Aiîyriens , 
fut  un  des  premiers  qui  introduifit  cette 
efpece  d'Idolâtrie  ,  qui  eut  pour  objet 
le  culte  des  grands  Hommes  ,  ayant  fair 
bâtir  un  Temple  à  l'honneur  de  fon  père 
Belus  :  mais  il  y  avoit  une  Idolâtrie  bien 
plus  ancienne ,  comme  nous  le  dirons 
dans  un  moment. 

(a)  Cet  Auteur  place  le  règne  de  Bclu$  l'a»  du  R108d£ 
34Sir#  celui,  de  Niflus  en  jtfgj. 


ÏÏxpLparPHiJl.  Liv.HL  Chàp.IL  36I 

Article    Premier. 

Que  c*ejl  dans  VEgypte  &  dans  la  Phe« 
nicie  quelle  commença. 

C'eft  fans  cloute  dans  la  famille  de 
Cham  qu'il  faut  chercher  la  véritable 
origine  de  l'Idolâtrie.  Les  enfans  infor- 
tunés d'un  père  maudit  ,  oublièrent  les 
premiers  les  fages  confeils  de  Noé  ;  & 
fuivant  le  penchant  de  leur  cœur ,  Se  s'a- 
bandonnant  à  leurs  pafîïons ,  ils  cher- 
chèrent des  ohjets  fenfîbles ,  pour  leur 
offrir  un  culte  fuperftitieux.  Comme  les 
deux  fils  de  Cham ,  Chanaan  &  Mif- 
raïm ,  s'établirent  9  l'un  dans  la  Pheni- 
cie,  &  l'autre  dans  l'Egypte,  c'eft  dans 
ces  deux  Royaumes  que  l'Idolâtrie  prit 
naïiïance.  Je  crois  qu'elle  commença  plus 
tard  dans  les  pays  peuplés  par  les  defeen-* 
dans  de  Sem  &  de  Japhet. 

L'Egypte  Se  la  Phenicie  font  donc 
les  premiers  berceaux  de  l'Idolâtrie  ; 
c'eft  le   fentiment  d'Eufebe  (  1  )  ,  qui    (0  Préptr: 
avoit  fort  examiné  cette  matière;  de  &v*#ns'ch~** 
Laétance  (2) ,  Se  de  Caffian  (3)  ,  dont    (2)  peF*ih 
le  premier  en  rapporte  l'origine  à  Cha-  ^  cotu^ 
naan,    &  le  fécond  à  Cham  fon  père  ;  s.c.  **» 
c'eft  ce  qu'ont  penfé  fur  ce  fujet  plu- 


304  La  Mythologie  &  les  Fable  f 
fieurs  Rabbins  ,  qui  croyent  même  que 
ces  deux  Patriarches  étoient  Idolâtres 
avant  le  Déluge.  Voffius  (a)  dit  qu'il 
eft  hors  de  doute  que  l'Id'olâtrie  a  com- 
mencé dans  la  famille  de  Cham  ,  &  par 
conféquent  dans  l'Egypte.  Cet  Auteur 
ajoute  que  tous  les  Anciens  en  convien- 
nent ;  &  fans  parler  de  Diodore  ,  &  de 
plufîeurs  autres ,  il  fuffit  de  citer  Lucien , 

£)  **e  De*(i)  qui  dit  formellement  que  les  Egyp- 
tiens font  les  premiers  qui  ont  honoré 
les  Dieux  ,  &  leur  ont  rendu  un  culte 
folemnel.   Hérodote  ,   au   commence* 

fe)  Ciiap.4.  ment  de  fon  Hiftoire,  (2)  n'eft  pas 
auffi  précis  là-deffus  que  Lucien  ,  mais 
ce  qu'il  en  dit ,  revient  à  peu-près  au 
même.  Les  Egyptiens ,  au  rapport  de  ce 
fçavant  Hiftorien ,  font  les  premiers  qui 
connurent  les  noms  des  douze  grands 
Dieux  ,  &  feft  d?eux  que  les  Grecs  les 
mt  appris.  Ge  même  Auteur  affure  là 
Hiême  chofe  en  plufîeurs  endroits ,  ÔC 
particulièrement  dans  le  cinquième  Cha- 
pitre du  fécond  Livre ,  ainfî  qu'on  le 
verra  dans  la  fuite. 

L'Egypte  a  toujours  été  regardée 
comme  le  centre  dé  Pldolâtrie  ;  c'eft 
l'idée  que  l'Ecriture  en  donne  en  plu- 

(a)  Remaries  fol,  k-Tîâté  dç  ]j£aié&9tiicte5  2  îmilmi 


ExplparPHfi  Liv.IILChap.IL  ^ 

fieurs  endroits.  Là  regnoient  la  Magie, 
la  Divination  ,  les  Augures  ,  Tinter- 
pretation  des  longes  ,  malheureux  fruits 
d'un  culte  fuperftitieux.  Dès  le  temps 
même  de  Moyfc,  l'Idolâtrie  y  étoit  à 
fon  plus  haut  point ,  ce  qui  fuppofe  une 
grande  ancienneté  ;  car  enfin  un  fyfte- 
me  complet  de  Religion  ne  s'établit 
qu'avec  beaucoup  de  temps.  Moyfe  mê- 
me ne  femble  avoir  donné  un  ù  grand 
nombre  de  préceptes  aux  Juifs,  que  pour 
les  oppofer  en  tout  aux  cérémonies 
Egyptiennes.  Ce  qui  regarde  les  Sacri- 
fices ,  l'ufage  des  viandes  ,  &  la  Police, 
ne  fut  établi  que  pour  les  éloigner  des 
pratiques  de  ce  Peuple  idolâtre. 

Voilà  fans  doute  le  pays  où  com- 
mença l'Idolâtrie  :  de-là  elle  pafla  dans 
la  Phenicie ,  fi  même  elle  n'y  commença 
pas  en  même  temps  (#);  &  de  la  Pheni- 
cie elle  fe  répandit  en  Orient ,  dans  les 
lieux  où  habitoient  les  defcendans  de 
Sem  ,  dans  la  Chaldée  ,  la  Mefopota- 
mie  ,  &  les  lieux  voifîns  ;  &  dans  l'Oc- 
cident où  s'étoit  établie  la  pofterité  de 

(a)  Plusieurs  Sçavans  foutiennent  que  l'Idolâtrie  com- 
mença dans  la  Phenicie  ,  &  que  de-là  elle  fe  repandit  en 
Egypte.  Il  eft  bien  difficile  de  contefter  un  fait  û  ancien» 
On  accorde  tout ,  en  difant  comme  je  le  fais  ,  qu'elle  corn- 
.  mença  peut  être  en  même  temps  dans  ces  deux  pays  ,  peu- 
plés run  &  l'autre  par  U  rnirae  famiik, 


r$o6  La  Mythologie  &  les  Fables 
Japhet  ,  c'eft-à-dire ,  dans  lcAfîc  mi- 
neure ,  dans  la  Grèce  &  dans  les  Mes. 
C'eft  le  chemin  qu'Eufebe  &  les  autres 
anciens  Pères  lui  font  prendre;  &  il  ne 
faut  pas  écouter  les  Grecs ,  quand  ils 
difent  que  l'Idolâtrie  commença,  ou 
dans  l'Ifle  de  Crète  fous  le  règne  de 
Meliflus,  ou  à  Athènes  fous  Cecrops,. 
ou  en  Phrygie  ;  puifqu'ils  ne  connoif- 
foient  pas  les  véritables  Antiquités ,  & 
qu'il  efl  fur  que  leur  Religion  &  leurs 
cérémonies  étoient  venues  d'Egypte 
&  d*  Phenicie,  avec  les  Colonies  qui 
leur  arrivèrent  de  ces  anciens  Royau- 
mes ,  comme  tous  les  Sçavans  en  con- 
viennent ,  &  comme  Hérodote  le  dit 
formellement. 

L'Egypte  &  la  Phenicie  font  donc  les 
deux  pays  où  l'Idolâtrie  a  pris  naiffan- 
ce.  Je  n'oferois  décider  fi  elle  com- 
mença du  vivant  même  de  Cham ,  mais 
il  efl  fur  du  moins  qu'elle  fut  fort  ré- 
pandue fousle  règne  de  Mifraïm  fon  fils* 

Article    IL 

Quel  fut  le  premier  objet  de  P  Idolâtrie^ 

Si   après  avoir  trouvé  l'époque  ht, 
plus  probable  de  l'Idolâtrie ,  &  décou* 


Expï.parVHiJl.Liv. III.Chàp.ïI.  307 
vert  les  lieux  où  elle  a  commencé, 
flous  voulons  maintenant  fçavoir  quel 
en  fut  le  premier  objet  y  il  faut  obferver 
la  même  méthode ,  5c  rapporter  les  dif- 
férentes opinions.ies  Sçavans,  Si  nous 
en  croyons  le  célèbre  Votfus  (1)  , ,  la^^* 
plus  ancienne  Idolâtrie  a  ete  celle  des 
deux  Principes.  Les  hommes  ayant  vu  , 
le  monde  rempli  de  biens  &  de  maux , 
&  ne  pouvant  s'imaginer  qu'un  Etre  qui 
eft  effentiellement  bon,  pût  être  l'au- 
teur du  mal ,  inventèrent  deux  Divini- 
tés égales  en  puifTance  &  éternelles.  Ils 
crurent  que  tout  le  bien  venoit  du  bon 
Principe ,  &  que  le  mauvais  faifoit  tout 
le  mal  qu'il  pouvoit  faire  ;  que  celui-ci 
voyant  que  le  bon  Principe  vouloit  créer 
un  monde,  avoit  traverfé  fon  deffem 
autant  qu'il  avoit  pu  ;  qu'il  y  avoit  eu 
à  ce  fujet  une  guerre  très-vive  entre  ces 
deux  Etres ,  &  que  c'eft  ce  qui  avoit 
retardé  cette  création ,  jufques  au  mo- 
ment où  le  bon  Principe  avoit  eu  le 
defTus  :  que  le  mauvais  pour  s'en  ven- 
ger ,  y  avoit  répandu  toutes  fortes  de 
maux  &  de  miferes.  Ce  fçavant  Auteur 
ajoute  qu'on  ne  peut  pas  fixer  au  jufte 
l'époque  de  cette  erreur ,  ni  dire  quel 
en  fut  le  premier  auteur  ;  mais  ii  penfe 
avec  raiibn  qu'elle  eft  très-ancienne* 


5°8  ^a  Mythologie  &  les  Fables 
(i)  in  îfide.  Plutarque  (i)  fait  une  longue  énume- 
ration  de  ceux  qui  Font  enfeignée ,  noa 
feulement  parmi  les  Grecs ,  mais  chez 
les  Barbares  même  ;  &  certes  cette  opi- 
nion étoit  bien  ancienne  chez  les  Perfes, 
continue  Volîius  ,  puifque  le  fameux 
Zoroaftre  l'y  trouva  établie.  Car  quoi- 
qu'on ne  fçache  pas  qui  étoit  ce  Zo- 
roaftre ,  ni  le  remps  auquel  il  a  vécu  ,' 
on  fçait  bien  qu'il  eft  très-ancien  ,  &  il 
y  a  apparence  que  c'eft  Mifraïm  lui- 
même  .,  fils  de  Cham,  qui  fut  appelle 
après  fa  mort  Zoroaftre  ,  comme  qtfï 
diroit  Apre-vivant ,  parce  qu'il  avoit 
porté  les  Egyptiens  à  rendre  aux  Aftres 
un  culte  religieux. 

On   peut  remarquer    ici  en  pafTant 
<z(  Thomas  qu'un  fçavant  Anglois  (2) ,   qui   con- 
gioVdettn-  n°iff°ît  mieux  que  Voiîîus  la  Religion 
cîens  Pcifes,  des  anciens  Perfes  ,  a  bien  éclairci  ce 
h  î*  1.  &c    qu«  regarcje  Zoroaftre  ;    il  s'appelloit 
Zeratucht  ou  Zerduckt  y  Se  vivoit   du 
temps  de  Darius  ,  fils  d'Hyftafpès.    Ce 
grand  homme  ,  bien  loin  d'avoir  intro- 
duit FIdolâtrie  chez  cet  ancien  Peuple , 
employa  tous  fes  foins  pour  la  détruire, 
ôc  ramena  les  plus  raifonnables  à  la  con- 
noiflance  d'un  feul  Principe  ,  Créateur 
du  ciel  ôc  de  la  terre  ,  ainfi  que  Sem  ôc 
Abraham  leurs  premiers  Patriarches,  k: 


Expl.parPHift.  Liv.  III.  Chàp.II.  309 

leur  avoient  enfeigné,  Mais  parceque  le 
Sabifme  (a)  ,  c'eft— à-dire  ,  le  culte  des 
Aftres  &  des  Planètes  ,  étoit  la  Reli- 
gion dominante  ,  il  fut  obligé  d'ufer  de 
quelque  tempérament  ;  &  pour  ne  pas 
effaroucher  les  efprits  ,  il  préfcrivit  à 
l'égard  du  Soleil  &  du  feu  ,  qui  eft  le 
principe  de  la  fécondité ,  une  efpece  de 
culte  fubordonné ,  &  quelques  cérémo- 
nies purement  civiles  ,  telles  qu'elles  fe 
pratiquent  encore  aujourd'hui  dans  les 
Indes ,  fur-tout  aux  environs  de  Surate , 
par  les  Mages  defeendans  de  ces  anciens 
Perfes ,  qui  félon  cet  Auteur  ,  ne  font 
nullement  Idolâtres  ,  quoiqu'en  difent 
les  Mahometans ,  qui  voudraient  les  at- 
tirer à  leur  Religion  ;  puifqu'il  eft  vrai, 
à  ce  qu'il  prétend.,  qu'ils  n'adorent 
qu'un  feul  Dieu  ,  premier  principe  de 
tous  les  êtres ,  &  qu'ils  n'adreffent  qu'à 
lui  leurs  vœux  &  leurs  prières  :  &  s'ils 
honorent  le  feu  &  le  foleil ,  c'eft  qu'ils 
le  regardent  comme  l'image  la  plus  pure 
du  Créateur ,  &  le  Temple  où  il  a  éta- 
bli fon  Trône  (b). 

Mais  pour  revenir  à  l'Idolâtrie  des 

U)  Ce  mot  veut  dire  Copia  ,  &  Sakàite  ,  Copia-fins  ,  com- 
me qui  diroit  celui  qui  adore  la  milice.  Voyez  Hyde , 
loc .  cit. 

{b)  Voyez  l'Hiftoirc  du  Culte  de  Mithras,  Liv.  7* 
Ch«Ç.  XI.  p.  6io 


5  ï  o     La  Mythologie  &  les  Tables 
deux  Principes ,  Vofïïus  foutient  qu'elle- 
fe  repandit  en  peu  de  temps  dans  toute 
l'Egypte,  fîvous  exceptez  laThebaïde, 
où  le  culte  du  vrai  Dieu  s'étoit  confer- 
vé  ;  &  il  prétend  que  tout  ce  que   les 
Egyptiens  publièrent  d'Ofîris&  de  Ty-> 
phon ,  &  des  perfecutions  de  ce  dernier 
contre  fon  frère  ,  devoit  s'entendre  de 
ces  deux  Principes  ,  &  de  leur  guerre 
éternelle  :  &  c'efl:  fans  doute  ce  que  cet 
ancien  Peuple ,  dont  la  Théologie  étoit 
toute    remplie    de   fymboles ,   vouloit 
nous  apprendre  par  la  fable  myfterieufe, 
qui  difoit  qu'Ofîris  avoit  enfermé  dans 
un  œuf  douze  figures  pyramidales  blan- 
ches, pour  marquer  les    biens   infinis 
dont  il  vouloit  combler  les  hommes  ; 
mais  que  Typhon  fon  frère  ayant  trouvé 
le  moyen  d'ouvrir  cet  œuf,  y  avoit  in- 
troduit fecretement  douze  autres  pyra- 
mides noires  ,  &  que  par  ce  moyen  le 
mal  fe  trouvoit  toujours  mêlé  avec  le 
bien  [à). 

On  peut  ajouter  que  tout  ce  que  les 
Philofophes  ont  dit  touchant  ce  bon  Se 
ce  mauvais  Principe  ;  tout  ce  que  les 
Perfes  ont  publié  de  leurs  deux  Divi- 
nités ,   Oromafe  &  Ariman  ;  les  Chai- 

(*)    Voyez    l'Hiftoire    cTOfîiis,    Liv.    6.   Chap.  & 
ért.  i. 


ExpI.parPHiji.LivlIL  Chap.IL  31 1 

tiéens  ,  de  leurs  Planètes  bienfaifantes 
ou  nuiïibles  ;  les  Grecs  ,  de  leurs  Gé- 
nies ou  falutaires  ou  pernicieux  ;  tout 
cela ,  dis-je ,  tire  fon  origine  de  cette 
ancienne  Théologie  des  Egyptiens  ,  en- 
veloppée fous  les  fables  d'Ofîris  &  de 
Typhon.  Cette  opinion ,  fî  nous  vou- 
lons remonter  à  fa  véritable  fource  ,  ve- 
noit  de  la  peine  qu'on  avoit  eu  de  tout 
temps  à  accorder  comment  le  mal  pou- 
voit  s'être  introduit  dans  le  monde,  qui 
étoit  l'ouvrage  d'un  Dieu  infiniment  bon 
&  bien-faifant.  Pour  ce  qui  regarde  les 
autres  fables  qu'on  y  mêla ,  elles  pre- 
noient  fans  doute  leur  origine  dans  la 
tradition  <lu  combat  des  bons  &  des  mau- 
vais Anges. 

Quoiqu'il  en  foit,  cette  opinion  fit 
des  progrés  infinis.  Pythagore  alla  la 
puifer  en  Egypte  ,  pour  la  répandre  en- 
fuite  dans  toute  l'Italie.  Le  fameux  Mâ- 
nes ,  fans  parler  des  autres  progrès  de 
cette  erreur  ,  la  repandit  dans  le  Chri£ 
tiamfme  au  quatrième  fiecle ,  où  il  eut 
plufieurs  difciples.  Saint  Auguftin  lui- 
même  la  fuivit  pendant  quelque  temps  , 
mais  en  ayant  connu  le  ridicule,  il  la 
combattit  dans  la  fuite  avec  tant  de  fuc- 
cès ,  qu'on  la  regardoit  depuis  comme 
une  caufe  tout-à-fait  défefperée ,  lorf- 


5 1 2  La  My  thologie  &  les  Fable  f 
que  M.  Bajle .(a)  réfolut  de  la  relever; 
&  de  fe  rendre  P  Avocat  des  Manichéens; 
foît ,  comme  il  eft  très-vraifemblable , 
pour  donner  de  l'exercice  aux  Théolo- 
giens de  tous  les  partis  ;  foît  pour  faire 
voir  que  les  caufes  les  plus  defefperées, 
û  elles  tombenr  en  de  bonnes  mains, 
peuvent  fournir  de  quoi  embarraffer  les 
plus  beaux  efprits  ;  foit  pour  quelqu'au- 
tre  raifon  qu'on  ne  veut  pas  pénétrer  : 
&s'étant  vu  attaqué  de  toutes  parts  par 
d'illuftres  adverfaires  (b) ,  il  a  employé 
tous  les  artifices  d'un  efprit  fin  &  délicat, 
pour  donner  quelque  crédit  à  une  fî 
raauvaife  caufe.  Volfius  croit  que  cette 
erreur  prit  naiflance  chez  les  Chaldéens, 
d'où  elle  paffa  chez  les  Perfes  &les  In- 
diens ,  &  prefque  chez  tous  les  Peuples 
de  la  terre  ;  ce  qui  eft  vrai ,  pourvu 
qu'on  ne  regarde  pas  le  Manichéifme  tel 
que  Manès  l'a  enfeigné ,  &  qu'on  le  con- 
fïdere  fous  les  différentes  formes  qu'il 
eut. 

De  l'Idolâtrie  des  deux  Principes, 
,VofTius  pafle  à  celle  des  Efprits  ;  &  il 
cherche  les  caufes  qui  portèrent  les  hom- 
mes à  les  adorer.  Il  en  trouve  deux  ;  la 

(a)  Voyci  dans  fon  Di&ionaire  les  articles  des  Mani- 
chéens &  des  Pauliciens. 

(£(  Me/ïieurs  Bing,  le  Clerc,  Bernard,  &  Jaquelot. 

con- 


Expt.parPHifl.  Liv.III.  Chàp.IL  315 

oonnoiffance  qu'on  avoit  de  l'excellence 
de  leur  être ,  &  les  effets  furprenans 
qu'on  croyoit  qu'ils  produifoient  ;  ÔC 
fans  doute  que  les  Oracles ,  les  Spedres 
&  les  effets  magiques  ne  contribuèrent 
pas  peu  à  faire  reconnoître  leur  puiffan-* 
ce  &  leur  fouveraineté.  Leur  culte  s'éta- 
blit  prefque  par-tout ,  principalement 
à  l'égard  des  mauvais  Anges,  &  c'efl: 
fans  doute  ce  que  veut  dire  l'Ecriture 
Sainte  ,  quand  elle  appelle  tous  les 
Dieux  des  Gentils  ,  des  Démons  (1), 
On  trouve  encore  cette  forte  d  Idolâ- 
trie dans  tous  les  Pays  où  l'Evangile  n'a 
pas  été  reçu,  comme  les  Relations  da 
tous  nos  Miflionnaires  en  font  foi.  Mais 
il  faut  appliquer  ici  la  remarque  judi- 
cieufe  de  M.  le  Clerc  (2)  ,  qu'on  fe 
trompe  fi  l'on  croit  que  ces  Idolâtres 
qui  adorent  deux  Etres,  Pun  bienfaifant 
&  l'autre  mauvais  ,  entendent  par-là  les 
bons  &  les  mauvais  Anges ,  comme  s'ils 
fçavoient  le  fyflême  de  la  chute  des  uns, 
&  de  la  fidélité  des  autres  ;  au  lieu  qu'ils 
entendent  par  les  Génies ,  certaines  Pui£ 
fances  répandues  dans  le  monde,  qui  y 
font  le  bien  &  le  mal. 

Au  culte  des  Génies,  Voflîus  joint 
celui  des  âmes,  qui  s'établit  en  plusieurs 
pays ,  fi  nous  en  croyons  Mêla  ,  Hero^ 
Tome  L  O 


314  La  Mythologie  &  les  Fables 
dote  &  Tertullien  ;  fur  tout  en  Afrique 
où  l'on  avoit  beaucoup  de  vénération 
pour  celles  des  grands  hommes.  Mais 
comme  c'efl  ici  l'efpece  d'Idolâtrie  qui 
a  fait  dans  le  monde  le  plus  de  progrès, 
puifque,  comme  nous  le  ferons  voir, 
la  plupart  des  Dieux  des  Payens  n'ont 
été  que  les  grands  hommes  qui  fe  font 
diftingués  parmi  eux ,  donnons  plus  d'é- 
tendue à  cette  penfée  ,  &  propofons  les 
conjectures  d'un  habile  homme  (a)  fur 
l'origine  de  cette  efpece  d'Idolâtrie. 

Il  croit  que  deux  chofes  l'ont  intro- 
duite dans  le  monde;  la  reconnoiffance, 
&la  crainte;  ou  le  culte  qu'on  rendit 
aux  illuftres  morts  ,  &  Papprehenfion 
des  maux  qui  pouvoient  nous  arriver. 
Le  refpeâ:  qu'on  portoit  aux  Ancêtres 
fît  établir  la  coutume  des  Pompes  fu- 
nèbres ;  l'envie  qu'on  eut  de  plaire  aux 
vivans ,  fit  louer  avec  excès  les  a&ions 
des  morts  :  on  chantpit  à  leurs  funérail- 
les des  Cantiques  ,  on  les  élevoit  jus- 
qu'au ciel  ;  &  comme  avant  l'introduc- 
tion de  l'Enfer  Poétique  &  des  Champs 
Elyfées,  on  croyoit  que  les  âmes  er- 
roient  dans  les  maifons  &  dans  les  lieux 
qu'elles  avoient  fréquentés  pendant  leur 

(a)  Le  Père  de  Tournemine  ,  yoyez.  le  Journal  de  Tré- 
voux, année  1702. 


Explpar  VHifi.  Liv .III.  Chap.IL  3  iy 

union  avec  leur  corps  ,  on  éleva  dans 
l'endroit  le  plus  refpe&able  de  la  rnai- 
fon  des  efpeces  d'Autels  ,  où  l'on  gar- 
doit  leurs  portraits  avec  refpeâ,  &  on 
y  brûloit  des  paftilles  &  de  Pencens.  On 
établiffoit  quelqu'un  pour  avoir  foin  du 
culte  qu'on  leur  rendoit ,  &  c'efl  là  où 
Ton  alloit  dans  les  befoins  preflans,  pour 
implorer  leur  fecours.  L'envie  de  faire 
durer  un  miniftere  lucratif,  faifoit  in- 
venter à  ces  Prêtres  des  Hiftoires ,  où 
ils  mêlqient  beaucoup  de  furnaturel  ôc 
des  miracles  ,  tantôt  pour  épouvanter 
les  incrédules ,  tantôt  pour  animer  les 
dévots,  Ces  Miniftres  compofoient  aufîî 
des  Romans  fur  la  vie  de  ces  grands 
hommes  ,  qu'ils  cachoient  pendant  long- 
temps ,  &  qu'ils  faifoîent  paffer  dans  la 
Fuite  pour  de  véritables  hiftoires  :  Se 
quoique  les  contemporains  n'y  fuilent 
pas  trompés  ,  ceux  qui  vinrent  long- 
temps après,  ne  purent  apprendre PHif- 
toire  de  ces  grands  Hommes  que  de  la 
bouche  de  leurs  Prêtres  ;  &  comme  tout 
ce  qu'on  voyoit  reffentoit  la  divinité  ,  & 
qu'à  des  Chapelles  particulières  avoient 
fuccedé   des  Temples  publics  (a)  ,  on 

(a)  Ou  plutôt  les  Tombeaux  qu'on  leur  avoir  élevés  , 
étoient  fi  luperbes,  qu'ils-  furent  dans  la  fuite  regardés  com- 
me des  Temples  ,  ainiî  mie  le  remarque  S.  Clemem  d'A- 
lexandrie,   -Supcrflitèo  T'JmJa  condere  uer(aa:j  ,  oua   okm 

Oïj 


3 1 6  La  Mythologie  &  les  Fables 
s'accoutuma  tout  de  bon  à  honorer  ces 
premiers  hommes  comme  des  Dieux.  Il 
etoit  même  dangereux  de  vouloir  péné- 
trer la  fource  du  culte  établi;  il  penfa 
en  coûter  la  vie  à£fchyle,  .parœ  qu'on 
crut  que  dans  une  de  fes  pièces ,  il 
avoit  révélé  quelque  chofe  des  myfte- 
res  de  Cerès.  Aufiî  voyoit-on  dans  les 
Temples,  fur  tout  dans  ceux  d'Ofiris, 
une  ftatue  d'Harpocrate  tenant  un  doigt 
fur  fa  bouche  ,  pour  marquer  ,  comme 
le  dit  Varron,  qu'il  etoit  défendu  de  ré- 
véler le  myftere  de  fa  vie  &  de-fa  mort  ;  Se 
c'eft  auffi  ce  que  figriifioient  dans  lememe 
pays  les  Sphinx ,  placés  k  l'entrée  des 
Templesjcomme  des  fymboles  du  filence. 
La  féconde  caufe  de  l'Idolâtrie ,  fé- 
lon le  même  Auteur  ,  eil  la  crainte  des 
maux  qui  peuvent  nous  arriver  :  on  s'i- 
maginoit ,  par  exemple ,  que  les  Aftres 
caufoient  plusieurs  maux  par  leurs  in- 
fluences :  on  les  croyoit  animés  &  im- 
mortels i  parce  qu'on  les  voyoit  fans 
aucune  altération  ;  ainfî  on  imagina  que 
le  moyen  le  plus  sûr  pour  fe  les  rendre 
favorables  ,  étoit  de  les  appaifer  lors- 
qu'on les  croyoit  irrités  ;  &dès-lors  on 

privA    hemhtum  fepuirhra   fueruni  magnificentiùs    condita  , 
Tem}lorum  arpellathxe  votât*  \u,nt  ,   Cj7c.   &  c'efl  là  fans 

doute  uae  des  principales  fources  de  l'Idolâtrie. 


Expl.parrHift.Liv.IIL Chap.IL  3 17 
commença  à  fe  profterner  devant  la  Lu- 
ne &  le  Soleil ,  &  toute  la  milice  du 
Ciel  j  comme  le  reprochent  fi  fouvent 
les  Prophètes  aux  Nations.  Ainfi ,  pour 
le  dire  en  deux  mots  -,  le  culte  religieux 
fut  réglé  félon  les  befoins  des  hommes  : 
les  befoins  de  la  fociété  ,  firent  naître 
le  culte  des  hommes  illuftres  ;  ceux  de 
la  nature  donnèrent  lieu  à  celui  des  cho- 
fes  inanimées. 

Monfieur  le  Clerc  (a)  prétend  que  la 
plus  ancienne  efpece  d'Idolâtrie ,  eft  cel- 
le qui  rendoit  aux  Anges  un  culte  reli- 
gieux. L'opinion  où  l'on  étoit  fur  leur 
médiation  entre  Dieu  &  les  hommes , 
leur  fit  rendre  par  reconnoiffance  &  par 
crainte  quelques  refpe&s,  proportion- 
nés aux  biens  qu'on  croyoit  en  rece- 
voir. Enfuite  on  leur  rendit  un  culte 
fubordonné  à  celui  du  premier  Etre  ; 
enfin  on  les  adora ,  &  on  n'épargna  ni 
encens ,  ni  facrifîces  pour  les  appaifer 
lorfqu'on  les  crut  irrités  :  Sacrificaverunt 
DœmonitSy  &non  Dea  (i).  Du  culte  dès  (,) 
Anges,  fuivant  cet  Auteur,  on  paffa  à  c-  *2- 
celui  des  âmes  des  hommes  illuftres  :  en- 
fuite  ,  comme  on  s'avifa  de  dire  que  ces 
âmes  féparées  des  corps ,  étoient  atta- 

(a)  Index  P.hiUlog.  ad  H'iftor.  Philofiph.  Orient,  in  V9Cê 
Angélus. 

P  iii 


3 1 8     La  Mythologie  &  les  Fables 
chées  à  certains  Aftres,  &  qu'elles  les 
animoient,  on  en  vint  enfin  à  adorer  ces 
Aftres  mêmes. 

Sans  vouloir  entrer  ici  dans  la  criti- 
que de  ces  différentes  opinions  ,  qui  ne 
manquent  pas  de  vraifemblance  ,  j'ex- 
plique dans  le  Chapitre  fuivant  quel 
eft  mon  fentiment  fur  une  matière  fi 
ebfcure. 


CHAPITRE   III. 

Ou  Von  prouve  que  V Idolâtrie  a  commencé 
par  le  culte  des  Aftres. 

JE  fuis  perfuadé  que  l'Idolâtrie  a  com- 
mencé parle  culte  des  Aftres ,  &  fur 
tout  du  Soleil.  Comme  on  n'abandonna 
le  vrai  Dieu ,  que  parceque  l'idée  d'un 
Etre  purement  fpirituel  s'étoit  effacée 
dans  le  cœur  des  hommes  devenus  char- 
nels (a) ,  il  n'y  a  pas  d'apparence  qu'ils 
ayent  pris  d'abord  pour  objet  de  leur 

(a)  Kern:  ne  s  imbttillh  întelleRàs  non  valent  es  ccrpovaHa 
tranfeendere  ,  non  crediderunt  aliquid  ejjè  ultra.  îiatHram 
Jenjibilem  5  C7  ideo  inter  corçoYaiia  fofuerurtt  pïxeminere  C7* 
dijfonere  mnndam  -  y  me  putchrùraC?  digniora  eo  vitébad- 
tur  ■  C-7  eis  impendebant  dtvinum  cultum  ,  £7  ejafrnodis  funt 
topor*  ccehfiia  ,  fcilicet  Sel  C7  Luna  ,  C7  Stella*  Oivus  Tho* 
inas,  Opulç,  de  symbolo  Apofl. 


ExplparPHift.  Liv.  III.  Ch.III.  319 

adoration  ,  clcs  hommes  femblables  à 
eux.  Il  eft  bien  vraifemblable  qu'ils 
cherchèrent  des  êtres  fenfibles,  qui  por- 
taient le  caraflrere  de  la  Divinité  ,  dont 
ils  n'avoient  pas  entièrement  perdu  Pi- 
dée ,  &  qui  en  fût  le  fymbole  plus  ex- 
prefïïf.  Or  rien  n'étoit  plus  capable  de 
les  fédaire  que  les  Aftres,  &  le  Soleil  far 
tout  :  fa  beauté ,  le  vif  éclat  de  fa  lu- 
mière ,  la  rapidité  de  fa  courfe  y  exulta- 
vit  ut  gigas  ad  currendam  vlam  ;  (1)  fa  ^  l%* 
régularité  à  éclairer  tour  à  tour  toute  la 
terre  ,  &  à  porter  partout  la  lumière  ôc 
la  fécondité  ,  caractères  effentiels  de  la 
Divinité,  qui  eft  elle-même  la  lumière 
&  la  fource  de  tout  ce  qui  eft;  tout  cela 
n'étoit  que  trop  capable  de  faire  croire  à 
des  hommes  groiîîers  ,  qu'il  n'y  avoit 
point  d'autre  Dieu  que  le  Soleil ,  Ôc  qne 
cet  Aftre  brillant  étoit  le  Trônç  de  la 
Divinité  :  In  Sole  pofuh  Tabemaculu?n 
fuum  (2).  Dieu  avoit  établi  fa  demeure  W  B^M 
dans  le  Ciel;  Cœlum  Cœli  Domine  (3), 
&  ils  ne  voyoient  rien  qui  portât  plus  de 
marques  de  la  Divinité  que  le  Soleil. 

On  ne  fçauroit  donc  douter  de  l'an- 
tiquité du  culte  du  Soleil  ôc  des  autre* 

■  (3)  Hefiode  dit  prefque  mot  à  mot  la  même  chofe , 
•  5"  "USTÉpl^ro  capta  ru  vaJfi  qui  fupremas  habitat  démos  s 
&Anilote,  1.  1.  De  Cœlo  ,  ch.  3 »  dit  que  tous  les  Peuple^ 
**flvienne.it  que  les  Dieux  habitent  dans  le  Ciel. 

p  iiij 


320  Lu  Mythologie  &  les  Fables- 
Affres  ;  &  s'il  falloit  joindre  l'autorité' a 
des  raifons  fi  naturelles ,  j'aurois  pour 
moi  non -feulement  plufieurs  grands 
Hommes  qui  ont  été  de  ce  fentiment, 
mais  auffi  prefque  tous  les  Rabbins  3  & 
fur  tout  le  fçavant  Maimonides  ,  qui 
dans  fon  Traité  fur  l'origine  de  l'Idolâ- 
trie ,  croit  que  c'efl  par-là  qu'elle  com- 
mença, même  avant  le  Déluge- 

Dans  l'ignorance  où  étoient  les  hom- 
mes fur  la  nature  du  vrai  Dieu ,  dit  ce 
fçavant  Rabbin  ,  rien  n'a  du  les  frapper 
d'avantage  que  la  vue  du  Soleil  &  des 
autres  Ailres.  Les  hommes  n'ont  jamais 
perdu  ce  principe ,  que  la  Divinité  ren- 
ferme elfentieilement  le  beau  ;  &  n'ayant 
pas  allez  de  lumières  pour  s'élever  juf- 
tju'à  l'idée  d'une  fubftance  immatérielle 
ÔC  invifîble ,  ils  ne  trouvèrent  rien  de 
plus  admirable  dans  la  nature  que  le  So- 
leil &  les  Aftres.  Lareconnoiflance  allez 
naturelle  aux  hommes  ,  lorfqu'ils  reçoi- 
vent quelque  bien ,  les  fortifia  encore 
dans  la  même  penfée.  Ils  ne  pouvoient 
clouter  que  le  Soleil  ne  fût  la  fource  de 
la  fécondité  ;  que  c'étoit  à  fa  chaleur 
que  devoit  fé  rapporter  la  fertilité  de  la 
terre  ,  qui  fans  fes  rayons  qui  1  échauf- 
fent ,  ne  feroit  qu'une  malle  fterile,  fans 
arbres  &  fans  fruits.  Les  révolutions.  & 


Expl.  par  PHiJl.  Liv.  III.  Ch.  III.  321 

les  mouvemens  réguliers  des  Sphères 
céleftes  ,  les  perfuaderent  bien-tôt  que 
les  Aftres  étoient  animés  ;  &  cette  er- 
reur n'a  eu  que  trop  de  partifans.  Cette 
opinion  devint  même  celle  des  Sçavans 
&  des  Pbilofophes ,  fur  tout  des  Plato- 
niciens &  de  Platon  leur  maître.  Ce  fut 
dans  cette  Philofophie  que  Philon  Juif 
prit  ce  dogme  ,  que  les  Aftres  font  des 
âmes  incorruptibles  &  immortelles  (1), 
C'eft  fur  les  principes'  de  cette  même 
dodrine  ,  qu'Qrigene  s'efforça  d'établir 
la  même  opinion  (2).  Saint  Auguftin 
femble  balancer  fur  ce  fujet;  mais  il  fe 
retra&e  dans  la  fuite  (3).  Il  y  a  bien  de 
l'apparence  que  c'étoit  auflî  le  fentiment 
d'Ariftote  ;  car  fi  quelques-uns  de  fes 
Commentateurs  difent  qu'il  donnoit  feu^ 
lement  aux  Aftres  des  Intelligences  pour 
les  conduire  ,  il  y  en  a  qui  prétendent 
qu'il  regardoit  ces  Intelligences ,  comme 
les  formes  internes  &  effentielles  de  ces 
mêmesAftresv 

Eufebe  (4)  eft  celui  qui  s'expliqua 
plus  clairement  fur  cet  article.  *>  Qus 
»  les  premiers  &  les  plus  anciens  des: 
»  hommes  ,  dit-il-,  ne  fongeaffent  à  éle=- 

(1)  Lib.  De  Somntis. 

(.1).  Dans  tes  Livres  intitulés,  <z^4  A'pwv* 

(3)  Pvetraft.  C.  7. 

(4.)  Prep.Iivang.  1*  2.  c.  9* 

O  v 


3  22  La  .Mythologie  &  les  Fables 
»  ver  ni  Temples  ,  ni  Idoles  ,  n'y  ayant 
ao  alors  ni  peinture  ,  ni  art  de  poterie  ,  ni 
»  fcuipture  même  ,  ni  maçonnerie  ou  ar- 
:»  chite&ure ,  je  crois  que  tout  homme 
»  qui  penfe ,  l'apperçoit  très-clairement: 
»mais  que  pai-dellus  tout  cela,  on  ne 
»>  parlât  pas  même  de  ces  Dieux  &  de 
3>  ces  Hercs  fi  renommés  depuis  ,  & 
»  qu'il  n'y  eût  alors  ni  Jupiter  ,  ni  Sa- 
is turne  ,  ni  Neptune  ,  ni  Junon  *  ni  Mi- 

*  nerve  ,  ni  Bacchus  \  ni  aucun  autre 
»  Dieu  mâle  ou  femelle  ,  tels  quil  s'en 
*>  eft  trouvé  dans  la  fuite  par  milliers ,  & 
»  chez  les  Grecs ,  &  chez  les  Barbares  ; 
»bien  plus  ,  qu'il  n'y  ait  eu  aucun  De* 
a>  mon  ,  ni  bon  ni  mauvais,  que  les  hom- 
»  mes  reveraffent  ;  mais  que  l'on  n'ado- 
»rât  feulement  les  Aftres  ,  appelles  $**U 
3>  de  5*'*,  courir,CGmmz  les  Grecs  le  difent 
»  eux-mêmes:  enfin,  que  les  Aftres  ne 

*  fuflent  pas  honorés  comme  ils  le  font  * 
»  par  des  facrifices  d  animaux  ,  ni  par  les 
r>  cultes  depuis  inventés  ,  ce  n'eft  point 
«  un  fait  attefté  par  nous  feuls  \  mais  un 
*>  témoignage    que    nous   rendent    les 

a  Payens  eux-mêmes. 
Je"  pourrais  joindre  ici  l'autorité  des 

Auteurs  profanes  ,  qui  ont  été  de  même 
avis  ;  mais  je  me  contente  ,  I*.  du  té- 
moignage de  Diodore  de  Sicile  *  (i) 


Explpar  FHifi.  Xiv.  III.  Ch.  IIL  3  23 

qui  dit  que  :  a  Les  premiers  hommes 
»  frappés  de  la  beauté  de  l'Univers  ,  de 
»  l'éclat  &  de  l'ordre  qui  y  brillent  de 
*  toutes  parts  \  ne  doutèrent  point  qu'il 
00  n'y  eût  quelque  Divinité  qui  y  pré- 
»  fîdât  ;  &  ils  adorèrent  le  Soleil  &  la 
»  Lune,  fous  les  noms  d'Ofiris  &  dlfis  ». 
Par  où  ce  fçavant  Auteur  fait  entendre 
que  le  culte  des  Aftres  fut  le  premier 
objet  de  l'Idolâtrie  ,  &  que  ce  fut  en 
Egypte   qu'elle  commença, 

2°.  De  celui  de  Platon  ,  fi  toutesfois 
il  eft  l'Auteur  du  Dialogue  intitulé  , 
Epinomis ,  où  il  eft  dit  :  Les  premiers  hùïti* 
mes  qui  habitèrent  la  Grèce,  félon  ma 
conje&ure,  ne  recovv.otjfoient  point  a*  autres 
Dieux,  que  ceux  qui  font  encore  aujourd'hui 
les  Dieux  des  Barbares  y  fç avoir  le  Soleil  5 
la  Lune ,  la  Terre  ,  les  A  (1res  &  le  Ciel. 
Je  pourrois  ajouterque  c'eft  auffi  le  fenti- 
ment  de  Sanchoniathon  ,  comme  on  l'a 
vu  dans  le  fragment  que  j'en  ai  rapporté. 

Mais  rien  ne  prouve  tant  l'antiquité 
de  cette  efpece  d'Idolâtrie  ,  que' le  loi». 
que  prenoit  Moyfe  de  la  profcrire  I 
»  Prenez  garde  ,  difoit-il  aux  Ifraëlites, 
»  qu'élevant  vos  yeux  au  Ciel  ,  &  y 
»  voyant  le  Soleil  &  la  Lune  ,  &  tousr 
»  les  Aftres  5  vous  ne  tombiez  dans  l'il- 
»  ludion  &  4ans  l'erreur  x  &*  que  vous* 

Ovj 


3  24  La  Mythologie  &  les  Fables 
»  ne  rendiez  un  culte  d'adoration  à  des 
»  créatures  que  le  Seigneur  votre  Dieu 
*>  a  faites  pour  le  jfervice  de  toutes  les 
»  Nations  qui  font  fous  le  Ciel  :  Ne  fort* 
élevés  oculos  tuos-  in  Cœlos  ,   Ù*  videns 

Soient ,   &  Lunam  y  &  Stellas .& 

impulfus  adores  atque  colas  ea\i).  Sur 
quoi  R.  Levi  Ben  Gerfon  remarque  , 
queMoyfe  parle  du  Soleil  avantles  autres* 
Aftres ,  parce  que  fa  beauté  &  fon  utilité 
font  plus  propres  à  féduire,  que  celle, 
de  la  Lune  &  des  Etoiles, 

Comme  c'étoit  après  la  fortie  d'E- 
gypte ,  &  pendant  que  le  Peuple  Juif 
étoit  dans  le  Defert  ,  que  Dieu  difta 
ce  Précepte  de  la  Loi  aux  Juifs  ,  il  y 
a  tout  lieu  de  croire  que  c'étoit  pour 
leur  faire  oublier  les  fupexftitions  Egyp- 
tiennes fur  ce  fujet ,  &  les  empêcher  de 
fe  laifler  furprendre  à  celles  des  autres 
Peuples ,  parmi  lefquels  ils  alloient  bien- 
tôt fe  trouver  ;  car  ce  culte  étoit  dès- 
lors  répandu  partout ,  comme  nous  le 
ferons  voir  dans  un  moment,  &  c'eft 
pour  cela  que  Job  pour  marquer  fon 
innocence  ,  dit  :  *  Si  f  ai  regardé  le  So- 
»leil  dans  fon  éclat,  &  la  Lune  lorf- 
»  qu'elle  étoit  la  plus  claire  ;  fi  mon 
3>  cœur  a  reffenti  une  fecrette  joie ,  et 
»  fi  j'ai  porté  ma  main  à  la  bouche  poux 


ExpLparPHîfî.Liv.IILCHAV.in.  $2f 

*labaifer;  ce  quieftle  comble  de  l'ini- 
»  quité  ,  &  le  renoncement  du  Dieu 
»  très-haut  :  Si  vidi  Salem  càmfulgtrety 
Ù*  Lunam  incedentem  cl  are, ,  &  Icetatum 
efl  in  abfcondito  cor  meum  ,  quee  efl  ini- 
quitas  maxima }  &  negatio  contra  Deum 
altijjîmum.  (i)  ^      _  _  (i)Job.3r* 

Sur  quoi  il  efl:  bon  de  faire  ici  quatre  v.-i*.*7«*«» 
remarques.La  premiere,que  c'étoit  donc 
là  l'Idolâtrie  de  fon  fîécle  ,  &  en  même 
temps  la  feule  ;  car  certainement  s'il  y 
en  avoit  eu  d'autres  ,  il  s'en  feroit  éga- 
lement, juftifié. 

La  féconde,  qu'adorer  le  Soleil,  c'é- 
toit  abfolument  le  reconnoître  pour  le 
fouverain  Dieu ,  fans  en  reconnoître  d'au- 
tre, abnegaJfemDeumdefuper;  ou,  com- 
me dit  laVulgate,  negatio  contra  Deum 
altijjîmum. 

La  troifiéme  ,  que  nous  apprenons 
parce  paffage  ,  non  feulement  l'antiqui- 
té du  culte  du  foleil ,  puifque  Job  vivoit 
avant  Moyfe  (a) ,  mais  aufïï  qu'on  re- 
connoiflbit  la. divinité  de  cet  Aftre  ea 
portant  fa  main  à  fa  bouche  ;  &  cette 
coutume  fe  pratiquoit  même  à  l'égard 
des  autres  Dieux ,  comme  nous  rappren- 
nent plufîeurs  Auteurs.   Minucius  Félix. 

(<*)  CeftleientimentdeBexie.VoyexU-deiîusles  Interpré- 
terai il  n!«â  pas  nécei&iit  li'enttw  ini  fam  <***<*  ikiçu&&*> 


326    La  Mythologie  &  les  Fables 

fe  mocquoit  de    Cecilius  ,    qui  baifoit 

fa  main  en  paiTant  devant  la  Statue  de 

ÏSerapis  :  Cœcdius  fimulachro  Strapidis 
denotato  ,  ut  vulgus  fuperjiitiofus  folet  , 
manurn  oriadmovens  ,  ofculum  labhsïm- 
(i)  Dial.     pwjfît  C1)-  Apulée  au  contraire  reproche 

fr.o&avKis.  à  un  impie  ,  qu'il navoit  aucun  refpeft 
pour  les  Dieux  ,  &  qu'il  pafToit  de- 
vant leurs  Temples  fans  porter  fa  main 
à  fa  bouche  pour  les  faluer  :  Nulli  Deo 
ad  hoc  œvi  jupplicavit  ,  vullum  Templum 
frequenta-vit,  Si  Fanum  aïiquodprœxertat y 
ne  fus  habet ,  adorandi  gratta  ,  tnanum 
(z)  Apul.  labiis  admovere  (2). 

P  *•  La  quatrième  enfin  ,   que  c'étoit  dans 

la  vue  de  reconnoître  la  divinité  du  So-* 
leil,  que  les  Payens  pour  prier,  fe  tour- 
noient vers  le  lever  de  cet  Afïre ,  &  que 
leurs  Temples  étoient  tous  dirigés  du 
côté  de  1  Orient,  pendant  que  les  Juifs, 
pour  ne  pas  les  imiter,  avoient  toujours 
leur  Sanftuaire  du  côté  de  l'Occident, 
Les  premiers  Chrétiens  avoient  auffi  ac- 
coutume  de  tourner  leurs  Eglifes  vers 
le  Levant  ,  non  pour  adorer  l'Aftre  qui 
nous  éclaire  ,  mais  pour  rendre  leurs 
hommages  au  Soleil  de  Juflice  ,  qui  ré- 
pand la  lumière  fur  l'efprit  (a)  ,  &  é- 

(a)  Voyez  faint  Clément  d'Alexandrie, S trom.  70.  contra: 
Vidmt.  Guêtre  2.  &c» 


Expl.parPH'îfl.LivIILCHAV.IILiij 

chauffe  par  fa  grâce  le  cœur  de  ceux 
qui  l'adorent. 

Les  Auteurs  ne  s'accordent  pas  fur  le 
lieu  où  a  commencé  le  culte  du  Soleil: 
il  y  en  a  qui  prétendent  que  c'eft*  en 
Chaldée  ,  fondés  fur  ce  que  cet  ancien 
Peuple  s'eft  addonné  de  tout  temps  à 
l'Aftronomie  ,  &  qu'il  avoit  le  premier 
obfervé  le  mouvement  des  A  (très  :  com- 
me s'il  falloit  pour  admirer  le  Soleil  & 
connoître  fes  vertus  ,  des  Obfervations 
Aflronomiques  ,  &  qu'il  ne  fuffit  pas 
d'ouvrir  les  yeux  ,  pour  être  frappé  de 
fon  éclat  &  de  fa  beauté.  Il  y  a  bien  plus 
d'apparence  que  c'efi  dans  l'Egypte ,  que 
j'ai  prouvé  ,  il  y  a  un  moment ,  avoir  été 
le  berceau  de  l'Idolâtrie  ,  que  l'on  com- 
mença à  adorer  le  Soleil  fous  le  nom 
d'Ofiris. 

De  l'Egypte  le  culte  du  Soleil  fe  ré- 
pandit clans  les  pays  voifîns ,  ou  pour 
mieux  dire  ,  dans  le  monde  ,  puifque  cet 
Aflre  a  été  la  Divinité  de  toutes  les  Na- 
tions ,  même  les  plus  barbares.  Je  n'en- 
treprends, pas  de  prouver  ici  en  détail 
une  vérité  fi  connue  ,  je  ne  dirois  rien 
qu'on  ne  puiffe  lire  dans  Voilïus  ,  dans 
le  Père  Thomaffin  ,  qui  n'a  fait  que 
le  copier,  &  dans  plufieurs  autres.  Il 
fuffit  de  dire  que  les  Ammonites  l'ado- 


3  28  La  Mythologie  &  les  Fabter 
rerent  fous  le  nom  dèMoloch ,  à  qui  ils- 
facrifioient  des  enfans  ;  les  Chaldéen&, 
fous  ceux  de  Belus  ,  ou  de  Baal ,  ou  de 
Baal-Semen ,  qui  veut  dire  ,  le  Seigneur 
du  'Ciel  ;  les  Arabes  leurs  voifins  ,  qui 
(a)Liv.  io;au  rapport  de  Strabon  (i)  &  de  Ste- 
(z)  JLiv.^.phanus  (2),  lui  offroient  chaque  jour 
de  l'encens  &  d'autres  parfums,  l'appel- 
loient  Adonée.  Les  Moabites,  Beelphc* 
gor  ;  les  Perfes  ,  Mithras.  Il  étoit  nom- 
mé Afabinus  par  les  Ethiopiens  ;  Liber 
ou  Dionyftus,  par  les  Indiens  ;  Apollon, 
ouPhœbuspar  les  Grecs  &  lesRomains. 

(3)  Voye*  (3).  Enfin  d'autres  Pappelloient  Hercule*, 
fur  tout  cekBelenus,  &c.  En  un  mot,  il.  n'y  eut 

Vo/Tms  ,    de      '  • 1     t%         1  •  i*  J      1 

JdoLiiv.  2.  point  de  reuple  qui  ne  rendit  un  culte 
îuperftitieux  à  cet  Aftre.  Gefar  nous 
Rapprend  en  particulier  des  anciens  Ger- 
mains ,  qui  au  rapport  de  cet  Auteur  r 
n'avoient  d'autres  Dieux  que  ceux  dont 
ils  recevoient  quelque  bien  ,  comme  le 
Soleil ,  le  Feu ,  &  la  Lune  :  Deorum  nu- 
méro eos  folàm  ducunt ,  querumo  pibus. 
apertè  jwvantur  ,  Solem  ,  Vulcanum  >  & 
Lunam.  Hérodote  en  dit  autant  des  Maf- 
fagetes  ,  qui  félon  cet  Hiftorien ,  lui 
facrifioient  des  chevaux ,  pour  marquer 
par  la  légèreté  de  cet  animal ,  la  rapidité 

(4)  Herod.  du  cours  du  Soleil^).  Enfin  tous  les 
fa.hfonG.  Yoyageurs  7  même  les  plus  modernes  & 


Expl.parPHift.  Liv.III.Chap.IIL  329 

difent  la  même  chofe  dcprefque  tous  les 
Peuples  ,  dont  ils  nous  ont  laifTé  des  Re- 
lations ,  fur-tout  des  Péruviens  &  des 
Mexiquains.  Si  nous  en  croyons  un  Au- 
teur qui  a  donné  un  fçavant  Ouvrage 
fur  les  moeurs  des  Sauvages  (  1  ) ,  il  n V  a  W  L^erc 
dans  le  vaite  continent  de  1  Amérique  Mœurl  des 
aucun  Peuple  connu ,  qui  n'adore  leSo-  sauv* T#li  pr 
leil.  Les  Yncas  même  du  Pérou  ,  &  au-  2 
jourd'hui  leurs  defcendans ,  ainfi  que  les 
Natchez  de  laLouifiane ,  femblabies  aux 
anciens  Rois  ou  Héros ,  qui  fe  vantoient 
d'être  les  fils  de  Jupiter  ou  d'Hercule  , 
fe  difent  les  enfans  du  Soleil ,  comme 
nous  l'avons  déjà  remarqué  en  parlant 
de  leur  Théogonie.  Les  Juifs  eux-mêmes 
fe  laiflerent  aller  quelquefois  à  cette  fu- 
perftition  ,  puifque  l'Ecriture  nous  en- 
feigne  que  Jofîas  tua  les  chevaux  &  brûla 
les  chariots  qu'on  avoit  confacrés  au  So- 
\eil:Et  abolevït  equos-quos  de  devant  Reges 
Juda....  Et  currus  Solis  combujjît  igni  (2). 

Dans  l'Obelifque  que  Sixte  V.  fit  éle-  W  4.  R& 
ver  auprès  de  faint  Jean  de  Latran  ,  qui 
eft  celui  là  même  dont  Hermapion  avoit 
traduit  en  Grec  les  carafteres  Egyptiens 
qui  y  étoient  repréfentés  ,  &  dont  Am- 
mian  Marcellin  nous  a  confervé  quelque  - 
fragment,  le  Soleil  eft  appelle  le  Maître 
jdu-  Ciel,  le  Créateur  dumonde;  le  Mars  l 


3  3 O     i^  Mythologie  &  les  Fables 
le  Dieu  de  la  Guerre.  Les  Ethiopiens 
non-feulement  reconnoiffoient  le  même 
Aflre  pour  leur  Divinité  ,  comme  nous 
Pavons  dé:a  dit  y  mais  leurs  Princes  fe 
vantoient  auiîi  d'en  defcendre ,   puifque 
Heliodore  (  i  )  fait  ainfî  parler  Chariclée  ; 
Soleil  ^  auteur  de  V origine  de  mes  Ancêtres. 
RhamelTes  ,  Roi  d'Egypte  prend  la  mê- 
me qualité  dans  TObelifque  dont  je  viens 
de  parler.  Semiramis  la  porte  aufîï ,  fur 
quelques  monumens  dont  les  Anciens 
ontparlé.  Adad&Benadad ,  nomsdont 
le  premier  fignifîe  le  Soleil ,  &  le  fécond 
fils  du  Soleil  5  étoient  des  noms  communs 
aux  Rois  de  Syrie,  ainfî  que  le  remarque 
Marsham.  Les  Rois  de  Perfe  prenoient 
de  femblables  qualités  ,  ainfî  que  plu- 
sieurs autres  Princes  de  l'Orient.  JEëtçs 
Roi  de  Colchide  fe  glorifïoit  de  defcen- 
dre du  même  Aflre  ,  ainfî  que  Medée  y 
Pafîphaé  ,   &   plufîeurs  autres  ,    dont 
je  n'ai  pas  deffein  de  donner  une  lifte 
complette  ,  ni  de  parler  de  toutes  les 
Villes  qui  portoient  fon  nom  ,  ou  qui 
lui  étoient  confacrées/  J'en  ai  afTez  dit 
pour  faire  connoitre  Puniverfalité  de  fou 
culte. 

On  peut  même  aflùrer  en  gênerai 
qu'on  ne  trouve  aucun  Peuple ,  dont  la 
Religion  nous  eft  connue  2  ni  dans  nottQ 


Exfil.parmift.  Liv.IILChap.IIL  3  3 1 

continent ,  ni  dans  celui  de  l'Amérique, 
fî  on  excepte  quelques  habitans  de  la 
Zone  torride  ,  qui  brûlés  par  les  rayons 
de  cet  Aftre  le  maudiffent  fans  ceffe, 
qui  ne  lui  ait  rendu  un  culte  religieux. 

Perfonne  n'ignore  que  Macrobe  (1) 
avoit  entrepris  de  prouver ,  que  tous  les 
Dieux  du  Paganifme  pouvoient  fe  ré- 
duire au  Soleil.  Cet  Auteur  donne  aux 
Poètes  la  gloire  d'avoir  fouvent  fuivi 
les  fentimens  des  Philofophes ,  fur  tout 
dans  la  réunion  qu'ils  ont  faite  de  toutes 
les  Divinités  au  Soleil,  qui  étant  le  do- 
minateur des  autres  Aftres  ,  dont  les  in- 
fluences agiiTent  fur  ce  bas  monde  .  doit 
être  par  conséquent  Fauteur  de  l'univers. 
Il  entre  enfjite  dans  le  détail  de  tous  les 
Dieux  qui  peuvent  fe  réduire  au  Soleil^ 
&  il  y  trouve  non  feulement  tous  ceux 
que  nous  avons  nommés  ,  mais  encore 
Cœlus  ,  Saturne ,  Jupiter,  Mars  ,  Apol- 
lon, Mercure,  Ammon,Bacchus,  Sera- 
pis,  Adonis,  Efcuiape, Hercule  ,  Atys, 
Pan ,  &  plufieurs  autres. 

Ce  même  Auteur  ,  &  Vofïîus  après 
lui ,  réduifent  à  la  Lune  prefque  toutes 
les  Divinités  du  fexe  féminin,  comme 
Cerès,  Diane,  Lucine,  Venus,  Ura- 
nie,  la  Déefîe  de  Syrie,  Cybele,  Lis, 
Vefta,  Aftarté,  Junon,  Minerve,  Ii- 


3  3  2  La  Mythologie  &  les  Fables 
bitine ,  Proferpine ,  Hécate ,  &  plufîeurs 
autres  ,  qui  n'étoient  formées  que  d'a- 
près la  Déefle  Ifis  des  Egyptiens ,  dont 
le  nom  veut  dire  ancienne  y  êc  qui  étoit 
parmi  ce  Peuple  le  fymbole  de  la  Lune; 
&  voilà  fans  doute  les  premiers  objets 
de  l'Idolâtrie  ,  &  le  fondement  de  toute 

Vo/r^/Tn1,  la  Théologie  payenne  (i). 

**•  De  l'adoration  du  Soleil  &  de  la  Lu- 

_  ne,  on  paffa  à  celle  des  autres  Aftres', 
fur-tout  des  Planètes  >  dont  les  influen- 
ces étoient  plus  fenfibles ,  en  un  mot  on 
adora  toute  la  milice  du  ciel. 

On  nomme  Sahifme  cette  forte  d'Ido* 
lâtrie  qui  a  pour  objet  de  fon  culte  les 
Aftres  &  les  Planètes.  Les  Sçavans  ne 
conviennent  pas  entre  eux  de  ce  qui  peut 
avoir  donné  lieu  à  cette  dénomination  : 
la  chofe  eft  dans  le  fond  allez  inutile  ; 
mais  ce  qu'il  eft  plus  effemiel  de  fçavoir, 
c'eft  que  cette  Seâe  eft  la  plus  ancienne 
de  toutes,  comme  on  n'en  fçauroit  doub- 
ler :  elle  a  été  la  plus  générale  ,  &  elle 
dure  encore  aujourd'hui,  principalement 
en  Afîe,  parmi  ceux  qu'on  appelle  Phar- 
fis  ,  Mendaiens  ,  ou  les  Chrétiens  de 
Saint  Jean.  Ceux  qui  croyent  que  c'eft 
à  Zoroaftre  qu'on  doit  rapporter  l'ori- 
gine de  cette  forte  d'Idolâtrie  ,  fe  trom- 
pent certainement  j    car  foit  que   cet 


Expl.parPHift.  Liv.IïL  Ch.  IIï.  333 

homme ,  fî  célèbre  dans  les  Ecrits  des 
Anciens ,  ait  vécu  feulement  du  temps 
de  Darius ,  fils  d'Hyftafpe  ,  comme  le 
prouvant  Thomas  Hyde  (  1  )  &  Monfieur  y£p%  ** 
Prideau.tr  (2) ,  ou  qu'il  ait  été  beaucoup   (2)  Hift.des 
plus  ancien  ,  ainfi  que  paroît  le  démon-  3™*  *£  *• 
trer  M.  Moyle  (a)  ;  on  ne  peut  pas  le  re- 
garder comme  l'auteur  de  cette  Se&e  , 
beaucoup  plus  ancienne  que  lui ,  puis- 
qu'elle fubfiftoit  du  temps  d'Abraham  , 
&  que  la  ville  de  Charan  ,  où  ce  Patriar- 
che fe  retira  en  fortant  de  Ur ,  ou  de 
Qur  de  Chaldée ,  a  toujours  été  regardée 
comme   la  Métropole  du  Sabifme.  Je 
croirois  même  que  ce  ne  fut  pas  tant  le 
Sabifme  qui  fut  rétabli  par  Zoroaftre, 
que  le  Magifme ,  autre  Se&e  très-ancien- 
ne ,  dont  le  principal  dogme  étoit  l'ado- 
ration du  feu.  Celle-ci  tiroit  auffi   foa 
origine  de  Chaldée^  &  regnoit  princi- 
palement dans  la  ville  d'Our,  où  avoient 
demeuré  les  ancêtres  d'Abraham ,  &  qu'il 
abandonna  lui-même  dans  la  fuite.  Cette 
Sefte,  qu'il  faut  bien  diftingner  du  Sa- 
bifme ,  quoique  l'un  &  l'autre  euiïent  en 
partie  les  mêmes  dogmes  (3).,  dure  en-  ^^J* 
core  aujourd'hui ,  fi  nous  en  croyons  da'm  l'endroit 
Thomas  Hyde,  parmi  les  Gaures  ,  ou  v* i'ai  «*• 

(à)  Voyez  1er  Lettres  fur  ce  fujet ,  dans  le  T.  6.  de  THif» 
toire  de  M.  Prideaux. 


534    La  Mythologie  &  les  Fables 
les  Guebres,qui  habitent  aux  extrémités 
méridionales  delà  Perfe,  près  des  fron- 
tières du  Mogol. 

Il  y  a  des  Sçavans  qui  croyent  que  les 
anciens  Philofophes  ,  fur-tout  ceux  de 
Chaldée  ,  avoient  donné  lieu  au  Sabif- 
me,  Il  eft  vrai  en  effet ,  qu'ils  raifonnent 
beaucoup  fur  les  Aftres  ,  fur  leurs  in- 
fluences ,  &  fur  leur  beauté  ,  peut-être 
même  qu'ils  crurent  que  c'étoit  des  êtres 
éternels  ,  &  dès-là  autant  de  Divinités, 
ou  que  du  moins  il  y  avoit  des  Dieux 
qui  les  habitaient,  &  en  regloient  le 
cours  &  les  influences.  Ils  débitoient 
même  ,  &  cette  opinion  eft  très-ancien* 
ne  ,  que  le  corps  de  l'Aftre  n'étoit  que 
fa  voiture  ,  ou  une  efpece  d'efquif  qui 
fervoit  à  porter  les  Dieux  qui  les  con- 
duifoient  ;  mais  falloit-il  tant  de  raifon- 
tiemens  à  des  hommes  charnels  &  gref- 
fiers pour  les  engager  à  addrefîer  leurs 
premiers  vœux  à  ces  corps  brillans  & 
lumineux  ?  Ne  leur  fuffifoit-îl  pas  de 
tourner  les  yeux  vers  le  Soleil ,  de  voir 
comment ,  outre  la  manière  dont  il  éclai- 
re le  monde,  il  lui  procure  la  chaleur  Se 
la  fécondité,  pour  juger  qu'il  étoit  com- 
me le  père  de  la  nature  ,  qu'il  la  vivi- 
fioit ,  &  que  fans  lui  elle  ne  feroitqu  u- 
ne  étendue  fans  vie ,  fans  lumière  &  fans 


ExpLparVHift.  Liv.IIL  Ch.IIL  335 

aucune  production ,  ainfî  qu'on  Ta  déjà 
remarqué  ?  Tous  les  Peuples  qui  ont 
adoré  le  Soleil ,  les  Mexiquains,  les  Pé- 
ruviens &  les  autres  Sauvages  du  nou- 
veau continent,  ont-ils  attendu  les  dé- 
cidons des  Philofophes  pour  addreffer 
leurs  vœux  &  leurs  prières  à  cet  Aftre 
lumineux  ?  Quoiqu'il  en  foit ,  le  Sabif- 
me  doit  être  regardé  comme  la  plus  an- 
cienne Sefte  du  monde  payen.  Elle  a 
commencé  peu  de  temps  après  le  De- 
luge  ,  puifqu'elle  étoit  connue  des  An- 
cêtres d'Abraham,  de  Tharé,  &  de  Sa- 
tug  ,  &  peut-être  même  avant  eux.  Elle 
eft  celle  qui  a  fait  le  plus  de  progrès  : 
j'ai  parlé  des  difFerens  Peuples  qui  l'a- 
voient  adoptée  ;  &  fi  on  en  croit  les  plus 
fçavans  Rabbins ,  &  les  Auteurs  Orien- 
taux ,  elle  a  infefté  prefque  le  monde  en- 
tier. Enfin ,  c'eft  de  toutes  les  Seftes  cel- 
le qui  a  duré  le  plus  long-temps  ,  puis- 
qu'il y  a  encore  un  grand  nombre  dT- 
dolâtres  qui  la  fuivent. 


CHAPITRE    IV. 

Du  Progrès  de  Pldolâtrie. 

Es  premiers  hommes,  quelque  temps 
4  après  leur  feparation,  étoient  extrê- 


3  3  6  La  Mythologie  &  les  Fables 
mement  groffiers  ;  &  les  Grecs  qui  de- 
vinrent fî  polis  dans  la  fuite,  ne  le  furent 
pas  moins  d'abord ,  fi  nous  croyons  Dio- 
dore  de  Sicile  ,  que  ceux  qu'ils  s'accou- 
tumèrent à  appeller  barbares.  Ainfî,  il 
ne  faut  pas  s'imaginer  que  dans  les  com- 
mencemens  l'Idolâtrie  fût  un  fyftême 
raifonné  ;  que  la  Théologie  fe  trouvât 
alors  chargée  d-e  cet  attirail  de  cérémo- 
nies qu'on  y  ajouta  dans  la  fuite.  Rien  de 
plus  (impie ,  ni  en  même  temps  de  plus 
groflier  que  la  Religion  des  premiers 
Idolâtres.  On  ne  faifoit  guère  de  dépen- 
fe  ni  pour  repréfenter  les  Dieux  ,  ni  pour 
leur  rendre  un  culte  religieux.  Paufanias 
nous  apprend  que  les  Athéniens  ,  du 
temps  de  Cecrops ,  n'offroient  à  Jupi- 
ter celefle ,  que  de  lîmples  gâteaux  ;  & 
comme  ils  les  nommoient  Bous ,  on  a 
cru  mal-à-propos  qu'ils  lui  immoloient 
des  bœufs.  Les  Scythes,  félon  Saint 
(0  Orat.adQement   d'Alexandrie  (i),  adoroient 

Génies.  .  V-»- 

dans  les  anciens  temps  un  Cimeterre; 
les  Arabes ,  une  pierre  brute  &  informe  ; 
&  parmi  les  autres  Nations  on  fe  conten- 
ait d'élever  un  tronc  d'arbre ,  ou  quel- 
que colonne  fans  ornement.  On  nom- 
moit  ces  Cippes ,  Zoara  >  parce  qu'on 
les  peloit ,  s'ils  étoknt  de  bois ,  &  qu'on 
les  lifToit  un  peu  ,  s'ils  éroient  de  pierre. 

Dans 


Expl.  par  VHift.  Liv.  m.  Ch.  IV.  337 

Dans  l'Ifle  d'Orcade  ,  l'image  de  Diane 
étoit  un  morceau  de  bois  non  travaillé  , 
&  à  Cytheron  la  Junon  Thefpia  ,  n'étoit 
«qu'un  tronc  d'arbre  coupé  ;  celle  de  Sa- 
mos,  qu'une  fimple  planche,  ainfi  des 
autres. 

Ce  qui  commença  à  donner  un  grand 
cours  à  l'Idolâtrie,  &  qu'on  doit  mettre 
par  conféquent  parmi  les  principales 
caufes  de  fes  progrès,  fut  l'invention  des 
Arts ,  fur-tout  de  la  Peinture  &  de  la 
Sculpture.  Des  Statues  bienfaites  attirè- 
rent plus  de  refped  ,  Se  on  eut  moins  de 
peine  à  croire  que  les  Dieux  qu'elles  re- 
préfentoient,  y  habitoient.  Souvent  mê- 
me les  Statues  augmentoient  le  nombre 
des  Dieux ,  comme  S.  Auguftin  le  re- 
marque à  l'occafion  des  Mufes  ,  qui  ori- 
ginairement n'étoient  que  trois  ,  comme 
on  le  dira  dans  leur  hiftoire  ;  mais  ayant 
été  repréfentées  par  trois  Sculpteurs 
differens  ,  leurs  Statues  parurent  fi  bel- 
les ,  qu'on  les  confacra  toutes  neuf;  Se 
on  augmenta  ainfî  le  nombre  de  ces 
DéefTes. 

Du  culte  des  Aftres  que  nous  venons 
de  prouver  dans  le  Chapitre  précédent 
avoit  été  les  premiers  Dieux  du  Paga- 
mfme,  on  pafTa  à  celui  des  autre;  cho- 
ies matérielles  ;  fur-tout  du  Ciel ,  des 
Tome  I.  *    P 


<5  3S     La  Mythologie  &ïes  Fable f 
Elemens,  desFleuves  &<les  Montagnes} 
enfin  au  culte  des  Hommes  qu'on  plaça 
au  rang  des  Dieux. 

J'ai  dit  les  raifons  qui  portèrent  les 
hommes  à  adorer  leurs  femblables.  La 
reconnoiflance  ,    l'amour  d  une  époufe 
pour  un  époux  chéri,  ou  d'une  mère  pour 
fon  fils  bien  aimé  ;  la  beauté  de  l'ouvra- 
ge d'un  Sculpteur ,  les  belles  actions , 
l'invention  des  Arts  neceftaires;  tout 
cela  fit  honorer  la  mémoire  de  quelques 
grands  hommes,  obligea  à  garder  leurs 
Portraits ,  à  diftinguer  leurs  Tombeaux 
qui  devinrent  enfin  des  Temples  publics, 
comme  le  prouvent  Eufebe  (1)  &  Saint 
(i)Pr«par.    Clément    d'Alexandrie   :   tels    étoient 
J7S'L'2'  les  Tombeaux  d'Acrife  ,  de  Cecrops, 
d'Erichtonius,,  d'ifmarus  ,  de  Cleoma- 
que  ,  de  Cinyras  ,  &  de  plufieurs  autres. 
On  prouvera  plus  au  long  dans  un  arti- 
cle feparé ,  pat  l'autorité  des  Pères  & 
des  Auteurs  profanes  ,  que  la  plupart 
-des  Dieux  des  Payens  avoient  été  des 
hommes. 

Je  fçais  que  Tordre  que  je  viens  de 
mettre  dans  le  progrès  de  l'Idolâtrie, 
ne  s'accorde  pas  avec  Sanchoniathon, 
qui  place  l'Apotheofe  des  hommes  dans 
les  premiers  temps  ;  mais  il  y  a  beaucoup 
d'apparence  qu'on  ne  fe  porta  pas  d'*- 


Explfarmift.  Lïv.IÏI.  Ch.  IV.  53^ 

bord  à  cet  excès  de  folie  ,  &  qu'on  ado- 
ra les  Aflres ,  &  les  différentes  parties 
de  Punivers  ,  avant  que  de  rendre  aucun 
culte  à  fes  femblables. 

Enfin,  fi  le  progrès  de  l'Idolâtrie  n'eft 
pas  précifémenttel  que  je  viens  de  le  dé- 
crire ,  il  eft  du  moins  très-vraifemblable 
tjue  la  chofe  arriva  comme  je  le  dis  ;  car 
enfin  fi  l'Auteur  que  je  viens  de  nom- 
mer y  dit  que  Ccelus  ou  Uranus ,  qui  eft 
un  des  premiers  hommes  dont  il  parle  , 
fut  mis  après  fa  mort  au  rang  des  Dieux , 
il  reconnoît  pourtant  qu'il  y  avoit  aupara- 
vant une  autre  forted'Idolâtrie.  ^LesPhe- 
»  niciens,  dit  il,  &  les  Egyptiens  font  les 
»  plus  anciens  d'entre  les  Barbares,  Se 
*>  ceux  de  qui  tous  les  autres  Peuples 
»  ont  enîuite  pris  la  coutume  de  mettre 
»  au  nombre  des  grands  Dieux  tous  ceux 
»  qui  avoient  inventé  des  chofes  utiles 
»a  à  la  vie ,  &  ils  ont  appliqué  à  cet  ufage 
3o  les  Temples  qui  étoitnt  bâtis  aupara- 
avant  ». 

Quoiqu'il  en  foit  5  il  paroît  par  cet 
Auteur  que  ce  fut  encore  dans  la  Phe- 
nicie  &  dans  l'Egypte  que  commença 
cette  forte  d'Idolâtrie  ;  &  il  y  a  appa- 
rence que  ce  fut ,  pour  l'Egypte ,  peu  de 
temps  après  la  mort  d'Ofiris  &  d  Ifis. 
Comme  ils  s'étoient  diftingués  l'un  ÔC 


540     La  Mythologie  &  les  Fables 
&  Voyei   l'autre  par  leurs  belles  a&ions  (i  ) ,  qu'ils 
«Hift.  d'ofir.  avoient  enfeigné  l'Agriculture  J8c  appris 
à  leur  Peuple  plufieurs  autres  Arts  né- 
ceffaires  à  la  vie  ,  on  crut  oie  pouvoir 
-reconnoître  les  obligations  immortelles 
-qu'on  leur  avoit ,   qu'en  les    honorant 
comme  des  Divinités.  Mais  parce  qu'on 
auroit  été  choqué  de -voir  qu'on  rendoit 
des  honneurs  divins  à  des  personnes  qui 
venoient  de  mourir ,  on  publia  apparem- 
ment que  leurs  âmes  s'étoient  réunies  aux 
Aflres ,  dont  elles  étoient  forties  aupa- 
ravant pour  venir  animer  leurs  corps. 
On  les  prit  dès-lors  pour  le  Soleil  &  la 
Lune,  &  leur  culte  fut  confondu  avec 
celui  de  ces  deux  Aflres  ,  comme  je  l'ai 
déjà  dit. 

Cette  coutume  de  déifier  les  hommes , 
paffa  d'Egypte  chez  les  autres  Peuples , 
&  nous  voyons  que  les  Chaldéens  mi- 
rent prefque  dans  le  même  temps  leur 
Belus  au  rang  des  Dieux.  Les  Syriens , 
les  Phéniciens,  les  Grecs  enfin   &  les 
Romains  imitèrent  les  Egyptiens  &  les 
Chaldéens  3  &  le  ciel  fe  trouva  bien-tôt 
peuplé  de  mortels  déifiés ,  comme  le  re- 
marque Ciceron  :   ce  qui  étoit  encore 
vrai  dans  un  autre  fens ,  puifqu'en  fai- 
Tant  leurs  apothéofes.,  on  publioit  que 
îeurs  âmes  étoient  attachées  à  quelque? 


Expl  par  P'Hift.  Liv.  III  Ch.  IV.  34Ï 

étoiles  ,  qu'elles  choîfï-flbient  pour  leur 
féjour.  Ainfï  Andromède ,  Cephéc > 
Perfée,  &  Caffiopée  ,  compoferent  les 
conftellations  qui  portèrent  leurs  noms  ; 
Hippolite ,  lefigne  du  Chartier  ;  Efcula- 
pe,  les  Serpens  ;  Ganimede,  le  Verfeau; 
Phaëton ,  le  Charriot  ;  Caftor  &  Pollux, 
les  Gémeaux  ;  Erigone  &  Aftrée  ,  la 
Vierge  ;  Atergatis  ,  ou  plutôt ,  Venus 
&  Cupidon,  lespoifïbns  ;  ainfî  des  au- 
tres. Cette  coutume  pafla  dans  prefque 
tous  les  pays  ,  Se  pénétra  même  jufqu'à 
la  Chine,  où  les  Aftronomes  donnèrent 
aux  vingt-huit  Conftellations,  qui  dans 
leur  fyftême  renferment  toutes  les  étoi- 
les, le  nom  d'autant  de  leurs  Héros,  qu'ils' 
afïurent  avoir  été  changés  en  Aftres.  Il 
n'y  eut  que  les  Egyptiens  qui  donnèrent 
aux  Conftellations  des  noms  d'animaux, 
&  c'eft  ce  qui  fut  caufe  du  culte  que  ce 
Peuple  leur  rendit  dans  la  fuite  (a). 

Tel  eft  le  progrès  cfe  ITdolâtrie,  qui- 
fut  portée  enfin  aux  excès  que  je  vais 
décrire. 

On  n'adora  d'abord ,  comme  on  l'a 
dit ,  que  les  Aftres  ,  le  Soleil  &  la  Lu- 
ne; enfuite  on  regarda  la  nature  elle- 
même,  ouïe  monde,  comme  une  Di^ 

(a)  Voyez  ce  qui  eft  dit  fur  ce  fujet  dans    le    Livre    fo 
aîcaae. 

P  iij 


54^  La  Mythologie  &  les  Fables 
vinité.  Les  Affyriens- l'adorèrent  fous  le 
nom  de  Belus  ;  les  Phéniciens ,  fous  ce- 
lui de  Moloch  ;  les  Egyptiens,  fous  celui 
d'Hammon  ;  les  Arcadiens,  fous  celui  de 
Pan  ;  les  Romains ,  fous  celui  de  Jupi- 
ter :  &  comme  fi  le  monde  avoit  été  trop 
grand  pour  être  gouverné  par  une  feule 
Divinité,  on  en  aflïgna  chaque  partie 
à  un  Dieu  particulier  ,  afin  qu'il  eût  plu£ 
de  loifïr  &  moins  de  peine  à  la  gouver- 
ner ;  ou  pour  mieux  dire,  on  voulut 
adorer  la  nature  en  détail ,  &  on  fît  pré- 
fider  une  Divinité  à  chacune  de  fes  par- 
ties. On  adora  la  terre ,  fous  le  nom  de 
Rhea ,  de  Tellus,  d'Ops,  de  Cybele, 
de  Proferpine,  de  Maïa,  de  Flore,  de 
Faune ,  de  Paies ,  &  de  Vertumne  :  le 
feu  ,  fous  ceux  de  Vuicain  êc  de  Vefta  : 
l'eau  de  la  mer  &  des  fleuves ,  fous  ceux 
de  FOcean ,  de  Neptune  ,  de  Neréey 
des  Néréides  ,  des  Nymphes  &  des 
Naïades  ;  l'air  &  xs  vents ,  fous  ceux  de 
Jupiter  &  d'Eole;  le  Soleil,  fous  ceux 
d'Apollon,  de  Titan  ,  d'Ofîris ,  &c.  La 
Lune,  fous  ceux  de  Diane,  d'Ifîs ,  Sic* 
Bacchus  fut  le  Dieu  du  vin  ;  Cerès  ,  la 
DéefTe  du  bled  ;  chaque  fleuve  &  cha- 
que fontaine  eut  fa  Divinité  tutelaire  ; 
l'Enfer  ,  fon  Pluton;  la  mer,  Neptune 
&  Tethys  i  les  bois  &  les  montagnes^ 


ExpLparPHijï.  Liv.IIL  Ch.IV.  34? 

leurs    Nymphes  ,    &    leurs     Satyres. 

Les  Colonies  de  l'Egypte  &  de  la 
Phenicie  qui  vinrent  s'établir  dans  la  Grè- 
ce ,  y  portèrent  leur  culte  religieux  ?  & 
ce  culte  fe  répandit  peu-à-peu  dans  les 
différentes  Provinces  qui  la  compofoient. 
C'étoit  même  une  des  plus  grandes 
marques  de  confîdération  qu'une  villa 
pût  donner  à  fes  voifins  ,  d'adopter  leuff 
culte  religieux  &  leurs  cérémonies  ;  car 
chacun  avoit  des  Prêtres  &  d'autres  Mi- 
nistres qui  regloient  les  chofes  divines , 
ajoutoient  &  retranchaient  au  culte  pri- 
mitif. De  tout  cela  il  fe  faifoit  un  mé- 
lange confus ,  qui  rendoit  la  Religion, 
des  Grecs ,  de  toutes  les  Religions  la 
plus  monftrueufe  &  la  plus  fuperftitieufe^ 
Lifez  les  Voyages  de  Paufanias ,  vous 
trouvez  à  chaque  pas  des  Temples ,  des 
Autels ,  des  Statues  des  Dieux  de  dif- 
férent métail ,  de  différentes  formes  ,  & 
avec  des  noms  particuliers  ,  que,  ou  le 
lieu ,  ou  quelque  prétendu  prodige ,  ou 
quelque  voeu  public ,  leur  avoient  fait 
donner. 

On  aflîgna  auflî  des  Divinités  aux  a£- 
feftions  &  aux  pallions  :  Venus  &  Priape 
présidèrent  à  la  génération  ;  Morphée 
au  fommeil;  Hebé  &  Horta  à  la  jeu- 
ncÛLG  1  Juturne  chez  les  Latins ,  &  Hy* 

?  iiij 


544  La  Mythologie  &  les  Fahles 
gieïa  chez  tes  Grecs  ,  furent  les  DeeiTes 
de  la  fanté  ;  &  Jafo  ,  de  la  maladie  (à). 
On  établit  une  Bellone  pour  la  guerre, 
une  Pomme  pour  les  Jardins  ,  des  Fu- 
ries pour  les  Enfers.  Toutes  ces  Divini- 
tés eurent  des  Temples  ,  des  Autels  & 
des  Sacrifices  ;  &  comme  les  pallions  ne 
s'oublient  jamais ,  il  n'y  eut  point  de 
crime  qui  n'eût  un  Dieu  Patron.  Les 
adultères  reconnurent  Jupiter  ;  les  Da- 
mes galantes ,  Venus  ;  les  femmes  jalou- 
fes  y  Junon;  &  les  fîloux,  Mercure  & 
la  DéelTe  Laveme.  Ce  n'eft  pas  tout  ;  il 
y  avoit  des  Parques  pour  régler  toutes 
les  aftions  de  la  vie.  Au  mariage  préfî- 
doient  Junon,  Hymenée,  ThalaiÏÏus, 
Lucine,  Jugatinus ,  Domiducus,  &  plu- 
sieurs autres  dont  les  emplois  infâmes 
s.  Av..  font  rougir  les  honnêtes  gens  (i).  Les 

De  Ov.  £e:>     r  rr  °        i        J  . 

temmes  groiies  ou  en  couche,  învo- 
quoient  ia  bonne  DéefTe  ,  Junon  ,  Lu- 
cine  ,  Hécate  y  Sofpita ,  Aîena  ,  Nixii 
Dei ,  Imercidona  y  Mater  Matuta,  De- 
verra,  Egeria,  Fluovia,  Pertunda,  Pror- 
fa,  Pojlverta ,  Rumilia  y  Divinités  dont 
les  noms  ,  ainfi  que  ceux  des  autres 
Dieux  qui  préfïdoient  à  toutes  les  ac- 

{<ù  On  ne  fera  que  nommer  préfentement  tous  ces  Dieu*, 
Ils  feront  dans  le  troifieme  Tome  partie  deTHiltoire  des  Di«r 
viruté*  Romaines, 


A) 


Expl.  par  PWjl.  Li v.  III.  Ch.  IV.  ^4; 

tions  de  la  vie ,  defignoient  les  emplois. 
Pour  les  enfans  ,  on  invoquoitla  Déeffe 
Nafcio ,  ou  Natio  ,  Opis  ,  Rumina,  Po- 
tin  a  y  Cunina ,  Levait  a ,  Paventia ,  Car* 
vea  ,  Edufa ,  Ojjilago  ,  Statilinus  ,  Va- 
gitanus,  Fahulinus ,  Juventa,  -Nondïna  , 
Orbona;  &  cette  dernière  Déefîe  étoit 
pour  les  orphelins >  ou  pour  confoler  les- 
pères  &  les  mères  de  la  perte  de  leurs 
enfans.  Lorfqu'on  pofoit  l'enfant  à  terre, 
on  le  recommandoit  aux  Dieux  Pilumnus 
ÔC  Picumnus  :  de  peur  même  que  le  Dieu- 
Sylvain  ne  lui  nuisît ,  il  y  avoit  trois  au- 
tres Dieux  qui  veilloient  aux  portes* 
Intercido ,  Pilumnus  ,  &  De  vert  a.  Car  il 
eft  bon  de  fçavoir  qu'à  la  naïffance  d'un 
enfant ,  on  frappoit  à  la  porte  avec  une- 
hache  ,  ou  avec  un  maillet ,  &  enfuite- 
on  balayoit  le  veftibule ,  &  on  croyoit 
que  Sylvain  voyant  ces  trois  marques,, 
n'ofoit  entreprendre  de  nuire  aux  enfans, 
qu'il  jugeoit  par-là  être  fous  la  protec- 
tion de  ces  trois  Divinités,  Statilinus. 
prélîdoit  à  l'éducation  de  ces  mêmes  en-* 
fans  ;  Fabulinus  leur  apprenoît  à  par- 
ler*; Paventia  en  éloignoit  les  objets  de 
crainte  &  de  frayeur  ;  Nondinà  préfidoit 
aux  noms  qu'on  leur  donnoit  ;  Cunina. 
avoit  foin  du  berceau  ;  enfin  Rumia  con- 
fervok  le  lait  à  leurs  mercs.  Les  Dieu^ 

E  Y 


3 46  £#  Mythologie  &  les  Vallès 
Epidotes  préfidoient  à  la  croiflance  des 
enfans ,  comme  leur  nom  le  prouve  (a). 
S'il  y  avoit  tant  de  Dieux  pour  veil- 
1er  à  la  naiflance  &  à  la  confervation  des 
enfans,  il  n'y  en  avoit  pas  moins  pour  les 
fruits  &  les  moiflbns.  Saint  Auguflin, 
qui  dans  fes  Livres  de  la  Cité  de  Dieu 
nous  a  confervé  les  noms  de  plufieurs 
Dieux ,  qu'on  chercherait  vainement 
ailleurs  ,  en  compte  feize  qui  veil- 
loient  aux  femailles  &  aux  moiflbns» 
Une  Seici  pour  les  bleds  nouvellement 
femés  :  Segetia,  quand  ils  commençoient 
à  pouffer,  Tutilina,  pour  les  conferver 
dans  le  grenier  ;  Proferpine  ,  quand  ils 
germoient  ;  Patelina,  quand  ils  étoient 
prêts  de  pouffer  l'épi  ;  Nodotus  5  quand 
ils  commençoient  à  nouer ,  PatUeva , 
Flora,  Hojîiïma ,  Lacîitrtïa,  Matuta% 
Rumina  Se  Robtgus ,  &  plufieurs  autres  , 
à  qui  on  offroit  des  facrifices  dans  les 
différentes  faifons  de  Tannée.  On  avoit 
encore  Venus  Libitina  ,  pour  prélîder  à 
ta  mort;  Plutus  &  Ops  ,  pour  les  richef- 
jes  ;  Janus  y  Forculus ,  Cardea  &  Limen- 
tina^  pour  avoir  foin  des  portes;  Clufius 
êcPatuleius  étoient  les  Dieux  qu'on  invo- 
quoit  en  les  ouvrant  ou  en  les  fermant  (£)•- 

(*)    E'tt/A  y  fnperaddo  ,  augeo  ,  J'augmente* 

(é)  Forcuîus  ,  efuafik  Êttfè*s,  ',  Cafdea  ,  à  C*rdinibnt  >  L£ 


Expl.par  VBJl.  Liv.IIÏ.  Ch.IV.  347 

Laterculus  &  les  Pénates  ,  pour  les 
foyers  ;Jupiter  Erceus  pour  les  murail- 
les (1);  les  Déefles  Flore,  Pomone,  &  (1)  W*«« 
les  Dieux  Vertumne  &  Priapeveilloient^^w* 
à  la  confervation  des  vergers ,  des  fleurs  > 
êc  des  fruits,  comme  Deverrona ,  à  la  ré- 
colte. Le  Dieu  Terme  prenoit  foin  des 
champs  &  des  bornes.  On  avoit  auiîî  une 
Hippone  pour  les  chevaux ,  Bubone 
pour  les  bœufs ,  Mellone  pour  les  abeil- 
les. Murcea  étoit  la  DéeïTe  de  la  pareïTe; 
OJJïlagOy  étoit  invoquée  lorfqu'il  s'agif- 
foit  de  remettre  les  entorfes&les  ruptu- 
res des  os.  Agenorïa  l'étoit  pour  donner 
du  courage*  Hebé  préfîdoit  à  la  jeunef- 
fe  y  Senuïus  à  la  vieilleïïe  ;  Momus  à  la 
raillerie  ;  àlajoye  ,  Vetida>  aux  plaifïrs , 
Volopta  yà  la  pauvreté  F  enta.  Les  grands 
parleurs  invoquoient  Atus  Locuttus  : 
Harpocrate  &  Sigalion  étoient  les  Dieux 
du  filence.  Pelloiiia  étoit  établie  pour 
éloigner  les  ennuis  ;  PQpulomayipour  dé- 
tourner toutes  fortes  de  ravages.  Oa 
avoit  divinifé  la  vie  fous  le  nom  de  Vi- 
tulusy  &  la  Fièvre  avoir  auiîi  fes  Autels» 
On  avoit  un  Dieu  de  l'ordure,  nommé 

memina  ,  à  lim'me*  Tous  les  autres  Dieux  avoient  des  noms 
«onforrnes  à  leurs  emplois  >  tant  chez  les  Grecs  que  chez  les 
Romains. 

Voyez faint  Au^urun ,  de  Uvitate Dzi  >  l.  4.  $.  fcf  •  La*~ 
tauc*,  a£ res  Paufauias ,  Piuie  -  &c. 


34$      La  Mythologie  &  les  Vallès 
Stercutius  y  un  pour  d'autres    befoîns^ 
Crepitus  ;  une  Déefle  pour  les  Cloaques,- 
Cloaciva. 

A  la  Juftice  préfîdoient  Aftrée  ,  The- 
mis  &  Dicé.  A  la  fabrique  des  mtmnoyes 
de  cuivre,  ALs ,  JEfculanus  y  &  JEres\ 
à  toutes  fortes  d'efpeces ,  Juno-Moneta  9 
ou  fîmplement  Moneta.  Ariflée  &  Mel- 
lonia  étoient  les  Dieux  des  mouches  à 
miel;  Salaria,  la  Déeife  des  tempêtes  ; 
Eole,  le  Dieu  des  vents.  Valloma  Se 
Epimda  avoient  foin  des  chofes  expofées 
à  l'air.  Myagrus  ,  Muyodes  &  Achor  f 
étoient  les  Dieux  des  mouches.  Pavor  9. 
Timor ,  Pallory  étoient  ceux  que  la  crain- 
te ,  l'effroi ,  &  la  pâleur  qui  les  accom- 
pagne ,  avoient  fait  inventer.  L'impru- 
dence elle-même  avoit  fa  divinité  tute- 
laire  ,  qu'on  nommoit  Coalemus  :  Catlus 
rendoit  fpirituel ,  &  Cornus  le  Dieu  des 
feftins  ,  gai  &  content.  Enfin,  il  n'y 
avoit  rien  d'efTentiel  à  la  vie  &  aux  plai- 
firs  ,  qui  n'eût  une  Divinité  favorable, 
Les  Romains  en  avoient  deux  pour  l'a- 
mour ;  Tune  pour  les  amours  mutuels  , 
l'autre  pour  venger  les  amours  mépri- 
fés  {a) ,  &  cette  paiïïon  étoit  la  Divini- 
té la  plus  ancienne  &  la  plus  univerfel- 

(m)  Ovide  l'appelle  un  amour  d'oubli  j  Lethens  armr.  1.  ;u 


Expl  par  PHîJl.  Liv.  IIL  Ch.  IV.  54^ 

lement  adorée.  Ce  même  Peuple  avoit 
auffi  deux  Temples  de  la   Pudeur,  uir 
dédié  à  la  pudicité  des  Nobles ,  &  l'au- 
tre à  celle  du  peuple:  enfin,  onenvoyoit 
partout  d'élevés  à  la  Paix,  à  la  Victoire , . 
à  la  Pauvreté  .  à  la  Foi,  à  la  Clémence,, 
à  la  Pieté,  à  la  Juftice,  à  la  Liberté,  à. 
la  Concorde ,  à  la  Fortune ,  à  la  Difcor~ 
de,  à  l'Ambition.  On  appréhendoit  le: 
mal,  on  fouhaitoit  le  bien ,  on  vouloir 
fuivre  Ces  penchans  fans  remords  ;  &  voi- 
là l'origine  de  toutes  ces  Divinités  na- 
turelles  ôc    métaphoriques  ,    dont    les. 
noms  répondent  aux  emplois,  &  qu'on- 
regardoit  comme  autant  de  Génies  ré- 
pandus dans  le  monde,  qu'on  croyoit 
en  régler  les  mouvemens ,  Ôc  qu'on  tâcha 
de  fe  rendre  favorables  par  les  vœux  ôc 
les   facrifîces,  parce  qu'on  les  croyoit 
raalfaifants.     Les   Poètes    invoquoient 
Apollon,  Minerve,  &  les  Mufes;  les 
Orateurs ,  Suada  &  Pitho  ;  les  Méde- 
cins ,  Efculape .  Meditrina ,  Confus ,  Hy~ 
gieia  &  Telefphore  ;  les  Valets  &  les 
Servantes ,  les  Dieux  nommés  Aveuli  Ù* 
Anculœ^  les  Bergers,  le  Dieu  Pan  ;  les 
Bouviers  ,  la  Deeile  Bubona  ;  les  Cava- 
liers ,  Caftor  &  H'ypona. 

Comme  chaque  profefîîon  avoit   fes 
Dieux  ;  chaque  action  de  h  vie  avoit 


5  yû  La  Mythologie  &  les  Vallès 
auflï  les  fîens  :  ainfi  préfidoient  aux  dif- 
férentes actions  ,  Volumnus ,  ¥olupiar 
Libentia,  Horfa,  Horftliay  Stimula  y  Stre— 
mia>  Stata ,  Adeoncr TAgeronia  y  Agonis, 
JÎbeona yFejforia y  Fugia  ,  Pellonia  y  Ca~ 
tius,  Fidtus  y  ou  SanBus-Fidius y.Saniîusy 
ou  Dius,  Murcïa  y  NanïaT  Numerica> 
Vacuna  y  Vertumnus  y  Vittus  ,  Veflitus  ^ 
Tibilia  (a(.  On  avoit  inventé  auiïï  des 
Dieux  pour  chaque  partie  du  corps  ;  le 
Soleil  préfidoit  au  cœur ,  Jupiter  à  la 
tête  &  au  foye.  Mars  aux  entrailles, 
Minerve  aux  yeux  &aux  doigts  ,  Junon 
aux  fourcils,  Pluton  au  dos,  Venus  aux 
reins,  Saturne  à  la  rate,  Mercure  à  la 
langue ,  Tethys  aux  pieds ,  la  Lune  à 
Teftomach ,  le  Génie  Se  la  Pudeur  au 
front ,  la  Mémoire  aux  oreilles ,  la  bonne 
Foi  à  la  main  droite ,  laMifericorde  aux 
genoux.  On  avoit ,  comme  nous  l'avons 
dit  ci-devant,  divinifé  chaque  Vertu  ; 
la  Clémence  ,  la  Concorde,  la  Juflice  , 
la  Mifericorde,  la  Pieté  ,  la  Pudeur  ,  la 
Prudence ,  la  SageiTe ,  l'Honneur  ,  la 
Vérité,  la  Paix,  la  Liberté  ?  &  plufreurs- 
sutres. 

Ou  ne  s'attend  pas  que  je  donne  une 

(a)  On  ne  cite  point  d'Auteurs  pour  tout  ceci  :  il  n'y  a  qu'à 
lire  les  Hiftoires  Grecques  &  Romaines  ,  fur  -tout  Paufama$> 
Strabon,  Tite-Live,  &c.  &  Saint  Augu&A- 


Expl.  par  mjl.  Liv.ïIL  Cu.  IV.  35 ï 

notion  plus  étendue  de  ces  Divinités 
fubalternes  ;  leurs  noms  défîgnent  aflez 
leurs  emplois ,  Se  il  fuffit  de  les  avoir 
nommées  ,  pour  être  au  fait  des  Poètes 
&  des  Mythologues  qui  en  parlent.  Je 
remarquerai  feulement  :  i°  ,  Que  pref* 
que  toutes  ces  Divinités  étoient  de  l'in- 
vention des  Romains,  comme  leurs  noms 
le  font  aflez  connoître  ;  &  l'on  voit  par 
là  combien  ces  Maîtres  du  monde  ,  qui 
avoient  adopté  prefque  tous  les  Dieux 
des  Peuples  qu'ils  avoient  vaincus,  en 
avoient  encore  introduit  d'inconnus  à 
ces  mêmes  Peuples  :  2° ,  Que  la  plupart 
de  ces  Divinités  étoient  de  Finvention 
des  Peintres  &  des  Sculpteurs  :  30 ,  Qu'il 
y  en  avoit  qui  étoient  particuliers  à  quel- 
ques familles  ,  &   même  quelquefois  à 
de  fimples  particuliers:  40,  Que  toutes 
ces  vertus  divinifées  n'étoîent  que  des 
fymboles,  qui  les  repréfentoient ,  ou  fur 
des  Médailles ,  où  l'on  en  trouve  un- 
grand  nombre ,  ou  fur  d'autres  Monu- 
mens  <Sc  dans  les  Infcriptions  :  50,  Que 
leur  culte  n'étoit  ni  auffi  célèbre  ni  auflî 
étendu  que  celui  des  grands  Dieux  ;  que 
cependant  il  y  en  avoit  un  grand  nombre 
qui  avoient  des  Autels  &des  Chapelles, 
&  qu'on  invoquoit  en  certains  temps; 
comme,  avant  la  récolte ,  aux  vendan- 


fjp     La  Mythologie  &  les  Vables 
ges,  lorfqu'on  cueilloit  les  fruits  ,  dans 
les  maladies  des  hommes  ou  des  be£> 
tiaux,  &c. 

Outre  ces  Dieux ,  dont  le  nombre  efl 
déjà  immenfe,  il  y  en  avoit  de  particu-? 
liers  à  chaque  Nation  ;  d'autres  qui 
étoient  affe&és  à  certaines  Villes  :  Rece- 
la particulièrement  chez  les  Grecs  &  chez 
les  Romains  ;  foit  qu'on  crût  qu'ils 
étoient  nés  dans  ces  Villes,  ou  qu'ils 
leur  accordaiïent  une  proteftion  partie 
culiere.  En  un  mot,  prefque'  toute  la 
terre,  avoit  été  partagée  entre  plufîeurs 
Divinités  ,  &  à  l'exception  des  grands 
Dieux,  qui  étoient  reconnus  partout, 
quoiqu'honorés  plus  particulièrement  en 
certains  lieux ,  les  autres  n'étoient  ado- 
rés que  chez  quelques  Peuples  ,  &  dans 
de  certaines  contrées.  C'eft  de-là  que  ces. 
Dieux  étoient  nommés  Topiques,  ou  Po- 
pulaires, &  qu'ils  ont  tiré  la  plupart  dé*, 
leurs  noms,  comme  on  le  verra  dans  leur. 
Hiftoire ,  des  différents  lieux  où  ils* 
étoient  honorés. 

Ainfî  Jupiter  l'étoît  fpécialement  dans- 
l'Ifle  de  Crète,  où  Ton  croyoit  qu'il 
avoit  été  nourri ,  à  Difte ,  au  mont  Ida , 
au  mont  Olympe  ,  au  Pirée  ,  dans  TE—, 
pire  ,  à  Dodone.  Junon  ,  à  Argos  ,  à 
My cènes  ;  à  Phalifque^.  à  Samos }  à  Car- 


Expl.  par  VHïJl.  Liv.  III.  Ch.  IV.  37? 

thage.Cerès  en  Sicile ,  &  à  Eleufis.Vefta 
ou  Gybele  ,  dans  toute  la  Phrygie  ,  fur- 
tout  à  Berecynthe ,  &  àPeiîLunte.  Mi- 
nerve ,  à  Alalcomene  ,  à  Athènes  ,  & 
à  Argos.  Apollon  ,  à  Chryfa,  Ville  de 
Phrygie  y  à  Delphes,  à  Cylla,  àClaros, 
une  des  Cyclades ,  à  Cynthe,  montagne 
de  Delos  ,  à  Grynée  ,  à  Lesbos ,  à  Mi- 
let ,  à  Patare ,  à  Phafelis  y  montagne  de. 
Lycie  ,  àSmynthe  à  Rhodes,  à  Tene- 
dos  ,  à  Cyrrha ,  chez  les  Hypperbo- 
réens ,  8c  ailleurs.  Diane  à  Ephefe ,  à 
Delos,  àMycenes,  àBrauron  dansFAt- 
tique ,  à  Magnefle  r  fur  le  mont  Ménale 9 
à  Segefte  ,  &c.  Venus  à  Amathonte  en 
ChypVe,  àCythere,  àGnrde,  àPaphos, 
à  Idalie  ,  fur  le  mont  Eryx  dans  la  Si- 
cile ,  fur  l3Ida  dans  la  Phrygie.  Mars  ,  à 
Rome  ;  chez  les  Getes ,  &  d'autres  peu- 
ples du  Nord ,  comme  les  Scythes  &  les. 
Thraces  Vulcain,  dans  les  Ifles  Eolien- 
nes ,  à  Lemnos  ,  auprès  du  mont  Etna  ; 
&  plus  anciennement  en  Egypte ,  dont 
fuivant  les  meilleurs  Auteurs ,  il  étoit 
la  première  Divinité.  Mercure,  furl'He- 
licon  ,  fur  les  monts  Cylleniens ,  à  No- 
nacrie ,  &  généralement  dans  toute  TAr- 
cadie.  Neptune  ,  dans  Tlfthme  de  Co- 
rinthe ,  au  Tenarc ,  &  fur  toutes  les  Mers. 
Nerée,  furies  côtes  des  Mers,  &  par 


5^4  ^a  Mythologie  &  les  Fables 
les  gens  de  marine.  Saturne ,  dans  plu~ 
fieurs  lieux  d'Italie.  Pluton  ,  dans  tou& 
les  facrifîces  qu'on  offroit  aux  morts.  Bao 
chus,  àThebes,  àNyfa,  àNaxos,  &c* 
Efculape,  à  Epidaure,  à  Rome  ôc  ail- 
leurs. Pan  ,  fur  le  Ménale  en  Arcadie,  &c. 
La  Fortune  à  Antium  ,  Eole  ,  dans  les 
Ifles  quiportoient  fon  nom.  Tels  étoient 
les  lieux  principaux  de  la  Grèce,  de  F  Afîe 
mineure,  &  de  l'Italie,  oùl'onhonoroit 
les  Dieux  d'un  culte  particulier. 

Enfin  ,  pour  comble  d'ahfurdité  ,  on 
adora  les  animaux  &  les  reptiles  ;  &  ce 
n'étoient  pas  feulement  les  particuliers 
qui  leur  offraient  de  l'encens  &  des  fa- 
crifîces ,  mais  les  Villes  entières  où  leur 
culte  fut  établi  :  ainfi  Memphis  &  Helio— 
polis  adoroientle  bœuf;  Sais  &  Thebes, 
les  brebis  ;  Cynopolis ,  les  chiens  ;  Men- 
ées ,  les  chèvres  &  les  boucs  (  a  )  ,  les 
Afïyriens,  les  colombes.  Dans  quelques 
Villes  on  adoroit  les  linges ,  dans  d'autres 
les  crocodiles  ôc  les  lezars ,  les  corbeaux , 
les  cigognes  ,  l'aigle  ,  le  lion  ;  ôc  ces 
Villes  portoient  même  fouvent  le  nom 
des  animaux  qui  étoient  l'objet  de  leur 
culte ,  comme  Cynopolis ,  Leontopolis  > 
Mendès,  &c.Les  poiflbns  devinrent  auffi 

(a.)  On  expliquera  dans  leLiv.vu  ce  <jt*'cm  deitgenfer.  d* 
suki:  seitf  u  aux  animaux* 


Bxpl.parPHift.Liv.III.CHAV.TV.  357 

l'objet  d'un  culte  fuperftitieux ,  non-feu- 
lement parmi  les  Syriens  ,  qui  n'ofoient 
pas  même  en  manger  ;  mais  auflî  dans 
plufîeurs  Villes  d'Egypte ,  de  Lydie ,  & 
dans  d'autres  pays.  Les  uns  plaçoient  fur 
leurs  Autels  des  anguilles  ,  d'autres  des 
tortues ,  &  d'autres  des  brochets  (a). 

On  n'en  demeura  pas  là  :  les  infe&es, 
les  ferpens  furent  auflî  adorés  en  Egypte 
&  dans  plufîeurs  autres  pays.  Epidaure  Se 
Rome  avoient  élevé  des  Temples  à  la 
couleuvre  *  qu'ils  croyoient  repréfenter 
Efculape.  Il  n'y  eut  pas  jufqu'aux  moin- 
dres infeâes  qui  ne  devinrent  l'objet  de 
cette  folle  fuperftition.  Les  ThefTaliens 
honoroient  las  fourmis,  dont  ils  croyoient 
tirer  leur  origine  :  les  Acarnaniens  y  les 
mouches  ;  &  fi  les  habitans  d'Accaron  ne 
les  adoroient  pas  ,  ils  offraient  du  moins 
de  l'encens  au  Génie  qui  les  chafToit ,  Se 
Béeîzebut  étoit  leur  grande  Divinité* 
Enfin  ,  les  pierres  elles  -  mêmes  furent 
l'objet  d'un  culte  public  ;  comme  celle 
que  Saturne  avoit  avalée  au  lieu  de  Ju- 
piter ,  Se  celle  qui  repréfentoit  parmi  les. 
Phrygiens  la  mère  des  Dieux  ;  &  le  Dieu 
Terme ,  qui  étoit  une  efpece  de  borne 
ou  de  rocher. 

(a)  Confultez,  fur  tout  cela  Volïius ,  de  idoU  qui  en  traita 
fon  au  long». 


3  y "(5     La  Mythologie  &  les  Fables 

Que  iî  nous  voulons  parler  maintenant 
des  Héros  ou  des  demi-Dieux ,  quel  pro- 
digieux nombre  n'en  trouverons-nous 
pas  ?  Leurs  Temples  étoient  répandus 
dans  toute  la  terre  \  &  leur  culte ,  quoi- 
que moins  folemnel  que  celui  des  Dieux  y 
faifoit  une  partie  confiderable  de  la  Re** 
ligion  payenne.  Enée,  furnommé  Ju- 
piter-Indigete  ,  avoit  une  Chapelle  éri- 
gée en  fon  honneur  fur  les  bords  du 
fleuve  Numicus  ;  Janus  ,  Faunus  ,  Fi- 
cus, Evandre,  FatuaouCarmenta,  Ac- 
ca-Laurentia ,  ou  Flore  ,  Matuta ,  Por- 
tumnus,  Mania,  Anna-Perrenna  ,  Ver- 
tumne  ,  Romulus ,  &  plufîeurs  autres , 
étoient  honorés  dans  le  pays  Latin.  Her- 
cule (a)  ,  Thefée  ,  Caftor  &  Pollux  , 
Hélène ,  Agamemnon ,  ôC  la  plupart  des 
Héros  de  la  Toifon  d'or  ou  du  fiege  de 
Troye  ,  eurent  des-Temples  &  des  Au- 
tels dans  la  plupart  des  Villes-de  la  Grèce. 
La  Laconie  honoroitrHy acinthe ,  &  Ti- 
momarchus  qui  combattit  pour  les  Lace- 
demoniens  contre  le  Peuple  d'Amycles  , 
fans  parler  d'Agamemaon ,  de  Menelas, 
de  Paris  &  deDéiphobe.  Les  MeiTeniens 
offraient  de  Pencens  &  des  facrifiees  à  Po~ 

(a)  ,1  n'y  a  pas  de  Dieu  Ind  gete  dont  le  culte  fut  plus  ré-* 
pandu  que  celui  d'Hercule.  La  Grèce,  l'Italie,  la  Gaule^'EP* 
pagne  >  l'Afrique  ,  la  Libye  ,  l'Egypte  ,  &  la  Phenicie,  lui 
ay oient  élevé  des  Temples  &  d€s  Autels» 


JExpl  parPHift.  Liv.IILChap.IV.  3;? 

lycaon  ,  à  fa  femme  Meflene  ,  à  leur  fils 
Triopas ,  &  au  célèbre  Machaon  filstd'Ef- 
culape.  Les  Arcadiens  accordèrent  les 
-honneurs  divins  à  Califto ,  à  fon  fils  Ar- 
cas  ,   à  Ariftée  qui  avoit  quitté  lTfle  de 
Cos  où  il  étoit  né  ,  pour  venir  en  Arca- 
clie  apprendre  à  ce  peuple  l'art  d'élever 
les  abeilles.  Le  peuple  d'Argos  honoroit 
Perfée  ,  Lyncée;  Hypermneftre ,  Io  , 
Apis.  Les  Acarnaniens  reveroient  Am- 
philoque  ,  &  confultoient  fes  Oracles. 
Le  peuple.  d'Athènes  avoit  rempli  cette 
célèbre  Ville  des  Temples  de  Cecrops  , 
de  fes  filles ,  Agraule  ,  Herfé  &  Pan- 
drofe  ;   de  Celeus  &  de  Triptoleme  fon 
fils ,    d5Erechteugv&  de  fes  filles.  On  y 
trouvoit  aufîî  les  Temples  d'Egée  ,    de 
Thefée  5  de  Dédale,  de  Perdix  fon  ne- 
veu ,  d' Androgée ,  d'Alcmene ,  d'Eaque, 
«dTolaiïs,  ce  fameux  compagnon  des  tra- 
vaux d'Hercule ,  de  Codrus  ,   &  d'une 
infinité  d'autres.  A  Delphes  on  voyoit 
celui  de  Neoptoleme  ;  à  Megare  ,  celui 
d'Alcathoiis  ;  chez  les  Oropiens  celui 
d'Amphiaraiis  ;  Thebes  étoit  célèbre  , 
non-feulement  par  le  culte  de  Bacchus , 
deSemelé,  de  Cadmus,  d'Hermione, 
mais  auffi  de  toute  cette  illuftre  famille  : 
ainfi  Ino  &  Meiicerte  y  eurent  leurs  Tem- 
ples &  leurs  Autels,  aulîi-bien  qu'Her? 


3  y  S  La  Mythologie  &  les  Fahles 
cule ,  Iolaiis  &  Amphiaraiis.  Dans  FElide 
les  femmes  facrifioient  une  fois  par  an  à 
Hippodamie ,  fille  de  Pelops.  Telefphorc 
étoit  honoré  à  Pergame  >  Damta  ou  La* 
w/Vz  TétoitàEpidaure>  Nemefis  à  Rham- 
nus  ,  Sanéîus  ,  ou  Sangus  chez  les  Sa- 
bins  j  Adramus  Se  Fallcus  en  Sicile ,  Co- 
ronis  à  Sicy  one  P  Théagene  chez  les  Tha- 
iîens  ,  Boréè  en  Thrace  ,  Pater  -  Curts 
chez  les  Volfques  ,  Tellenus  à  x\quilée, 
Tanaïs  en  Arménie ,  Ferentina  à  Feren- 
tum  ,  Tagès  en  Etrurie ,  aujourd'hui  la 
Tofcane  ;  Feronia  ,  dans  plufieurs  lieux 
d'Italie ,  Marie  a  à  Minturne ,  les  Grâces , 
à  Orchomene ,  les  Mufes ,  dans  la  Piérie 
6c  àLesbos  ,  &  Amphiloque  à  Oropos. 
La  TheïTalie  facrifioit  à  Pelée ,  à  Chiron , 
à  Achille.  L'Ifle  de  Tenedos  à  Tenès  , 
celle  de  Ghio  à  Ariftée  &  à  Drimachus, 
celle  de  Samos  à  Lyfandre ,  celle  de  Naxe 
à  Ariadne  ,  les  Eginetes  à  Eaque ,  ceux 
de  Salamine  au  fameux  Ajax ,  fils  de  Te- 
lamon ,  Tille  de  Crète ,  à  Europe ,  à  I- 
domenée  5  à  Molon  ?  &  à  Minos.  On 
voyoit  en  Afrique  les  Temples  de  plu- 
fieurs Rois.  Les  Maures  honoroient 
Juba  ;  ceux  de  Cyrene  ,  Battus  ;  les 
Carthaginois  y  Didon  ,  Amilcar  ,  Sec. 
Les  Thraces  ,  Orphée  ,  Se  leur  Légif- 
lateur  Zamolxis. 


ExpLpar  VHift.  Liv  .XILChap  JV.  3;$ 

On  ne  finiroit  pas  fïl'on  vouloît  par- 
courir tous  les  autres  lieux  célèbres  par 
le  culte  de  quelque  Divinité  particulière , 
puifque  toute  la  terre  étoit  remplie  de 
Temples  &  d'Autels  ,  élevés  non-feule- 
ment aux  grands  Dieux  ,  mais  auflî  aux 
Indigetes  (à) ,  &  que  chaque  Peuple  & 
chaque  Ville  ,  généralement  parlant,  a- 
voit  mis  au  rang  des  Dieux  ou  des  Héros, 
fes  Fondateurs  &  fes  Conquérans.  Si  Ton 
croit  avoir  befoin  de  preuves,  pour  tout 
ce  que  je  viens  de  dire  dans  ce  dernier 
article  ,  on  n'a  qu'à  lire  Paufanias  ,  qui 
parle  des  Temples  confacrés  à  tous  ces 
Héros,  Strabo.n ,  &  parmi  les  modernes , 
Meurfius  dans  fon  excellent  Traité  des 
Fêtes  de  la  Grèce  ;  le  premier  Livre  de 
Voffius,  &Rofin(i).  0)Liv. 

Enfin,  fi  l'on  joint  à  tant  de  Dieux,  les  &3e 
Génies  &  les  Junons  qui  étoient  comme 
les  anges  gardiens  de  chaque  homme  ôc 
de  chaque  femme ,  on  n'aura  pas  de  peine 
à  croire  ce  que  dit  Pline ,  que  le  nombre 
des  Dieux  excedoit  celui  deshommes  (&), 
ni  ce  que  rapporte  Varron ,  qui  faitmon- 

(a)  Confultez  pour  tous  ces  Indigetes  &  leur  culte,  Paufa- 
nias ,  3c  Strabon ,  &  parmi  les  modernes  Meuriîus ,  Gracia 
Ferïat.i ,   de  Voflius  5  de  idol  Liv.  i . 

(b)  Ma)or  cœlitum pc-pulus  etiam  quam  homrnwm  intdligi potefly 
tnm  finguliquaque  ex  ftmetipjis  totidem  Decs  fadant  jjnnones} 
GcnhfqHe  adfiptandojibi.  Pline  ,  Liv*  2. 


3^0     La  Mythologie  &  les  Faites 
ter   ce  nombre    à  trente   mille. 

Je  ne  prétends  pas  dire  qu'il  n'y  ak 
eu  de  tout  temps  dans  prefque  tous  les 
pays  du  monde  ,  quelqu'un  qui  ait  rejet- 
té  dans  le  fond  du  cœur  ces  Divinités 
ridicules  ,  du  moins  pour  la  plupart.  Je 
fçais  que  Dieu  le  conferva  quelques  fer- 
viteurs  parmi  les  Nations  les  plus  Ido- 
lâtres ;  que  Salem  eut  fon  Melchifedgch , 
les  Iduméens  leur  Job  ,  les  Chaldéens 
leur  Abraham  ;  mais  à  cela  près  on  doit 
croire  que  toute  la  terre  étoit  couverte 
des  ténèbres  de  l'Idolâtrie  ;  qu'il  n'y  eut 
que  le  peuple  Juif  dans  un  coin  du  monde  , 
qui  conferva  l'idée  &  le  culte  du  vrai 
Dieu  ;  encore  ce  même  Peuple  trop  in- 
grat &  toujours  charnel ,  malgré  les  bien- 
faits vilîblcs  qu'il  recevoit  de  fon  Dieu  , 
&  les  défenfes  continuelles  des  Prophè- 
tes ,  ne  fe  laiffa  que  trop  fouvent  entraî- 
ner au  fatal  penchant  qu'il  avoit  pour 
l'Idolâtrie. 

On  pourroitoppofer  à  ce  que  je  viens 
de  rapporter  des  progrès  de  l'Idolâtrie , 
que  toutes  les  faufles  Divinités  des  Pa- 
yens ,  r^ét  oient  que  difFerens  attributs  du 
vrai  Dieu  ;  qu'ils  adoroient ,  par  exemple, 
fa  milice  dans  Themis  ,  fa  puiiTance  Sou- 
veraine dans  Jupiter ,  fon  éloquence  dans 
Mercure ,  fa  fagefle  dans  Pallas ,  ainfi  des 

autres  j 


Explpar  rHjft.Uv JILChap.IV.  36 r 

autres  ;  mais  ils  n'en  feroient  pas  pour 
cela  plus  excufables  ,  ayant  ainlî  diftri- 
bué  &  partagé  entre  plufieurs  Dieux ,  les 
perfe&ions  d'un  Etre  qui  eft  un  par  eC- 
fence.  On  peut  p enfer  la  même  chofc 
des  Poètes  &  des  Philofophes ,  qui 
croyoient  que  Dieu  étoit  lame  de  ce 
vafte  univers ,  qui  lui  donnoit  le  mouve- 
ment &  la  vie. 

Spiritus  in  us  -alit ,  tôt  an?  que  Infufa  per  anus 
Mens  agirai  moîem  ,  &  magnofe  cor-pore  rnifcet. 

Deum  namque  ire  fer  omnes 

Terrafque  ,  traclufque  maris ,   cœlumquo  pro- 

fcniW  (1).  CD  Enei* 

C'étoit  le  fentiment  favori  des  Stoïciens,  L'6' 
au  rapport  de  Ciceron  (2;  ;  chacun  don-  Ac(a2d}#  guc*< 
na  à  cette  ame  univerfelle  du  monde , 
le  nom  de  quelque  Divinité.  Straboa 
difoît  que  c'étoit  Jupiter  ;  félon  Denys 
d'Halicarnaffe ,  c'étoit  Saturne  ;  Macro- 
be  vouloit  que  ce  fût  le  Soleil;  Apulée, 
la  Lune  :  d'autres ,  Pan ,  ou  Junon ,  ou 
Minerve;  ou  plutôt  félon  le  fentimentde 
Zenon  (3),  c'étoit  cette  même  ame  du^^y* 
monde,    qui  prenoit    tous    ces   diffe-    ^     ***' 
rens  noms  ,  fuivant  les    différons    rap- 
ports de  fa  puiiTance:  qu'elle  s'appel- 
loit  Dios  ,  parceque  c'eft  par  elle   que 
tout  fe  fait  ;  Athena  y  parceque  foi  em- 
pire eft  dans  les  Cieuxj  Hera>  ou  Ju- 
Tome  I.  Q 


%$2     LaMythologie  &  les  Fables 
non  ,  parce  qu'elle  préfîde  à  l'air  ;  Po^ 
feidon  ou  Neptune ,  parce  qu'elle  réfide 
dans  l'eau;  Vulcain,  parce  qu'elle  habite 
(rt  c'étoit  dans  le  feu  (i).  Reconnoître  &  adorer, 
mSVdeTar-  comme  une  Divinité ,  cette  ame  uni- 
Ton.  verfelle  ,  qui  eft  une  portion  du  monde  , 

Aug°D*ci-v."  étendue  comme  le  corps  qu'elle  anime, 
d«\L  27.  c  c'eft  à  la  vérité  une  efpece  d'Idolâtrie 
aa*  plus  rafinée  que  celle  du  peuple  ;  mais 

c'eft  toujours  rendre  à  une  chofe  maté- 
rielle les  hommages  qui  ne  font  dûs  qu'à 
Dieu  ;  ou  plutôt  c'étoit  un  athéïfme  fera- 
blable  à  celui  de  Straton,dePline,de  Spi- 
îiofa,  &  de  la  plupart  des  Lettrés  Chinois. 
Mais  après  avoir  prouvé  que  Pldo la- 
trie n'étoit  parvenue  que  par  degrés  au 
point  d'abfurdité  où  on  vient  de  la  voir, 
il  faut  dire  en  peu  de  mots  de  quelle 
manière  le  culte  qu'on  rendoit  aux  faux 
Dieux ,  monta  jufqu'au  comble  de  Ta* 
bomination. 

Coiftme  dans  les  premiers  temps,  la 
plupart  des  Peuples  ne  connoiflbient  ni 
villes  ni  maifons ,  &  n'habitoient  que 
dans  des  huttes,  ou  fous  des  tentes  por- 
tatives ,  &  qu'ils  erroient  dans  differens 
endroits,  pour  chercher  des  établifïe- 
mens  folides  ,  il  ne  leur  étoit  ni  facile 
ni  convenable  de  conftruire  des  Temples 
<&  de  faire  des  Idoles  j  &  c'eft  ce  qui  les 


Expi.parVHifl.  Liv.III.  Cu.  IV.  36$ 

obligea  d'abord  à  choiïîr  pour  l'exercice 
de  leur  Religion,  les  cavernes,  les  bois, 
&  les  montagnes  ,  les  Prêtres  &  les  Le- 
giflateurs  ayant  regardé  ces  lieux  retirés, 
comme  très-propres  à  rendre  les  myfte- 
res  de  la  Religion  plus  refpeélables.  Pli- 
ne s'explique  clairement  fur  cette  matiè- 
re. Les  arbres ,  dit-il ,  &  les  champs  fu- 
rent autrefois  les  Temples  des  Dieux. 
Arbores  fuere  Numinum  Templa  ,  pr'ifco-* 
que  ritujimpliciâ  rura.  Voilà  ce  qui  don- 
na lieu  à  la  confecration  des  bois ,  dont 
l'ufage  n'a  cefTé  qu'avec  l'idolâtrie. 

Il  faut  remarquer,  en  premier  lieu, 
que  lorfqu'on  vint  à  bâtir  des  Temples , 
on  n'abolit  pas  l'ufage  des  bois  facrés , 
&  qu'on  en  planta  fouvent  autour.  Se- 
condement ,  que  ces  premiers  Temples 
n'avoient  point  d'Idoles.  L' Archite&ure 
fut  inventée  avant  que  l'art  de  faire  des 
figures  fût  connu.  Hérodote  (1)  &  Lu-     M   *•  «s 
cien  (2)  nous  1  apprennent  des  &gyp-  sjria. 
tiens  &  des  Scythes.  Sinous  en  croyons 
Plutarque  après  Varron  (3),  les  Ro-   0)Voyex$. 
mains  furent  170.  ans  fans  Statues  ni  Ido-  t^tcH^ 
les ,  5c  même  Numa  Pompilius  les  avoit 
profcrites  par  une  Loy  également  fage 
&  judicieufe  :  auffi  quand  on  trouva  les 
Livres  de  ce  Prince  ,  qui  avoient  été 
long-temps  perdus ,  on  les  fit  brûler  > 


3#4  î*a  Mythologie  &  les  Fables 
parce  qu'ils  condamnoient  apparemment 
une  coutume  trop  univerfelle  alors , 
pour  être  abolie ,  à  moins  qu'on  ne  veuil- 
le dire  qu'on  les  fît  brûler  comme  des 
Livres  apocryphes  &  fuppofés.SiliusIta* 
licus  dit  de  même,  que  le  Temple  de  Ju- 
piter Ammon  étoit  fans  aucune  Idole, 
&  que  le  feu  éternel  qu'on  y  confervoit , 
repréfentoit  la  Divinité  qui  y  étoit  ado- 
rée. Enfin ,  pour  ne  pas  ennuyer  par  un 
trop  grand  nombre  ce  citations ,  Ter- 
tullien  nous  apprend  que  de  fon  temps 
même  il  y  avoit  pluiîeurs  Temples  fans 
aucune  Statue  ;  &  c'eft  ce  que  veut  dire 
l'Auteur  du.  Livre  de  la  SagefTe  en  par- 
lant des  Idoles  :  Neque  enim  trant  ab  ini-* 
tio  9  neque  eruntin  perpetuurn. 

11  faut  remarquer  en  troifîeme  lieu, 
qu'avant  que  l'art  de  faire  des  Statues 
fût  inventé,  on  rendit  un  culte  religieux 
à  des  pierres  informes  ,  à  des  colomnes, 
&  autres  chofes  de  cette  nature  ;  c'eft  ce 
que  nous  apprenons  de  plufieurs  Au- 
teurs. Sanchoniathon  dit  que  les  plus  an- 
ciennes Statues  n'étoient  que  des  pier- 
res brutes  ,  qu'il  appelle  Bœtilia  ;  & 
ce  mot  vient  apparemment  de  Bethel , 
nom  que  Jacob  donna  à  la  pierre  qu'il 
éleva  comme  un  Autel  après  fon  combat 
^vec  l'Ange  (i).  Paufanias   parle  des 


ExpLparPnift.  Liv.IÏI.  Ch.  IV.  $6$ 

Statues  d'Hercule  &  de  Cupidon ,  qui 
n'étoient  que  deux  mafTes  de  pierre.  Ce 
même  Auteur  ajoute  qu'onwoyoit  en  un 
même  endroit  trente  pierres  quarrées, 
aufquelles  on  donnoit  les  noms  d'autant 
de  Divinités.  Les  Scythes ,  au  rapport 
d'Hérodote  (i) ,  adoroient  une  épée  qui  0)  *■• 
repréfentoit  le  Dieu  Mars.  D'autres 
Peuples ,  félon  Juftin ,  rendoient  leur 
culte  à  une  lance;  &  c'eft  de-là  qu'eft 
venue  la  coutume  de  donner  des  lances 
aux  Statues  des  Dieux,  Ab  origine  rerum 
pro  Dits  immortalibus  haflas  coluerunt  ; 
ob  cujus  Relig'onis  memoriam ,  adhuc  Deo~ 
mm  fimulachris  haflœ  adduntur.  L.  43» 
Le  fameux  Sceptre  d'Agamemnon  dont 
parle  Homère ,  fut  adoré  par  le  Peuple 
de  Cheronée ,  comme  un  fymbole  de 
Jupiter.  Enfin  Arnobe  nous  apprend, 
que  les  Perfes  adoroient  le  feu  &  les 
fleuves  ;  les  Arabes ,  une  pierre  informe; 
les  Thefpiens,  un  rameau;  les  Cariens, 
du  bois  ;  ceux  de  Peffinunte ,  un  caillou  ; 
les  Romains  ,  la  lance  de  Romulus  ;  & 
les  Samiens ,  un  puits.  Videtis  temporibus 
prifeis  Perfas  fiuvios  coluijfe  y  memoralia 
ut  indicant  feripta  ;  informem  Arabas  la- 
pidem,  acinacem  Scythiœ  nationes  5  ramum 
pro  Cynthia  Thejpios  :  lignum  Cariis  pro 
Diana  cokbatur^  PeJJlnuntios fdicem  pro 

Q  «j 


$66    La  Mythologie  &  les  Fables- 

d)AmobeDeâm    matre '  VT0  MaYte  Romanos  hûP 

-tdoJtoU. tam  y  Puteum  Samios  pro  Junove  (i). 
Lorfque  l'aifcde  faire  des  Statues,  dont 
on  donne  la  gloire  à  Promethée ,  fut  in- 
venté, &  que  Dédale  l'eut  perfe&ionné, 
on  rejetta  toutes  ces  Divinités  informes , 
&  dès-lors  l'Idolâtrie  commença  à  faire 
beaucoup  de  progrès  :  on  porta  même 
la  fuperftition  jufqu'à  croire  que  les  Di- 
vinités elles-mêmes  venoient  habiter  dans 
les  Statues  qui  les  repréfentoient  ;  8c  ce 
fentiment  étoit  reçu  fî  univerfellement, 
que  lePhilofophe  Stilpon  ayant  entrepris 
de  prouver  que  la  Minerve  de  Phidias 
n'étoit  pas  un  Dieu ,  fut  déféré  à  l'Aréo- 
page ,  où  il  fut  obligé ,  pour  fe  juftifier* 
de  chercher  une  pitoyable  défaite,  Se  de 
dire  qu'il  avoit  avancé  que  cette  Statue 
n'étoit  pas  un  Dieu ,  puifque  c'étoit  une 
Déefle  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  toutefois 
qu'il  ne  fût  banni. 

Comme  toute  Religion  demande  né- 
ceffairement  un  culte ,  après  avoir  traité 
de  l'origine  &  du  progrès  de  l'Idolâtrie , 
&  des  Dieux  qu'elle  avoit  introduits,  il 
eft  neceffaire  de  parler  du  culte  qu'on 
rendoit  à  ces  différentes  Divinités  ;  des 
Autels,  des  Temples,  des  Prêtres,  des 
Sacrifices,  des  Vi&imes ,  des  Inftrumens 
des  Sacrifices ,  des  Oracles  >  des  ¥4* 


ExplparPBJf.  Liv.IILCh.V.  367 

tes ,  &c.  ce  qui  fera  la  matière  d'autant 
de  Chapitres, 


CHAPITRE    V. 

DesTempler  des  Payens ,  de  leur  Forme? 
de  leur  Ancienneté  9  &c. 

L'Antiquité'  des  Temples  eft 
auiïi  inconteftable ,  que  le  temps 
auquel  on  a  commencé  d'en  avoir ,  eft 
incertain.  Comme  ceft  dans  la  Phenicie 
&  dans  PEgypte  que  l'Idolâtrie  a  com- 
mencé peu  de  temps  après  le  Déluge,  il 
n'efl;  pas  douteux  que  c'eft  dans  ces  deux 
Pays  qu'il  faut  chercher  l'origine  de 
tout  ce  qui  concerne  le  culte  des  faux 
Dieux,  &  l'ufage  des  Temples  qui  a  com- 
mencé chez  eux.  Hérodote  &  Lucien 
ledifent  formellement  des  Egyptiens; 
mais  auffi  il  faut  obferver  en  même  temps, 
que  le  fyftême  de  cette  faufle  Religion 
n'a  pas  été  établi  tout  d'un  coup ,  &  que 
les  cérémonies  ne  l'ont  été  que  peu-à- 
peu.  D'abord  on  n'honora  les  Dieux , 
que  d'une  manière  groflîere  :  de  iîmples 
Autels  de  pierre  brute  ou  de  gazon,  éle- 
vés au  milieu  de  la  campagne ,  étoient 
les  feuls  préparatifs  des  Sacrifices  qu'on 


3  68     ta  Mythologie  &  les  Fables 
leur  offroit.  Les  Chapelles,  c'eft-à-di*e; 
des  lieux  fermés ,  &  enfin  les  Temples 
ne  font  venus  que  dans  la  fuite  ;  &  on 
ne  voit  pas  en  effet ,  que  les  Egyptiens 
en  euiTent  du  temps  de  Moyfe  :  il  en 
auroit  parlé ,  puifqu'il  en  a  eu  fouvent 
occafîon.  Ainfi  j'ofe  décider  que  le  Ta- 
bernacle qu'il  fit  dans  le  defert ,   &  qui 
ctoit  un  Temple  portatif,  eft  le  premier 
Temple  qu'on   connoifle ,  &  peut-être 
le  modèle  de  tous  les  autres.  Le  Taber- 
nacle avoit  un  lieu  facré,  SanÛa  Sanc- 
torum  y  qui  répond  aux  lieux  faints  &  ca- 
chés des  Temples  des  Payens ,  &  qu'ils 
nommoient  Adyta.  Ce  Temple  ,  expofé 
à  la  vue  des  Nations  voifînes  des  lieux 
que  parcoururent  les  Ifraèlites  pendant 
quarante  ans,  a  pu  donner  occafîon  à 
ces  Peuples  Idolâtres  d'en  conftruire  de 
femblables,  fans  être  portatifs  ;  du  moins 
eft-il  certain  qu'ils  en  avoient  avant  la 
conftru&ion  du  Temple  de  Jerufalem* 
Le  premier  dont  il  eft  fait  mention  dans 
l'Ecriture  ,  eft  celui  de  Dagon  chez  les 
Philiftins.  Quoiqu'il  en  foit ,  la  coutume 
de  bâtir  des  Temples  en  l'honneur  des 
Dieux,  venue  d'Egypte,  païTa  chez  les 
(0  DeDea  autres  Peuples.  Lucien  (i)  dit  que  ce 
&"*  fat  de  ce  pays  qu'elle  fut  portée  chez  les 

Afîyriçns ,  &  par-là  il  doit  comprend^ 


'  ExpLparPHiJt.  Liv.IIL  Chap.V.  369 
tous  les  Pays  d'alentour,  la  Phenicie, 
la  Syrie,  &  d'autres  encore.  De  l'Egyp- 
te &  de  le  Phenicie ,  elle  paffa  dans  la 
Grèce  avec  les  Colonies ,  &  de  la  Grèce 
à  Rome  ;  c'eft  le  chemin  des  Fables  ôc 
de  l'Idolâtrie  ,   comme  nous  le   difons 
tant  de  fois  dans  cet  Ouvrage  ;  &  cette 
opinion  eft  fondée  fur  Hérodote ,  &  fur 
tout  ce  que  l'Antiquité  a  de  plus  certain. 
On  donne  à  Deucalion  pour  la  Grèce, 
&  à  Janus  pour  l'Italie  ,  la  gloire  d'y 
avoir  bâti  les  premiers  Temples;  d'au- 
tres afïurent  que  pour  l'Italie ,  l'honneur 
*  en  eft  dû  à  Faunus ,  d'où  eft  venu  le 
nom  de  Fanum,  qui  parmi  les    Latins 
lignifie  un  Temple  ;  mais  toutes  ces  re- 
cherches font  auffi  frivoles  qu'incertai- 
nes. Ce  qu'il  y  a  de  plus  afîuré  ,  c'eft 
qu'à  de  petites  Chapelles,  élevées  la 
plupart  par  de  (impies  particuliers,  &  au 
milieu  des  champs ,  fuccederent  bientôt 
des  bâtimens    réguliers,    &   enfin  des 
Chefs-d'œuvres  d' Architecture.  On  peut 
voir  dans  Hérodote,  &  dans  d'autres 
Auteurs ,  qu'elle  étoit  la  magnificence 
du  Temple  de  Vulcain  en  Egypte ,  que 
tant  de  Rois  eurent  bien  de  la  peine  à 
achever  :  c'étoit  une  grande  gloire  fi 
d.  tv  un  long  règne  un  Prince  avoit  pu 
en  çonftruire  un  portique.  Vous  verrez- 


370  La  Mythologie  &  les  Fables 
dans  Paufaniasla  defcription  du  Temple 
ii)inMg.  de  Jupiter  Olympien  (i)  ,  que  Redon- 
nerai à  la  fin  de  ce  Chapitre,  avec  celle 
des  autres  Temples  que  je  nomme  ici. 
Celui  de  Delphes  ,  auflï  célèbre  par  (es 
Oracles  que  par  les  prefens  immenfes 
dont  il  étoit  rempli ,  mérite  d'être  connu. 
Celui  de  la  Diane  d'Ephefe ,  ce  chef- 
d'œuvre  de  Part,  &  fi  renommé  qu'un 
.  infenfé  (2)  crut  fe  rendre  immortel  en  le 
brûlant,  étoit  auiîi  riche  que  magnifi- 
que. Le  Panthéon,  ouvrage  de  la  magni- 
ficence d' Agrippa,  gendre  d'Augufte,. 
fubfîfte  encore,  &  eft  dédié  à  tous  les 
Saints  ,  comme  il  Pétoit  auparavant  à 
tous  les  Dieux.  Enfin  celui  de  Belus,  ou 
plutôt  cette  grande  &  magnifique  Tour, 
compofée  de  fept  étages  ,  dont  le  plus 
élevé  renfermoit  la  Statue  de  ce  Dieu> 
avec  les  autres  chofes  dont  parle  Héro- 
dote, comme  il  étoit  le  plus  ancien  de 
tous  ceux  dont  je  viens  de  parler ,  il  étoit 
auflî  le  plus  fîngulier  &  le  plus  magni- 
fique. 

Voilà  les  Temples  les  plus  fuperbes 
des  Payens  ,  dont  PHiftoire  nous  ait 
confervé  la  mémoire.  Les  autres  ,  moins 
célèbres ,  font  en  fi  grand  nombre ,  qu'il, 
faudroit  des  Volumes  pour  les  décrire  % 
&  la  chofe  feroit  fort  inutile  ;  on  croit 


Expl.parmjl.  Liv.IIL  Chap.V.  371 
qu'il  y  en  avoit  plus  de  mille ,  grands  ou 
petits,  dans  la  feule  ville  de  Rome.  Les 
Antiquaires  ont  fait  deffiner  le  plan  & 
l'élévation  de  quelques-uns  de  ces  Tem- 
pies  t  fur-tout  le  P.  d^Montfaucon(i),  h^r^\ 
que  1  on  peut  confuiter.  54.  &  fuiv. 

Comme  les  Latins  expriment  le  mot  de 
Temple  de  plufieurs  manières  ,  Tem- 
plumy  Fanum,  JEdes  y  Sacrarium,  De- 
labrum,  &c.  les  Grammairiens  &  les 
Commentateurs  ont  cherché  l'étymolo- 
gie  de  chacune  de  ces  dénominations  ; 
mais  tout  bien  examiné  ,  il  paroît  que  ces 
noms  fîgnifioient  des  lieux  confacrés  aux 
Dieux,  differens  entre  eux  plus  par  la 
grandeur  que  par  la  forme  ,  quoique  de 
très-bons  Auteurs  y  ayent  mis  quelque- 
fois d'autres  différences.  Il  paroît  que 
dans  les  premiers  temps ,  Fanum  fîgni- 
fîoit  la  place  deftinée  à  un  Temple  >  & 
que  le  même  mot  fut  employé  dans  la 
fuite  ,  pour  marquer  un  petit  Temple , 
de  même  que  le  mot  Sacrarium.  Cice- 
ron  en  effet  (2)  ,  employé  deux  fois  ces  :  (*);»* 
dfeuxmots,  pour  décrire  un  petit  Tem- ^rur-^m9 
pie  que  Cerès  avcit  à  Catane  en  Sicile. 
Cet  Orateur  employé  ailleurs  le  mot  de  ' 
Sacrarium,  pour  les  Chapelles  particu- 
lières que  chacun  avoit  dans  fa  maifon; 
jaaisçes  Chapelles  étoient  plus  fouvent 


3  7 2  La  Mythologie  &  les  Fables 
exprimées  par  le  mot  Laràrium.  JEdes , 
fi  nous  en  croyons  Varron,  dont  le  té- 
moignage eft  rapporté  par  Aulu-Gelle, 
marquoit  que  le  Temple  étoit  établi  par 
les  Augures  ;  d'où  il  conclut  que  tout  ce 
qu'on  appelloit  JEdes ,  n'étoit  pas  ua 
Temple  ;  mais  cette  diftin&ion  eft  fans 
fondement ,  car  les  Auteurs  fe  fervent 
également  des  deux  exp reliions  ,  pour 
les  bâtîmens  confacrés  aux  Dieux.  Il  n'en 
eft  pas  de  même  du  mot  Delubrum ,  qui 
fîgnifîoit  proprement T  félon  Afconius , 
un  Temple  confacré  à  plusieurs  Divini- 
tés ,  &  dans  lequel  il  y  avoit  plufieurs 
Chapelles ,  comme  le  Panthéon  étoit  un 
Temple  confacré  à  tous  les  Dieux.  Le 
mot  Templum ,  ne  marquoit  pas  même 
toujours  un  bâtiment ,  puifque  les  Au- 
gures l'employ  oient  pour  les  enceintes 
fermées  de  paliffades  ou  de  toiles ,  qu'ils 
formoient  avec  le  bâton  Augurai,  pour 
tirer  les  Augures. 

Les  Temples  des  Anciens  étoient  par- 
tagés en  plufieurs  parties  qu'il  eft  bon  de 
diftinguer ,  pour  entendre  les  defcrip- 
îions  qu'ils  en  font.  La  première  étoit  le 
Veftibule ,  où  étoit  la  Pifcine ,  dans  la- 
quelle les  Prêtres,  JEduuiy  puifoient 
l'eau  luftrale  pour  expier  ceux  qui  vou- 
loient  entrer  dans  les  Temples^  la  Nef> 


Expl.  par  PHïft.  Liv.  II I.  Ch.  V.  375 
n&}  &  le  lieu  Saint  appelle penetrale ,  fa* 
crarium  ,  adytum  ,  dans  lequel  il  n'étoit 
pas  permis  aux  particuliers  d'entrer  ;  & 
enfin  l'arriére  Temple  ô7n<&c&>'p<&<  ;  mai* 
tous  n'avoient  pas  cette  partie.  Les  Tem- 
ples avoient  fouvent  des  Portiques ,  & 
toujours  des  marches  pour  y  monter.  Il  y 
en  avoit  aufli  avec  des  galeries  autour  ;. 
ces  galeries  étoient  formées  d'un  rang 
de  colonnes  ,  pofées  à  un  certain  efpace 
du  mur ,  couvertes  de  grandes  pierres  : 
ces  Temples  étoient  nommés  Peripteres  , 
c'eft-à-dire ,  ailes;  ôc  Diptères,  quand  la 
galerie  avoit  deux  rangs  de  colonnes; 
Frojîyles ,  lorfque  les  colonnes  formoient 
le  Portique  fans  galerie  ;  &  enfin  Hype- 
thresj  quand  ils  avoient  en  dehors  deux 
rangs  de  colonnes ,  &  autant  en  dedans, 
tout  le  milieu  étant  découvert,  à  peu 
près  comme  nos  Cloîtres*  Vitruve  re- 
marque encore  d autres  particularités, 
qu'on  peut  voir  dans  fon  Ouvrage. 

L'intérieur  des  Temples  étoit  fouvent 
très-orné,  car  outre  les  Statues  des 
Dieux  ,  qui  étoient  quelquefois  d'or, 
d'y  voire,  d'ébene ,  ou  de  quelque  autre 
matière  précieufe ,  &  celles  des  grands 
hommes  (à)  qui  étoient  quelquefois  en 

[a]  Voyez,  la  defcription  des  Temples  les  plus  célèbres ,  à 
1%  fin  <k  ce  Çh»pi«c* 


3 74     È*  Mythologie  &  les  Fables 
grand  nombre ,  il  étoit  ordinaire  d'y  voit 
des  peintures ,  des  dorures  ,  &  d'autre» 
embelliffemens ,  parmi  lefquels  il  ne  faut 
pas  oublier  les  offrandes , ou  les  Ex  voto  ; 
c'eft-à-dire ,   des  Proues  de  Vaiffeau , 
lorfqu'on  croy oit  avoir  été  garanti  du 
naufrage  par  le  fecours  de  quelque  Dieu; 
des  Tableaux ,  Tabellas ,  pour  la  gué-  - 
rifon  d'une  maladie  ;  les  Armes  prifes 
fur  les  ennemis ,  les  Drapeaux ,  des  Tre~  - 
pieds  ,  &  des  Boucliers  votifs ,  tels  que 
font  les  deux  qui  fe  trouvent  dans  le  Ca- 
binet des  Médailles   du  Roi  ,   &  dont 
l'hiftoire  efl  dans  le  neuvième  Volume 
des  Mémoires  de  l'Académie  des  Belles^ 
Lettres  (a).  Il  y  avoit  fur-tout  dans  le 
Temple  de  Delphes,  &  dans  plufîeurs 
Temples  de  Rome,  des  richeflesimmen-- 
fes  de  ce  genre.  Outre  ces  fortes  d'or- 
nemens  ,  on  ne  manquoit  gueres  au  jour 
g     de  Fêtes  de  parer  les  Temples  de  bran- 
ches de  laurier ,  d'olivier ,  &  de  lierre. 

Lorfqu'on  vouloit  bâtir  un  Temple, , 
les  Arufpices  étoient  employés  à  choiU 
fir  le  lieu,  &  le  temps  auquel  on  devoir 
en  commencer  la  conftrudion.  Ce  lieu- 
étoit  purifié  avec  grand  foin;  on  l'en- 
vironnoit  même  de  rubans  &  de  couron— 
TicicHiffr  nes  ^^  ^es  Veftales  accompagnées  de 

4*  i  M  Voyez,  le  Traité  de  Dmariis,  par  Thomaûrmio 


Expl.parPHiJi.Liv.IILCHAv.V.  yft 

jeunes  garçons  &  de  jeunes  filles ,  la- 
voient  cet  efpace  avec  de  l'eau  pure  &. 
nette,  &  le  Pontife  l'expioit  par  un  Sa- 
crifice folemnel.  Enfuite  il- touchoit  la- 
pierre  qui  devoit  fervir  la  première  à 
former  le  fondement,  &  qui  étoit  liée 
d'un  ruban  ;  &  le  peuple  animé  d'un 
grand  zèle  ,  l'y  jettoit,-  avec  quelques 
pièces  de  monnoy  e ,  ou  de  métal  qui  n'a- 
voit  pas  encore  paffé  par  le  creufet. 
Lorfque  l'édifice  étoit  achevé,  la  con- 
fécration  s'en  faifoit  aufîï  avec  de  gran- 
des cérémonies  ,  &  c'étoit  le  Pontife , 
ou  en  fon  abfence  ,  quelqu'un  de  fon 
Collège  qui  y  préfidoit. 

Tacite  (i)  parlant  du  rétabliffegpent  (OHift. 
du  Capitole,  nous  a  confervé  la  f^rmu- 
le  ,  &  les  autres  cérémonies  de  la  consé- 
cration du  lieu  deftiné  à  bâtir  un  Tem- 
ple. Vefpafîen ,  dit-il ,  ayant  chargé  L, 
Veftinus  du  foin  de  rétablir  le  Capitole  * 
ce  Chevalier  Romain  confulta  les  Aruf- 
pices ,  &  il  apprit  d'eux  qu'il  falloit  com- 
mencer par  tranfporter  dans  des  marais 
les  reftes  du  vieux  Temple ,  &  en  bâtir 
un  nouveau  fur  les  mêmes  fondemenst. 
L'onzième  jour  avant  les  Kalendes  de 
Juillet ,  le  Ciel  étant  ferain,  tout  l'efpa- 
ce  deftiné  pour  l'édifice  fut  ceint  de  ru- 
bans &  de  couronnes.  Ceux  des  Soldats 


57*>  La  Mythologie  &  les  Fable? 
dont  le  nométoit  de  bonne  augure,  en^ 
trerentdans  cette  enceinte  avec  des  ra- 
meaux à  la  main  ;  puis  vinrent  les  Vef-- 
tales,  accompagnées  de  jeunes  garçons, 
&  de  jeunes  filles,  dont  les  pères  &  mè- 
res vivoient  encore,  qui  lavèrent  tout 
ce  lieu  avec  de  Peau  de  fontaine ,  de  lac, 
ou  de  fleuve.  Alors  Helvidius  Prifcus 
Préteur ,  précédé  de  Plaute  Elien  Pon- 
tife, acheva  d'expier  l'enceinte  par  le 
facrifice  d'une  vache,  &  de.  quelques 
taureaux,  qu'il  offrit  à  Jupiter,  à  Ju- 
non,  à  Minerve  ,  &  aux  Dieux  Patrons 
de  l'Empire,  &les  pria  de  faire  enforte 
que  le  Bâtiment  que  la  pieté  des  hommes 
avoit  commencé  pour  leur  demeure ,  fût 
heureufement  achevé.  Les  autres  Magif- 
trats  ,  qui  aflîftoient  à  cette  cérémonie , 
les  Prêtres  ,  le  Sénat ,  les  Chevaliers  & 
le  Peuple,  pleins  d'ardeur  &  de  joye , 
fe  mirent  à  remuer  une  pierre  d'une  grof— 
feur  énorme,  pour  la  traîner  au  lieu  où 
elle  devoit  être  mife  en  oeuvre.  Enfin , 
on  jetta  dans  les  fondemens  plufieurs  pe- 
tites monnoyes  d'o-r  ,  &  d  autres  pièces 
de  métal,  comme  nous  le  venons  de 
dire. 

De  ces  Temples  ,  il  y  en  avait  quel- 
ques-uns qui  ne  dévoient  pas  être  bâtis 
dans  l'enceinte  des  Villes  >  mais  hors  les 


Expl  par  TÏÏtfl.  Lîv.  III.  Ch.  V.  377 

murs  ;  comme  ceux  de  Mars  ,  de  Vul- 
cain  &  de  Venus ,  pour  les  raifons  qu'en 
apporte  Vitruve  (1).  »  Quand  on  veut ,  c^   mt« 
«  dit  cet  Auteur ,  bâtir  des  Temples  aux 

*  Dieux  ,  fur-tout  a  ceux  qui  font  les 
*> Patrons  de  la  Ville  ,  fi c'eft  à  Jupiter, 
*>  à  Junon  t  ou  à  Minerve ,  il  faut  les 
»  placer  aux  lieux  les  plus  élevés  ,  d'où 
»  l'on  puifle  voir  la  plus  grande  partie 
m  des  murs  de  la  Ville.  Si  c'eft  à  Mereu- 
*>  re  ,  on  doit  les  mettre  à  l'endroit  ou  fe 
»  tient  le  marché ,    ou   la  foire  ,  amfi 

*  qu'on  l'obferve  pour  ceux  d'Ifîs  &  de 
»  Serapis.  Ceux  d'Apollon  ,  ou  deBac- 
»  chus  doivent  être  près  du  Théâtre, 
*Ceux  d'Hercule  ,  lorfqu'il  n'y   a  ni 

»  Gymnafe  ,  ni  Amphithéâtre ,  doivent        7 
»  être  placés  près  du  Cirque.  Ceux  de 

*  Mais,  hors  de  la  Ville,  &  dans  les 
»  champs  ;  comme  ceux  de  Venus  ,  aux 
»  portes  de  la  Ville.  On  trouve  ,  (  c'eft: 

*  toujours  le  même  Auteur  qui  parle  ,  ) 
»  dans  les  écrits  des  Arufpices  Etrufques, 
«  qu'on  a  coutume  de  mettre  les  Tem- 
m  pies  de  Venus ,  de  Vulcaiw  &  de  Mars, 

*  hors  des  murs ,  de  peur  que  fi  Venus 
»  étoit  dans  l'intérieur  de  la  Ville-.me- 
»  me  ,  cela  ne  fût  une  occafion  de  dé- 
*>  bauche  pour  les  jeunes  gens ,  &  pour 
v  les  mères  de  famille.  Vulcain  devoit 


$7^  La  Mythologie  &  les  Fables 
»  être  auffi  en  dehors  ,  pour  éloigner  der 
»  maifons  la  crainte  des  incendies.  Mars 
»  étant  hors  des  murs,  il  n'y  aura  point  de 
»  diiTention  entre  le  peuple  ;  &  déplus, 
»  il  fera  là  comme  un  rampait  pour  ga* 
»  rantir  les  murailles  de  la  Ville  des  pé~ 
»  rils  de  la  guerre.  Les  Temples  de  Ce- 
»  rès  étoient  auflî  hors  des  Villes ,  en  des 
»  lieux  où  on  n'^lloit  guère  que  pour 
33  lui  offrir  des  facrifices  ,  afin  que  la  pu- 
33  reté  n'en  fût  point  fouillée  33.  Cepen- 
dant ces  diftin&ions  ne  furent  pas  tou- 
jours obfervées  exa&ement. 

On  ne  peut  rien  ajouter  au  refpeét  que 
les  Idolâtres  avoient  pour  leurs  Tem- 
ples. Si  nous  en  croyons  Arien  ,  il  étoit 
défendu  de  s'y  moucher  &  dy  cracher; 
&  Dion  ajoute  que  quelquefois  on  y 
jnontoit  à  genoux.  Ils  étoient  un  lieu 
d'afyle  pour  les  coupables  &  pour  les 
débiteurs  ,  comme  nous  le  dirons  dans 
le  Chapitre  fuivant.  Enfin ,  dans  les  ca- 
lamités publiques ,  les  femmes  fe  prof- 
ternoient  dans  les  lieux  facrés ,  &  en  ba- 
layoient  le  pavé  avec  leurs  cheveux.  Il 
efi  arrivé  cependant  quelquefois ,  que 
les  malheurs  publics  ne  ceiTant  pas ,  le. 
peuple  perdoit  tout  le  refpeâ  dû  aux 
Temples  ,.  &  s'emportoit  jufqu'à  jetter 
des  pierres  contre  les  murailles ,  comme 


Expl  parPHijl  Liv.IIL  Chàp.V.  379 
pour  les  lapider  ;  ainfi  qu'on  le  voit  dans 
Suétone  (1). 

Quoique  communément  les  hommes 
&  les  femmes  entraient  dans  les  Temples, 
il  y  en  avoit  dont  l'entrée  étoit  défendue 
aux  hommes  ,  comme  celui  de  Diane  à 
Rome ,  dans  la  rue  nommée  Vicus  Patri- 
dus ,  ainfi  que  Plutarque  nous  l'apprend  , 
quoiqu'ils  puffent  entrer  dans  les  autres 
Temples  de  cette- Dédie;  on  croit  que 
la  raifon  de  cette  défenfe  venoit  de  ce 
qu'une  femme  qui  prioit  dans  ce  Temple  > 
y  avoit  reçu  le  plus  fanglant  affront. 
Après  avoir  donné  une  idée  abrégée 
des  Temples  des  Payens  ,  je  crois  qu'il 
ne  fera  pas  hors  de  propos  de  faire  une 
defcription  particulière  de  quelques-uns 
des  plus  célèbres.  On  jugera  par  là  à  quel 
point  on  avoit  porté  la  magnificence  & 
la  profufion. 

Temple  de  Belus  > 

Si  ce  Temple  étoit  le  plus  ancien  de 
tous  ceux  du  Paganifrne  ,  comme  on  r^tn 
fçauroit  douter ,  il  étoit  aufïï  le  plus  lîn- 
gulier  par  fa  ftru&ure.  Berofe  ,  au  rap- 
port de  Jofeph  (2)  ,  en  attribue  la  conf- 
truftion  à  Belus ,  qui  y  fut  lui-même  ado- 
ré après  fa  mort.  Mais  il  efl  certain  que 
Ci  le  Belus  de  cet  Hiflorien  eft  le  même 


3  80     La  Mythologie  &  les  Fables 
que  Nemrod ,  comme  il  efl  bien  vrai-fem- 
blable,  fon  deffein  ne  fut  pas  de  bâtir 
un  Temple,  mais  d'élever  une  tour,  qui 
pût  le  mettre  à  couvert  lui  &  fon  peule  , 
des  inondations  ,-  s'il  en  arrivoit  de  fem- 
*        blables  au  Déluge.  On  fçait  de  quelle 
manière  Dieu  arrêta  ce  deffein  infenfé. 
L'ouvrage  demeura  en  l'état  où  il  étoit 
au  moment  de  la  confufïon  des  langues , 
&  fut  deftiné  dans  la  fuite  à  fervir  de 
Temple  à  Belus ,  qui  après  fa  mort  méri- 
ta les  honneurs  divins.    Cette  fameufe 
tour,  qu'on  appelle  vulgairement  la  Tour 
de  Babel ,  formoit  dans  fa  bafe  un  quarré , 
dont  chaque  côté  contenoit  un  ftade  de 
longueur  [a) ,  ce  qui  lui  donnoit  un  demi- 
mille  de  circuit.  Tout  l'ouvrage  étoit 
compofé  de  huit  tours  bâties  Tune  fur 
l'autre ,  &  qui  alloient  toujours  en  dimi- 
nuant. Quelques  Auteurs ,  comme  le  re- 
(OHift.des  marque  M.  Prideaux  (i)  ,  trompés  par 
Jmfs,com.x.  la  Verfîon  Latine  ^Hérodote  ,  préten- 
dent que  chacune  de  ces  tours  ait  été 
haute  d'un  ftade ,  ce  qui  monterait  à  un 
mille  de  hauteur  pour  le  tout  ;   mais  le 
texte  Grec  ne  porte  rien  de  femblable, 
&  il  n'y  efl  fait  aucune  mention  de  la 
hauteur  de  cet  édifice  (b).  Strabon  qui  a 

(a)  La  ftade  étoit  une  efpace  de  fîx  vingt  toifes. 

(b)  Hérodote  dit  feulement    que   ce  bâtimem  avou  u» 
ftade  de  iongeur ,  fur    un  ftade  de  largeur. 


Expl.parVHljl.  Liv.ïïl.  Ch.  V.  381 

fait  auffi  la  defcriptionde  ce  Temple,  ne 
lui  donne  qu'un  ftade  de  haut ,  &  un  de 
chaque  côté.  Le  fçavant  Editeur  de  l'im- 
preiîîon  de  l'Ouvrage  de  M.  Prideaux 
faite  à  Trévoux,  dit  qu'en  fuivant  la  me- 
fure  des  ftades  qui  étoient  en  ufage  du 
temps  d'Hérodote  ,  le  feul  des  Anciens 
qui  parle  pour  avoir  vu  cet  édifice ,  il  ne 
ctevoit  avoir  que  6p.  toifes  de  haut ,  ou 
environ ,  c'eft-à-dire  un  peu  plus  d'une 
fois  la  hauteur  des  tours  de  l'Eglife  de 
Paris  ;  ce  quin'eft  pas  fï  excefïif ,  vu  la 
magnificence  de  quelques  bâtimens  de 
l'Europe.  Le  même  Editeur  remarque 
encore ,  que  comme  cet  oavrage  n'étoit 
fait  que  de  briques ,  que  des  hommes  por- 
taient fur  leur  dos ,  comme  nous  l'appre- 
nons des  anciens  (1),  ainfî  que  l'Ecriture-  M  Heroa. 
Sainte  le  dit  de  la  tour  de  Babel,  faconf-  1*.  froide 
tru&ion  n'a  rien  qui  doive  furprendre  ;  sic-  L.*<Am| 
&  quoiqu'il  fût  plus  haut  de  cent  dix-neuf  ' 7' 
pieds  que  la  grande  Pyramide  ,  comme 
elle  étoit  bâtie  ,  ou  du  moins  couverte 
de  pierres  d'une  longueur  excefîîve ,  qu'il 
falloit  guinder  à  une  fi  prodigieufe  hau- 
teur ,  elle  doit  avoir  été  infiniment  plus 
difficile  à  conftruire.  Quoi  qu'il  en  (oit, 
nous  apprenons  d'Hérodote  qu'on  mon- 
toit  au  haut  de  ce  bâtiment  par  un  degré 
<jui  alloit  en  tournant ,  &  qui  étoit  en 


%%2  La  Mythologie  &  les  Tables 
dehors.  Ces  huit  tours  compofoient  com- 
me autant  d'étages  ,  dont  chacun  avoit 
foixante  &  quinze  pieds  de  haut ,  &  on 
y  avoit  pratiqué  plufîeurs  grandes  cham- 
bres foutenues  par  des  pilliers ,  &  de  plus 
petites ,  où  fe  repofoient  ceux  qui  y  mon- 
taient. La  plus  élevée  étoit  la  plus  ornée , 
&  celle  en  même  temps  pour  laquelle  on 
avoit  le  plus  de  vénération.  Ceft  dans 
cette  chambre  qu'étoient  ,  félon  Héro- 
dote ,  un  lit  fuperbe  ,  &  une  table  d'or 
mafïîf ,    fans  aucune  ftatuë. 

Jufqu'au  temps  de  Nabuchodonofor 
ce  Temple  ne  contenok  que  la  Tour,  & 
les  chambres  dont  on  vient  déparier  ,  & 
<jui  étoient  autant  de  chapelles  particu- 
lières ;   mais  ce  Monarque  ,  au  rapport 
JoÏaLÎS  dfBerofeCi)  ,  lui  donna  beaucoup  plus 
"  d'étendue  par  les  édifices  qu'il  fit  bâtir 
tout  autour  ,  avec  un  mur  qui  les  enfer- 
moit ,  &  des  portes  d'airain  ,  à  la  conf- 
tru&ion  defquelles  la  mer  du  même  mé- 
tal ,  &  les  autres  uftenciles  du  Temple 
de  Jerufalem ,  avoîent  été  employés.  Ce 
Temple  fubfiftoit  encore  du  temps  de 
(z)  Herod.  Xerxès  (2) ,  qui  au  retour  de  fa  malheu- 
Li.Arneni.7-  reufe  expédition  dans  la  Grèce  ,   le  fit 
démolir ,  après  -en  avoir  pillé  les  immen- 
ses richeffes ,   parmi  lefquelles   étoient 
des  ftatues  d'or  maffif  ?  dont  il  y  en  avoiç 


Expl.parPRift.Liv.IIl.cn av. V.  385 

tme  ,  au  rapport  de  Diodore  de  Sicile 
(1) ,  qui  étoit  de  quarante  pieds  de  haut ,  (1)  iW.  tl 
&  qui  pouvoit  bien  être  celle  queNabu- 
chodonofor  avoit  confacrée  dans  la 
plaine  de  Dura.  L'Ecriture ,  à  la  vérité, 
donne  à  ce  Coloffe  po.  pieds  de  haut  ; 
mais  on  doit  l'entendre  de  la  ftatue  où 
de  fon  pied-d'eftal  pris  enfemble. 

Il  y  avoit  auflï  dans  le  même  Temple 
plufîeurs  Idoles  d'or  matfïf ,  &  un  grand 
nombre  de  vafes  facrés  du  même  métal , 
dont  le  poids ?  félon  le  même  Diodore  , 
alloit  à  yo^o.  talens  ;  ce  qui  joint  à  la 
ftatue  ,  montoità  des  forames  immenfes. 
G'étoit  au  refte  \  du  Temple  aggrandi 
par  Nabuchodonofor  ,  qu'Hérodote , 
qui  l'avoit  vu  ,  fait  la  defeription  dans 
fon  premier  Livre  (2)  ;  &  fon  autorité  ^ufy^lîU 
doit  l'emporter  fur  celle  de  Diodore  de 
Sicile ,  qui  n'en  parloit  que  fur  quelques 
relations.  Hérodote  dit  à  la  vérité  que 
dans  une  Chapelle  baffe  de  ce  Temple  , 
étoit  une  grande  ftatue  d'or  de  Jupiter , 
c'eft-à-diredeBelus;  mais  il  n'en  donne 
ni  le  poids  ni  la  mefure  ,  fe  contentant 
de  dire  que  la  ftatue  ,  avec  une  table 
d'or,  un  trône,  &  un  marche-pied,  étoient 
tous  enfemble  eftimés  par  les  Babylo- 
niens ,  huit  cens  talens.  Le  même  Auteur 
ajoute  que  hors  de  cette  Chapelle  étoit 


384  LaMy  thologte  &  les  Fables 
aufli  un  Autel  d'or,  &  un  autre  plus 
grand  fur  lequel  on  immoloit  des  animaux 
d'un  âge  parfait  ,  parce  qu'il  n'étoit  pas 
permis  d'en  offrir  de  pareils  fur  l'Autel 
d'or  j  mais  feulement  de  ceux  qui  tettoient 
encore  ;  &  qu'on  brûloit  fur  le  grand  Au- 
tel chaque  année  le  poids  de  cent  mille 
talens  d'encens.  Enfin  ,  il  fait  mention 
d'une  autre  flatue  d'or  maffif ,  qu  il  n'a- 
voit  pas  vue  ,  &  qu'on  lui  dit  être  haute 
de  douze  coudées,c'eft-à-dire,de  dix-huit 
pieds.  C'efi  fans  doute  de  la  même  que 
parle  Diodore  ,  quoiqu'il  lui  donne  40. 
pieds  de  hauteur  ,  en  quoi  il  eft  plus 
croyable ,  fi  c'étoit  celle  de  Nabucho- 
donofor,  comme  il  y  a  toute  forte  d'ap- 
parence. 

Quoiqu'il  en  foit ,  j'ai  dit  d'après  Hé- 
rodote ,  que  dans  la  plus  haute  tour  H 
y  avoit  un  lit  magnifique ,  &  cet.  Auteur 
ajoute  qu'il  n'étoit  permis  à  perforée  d'y 
coucher ,  excepté  une  femme  de  la  Ville 
que  le  Prêtre  de  Belus  choififïbit  chaque 
jour  ,  lui  faifant  accroire  qu?elle  y  étoit 
honorée  de  la  préfence  du  Dieu. 

Temple  de  Vulcain  à  Memphis. 

Les  Egyptiens  ,  fuivant  Hérodote , 
font  les  premiers  de  tous  les  Peuples -, 
qui  ont  confirait  des  Temples  en  Fhon- 

rieur 


Expl.  par  PHijl.  Liv.  III.  Ch.  V.  38; 

neur  des  Dieux.  Je  n'ai  pas  deffein  de 
parler  de  tous  ceux  qui  étoient  dans 
ce  pays  ;  mais  celui  de  Vulcain  &  quel- 
ques autres  ,  méritent  à  caufe  de  leur  an- 
cienneté ,  que  nous  entrions  dans  quel- 
que détail  à  leur  fujet. 

Quoique  nous  n'ayons  aucune  des- 
cription bien  détaillée  du  Temple   de 
Vulcain  ,  on  peut  juger  par  ce  qu'en  dit 
Hérodote  (1)  en  differens  endroits  de    (i)lïy.z.O 
fon  Hiftoire ,   qu'il   devok  être  de  la  "" 
dernière    magnificence.    Son  antiquité 
d'abord  ne  doit  pas  paraître  douteufe , 
puifque  cet  Hiftorien  dit  qu'il  fut  bâti 
par  Menés,  le  premier    qui   régna   en 
Egypte   après  les  Dieux  &  les  demi- 
Dieux.  Ce  ne  fut  pas  apparemment  ce 
Prince  qui  donna  à  cet  ouvrage  toute  la 
beauté  qu'on  y  admira  dans  la  fuiteyquoi- 
que  Hérodote  dife  que  dès-lors  il  étoit 
grand  &  très-renommé,  puifque  les  pre- 
miers bâtimens  n'annonçoient  qu'une  no- 
ble {implicite.   Mais  les  fucceiTeurs  de 
Menés  fe  firent  gloire  d'embeliir  à  l'envi 
les  uns  des  autres  l'ouvrage  du  fondateur 
de  leur  Monarchie ,  &  d'y  mettre  les  fta- 
tues  dont  nous  allons  parler  ;  car  fui- 
vant  les  meilleurs  Historiens  ,  il  n'y  en 
avoit  aucune  dans  les  anciens  Temples 
^'Egypte.   Mœris,   Prince  puiflaat  & 
Tome  L  R 


386  La  Mythologie  &  les  Fables 
extrêmement  riche  ,  ajouta  à  ce  premier 
Temple  ,  le  fuperbe  Veftibule  qui  étoit 
du  côté  du  feptentrion.  Rhamfînite  fuc- 
cefleur  de  Protée  ,  fit ,  félon  le  même 
Auteur ,  élever  celui  qui  regardoit  l'Oc- 
cident ,  &  pofer  vis-à-vis  du  Veftibule , 
deux  ftatues  coloflales  chacune  de  vingt- 
cinq  coudées  ,  c'eft-à-dire ,  de  trente- 
fept  ou  trente-huit  pieds  de  hauteur. 
L'une ,  que  les  Egyptiens  adoroient , 
étoit  appellée  par  eux  l'Eté,  parcequ'elle 
regardoit  le  Septentrion  ;  l'autre  pour 
laquelle  ils  n'avoient  aucun  refpeft,  étoit 
nommée  l'Hiver ,  &  regardoit  le  Midi. 
Enfin ,  Amafis  fit  placer  devant  le  même 
Temple  une  ftatue  renverfée  qui  étoit 
haute  de  75*.  pieds ,  &  fur  ce  coloife  qui 
fervoit  de  fondement ,  ou  plutôt  de  pied- 
d'eftal ,  il  fit  élever  deux  autres  ftatues  , 
chacune  de  20.  pieds  de  hauteur,  &  du 
même  marbre  que  la  grande. 

Il  eft  aifé  de  juger  par  le  récit  d'Hé- 
rodote, de  la  magnificence  &  de  l'éten- 
due de  ce  Temple.  Cependant  l'inté- 
rieur de  cet  édifice ,  bien  loin  de  mériter 
l'admiration  de  ceux  qui  y  entroient , 
ne  fit  qu'exciter  les  mépris  &  les  raille- 
ries de  Cambyfe ,  qui  fe  mit  à  éclater  de 
rire ,  en  voyant  la  ftatue  de  Vulcain  & 
celle  des  autres  Dieux,  fembiables  à  des 


Explparl'Hift.  Liv.IIL  Ch.  V.  387 

Pygmées  (1),  lefquelles  véritablement  j^^eT* 
dévoient  faire  un  contrafte  bien  ridicule  bires ,  îiv.  <>. 
avec  les  colofles  qui  étoient  dans  les 
Veftibules  dont  on  vient  de  parler.  Peut- 
être  étoit-ce  le  même  Temple  qu'avoit 
fait  bâtir  Menés.  Car  les  ouvrages  des 
Egyptiens  étoient  faits  pour  durer  long- 
temps. 

L'Egypte  avoit  encore  un  grand  nom- 
bre de  Temples  plus  riches  les  uns  que 
les  autres  ;  tels  que-  celui  de  Jupiter  à 
Thebes  ou  Diofpolis ,  &  à  Hermunthis, 
celui  d'Andera;  celui  deProtée  à  Mem- 
phis ,  dont  Hérodote  fait  mention ,  & 
celui  de  Minerve  à  Sais  ,  que  le  même 
Auteur  dit  avoir  été  embelli  par  les  foins 
d'Amafis  ,  d'un  Veilibule  qui  furpaflbit 
de  beaucoup  en  grandeur  &  en  magnifi- 
cence ,  tous  les  monumens  que  les  Rois_ 
fes  Prédecefleurs  avoient  laifles.  Ce  mê- 
me Prince  y  ajouta  des  ftatues  d'une 
grandeur  prodigieufe  ;  car  les  Egyptiens 
aimoient  les  figures  coloiïales ,  fans  par- 
ler des  pierres  immenfes  pour  leur  énor- 
me gro fleur ,  &  qui  venoient  la  plupart 
d'Elephantine ,  Ville  éloignée  de  Sais 
de  vingt  journées  de  navigation.  Les  dé- 
tails où  il  faudroit  entrer  pour  faire  con- 
noître  tant  de  beaux  Ouvrages ,  me  mè- 
neraient trop  loin^  mais  je  ne  fçaurois 


3 88  La  Mythologie  &  les  Fables 
in'empêcher  de  parler  d'une  efpece  de 
Temple  unique  en  fon  genre  ,  je  veux 
dire,  de  cette  Chapelle  d'une  feule  pier- 
re ,  que  le  même  Amafîs  avoitfait  tailler 
dans  les  carrières  de  la  haute  Egypte, 
&  fait  venir  avec  des  foins  &  des  peines 
incroyables  jufqu'à  Sais  ,  où  elle  devoit 
être  placée  dans  le  Temple  de  Minerve. 
Voici  ce  qu'en  rapporte  Hérodote  : 
»  Mais  ce  que  fadmire  pardeflus  tous  les 
»>  autres  ouvrages  faits  par  les  ordres 
»  d' Amafîs  ,  dit  cet  Auteur ,  il  fit  appor- 
»  ter  d'Elephantine  une  maifon  faite  d'u- 
»  ne  feule  pierre ,  que  deux  mille  hom- 
»  mes ,  tous  Pilotes  &  Marins ,  ne  purent 
&  amener  qu'en  trois  ans.  Cette  maifon 
(0  Trente-  ^  avoit  de  face  vingt-une  coudées  (i), 
demF.1^  *  »  fur  quatorze  de  largeur ,  &huit  de  hau- 
»  teur  ,  &  dans  œuvre  cinq  coudées  de 
*>  haut ,  &  dix-huit  de  long. 

Cette  maifon  n'entra  jamais  dans  le 
Temple  de  Minerve ,  &  fut  laiffée  à  la 
porte  ,  foit  qu' Amafîs  fût  piqué  d'avoir 
vu  l'Archite&e  qui  la  conduifoit  fe 
plaindre  par  fes  foupirs  delà  fatigue  que 
lui  avoit  caufé  cet  Ouvrage  ,  ou  parce 
qu'un  de  ceux  qui  aidoit  à  ta  conduire 
fur  le  Nil ,  avoit  été  écrafé ,  ainfi  que  le 
dit  le  même  Hiftorien. 


Expl.  par  VElft.  Liv.  IIL  Ch.  V.  38^ 

Le  Temple  de  Diane  à  Ephefe. 

Ce  Temple  qui  a  pafle  pour  une  des 
fept  merveilles  du  monde ,  étoit  très- 
ancien  ;  mais  il  n'étoit  pas  d'abord  auffi 
magnifique  qu'il  le  devint  dans  la  fuite  ,       > 
puifque,  félon  Pline  (1)  ,  toute  l'Aiîe   «  *-"'.  3*, 

r         *  !  1  •  ch.  14. 

concourut  pendant  deux  cens  vingt  ans  , 
ou  comme  il  le  dit  dans  un  autre  endroit, 
durant  quatre  cens  ans  f  à  l'orner  &  a 
l'embellir.  Pindare  y  dans  une  de  fes 
Odes ,  dit  que  les  Amazones  l'avoient 
bâti  lorfqu'elles  allèrent  faire  la  guerre 
aux  Athéniens  &  à  Thefée;  mais  Paufa- 
nias  affûre  que  ce  grand  Poëte  ne  con- 
noifToit  pas  l'antiquité  de  ce  Temple , 
puifque  ces  mêmes  Amazones  étoient 
venues  des  bords  du  Thermodon  pour 
facrifîer  à  la  Diane  d'Ephefe  dans  fon 
Temple ,  dont  elles  avoient  connoiffan- 
ce,  parceque  quelque  temps  auparavant, 
défaites  par  Hercule  ,  &  précédemment 
encore  par  Bacchus ,  elles  s'y  étoient  ré- 
fugiées comme  dans  un  afyle. 

Denys  le  Géographe  nous  apprend 
qu'il  y  en  avoit  encore  un  plus  ancien, 
bâti  par  les  mêmes  Amazones  y  qui  an- 
nonçoit  bien  la  fimplicité  des  premiers 
temps  ,  puifqu'il  ne  confiftoit  que  dans 
une  niche  creufée  dans  un  orme ,  où  étoit 

r  a*,  ; 


3P0  La  Mythologie  &  les  Fables 
apparemment  la  ftatue  de  Diane.  Celui 
dont  je  vais  parler  étoit  moins  ancien: 
voici  la  defcription  que  fait  Pline  de  ce 
magnifique  Ouvrage.  Il  fut  bâti ,  dit-il , 
dans  un  lieu  marécageux  pour  le  garan- 
tir des  tremblemens  de  terre ,  &  des  ou- 
vertures qui  s'y  font  quelquefois;  &  afin 
que  les  fondemens  d'un  fi  pefant  édifice 
cufTent  de  la  folidité  dans  cette  terre 
molle  &  détrempée  par  les  eaux ,  on  y 
mit  du  charbon  pilé ,  &  par-deflus  des 
peaux  de  mouton  avec  leur  laine.  Ce 
Temple  -,  continue  le  même  Auteur  , 
avoit  quatre  cens  vingt-cinq  pieds  de 
long  fur  deux  cens  de  large.  Les  cent 
vingt-fept  colonnes  qui  foutenoient  l'é- 
difice ,  avoient  été  données  par  autant 
de  Rois ,  &  avoient  chacune  foixante 
pieds  de  haut.  De  ces  colonnes  il  y  en 
avoit  trente-fix  de  cifelées ,  &  une  de  la 
main  du  célèbre  Scopas.  L'Archite&e 
qui  conduifit  ce  grand  Ouvrage ,  fut 
Cherfiphron,  ouCtefiphon;  &  c'eftune 
merveille  qu'on  ait  pu  mettre  en  ufage 
des  Architraves  d'un  fi  grand  poids.  L'ar- 
tifice dont  fe  fervit  cet  habile  Ouvrier 
pour  en  venir  à  bout  eft  fingulier  ;  il 
étendit  fur  le  haut  des  colonnes  de  grands 
facs  pleins  de  fable,  puis  taillant  couler 
doucement  ce  fable ,  les  Architraves  pri- 


Expl.  par  VHijl.  Liv.  III.  Ch.  V.  391 

rent  infenfiblement  leur  affiette.  Cherfï- 
phron  eut  encore  plus  de  pe.ne  à  pofer 
une  pierre  d'un  bien  plus  grand  poids , 
au-deflus  de  la  porte  du  Temple  :  on 
croiroit  que  Pline  avoit ,  faute  de  rela- 
tion ,  imaginé  de  quelle  manière  on  avoit 
pu  réuflir  à  placer  cette  maffe  énorme; 
mais  au  lieu  de  cela  il  rapporte  froide- 
ment une  vifîon  de  l' Architeâe  auquel 
Diane  apparut,  l'exhortant  à  prendre 
courage ,  &  dit  que  le  lendemain  matin 
on  vit  la  pierre  defcendre  d'elle-même , 
&  fe  placer  où  elle  devoit  être  :  Atque 
ita  poflridie  appariât ,  lapis  ,  pondtreque 
ipfo  ^correéîus  videbatur.  On  pourra  bien 
croire  que  le  toit  4u  Temple  étoit  fait 
de  planches  de  cèdre ,  comme  le  dit  Ip 
même  Auteur  ;  mais  je  ne  fçais^  fi  on 
ajoutera  foi  à  ce  qu'il  dit  de  l'efcalier  par 
lequel  on  montoit  jufqu'au  faîte  ,  qui 
étoit  fait  d'un  feul  cep  de  vigne.  Cherfi- 
phron,  ni  fon  fils  Metagene,  n'achevè- 
rent pas  un  ouvrage  fi  grand  &  fi  magni- 
fique :  d'autres  Archite&es  y  travaillè- 
rent ,  &  ce  ne  fut  qu'après  un  efpace  de 
220.  ans  qu'il  fut  entièrement  fini. 

Les  riche/Tes  de  ce  Temple  dévoient 

être  immenfes  ,  puifque  tant  de  Rois 

avoient  contribué  à  Pembellir  ,  &  qu'il 

n'y  avoit  rien  de  plus  fameux  en  Afie 

R  iiij 


3^2  La  Mythologie  &  les  Fables 
que  cet  édifice ,  tant  par  la  dévotion,  que 
par  le  concours  infini  de  monde  qui  abor- 
*0  Afci*.  doit  àEphefe.Ce  que  raconte  S.Paul  (i) 
de  la  féditiôn  traînée  parles  Orfèvres  de 
cette  ville ,  qui  gagnoient  leur  vie  à  faire 
de  petites  Statues  d'argent  de  Diane,  eft 
bien  propre  à  nous  prouver  la  célébrité 
du  culte  de  cette  Déefle. 

Il  y  a  apparence  au  refte ,  que  la  def- 
cription  que  fait  Pline ,  regarde  le  Tem- 
ple qui  fut  brûlé  par  Eroftrate ,  de  la  ma- 
nière que  chacun  fçait.  Car  celui  qui 
fubfiftoit  de  fon  temps  avoit  été  conf- 
truit  par  Cheiromocrate  ,  le  même  qui 
bâtit  la  ville  d'Alexandrie,  &  qui  du 
Mont  Athos  vouloit  faire  une  Statue 
d'Alexandre.  Ce  dernier  Temple  que 
Strabon  avoit  vu  ,  étoit  auffi  beau  & 
aufîi  riche  que  le  premier  &  on  y  voyoit 
des  ouvrages  des  plus  habiles  Sculpteurs 
de  la  Grèce.  L'Autel  étoit  prefque  tout 
de  la  main  de  Praxitèle.  Xenophon  parle 
d'une  Statue  d'or  maffif ,  dont  Hérodo- 
te qui  avoit  vifité  ce  Temple  ne  dit  rien. 
Strabon  affure  auffi  que  les  Ephefîens, 
par  reconnoiflance ,  avoient  placé  dans 
le  même  lieu  une  Statue  d'or ,  en  l'hon- 
neur d'Artemidore.  Vitruve  dit  que  ce 
Temple  ,  d'ordre  Ionique  ,  étoit  Dipte- 
rique ,  c'efl-à-dire  ,  qu'il  regnoit  tout 


%ExpL  par  VRlfl.  Liv.III.  Ctf.V.  393 

a  Fentour  deux  rangs  de  colonnes  ,  en 
forme  d'un  double  portique  ;  qu'il  avoit 
71.  toifes  de  longueur  ,  fur  plus  de  36. 
de  largeur,  &  qu'on  y  comptoit  127, 
colonnes  de  60.  pieds  de  haut. 

Ce  Temple  étoit  un  afyle  des  plus  ce^- 
lebres,  qui ,  félon  le  dernier  Auteur  que 
je  viens  de  citer  ,  s'étendit  à  125-.  pieds 
aux  environs.  Mithridate  l'avoit  borné 
à  l'efpace  d'un  trait  de  flèche.  Marc- An- 
toine doubla  cette  étendue  ,  mais  Ti- 
bère, pour  éviter  les  abus  qui  fe  corn- 
mettoient  à  l'occafion  de  ces  fortes  de 
droits  ,  abolit  cet  afyle. 

Ajourd'hui  on  ne  trouve  plus  d'un  fî 
fuperbe  édifice  que  quelques  ruines, 
dont  on  peut  voir  la  relation  dans  le 
voyage  de  Spon.  Les  Médailles  nous 
repréfentent  fouvent  ce  Temple ,  avec 
la  figure  de  Diane;  mais  le  fromifpice, 
à  caufe  du  peu  d'efpace  que  laiflent  ces 
fortes  de  Monumens ,  n'y  eft  chargé  au 
plus  que  de  huit  colonnes,  quelquefois 
defix,  de  quatre  ,  ou  de  deux  feulement* 

Temple  de  Jupiter  Olympien. 

La  Grèce  avoit  un  û  grand  nombre 
de  Temples  ,  de  Chapelles  &  d'Autels, 
qu'on  en  trouvoit  à  chaque  pas,  dans 
fes  villes,  dans  les  bourgades,  &  dans 

R  v 


394  La  Mythologie  &  les  Fables 
les  campagnes.  Pour  s'en  convaincre  il 
n'y  a  qu  à  lire  les  Anciens,  &  fur-tout 
Paufanias ,  qui  s'eft  particulièrement  at- 
taché à  les  décrire ,  &  qui  en  parle  pref- 
que  à  chaque  page  de  fon  Voyage  de  la 
Grèce. 

Parmi  tant  de  Temples ,  Vitruve  en 
admiroit  fur-tout  quatre,  qui  étoient bâ- 
tis de  marbre  ,  &  enrichis  de  fi  beaux 
ornemens,  qu'ils  faifoient  l'admiration 
des  plus  habiles  connoiffeurs ,  &  étoient 
devenus  le  règle  &  le  modèle  des  bâti- 
mens  dans  les  trois  ordres  d' Architectu- 
re, le  Dorien,  l'Ionien  &  le  Corin- 
thien. Le  premier  de  ces  beaux  ouvra- 
ges étoit  le  Temple  de  Diane  à  Ephefe , 
dont  on  vient  de  voir  la  defcription.  Le 
fécond  celui  d'Apollon  dans  la  ville  de 
Jvïilet,  l'un&  l'autre  d'ordre  Ionique. 
Ce  célèbre  Archite&e  mettoit  dans  le 
troifieme  rang  le  Temple  d'Eleufîs  ,  bâti 
en  l'honneur  de  Cerès  &  de  Proferpine, 
qu'I&inus  fit  d'ordre  Dorique ,  d'une  fi 
vafte  étendue  qu'il  étoit  capable  de  con- 
tenir trente  mille  perfonnes  ;  car  il  s'en 
trouvoit  du  moins  autant ,  &  fouvent 
plus  ,  à  la  célébration  des  Myfteres  de 
(i)  voy»  ces  deux  DéeïTes  (i).  D'abord,  remar- 
ÏÏ$£*:  q*e  Vitruve  ,  ce  Temple  étoit  fans  co- 
JL*.P'  365.  bnnes  au  dehors ,  pour  lailier  plus  de 


Expl.  par  PHiJl.  Liv.  III.  Ch.  V.  39; 

place  &  de  liberté  aux  cérémonies  reli- 
gieufes  qui  fe  pratiquement  dans  les  Sa- 
crifices ;  mais  Philondans  la  fuite  y  ajou- 
ta un  Portique  magnifique.  Le  quatriè- 
me étoit  le  Temple  de  Jupiter  Olym- 
pien à  Athènes  ,  d'ordre  Corinthien.  Il 
avoit  été  commencé  d'abord  par  les  foins 
de  Pififtrate  ;  mais  les  troubles  qui  fui- 
virent  fa  mort ,  laifTerent  pendant  près 
de  trois  cens  ans  l'ouvrage  imparfait, 
jufqu'à  ce  qu'enfin  Antiochus  Epiphane 
Roi  de  Syrie  ,  fe  chargea  de  faire  la  dé- 
penfe  néceffaire  pour  achever  la  Nef, 
qui  étoit  fort  vafte ,  &  pour  les  colonnes 
du  Portique.  Coflutius  ,  Citoyen  Ro- 
main ,  habile  Archite&e  ,  fut  choiiî  pour 
exécuter  ce  grand  ouvrage  ;  &  il  y  réiif- 
fit  fi  bien  ,  qu'il  y  eut  peu  d'édifices  qui 
l'égalaient  en  grandeur  &  en  magnifi- 
cence. 

Pour  fuivre  le  deiTein  que  je  me  fuis 
propofé,  jechoifïs  deux  de  ces  Temples, 
celui  de  Jupiter  Olympien ,  &  celui 
d'Apollon  à  Delphes ,  qui  étoient  les 
deux  plus  magnifiques.  Le  premier,  fé- 
lon Paufanias  (i) ,  &  la  Statue  de  Jupi- 
ter qu'on  y  admiroit ,  étoient  le  fruit  des 
dépouilles  que  les  Eléèns  avoient  rem- 
portées fur  les  Pifans  &  leurs  Alliés , 
lorfqu'ils  faccagerent  la  ville  de  Pife.  Ce 
R  vi 


3  S>6  La  Mythologie  &  les  Fables 
Temple  ,  dont  Libon  originaire  du  pays 
avoit  été.l'Archite&e,  étoit d'ordre  Do- 
rique ,  &  tout  environné  de  colonnes 
en  dehors,  enforte  que  la  place  où  il  étoit 
bâti  formoit  un  fuperbe  Periftyle.  On 
avoit  employé  à  cet  édifice  des  pierres 
du  pays ,  mais  qui  étoient  d'une  nature 
&  d'une  beauté  finguliere.  La  hauteur 
de  ce  Temple ,  depuis  le  rez  de  chauffée 
jufqu'à  fâ  couverture ,  étoit  de  foixante 
&  huit  pieds  ,  fa  largeur  de  quatre-vingt 
quinze  ,  Se  fa  longueur  de  deux  cens 
trente.  La  couverture  étoit  non  de  tui- 
les ,  mais  d'un  beau  marbre  tiré  du  Mont 
Pentelique ,  &  taillé  en  tuiles.  Du  mi- 
lieu de  la  voûte  pendoitune  Viftoire  de 
bronze  doré  ,  &  au-deffous  de  cette  Sta- 
tue étoit  un  bouclier  d'or,  fur  lequel  on 
voyoit  la  tête  de  Medufe  ;  &  aux  deux 
extrémités  de  la  même  voûte  étoient  aufîî 
fufpendues  deux  chaudières  dorées.  Par 
dehors ,  au  deffus  des  colonnes ,  regnoit 
autour  du  Temple  un  cordon ,  auquel 
étoient  attachés  vingt  Se  un  boucliers  do- 
Tés  ,  confacrés  à  Jupiter  par  Mummius, 
après  le  fac  de  Corinthe.  Sur  le  fronton 
de  devant  étoit  repréfenté  avec  un  art 
infini,  le  combat  de  Pelops  avec  Oeno- 
maiis ,  Se  Jupiter  au  milieu.  Oenomaiis 
&  fa  femme  Sterope  3  une  des  filles  d' At- 


Ex/?/,  par  VHiJl.  Liv.  III.  Ch.  V.  397 

las  ,  le  char  à  quatre  chevaux ,  &  Myrtil 
l'Ecuyer  du  ce  Prince  ,  étoient  à  la 
droite  du  Dieu;  Pelops  ,  Hippodamie, 
&  l'Ecuyer  avec  fes  chevaux  ,  occu- 
poient  la  gauche.  Toutes  ces  figurer 
étoient  d'un  Peonien  ,  originaire  de 
Thrace.  Le  fronton  de  derrière ,  ouvrage 
d'Alcamene  ,  le  meilleur  Statuaire  de 
fon  tems ,  après  Phidias  ,  repréfentoit  le 
combat  des  Centaures  ,  &  des  Lapithes, 
à  l'occafion  des  noces  de  Pirithoiis.  Une 
grande  partie  des  travaux  d'Hercule 
étoit  fculptée  dans  l'intérieur  de  cet  édi- 
fice ;  &  fur  les  portes,  qui  étoient  toutes 
d'airain  ,  on  remarquoit  entre  autres 
chofes ,  la  chafle  du  Sanglier  d'Eryman- 
the,  &  les  explois  du  même  Hercule 
contre  Diomede  Roi  de  Thrace  ,  con- 
tre Geryon .  &c.  Enfin ,  car  on  ne  peut 
pas  tout  détailler,  il  y  avoit  deux  rangs 
de  colonnes  qui  foutenoient  deux  gale- 
ries fort  exhauffées  ,  fous  lefquelks  on 
pafïbit  pour  arriver  au  Trône  de  Ju- 
piter. 

Ce  Trône  &  la  Statue  du  Dieu  étoient 
le  chef-d'œuvre  de  Phidias,  &  l'Anti- 
quité n'offroit  rien  de  fi  magnifique,  ni 
d'auffi  parfait.  La  Statue,  d'une  immenfe 
hauteur  ,  étoit  d'or  &  d'yvoire  ,  fi  artif- 
tement  mêlés  qu'on  ne  pouvoit  la  regay- 


3p8     La  Mythologie  &  les  Fables 
der  fans  être  frappé  d'étonnement,  Ce 
Dieu  portoit  fur  fa  tête  une  couronne 
qui  imitoit  parfaitement  la  feuille  d'oli- 
vier, &  tenoit  à  fa  main  droite  une  Vic- 
.  toire  ,  auffi  d'or  ,  &  d'y  voire ,  &  de  la 
gauche  un  Sceptre  d'une  extrême  délica- 
teffe,  &  où  reluifoient  toutes  fortes  de 
métaux  3  qui  foutenoit  une  Aigle.  La 
chaufTure  &  le  manteau  du  Dieu  étoient 
d'or,  &  fur  le  manteau  étoient  gravés 
toutes  fortes  d'animaux  &  de  fleurs.  Le 
Trône  étoit  tout  brillant  d'or  &  de  pier- 
res précieufes.  L'y  voire  &  l'ébene,  les 
animaux  qui  y  étoient  repréfentés  ,  & 
plufieurs  autres  ornemens  y  faifoient  par 
leur  mélange ,  une  agréable  variété.  Aux 
quatre  coins  de  ce  Trône  étoient  quatre 
Vi&oires,  qui  fernbloient  fe  donner  la 
main  pour  danfer ,  fans  parler  de  deux 
autres  qui  étoient  aux  pieds  de  Jupiter. 
Les  pieds  du  Trône ,  du  côté  du  devant , 
étoient  ornés  de  Sphinx,  qui  arrachoient 
de  tendres  enfans  du  fein  des  Thebaï- 
des  ;  &  au-deflbus  on  voyoit  Apollon 
&  Diane  qui  tuoient  à  coup  de  flèches 
les  enfans  de  Niobé.  Quatre   traverfes 
qui  étoient  aux  pieds  du  même  Trône , 
&  qui  alloient  d'un  bout  à  l'autre, étoient 
ornées  d'une  infinité   de  figures  d'une 
extrême  beauté 5  fur  une  étoient  repré- 


ExplparPHift.  Liv.III.  Ch.  V.  399 

fentes  fept  vainqueurs  aux  jeux  Olympi- 
ques ;  on  voyoit  fur  une  autre  Hercule 
prêt  à  combattre  contre  les  Amazones , 
&  le  nombre  des  combattans  de  part  & 
d'autre  étoit  de  vingt-neuf.  Outre  les 
pieds  du  Trône ,  il  y  avoit  encore  des 
colonnes  qui  le  foutenoient.  Enfin  une 
grande  baluftrade ,  peinte  &  ornée  de 
figures ,  enfermoit  tout  l'ouvrage.  Pa- 
nenus  ,  habile  Peintre  de  ce^  temps-là, 
y  avoit  repréfenté  avec  un  art  infini ,  At- 
las qui  foutient  le  Ciel  fur  fes  épaules  , 
«Se  Hercule  qui  femble  prêt  à  fe  charger 
de  ce  fardeau  ,  Thefée  &  Pirithous ,  le 
combat  d  Hercule  contre  le  Lion  de  Ne- 
mée  ,  l'attentat  d'Ajax  fur  CafTandre , 
Hippodamie  avec  fa  mère ,  Promethée 
enchaîné,  &  mille  autres  fujets  de  l'Hif- 
toire  fabuleufe.  A  l'endroit  le  plus  élevé 
du  Trône ,  au-defTus  de  la  tête  du  Dieu, 
étoient  les  Grâces  &  les  Heures,  les 
unes  &  les  autres  au  nombre  de  trois.  Le 
pied-d'eftal,  qui  foutenoit  cette  mafle, 
étoit  auffi  orné  que  le  refte.  Phidias  y 
avoit  gravé  fur  or,  d'un  côté  le  Soleil 
conduifant  fon  char  ,  de  l'autre  Jupiter 
&  Junon  ,  les  Grâces ,  Mercure  &  Vef- 
ta.  Venus  y  paroiffoit  fortir  du  fein  de 
la  mer  ,  &  être  reçue  par  l'Amour ,  pen- 
dant que  Pitho  ,  ou  la  Déefle  de  la  per- 


400  La  Mytkologie&  les  Fables- 
fuafion ,  lui  préfentoit  une  couronna. 
Apollon  &  Diane  n'avoient  pas  été 
oubliés  fur  ce  bas-relief,  aon-plus  que 
Minerve  &  Hercule.  On  remarquoit  au 
bas  de  ce  pied-d'eflal  Amphitrite  & 
Neptune  ,.  &  Diane  ou  la  Lune  qui  pa- 
roiftbit  galoper  fur  un  cheval.  Enfin  un 
voile  de  laine ,  teint  en  pourpre  &  brodé 
magnifiquement,  préfent  du  Roi  Antio- 
chus,  pendoit  du  haut  jufqu'en  bas.  Je 
ne  dis  rien  des  autres  ornemens  de  ce  fu- 
perbe  édifice ,  ni  du  pavé  qui  étoit  du 
plus  beau  marbre ,  ni  des  préfens  que 
plufieurs  Princes  y  avoient  confacrés,  ni 
du  nombre  infini  de  Statues  qui  y  étoient, 
ainfî  qu'aux  environs.  On  peut  fur  tout 
cela  confulter  Paufanias,  qui  m'a  fourni 
cette  defcription.  J'ajoute  feulement  que 
pour  juger  de  la  grandeur  de  la  Statue 
de  Jupiter  ,  fur  laquelle  les  Anciens 
ne  font  pas  d'accord ,,  il  iuffit  d'obfer- 
ver  que  le  Trône  &  la  Statue  alioient 
depuis  le  pavé  jufqu'à  la  voûte,  dont 
j'ai  marquél'élevation.  On  n'aura  pas  de 
peine  à  avouer  qu'un  pareil  ouvrage, 
d'une  fi  vafte  étendue,  d'une  élévation  fî 
confîderable  y  où  l'or  mêlé  avec  Fé- 
bene  &  Fy voire  jettoit  un  grand  éclat , 
où  l'on  voyoit  tant  de  figures,  de  bas- 
reliefs  &  de  peintures ,  le  tout  de  laraaia 


Expl.  parVHiJl.  Liv.IIL  CH.V.401 

des  plus  grands  Maîtres >  devoit  faire  un 
effet  bien  agréable  fur  ceux  qui  entroient 
dans  le  Temple.  N'oublions  pas  de  dire 
que  cet  édifice  étoit  d'ordre  Dorique  , 
le  plus  ancien  de  tous  les  ordres  d'Ar- 
chitedure  ,  &  celui  en  même  temps  qui 
convient  le  mieux  aux  grands  ouvrages. 

Temple  cP  Apollon  a  Delphes. 

Si  le  Temple  d'Apollon  à  Delphes 
n'étoit  pas  auflï  magnifique  ,  pour  fa 
ftruâure,  que  celui  que  je  viens  de  dé- 
crire ,  il  étoit  beaucoup  plus  riche  par  les 
préfens  immenfes  qu'on  y  avoit  envoyés 
de  toutes  parts.  Je  dis  plus  riche  ,  lî  tou- 
tefois on  peut  eftimer  le  chef-d'œuvre 
de  Phidias,  D'abord  le  Temple  de  Del- 
phes fut  très-peu  confiderable.  Une  ca- 
verne, d'où  fortoie'nt  quelques  exhalai- 
fons ,  qui  donnoient  de  la  vivacité  &de 
renthoufiafme  à  ceux  qui  s'en  appro- 
choient ,  ayant  fait  croire  qu'il  y  avoit 
quelque  chofe  de  divin  r  on  établit  un 
Oracle  en  cet  endroit ,  comme  je  l'ex- 
pliquerai dans  un  plus  grand  détail ,  en 
parlant  des  Oracles  (1).  Le  concours  Li[°4^ 
qu'attira  cette  prétendue  merveille,  ob- 
ligea les  habitans  du  voifinage  à  confa- 
crer  ce  lieu .  &  on  y  bâtit  d'abord  une 
Chapelle,  ou  plutôt  une  Cabane  faite  de 


204  La  Mythologie  &  les  Fables 
branches  de  laurier.  On  dit,  ajoute  Pau- 
lin Phoc.  fanias(2),  que  les  abeilles  y  élevèrent 
une  féconde  Chapelle  qui  étoit  de  cire, 
êc  qu'Apollon  l'envoya  aux  Hyperbo- 
réens.  On  voit  bien  que  ce  n'eft  qu'une 
fable  ,  que  j'expliquerai  dans  le  Chapitre 
des  Oracles  ,  &  Paufanias  en  a  jugé  de 
même.  Le  troifiéme  Temple  de  Delphes 
fut  bâti  de  cuivre  ;  ce  qui  ne  doit  pas 
paroîtrefort  étonnant ,  comme  le  remar- 
que l'Auteur  que  je  viens  de  citer,  & 
que  je  copie  prefque  mot-à-mot;  puif- 
qu'Acnfius  Roi  d'Argos  avoit  fait  faire 
.  une  chambre  de  cuivre  pour  y  enfermer 
fa  fille  Danaé  ;  &  que  1  on  voycit  enco- 
re de  fon  temps  à  Sparte  le  Temple  de 
Minerve  Chalciœcos ,  ainfi  appelle  parce 
qu'il  étoit  tout  de  cuivre.  Mais  que  ce 
Temple  ,  dit  Paufanias  ,  ait  été  bâti  par 
Vulcain ,  c'eft  ce  qu'il  ne  croy  oit  pas  y  ni 
qu'il  y  eût  au  lambris  des  Vierges  d'or 
qui  avoient  une  voix  charmante  ,  com- 
me Pindare  l'avoit  imaginé ,  fans  doute 
d'après  les  Sirènes  d'Homère.  Les  An- 
ciens n'étoient  pas  d'accord  fur  la  maniè- 
re dont  ce  Temple  avoit  été  détruit.  Les 
uns  difoient  que  la  terre  s'étoit  entr'ou- 
verte,  &  l'avoit  englouti;  les  autres,que 
le  feu  y  ayant  pris ,  le  cuivre  dont  il 
étoit  fait  fe  fondit.   Quoiqu'il  en  foit  t 


ExpL  par  VHift.  Liv.IIL  Ch.  V.  403 

ce  Temple  fut  bâti  une  quatrième  fois , 
&  il  eut  pour  Archite&es  Agamede  & 
Trophonius  :  pour  lors  on  n'y  employa 
que  de  la  pierre.  Cet  édifice  fut  confumé 
par  les  fiâmes ,  la  première  année  de  la 
cinquante-huitième  Olympiade.  Le  der- 
nier enfin ,  qui  fubfîfloit  du  temps  de 
Paufanias  ,  &  qui  étoit  le  plus  grand  & 
le  plus  riche ,  avoit  été  conitruit  par  les 
foins  des  Amphiftyons  ,  des  deniers 
que  les  Peuples  avoient  confacrés  à  cet 
ufage. 

Quoique  nous  n'ayons  pas  de  defcrip- 
don  détaillée  de  ce  dernier  Temple ,  il 
eft  aifé  de  juger  de  fon  étendue ,  &  des 
richefles  immenfes  qu'il  renfermoit  ',  par 
le  foin  qu'eurent  tant  de  Rois  ,•  &  des 
Peuples  entiers  ,  d'y  envoyer  des  pré- 
fens.  Onn'ailoit  gueres  confulter  l'Ora- 
cle d'Apollon  y  (  &  qui  efl-ce  qui  n'y 
alloit  pas  ,  ou  qui  n'y  envoyoit  pas  ?  ) 
fans  y  apporter  quelque  offrande  ;  &  il 
falloit  que  le  nombre  en  fût  infini ,  puif- 
que  quoique  ce  Temple  eût  été  pillé 
plufieurs  fois ,  comme  on  le  peut  voir 
dans  l'Auteur  que  je  copie,  Néron  en 
enleva  cinq  cens  Statues  toutes  de  bron- 
ze, tant  des  Hommes  illuftres,  que  des 
Dieux. 


404     La  Mythologie  &  les  Fables 

Le  Panthéon  de  Rome. 

Rome  &  l'Italie  n'avoient  pas  moins 
de  Temples  que  la  Grèce.  On  en  trou- 
voit  par-tout ,  &  plufieurs  étoient  re- 
marquables, ou  par  leur  fingularité  ,  ou 
par  leur  magnificence.  On  doit  mettre 
au  nombre  des  plus  beaux  celui  de  Jupi- 
ter ,  fur  le  Capitole  ,  &  celui  de  laJPaix , 
qui  félon  Pline  étoient  deux  des  plus 
beaux  ornemens  de  Rome.  Mais  comme 
je  n'en  connois  pas  de  plus  fuperbe,  ni 
de  plus  folidement  bâti  que  Le  grand  Pan- 
théon ,  nommé  vulgairement  la  Rotons- 
dé  ,  puifqu'il  fubfifte  encore  aujourd'hui 
dans  fon  entier,  fous  le  nom  de  l'Eglife 
de  tous  les  Saints  ,  aufquels  il  eft  con- 
facré  ,  comme  il  l'étoit  dans  le  Paganif- 
me  à  tous  les  Dieux  ,  je  le  choifîs  préfe- 
rablement  aux  autres ,  pour  en  donner 
la  defcription.  On  en  peut  voir  le  deflein 
dans  le  Tome  IL  de  YAnt.  Exp.  par  le 
P.  de  Montfaucon  ,  qui  l'a  pris  pour  le 
plan  dans  Serlio  ,  &  pour  le  profil  dans 
Lafreri. 

L'opinion  la  plus  commune  eft  qu'il 
fut  bâti  par  les  foins  &  aux  frais  d' Agrip- 
pa gendre  d'Augufte  ;  41  y  a  cependant 
des  Auteurs  qui  foutiennent  qu'il  étoit 
plus  ancien  que  lui,  &  qu'il  ne  fit  que  le 


Expl.parPHift.Liv.IÎI.CHA?.  V.  407 
reparer ,  &  y  ajouter  le  beau  Portique 
qu'on  y  voit  encore.  Quoiqu'il  en  foit 9 
ce  fuperbe  édifice  ,  qui  ne  prend  jour 
que  par  un  trou  qui  efl  au  milieu  de  la 
voûte  ,  &  qui  efl  fi  ingénieufement  mé- 
nagé qu'il  en  efl:  éclairé  fuffifamment, 
efl  de  figure  ronde ,  &  il  femble  que  l' Ar- 
chite&e  ait  voulu,  comme  on  le  remarque 
dans  un  grand  nombre  d'autres  Temples 
delà  première  antiquité  ,  imiter  en  cela 
la  figure  du  monde.  C'efl  du  moins  le 
fentiment  de  Pline  :  Quod  forma  ejus 
convexa  fajligîatam  cxl'i  fimilitudinem 
ojlenderet. 

Le  Portique  ,  ouvrage  d'Agrippa  , 
plus  beau  &  plus  furprenantque  le  Tem- 
ple même  ,  efl  compofé  de  feize  colon- 
nes de  marbre  Granité  ,  chacune  d  une 
feule  pierre.  Ces  colonnes  ont  cinq  pieds 
de  diamètre ,  &  plus  de  trente-fept  pieds 
de  hauteur ,  fans  y  comprendre  la  bâfe 
&  le  chapiteau.  De  ces  feize  colonnes 
il  y  en  a  huit  de  face  ,  &  huit  derrière  : 
le  tout  d'ordre  Corinthien.  Comme  on 
trouva  du  temps  du  Pape  Eugène  ,  près 
de  cet  Edifice,  une  partie  de  la  tête 
d'Agrippa  en  bronze  ,  un  pied  de  Che- 
val ,  &  un  morceau  de  roue  du  même 
métal ,  il  y  a  apparence  que  ce  grand 
Homme  étoit  repréfenté  lui-même  en 


4o<5     La  Mythologie  &  les  Fables 
bronze  fur  ce  Portique  ,  monté  fur  un 
char   à  quatre  chevaux. 

Quand  j'ai  dit  que  ce  Temple  fubfîf- 
toit  aujourd'hui  en  entier ,  on  doit  l'en- 
tendre du  corps  de  l'ouvrage  ,  pofé  fur 
défi  folides  fondemens,  que  rien  n'a  été 
capable  de  les  ébranler.  Auffi  félon  un 
Archite&e  Romain ,  dont  le  Manufcrit 
eft  entre  les  mains  du  P.  de  Montfaucon, 
ces  fondemens  étoient  une  maiïe  qui  non- 
feulement  s'étendoit  fous  tout  l'édifice , 
mais  encore  bien  avant  au-delà  de  fes  mu- 
railles. Pour  les  ouvrages  fuperbes  ,  les 
ftatues,  &  autres  chofes  précieufes  dont 
il  étoit  rempli ,  tout  a  été  diflipé.  Les 
plaques  de  bronze  doré  qui  couvraient 
toute  la  voûte,  furent  enlevées  par  l'Em- 
pereur Confiance  IIL  Le  Pape  Urbain 
VIII.  fe  fervit  des  poutres  du  même  mé- 
tal pour  faire  le  Baldaquin  de  faint  Pier- 
re ,  &  les  groffes  pièces  d'Artillerie  qui 
font  au  Château  Saint- Ange.  Les  ftatues 
des  Dieux  ,  qui  étoient  dans  les  niches 
qu'on  voit  encore  dans  l'intérieur  du. 
Temple ,  ont  été  ou  pillées ,  ou  enfouies , 
&  il  n'y  a  pas  bien  long-temps  encore  , 
qu'en  creufant  près  de  cet  Édifice  ,  on 
trouva  un  lion  de  Bifalte  ,  qui  eft  un 
beau  marbre  d'Egypte ,  &  puis  un  autre , 
qui  fervirentàorner  la  Fontaine  de  Sixte 


Expl.par  PHift.  Liv.IILChap.VL  407 

V.  fans  parler  d'un  beau  &  grand  vafe  de 
porphire  ,  qu'on  plaça  près  du  portique. 
En  gênerai  cet  Edifice  étoit  très-magni- 
fique ,  parfaitement  bien  bâti ,  dans  de 
juftes  proportions  ,  &  il  fait  encore  un 
des  beaux  ornemens  de  la  Ville  de  Rome. 


CHAPITRE     VI. 
Des  Autels. 

AP  r  e's  avoir  traité  fommairement 
de  ce  qui  regarde  les  Temples  ,  il 
efl  neceiTaire  de  parler  des  Autels.  Mais 
comme  nous  fuivons  toujours  la  même 
méthode  ,  en  ne  rapportant  que  ce  qu'il 
y  a  d'efTentiel  fur  chaque  fujet ,  &  que 
nous  renvoyons  aux  meilleurs  Traités 
ceux  qui  veulent  entrer  dans  de  plus 
longs  détails  ,  nous  avertiiTons  d'abord 
que  le  Père  Berthaud,  de  l'Oratoire ,  en 
•a  compofé  un  fur  les  Autels ,  qui  laiffe 
peu  de  chofes  à  défîrer  (  1  )  ;  nous  allons  (x)  Tra8. 
en  donner  1  abrégé  ,  renvoyant  aux  An-^^ri^é 
tiquaires  pour  les  figures.  à  Nantes  en 

-     Sans  nous  arrêter  à  Tétymologied'^/-  x63*"  in  1Zm 
tare  ,  nom  qu'on  croit  communément 
«avoir  été  donné  aux  Autels,  parce  qu'ils 
font  élevés  ,  nous  dirons  avec  Servius  , 


408     La  Mythologie  &  les  Fables 
que  les  Anciens  mettoient  quelque  diffé- 
rence entre  Altare  &  Ara  :  car  quoique 
le  dernier  fût  employé  également  lors- 
qu'il étoit  queftion  des  Dieux  du  Ciel  & 
de  l'Enfer,  cependant  le  mot  Altare  étoit 
fpécialement  confacré  pour  marquer  les 
Autels  des  Dieux  céleftes  :  Novimus  > 
inquity  aras  Dits  ejfefuperts  &  inferis  con- 
formas ,  alterna  verb  ejfe  fuperorum  tan- 
(i)  serv.  fur  mm  Deorum  (  i  ).  Telle  étoit  la  diltndion 
la  5.  Bgi.de  Je  Servius  ,   quoique  d'autres  Auteurs 
VirS'  en  mettent  une  autre  ,   &  difent ,  qu'on 

facrifioit  aux  Dieux  céleftes  fur  des  Au- 
tels ;  &  aux  Dieux  terreftres  fur  la  terre 
même,  &  dans  des  foffes  aux  Dieux  in- 
fernaux. Le  P.  Berthaud  ajoute  ,  qu'on 
îmmoloit  les  vi&imes  aux  Nymphes  dans 
des  antres  &  des  cavernes. 

L'antiquité  des  Autels  n'eft  pas  dou- 
teufe  :  elle  a  précédé  fans  doute  ,  com- 
me nous  l'avons  déjà  infinué  ,  la  conf- 
truâion  des  Temples  ,  non-feulement 
parmi  les  Patriarches ,  mais  auffi  chez  les 
Payens.  Et  comme  le  culte  fuperftitieux 
du  Paganifme  a  commencé  en  Egypte  , 
ainfi  que  nous  l'avons  dit ,  il  y  a  apparence 
que  c'eft  dans  ce  pays  que  furent  conf- 
truks  les  premiers  Autels.  C'eft  auffi  le 
fentiment  d'Hérodote  ,  &  de  Cœbus 
,  ,  v,r  Rhodiginus  qui  l'a  copié  (2).  La  fimpli- 
ic&W.  clte 


Expl.par  rHr/Ï.Liv.IILCHAP.VI.,40p 

cité  ayant  toujours  fait  l'appanage  des 
ufages  nouvellement  inventés ,  il  eft  clair 
que  les  premiers  Autels  n'ont  été  que  de 
fîmples  monceaux  de  terre  ou  de  gazon, 
qui  s'appelioient  Arx  cefpithiœ  ou  gta? 
mireœ  ;  ou  de  pierres  trutes  ,   &c.  &  les 
Idolâtres  imitèrent  d'abord  cette  manière 
lîmple  d'élever  des  Autels ,  pratiquée  par 
Noé  &  les  autres  premiers  Patriarches  ; 
mais  dans  la  fuite  la  matière  &  la  forme 
des  Autels  changèrent  tout-à-fait.  Le 
Paganifme  en  effet  en  avoit  de  différentes 
formes  ;  de  quarrés  ,  de  quarrés-longs, 
de  ronds  ,  de  triangulaires;  comme  de 
différente  matière  ;  de  pierre ,  de  marbre , 
de  bronze ,  &  d'or  même ,  du  moins  Hé- 
rodote (i)le  dit  de  la  Table  qui  étoit     (0  Lfc.u 
dans  le,  Temple  de  Belus  à  Babylone. 
Paufanias  remarque  qu'il  y  en  avoit  auflî 
de  bois  ,  mais  qu'il  étoit  rare  d'en  trou- 
ver de  cette  efpece.  Celui  de  Jupiter 
Olympien  r/étoit  qu'un  tas  de  cendres  ; 
d'autres  n'étoient,  qu'un  fimpleamas  de 
cornes  de  differens  animaux  :  innumems 
jlruciam  de  cormbus  aram  ,  comme  le  dit 
Ovide.  Euflathe  ,    qui  fait  mention  de 
cet  Autel  (2)  ,   dit  qu'il  étoit  à  Ephefe  3    (t)  Sut  le  l. 
&qu'Apollon4'avoitconftruit  des  cornes  8*  del'iliadc, 
des  chevreuils  que  Diane  avôit  tués  à  la 
cîiaffe.  Moyfe  parle  fouvent  des  cornes 
Tome  L  S     * 


410     La  Mythologie  &  les  Fables 

des  Autels,mais  dans  un  autre  fens,n'ayant 

entendu  par-là  que  leurs  angles. 

Les  Autels  ne  dlfferoient  pas  moins 
par  le  plus  ou  le  moins  d'élevatioa ,  que 
par  leur  matière  &par  leur  forme.  Il  y  en 
avoit  qui  n'alloient  pas  à  la  hauteur  du 
genou  ,    d'autres  alloient  jufques  à  la 
ceinture  ;  quelques-uns  étoient  encore 
plus  élevés  ,  fur-tout  ceux  de  Jupiter 
(OVitruve  &  jes  autres Dieux  céleltes  (i),  pendant 
7'    que  ceux  de  Vefta  ,   &  des  autres  Divi- 
nités terreftres  ,  étoient  les  plus  bas.  Par- 
mi ces  Autels  ,  il  y  en  avoit  de  mafïîfs  , 
d'autres  étoient  creux  par  le  haut ,  pour 
recevoir  les  libations  &  le  fang  des  Vic- 
times ;  d'autres  enfin,  étoient  portatifs, 
pour  s'en  fervir  dans  les  voyages ,  &  dans 
d'autres  occafions.  Les  Autels  n' étoient 
pas  tous  dans  les  Temples  ;  il  y  en  avoit 
dans  les  Bois  facrés  ,   &  en  plein  air  au 
milieu  des  champs  ;  comme  ceux  du  Dieu 
Terme  ,   de  Sylvain  ^  de  Pan  ,  de  Ver- 
tumne ,  &  ceux  qu'Epimedes  obligea  les 
Athéniens  affligés  parlapefte  ,  d'élever 
dans  les  lieux  où  des  Vi&imes  lâchées 
au  hazard  ,   s'arrêteroient.   Ce  font  les 
mêmes  dont  parle  faint  Paul ,   &  qui  é- 
toient  dédiés  aux  Dieux  inconnus.  Mais 
il  étoit  encore  plus  ordinaire  d'élever  les 
Autels  fur  les  montagnes  ,  ou  étoient 


ExpLpnr  /TOXivJILChap.VI.  41  r 

suffi  fouvent  les  Bois  facrés  ;  &  cette 
coutume  d  aller  facrifîer  fur  l'es  lieux 
hauts ,  étoit  iî  ancienne  &  fi  univerfelle  , 
que  l'Ecriture  Sainte  (i)  la  reproche  fans  (1)  Dans  les 
ceffe  aux  Ifraèlites  ,  &  blâme  même  les  ^?s  des 
meilleurs  Rois  de  ne  Favoir  pas  abolie  : 
attamen  excelfa  non  tulit. 

Comme  les  Grecs  appelloient  l'Autel 
Bû>p>V?  ilsnommoient  T£/.£*^oV?  un  triple 
Autel.  Il  y  en  avoit  un  de  cette  forte 
dans  le  Temple  d'Efculape  à  Rome ,  fui- 
vant  une  Infcription  rapportée  par  les 
Antiquaires.  Une  autre  Infcription  qui 
fe  trouve  dans  Fabretti ,  prouve ,  félon 
cet  habile  homme  ,  que  le  Tribomos  fe 
trouvoit  dans  plufieurs  autres  Temples  ; 
âc  il  y  a  apparence  que  c'étaient  trois 
Autels  adoiîes  l'un  contre  l'autre  defti- 
nés  à  trois  Divinités.  Hérodote  dit  (2)  (2)inE«tj 
qu'en  Egypte  ,  dans  un  grand  Temple 
d'Apollon ,  il  y  avoit  ?"£**  T&q>*<rtot  9  ces 
trois  Autels  étoient  pour  Latone ,  pour 
Apollon,  &  pour  Diane. 

Parmi  les  Autels  que  le  temps  nous  a 
confervés  ,  &  dont  on  trouve  la  repré- 
fentation  dans  les  Antiquaires  ,  il  y  en  a 
de  iîmples  &  fans  aucune  figure,  d'autres 
fur  lefquels  font  des  bas-reliefs  de  plu- 
fieurs Divinités ,  de  Génies,  de  Joueurs 
de  flûtes  9  &  d'autres  figures.  La  plupart 


412  La  Mythologie  &  les  Fables 
ont  aux  quatre  coins  des  têtes  d'animaux , 
de  bœufs  ,  de  béliers ,  &c.  Enfin ,  chaque 
particulier  avoit  dans  fon  Laraire  ,  c'eft- 
à-dire  dans  le  lfeu  defliné  à  honorer  les 
Dieux  Lares ,  ou  les  Dieux  Pénates  ,  les 
Génies ,  &  les  Junons  qui  étoient  les 
Génies  des  femmes  ,  de  petits  Autels  fur 
lefquels  ii  leur  facrifioit. 

On  avoit  grand  foin ,  avant  que  de 
facrifier  ,  d'orner  les  Autels  ,  &  on  ne 
rçanquoit  pas  d'employer  pour  cela  les 
chofes  qu'on  croyoit  agréables  à  chaque 
Divinité.  Comme  nous  aurons  occafion 
dans  le  Chapitre  fuivant  de  parler  des 
plantes  &  des  arbres  qu'on  croyoit  être 
particulièrement  confacrés  à  chaque 
Dieu ,  il  fuffit  de  dire  ici  que  c' étoient 
des  branches  de  ces  arbres  qu'on  ornoit 
les  Autels. 

Il  faudroît  un  volume  pour  décrire  tous 
les  Autels  dont  parlent  les  Anciens  ;  le 
nombre  en  étoit  infini.  Athènes  &  R  orne, 
ainiî  que  toutes  les  autres  Villes  payen- 
nés  ,  en  étoient  remplies.  Virgile  re- 
marque qu'Hiarbas  en  avoit  élevé  cent , 
t  Se  autant  de  Temples ,  au  feul  Jupiter 
(i).  On  en  trouvoit  partout,  dans  les 
campagnes ,  fur  hs  montagnes ,  dans  les 
carrefours  des  Villes,  &  des  grands  che- 
mins 3  dans  les  Cirques  ,  dans  les  Hip- 


;  Expl.  par  l 'WJt.Li v.III.Chap. VI.  41 3 

podromes  ,  dans  le  Stade  d'Olympie  , 
&  dans  mille  autres  endroits  :  en  un  mot, 
on  en  avoit  élevé  non-feulement  à  tous 
les  Dieux ,  mais  à  des  Villes-même  &  à 
deshomitiesvivans.AinfîAugufte  ,  fans 
parler  des  autres  Empereurs  ,  avoit  Ces 
Autels  en  plufieurs  endroits.  On  peut 
confulter  pour  tous  ces  détails  le  P.  Ber- 
thaud ,  que  j'ai  cité  au  commencement 
de  cet  article  :  mais  comme  parmi  ces 
Autels  il  y  en,  avoit  de  finguliers  j  il  eil 
à  propos  d'en  dire  un  mat. 

Nous  trouvons  dans  l'Antiquité  deux 
Autels ,  aufquels  on  avoit  donné  le  nom 
d'Aramaxima  :  le  premier,  dans  la  Grèce, 
étoit  élevé  en  l'honneur  de  Jupiter 
Olympien,  comme  nous  l'apprend  Pau- 
fanias  ;  le  fécond  ,  en  Italie  ,  avoit  été 
construit  pour  Hercule ,  après  la  défaite 
de  Cacus  ,  ainfi  que  le  raconte  élégam- 
ment Virgile  (1),  en  faifant  parler  E-  CD  E:-e;i.; 
vandre  de  la  forte  ;  *  lîî'?\r 

Sil.lt..]. J-v.  7, 

Ex  Mo  cekbraiur  hortos ,  Ixtique  minores  .  ~  * 

c  1.  r  -,  r.  tacite,!,  15. 

Servavere  diem  ;  primufque  Pùtitius  author ,  l'appelle  feu- 

Et  domus  Herculei  euftos  Pinaria  facri ,  kmer  i 

.  Hanc  aram  lucoJîatuH  ,  quz  maximafemper  magna. 
Dicetur  nobis  ,  &  erit  quœ  maxima  femper. 

Cet  Autel  élevé  dans  la  campagne  ,  au 
lieu  même  où  depuis  fut  bâtie"  la  Ville 
deRome,étoit  dans  le  Marché  aux  bœufs, 

S  iij 


414  La  Mythologie  &  les  Fables 
près  de  la  Porte  Carmentale  ;  les  Potî- 
tiens  feuls  &  les  Pinariens  pouvoîent  y 
facrifier.  Après  l'extinftion  de  ces  deux 
familles  ,  le  foin  de  cet  Autel  fut  donné 
aux  Efclaves.,  ainfï  qu'on  l'apprend  de 
(ODecad.i.  Tite-Live  (1)  &  de  Valere  Maxime  (2), 
u/l.i.  c.2.  °lu*  dit  que  ce  fut  Appius  Claudius  Cen- 
feur ,  qui  fit  ce  changement.  Il  n'étoit 
point  permis  aux  femmes  d'approcher 
de  cet  Autel ,  ni  d  aflïfter  aux  facrifîces 
qu'on  y  ofFroit ,  félon  Alexander  ah  Aie- 
xandro ,  lequel  ajoute  qu'on  en  éloignoit 
avec  foin  les  Efclaves  ,  les  Affranchis , 
Gen%  les  chiens  &  les  mouches  (3). 

Il  y  avoit  un  autre  Autel  encore  plus 
fîngulier.  C'étoit  celui  qui  étoit  dans 
le' Ciel ,  fous  le  nom  de  la  Conftellation 
de  l'Autel.  Hygin  dit  que  cet  Autel 
étoit  celui  fur  lequel  les  Dieux  prêts  à 
combattre  les  Géants  5  avoient  facrifîé  & 
avoient  juré  une  ligue  offenfive  &  défen- 
lîve  ,  contre  ces  redoutables  ennemis. 
Comme  les  Payens  croy oient  que  les 
Dieux  habitoient  dans  les  Temples,  dans 
leurs  Statues  ,  &  dans  les  Autels  ,  on 
ne  doit  pas  être  furpris  du  grand  refpeâ: 
qu'ils  avoient  pour  toutes  ces  chofes  ; 
mais  parce  que  leur  vengeance  éclatoit  > 
à  ce  qu'ils  s'étoient  imaginé  ,  d'une  ma- 
nière plus  fenfible  dans  certains  endroits 


Ex;/.p^rH^Liv.riI.CHAP.VL4i; 

que  dans  d'autres  ,  leur  vénération  aug- 
mentent pour  ces  lieux-là.  Ainii  rienn'e- 
toit  plus  refpeâable,  ni  en  même-temps 
plus  redouté  ,  que  les  Autels  des  Dieux 
ralices,  où  les  parjures  étoient  punis  par 
ces  deux  Divinités ,  &  précipités  dans 
le  Lac  près  duquel  ils  avoient  juré ,  com- 
me nous  le  dirons  dans  leur  Hiftoire.  Tel 
étoit  auffi  le  célèbre  Autel  de  Lyon  ,  fi 
redoutable  aux  Orateurs. 

Ce  grand  refpeâ:  pour  les  Autels  avoit 
fait  établir  la  coutume  d'y  avoir  recours 
dans  toutes  les  occafions.  On  y  faifoit 
les  Alliances  ,  les  Traités  de  paix  ,  les 
réconciliations  ,  les  mariages  ,  &c.  Vir- 
gile ,  fi  fçavant  dans  les  ufages  de  fon 
pays ,  fera  notre  premier  garant ,  pour 
ce  qui  regarde  les  Traités  de  paix. 

PgJî  iidem ,  interfepofito  cert aminé  >  Reges 
Armati  Jovis  ante  aras  3  fartera/que  tenentes^ 
Stabant^  &  cafâfirmabantfœdera  porcâ  (i). 

Ce  même  Auteur  fait  ainfi  parler  Enée 
qui  fe  plaint  de  Finfra&ion  des  Rutules  : 

Multa  Jovem  ,  &  Itzji  teftatur  fœderis  arai. 
Silius  Italicus  reprochant  aux  Carthagi- 
nois leur  infidélité  ,  au  fujet  des  Traités 
faits  avec  les  Romains ,  parle  du  même 
-ufage  : 

Sedpaçisfaciem ,  &pQllutarfœderis~aras>  &C. 

Siiîj 


4î  6  La  Mythologie  &  les  Fahler 
Dans  l'occafion  dont  je  parle,  lorfqu'on 
juroit  la  paix ,  on  embraflbit  l'Autel ,  ou 
on  le  touchoit  feulement  ;  ce  que  Vir- 
gile a  très-bien  expliqué  au  fujet  du 
Traité  fait  entre  Enée  &  Latinus. 

Tango  aras  >  me diof que  ignés ,  &  numina  teftor, 
Nuit  a  diespacem  hanc  ltalis,necfœdera  rumpet  % 
(i)En.l.i2.       Q}*°  res  cumque  cadent  (i). 

Et  Juvenal  : 

Atque  adeo  intrepidi  quœcumque  altaria    tm~ 
f2)SaM3.  gunt   C'4 

Comme  les  hommes  ont  toujours  cher- 
ché à  fe  tromper  les  uns  les  autres ,  peu 
raffurés  par  des  Traités  de  paix  &  d'al- 
liance faits  à  la  face  des  Autels ,  on  y 
ajoutoit  encore  la  religion  du  ferment , 
(s)  Vpyei  qui  fe  prêtoit  en  touchant  l'Autel  (fQ, 
lucien,?>.>-  comme  nous  aujourd'hui  dans  de  pareil- 
Tite-S^îîv.  les  occafions  ]  nous  employons  les  Li- 
kii>olyb.l;3.  vres  facrés  de  l'Evangile,  tes  Magis- 
trats avant  que  d'entrer  dans  les  charges 
de  la  Judicature  ,  prêtoient  auffi  ferment 
auprès  de  l'Autel  de  Themis.  Saint  Am- 
(4)  Ep.3.  broife  nous  apprend  cet  ufage  (4)  dans 
cette  belle  Epitre  où  il  exhorte  l'Empe- 
reur Valentinien  à  ne  point  faire  rétablir 
un  des  Autels  de  cette  Décile  qui  étoit 
ruiné. 

Pour  les  mariages  qu'on  célebroit  à.i& 


Expl.  par  PHljl.  Liv.  III.  Cet.  VI.  417 

face  des  Autels  3  fur-tout  de  Junon ,  ou 
deLucine,  on  peut  confuker  le.  Père 
Berthaud ,  qui  rapporte  plusieurs  auto- 
rités pour  le  prouver  ;  &  quelques  exem- 
ples qui  le  confirment.  Enfin,  c'étoit 
près  des  Autels  qu'on  faifoit  des  repas 
publics  ;  ainfî  qu'on  peut  le  voir  dans  plu- 
fieurs  endroits  de  Virgile  (1)  &ailieurs.  .  (OGeorg. 

liv.  4. 
__ Eneid.l.S.&c. 


CHAPITRE    VIL 

Des  Bois  f acres. 

OUtre  les  Temples ,  les  Chapel- 
les ,  les  Laraires ,  les  Autels ,  le  Pa- 
ganifmeavoît  encore  d'autres  lieux  defr 
tinés  au  culte  des  Dieux.  C'étaient  les 
Bois  facrés  ,  dont  1  etabliffement  eft  iî 
ancien ,  qu'on  croit  qu'il  précède  même 
celui  des  Temples  ôc  des  Autels.  Com- 
me les  Romains  nommoient  ces  Bois , 
Luci,  Servius  croit  qu'ils  prirent  ce  nom, 
parce  qu'on  allumoit  du  feu  pour  éclai- 
rer les  myfteres  qu'on  y  celebroit ,  Luci> 
à  lucendo,  Car  foit  qu'on  eût  choifi  pour 
cela  des  Bois  que  la  nature  fourniiïbk 
anciennement  dans  tous  les  lieux  ,  com- 
me il  y  a  bien  de  l'apparence  qu'on  le 
pratiqua  d'abord  ;  foit  qu'on  en  plantât 

S  v 


418     La  Mythologie  &  les  Fables 
exprès  ,  comme  on  fit  dans  la  fuite  ;  c'é- 
toient  toujours  des  Bois  des  plus  épais, 
des  lieux  obfcurs  ,  impénétrables  mêmes 
aux  rayons  du  Soleil. 

Ce  fut  dans  ces  lieux  ténébreux ,  pro- 
pres à  infpirer  je  ne  fçais  quelle  horreur, 
que  furent  célébrés  les  premiers  myfte- 
res  du  Paganifme.  C'étoit  là  que  s'af- 
fembloient  nos  anciens  Druides,  qui 
prirent  leurs  noms  mêmes  des  chênes  de 
leurs  forêts. 

Cependant  il  paroît  que  les  Anciens 
ont  cru  que  ces  Bois  d'abord  confacrés  à 
Lucine  ,  qui  étoit  la  même  que  Diane 
&  Hécate ,  avoient  été  ainfî  appelles  du 
nom  de  cette  Déefle  (a). 

Quoiqu'il  en  foit,  Pufage  des  Bois 
facrés  pour  y  célébrer  les  myfteres  ,  eft 
très-ancien ,  &  peut-être  celui  de  tous 
qui  fut  le  plus  univerfel.  D'abord  il  n'y 
avoit  dans  ces  Bois  ni  Temples ,  ni  Au- 
tels :  c'étoient  de  fîmples  retraites  im- 
pénétrables aux  profanes;  c'eft-à-dire, 
à  ceux  quin'étoientpas  deftinés  au  culte 
des  Dieux.  Dans  la  fuite  on  y  bâtit  des 
Chapelles  &  des  Temples  ;  &  pour  con- 
ferver  même  un  ufage  fî  ancien ,  on  ne 

(a)  Voyex  le  schol.  de  stace  ,  fur  le  quatrième  Livre  de 
la  Thebaïde.  Horace  ,  art.  Poet.  Virgile ,  En.  liy.  6.  &  Ser- 
vius  fon  Commentateur. 


E-plpar  PWjl.  Liv.IIL Ch.  VIL  419 
manquoit  pas,  lorfqu'on  le  pouvoit,  de 
planter  des  Bois  autour  des  Temples  & 
des  Autels ,  de  les  environner  de  murail- 
les, de  hayes ,  ou  des  folles;  &  ces 
Bois  étoient  non-feulement  confacrés 
aux  Dieux  en  Phonneur  defquels  avoient 
été  conftruits  les  Temples ,  qui  étoient 
au  milieu  de  ces  Bois  ,  mais  ils  étoient 
eux-mêmes  un  lieud  aiyle  pour  les  cou- 
pables qui  s'y  retiraient. 

Moyfe  pour  empêcher  les  Hébreux , 
trop  enclins  aux  pratiques  idolâtres  des 
peuples  qui  les  environnoient ,  de  fuivre 
ce  pernicieux  ufage  ,  leur  défend  de 
planter  des  Bois  autour  des  Autels  du 
vrai  Dieu  :  Ne  conferito  tibi  lucum  ullis 
arbonbus  fecundum  ait  are  lehovœ  Del  tuiy 
quodfeceris  tibi  (1).  Toutes  les  fois  me-  l6[[)  Deuc# 
me  que  ce  faim  Législateur  préferit  aux 
Juifs  de  détruire  les  Idoles  ,  il  leur  or- 
donne en  même  temps  de  couper  les  Bois 
facrés  :  Aras  eorum  deftrue  t  &  confringe 
(lamas  ,  lucofque  fuccide  (2) ,  &  ailleurs:  (0£xoa.M. 

JT  /       '        s    s      A  a  &  ailleurs. 

Lucos  tgne  combunte  (3/.  Le  même  or-  (3)Deut.n. 
dre  fut  renouvelle  à  Gedeon ,  &les  Pro- 
phètes parlent  toujours  avec  indignation 
des  Rois  de  Juda&dTfraël,  qui  avoient 
coutume  de  facrifier  dans  les  Bois  facrés. 
Les  Juifs  étoient  fï  portés  à  imiter  en 
cela  les  peuples  idolâtres,  qu'un  de  leurs 

S  vj 


ép.0     La  Mythologie  &  les  Fables 
Rois  pouffa  Timpicté  jufqu'à  faire  plan- 
ter à  Jerufalem  un  de  ces  Bois-,  que  Jo~ 
fias  fit  couper  &  brûler  dans  la  vallée  de 
(1)4.  Reg.  Cedron  (1).  Les  Rabbins  ajoutent  qu'il 
€•  23.       °  n'étoit  pas  permis  aux  Juifs   de  paffer 
dans  ces  Bois  ,  d'en  couper  un  arbre 
pour  leur  ufage  ,  de  s'y  repofer  à  l'om- 
bre ,  de  manger  les  œufs  ou  les  petits 
des  oifeaux  qui  y  nichoient,  ni  de  pren- 
dre le  bois  mort,  ni  de  manger   même 
du  pain  qui  auroit  été  cuit  au  feu  de  ce 
*      bois;  furquoi  les  curieux  pourroit  con- 
(i)Dff^fulterSelden  (2). 
lut.  C7  àenu      Les  B0is  facrés  devinrent  dans  la  fuite 
^****      extrêmement  fréquentés  :  on  s'y  affem- 
bloit  aux  jours  de  fêtes  ,  &  après  la  cé- 
lébration des  myfteres  ,  on  y  faifoit  des 
repas  publics  accompagnés  de   danfes  , 
&  de  toutes  les  autres  marques  de  la  joye 
la  plus  vive.  Tibulle  décrit  ces  Fêtes  & 
ces  repas ,  d'une  manière  très-fpirituelle. 

Rufticus  èlucoquevehit,  maie  fobrèus  ipje  ? 
ti)L.i.El.  Uxorem  flattjtro  ,  frogeniemque domum  (3). 

On  ornoit  ces  bois  avec  loin,  de  Heurs, 
de  couronnes ,  de  guirlandes  &  de  bou- 
quets ;  &  on  y  fufpendoit  les  dons  &  les 
offrandes  ,  avec  tant  de  profufion  ,  que 
quand  ils  auroient  été  moins  épais  & 
touffus  r  ils  en  auroient  été  totalement 


Explpar  PRift.  Liv.  III.  Ch.  VIL  421 

•obfcurcis  ,  &  impénétrables  à  la  lumière 
du  jour  ;  ce  qui  fait  dire  à  Stace  : 

•   .  .  Hic  arcus  &fejfareÇoneretela> 
Ârmaque  curva  fnum  &  vacuorumterga  leonum 
Figere  ,.  &  ingénies  œquantia  cornuafylvas. 
Vix  y  amis  locus }  &c.   (  1  ) 

&  Ovide  dit  : 

Equidem  fendentia  vidi 

Sert  a  fufer  ramos  (2). 

Couper  des  Bois  facrés  >  ou  les  dégra- 
der, étoit  unfacrilege  ,  &  peut-être  ce- 
lui qu'on  croyoit  le  plus  irremifîîble. 
Lucain  parlant  H  es  arbres  que  Cefar  fît 
abattre  près  de  Marfeille  ,  pour  en  faire 
des  machines  de  guerre ,  peint  bien  la 
confternationdes  Soldats  qui  refufoient 
de  fe  prêter  à  cet  ouvrage,  jufqu'à  ce 
que  ce  Prince  prenant  une  coignée  ,  en 
abattit  un  lui-même.  Saifis  cVun  refpeéî 
religieux  pour  la  fainteté  de  ce  Bots  ^  ils 
crvyo-ewt  que  s^îls  avoient  la  témérité  d'en 
vouloir  couper  quelque  arbre  ,  la  coignée 
rebroujjercit  fur  eux. 

Se  à  fortes  teputre  mamis ,  motique  verendâ- 
Majiftate  loci  ,  fi  robora  facr a  j erirent , 
In  fua  crcdebant  redituras  membra  lituras. 

Cependant  il  étoit  permis  de  les  élaguerr 
de  les  éclaircir  ,  &  de  couper  les  arbres 
qu'on  croyoit  attirer  le  tonnerre.  Les 
Anciens  nous  ont  confervé    rhiftoire 


422  La  Mythologie  &  les  Fables 
de  quelques-uns  de  ces  Bois  facrés, 
comme  de  ceux  de  Lucine  ,  de  la  Déef- 
feFeronie,  d'Augufte  ,  &  de  quelques 
autres.  Ils  fe  reffembloient  tous,  & 
étoient  tous  en  une  égale  vénération. 


CHAPITRE     VIII. 

Des  Afyles. 

LE  S  Temples ,  les  Autels ,  &  les 
Bois   facrés  ayant   été    parmi  les 
Payens  des  lieux  d'afyle  pour  les  crimi- 
nels, il  faut  expliquer  en  quoi  confiftoit 
le  droit  d'afyle,  quels  en  étoient  les  privi- 
lèges^ découvrir  quelle  en  fut  l'origine. 
Dès  que  les  hommes  ont  commencé  à 
d)  Voye*  deftiner  des  lieux  au  culte  des  Dieux  (1), 
5^jLrait£ela  pour  les  reconnoître  dans  ces  endroits 
Simon  fur  les  d  une  manière  authentique  &  folemnelle 
£fyiesi  v  »     comme  leurs  Maîtres  &  les  arbitres  de 
des  BeLLettr.  leur  deltinee  ,  oc  qu  ils  ont  eipere  d  en 
T.  3.  p.  37.  obtenir  du  fecours  ,  ils  ont  cru  qu'ils  y 
étoient  préfens  d'une  manière  particu- 
lière ;  &  dès-là  pour  ne  pas  paroître  in- 
flexibles à  l'égard  des  autres ,  lorfqu'ils 
cherchoient  à  fléchir  les  Dieux  en  leur 
faveur  ,  il  eft  très-croyable  qu'ils  regar- 
doient  ces  lieux  facrés  où  les  coupables  fe 
retiraient;  comm  e  des  afyles  inviolables. 


Explpar  PHiji.  Liv.IIL  Ch.VIII.  423 

Le  Tabernacle  &  le  Temple  de  Jeru- 
falem  étoient  des  lieux  d'afyle  (1),   &     (1)  Marh» 
fans  doute  que  les  premiers  Autels  éle-  L-2-c-+°* 
vés  parles  Patriarches  l'étoient  auffi,  puif» 
que  Moyfe  exclut  les  affaffins  ,  qui  fe  re- 
ftigioient  auprès  de  ceux  qui  avoient  éle- 
vés lui-même.  Les  Villes  de  refuge  de- 
fignées  par  Moyfe ,  &  établies  par  Jo- 
fue,  étoient  auffi  des  afyles  (2).  Le  Pa-  (2)Num.$5> 
ganifme  qui  avait  imité  plufieurs  ufages  Dfut-  4.  Jo- 
du  Peuple  de-Dieu  ,  en  avoit  auffi  fans fue'  20* 
doute  pris  celui  du  droit  d'afyle  ;  aînfi 
l'époque  de  la  fondation  des  premiers 
Temples  &  des  Autels  parmi  eux,  fe- 
roit ,  fî  on  la  fçavoit,  celle  de  l'origine 
de  ce  droit.  Tout  ce  qu'on  peut  affurer 
c'eft   qu'il  eft  très-ancien  ,  fans  qu'on 
puifle  déterminer  au  jufte  le  temps  où  il 
a  commencé.  Nous  fçavons  par  Paufa- 
nias(j),  que  Cadmus  l'accorda  à  la  Vil-  ,, 

le,  ou  à  la  Citadelle. qu'il  fit  cpnflruire  3 
enBeotie;  &ilya  apparence,  comme 
le  remarque  M.  Simon,  que  ce  Prince, 
originaire  de  Phenicie,  &  voifîn  de  la 
Paleftine ,  ayant  appris  combien  le  con- 
cours des  Coupables  &  des  Débiteurs 
dans  les  Villes  de  refuge  parmi  les  Juifs* 
avoit  fervi  à  ces  peuples  ,  employa  le 
même  moyen ,  pour  attirer  des  habitans 
dans  la  fienne.  Thefée  pour  Athènes* 


4^4  La  Mythologie  &  les  PaBles 
&  Romulus  pour  fa  nouvelle  ville  (a)r 
uferent  de  la  même  politique,  fi  nous  en 
(:)  inThef.  croyons  Plutarque  (i).  Diodore  de  Si-  ' 
(i)  in  Rom.  Giie  (2)  aflùre  que  Cybele  avoit  fondé 
le  droit  d'afyle  dans  la  Samothrace.  Her- 
cule l'Egyptien  paffoit  pour  l'auteur  de 
celui  de  Canope:  celui  de  Diane  Stra- 
tonia  à  Smyrne ,  Se  celui  de  Neptune 
Tenéen  dévoient  leur  inftitution  à  la 
réponfe  des  Oracles. 

Mais  comme  ce  droit  accordé  aux 
Coupables  ,   non    feulement    dans    les 
Temples  &  près  des  Autels  ,  mais  dans 
les  Villes  mêmes  qui  prétendoient  l'a* 
_  voir  ,  &  en  jouiffoient  véritablement  de- 
puis un  temps  immémorial ,  auroit   pu 
avoir  des  fuites  fâcheufes ,  &  autorifer 
le  crime  par  l'efperanee  de  l'impunité , 
Fafyle  n'étoit  que  pour  des  délits  invo- 
lontaires. C'eft  ce  que  repondoient  les 
jj3)  Hift.in.  Athéniens  ,  fuivant  Thucydide^),  aux 
reproches  des  Béotiens  ,  en  leur  faifant 
entendre  que  leurs  Autels  n'étoient  des 
afyies,  que  pour  ces  fortes  de  crimes. 
(4)Dec.  s.  Nous  fçavons  par  Tite-Live  (4)  que  le 
***  meurtrier  du  Roi  Eumenes ,  fut  obligé 

d'abandonner  le  Temple  de  Samothrace, 
où  il  s'étoit  réfugié. 

(a)  Cet  afyle  de  Romulus  étoit  entre  deux  Boi§  facrés ,  & 
|fut  nommé  pour  cda  ,  inîer  dms  l»coi+ 


Exfd.parPHifi.LivIlL  Ch.VIIL  425- 
Ainlï  les  afyles  étoient  proprement 
pour  les  fautes  involontaires  ,  pour  ceux 
qui  étoient  opprimés  par  une  puiffance 
injufte  •  pour  des  efclaves  outragés  par 
des  maîtres  cruels  ,  &  pour  des  débi-  • 
teurs  traités  indignement.  Mais  comme 
l'abus  fe  mêle  toujours  parmi  les  ufages 
le  plus  fagement  établis,  les  criminels 
même  condamnés  à  mort,  trouvoientun 
afyle  affuré  dans  le  Temple  de  Pallas  à 
Lacedemone  ;  les  banqueroutiers  dans 
celui  de  la  DéeiTe  Hebé  ,  àPhlius  ;  & 
dans  celui  de  Diane  à  Ephefc  (i  j,    m       £££££ 

Ce  n'étoient  pas  feulement  les  Villes  cicer.  s.  in 
&  les  Temples  qui  fervoient  d'afyle  ;les  VerreDCU 
Bois  facrés  ,  les  Autels  en  quelque  lieu 
qu'ils  fulfent,  les  Statues  des  Dieux, 
celles  des  Empereurs  ,  &  les  Tombeaux 
des  Héros ,  avoient  le  même  privilège; 
&  il  fuffifoit  qu'un  coupable  fût  dans  l'en- 
ceinte de  ces  Bois ,  ou  qu'il  eût  em- 
braïfé  un  Autel ,  ou  la  Statue  de  quel- 
que Dieu ,  pour  être  en  fureté.  Le 
droit  d'afyle  une  fois  faiii,  le  criminel 
demeuroit  aux  pieds  de  l'Autel  ou  de  la 
Statue,  &  s'y  faifoit  apporter  à  manger, 
jufqu'à  ce  qu'il  pût  fe  fauver  commodé- 
ment ,  ou  appaiier  fes  Parties. 

L'afyle  ne  fut  pas  toujours  inviolable  ; 
ou  onarrachoit  quelquefois  de  force  le, 


426  La  Mythologie  &  les  Fables 
coupable  ,  ou  on  l'y  laiiToit  mourir  de 
faim  ,  fo  it  en  lui  coupant-  les  vivres ,  ou 
en  murant  le  lieu  où  il  s'étoit  réfugié  , 
comme  firent  les  Ephores  à  l'égard  de 
Paufanias ,  ainlî  que  nous  l'apprenons  de 
(i)lnPauf.  Cornélius  Nepos  (i).  La  fainteté  des 
afyles  auroit  fans  doute  été  violée  plus 
fouvent  qu'elle  ne  Ta  été ,  fans  les  châ- 
timens  que  les  Dieux  &  les  hommes 
avoient  établis  contre  les  profanateurs* 
J'ai  dit  les  Dieux,  pareeque  les  calami- 
tés qui  fuivoient  quelquefois  la  profana- 
tion de  ces  lieux ,  étoient  regardées 
comme  l'effet  de  la  vengeance  divine. 
Ce  fut  en  effet  le  jugement  que  Ton  por- 
ta au  fujet  des  maux  qui  defolerent  TE- 
pire,  après  le  meurtre  de  Laodamie,  qui 
fut  tuée  dans  le  Temple  de  Diane.  Voici 
comme  Juftin  raconte  cette  hiftoire.  IL 
ne  reftoit  dans  toute  l'Epire  ,  du  fang 
royal,  que  Neréïs  &  Laodamie  fa  fœur. 
La  première  époufa  le  fils  de  Gélon  Roi 
de  Sicile  ,  &  Laodamie  qui  s'étoit  ré- 
fugiée à  l'Autel  de  Diane  ,  y  fut  affom- 
înée  par  le  peuple  :  mais  les  Dieux  ven-» 
gèrent  ce  facrilege  par  des  fléaux  &  des 
calamités ,  qui  firent  périr  prefque  toute 
la  Nation.  A  la  fterilité,  à  la  famine-,  à 
la  guerre  civile  ,  fuccederent  d'autres 
guerres  qui  achevèrent  de  tout  perdre  j 


Expl.  par  PHift.  Li  v.IIL  Ch.VIIL  427 

&  Milon ,  celui-là  même  qui  avoit  porté 
le  coup  mortel  à  cette  malheureufe  Prin- 
ceffe,  devint  furieux  jufqu'au  point  de 
fe  déchirer  les  entrailles,  &  expira  dans 
les  douleurs  le  douzième  jour  après  le 
meurtre  (1).  ^    j         «JuftinL. 

On  porta  le  même  jugement  >  à  Foc-  3* 
cafion  de  la,  maladie  honteufe  qui  termi- 
nales jours  de  Sylla,  qui  avoit  violé  le 
droit  des  afyks.  Les  Oracles  confultés 
après  de  pareilles  profanations,  préfcri- 
voient,  non  feulement  pour  les  coupa- 
bles ,  mais  pour  des  villes  entières ,  des 
expiations  folemnelles ,  ou  des  répara- 
tions publiques  ;  &  c'efl  ainfî  que  les 
Lacedemoniens  furent  obligés  d'élever 
deux'  Statues  d'airain  au  malheureux 
Paufanias  ,  dans  le  lieu  même  où  il  étoit 
mort. 

Quoique  M.  Simon,  dont  je  viens 
d'abréger  la  Diiïertation ,  femble  croire 
que  tous  les  Temples,  les  Bois  facrés, 
les  Autels,  &c.  fuffentdes  afyles ,  il  y 
a  cependant  beaucoup  d'apparence  que 
tous  ces  lieux  ne  jouiflbient  pas  de  ce 
droit  ;  car  les  exceptions  que  font  les 
Anciens ,  en  l'attribuant  à  certains  lieux, 
fans  rien  dire  des  autres,  en  font,  félon 
moi ,  une  preuve  convaincante,  Ainfi , 
fuivant  Servius ,  le  Temple  de  la'Mife- 


428     La  Mythologie  &  les  Fables 
ricorde  étoit  un  lieu  d'afyle  à  Athènes, 
&  apparemment  à  Rome  où  l'on  en  bâtit 
un  à  la  même  Divinité.  De  même  ,  le 
Temple  de  Diane  d'Ephefe ,  jouiffoit 

U)  In  Ver- du  même  droit,  fuivant  Ciceron  (1); 
aufl»  bien  que  celui  qui  étoit  bâti  en 
l'honneur  de  la  même  DêefTe  en  Epire, 

(2)  L.  28.  comme  nous  l'apprenons  de  Juflin  (2). 
Quoiqu'il  en  foit,  les  afyles  cauferent 
plus  de  maux  ,  par  l'impunité  qu'ils  pro- 
curèrent aux  coupables,  qu'ils  ne  firent 
de  bien  en  fauvant  quelques  innocens  , 
&  Tibère ,  comme  nous  l'avons  dit ,  fut 
obligé  de  les  abolir. 


CHAPITRE    IX. 

Des  Statues  des  Dieux,  &  de  quelle  ma 
nïere  on  Us  reprefentoit. 

APres  avoir  parlé  des  Temples  & 
des  Autels ,  il  eft  neceffaire  de  di- 
re quelque  chofe  des  Statues  des  Dieux, 
des  lieux  où  on  lesplaçoit,  &  de  la  ma- 
nière dont  ces  mêmes  Dieux  étoient  re- 
prefentés.  Pour  renfermer  dans  quelques 
bornes  une  matière  qui  d'elle-même  ert 
très-étendue,  j'examinerai  1°.  ce  qu'é- 
îûient  les  figures  des  Dieux  avant  que 


Expl.  par  PHifl.  Liv.  III.  Ch.  IX.  42$ 

l'art  delà  Sculpture  fût  inventé.  2°.  Ce 
qu'elles  furent,  lorfque  cet  art  étoit  en- 
core groiîjer  &  imparfait.  3  \  Le  point 
de  perfe&ion  où  la  Statuaire  fut  portée 
dans  la  fuite.  4".  La  matière  qu'on  em- 
ployoit  aux  Statues  des  Dieux.  y°.  L'ex- 
trême grandeur,  &  l'extrême  petiteffe  de 
quelques-unes  de  ces  figures.  6\  Les 
lieux  où  on  les  plaçoit  le  plus  ordi- 
nairement. j\  Enfin ,  par  quels  fym- 
boles  les  Dieux  y  étoient  diftin- 
gués. 

Pour  le  premier  article ,  il  fuffit  de  fe 
rappeller  ce  que  nous  avons  dit  dans  le 
Chapitre  IV.  fur  la  manière  groffiere 
dont  on  reprefentoit  les  Dieux  ,  avant 
que  l'art  de  la  Sculpture  fût  en  ulage. 
Il  eft  impoffible ,  &  en  même  temps  inu- 
tile de  rechercher  en  quel  temps,  & 
par  qui  cet  art  fut  inventé.  Son  origine 
fe  perd  dans  la  plus  profonde  antiquité. 
Il  fuffit  de  fçavoir  que  les  Egyptiens  le 
poffedoient  du  temps  de  Moyfe,  &  peut- 
être  long-temps  auparavant-  Les  Statues 
de  leurs  Dieux ,  dont  il  eft  parlé  dans 
les  Livres  de  ce  faint  Legiflateur ,  Se  cel- 
les de  leur  Dieu  Apis  ,  -trop  fidèlement 
imitées  par  les  Ifraèïites ,  qui  l'adorè- 
rent dans  le  defert,  fous  la  forme  d'un 
fcœuf  ou  d'un  veau  ,  le  prouvent  fans 


4 3 o  La  Mythologie  &  les  Fables 
réplique  ;  &  je  ne'doute  pas  que  dans  le- 
temps  même  que  les  peuples  encore  bar- 
bares &  greffiers  adoroient  ou  des  maf- 
fes  informes  ,  ou  de  Amples  troncs  d'ar- 
bres ,  la  Sculpture  ne  fût  alors  connue 
non  feulement  en  Egypte  ,  mais  encore 
dans  la  Syrie  &  les  Pays  voifins.  Car  les 
arts,originaires  des  Pays  que  je  viens  de 
nommer ,  ne  pénétrèrent  que  peu-à-peu 
dans  l'Occident. 

D'abord  même  la  Sculpture  fut  tres- 
groffiere  ,  &  ne  monta  que  lentement  à 
ce  haut  point  de  perfe&ion  où  elle  fe  fit 
edmirer,  fur-tout  dans  la  Grèce,  parles 
chef-d'œuvres  qu'elle  forma.  Dès-là  on 
doit  fuppofer  que  les  premières  Statues 
desDieux,quoique  dirigées  par  ce  nouvel 
art,  étoient  encore  très-groffieres.  Les 
jambes  ,  ni  les  bras  n'étoient  point  fépa- 
rés ,  mais  joints  avec  le  refte  de  la  ma- 
tière dont  on  s'étoit  fervi  pour  en  for- 
mer la  figure.  Elles  avoient  les  yeux  fer- 
més, &  tout  au  plus  les  bras  pendans,& 
comme  collés  le  long  du  corps  ,  &  les 
pieds  joints  ;  rien  d'animé ,  nulle  attitu- 
de ,  nul  gefte.  C'étoient  pour  la  plupart 
des  figures  quarrées  &  informes,  qui  le 
terminoienten  guaîne.  Les  cabinets  des 
curieux  fourniflént  plufieurs  modèles  de 
ces  Statues;  on  en  déterre  encore  tous 


Expl.par  PHîjî.  Liv.  III.  Ch.IX.  43 1 

les  jours  ,  fur-tout  en  Egypte ,  &  la 
marque  la  moins  équivoque  de  leuranti- 
quité,eitlorfqu'ellesfont  comme  je  viens 
de  les  décrire. 

Elles  demeurèrent  dans  cet  état ,  du 
moins  dans  l'Occident ,  jufqu'à  Dédale , 
c'eft-à-dire ,  jufqu'au  temps  de  Minos 
fécond ,  &  de  Thefée.  Ce  n'efl  pas  ici  le 
lieu  de  parler  de  ce  célèbre  Ouvrier, 
fon  article  fe  trouvera  à  fa  place  ;  mais 
je  dois  dire  qu'il  fçut  donner  à  fes  Sta- 
tues des  yeux ,  des  pieds  &  des  mains. 
Il  y  mit  en  quelque  façon  de  Famé  &  de 
la  vie ,  &  on  fut  lî  furpris  de  ce  change- 
ment ,  que  la  renommée  publia  qu'il  les 
animoit ,  les  faifoit  marcher ,  &c.  Lt^ 
Statues  des  Dieux  y  gagnèrent ,  c6  fut 
à  les  perfectionner  que  s'appliquèrent 
fur-tout  les  Ouvriers  les  plus  habiles  ;  & 
avec  le  temps  on  vit  paraître  les  chef- 
d'œuvres  des  Phidias,  des  Praxiteles, 
des  Myrons ,  qui  firent  le  principal  orne- 
ment de  la  Grèce ,  &  attirèrent ,  comme 
font  encore  aujourd'hui  celles  qui  nous 
reftent ,  la  jufte  admiration  des  connoif- 
feurs.  Telles  font  entr'autres  la  Venus 
de  Medicis  ,  l'Antinous,  l'Hercule  ,  & 
le  beau  Jupiter  qu'on  voit  encore  à  Ver- 
failles. 

Cependant,  par  je  ne  fçais  quel  refpeft 


43  2     La  Mythologie  &  les  Fables 
pour  l'antiquité,  on   conferva    encore 
l'ancien  goût  dans  ces  Statues  ,  qu'on 
nommoit  Hermès. 

On  appelloit  de  ce  nom  celles  des  Sta- 
tues de  Mercure ,  qui  étoient  d  une  fi- 
gure quarrée ,  ordinairement  fans  bras  & 
fans  pieds  ,  &  qu'on  plaçoit  dans  les  car- 
refours ,  fur  les  grands  chemins,  devant 
les  Temples,  &  devant  les  maifons. 
Ciceron  remarque  à  cette  occafion, 
qu'il  n'étoit  pas  permis  d'en  mettre  fur 
les  feoulchres ,  mais  il  n'en  rend  par  la 
raifon.  Il  fembleroit  au  contraire ,  que 
c'étoient  les  lieux  où  elles  convenoient 
le  mieux  ,  puifque  ce  Dieu  avoit  foin 
des  âmes,  &  que  c'étoit  lui  qui  les  con- 
duisit dans  les  Enfers ,  &  qui  les  en  ra- 
menoit. 

Quoique  les  Hermès  ne  dufient  être 
que  pour  les  Statues  de  Mercure,  puis- 
qu'elles portent  fon  nom ,  on  le  donnoit 
cependant  à  toutes  celles  qui  en  îmi- 
toient  la  forme.  Ainfi  quand  c'étoitApoL- 
lon  qu'elles  repréfentoient ,  on  les  nom- 
moit Hermapollons.  Si  c'étoit  une  tête  de 
Minerve  ,  en  Grec  Jthetié,  on  les  ap- 
pelloit  Hermathenes  ;  &  Hermeros,  celles 
qui  repréfentoient  la  tête  de  Cupidon , 
dont  le  nom  Grec  étoit  Eros ,  ainfi  des 
autres.  Enfin  cette  manière  antique  fut 

encore 


Expl.  par  PHiJÏ.  Liv.  III.  Ch.  IX.  435 

encore  confervée  dans  les  Statues  du 
Dieu  Terme,  qui  n'étoient  que  des 
pierres  informes. 

Les  Villes  de  la  Grèce,   malgré  le 
progrès  de  la  Sculpture  ;  étoient  rem- 
plies de  ces  fortes  de  Statues;  &  Thu- 
cydide nous  apprend    qu'une    nuit  on 
avoit  coupé  les  têtes  de  toutes  celles  qui 
étoient  à  Athènes.   On   fçait  qu'Alci- 
biade  fut  foupçonné  de  cet  attentat,  & 
qu'il  fut  banni  pour  cela.  Il  n'y  avoit 
rien  de  preferit  touchant  la  manière  dont 
dévoient   être  les  Statues  des  Dieux. 
Comme  la  Sculpture  eft  un  art  qui  par 
le  moyen  du  deflein ,  &  de  la  matière 
folide  imite  la  nature  ,  elle  a  pour  ma- 
tière le  bois,  la  pierre,  le  marbre,  l'y- 
voire  ,  difFerens  metautf ,  comme  l'or , 
l'argent ,  le  cuivre ,  les  pierres  précieu- 
fes  ,  &c.  qu'elle  comprend  auffi  la  fon- 
te ,  qu'on  fubdivife  ,  en  l'art  défaire  des 
figures  en  cire,  &  en  celui  de  jetter  en 
fonte  toutes  fortes  de  métaux.  Les  Sta- 
tuaires avoient  la  liberté  d'ufer  de  tou- 
tes ces  matières ,  &  de  toutes  ces  formes 
pour  les  Statues  des  Dieux.  L'hifloire 
nous  apprend  qu'il  y  en  avoit  de  toutes 
ces  fortes,  on  en  faifoit  desbois  les  plus 
précieux,  &  les  moins  fujets  à  fe  cor- 
rompre. Celle  de  Jupiter  à  Sycione  étoit 

Tome  L  *        T 


434     La  Mythologie  &  les  Fables 
de  buis  ;  ôck  Ephefe  ,  celle  de  Diane 
étoit  de  cèdre.  Ailleurs  on  en  trouvent 
de  citronnier,  cîe  palmier,    d'olivier, 
d'ébene  ,  &  de  cyprès.  Nous  avons  dé- 
jà parlé  de  celles  d'or  qui  étoient  dans  le 
Temple  de  Belus  à  Babylone,&  d'Apol- 
lon à  Delphes.  Nous  avons  fait  la  def- 
cription  de  celle  de  Jupiter  Olympien, 
où  For  étoit  habilement  mêlé  avec  Fy- 
voire,  Fébene,  &  les  pierres  prêcieu- 
fes  ;  chef-d'œuvre  que  perfonne  ,  félon 
Pline  ,  n'ofa  imiter  :  Prater  Jovem  Olym- 
tô Pline L.  mura,  qtiemnemo  œmulatur  (i).  Il  feroit 
,4-*  -*        inutile  de  s'étendre  fur  celles  de  marbre 
ou  de  pierre  ,  dont  le  nombre  étoit  infi- 
ni ;  j'ai  nommé  les  principaux  Ouvriers 
qui  de  ces  différentes  matieres^  avoient 
feu  faire  des  chef-d'œuvres.  Si  on  a  la 
curiofité    de  {trouver   des   Statues  de 
Dieux,  de  toutes  les  formes  ,  &  de  tou- 
tes les  matières  dont  j'ai  parlé,  on  n'a 
qu'à  lire  Paufanias ,  qui  en  décrit  de 
toutes  les  fortes. 

Généralement  parlant  les  Statues  des 
Dieux  ,  apièsFinvention  de  la  Sculptu- 
re ,  n  étoient  que  de  terre  moulée ,  & 
fragiles  comme  de  (impies  vafes.  Cet  art 
*  de  jetter  la  terre  ou  1  argile  en  moule , 
eft  nommé  fitfïlis  >  &  les  ouvrages  qui 
en  fortent ,  ficnlïa.  L'Ecriture  Sainte , 


Expl.parVHift.  Liv.III.  Ch.  IX.  435 
les  Prophètes  fur-tout  reprochent  fans 
ceiTe  aux  Payens  d'adorer  de  ces  fortes 
d'Idoles.  Dans  la  fuite  on  chargea  ces 
Statues  de  différentes  couleurs,  &  enfin 
on  les  dora.  Les  Romains  dont  la  Re- 
ligion annonça  long-temps  la  {implicite 
de  leurs  mœurs,  ne  commencèrent  que 
fort  tard  à  avoir  de  ces  Statues  dorées; 
les  leurs  n'avoient  eu  jufques-là  que  la 
couleur  de  la  terre  dont  elles   étoient 
faites.  Pline  loue  cette  première  {impli- 
cite Romaine.   Des  hommes,  dit-il,  qui 
honoraient  jincerement  de  tels  Dieux yne 
doivent  pas  nous  faire  honte.  Hœ  tum  effi- 
gies Deorum  étant  laudatiffimx ,  nec  pœ- 
mtet  nos  illorum  qui  taies  Deos  coluere. 
Ils  ne  faifoientcas  de  l'or,  continue  cet 
Auteur  ,  ni  pour   eux  ,  ni  pour    leurs 
Dieux.  Juvenal  parlant  de  la  Statue  de 
terre  que  1  arquin  l'ancien  fît  mettre  dans 
le  Temple  de  Jupiter  ,  l'appelle  le  Ju- 
piter de  terre ,  que  Torn'avoit  point  gâ-  * 
té,   ni  fouillé. 

Ficliiis,  &  nullo  violatus  Jupiter  auro. 

Tite-Live  nous  a  appris  l'époque  de  Pin* 
trodu&iondes  Statues  dorées ,  dans  Ro- 
me ,  &  ce  fut ,  félon  lui ,  fous  le  Confu- 
lat  de  P.  Cornélius  Cethegus,  1  an  delà 
fondation  de  cette  Ville  y 71.  ou  J72. 


^6    La  Mythologie  &  les  Fables 

Comme  il  n'y  avoit  rien  de  prefcnt 
fur  la  matière  des  Statues  des  Dieux  ,  il 
n'y  avoit  rien  non  plus  d'établi  fur  la 
grandeur  qu'on  leur  devoit  donner ,  &  il 
dépendoit  du  caprice  des  Ouvriers,  ou 
de  la  volonté  de  ceux  qui  les  employ  oient 
de  les  faire  grandes'ou  petites.  Ainfi  pen- 
dant que  les  Egyptiens  fe  faifoient  hon- 
neur de   ces  Statues  coloffales ,  qu'on 
voyoit  dans  les  veftibules  de  leurs  Tem- 
ples ,  on  ne  trouvoit  fouvent  dans  l'inté- 
rieur de  ces  édifices  que  des  Marmou- 
zets  ,  de  petits  Pygmées ,  qui  attiroient 
le  mépris  &  les  railleries  de  ceux  a  qui  il 
étoit  permis  de  les  voir ,  comme  il  arriva 
à  Cambyfe,  lorfqu'il  fut  introduit  dans 
le  Temple  de  Vulcain  à  Memphis,  amii 
que  nous  l'avons  dit.  . 

La  Grèce  voulut  quelquefois  imiter 
la  manière  Egyptienne  dans  ces  Coloffes, 
ÔC  elle  avoit  plufieurs  Statues  de  fesDieux 
'  d'une  énorme  grandeur.  Celle  de  Jupi- 
ter à  Olympie ,  dont  j'ai  donné  la  deicnp- 
tion,  &  plufieurs  autres  encore,  étoient 
beaucoup  plus  grandes  que  na-ture  ;  mais 
le  plus  extraordinaire  de  tous  ces  Co- 
loffes,étoitceluideRhodes,quirePrefen- 

toit  Apollon ,  &  qui  fut  regarde  com- 
me une  des  fept  merveilles  du  monde. 
Cette  Statue,  ouvrage  de  Chares,  qui 


Explpar  PHift.  Éiv.IIL  Ch.IX.  457 

fut  douze  ans  à  la  faire  ,  avoit  foixante  & 
dix  coudées  de  haut  ;  Se  comme  elle  étoit 
placée  de  manière  que  les  deux  pieds 
pofoient  fur  deux  môles  ,  qui  formoient 
le  Port  de  la  ville  de  Rhodes  ,  les  vaif- 
feaux  paffoient  à  pleine  voile  entre  fes 
jambes.  Pour  juger  de  l'énorme  grandeur 
de  ce  Coloffe ,  il  fuffit  de  dire  qu'il  y 
avoit  peu  de  perfonnes  qui  pulîènt  em- 
braffer  un  de  fes  pouces.  Malgré  la  pe- 
fanteur  de  cette  prodigieufe  maffe,  mal- 
gré les  dangers  de  la  mer  ,  &  le  temps 
aufquels  elle  étoit  expofée,  elle  demeu- 
ra cependant  far  pied  Tefpace  de  1560. 
ans ,  &  ne  tomba  que  par  un  tremble- 
ment de  terre.  Un  Marchand  Juif  Tache- 
ta des  Sarrafins,  &  Payant  fait  mettre  en 
pièces  ,  en  chargea  neuf  cens  chameaux- 
Ce  n'étoientpas  feulement  lesEgyp^ 
tiens  &  les  Grecs  ,  qui  avoient  de  ces 
figures  coloffales ,  les  Romains  voulu- 
rent les  imiter  en  cela ,  &  on  comptoit  à 
Rome  cinq  de  ces  colofles ,  deux  d  Apol- 
lon ,  deux  de  Jupiter  ,  &  un  du  Soleil  > 
car  le  Soleil  étoit  fouvent  dîftingué  d'A- 
pollon ;  fans  parler  de  deux  autres  9 
dont  l'un  repréfentoit  Domitien ,  l'autre- 
Néron  :  mais  comme  fi  ces  fortes  de  Sta-  - 
tues  aavoient  du  appartenir  qu'aux: 
Dieux ,  on  fit  mettre  fur  cette  dernière: 
xme  tête  d'Apollon*  T  ii] 


4*1 8     La  Mythologie  &  les  Fables 

C  etoient-la  des  ouvrages  linguiiers  ; 
mais  ordinairement  les  Statues  des  Dieux 
îmitoient  la  belle  nature,  fur-tout  quand 
elles  dévoient  être  pofées  à  portée  de  la 
vue.  Ainfi  celles  des  Dieux  étoient  un 
peu  plus  grandes  &  plus  fortes  que  cel- 
les des  DeefTes  ;  au  fujet  defquelies  les 
Ouvriers  habiles  s'attachoient  far-tout 
à  imiter  la  deiicateiTe  &  la  mollefTe  du 
fexe. 

Il  y  avoit  cependant  des  Dieux  dont 
les  Statues  étoient  ordinairement  peti- 
tes, &  peut-être  qu'elles  dévoient  l'être. 
Celles  des  Pataïques  ,  ou  Pataeques  , 
qu'on  mettoit  fur  la  pouppe  des  vaif- 
feaux,  étoient  de  ce  genre  ,  fi  nous  en 
croyons  Hérodote  (i)  ,  ainfi  que  celles 
des  Dieux  Lares ,  des  Cabires ,  &  quel- 
crues  autres.  Il  y  en  avoit  dont  les  Sta- 
tues  étoient  moniirueufes ,  &  qui  repre- 
fentoient  des  têtes  de  chien  ,  de  chat , 
de  bouc,  de  finges,  de  lion  ,  &c.  com- 
me nous  le  dirons  en  parlant  des  Dieux 
d'Egypte. 

Le  nombre  des  Statues  des  Dieux  etoit 
îmmenfe  ,  non  feulement  dans  la  Grèce 
&  dans  l'Italie  ,  mais  auffi  dans  les  pays 
Orientaux;  &  rien  n'eft  plus  propre  à  le 
faire  connoître  que  Pexpreffion  de  l'E- 
criture Sainte ,  qui  nomme  la  Chaldée 


Expl.par  PHIjI.Liv.IILChatJX.  43$ 
une  terre  d'Idoles.  Ainfî  on  en  trouvoit 
par-tout ,  dans  les  Temples  ,  où  elles 
étoient  far  des  pieds-d'eftaux  ,  ou  pla- 
cées dans  des  niches  ;  dans  les  places 
publiques ,  aux  portes  des  maifons  ;  & 
hors  des  villes,  dans  les  grands  chemin1?, 
&  dans  les  champs.  On  ne  peut  rien 
ajouter  au  refpeft  qu'on  avoit  pour  elles  : 
Iorfqu'on  paflbit  auprès,  on  fe  profter- 
noit ,  ou  on  portoit  la  main  à  la  bouche, 
pour  marquer  qu'on  les  adoroit.  C'etoit 
en  elles  qu^on  mettoit  toute  fa  confian- 
ce. On  leur  faifoit  des  vœux,  on  leur 
oiïroit  des  facrifices ,  on  leur  adreffoit 
les  prières  :  c'était  d'elles  qu'on  atten- 
dait la  fanté  &  les  autres  biens ,  comme 
la  délivrance  des  maux,  &  des  calamités 
publiques.  Ce  reipeft  &  cette  confiance 
étoient  fondés  non  feulement  fur  ce 
qu'elles  reprefentoient  les  Dieux ,  mais 
parce  qu'on  croyoit  auffi  qu'ils  y  habi- 
toient  eux-mêmes ,  6c  écoutoient  de-là 
les  vœux  &  les  prières.  Au  jour  des  Fê- 
tes de  chacun  de  ces  Dieux ,  on  avoit 
foin  de  parer  leurs  Statues  ,  de  tout  ce 
qui  paroilToit  devoir  les  embellir  ,  ru- 
bans ,  bandelettes ,  rameaux;  tout  étoit 
employé.  On  les  oignoit  avec  de  F  huile , 
ou  on  les  frottoit  avec  de  la  cire  pour 
les  rendre  plus  luifantes  ;  &  cet  ufage 

T  iiij 


44^  La  Mythologie  &  les  Fables 
étoit  fur-tout  pratiqué  à  l'égard;  des 
Dieux  Lares  &  des  Pénates.  Quoique  la 
manière  de  reprefenter  les  Dieux  ne  fût 
pas  uniforme  ,  il  y  avoit  cependant  des 
ufages  affez  généralement  obfervés.Ainfï 
on  donnoit  à  Jupiter  un  air  noble  &  ma- 
jeftueux  ,  qui  annonçoit  le  Maître  du 
monde,  &  il  paroît  toujours  avec  de  la 
barbe.  Apollon  qui  eft  peint  en  jeune 
homme ,  n'en  porte  point  ;  Bacchus  en 
a  quelquefois,  &  alors  on  l'appelle  le 
Barbu  ,  plus  fouvent  il  n'en  a  point. 
Junon  paroît  avec  un  air  digne  de  l'épou- 
fe  de  Jupiter  ,  &  de  la  Reine  des  Dieux» 
Minerve  a  une  beauté  mâle  &  douce  y 
telle  qu'il  convenoit  à  la  plus  fage  &  à 
la  plus  charte  des  DéefTes.  Celle  de  Ve- 
nus au  contraire  prefente  je  ne  fçai  quoi 
de  mol  &  d'efféminé,  qui  annonce  la 
mère  d'Amour.  Mars  a  l'air  guerrier  y 
Neptune  a  de  la  fierté  ,  &c. 

Les  Dieux  portoient  ordinairement 
fur  leurs  Statues  ,  les  fymboles  qui  leur 
étoient  confacrés.  Ainfî  paroiftent  Ju- 
piter avec,  fa  foudre  ,  Apollon  avec  fa 
lyre ,  Neptune  avec  fon  trident ,  Pluton 
avec  le  même  fceptre  ,  mais  feulement  à 
deux  fourches.  Bacchus  y  tient  à  la  rnain. 
des  grappes  de  raifin;  Cerès,  des  épis 
de  bled  ;  Hercule ,  fa.  maflue,  &  Dim& 


Expl.  par  PHift.  Li  v.  III.  Ch.  IX.  441 

porte  fes  flèches  &  fon  carquois.  Le  chien 
paroît  dans  les  Statues  de  Mercure  ,  la 
chouette  dans  celles  de  Minerve ,  &  le 
ferpent  entourtillé  autour  d'un  cippe , 
dans  celles  d'Efculape.  Le  char  de  Nep- 
tune eft  attelé  à  des  chevaux  marins^  ce- 
lui de  Venus  à  des  colombes  ,  celui  de 
Junon  à  des  Paons ,  &  celui  de  Cybele 
à  des  lions.  Quelquefois  ces  fymboles . 
font  uniques  ,  quelquefois  ils  font  multi- 
pliés ;  &  quand  il  paroît  qu'ils  font  pro- 
pres à  plufieurs  Dieux,  on  nomme  Pan- 
thées  les  Statues  qui  les  portent ,  telles 
que  font  ordinairement  celles  d'Harpo- 
crate ,  &  quelques  autres.  Les  Statues 
Egyptiennes  étoient  plus  chargées  de  ces 
fymboles  que  celles  des  Grecs  &  des 
Romains ,  comme  on  peut  le  voir  dans 
les  Antiquaires.  Ces  fymboles  étoient 
pris  ou  des  arbres,  ou  des  plantes,  ou 
des  animaux  qmpar  des  raifons  particu- 
lières étoient  chers  aux  Dieux,  ainfî  que 
nous  le  dirons  en  parlant  des  Sacrifices,  , 
des  Offrandes  &  des  Viftimes,  qu'on  1 
prenoit  ordinairement  parmi  les  chofes  * 
qu'on  croyoit  leur  être  agréables. 

Les  raifons  de  cette  prédile&ion  des  ■ 
Dieux  étoient  quelquefois  myflerieufesy. 
&les  Anciens  n'ont  pas  ofé  les  rappor— 
ter.,  fouvent  aufll  elles  font  connuës»r- 

Ty- 


442  La  Mythologie  &  les  Fables 
Ainfi ,  pour  en  donner  feulement  quel- 
ques exemples  ,  le  laurier  étoit  cher  à 
Apollon  ,  à  caufe  de  Daphné  ;  le  pin  à 
Cybele  ,  à  caufe  d'Atys  ;  &  le  peuplier 
à  Hercule  ,  parce  qu'il  en  avoir  apporté 
un  du  Pays  des  Hyperboréens  ,  &c. 

Pfefque  toujours  les  Statues  des  Dieux 
étoient  fimples  &  ne  prefentoient  qu'une 
feule  figure  ;  quelquefois  elles  étoient 
grouppées ,  &  en  contenoient  plufieurs. 
Le  Philofophe  Albricus  qui  nous  a  laifle 
un  petit  Traité  Latin  fur  la  manière  de 
repréfenter  les  Dieux  ,  femble  s'être  at- 
taché particulièrement  à  ces  dernières  fi- 
gures ,  comme  il  eft  aifé  de  s'en  convain- 
cre en  lifant  ce  petit  Ouvrage,  &  par 
l'exemple  de  Saturne  que  je  vais  rap- 
porter. 

Saturne,  dit-il,  le  premier  des  Dieux  y 
étoit  peint  fous  la  figure  d'un  vieillard, 
les, cheveux  blancs,  la  barbe  longue y 
courbé ,  l'air  trifte ,  la  tête  voilée  ,  &  la 
couleur  blême,  tenant  de  la. main  gau- 
che une  faulx ,  ôc  un  ferpent  qui  fe  mor- 
doit  la  queue ,  &  de  la  droite  un  jeune 
enfant  qu'il  portoit  à  la  bouche  pour  le 
dévorer.  Il  avoit  près  de  lui  Jupiter, 
Neptune ,  Pluton ,  Junon&  Opsrfafem- 
3ne,  dont  une  main  étoit  étendue ,  pour 
marquer  qu'elle  étoit  prête  de  fecourk 


ExpL  par  PHijT.  Liv.  ITL  Ch.  X.  443 

tout  le  monde ,  pendant  que  de  l'autre 
elle  prefentoit  du  pain  à  ceux  qui  pou- 
vaient en  avoir  befoin. 

On  rapportera  dans  l'hiftoire  particu- 
lière de  chaque  Dieu,  la  manière  dont 
on  avoit  coutume  de  le  reprefenter. 


CHAPITRE     I 
Des  Sacrifices  &  des  Vifiunes. 

LE  Sacrifice  eft  unafte  de  Religion, 
par  lequel  l'homme  reconnoît  la  Di- 
vinité de  celui  à  qui  il  l'offre  ,  prétend 
l'honorer  de  la  manière  la  plus  authen- 
tique ,  le  remercier  des  biens  qu'il  croit 
en  avoir  reçus,  &  lui  eh  demander  de 
nouveaux.  Dans  les  premiers  temps  du 
Paganifme  ,  le  culte  qu'on  rendoit  aux 
Dieux  étoit  très-fimple  :  les  Egyptiens  , 
fi  nous  en  croyons  Theophrafte  ,  cité 
par  Porphyre  (i),offroient  anciennement  (1)  Lib, 
à  leurs  Dieux,  non  de  l'encens  &  des  £bft-aP,E: 
parfums  ,  mais  de  Pherbe  verte  qu'ils  ucLZ  ' 
cueilloient  avec  les  mains ,  Se  qu'ils  leur 
prefentoient  comme  les  premières  pro- 
duirions de  la  nature.  Ovide  peint  très- 
bien  la  fimplicité  de  ces  premiers  Sacri- 
fices :  V encens  y  dit-il,  nrétoit  point  en- 
are.  venu  des  bords  de  VEuphrate  ,  nx  U 


CÏr 


444     La  Àlythologie  &  les  Fables 
cofîus  de  P  extrémité  de  F  Inde.  On  ne  con- 
fioijfoît  pas  encore  lefafran  ^&onfe  con- 
tent oit  de  mettre  fur  F  autel  de  F  herbe  ou  du. 
raurier. 

Thuya  nec  Eufhrates ,  me  miferat  India  coftum  , 
Kecfuera7it  rubri  cegnitafiia  croci. 


fJÛ  Faft»  !•!•       ^ra  àabatfumos  herbis  contenta  Sabinis  , 
Et  non  exiguo  Laurus  adiiftafoco  (i). 

Le  même  Theophrafte  ajoute  qu'on  joi- 
gnoit  la  libation  à  ces  anciens  Sacrifices  ; 
c'étoit  de  l'eau  fans  doute  qu'on  répan- 
doit  à  l'honneur  des  Dieux ,  car  les  Egyp- 
tiens dont  il  parle ,  ne  fe  fervoient  point- 
d'autre  liqueur  ,  comme  nous  le  dirons 
dans  la  fuite.  Pline ,  Macrobe ,  Plutarque  > 
Denys  d'Halicarnafle  ,  &  Thucydide  , 
parlent  fouvent  de  la  {implicite  des  Fêtes 
Se  des  Sacrifices  des  anciens  Egyptiens  , 
des  Grecs  &  des  Romains  y  comme  on. 
ii)DeOrig.  peut  je  wo'ir  jans  Voffius,  qui  les  a  cités 
doi.  pour  prouver  cette  vente  (2;. 

Cette  première  (implicite  dura  très- 
long-temps  .,  &  il  y  eut  des  lieux  où  elle, 
p)  in  Au.  fubfifta  toujours.  Paufanias  (3)  parlant 
d'un  Autel  d' Athenes,confacré  à  Jupiter 
le  Grand  ,  dit  qu'on  n'y  offroit  rien  d'a- 
nimé ,  &  qu'on  fe  contentoit  d'y  faire 
de  fimples  offrandes  l  fans  fe  fervir  megae. 


Bxpl.parPHifl.  Liv.  III.  Chàp.  X.  447 
de  vin  dans  les  libations.  Cette  coutume 
venoit  de  Cecrops  ,  lequel  en  réglant 
le  culte  des  Dieux  &  les  cérémonies  qu'il 
avoit  apportées  d'Egypte  dans  la  Grèce, 
avoit  ordonné  qu'on  ne  facrifiât  rien  qui 
eût  vie ,  &  qu'on  fe  contentât  d'offrir  de 
fimples  Gâteaux,  ainfîque  nous  l'appre- 
nons du  même  Auteur  (1).  (I)  Ia  **** 

Comme  Ton  facrifioit  les  mêmes  chofes 
dont  on  fe  nourriffoit ,  lorfqu'aux  herbes 
on  commença  à  fubftituer  le  pain  >  on 
employa  dans  les  Sacrifices  de  la  farine 
&  des  Gâteaux  qu'on  pétriffoit  avec  un 
peu  de  fel.  Horace  fait  allufïon  à  cette 
coutume  : 

Non  fumptuofa  blandior  hqflia 

Mollibit  averfos  Pinatzs 
.     Farre pio  ,   & f aient e  mica  (s.)-.  (2)L»3«Oi. 

On  joignoit  à  ces  Sacrifices  les  fruits  de 
la  terre  ,  le  miel ,  l'huile ,  le  vin  ;  mais 
lorfqu'on  vint  dans  la  fuite  à  fe  nourrir 
de  la  chair  des  animaux  ,  on  commença 
aufïi  à  en  immoler  en  l'honneur  des 
Dieux:  car  il  y  a  toujours  eu  un  rapport 
marqué  ,  entre  la  nourriture  des  hommes 
&  la  matière  des  Sacrifices  ,  puifque  la 
Loi  ordonnoit  qu'on  en  mangeât  une  * 
partie  ,  &  qu'ils  étoient  toujours  fuivis 
du  feftin.,  comme  on  le  verra  dans#la 
fuite., 


23. 


44^     La- Mythologie  &  les  Fable* 

II  feroit  difficile  de  décider  en  quel 
temps  commença  parmi  les  Payens ,  l'u- 
fage  des  Sacrifices  fanglans.  On  ne  pren- 
dra pas  pour  garant  de  cette  découverte 
Ovide  ,  qui  prétend  que  la  truye  fut  la 
première  Viftime  animée  qu'on  offrit, 
à  Cerès ,  à  caufe  des  ravages  que  cet  ani- 
mal fait  dans  les  champs.  Ctrèsfut  la  pre- 
mière qui  prit  plaifir  à  voir  couler  le  favg 
(Tune  truye  ,  pour  venger  par  la  mort  de 
cet  animal ,  les  ravages  qu'il  fan  dans  les 
champs  : 

Prima  Ceres  aviàot  gavfacjl  [angine  for  c  <z , 
G)  Faft.  la.  Ulta[uas  mente  cœde  nocentis  opes  (  i  ). 

Homère  nous  apprendra  du  moins  que 
l'ufage  de  ces  fortes  de  Sacrifices  étoit 
_  commun  du  temps  de  la  guerre  de  Troye, 
&  je  ne  crois  pas  que  nous  ayons  d'exem- 
ples plus  anciens.  Je  fçais  que  Paufanias 
parle  de  la  Victime  humaine  que  Ly  caon- 
(2)  Voyez  offrit  à  Jupiter  Lycaeus  (2)  ;  que  les  Au- 
^faj>«s, /»  teurs  des  Argonautiques  difent  que  les 
Héros  de  la  Toifon  d'or  avoient  mis  dans 
leur  Navire  une  Hécatombe,  pour  l'of- 
frir à  Apollon  :   qu'ils  parlent  d'un  Sa- 
crifice de  bêtes  fauves  prifes  à  la  chaffe, 
que  ces  mêmes  Héros  immolèrent  à  la 
place  des  autres  animaux  ;   mais  ces  au- 
torités font  moins  refpe&ables  qu'Ho- 
mère, le  plus  ancien  des  Poètes,  &.dè&- 


Expl.parPHift.  Liv.IIL  Ch.X.  447 
là  j  plus  proche  des  évenemens  qu'il  ra- 
contait. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  on  ne  fçauroit  dou- 
ter que  Tufage  des  Sacrifices  fanglans 
ne  foit  très-ancien  dans  le  Paganifme , 
s'il  eft  vrai ,  comme  l'ont  avancé  quel- 
ques Pères  de  l'Eglife  >  que  Dieu  n'agréa, 
ces  fortes  de  Sacrifices  ,   &  que  Moyfe 
ne  les  ordonna  aux  Ifraëlites  que  pour 
les  empêcher  d'en  offrir  aux  Dieux ,  com- 
me le  pratiquoient  les  Nations  voifînes. 
Mais  cette  idée  n'eft  nullement  exaéte  , 
&  il  eft  certain  que  dans  la  vraie  Reli- 
gion ,  ces  Sacrifices  font  auffi  anciens  que 
le  monde  ,   puifque  Caïn  offroit  à  Dieu 
les  fruits  de  la  terre  -,  Abel  lui  facrifioit 
des  Victimes  prifes  dans  fes  troupeaux  , 
Facium  efl  autem....  ut  ojferret  Gain  de 
fruclibus  terrœ  munera  Domino.  Abel  quo- 
que  obtulït  de  primogenitis  gregis  fui  y  Ù* 
de  adiplbus  eouim  (1)..  Noé  au  fortir  de  y  it2^^ 
l'Arche ,  offrit  à  Dieu  un  Sacrifice  de 
tous  les   animaux  purs  :   Et  tollens   de 
cunâiis  pecoribus  &  volantibus  mundisob- 
tulit  holocauftwn  fuper   altare  (2).     Or    (2)  Goût, . 
comme  l'Idolâtrie  n'eft  qu'une  corrup-  Vt  20 
fîon  de  la  vraie  Pvdigion ,  il  n'eft  pas 
douteux  qu'elle  en  ait  pris  les  pratiques  y 
êc  en  particulier  l'ufage  des  Sacrifices  fan- 
glans ,  &  cela >  dès  les  premiers  iîécles. 


448  La  Mythologie  &  les  Fables 
Cependant  il  n'en  eft  pas  moins  vrai  qu'ïf 
y  eut  des  Pays  où  cetufage  ne  fut  prati- 
qué que  fort  tard  ,  &  qu'on  ne  l'y  reçut 
qu'avec  une  répugnance ,  que  le  fait  que 
je  vais  raconter  ,  marquoit  affez.  Parmi 
les  Athéniens  le  Vi&imaire  ,  après  avoir 
frappé  l'animal  qui  devoit  être  immolé  , 
étoit  obligé  de  s'enfuir  de  toutes  fes> 
forces  :  on  le  fuivoit,  &  pour  n'être  pas- 
arrêté  j  il  jettoit  la  hache  dont  il  s'étoit 
fervi ,  comme  étant  feule  coupable  de 
la  mort  de  l'animal  qu'on  alloit  immoler. 
Ceux  qui  le  fuivoient  ,  fe  faifiiïbient  de. 
cette  hache ,  &  lui  intentoient  un  procès* 
Celui  qui  en  prenoit  la  défenfe ,  alleguoit 
qu'elle  étoit  moins  coupable ,  que  le  Re- 
mouleur qui  l'avoit  aiguifée  ;  le  Remou- 
leur pris  à  partie  ,  jettoit  la  faute  fur  la 
pierre  qui  avoit  fervi  à  Taiguifer  ,  ainiî 
de  fuite,  enforteque  le  procès  ne  finif- 
foit  jamais  ;  cérémonie  ridicule  à  la  vé- 
rité ,  mais  qui  prouvoit  Taverfion  que. 
les  Athéniens  avoient  pour  les  Sacrifices 
fanglans. 

Mais  il  eft  bon  de  remarquer ,  que  dans 
le  temps  même  qu'on  immoloit  des  Vic- 
times vivantes ,  on  n' avoit  pas  oublié  l'an-» 
cienne  forme  des  Sacrifices ,  qui  ne  con- 
jfiftoient  qu'en  herbes  ,  en  fel ,  &  en  fa- 
rine ;  &  on  Pemployoit  toujours  commq 


Expl.parPHiJl.  Liv.  III.  Ch.  X.  44P 

la  plus  propre  à  appaifer  les  Dieux \  ce 
qui  fait  dire  à  Horace  : 

Te  nthil  attinet 
Tentare  miùtâ  czàe  biàentium  (1).  (0 L.3. 0<?« 

Àinfî  j  au  rapport  de  Feftus  &  de  Servais, 
on  jettoit  toujours  de  la  farine  &  du  fel 
fur  les  Viftimes  ,  fur  le  feu  ,  &  fur  les 
couteaux  facrés.  Sal  &  far,  quod  dicitur 
mol  a  jalfa  >  quâ  &  frons  viâiimœ  ,  foci  y 
&  cultri  afperguntur  (2).  Numa  Pompi-  (2)Scm«^ 
lius  ,  félon  Pline  ,  avoit  même  interdit  m-2-Ea* 
aux  Romains  les  Viétimeslanglantes,  & 
leur  avoit  défendu  tout  autre  Sacrifice , 
que  ceux  où  Ton  employoit  les  fruits  ,  le 
fel  &  la  famine  (3  ).  Denys  d'Halicarnaf-  0)  Plin.  U 
fe  (4)  femble  attribuer  à  Romulus,  ce  I8^  1^.2. 
que  nous  venons  de  dire  de  Numa  ,  & 
il  ajoute,  que  cet  ufage  duroit  encore 
de  fon  temps  ,  quoiqu'on  y  eût  joint  ce- 
lui des  Sacrifices  fanglans.  Plutarque 
nous  fait  remarquer  qu'il  y  avoit  des 
Dieux  parmi  les  Romains,  entre-autres 
le  Dieu  Terme,  à  l'égard  defquels  on. 
confervoit  toujours  Fufage  ancien ,  de  ne 
leur  rien  offrir  d'animé» 

Enfin,  on  porta  dans  lafuite  la  fuperfti- 
tion  ,  jufqu'à  immoler  des  Viftimes  hu- 
maines. On  ne  fçait  pas  qui  a  été  le  pre- 
mier auteur  de  ces  Sacrifices  barbares; 


é£0  La  Mythologie  &  les  Fables 
mais  que  ce  foit  Chronos ,  ou  Saturne  y 
comme  on  le  trouve  dans  le  Fragment 
de  Sanchoniathon,  ou  Lycaon,  comme 
Paufanias  femble  l'infinuer,  ou  queh 
qu'autre" ,  il  eft  fur  que  cette  barbare 
coutume  paiTa  chez  prefquetous  les  Peu- 
ples connus.  Les  pères  eux-mêmes,pou£- 
fés  par  une  aveugle  fureur  ?  immoloient 
leurs  enfans ,  Se  les  brûloient  au  lieu 
d'encens.  Ces  horribles  facrifices ,  pref- 
crits  même  par  les  Oracles  des  Dieux, 
étoient  connus  des  le  temps  de  Mcyfe, 
&  faifoient  partie  de  ces  abominations 
que  ce  faint  Légiflateur  reproche  aux 
Amorrhéens.  Les  Pvioabites  immoloient 
leurs  enfans  à  Moloch  ,  &  les  faifoient- 
brûler  dans  le  creux  de  la  Statue  de  ce 
d)  Levit.  Dieu  (i).  Selon  Denys  d'Halicarnaf- 
€  (2)°liv.  5.  &  (2)  onfacrifïoit  des  hommes  à  Satur- 
ne, non-feulement  à  Tyr  Ôc  à  Cartha- 
ge ,  mais  dans  la  Grèce  même  &  dans 
l'Italie.  Les  Gaulois ,  fi  nous  en  croyons 
Ci)  Liv.  3.  Diodore  de  Sicile  (3)  ,  immoloient  à 
leurs  Dieux  leurs  prifonniers  de  guerre  ; 
ceux  de  la  Tauride  ,  tous  les  étrangers 
qui  y  abordoient.  Les  habitans  de  Pella. 
facrifîoient  un  homme  à  Pelée.  Ceux  de 
Tenufe  ,  ainfî  que  le  raconte  Paufanias , 
offraient  tous  les  ans  une  fille  vierge  au 
Génie  d'un  des  Compagnons  d'Ulyfle 


Expl.parPHÎft.  Liv.IILCh.X.  471 

qu'ils  avoient  lapidé  ;  &  Ariftomene 
Meffenien ,  immola  pour  une  feule  fois, 
trois  cens  hommes.  Strabon  (1)  parle  de 
ces  Sacrifices  abominables,  offerts  par 
les  anciens  Germains.  Saint  Athanafe  (2) 
dit  la  même  chofe  des  Phéniciens  &  des 
Cretois  ;  &  Tertullien  ,  des  Scythes  Se 
des  Afriquains.  On  voit  dans  Flliade 
d'Homère,  douze Troyens  immolés  par 
Ach.Ule  ,  aux  mânes  de  Patrocle.  Enfin, 
Porphyre  fait  un  long  dénombrement  de 
tous  les  lieux  où  l'on  immoloit  autrefois 
des  hommes  ,  entre  lefquels  il  met  Rho- 
des, Tlfle  de  Chypre ,  l'Arabie  ,  Athè- 
nes ,  &c. 

De  tous  ees  témoignages  joints  en- 
fembîe  ,  &  de  plusieurs  autres  qu'il  effc 
inutile  de  rapporter  ,  il  refuite  que  les 
Phéniciens,  les  Egyptiens  ,  les  Arabes,. 
les  Chananéens  ,  les  habitans  de  Tyr  & 
de  Carthage  ;  ceux  d'Athènes  &  de  La- 
cedemone  ,  les  Ioniens ,  toute  la  Grèce , 
les  E.omains  &  les  Scythes  îles  Alba- 
nois  ;  les  Allemans ,  les  Anglois ,  les  Es- 
pagnols, &  les  Gaulois,  étoient  égale- 
ment plongés  dans  cette  horrible  fuperf- 
tition. 

Feu  M.  l'Abbé  de  Boiffi ,  dans  une 
Differtation  qu'il  lut  à  l'Académie  des; 
Belles.  Lettres ,  &  dont  l'extrait  efi  im- 


4$ 2  La  Mythologie  &  les  Fables 
h)  Mem.de  primé  (i),  rapporte  l'origine  de  la  bar- 
VAc.  des  Bel.  bare  coutume  d'immoler  des  hommes ,  à- 
,I,p'47'  une  connoifTance imparfaite  du  Sacrifice 
d'Abraham.  Les  Chananéens ,  dit-il,  les 
Amorrhéens  &  les  autres  Peuples  voifins 
des  lieux  où  ce  feint  Patriarche  avoir 
pafle  fa  vie ,  entendirent  fans  doute  van- 
ter le  zèle  &  la  fermeté  de  ce  faint  hom- 
me ,  qui  n'écouta  pas  un  moment  les  fen- 
timens  de  fa  tendreiïe  pour  un  fils  uni- 
que ;  ils  fçurent  apparemment  quelque 
chofe  des  récompenfes  que  Dieu  pro- 
mit à  fa  fidélité  ;  &  ignorant  que  le  Sa- 
crifice n'avoit  pas  été  accompli  à  l'égard- 
.  de  ce  fils  bien  aimé  ,  ils  prirent  la  chofe* 
à  la  lettre  3  &  crurent  en  imitant  une  ac- 
tion fi  héroïque  ,  s'attirer  les  mêmes bé— 
tiédiftions  du  Ciel.  En  effet ,  ce  fut  Sa- 
turne ,  félon  les  Poètes  &  les  Hiftoriens , 
qui  introduifitla  déteftable  coutume  de 
facrifier  des  hommes.  Or  Saturne,  au' 
jugement  des  meilleurs  Auteurs,  efl  le 
même  qu'Abraham.  Les  preuves  en  font 
claires ,  mais  je  ne  dois  les  rapporter  que  ' 
dans  l'Article  de  ce  Dieu. 

Les  Anciens  ouvrirent  enfin  les  yeux 
fur  ces  Sacrifices  inhumains ,  &  les  éve- 
nemens  que  je  vais  raconter,  les  firent 
enfin  ceffer  peu  à  peu.  Un  Oracle  dit 
Plutarque;  ayant  ordonné  aux  Laccder 


Sxpl.  par  fflï/f.  Liv.III.  Ch.X.  45-3 
moniens  affligés  de  la  pefte ,  d'immoler 
une  Vierge  ;  &  le  fort  étant  tombé  fur 
une  jeune  fille  nommée  Hélène,  un  Aigle 
enleva  le  couteau  facré,  &  le  pofa  fur 
la  tête  d'une  Geniffe  ,  qui  fut  facrifiée  à 
fa  place.  Le  même  Plutarque  raconte  que 
Pelopidas  chef  des  Athéniens  ,  ayant  été 
averti  en  fonge ,  la  veille  d'une  bataille, 
d'immoler  une  Vierge  blonde  aux  mânes 
des  filles  de  Scedafjs  qui  avoient  été 
violées  &  maflacrées  dans  le  même  lieu, 
ce  Général  effrayé,  tint  confeil  fur  Tin- 
humanité  de  cette  forte  de  Sacrifice, 
qu'il  croyoit  déplaire  aux  Dieux  ;  & 
avant  vu  une  Cavalle  rouffe ,  il  l'immola 
parle  confeil  du  Devin  Theocrite ,  ÔC 
remporta  la  viâoire.  En  Egypte ,  Ama- 
fis  ordonna  qu'au  lieu  d  hommes  ,  on  of- 
frît feulement  des  figures  humaines.  Di~ 
philus  fubftitua  dans  l'Ifle  de  Chypre , 
des  Sacrifices  de  bœufs  à  ceux  des  hom- 
mes ;  &  Hercule  étant  en  Italie ,  des  tê- 
tes de  cire ,  nommées  OfcilLe  ,  à  des  vé- 
ritables hommes. 

.  Anciennement  les  chefs  de  famille  en 
étoient  également  les  Rois  &  les  Ponti- 
fes ,  &  c'étoient  eux  qui  offroient  les  Sa- 
crifices ;  mais  dans  la  fuite  on  eut  dans 
chaque  état  des  Prêtres  &  d'autres  Mi- 
niiîres  pour  cette  fon&ion ,  comme  nous 


4J4  La  Mythologie  &  les  Fables 
le  dirons  dans  le  Chapitre  fuivant  :  ce- 
pendant dans  le  temps  même  qu'il  y  avoit 
<les  Prêtres  établis ,  ces  chefs  de  famille 
conferverent  toujours  le  même  droit. 
Ainfi  on  peut  difcinguer  deux  fortes  de 
Sacrifices  ;  les  particuliers,  que  chacun 
pouvoit  offrir  chez  foi  à  fes  Dieux  La- 
res ,  ou  Pénates  {a) ,  &  les  Sacrifices 
publics  ,  établis  par  les  Loix  ,  &  pour 
lefquels  il  y  avoit  des  Miniftres  autori- 
fés ,  &  un  Pontife  qui  y  préfidoit.  Ces 
fortes  de  Sacrifices  s'offroient  à  Rome 
&  dans  la  Grèce  5  félon  certaines  règles , 
qu'on  étoit  obligé  d  obferver  exa#e- 
ment.  Ciceron  s'explique  ainfi  :  »  Nos 
*>  Ancêtres ,  dit-il ,  ont  donné  des  règles 
«  pour  les  chofes  divines  ;  enforte  que 
»  pour  les  cérémonies  établies  aux  gran- 
»  des  folemnités  ,  on  ait  recours  aux 
»  Pontifes  qui  en  font  bien  inftruits  ; 
»  que  pour  gérer  les  affaires  de  la  Re- 
»  publique  ,  on  s'adrefTe  aux  Augu- 
*>  res ,  Sec. 

Le  principal  foin  de  ces  Miniftres  con- 
fîftoit  à  bien  choifir  les  Vi&imes  ;  car  el- 
les dévoient  avoir  pour  être  agréables 
aux  Dieux ,  certaines  qualités  ,  dont  je 

(aS  Voyez  Virgile  ,  Eneid.  îiv.  3-  Qui  parle  du  Sr-crince 
qu'Enée  offrait  le  matin  a  Tes  Dieux  Pénates,  qui  lui  avaient 
apparu  en  fcnge. 


Expl.  par  PHiJî.  Liv.  III.  Ch.  X.  4;  J 

parlerai  dans  un  moment.  On  leur  don- 
noit  auffi  plusieurs  noms.  On  appelloit 
Frjccïdaneœ  hoJHx  y  celles  qu'on  immo- 
loitle  jour  d'avant  la  folemnité  ,  comme 
on  nommoit  prxc-:danea  porca-)  la  truye 
qu'on  facriîioit  à  Cerès  avant  la  moiiïbn. 
On  nommoit  [Succidanex  hojliœ ,  celles 
qu'on  facrifioit  lorfqu'on  avoit  manqué 
d'immoler  les  premières,  qui  dévoient 
précéder  ;  Se  c'eft  ainii  qu'on  expioit 
Fomiflîon.  Il  y  en  avoit  d'autres  qu'on 
nommoit  Eximiœhofliœ;  ce  mot  qui  ligni- 
fie excellent  y  n'étant  pas  pris  dans  fa  pro- 
pre lignification  ,  mais  pour  marquer 
qu'on  retiroit  ces  Vi&imes  du  troupeau, 
pour  être  immolées ,  eximehantur  greg?» 
Les  brebis  qui  avoient  deux  agneaux , 
qu'on  immoloit  avec  la  mère,  étoient 
nommées  Ambigu*  o-ves,  &les  Vi&imes 
-dont  les  entrailles  étoient  adhérentes, 
Harungœ  y  ou  Harugœ  (1),  celles  qui  M  Fai*e8* 
étoient  confumées  ,  Vrodïgix ,  celles  qui 
avoient  les  dents  plus  élevées  que  les 
autres  ,  Bidentes  (2).  (z)  H/gin 

De  quelque  nature  que  fuflent  les  Vic- 
times ,  il  en  falloit  faire  un  grand  choix  ; 
Se  les  mêmes  défauts ,  qui  parmi  les  Juifs 
les  excluoient  des    Sacrifices  (3),  les     (3)  Voy« 
rendoient  auffi  défeâueufes  parmi  les  leLcvit- 
Payens,  qui  paroiflbient  par-là  avoir  era- 


*tf'6  La  Mythologie  &  les  Fables 
prunté  plufieurs  ufages  des  Hébreux. 
Voflïus  ,  dans  fon  fçavant  Traite  de  1T- 
dolâtrie ,  eft  entré  fur  ce  fujet  dans  des 
délaits  Philologiques  extrêmement  re- 
cherchés ,  aufquels  je  renvoyé  les  Sça- 
vans.  Il  fuffit  de  dire  ici  avec  JùL  Pol- 
r-  lux  (-1  )  ,  que  la  Victime  devoit  titre  pu- 
*  re  ,  non  mutilée  ,  fans  tache  ,  fans  dé- 
faut ,  faine ,  ni  boiteufe  ni  contrefaite  : 
blanche  Se  en  nombre  impair  pour  les 
Dieux  celeftes  ,  noire  &  en  nombre  paix 
pour  les  Dieux  infernaux.  Enfin ,  choifie 
parmi  les  animaux ,  les  plantes,  ou  les 
fruits,  agréables  aux  Dieux  aufquels  on 
les  offroit;  car  on  n  immoloit  pas  toutes 
fortes  de  Vi&imes  indifféremment  à  cha- 
que Divinité.  Ordinairement  c'étoit  une 
truye  pleine  qu'on  offroit  à  Cybele  & 
à  la  DéefTe  Tellus  ;  le  taureau  à  Jupiter; 
à  Junon  ,  des  géniffes  ,  des  agneaux  fe- 
melles ,  des  brebis  ,  &  à  Corinthe  on  lui 
facrifioit  une  chèvre.  A  Neptune ,  un 
taureau  &  des  agneaux ,  comme  il  paroît 
par  Homère.  A  Pluton,  aufli  un  taureau 
noir ,  &  à  Proferpine  une  vache  noire  ; 
&  lorfqu'on  prenoit  cette  Déeffe  pour 
Hécate  ,  on  lui  immoloit  un  chien ,  ani- 
mal qu'on  croyoit  éloigner  en  abboyant 
les  fpe&res  qu  envoyoit  cette  Déeiïe. 
La  viâime  la  plus  agréable  à  Cerès, 

étoit 


jExpL  par  PHifl.  Liv.  III.  Ch.  X.  45*7 
létoient  le  verrat  &  la  truye.  On  lui  of- 
froit  aufïï  du  miel  &  du  lait.  A  Venus  9 
la  colombe  ,  le  bouc  ,  la  genifle  ,  un© 
chèvre  blanche ,  &c.  A  Bacchus ,  un 
bouc.  On  immoloit  la  vache  Se  le  tau- 
reau à  Hermione  ,  comme  nous  l'appre- 
nons d'Elien  (1),  qui  ajoute  ,  que  dans 
ces  Sacrifices  un  taureau,  qu'à  peine  dix 
hommes avoient  pu  dompter,  fuivoit  de 
lui-même  une  vieille  Prêtreffe  jufqu'à 
l'autel.  Au  Soleil,  quelquefois  du  miel , 
mais  les  Arméniens  &  les  Maffagetes  lui 
îmmoloient  des  chevaux.  A  Apollon  , 
car  fou  vent  il  étoit  diflingué  du  Soleil , 
on  ofFroit  le  bélier ,  la  chèvre ,  la  bre- 
bis y  Se  le  bouc  ;  Se  quand  on  le  confon- 
doit  avec  le  Soleil,  un  jeune  taureau  aux 
cornes  dorées ,  pour  marquer  fes  rayons: 
on  lui  ofFroit  aufli  un  corbeau.  A  Mars, 
le  cheval,  le  taureau >  le  verrat,  Se  le 
bélier:  les  Lufitaniens  lui  immoloient 
des  boucs,  des  chèvres,  &  quelquefois 
leurs  ennemis.  Les  Scythes  lui  offraient 
des  ânes,  &lesCariens  des  chiens.  Ho- 
mère nous  apprend  que  les  Vi&imes  les 
plus  agréables  à  Minerve ,  étoient  le 
taureau  Se  l'agneau  ,  ou  ,  félon  Fulgen- 
ce  Planciadès,  des  bœufs  qui  n'avoient 
point  encore  été  feus  le  joug.  A  Diane, 
des  cerfs,  des  chèvres,  fur-tout  parmi 
Tome  I.  Y 


4)  8  La  Mythologie  &  les  Fables 
les  Athéniens ,  &  en  quelques  endroits  , 
des  vaches.  Aux  Dieux  Lares  ,  un  jeune 
taureau ,  ou  un  agneau  femelle  ,  félon  les 
facultés  de  ceux  qui  facrifïoient.  On  leur 
immoloit  auffi  des  cocqs  &  des  hiron- 
delles, &  le  cochon,  d'où  ils  prirent  lç 
nom  de  Grunatles. 

Enfin,  chaque  Dieu  avoit  fon  animal, 
ou  fon  arbre ,  ou  fa  plante  favorite.  Par- 
mi les  animaux  le  lion  étoit  confacré  à 
Vulcain  ;  le  loup  à  Apollon  &  à  Mars  ; 
le  chien  ,  aux  Dieux  Lares  &  à  Mars  ;  le 
dragon,  à  Bacchus  &  à  Minerve;  les 
griffons  à  Apollon  \  les  ferpens  à  Efcu- 
lape  ;  le  cerf  à  Hercule  ;  l'agneau  à  Ju~ 
lion  ;  le  cheval  à  Mars  ;  la  geniffe  à  Ifis. 
Parmi  les  oifeaux,  l'aigle  l'étoit  à  Jupi~ 
ter;  le  paon  à  Junon;  la  chouette  à  Mi- 
nerve ;  le  vautour  &  le  pivert  à .  M  ars  ;  le 
cocq,  au  même  Mars,  à  Efculape,  à 
Apollon  &  à  Minerve  ;  la  colombe  &  le 
moineau  à  Venus  ;  les  alcyons  à  Tethys; 
Je  phénix  au  Soleil ,  &  la  cigale ,  efpece 
d'infefte  qui  vole ,  à  Apollon.  Parmi  les 
poiffons ,  qui  appartenoient  tous  à  Nep- 
tune, la  conque  marine,  &  le  petit  poif- 
fon  nommé  Apua ,  que  Feftus  dit  être 
produit  par  la  pluye,  étoient  chers  à 
Venus  ,  &  le  barbeau  ,  à  Diane.  Parmi 
les  arbres  &  les  plantes,  le  pin  étoit  con^ 


Expl.  par  Vtëfl.  Liv.  III.  Ch.  X.  4;<j 
fâcré  à  Cybele ,  'à  caufe  d' Atys  ;  le  hêtre 
à  Jupiter  ;  le  chêne  &  fes  différentes  es- 
pèces j  à  Rhea  ;  l'olivier  ,  à  Minerve  ;  le 
laurier,  à  Apollon,  après  l'avanture  de 
Daphné;  le  rofeau,  à  Pan,  après  celle 
de  Syrinx;  le  lotus ,  &  le  myrte,  étoîent 
auiîî  confacrés  à  Apollon  &  à  Venus  ;  le 
cyprès,  àPluton  ;  lenarciffe&l'adiante, 
qu'on  nomme  aullï  le  clou  de  Venus ,  à 
Proferpine  ;  le  frêne  &  le  chiendent ,  à 
Mars  ;  le  pourpier ,  à  Mercure  ;  le  myr- 
te &  le  pavot,  à  Cerès;  la  vigne  St  le 
pampre,  à  Bacchus  ;  le  peuplier  à  Her- 
cule ;  le  dyftime  &  le  pavot ,  à  Lucine  ; 
Fa  1,  aux  Dieux  Pénates  ;  l'aune,  ie  cè- 
dre ,  le  narcifle  &  le  genièvre  ,  aux  Eu- 
menides  ;  le  palmier ,  aux  Mufes  ;  le  pla- 
tane ;  aux  Génies;  l'aulne ,  au  Dieu  Syl- 
vain ;  le  pin  à  Pan ,  &c. 

Si  vous  exceptez  quelques  raifons 
fymboliques  qu'on  a  rapportées  en  pa£- 
fant ,  de  ces  fortes  de  confécrations ,  il 
n'eft  pas  pofïïble  de  diviner  les  autres  :  il 
y  a  apparence  que ,  comme  ancienne- 
ment ,  &  dès  les  premiers  temps,  l'Ido- 
lâtrie ne  connoifîbit  pas  toutes  ces  dif- 
tin&ions,  ni  de  Viftimes  ,  ni  d'êtres  fpe- 
cialement  confacrés  à  quelque  Divinité, 
à  Pexciufîon  des  autres ,  tout  ce  raffine- 
ment fut  imaginé  par  les  Prêtres  ,  qui  fe 

Vij 


4^0     La  Mythologie  &les  Fables 
propofoient  d'imprimer  par-là  plus  de 
vénération  pour  les  Dieux, 

La  Viftime  étant  choifie  de  la  maniè- 
re que  j'ai  dit,  on  la  paroit  de  rubans  & 
de  bandelettes  ;  on  lui  doroit  les  cor- 
nes ,  on  mettoit  fur  fa  tête  des  gâteaux, 
Cî^toutccla  du  fruit  &de  l'encens  mâle  (i)  ;  c'eft  ce 
^eraiPp°our    <}u?on  appelloit  l'immolation ,  immolant 
Enfuite  venoit  la  libation  ;  c'étoit  du  vin 
qu'on  prenoit  foi-même ,  &  qu'on  fai- 
foit  goûter  aux  affiftans.  Puis  Ihabatur  ; 
c'eft-à-dire  ,  que  le  Prêtre  prenoit  quel- 
ques poils  entre  les  cornes  de  la  Vîôi- 
me ,  les  jettoit  dans  le  feu ,  &  enfin  après 
s'être  tourné  du  côté  de  l'Orient ,  or- 
donnoit  au  Viftimaire  d'égorger  la  Vic- 
time. A  peine  étoit-elle  morte  ,  que  le 
Prêtre  lui  enfonçoit  dans  les  entrailles  le 
couteau  facré,  pour  voiriî  le  Sacrifice 
étoit  heureux,  an  perlit atum  foret  >  Se 
l'Harufpice  les  examinoit,  pour^en  tirer 
un  augure  favorable.  Enfuite  on coupoit 
la  Vi&ime  en  pièces,  on  lesfaifoil  cuire, 
&  on  les  diftribuoit  pour  le  feftin.  Ceux 
qui  l'égorgeoient ,  étoient  nommés  Vie- 
tïmarii,  Popœ ,  Cultrariï.  Le  Prêtre  ,  ou- 
tre les  habits  deftinés  à  fes  fondions ,  ne 
manquoit  pas  de  porter  fur  fa  tête  une 
couronne  de  branches  ou  de  feuilles  de 
£arbre  qui  étoit  fpécialement  confacré 


Expl.  par  PHijï.  Liv.  III.  Ch.  X.  46r 

au  Dieu  pour  qui  étoit  le  Sacrifice  ;  com- 
me, de  chêne  pour  Jupiter,  de  laurier 
pour  Apollon  ,  de  peuplier  blanc  pour 
Hercule,  de  pampre  pour  Bacchus,  de 
cyprès  pour  Pluton  ;  ainfï  des  autres. 

Mais  comme  il  y  avoit  différentes  for- 
tes de  Sacrifices,  Pholocaufte ,  le  Sacri- 
fice expiatoire  ,  le  Sacrifice  d'aétions  de 
grâces  ,  &  plufieurs  autres,  on  agifîbit 
différemment  par  rapport  à  la  Viftime. 
Dans  Pholocaufte  ,  elle  étoit  entière- 
ment confumée  par  le  feu  ,  fans  qu'il  en 
reftât  rien.  Quelquefois  on  repandoit 
feulement  le  fang  autour  de  Pautel  ;  on 
brûloitdeffuslesgraiffes  qui  entouroient 
les  vifceres>  &  on  emportait  le  refte,  ou 
on  le  mangeoit  près  du  lieu  même  de 
l'immolation.  Il  y  avoit  des  portions 
aufquelles  le  Prêtre  feul  avoit  droit  de 
toucher,  les  autres  étoient  diftribuées 
ou  emportées.  Il  paroît  même  que  par- 
mi les  Gentils ,  tout  ce  qui  étoit  pour  Yur 
fage  de  la  nourriture  ordinaire ,  fur-tout 
la  chair  des  animaux,  avoit  été  offert 
auparavant  en  Sacrifice  ;  &  de-là  vint 
l'attention  qu'avoient  les  premiers  fidè- 
les ,  lorfqu'ils  vivoient  au  milieu  des 
Payens  ,  de  prendre  garde  de  ne  point 
manger  de  viandes  qui  euffentété  offer- 
tes aux  Idoles.  Si  cette  idée,  qui  a  été 

Y  iij 


4^2  La  Mythologie  &  les  Fables 
fuivie  par  quelques  Auteurs ,  &  qui  pâ- 
roît  fondée  fur  l'Antiquité  ,  n'eft  pas 
exaftement  jufte ,  du  moins  eft-il  vrai  que 
tous  les  feflins  publics  étoient  précédés 
de  Sacrifices  ,  dont  on  mangeoit  les 
viandes ,  ainfï  que  le  dit  formellement 
*  Athénée  (i)  :  pour  s'en  convaincre ,  on 
n'a  qu'à  lire  Homère  ,  Virgile  ,  &  d'au- 
tres Anciens. 

On  peut  conclure  de  ce  qu'on  vient  de 
dire,  qu'il  devoit  y  avoir  dans  les  Tem- 
ples ,  &  dans  les  autres  lieux  où  on  fa- 
crifîoit,  différentes  places  marquées;  les 
unes  pour  préparer  la  Viftime ,  d'autres 
pour  l'égorger,  d'autres  pour  en  faire 
cuire  la  chair,  d'autres  enfin  pour  célé- 
brer le  feftin  ;  lequel ,  quoiqu'un  afte  de 
Religion ,  étoit  fort  gai ,  &  toujours  ac- 
compagné de  danfe ,  de  mufique ,  & 
d'hymnes  chantés  en  l'honneur  des 
Dieux.  Les  Devins,  chez  les  Grecs, 
comme  Calchas,  Mopfus,  Amphiarée, 
&  plulieurs  autres;  &  les  Harufpices 
chez  les  Romains ,  affiftoient  aux  Sacri- 
fices, pour  confulter  les  entrailles  de  la 
Viftime  ,  &  en  dire  leur  fentiment.  C'é- 
toient  eux  qui  ordonnoient  le  temps,  la 
forme,  &  la  matière  des  Sacrifices,  fur- 
tout  dans  les  occalîons  importantes  ;  & 
on  ne  manquoit  guère  alors  de  les  con- 


Ëxpl.  par  PHijl.  Liv.  III.  Ch.  X.^6^ 
fulter ,  &    de    fuivre    leurs    décidons. 
11  n'étoit  pas  toujours  neceffaire  de 
Conduire  la  Viftime  vivante  auprès  des 
Autels  ,  puifque  faute  d'autres  animaux, 
on  en  alloit  tuer  à  la  chaffe ,  comme  nous 
l'avons  dit,  pour  les  immoler  enfuite. 
L'animal  même  n'étoit  pas  offert  entier 
aux  Dieux  ;  les  cuifTes  étoicnt  le  mor- 
ceau qui  leur  étoit  deftiné ,  ainfî  que  Pau- 
fanias  (i)  l'a  remarqué  en  gênerai  pour  ^OinAt^!. 
les  Sacrifices  des  Grecs;  &  on  faifoit  pf^W  A 
brûler  cette  partie  de  la  Viftime  fur  un 
feu  clair ,  de  bois  coupé    par    éclats. 
Apollonius  de  Pvhodes  (2)  dit  la  même     (1)  |iîv.  1. 
chofe  :  Ils  égorgent,  dit-il ,  deux  bœufs 5  *  43i* 
les  coupent  par  quartiers,  &  enfuit e  par 
morceaux,  ils  en  feparent  les  civffes  voti- 
ves ;  &  après  les  avoir  couvertes  de  la 
gra'Jfe  ,  ou  de  Tomentum  qui  ef  gras  ,  ils 
les  font  griller  fur  des  éclats  de  bois. 

Les  libations  accompagnoient  tou- 
jours les  Sacrifices  :  c'étoit  une  liqueur 
qu'on  repandoit  en  l'honneur  du  Dieu  à 
qui  on  offroit  le  Sacrifice  ,  &  fou  vent  le 
Sacrifice  même  n'étoit  qu'une  fimple  li- 
bation. Anciennement  ce  n'étoit  que  de 
l'eau  qu'on  repandoit ,  lorfque  Pufage 
du  vin  n'étoit  pas  établi ,  ou  ne  l'était 
qu'en  quelques  endroits;  &  ce  qui  pa- 
roîtra  furprenant ,  c'eft  que    pkifieurs 

V  iiij 


4^4     La  Mythologie  &  les  Fables 
Peuples  qui  celebroient  les  Orgies ,  oh 
les  Bacchanales  ,  ignoroient  ,    ou  du 
1 1 J  i;r.  i  moms  ne  faifoient  aucun  ufage  du  vin. 
'     Les  Perfes  ,  au  rapport  d'Hérodote  (  i  ), 
nebeuvoient  que  de  Peau.  On  doit  dire 
k  même  chafe  des  Nations  du  Pont,  des 
Cappadociens ,  &  des  Scythes.   Com- 
ment les  Arcadiens,  qui  anciennement 
ne  vivoient  que  de  glands ,  ou  plutôt  de 
quelques  châtaignes  fauvages  ;  comment 
les  Troglodytes  ,  le   Lfthyophages  ,  Se 
une  infinité  de  Peuples  errants ,  qui  vi- 
voient au  milieu  des  bois  ou  dans  des 
grottes ,   auroient-ils  connu  lufage  du 
vin  ?  Ils  avoîent   cependant  une   Reli- 
gion^ des  Sacrifices  &:  des  Libations» 
Des  Peuples  même  plus  polis,  &  qui  en 
connoiiîoknt  l'ufage  ,    tels  que  les  E- 
De  îfid    gyptiens ,  n'ofoient ,  fi  nous  en  croyons 
k  ofc!   *  '  Plutarge  (2  • ,  en  porter  dans  les  Tem- 
ples. En  effet  avant  Pfammeticus ,  les 
Egyptiens  n'en  ufoient  point  du  tout* 
&  n'en  offroient  point  à  leurs  Dieux, 
croyant  qu'il  ne  leur  étoit  pas  agréable, 
puisqu'ils  le  regardoient  comme  le  fang 
des  Titans ,  qui  mêlé  avec  la  terre ,  après 
que  Jupiter  les  eut  foudroyés,  avoit  pro- 
duit la  vigne. 

Quoiqu'il  n'y  eût  point  de  temps  mar- 
qué pour  les  Sacrifices  particuliers  y  oa 


Expl.parPHiJl.  Lïv.  III.  Chap.  X.  465* 
ebfervoit  cependant  très-religieufement 
dans  les  Sacrifices  publics  ,  de  prendre 
le  matin  pour  les  Dieux  celeftes  ,  &  le 
foir  ou  la  nuit,  pour  les  Dieux  terres- 
tres ou  infernaux.  Les  Sacrifices  faits  en 
l'honneur  de  ces  derniers,  exigeoient  des' 
cérémonies  quileur  étoient  particulières. 
On  ne  leur  immoloitque  des  vi&imes 
noires  ;  on  faifoitune  foffepour  enrece- 
voir  le  fang ,  &  on  y  jettoit  le  vin  de  la- 
libation.  On  brûloir  la  viftime  entière 
comme  dans  les  holocauftes ,  fans  en  re- 
ferver  rien  pour  le  feftin  ;  car  il  n'étoit 
pas  permis  de  manger  les  viandes  qui 
étoient  offertes  aux  Dieux  infernaux  <5c 
aux  Mânes  (1).  rn  Voyew 

*  Enfin  il  eft  bon  de  remarquer  après*  oree~" 
Lucien  (2)  ,  que  les  Sacrifices  étoient  00  Detfao»- 
differens  félon  la  qualité  des  perfonnes*- 
Le  Laboureur ,  dit-il ,  immole  un  bœuf;-- 
k  Berger  y  tm  agneau  ;  le  Chevrier,  une- 
chevre  :  il  y  en  a  qui  n'offrent  que  de  [im- 
pies gâteaux  ou  de  V  encens  \  &  le  pauvre 
faitjonfacrifice  en  baifantfa  main  droite»- 
Remarquons  encore  que  les  Sacrifices 
étoient  devenus  fi  communs,  qu'on  erv 
offroit  dans  prefque  toutes  les  occafïons 
de  la  vie  ;  puifqu'outre.  ceux  qui  éioienfc: 
prefcrits  par  les  Rituels,  les  Généraux. 

d'armée  en.  officient  avant  la  bataàUe^ 


^66     La  Mythologie  &  les  Fables 

amiî  qu'on  le  voit  dans  les  anciens  Au- 

j):nMen.  teurSjparticulierementdansPaufanias  (i): 
ceux  qui  vouloient  fonder  quelque  ville, 

(i)  ibid.  comme  ilparoît  par  le  même  Auteur  (2)  : 
lorfqu'on  vouloit  entreprendre  quelque 
voyage  :  dans  les  maladies  ,  dans.les  af- 
faires y  après  quelque  fonge  ;  enfin  on 
n'entreprenoit  rien  de  considérable,  fans 
avoir  auparavant  imploré  le  fecours  des 
Dieux  par  cetafte  de  Religion. 

;3)   Prep.      Eufebe  rapporte  (3)  un  païîàge   de 

»ng-  ' 3'  Porphyre  au  fujet  d'un  Oracle  d'Apol- 
lon 3  qui  prefcrivoit  la  forme  des  Sacri- 
»  fices.  »  Il  y  a,  difoit Porphyre,  d'après 
»  un  Oracle  \  des  Dieux  de  la  terre  ,  & 
»  des  Dieux  des  enfers.  On  leur  offre 
»  des  victimes  à  quatre  pieds  ,   de  cou- 

*  leur  noire  ;  mais  avec  cette  différence , 
»  que  pour  les  Dieux  terreftres ,  on  pre- 
»  fente  les  vi£Hmes  fur  des  Autels ,  & 
»  pour  les  Dieux  infernaux  dans  des  fo£» 
»  fes,  &  dans  des  lieux  creux.  Aux  Dieux 
»  de  Fair  on  immole  les  oifeaux  ,  dont 
»  on  brûle  tout  le  corps  en  holocaufle , 

*  &  dont  on  répand  le  fang  autour  de 
»  l'Autel.  On  offre  aufli  des  volatiles 
»  aux  Dieux  marins ,  mais  il  faut  qu'on 

*  jette  la  libation  dans  les  flots  ,  &  que 
»  les  oifeaux  foient  de  couleur  noire  ». 
D'où  Ton  peut  conclure  cja'on  offroit 


Expl.parrnljl.Uv.îlî.  Ch.  X.  467 
aux  Dieux  celeftes  des  oifeaux  blancs, 
ainfi  que  les  vi&imes  blanches ,  comme  je 
l'ai  déjà  remarqué.  Mais  il  faut  obferver 
encore,  r.  qu'à  Rome,  lorfque  la  vic- 
time avoit  quelques  taches ,  on  la  blan- 
chiiîoit  avec  de  la  craye ,  &  cette  forte 
de  vi&ime  s'appelloit  ,  bos  cretatus. 
2°.  qu'on  offroitaux  Dieux terreftres  des 
bêtes  à  quatre  pieds  ,  pourvu  qu'elles 
fuiTent  noires  ;  comme  devoit  être  le  co- 
chon qu'on  immoloit  à  Cerès  ,  parce 
que ,  comme  le  remarque  le  même  Por- 
phyre ,  la  terre  eft  de  couleur  brune. 
3~.  Enfin,  que  comme  les  bandelettes  , 
dont  on  ornoit  la  tête  des  viftimes  offer- 
tes aux  Dieux  du  ciel ,  dévoient  être 
blanches  ,  celles  dont  on  paroit  les  ani- 
maux deftinés  aux  Sacrifices  qu'on  faifoit 
aux  Dieux  terreflres  &  infernaux  dé- 
voient être  noires  (a). 

Les  Sacrifices  ne  fe  faifoient  pas  tou- 
jours ,  comme  on  l'a  remarqué ,  en  im- 
molant des  animaux  :  fouvent  on  ne 
prefentoit  aux  Dieux  que  des  fruits  &  des 
plantes,  comme  à  Pomone  &  à  d'autres 
Divinités  ;  fouvent  delà  farine  cuite,  ou 
des  gâteaux  de  fatine  de  bled ,  ou  d'or- 

|V]  le  mot  litin  cœnclcus ,  dont  on  fe  fert  pour  exprimer 
la  couleur  de  ces  bandelettes ,  eft  fouvent  pris  par  les  meil- 
leurs Aireurs  ,  pour  marquer  le  noir  ,  quoiqu'il  s'entende 
ordinairement  du  bleu  foncé 

V  vj 


468  La  Mythologie  &  les  Fables 
ge.  Les  Grecs  en  offroient  dans  tous  leurs 
Sacrifices ,  de  quelque  nature  qu'ils  fuf- 
fent.  Homère  nomme  ces  gâteaux  &>#%>- 
••ruç  ;  d'autres  s'appelloient  popaua  &  pro~ 
■fhymata-y  &  ceux-ci  étoient  principale- 
ment offerts  à  Efculape.  Une  autre  for- 
te de  gâteau  étoit  nommé  bos ,  le  bœuf, 
farce  qu'on  y  figuroit  des  cornes ,  & 
il  étoit  deftiné  à  Jupiter  celefte  ,  à  A- 
pollon ,  à  Diane  ,  à  Hécate  &  à  la 
Lune.  Il  y  en  avoit  d'autres  qu'on  nom- 
moit  melyta ,  parce  qu'ils  étoient  pétris 
avec  du  miel ,  &  ceux-ci  étoient  offerts 
à  Trophonius.  Enfin,  pour  tout  dire, 
51  y  avoit  une  autre  forte  de  gâteaux , 
qui  fe  nommoit  Artfca,  une  autre  appel- 
■îéeHygiea,  qu'on  offroit  à  la  DéefTe  de 
la  fanté. 

A  Rome  c'étoitavec  de  la  farine  de 
bled  &  du  fel ,  que  fe  faifoient  ces  gâ- 
teaux j  qu'on  nommoit  Ador ,  &  les  Sa- 
crifices qu'on  en  faifoit  Adorea  Sacrifi- 
cia.  Suivant  la  Loi  de  Romulus ,  ces  gâ- 
teaux dévoient  être  cuits  au  four;  &il 
inftitua  pour  cela  la  Fête  appellée  For- 
tiacaïia  •  d'où  vint  dans  la  fuite  la  DéefTe 
Fornax. 

Après  que  la  viétime  étoit  égorgée,, 
\\  y  avoit  des  Miniftres  qui  tenoient  des 
irafes  prêts  pour  en  recevoir  le  iàng.* 


Explpar  PHift.  Liv.IIL  Ch.X.  469 

d'autres  qui  avoient  à  la  main  des  inftru- 
mens  ,  ou  pour  l'écorcher  ,  ou  pour  la 
couper  en  plufieurs  morceaux.  J'ai  dit 
que  l'Harufpice,  le  Flamine,  ou  le  Prê- 
tre examinoit  les  entrailles  delà  viétime, 
Exta  ,  pour  en  tirer  des  Augures  favo^ 
râbles,  il  faut  ajouter  ici,  i°.  que  le 
cœur ,  le  foye,  le  poulmon  &la  rate, 
étoient  le  principal  fujet  de  leur  atten- 
tion :  2°.  que  c'étoit  de  l'infpeâion  de& 
entrailles ,  qu'étoit  venue  la  manière  de 
deviner,  qu'on  nommoit  Extifpicium  ~ 
30.  qu'on  obfervoit  auïïï  le  mouvement 
delà  queue  ,  au  moment  que  la  viôime 
©xpiroit.  Si  elle  fe  tordoit,  cela  mar- 
quoit  une  entreprife  difficile  :  lorsqu'el- 
le fe  tournoit  en  bas,  on  en  auguroit* 
une  défaite  ;  &  fi  elle  s'élevoit  en  haut  5 
c'étoit  la  marque  d'un  triomphe  completr 
40.  qu'on  tiroit  encore  des  prefages  fur 
la  manière  dont  l'encens  petilloit  en  brû- 
lant ,  ainfi  que  de  la  fumée  «Se  de  fes  dif- 
ferens  mouvemens  ou  contours. 

Lorfque  le  Sacrifice  étoit  fini ,  fi  l'au- 
gure en  étoit  favorable ,  c'étoit  alors  un 
Sacrifice  parfait,  ce  qu'on  exprimoit  par 
Ife  feul  mot  Lit  are  ;  car  tous  n'étoient  pas 
agréables  à  la  Divinité  à  laquelle  on  les 
odîroit,  comme  le  dit  Martial  (  1  ) ,  [1] iiv.  », 

ïaten  qiiacumquç  manu  viCîima  exfa  Ut  ai,  *  ' 


47^    La  Mythologie  &  les  Fables 

«InPœn.  piaute  dit  auffi (l)  , 

5/  Hercule  iftv.c  unquamfafium  efl ,  mm  me 
JiipterfaciatyUtfim^erfùcrifcem^nuncjianliie'm. 

Si  je  fuis  coupable  de  ce  dont  vous  rrïac* 
cujezyje  confens  que  Jupiter  ne  reçoive  fa- 
vorablement aucun  des  Sacrifices  que  je  lui 
offrirai. 

Ainfî  il  ivy  avoit  point  de  véritable 
Sacrifice  fans  la  Litation  ,  s'il  efl  permis 
de  rendre  ce  motfrançois. 

Tous  les  Afliftans  étoient  obligés  de 
garder  le  filence  pendant  qu'on  égorgeoit 
la  viétime  >  &  qu'elle  brûloit  fur  l'Autel  : 
dans  l'intervalle  de  ces  deux  opérations , 
on  pouvoit  s'entretenir  les  uns  avec  les 
autres  ;  d'où  étoit  venu  le  proverbe  , 
inter  cœfa&  porrecîa. 

Lorfque  le  Prêtre  alloit  facrifier ,  un 
Héraut  crioit  devant  lui ,  hoc  âge,  foyez 
uniquement  attentif  à  ce  que  vous  allez 
faire.  Et  en  Grèce ,  lorfqu'il  approchoit 
de  l'Autel  y  il  demandoit  ;  Qui  efl  ici  ? 
êc  les  Afliftans  rep  ondoient  :  Plufeurs 
pers  de  bien.  Alors  le  Prêtre  prononçoit 
la  formule ,  Loin  dywi  toutfcelerat  ,  que 
les  Romains  rendoient  par  ces  mots  , 
procul  ejle  prof  ara.  On  avoitfur-tout  grand 
foin  d'enchalTer  les  voleurs  ,  les  meur- 
triers ,  &  tous  les  gens  de  mauvaife  vie  : 
mais  cela  n'étoit  pas  gênerai  >  du  moins 


Expl.par  PBJî.  Liv.IIL  Cx apX  471 

dans  la  Grèce  ,  pour  tous  les  Sacrifices. 

Les  Prêtres  qui  facrifioient  avoient 
ordinairement  la  tête  voilée  ;  je  dis  or- 
dinairement ,  parce  qu'il  y  avoit  des  Sa- 
crifices où  ils  dévoient  être  tête  nue.  On 
n'eft  pas  trop  d'accord  fur  cette  diftinc- 
tion  ;  cependant  Fabretti  (1)  croit  qu'on  (i)CoLTïA 
fe  voiloit  la  tête ,  pour  facrifier  aux  douze  p' l69' 
grands  Dieux ,  &  qu'on  facrlfioit  aux 
autres  la  tête  découverte.  Plutarque 
femble  infinuer  que  le  Prêtre  ne  fe  cou- 
vroit  la  tête  que  lorfqu'il  facrifioit  aux 
Dieux  celeftes ,  puifqu'il  dit  que  celui 
qui  offroit  le  Sacrifice  à  Saturne  ,  avoit 
la  tête  nue ,  parce  que  c'étoit  un  des 
Dieux  infernaux.  Les  bas-reliefs  antiques 
qui  reprefentent  les  Sacrifices ,  tels  qu'on 
peut  les  voir  dans  le  P.  de  Montfaucon 
(2)  Se  ailleurs ,  n'autorifent  gueres  ces  Ci)  Anc.Efp* 
diflinftions.  On  fçait  feulement  qu'en  T'z* 
Grèce ,  le  Sacrificateur  étoit  toujours 
tête  nue. 

Le  Prêtre  ,  avant  que  de  facrifier  y 
devoit  s'y  préparer  fur-» tout  par  la  con- 
tinence ,  durant  la  nuit  qui  le  précedoit  * 
&  par  l'ablution  ;  &  c'eft  pour  cela  qu'à 
l'entrée  du  Temple  il  y  avoit  ordinaire- 
ment de  l'eau ,  où  il  fe  purifioit.  Il  paroît 
qu'anciennement  on  alloit  fe  laver  dans 
quelque  fleuve  >  du  moins  Virgile  (3)  fait     (i)En.L.a* 


4?2     La  Mythologie  &  les  Fables 

dire  à  Enée  prêt  à  offrir  un  Sacrifice  r 

qu'il  ne  facrifiera  point  avant  que  de 

s'être  purifié  dans  Peau  d'un  fleuve  : 

Donec  meflumine  vivo 

Abluero. 

Mais  il  eftbon  de  remarquer  que  cette: 
ablution  n'étoit  requife  que  dans  les  Sa- 
crifices qu'on  offroit  aux  Dieux  céleftes;. 
l'aiperfion  étant  fuffifante  pour  les  Dieux; 
terreftres  &  infernaux.  On  ne  facrifioit 
jamais  à  Rome,  qu'on  n'eût'  commencé 
par  adreffer  une  prière  à  Janus  ,  par  la 
raifon ,  dit  Ovide ,  qu'il  étoit  gardien  de- 
la  porte  qui  conduifoit  aux  autres  Dieux. 
Cette  prière  étant  finie ,  on  en  faifoit  une. 
féconde  à  Jupiter ,  puis  une  troifieme  à 
Junon  ,  ou  félon  d'autres ,  à.Vefta.  Le 
Prêtre  faifoit  enfuiteplufieurs  fois  le  tour 
de  l'Autel  ,  &portoitlamainàlabouche; 
puis  il  verfoit  du  vin  fur  le  même  Autel 
avec  la  patere  :  enfin  il  ordonnoit  au  Vic- 
timaire  de  frapper  la  victime  ;  ce  qu^il  fai- 
foit ,  ou  avec  le'  couteau  nommé  Stctf- 
pita  ,  ou  il  l'aïTommoit  d'un  coup  do 
maillet. 

Le  P.  de  Montfaucon  (i)  explique  la 
plupart  des  Sacrifices  qu'on  trouve  en- 
core reprefentés  fur  des  marbres  ,  &  fun 
des  bas-reliefs;  ce  qui  me  difpenfe  d'enu 
garlerici;  d'autant  plus  que  fes  exglka- 


Expl. par PHift. Li v.III. ChapX  475 

tions  fuppofent  les  figures  qu'on  doit 
avoir  devant  les  yeux  ;inais  comme  par- 
mi le  grand  nombre  de  ces  Sacrifices  ,  il 
y  en  avoit  de  plus  folemnels  que  les 
autres  ,  tels  que  font  PHecatombe  ,  le 
Taurobole  ,  le  Criobole  ,  &  quelques 
autres  ,  je  crois  qu'on  attend  de  moi  que 
j'en  donne  ici  un  détail  abrégé.  Hécatombes. 

Dans  les  grandes  victoires ,  ou  dans  le 
temps  de  quelque  calamité  publique  ,  on 
immoloit  quelquefois  dans  le  même  Sa- 
crifice ,  jufqu'à  cent  bœufs ,  ou  cent 
autres  animaux  ;  c'eft  ce  qu'on  appelloit 
Hécatombe  :  quelquefois  jufqu'à  mille  , 
ce  qui  e: 6k  très-rare  ,  &  c'eft  ce  qu'on 
nommoit  Chillombe. 

Capitolin  (1)  parlant  de  l'Hécatombe  [i]lnBalfe* 
qui  fut  offerte  par  l'Empereur  Balbin , 
après  la  défaite  de  Maximin  ,  nous  ap- 
prend en  même  temps  de  quelle  manière 
s'offroit  cette  forte  de  Sacrifice.  »  On 
»  drefle  en  un  lieu  marqué  cent  Autels 
»  de  gazon,  &  on  immole  cent  moutons 
»  &  cent  cochons  ;  fi  le  Sacrifice  eft  Im- 
*  perial  ,  on  immole  cent  lions  ,  cent 
^  aigles  ,  âc  cent  autres  animaux.  Les 
»  Grecs  ,  ajoutecet  Auteur  ,  faifoientla 
»  même  chofe  lorfqu'ils  étoient  affligés 
»  de  la  pefte.  »  Athénée  ajoute  qu'on  en 
wfoit  de  même  après  des  vi&oires  fîgna^ 


474  fyf  Mythologie  &  les  Fablef 
lées  ,  ôc  cite  pour  cela  l'exemple  de  Co- 
non,  Capitaine  Lacedemonîen;  qui  offrit, 
dit-il ,  une  vraie  Hécatombe.  Par  ce  mot 
de  vraie  Hedatombe  ,  l'Auteur  nous  fait 
entendre  que  ce  General  fît  immoler  vé- 
ritablement cent  boucs ,  car  quelquefois 
on  donnoit  ce  nom  à  des  Sacrifices ,  où 
les  cent  animaux  étoîent  d'une  autre  ef- 
pece.Par  le  partage  de  Capitolin ,  on  peut 
réfuter  l'erreur  de  ceux  qui  foutiennent 
que  l'Hécatombe  étoit  ainfi  nommée  9  à 
caufe  des  cent  bœufs  ou  taureaux  qu'on 
y  immoloit.  Hefychius  ôc  plufieurs  autres 
Auteurs ,  confirment  ce  que  dit  Capito- 
lin ,  qu'on  facrîfioit  dans  les  Hécatombes, 
d'autres  animaux  que  des  boeufs.  Au  refte 
ce  Sacrifice  étoit  très  ancien  ,  puifqu'il 
•  en  eft  fait  mention  dans  Homère  (  i  ) ,  qui 
dit  que  Neptune  alla  en  Ethyopie  rece- 
voir le  Sacrifice  des  Hécatombes ,  de 
taureaux  &  d'agneaux.  On  fçait  que  Py- 
thagore  offrit  une  Hécatombe  ,  pour 
avoir  trouvé  la  démonflration  de  la  qua- 
rante-feptieme  propofîtion  du  premier 
Livre  d'Euclide. 

Nous  ne  devons  pas  oublier  le  Sacri- 
fice d'Agrotere  ,  où  l'on  immoloit  cinq 
cens  chèvres  tous  les  ans  à  Athènes  ,  en 
Phonneur  de  Diane  ,  furnommée  Agro~ 
tere,  foit  de  la  ville  Agros  dans  TAttique  > 


ExpLpar  VHifl.  Liv.III.Chap.VL  47; 
foit  d'un  furnom  de  cette  DéefTe ,  qui  lui 
fut  donné,  félon  Rhodiginus,  parce  qu'el- 
le étoit  toujours  dans  les  champs.  Xeno- 
phon  rapporte  l'inftitution  de  ce  Sacri- 
fice ,  au  vœu  que  firent  les  Athéniens 
d'immoler  à  cette  DéefTe  autant  de  chè- 
vres ,  qu'ils  auroient  tué  de  Perfes  ;  mais 
ils  en  firent  un  tel  carnage  ,  qu'il  fut  im- 
poiîible  d'accomplir  ce  vœu  à  la  lettre , 
ce  qui  les  obligea  à  faire  un  Décret ,  par 
lequel  ils  s'engageoient  d'immoler  tous 
les  ans  cinq  cens  chèvres  en  fon  honneur; 
ce  qu'ils  continuoient  encore  du  temps 
de  cet  Hiftorien. 

Le  Taurobole  étoit  un  Sacrifice  offert 
à  la  mère  des  Dieux.  Ce  Sacrifice  ne  pa- 
roît  pas  avoir  été  connu  dans  les  premiers 
temps  du  Paganifme ,  puifque  la  plus  an-» 
cienne  Infcription  qui  en  faiTe  mention, 
&  qui  efi  celle  qui  fut  trouvée  à  Lyon 
en  1704.  dans  la  Montagne  de  Four- 
viere  ,  nous  apprend  que  ce  Taurobole 
fut  offert  fous  le  règne  de  l'Empereur 
Antonin,  l'an  de  Jefus-Chrift  160.  Une 
finit  aufli  que  fort  tard  ;  la  dernière  Inf- 
cription qu'on  en  connoifTe ,  efl:  de  l'Em- 
pire de  Valentinien  III. 

Comme  perfonne  n'a  mieux  expliqué 
les  cérémonies  du  Taurobole  que  M.  de 
Bofe ,  dans  la  DifTertation  qu'il  fit  fur 


47^  La  Mythologie  &  les  Fables 
rïlNdesmBd.  Inscription  de  Lyon  (i)  ,  j'y  renvoyé- 
icttr.T.  3.  les  Curieux  ,•  me  contentant,  pour  en 
donner  quelqu'idée  ,  d'obferver  que  ce 
n'efl  gueres  que  par  les  Inscriptions  qu'on 
eonnoît  cette  forte  de  Sacrifices ,  les  An- 
ciens ,  du  moins  ceux  qui  nous  reftent , 
gardant  fur  cet  article  un  profond  filence; 
û  on  en  excepte  Julius  Firmicus  ,  Au- 
teur chrétien  ,  Prudence  ,  Se  peut-être 
Lampridius ,  qui  parlant  d'Heliogabale, 
dit  qu'il  étoit  fi  dévot  à  Cybele  ,  qu'il 
recevoit  le  fang  des  taureaux  qu'on  im- 
moloit  à  cette  Déefle.  Ce  Sacrifice  étoit 
offert  à  Cybele  pour  la  confecration  du 
Grand  Prêtre  ,  pour  l'expiation  des  pé- 
chés ,  ou  pour  la  fanté  du  Prince ,  ou 
de  ceux  qui  l'offroient.  C'étoit  une  es- 
pèce de  baptême  de  fang,  dans  lequel 
on  croyoit  trouver  une  renaiffance  fpiri- 
tuelle  ,  &  dont  le  rit  &  les  cérémonies 
étoient  différentes  des  autres  Sacrifices. 
Mais  comme  le  Poète  Prudence  fait  une 
defeription  détaillée  du  Taurobole,nous 
allons  donner,  pour  mettre  nos  Leâeurs 
au  fait ,  une  traduftion  de  fes  vers. 

»  Pour  confacrer  le  Grand  Prêtre, 
»  dit-il ,  c'eft-à-dire  ,  pour  Tinitief  au 
y>  Taurobole ,  onfaifoit  une  grande  foffe, 
»  dans  laquelle  il  entroit ,  paré  d'un  habit 
:»  extraordinaire  ^  &  portant  une  cou-r 


ExpLpar  PHiJl.  Liv.III.  Ch.  X.  477 

*>  ronne  d'or,  avec  une  Toge  de  foye, 
»  ceinte  à  la  manière  des  Sabins.  Au 
«  deffus  de  la  foffe ,  il  y  avoit  une  ef- 
»  pece  de  plancher ,  dont  les  planches 
»  mal  jointes  laiflbient  plufieurs  fentes , 
»  &  outre  cela ,  on  les  perçoit  de  plu- 
»  lîeurs  trous  ....  On  amenoit  enfui- 
»  te  un  grand  Taureau  couronné  de  fef- 
»  tons ,  portant  fur  les  épaules  des  ban- 
»  delettes  couvertes  de  fleurs ,  &  ayant 
*>  le  front  doré.  On  égorgeoit  cette  vic- 
»-time,  enforte  que  le  fang  tout  chaud, 
*>  &  à  grands  flots ,  couloit  fur  le  plan- 
*>  cher ,  lequel  étant  criblé  de  trous ,  laif- 
*>  foit  tomber  dans  la  foffe  comme  une 
«  pluye  de  fang  ,  que  le  Prêtre  recevoir 
»  fur  fa  tête ,  fur  fon  corps  ,  &  fur  fes 
»  habits.  Non  content  de  cela ,  il  ren- 
»  verfoit  aufîî  la  tête  pour  recevoir  ce 
»  fang  fur  fon  vifage,  il  en  faifoit  tora- 
y>  ber  fur  lune  &  fur  l'autre  joue ,  fur  fes 
»  oreilles ,  fur  fes  lèvres ,  fur  fes  narines  ; 
»  il  ouvroit  même  la  bouche ,  pour  en 
»  arrofer  fa  langue  ,  &  en  avaler.  Lorf- 
»  que  la  viétime  avoit  rendu  tout  fon 
*>  fang  ,  on  la  retirait ,  Se  le  Grand  Prê- 
*>  tre  fortoit  delà  foffe.  C'étoit un fpec- 
*  tacle  horrible  que  de  le  voir  ainfi  latê- 
*>  te  couverte  de  fang  ,  la  barbe  chargée 
»  de  grumeaux,  &  tous  fes  habits  fouil- 


47 S  La  Mythologie  &  les  Fables 
»  lés.  Cependant  lorsqu'il  paroiffoit  > 
»  tout  le  monde  le  faluoit ,  &  l'adoroit 
»  même  fans  ofer  en  approcher,  le  re- 
»  gardant  comme  un  homme  purifié  & 
*>  fan&ifié  ». 

Ceux  qui  avoient  ainiî  reçu  le  fang 
tîu  Taurobole ,  portoient  le  plus  long- 
temps qu'ils  pouvoient  leurs  habits  ainiî 
fouillés  y  comme  une  marque  fenfible  de 
leur  régénération. 

2°.  Ce  n'étoit  pas  toujours  pour  les 
particuliers  que  fe  faifoit  le  Taurobole  : 
on  en  faifoit  la  cérémonie  pour  les  Corps 
de  Ville  ,  pour  des  Provinces  entières  , 
pour  la  profperité  de  l'Empereur  ,  &c. 
Quelquefois  ces  régénérations  étoient 
pour  vingt-ans  ;  quelquefois  enfin  PAr- 
chigalle  ,  ou  le  Grand  Prêtre  de  Cybë- 
le,  l'orclonnoit  dans  certaines  occa- 
fions  (a). 

3°.  Ce  Sacrifice  de  régénération  n'exi- 
geoit  pas  toujours  qu'on  immolât  un 
Taureau  :1a  v;étime  étoit  quelquefois 
un  bélier ,  &  alors  il  fe  nommoit  Criobole. 
Quelquefois  une  chèvre,  &  alors  il  por- 
toitle  nom  à'Egibole  y  ou  ALgobole.  Plu- 
lîeurs  Sçavans  ne  conviennent  pas  que 
cette  dernière  vi&ime  ait  été  employée 

(a)  Tout  cela  eft  tiré  des  Infcriptions  ,  &  de  la  Diflèrta- 
tion  de  Mon/leur  de  iiofe. 


Expl.par  PHiJl.  Liv.  III.  Ch.  X.  47P 

dans  les  Tauroboles  ,  mais  feulement  le 
taureau  ,  &  quelquefois  le  bélier ,  lors- 
qu'on vouloir  honorer  Atys,  favori  de 
Cybele  ,  à  laquelle  le  Taurobole  étoit 
uniquement  confacré;quoique  Duchoul, 
Cambden,  Selden  &  quelques  autres 
ayent  cru  qu'il  s'oiFroit  auflï  à  l'honneur 
de  Diane. 

Finiflons  ce  Chapitre  par  quelques  ob- 
fervations  générales  au  fojet  des  formu- 
les de  prières  qu'on  y  faifoit.  Comme  on 
croyait  que  iesDieux  eux-mêmes  a  voient 
dicté  ces  formules .  en  les  regardoit  com- 
me quelque  chofe  de  fi  eflèntièl .  que  il 
celui  qui  étoit  chargé  de  les  prononcer, 
en  oublioit  ou  tranfpofoit  feulement 
quelque  mot ,  on  étoit  perfuadé  que  le 
Sacrifice  devenoit  inutile.  Aaflî  quand 
le  Confiai  Decius  fe  dévoua  aux  Dieux 
infernaux ,  &  avec  lui  les  Trouoes  en- 
nemies ,  il  avertit  le  Pontife  Valere  Ma- 
xime de  prononcer  exactement  la  formu- 
le prefente  en  cette  occafion.  Il  y  avoit 
même  des  hommes  prépofés  pour  pren- 
dre garde  qu'on  n'oubliât  rien  du  For- 
mulaire ; ,  &  pour  qu'ils  puiTent  enten- 
dre celui  qmleprononçoit,  fansenoer- 
dre  aucune  parole,  ils  impofoient  filer  - 
ce  aux  AMans.  La  plupart  de  ces  for- 
mules, fi  nous  en  croyons  Jamblique  (i),f !)  D^Myft. 


480  LaMjthologie  &  les  Fables 
comme  celle  de  la  Theurgïe ,  efpece  de 
magie  dont  on  parlera  dans  la  fuite, 
avoient  d'abord  été  compofées  en  Lan- 
gue Egyptienne ,  ou  en  Langue  Chal- 
daïque.  Les  Grecs  &  les  Romains  en  les 
traduifanty  avoient  laifle  beaucoup  de 
mots  de  ces  Langues  étrangères,  ce  qui 
les  rendit  fouvent  un  langage  barbare  & 
inintelligible,  mais  toujours  d'autant  plus 
refpeftable  qu'il  étoit  plus  inintelligible 
&  plus  barbare. 


CHAPITRE    XL 

Des  Inflrumens  dont  on  fefervoit  dans  les 
Sacrifices  &  dans  d?  autres  Cérémo- 
nies religieufes. 

APre's  avoir  traité  des  Sacrifices 
&  des  Viétimes ,  je  dois  parler  des 
Inflrumens  facrés  ;  mais  comme  il  eft 
difficile  d'en  faire  bien  entendre  la  def- 
cription  fans  figures,  les  Le&eurs  auront 
recours  aux  Antiquaires  qui  les  ont  fait 
graver. 

Celui  qu'on  nommoit  Acerra,  étoit  un 
coffret  dans  lequel  on  mettoit  l'encens  , 
à-peu-près  comme  nous  en  avons  dans 
nos  Eglifes  ;  car  ceux  des  Anciens ,  que 
le  temps  nous  a  confervés  ,  &  qu'on  voit 

dans 


Expl.par  PWflUrJWCnk^  XL  4S1 

•dans  les  cabinets  des  curieux  ,  n'étoient 
pas  faits  fur  le  même  modèle ,  ni  de  me- 
me  meral.  Ce  coffret  ou  cette  boè'te  de 
parfums ,  fe  voit  fouvent  fur  les  Monu- 
mens  anciens  ,  entre  les  mains  des  Ca- 
milles  ,  quelquefois  entre  celles  des 
Veftales. 

L'Encenfoir ,  ou  Thurtbulum  ,  étoit 
connu  des  Anciens .  mais  on  n'en  voit 
aucune  reprefentatkm  dans  les  Monu- 
mens.  Les  Grecs  nommoient  cet  inftru- 
ment  Thymiaterion ,  &  on  voit  bien  quel 
en  devoit  être  Tufage. 

Le  Preftricule  étoit  un  vafe  qui  con- 
tenoit  la  liqueur  dont  on  fe  fervoit  dans 
les  Libations.  Le  Difque,  un  Baffin  où 
Ton  mettoit  les  viandes  des  viétimes. 
LAfperfoir.  qui  étoit  à-peu-près  com- 
me hs  nôtres ,  de  crin  de  cheval ,  ou  de 
quelqu'autre  animal ,  avec  un  manche , 
fervoit  pour  les  afperfîons  d'eau  luftrale, 
qui  étoit  contenue  dans  un  vafe  ,  dont 
les  monumens  nous  ont  confervé  quel- 
que reprefentation. 

La'Patere,  étoit  un  inftrument  ordi- 
nairement rond  ,  un  peu  creux  ,  &  avec 
un  manche.  Elle  fervoit  à  recevoir  la  li- 
queur qu'on  y  verfoit  du  vafe  ,  &  à  la  ré- 
pandre fur  la  viftime  ;  ce  que  Virgile 
explique  très-nettement  : 

Tome  I.  X 


482     La  Mythologie  &  les  Fables 

Ipfa  temni  àtxtrâ pateram  pîiLhenima Dido 
Cadentis  vaccx  rntUia  zraer  cornuafudit  (1). 

La  belle  Didon  tenant  la  patere  de  la 
main  droite,  la  verfa  entre  les  cornes  de 
la  Genijfe  blanche.  Cet  infiniment,  fait 
de  differens  métaux ,  avec  quelques  va- 
riétés pour  fa  forme  ,  eil  celui  que  lç 
temps  a  le  plus  refpefté ,  &  il  y  a  peu 
d'Antiquaires  qui  n'en  ayent  plusieurs. 

Le  Simpulum  ,  qui  approchent  affez 
par  fa  forme  de  la  Patere ,  étoit  une  cf- 
pece  de  cuelller ,  dont ,  félon  Feftus,  on 
fe  fervoit  dans  les  Sacrifices  pour  faire 
.  les  Libations  du  vin.  Pline  (2)  nomme 
cet  inftrument  Simpuviurn ,  &  dit  qu'il  y 
en  avoit  de  terre  cuite. 

Le  Bâton  augurai  ,  qu'on  appelloit 
Lituus,  ainfi  qu'une  forte  de  trompette, 
étoit  un  peu  recourbé  par  le  bout ,  &  les 
Augures ,  qui  vouloient  examiner  le  vol 
des  oifeaux  pour  en  tirer  quelque  préfa- 
ge  5  le  tenoient  à  la  main  :  on  le  trouve 
communément  fur  les  Monumens  &  fur 
les  Médailles. 

.  Le  Maillet ,  mulleus ,  fervoit  pour  al- 
fommer  la  victime  ,  aînfi  que  la  Hache  ; 
car  on  voit  ces  deux  fortes  d'inftrumens 
fur  les  bas-reliefs  indifféremment  entre 
les  mains  des  Vi&imaires. 

Le  Secêjpita ,  étoit  un  Coutelas  qui 


Expl.  par  VHift.  Lïv.  III.  Ch.  XL  4^ 

fervoit  à  égorger  la  viâime  :  il  y  en  avoit 
de  différentes  formes ,  &  même  àguaîne. 
La  définition  qu'en  donne  Feftus  eft 
julte  :  c'étoit,  dit-il ,  un  couteau  de  fer, 
long ,  à  manche  rond  &  d'y  voire  ,  orné 
au  pommeau  de  bandes  d'or  &  d'argent, 
dont  les  Flamines  &  les  Pontifes  fe  fer- 
voient  pour  facrifier. 

Le  Ligula ,  ou  Lingulay  était  une  ef- 
pece  d'Efpatule  dont  fe  fervoient  les 
Harufpices  pour  fouiller  dans  les  entrail- 
les des  vi&imes. 

Le  Candélabre  étoit  un  chandelier  à 
plufieurs  branches,  fur  lequel  on  met- 
toit  les  torches  qui  brûloient  pendant  le 
Sacrifice. 

Le  Dolabrey  un  grand  couteau  qui 
fervoit  à  découper  la  viftime  {a). 

VEnclabrèsy  dont  parle  Miffon  dans 
fon  Voyage  d'Italie ,  étoit  la  Table  fur 
laquelle  on  pofoit  lavi&ime,  pout  en 
confiderer  plus  commodément  les  en- 
trailles ,  &  en  tirer  les  augures. 

UOfïa  y  étoit  la  Marmite  dans  laquel- 
le les  Prêtres  faifoient  cuire  la  portion 
de  la  vi&ime,  qui  leur  avoit  été  deftinée. 
La  trompette  étoit  une  efpece  de  Cor 
ou  de  Clairon,  dont  onfonnoit  dans  la 

(a)  On  en  trouve  la  reprefentation  dans  le  cinquième 
Tome  des  Mémoires  de  l'Académie  des  Belles -Lettres. 

Xij 


484  Lu  Mythologie  &  les  Fables- 
cérémonie  des  Hécatombes  ;  mais  dans 
tous  les  Sacrifices  c'étoit  toujours  un 
joueur  de  flûte,  qui  accompagnoit  la 
yiftime  ,  lorfqu'on  la  conduifoit  dans  le 
lieu  011  on  devoit  l'immoler,  &  qui  jouoit 
de  ks  deux  flûtes  pendant  le  Sacrifice , 
comme  on  le  voit  dans  prefque  tous  les 
monumens  qui  nous  reftent  fur  ce  fujet. 

UUrceolas,  étoit  unpetit  va  e,de  bron- 
ze y  d'argent ,  de  terre ,  ou  de  quelque 
autre  m aller e  ,  qui  avoit  un  col  retreffi , 
oc  l'ouverture  large ,  à  peu  près  comme 
&os  burettes,  que  portaient  les  Miniftres 
fubalternes ,  pour  laver  les  mains  des 
Prêtres.  On  en  trouve  fouvent ,  fur  les 
monumens  antiques ,  entre  les  mains  de 
Ces  fortes  de  Miniftres. 

Quoiqu'on  ne  doive  pas  mettre  les 
Trépieds  au  nombre  des  Inftrumens  dont 
onfe  fervoit  dans  les  Sacrifices  ,  cepen- 
dant comme  il  y  en  avoit  fouvent  dans 
les  Temples  ?  fur-tout  dans  ceux  d'A- 
pollon ,  &  qu'ils  fervoient  quelquefois  à 
îbutenir  les  vafes  facrés ,  il  eft  neceifaire 
d'en  dire  ici  quelque  chofe.  Sans  m'ar- 
rêter  à  la  diftin&ion  d' Athénée  qui  n'en 
admet  que  de  deux  fortes ,  qui  fe  redui- 
fent  aux  grands  Se  aux  petits  Trépieds  , 
je  les  divife  en  trois  efpeces.  Je  mets  dans 
la  première ,  ceux  qui  fervoient  à  la  Py- 


ÊxpLparPHift.  Liv.  IILCh.  XL  48} 
Ihîe  lorsqu'elle  rcndoit  les  Oracles  d'A- 
pollon dans  le  Temple  de  Delphes. 
Comme  l'exhalaison  qui  lui  înfpîroit  Ta-» 
venir  fortoit  d'une  caverne  ,  aînfi  que 
nous  le  dirons  dans  l'Hiftoire  des  Ora- 
cles, &  qu'on  pouvoity  tomber  en  s'en 
approchant  de  trop  près  ,  ce  qui  étoit 
arrivé  quelquefois,  on  inventa  une  ma- 
chine foutenuë  fur  trois  pieds  qui  por 
foientfurle  roc,  &  la  PrêtrefTe  s'y  af- 
feyoit ,  pour  recevoir  commodément  & 
fans  danger  l'exhalaifon  de  la  caverne. 
C'eft  cette  forte  de  Trépieds  dont  il  efl 
tant  parlé  dans  PHiftoire  ancienne.  La 
féconde  efpece  comprend  tout  ce  qui 
étoit  appuyé  fur  trois  pieds  ,  vafes  ,  ta- 
bles ,  ou  quelque  autre  chofe  que  ce  fut  ; 
&  de  ceux-ci  il  y  en  avoit  un  grand  nom^ 
bre.  Je  mets  dans  la  troiiîéme  les  Tré- 
pieds votifs  ,  que  des  Princes  ou  des 
Particuliers  confacroient  dans  les^  Tem- 
ples d'Apollon.  Hérodote  (  1  )  parle  (l)  LiV- 
d'un  Trépied  d'or ,  que  les  Grecs  vic- 
torieux des  Perfes  envoyèrent  à  Del- 
phes :  Dans  le  partage  qu'Us  firent  de? 
dépouilles  des  ennemis  ?  dit  cet  Auteur, 
ils  mirent  V argent  à  part ,  en  prirent  un 
dixième ,  pour  le  Dieu  qu'on  honorait  à 
Delphes  \  &  ils  firent  de  cette  portion  un 
Trépied   $or   qifils  lui  confacrerent ,  & 

X  iij 


486  La  Mythologie  &  les  Fables 
qu*on  'voit  encore  fur  un  Serpent  d?  airain  à 
trois  têtes.  Il  paroît  par  ces  dernières 
paroles  ,  que  ce  Trépied  d'or  étoit  fou- 
tenu  fur  un  autre  efpece  de  Trépied  re- 
prefenté  par  les  trois  têtes  d'un  ferpent  ; 
ce  qui  eft  confirmé  par  Paufanias,  qui 
«  inPhoc  dit  (1),  que  le  Trépied  d'or  donné  par 
les  Grecs  5  après  la  bataille  de  Platée , 
étoit  foutenu  par  un  dragon  d'airain. 

On  ne  s'attend  pas  que  je  mette  dans 
aucune  de  ces  efpeces  de  Trépieds ,  ceux 
dont  parle  Homère ,  qui  alloient  tous 
feuls  à  TeiTemblée  des  Dieux  :  fiai  on 
poétique  par  laquelle  il  a  voulu  nous 
faire  comprendre  l'excellence  des  ouvra- 
ges de  Vulcain. 

Rien  n'eft  plus  commun  dans  les  ca- 
binets des  Curieux ,  &  dans  les  ouvrages 
des  Antiquaires  que  les  Trépieds,  on  y 
en  trouve  de  toutes  fortes  de  figures  , 
&  même  d'ailez  fînguliers.  La  plupart 
font  d'airain  ou  de  bronze. 


CHAPITRE    XII. 

Des  Prêtres  ,   &  des   autres  Minières 
des  Sacrifices. 

APre's  avoir  parlé  des  Sacrifices, 
desVi&imes^  &  des  Inftrumens 


Èxpl.par  PHiJl.  Li v.  III.  Ch.  XII.  487 

dont  on  fe  fervoit  pour  les  immoler  ,  il 
faut  maintenant  dire  quelque  chofe  des 
Prêtres  &  des  Miniftres.  Comme  il  n'y 
a  point  de  Nation  ,  quelque  fauvage 
qu'elle  foit ,  qui  n'ait  quelque  Religion , 
il  n'en  eft  aucune  auflî  qui  n'ait  des  Mi- 
niftres pour  y  prefider;  mais  nous  ne  par- 
lerons gueres  dans  ce  Chapitre,  que  de 
ceux  des  Grecs  &  des  Romains.  Le  nom 
gênerai  que  les  premiers  de  ces  deux 
Peuples  donnoientàleurs  Prêtres,  étoit 
celui  de  i'fpm^  quoiqu'ils  differaffent  en- 
tre eux  par  des  noms  &  par  des  fondions 
particulières.  Pour  en  parler  avec  quel- 
qu'ordre  ,  nous  prendrons  pour  guide 
rilluftre  M.  Potter  qui  a  fait  un  excellent 
Ouvrage  fur  l'Archéologie  Grecque. 

Je  crois  d'abord ,  comme  je  l'ai  déjà 
înfinué  ,  qu'anciennement  le  Sacerdoce 
appartenoit  aux  Chefs  de  famille  ;  du 
moins  avoient-ils  la  liberté  de  facrifîer, 
quoiqu'il  y  eût  des  Prêtres  d'office:  c'eit 
ainfi  qu'au  fiege  de  Troye  y  pendant 
que  Chrysés  &  d'autres  encore  étoient 
Prêtres ,  nous  voyons  dans  Homère  que 
les  Rois ,  les  Princes  ,  &  les  Chefs  de 
l'armée ,  ne  laiffoient  pas  d'offrir  des 
Sacrifices. 

Lorfqu'il  s'agiiîbit  de  choiilr  unPrêtre, 
on  examinoit  fa  vie,  fes  mœurs  ,  &  :;. 

X  iiij 


*4$3  La  Mythologie  &  les  Fables 
me  fes  qualités  corporelles  ,  &  il  falloit 
qu'il  fût  exempt  des  défauts  qui  cho- 
quent; à  peu  prés  comme  nous  voyons 
que  dans  l'Ecriture  Sainte  les  borgnes, 
les  boiteux,  lesboffus,  Sec.  étoient  ex- 
clus du  Sacerdoce.  Les  Athéniens  de- 
mandoient  même  dans  les  Miniftres  de 
la  Pveligion,  une  vie  chafte  &  pure  ,  & 
on  fçait  que  leurs  Hiérophantes  fe  fer- 
voient  de  quelques  herbes  froides ,  com- 
me de  la  ciguë,  pour  devenir  continens. 
Généralement  il  étoit  permis  aux  Prêtres 
de  fe  marier  ;  fouvent  les  fécondes  noces 
leur  étoient  interdites ,  quoique  PHiftoi- 
re  nous  apprenne  que  cette  règle  n'a  pas 
toujours  été  obfervée. 

Les  Grecs  &  les  Romains  avoient  une 
Hiérarchie,  des  Souverains  Pontifes, 
des  Prêtres,  &  des  Miniftres  fubalternes- 
qui  les  fervoient  dans  leurs  fondions  ; 
mais  comme  les  Grecs  étoient  divifés  en 
plulîeurs  Etats  indépendants  les  uns  des 
autres ,  cette  Hiérarchie  n'étoit  pas  par- 
tout uniforme.  Il  y  avoitmême  des  Vil- 
les,  comme  Argos  &  quelques  autres, 
où  les  femmes  préfîdoient  à  la  Religion. 
Rien  n'eft.  plus  célèbre  que  ces  Prêtref- 
fes  d' Argos  ,  puifque  leur  Sacerdoce 
fervoit  d'époque  dans  les  évenemens 
publics.  Les  noms  de  la  plupart  de  ces. 


Èxpl.parPH'iJl.  Liv.III.  Ch.XII.  489 

Prêtreifes  n'étoient  plus  connus,  lorfquc 
J\Zt.  Fourmont  le  jeune  trouva,  pendant 
fon  voyage  de  la  Grèce,  une  Infcrip- 
tion  fort  étendue  qui  en  contient  un  am- 
ple catalogue,  &  dont  il  fedifpofe  à  don- 
ner l'hiftoire.  Minerve  Poiiade,  la  Pa- 
trone  d'Athènes  ,  avoit  une  Prêtreffe 
pour  prefider  à  fon  culte,  &  Piutarque  , 
dans  fes  morales,  nomme  une  Lyfima- 
que  qui  exerçoit  cette  fonfnon.  Les  Pe- 
dafiens,  félon  Hérodote  (1),  avoient  (ï> ïnCli0' 
auffi  pour  leur  Minerve  une  Prêtreffe* 
Il  y  en  avoit  auffi  une  à  Catane  pour  Ce- 
rès,  à  Clazomene  pour  Palias  ,  &c. 

A  Delphes  il  y  avoit  cinq  Princes  des 
Prêtres,  &  avec  eux  des  Prophètes  qui 
prononçoient  les  Oracles.  A  Opunte 
deux  Souverains  Pontifes  feulement, 
dont  l'un  prefîdoit  au  culte  des  Dieux 
celeftes,  qu'on  nommoit  Ouranius  ;  l'au- 
tre aux  Dieux  terreftres  &  infernaux ,  <Sc 
ce  dernier  étoit  appelle  Catacthonien. 

Le  Sacerdoce  de  Syracufe,  lequel, 
félon  Ciceron  (2),  étoit  d'une  très-  (OmTerr.*,- 
grande  confideration ,  ne  duroit  qu'un 
an.  Les  Hiérophantes  étoient  des  Prêtres 
très-celebres  à  Athènes  :  leur  nom  vient 
de  deux  mots  Grecs  U^ç  >  facré,  3c  Q*it* , 
je  parois.  Selon  Apollodore ,  c'étoit 
lui  qui  étoit  prépofé  pour  enfeigncr  ks; 

X   y, 


490  La  Mythologie  &  les  Fables 
chofes  facrées  &  les  myfteres  à  ceux  qui 
vouloient  être  initiés;  ce  qui,  avec  le 
nom  d'Hiérophante  ,  lui  avoit  aufîi  fait 
donner  le  nom  de  Prophète.  Ce  Minif- 
tre  avoit  fous  lui  d'autres  Officiers  qui 
Taidoient  dans  cette  fonction  &  dans  les 
autres  ;  on  les  nommoit  Exegetes ,  &  quel- 
quefois ,  Prophètes.  Il  ornoit  auffi  les 
Statues  des  Dieux ,  &  les  portoit  dans  les 
cérémonies  publiques.  Leurs  femmes  fe 
mêloient  auflî  du  culte  divin ,  &  étoient 
nommées  Hierophantides.  Ce  Prêtre  avoit 
encore  le  foin  du  culte  de  Cerès  &  de 
fes  myfteres.  On  peut  confalter  pour 
tous  ces  articles  les  Notes  de  Saumaife 

fur  Solin. 

Comme  les  Hiérophantes  &  leurs  fem- 
mes étoient  deftinés  au  culte  de  laDéef- 
fe  Hécate  &  de  Cerès,  les  Orgiophan- 
tes ,  &  les  femmes  nommées  Orgiafies  y 
prefidoient  aux  Orgies  ;  &  le  Daduque 
ou  Lampadophore  aux  Fêtes  nommées 
Daduquies ,  dont  nous  parlerons  dans 
l'article  des  Fêtes  des  Grecs. 

Si  nous  en  croyons  Pollux  (i)  ,  il  J 
avoit  feize fortes  de  Miniftres  des  Tem- 
ples ;  les  Prêtres  ;  les  Garde-Temples  ou 
Bedeaux;  ceux  qui  avoient  foin  des 
chofes  facrées  ;  les  Prophètes ,  les  Hy- 
poprophetes ,  ou  les  Subdelegués  des 


ExpLpar  Wtf.  Liv.  III  Cn.  XII.  491 

Prophètes  ,  qui  publioient  l'Oracle  ;  les 
Sacrificateurs,  ceux  qui  initioient,  les 
Adminiftrateurs  des  chofes  facrées,les 
Purificateurs,  les  Devins  ou  Infpirés, 
les  Sortilegues  ,  ceux  qui  raflembloient 
les  difcours  de  bonne  avanture ,  les 
Crefmothetes ,  c'eft-à-dire ,  ceux  qui  don- 
noient  les  forts  à  tirer ,  les  Saints  ou  Dé- 
vots,  les  Thuriféraires  ou  porte-encens, 
les  Hyparetesy  &  les  Serviteurs  (a)  ou 
Camilles. 
Le  même  Auteur  remarque  enfuite  (1)    (0  ch-  *• 

1  a  u    '  J  <  art.  17. 

que  les  mêmes  noms  etoient  donnes  aux 
differens  Ordres  de  PrêtrelTes  ,  dans  les 
lieux  où  les  femmes  étoient  les  Miniftres 
des  Temples  ,  &  que  la  PrétrefTe  d'A- 
pollon à  Delphes  ,  portoit  par  excel- 
lence le  nom  de  Pythia.  Il  pouvoit  ajou- 
ter encore,  qu'à  Clazomene la  Prêtre/Te 
de  Pallas  étoit  nommée  Hefychia  ?  celle 
de  Bacchas  Thyas,  &  en  Crète  celle  de 
Cybéle  ,  Melijfe.  Il  pouvoit  remarquer 
suffi  que  parmi  les  Athéniens,  les  Mi- 
niftres fubalternes  s'appelloient  Parû- 
tes ;  ce  nom  n'étant  pas  alors  une  injure , 
comme  il  l'eft  à  prefent.  L'acception  de 
ce  mot  dans  le  fens  que  je  l'ai  prife ,  fe 
tire  d'une  Infcription  d'Athènes  ,  où  il 

(a)  Cette  lifte  n.'eft  pas  complette,  comme  on   le  verra 
dans  la  fuite  de  ce  Chapitre. 


492  La  Mythologie  &  les  Fables- 
cil:  dit,  que  des  deux  Taureaux  immolés*,, 
une  partie  fer  oit  retenue  pour  les  Jeux^ 
Fautre  partagée  entre  les  Prêtres  &  les 
Parafites.  La  fon&ion  principale  de  ces 
Paiafites;,  qui  avoient  féance  entre  les 
premiers  Magiftrats  ,  étoit  de  choifïr  le 
froment  deftiné  aux  Sacrifices. 

Il  y  avoit  encore  une  autre  efpece  de 
gens  deflinés  à  fervir  dans-les  Sacrifices  ; 
c'étaient  les  Ceryces,  ou  les  Crieurs,  dont 
la  fon&ion  étoit  d'annoncer  publique^ 
ment  les  chofcs ,  tant  civiles  que  facrées. 
Aufïi,  félon  Athénée  5  ondevoit  en  élire 
deux  ,  &  on  trouve  en  effet  ce  nombre  de 
;  deux  Ceryces ,  dans  la  belle  Infcription 
d'Athènes  .,  expliquée  dans  la  Paleogra- 
p.  h*,  phie  (i)  ,  l'un  pour  Aréopage,  l'autre 
pour  rArchonte.  Ils  dévoient  être  tirés 
delà  famille  Athénienne,  laquelle,  fé- 
lon Ifocrate ,  portoit  le  nom  de  Ceryce, 
d'un  certain  Ceryx, .  fils  de  Mercure,  & 
de  Pandrofe  ,  fille  de  Cecrops.. 

Surquoi  nous  remarquerons  en  paf- 
fant  ,  qu'il  y  avoit  des  familles  Sacerdo- 
tales ,  defquelles  dévoient  être  tirés  les 
Prêtres;  comme  ,  à  Athènes  celles  des 
Eumoïpides ,  pour  le  culte  de  Cerès  & 
les  myfteres  Eléufiniens  ,  &  à  Rome 
celles  des  Pinariens  &  des  Potitiens,  pour 
celui  d'Hercule* -, 


Expl.parPHijt.Liv.IlI.  CHAP.XII.4p5 
A  Athènes  l'Archonte  fe  faifoit  hon- 
neur de  la  qualité  de  Prêtre  :  tel  etolt^ 
entre  autres  Xénon,  qui  fut  Archonte 
fous  le  Confalat  de  Drufus,  là  féconds 
année  de  Tibère  ,  &  qui  prend  la  quali- 
té dePrêtre  dans Tlnfcription  dont  nous 
venons  de  parler  ;  &  fi  rtous  en  croyons 
Spon ,  le  même  Drufus  étoit  en  même 
tems  Conful,  Archonte  &  Prêtre.  L'o- 
rigine du  .Sacerdoce  des  Archontes ,  fé- 
lon Demoflhene  (1)  ,  vint  de  ce  qu'an-  (i)Orat.'*âi 
ciennement  les  Rois  &  les  Reines  d'A-  Neœrana^ 
thenes  étoient  les  Souverains  Pontifes. 
La  Pvoyauté  ayant  été  abolie ,  on  con- 
tinua de  choifir  un  Roi  &  une  Reine  5 
pour  préfider  aux  chofes  facrées,  ce  qui 
enfuite  paffa  aux  Archontes ,  &  à  leurs 
femmes.  Les  Epimeletes  fervoient  le  Roi 
dans  les  chofes  facrées  ,  Se  dès  femmes 
nommées  Genres,  affiftoient  la  Reine  au 
nombre  de  quatorze.  Le  Ceryce  la  fer- 
voit  auflï  dans  les  myfteres  les  plus  fe- 
crets  de  la  Religion. 

Indépendamment  de  tous  ces  Minis- 
tres ,  il  y  avoit  auiîî  un  Pontife ,  ou  plu- 
tôt un  Archiprêtre  «^epefo,.  qui  pré3- 
doit  aux  chofes  facrées.  Quelquefois  il 
ne  l'étoit  que  d'une  ville  ;  quelquefois 
de  toute  une  Province.  Il  avoit  aulS 
jfbuvent  cetta  qualité ,  à  vie  ;  quelque- 


4P4  La  Mythologie  &  les  Fables 
fois  pour  cinq  ans.  Comme  il  y  avoit 
des  Archiprêtres  ,  on  trouve  aufîî  des 
ArchiprêtrefTes  ;  car  parmi  les  Grecs  , 
les  femmes  étoient  auffi  fouvent  que  les 
hommes  admifes  aux  Minifteres  facrés  . 
Ces  ArchiprêtrefTes  étoient  les  Supé- 
rieures des  Prêtreffes ,  &  étoient  choi- 
fies  dans  les  meilleures  maifons.  De  tou- 
tes les  PrêtrefTes  des  Payens ,  la  plus  cé- 
lèbre étoit  la  Pythie ,  mais  nous  en  par- 
lerons ailleurs. 

Les  Neocores  avoient  des  emplois  qui 
répondoient  à  ceux  de  nos  Sacriftains  : 
ils  dévoient  en  effet  avoir  foin  d'orner 
les  Temples ,  &  de  tenir  propre  les  va- 
fes  &  les  uftenciles  qui  fervoient  dans 
les  cérémonies  de  la  Religion.  Theodc- 
r'  3'  ret'2)  eft  le  feul  qui  parle  de  deux  autres 
fondions  des  Neocores.  L'une  ,  de  fe 
tenir  à  la  porte  des  Temples  pour  jetter 
de  Peau  luftrale  fur  ceux  qui  y  venoient, 
afin  de  les  purifier.  L'autre ,  de  jetter  de 
la  même  eau  fur  les  viandes  fervies  à  la 
table  des  Empereurs.  Julien  PApoftat , 
dit  cet  Auteur ,  alloit  dans  le  Temple 
du  Génie  public  de  la  Ville  d'Antio- 
che  ;  ôc  les  Neocores  y  debout  des  deux 
cotés  delà  porte  du  Temple ,  jettoient  de 
Veau  luftrale  fur  ceux  qui  entroient ,  pré- 
tendant par-là  les  juflifier. 


16 


Expltar  rUifl.  Liv.  III.  Ch.  XII.  4P ;- 

Le  même  Auteur  nous    apprend  la 
féconde  fon&on  dont  on  a  parlé,  dans 
l'hiftoire  que  je  vais  raconter  :  c'eft  à 
Toccafion  d'un  jeune   Neocore  qui  fe 
faifoit  inftruire  dans  la  Religion  Chré- 
tienne ,  mais  qui  ne  put  refufer  d'accom- 
,  pagner  le  même  Empereur  dans  un  fef- 
tin,  où  il  devoit  faire  la  fonction  de  bé- 
nir avec  l'eau  luftrale  les  viandes  qu'on 
fervoit  dans  le  repas.  Sur  quoi  Théo- 
doret  remarque  ,  que  quoique  la  fête  , 
que  donnoit  Julien  dans  le  Faubourg 
de  Daphne  ,  aux  Habitans  d'Antioche , 
durât  plusieurs  jours ,  le  jeune  Neoco- 
re ,  qui  étoit  debout  auprès  de  cet  Em- 
pereur, après  avoir  jette  l'eau  luftrale 
fur  les  viandes  ,   fe  retira  fecretement , 
&  ne  parut  plus  aux  feftins  des  jours 
fuivans.  Cet  office  devint  très-confîde- 
rable  ;  car  les  Neocores ,   qui  d'abord 
n'étoient  chargés  que  d'emplois  fervi- 
les,  furent  dans  la  fuite  des  Miniftres 
fuperieurs  ,    des  fouveraints  Pontifes  , 
qui  iacrifioient  pour  le  falut  de  l'Em- 
pereur.  On  trouve  fur  les  médailles  , 
où  le  nom  de  Neocore  eit  fouvent  em- 
ployé ,  celui  de  Frytane  qui  leur  étoit 
accordé  quelquefois,  avec  celui  d'Af- 
gonothete ,  ou  Diftributcur  des  prix  dans 
les  Jeux  publics.  Les  Villes  mêmes  & 


49^     La  Mythologie  &  les  Parler 
celle-  d'Ephefe  ,  fut  la  première  ,  félon* 
Van-Dale  ,  prirent  le  nom  de  Neoco- 
res,fur  quoi  on  peut  confulter  Vaillant, 
&  les  autres  Antiquaires. 

Avant  que  de  parler'  du  Sacerdoce 
des  Romains ,  je  dois  dire  quelque  cho- 
fe  des  trois  fortes  de  Prêtres,  qui  leur, 
étoient  communs  avec  les  Grecs,  Les 
premiers  étoient  ceux  de  Cybele  :  les 
féconds ,  ceux  de  Mithras  :  les  troisiè- 
mes ,  ceux  des  Orgies,  ou  des  myftefes 
de  Bacchus. 

Rien  n'eft  plus  célèbre  dans  l'anti- 
quité, &  en  même  tems  plus  méprifabie 
que  les  Prêtres  de  Cybele ,  qu'on  nom- 
moit  Galles  ou  Archigalles ,  d'un  fleuve 
de  Phrygie ,  appelle  Gallus.  Van-Dale 
regarde  ces  Galles ,  &  avec  raifon,  com- 
me des  coureurs5des  bandits  &  des  char- 
latans ,  qui  alloient  de  ville  en  ville  , 
jouant  des  cymbales  &  des  crotales,por- 
tant  fur  leur  fein  de  petites  images  de  la 
mère  des  Dieux,  pour  ramaffer  quel- 
ques aumônes  ;  gens  de  la  lie  du  peuple, 
félon  Apulée;  dés  fanatiques,  des  fu- 
rieux, &  d'une  débauche  infâme.  On 
convient  avec  ce  fçavant  Auteur ,  dû 
portrait  qu'il  fait  de  ces  Miniftres;  mais 
on  ne  fçauroitêtre  de  fon  avis,  lorfqu'il 
<Ut  que  quoiqu'ils  fuffent  confacrés  au 


Expt.par  riîijl.  Liv.IIL'Ch.  XII.  497 

fervice  de  Cybele ,  ils  n'avoient  pas  la 
qualité  de  Prêtres ,  puifque  leur  Sacer- 
doce efl:  une  choie  inconteftable.  Pline, 
Apulée  &  Suidas ,  difent  formellement 
qu'ils  étoient  Prêtres ,  &  leur  donnent 
ce  titre  ;  &  Lucien  (r)  qui  décrit  la  ce-  (i)DeDea 
remonie  de  leur  initiation  ,  ne  laifle  au- S}  ria* 
cun  lieu  d'en  douter. 

On  ne  fera  pas  étonné  de  voir  dans 
Clément  d'Alexandrie  ,  dans  La&ance  , 
dans  S.  Jean  Chryfoftome ,  &  dans  S. 
Auguftin-,  le  portrait  qu'ils  font  de  ces 
malheureux  Prêtres,  puifque  les  Au- 
teurs profanes  ont  eu  un  égal  mépris 
pour  eux.  Cependant  la  Loiavoit  pour- 
vu à  leur  fubfiftance  ,  puifque  félon  Ci- 
ceron  (2),  elle  marquoit  les  jours  où  il  (2)  tiv.  u' 
leur  étoit  permis  de  demander  Faumô-  e  es" 
ne  ,  &  pendant  lefquels  il  étoit  défendu 
à  toute  autre  perfonne  de  mendier  :  ¥rœ~ 
ter  Ide&matrïs  famulos ,  eofque  juftis  die- 
bus ,  ne  quis Jîïpem  cogito.  Cette  quête, 
autorifée  par  la  Loi ,  fe  faifoit  apparem- 
ment chaque  mois,puifqu'on  avoit  don- 
né à  ces  Prêtres  le  nom  de  Menargyrtes 
&  Metragyrtes  ;  parce  que  c'étoit  pour 
la  mère  des  Dieux  qu'ils  recueilloient 
ces  aumônes.  On  avoit  ajouté  à  ces 
noms  ,  par  dériiîon ,  celui  à'Agidies  , 
comme  qui  diroit;  faifeurs  de  tours  de- 


49§  ta  Mythologie  &  les  Fables 
paflè-pafTe  ,  pour  avoir  de  l'argent  ; 
joueurs  de  gobelets.  Clément  d'Alexan- 
drie ajoute  aux  qualifications  qu'il  don- 
ne à  ces  Galles ,  celle  de  preftigiateur  & 
de  Devin ,  parce  qu'ils  fe  mêloient  en 
effet  de  prédire  l'avenir.  Ils  étoient  tou- 
jours accompagnés  de  vieilles  femmes 
qui  paflbient  pour  des  forcieres.  Plutar* 
i  Dansfes  que  (i)  qui  parle  des  vers  qu'ils  chan- 

Riorales  407.  ^._  •    „.      j-  ,T  •  S      ,    X> 

toient,  dit  qu  ils  a  voient  rendu  la  Poè- 
fie  des  Oracles  û  méprifable ,  qu'ils 
avoient  fait  tomber  les  vrais  Oracles  du 
Trepié;  c?eft-à-dire,  de  Delphes.  Ce 
même  Auteur  ajoute  qu'ils  rendoient 
leurs  Oracles  fur  le  champ ,  ou  qu'ils  les 
tiraient  au  fort  dans  certains  Livres 
qu'ils  portaient  avec  eux ,  &  vendoient 
leurs  miferables  prédirions  à  des  fem- 
melettes, qui  étoient  charmées  de  la  ca- 
dence de  leurs  vers. 

A  ce  portrait  des  Galles,  nous  de* 

/bcoci':  VOns  aiouter  ce  <ïue  Lucien  (*)  nous 
apprend  de  la  grande  fête  qui  fe  celé- 
brpit  en  Syrie ,  &  de  la  fureur  où  jet- 
toit  l'initiation  de  ces  miferables  Minif- 
tres.  A  cette  fête,  dit -il,  fe  rendent 
quantité  de  Galles  ,  qui  célèbrent  leurs 
myfteres.  Ils  fe  tailladent  les  coudes,  & 
fe  donnent  mutuellement  des  coups  de 
fouet  fur  le  dos.  La  troupe  qui  les  en- 


Expl.  par  PHifl.  Liv.  III.  Ch.  XII.  499 

vironne ,  joue  de  la  flûte  &  du  tympa- 
non,  pendant  que  d'autres  faifîs  d'un  en- 
thoufiafme  divin,  chantent  des  chanfons 
qu'ils  font  fur  le  champ.  C'eft  ce  jour-là, 
ajoute  Lucien ,  qu'on  fait  des  Galles. 
Comme  le  fon  de  la  flûte  infpire  aux 
alîîftans  une  efpece  de  fureur,  le  jeune 
homme  qui  doit  être  initié,  jette  fes  ha- 
bits ,  &  faifant  de  grands  cris ,  vient  au 
milieu  de  la  troupe ,  qui  eft  hors  du 
Temple,  dégaine  fon  épée,  &  fe  fait 
Eunuque  lui-même  ;  puis  courant  par  la 
ville ,  tenant  à  la  main  les  marques  de  fa 
mutilation  ,  il  les  jette  dans  une  maifon , 
où  il  prend  l'habit  de  femme.  Cette  mu- 
tilation fe  faifoit  ailleurs ,  félon  Pline  5 
avec  les  fragmens  d'un  pot  de  terre  de 
Samos ,  &  étoit  par  conséquent  >  &  plus 
longue  Se  plus  douloureufe. 

On  fçait  que  c'étoit  en  l'honneur 
d'Atys ,  favori  de  Cybele ,  que  fe  com- 
mettait cette  barbarie ,  dont  il  avoit  lui- 
même  donné  l'exemple  :  mais  tirons  le 
rideau  fur  ces  infamies,  &  difons  un  mot 
feulement  du  Grand-Prétre  de  cette  mi- 
ferable  troupe.  Ce  Chef  fe  nommoit 
l'Archigaile  ,  &  étoit  ordinairement  d'u- 
ne famille  coniîderable  ;  du  moins  lifons- 
nous  dans  Gruter  une  infeription  de 
l'Archigaile    Camerius    Crefcens  ,  qui 


f&S  La  Mythologie  &  les  Fables 
avoit  à  fa  fuite  un  grand  nombre  d'E£ 
claves  &  d'Affranchis.  On  trouve  dans 
le  premier  Tome  de  l'Antiquité  expli- 
quée ,  la  figure  d'un  Archigalle  avec 
une  longue  tunique  qui  defcend  jufqu'à 
terre,  &pardefïus,  un  grand  manteau 
retrouffé  ,  avec  un  collier  qui  lui  def- 
cend fur  la  poitrine  ,  fur  laquelle  font 
tfepréfentées  ,  dans  deux  Médaillons ■■, 
deux  têtes  d'Atys  ,  fans  barbe,  avec  le 
bonnet  Phrygien  :  plus  bas  fe  voit  le 
frontifpice  d'un  temple ,  à  l'entrée  du- 
quel paroît  la  Déefle  Cybele ,  recon- 
Boiffable  aux  tours  &  aux  créneaux 
qu'elle  porte  fur  la  tête.  Jupiter  &  Mer- 
cure qui  font  à  côté  d'elle,  marquent 
qu'elle  étoit  la  mère  des  Dieux.  Cette 
figure  ,  à  laquelle  il  manque  la  tête  ,  Se 
qui  appartenoit  autrefois  à  M.  Baude- 
lot,  eft,  je  crois,  préfentement  en  An- 
gleterre. 

Outre  ces  Galles  êc  ces  Archigalles-, 
Cybele  avoit  encore  d'autres  Prêtres 
qui  n'étoient  pas  mutilés  ,  &  des  Prê- 
treffes,  dont  on  trouve  les  noms  dans 
Gruter.  On  connoît  parmi  ces  Prêtre£- 
fes,  une  Dame,  nommée  Laberta  Fali- 
cla ,  qui  étoit  la  fouveraine  Prêtreffe  de 
la  mère  des  Dieux  ;  c'efl-à-dire ,  qui 
préfidoit  .aux  autres  7  comme  l'Archi- 


Expl  p^rH,j?.Liv.IILCHAP.XIL  jor 
galle    préfidoit   aux    Galles. 

Nous  devons  remarquer  ,  que  tous 
les  Prêtres  &  Pretrefles  de  la  mère  des 
Dieux,  établis  d'abord  dans  la  Phry- 
gie ,  s'étoient  enfuite  répandus  dans  la 
Grèce,  &  dans  l'Empire  Romain,  dès 
Ip  tems  même  de  la  République. 

Je  dirai  peu  de  chofes  des  Prêtres  de 
Mithras ,  dont  le  culte  fut  porté  à  Ro- 
me ,  fi  nous  en  croyons  Plutarque,  du 
temps  de  Pompée,  &  plus  tard,  félon 
Van- D aie  ,  parce  que  j'en  parierai  au 
long  dans  l'hiftoire  de  ce  Dieu  {a).  Il 
fuffit  de  fçavoir  pour  le  préfent ,  que 
Mithras  avoit  un  Miniftre  qui  fe  nom- 
moit  le  Père  des  myfteres  facrés  ;  Pater 
facrorum ,  &  des  PrêtrefTes  qu'on  appel- 
loit  Maires  facrorum  ;  que  ces  Prêtres 
étoient  furnommés  Lions  y&c  les  Prêtref- 
fcs  Hyems£e\pn  Porphyre  :  de-là  étoient 
appelles  Leontiques ,  les  myfteres  Mi- 
thriaques  ,  .&  Paniques,  à  caufe  des  Pè- 
res qui  y  préfidoient;  que  d'autres  Mi- 
res de  ce  Dieu  étoient  nommés  Co- 
r-aces j  les  corbeaux  ,  ou  Hierocoraces  y 
corbeaux  facrés  ;  ou  Heliaques,  à  caufe 
du  Soleil  que  Mithras  repréfentoit.  En- 
fin ,  que  ceux  qui  vouloient  être  initiés 
aux  myfteres  de  ce  Dieu  ,  dévoient  p-a£- 

(a)  Voyci  l'article  des  Divinités  <ks  R2&& 


Prêtres  des 


|02    La  Mythologie  &  les  Fables 

fer  par  des  expiations  auffi  longues,  que 

douloureufes ,  comme  nous  le  dirons  en 

fon  lieu. 

Enfin ,  comme  les  Grecs  &  les  Rc- 
mains  célebroient  également  les  grands 
myfteres  de  Bacchus ,  ou  les  Orgies  ,  je 
dois  mettre  dans  cette  claffe  commune  , 
les  Prêtres  &  les  Prêtreffes  qui  y  préfi- 
doient  ;  mais  comme  il  en  fera  quefhon 
dans  l'hiftoire  de  ces  myfteres,  je  me 
contenterai  de  dire  ici  que  ces  Mmif- 
tres  portoient  differens  noms ,  puifqu'on 
trouve  dans  les  Anciens ,  que  les  Bac- 
chantes étoient  appellées  Bacchx  ,  Me- 
nades,  Baffarides ,  Thyades,  Mtmallom- 
des  ,  Edonides,  Elyades  ,  Eleides  ;  tous 
noms  tirés  ou  de  leur  manière  de  cner, 
ou  de  leur  fureur.  Mais  il  eft  temps  de 
parler  des  Prêtres  des  Pxomains. 

La  Ville  de  Rome  n'ayant  été  d'a- 


Eomains.  bord  qu'un  affemblage  de  bandits  &  de 
fugitifs ,  que  Romulus  avoit  ramafles,  ce 
Prince  fongea  peu  à  la  Religion,  &  cet- 
te Religion,  empruntée  des  Albains  & 
de  quelques  autres  peuples  voifins  ,  fut 
dans  ces  premiers  temps  très-fimple  & 
très-unie.  Des  Temples  &  des  Chapel- 
les fans  ornemens  &  fans  Statues;  car  , 
félon  Plutarque,  il  fe  pana  171.  ans, 
fans  qu'on  y  en  vît  aucune  j  des  Sacn- 


ExpL  par  PHift.  Liv.  III  Ch.  XIL  ;oj 
fices  offerts  fans  appareil ,  faîfoient  tout 
le  cérémonial  de  cette  Ville  naiïTante. 
Nous  trouvons  cependant  dans  Denys 
d'Halicarnaflc  (i) ,  que  Romulus  ayant 
divifé  Rome  en  trente  Curies,  il.avoit 
établi  deux  prêtres  pour  chacune;  ce 
qui  f4foit  en  tout  foixante. 

Numa  Pompilius  ,  plus  appliqué  aux 
affaires  de  la  Religion  qu'à  celles  de  la 
guerre,  fit  plufieurs  changemens  dans  la 
Hiérarchie  Romaine,  ainfi  que  quel- 
ques-uns de  Ces  Succefleurs ,  comme  on 
peut  le  voir  dans  Tite-Live,  dans  De- 
nys d'Haiicarnaffe  ,  &  dans  Dion.  Voi- 
ci ce  qu'on  en  peut  dire  de  plus  aflu* 
ré.  Les  Prêtres  établis  par  Romulus , 
dévoient  avoir  au  moins  5*0.  ans ,  être 
distingués  par  leurs  mœurs  ,  par  leur 
naiiïance ,  &  avoir  de  quoi  s'entretenir 
honorablement ,  &  être  fans  aucun  dé* 
faut  corporel  :  tant  il  eft  vrai  que  même 
dans  les  Religions  les  plus  grolïïeres,  on 
a  toujours  obfervé  de  n'admettre  pour 
Minières,  &  de  n'offrir  pour  Viftimes , 
que  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  parfait  & 
de  plus  propre  à  honorer  la  Divinité. 
Comme  dans  le  miniftere  de  ces  Prê- 
tres ,  il  y  avoit  des  chofes  qui  ne  pou- 
voient  être  exercées  que  par  des  per* 
fonnes  du  fexe,  &  d'autres  où  il  falloit 


5*04     La  Mythologie  &  les  Fables 
en  être  aidé ,  c'étoient  les  femmes  mê- 
mes &  les  enfans  de  ces  Prêtres ,  qui 
étoient  chargés  de  ces  fondions.  D'a- 
bord les  feuls  Patrices  exerçoient  le  Sa- 
cerdoce ,  mais  le  Peuple  piqué  de  cette 
préférence,  eut  le  crédit  de  partager  le 
Sacerdoce  avec  le  Sénat,  &  mêipe  de 
fe  faire  transférer ,  fous  le  Tribunal  de 
Cn.  Domitius,  le  privilège  qui  étoit  au- 
paravant refervé  au  Collège  des  Patri- 
ces ,  d'élire  les  Prêtres  ;  ce  qui  fut  enco- 
re changé  une  fois ,  &  il  fut  établi  que 
le  Collège  éliroit,  &  que  le  Peuple  con- 
firmerait l'éleétion.  Enfin,  après  quel- 
ques autres  variations,  qu'il  feroit  inu- 
tile de  rapporter,  les  Empereurs  s'ar- 
rogèrent le  droit  d'élire  les  Prêtres  , 
Se  devinrent  eux  -  mêmes  les  Souverains 
Pontifes  ;  ce  qui  commença  h  Jules  Ce- 
for.  Lcrfque  l'éle&ion  des  Prêtres  faite 
par  le  Collège  qui  avoit  ce  droit ,  étoit 
confirmée  par  le  Peuple  on  procedoit  à 
l'inauguration ,  qui  étok  comme  une  pn- 
fe  de  poffetfîon,  faite  avec  cérémonie, 
&   qui  fe  terminoit  par  un  repas  que 
donnoient  les  nouveaux  Prêtres.  Dès 
ce  moment  ils  prenoient  la  Toge ,  qui  fe 
nommoit  Toga  pretexui ,  &  l'ornement 
de  tête,  appdlé  Apex.,  Gahrus,Albo- 
QaUrus,  &  qui  confiftoit  en  uneefpe- 

ce 


Expl.parPHijl.  Liv.III.  Ch.XîL  |p,c 
ce  de  bonnet  blanc,  furmonté  fouvent 
d'une  couronne. 

Les  Prêtres  dans  Rome  jouiiîbient 
de  plusieurs  privilèges  ,  &  ils  pouvoient 
afllfler  au  Sénat;  mais  ce  droit  leur  fut 
ôté  dans  la  (uite  (i).  Ils  étoient  exempts  (l)T    v 
des  .Charges  onereufes  de  TEtat ,  &  dif-  Dec.  3V7? 
penfés  d'aller  à  la  guerre.   On  portait 
ordinairement  devant  eux  un  flambeau 
Se  une  branche  de  laurier;  &  il  leur 
étoit  permis  de  monter  au  Capitole  fur 
un  char ,  qu'on  appeiloit  Carpentum.  Il 
y  avoir  des  Prêtres  dont  le  Sacerdoce 
étoit  à  vie  ,  d'autres  qu'on,  deitituoit; 
mais  les  Augures  ne  pouvoient  l'être , 
pour  quelque  caufe  que  ce  fût.  Chaque 
ordre  de  Prêtre  avoit  fon  Collège,  par- 
ticulier ,  &  des  appointemens  pour  les 
Sacrifices.  Gomme  dans   les  Provinces 
les  Prêtres  étoient  obliges  de  fournir  à 
la  dépenfe  des  Jeux  publics ,  &  que  dès- 
là  le  Sacerdoce  leur  étoit   fouvent  à 
charge,  on  ne  contraignoit  performe  à 
l'accepter. 

.  Dans  Tordre  de  la .  Hiérarchie  Ro- 
maine, les  Pontifes  étoient  les  premiers. 
.D'abord  il  .n'y  en  eut  que  quatre;  mais 
ce  nombre  ayant  été  augmenté  dans  la 
fuite ,  on  les  diftingua  en  Pontifes  ma- 
jeurs, &  eu  Pontifes  mineurs:  les  uns 
Tome  L  Y 


$oô    La  Mythologie  &  les  Fables 
£c  les  autres  fournis  au  Souverain  Pon- 
tife ,  dont  l'autorité  étoit  fi  grande ,  que 
les  Empereurs  ne  crurent  pas  cette  char- 
ge indigne  d'eux ,  comme  je  viens  de  le 
dire.  Maître  de  toutes  les  cérémonies  de 
la  Religion ,  &  du  premier  Collège ,  le 
Souverain  Pontife    étoit  extrêmement 
Tefpe&é  :  fon  chariot,  nommé  Tkenfa  y 
étoit  différent  de  celui  des  autres  Prê- 
tres ,  ainfi  que  fon  habillement  &  le  ref- 
te  de  fon  équipage.  Il  ne  lui  étoit  pas 
permis  de  fortir  d'Italie  ;  comme  c'étoit 
une  efpece  de  profanation  pour  lui  de 
voir  un  corps  mort,lorfqu'il  atfiftoit  aux 
funérailles  ,  on  mettoit  un  voile  entre 
lui  &  le  cercueil  du  défunt  :  c'eft  Se- 
neque  qui  nous  apprend  cette  particula- 
rité ,  plus  inftruit  en  cela  que  Dion  ^  le- 
quel parlant  de  la  Pompe  funèbre  d'A- 
grippa ,  à  laquelle  Augufte ,  Souverain 
Pontife  ,  affilia ,  dit  qu'il  ne  fçait  pas  la 
raifon  pour  laquelle   on  avoit  mis  un 
Toile  entre  cet  Empereur  &  le  cercueil, 
&  que  c'eft  une  erreur  de  croire  qu'il 
n'eft  pas  permis  au  Souverain  Pontife 
de  voir  un  mort. 

On  m'objeftera  peut-être  que  Cefar 
étant  Souverain  Pontife,  alla  faire  la 
guerre  dans  les  Gaules,  &  qu'amfi  j'ai 
tort  de  dire  qu'il  n'étoit  pas  permis  a 


ExplparPHift.  Liv.IIL  Ch.  XII.  507 

celui  qui  poiïedoit  cette  Charge  de  ior- 
tir  d'Italie.  Mais  on  peut  répondre  i°. 
Qu'il  y  a  des  occasions ,  où  les  Loix, 
qui  n'ont  pas  tout  prévu,  ne  font  point 
obfervées.  2*.  Que  l'exemple  de  Cefar 
ne  prouve  rien  ,  puifqu'il  ne  les  refpec- 
toit,  qu'autant  qu'elles  flattoient  fon  am- 
bition. 

Après  le  Souverain  Pontife  venoient 
les  Flamines ,  qui  n'étoient  d'abord  que 
trois ,  établis ,  félon  Plutarque,  par  Ro- 
mulus ,  ou  plutôt  fuivant  Tite-Live,  par 
Numa  Pompilius;  le  Flarnen  Dt'alis,  ou 
de  Jupiter ,  le  Manialis ,  de  Mars,  &  le 
jQuîYÏnalis ,  de  Quirinus.  C'étoit  le  Peu- 
ple qui  les  élifoit,  &  le  Souverain  Pon- 
tife en  confirmoit  l'éleftion.  Comme  ces 
trois  Flamines  étoient  en  une  grande 
considération ,  &  qu'ils  joiiiflbient  de 
plufieurs  privilèges,  quoiqu'ils  ne  fuf- 
fent  pas  de  l'ordre  des  Pontifes,  ilspre- 
noient  place  parmi  eux  dans  les  affaires 
de  confequence.  Cet  ordre  fut  augmen- 
té dans  la  fuite ,  &  il  y  eut  jufqu'à  quin- 
ze Flamines ,  dont  trois  étoient  tirés  du 
rang  des  Sénateurs ,  &  étoient  nommés 
Flamines  majeurs,  &  les  douze  autres  , 
appelles  Flamines  mineurs,  étoient  pris 
parmi  le  Peuple.  Chaque  Flamine  étoit 
«deftiné  au  culte  particulier  d'une  Divi- 


'£o8  La  Mythologie  &  les  Fables 
mté ,  &  fon  Sacerdoce  étoit  à  vie  ;  quoi- 
-qu'il  pût  en  être  dépofé  pour  des  cho- 
ses graves ,  ce  qui  s'exprimoit  par  ces 
mots ,  Flaminio  abire ,  quitter  le  Sacer- 
doce. 

Comme  Jupiter  étoit  parmi  les  Ro- 
mains le  plus  grand  des  Dieux,  fon  Prê- 
tre étoit  auffi  le  plus  confideré  ;  mais  en 
même  temps  il  étoit  fournis  à  des  prati- 
ques aflez  gênantes  :  fuivant  Aulu-Gel- 
dYNocAtt.  je  (i)  3  il  ne  lui  étoit  pas  permis  d'aller 
' i0'c' I5'   à  cheval;  de  voir  une  Armée  hors  de 
la  ville ,  rangée  en  bataille  ;  de  jurer  ;  & 
il  ne  pouvoit  porter  qu'une  forte  d'an- 
neau-, percé  -d'une  certaine  manière.  Il 
étoit   défendu   d'emporter  du  feu    de 
chez  lui ,  hors  le  feu  facré  ;  &  il  falloit 
un  homme  de  condition  libre ,  pour  lui 
couper  les  cheveux.  Aflïs  à  la  première 
place  dans  les  feftins,  il  ne  la  cedoit  qu'à 
celui  qui  étoit  nommé  le  Roi  Sacrifica- 
teur. Il  lui  étoit  défendu  de  faire  divor- 
ce avec  fa  femme,  de  fortir  fans  fon 
bonnet  Sacerdotal ,  d'entrer  dans  une 
maifon  où  il  y  avoit  un  mort,  encore 
plus  de  toucher  un  cadavre ,  &c.  V ar- 
ron  ajoute  que  le  Flamen  Dialis  étoit 
le  feul  qui  pût  porter  le  Bonnet  blanc  , 
YAlbo-Gaïerus ,  dont  nous  avons  par- 
le. Les  privilèges  des  deux  autres  Fia- 


Expl.  par  PHifi.  Liv.  III.  Ch.  XII. 509 

mines  majeurs  étoient  aufli  fort  étendus T 
quoique  moindres ,  &  il  falloit  fur-tout 
qu'ils  fuflent  de  famille  Patricienne. 

Les  Flamines  mineurs ,  pris  parmi  le 
Peuple,  étoient  moins  confiderés,,  &  le 
nombre  n'en  a  pas  toujours  été  fixé  à 
douze.  Il  fuffit  de  les  nommer  pour  con- 
noître  leurs  fondions.  Le  Flamine  Car* 
mentaîis -,  étoit  le  Prêtre  de  la  DéefTe 
Carmenta.  Le  Falace  étoit  ainiî  appelle 
d'un  ancien  Dieu  de  ce  nom.  Floralis  f 
de  la  Qéeiïe  Flora  ;  Furinalis  >  de  Furi- 
na,  de  laquelle  Varron  fait  mention» 
Laurentalis  y$ Acca  Laurentia  ;  Lucina- 
lis  ,  de  Lucine  ;  Falatinalts ,  de  la  Déef- 
fe  Falatina,  la  prote&rice  du  Palatium^ 
Pomonalïs ,  de  Pomone;  Virhialïs  ,  de^ 
Virbius ,  ou  Hippolite  ;  Volcatmlis  >  de 
Vulcain  ;  Volturnalis  >  du  Dieu  du  fleu- 
ve Vulturne.  Les  Empereurs ,  dont  on 
avoitfait  l?Apotheofe,avoient  aufli  leurs 
Flamines.  Ainfi  on  trouve  dans  les  In£* 
criptions  un  Prêtre  d'Augufte,  Flamen 
Auguflalts  ;  un  Prêtre  de  Cefar ,  Fla^ 
men  Cafaris;  &  Marc- Antoine  voulut 
bien  par  flaterie  prendre  cette  dignité  ; 
un  Prêtre  de  l'Empereur  Claude ,  Fla- 
men CI  audit  ;  un  d'Hadrien ,  Flamen  Ha~ 
drianaVis.  Enfin  il  y  a  voit  un  Flamine, 
gui  apparemment  fe  mêloit  du  culte  de 


j  I O  La  Mythologie  &  les  Fables 
tous  les  Dieux ,  &  qui  étoit  nommé  Fia- 
men  Divorum  omnium^  le  Prêtre  de  tous 
les  Dieux ,  ce  qui  étoit  pourtant  contre 
les  anciennes  conftitutions  (a).  Feftus 
prétend  que  les  femmes  des  Flamines 
Diales  ,  ou  de  Jupiter,  étoient  des  Prê- 
trèfles  ,  &  fe  nommoient  Flaminiques  > 
Se  félon  Aulu-Gelle ,  elles  jouiflbient 
des  mêmes  privilèges  que  leurs  maris , 
&  les  mêmes  chofes  leur  étoient  défen- 
dues (b). 

Le  Roi  Sacrificateur,  nommé  Rex 
Sacrificulus  ,  fut  établi  après  qu'on  eut 
chafle  les  Rois  de  Rome ,  pont  confer- 
0)1.  x.  ver  .  £t  DenyS  d'Haïicarnaffe  (l);  le 
fouvenîr  des  grands  biens  qu'avoient 
fait  à  Rome  quelques-uns  de  leurs  Rois. 
On  ordonna  que  les  Pontifes  &  les  Au- 
gures defigneroient  un  des  plus  anciens, 
pour  avoir  foin  du  culte  divin  ;  mais  de 
peur  que  le  nom  de  Roi  ne  fût  encore 
fufpeft,  on  établit  en  même  temps  que 
le  Roi  Sacrificateur  feroit  fournis  au 
Souverain  Pontife.  On  lui  donnoit  auffi 
le  nom  de  Rex  Sacrorum ,  &  à  fa  fem- 
me celui  de  Regina  Sacrorum.  Macrobe 

(a)  Tous  ces  noms  font  tirés  de  Feftus  &  de  plufîeun 
autres  Anciens  ,  ou  des  Infcriptions  dont  la  plupart  ,e  trou- 
vent dans  Gruter.  .  x  . \      -., 

(b)  Exdem  fermé  cevemcnU  Junt ,  yuas  FUmmicas  Uifr 
hs  fior/îm  aiunt  obfcrvitare.  Aulu-G, 


Expl.parVHift.Liv.JIL  Ch.  XIL  ;iï 

(i)  ,  qui  Tappelle  le  Pontife  mineur,  dit  (OSauir.U- 
qu'il  facrifioit  à  Junon  dans  la    Curie 
Calabra,  ainfi  que  fa  femme  qui  immo- 
loit  à  cette  Déefife  une  Truye  ou  un 
Agneau  femelle. 

J'ai  dit  qu'il  y  avoit  à  Rome,  comme 
en  Grèce ,  des  familles  Sacerdotales  : 
telle  étoit  dans  cette  Ville  la  famille  des 
Potitiens  &  celle  des  Pinariens ,  pour  le 
culte  d'Hercule  >  &  ce  Sacerdoce  y  du-, 
ra  long-temps.  L'origine  en  remontoit 
au  temps  d'Evandre  ,  &  en  voici  Thif-* 
toire.  Hercule  étant  chez  ce  Prince  > 
Arcadien  d'origine,  mais  établi  en  Ita- 
lie ,  lui  preferivit  la  manière  dont  il  vou- 
loit  être  honoré ,  &  chargea  dç  ce  foin 
deux  vieillards ,  dont  l'un  fe  nommoit 
Potitius  ,  &  l'autre  Pinarius.  Dans  le 
premier  Sacrifice  qui  lui  fut  offert  le 
foir,  (  Denys  d'Halicarnaffe  dit  que  ce- 
la arriva  au  Sacrifice  du  matin  )  Potitiua 
arriva  le  premier ,  &  Pinarius  ne  vint 
que  lorfque  la  cérémonie  étoit  prefque 
achevée  ;  ce  qui  engagea  Hercule  à  le 
punir  de  fa  lenteur ,  en  ordonnant  que 
dans  la  fuite  les  Pinariens  ne  feroient 
que  les  Miniftres  des  Potitiens  :  ce  qui 
fut  exactement  obfervé  jufqu'à  Tan  461*. 
de  Rome,  que  ce  Sacerdoce  fut  aboli* 

On  voit  bien  que  cette  fable  eft  fon- 

Y  iiij 


512  La  Mythologie  &  les  Fables 
dée  fur  ce  que  le  culte  d'Hercule  ayant 
été  porté  en  Italie  par  Evandre  ,  on 
établit  les  Potitiens  &  les  Pinariens 
pour  en  avoir  foin  ,  avec  la  dépendan- 
ce dont  nous  venons  de  parler. 

A  toutes  ces  fortes  de  Minidres  on 

iiYMpknes.  doit  joindre  encore  les  Epulons  (i)  , 
qui  exerçoient  le  Sacerdoce  parmi  les 
Romains.  Les  Pontifes  ne  pouvant  va- 
quer à  tous  les  Sacrifices  qui  fe  faP 
ioient  à  Rome,  pour  îe  nombre  infini  de 
x)ieux  qui  y  étoient  honorés ,  instituè- 
rent trois  Miniftres  qu'ils  appelèrent 
Epulons  j  Trlum-vïn  Epulotrum  y  par  ce 
que  leur  fonction  confîftoit  à  préparer 
les  féftiris  facrés  dans  les  Jeux  (olem- 
neîs,  comme  nous  Rapprenons  de  Fef- 
tus  (ftV$  &  à  dreffer  les  lits  fur  lefquels 
on  fe  plaçoit  pour  manger.  Ces  feftins  , 
qui  n'étoient  que  pour  les  Dieux  ,  8c 
fur-tout  pour  Jupiter  \  s'appelloient  les 

(i)Liv.  33.  Leâifternes  (2),  comme  nous  le  dirons 
dans  l'article  des  Fêtes.  Les  Epulons 
avoient  le  privilège  de  porter  la  Robe 
bordée  de  pourpre ,  comme  les  Ponti- 
fes ,  ainlî  que  le  dit  Tite-Live.  Le  nom- 
bre de  ces  Miniftres  fut  augmenté  d'à- 

(a)  Epuhws  dicebant  JlniiqvÀ  ,  cjuos  Hu;k  Epvlones  dicU- 
mus  ,  datum  auttm  ejl  bis  iv.me."  >  nusd  eçnlas  mdicmdi^G^. 
vi ,  cœterifîjiie  diis  pteftatem  habcunt. 


Expl.  parmjl.  Liv.  III.  Ch.  XII.  5-15 

bord  de  deux  ,  puis  encore  de  deux  au- 
tres ,  Se  enfin  jufqu'à  dix  dans  le  temps 
que  Jules  Cefar  étoit  Pontife.  Voilà  les 
Triumviriy  les  fhtvntumviri ,  les  Septem- 
viri  &  les  Decemviri  Epulonum ,  dont  il 
eft  parlé  dans  l'Hiftoire  Romaine. 

Parmi  les  autres  privilèges  accordés 
aux  Epulons,  le  plus  confiderable  étoit 
de  n'être  point  obligés  de  donner  leurs 
filles  pour  être  Veftales,  &  ils  avoient 
cela  de  commun  avec  d'autres  Minif-* 
très ,  ainfî  que  nous  l'apprenons  d'Au- 
Îu-Gelle  (  i  ■).  Cet  Auteur  parlant  des  (i)L»i.*«N 
filles  Romaines  qui  pouvoient  s'exemp- 
ter d'être- Veftales,  dit  :  Sedeam,  cujus 
for  or  ad  id  Sacrijîciurn  leâa  fit ,  exeufa- 
tionem  mereri  avunt.  Item  cujus  pater  Fia- 
men  y  aut  Augur ,  aut  fhiindtcimvir  Sa- 
cris  faaendis ,  aut  qui  Septtmvir  Epuh~ 
ttum ,  &c. 

On  connoît  par  Tite-Live  la  date  de 
la  première  inftitution  des  Epulons,  ce 
fut  l'an  J  y  8.  de  la  fondation  de  Rome  9 
fous  le  Confulat  de  Lucius  Furius  Pur-- 
pureo,  &  de  M.  Claudius  Marcellus  (a); 
enforte  qu'on  eft  juftement  furpris  que 
Pamponius  Laetus  dife  qu'an  ne  peut  - 

(a)  Rjmœ  eo  \rimum  anno  Triumvir i  Eçulones  fx&i ,  Cahttt 
X-itinius  Luatllus  ,  T.  Romuleins  ,  qui  Legern-  de  creanàii 
ha  t*kr*t7  &  P»  Forcim  UcçiU. 


y  14     La  Mythologie  &  les  Fallet 

pas  découvrir  l'époque  de   cette  pre-* 

iniere  inftitution  (a). 

Je  dirai  peu  de  chofe  prefentement 
des  Prêtres  établis  pour  la  garde  des 
Livres  Sibyllins ,  me  refervant  à  en  par- 
ler dans  l'article  des  Sibylles.  Tarquin 
le  Superbe  ayant  acheté  ces  Livres ,  ins- 
titua deux  Minrftres  pour  les  garder  foi- 
gneufement  :  l'an  de  Rome  trois  cens 
quatre-vingt-huit ,  on  en  créa  huit  au- 
tres; &  enfin  on  y  en  ajouta  encore 
cinq  du  temps  de  Sylla ,  ce  qui  fit  quin- 
ze. Ce  Miniftere ,  fort  refpefté  à  Rome, 
dura  jufqu'au  temps  de  Theodofe,  à 
l'an  de  l'Ere  Chrétienne  388. 

Les  Romains  avoient  encore  d'autres 
ordres  de  Prêtres  &  de  PrêtreiTes  ;  com- 
me les  Veftales,  dont  nous  parlerons 
au  long  dans  l'hifcoire  de  la  DéeiTe  ,.  de 
laquelle  elles  avoient  pris  leur  nom  :  les 
vSibylles ,  dont  nous  ferons  un  article  fé- 
paré  :  les  Saliens,  Prêtres  de  Mars  dont 
il  fera  parle  dans  l'hiftoire  de  ce  Dieu  : 
les  Prêtres  Arvales  qui  facrifioient  pour 
la  fertilité  des  champs,  Arva  :  les  Péda- 
les qui  alloient  déclarer  la  guerre  ou 
Tefbudre  la  paix  :  les  Phœbades  ,  qui 
avoient  foin  du  culte  d'Apollon  ;  &  les 

(*)  Voye*.  Vigenere  fur  le  premier  Livre  de  Tite-Live* 
f.  310*  Ù   Hl* 


Expl.par  PHijl.  Liv  JILChàf.XII.  yiy 

Bajfarides ,  pour  celui  de  Bacchus  :  les 
Luperces 9  pour  le  Dieu  Pan,  Se  quel- 
ques autres  encore  qui  étoient  deftinés 
au  culte  de  quelques  Divinités  particu- 
lières ;  fans  parler  de  plusieurs  Miniftres 
fubalternes  ,  qui  fçrvoient  les  Prêtres 
dans  leurs  fondions  ;  comme  les  Camil- 
les,  qui  étoient  ainfï  appelles  d'un  nom 
donné  à  Mercure ,  parce  que  ce  Dieu 
étoit  le  Miniftre ,  où  plutôt  le  Serviteur 
de  Jupiter  (a). 

Indépendamment  de  ces  Miniflres  7 
les  Grecs  &  les  Romains  en  avoient 
d'autres  ,  qui  étoient  aufli  deftinés  au 
culte  des  Dieux,  tels  que  les  Augures 
&  les  Arufpices,  dont  je  parlerai  dans 
l'article  de  la  Divination. 

Pour  ce  qui  concerne  les  habillemens 
des  difFerens  Prêtres  ,  Se  des  autres  Mi- 
niflres dont  il  a  été  parlé  dans  ce  Cha- 
pitre ,  je  renvoyé  aux  Antiquaires  qui 
les  ont  fait  defïîner  fur  les  monumens. 
La  limple  infpeftion  des  figures  fupplée 
à  de  longues  Se  fouvent  inintelligibles 
explications, 

Difons ,  avant  que  de  finir  cet  article^ 
que  chaque  ordre  de  Prêtres  ,  confa- 
£rés  à  quelque  Divinité  ,  avoit  un  Col- 
lège particulier  ,   qui  étoit  comme  la. 

{*)  Voyez  Tiiiiioire  de  Mercme,  To-m?  r:oi£é.-ue, 


ji6  La  Mythologie  &  les  Fable?  . 
Communauté  de  laquelle  il  relevoit,  & 
dans  laquelle  fe  faîfoient  les  éle&ions. 
Ces  Collèges  portoient  le  même  nom 
que  ces  Prêtres  :  derlà  le  Collège  des 
Arvales  ,'  pour  les  Dieux  des  champs  ; 
de  Sylvain  ,  pour  ceux  de  ce  Dieu  ; 
des  Saliens,  pour  ceux  de  Mars;  celui 
des  Feçiaies:  celui  des  Luperces  ,  Se 
tant  d'autres,  dont  les  noms  fe  trouvent 
fou  vent  dans  les  Hiftoires  &  fur  les  an- 
ciennes Inscriptions-.. 

/ , 

5gg ■■un  wii wniiii  >■■—■!.■  i»'i— ■■ il  ipiiin^tiw  **»■«■  iQMrnTiwgBB^ 

CHAPITRE     XIII. 

Des  Fêtes  des  Grecs  &  des  Romains. 

Es.  Grecs  &  les  Romains ,  fans  par- 
_  1er  des  Egyptiens  &  des  autres 
Peuples  avoient  un  fi  grand  nombre  de 
Fêtes,  qu'il  feroit  bien  difficile  d'en 
donner  un  détail  exaft  ;  &  comme  nous 
avons  plufieurs  Traités  fur  cette  matiè- 
re ,  il  faut  commencer  par  les  indiquer. 
Meurfïus  en  a  compofé  un  fur  les  Fe- 
(i)  Gt*c.  tes  des  Grecs  (î)  ,  qui  contient  fix  fi* 
V2)be-Feah  vres  :  Fafuldus  &  Caftellanus  (2) ,  ont 
Gsçc  travaillé  fur  le  même  fujet ,  aînfî  que  le 

célèbre  M.  Potter  ,  dans  fon  Archéolo- 
gie Grecque,  Beger  &  d'autres  encore. 
Ovide  dans  fes  Faites,  ôc.  Rofin  dans 


1 


péri. 


Expl.parPHifi.  Liv.  III.  Ch.  XIII.  5*17 

fes  Antiquités  Romaines ,  nous  inilrui- 
fent  fuffifamment  fur  les  Fêtes  des  Ro- 
mains ,  &  ceux  qui  veulent  étudier  ce 
fujet  à  fond  ,  peuvent  les  confulter.  Ce- 
pendant, pour  ne  pas  laifTer  ma  Mytho- 
logie incomplette ,  &  foulager  ceux ,  ou 
qui  n'ont  pas  ces  Ouvrages  ,  ou  qui 
n'ont  pas  le  temps  de  les  confalter ,  je 
vais  donner  une  idée  abrégée  de  la  plu- 
part d£  ces  Solemnités.  Les  plus  gran- 
des de  toutes  étoient  les  Myileres  ;  mais 
j'en  parlerai  ailleurs. 

Les  Romains  avoient  emprunté  des 
Grecs  plufieurs  de  leurs  Fêtes,  comme, 
ceux-ci  en  avoient  emprunté  des  Egyp- 
tiens &  des -Phéniciens.  Ils  en  avoient 
auffi  de  particulières;  c'eft  ce  que  nous 
aurons  foin  de  remarquer;  entrons  dans 
quelque  détail.  J^efpere  qu'on  me  par- 
donnera la  fécherelTe  de  ce  Calendrier 
en  faveur  de  quelques  traits  d'hiftoire  y 
qui  ont  donné  Heu  à  l'inftitution  de  ces 
Fêtes. 

Celles  des  Grecs  étoient  en  très- 
grand  nombre  ;  parlons  des  principales. 
Les  Achillées  étoient  en  Thonneur  d'A- 
chille. Paufanias,  qui  dit  (1)  qu'elles  fe 
eelebroient  àBrafeis,  où  ce  Héros  avoit 
un  Tempk  ,  ne  nous  en  apprend  aucun 
détail.  Les  Atfiaques,  qu'on  celebroit;  ea 


f  1 8  LaMytholbgie  &  les  Fables  ^ 
l'honneur  d'Apollon  ,  avoient  pris  leur 
nom  du  Promontoire  d' Aétium  \  où  étoit 
un  Temple  de  ce  Dieu,  On  danfoit  pen- 
dant la  célébration  de  cette  Fête ,  &  on 
tuoit  un  bœuf  pour  les  mouches ,  qui 
s' étant  raffafîées  de  fon  fang  ,  s'envo- 
loient&  ne  revenoient  plus. 

Les  Agrames ,  ou  Agrïanies ,  étoient 
tme  Fête  inftituée  à  Argos  enfaveur  d'u- 
ne fille  de  Prœtus.  Les  Agraulies  étoient 
ainfî  nommées  parce  qu'elles  dévoient 
leur  inftitution  aux  Agraules,  Peuples 
de  l'Attique  ,  de  la  Tribu  Ere&heïde  , 
laquelle  avoit  pris  fon  nom  d'Aglaure  j 
fille  de  Cecrops  ,  PrêtrefTe  de  Minerve ,, 
en  l'honneur  de  laquelle  la  Fête  étoit 
célébrée. 

Plutarque  décrit  ainfî  la  Fête  des 
ï)In  Symp.  Agriomes  (i).  Les  femmes  ,  dit-il  ,  y 
cherchent  Bacchus;  &  ae  le  trouvant  pas, 
elles  ceflent  leur  pourfuite  ,  difant  qu'il 
s'efl  retiré  près  des  Mufes.  Elles  foupent 
enfemble  ,  &  après  le  repas  elles  fe  pro- 
pofent  des  énigmes  ;  myftere  qui  figni- 
fioit  que  l'érudition  &  les  Mufes  doivent 
accompagner  la  bonne  chère  :  &  fi  l'y- 
vreffe  y  furvïent ,  fa  fureur  eft  cachée 
par  les  Mufes  qui  la  retiennent  chez  el- 
les ,  c'eft-à-dire,  qui  en  répriment  l'excès. 
Nous  ne  dirons  rien  ici  des  Agmtres-> 


ExpLparPBJt.  L.  IIL  Ch.  XIII.  ;i9 
Fête  de  Diane ,  où  on  immoloit  cinq 
cens  chèvres  ,  parce  que  nous  en  avons 
fuffifamment  parlé  dans  le  Chapitre  des 
Sacrifices. 

Dans  les  Ematuries  >  célébrées  en 
l'honneur  de  Pelops ,  les  jeunes  garçons 
fe  foiiettoient  jufqu'au  fang.  Les  Ajax~ 
ties ,  Fête  de  Sala-mine ,  étoient  célébrées 
en  Phonneur  d'Ajax,  fils  de  Telamon. 
Les  Eories ,  Fête  d'Athènes  en  l'honneur 
d'Erigone  ,  fille  d'Icare,  avoient  été 
ïnftituées  fur  ce  que  cette  fille ,  qui  fe 
pendit  de  defefpoir,  avoitprié  les  Dieux 
de  faire  périr  de  la  même  forte  les  filles 
des  Athéniens,  s'ils  nevengeoientpas  la 
mort  defonpere.  Plufîeurs  filles  en  effet 
fe  pendirent.  Apollon  confulté  ,  ordon- 
na l'etabliffement  d'une  Fête ,  pour  ap- 
paifer  les  mânes  d'Erigone. 

Je  ne  ferai  que  nommer  les  Alées  cé- 
lébrées en  Arcadie  en  l'honneur  de  Mi- 
nerve Alxa  :  les  Aloties  que  le  même 
Peuple  folemnifoit  pour  avoir  pris  beau- 
coup de  prifonniers  Lacedemoniens  ;  les 
Alies y  Fêtes  d'Apollon,  ou  du  Soleil  : 
les  Alcathées  ,  en  l'honneur  d'Alcathoùs 
fils  de  Pelops  :  les  Aloes  ,  ou  la  Fête  des 
Aires ,  pendant  laquelle  on  offroit  à  Ce- 
rès  &  à  Bacchus  les  prémices  de  la  ré- 
colte :  les  Àtnbrofies ,  célébrées  au  temps 


yao  La  Mythologie  &  les  Fables 
'  de  la  vendange  en  l'honneur  du  même 
Dieu  :  les  Amphiarées ,  Fête  du  Devirr 
Àmphiaraiis  :  les  Anacées  ,  en  l'honneur 
de  Caftor  &  Pollux  ,  nommés  Anaâes  9 
ou  Anaces ,  qui  veut  dire,  Princes,  Sou- 
verains, &c.  Les  A n agogies,  célébrées* 
à  Eryx  en  Sicile ,  en  l'honneur  de  Venus  : 
les  Androgenws  ,  oLue  Minos  établit  à 
Athènes,  où  fon  fik  Androgéeavoitété 
affaflîné  (a)  :  IzsAnthefphorïes,  en  Vhon~y 
neur  de  Proferpine,  Fête  ainfi  nommée4 
parce  qu'elle  fut  enlevée  dans  le  temps 
qu'elle  cueilloit  dès  fleurs  :  les  Apobo- 
mies ,  qui  prirent  ce  nom  ,  parce  que 
dans  leur  folemnitéonfacrifioit,  non  fur 
un  Autel ,  mais  à  terre. 

Les  Anthifteries ,  ainfi  nommées  du* 
mois  d5 Antilïerion ,  qui  repond  en  partie- 
au  mois  de  Novembre  ,  avoient  cela  der 
particulier,  que  les  Maîtres  fervoient  k 
table  leurs  Efclaves ,  pendant  les  trois 
jours  qu'elles  duroient  ;  ce  que  les  Ro- 
mains imitèrent  dans  leurs  Saturnales.  La 
Fête  finie  on  faifoit  fortir  ces  Efclaves  \ 
&  comme  ils  étoient  prefque  tous  de  Ca^ 
rie  ,  de-là  le  Proverbe  :  hors  dyici  Ca~ 
riens y  lesAnthifttries  font  finies.   . 

Les  Apaturies  >  Fête  des  Athéniens, 
dont  le  nom  venoit  d'A'*^,  trompine  ± 

{a)  \cyt%  Thiftoire  de,  Muios»  , 


ExpL  parmjL  L. III.  Ch.  XIII.  p  t 

Revoient  leur  origine  à  l'hiftoire  que  je 
vais  reconter.  Les  Béotiens  ayant  décla- 
ré la  guerre  aux  Athéniens,  àl'occafîon 
du  territoire  de  Céléne  ou  d'Onoé  ,  que 
ces  deux  Peuples  fe  difputoient  y  Xan- 
the,  Chef  des  Béotiens ,  offrit  de  termi- 
ner le  différend  dans  un  combat  fingulier. 
Thymete  ,  Roi  d'Athènes ,  ayant  refufé 
le  défi  ,  fut  depofé  ,  &  Melanthe  qui 
l'accepta  ,  fut  mis  en  fa  place.  >  Celui-ci 
voyant  approcher  fon  ennemi ,  lui  dit 
que  ce  n'étoit  pas  agir  en  galant  hom- 
me ,  de  venir  accompagné  dans  un 
Duel.  Xante  tourna  la  tête  pour  voir  fi 
effectivement  il  lui  venoit  un  fécond ,  & 
pendant  ce  temps-là  ,  Melanthe  lui  paffa* 
fon  épée  au  travers  du  corps.  Cette  .fê- 
te duroit  trois  jours:  pendant  le  premier 
on  celebroit  un  feftin;  on  facrifioit  au 
fécond ,  &  le  troifîeme  on  infcrivoit  dans- 
chaque  Tribu  les  jeunes  gens  qui  dé- 
voient y  être  reçus. 

Voici  le  fujet  qui  fit  établir  les  Apol- 
lonies  par  les  Peuples  d'Egialée.  Apol- 
lon après  la  défaite  de  Python  [  fe  retira 
à  Egialce  avec  Diane  fa  fœur:  mais  en 
ayant  été  chaffë,  il  fut  obligé  d'aller 
chercher  une  retraite  dans  i'Ilîe  de  Crè- 
te. Cependant  la  pefte  faifant  de  grands 
ravages  dans  la  ville  que  ce  Dieu  ve- 


$22  La  Mythologie  &  les  Fables 
noit  d'abandonner  ,  on  alla  confulter 
l'Oracle,  &  on  apprit  qu'il  falloit  dépu- 
ter fept  jeunes  garçons  &  un  pareil  nom- 
bre de  jeunes  filles,  pour  chercher  Apol- 
lon &  Diane ,  ôc  les  ramener  chez  eux. 
Cette  députation  plut  aux  deux  Divi- 
nités offenfées,  &  elles  revinrent  à  Egia- 
lée  ,  où  l'on  dédia  un  Temple  à  Pytho, 
Déeffe  de  la  perfuafion  ;  Se  en  mémoire* 
de  cet  événement,  on  faifoit  fortir  tous 
les  ans  le  même  nombre  de  garçons  &de 
filles ,  comme  pour  aller  chercher  Apol- 
lon &  Diane. 

Les  Aphrodtjtes  étoient  célébrées  en 
l'honneur  de  Venus  dans  rifle*de  Chy- 
pre ,  &  en  plulîeurs  autres  endroits.  Pour 
être  initié  à  cette  Fête  ,  on  donnoitune 
pièce  d'argent  à  Venus,  comme  à  une 
fille  de  mauvaife  vie  ,  &  on  en  recevoir 
des  préfens  dignes  de  la  Déeffe. 

Voici  une  foule  d'autres  Fêtes  qu'il 
fuffira  prefque  de  nommer.  Les  Aratéesy 
d)  vied'A-  dont  parle  Plutarque  (i) ,  étoient  célé- 
brées en  Thonneur  d'Aratus.  Les  Ariad- 
nées  y  en  l'honneur  d'Ariadne,  fille  de 
Minos.  Les  Artermfies ,  étoient  célébrées 
en  plufieurs  lieux  de  l'Afie  mineure  Se 
de  la  Grèce ,  en  l'honneur  de  Diane 
qu'on  nommoit  Artemts.  A  Delphes  on 
tmmoioit  à  la  Déeffe  un  poifîbn  app 


ExpLparPHift.  L.III  Ch.XIII.  p$ 

k;  Mulet.  Les  Afclepies  ,  pour  Efcula- 
pe,  étoient  célébrées  dans  toute  la  Grè- 
ce ,  fur-tout  à  Epidaure  ,  où  on  les  nom- 
moit  Megalafclepia ,  les  grandes  Afcle- 
piades. 

Les  Boédromies,  Fête  d'Athènes, 
pendant  lefquelles  on  couroit  &  on 
crioit  de  toute  fa  force ,  avoient  pris  leur 
nom  de  Boè  ,  cri  ,  &  de  Dromos  ,  courfe. 
Elles  fe  celebroient  vers  le  mois  d'Août; 
d'où  le  mois  Athénien  qui  y  répond,  a 
été  nommé  Boédromion.  Cette  Fête  fé- 
lon Plutarque ,  fut  inftituée  lorfque  les 
Amazones  fe  rendirent  MaîtreiTes  d'A- 
thènes. Les  Boréefines  étoient  célébrées 
auilï  à  Athènes  pour  appaiferle  vent  Bo- 
rée. Les  Euphonies  j  autre  Fête  d'Athè- 
nes ,  prenoient  leur  nom  du  bœuf  qu'on 
y  immoloit  à  Jupiter  Polien  :  les  Athé- 
niens celebroient  auflï  anciennement  la 
Fête  nommée  Diipolie,  en  Thonneur  du 
même  Jupiter. 

Les  Cabiries  avoient  été  inftituées  dans 
l'Ifle  de  Samothrace ,  en  l'honneur  des 
Cabires ,  &  fe  celebroient  encore  en 
d'autres  endroits  de  la  Grèce.  Les  Cal- 
liftes ,  ainiï  nommées  parce  que  les  fem- 
mes s'y  difputoient  le  prix  de  la  beauté, 
étoient  particulières  à  l'Ifle  de  Lesbos. 
Les  Carnées ,  dont  parlent  Hérodote  (1)  (0  iiy.  7. 


y 24     La  Mythologie  &  les  Fables 
[x)  riv-. 5.    &  Thucydide  (i),  fe  celebroient  fur- 
tout  chez  lesLacedemoniens,  en  Thon- 
neur  d'Apollon  Carnéen  ;  &  les  Caries 
en  l'honneur  de  Diane ,  furnommée  Ca~ 
riatis.  Les  Chanties  etoient  la  Fête  des 
Grâces.  Les  Cijjotonies,  ainfî  nommées  du 
lierre  qu'on  portoit  à  cette  Fête,  infti- 
tuée  en  l'honneur  d'Hebé,  DéeiTe  de  la 
jeuneffe.  Les  Corées  etoient  la  Fête  de 
Proferpine ,  nommée  Coré.  Les  Coryban- 
tiques  etoient  célébrées   dans  lTiTe   de 
Grete  ,  en  l'honneur  des  Corybantes  y 
dont  nous  parlerons  en  fon  lieu.   Les 
Chronies  ,  célébrées  à  Athènes  à  l'hon- 
neur de  Saturne  ,  etoient  à  peu  près  lesr 
mêmes  que  les  Saturnales  des  Romains» 
Cynophoris  étoit  une  Fête  d'Argos  célé- 
brée aux  jours  caniculaires ,  pendant  la- 
quelle on  tuoit  tous  les  chiens  ;  ce  qui 
donna  le  nom  à  cette  Solemnité. 

Dades ,  Fête  qui  prenoit  fon  nom  des 
b)  L*ïtu  torches  (2)  qu'on  y  allumoit  ,  duroit 
trois  jours  :  le  premier  étoit  en  mémoire 
des  douleurs  de  Latone ,  lorfqu'elle  ac- 
coucha d'Apollon  ;  le  fécond  étoit  pour 
honorer  la  naiffance  de  Glycon ,  &  des 
Dieux  ;  &  le  troifiéme  en  faveur  des  no- 
ces de  Podalirius  &  de  la  mère  d'Alexan- 
dre. Les  Dédales  dont  parle  au  long, 
b>  in.Bcot.  Paufanias  (3),  etoient  de  deux  fortes;.. 


ExpJ.  par  THljl.  L.  III.  Ch.  XIII.  p; 

rîes  petites  ,  que  les  Platéens  celebroient 
,touslesans  ;  &  les  grandes,  quin'étoient 
célébrées  que  tous  les  foixante  ans ,  en 
mémoire  de  Fexil  des  Platéens,  qui  avoit 
duré  un  pareil  nombre  d'années.  Les 
Argiensavoientune  Fête  nommée  Dau- 
lis  y  pour  renouveiîer  le  fouvenir  du 
combat  de  Prœtus  contre  Acrifius.  A 
JEgine  étoit  la  Fête  nommée  Delphime , 
en  Ihonneur  d'Apollon  de  Delphes.  Les 
Délies  dévoient  leur  origine  à  Thefee  , 
lorfqu'à  fon  retour  de  Crète  ,  il  plaça 
dans  un  Temple  la  Statue  de  Venus, 
qu?  Ariadne  lui  avoii  donnée. 

Les  Ephefties  étoient  des  Fêtes  de  Vut- 
cain ,  où  trois  jeunes  garçons  portant  des 
torches  allumées  ,  couraient  de  toute 
leur  force,  .&  celui  qui  atteignoit  le  but 
le  premier  fans  avoir  éteint  fa  torche , 
gagnoit  le  prix  deitiné'à  cette  courfe. 
Les  Ephejlries ,  qu'on  celebroit  à  Thebes, 
avoient  quelque  chofe  de  bien  fîngulier. 
On  habiiloit  le  Devin  Tirefias  en  femme, 
■.puisonledeshabilioitj,  &  onluidonnoit 
un  autre  habit,  pour  marquer  qu'il  avoit 
changé  de  fexe ,  comme  nous  le  dirons 
dans  fon  hiftoire  ;  &  comme  Ephejîrie 
lignifie  une  forte  d'habit,  une  efpecede 
furtout,  ce  mot  devint  celui  de  la  Fête. 
Il  arrivait  fouvent  aufli  que  les  Fêtes 


526  La  Mythologie  &  les  Fables 
des  Grecs  tiroient  leur  nom  du  lieu  où 
elles  étoient  célébrées.  Les  Gerejîies  , 
Fêtes  de  Neptune,  étoient  ainfi  nommées 
de  Gerefte ,  bourg  de  PEubée.  Les  Itho- 
mées ,  pendant  lefquels  les  Mufîciens 
jouoient  à  l'envi  de  leurs  inftrumens  en 
l'honneur  de  Jupiter  ,  tiroient  leur  nom 
d'un  lieu  nommé  Ithome.  Les  Geronthées y 
Fêtes  du  Dieu  Mars,  du  lieu  appelle 
Geronthé ,  ainlî  de  plufîeurs  autres. 

Quelquefois  elles  prenoient  leur  nom 
de  la  chofe  qu'on  y  offroit  aux  Dieux. 
Les  Hecatombées ,  étoient  ainfî  appellées, 
parce  qu'on  y  immoloit  cent  bœufs.  Les 
Galavies,  Fêtes  d'Apollon ,  parce  qu'on 
ofrroit  à  ce  Dieu  une  bouillie  d'orge  & 
de  lait.  Les  Hecatonphonies ,  marquoient 
chez  les  Lacedemoniens  qu'ils  avoient 
tué  cent  de  leurs  ennemis.  Les  Elapho- 
bolies  ,  dans  laquelle  on  immoloit  à 
Athènes  des  cerfs  à  Diane ,  parce  que  ce 
mot  fignifie  que  cette  DefTe  les  tuoit  à 
la  cbalfe. 

Plus  fouvent  encore  des  Dieux  ou  des 
Héros  en  l'honneur  defquels  elles  étoient 
inftituées  ;  ainlî  on  voit  bien  ,  fans  qu'il 
foit  befoinde  s'étendre  fur  ce  fujet,  que 
les  Heraclées  étoient  les  Fêtes  d'Hercu- 
le ,  les  lier  mées  ,  les  Fêtes  de  Mercure  ; 
les  Hyacinthwées  ,  la   folemnité  ou  le 


Expl.  par  PHijl.  L.  III.  Ch.  XIII.  527 

deuil  que  les  Lacedemoniens  celebroient 
en  l'honneur  d'Hyacinthe.  luesEumeni- 
des  y  les  Fêtes  des  Furies  ;  les  Erotides  , 
celles  de  l'Amour,  ou  de  Cupidon  ;  c'é- 
toient  les  Thefpiens  qui  celebroient  cette 
Fête:  les  Iolees  y  celles  d'Iolaiis,  com- 
pagnon d'Hercule  :  les  Ifées  ,  celles  d'I- 
iîs.  Les  Leonidées ,  celles  de  Leonidas. 
Les  Inoées ,  celles  d'Ino.  Les  Limnati- 
des  y  celles  de  Diane  furnommée  Lim- 
natis.  Les  Lïnïes  ?  celles  de  Linus.  Les 
Lycurgiesy  celles  de  Lycurgue.  Les  Mu- 
fées  y  celles  des  Mufes.  Les  Pelopies, 
étoient  les  Fêtes  de  Pelops  ;  les  Paufa- 
riiesy  celles  de  Paufanias  ,  Roi  de  Spar- 
te :  les  Promethées  y  celles  de  Prome- 
thée.  Les  Protef-lées  y  celles  de  ce  Pro- 
tefïlas  qui  fut  tué  furie  rivage  de  Troye. 
Les  Pofidonies  ,  celle  de  Neptune,  fur- 
nommé  par  les  Grecs  Pofeidon.  Les  TY- 
tanies  ,  celles  des  Titans  ;  les  Trophoniesy 
celles  de  Trophonius.  Les  Theféïdes , 
celles  de  Thefée  ;  les  Diocléïdes  y  celles 
du  Héros  Dioclès,  fans  parler  d'une  in- 
finité d'autres. 

Enfin  elles  prenoîent  leur  dénomina- 
tion des  furnoms  des  Dieux  ;  comme  les 
Eleutheriesy  de  Jupiter  Eleutherien  ,  ou 
Libérateur  ;  les  Dyflinnies  y  de  Diane 
Dyâinne  y  &  plusieurs  autres. 


528     La  Mythologie &Us  F,dks 

Voici  deux  Fêtes  qui  demandent  un 
.peu  plus  de  détail.  La  première  étoit  les 
Daphnephones  y  qui  fe  celehroient  tous 
les  neuf  ans.  On  mettoit  un  Globe  de 
cuivre  fur  une  branche  d'Olivier ,  duquel 
pendoient  piufîeurs  autres  petits  Globes  : 
le  premier  defignoît  le  Soleil,  ou  Apol- 
lon ;  le  fécond,  un  peu  plus  petit,  ce- 
ïîgnoit  la  Lune  ;  &  les  autres,  les  Etoi- 
les. Les  couronnes  qui  environnoient 
ces  Globes  ,  marqu oient  les  jours  de 
J'année.  Cette  branche  ainfi  ornée  étoit 
portée  en  pompe  par  un  jeune  homme, 
qui  tenoit  auffi  en  main  une  branche  de 
laurier  ,  &  pour  cela  étoit  nommé  Da- 
phnephore.  Ce  jeune  homme,  choifi par- 
mi les  meilleures  familles,  devoit  être 
bienfait,  fort  &  robufte  ,  comme  nous 
(  i)  inBecu  l'apprend  Paufanias  (  i  ).  La  féconde 
.  étoit  la  Fête  de  la  flagellation,  nommée 
Diamaftigote  par  les  Grecs.  Tertullien 
qui  en  parle  ,  dit  qu'à  Lacedemone ,  où 
cette  Fête  étoit  célébrée ,  les  jeunes  en- 
cans de  la  première  NoblefTe ,  fe  tenoient 
devant  l'Autel ,  où  en  prefence  de  leurs 
.parens  ils  étoient  fouettés  avec  tant  de 
cruauté  ,  que  quelquefois  ils  en  mou- 
roient ,  &  cela  fans  fe  plaindre  ,  ni  don- 
ner la  moindre  marque  d'impatience  : 
ceux  qui  étoient  les  vi&imes  de  cette 

barbarie 


Expl.  par  VHifl.  L.III.  Ch.  XIIL  s 29 

barbarie ,  étoient  couronnés  avant  que 
d'être  mis  en  terre.  Dans  la  fuite  on  fc 
contentoit  de  fufliger  ces  jeunes  gens  y 
jufqu'au  premier  fang.  Pendant  la  céré- 
monie le  Prêtre  tenoit  à  la  main  une  Sta- 
tue de  Diane,  très-legere;  mais  qu'il 
difoit  s'appefantit  lorsqu'on  fe  relâchoit 
durant  cette  opération. 

Les  Dtonyfiaques  étoient  auflî  des  Fê- 
tes célèbres  5  non  feulement  à  Athènes, 
mais  auflî  dans  toute  la  Grèce  ;  leur  nom 
marque  allez  qu'elles  étoient  inftituées 
en  l'honneur  de  Bacchus,  nommé  Dio~ 
nyfius.  Elles  fe  divifoient  en  grandes ,  en 
petites ,  en  anciennes  Se  en  nouvelles  ;  & 
chacune  avoit  des  fingularités  qui  les 
diflinguoient  :  dans  toutes ,  regnoientla 
licence  5c  la  débauche.  Ce  Dieu  avoit 
auflî  plufïeurs  autres  Fêtes,  comme ,  les 
Trïéterides  9  ainfî  nommées  parce  qu'on 
les  celebroit  tous  les  trois  ans  ;  on  les 
appelloit  à  Rome  les  Triennales ,  pour 
la  même  raifon. 

Le  jour  de  la  Dédicace  de  chaque 
Temple,  étoit  célébré  par  une  Fête  par-, 
ticuliere  ,  qu'on  nommoit  les  Encenies* 
Les  quatre  Saifons  de  l'année  a\  oient 
auflî  leurs  Fêtes  qu'on  nommoit  Horées, 
du  nom  Grec  des  Saifons  ,  £&i  ;  &  dans 
chacune  de  ces  Fêtes  on  faifoit  un  repas 
Tome  I.  Z 


Ç$0  La  Mythologie  &  les  Fables 
folemnel  des  fruits  de  la  terre.  A  chaque 
nouvelle  Lune  fe  faifoient  les  Fêtes 
nomméesNeomenies.ljes  Fêtes  des  morts, 
étoient  appellées  les  Nemefees  ,  parce 
qu'on  croyoit  que  la  Déefle  Nemefis 
prenoit  foin  d'eux.  Au  mois  de  Janvier, 
étoit  la  Fête  des  noces ,  célébrée  en 
l'honneur  de  Junon  Gamelta  ,  qui  prefï- 
doit  aux  mariages.  C'eft  de  cette  Fête 
que  le  mois  auquel  elle  fe  celebroit  ,  a 
pris  le  nom  de  Gamelton. 

La  Fête  des  Lampes  fe  celebroit  trois 
fois  Tan.  La  première  s'appelloit  Athé- 
née, la  féconde  Hephejliée  ou  Vulcaniey 
Se  la  troisième  Prometkée.  La  cérémonie 
confîiloit  fur-tout  à  allumer  des  Lampes 

?endant  la  nuit.  Cellequ'on  celebroit  à 
ellene  en  Thonneur  de  Bacchus,  &  dans 
laquelle  on  allumoit  aufli  des  Lampes, 
étoit  nommée  les  Lampteries.  Les  Egyp- 
tiens du  temps  des  Ptolemées,  avoient 
une  Fête  qu^onnommoit  la  Oetiophorie, 
parce  que  ceux  qui  dévoient  aflïfter  au 
feflin  qu'on faifoit  dans  le  tempsde  cette 
Fête,  portoient  à  la  main  des  bouteilles 
de  vin.  Les  Pelories ,  célébrées  par  les 
Theflaliens ,  &  inftituées  par  Pelorus , 
avoient  beaucoup  de  rapport  avec  les  Sa- 
turnales :  les  Maîtres  y  fervoient  leurs 
valets  à  table ,  comme  dans  les  Chromes 


ExpLpar  PHifi.  L.  III.  Ch.  XIII.  ;5 1 

célébrées  à  Athènes  en  l'honneur  deChro- 
nos  ou  Saturne.  Les  Sabafies  étoient  des 
Fêtes  nofturnes  en  Fhonneurde  Jupiter 
Sabafîen ,  ou  de  Bacchus  qui  avoit  le 
même  furnom  ;  nous  examinerons  ce  que 
ce  mot  fîgnifîoit ,  dans  Thiftoire  des  myf- 
teres  de  Mithras.  Les  Thargelies ,  Fête 
qui  donna  fon  nom  au  mois  Tkargelion, 
qui  repond  à  notre  mois  d'Avril,  étoient 
diftinguées  des  autres  parle  Sacrifice  de 
deux  hommes ,  ou  d'un  homme  &  d'u- 
ne femme,  qu'on  avoit  foin  d'engraifTer 
auparavant.  Les  Plymeries  étoient  des 
jours  de  Fête  de  Minerve ,  qu'on  croyoit 
malheureux,  &  pendant  lefquels,  félon 
Xenophon ,  on  fermoit  les  Temples  de 
cette  DéefTe.  Il  étoit  défendu  expref- 
fement  de  travailler  à  quelqu'ouvrage 
que  ce  fat,  pendant  le  jour  que  devoit 
durer  cette  Fête ,  même  en  cas  de  ne- 
ceffité.  Il  étoit  permis  alors,  par  la  Lof 
de  Solon,  de  jurer  par  les  trois  noms  de 
Jupiter  ,  propice  ,  expiateur ,  &  dé- 
fenfeur. 

Telles  étoient  les  principales  Fêtes 
des  Grecs  :  celles  dont  je  n'ai  point  fait 
mention ,  font  refervées  pour  l'hiiloire 
des  Dieux  ou  des  Héros  ,  dont  je  parle- 
rai dans  la  fuite.  Ainfî  on  trouvera  la 
defeription  des  Panathénées  &  des  Pan* 

Zij 


r 3  2  La  Mythologie  &  les  Fables 
Hellenies  dans  l'Hiftoire  de  Minerve; 
les  Oly>np.:es  dans  la  defcription  de  ces 
Jeux  ;  les  Leontiques  dans  lesmyfteres  de 
Mithras  ,  dont  elles  faifoient  partie  ;  les 
Eléufinesy  ÔcThefmophories,  dans  l'I' 
toire  de  Cerès  ;  les  fêtes  Egyptiennes, 
à  la  fuite  de  l'article  d'Ofiris ,  &c. 

Le  Calendrier  Romain  étoit  encore 
plus  chargé  des  Fêtes  que  celui  des 
Grecs  (a),  puifqu'outre  celles  qu'ils  en 
avoient  empruntées ,  ils  en  avoient  mfti- 
tué  plufieurs  inconnues  aux  autres  Peu- 
ples :  commençons  par  celles  qu'ils 
avoient  prifes  des  Grecs. 

Comme  ceux-ci  celebroient  les  Chro- 
mes en  l'honneur  de  Saturne ,  les  Ro- 
mains avoient  leurs  Saturnales  qui  furent 
célébrées  pour  la  première  fois  ,  au  mois 
de  Décembre  ,  l'an  de  Rome  i;7-  Pen- 
dant cette  Fête ,  fi  nous  en  croyons  Ac- 
cius ,  cité  par  Macrobe ,  qui  a  décrit  fort 
(0  l.  sat.  au  long  cette  Fête  (i)  ,  le  Sénat  ne  s'af- 
c-  ''  fembloit  point ,  &  les  Ecoles  publiques 

étoient  fermées.  Tout  le  monde  prenoit 
le  bonnet  nommé  Pileus  ,  pour  marque 
de  la  liberté,  &  des  habits  particuliers  a 
cette  Fête.  On  fe  regaloit  ;  on  s'envoyoït 
des  prefens  ;  les  Maîtres  fervoient  les 

M  Voyei  pour  cetartiîle  Ovide  ,  Rofmus ,  Beger  ,  & 

Demfpterus. 


ExpLparPHift.  L.  III.  Ch.  XIII.  S33 

valets  à  table ,  &  les  traitoient  magnifi- 
quement :  enfin  tout  refpiroit  la  liberté , 
&  rappelloit  le  fouvenir  du  fiécle  d'or, 
pendant  lequel  Saturne  avoit  régné  ,  & 
**ii  tout  étoit  commun.  Selon  Macrobe 
que  nous  venons  de  citer ,  cette  Fête 
commençoit  anciennement  le  14.  avant 
les  Kalendes  de  Janvier  ;  mais  lorfque 
Cefar  eut  ajouté  deux  jours  à  ce  mois  , 
elle  fut  reculée  au  16. 

La  Fête  nommée  Jovialia ,  étoit  la 
même  que  celle  que  les  Grecs  appelloient 
Diajia,  &  elle  fe  celebroit  en  l'honneur 
de  Jupiter.  Les  Megalefes  ,  chez  l'un  8c 
l'autre  Peuple  ,  étoient  inftituées  en 
l'honneur  de  Cybele  ,  ou  de  la  grande 
Mère.  Les  Romains  qui  celebroient  cet- 
te Solemnité  au  mont  Palatin ,  près  du 
Temple  de  cette  Déefle  ,  y  avoient  ajou- 
té deux  jours  ,  nommés  Megalefiens. 

La  Fête  Herea ,  que  les  Grecs  avoient 
établie  en  l'honneur  de  Junon ,  fe  nom- 
moit  à  Rome ,  Junonia  >  &  étoit  la  mê- 
me. Les  Céréales  &  les  Ambarvales  des 
Romains ,  étoient  auflî  les  mêmes  que  les 
Demetries  &  les  Thefmophories  des  Grecs  > 
&  les  unes  &  les  autres  ,  des  Fêtes  de 
Cerès  ;  comme  les  Mangelies  de  ceux-là 
étoient  les  Panathénées  des  Grecs  ea 
l'honneur  de  Minerve  ;  les  Mercurïalia 

Z  ii  j 


y  3  4  La  Mythologie  &  les  Fables 
des  Romains  ,  les  mêmes  que  les  Hermia 
des  Grecs.  Chez  l'un  &  chez  l'autre 
Peuple ,  les  Orgies  ,  les  Triéteries  >  les 
Nyfiilées  Scies  Bacchanales y  étoient  les 
Fêtes  de  Bacchus.  Mais  parce  qu'à  Poc- 
cafion  de  ces  dernières  Fêtes  les  Ro- 
mains firent  quelques  changemens,  il  eft 
bon  de  les  indiquer.  D'abord  ils  ne  cele- 
broient  leurs  Bacchanales ,  que  trois  fois 
Tannée;  enfuite  on  les  folemnifa  tous 
les  mois.  Voici  ce  qu'au  rapport  de  Ti- 
(0  Qnatrié-  te-Live  (i) ,  Hifpala  Fecenia  ,  Affran- 

m-x  Dec.  1.  $•  cfeQ  .    ^çlara  fur    cela   au  Conful  Pof- 

thumius. 

»  Dans  les  premiers  temps ,  lui  dit- 
»  elle ,  les  Bacchanales  n'étoient  cele- 
»  brées  que  par  des  femmes ,  fans  qu'on 
»  y  admît  aucun  homme.  Il  y  avoit  trois 
»  jours  de  l'année ,  choifis  pour  initier  à 
»  ces  myfteres  ,  &  la  cérémonie  s'en  fai- 
»  foit  de  jour.  Les  Matrones  choifîf- 
y>  foient  entre  elles  les  PrêtrefTes  qui  de- 
»  voient  y  prefider.  Paculla  Miniachan- 
»  gea  tout  ;  initia  fes  deux  fils  ,  fit  faire 
»  la  cérémonie  la  nuit ,  5c  au  lieu  de  trois 
*  jours  }  eHe  en  établit  cinq  dans  chaque 
»  mois  de  l'année.  Ce  mélange  d'hom- 
»  mes  Se  de  femmes  ,  donna  lieu  à  des 
33  defordres  affreux ,  Se  s'il  fe  trouyoit 
è  quelqu'un  dans  la  compagnie  qui  en: 


Expl.parPHifl;  L.IIL  Ch.XIIL  ^ 

»  marquât  de  l'horreur ,  on  l'immoloit 
»  comme  une  victime  agréable  au  Dieu 
&  qu'on  honoroit ,  ou  on  le  faifoit  difpa- 
«  roître  par  le  moyen  de  quelque  ma- 
»  chine  ,  &  on  publioit  qu'il  avoit  été 
»  enlevé  dans  le  ciel. 

»  Pendant  cette  Fête,  (c'eft  toujours 
»  le  récit  de  l'Affranchie  )  les  hommes 
»  contrefaifant  les  infenfés ,  &  faifant  di- 
»  vers  mouvemens  de  leur  corps ,  prédi- 
*>  fent  l'avenir  ,  pendant  que  les  femmes 
3D  vêtues  en  Bacchantes  ,  &  toutes  éche- 
»  velées ,  courent  vers  le  Tybre ,  des 
»  torches  allumées  à  la  main ,  qu'elles 
«  plongent  dans  le  fleuve  ,  où  elles  ne 
y>  s'éteignent  point ,  parce  qu'elles  font 
»  faites  avec  dufouphre  &  de  la  chaux  «* 
Le  Sénat ,  pour  remédier  à  ce  defordre* 
fît  un  Décret  qui  fupprïma  la  célébra- 
tion de  ces  infâmes  myfteres  dans  Rome, 
&  dans  toute  l'Italie  ;  mais  on  conferva 
les  Libérales,  autre  Fête  de  Bacchus.fur- 
nommé  Liber  Pater  y  qu'on  folemnifoit 
le  17.  de  Mars ,  parce  qu'elles  étoient 
moins  licentieufes.  On  y  offroit  une  li- 
queur, compofée  de  miel,  qu'on jettoit 
au  feu. 

Les  Lupercales  étoient  célébrées  éga- 
lement en  Grèce  &  à  Rome ,  en  l'hon- 
neur de  Pan.  Ce  fut  Evandre  ,  au  rap- 

Z  iiij 


J3  6     La  Mythologie  &  les  Fables 
(OLiv.M.  perde  Tite-Live  (i),  de  Plutarque  (2) 

(2)  In  Rom.    ar    1      T    n-      /    N         v  /  f        v    > 

û)  L.43.1,  <*  de  J.u™n  (3)  5  qui  en  apporta  les  cé- 
rémonies d'Arcadie  en  Italie.  Les  jeunes 
gens  ?  pendant  cette  Fête ,  couraient 
tout  nuds ,  tenant  des  fouets  à  la  main, 
frappant  indifféremment  tous  ceux  qu'ils 
rencontraient.  Les  femmes,  même  cel- 
les de  qualité,  croyant  que  ces  coups  de 
fouet  avoient  1a  vertu  de  les  rendre  fé- 
condes, ou  de  les  faire  accoucher  heu- 
reufement  quand  elles  étoient  enceintes, 
s'approchoient  pour  les  recevoir.  Valere 

4-)L.ii.€.:.  Maxime  (4)  prétend  que  cette  Fête  ne 
commença  que  du  temps  de  Romulus , 
à  la  parfuafion  du  Berger  Fauftulus. 
Dans  la  première  célébration  on  immola 
des  chèvres  au  Dieu  Pan,  Les  Bergers 
qui  y  étoient  invités  ,  s'étant  échauffé  la 
tête  dans  le  feftin,  fe  partagèrent  en 
deux  bandes ,  &  coururent  en  folâtrant , 
revêtus  des  peaux  des  vi&imes  qu'on  ve- 
noit  d'immoler.  Pour  rendre  cette  Fête 
plus  folemnelle ,  les  Romains  avoient 
établi  deux  Collèges  de  Luperces,  nom- 
més les  Fabiens,  &les  Quintiliens  ;  dans 
la  fuite  on  en  créa  untroifiéme  en  l'hon- 
neur de  Cefar  ,  encore  vivant. 

Les  Efculapies  des  Romains,  les  Mu- 
fées  y  les  Anaces  ,  &  quelques  autres,, 
étoient  des  Fêtes  empruntées  des  Grecs,.. 


Expl.parPHifi.  L.III.  Ch.XÎIT.  j.37 

<lue  les  uns  &  les  autres  celebroient  en 
l'honneur  d'Efculape  ,  des  Diofcures  9 
&  des  Mufes.  Parlons  maintenant  de 
celles  qui  étoient  d'inftitution  Romaine. 

Les  Agonales ,  ou  Agonies ,  inftituées 
par  Numa  Pompilius  ,  fe  celebroient 
trois  fois  Tannée  ,  le  1 1.  de  Janvier ,  le 
21.  de  Mai,  &  le  13.  Décembre.  On 
croit  communément  que  Janus  étoit 
l'objet  de  cette  Fête  ;  cependant  Feftus 
dît  que  c'étoit  le  Dieu  Agonius.  Varron 
nous  apprend  (1)  qu'on  y  immoloit  un  LmefLar" 
Bélier.  L'étymologie  du  nom  de  cette^ 
Fête  efl  conteftée.  Il  y  en  a  qui  pen- 
fent  qu'elle  étoit  tirée  delà  Formule  que 
prononçoit  le  Prêtre  avant  que  de  facri- 
fier ,.  Agon  ,  ferai-je?  D'autres  préten- 
dent qus  ce  nom  vient  du  mont  Agon5 
où  Ton  celebroit  cette  folemnité  ;  mais 
l'opinion  la  plus  fuivie  ,  Se  qui  efl  celle 
d'Ovide,  eft  que  cette  Fête  fut  ainfr 
nommée,  à  caufe  dès  Jeux,  ou  plutôt 
des  combats  qui  Paccompagnoient ,  que 
les  Grecs  nomment  dy ■«»**. 

Les  Ageronales  y  Fête  d'Àgerona \ 
DéefTe  du  filence,  comme  Harpocrate 
en  étoit  le  Dieu  parmi  les  Grecs  ,  fe  ce- 
lebroient le  21.  Décembre. 

UArmiluflre  y  Fête  du  dix-neuviéme 
jour  d'Oftobre ,  avoit  cela  de  particu- 

Z  Y 


$  3  S  La  Mythologie  &  les  Fables 
lier ,  qu'on  étok  tout  armé  au  Sacrifice 
qu'on  y  offrait.  On  confond  fouvent  cet- 
te folemnité  avec  celle  que  celebroient 
les  Saliens ,  Prêtres  du  Dieu  Mars  ,  & 
pendant  laquelle  ils  portoient  les  Ana- 
les, qui  étoient  de  petits  boucliers ,  dont 
je  parle  ailleurs  :  mais  il  faut  les  distin- 
guer ,  i°.  Parce  que  cette  dernière  Fête 
arrivoit  le  deux  de  Mars,  2°.  On  jouoit 
de  la  flûte  à  la  fête  de  YArmiluftre ,  &  de 
la  trompette  à  celles  des  Anciles. 

Les  Caprotines ,  célébrées  le  neuf  Juil- 
let, étoient  une  Fête  de  Junon  furnom- 
mée  Caprotine ,  où  il  n'y  avoit  que  des 
femmes  pour  Miniftres  des  Sacrifices. 
Les  Servantes ,  pour  qui  on  les  celebrok, 
couroient  pendant  cette  folemnité,  &  fe 
battoient  à  coups  de  poing  &  de  fouet, 

Celle  des  C arment  aie  s ,  célébrée  le 
quinze  Janvier,  étoit  pour  les  Mères  de 
famille.  Je  parle  ailleurs  de  la  Prophe- 
tefle  Carmenta,  mère  d'Evandre. 

Dans  les  Charmes  y  dont  la  fête  tom- 
boit  au  onzième  des  Calendes  de  Mars, 
lesparenss'affembloient,  &  fe  faifoient 
des  prefens  les  uns  aux  autres. 

Comme  les  Caprotines  étoient  pour  les 
Efclaves  dufexe,  les  Compitales,  ou  la 
fêl  e  des  Carrefours,  inftituée  par  le  vieux 
Tarquin  3  étok  celle  des  hommes  Efcla* 


ExpLpar  PHifî.  L.IIL  Ch.XIIL  s  39 

Ves  ,  qui  feuls  pouvoient  y  aflifter,  &  y 
ofFrir  les  facrifices  aux  Génies  des  carre- 
fours ,  en  l'honneur  de  qui  fe  faifoit  la 

fète  (*)•  .  .  (i)  Denys 

Les  Confuales  y  dédiées  au  Dieu  Con-  d'Haï,  l.^ 
fus,  étoient  célébrées  dans  une  Chapelle 
fouterraine  du  Cirque ,  confacrée  à  cette 
Divinité.  Pendant  ce  jour-làles  chevaux 
&  les  mulets  ne  travailloient  point.  Cette 
fête,  comme  la  plupart  des  autres,  avoir 
des  jeux  ,  ainfîque  des  facrifices  &  des 
libations. 

Dans  les  Faunales,  célébrées  aux  No~ 
nés  de  Décembre  en  Fhonneur  de  Fau- 
nus ,  onimmoloit  des  boucs ,  &  on  faifoit 
des  libations  de  vin  :  c'étoit  au  milieu  des 
bois  qu'on  s'aïTembloit  pour  cela. 

Les  Ferales ,  qu'Ovide  dit  avoir  été 
înftituées  par  Enée ,  étoient  une  fête 
des  Morts,  dans  laquelle  on  portoitaux 
fepulcres  des  viandes ,  pour  y  célébrer 
un  feflin. 

Les  Fontinales  ,  ainlî  nommées  parce 
que  ce  jour-là  on  jettoit  dans  les  fontai- 
nes des  couronnes,qu'on  mettoit  fur  la  te- 
te  des  enfans,  arrivoient  le  1 3 .  d'Oftobre* 

Les  Fordicales ,  du  mot  forda,  qui 
veut  dire  ,  une  vache  pleine,  arrivoient 
le  1  y.  d'Avril ,  &  on  immoloit  une  vache7 
avant  qu'elle  eût  mis  bas. 

Z  vj' 


J4°     Là  Mythologie  &  les  Fables 

Les  Fornacales ,  qui  dévoient  leur  inC- 
titationàNumaPompilius,  &  qu'on  ce- 
lebroit  le  12.  avant  les  Kalendes  de 
Mars,  étoient  une  fête  au  jour  de  laquel- 
le on  mettoitde  la  farine  dans  une  four- 
naife,  en  l^honneur  de  laDéeffe  Fornax. 

Comme  Laverna  étoit  parmi  les  Grecs 
la  Divinité  des  voleurs  ,  Farina  l'étoit 
chez  les  Romains ,  qui  avoient  inftitué 
une  Fête  en  fon  honneur,  nommée  Fu* 
rinalia  y  qu'on  célebroit ,  félon  Rofîn , 
le  12.  de  Kalendes  de  Juillet.  Le  Prêtre 
de  cette  Déeffe  étoit  appelle  FlamenFa- 
rinalis.  Elle  avoit  auflï  un  Bois  facré, 
dans  lequel  ,.au  rapport  de.  Plutarque  , 
C.  Gracchus  fut  tué. 

Les  Hilaries ,  dont  le  nom  marque  af- 
fez  que  la  fête  étoit  gaye ,  fe  célebroient 
en  l'honneur  de  Cybele,  le  8.  avant  les 
Kalendes  d^  Avril.  On  y  portoit  fes  plus 
beaux  habits  ;  on  y  changeoit  même  ceux 
de  fa  condition ,  contre  ceux  d'une  autre, 
&  on  faifoit  conduire  devant  foi3ce  qu'on 
avoit  de  plus  beau  &  de  plus  fîngulier 
dans  fa  maifon. 

Les  Laurent aies  ,  inftituées  en  l'hoa- 
neur  d'Acca  Laurentia ,  femme  du  Ber- 
ger Fauftulus,  &  nourrice  de  Romulus 
êc  de  Remus  ,  tomboient  fur  le  dixième 
avant  lés  Kalendes  de  Janvier.  Les  Pou- 


Explparmfl.  L.  III  Ch.XIII.  y4i 

tifes  y  offraient  les  facrifices  dans  le  Ve- 
lâbre  près  du  Tybre. 

Les  Feries  Latines  ne  fe  célébraient 
pas  à  Rome ,  mais  à  Albe  ,  où  les  villes 
Latines  ,  au  nombre  de  quarante-fept , 
avec  les  Magiftrats  Romains  s'affem- 
bloient ,  pour  y  facrifîer  tous  de  con- 
cert ,  en  l'honneur  de  Jupiter  Latialis  > 
un  Taureau  v  dont  chacun  après  l'immo- 
lation avoitune  partie.  On,y  offroitaufli 
du  lait  f  du  fromage ,  &  d'autres  efpeces 
de  libation ,  que  ceux  qui  venoient  à  cet- 
te folemnité  ,  y  apportoient.  D'abord 
elle  ne  duroitque  deux  jours,  puis  on  y 
en  ajouta  un  troifîéme ,  &  enfin  un  qua- 
triéme.  Macrq.be  (r)  obferve  qu'il  n'étoit  M  Sat.  îiv> 
pas  permis  de  commencer,  la  guerre  pen- 
dant les  jours  de  cette  Ferie ,  qu'il  nom- 
me ,  après  Varroa,  Latiar. 

LtCsLemuries  étoienf  établies  pour  ap- 
paifer  les  Génies  malfaifans ,  qu'on  nom* 
moit  Lemuria.  On  croyoit  qu'on  pouvoit 
les  chaffer  des  maifons ,  où  ils  caufoient 
de  l'épouvante  pendant  la  nuit,  en  leur; 
jettant  des  fèves. 

Les  Fêtes  Romaines  avoient  toujours 
quelque  motif  de  leur  inflitution  ;  on  y 
demandoit  aux  Dieux  y  ou  une  bonne  re-* 
coite  ,  ou  quelqu'autre  bien.  On  y  ap- 
pcûfoit  ceux  qu'on  croyoit  avoir  offenfés; 


i.ck.  16. 


£42     La  Mythologie  &  les  Fables- 
on  vouloit  détourner  les  maux  dont  onr 
étoit  menacéjComme  qji  peut  l'avoir  ju- 
gé par  Phiftoire  de  celles  dont  je  viens 
de  parler.  Souvent  c'étoit  pour  fe  ref- 
fouvenir  d'un  bienfait  reçu;ot  telle  étoit 
la  fête  nommée  les  Luceries ,  mot  tiré  de 
Lucus  ,  bois  facré.  Cette  folemnité  fe 
célebroit  dans  un  de  ces  bois ,.  qui  étoit 
entre  la  Voye  Salarie  &  le  Tybre ,  en 
mémoire  de  ce  que  les  Romains  pour— 
fuivis  par  les  Gaulois ,  y  avoient  trou- 
vé une  retraite  qui  les  avoit  fauves  :  ou 
bien  pour  conferver  la  mémoire  d'un 
mauvais  événement  ;  telle  étoit  la  Fête 
des  Populifugies,  établie  pour  renouvel- 
1er  le  fouvenir  du  jour  auquel  le  Peu- 
ple, Se  les  Gardes  mêmes'  de  Romulusr 
avoient  pris  la  fuite  ,  lorfqu'on  apprit  la 
confpiration  des  Fidenates  &  des  autres 
Peuples  Latins  ,  contre  les  Romains* 
Quelquefois  feulement  pour  s'exciter  à 
îa  joye;telle  étoit  la  Fête  des  Maiames9 
ainfî  nommée ,  parce  qu'on  la  célebroit 
le  premier  Mai,  jour  auquel  les  princi- 
paux de  la  ville  fe  rendoient  à  Oftie  9 
où  ils  prenoient  toutes  fortes  de  diver- 
îifTemens.  Comme  les  folemnités  où  le 
plaifïr  domine ,  font  celles  qu'on  a  le 
plus  de  peine  à  abolir,   celle-ci  dura 
long-temps  3  même  fous  les  Empereurs 
Chrétiens* 


Expl.parFBJt.  Liv.IIL  Ch.  XIII.  f^ 

Nous  avons  vu  qu'il  y  avoit  des  Fê- 
tes propres  à  certains  états ,  comme  les 
Caprotines  pour  les  Servantes,  &  d'au- 
tres pour  les  Valets;  en  voici  encore 
du  même  genre.  Les  Marchands  eri 
avoient  une ,  qu'ils  célébraient  au  mois 
de  Mai ,  en  Fhonneur  de  Mercure ,  là 
Dieu  du  Commerce. 

Les  Matrales  étoient  la  Fête  des  Ma- 
trones,en  l'honneur  de  la  DéefTe  Matu* 
ta ,  à  laquelle  on  offroit  des  libations 
ruftiques ,  cuites  dans  des  pots  de  terre  : 
ce  font  ces  libations  qu'Ovide  (i)  nom-  0)  Fa*U 
me  Flava  liba.  Mais  comme  la  gran-  hv'  **•■ 
deur  veut  fe  foutenir  partout ,  même  jus- 
qu'au pied  des  Autels ,  les  Dames  Ro- 
maines qui  excluoient  toutes  les  Efcla- 
ves  de  cette  Fête,  en  faifoient  venir 
une  feule  qu'elles  foufflettoient  large- 
ment. Ces  Matrones  avoient  encore  une 
autre  Fête  nommée  Matronalia ,  qu'el- 
les célebroient  en  l'honneur  du  Dieu 
Mars  ,  le  premier  du  mois  qui  porte  le 
nom  de  ce  Dieu.  Ovide  (2)  rapporte  (2)Fafo 
cinq  raifons  de  l'inftitution  de  cette  Fê-  liv'  3- 
te.  La  première. ,  en  mémoire  de  la  paix 
faite  entre  les  Sabins  &  les  Romains,  à 
laquelle  les  Sabines ,  femmes  de  ces  der~ 
niers ,  eurent  tant  de  part.  La  féconde  * 
afin  que  Mars  rendît  ces  Dames  Ro- 


5:44  La  Mythologie  &  Us  Fabler 
maines  aufîTheureufes  que  Romulus  Con 
fils.  La  troifîéme  ,  afin  que  la  fécondité^ 
que  le  mois  de  Mars  procure  à  la  terre*. 
leur  fût  accordée.  La  quatrième ,  parce, 
que  c'étoit  à  pareil  jour  qu'on  avoit  dé- 
dié au  mont  Efquilin  un  Temple  à  Lu- 
cine ,  la  DéelTe  des  accouchemens.  La 
cinquième ,  quï  revient  à  la  même ,  par- 
ce que  Marsétoit  fils  de  Junon,  laquel- 
le préfide  aux  mariages. 

Les  Paftres  *&  les  Bergers  avoient 
auffi  leur  Fête;  c'étoit  celle  des  Paît- 
lies,  dédiée  à  Paies  leur  DéefTe.  Ce 
jour-là  le  peuple  avoit  foin  de  fe  puri- 
fier avec  des  parfums ,  mêlés- de  fang  de 
cheval,  de  cendres  d'un  veau  qu'on  fai- 
foit  brûler  au  moment  qu'on  l'avoit  tiré 
Ci)  les  Vef-  ^    ventre  de  fa  mère  (i) ,  &  de  tiges  de 

aies    avoient  ^ 

feules  le  droit  fèves.  Les  Bergers,  dès  le  matin  du  jour 
fle  brâkr  ce  de  la  Fête ,  purifioient  auffi  leurs  ber- 
cails  &  leurs  troupeaux ,  avec  de  1  eau. 
&  du  fouphre ,  &  faifoient  brûler  l'her- 
be nommée  Sabine,  dont  la  fumée  fe 
répandoit  dans  tout  le  bercail.  Après. 
cela  ,  ils  facrifioient  à  la  DéeiTe,  du  lait, 
du  vin  cuit ,  &  du  millet  ;  puis  fuivoit 
te  feftin.  Le  foir  ils  faifoient  brûler  de 
îa  paille  ou  du  foin ,  &  fautoient  par- 
defTus  :  Ovide  décrit  fort  au  long  toute 
cette  folemnité*  Ces  cérémonies  étoiem; 


p/.^rrH^.Liv.IILCHAP.XIII.y47 
accompagnées  d'inflrumens  ,  tels  que 
des  flûtes ,  des  cymbales  &  des  tam- 
bours ;  qui  jouoient  toute  la  journée. 

Enfin  les  jeunes  gens  &  les  Ecoliers 
avoient  auffi  leur  Fête ,  nommée  Quin- 
quatrtes ,  mot  dont  on  peut  voir  l'éty- 
mologie  dans  Varron  &  dans  Feftus.  Ce 
jour-là  les  Ecoliers  faifoient  des  prefens 
à  leurs  Maîtres  :  cette  Fête  tomboit  le. 
24.  avant  les  Kalendcs  d'Avril. 

Terminons  cette  Lifte  par  quelques 
autres  Fêtes  moins  célèbres ,  fur  les- 
quelles nous  dirons  peu  de  chofes.  Les. 
Meditrvi ailes  >  étoient  les  jours  qu'on 
goûtoit  le  vin  nouveau.  Les  Romains 
avoient  une  DéefTe  Meditrirah ,  &  c'é- 
toit  en  fon  honneur  que  la  Fête  étoit 
înftituée. 

Les  Opalies ,  étoient  la  fête  d'Ops> 
la  même  que  Cybele.  Anciennement 
on  la  célebroit  le  même  jour  que  les  Sa- 
turnales, mais  Cefar,  dans  la  reforma- 
tion du  Kalendrier,  la  remit  à  un  autre 
temps. 

Les  Quinnales  ,  étoient  la  fête  de 
Romulus,fumommé^#inW.r.  Elle  étoit 
nommée  la  fête  des  fous ,  parce  que  ce, 
jour-là  ceux  qui  avoient  oublié  de  cé- 
lébrer les  Fornacaks ,  dont  nous  avons 
parlé;  étaient  obligés  pour  expier  leuu 


546       La  Mythologie  &  les  Tables 
faute  ,  de  facrifier  à  Quirinus. 

Le  Regifuge  avoit  été  inftitué  pour 
conferver  le  fouvenir  de  l'expulfîon  de 
Tarquin  ;  &  ce  jour-là  le  Roi  des  Sacri- 
ficateurs prenoit  la  fuite  dès  que  le  Sa- 
crifice étoit  offert.  Plutarque  (1)  don- 
ne une  autre  origine  à  cette  fête  ;  mais 
(2)  Faft.  2.  Ovide  (2)  &  Feftus  font  en  cela  plus 
croyables  que  lui. 

Comme  la  crainte  dts  maux  à  venir 
avoit  beaucoup  de  part  dans  le  culte  re- 
ligieux des  Payens,  ils  avoient  établi 
des  fêtes  pour  en  être  prefervés  :  celle 
qu'on  appelloit  Roèîgalia ,  du  Dieu  i?0- 
bigus  y  qu'on  croy oit  garantir  les  bleds 
de  la  rouille  ,  étoit  de  ce  nombre.  On 
la  célebroit  fur  la  fin  d'Avril ,  &  on  of- 
frait à  cette  Divinité  une  brebis  &  un 
chien ,  avec  du  vin  &  de  l'encens. 

Le  Septimonium  étoit  une  fête  établie 
à  Rome  ,  lorfqu'on  mit  une  feptiéme 
montagne  dans  fon  enceinte.  Cette  fête 
pendant  laquelle  on  ofFroit  fept  facrifi- 
ces  en  differens  lieux ,  tomboit  au  mois 
de  Décembre  ;  &  les  Empereurs  fai- 
foient  ce  jour -là  des  libéralités  au 
peuple. 

Les  Terminale  s  étoient  ainfî  nommées 

ft)Dci.Lat.  félon  Varron(3),  parce  qu'elles  fe  cé- 

tv* 5"  lebroient  au  dernier  jour  de  Février  ^ 


ExpLpar  PHijl.  Liv.III.  Ch.XIIL  ^47 

qui  terminoit  Pannée  Romaine  :  ou  plu- 
tôt ,  comme  le  prétend  Denys  d'Hali- 
earnaffe  (1)  ,  parce  quelles  étoient  inf-  (*)  Liv*  * 
tituées  par  Numa  en  l'honneur  du  Dieu 
Terme ,  lorfque  ce  Prince  établit  qu'on 
jnettroit  des  bornes  aux  champs  y  afin 
que  chacun  reconnût  l'étendue  du  fîen. 
Cette  fête  étoit  totalement  champêtre , 
ÔC  il  n'étoit  pas  permis  d'y  rien  'offrir , 
qui  eut  été  animé  y  de  peur  d'enfan- 
glanter  les  bornes ,  auprès  defquelles 
on  prefentoit  des  fruits  au  Dieu  qui  y 
préfidoit ,  &  on  lui  faifoit  des  libations 
de  lait  &  de  vin.  Il  faut  cependant  que 
dans  la  fuite  du  temps  ?  on  ait  fait  quel- 
que changement  là-deiTus,  puifque  nous 
apprenons  de  Plutarque  (2)  que  les  Pay-  ^  ^ 
fans  s'affembloient  ce  jour-là  auprès  des 
bornes ,  &  y  immoloient  une  truye  ou 
un  agneau.  Quoiqu'il  en  foit,  il  n'y 
avoit  rien  de  plus  facré  parmi  les  Ro- 
mains ,  que  les  bornes  des  champs  ;  & 
ceux  qui  avoient  l'audace  de  les  chan«* 
ger,  étoient  dévoués  aux  Furies  ,  &  il 
étoit  permis  de  les  tuer. 

Les  Tubilaflrts  étoient  une  fête  du 
mois  d'Avril  5  inflituée  pour  purifier  les 
Trompettes  :  on  facrifioit  pour  cela  un 
agneau  femelle.  On  faifoit  auffi  la  mê- 
me purification  aux  Vulcanaks ,  fête  ce- 


5-48  La  Mythologie  &  les  Fables 
lebrée  le  10.  avant  les  Kalendes  de  Mai 
en  Thonneur  de  Vulcain  ,  le  Dieu  du 
feu;  &  c'eft  pour  cela  qu'on  jettoît  au 
jour  de  cette  fête  des  animaux  dans  le 
feu* 

Vertumne ,  Pomone ,  &  un  grand 
nombre  d'autres  Dieux  ou  demi-Dieux, 
avoient  aufîî  leurs  fêtes  ,  fur  lefquelles , 
comme  il  n'y  a  rien  de  particulier  à  ap- 
prendre, je  renvoyé  à  Ovide,  6c  à  Ro- 
fin  qui  a  donné  un  Kalendrier  Romain 
avec  toutes  fes  fêtes  &  feries  (1). 

Finitions  cette  Lifte  par  les  Vinales  , 
qu'on  célebroit  deux  fois  Tannée ,  le  9. 
avant  les  Kalendes  de  Mai,  &  le  13, 
avant  celles  de  Septembre.  Les  pre- 
**•  mieres,  établies  félon  Pline  (2)  pour 
goûter  le  vin  ,  n' avoient  aucun  rapport 
à  la  confervation  des  vignes  ;  les  fé- 
condes étoient  pour  obtenir  un  temps 
favorable  à  la  vendange. 

Telles  étoient  les  Fêtes  des  Romains, 
marquées  dans  leur  Kaiendrier  ;  &  fi  on 
en  célebroit  quelquefois  d'extraordinai- 
res ,  comme  les  jours  deftinés  aux  Sup- 
plications publiques  >  c'étoit  le  Magis- 
trat qui  les  indiquoit  dans  des  cas  ex~ 
traordinaires. 


Expl.parVHiJl.Liv.IlI.CHAv.XÏV.^p 


CHAPITRE    XIV. 

Des  Supplications  publiques  y  des  Le&i- 
fternes,  des  Evocations  &  des  Dé- 
vouements. 

LEs  Supplications  publiques  fe  fai^ 
foient  ou  dans  les  occafions  prêt- 
antes; comme  dans  le  temps  de  pef- 
te  ,  ou  de  quelque  maladie  populai- 
re ;  ou  après  quelque  vi#oire  inefpe- 
rée ,  lorfque  celui  qui  venoit  d'être  élu 
General ,  demandoit  au  Sénat  fa  confir- 
mation ,  &  en  même  tems  la  Supplica- 
tion pour  fe  rendre  les  Dieux  favora- 
bles, &  pour  d'autres  fujets  encore.  Ces 
Supplications  étoient  des  jours  folem- 
nels,  où  il  n'étoit  pas  permis  de  plaider 
pour  quelque  fujet  que  ce  fût,  &  on  les 
célebroit  par  des  Sacrifices,  des  priè- 
res ,  &  des  feftins  publics.  Quelquefois 
le  Sénat  bornoit  à  un  jour  la  durée  de 
cette  fête,  quelquefois  on  y  en  em- 
ployoit  plufieurs ,  &  l'Hiftoire  nous  ap- 
prend qu'il  y  en  a  eu  qui  ont  duré  jus- 
qu'à cinquante  jours. 

On  ne  dit  rien  des  Supplications  par- 
ticulières ,  qui  n'étoient  autre  chofe  que 


£  5  O     La  Mythologie  &  les  Fables 
les  prières  que  chacun  faîfoit  aux  Dieux 
ou  pour  obtenir  la  fanté ,  une  bonne  ré- 
colte, &c.  ou  pour  les  remercier  des 
biens  qu'on  en  avoit  reçus.  Une  feule 
formule  des  prières  des  Payens  y  fuffira 
pour  en  donner  quelque  idée  :  en  voici 
(2)  Gruter  une  _  COnfervée  dans  une  infcription  (1) 
que  Camilla  Amata  fait  à  la  Fièvre 
pour  fon  fils  malade.  Divinœ  Febri  ,fanc- 
tce  Febri ,  magnœ  Febri  9  Camilla  Amata 
pro  jilio  malè  affeéio.  P.  Camilla  Amata 
offre  fes  prières  pour  fon  fils  malade  à  la 
divine  Fièvre  y  a  la  fainte  Fièvre  y  à  la 
grande  Fièvre. 
ïcaiftcmium      D  J  avoit  une  autre  efpece  de  Sup- 
plication publique,  qu'on  nommoit  le 
O)  Macrot.  Le&ifterne  (2).  Cette  cérémonie  con- 
***  3*  fîftoit  en  un  feftin  que  Ton  préparoit , 

&  que  Ton  donnoit  dans  un  Temple  ; 
&  parce  que  félon  la  coutume  de  ces 
temps  -  là ,  on  dreiïbit  des  lits  autour 
des  tables ,  &  que  Ton  plaçoît  fur  ces 
lits  les  Statues  des  Dieux  en  l'honneur 
defquels  la  fête  fe  célebroit ,  de  même 
que  les  hommes  s'y  couchoient  dans 
leurs  repas ,  on  Pappella  Le&ifterne  {a). 
Les  Epulons  dont  j'ai  parlé  dans  l'arti- 
cle des  Prêtres ,  préiîdoient  à  cette  cé- 

(*)  Ce  mot  efl  compofé  de  ceux  de  lit ,  Uftus ,  &  de 
jltmere  ,  dreflèr ,  préparer. 


Expl.  par  PHijl.  Liv.  III.Ch.  XIV.  ;? r 

remonie,  &  en  étoient  les  ordonnateurs* 

Valere  Maxime  (  I  )  fait  mention  d'un     fi)  Liv.  a. 

Le&ifteme  célébré  en  l'honneur  de  Ju-  ch'  I# 

piter.  Ce  Dieu ,  c'eft-à-dire ,  fa  Statue  , 

y  étoit  couchée  fur  un  lit,  pendant  que 

celles  de  Junon  &  de  Mercure  étoient 

fur  des  fîeges  :  Nam  Jovis  epulo  ipfe  in 

Leâulum ,  Juno  &  Mercurius  in  Jèllas 

ad  cœnam  invitantw. 

Tite-Live,  Ciceron,  Lampridius  & 
d'autres  encore  ,  parlent  fouvent  de  cet- 
te cérémonie;  &  le  premier  de  ces  Au- 
teurs en  rapporte  Finftitution  à  l'an  de 
Rome  35*4..  (2),  à  l'occafion  de  la  pefte  (2)  Ur.sl 
qui  ravageoit  cette  ville.  Ce  Leftifterne  ch%  I5% 
dura  huit  jours ,  &  fut  célébré  en  l'hon- 
neur d'Apollon  y  de  Latone  ,  de  Diane, 
d'Hercule ,  de  Mercure  ôc  de  Neptune. 
Valere  Maxime ,  à  la  vérité ,  fait  men- 
tion d'un  autre  plus  ancien ,  puifque  fé- 
lon lui ,  il  fut  célébré  fous  le  Confulat 
de  Brulus ,  &  de  Valerius  Poplicola  , 
mais  apparemment  qu'il  fut  moins  fo- 
lemnel,  ou  que  Tite-Live  ne  Ta  pas 
connu. 

Jufqu'au  temps  de  Cafaubon  on  avoit 
crû  que  le  Leftifterne  étoit  d'inflitution 
Romaine ,  &  qu'il  n'étoit  pas  connu  hors 
de  l'Italie  ;  Mais  ce  fçavant  Critique  , 
examinant  un  endroit  du  Scholiafte  de 


<;  5  2      La  Mythologie  &  les  Fables 

•  Pindare  (  i  )  &  trouvant  qu'il  y  étoît 
parlé  de  ces  oreillers  qu'on  mettoit  fous 
les  ftatues  des  Dieux ,  en  a  conclu  avec 
raifon ,  que  le  Le&ifterne  étoit  en  ufage 
dans  la  Grèce.  Les  Auteurs  font  venus 
au  fecours  de  cette  découverte ,  &  c'eft 
une  vérité  qui  n'eft  plus  aujourd'hui 
conteftée.  En  effet  Paufanias  parle  en 
pluïîeurs  endroits  de  ces  fortes  de  couf- 
iîns ,  &  rapporte  dans  fon  voyage  d'Ar- 
cadie ,  qu'on  en  mettoit  fous  les  ftatues 
de  la  Paix  ;  &  dans  celui  de  la  Phocide, 
il  parle  de  ceux  fur  lefquels  on  placoit 

•  celles  d'Efculape.  Valere  Maxime  (2) 
en  dit  autant  des  ftatues  d'Harmodius  , 
&  d'Ariftogiton.  «  Les  ftatues  de  ces 
»  deux  Héros ,  dit-il ,  qui  avoient  tant 
x  travaillé  à  délivrer  Athènes  de  la  ty- 
»  rannie  qui  les  opprimoit ,  ayant  été 
»  enlevées  par  Xerxes,Seleucus  les  ren- 
*>  dit  dans  la  fuite;  &lorfque  le  vaiffeau 
»  qui  les  portoit  arriva  à  Rhodes ,  les 
»  chefs  de  la  ville  les  vinrent  prier  d'ac- 
»  cepter  Phofpitalité  ,  &  les  placèrent 
»  fur  l'oreiller  :  Rhodli  quoque  eas  urbi 

face  appulfas  y  cùmm  in  hofpitium  publiée 

invitaient  >  facris  ettam  pulvinaribus  col- 
locaverunt.  Et  Suétone  met  ces  oreil* 
lers  ,  que  les  Latins  nommoient  pulvi- 
nariay  &  les  Grecs  fcXiWj  au  nombre 

des 


ExplparPHift.  L.  III.  Cfï.  XIV.  573 

des  chofcs  qui  n'étoient  employées  que 
pour  les  Dieijx  ,  lorfque  parlant  de  Ce- 
far,  il  dit  (1)  :  Sed  &  ampliora  kwnano  U)  r»  c*f. 
fajligio  decernifibi  pajfus  efl.  .  .  .  Te?npla,  ch*  T6' 
aras  ,fimulachra  juxta  Deos ,  Yulvinary 
Flametiy  Lupercos ,  &c.  <*  Il  fouffrit  mê- 
»  me  qu'on  lui  décernât  des  honneurs 
»  au-deflus  de  ceux  qu'on  rend  aux  hom- 
»  mes ,  des  temples ,  des  autels ,  des  fta- 
»  tues  auprès  de  celles  des  Dieux ,  ïoreil-* 
*lery  un  Prêtre,  des  Luperces ,  &c. 
Arnobe  (2)  dit  de  même  en  parlant  aux  (*)  Arfr. 
Payens  de  quelques-uns  de  leur£  Dieux: 
»  Il  faut  bien,  dit-il ,  que  vous  les  ayez  re- 
*>  connus  pour  tels,puifque  vous  leur  con- 
*>  facrez  des  Temples ,  des  oreillers>  &c. 
Jacques  Spon ,  dans  fon  voyage  de  la 
Grèce ,  dit  qu'on  voy  oit  encore  à  Athè- 
nes le  Le&ifterne  d'Ifîs  6c  de  Serapis. 
C'étoit  un  petit  lit  de  marbre  de  deux 
pieds  de  long ,  fur  un  de  hauteur ,  fur  le- 
quel ces  deux  Divinités  étoient  repre- 
fentées  afïîfes.  Ce  fçavant  Voyageur  dit 
qu'on  en  trouvoit  d'autres  femblables 
dans  la  même  ville ,  comme  auffi  à  Sala- 
mine,  &  encore  ailleurs.  Nous  appre- 
nons par  cette  Relation  la  vraie  forme 
des  Leftifternes  &  des  couffins.  C'étoient 
de  petits  lits  ou  de  marbre,  ou  de  pier- 
re ,  ou  de  bois ,  fur  lefquels  on  plaçait 
Tome  L  A  a 


|  y  4     La  My  thologie  &  les  Fables 
les  flatues  des  Dieux ,  en  l'honneur  def? 
quels  on  preparoit  un  feftin. 

Après  ce  que  nous  venons  de  dire ,  il 
eft  évident  que  le  Le&ifterne  étoit  éga- 
lement en  ufage  dans  la  Grèce  &  dans; 
l'Italie.  Ajoutons  que  les  jours  deftinés 
à  cette  fête ,  étoient  des  plus  folemnels, 
pendant  lefquels  il  n'étoit  pas   permis 
d'envoyer  perfonne  au  fupplice,  &  qu'on 
donnoit  même  la  liberté  aux  coupables. 
C'étoit  le  premier  Magiftrat ,  ou  le  fou- 
verain  Pontife  qui  les  indiquoit,  &  l'ob- 
jet étoif  d'appaifer  les  Dieux ,  ou  de  leur 
demander  quelques  grâces.  FinilTons  en 
difant  que  la  table  du  feftin  ,  &  les  lits 
où  dévoient  repofer  les  Dieux  ,  étoient 
ornés  de  rameaux ,    de  fleurs  &  d'her- 
bes odoriférantes.  En  voilà  afTez  fur  ce 
fujet  ;  difons  un  mot  des  Evocations. 
ocrons.         Il  y  en  avoit  de  trois  fortes  ;  les  pre- 
mières étoient  des  opérations  magiques 
qu'on  employoit  pour  évoquer  l'ame  des 
morts;  &  j'en  parlerai  dans  F  Article  de 
la  Magie.  Les  fécondes  ,  dont  il  fera  ici 
queftion,  étoient  employées  ordinaire- 
ment ,  pendant  le  fiege  de  quelque  ville, 
qu'on  ne  croyoit  pas  pouvoir  5  ni  mê- 
me devoir  prendre  ,  fans  avoir  invoqué 
les  Dieux,  fous  la  prote&ion  defquels 
$)  s*  h  elle  étoit.  Maqobe  (i)  nous  a  confères 


Èxpl.parPHift.Liv.lll.Cn.XlV.  ;yj 
une  formule  d'Evocation  ,  qui  mettra les 
Leéteurs  au  fait ,  mieux  que  tout  ce  qu'on 
pourroit  dire  fur  ce  fujet.  »  Si  c'eft  un 
»  Dieu ,  iï  c'eft  une  DéefTe  fous  la  garde 
»  de  laquelle  efl  la  ville  &  le  peuple  de 
»  Carthage ,  je  vous  prie  ,  je  vous  con- 
3*  jure,  &  je  vous  demande  en  grâce, 
»  grands  Dieux ,  qui  avez  pris  cette  vil- 
»  le  &  ce  peuple  fous  votre  protection, 
»  d'abandonner  ce  peuple  &  cette  ville, 
*>  de  quitter  toutes  ces  demeures ,  Tem- 
»  pies ,  lieux  facrés;  de  les  délaiffer, 
»  de  leur  infpîrer  la  crainte^  la  terreur 
x  &  l'oubli  ;  &  de  vous  retirer  à  Pvome 
»  chez  notre  peuple  :  que  nos  demeures, 
33  nos  Temples,  nos  chofes  facrées,  & 
»  notre  ville  vous  foient  agréables.  Fai- 
»  tes-nons  entendre  que  vous  êtes  mon 
»  Protecteur  ,-  celui  du  Peuple  Romain, 
»  &  de  mes  Soldats.  Si  vous  le  faites , 
»  je  m'engage  à  fonder  des  Temples  <5c 
»  des  Jeux. 

Enfin  y  la  troifiéme  forte  d'Evocation, 
étoit  celle  qui  étoit employée  pour  évo- 
quer les  Dieux.  Pour  entendre  ce  que  je 
vais  dire  à  ce  fujet ,  il  faut  fçavoir  que 
la  Théologie  payenne  enfeignoit  que 
les  Dieux  préfidoient  particulièrement 
fur  quelques  lieux,  &  que  fouventily 
gvoit  plusieurs  de  ces  lieux  qui  étoien| 

A  a  i j 


$ $6     La  Mythologie  &  les  Fables 
fous  la  prote&ion   du  même  Dieu  ;  8c 
comme  il  ne  pouvoit  être  partout  en 
même  temps ,  il  étoit  neceffaire  d'ufer 
de  la  cérémonie  de  l'évocation  ,  quand 
on  croyoit  avoir  befoin  de  fa  préfence. 
On  avoit  pour  cela  des  Hymnes  propres 
à  cette    opération  ,    qu'on    appelloit 
xMriKoi ,  comme  font  la  plupart  de  ceux 
qu'on  attribue  à  Orphée  ,  &  ceux^  du 
Poète  Proclus.    Ces  Hymnes    étoient 
compofés  pour  l'ordinaire  de  deux  par- 
ties. La  première  étoit  employée  à  louer 
les  Dieux ,  &  à  parler  des  lieux  differens 
qui  étoient  fous  leur  protection.  La  fé- 
conde contenoit  la  prière  par  laquelle 
on  s'efForçoit  de  les  attirer,  &  de  les 
faire  venir  dans  les  lieux  où  leur  préfence 
étoit  neceffaire.  Lorfqu'on  croyoit  que 
le  Dieu  Patron  étoit  arrivé ,  on  celebroit 
des  fêtes  qui  étoient  nommées  *V«5V"*<- 
Telles  étoient  quelques-unes  de  celles 
des.Argiens  en  l'honneur  de  Junon,  & 
de  celles  des  habitans  de  Delos  &  de  Mi- 
let ,  pour  Apollon. 

Lorfque  le  danger  qui  avoit  fait  ap- 

peller  les  Dieux ,  étoit  païTé ,  on  leur 

permettoit  de  s'en  aller  ailleurs ,  &  on 

avoit  encore  d'autres  Hymnes  pour  ce- 

(i)Poët.î.3.1ebrer  leur  départ.  Jules  Scaliger,  que 

cvnz.113.  fôn  peUt  confulter  fur  cefujct(i)/>bler* 


Expl.pàr  rHift.  L.  III.  Ch.  XIV.  5-57 

ve  que  ces  Hymnes  qu'on  nommoit 
ÙTrovi/LtriKot  3  &  dans  lefquels  excelloit  fur- 
tout  Bacchyllide,  Poète  lyrique ,  étoient 
plus  .longs  que  ceux  qu'on  employoit 
pour  faire  venir  les  Dieux,  afin  de  re- 
tarder autant  qu'on  pouvoit  leur  éloi- 
gnement.  Car  quand  nous  defirons  ,  dit- 
il  ,  nous  voulons  que  ce  qui  eft  l'objet 
de  nos  fouhaits ,  arrive  proraptement , 
&  que  ce  foit  le  plus  tard  qu'il  eft  pofïî- 
ble ,  que  nous  en  foyons  privés. 

Aux  Evocations  je  dois  joindre  les  Les  Dovouc- 
Devouemens  ,  que  les  Romains  appel-  mcn5' 
loient  Dvvotio.  Il  y  en  avoit  de  particu- 
liers, comme  ceux  des  deux  Decius ,  & 
de  Marcus  Curtius,  qui  fe  dévouèrent 
pourlefalutdes  Romains  ;  &  de  publics, 
faits  par  le  Didateur  ou  le  Conful ,  à  la 
tête  des  armées.  En  voici  la  formule, 
confervée  par  le  même  Macrobe  (i).   (0  Macrob. 
*>Dis  le  père,  (Pluton)  Jupiter,  Ma-  sat.L3.c9. 
»  nés ,  ou  de  quelque  nom  qu'on  puiffe 
»  vous  appeller ,  je  vous  prie  de  remplir 
*>  cette  Ville  de  Carthage ,  &  l'armée 
a  dont  je  veux  parler  y  de  crainte  &  de 
a  terreur  :  Faites  que  ceux  qui  portent 
»  les  armes  contre  nos  Légions  &  contre 
»  notre  armée  ,  foient  mis  en  déroute  ; 
»  que  ceux  qui  habitent  leurs  villes  ,  & 
»  leurs  campagnes  ,  avec  leurs  habitais 

A  a  iij 


yy8  ta  Mythologie  &  Us  Parler 
30  de  tout  âge ,  vous  foient  dévoués  fe* 
»  Ion  les  loîx,  fuivant  lefquelles  les  plus 
*>  grands  ennemis  vous  font  dévoués.  Je 
35  les  dévoue  par  l'autorité  de  ma.char- 
*>  ge ,  pour  le  Peuple  Romain  \  pour  no- 
»  tre  Armée ,  &  pour  nos  Légions  ,  afin 
»  que  vous  conferviez  &  les  Comman- 
»  dans  ,  &  ceux  qui  fervent  fous  leurs 
»  ordres. 

L'Antiquité  ne  nous  a  pas  c'onfervé  la 
formule  des  Devouemens  particuliers, 
mais  il  eft  fur  qu'il  y  en  avoit  une  ;  Se 
lorfque  Decius  fe  dévoua  ,  il  avertit  y 
comme  je  le  dirai  dans  une  autre  occa- 
fîon ,  le  Pontife  Valere  de  prononcer  la 
formule  du  Dévouement  :  Deorum  opey 
dit-il  ,  Valeri  ,  opus  efl  ;  agedum ,  prœi 
verba  qulbus  mepro  Legibm  devoveam. 

Lorfque  la  Loi  devouoit  quelqu'un  à 
la  mort ,  il  étoit  permis  de  le  tuer.  Il  y 
en  avoit  une  de  Romulus  qui  étoit  con- 
çue en  ces  termes  :  Si  Patronus  Clientî 
fraudemfaxit  y  facer  efto.  Si  quelque  Pa- 
tron fait  tort  afon  Client  y  qurîlfoït  dévoué., 
C'étoit  à  Pluton,  pu  Dis ,  &  aux  autres 
Divinités  infernales ,  que  les  criminels; 
étoient  dévoués. 

Je  ne  dirai  rien  ici  des  Supplications 
&  des  Vœux  fairs  par  des  particuliers  : 
on  voit  jt>ien  que  le  détail  en  feroit  infiai» 


ExpL  par  mjt.  L.  III.  Ch.  XIV.  579 

£c  nous  apprendroit  feulement  que  les 
Dieux  ayant  toujours  été  regardés  par 
les  Payens  comme  les  auteurs  de  tous 
les  biens  &  de  tous  les  maux  ,  on  ne 
manquoit  pas  de  leur  demander  ces  biens, 
&  la  délivrance  des  maux  ;  que  dans  le 
danger  ou  dans  les  maladies ,  on  leur  fai- 
•  foit  des  vœux  pour  en  être  délivré,  & 
pour  obtenir  le  recouvrement  de  la  fan- 
té  ;  qu'enfin  on  mettoit  dans  les  Tem- 
ples ,  en  reconnoiflance  ,  les  membres 
:  de  la  guérifon  defquels  on  croyoit  leur 
être  redevables.  Les  Antiquaires  en  ont 
confervé  un  grand  nombre  ,  comme  on 
peut  le  voir  dans  leurs  Ouvrages.  Parmi 
ces  vœux ,  il  y  en  avoit  qui  portoieat 
des  cara&eres  de  differens  Dieux ,  com- 
me celui  qu'on  nomme  la  main  d'Enée , 
fur  laquelle  il  y  a  Votum  Cecroptsy  &  qui 
a  été  expliqué  dans  un  petit  Ouvrage 
deThomafîm.  Quelquefois  c'étoit  une 
fimple  main,  un  bras,  une  jambe,  un 
œil ,  fans  aucun  fymbole.  Ce  qu'an 
trouve  de  plus  fingulier  parmi  ces  vœux , 
eft  une  Table  de  cuivre  fur  laquelle  il 
eft  fait  mention  de  toutes  les  guerifons 
opérées  par  Pinterçeffion  d'Efculape. 


5<>0     La  Mythologie  &  les  Fables 


CHAPITRE     XV- 

Des  Cérémonies  Religieufes  pratiquées  à 
la  fondation  des  Villes, 

3 'Ai  dit,il  y  a  un  moment,que  les  évo- 
cations fe  faifoient  lorfqu'une  Ville 
étoit  aflîegée,  pour  invoquer  les  Dieux, 
fous  la  prote&ion  defquels  elle  étoit  ;  & 
comme  ces  mêmes  Dieux  en  devenoient 
les  Patrons  au  temps  de  la  fondation  de 
chaque  Ville ,  il  eft  neceflaire  de  dire  un 
mot  des  cérémonies  qui  fe  pratiquoient 
en  cette  occafîon.  Feftus  nous  apprend 
que  les  Etruriens  avoient  des  Livres  qui 
contenoient  les  cérémonies  ufitées  à  la 
fondation  des  Villes  ,  des  Autels ,  des 
Temples  ,  des  Murailles  &  des  Portes  ; 
&Plutarque  dit  que  Romulus  voulant 
jetter  lesfondemens  de  la  ville  de  Rome, 
fit  venir  d'Etrurie  des  hommes  qui  lui 
apprirent  de  point  en  point  toutes  les 
cérémonies  qu'il  devoit  obferver.  Selon 
Denys  d'Halicarnaffe  ,  on  commençoit 
par  offrir  un  facrifîce ,  après  lequel  on 
allumoit  des  feux  près  des  tentes;  &  ceux 
qui  dévoient  avoir  quelque  fonftion 
dans  la  conftruftion  de  la  Ville ,  fau- 


Expl.  par  VBft.  Liv.IIL  Ch.XV.  ;<5i 

toient  pardeffus  ces  feux  ,  pour  fe  puri- 
fier. Enfuite  on  creufoitune  foiTe  ,  dans 
laquelle  on  jettoit  les  prémices  de  toutes 
les  chofes  qui  fervoient  à  la  nourriture 
de  l'homme  ,  &une  poignée  de  terre  du 
pays  d?où  étoient  venus  chacun  de  ceux 
qui  affiftoient  à  la  cérémonie. 

On  confultoit  en  même  temps  Jes 
Dieux,  pour  fçavoir  fi  l'entreprife  leur 
feroit  agréable ,  &  s'ils  approuvoient  le 
jour  qu'on  avoit  pris  pour  la  commen- 
cer. Enfuitê  on  traçoit  l'enceinte  par  une 
traînée  de  terre  blanche  ,  qu'on  appel- 
loit  Terre  pure  ;  &  faute  de  cette  efpece 
de  craye,  onfe  fervoit  de  farine  ,  com- 
me fit  Alexandre ,  au  rapport  de  Strabon, 
lorfqu'il  jetta  les  fondemens  d'Alexan- 
drie. Cette  première  opération  achevée, 
on  ouvroit  un  fiilon  auffi  profond  qu'il 
étoitpofïible ,  avec  une  charrue  d'airain, 
&  on  attachoit  à  cette  charrue  un  taureau 
blanc,  &  une  génifTe  blanche.  Toutl'ef- 
pace  que  la  charrue  avoit  ouvert  étoit 
réputé  faint.  Pendant  qu'on  formoit  l'en- 
ceinte ,  on  s'arrêtoit  de  ten^ps  en  temps 
pour  renouveller  les  facrifices ,  &  on 
marquoit  les  lieux  où  ils  étoient  offerts , 
par  un  tas  de  pierres,  qu'on  nommoit 
Cippes.  On  invoquoit  dans  ces  facrifices , 
le*  Dieux  fous  la  prote&ion  defquels  on 


5*62  La  Mythologie  &  les  Fables 
mettoit  la  nouvelle  Ville ,  ainfî  que  le5 
Dieux  du  pays  ,  nommés  Dit  patrii  Indu 
getes;  ce  qui  fe  faifoit  fecretement,  par- 
ceque  les  Dieux  tutelaires  de  chaque 
ville  dévoient  être  inconnus  au  vulgaire* 
Ovide,  dans  fes  Faftes  >  nous  a  ccnfervé 
la  formule  de  prière  queRomulus  adrel- 
fa  ^ux  Dieux  qu'il  vouloit  rendre  favo- 
rables à  fon  entreprife. 

Vox  fuit  hxc  Régis  :  Condenti  Jupiter  Urbem 
Et  genitor  Mavsrs  >  Ve flaque  mater  ades. 

Qjiûfque  piurn  efi  aàhibere  Deos,  advenue  cuntti, 
Aufpkibus  vobis  hoc  mihi  furget  ofus ,  &c. 

Enfin  ,  le  jour  de  la  fondation  d'une 
Ville  étoit  fi  refpe&able ,  qu'on  en  re- 
nouvelait le  fou  venir  dans  une  Fête 
annuelle,&  cette  Fête  étoit  à  Rome  celle 
qu'on  nommoit  les  Faillies  ,  ainfî  que 
nous  l'avons  dit.  Monfîeur  Blanchard  , 
dans  une  DiïTertation  ;  dont  l'extrait  eft 
imprimé  dans  le  troifîéme  Tome  des 
Mémoires   de   l'Académie  des   Belles 

Jt)  Page  6i.  Lettres  (i),  rend  raifon  de  cette  céré- 
monie ,  &  de  quelques  autres  qui  n'ont 
pas  un  rapgprt  effentiel  avec  la  Reli- 
gion payenne»  Ovide  a  heureufement 
renfermé  toutes  ces  cérémonies  dans  les 

&  Faft.  1 4.  vers  fuivans  (2). 

Afta  dies  legitur ,  quâ  mœniafignet  aratro. 
Sacra  Palis  fuberant  ;  inde.  rnovetur  c$us$  s 


Bxpl.  parVHifl.  t,  III.  Ch.  XV.  $6% 

Fojjafit  ad  folidum ,  fruges  jaciuntur  in  imâ , 

Et  de  victno  terra  fetitafoto* 
Fojfa  repktur  humo  ,  flenœque  imponitur  ara , 

Et  nevus  accenfo  finduur  ignefocus. 
Inde  premens  Jîivam  defignat  mœniafulco , 

Albajugum  niveo  cum  bove  vacca  tulit. 

On  a  vu  dans  ce  Livre  PHiftoire  de 
l'origine  &  du  progrès  de  l'Idolâtrie. 
J'ai  parlé  de  ce  qui  concernoit  le  culte 
rendu  aux  Dieux  ;  des  Temples  ,  des 
Autels ,  des  Sacrifices ,  des  Prêtres ,  des 
Fêtes  qu'on  célebroit  en  leur  hon- 
neur ,  &c.  il  refte  encore  à  examiner  plu- 
fieurs  Articles  importans  qui  regardent 
l'Idolâtrie,  dont  je  vais  parler  dans  Ig 
Xivre  fuivant. 


Fin  du  premier  Tome. 


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UNIVER9ITY  OF  ILUNOI9-URBANA