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MYTHOLOGIE
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LES FABLES
EXPLIQUEES PAR L'HISTOIRE,
TOME PREMIER.
L A
MYTHOLOGIE
E T
LES FABLES
EXPLIQUE'ESPAR L'HISTOIRE;
Par M. VAbbé B a n i e r, de P Académie des
înfcnptions & Belles-Lettres.
TOME PREMIER.
A PARIS,
Chez Briasson, Libraire , rue S. Jacques y
à la Science.
M. DCC XXXVIII.
AVEQ APPROBATION ET PRIVILEGE DU ROY.
PT
P R E F A CE.
UOIQUEnousnefoyons plus
dans ces fiecles malheureux ,
ou l'Univers prefqu' entier étoic
plonge' dans les ténèbres de l'I-
dolâtrie , on ne peut guéres fe
difpenfer de fçavoir l'Hiftoirc
des Dieux 8c les Fables du Paganifme; & la
Mythologie , qui apprend à connoître ces
Fables 8c cts Dieux , fait une partie trop
confîderable des Belles Lettres , pour qu'on
puiffela négliger. En effet, nous lifons cha-
que jour les Ouvrages des Grecs 8c des Ro-
mains , ceux de leurs Poètes fur-tout , qu'il
feroit fouvent très-difficile d'entendre fi on
ne connoiffbit les Fables aufquelles ils fonr
d'éternelles allumons.
D'ailleurs tout confpire à nous rappeller
le fouvenir de ces anciennes fictions, Sta-
tues , Bas-Reliefs , Monumens de toute ef-
pece; 8c de quoi en effet font remplis les Li-
vres des Antiquaires , 8c les Cabinets des
Curieux , que de Figures de Divinités d'Inf-
trumens de Sacrifices , 8c de tout ce qui nous
refte de l'ancien Paganifme?. Nos Galieries »
nos Plafonds , nos Peintures , nos Statuei
a iij
P~ /«îirvi U * 41
V) ^ PREFACE.
nous repréfentent fans cefle les mêmes objets;
& comme fi l'Hiftoire fainte 8c profane ne
fourniflbient pas affez de faits intéreffants , 8c
capables de nous infpirer des fentimens ver*
tueux, nous empruntons nos fujets de la Fa-
ble, fur-tout dans notre Poëfie Dramatique*
Nos Théâtres retentifTent tous les jours
-des plaintes d'Iphigenie 8c d'Andromaque ,
des fureurs d'Orefte, 8c des emportemens
d'Achille 8c de Clytemneftre; 8c ne rougif-
fons pas de l'avouer , nous voyons toujours
fur notre Scène ces He'ros 8c ces Héroïnes
avec un nouveau plaifir , pendant que nous
avons fouvent de la peine à y fupporter
d'autres perfonnages plus propres à excitée
en nous une noble émulation.
Il eft donc utile , 8c même en quelque for-
te néceffaire de fçavoir la Mythologie ; auflî
voyons-nous que ceux qui l'ignorent, paf-
fent pour être dépourvus d'éducation , 8c des
lumières les plus nécefTaires à un Homme de
Lettres. Mais lorfqu on vient à confîderer que
les Fables ne font pas de pures fixions , com-
me je le prouve au commencement de cet
Ouvrage; qu'elles ont un rapport réel avec
l'Hiftoire des premiers fiécles , qu'elles en
contiennent des évenemens confiderables , 8c
que la plupart des Dieux ont été des hom-
mes , dont l'Hiftoire fait partie de celle des
Peuples qui les adoroient : alors la Mytholo-
gie devient un objet plus important, 8c en
même temps plus digne de notre curiofité.
C'eft ce fond d'Hiftoire caché fous l'enve-
loppe de la Fable, qui fut le principal objet
de mes recherches , lorfque je commençai à
n'appliquer à Pétude de la Mythologie, 8c
le Public reçut favorablement l'Explication
FÈ ET A CE. ?ij
tîiftorlque des Fables , qui fut le premier
eifai que je donnai fur cette matière (i); (OEndera
niais ea même temps il parut fouhaiter une Volumes in
Mythologie plus étendue & plus approfon- ^ [£^£! °*
die. Cet Ouvrage, m'ont dit fouvent des Per- à,*n ttoiûémG
fonnes éclairées , manque à notre Langue , ïome en
puifque fans parler du tfyle furanné de ceux 1715. On en
que nous avons en François fur ce fujet , on donnera m-
ny trouve rien de fyftématique ; les Fables c^™™%.
n'y font rapportées à aucune fource , à au- E4ition, chc5t
cun temps déterminé : l'origine des Dieux n'y Briatfbn , en
ett point développée; on n'y diftingue point '-faveur d?s
ces Dieux, qui fouvent etoient les mêmes ieiinesSe^
fous differens noms : enfin fi on y trouve ^bréc/feta
quelques traits d'Hiftoire, ils font noyés dans très-mile,
un amas d'Allégories 8c de Moralités arbi-
traires (2). D'ailleurs les Auteurs de ces My- (1) Vov-z
thologies, privés des découvertes des Sça* dansleChap,
vans qui font venus depuis, avoient fuivi des l^^^^
Guides peu fûrs ; & nous femmes aujourd'hui <{es Myth0lo-
plus en état qu'ils ne l'etoient , de traiter cette giçs qui 01*
matière. Quelles lumières en effet n'y ont pas précédé cet-
répandues les Meziriac, les Bochart , les Vof- le"ci»
fîus , ôc pîufieurs autres ? & fi ces fçavans
hommes avoient expliqué toutes les Fables,
comme ils ont expliqué celles qui fe font trou-
vées avoir quelque îiaifon avec les matières
qu'ils avoient entrepris d'éclaircir, nous n'au-
rions pas befoin d'une nouvelle Mythologie.
Pour fatisfaire à ce qu'on attendoit de moi,
je formai le deflein de l'Ouvrage que je don*
ne aujourd'hui. Mes DifFertations fur diffe-
rens fujets de la Fable, qui font imprimées
dans les Mémoires de l'Académie des Belles-
Lettres, & les Explications que j'ai jointes
à la Traduction des Metamorphofes d'Ovide,
prouvent que je ne l'ai jamais perdu de vue»
a iiij
?iîjt r PREFACE.
J'avoïs déjà beaucoup profité dans mon
Explication Hiftorique , des découvertes des
Sçavans du dernier fiécle , & il fera aifé de
voir dans cette Mythologie que je les ai en-
core relus avec un nouveau foin ; & que j'ai
fait le même ufage de quelques autres Livres
qui ont rapport à mon fujet , ôc qui ont pa-
ru depuis; fur- tout des Réflexions Critiques fur
les anciens Peuples , Ouvrage profond , où
(*) M. four- l'Auteur (*) pour qui les Langues fçavantes
montl'aîné. n'0nt rien de caché, fait patoître partout au-
tant de fagaeité que de fçavoir. En effet , foie
qu'il entreprenne de prouver Tau tenticite d'un
précieux fragment, de manière à ne pouvoir
plus déformais la conteft?r;lou qu'il déve-
loppe l'origine des anciens Peuples; ou enfin
qu'il ramené la plupart des Fables à leur pre-
mière fource , c'efl toujours avec une érudi-
tion peu commune , 6c fouvent par des dé-
couvertes qui avoient échapé aux autres Sça-
vans.
Guidé d'ailleurs dans mes recherches par
les lumières d'une Compagnie dans laquelle
l'érudition la plus profonde fe trouve réunie
à la Critique la plus judicîeufe , j'ai égale-
ment profité du précieux Recueil de fes tra-
vaux , 8c des fçavantes converfations qui
remplifTent quelques raomens de fes AfTem-
blées.
Avec ces fecours, & par une étude conti-
nuée pendant plufieurs années , j'ai cru enfin
être en état de donner cette Mythologie; Se
pour la mettre à la portée de tout le monde ,
j'ai évité , autant que je l'ai pu , ces dif-
euffions épineufes , qui rebutent ordinaire-
ment le plus grand nombre des Le&eurs»
pour ne dire fur chaque fujet que ce qu'il j
T R E FACE, ix
■ft.de plus utile & de plus intereffant; 8c on
verra bien que fouvent mes égards pour eux
m'onr été plus chers que ma réputation ; car
il ne faut pas compter pour rien qu' un Au-
teur fupprime des traits d'érudition qu'il a
fous fa main , 8c qu'il ne lui couteroit que la
peine de tranfcrire.
Voici donc la méthode que fai fuivie*
Lorfque je me fers du témoignage d'un Au-
teur , j'en rapporte ordinairement les paro-
les , 8c j'en donne la tradu&ion ; 8c lorfque
cette traduâion manque , le difcours qui pré-
cède ou qui fuit la citation , en fait affez con-
noître le fens. J'obferve, autant qu'il eft pof-
fîbîe, de citer les plus anciens, avant ceux
qui ne font venus qu'après ; ainfi Homère 8c
Hefiode parmi les Poètes , Hérodote 8c quel-
ques autres parmi les Hiftoriens, font tou-
jours préférés à ceux qui les ont fuivis. Ce
n'eft pas que je néglige ces derniers : ils ont
pu confulter des Traditions , ou des Ouvra-
ges qui fubfiftoient de leur temps ; ik les pre-
miers fans doute n'avoient pas tout dit : il
n'eft ici queftion que de la préférence que je
donne aux uns fur les autres. Les Poëtes qui
nous ont tranfmis tant de fi&ions, font pour-
tant, quoiqu'on en dife, les premiers dépo-
fitaires des Traditions anciennes de la Grèce,
8c fes premiers Hiftoriens , puifqu on ne
commença que fort tard à y écrire en Profe.
Aux Poëtes 8c aux Hiftoriens j'ai quel-
quefois joint les Médailles 8c les Inscriptions,
parce que ce font autant de Monumens qui
atteftent l'ancienne Tradition.
A l'égard des Modernes qui ont travaillé
fur cette matière , je me contente de rappor-
ter leur fentiment en gênerai , 8c celles de
leurs preuves qui m'ont paru les plus cou-
av
x PRETA CE.
cïuantes. LorfquMs ont fait des Diflerta-
lions particulières fur ces mêmes fujets , j'en
prends la fubftance, 8c je renvoyé aux Dif-
fertations mêmes , ceux qui pourroient avoit
la curiofité de les lire.
Je ne crois pas , au refte , que j'aie à me re-
procher de m'être fervi des découvertes des
autres, fans leur rendre du moins la juftice de
les nommer. Le crime de Plagiat m'a toujours
paru un crime odieux : & qui feroit plus Pla-
giaire que moi , fi je n'a vois indiqué avec foin
lesfourcesoîi j'ai puifé, & où doit neceflaire-
ment puifer tout Auteur qui donne un Ouvrage
femblable au mien 1 Ouvrage , qui à la vérité
fait moins d'honneur qu'un Syftême nouveau ;
mais qui en même temps eft prefque toujours
plus utile au Public Ceux qui fe donneront la
peine de lire le premier Chapitre de cette My-
thologie, qui eft une fuite de cette Préface ,
verront à combien de fuppofitions gratuites fe
font expofés ceux qui ont voulu ramener les
Fables à un Syftême gênerai. Car enfin fi cha-
que Peuple a eu fes fictions , elles font plûrôt
le fruit de l'efprit de l'Homme toujours porté
pour le merveilleux , que la fuite d'un projet
concerté.
Mon deflèin dans cet Ouvrage eft de prou-
ver que malgré tous les ornemens qui accom-
pagnent les Fables, il n'eft pas difficile de vois
qu'elles renferment une partie de l'Hiftoire des
premiers temps , & que F Allégorie ôc la Mo-
rale n'ont pas été le premier objet de ceux qui
les ont inventées ; 8c bien loin d'avoir changé
defentiment, je m'y fuis encore confirmé par
de nouvelles études. Ce n'eft pas qu'il n'y ait
quelques fi&ions particulières où Ton cherche-
Ç) voyexfe roic vainement quelques t^S d'Hiftoire (*) £
PRE F A CE. xj
rtiaïsen gênera! elles y ont prefque toutes quel-
que rapport , ou fe trouvent liées à des évene-
mens qu'autorife tout ce que l'Antiquité' a de
plus refpe6table.
Autrefois les Mythologues croyoient avoir
pénétré le fens d'une Fable , lorfqu'ils avoient
fçu en tirer quelque allégorie ou quelque mora-
lité; & c'eft à quoi fe réduifent prefque toutes
leurs explications. Aujourd'hui les Sçavans per-
suadés que les Fables cachent fous d'ingenieu-
fes enveloppes l'Kiftoire des temps qui fui*
virent le Déluge , fe font appliqués à lever le
voile myfterieux qui déroboit à des yeux peu
elair-voyans les vérités qu'elles renferment»
Il eft des temps favorables à certaines opi-
nions , & celle de la vérité des Fables a tel-
lement pris le deffus , qu'il faut déformais
renoncer de bonne grâce à y trouver aucun
fens raifonnable , ou les rapporter à THiftoire»
Cependant on peut former contre cette
opinion une difficulté qui d'abord paroit très*
folide. Comment ramener à THiftoire ce que
les Grecs , par exemple , difent de leurs Dieux*
puifque ces Dieux vivoient dans les temps
qu'ils appellent eux-même3, inconnus? Quel-
le Hiftoire peut-on tirer d'un temps inconnu,
& qui ne leferoit plus ? fi on en avoit quelque
connoiflance ?
Pour être mieux au fait de cette difficultés
il faut fe rappelîer la célèbre divifion de Var~
i on , qui partageoit les temps , en remps in-
connus , en temps fabuleux , & en temps his-
toriques. Les premiers renfermoient tout ce
qui étoit arrivé dans le monde jufqu'àOgygès -?
& c'écoit dans cet intervalle qu avoient vêca
les Dieux. Les féconds s'étendoient depuis
<Pâv£ès jufqu au retabliffêment des Olyra-
3L V J
xij ,P.RE FA CR
piades ; & c'étoit dans ce fécond efpace gu'a-^
voient paru les Héros & les Demi-Dieux»
Enfin aux Olympiades commençoient les
temps hifloriques.
Pour répondre à cette difficulté' , je dis ,
i°. Que cette divifion ne regardoit que Ies#
Grecs ; car ces temps qu'ils appelloient in-*
connus , ne l'étoient pas pour TAfie ni pour
l'Egypte , ou il y avoit de puiïïantes Monar-
chies , & un Syftême de Religion établi dès
les fiécles les plus reculés. Les Grecs n'étoienc
pas encore , ou du moins c'étoit un Peuple
groffier , & vagabond , fans Loix , fans po-
liteffe , & prefque fans Religion , dans le temps
que les Peuples d'Orient jouifïbient de tous
les avantages que procurent les Arts & les
Sciences.
i°. Pour que cette objection eût quelque
force , il faudroit que ces Dieux , dont on
entreprend de donner l'Hiftoire, fuflent Grecs
d'origine ; car on pourroit dire alors que les
Grecs , qui ne fçavoient rien de certain des
temps oii ils prétendoient qu'ils avoient vécu ,
ne pouvoient pas en avoir tranfmis iHiftoire
à la pofteriré : mais ces Dieux leur étoient
étrangers. Les Colonies qui vinrent en differens
temps d'Egypte 8c de Phenicie s'établir dans
la Grèce , y portèrent la Religion 8c les Dieux
de leur Pays. Ceft une vérité qu'on ne fçau-
roit nier , 8c Hérodote , inftruit de la Reli-
gion des Egyptiens par leurs Prêtres mêmes»
le dit pofîtivement.LesDieux des Grecs étoient
donc originaires d'Egypte 8c de Phenicie, 8c
avoient été l'objet d'un culte religieux dans
ces deux Pays, long-temps avant que les
Colonies dont je parle , fuffent arrivées dans
la Grèce, Les Phéniciens 8c les Egyptiens,
PREFACE. srTiy
tîuî avoient cultivé depuis les premiers Siècles
les Arts & les Sciences , avoient écrit PHif-
toire de leur Religion , & rien n'eft plus
célèbre dans l'Antiquité que les Livres que
Mercure Trifmegifte avoir compofés far cette
matière. Il eft vrai que la Langue dans laquel-
le ils étoient écrits , étoit une Langue facrée*
& qui n étoit entendue que des Prêtres ; mais
ne peut on pas fuppcfer que les Chefs des
Colonies qui allèrent chercher des établifîe-
mens dans les Mes de la Méditerranée, de
l'Archipel , & dans la Grèce , emmenèrent
avec eux quelques-uns de ces Prêtres , pour
avoir foin des chofes qui concernoient la lle-
ligion ; 8c que ces Prêtres en irrfxruifirent les
Grecs , lorfqu' ils reçurent le culte des Dieux
que ces Etrangers étoient venus établir dans
leur Pays ?
On ne niera pas cette fuppofition , puis-
qu'on convient qu'Inachus, qui conduifît dans
la Grèce la première Colonie , y communi-
qua l'ufage de cette Langue facrée , c'eft-à-
dire , les Hiéroglyphes qui fervoient à l'ex-
primer. Long-temps même avant l'arrivée de
cette Colonie , les Egyptiens avoient commen-
cé à inftruire les Grecs fur les matières de
la Religion. » Les Pelafges qu'on doit mettre
a» au nombre des plus anciens Habitans de
» la Grèce , honoroient , dit Hérodote , de9
» Dieux dont ils n'avoient aucune connoif-
a> fan ce , leur offrant en gênerai leurs Prières
» 8c leurs Sacrifices. Comme ils voulurent
y> enfin fçavoir leurs noms , i's confulterent
» l'Oracle de Dodone , le feul qui fat alors
» dans la Grèce, oiiils les apprirent desEtran-
» gers qui le defiervoient ». Or l'Oracle de
Dodone , félon le même Auteur , avoit été
•xxv PREFACE.
établi par une femme EgyptienncSccesEtrârw
gersqui inftruifirent lesPelafges, ne pourvoient
être que des Egyptiens*
Mais quand même quelques-uns des Dieux
auroient tiré leur origine de la Grèce , ou
qu'ils Pauroient conquife , comme Jupiter Se
les Princes Titans ; 8c qu'à l'occafîon de cet-
te Conquête on auroit fait leur Apotheofe
dans des temps où les Grecs ignoroient l'u-
fage des lettres , n'y a-t'il pas plufieurs ma-
nières de tranfmettre à la pofterite les faits
éclatans ? Des Fêtes , des Jeux , des Hymnes *
des Cantiques , des Colomnes , des Monceaux:
de terre , un amas de pierres , ou enfin une
tradition tranfmife de père en fils : tout cela
étoit capable de faire connoître ces Hommes
célèbres qui avoient mérité les honneurs di-
vins : 8c dès-là il n'eft donc pas impoffible
de fçavoir leur hiftoire ; 8c les explications
historiques qu'on donne des Fables qu'on y
a mêlées , ne font pas fans fondement.
Il arrive quelquefois dans le monde des éve-
nemens fi célèbres , qu'on ne les oublie point.
Tels ont été dans l'Antiquité les Conquêtes
des Princes Titans , que l'Ecriture fainte dit
avoir dominé fur la terre ; 8c celles de Bao
chus , ou Ofiris : 8c de quelque manière que
le fouvenir en foit pafle à la pofterite , il
eft fur qu'on ne les a pas ignorées , 8c que
Diodore de Sicile 8c les autres Anciens qui
en ont écrit PHiftoire , ne l'avoient pas in-
ventée. *
Que les Dieux du Paganifme ayent été les
Patriarches des Hébreux , comme le préten-
dent plufieurs Sçavans ; ou qu'ils ayent été
d'anciens Rois d'Egypte & de Phenicie > 8c
des autres Peuples voifins 3 c'eû ce que jre n!çr
PREFACE. 'm x?
*ataine pas préfentement ; maïs toujours eft-
il certain qu'an connoiffoit leur Hifloire , ôc
qu'on avoir des traditions fur lefquelies oa
pouvoit compter.
S'il eft vrai , après ce que je viens de dire,
qu'on peut ramener à l'Hiftoire les Fables
des Dieux , perfonne , je crois , ne doutera
qu'on ne puifle en faire du moins autant de
celle des Héros 8c des Demi- Dieux, puif-
que les Grecs ont été en état de nous la trans-
mettre. Il eft inutile d* rechercher préfente-
mcnt jufqu'à quel temps ils demeurèrent fans
avoir l'uiage des Lettres : perfonne ne doute au
moins qu'ils ne l'ayent reçu de Cadmus qui leur
apporta l'Alphabet Phénicien , comme je le
prouverai en fon lieu. Or les Héros de la Grèce
& les évenemens qui donnèrent lieu à leur
Heroïfme, fontpofterieursà l'établiffement de
la Colonie qui vint fous la conduite de ce Chef
s'établir dans la Béotie ; par confequent dans
un temps où les Grecs ne manquoient pas de
fecours pour écrire leur Hiitoire. Le nom de
temps fabuleux que Varron donne aux fiécles,
où les Héros parurent, & qui ( félon Scaliger )
auraient dû être nommés les temps héroïques 0
ne porte nullement à croire qu'on n'en fçavoit
rien de certain , puifque la Conquête des Ar-
gonautes , la Guerre des Centaures & desLa-
pithes , les Travaux d'Hercule , les deux Guer-
res de Thebes 8c celles deTroye, font des éve-
nemens qu'on ne fçauroit révoquer en doute:
ce içavant Romain ne leur a donc donné le
nom de temps fabuleux, qu'à caufe que l'Hif-
toire de ces évenemens fe trouve mêlée d'une
infinité de fictions , ce qui ne doit pas paroître
étonnant : car fi Ton a reproché tant de fois
aux Grecs d'avoir facrifié la vérité au panchant
**) # P REFACE.
qu ils a voient pour le merveilleux , dans des
Kiftoires plus connues &r plus récentes, com-
ment l'auroient-iîs refpeclée quand ii s'agiffoit
de ces temps éloignés , fur lefquels il nétoit
pas aifé de les démentir ?
Donnons encore un nouveau jour à cette
réponfe. Les Grecs ont été iniïruits par les
Peuples de l'Orient , 8c en particulier par les
Egyptiens , de PHiftoire des Dieux qui avoient
vécu dans Pefpace de temps que Varron nom-
rooit les temps inconnus. Cadmus leur apprit
Fufage des Lettres > & les mit en état d'écrire
eux-mêmes l'Hifloire de leurs Héros, ceit-à-
dire celle des temps fabuleux. Lés Ouvrages
qui la conrenoient , fubfiftoient apparemment
du temps d'Hefiode 8c d'Homère , qui en ti-
rèrent le fond de leurs Poëmes , ou le pui-
ferent du moins dans une tradition encore af-
fez récente. Je fuis perfuadé que ces Poëmes
cauferent la perte de la plupart des autres Ou*
vrages plus anciens ; car il eft arrivé plus d'une
fois , qu'un bon livre a fait oublier 8c enfin
difparoître ceux qui l'avoient précédé. Mais
comme Homère & Hefiode n'avoient pas em-
ployé toutes les traditions qui étoient reçues
de leur temps , les autres Poètes qui font
venus après eux , s'en font fervis ; 8c c'eft
pour cela qu'on en trouve de fi différentes
dans Sophocle , dans Euripide , 8c dans les
autres Tragiques. Pour les Auteurs qui dans
la fuite ont recueilli en Profe l'Hiftoire de
ces anciens évenemens , tels qu'Apollodore*
Diodore 8c quelques autres , ils ont tiré ce
qu'ils en racontent , ou de cette même tra-
dition, ou des Ouvrages qui fubfiftoient en-
core de leur temps , 8c qui avoient eux-mê-
mes été compofés fur d'autres encore plu*
anciens.
PREFACE.- xvï)
Ceft ainfi que s'eft confervée d'âge en âge
FHilioire des Dieux & des Héros , & c'eft
en même temps le fondement des Explica-
tions Hiftoriques des Fables. Mais fuppofont
pour un moment que les Grecs n'écrivirent
que fort tard ; qu'Homère fut leur premier
Auteur , 8c que leur Poëfie commença pat
un Chef-d'œuvre , ce qui feroit aflïuément
fort extraordinaire , je foutiens encore que
ce Poète auroit eu affez de fecours pour le
fond de fes deux Poèmes. La Grèce n'avoie
rien de plus facré que les Fables, qui faifoiene
partie de fa Religion ; & elles ne pouvoient
pas périr , s'il rn eft permis de m'exprimer ainiï.
Les Peintures , les Statues , les Jeux & les
Fêtes , en rappeiloient fans ceffe le fouvenir ;
& Athènes qui , félon Paulanias , avoit de
ces Statues & de ces Peintures dans tous les
quartiers de la Ville , & dans tous les Tem-
ples , auroit pu feule en conferver la tradirion.
Ajoutons encore que quelques Sages de la
Grèce peu contens des connoiffances que leur
avoient communiquées lesColonies qui étoient
arrivées en differens temps dans leur Pays , al-
lèrent eux-mêmes en Egypte pour y en puifet
de nouvelles? qu'il y en eut même quelques-
uns qui firent ce voyage avant la Guerre de
Troye , c'eft-à-dire , dans le temps même que
Varron nomme le temps fabuleux. Diodorc,
qui avoit voyagé auffi dans ce Pays , l'affùre
pofitivement , & entre dans le détail des con-
noiffances que ces Sages y avoient puifées , ôc
qu'ils avoient enfuite communiquées aux
Grecs, ce Les Prêtres lifent dans leurs An-
» nales , dit cet Auteur (a) , qu'on avoit vu (a) i, i.c.j^
» chez eux Orphée, Mufée , Mélampe & De-
* dale , ( car je ne parle pas d'Homère ni des
kvîij PREFACE.
» autres qui avoient fait le même voyage cîans
*> des temps pofterieurs à la Guerre de Troye)
» & il n'en eil aucun deux , du paffage ou du
=» fejour duquel on ne montre quelque marque;
°» comme leur Portrait, ou quelque Ouvrage,
33 ou même quelque lieu qui porte leur nom.
*> Ils donnent auffi diverfes preuves , qui font
j» voir que tous ces Sages ont tiré de l'Egypte
» ce qu'il y a eu de plus merveilleux dans les
** Sciences qu'ils ont profeffées : Orphée, difenc
* les Egyptiens , a rapporté de fon voyage fes
98 Myfteres , fes Orgies , & toute la Fable de
» l'Enfer.
* On dit que c'eft Mélampe y qui a apporté
fc du mêmePays les Fêtes de Bacchus en Grèce ,
*> la Fable de Saturne, le Combat des Titans »
» les périls & les malheurs des Dieux , &c.
Il eft inutile de fuivre préfentement cet Au-*
reur dans les autres détails où il entre à ce fu-
jtt ; j'en ai parlé ail! vrs ; mais toujours eft-iî
certain que ces Sages puiferent en Egypte plu-
fieurs connoiffances concernant fa Religion 8c
tes myfteres.
Hérodote (a) convient qij.e ce même Mé-
lampe , homme fage & éclairé ^ avoir appris
des Egyptiens, & enfeigné enfuire aux Grecs 3
ce qui regardoir le culte 6c les myfteres de
Bacchus , à quelques changemens près qu'il
avoir introduits de fon chef. Il eft vrai qu'iî
y a cette différence entre ces deux Auteurs ,
que Diodore de Sicile affûte que Melampe
avoir puifé ces connoiflances en Egypte , ou
il avoic voyagé, au lieu qu'Hérodote dit qu'il
les tenoit de Cadmus ; mais cela revient au
même pour mon deffein.
Les Grecs ont donc eu afTez de fecours ,
pour connoître ôc nous tranfmetue i'Hiftoirs
PREFACE xïx
des Dieux , & de plus grands encore pour
celle des Héros; 8c dès-là tombe l'objection
que j'ai propofe'e.
Comme une Mythologie doit renfermer
non-feulement tout ce qui regarde les Dieux
& les Héros , en expliquer les Fables , les
ramener à leurs fources ; mais qu'elle doit
contenir encore leSyftême de l'Idolâtrie, fon
origine , fes progrès , & tout ce qui concerne
le Culte 8c les Cérémonies du Paganifme,
j'ai fait entrer dans celle que je donne au-
jourd'hui , toutes ces différentes matières ;
& voici Tordre dans lequel j'ai cru devoir
les arranger.
^ Après avoir examine' dans le premier Cha-
pitre quelles doivent être^es connoiflances
d'unMythoIogue,3c expofé ce que je penfe dea
differens Ouvrages que nous avons fur la My-
thologie , je tâche de prouver dans les fui-
vans , la vérité' des Fables : j'en rapporte
les diiferentes fources , les divifions , 8cc. 8c
c'eft la matière du premier Livre , qui eft une
efpece d'Introdu&ion nécefiaire à l'intelli-
gence de TOuvrage. Le fécond contient les
différentes Théogonies âzs Peuples connus /
des Chaldèens , des Phéniciens , des Egyp-
tiens, des Atlantides, des Grecs, des Indiens,
des Chinois , & des Sauvages de l'Amérique;
& c'eft-Ià qu'on verra ce qu ils ont penfé de
la formation du monde , Se de l'origine de
leurs Dieux. Je traite dans le troifie'me de
l'origine 8c du progrès de l'Idolâtrie : j'y fais
voir à quel excès elle fut porte'e , 8c le nom-
bre infini de Dieux qu'elle adopta. PafTant
enfuite au Culte de ces Dieux , je parle des
Vi&imes , des Sacrifices , 8c des Inftrumens
dont on fe fervoit dans cet aâe de Religion ;
*î PREFACE.
des Prêtres , des Temples , des Autels , âe$
Bois-Sacrés, des Afyles, desFêtes, &c. Dana
le quatrième , qui eft une fuite du troifiéme 9
je traite des Superftitions que lTdolâtrie au-
torifoit ; ce qui me donne lieu de parler de$
Oracles , des Sibylles , des différentes fortes
de Divination , des Aufpices , des Arufpices ,
des Augures , de l'Aftrologie judiciaire , de
la Magie , des Préfages , des Prodiges , des
Expiations , des Dévouemens , des Evoca-
tions , 8cc. J'expofe dans le cinquième les
fentimens des Phiiofophes , des Hiftoriensôc
des Poètes , fur la nature des Dieux & des
Génies , que le Paganifme avoir introduits ;
& après avoir divifé ces Dieux & ces Génies
en différentes Claies, je finis ce Traité de
l'Idolâtrie par dss Reflexions générales , éga-
lement propres à en faire voir lVofurdité 9
& l'excès ou elle fut portée.
Mais comme ce n'eit pas af&z d'avoir fait
connoître ce9 Dieux en gênerai , & que je
dois en donner une idée plus préclfe Se une
Hiîioire plus détaillée , je parie d'abord de
ceux des Egyptiens , des Arabes leurs voifins,
& de ceux des Ethiopiens. Dc-là je pafle
à ceux des Carthaginois & des autres Peuples
de l'Afrique, dont la Religion nous eft con-
nue ; <k c'eft-îà la matière du fixiéme Livre.
Je traite dans le feptiéme , de ceux des Chal-
déens, des Syriens, des Phéniciens, desPerfes,
des Cappadociens, & des autres Peuples d'A-
fie ; 8c je poufle ces recherches jufqu'à ceux
des Scythes, des Sarmates, & des autres Peu-
ples du Nord de PAGe.
La fuite contient l'Hiftoire des Dieux de
l'Europe ; c'eft-à dire , de ceux des Grecs,
des Romains , des Gaulois , des Germains ,
PREFACE. xx)
«îes Efpagnols , &c. matière immenfe que j'ai
divifée en plufieurs Livres.
Enfin je parle des Héros & des Demi- D ieux :
& pour en donner une connoiflance plus par-
riculiere , j'entre dans le fond de l'Hiftoire
ancienne de la Grèce , de celles des Peuples
qui Thabitoient , & de tous les évenemens
qui la rendirent célèbre ; & j'ai terminé cet
Ouvrage par l'explication des Fables , qui
n'ont aucune liaifon avec les faits rapportés
dans tous les Volumes.
On trouve à la tête de chaque Volume une
Table des Chapitres , qui fait connoître avec
plus de détail tous les fujets que je traite ,
& à la fin du dernier, une Table générale,
que j'ai tâché de rendre la plus utile qu i!
a été poffible.
Quelques Perfonnes auroient fouhaité que
I euffe mis dans cet Ouvrage les Figures des
Dieux, & j'avoue qu'elles en auroient fa-
cilité l'intelligence , & m'auroient épargné
fouvent des détails ; mais outre qu'elles en
auroient beaucoup augmenté le prix, j'ai crû
qu'il fuffifoit d'indiquer les Livres , où elles
fe trouvent ; Livres aujourd'hui affez répan^
^us & allez connus»
Xxij
TABLE
DES LIVRES ET DES CHAPITRES,
qui compofent ce premier Volume.
LIVRE PREMIER.
QUi contient des J3 uejltons préliminai-
res, dontVintelXigence cflnécejfaire
pour V étude delà Mythologie, p. i
CHAP. I. Réflexions générales fur la
Mythologie. a
Art. I. Quelles doivent être les con-
noijfances d'un Mythologue. $
Art. IL Quels écueils il doit éviter. 14
Art. III. De quelle manière on doit je
conduire dans PExplication des Fa-
bles. 29
CHAP. IL Ou Von prouve que les Fables
ne font point de pures Allégories , &
qu } elles renferment à ^ anciens événe-
ment. 3 >
CHAP. III. Divifon des Fables. 52
CHAP- IV. CopjeûuresfurPOrigine des
Fables. $6
CHAP. V. Où Ton conthnte de recher-
cher V Origine des Fables. 82
TABLE DES LIVRES, &c. x&y
CHAP. VI. Continuation de la même
matière. 1 1 1
CHAP. VIL Dans lequel on recherche
V Origine des Metamorphofes d"* Ovi-
de, & de quelques autres Poètes. 130
LIVRE IL
Des differentesTheogonies dont V Antiqui-
té nous a conservé la conno:,j[ancei
ou j Sentiment des Anciens fur VOn-*
gine du Monde & des Dieux. 136
CHAP. î. Tradition des Chaldéens. 137
CHAP. IL Théogonie desPheniciens. 151
CHAP. III. La Théogonie des Egy
ptiens. 17 £
CHAP. IV. Théogonie des Atlantides.
182
CHAP. V. Théogonie des Grecs: 188
CHAP. VI. Cofmogonie & Théogonie
d** Ovide. 21 £
CHAP. VIL LaTheogonie des Chinois
& des Indiens. 225*
CHAP. VIII. Théogonie des Brambies
des Indes. 239
CHAP. IX. Théogonie des Ameri*
quains. 242
CHAP. X. Dek*TheologiePayetme9&
en particulier de celle des Poètes. 257
îcxïv TABLE DES LIVRES, Sec.
LIVRE III.
Où il eft traité de l'Idolâtrie.
^Avant-Propos. 27?
CHAP. ï- De l'Origine & du progrès de l Idolâ-
trie* mu**1
CHAP. II. £« iuel temîs commença l Idolâtrie.
300
CHAP. III. Ou l'on prouve que l'Idolâtrie a com-
mencé par le culte dis Ajires. ^ 318
CHAP. IV. Du progrès de F idolâtrie. 3 33
CHAP. V. Des Temples des Payens* 3 67
CHAP. VI. Des Autels. 4° 7
CHAP \ II. Des Bois facrés, 4r7
CHAP. VIII. Des Afyles. 4**
CHAP. IX. Des Statues des Dieux* & de quelle
manière on les repré fient oit. 4lS
CHAP. X. Des Sacrifices & des Viclimes. 443
CHAP. XI. Des Injtrumens dont on fe fervoit
dans les Sacrifices & dans les Cérémonies Re*
ligkufes. 480
£HAP. XII. Des Prêtres & des autres Minifir es
des Sacrifices. 48*
ÇHAP. XIII. Des Fêtes des Grecs & des Ro-
mains. S]6
ÇHAP. XIV. Des Supplications publiques y des
Lettijïernes, des Evocations , & des Dévoue*
mens. *42
CHAP. XV. Des Cérémonies Religieuses prati-
quées a la fondation des Villes. $ 6o.
LA MYTHOLOGIE
I A
MYTHOLOGIE
ET LES FABLES
EXPLIQUEES
PAR L'HISTOIRE.
LIVRE PREMIER,
Qui contient les Que fiions pr éliminai*
res , dont l'intelligence ejl nécejjairc
pour F étude de la Mythologie.
|| V a N T que d'entrer dans
le détail de la Mythologie y
Se dans l'explication des Fa-
- blés qui 4a compofent , j'ai
Crû qu'il étoit nécefTaire d'examiner au-
paravant plufieurs questions générales,
dont rintelligence fera très-utile à ceuç
gui liront cet Ouvrage.
Tome If * ^
2 La Mythologie & les Fables
- ... ssggjgjj »»■ ».u— ». ■ ,n ,,,, ZZZT
CHAPITRE I.
Réflexions générales fur la Mythologie.
LA connoiffance de la Mythologie
n'efl: pas fans doute aujourd'hui fi
néceffaire , qu'elle le parut aux pre-
miers Pères de PEglife , qui avoient en-
trepris d'établir la Religion Chrétienne
fur la ruine de l'Idolâtrie , ou de ven-
ger par de fçavantes apologies cette
même Religion , des calomnies qu'on
publioit contre elle. Ils dévoient pé-
nétrer les myftéres les plus cachés du
Paganifme , pour en faire connoître
toutes les horreurs ; & ils avoient à
répondre à des Philofophes fubtils qui
pour diminuer l'abfurdité du culte qu'on
leur reprochoit , avoient recours à des
explications allégoriques, qui fembloient
donner un fens raifonnable aux prati-»
ques les plus impies. De là les Ouvra-
ges de Porphyre , de Jamblique , de
Proclus , de Photin , & de plufïeurs
autres Philofophes ( Platoniciens. De
là les Apologies des Pères des premiers
fiécles , S. Juflin , Arnobe , Théodo-*-
ret , Laftance , Clément d'Alexandrie $
Jertyllien , S. Auguftin ; &ç*
'ExpLyar PHifl. Lrv. I. Ch. I. 5
La vérité a enfin triomphé de Ter-
reur ; & s'il fe trouve encore parmi des
Nations groiîieres & ignorantes quel-
ques reftes des anciennes fuperftitions ,
ce n'eft pas la Religion qui les autorife,
elles ont même difparu à mefure que le
monde eft devenu plus éclairé.
J'ofe cependant affurer que la con-
noiflance de cette même Mythologie
eft encore très-utile. Elle fait une par-
tie des Belles-Lettres , & elle fert infi-
niment à l'intelligence des Poètes & de
quelques Hiftoriens qui. racontent les
anciennes Fables , ou qui y font d'éter-
nelles allufions. On les trouve partout,
ces Fables , & elles font encore le fujet
de la plupart de nos Pièces dramatiques
ou lyriques & de nos peintures. Or, on
doit convenir. i°. Que lors qu'on lit
les Poètes & qu'on trouve ces ancien-
nes fixions qu'ils ont fçû employer avec
tant d'art , on a une vive curiefîté d'en
vouloir pénétrer le feus, 2\ Que des
explications heureufes & démarrées de
ce fatras d'allégories & de moralités,
qui faifoient tout le fond de nos pre-
miers Mythologues , jettent une grande
lumière fat ces anciens Auteurs , & fer-
vent à les entendre avec plus de facilité.
Voilà les jufte* bornes dans lefquelles je
Aij
4 La Mythologie & les Fables
^enferme Futilité de la Mythologie.
Je n'ignore pas que nous poffedon$
fur cette matière un grand nombre d'Où-?
vrages tajit anciens que modernes ; j'ai
cru cependant qu'il étoit encore nécef-r
fairjs d'en donner un qui fût & plus mé-
thodique & plus complet que ceux que
nous avons. Ce que je vais dire de ceux
que j£ connpis prouvera ce que je viens
d'avancer ; après que j'aurai exhorté de
bonne foi ceux qui ont quelque talent
pour cette matière , à y travailler ferieu-
fement. Car on fe tromperait fî on s'i-
maginoit que je croye l'avoir épuifée,
& on me connoîtroit mal , fi on me ju-
geoit capable de cette baffe jaloufîe
qu'on a contre ceux qui portent lafaulx
dans une moiffon qu'on femble s'être
réfervée : le champ que je cultive de*
puis tant d'années , eft affez vafte pouf
recevoir plufîeurs ouvriers.
Comme ces réflexions pourroient être
trop étendues, je me bornerai à exami-
ner dan$ ce chapitre quelques chefs prin-
cipaux. Le premier , quelles doivent
être les cônnoiffances d'un Mytholo-
gue , & quels livres il doit avoir lus.
Le fécond , quelle utilité il peut tirer
des fyftêmes déjà imaginés pour l'expli-
cation des Fables. Le troifiéme enfin?
Ëxpl par PHtJÎ. Li v. ï. C* . ï. f
Comment il doit fe conclure dans Fex*
plication qu'il veut en donner lui-mê*
me.
Article Premier.
Quelles doivent être les connoijfances
cPun Mythologue.
Vu ntends par la Mythologie la
connoifîance de la Fable , & en même
temps de la Religion Payenne , de fes
myfterefr , de fes cérémonies & du culte
dont elle honoroit fes faufles Divini-
tés.
On conçoit aifément que pour bien
fçavoir la Fable, il faut avoir lu avec
foin les Poètes , Homère & Heiîode , fuf
tout les Tragiques qui en ont tiré les fu*
jets de leurs Poëmes , & ceux qui en ont
fait des Recueils , en vers , comme Ovi-
de ; en profe , comme Àntonînus Libe-
ralis , Diodore de Sicile , Apollodore >
Hygin & quelques autres.
Sçavoir à fond la Fable , n'eft à pro-
prement parler que la première démar-
che du Mythologue. Comme les Fa-
bles renferment plufieurs fens , & qu'el-
les font comme autant d'enveloppes fous
lefquelles les Anciens ont caché plu-
sieurs vérités ; ceux qui fe font mis en
ftat de les expliquer ; fe font jette*
*> La Mythologie & les Fables
dans difFerens partis , & chacun a cru y
découvrir ce que le tour de fonefprit,
ou le plan de fes études Font porté à y
vouloir trouver. Le Phyficien y a ap-
perçû les myfteres de la nature ; le Po-
litique , des règles pour la conduite des
Etats ; le Philofophe , la morale ; le
Chimifte , les fecrets de fon art; ainiî
des autres. De là tant de fyilêmes dif-
ferens , dont il n'y a en a pas un feul qui
puiïTe fatisfaire à toutes les difficultés qui
fe rencontrent fur cette matière , comme
onle verra dans la fuite de cesRéfîéxions.
Les Fables font de plufieurs fortes.
Il y en a d'Hiiloriques , de Phyfiques,
d'Allégoriques , de Morales , & d'au-
tres qui ne font que de fîmples Apolo-
gues. Les premières font d'anciennes
hifloires mêlées de plufîeurs fîâions : fé-
lon moi j elles font le plus grand nom-
bre. Les Fables Phyfiques , font celles
que quelques Poètes Philofophes inven-
tèrent , comme quand on a dit que l'O-
céan étoit le père des Fleuves ; que la
Lune époufa l'air & devint mère de la
rofée , Se prefque toutes les Cofmogo-
nies des anciens Peuples^ que jerappor-
terai dans la fuite. Les Allégoriques
ctoient une efpéce de parabole qui ca-
çhoit quelque fens myftique , comme
ExpL par PHift. Li v. I. Ch, 1. %
telle qui *fe trouve dans Platon > de Po~
rus & de Penie , ou des richelTe-- & de
la pauvreté , d'où naquit l'Amour. Les
Fables morales font celles qu'on a in-
ventées pour envelopper quelques véri-
tés propres à régler les mœurs ; comme
celle de Narciffe , dont le but eft de ren-
dre ridicule l'amour propre , quand il
eft pouiTé trop loin. Je mets dans le
genre des Fables morales tous les apo^
logues , où l'on fait prefque toujours
parler les bêtes , pour apprendre aux
hommes leurs devoirs , ou pour criti-
quer leurs défauts. Il y a des Fables in-
ventées à plaifir , qui paroifTent n'avoir
d'autre fin que de divertir , comme les
Fables Miiéfiennes & les Sybaritides.
Enfin il y en a de mixtes , qui avec un
fond hiftorique , font cependant des aî-
lufîons manifeftes ou à la morale , ou à
la Phyfique.
Le Mythologue doit avoir une ex-
trême attention à démêler & à pénétrer
tous ces fens , & ne pas croire qu'une
Fable eft purement phyfique ou morale,
parce qu'elle fait allufion ou à la mo-
rale ou à la phyfique ; ou qu'elle eft en-
tièrement hiftorique , parce qu'on y dé-
couvre quelque événement ; & c'eft un
#cueil que n'ont pas évité la plupart de
A iiij
J8 La Mythologie & les Tables
ceux qui ont voulu expliquer les Fables;
Pour ce qui regarde l'intelligence de
la Religion payenne & de fes myftéres,
.dont les Fables faifoient le fond prin-
cipal , quelles connoiflances ne doit pas
avoir acquifes un Mythologue ? Outre
tous les Poètes & les Hiftoriens , il doit
avoir lu principalement les Ouvrages
des Philofophes qui vécurent au com-
mencement du Chriftianifrrie ; & ceux
des Pères & des Apologiftes de la Re-
ligion chrétienne , qui les attaquoient,
ou qui fe défendoient de leurs calom-
nies : j'entends , S. Juilin Martyr , Eu-
febe | Clément d'Alexandrie , Laftance,
Theodoret , Arnobe , fur-tout les Li-
vres de la Cité de Dieu de S. Auguftin.
Pour n'avoir indiqué au Mythologue
<jue ces anciens Auteurs , je ne le dif-
penfe pas pour cela , de la lefture d'une
infinité d'autres Ouvrages : car , comme
une bonne Mythologie , telle que je
conçois qu'elle devroit être , doit con-
tenir tout ce qui regarde , outre les
dogmes de la Religion payenne & les
cérémonies religieufes , toutes les autres
branches de cette Théologie ; les Prê-
tres , & leurs vêtemens , les Temples ,
les marques fymboliques de leurs Dieux,
ies f^çrifiçes ; les vi&imes différentes t
Expl.par PHiJi. Liv. I. Ch. I. 9
les Myfteres , les Augures & Arufpices,
les Oracles , les Sorts , les Jeux , les Fê-
tes , les Autels , &c. & fur cela je dois
lui indiquer les Auteurs qu'il doit con-
fulter , fans prétendre néanmoins lui en
donner une Lifte complette. Sur les
Temples, les Devins & les Oracles, il
doit lire Van-Dale , & le Traité de Ju-
les-Cefar Boulanger ; fur les Fêtes , Fa-
foldus j Caftellanus , Jean Jonflon , Se
Meurfius ; pour les Jeux parmi lefquels
la Religion étoit mêlée , le même Meur-
fius ; pour les Autels , le Traité qu'en a?
fait le Père Berthold ; pour les Myfte-
res de Cerès & deBacchus , Jean-Henri
Éggelin ; & pour les Bacchanales en-
particulier , Jean-Nicolas ; pour ceux
de Cerès ou Eleufîniens , Meurfius , &
M. le Clerc qui Fa rendu plus métho-
dique & plus net ; pour ceux de Mi-
thras , M. délia Torre Evêque d'Adria ;
pour ceux d'Atys & de Cybeie , Lau-
rent Pignorius ; pour ceux dTïis & d'O-
firis , le Traité de Plutarque fur ce fu-
jet, & le même Pignorius ; pour l'O-
racle de Dodone en particulier, Hé-
rodote , le Fragment d'Etienne de By~
zance le Grammairien , avec les No-
tes de Jacques Triglandius , & ce que
JVL FAbbé Sallier en a donné dans nos
A y
10 La Mythologie & les Fable f
Mémoires ; pour les Afyles , Jean O*
(O i.voi fîander, &feu M. l'Abbé de Bôiffi ; (i)
Sede pour les Sorts , les Augures , & les au-
des Belles- très Preftigcs , Jules-Cefar Boulanger :
•Leitres* en général pour plufîeurs cérémonies ÔC
coutumes religieufes , Pitifcus & Rofîn;
bien entendu , comme l'a remarqué Rei-
neiîus 5 qu'il ne faut ajouter foi à ce der-
nier j que quand il rapporte les paflages
des Anciens. Pour les vœux , les Ta-
bles votives , le Traité de Jacques-Phi-
lippe Thomafînus. Sur ce qui regarde
les fermens , toujours liés avec la Reli-
gion , le petit Traité de J. B. Hanfe-
nius ; pour les facrifices & les Prêtres ,
Merula. Enfin , on peut lire ce que
Dom Bernard de Montfaucon a tiré de
ces Auteurs , & de pluiîeurs autres, dans
fon Antiquité expliquée par les figures ;
Se un grand nombre d'autres morceaux
répandus dans le Trefor de Graevius
& de Gronovius , & dans les Mémoi-
res de l'Académie des Belles-Lettres.
On m'objeftera fans doute que nou-s
avons déjà des Mythologies toutes faites,
& un grand nombre d'Auteurs qui ont
travaillé fur les Fables. Je le fçais , &
c'efl par un court examen de ces ouvra-
ges que je vais tâcher d'en faire connox-
tre le mérite. Je ne parlerai poiiit ck?
rExpl par PHijî. Liv. L Ch. I. i ï
€)iodore de Sicile , ni d'Apollodore , ni
d'Hygin , parce qu'ils iront fait que re-
cueillir les Fables , comme Ovide , An-
toninus Liberaiis , & quelques autres ,
fans les ramener à aucun fens raifonna-
ble. Palephate qui a voulu les expliquer,
eft un guide peu far. Les cinquante Nar-
rations de Conon ne font guéres d'une
plus grande utilité. Heraclide & un Au-
teur anonyme , dont nous avons deux
Traites des chofes incroyables , ont à la
vérité ramené à l'Hiftoire les Fables
qu'ils rapportent ; mais ces ouvrages ,
ou peut-être ces fragmens , font trop
courts & ne contiennent aucune autorité
pour prouver les faits qu'ils avancent.
Les Catafterifmes d'Eratoftene le Cy- -
rénéen , ouvrage beaucoup moins éten-
du que celui d'Hygin, contiennent l'hif-
toire des constellations &z de quelques
étoiles ; & pour bien connoitre le ciel
Poétique & Agronomique il faut les
avoir lus , auffi-bien que le Traité de
Cœfius ou Elaeu 5 fans négliger même
ce qu'a fait fuf le même fujet l'Abbé
l;Artigaut. Le livre de Pharnutus fur la
Nature des Dieux ifeflE rempli que d al-
légories , & n'eft prcfque d'aucun- ufage
pour un Mythologue. L'ouvrage du
'Ehiluforhe Saiîufte ; eft un Traité trèsr
A vj
12 La Mythologie & les Fable f
fuccinft , mêlé de Morale & de Phyfc
que , qui ne contient rien ni d'inftruftif 9
ni de fingulier. On peut juger fur le feul
titre du livre d'Heraclide de Pont , in-
titulé Les Allégories d'Homère ,- du cas
que Ton doit faire de cet ouvrage. Les
trois premiers Livres de Planciade Fui-
gence , Mythologue latin , peuvent être
lus avec utilité. L'ouvrage de Laftance
Placide ne contient que les Argumens
abrégés des Métamorphofes d'Ovide ,
Se celui du Philofophe Albricus la ma-
nière de reprefenter les Dieux avec leurs
fymboles. Ce que nous avons de Ptolo-
mée Epheftion n'eft que le fommaîre des
fept livres- qu'il avoit compofés fur la
Mythologie ; & par ce qui nous en refte,
nous devons regretter la perte de cet
ouvrage. Celui de Parthenius de Nice a
cela de bon qu'il tire d'anciens Auteurs
les hiftoires fabuleufes qu'il raconte ,
mais il n'en contient pas un grand nom-
bre. Les Métamorphofes d'Antoninus
Liberalis font d'un mérite bien inférieur
à celles d'Ovide, mais il en rapporte
quelques unes dont le Poète latin ne par-
le pas.
Pour venir maintenant aux Mytholo-
gues modernes , je vais dire ce que je
penfe de «eux que j'ai lus. Je mets à lèxui
ËxpL par mift. Lïv. ï. Chap. T. rj
tête Natalis Cornes , Auteur fçavant , ôc
qui nous difpenferoit peut-être de tra«
vailler fur le même fujet , iî trop préve--
nu pour les fens allégoriques & moraux'
des Fables , il s'étoit un peu plusappli-
que à n'en pénétrer que Phiftoire. Ilman-
quoit d' ailleurs des fecours que les Bo-
chart , les Voiïîus , & tant d'autres nous
ont fournis depuis par leurs fçavantes dé*
couvertes. La Mythologie de Cartari ,
continuée par du Verdier.n'a rien de bien
inftru&if , ni de bien digéré. La Généa-
logie des Dieux par Bocace , a cela de
particulier , que l'Auteur a connu & ci"
té des livres qui ne fe trouvent plus au-
jourd'hui. L'ouvrage de Lylio Gyraldï
eft très-bon pour ce qu'il copient ; mais
outre qu'on n'y trouve pas tous les fujets
qui doivent entrer dans une Mytholo-
gie, il a négligé l'hiftoire renfermée dans
fes anciennes fiétions ; ce qu'il a de meil-
leur eft la lifte des furnoms des Dieux
dont il parle , & qui paroît faite avec
beaucoup de foin , quoiqu'il ait fouvent
négligé de donner l'explication de ces.
noms.Le Commentaire de Vigenere fur
les Tableaux de Philoftrate eft très-fça-
vant , mais trop mêlé de Phyfîque & de
Morale , ôc d<$S un langage qu'on Btf
f 4 La Mythologie & les Fabkf
Article IL
Quels écueils il doit éviter.
Àpre's avoir traité des connoiflànces
préliminaires que doit acquérir un My-
thologue , je vais lui montrer les écueils
qu'il doit éviter , par rapport aux fyftê-
mes qu'on a inventés pour expliquer les
Fables ; car comme il n'y en a aucun qui
fatisfafle à toutes les difficultés; point de
règles générales qui puiflent fervir dans
toutes les occafîons ; on peut aïïïïrer ce-
pendant qu'il n'y a aucun de ces fyfté-
mes dont on ne puilTe tirer quelque uti-
lité.
Examen des Un des premiers & des plus anciens eft
quWpropo- celui des Philofophes Platoniciens , qui
fés les Sça- preffés par les objections des Apologif-
€xpiiquer° L tes delaReligion Chrétienne , dont Tob-
Fables. jet étoit de leur prouver l'abfurdité du
Paganifme par celle des Fables qui en
faifoient le fond , prétendirent que ces-
Fables n'étoient que des allégories qui
cachoient de grands myfieres, & fur tout
celui des productions différentes des cau-
fes fécondes , animées par le même ef-
prit qui les avoit déveiopées & tirées
du chaos où elles étoient confondues :
que ce grand nombre de Dieux , dont
Expl.par PHîfi.Liv. I. Chà*.L rjr
€>n leur reprochoit le culte , n'étoieng
que des Génies d'un ordre inférieur aix
premier moteur , qui leur avoit confié
le foin de gouverner le monde ; & qu'en-
fin des chofes qui paroiffoient ou ab-
furdes ou obfcénes, cachoient feulement
le myftere de la génération des plantes
& des animaux,
Mon objet n'eft point de rapporter ici
les réponfès des Pères , qui prouvoient
à ces Philofophes que les Fables étoient
de véritables hiftqires de leurs Dieux ,
dont ons'avifoit trop tard de couvrir les
crimes par d'ingénieufes allégories; ni
ce qu'ils répliquoientaux Stoïciens , qui
n'abandonnoient la Religion établie ,
qu'en fe jettant dans Pathéifme, & ne re-
connoiffant d'autre divinité qu'un Efprit
univerfel, étendu comme la matière qu'il
animoit : ce que Virgile ( i ) a exprimé (l)yEw#^,
dans ces deux vers, i. *.
Sprints intus dit , totamque irrfufa fer
anus
Mens agitât molem > & magno fe corfore
mifcet,
Tel étoit en effet le fentiment favori
des Stoïciens (2) , de Straton , de Pro- wlCtlih t
fcigoras , de Pline, renouvelle depuis -de lui. d**,
t S La Mythologie & les Vallès
par Spinofa. Mais lefyftême que je vieflî
d'expofer, quoique faux en général, par-
ce que les Fables n'ont jamais été un
ouvrage médité , ni compofë pour faire
un tout,explique cependant d'une maniè-
re très-ingénieufe , les allégories qu'el-
les renferment quelquefois ; & Platon
lui-même , le maître des Philofophes qui
formèrent ce fyftême , en avoit expliqué
quelques unes fur ce principe.
Quelques Sçavans du dernier fîécîe
ont pris une autre route pour pénétrer
le fens des Fables. Le Père Kirker a
prétendu en trouver le dénouement dans
l'explication des Hiéroglyfes , ou de la
langue facrée des Egyptiens ; & cette
prétention eft faufle en général , & nul-
lement fûre , par le peu de connoifTance
que nous avons de ce langage myfté-
rieux , & parce qu'en effet toutes les Fa-
bles ne font pas originaires d'Egypte.
Cependant , comme ce pays a été peu-
plé des premiers , & peu de temps après
la difperfîon des fils de Ncë, & que les
Fables paroiffent auffi anciennes que
cette première féparation , puifque l'I-
dolâtrie avec laquelle elles font liées,
commença alors , rien n'effc plus utile
pour leur intelligence , & pour mettre le
Mythologue en état de lf g expliquer A
Expl. fat TElfl. Liv. I. Chat». I Vj
<que la connoifTance de la Religion &
des Cérémonies de cet ancien Peuple ; 6c
pour cela YOedipus sEgyptiacus de ce
fçavant Jefuite peut être lu avec uti*
lité.
Le célèbre Bochart a cru trouver Fex*
plication de la plupart des Fables dans
les équivoques de l'ancienne langue des
Phéniciens ; mais fon fyfteme feroit in-»
foutenable iî on l'étendoit trop. Toutes
les Fables n'ont pas été inventées par les
Phéniciens , & nous ne pouvons pas
nous aflîirer d'entendre aïîez leur lan-
gue , pour reùflir à expliquer celles qu'ils
inventèrent. Cependant il eft certain que
les Phéniciens font les premiers Peuples
qui ont exercé le commerce & la naviga-
tion. D'ailleurs on ne fçauroit douter
qu'on n'ait trouvé dans prefque toutes
les Mes de la Méditerranée , fur les côtes
de l'Afie mineure , dans la Grèce , & ju£
qu'au fond même de TEfpagne , des
marques de leur féjour dans ces différent
Pays3& des veftiges de leur Religion : ôC
dès là quelles lumières la connoifTance
des Langues ne peut-elle pas répandre
furies Fables , & quels fecours ne peut-
on pas tirer des ouvrages de ce fçavant
homme ? Que d'explications heureufes
liVt'il pas données lyi-nieme } o\j n'a j,'j)
t8 La Mythologie & les Fables
Cas fournies à M. le Clerc en particulier,
Se à tant d'autres ?
Le fyftême de ceux qui rapportent
toutes les Fables à l'Ecriture Sainte mal
entendue , & à des traditions corrom-
pues , efl certainement faux , lorfqu'il effc
pris dans fa généralité. Il y à dans les Fa-
bles une infinité de chofes qui n'ont au-
cun rapport avec les faits qu'on trouve
dans les Livres Saints; lefquels d'ailleurs
étoient confervés par un Peuple jaloux
de fa Religion9nullement communicatif ,
fort meprifé , & peu connu avant les con-
quêtes d'Alexandre, Cependant il eft ai-
fé de fe convaincre par la left'ure des ou-
vrages du P.Thomaflïn , de M. Huet , de
1* Auteur de l'Homère Hebraïzant , dans
le livre intitulé Theologia Gentilis de Da-
niel Clafenius , dans la Conférence de la
Fable avec l'Ecriture Sainte , & plus en-
core dans les Reflexions de M. Four-
mont l'aîné fur les anciens Peuples,qu'on
peut réùffir à découvrir dans les ancien-
nes fi&ions, quelques reftes des traditions
des Hébreux. Mais , pour dire ici ce que
je penfe fur ce fujet , il n'y a aucun des
Auteurs que je viens de nommer , qui ne
foit allé trop loin. Il eft dangereux de fe
laifler éblouir par les premières lueurs de
^eiïemblance qui nous frappent yôc c'eft
Expl. par PHiJï. Liv. I. Chàp. I. ip
tin écueil contre lequel de fçavans hom-
mes ont échoué. Si feu M.PEvêque d' A~
vranches s'étoit contenté de dire qu'il n'é-
toit pas difficile de trouver quelques rap-
ports entreMoyfe&leMercuredesGrecs;
rapports d'ailleurs qui pouvoient fort na-
turellement fe trouver entre deux perfon-
nés , foit dans le cara&ére , foit dans quel-
ques unes de leurs aftions , il feroit loua-
ble d'en avoir fait le parallèle ; mais que
charmé de cette découverte, il l'ait pouf-
fée jufqu'à croire que le Législateur des
Hébreux avoit été le modèle de prefque
tous les Dieux des Payens , comme Ma*
rie fa fœur , ou Sephora fa femme , ce-
lui de toutes leurs Déefles ; c'eft un de
ces écarts où une trop grande érudition
jette quelquefois, (a)
Que les voyages d'Abraham & ceux
du même Moyfe ayent été connus des
Payens , c'eft un fait qu'il ne feroit peut-
être pas difficile de prouver ; mais que
ces voyages & les prodiges qui y furent
opérés , ayent été l'objet des anciens
Poètes dans l'hiftoire de Jafon , & de
l'expédition des Argonautes , c'eft une
prétention que tous les efforts d'un Au-*-
( a ) Voyez la quatorzième fource des Fables C J» oà
Von développe plus au long cette penfée*
2o La Mythologie & les Fables
TOConfer teur m°dcrne n'ont pu rendre proba-
' ble. (i)
De même , quoiqu'il foit certain que
ce n'eft point du fein de l'erreur qu'eft
fortie la vérité , mais que c'eft la vérité
elle-même mal entendue qui a produit
ce grand nombre de Fables qui ont fé-
duit pendant plufieurs fïécles l'univers
jprefque entier; & que par conféquent
ceux quri ont cherché à découvrir cette
ancienne vérité dans le fond même de
l'erreur , foient dignes de louanges , oft
ne fçauroit s'empêcher de les blâmet
d'avoir voulu porter trop loin leurs con*
jeftures : comme d'avoir avancé , pat
exemple, qu'on trpuvoit des veftiges du
tnyftere de la Trinité , ou dans les ou-
vrages de Platon , &nfî que S. Juftin ,
Eufebe , Clément d'Alexandrie , & quel-*
«jues autres fe le font imaginé ; ou dans
les (îgures hieroglyfîques de la Table
Ifîaque, comme d'autres l'ont cru; ou
dans les Divinités des anciens Germains ,
ainfî que l'a avancé Cluvicr ; ou dans les
trois principaux Dieux des Indes Orien-
tales , Brama , Vichnou & Routren ; ou
dans lTdole à trois têtes du Japon ; ou
dans celle du Pérou , nommée Tanga-
Tanga , nom qui , félon Acofia , fïgnifîc
çn (n trçis k p^ mis m un i ç'eft vqylog
lïxpL par PBift. LlV- 1. CffÀf. I 2»
fe diftinguerpar des fçavantes fîngula*
rites , aux dépens de cette même vérité
jqu'on fe fait honneur de chercher. Dieu
auroit-il révélé à ces Peuple cet ineffa-
ble myftére , d'une manière plus clairQ
qu'il ne Pavoit révélé aux Hébreux ?
Que tous les hommes qui habitent la
terre , foient fortis d'une même tige , c'eft
une vérité que la Religion nous oblige
de croire : que quelques uns d'eux ayenï
confervé , même après une longue fépa-
ration Je fouvenir de ces fortes d'évene-*
mens,qui ne font pas de nature à être ou-
bliés , comme le Déluge, c'eft une vérité
qu'on ne fçauroit guère contefter.malgré
la manière différente dont les Peuples les
plus éloignés de nous,en ont raconté Phif-
toire à ceux qui les ont découverts ; mais
vouloir trouver parmi eux des refies de
nos myftéres ; une conformité marquée
entre leurs mœurs & celles de nos pre-
miers Patriarches ; leur fuppofer une no-*
tion , même affez exafte , des Orgyes
de Bacchus , des myftéres d'Ifîs & cTO-
fïris , de la Fable de Jafon & de Medée ,
&c. c'eft un de ces excès où ne manquent
gueres de tomber ceux qui frappés d'a-
bord par quelques traits de vraifemblan*
ce , commencent par former un fyftême ,
qu'ils cherchent eafuite à jyftifîer par de§
parallèles fo,i*césa
*z La Mythologie & les Tables
Le fyftême de ceux qui rapportent les
Fables à l'Hiftoire ancienne,mais défigu-
rée par lesPoëtes5qui ont été les premiers
Hiftoriens;fyftême qui paroît aujourd'hui
le plus goûté , & que j'ai fuivi , encoura-
gé par le fuccès de quelques Sçavans du
dernier fiécle , qui ont fi heureufement
expliqué quelques Fables particulières ,
auroit aufli fes inconveniens fi on vouloit
généralement tout rapporter à l'Hiftoi-
te ; puifqu'il eft fur qu'il y a des Fables
qui ne font que de pures allégories, ou
à quelque vertu , ou à quelque vice , ou
enfin aux productions de la nature ; d'au*-
très dont le fond eft hiftorique , quoique
pour nous les débiter , on fe foit fervi de
l'allégorie , comme dans la Fable des en-
fans de Niobé , qui périrent dans la con-*
tagion qui affligea la ville de Thebes , <5c
qu'on dit poétiquement avoir été tués
par Apollon & par Diane , parce qu'on
attribuoit les morts fubites & celles que
caufoit la pefte , à Appollon pour les
hommes , & à Diane pour les femmes ,
ainfi qu'on le voit en cent endroits d'Ho-
înere ;.& cela parce qu'on croyoit que la
contagion étoit l'effet des influences du
Soleil 6c de la Lune , marquées par les
flèches de ces deux Divinités.
,Ce fyilême pris avec ces modifications
Expl par rHiJl. Lrv. I. Cktap. î. aj*
Se quelques autres encore , efl le plus
raifonnable , & celui qui fatisfait le mieux
dans les détails : bien entendu qu'on ne
doit point entreprendre d'expliquer tou-»
tes les circonflances de chaque Fable ,
& que pour bien réiiffir à les expliquer ,
il faut les prendre dans les Poètes les plus-
anciens , dans Homère , par exemple , &
dans Hefîode , où elles font beaucoup
plus lîmples , & annoncent plus naturel-*
lement les faits aufquels elles fe rapport
tent ; & cela quelquefois , fans tous ces
ornemens qu'on y a mêlés dans la fuite ,
ou pour les rendre plus refpeftables, par-,
ce qu'elles faifoient partie de laReligion,
ou plus furprenantes , parce que l'hom-
me aime naturellement le merveilleux. Je
pourrais en rapporter plufîeurs exem-
ples , mais je me contente de celui de
Bellerophon , dont Phîftoire efl racontée
fort au long dans l'Iliade , fans qu'il foie
fait mention du Cheval Pegafe,qu'on dit
dans la fuite que Minerve avoit dompté
pour le donner à ces Héros. Cet ancien
Poète ne parle pas aufîï des Centaures 9
félon l'idée qu'on en a eu dans la fuite :
il les repréfentent commodes gens féro-
ces & brutaux , & nullement comme des
monflres demi-hommes , demi-chevaux;
& je crois que c'eft Pindare qui le pre^
jB?ier les a peints de h forte?
£4 Là Mythologie & les Fallet
Je ne dis pas qu'une Fable n'étoïf pa&
inventée du temps de ces anciens Poètes*
parce qu'ils n'en parlent pas. Ils n'ont pas
eu occafîon ni le deiïein de faire men*
taon de toutes : voici comme je l'entends.
Xorfqu'ils racontent une Fable , ce qu'ils
n'en rapportent pas paroît n'avoir été
inventé qu'après eux : ainfi par exemple »
Hefiode dit que Jafon eut de Medée ,
Medus , Se ne dit rien de plus ; d'où je
conclus que ce n'eft qu'après lui qu'on
rajouté à cette Fable , que ce Medus
étoit perc des Medes, Hefiode n'avoit
garde de le dire , puifque les Medes , qui
tt'ont commencé à paraître qu'environ
^jo.ans avant Jefus-Chrift,ne pouvoient
pas être connus d'un Poè'te qui vivoit
•près de 900. ans avant cette époque.
Quand le même Po€te parle de Maïa,
une des Pléiades , & mère de Mercure ,
îi ne dit rien de fes fix autres fœurs , qui
avec elle avoient formé la Conftellation
des Pléiades ; encore moins de la feptié-
me de ces filles , nommée Merope, qui fe
cache , difent les Poètes pofterieurs ,
parce qu'elle avoit été la feule qui eût
epoufé un homfhe mortelles fœurs ayant
été mariées avec des Dieux. Cette Fable
phyfique qui nous apprend que depuis
long-temps cette étoile s'enfonce dans la
profondeur
Expl par PHijl. Liv. L Cnkv. L 2f
profondeur immenfe du ciel , & qui cft
rapportée dans Ovide & dans Hygin ,
n'étoit pas connue fans doute , ni d'Ho-
rpere ni d'Hefiode.
Une autre règle qu'il faut fuivre lors-
qu'on veut adopter le fyftême hiflorique,
c'eft qu'il faut bien fe convaincre que les
Fables font un tout mal aflbrti , qui ne
fut jamais un ouvrage médité, inventé
dans un même pays , ni dans un même
temps , ni par les mêmes perfonnes. J'a-
vois fait cette çeflex-ion dans la Préface
de ma traduction des Métamorphofes
d'Ovide. J'avois prouvé même dans l'Ex-
plication des Fables , que l'Egypte & la
Phcnicie ne les avoient pas vu naître
toutes, quoique le plus grand nombre en
fut forti ; que la Grèce & l'Italie en
avoient inventé plufieurs , & qu'il y en
avoit d'affez modernes : telle , étoit cel-
le des Vaifîeaux d'Enée , changés par
Cybele en Nymphes de la mer ; Fable
qu'Ovide a copiée de Virgile 5 fans que
fur cette tradition on puiffe remonter
plus haut que le temps d'Augufte
J'ajoute qu'il eft aifé de fe méprendre;
que quelquefois on regarde une Fabl&
comme nouvelle , quoiquelle foit fort
ancienne , & que pour ne point s'expofer
à y être trompé, il faut en l'examinant ^
Jomç L 9 B
ù6 La Mythologie & les Fables
voir s'il ne feroit pas pofïïble d'en décou*
vrir l'origine ; & fur cela je crois qu'on
peut avancer que les noms des Perfon-*
nages de ces Fables , font très- propres
à marquer le pays où elles ont pris naif-
fance. Lorfque ces noms font allufion
aux Langues de l'Orient , comme par
exemple , celui de Cadmus , on peut af-
fùrer qu'ils tirent leur origine de Pheni-
cie ou d'Egypte. Quand ces noms font
Grecs , comme ceux de Daphné , des
Eliades , des Myrmidons , d'Alopis , de
Galanthis , &c. on doit croire que les
Fables qui regardent ces perfonnages ,
font d'origine Grecque ; & enfin lorfque
ces noms font Latins , tels que ceux de
Carmente , de Flore & d* Anna Perenna f
on peut penfer que les Fables qu'on en
débite , pnt été inventées en Italie. Ce
qui fert à confirmer cette règle , c'eft
qu'on ne trouve point ces dernières fic-
tions hors du pays Latin , ni les autres
hors de la Grèce.
Mais cette règle a encore fon incon-
vénient ; car fi , parce que les noms de
Matuta & de Portumnus font Latins , on
vouloit afîïirer que leur Fable a pris naif-
fance en Italie , on fe tromperoit , puifi»
que nous la trouvons dans la Grèce fous
içs noms de Leucothoé & dç Palemoa
Expl. par PHift. Liv. L Chap. I. $7
Se que ce Palémon lui-même , ainfï que
Ta très-bien prouvé Selden , (1) eft le (i)Synt.vt
Melicerte des Phéniciens. C'eft ainfï MsSjriis.
qu'on peut découvrir quelquefois l'ori-
gine des Fables , & leur tranfport de
l'Egypte ou de la Phenicie , dans la Grè-
ce & l'Italie , & dans d'autres pays en-
core ; car il n'y en a peut-être aucun,
où l'on n'en ait trouvé.
Il ne faut pas s'imaginer cependant
que les Peuples que je viens de nommer,
les ayent toutes inventées : l'Afîe mi-
neure , les Mes , la Grèce , les Gaules
& PEfpagne , étoient fans doute habi-
tées par les defeendans de Japhet , dès
les premiers temps; & cesPeuples avoient
comme les autres Nations leur Religion
Se leurs Fables , lorfque les premières
Colonies d'Egypte & de Phenicie y ar-
rivèrent ; & fi elles apportèrent dans ces
differens pays leurs Dieux & leur culte,
ceux qui retournèrent en Egypte & en
Phenicie , & ceux de ces Peuples que
je viens de nommer qui y voyagèrent,
ne manquèrent pas à leur tour d'y com-
muniquer la connoiiîance des Divinités
qu'ils honoroient avant que des étran-
gers arrivaient chez eux. Hammon &
B'elus , par exemple , étoient les deux
premières Divinités de l'Egypte & de
28 La Mythologie & les Fables
la Phenicie , comme Jupiter éteit \ô
plus grand des Dieux des Grecs. Ce-
pendant nous trouvons dans l'Antiquité
la plus reculée , que Belus & Hammon
étoient auffi appelles Jupiter ; ce qui ne
peut être que I;efFet de ce commerce de
Religion dont je viens de parler.
Les Peuples qui recevoient les Divi-
nités étrangères , faifoient dans la fuite
des temps de fi grands changemens
dans le culte qu'ils leur rendpient , &
même dans leurs noms , que fouvent
* on n'en pouvoit plus reconnoître la vé-
ritable origine ; & les Colonies qui arri-
voient dans les pays , où le culte de leurs
Dieux avoit été apporté par celles qui
les avoient précédées , n'y connoiffoient
plus rien , ou croyoient qu'on y ado-
roit des Dieux différens des leurs ; ce
qui fans doute a dû porter beaucoup de
confufion dans l'ancienne Mythologie.
Quelques Sçavans des derniers fiécles
(0 Bochart, ( i ) , ont eu affez de fagacité pour
sdden % m. ^claircir en partie un article fi effentiel.
^viuV, &" Ils ont reconnu , par exemple, que le
^lufieursau- Jheutat des Gaulois , l'Hermès des
ues# Grecs , & le Mercure des Latins, étoient
les mêmes , que le Thot ou Thaut des
Egyptiens; que leBelenus des Celtes,
^Apollon des Grecs t & le Mithras des
ExpLparPHiJÎ. LivA. Chap.L 29
Perfes , étoient POfîris & F Orus de ces
mêmes Egyptiens ; que Diane & Luci-
ne , étoient Ilîs ; Se que TÀlilat des Ara-
bes , FAflarté des Syriens , & la Venus
célefte des Grecs , étoient la Planète
que nous appelions la belle étoile ou
Vefper. Quelques Sçavans même, parmi
le/quels on peut nommer Bochart , le-
Père Thomaflïn , Cumberland, Voiïius,
M. Huet , M. Fourmont , & plufieurs
autres , ont cru trouver ces anciens
Dieux dans les premiers Patriarches ;
Saturne dans Noé ou dans Abraham;
Jupiter , Neptune & Pluton dans Sem,
Cham & Japhet , ainli des autres ; mais
cet article mérite encore de nouvelles
reflexions , & peut - être qu'il ne nous
fera pas impoflîble de trouver dans la
fuite de cet ouvrage , la reflemblance,
ou plutôt Pidentité des huit ou des dou-
ze grands Dieux , dont parle Hérodote,
avec les Dieux des Grecs & des autres
Peuples.
Article 1 1 L
De quelle manière on doitfe conduire dans
V explication des Fables.
Avant que de finir ces reflexions ,
je crois devoir montrer à ceux à qui el-
les pourront être de quelque utilité , de
Biij
30 La Mythologie & les Vallès
quelle manière ils doivent fe conduire
dans l'explication des Fables. Pour les
bien entendre , il faut -d'abord voir par
la manière dont une Fable eft compo-
fée , û elle préfente l'idée de quelque
fait hiftorique , ou fi elle ne fait qu'allu-
fion à quelque effet de la nature , ou à
quelque vertu ; & fou vent la plus Am-
ple réflexion fuffit pour en pénétrer le
myfterc. Lorfque la Fable paroît hifto-
îique , il faut en écarter le furnaturel
qui l'accompagne : un Poète qui a des
événemens à décrire , ne les raconte pas
Amplement & en Hiftorien , mais il y
mêle des machines , ambages Deorumque
mimfleria , comme dit Pétrone. Il faut
donc ôter cette intervention des Dieux,
donner ou à la valeur , ou à la prudence,
eu à FadrefTe , ce que le Poète donne à
Mars , ou à Minerve , ou à ?»lercure. Il
faut examiner encore en quelle langue
la Fable qu'on veut expliquer , a été
écrite , & on trouve fouvent que c'eft
une fimple équivoque de cette langue ,
qui a donné lieu à la fî&ion ; Bochart
en fournit un très -grand nombre d'e-
xemples. Il efl inutile & impofiïble en
même temps d'expliquer toutes les cir-
conftances des Fables , dont la plupart
p'ont été inventées que long -temps
Ëxph par PHîft. Liv.L Chap.X. 3*
après, par les Poètes qui ont eu ocra*
lion de les employer ; ainfî il faut le»
prendre dans les Poètes les plus anciens,
où ordinairement elles font plus iîmples,
comme je l'ai déjà remarqué. Il édile*4
ceffaîre auiîi d'avoir lu les Anciens, pour
\7oir fi le fait contenu dans la Fable, eft
lié avec quelque autre événement hifto-
rique ; car alors il eft aifé de le débar-
rafler du merveilleux qui l'accompagne.
Le voyage des Argonautes , par exem-
ple , & les travaux d'Hercule , font des
Vérités hiftoriques : de combien de fic-
tions ne les a-t'on pas embellies ? Le
plus grand embarras que rencontre un
Mythologue , confîfte à débrouiller le
chaos des opinions différentes fur une
inême Fable , qui fe trouve racontée en
tant de manières , & fî différentes Tune
de l'autre , qu'il eft impoffible de les
concilier toutes.
Suppofons qu'on veuille examiner,
par exemple , le partage du monde en-
tre les trois enfans de Saturne ; d'abord
on fera effrayé de la diverfïté des fenti-
mens des Sçavans fur ce fujet. On trou-
vera dans les Hiftoriens ( 1 ) des tradi- (l) Voyez
tions très-oppofees , quoiqu'égaiement D-°d. de sic.
anciennes. Pendant que le plus grancl
pcwbre fuppoferale partage comme un^
B iiij
3 2 La Mythologie & les Fables
chofe fûre,d'autres rapporteront des faits
qui le détruifent. On dira , par exem-
ple, que Neptune étoit forti de la Li-
bye, & Minerve des bords du lac Tri-
ton dans le même pays , & qu'ainfi ils
n'avoient rien de commun avec Jupiter,
dont ils ne pouvoient pas même être pa-
ïens. Il faut d'abord examiner ces diffé-
rentes traditions , abandonner celles qui
parciffent fe contredire , & qui détrui-
fent des faits , qu'on fçait par des Au-
teurs dignes de foi.
Ceft ce qu'ont fait nos meilleurs My-
thologues, & je n'en connois point qui
ait adopté cette Fable , fans avoir re-
cherché auparavant ce qui a pu y don-
ner lieu. Les plus fenfés , tels que Gé-
rard Vofïius , Marsham , Bochart & le
Père Thomafîin , ont cru que le parta-
ge du monde entre les enfans de Noé,
Sem , Cham & Japhet , étoit l'origine
de la tradition du même partage entre
Jupiter , Neptune & Pluton ; & fur cet-
te idée , ils n'ont pas manqué de faire
des parallèles fort recherchés , entre les
trois Princes fabuleux , & les trois fils du
Patriarche. Cependant ces mêmes Au-
teurs varient encore fur les traits de re£
femblance qu'ils trouvent entre les uns
jk les autres ; & ce ne font pas les me-
Zxpl.pârPHtf. Liv.I. Chap.L 35
mes personnes qui entrent dans le même
parallèle. Dans le fond , quelle reiïem-
blance peut-on trouver entre Sçm & Ju-
piter, entre Cham & Pluton f'Tout ce
qu'on pourroit conclure de plus raifon-
nable de l'opinion de ces grands hom-
mes , efl , non que les deux familles , .
qu'on ne fçauroit confondre fans s'écar-
ter de tous les Anciens , n'en fanent
qu'une ; mais feulement la vérité de
cette propofition , que les Grecs ont fou-
vent embelli Fhifloire de leurs temps fa-
buleux , de celle des Peuples de l'O-
rient j dont ils tiroient leur origine.
L'Empire des Titans , fuivant les An-
ciens , étoit extrêmement étendu. Ces
Princes pofiedoient la Phrygie , la Thra-
ce , une partie de la Grèce , l'Ifle de
Crète & plufieurs autres Provinces , ju£-
qu'au fond de l'Efpagne, Saïichonia.-
thon ( 1 ) femble y joindre la Syrie , & / O D-ns
Diodore (2) y ajoute une partie de l'A- Evang! re?*
frique & les Mauntanies. Je n'entre (Z) l, ît
point dans les preuves de ce fait , qu'on
trouvera fort détaillé dans l'ouvrage
que le Père Dom Pezron a compofé fur
l'origine & 1" antiquité de la Langue des
Celtes. Il fuffit de dire ici , que ce fça-
vant homme prétend que le partage qui
fut fait de ce vafte Empire , fut regardé
B v
54 La Mythologie & les Fable t
dans la fuite comme le partage du mon*
de : que TAfîe demeurée à Jupiter, lç
plus puifTant des trois frères , l'avoit fait
regarder comme le Dieu de l'Olympe,
montagne célèbre où il faifoit fa réfî-
dence , & qui fut dans la fuite prife pour
le ciel même : que la mer & les Mes,
qui avoient été le lot de Neptune , lui
avoient fait donner le titre de Dieu de
la mer : & que l'Efpagne , le bout du
monde connu, pays confideré comme
très-bas, par rapport à l'Afie , célèbre
d'ailleurs par fes excellentes mines d'or
Se d'argent , devenue le partage de Plu-
ton , l'avoit fait prendre pour le Dieu
des Enfers.
Un Mythologue doit propofer &
examiner avec foin ces différentes opi-
nions , pour mettre le Lefteur en état
d'en juger; & il peut fe déterminer lui-
même en faveur de celle qui lui aura
paru la plus vraifemblable , & l'appuyer,
s'il peut , de nouvelles preuves , fans
irop s'embarrafîer des difficultés qu'on
pourroit lui faire ; car on o(e aflurer
ici , qu'on n'oppofera jamais rien con-
tre la fraternité des trois Princes Titans,
qui foit plus fort que ce qu'on aura pu
dire pour l'établir.
Expl par PHift. Liv.L Chap.IL 3J
CHAPITRE IL
Où Ponjprouve que les Fables ne font point
de pures Allégories , & qu'elles renfer-
ment cP anciens événemens.
LEs Fables ne doivent être regar-
dées que comme de belles envelopp-
ées , qui nous cachent les vérités de
THiltoire ancienne ; & quelque défigur
rées qu'elles foient par le grand nomr
bre d'ornemens qu'on y a mêlés , il n'eli
pas abfoiument impoffible d'y découvrir
les faits hifloriques qu'elles renferment.
Je ne difconviens pas qu'il n'y ait dans
les Fables des circonftances qui étoient
de l'invention des Poètes ; mais il y a
bien de l'apparence que le fond en étoit
vrai ( a ) : & û on ne doit pas prendre
-à la lettre tout ce qu'ils ont dit de leurs
Dieux ôc de leurs Héros , on auroit tort
de le rejetter entièrement, d'autant plus
qu'ils parlent fouvent de perfonnes, dont
les Hiftorîens nous ont raconté les ac-
tions ; ce qui fait dire àPaufanias(i): f,j rnAtt#
C, 2.
(a ) W.or, cnlrr, r*.s ipf*sgep- colorent rébus. Lafl, de faifa
Jas , pnyerv.nt Po'èU , jed Rel Lib. I. Ci 2.
B vj
3 6 La Mythologie & les Fables
» De tout temps les événemens extraor-
» dinaires & fînguliers , en s'éloignant
y> de la mémoire des hommes , ont cefle
* de paroître vrais , par la faute de ceux
* qui ont bâti des Fables fur le fonde-
3> ment de la vérité. »
Je fçais que les Poètes ont quelque
fois inventé jufques aux perlonnages
mêmes dont ils parlent ; mais il eft aifé
de les reconnoître , ces perfonnages
feints , & aiTûrément les gens raifonna-
blés ne jugent pas de Saturne ou de Nep-
tune j comme de la Fortune & du Def-
îin. Il n'eft pas impoffible de diftinguer
parmi tous ces perfonnages poétiques ,
ceux qui etoient réels , d'avec ceux qui
n'étoient que métaphoriques ou allégo-
riques. De fçavans hommes l'ont fait
avant moi , ôc S. Àuguftin , Laftance &
Arnobe n'avoient pas jugé cet article
indigne de leur application , & avoient
crû rendre un grand fervice à. la Reli-
gion j en découvrant à tout le monde
que les anciennes Divinités desPayens,
n' avoient été que des hommes. J'avoue
que s'il n'y avoit dans les Fables des
Poètes que quelques allégories , je ne
vois pas qu'on dût faire beaucoup de
cas de leurs ouvrages : je ne trouverois
rien de fi froid. Au lieu que s'il eft vrai
Expl.parVfftft. Liv.L Chàp.IL ff
qu'elles renferment d'anciens événe-»
mens , on n'eft pas furpris qu'ils en ayent
employé un û grand nombre ; on a mê-
me meilleure opinion du génie des
Grecs , puifqu'ûn voit que malgré le
penchant infini qu'ils -avoient pour les
Hâions , ils ne fe repaiflbient pourtant
pas de contes purement inventés ( a ) ;
& que s'ils ont embelli leurs narrations,
on fçait du moins qu'elles renferment
plufîeurs vérités intereflantes» Aufïï eft-
il certain que les plus grands hommes de
l'Antiquité, ont toujours eu une haute
idée des Poètes , qu'ils regardoient com-
me les premiers Hiftoriens. Strabon
dit (i) , que les Hiftoriens approchoient (i) Lft*
d'autant plus du caraftere d'Homère,
qu'ils étoient plus anciens : ce qui fait
dire à Cafaubon (f?) , que lorfqu'il li-
foit Hérodote, il lui fembloit lire Ho-
mère lui-même. Croira-t'on de bonne
foi , qu'Alexandre eût tant fait de cas
de ce Poète , s'il ne l'avoit regardé que
comme un conteur de Fables ? Et au-
roit-il envié le fort d'Achille d'avoir
eu un tel Panégyrifte ? Y auroit-il ea
du fens à fouhaiter un Hiftorien qui , au
(a) Voyez M. le Clerc, fœpè Herodotum cum lego ,
Bibl. Ch. Tom. II. Homcrnm aliqnetn videur U*.
( b) Nota in Strabon. £erf©
lib. l . yiQ mibi ^nicUm per-
$8 La Mythologie & les Fable i
lieu de raconter les véritables a£Hon$ dé
ce Prince , n'en auroit écrit que de fa-
buleufes ? Il fçavoit bien . que parmi
ces fîdions que le Poète employoit pour
enluminer le fond de fes Hiftoires , il
confervoit parfaitement le caraétere dç
fon Héros. Paufanias eft de même avis
que Strabon , ainfi que Polybe , Héro-
dote & tant d'autres. On fçait com-
ment Deny s d'Halicarnaffe , cet Au^
teur fi grave & fi judicieux , explique
les avantures d'Enée & des autres
Troyens. On n'ignore pas aufîï que
Tite-Live humanife les Fables qui re-
gardent les antiquités de Rome , com-
me la naiflance de Romulus , fon édu-
cation , Sec. Ne rapporte-t'il pas à FHifv
toire les voyages d'Antenor & d'Enée,
les guerres & les vi&oires de ce dernier,
& fon Apotheofe ? Ne regarde-t'il pas
le fujet de FEneïde , comme Polybe &
Strabon avoient regardé l'Iliade & l'O-
dyifée ? Ciceron ne met-il pas au nom-
bre des Sages, UlyiTe & Neftor (a)l
Y auroit-il placé des Phantômes ? N'ex*
plique-Ml pas les Fables d'Atlas , de
Cephee Se de Prornethée ? Ne nous ap-
( a ) Kec veto ccclum <At- divina ccgnkh nornen eorum
las fvjîinere , nec Prometheus adurroremjAOuU condnxijfrt»
AJfixHs Caucafo , me Csp/j€us Tuf«. Quaeft. L. 5*
fieliatns * • . . . nifi caeleflium
ExplparTHifl. LïV.I CkâtU. $9
J>rend-il pas que ce qui a donné occa*
fîon de débiter que Pun foutenoît le
ciel fur Ces épaules , & que Pautre étoit
attaché au mont Caucafe , c'étoit leur
application infatigable à la contempla-
tion des chofes céleftes ? Je pourrois
•joindre ici Pautorité de la plupart de*
Anciens : j'y ajouterais celle des pre-
miers Pères de PEglife , des Arnobes,
desLaétances & de plufieurs autres, qui
ont regardé le fond des Fables comme
de véritables Hiftoires ; & je finiroi»
cette lifte par les noms de nos plus il-
luftres Modernes , qui ont découvert
dans les anciennes fi&ions , tant de ren-
tes de la tradition des premiers temps.
Mais , dira-t'on , ne feroit-ce pas a£-
fez accorder,!! Pon difoit que les Fables
renferment laPhilofophie Se la Religion
des Anciens ? Il efl vrai qu'on y a mêlé
quelques allégories qui y ont rapport ;
mais le premier objet des Poètes a été
d'y renfermer Phiftoire de leurs Héros;
& on s'éloigne de leur véritable but 5
lorfqu'on ne s'attache qu'aux allégories.
Croit-on de bonne foi , que lorfqu'ik
ont dit queBacchus fut mis dans lacuiife
de Jupiter , ils ayent voulu ne nous ap-
prendre autre chofe , iînon que le vin
dont ce Dieu eft le fymbole, doit avoir
%0 La Mythologie & le f Fables
pour meurir une chaleur modérée , com*
me •l'eft celle de cette partie du corps?
Que le combat des Dieux dans Homère,
ne lignifie que le combat de nos pallions,
ou la conjon&ion des Planètes dans le
même point du Zodiaque , comme Font
rêvé quelques Scholialles? Que Vulcain
n'elt boiteux que parce que le feu fans
bois, s'éteint, déficit, claudicat (a)?
Peut-on penfer que lorfqu'ils ont dit
que Pluton ayant enlevé Proferpine,
Jupiter avoit ordonné qu'elle feroit lîx
mois en enfer , ôc fix mois chez fa mère
Cerès , ils n'ayent voulu nous appren-
dre autre chofe , fînon que le grain de-
meuroit lîx mois en terre & lïx mois de-
hors (b) ? Qu'ils n'ont marié Jupiter
avec Junon , que parce que Jupiter eft
l'air & Junon la terre , & que Jupiter
envoyant des pluyes fur la terre la ren*
doit féconde ? Que le mauvais ménage
de ces deux époux , & les jaloulïes de
Junon nous apprennent feulement que
Pair agité excite les tempêtes qui cau-
fent tant de ravages far la terre (c) ? Pour
moi je ne fçaurois me le perfuader , ôc
je crois qu'Homère feroit bien furpris
(a) S. Augruftin , après (f) Eufebe après Plutar-
Us anciens Poètes. que l'explique ainii.
( b Y Sallufte U de DiU
Expl. par PHîfl. Liv.L Châî.II. 41
s'il venoit au monde , & qu'il apprît
tout ce qu'on lui fait dire ; fans mentir,
s'écrieroit-il , comme le fait parler l'in-
génieux Auteur des Dialogues des
Morts (a) , je m'étois bien doute que
de certaines gens ne manqueraient pas
d'entendre fineffe , où je n'en avois point
entendu : comme il n'efl: rien#el que de
prophétifer des chofes éloignées en at-
tendant l'événement , il n'efl; rien tel
auflî que de débiter des Fables en at-
tendant l'allégorie. Et fî on lui deman-
doit , s'il étoit vrai qu'il n'eût point ca-
ché de grands myfleres dans fes ouvra-
ges , il avouëroit ingénument qu'il n'y
avoit pas penfé ; mais que comme il /ça-
voit que le vrai & le faux fympathifent
extrêmement , & que l'efprit humain ne
cherche pas toujours le vrai , il avoit
crû devoir emprunter la figure du faux,
pour le faire recevoir agréablement.
Ce n'efl: pas d'aujourd'hui qu'on fait
dire aux Auteurs des chofes aufquelles
ils n'ont jamais penfé ; & s'il faut re-
courir aux allégories , on verra feule-
ment comme le remarque un Sçavant (*) M* l*
moderne ( 1 ) , que les premiers habitans iC<
de la Grèce firent confifter toute leur
fagefle à dire fort obfcurement des cho^
(4) Dialogue d'Honaeie & d'EiY
42 g ta Mythologie & les Vahles
fes triviales. Qui ne fçait que la pluyê
rend la terre féconde ? cependant félon
les Allégoriftes , il a fallu pour nous
l'apprendre , faire de l'air & de la terre,
leur Jupiter & leur Junon , qu'ils au-
roient enfuite adorés. Les Anciens y
alloient de bonne foi : comme ils nV
voient p|p beaucoup d'idée du vice &
de la vertu , quand ils eurent mis leurs
premiers Rois au rang des Dieux , ils
en racontèrent les a&ions , bonnes Se
jmauvaifes , comme auparavant ; & après
nous avoir reprefenté Jupiter fou^
droyant les Titans , ils le changent eiï
Bouc ou en Satyre , pour féduire de
Simples Bergères*
Mais , dira-t'on , ne trouvons - nous
pas dans les Poètes des chofes qui ne
peuvent s'entendre que d'une manière
allégorique ? Ne prennent-ils pas à tous
momens Jupiter pour l'air , Cerès pour
le bled , & Bacchus pour le vin ? Sine
Cererê&Bacchofriget Venus. Manetfub
love frigido Venator , &c. De même
quand on lit dans un vers de Naevius,
Coquus de etit Neptunum yVenerem , Cere~
rem 9 cela ne veut-il pas dire que le Cui-
fînier avoit fourni le poifïbn , les her-
bes & le pain ? comme l'interprète JuC*
iSJgJ* te Lipfe (i). Quand ils difent que l'O-
Expl.parrHiJl.Livl. Chàp.II. 4?
cean efl le père des Fleuves , que les
Sirènes font filles d' Acheloiis , Sec. ne
font-ils pas des allégories évidentes à la
Phyfique ? Je l'avoue ; mais ce n'eft pas
là l'ancien état des Fables : Bacchus y
efl: regardé comme un Prince conqué-
rant ; Jupiter comme un Roi de Crète,
fameux par fes conquêtes; Cerès com-
me une Reine de Sicile , qui enfeigna
l'Agriculture à fon peuple ; & ainïi des
autres : Se ce n'eft que dans la fuite qu'on
a attaché à ces Fables anciennes , l'i-
dée des Elémens & de toute la nature ;
ce qui prouve feulement qu'il s'y efl
mêlé beaucoup d'allégories, ce qu'on
ne nie pas ; & c'eft fans doute ce qui
les rend fi difficiles à expliquer, les Poe-»
tes partant tout d'un coup de THiftoi-
re à la Phyfique. Ainfi l'on doit regar-
der ces allégories , comme des métapho-
res Se des expreffions figurées , qui ont
été ajoutées pour marquer les cara&eres
des perfonnes dont on veut parler. L'ar-
rivée , par exemple , de Cecrops dans
la Grèce , les loix qu'il y porta , & le
foin qu'il prit de polir les habitans de
l'Attique , font des événemens hiftori-
ques , qu'on pouvoit raconter naturel-
lement ; Se peut-être que ceux qui les
écrivirent les premiers , n'y mêlèrent
44 La Mythologie & les Fahles
aucune fi&ion ; cependant on publia
dans la fuite , que Cecrops étoit com-
pofé de deux natures (a) , qu'il avoit
la partie fuperieure du corps d'un hom-
me , & l'autre d'un ferpent ; allégorie
qui nous apprend que ce Prince corn-
rnandoit à deux Nations ; aux Egyp*
tiens , peuple dont les mœurs douces
& polies les rendoient dignes d'être vé-
ritablement appelles des hommes ; &
aux Grecs , dont la férocité & l'impo-
liteffe les rendoient femblables aux fer-
pens, qui habitoient comme eux dans
les antres & dans les forêts. Ainfî prêt*
que toutes les Fables ont deux parties,
l'une hiftorique , & l'autre métaphore
<jue. Atlas , par exemple , étoit un
Prince Aftronome , qui fe fervoit de la
Sphère pour étudier le mouvement des
aftres ; voilà Fhiftoire ; on exprime cela
en difant , qu'il portoit le ciel fur fe3
épaules ; voilà la parabole. Protée, étoit
un Prince fage ôc prévoyant , éloquent
& artificieux ; c'étoit fon caraébere : on
l'annonce heureufement, en difant qu'il
prenoit plufieurs figures. Dédale in-
venta l'uîage des voiles au lieu des ra-
mes dont on fe fervoit , & il fe fauva
heureufement des mains de Minos; voilà
£a) Gemm de w$ore , comme l'exprime Ovide*
Expl. par PH'tft. Lïv. I. CfîAp.II. 47
U fait : pour nous l'apprendre , on nous
dit d'une manière figurée , qu'il avoit
fait des ailes avec lefquelles il s'étoit en-»
volé ; expreffion vive & qui marque bierç
la légèreté des Wfleaux à voile. Les
Poètes pour s'attirer des admirateurs ,
ont mêlé ces fiâions amufantes aux hifr
toires qu'ils vouloient raconter. Tel a
toujours été le génie des hommes , fur-
tout des Orientaux , d'où nous font ve-
nues la plupart des Fables : cet efprit rè-
gne encore parmi eux ; & l'on voit dan$
leurs Livres remplis de paraboles, qu'ils
font encore aujourd hui ce qu'étoientles
Grecs dans les temps les plus fabuleux.
Mais iî d'un côté les Poètes fe
croyoient obligés pour divertir les Lec-
teurs , d'inventer des Fables , ils fça-
voient fort bien cependant qu'on n'ai-
moit pas à fe repaître purement de chi-
mères ; ainfi il falloit chercher quelque
fondement à ces fiftions : & THifloire du
monde leur offrant des événemens ex-
traordinaires & merveilleux, qui avec de
petits ornemens avoient le même agré-
ment que la Fable, pourquoi ne vouloir
pas qu'ils les ayent choifis , pour en
faire le fondement de leurs ouvrages ,
plutôt que d'avoir inventé des contes ,
dont on fe fexoh certainement bien-tôt
Mi l
46 La Mythologie & les Fablef
La judicieufe remarque de Strabon ;
au fujet des voyages d'Ulyfie , où Ho-
mère a mêlé tant de Fables , confirme
bien ce qu'on vient de dire. *> En fe re-,
» mettant , dit cet Auteur , PHifloire an-
» cienne devant les yeux , il faut exami-
» ner fur ce pied , ce que difent ceux qui
» foutiennent qu'Ulifiè a été porté dans
» les mers d'Italie & de Sicile , comme
» Homère Ta dit , & ceux qui le nient :
» car ces deux opinions ont chacune
» leur bon & leur mauvais , Se l'on peut
•> avoir raifon & fe tromper des deux cô-
» tés. On a raifon fi Ton croit qu'Home-
» re , perfuadé qu'Ulyffe avoit été por-
* té dans tous ces lieux , a pris pour le
» fond de fa Fable ce fujet très-vrai 5
» mais qu'il a traité en Poète , c'efb-à-di-
» re,en y mêlant la fiftion ; car on trouve
» dans ces mers des veftiges de fes voya*
*> ges : & on fe trompe fi on prend pour
x> une Hiftoire circonflantiée tout le refis
» de la fiâion,comme fon Océan, fes En*
» fers,fesMétajnorphofes, la figure horri-
£ ble de Scylla, celle duCyclope.Â: le ref-
»te. Celui qui foutiendroit tous ces
» points?comme autant de vérités hiftori*-
3D ques, ne mériteroit pas plus d'être refu-
3> té , que celui qui afTùreroit , qu'Ulyiîe
» eft véritablement arrivé à Ithaque , de
Ëxpl. par PHiJl. Liv. I. Chàp. IL tf
» la manière qu'Homère l'a raconté. ~
L'une & l'autre opinion font ridicules, i\
faut tenir le milieu, & démêler ce qui eft
hiftorique d'avec les ornemens de la fie*
tion.Ainfi pour deviner juftefurce fujet,il
faut s'éloigner des deux extrémités ; il
faut regarder le fond des Fables comme
quelque chofe de vrai & d'hiftorique , &
croire que tous les ornemens font faux.
Il faut fe mettre bien avant dans la tête
ce principe , que les Fables ne font point
tout-à-fait des fixions ; que ce font des
JSîftoifes des temps reculés, qui ont
été défigurées ou par l'ignorance des
Peuples, ou par l'artifice des Prêtres,
pu par le génie des Poètes , qui ont tou-
jours préféré le brillant au folide. Mais
comment développer tout cela f On ira
prendre pour la vérité ce qui n'eft qtfu*
ne fiction , & on traitera peut-être de
Fable , la feule circonflance qui renfer-
me la vérité. A - t'on quelques règles ;
£our en faire un jufte difeernement f Oui
fans djoute : il faut d'abord écarter d'une
Fable tout ce qui y paroît furnaturel ,
tout ce pompeux attirail de fixions qui
fautent aux yeux. De tous les combats
dont parle Homère , par exemple , ôtez-
en d'abord les Dieux qu'il y mêle ; don-
nez à la prudence & à la bonne conduite
4$ La Mythologie & les FaMes
des Chefs , ce qu'il attribue à Minerve 5
à la valeur d'Heftor , ce qu'il met fur le
compte de Mars ; dites que le hafard ,
plutôt que Pallas , fît rencontfer Ulyflc
par Nauficaa fille d'Alcinolis , & que le
nuage myfterieux dontlaDéefTele cou-
vrit , marquoit les ténèbres de la nuit à la
faveur desquelles le Roi d'Ithaque entra
fans être reconnu dans la Ville des Phéa-
ciens. Ne croyez pas que Mercure con«*
duifit Priam à la tente d'Achille , comme
le raconte Homère ; mais dites que ce
Roi étant parti la nuit pour aller retirer
le corps de fon fils des mains des Grecs ,
déclara en arrivant qu'il venoit avec des
prefents fléchir le vainqueur de fon fils.
Si vous voyez qu'une Déefle a enlevé
qn Héros du combat , figurez-vous que
c'eft une enveloppe qui nous cache fa
fuite. Si les Poètes parlent de Géants
dont la tête touchoit les cieux , mettez-
vous dans l'efprit qu'ils étoient plus
monftrueux par leurs defordres , que par
la grandeur énorme de leur taille. Si on
dit qu'Hercule fépara avec ifes deux mains
deux montagnes , nommées Calpé & A**
byla , qui étant fituées entre l'Afrique &
l'Efpagne arrêtaient l'Océan , & qu'auf-
fi-tôt la mer entra avec violence dans les
tcxxcs , & fit ce grand Golfe , qu'on ap-
pelle
Exphpar PHîft. Liv. I. Chap. IL 4$
celle la Méditerranée ; vous pourrez
croire que du temps de quelque Hercu-
le , car il y en a eu plusieurs . 1 Océan fc
fit un paffage , à l'aide peut-être d'un
tremblement de terre , & fe jetta entre
l'Europe & l'Afrique ; & alors vous ap-
procherez beaucoup de la vérité , &
vous pourrez vous vanter d'avoir la pre-
mière clef des Fables.
Mais direz-vous^quand on les a mifes fur
le pied des chofes naturelles , tout le re£-
te eft-il vrai ? Non ; & avant que d'en ju-
ger , il faut û l'on peut , confulter les an-
ciens Hiftoriens ; & à leur défaut , ( car
ils ne rapportent pas toujours ces fortes
d'évenemens ) il faut avoir recours aux
Médailles , aux Infcriptions , & autres
Monumcns antiques ; & lorfque tout ce-
la manque , il faut fe ietter dans les- éty-
mologies , & chercher dans les anciennes
Langues le dénouement de la plupart de
ces anciennes liftions. Il faut examiner
avec attention ce qui peut y avoir don-
né lieu : quelquefois un mot équivoque
d'une langue que le Poète a entendoit
pas , la porté à débiter une Fable , en
préférant fuivant fon goût , la figniaca-
tion qui tenoit du merveilleux , à celle
qui n'offroit rien que de naturel. Il efl
vrai qu'on diminue beaucoup de la beau-
Tome I. * C
JO La Mythologie & les Fables
té de ces fixions en les expliquant : dès
quelles viennent à être dépouillées des
ornemens qui les accompagnent , elles
font le même effet qu'une perfpeftivs
dans une décoration ; il ne faut pas les
voir de trop près. On eft fâché d'appren«
dre que les Dragons qui jettoient du feu
par la bouche , les Taureaux aux cornes
d'airain qui gardoient la Toifon d or ,
n'étoient qu'une fauffe clef que Médée
donna à Jafon pour enlever les trefors
de fon père , qu'une bonne muraille avec
des doubles portes , rendoient inacces-
sibles. Accoutumés à nous former l'idée
d'un grand Héros , lorfqu'on entend par-
ler d'Hercule , on eft furpris de voir par-
tager tant de belles aétions entre quel-
ques Marchands qui trafiquent en divers
pays , où ils conduifent quelques colo<-
nies : de ne voir dans Ganimede enlevé
par Jupiter, & dans Hyacinthe tué par
Apollon , que deux jeunes Princes , 1 un
enlevé par un Roi de Lydie & l'autre
tué par un accident imprévu : dans les
ailes de Dédale & d'Icare, un Vaiiîeau
à voile ; dans tous les changemens d'A?-
cheloiis , des inondations fréquentes ,
Se dans le combat d Hercule avec 1©
Dieu de ce Fleuve , une digue qui fut
élevée pour en arrçter les débordement
ExpLpar PH$. Liv. L Chap. II.- fi
Je ferai voir que le Minotaure avec Paiî-
phaé & toute la fuite de la Fable , ne ren-
ferme autre chofe que les amours de la
Reine de Crète avec un Capitaine nom-
mé Taurus ; & 1 artifice de Dédale qu'un
confident habile : que Scylla & Charyb-
de , ces deux monfires redoutables qui
dévoroient les paflans , n étoient que
deux rochers près de Mile de Sicile , où
les vaiffeaux couroient quelque danger :
que le monftre affreux qui ravageoit les
champs de ïroye , n'étoit que les inon-
dations de la mer ; & qu'on ne lui a ex-
pofé la belle Hefîone , que parce qu'el-
le devoit être la récompenfede celui qui
en arrêterait le cours : que Jupiter ne fe
changea pas véritablement en pluie d'or,
mais quePrétus corrompit la fidélité des
Gardes , pour entrer dans la Tour ou
Danaé étoit enfermée : que la Fable de
Bellerophon qui ccmbat la Chimère ,
nous apprend feulement que ce Prince
défit quelques troupes de Lyciens. Au
lieu de reprefenter Hercule combattant
l'Hydre de Lerne , on fera voir un hom-
me qui delîeiche des marais: que Jupiter
, foudroiant les Géants , eft un Prince qui
réprime une fédition : Atlas portant le
ciel fur fes épaules , un Roi Aftronome
avec une fphére à la main : les pommes
Cij
y 2 La Mythologie & les Fallet
d'or du Jardin délicieux des Hefpéride$
& leur Dragon , des Oranges que quel*
ques dogues gardoient.La vérité doitpa*
roître plus aimable3quelque fîmplequ'el*
le foit , & faire plus de plaiiîr fans orne?»
mens , que parée de tout le merveilleux
qui Taccompagne dans lçs Poètes., (a)
(a) Ttfglitu eft qitedetmque verum & quam vmne quodex arbte
trio fingi poteJit Àug. de verâ Religione.
CHAPITRE III.
Divifon des Fables.
JE trouve dans les Poètes fix fortes d$
Fables (a) ; des Fables Hiftoriques %
Phîlofophiques , Allégoriques , Mora*
les 5 Mixtes , & inventées à plaiiîr.
Les premières font d anciennes His-
toires , mêlées avfec pluïîeurs fïclions ;
telles font celles qui parlent d'Hercule ,
de Jafon , Sec. au lieu de dire iîmple^
ment que ce dernier alla redemander
les trefors quç Phrixus avoit emportés
dans la Colchide , on a débité la Fable
de la Toifon d'or.
Les Fables Phîlofophiques font celles
(d) Le mot de Fable en Grec eft ^y 6®^ , comme yc%
fap# i djfcours par excejjence?
Expl p ir PHIJI.Liv.LCkav. III. ff
que les Anciens ont inventées, corr me
des paraboles propres à envelopper les
myfteres de leur Philofophie ; comme
quand on dit que l'Océan eft le père des
fleuves, que la Lune époufa l'air & de-
vint mère de la rofée.
Les Allégoriques étoient aufîî des pa-
raboles où ils cachoient quelque fens
myftique , comme celle qui eft dans Pla-
ton , de Porus ou de Penie , ou des ri-
che/Tes & de la pauvreté, d'où naquit le
plaifïr.
Les Fables Morales font celles que
Ton a inventées pour débiter quelques
préceptes propres à régler les mœurs ,
comme celle qui dit (i) que Jupiter en- ( T j py&
voye pendant le jour les étoiles far la Pr^ <k W.
terre , pour s'informer des' aôions des
hommes ; ainfi que les Fables d Efope ,
& en général tous les Apologues.
Il y a auflï des Fables Mixtes , mêlées
d'allégorie & de morale , & qui n'ont
rien d hiftorique. Telle eft celle d'Até ,
rapportée par. Homère (2). Selon Icé ,*} ^
Poëte , Até étoit fille de Jupiter ; fon
nom marque fon caraftere & fes inclina-
tions. Elle ne penfoit en effet qu'à faire
du mal. Odieufe aux Dieux & aux hom-
mes , Jupiter la faifit par les cheveux , la
précipita du haut des Cieux , Se fit fer*
C iij
£4 La Mythologie & les Vahhs
ment qu'elle n y rentreroit jamais.
On voit bien en effet que ce Poète 3
Voulu reprefenter fous cette Fable le
penchant que nous avons au mal , ou le
mal même fous une figure allégorique -.car
aprcsavoir fait le portrait de cette mau-
vaife fille, qui parcourt, félon lui , toute
la terre avec une célérité incroyable , Se
fait tout ie mal qu elle peut, il ajoute que
fes fœurs, filles de Jupiter comme elle f
qu il nomme *<*** , c eft-à-dire les Priè-
res , vent toujours après elle , pour cor-
riger autant qu'il eft en leur pouvoir , le
mal qu'elle fait ; mais qu'étant boiteufes $
elles vont beaucoup plus lentement que
leur fœur ; c'eft-à-dire , que le mal eft
toujours plus prompt & plus réel , que
la réparation & le repentir.
Les Fables inventées à plaifîr , font
celles qui n'ont d'autre but que de di-
vertir , comme celle de Pfyché (i) , &
celles qu'on nommoit Milefîennes & Sy-
barkides.
•Les Fables Hiftorîquej font aifées à
diftinguer , parce qu'il y efl parlé de gens
qu'on connoît d'ailleurs. Celles qui font
inventées à plaifîr,fe découvrent aufli fort
aifément par les contes ridicules qu'el-
les font de perfonnes inconnues : le fens
des Fables Morales & Allégoriques fau-
ExplpsnrHift.LivA.CHkV.nl. ï?
te auxyeux ; pour les Philofophiques.el-*
les font remplies de Profopopécs qui ani-
ment la nature : l'air & la terre y font
enveloppés fous les noms de Jupiter &
de Junon.
Généralement parlant, il y a très-peu
de Fables dans les anciens Poètes , qui
ne referment quelques traits dHiftoire;
ce ne font que ceux qui font venus après,
qui y ont ajouté des circonstances pure-
ment inventées. Quand Homère , par
exemple, dit (2) qu'Eole avoit donné les (*) ody£
vents à UlylTe enfermés dans une peau,
d'où fes compagnons les laifTerent échap-
per , c'eft un trait d'Hiftoire enveloppé ,
qui nous apprend que ce Prince avoit
prédit à Ulyife le vent qui devoit fouf-
fler pendait quelques jours ,'& qu'il ne
fît naufrage que pour n'avoir pas voulu
fuivre fes confeils ; mais quand Virgile
ajoute (3) que le même Eole , à la prière (3) Eneid,
de Junon , excita une terrible tempête
qui jetta la flote dEnée fur les côtes d'A-
frique , c'eft une pure Fable , fondée fur
ce qu'Eole étoit regardé comme \z
Dieu des Vents. Les Fables même que
nous avons appellées Philofophiques ,
étoient d'abord Kiftoriques , & ce n'efi
qu'après coup qu'on y a attaché l'idée
des chofes naturelles : de là ces Fables
C iiij
i,
$6 La Mythologie & les Tables
mixtes , pour ainfî parler , qui renferment
Un fait Hifîorique & un trait de Phyfi-
que, comme celle de Myrrha & de Leu-
cothbé changées en l'arbre qui porte 1 en-
cens , & celle de Clytie en Tournefol*
Mais avant que d'entreprendre d'ex-
pliquer les Fables, il eft à propos d'en
découvrir les fources , & d'en recher-
cher l'origine ; ce qui fera la matière dij-
chapitre fuivant.
CHAPITRE IV.
Conjeâures fur V origine des Fables.
LA vanité a été fans doute la premiè-
re fource des Fables : la vérité
n'ayant pas toujours paru afTez belle ni
afîez amufantejes hommes ont cru qu'el-
le avoit befoin pour paroître , d'être pa-
rée d'ornemens étrangers (à) ; ainfî ceux
qui ont raconté les premiers les aftions
de leurs Héros , y ont mêlé mille fixions,
foit qu'ils ayent voulu les rendre par là
plus recommandables , ou porter à la
vertu ceux qui les écoutoient , en leur
propofant de grands exemples. Mais ils
(a) Voyez, le Projet du Livre fur ce fujet , publié par le
P« Tournemme dans le* Journaux de Trévoux, en- 171**
ExplparPHiJt. LïV. I. Chap. IV. 57
fçavoient bien peu ce que c'étoit que la
véritable vertu , puifque pour la rendre
aimable , il faut la faire paroître dans des
modèles qu'on puifle imiter , & que ceux
qu'ils propofoient , étoient inimitables.
J'ajouterai qu'il s'entendoient bien mal
en belle gloire , puifqu'ils meloient , fans
y penfer , dans FHiftoire de ces préten-
dues belles aétions , des circonftances de
rabais qui ôtent à leurs Héros tout le
mérite gui pourrait rejaillir fur eux. Si
Perfée tue Medufe, il la furprend dans le
fommeil : s'il délivre Andromède , il a
les ailes de Mercure. Si Bellerophon de-
vient le vainqueur de la Chimère , il eft
monté fur le cheval Pégafe. Achille efl
couvert des armes que Vulcainlui avait
faites > &il eft invulnérable. Jafon ne tue
le Dragon, que lorfque Medée lui a don-
né un breuvage pour endormir ce nionf-
tre ; & Thefée a b.efoin du fil d'Ariadne ,
pour fortir du labyrinthe. Concluons
avec M. Defpreaux , que
Rien ri eft beau que le vrai, le vrai feul efl airnabtn
Il doit régner far tout, & même dans la fable*
Venons à la féconde fource.
Avant que l'ufage des Lettres eût Seconde
été introduit \ les grands événemens Se j
les belles actions n'avoîent point d'au- trcs-
Cy
Le*-
58 La Mythologie & les Fables
très monumens que la mémoire des hom*-
mes , ou tout au plus quelques hierogly-
fes obfcurs & dont le fens toujours ambi-
gu , pouvoit lignifier tout ce qu'on vou-
loit(^);de forte que pour perpétuer le
fouvenir des faits éclatans , les pères les
racontoient aux enfans , & fuivant la cou-
tume de ne dire jamais les chofes fimple-
ment aux jeunes gens , ils meloient dans
leurs récits quelques circonftances pro-
pres à les en faire reffouvenir. On gar-
doit même cette méthode à l'égard des
Etrangers.Àinfî fe rempMbit d'idées fu-
blimes la mémoire & l'imagination des
enfans , qui venants dans la fuite à racon-
ter les mêmes chofes , y ajoutoient enco-
re quelques autres circonstances. Lorf-
qu'on eft venu dans la fuite à écrire ces
Hiftoires pour en remplir les Annales ,
ou en faire le fujet des Poèmes , & qu'oa
(a) Il y avoit encore quel- de Sefoiliis : les Cantiques
ques autres moyens de con- & les Hymnes , comme il
ferver i'Hiftoire; comme tes paroît non-feulement dans
Fêtes établies pour perpétuer les livres de "Moyfe * mais
le fouvertir de quelque erand aufÏÏ dans ce qu'on dit de ceux
événement. On en voit plu- d'Orphée , de Linus , ôc
fleurs exemples parmi les d'Homère : les Cachets , les
Hebieux.Le> maftès de pier- Pierres gradées , comme
res élevées pour -le même font la plupart de n?$ Anti-
fu]etysunu qu'en ufa Jofué quites* Enfin après l'inven-
aprés avoir pafîe le Jour- tion des Lettres ;, les Inicrip*
cîun : les Colomnes, comme tions les Epîtres a les Me*
celles d'Hercule, de Eacchus, moires , &c.
Expl.par PHift. Liv. I. Chap. IV. $?
îi'a trouvé d'autres monumens & d'au-
tres mémoires que cette tradition con-
fufe & défigurée , on a été obligé de s'en
fervir ,&ona ainfî rendu les Fables éter-
nelles , en les faifant paffer de la mémoi-
re des ho. âmes , qui en étoit la dépofï-
taire , dans les monumens qui dévoient
durer tant de fîécles : & plût à Dieu que
ce mal n'eût régné que dans les premiers
temps, où faute de Lettres & de Chro-
nologie , on fçavoit û peu de chofes
avec exa&itude ; mais il fe communiqua
par une efpece de contagion aux Hifto-
riens mêmes les plus fameux , lefquels en
écrivant l'Hiftoirs des grands hommes ,
y ont fouvent mêlé les Fables les plus
abfurdes , fans fe donner la peine de les
expliquer ; voici peut-être ce qui les a
trompés , & ce fera la troifîéme fource* Troi/îéme
On avoit anciennement accoutumé de Sfi"^
loiier les Héros après leur mort Se les <Tjence de*
jours de leurs Fêtes , dans des Panégy- °tmgm
riques étudiés , où de jeunes Rhéteurs
dont on vouloit éprouver le génie par
ces coups d'eflai , fe donnoient une en-
tière liberté de feindre & d'inventer ,
croyant parla fe donner la réputation de
bel efprit. Ainfi ils s'étudioiem à faire
voir les, Héros, non tels qu'ils avoient
été 3 mais tels qu'ils auraient dû être ,
Cvj
6o La Mythologie & les Fables
fuivant l'idée chimérique de grandeuf*
qu'ils s'étoient formée.Ils ne manquoient
pas fur-tout de les élever jufqu'au ciel
ôc de leur donner de la divinité fans au-
cun ménagement ; c'étoit le titre de no-
bleffe le plus recherché dans les premiers
temps. Bien loin de blâmer ces Orateurs,
on les loiioit d'avoir l'efprit inventif; on
gardoit leurs meilleures Pièces , on les
apprenoit fouvent par cœur ; & fi c'é-
taient des Vers ou des Cantiques , on
les chantoit publiquement. Dans la fuite
on a travaillé fur ces Mémoires : 1 Hif-
torien lui-même n'étoit pas fâché d'avoir
de belles choifes à débiter , dont il n'é-
toit garant que fur la foi de ces Rela-
tions. Dicdore(i) raconte quelque cho-
fe de femblable des Egyptiens, à l'égard
de leurs Rois morts : il dit que tout le
Royaume étoit en deuil ,. ôc qu'on chan-
toit en vers les louanges du défunt ; fans
doute que les Prêtres gardoient ces Piè-
ces funèbres , ôc s'en fervoient pour
écrire lHiftoire de ces Princes. Les
Grecs, grands imitateurs des Egyptiens,
uferent de cette méthode , à Fégard ?
non-feulement de leurs Rois , mais de
ceux aufii qui avoient ou conduit chez
eux des Colonies , ou perfectionné quel-
ques Arts. Ils n'efl pas difficile de coin-
ïpLpârPHiJl. Liv. I. Chàp. IV. 6t
prendre que cet ufage a fervi à introdui-
re dan§ l'Hiftoire un nombre de Fables ;
car dequoi n'eft pas capable une imagi-
nation vive & pétulante , à qui on don-
ne la permiflîon de s'égarer à fon choix
dans le Pays des belles idées ?
Si on entreprenoit encore aujourd'hui
de compofer l'Hiftoire de nos Héros fur
la plupart de leurs panégyriques , ou de
leurs Oraifons funèbres 5 elle feroit du
moins auffi fabuleufe , à la divinité près ,
que celles de l'antiquité. Je ne fuis pas
furpris que l'ancienne Hiftoire foit û
remplie de Fables , puifqu'elle a été écri-
te fur des Mémoires fî peu fûrs ; mais ce
qui m'étonne , c'eft la fotte vanité des-.
Hiftoriens Romains , qui ont donné li
fouvent dans le fabuleux r foit pour flat-
ter leurs Empereurs , foit pour ne pas
céder en merveilleux aux Grecs , foit
pour faire voir la protection fenfible de$
ï)ieux fur leurs grands hommes. De-là
ces fréquentes apothéofes , cette- multi-
tude de prodiges qu'ils racontent fi grave-
ment , & tout le fumaturel dont ils ont
rempli leurs Hifloires. Je pardonne au
crédule Valere Maxime ', & même , fï
vous voulez , à Dion Ca/ïïus , d'autorifer
prefque toujours les prodiges qu'ils rap-
portent 5 mais je ne fçauroisle pardox*
$2. La Mythologie & les Tables
ner à Tîte-Live , & encore moins à VY\A
ne , qui tout incrédule qu'il étoit , n'a
pas toujours ofé defapprouver des cho-
ies qui meritoient la cenfure d'un hom-
me même plus religieux que lui. Encore
font-ils en quelque façon excufables ; ils
vivoient dans une Religion qui autori-
foit ces faits fabuleux , & dans un temps
où il étoit dangereux d'attaquer de quel-
que manière que ce fut , les opinions po-
pulaires. Mais un Sandoval & les autres
Hiftoriens de Charles -Quint, Mezerai
même , & M. de Perefixe, fans compter
les Hiftoriens des Croifades, me font
pitié lorfque je les vois rapporter avec
une efpéce de confentement , des pro-
diges que le peuple même ne croyoit
Î>as. Je fçais bien que c'eft le rolle de
'Hiftorien , pour me fervir des termes
de Montagne , de coucher par écrit ce
qu'il trouve dans les Mémoires dont il
fe fert ; mais je fçais bien auffi qu'il de-
vroit y mettre fon attache : car en vé-
rité , ce qui eft fabuleux n'augmente pas
la gloire des grands hommes ; il ne fert
tout au plus qu'à diminuer la créance que
Ton doit aux faits véritables. Ces grands
hommes , dont ceux que nous venons de
nommer ont écrit les aftions , rt'avoient-
ik pas aflez de mérite , fans prétendiç
Expl. par rHift. Liv. I. Chap. IV. 6?
que la nature fe fût mife en nouveaux
frais, pour les honorer par des évene-
mens extraordinaires ?
Les Voyageurs Se les Marchands ont Quatrième
auffi beaucoup gâté lHiftoire , en intro- Rehtîôns^dcr-
duifant un grand nombre de Fables par Voyageurs*
leurs relations. Ces fortes de gens font
fouvent ignorans , & prefque toujours
menteurs ; ainfî il leur a été facile de
tromperies autres , après avoir été trom-
pés eux-mêmes. Quand on revient d'un
pays éloigné , il faut avoir de belles cho-
ies à en dire; on croiroit avoir perdu fon
temps, fi on n'en rapportoit que de com-
munes , & les autres en jugeroient ainfï.
Pourquoi, diroit-on , effayertant de dan-
gers , aller chercher fi loin des gens faits
comme nous ? Ce n'étoit pas la peine de
fortir de fa maifon. Ainfi on ne fe croyoitr
dédommagé de la fatigue des Voyages ,
que par l'opinion qui fe répandoit , qu'on
y avoit vu des chofes étonnantes ; ÔC
trompés par les habitans du Pays où ils
ctoient allé , qui pour faire honneur à
leur Patrie , ne manquoient jamais d'en
embellir l'Hifioire , ils trompoSent en-
fuite les autres par des narrations fabu-
lejfes» Quand on fçait qu'on fera crû ,
il efl bien difficile de refifter au charme
de dire des chofes extraordinaires. Les
&£ La Mythologie & les Fables
Egyptiens fur tout , dont la Théo-»
logie étoît fort myfterieufe , & la Lan-
gue équivoque,trompoientfouvent ceux
qui voyageoient chez eux.
C'eft unufage reçu dans tous les Pays:
îl n'y a qu'à voir combien de Fables ont
débité les peuples de l'Amérique & des
Indes , à ceux qui les ont découverts.
Les Marchands menoient avec eux des
gens pour les efcorter & pour les dé-
fendre dans les lieux où ils alloient éta-
blir ou des colonies , ou des correfpon-
dances ; ils avoient befoin fur-tout de
leur fecours contre les bêtes féroces ,
dont les bois étoient remplis : ceux-ci fe
diftinguoient fouvent par leur bravoure ,
& c'eft fans doute delà que font venus
les Hercules , & les autres dompteurs de
monftres & redrefïeurs de torts , dont
l'Hiftoire fabuleufe eft remplie. C'eft
fans doute fur ces relations de Marchands
& de Voyageurs, que les Poètes établi-
rent les Champs -Elifées dans le char-
mant Pays de la Betique , ou dans les
Mes Canaries ; c'eft delà auffi que nous
font venues ces Fables qui placent des
monftres dans certains Pays , des Har-
pyes dans d'autres ; qui portent qu'il y
avoit des Peuples couverts d'éternelles
ténèbres 7 qu'il y en avoit d'autres qui
Èrplpar Pltifi Lïv. I. Chat. IV. 6$
habitoient fous terre , d'autres qui n'a-
voient qu'un œil , ou qui étoient Sembla-
bles à des Géants ; que le Soleil & les
autres Aftres , alloient tous les foirs fe
coucher dans l'Océan , & tant d autres
fiétions fondées far des Relations ampli-
fiées, (a)
PaiTons à la cinquième fource. cinquième
Les Poètes & les Peintres font fans gg£f£
contredit ceux qui ont le plus produit de Peintres, &1«
Fables dans le monde : rheaue.
Pittoribus atque Voëtis
Quidhhet audendifernper fuit œqua poteftas ( i ) (x) Hor. Art»
Poà.
Comme ils ont toujours cherché à plai-
re , plutôt qu'à inftruire , ils ont préféré
une ingénieufe faufleté, à une vérité con-
nue. S il a fallu flatter ou confoler quel-
que Prince defolé de la perte d'un enfant,
le Poëte le placoit , ou parmi les A (1res ,
ou parmi les Dieux,comme le dit La&an-
ce (a) : ceux qui avoient aimé les belles
lettres,étoient regardés ou comme les en*
fans ou comme favoris d'Apollon. Hya-
cinthe paflapar cette raifonpour être le
(a) Confultex ce que dit Strabon à ce fujet L. i5.p«
203Î- & 1038.
{a)lAccefferHnt autem PoetJt faciunt qui apud R,?gcs non
Ht compofitts ad voluptatem mahs panegyricis mmdacibnè
carmïaibtts , adcotlum eos , id adulant*** inft. 1, X»
qfi tien ai j/H^nlerunt ; Jkn4
~i6 La Àfvtholope & les Faites
favori de ce Dieu : & parce qu'il fut tué
d'un coup de palet que le vent détourna
malheureufement , on feignit que Borée
jaloux de cette amitié avoit caufé cet ac-
cident. Le fuccés juftifta Iheureufe té-
mérité des Poètes : on lut leurs Ouvra-
ges avec plaifir '. & rien n'y plut tant que
la fîftion : auffi prirent-ils pour une rè-
gle de la poétique de ne jamais rien dire
naturellement. Les Bergères furent des
Nymphes ou des Naïades ; les Vaiffeaux
devinrent tantôt un Cheval ailé , comme
dans l'Hiftoire de Bellerophon : & tan-
tôt des Dragons , comme dans celle de
Medée : les Bergers , des Satyres ou des
Faunes : les hommes à Cheval , des Cen-
taures : ceux qui aimoient la Mufique ,
des Apollons : les Médecins , des Éfcu-
lapes : les belles voix , des Mufes : les
belles femmes , des Venus ; les débau-
chées , des Sirènes ou des Harpyes : cek
les qui aimoient la chaiTe , des Dianes :
les Oranges , des Pommes d'or : les flè-
ches & les dards , des foudres & des-car-
reaux. Ils firent plus ; car fe voyant les
Maîtres des peintures & des caractères
qu'ils donnoient aux perfonnes & aux
<0 Juçe- chofes qu'ils reprefentoient , pour faire
ment des sca- voir que leur Art confifloit principale*
Tan», «m.* ment ^ans ia fiaion , ils s'attachèrent (i)
Etpl. par PH:fl. Liv. I. Chap. IV. 67
particulièrement à contredire la vérité ,
& de peur de fe rencontrer avec les His-
toriens , ils changèrent les cara&eras des
perfonnes dont il parloient. Homère a
fait d'une femme infîdelle & proftituée ,
la fage & vertueufe Pénélope; & Virgile,
d'un traître à fa Patrie , un IJeros plein
de pieté : & d'un bandit fugitif , qui per-
dit la bataille «Se la vie contre Mezence ,
un Conquérant & un demi-Dieu. Le mê-
me Poè'te n'a point fait de difficulté de
deshonorer une PrinceiTe très-vertu eufe
(.2\& de lui ôter le caraeftere de fa chatte- (2) Didoik
té & de fon courage , pour lui donner
celui d'une pafîion honteufe , & d une
lâche^ capable de defefpoir. Ils ont tous
confpiré à faire pafTer Tantale pour un
avare , Se l'ont mis de leur chef au milieu
du Tartare, où il fouflfre une peine cruels
le proportionnée à fon avance ; lui qui
a été un Prince très-religieux & fort hon-
nête homme , comme le dit Pindare.
Mais ce n'eft pas feulement l'envie de
plaire Se de flatter , qui mit les Poètes
dans la nécefiïté de feindre & d'inventer,
ils y furent fou vent obligés par la médio-
crité de leurs fujets. Ce qu'ils avoient à
dire auroit été fouvent très-commun ,
fans le furnaturel & la fiftion qu'ils ont
§u TadreiTe d'y mêler. Si on vouloit faire
$8 La Mythologie & les FabUî
l'analyfe de leurs Poèmes , on les reduk
roit à peu de chofes : il y a une infinité de
Marchands & de Soldats qui ont efïiiyé
plus de dangers , & fait paroître plus de
courage dans les occafîons , qu Enée,
UlyiTe & Achille. Que feraient . je vout
prie , l'Enéide , 1 Iliade & l'Odytfee ,
fans le fecours éternel des Dieux, fans
le mélange perpétuel de vérités peu in-*
tereflantes , avec des fi& "ons qui atta-
ÏOEnée. chent ? Un homme (i) échappé à la rui-
ne de fa Patrie , construit avec d'autres
fugitifs quelques vaiifeaux , s'embarque ,
arrive en Thrace , en Macédoine , &
dans quelques Ifles de l'Archipel ; il s'ar-
rête dans rifle de Crète , va en Sicile*,
d'où après avoir paffé le Phare de Meflî-*
ne, il arrive enfin par l'embouchure du Ti-
bre en Italie , où il fe maria après avoir
ii) ulyffe. tué fon Rival. Un autre (2) eft abfent de
chez lui pendant plufreurs années ; ce-
pendant tout eft en defordre dans fa fa^
mille , fon bien eft diffipé , fa femme &
fon fils font perfecutés ; il revient enfin
après avoir efîuyé quelques dangers , il
reconnoît quelques-uns des fiens qui lui
étoient demeurés fidèles , & avec leur
fecours il rétablit toutes chofes en per-
w % . , .„ dant fes ennemis. Celui-ci ( 3 ) s'étant
W) AchiUe. , mi / a r • 1
brouille avec Agamemnon , le retire dans
Explpar PHîft. Liv. Ï.Chap, IV. <?>
fa Tente : les Troyens profitent de la
mefîntelligence des Chefs , deviennent
fupeneurs , battent les Grecs , forcent
leurs retranchement , mettent le feu dans
leurs Vaifleaux ; Patrocle emprunte le$
armes d'Achille, & tue Sarpedon : Hec-
tor venge la mort de fon ami , & ôte la
vie à Pau ocle ; alors Achille fort de fa
Tente , pouffe lçs Troyens jufques fou?
leurs murailles ; & les ayant obligés d'en-
trer dans leur Ville , trouve He&orfeuji
qu'il tue , Se traîne fon cadavre autour
du tombeau de fon ami , à qui il fait de
jnagnifiques funérailles. Voilà les trois
plus beaux Poèmes de ceux qui noua
j-eftent , fondés fur des Hiftoires aflez
communes , & foutenus par des Héros
d'un mente affez borné ; ainfî leurs Au-
teurs ont été obligés de fournir une in-
finité de Fables pour les foutenir , &
pour embellir les vérités qu'ils y ont mê-
lées. Pour dire , par exemple , qu'Ulyfle
arriva ircognïto chez Alcinoiis, (i) Hc- ^ Qâ *
mère le fait conduire par Minerve qui le 1 1& V
couvre d'un nuage. Virgile fidèle imita-
teur du Poète Grec , fait arriver de la
même manière Enée chez Didon , fous la
conduite de Venus (2). Si les délices du (zy £nc^
pays des Lotophages retiennent trop les *• u
compagnons tfUlyffç ? on dit cjue les
*J0 La Mythologie & les Tahlet
fruits de cette Ifle font oublier leur pays
«i)Odyfl:i. à ceux qui en mangent \i). S'arrêtent-ils
h à la Cour de Circé pour s'y livrer à la
débauche ; on publie que cette préten-
due Magicienne les avoit changés en
pourceaux. On ne dira pas Amplement
qu Ulifle effraya beaucoup de tempêtes ,
il faut y mêler la colère de Neptune t
qui venge ainfi fon fils Polypheme- Que
de myfteres , que de préparatifs avant
qu'Achille tue He&or ! Sa mère lui por-
te des armes de la fabrique de Yulcain ,
elle lavoit trempé dans le Satyx pour le
Tendre invulnérable. Minerve prend la
figure de Deïphobe „ pour tromper Hec-
tor par le prétendu fecoui s de fon frère,
fe) iliad. Jupiter (2) prend des balances , pefe les
ti3' deftins de ces deux Héros v & voyant
que celui dHc&or defeend jufquaux
Enfers , il 1 abandonne , & Achille lui
ôte la vie. Rien ne fe fait p?rmi eux que
par machine , ils employant à tout pro.*
pos le miniftere de quelque Divinité.
Là pour nous enchanter tout tft mis en ufege
iJ^P^ue. Tout pend un corps , une ame , un efprit , un vt~
Chaque vertu devient une Divinité',
Minerve cft la prudence , & Venus ia beauté.
Ce n tft plus ta vap.ur qui produit le Tonnerre,
Ctjl jupiter a> me pour effrayer la terre.
V» Qitgc terrible mx yeux des Matelots,
ExplparrWJî. Liv.L Chàp.IV. 71
Cefl Neptune en courroux qui gourmande Ut
flots.
Echo neflplus un fin qui dans l'air retentijje,
Ceft une Nymphe en pleurs qui fe plaint cU Nar*
ctfe.
Ceft ainfi que les Poètes ornent
leurs fu.ets , & les rempliflent défigu-
res vives & ingénieufes. N'appréhen-
dez pas qu ils difent iîmplement qaeles
troupes des deux Aloïdes , ces fiers
Géants qui faifoient la guerre à Jupi^
ter , augmentaient leurs forces par la
jonction de quelque fecours ; ils diront
que ces Géants eux-mêmes croiffbient
chaque jour dune coudée (1). Home- (^ Hom»
1 l 1 ' ' ^ 1 r odyû. 1. xx-
re , au lieu de raconter qu après le ian-
glant combat qui fut donné fur les ri-
ves de Xante , le lit de ce Fleuve s'é-
tant trouvé rempli de corps morts> l'eau
fe déborda & inonda toute la campa-
gne , jufqu'à ce que ces corps étant ro*
tirés de l'eau , on alluma un bûcher dont
la flame les reduifit en cendres ; le Poè-
te feint (2) que ce fleuve fe fentant (2) iii*f;
oppreiTé dans fonlit, en fit fes plaintes 1»<SI*
à Achille, & que ce Héros ne l'ayant
pas fatisfait , il fe déborda contre lui ,
& le pourfuivant avec rapidité , il l'au-
roit noyé dans fes eaux , fi Neptune 8t
Minerve envoyés par Jupiter > ne lui
7^ La Mythoïogte & tes Tables
cuflent promis une prompte fatisfa&ioft*
Le même Poète ayant à nous appren-
dre que les inondations de la mer , rui*
nerent quelque temps après la retraite
des Grecs , cette fameufe muraille qu'ils
^voient élevée pendant le fiége de
Troye , pour fe mettre à couvert des
tt) Iliad. infultes de leurs ennemis , dit (i) que
&*• Neptune irrité de Tentreprife des Grecs,
étoit allé prier Jupiter de lui permettre
de Tabattre avec fon trident; & qu'ayant
interefîe Apollon dans fa vengeance,
ils avoient travaillé de concert à -ren-
verfer cet ouvrage. Si le Navire des
Phéaciensqui avoit conduit Ulyïfe à Ita-
que , fait naufrage à fon retour , on ne
manque pas de dire que Neptune irrité
de ce qu'il avoit fervi à porter UlyfTe,
(2) Odyr. l'avoit changé en rocher (a\ Si Tur-
*• i+- nus fait brûler la Flotte d Enée , Vir*
gile fait paroître Cybele qui change ces
VaiïTeaux en Nymphes de la mer.
Quand on voyoit un bel Ouvrage,
comme les murailles de Troye,.les Tours
d'Argos , & quelques autres , e'étoient
toujours les Dieux qui en avoient été
les Architc&es ;
• <. .... Cet no Cyclofum fncras
Turres , labore majus humant! decus, Senec,
iûlhieft, AÔ.3.
ExpLparPHifî. Lïv.LChap.IV. 75
1 On ne dit pas Amplement qu'Ulyflb
étoit prudent , on a foin de lui donner
Minerve pour guide.
Au lieu de raconter comment Enéc
s'étant trouvé au commencement du
Printemps fur la mer de Sicile , il s'é-
leva une tempête qui Pécarta de cette
Me , on fait venir fur la fcéne Junon
irritée, Eole , les Vents , Neptune , &c«
Un Hiftorien raconterait fans figure,
que Beçpé excita les Dames Troyen-
nes à brûler leur Flotte , de peur de fe
voir expofées à de nouveaux dangers :
un Poëte fera jouer la fcéne par la Déef-
fe Iris, fous la figure de cette Dame
Phrygienne (ï). Si un Prince dans l'Hif-
toire eft habile & politique , chez les
Poètes on lui donne plufieurs têtes ; s'il
eft brave , on lui donne plufieurs bras ;
s'il eft fin & rufé , on lui fait prendre
plufieurs figures. Au lieu de dire que
Nauplius ayant appris que- la Flotte des
Grecs approchoit, fit allumer des feux
pour l'attirer près des rochers dont fon
Ifle étoit environnée , où il la fit périr;
un Poëte fait intervenir la Déefîe Mi-
nerve , qui venge ainfi fur Ajax , l'af-
front qu'il fit à Caffandre dans fonTem*
pie. Si on veut nous apprendre qu'un
Hcros pour s'éclaircir de fa deftinée,
Tome I. D
74 ^a Mythologie & les Fables
fit quelque évocation , fuivant l'ufage
de ce temps-là , le Poète le fait defcen-
dre aux Enfers , & lailTant prendre à foa
imagination un libre efîor , il débite
mille Fables. Enfin on remarque par-
tout dans leurs Ouvrages un renverfe-
ment prémédité des droits de la vérité ;
& au lieu de cet air de {implicite qu'elle
demande , ils ont adopté les emporte-
mens & la fureur , fuivant le caractère
que Pétrone leur donne , d^ dire les
chofes en hommes polTedés par un ei*?
thoufîafme prophétique , & remplis de
la fureur du Dieu qui les agite, (a)
l« Théâtres. On peut ajouter que les Théâtres ont
fervi à introduire beaucoup de Fables :
c'eft fur la Scène que triomphe la li-
berté de déguifer la vérité : limagina-
tion & les fens font bien plus vivement
frappés quand un Auteur fçait ména-
ger une intrigue aux dépens de la vé-
rité , que s'il la reprefentoit telle qu'elle
;cft arrivée. Pafîphaé amoureufe d'un
Capitaine nommé Taurus , n'auroit pas
fait fur les Théâtres de la Grèce, où
( a ï "ti'/ti enim res grfl-t ÇYxciç'-endv.s efl lihor fpmtHS9
perjt&us cewprehendenaœfunt-, v.t pctiùs furpntis animi vati-
ç/*s.1 long*- melites Hijioriii fy- cinf.t'10 af-p.rs"tit , CjHj.m fli»
finnt ; Je'içer ar^bages-y D*o- giofx oraiionis fy,b teftibpi
fumque minijieria , (S fabn- fîdes. Petr. Sat./
pfhnifententiarunuQrrmnt^m
ZxpLphrrHiJï.Liv.L Chàp.IV. 7?
«Ile étoit haïe mortellement à caufe de
Minos , la même impreffion qu'elle fit
lorfqu'on la reprefenta amoureufe d'un
Taureau que Neptune avoit fait fortir
de la mer. On eft bien plus touché de
voir Andromède ou Helione expofées
à des monftres , qu'à des Corfaires ; &
Didon qui defefperée de la perte d un
Amant fe perce le fein , nous frappe
bien plus vivement , que iî elle fe tuoit
pour la mort d'un Mari , comme 1 Hif-
toire nous l'apprend. C'eft airifî qu'on
s'eft fait un mérite de mentir avec art,
d'inventer félon certaines règles , de
feindre des a&ions , des converfations,
des fentimens ; & la Fable eft montée
-fur le Théâtre comme far fon Trône.
Enfin on peut dire que les Peintres U Pcinra
travaillant d'après les imaginations Poe- *V sSculP"
tiques, ont aufïï donné cours à quelques
Fables ; & c'eft peut-être à eux , du
moins en partie , que nous devons l'exif-
tence des Centaures , des Sirennes, des
Harpycs , des Nymphes, des Satyres
& des Faunes , qu'ils ont peins fur les
Portraits qu'en faïf jient les Poètes , ou
for quelques Relations de Vovageurs
Se de Pefcheurs : ils ont même fou vent
donné cours aux Hiftoires fabuleufes ,
en les reprefentant avec art ; ce qui eft
rj6 La Mythologie & les fiables
il vrai , comme je le remarquerai dans
la fuite , que les Payens dévoient l'exis-
tence de plufieurs de leurs Dieux , à
quelques belles Statues , ou à des Ta^
bleaux bien faits,
skiémefoiu-- Comme il efl: fouvent arrivé qu'une
Uté r^u *i'u" niême perfonne a eu plufieurs noms, ce
qui étoit fort commun parmi les peuples
Orientaux , on a crû dans la fuite des
temps , en lifant des Hiftoires mal digé-
rées & des avantures affez incompatir
blés , qu'il s'agiifoit de différentes per-
fonnes ; de là la multiplication des Hé-
ros : on a partagé entre plufieurs , les
aftions & les voyages d un feul. Mer*
cure , par exemple , s'appelloit Thaut
en Egypte \ Teutat chez nos anciens
Gaulois , Hermès chez les Grecs. Plu-
> ton 3 Dis chez les Celtes , Ades chez
les Grecs , Sumanus chez les Latins ,
Sor anus chez les Sabins ; & comme on
ne connoifïbit quelquefois dans un pays
le Héros ou le Dieu que fous un feul
nom , & qu'on ne fçavoit pas trop ce
qu'il avok fait hors delà ; quand on ve-
noit à lire d'autres avantures que cel-
les dont on avoit oui parler , d'autres
noms ou d'autres qualités , on ne dou-
toit point qu'il ne s'agît de différentes
jperfonnes ; de là ce prodigieux nombf e
ExplparPHift. Liv.I. Chaî.IV. 77
de Jupiters , de Mercures , &c. On a
quelquefois fait tout le contraire ; &
quand il eft arrivé que plufieurs perfon-
nés ont porté le même nom , on a attri-
bué à un feul , ce qui devoit être par-
tagé entre plufieurs , & PHiftoire du
plus connu , a été chargée des avantu-
res de tous les autres : Telle eft PHif-
toire d'Hercule de Thebes , dans la-
quelle on a mêlé les a&ions & les Voya-
ges d'Hercule Phénicien , & de plu-
ïîeurs autres Héros du même nom : telle
eft encore PHiftoire de Jupiter fils de
Saturne , dans laquelle on a raiïemblé
les avantures de plulieurs Rois de Crè-
te , qui ont porté le même nom , qui
étoit commun parmi ces anciens Rois?
comme celui de Pharaon ou de Ptole-
mée Pétoit en Egypte , ou celui de Ce-
far parmi les Empereurs Romains.
L'ignorance de la Philofophie , & septième
fur-tout de la Phyfiquc , a auffi donné ^^cS
lieu à beaucoup de Fables : la curiofîté te Philoib-
û naturelle aux hommes , les a toujours ri
portés à chercher la caufe des évene-
mens qui furprennent (a) ; & dans les
fiécles barbares , où Pon étoit fi peu
avancé dans la connoiffance de la na-
ture , on avoit recours à des chofes feu-
(4) Voyez le pcojet du P. ïourncmine , toc* du
D iij
r-iUw.
7$ La Mythologie & les Fables
fibles & grofîieres : on animoit tout , les
fleuves , les fontaines , les aflres. C;é-
toit un excellent abrégé des recherches ;
rien de plus aifé que de rapporter à des
caufes animées , des effets dontonignc-
roit les principes. On donna enfuite de
la Divinité aux chofes qu'on n'avoit fait
qu'humanifer ; le Soleil fut adoré fous
le nom d'Apollon , la Lune fous celui
de Diane. La crainte de leurs influen-
ces , & la part qu'on leur donne à tout
ce qui fe paffe ici-bas , furent fans dou-
te la caufe de leur afotheofe , & du
culte qu'on établit pour les appaifer
lorfqu'on les croyoit irrités. Les Prê-
tres établis pour cela , inventèrent des
Hîftoires , & publièrent des apparitions
de leurs prétendues Divinités, pour per-
pétuer par là un culte lucratif. Ils di-
rent , par .exemple , que Diane étoit de-
venue amoureufe d'Endymion , & que
la caufe de feséclipfes devoit fe rappor-
ter aux vifites quelle rendoit à fon
Amant , dans les montagnes de la Ca-
rie ; mais comme fes amours ne durè-
rent pas toujours , il fallut chercher
une autre caufe de fes éclipfes. On pu-
blia que les Sorcières , fur-tout celles
de Theffalie , où les herbes venimeufes
.Ctoient plus communes , par l'écume
' ExplparVHlft.Liv.LCnAV.ÏY. 7^
que Cerbère tiré des Enfers y avoit bif-
fé tomber , fuivant une autre Fable,
avoient le pouvoir par leurs enchante-
mens , d'attirer la Lune fur la terre (a).
De même , comme on ne connoifibif
pas la caufe des vents, on crut que c?é~
toient des Divinités fougueufes , qui.
caufoient des ravages fur terre & fur
mer; & pour reprimer leur audace, on
leur donna une Divinité fuperieure ;
Eole , pour les raifons que nous dirons
dans fon Hiftoire, fut établi leur Roi (1). ^à^tA
(a) L'Origine de cette re avec elle un grand bruit.
Fable venoit d'une certaine pour la fane remonter a fa
Aganice tille d'Hegetor place. L rfqa'on voyait d?.ns
Theflf:Len , qui ayant appris la fuite le commencement
la caufe & le temps â~s d'une Eclipie , on fkiioi: un
Eclipfes , quand il en de- grand bruit de chaudrons 3c
voit arriver publioir que par d'autres initrumens , pour
ihantemens elle aiioit empêcher d'entendre les cria
attirer la Lune fur la terre, 6V les prières des Magicicii?
eifk^rtanc en même temps les nés.
femmes ThciTàliennes a fai-
Cauuis , & è air ru Ltmam deducere tentai »
:trct , ji non ara repuif a forent.
Comme dit Tibulle , 1. i . de ne la pas dévorer entière-*-
Eleg: 6. Les peuples des In- ment, si l'on vouloit remon-
àes 6c de la Chine croyent ter a la fource de cette Coli-
encore aujourd'hui que la tu me , on trouvcioi: qu'elle
caufe des Eclipfes vient de vient d'Egypte oftTfîs, qui
ce cu'un Dragon veut devo- étoit le fynibok de la Lu
rerla Lune , de quelques-uns étoit honorée avec u i bruit
d'entr'eux font un grand pareil de chaudrons, de t) um
bruit pour lui faire lâcher baies , de tambours , &c«
prife , pendant que le; au- Voyez Nie. Friîchiia, 1.2*
très Te mettent dans l'eau juf- Aftr. p. 454.
qu'au col , pour le fupplier
D
un
Ub La Mythologie & les Fables
Chaque Fleuve & chaque Fontaine,
eurent aufîî leur Divinité tutelaire ; &
foit qu'on eût donné aux Fleuves les
noms des premiers Rois qui avoient
habité le Pays où ils couloient , foit que
les Rois en euffent pris le leur ; comme
nous le dirons plus bas ; on les confon-
dit dans la fuite , & on divinifa le Prin-
ce en faveur du Fleuve. Fallut-il par-
ler de l'Iris ou de l' Arc-en-ciel , dont
ils ignoroient la nature , ils en forgèrent
«ne Divinité ; fa beauté la fit paifer
pour la fille de Thaumas , perfonnage
poétique > dont le nom veut dire mer*
veilleux : & parce que la tradition du
Déluge leur avoit apparemment appris
que Dieu avoit fait paroître l'Arc-en-
ciel comme un fîgne de reconciliation,
ils regardèrent depuis leur Iris comme
la Meffagere des Dieux , & fur-tout de
Junon , parce qu'elle annonce la dif-
pofition de l'air , reprefenté par cette
DeelTe. Le nom même d'Iris lui fut
donné , fi nous en croyons Platon (a) f
pour marquer fon emploi.
( * ) Il fait venir ce nom parce que les meflages d'Iris
«le îtûfHv ? nunciare» Le tendoient à la diicorde &à
Scavant Voflius le dérive h guerre , comme ceux de
dé W ou hir , Ange ou Mef- Mercure à la paix & au re-
fager. Paufanias dit qu'il P°s.
Vient de %^ç , diforde 7
ExpLparl'Hijl. Liv.I. Chat. IV. 81
~Ainfi furent formées plufieurs Divi-
nités Phyfiques , & tant de Fables As-
tronomiques , comme nous le dirons
dans la fuite. C'étoit-là une pitoyable
Philofophie ; mais on n'avoit rien de
meilleur, & les Poètes étant venus dans
la fuite à embellir ces idées fenfibles , de
tous les ornemens que leurs Mufes, fc-*
condes en fi&ions , purent leur fournir,
on fe plut tellement à ne considérer la
nature que fous ces agréables images,
qu'on ne fongea pcis même pendant un
allez long-temps , à poufïer plus loin
les découvertes. Le plus grand mal5
c'eft que la Religion fe trouva interef-
fée dans ce fyftême : elle augmenta fcs
cérémonies à l'invention de chaque Di-
vinité , & Ton regarda comme des im*
pies, ceux qui voulurent voir un peu
plus clair, Ainfî l'infortuné Anaxagore
fut puni de mort , pour avoir enfeigné
que le Soleil n'étoit point animé , Se
qu'il n'étoit qu'une lame d'acier de la
grandeur du Peloponnefe. On peut con-
clure de tout ce que nous venons de
dire , qu'on a eu raifon de croire qu'u-
ne partie de la Philofophie des Anciens,
étoit renfermée dans leurs Fables , pour-
vu qu'on veuille avoiier que c'étoit une
Philofophie fort groffiere , & un fyf-
D v
$2 La Mythologie & les Fabien
terne fondé fur le rapport des fens , &
tel qu'un Payfan pourroit l'imaginer.
CHAPITRE V.
Ou Von continue à rechercher Pcrigine
des Fables.
Huitième HT1 Ous les hommes s'étant trouvés
5ELZÏ * Submergés par les eaux du Déluge,
fa Colonies excepté Noe & fa famille, le monde ne
dlTaT™ PutNêtre repeuplé que très long-temps
après : on ne peut pas douter auilî ,
comme nous le dirons bien-tôt , que les
Pays les plus voifins du lieu où l'Arche
s'arrêta , n'ayent été peuplés les pre-
miers ; ainfi la Syrie , la Paleftine , l'A-
rabie , & l'Egypte , furent habitées long-
temps avant les Climats d'Occident.
Ceux qui arrivèrent les premiers dans
la Grèce , y vécurent dans une ignoran-
ce & dans une groiliereté étonnantes ,
fans arts , fans coutumes , fans loix , fe
couvrant de feuilles , & broutant l'her-
be des Champs ; les Rochers & les Ca-
vernes leur fervoient de demeure , Se
tout leur foin étoit de fe défendre des
bêtes féroces , dont les bois étoient rem-
plis: ils n'avoient gueres d'autre- coin»
Expl.parVHîjl. Liv.I. Chap.V. 8j
inodités que celles qu'ils fe procuroient
par la guerre qu'ils faifoient aux ani-
maux. Four peu qu'on fçache l'Anti-
quité & qu'on ait lu les Poètes , on re-
connoît aifement à cette peinture les
premiers habitans de la Grèce (i). (o vov«
Quand les étrangers , Egyptiens ou Pio^- dc **
Phéniciens , gens polis & fçavans eu
égard à ces temps-là , y arrivoient , ils
tâchoient d'adoucir l'humeur féroce de
ce peuple barbare , foit pour découvrir
par ce moyen les richeflès de leur pays,
foit pour les obliger à foufïrir qu'ils y
laillaffent quelques Colonies pour entre-
tenir le Commerce. Enfuite ils leur
firent part de leurs Coutumes , de leur
manière de s'habiller & de fe nourrir ;
ils leur apprirent à manger des châtai-
gnes fauvages & d'autres fruits , au lieu
de Therbe dont ils fe noumiîbient , fou-
vent avec beaucoup de danger pour
leur vie ; voilà , pour le dire en pailant,
l'origine de la l able , qui portoit qu'on
leur avoit appris à manger du gland ; ce
qui cft faux, le gland n étant en aucune
manière propre a nourrir l'homme ; ce-
pendant cette fi&ïon fe trouve dans tou-
tes les anciennes traditions. Ces munes
peuples leur apprirent enfuite à fe cou-
vrir de la peau des animaux qu'ils.
E> vj
84 La Mythologie & les Fables
tuoient : ils leur faifoient voir que la
terre pouvoit porter , lî elle étoit cul-
tivée , des fruits plus propres à les nour-
rir , que ceux qu'elle portoit fans qu'on
en prît fo n ; ainfi ils les accoutumèrent
peu à peu à labourer , & à femer du
bled. Aux maifons répandues dans la
campagne , fuccederent les Villages , &
enfuite les Villes : on renonça à la bru-
tale coutume de vivre fans Loix dans le
mariage , & l'on régla les devoirs de
cet état ; la neceflité de reconnoître fes
champs , en fixa les limites ; la manière
de fe vêtir de peaux parut trop groffie-
re , on en détacha la laine pour la met-
tre en œuvre. Cette réforme parut fi
admirable , qu'on crut ne pouvoir por-
ter trop loin la reconnoiffance à l'égard
de ceux qui avoient contribué à l'éta-
blir : on les prit pour des hommes en-
voyés du Ciel ; & on les regarda com-
me des Dieux.
Tels furent fans doute les premiers
Dieux des Grecs : delà font venues tou-
tes les Fables des Lycaons , des Phoro-
nées, des Cecrops , & de tant d'autres,
comme nous le dirons quand il fera temps
de les expliquer ; & pour en donner dès
à prefent quelques exemples , c'efl ce
qui a donné lieu à celle qui dit que Pro-
Expl. par VHijl. Liv.I. Chap.V. $f
Ifiethée avoit formé Thomme en détrem-
pant de la buue , parce que véritable-
ment il cultiva & donna des Loix à un
peuple barbare & grolTier ; hyperbole
permife en cette occafîon , puifque c'é-
toit véritablement avoir fait 1 homme ,
que de l'avoir rendu raifonnable. De
même , parce qu'Apollon excella dans
la Mufique & dans la Médecine , il fut
regardé comme le Dieu de ces deux
Arts. Mercure fut celui de l'éloquence,
Cerès laDéefTe du bled , Minerve , des
Manufactures de laine , ainfi des au-
tres.
Comme on s'étoit fait un fyftéme de
Religion accommodé aux inclinations
& à tous les penchans du cœur , on ne
fe faifoitpas une grande affaire d'y chan-
ger , d'y ajouter , Se d'y retrancher.
Les Cérémonies nouvelles ne coûtoient
rien à établir , & les raifons qu'on en
rendoit étoient toutes fabuleufes. Des
Hiftoires forgées par les Prêtres , don-
noient lieu de changer un culte ilerile ,
en un autre qui fût plus lucratif, & on
n'a jamais été trop fcrupuleux fur cet
article. Dès qu'on découvroit quelque
nouvelle Divinité , c'étoit à qui lui éle-
veroit plus d'Autels , & qui en même
temps en publierait plus de merveilles 5
t& La Mythologie & les Fables
& comme un Dieu compatriote donnoît
beaucoup de crédit au lieu de fa naif»
fance , chacun le faifoit naître chez foi :
on fuppofoit des Mémoires remplis de
Fables ; des Impofteurs appuyoient des
apparitions prétendues que les Prêtres
avoient inventées, & que les Poètes in-
féraient dans leurs Ouvrages : de là ce
fyftéme monftrueux & fi rempli de Fa-
bles , que nous offre la Théologie
Payenne. •
Neuvième Ajoutez à cek que la manie la plus
fouïc% l'en- ordinaire des grands hommes de ce
Ses Dieux temps-là , étoit de vouloir defcendre
^ourAncê- des Dieux : il falloit abfolument pour
être Héros, avoir Jupiter ou Apollon
pour ancêtres ; & comme apparemment
il n'étoit pas difficile de trouver alors
des Genéalogiftes aufli complaifants
qu'ils le font à prefent , on n'avoit pas
beaucoup de peine à faire drefler des
titres , où la fouche étoit quelque Dieu :
aufîî prefque toutes les Généalogies an- .
ciennes étoient à peu près de la forte;
le chef étoit Jupiter , après lui venoit
Hercule , &c.
Dixième Un grand nombre de Sçavans du cer-
Source L'E- : (]^c}e & quelques-uns de celui-ci,
enture Sainte ; * "1 i >
mal entendue, ont prétendu que la plupart des râbles
tiroient leur origine de l'Ecriture Saiûr»
Expî. par rWJt. Lïv.I. Chap.V. 87
te mal entendue , & que les traditions
du Peuple de Dieu confervées dans la
Phenicie , l'Egypte , & les autres pays
voifins , altérées dans la fuite , avoient
donné lieu à un grand nombre-de Fa-
bles. Ces Sçavans ajoutent que les Co-
lonies forties des pays voifins de laPa-
lefline , pour aller s'établir dans les Mes
de la Méditerranée & dans la Grèce T
y avoient porté ces traditions ainfi défi-
gurées , & que les Poètes avoient en-
core plus corrompues dans la fuite , par
les nouvelles fixions qu'ils y avoient
ajoutées; enfin quêtes Patriarches, fur-
tout ceux qui vécurent après le Déluge,
Abraham , Jacob , Efaiï , Moyfe & quel-
ques autres , étoient les premiers Dieux
du monde payen ; & que leurs belles
allions , leurs conquêtes & leurs Loix,
avoient engagé les Peuples à les déi-
fier. Parmi ces Sçavans on peut comp-
ter le célèbre Bochart , Gérard Vof-
fius, M. Huet. le Père Thomaffin, &c.
Il eft confiant que Moyfe & Jofué
furent très -connus non feulement en
Egvpte & en Phenicie , mais auffî dans
plufieurs autres Pays ; que le dernier
fur-tout , ayant pouffé fes conquêtes
bien avant dans la Palestine , porta fî
fort l'épouvante fur les côtes de Syrie,
8$ La Mythologie & les Fables
que l'on croit qu'il y eut plufîeurs per*
formes , qui pour éviter de.tomber fous
fa domination, s'embarquèrent aVec leurs
richefTes pour aller s'établir dans de$
pays éloignés : qu'il y en eut même qui
allèrent fur le bord de l'Océan , où l'on
affure qu'ils firent élever des Colonnes
avec cette Infcription (a). Nos hifu-
rnus quifugerunt à fade Jofue filii Navœ
pr adonis ; CV/ï nous quifommes venus ïd
four nous meure à couvert des pourfuites
de Jofué le voleur y fils de Navé. (b) Il
eft fur auflï qu'Inachus, Cecrops , Da-
naiis, Cadmus , & quelques autres, c*
toient fortis d'Egypte & de Phenicie,
pour aller conduire leurs Colonies darls
la Grèce & dans les Mes voifînes; & il
y a apparence que remplis du fouvenir
des belles aftions de ces grands hom-
mes , ils les racontèrent aux habitans
du Pays , Se que les Grecs grands ama-
teurs du fublime & du furnaturel , ne
manquèrent pas d'en embellir dans la
fuite l'Hiftoire de leurs Héros ; que cel-
les d'Hercule fur-tout & deBacchus,
laiflent entrevoir beaucoup de reifem-
(a) Procope in Fandat. Geogr* Sacra. 2. Vofl' de
Les Critiques trouvent dans idoUL 3. H net Demonfl. 4.
cette Infcription , plufîeurs le P. Thomajftn , Leiï, det
marqaes de fuppofîtion. Poètes»
(&) Voyez 1. Bochart
ExpLparPHiJl.Liv.1. Chap.V. 89
blance avec ces fameux Ifraëlites. On
ne manque pas de faire des parallèles
fort recherchés : un célèbre Prélat eft
même allé fi loin , qu'il confond tous les
Héros de la Fable avec ceux de la Bi-
ble , & qu'il trouve dans le feul Moyfe
l'original d'Apollon , de Priape , d'Ef-
culape , de Promethée , de Tirefias , de
Typhon , dePerfée , d'Orphée , de Ja-
nus , d'Adonis , & d'une infinité d'au-
tres ; & dans Sephora , femme de Moy-
fe , ou dans Marie fa fœur , prefque
toutes les DéefTes , comme Aftarté,
Venus , Cybele , Cerès , Diane , les
Mufes, les Parques, &c. (1) & un au-p(i) Litett
tre Sçavant , prétend même qu'Homère hDPêmônft!
Sans fes Poèmes, a fait l'Hiftoire des£vang.de M.
Huet.
Héros de l'Ecriture , fous des noms
iuppOleS (2) le Livre inti«
Enfin depuis quelques années ce fen-tulé Home*
timent , d ailleurs très-ancien , a ete re- J
nouvelle par deux Auteurs qui l'ont en-
core plus étendu que ceux que je viens
de nommer. Le premier eft M. de La-
vaux , dans un Ouvrage , qui a pour
titre Conférence de la Fable avec VHif-
toire Sainte ; lequel pour donner plus de
poids à fon opinion , cite ceux des Pè-
res , & des Ecrivains Ecclefiaftiques,
qui l'avoient foutenu avant lui ; Tel?
fO La Mythologie & les Fables
font , S. Juftin , Ôrigene , Tertullietr;
Minutais Félix , S. Cyrille, Arnobe,
Laftance , S. Auguftm , Theodoret .
S. Athanafe, Philon, Jofeph , & quel-
ques autres. Le fécond eft M. Four-
mont , de l'Académie des Belles-Let-
tres ; dans fes Réflexions Critiques fur
les Hiftoires des anciens Peuples. Com-
me ce fçavant Académicien poflède à
fond les Langues anciennes , il eft celui
de tous qui s'eft le plus étendu fur cette
matière : & il a appliqué avec tant de
jufteffe aux Patriarches les idées que
Sanchoniathon nous a données des pre-
miers hommes ; il trouve dans leurs
noms tant de rapports avec ceux que
l'Ecriture leur donne , & dans leur ca-*
raftere & leurs aftions tant de reflem-
blance , avec ce que Moyfe en a écrit,
qu'il eft fouvent bien difficile de ne pas
fe rendre à ks raifons. D'ailleurs pour-
roit-on , comme il le dit dans fa Pré-
face , faire un crime à quelqu'un , de
iuivre une foule d'Auteurs tous recom-
mandables , ou par leur feience , ou par
leur pieté ; & de vouloir trouver, dan*
les Patriarches , les Dieux que le Paga-
mfme a refpe&és , Saturne dans Noé ,
Pluton dans Sem , Jupiter Hammon
dans Cham ; Neptune dans Japhet, ainfi
Expl.parPRitt.LivJ. Ckav.V. 9*
que l'a prouvé Bochart ; Belus & Jupi-
ter dans Nemrod , comme d'autres l'ont
foutenu ; Minerve dans les idées de la
Trinité , comme l'a penfé le Père Tour-
nemine , Jefuite ;• Apollon dans Jubal,
avec le Père Thomaflîn , & ainfi des au-
tres? De plus, ajoute-t'il , il n'y a rien
de plus avantageux pour la Religion ,
que ce fentiment. C'eft ainfi qu'en parle
M. Huet (a).
Quelque eftime que j'aye pour ces
grands hommes , je ne fçaurois croire
que l'abus que les Poètes ont pu faire
de l'ancien Teftament , ait donné lieu à
un fî grand nombre de Fables , qu'ils le
prétendent. Car , premièrement , les
Juifs étoient une Nation fort méprifée
de fes'voiiîas , peu connue des Peuples
éloignés , & extrêmement jaloufe de far
Loi & de fes cérémonies, qu'elle ca-
choit aux Etrangers , comme à des pro-
fanes , même dans le temps qu'elle a été
obligée de vivre parmi eux. Quoiqu'on
ne puifle nier de même , que les mira-
cles que Dieu fit en Egypte du temps
de Moyfe , n'ayent été publics , il n'y
a nulle apparence que ceux qui les ra-
( a ) JQuo argum-ntô via dam Scriptara Sacra dignita-
validiHS niUm ant fplendi- tetn reperio , qtM, , &c. Dc-
difts y ex génère e»rnm qua monft. Evang. P. 4. c. 3.
ttMi» JU^eAitat , adfanc'ten*
jpC La Myïkôidgii & les Fables
contèrent aux Grecs , ayent fait beau**
coup de cas d'un homme qui leur de-
voit être fi odieux ; & je ne doute pas
même qu'ils n'ayent donné la préféren-
ce à leurs Magiciens. : ou plutôt ne
firent-ils pas tout ce qu'ils purent , pour
abolir le fouvenir d'une perfonne qui
leur avoit tant fait de mal ? D'ailleurs
démentira-t'on toute l'Hiftoire ancien-
ne , & les monumens les plus authenti-
ques qui parlent des Héros de la Grèce,
qui nous apprennent leurs noms , leurs
parens , & le lieu de leur naiffance , pour
croire fur quelques foibles Etymolo-
gies , ou fur quelques légères refTem-
blances , qulls ne font copiés que d'a-
près Moyfe ? Ne peut-il pas être arrivé
en differens lieux des chofes afï^ fem-
blablcs? Agamemnonne peut-il pas avoir
voulu immokr fa fille Iphigenie dans
la crainte de perdre le commandement
d'une belle Armée , fans qu'il foit be-
foin de confondre cet événement avec
le facriiïce de Jephté , quelque reflem-
blance qu'on trouve dans le temps , (a)
èc dans le nom des deux Prince/Tes ? (b)
On doit dire la même chofe du Déluge
(a) Le Sacri^ce d'Iphi- s'appelloit Iphianaflè, nom
génie arriva vers le temps de qu'Homère donne 4 I4 fille
ïephté. d'AgamemnQft,
{b) U fille de Jephté
Expl.parPHiJl. Liv.LChap.V. 9$
'de Deucalion , de Minerve fortie du
cerveau de Jupiter , & des autres Fables
qui femblent avoir quelque rapport
avec les vérités de l'Ecriture. Efi>il im-
poffible de voir revenir fur la fcéne du
inonde les mêmes évenemens ? Ne fera-
t'on pas toujours des facrifices à l'ambi-
tion ? Ne verra-t'on pas toujours des
meurtres , des parricides ? &c. Cela eft
fi vrai , que qui fçauroit parfaitement
î'Hiitoire des fiécles paffés , verroit re-
venir bien des chofe's qui font déjà ar-
rivées plus d'une fois. Après tout , s'il
fe trouve quelque rapport entre les Fa-
bles & FHiftoire de Moyfe ou de Sam-
fon, on doit penfer feulement que c'efl
un refte de Tradition , que rien n'a été
capable d'effacer. On ne fçauroit nier,
par exemple , que le fouvenir du De-
Juge univerfel , confervé chez tous les
Peuples, n'ait contribué à embellir ce-
lui de Deucalion ; qu'on ne fe foit fervi
de quelques circonftances de l'Hiftoire
de Noé , dans celle de Saturne & de fes
enfans, qui vivoient peu de temps après ;
fur-tout pour ce qui regarde le partage
du monde , ainfi que de quelques au-
tres ; mais de vouloir tirer le dénoue-
ment de prefque toutes les Fables , de
F abus prétendu des Livres de Moyfe,
ç'eft vouloir s'aveugler.
#4 La Mythologie & les Fable*
En effet croira-t'on aifément que les me*
tamorphofes de Protée , n'ont été inven-
tées que fur ce que l'Ecriture dit de la
(0 Voytr Verge de Moyfe (iï ? Que Mercure n'a
eit, :palle poux être le Meilager des Dieux oc
le confident de leurs amours , que parce
que la curiofité de Chanaan lui attira la
maledi&ion de Noé (2) ? Que THiftoire
des Mufes n'a d'autre fondement que la
corruption du nom de Moyfe ; & qu'on
ne leur attribua l'invention de la Danfe
£c de la Mufique , que parce que Marie ,
que les Grecs appelierent peut - être
Moufa , chanta un Cantique en danfant
XaVHuet (3) -? Que ^a Fable qui dit que Mercure
bc. cit. conduifoit les âmes en enfer , eft fondée
fur ce que Moyfe fit engloutir Dathan
fa) U.ibid. -& Abiron ( ^ ) ? Qu'Eunfthée perfécu-
tant Hercule , c'efl Moyfe faifant agir
Jofué ? Que Vulcain tombant du ciel ,
cil Moyfe defeendant de la montagne ?
Que le combat d Hercule avec Ache-
lotis , eft le paffage du Jourdain? Que
Promethée détaché du Mont- Caucafe
par Hercule , ceft Moyfe priant fur la
montagne pendant que Jofué défait les
(s) IL îbid. Amalecites (y) ? S il étoit permis de pro-
fiter des moindres reffemblances , je di-
rois aufïi que le chien qui reconnut Ulyf*
(6) ody a\ fe ^ jfon retour en Ithaque (6) , eft le met
lo 7.
ExplparPHift. Liv.L Chajp.V. f$
Hic que celui de Tobie qui carefla foa
jeune Maître à fon retour de la maifon
de Raguel (i) : Que le difeours que tint 0) Tdbfc
Achiile à fon Cheval (2) , eft une imita- ^lliadLl9.
tation de la converfation de Balaam ,
avec fon âneffe 3). Que l'expédition des (*) Knm. 24.
Argonautes , eft une Relation bigarrée
des voyages d'Abraham , & de ceux des
■Ifraëlites dans le defert (4) : Que l' Hif- <V Con£
toire de Philemon & de Baucis , eft celle \\ x* p* ,* j;
xTAbraham & de Sara ; ou de Lot & de (0 ^em,
/a femme (;) : Que la Fable de Niobé , T' z' p* 47'
^ft la copie des malheurs de Job (6;.Cel- (6) id. t. a*
le de Loamedon , & des Dieux qui bâ^ p* s9'
tifTent Troye , 1 hiftoire de Laban & de
Jacob (7) : Que l'hiftoire d'Orion, eft &}?-*>*>
-tirée de celle de Jacob & de Sara ; ainfî
qu'une infinité d autres que je pourrais
citer ; c'eft ce qui eft bien difficile à prou-
ver.
D'ailleurs fi le rapport eft fî parfait erv
tre les Héros de la Bible & ceux de la
Fable , pourquoi nos plus célèbres Au-
teurs font-ils différents entre eux ? Pour-
quoi, félon Bochart , Mercure eft-illc
même que Chanaan, & félon M. Huet
le même que Moyfe ? Pourquoi l*un dit*
il 7 qu'Hercule eft Samfon , & l'autre que
c'eft Jofjé ? L'un que Noé eft Saturne ,
f& lautre que c eft Abraham ? Cette va-
p. 151.
§6 La Mythologie & les Fables
rieté d'opinions n'eft pas une petite preu-
ve contre le fentiment de ces Sçavans
modernes': auiïï faut-il avouer que quel-
que étudiés que foient les parallèles dont
leurs Livres font remplis \ il s'y trouve
toujours des chofes bien gratuites , pour
ne rien dire de plus. Je voudrais bien
voir un Sçavant qui , en examinant les
Annales de la Chine , trouverait beau-
coup de reffemblance dans le nom , dans
l'humeur & dans les aâions d'un de leurs
Empereurs , avec un de nos Rois de
France , s'il ferait bien reçu à dire que
ce Roi de France a été Empereur de la
Chine , ou que le Prince Chinois été
Roi de France.
Il n'eft rien de fi arbitraire que les Ety-
mologies des noms, qu'on peut fouvent
lire , & qu'on peut toujours interpréter
à fa fantaifie. Je veux croire qu'Orphée
& quelques autres ont fait des voyages
■en Egypte.du temps même que les Ifraë-
lites y'habitoient ; mais je fçais bien aufïî
qu'ils s'y inftruifirent bien plus dans lafu-
nefte fcience de la Magie , ou du moins
dans les vaines fuperftitions de ce Peu-
ple idolâtre , que dans la connoiffance
du vrai Dieu , quoi qu'en ayent penfé
(i)Cchrt. plufieurs Sçavans après S. Juftin(i) ; &
ta Gr*coi d'ailleurs , il ne nous refte lien de cet
Orphée 5
Expl.parPHîJ}. Liv.I. Chap.V. 9?
Orphée , quel qu'il foit. De quoi s'inf-
truifent , je vous prie , ceux qui voyagent
dans quelque pays , fi ce n'eft de fa Re-
ligion , de fes Loix , & de fes Coutumes?
Ne confultent-ils pas plutôt leurs Prêtres
v& leurs Doâeurs , que ceux d'un peuple
captifhaï5perfecuté;& d'ailleurs peu por-
té à révéler fes myfteres aux Etrangers? Je
ne nie pas à la venté \ que ces anciens
Poètes n'ayent connu plufieurs vérités ,
comme , l'unité de Dieu , Finïmorfâlké
de l'ame , les peines de l'Enfer , les re-
compenfes du Paradis ; vérités qui mal-
gré l'attirail de fictions dont ils les ont or-
nées , brillent dans pluiîcurs endroits de
leurs Ouvrages : mais croira-t'on qu'ils
les ayent puifées dans nos divines -Ecri-
tures ? Ne font-ce pas plutôt ces pré-
cieux reftes de la Tradition , que rien ne
peut effacer ; des (étincelles de la raifon
& de la lumière naturelle , & qui font ,
comme dit Tertullien , le témoignage
d'une ame naturellement Chrétienne ?
Teftimonium animee natural'iter Chrijlianœ
(i\En un mot c'étoient ces divines fe- (,>Tert< &
mences des vérités éternelles,qui étoient tefi.*»im*
reliées dans le fond du cœur de l'hom-
me , de fon ancien état d'innocence , Se
dont Dieu étoit l'auteur auffi-bien que
des Livres faints. Non multum refert an à
Tome L £
p 8 La Mythologie & les Fables
Deo format a fit anima confcientia \ an liu
(Oïdem. terisDei(i).
!hid> On peut ajouter que les r ables ayant
pris naiïfance peu de fiecl.es après le De-?
luge , temps auquel les Traditions des
chofes , même arrivées avant Noé , é~
toier>t encore affez récentes , il y a bien
de l'apparence que ceux qui les fuivirent
ne manquèrent pas d'adopter quelques
traits de ces anciennes vérités ; ainfi le
Chaos, le Siècle d'or, & tant d'autres
Fables , font copiées d'après ce que ra-
conte Moyfe de la création , de l'état
d'innocence, & de cette communauté
où vivpient les premiers hommes. Mais
pour ce qui eft de ces rapports infinis que
(z)Aà. des le Père ThomafTm (2) , & après luiFAu-
^es- teur de YHomere Hebraifant , trouvent
à chaque page entre les Livres de Moy-
fe & ceux de cet ancien Poëte , je crois
qu'ils n'en ont vu un fi gr^nd nombre ,
que par la difpofition favorable où ils
étoient de les y appercevoir. Laiflbns
donc à la Grèce fes Héros & fon Heroïf-
jne , .& contentons-nous de dire que s'il
y a quelques Fables qui doivent leur ori-
gine à l'abus que les Payens ont fait de
l'Ecriture Sainte & de la Tradition , le
pombre n'en eft pas fi grand qu'on h
Kjrpit commuaeniçnt:.
Expl. par VHiJf. Li v. I. Chap. V. 99
* On ne fçauroit nier à la vérité que
Sanchoniathon n'ait fait allufion à THif-
toire des premiers hommes , quoiqu'il
Tait entièrement défigurée , comme j'ef-
père de le faire voir lors qu'il fera quef-
tion du Fragment de cet Auteur qu'Eu-
febe nous en a confervé ; mais cet Ecri-
vain qui vivoit avant , ou peu après la
guerre de Troye , Se qui n'a été connu
dans la Grèce que par la traduction de
Philon de Byblos , faite au temps d'Ha-
drien , a-t'il été le Précepteur d Hefio-
de & d'Homère , dans lefquels on trou-
ve tout le fond de la Mythologie Grec-
que ?I1 eft vrai encore que les Grecs ont
tiré la connoiffance de leurs Dieux , des
Phéniciens & des Egyptiens , par les
Colonies qui leur arrivèrent de ce pays ;
mais l'Hiftoire desPatriarches devoit être
bien obfcurcie du temps d'Inachus , de
Cecrops Se de Cadmus , l'Idolâtrie étant
alors répandue dans l'Orient depuis plu-
sieurs fïecles.. Difons cependant qu^on
ne manquera pas dans l'occafion , de rap-
porter le fentiment de ces Sçavans , afin
que le Ledeur , qu'on cherche à inflrui-
re dans cet Ouvrage, fans vouloir le con-
traindre de fuivre un fentimentt plutôt
qu'un qjitre , puiiTe être en état de juger
jui-même quel parti il doit prendre.
Eij
*00 La Mythologie & les Fables
Otmémt Une fource plus féconde Se plus favo4
fource. Vi- rable à Pintroduftion des Fables , c'eiî
gfnorance de iv i i?TT-n • • «
THirtoue an- ] ignorance de 1 Jtiiftoire ancienne , & de
môà* la Chronologie. Comme on ne commen-
ça que fort tard , fui>tout dans la Grèce,
à avoir l'ufage des Lettres , il fe pafla
plusieurs fîecles , pendant lefquelsle fouf-
venir des çvençmens remarquables , ne
fut conferyé que par Tradition , ou tout
au plus par quelques Monumens qui de*
venoient dans la fuite fort équivoques.
Lors même qu'on commença à fe fervir
de l'Ecriture , on n'écrivit pas d abord
des Hiftoires fuivies ; on compofa des
Eloges, des Cantiques , & quelques Gé*
pealqgies remplies de Fables , qui furent
dreiîees par les foins des Prêtres , ainfî
PLmTe°rycha- <ïu'on *'a déJa infinué(i) ; en forte qu'on :
pitrç. ne trouvoit par tout que confufîon ; &
même quand on voulait un peu appro^
fondir ces Hiftoires anciennes , après
qu'on étoit remonté jufqu'à trois ou qua-
tre générations , on fe trouvoit dans le
labyrinthe de PHiftoire des Dieux , où
Ton rencontrait toujours Jupiter, Sa-»
turne , le Ciel , & la Terre. Les Grecs
far-tout , ne fçavoient rien de plus fur
leur origine;c'étoitrlà qu'aboutiffoittou*
te leur Tradition , même parmi Jfs plus
r&ifoçnables ; ç^x les autrç§ publioien*
Expl.par PRift.LivJ. Chàp. V. iof
bonnement que leurs Ancêtres étoient
fortis déterre comme des champî nons,
ou des fourmis de la forêt d'Egine {a) ,
ou des dents du Dragon de Cadmus. Ce-
pendant comme ils vouloiént paffer pour
anciens , ainfî que la plufpart des autres
peuples, ils fe forgeoient une Hiftoire
fabuleufe , des Rois imaginaires , des
Dieux , & des Héros qui ne furent ja-*
mais : & lors qu'ils vouloiént parler
des premiers temps , dont ils avoient re-
çu quelque connoifTance des Colonies
qui ëtoient venues s'établir dans leur
pavs, ils ne faifoient que fubfïituer des
Fables à la vérité. S'il étoit queftion de
la création du monde , ils debitoient
celle du Chaos: s'agiiToit-il des premiers
inventeurs des Arts , au lieu d'Adam 3c
de Caïn , qui ont les premiers cultivé la
terre , ils en donnoient tout l'honneur à
Cerès & à Triptoleme. Pan félon eux ,
au lieu d'Abel, étoit le premier qui a-
voit mené la vie paftorale : Apollon
étoit l'inventeur de la Mufique% qu'on
doit attribuer à Jubal : Vulcain ave:
fes Cyclopes , paiTa pour celui qui
avoit appris à forger le fer & les metau c ,
[a] Qui rupo rebore nati ,
Cvmfofuique Mo mtiios kabut re farentes, Juvcn.
Sat. L
£iij
102 La Mythologie & les Fables
au lieu de Tubulcaïn : Bacchus fut che2
eux le Dieu de la Vigne, que Noé culti-
va : fubftituant à tous propos leurs Di-
vinités modernes , à la place des anciens
Patriarches , que FEcriture Sainte nous
apprend avoir été les premiers & les vé-
ritables inventeurs des Arts. 11$ étoient
de vrais enfans , comme le leur reproche
Anftote , lors qu'il s'agiïlbit de parler
des temps éloignés. Ils avoient même la
folie de croire que c'étaient leurs colon-
ies qui avoient peuplé tous les autres
pays > & ils tiroient les noms des diffé-
rents pays qu'ils connoïïbient , de ceux
de leurs Héros. Ainfi l'Europe prenoit
le fien d'Europe , fœur de Cadmus ; Y A-
fie , de la mère de Promethée ; la Libye ,
de la fille d'Epaphe ; l'Arménie , d'Ar-
menus ; la Medie , de Medus ; les Perfes,
de Perfée ; ainfi des autres , ne fçachant
pas que les premiers noms étoient don-
nés aux lieux où l'on venoit habiter 9
conformément aux qualités du pays , ou
aux mœurs & coutumes de ceux qui y
arri voient , comme le prouve le fçavant
c£DanSfon Bochart (i).Ainfi l'Europe , prit ce nom
de la blancheur de fes habitans ; les Cel-
tes , furent ainfi nommés à caufe de leur
cheveux blonds ; les Latins, parce qu'ils
étoient adonnés à la magie ; les Leftri-
Expl. par mijl. Liv.I. Chap. \ . îo}
Eons ; à caufe de leur férocité ; les Cre-
tois,pour leur adreffe à tirer de l'Arc ; les
Thraces , par leur nobleffe. Quelquefois
auflï le nombre d'animaux qu'on trouvoit
dans un pays , lui faifoit donner un nom
qui y faifoit allufion. Ainfi 1 Efpagne
prit le fiën des lapins dont elle étoit rem-
plie ; l'Ifle de Rhodes , des ferpens ; la
ville de Lyon , des corbeaux ; l'Ifle d 1-
care , des poiflons : quelquefois auffices
noms provenoient des bois & des forets
dont un pays étoit couvert , comme les
Pyrénées ; ou des pâturages , comme le
Parnafle : enfin des fruits qu'on y trou-
voit , comme Sais en Egypte , des oli-
viers qui y venoient en abondance : le
Portugal , de fon grand nombre d'aman-
diers : ou quelque fois des Volcans qui
fortoient des montagnes , comme le
Mont-Etna ; ainfi des autres.
Les moindres équivoques donnoient
lieu à une Fable. Plutarque dans la vie
de Licurgue , dit fur la foi d'un Ancien ,
qu'Apollon ayant donné à quelques Cre-
tois un Dauphin pour condu&eur , ils a -
lerent dans la Phocide , où ils bâtirent h
ville de Cyrrha : on voit bien qu'ils y fu-
rent conduits fur un Vaiffeau nommé le
Dauphin. Ce n'en: donc pas parmi les
Ecrivains Grecs , qu'il faut chercher 1 o?
404 La Mythologie & les Fattes
ngine des anciens Peuples , ni des autres
raonumens de l'Antiquité ; ils n'ont fait
que copier les Egyptiens & les autres
peupics d Or.ent,qm eux-mêmes avoient
rempli de Fables leur ancienne Hiftoire.
Lorfqu'il s'agiffoit de chercher l'ori-
gine des Villes & de leurs Fondateurs,
c etoït toujours quelque Héros , quel-
que fils de leurs Dieux qui les avoit bâ-
ties. La ville de Cyparifle dans la Phoci-
de , étoit environnée de cyprès <jui lui
avoient fait donner ce nom ; & celle de
JJaulis dans le même Pavs , étoit entou-
JîîSSé. tldchres $>* dont eûe avoit Pns le
m* Livre d.- fen->es origines etoient trop fimples ,
r.i.aie. ils aimoient mieux avoir recours à un
certain CyparifTûs , & au prétendu Ty-
ran Daulis , qui donnèrent leur nom à
ces deux V illes. Lycoreus avoit bâti cel-
le de Lycorée fur le ParnafTe , qui avoit
pris : fon nom de la quantité de loups qui
y étoient. On pourroit joindre ici un
nombre mfini d'autres exemples, mais
ceux-là fuffiient pour ce que je viens d'a-
vancer.
Celt donc dans l'Ecriture Sainte qu'il
faut chercher la véritable Antiquité :
les Hiftonens profanes ne commencent
qu'au temps d Efdras , c'eft-à-dire , du
dernier ELitonea facré , fi vous exceptes
*Expl par PW(l. Lir. t CrfA*. V. to$
ï Auteur des Machabées : Homère mê-
me & Hefiode , leurs plus anciens Poè-
tes & leurs plus grands Théologiens ,
n'ont vécu que long-temps après la guer-
re de Troye. Pour ce qui regarde Darès
Phrygien , Di&ys de Crète & quelques
autres , quand même ils ne feroient pas
des Auteurs fuppofés , comme ils le font
en effet , ils n'auroient vécu que vers le
temps de la guerre de Troye , époque
qui répond au temps des Juges ; & fe-
roient toujours bien profterieurs aux éve-
nemens dont parie Moyfe. Les Grecs*
n'étoient donc nullement instruits des
temps un peu reculés , & leur Hilfoire
ne commença à devenir raifonnable , que
du temps des Olympiades , avant lequel
Varron avoue qu'on n'y voyoit que
confuiîon & que chimère.
Mais pour éclaircir tout ceci , & fça-
voir en quel temps les Fables ont pris
naiflance , il faut diftinguer trois for-
tes de temps ; les temps inconnus , les
temps fabuleux , & les temps Lftori-
ques (ï). Les premiers , qui font corn- (ijjf^
me l'enfance & le berceau du monde -, a*> , Mv&J
comprennent ce qui s'eft paifé depuis le <*V*e***»ij
Chaos , ou plutôt depuis la création , for£^
jufqu'au Déluge d'Ogygcs ,. arrivé vers
Km 1 600» avant J. Cr Les temps fabu-
Ey
ïc6 La Mythologie & les Fables
leux renferment ceux qui fe font écoulés
depuis ce Déluge, jufqu'à la première
Olympiade , où commencent les temps
hifloriques. Il eft bon de remarquer que
cette célèbre divifion de Varron , ne re-
garde que THiftoire Grecque ; car non-
leulement les Ifraëlites , mais les Egyp-
tiens même, & les Phéniciens, avoient
connoiffance des temps les plus reculés ,,
par la Tradition & par des Annales y
quoique fouvent mêlées de Fables ; maïs
il ne s'agit ici que des Grecs , qui n'a-
voient qu'une connoiffance très-confufe
des premiers ficelés du monde ; & c'eft
dans Pefpace du fécond intervalle qu'on
doit placer l'origine de ce nombre pro-
digieux de Fables qu'on trouve répan-
dues dans leurs Poètes. Il faut avouer
cependant, que tous les fiecles des temps
fabuleux , n'ont pas été également fé-
conds en Fables & en Heroïfme : celui
fans doute d'où nous en eft venu la plus
grande quantité , a été celui de laprife
de Troye.
Cette célèbre Ville fut prife deux fois;
la première fois par Hercule , & 30. ou
£jy. ans après , c'eft-à-dire , l'an avant
Jeius- Chrift 1282. par l'Armée des
Grecs fous* la conduite d'Agamemnon,
Au temps de la première pnfe , on voit
ExpLparPHift.Livl.Cii'A?.V. Ï07
paroitre Telamon , Hercule , Thefée ;
Jafon , Orphée , Caflor & Pollux , Se
tous ces autres Héros de la Toifon d'Or,
A la féconde prife , paroiffent les fils ou
les petits fils des premiers , Agamemnon,
Menelaiis , Achille , Diomede , Ajax ,
He&or , Paris , Enée , &c. & dans lç
temps qui s'écoula entre ces deux épo-
ques , arrivèrent les deux guerres d^
Thebes où parurent, Adrafte , OEdipe ,
Etheocle , Polynice , Capanée / & tant
d'autres Héros , fujets éternels des Fa-
bles des Poètes. Heureux fiecle pour les
Poèmes & les Tragédies! Auffi les Théâ-
tres de la Grèce , ont il retenti mille fois
de ces noms iliuftres. On peut ajouter"
que. ceux de la France en retentiffent en-
core tous les jours ; enforte que les Hé-
ros de notre fîecle \ fouvent plus Héros
que ceux de l'Antiquité , n'ofent y pa-
roitre que fous des noms empruntés; Ce
n'eft pas là ce qui furprend le plus ; c'eft
de voir qu'on y fait paroitre tous les
jours les Divinités ufées du Paganifme ,
& que dans une Ville Chrétienne on
voye ces Divinités déplorables y donner
l'affreux fpeftale de leurs débauches : en-
forte: qu'on eft également feandalifé dy
voir l'ancienne idolâtrie paroitre avec
autant de pompe & d appareil , qu'on I*
£ vj
ioS La Mytholoçrie & les Fahlef
royoit autrefois à Rome & à Athènes ?
comme des leçons dangereufes qu'une
morale toute payenne infpire à la jeunef-
fe. Mais revenons à notre fujet.
Enfin l'Hifioire Grecque , jufques-là
fi fabuleufe , prit une nouvelle forme par
le retabliflfement des Olympiades : Ton
commença alors à placer les évenemens
fous leurs époques.
On ne convient pas trop du temps où
les Jeux Olympiques , qui y donnèrent
lieu , furent inftitués. Leur origine fe
trouve cachée dans la plus profonde obs-
curité : Diodore de Sicile dit feulement
que ce fut Hercule de Crète qui les infti-
tua , fans nous apprendre ni en quel
temps , ni à quelle occafîon ; mais l'o-
pinion la plus commune parmi les Sça-^
<i) Voyez vans ç^ efl. q.uerpeiops en fut l'Auteur,
Scahger après ^ (J T. ,/_ . r r>
Eufebe. oc que la première célébration en lut fai-
te dans FElide 4 la vingt-neuvième année
du règne d'Acrife y la trente quatrième
du règne de Sicyon , dix-neuviéme Roi
de Sicyone ; & pour concilier les épo-
ques profanes avec la Chronologie de FE-
criture Sainte , ce fut Fannée vingt-troî-
fiéme de la Judicature, de Debbora. A-.,
trée , fils de Pelops, les renouvella., Se
en ordonna la féconde célébration', l'an
avant J esus-Chkit 141 .8. Enfin Heto^
txpl par mifl. Liv.L Cet kv. V. iof
le , au retour de la conquête de la Toi-
fon d'Or , affembla les Argonautes fur
les bords du Fleuve Alphée près de la
ville de Pife dans l'Elide, pour y célé-
brer ces mêmes Jeux , en a&ion de grâce
de 1 heureux fuccts de leur voyage ;.&
Ton promit de s'y raiTembler au bout de
quatre ans pour le même iujet. Cepen-
dant ces Jeux furent discontinues , juf-
qu'à ce que Iphitus Roi d'Elide les réta-
blit 442. ans après , Tan avant 1 Ere.
chrétienne 777. La Grèce en fit fon épo-
que. & on ne compta plus que par Olym-
piades ; & depuis ce temps-là 1 Hiftoire
Grecque neft plus fî remplie de Fables.
Cette divifîon , comme je 1 ai déjà re-
marqué , nous vient des Grecs qui igno-
roient les Antiquités ; & ces mêmes temps,
qu'ils appellent ou inconnus ou fabuleux,,
font des temps fort connus lorfqu'on les
concilie avec THiftoire Sainte. &même
avec celle d'Egypte , & de plufieurs au-
tres peuples de i'Afîe , ce que les Sça-
vans n'ont pas négligé ; & c'eft ce qui
fait que Scabger.'vi' fe plaint fouvent , (0<5a».I6fi
& même avec des fentimensde douleur,
de ceux qui leur ont donné le nom de
Fabuleux , au lieu de celui d'Héroïques ,
qui leur conviendroit mieux, Diodore
de Sicile ,avoit dit avant lui 7 <jue quoi^
T I O La Mythologie & les faite f
qu'on ne puiiTe pas ajouter la même foi
à ce qu'on nous raconte de ces anciens
temps i qu'à ce qui fe païTe de nos jours ,
on ne doit pas pourtant regarder com-^
ine des Fables, tout ce qu'on en façon-.
te , puifqu'on y trouve les actions de ces
Héros qui font devenus fi célèbres.
• Quoiqu'il en foit , les Olympiades
Ont répandu une grande clarté fur le,
chaos de l'Hiftoire. Àuflî les Sçavans
leur ont des obligations infinies ; mais
perfonne , que je fçache , ne leur a té-
moigné fa reconnoiïfance avec plus d'af-»
fedion que le même Scaliger \ que nous
venons de citer. Il leur fait le plus joli
compliment , qu'un Sçavant puiiTe faire :
*> Je vous falue. dit-il , divines Olympia-
*> des , facrées dépofitaires de la vérité ;
» vous fervez à reprimer l'audacieufe té-
*> mérité des Chronologues ; c'eft par
=» vous que la lumière s'elt répandue dans
» FHiftoire ; fans vous , que de vérités
» feroient enfevelies dans les ténèbres der
s> l'ignorance ! Enfin c'efl par votre
» moyen que nous fçavons avec certitu-
» de , les chofes mêmes qui fe font pa&
» fées dans des temps fî éloignés (i).
Mais en voilà afîez pour cet article ;
venons à la treizième fource , qui efl ti-
rée de l'ignorance des langues»
Expi.parVHijl.Lw.l. Chap. VI in
CHAPITRE VI.
Continuation de la même matière.
Ignorance des Langues , fur-tout çJj*h%?
^ de la Phénicienne , a été aufli la gnorance des
fource d'une infinité de Fables. Ileftfûr Langues,
que les Colonies forties de Phenicie allè-
rent peupler plufieurs contrées de laGre-
ce ; fans doute que leur Langue fe mé-
loit avec celle des pays où ils alloient (a):
& comme la Langue Phénicienne a plu-
fieurs mots équivoques , les Grecs qui
dans la fuite lurent leur ancienne Hiftoi-
re , qui étoit remplie de phrafes Phéni-
ciennes , y ayant trouvé ces mots équi-
voques , ne manquèrent pas de les expli-
quer dans le fens qui étoit le plus félon
leur goût; Il ne faut pas douter même ,
que lorfqu'ils confultoient lesPheniciens,
qui connoifïbient le penchant qu'ils
avoient pour les fixions , ceux-ci ne leur
en ayent fouvent impofé. De là ont pris
nailîance une infinité de Fables : en voi-
ci plufieurs exemples , tirés pour la plu-
part deBochart*
(a) Bochart & VofTms ont prouvé fans réplique , que l'ai*
phabet queCadmus porta en Grèce , étoit Phénicien ; celui
dont on s'y fervoit écoit Pehfgien , & ilfc forma une Lan-
gue des deux.
ï't 2 La Mythologie & les Tables '
Le mot alpha, ou ilpha , dans la Lan*
gue Phénicienne , lignifie également un
Taureau , ou un navire : les Grecs au
heu de dire qu'Europe avoit été emme-
née fur un vaiffeau dans l'Ifle de Crète ,
publièrent que Jupiter changé en Tau-
reau l'avoit enlevée. Dans la même Lan-
gue des Phéniciens s'appelloient Hevéens,
ou Achiviens; & comme le mot Chiva
lignhe un ferpcnt, les Grecs l'ayant trou-
vé dans les Annales de Cadmus , débi-
tèrent que ce Prince avoit été changé en
ferpent. De même encore.du mot Sir.qui
veut dire un Cantique,ils ont fait la Fable
des Srencs.Eole n'a pafle parmi eux poul-
ie Dieu des vents & des tempêtes , que
parce que le mot Eol , ou Chol , lignifie
tempête. La Fable qui dit que le Vaif-
feau des Argonautes parloit , 5c que Mi-
nerve avoit employé au gouvernail un
des chênes de la Forêt de Dodone qui
rendoient des Oracles, tire aulïîfon ori-
gine d'une équivoque de la Langue Phé-
nicienne , dans laquelle le même mot li-
gnine parler , & gouverner un vaifTeau
h Fife°£ Î,r)-Du ™<*Moun, ou Mon, qui veut
Argonaute. """e vice , on a fait le Dieu Mornus , cen-
V'e -le -c feur deS defajts des hommes ■». La Fa-
*« Hefiode." ^le de la fameu fe Fontaine Caftalie , en
Beotie j tire aulli fon origine d'une équi-
ExpI.parrRîfl.Liv.l.CKAV. VI. il?
que : comme elle couloit avec un mur-
mure qui paroiffoit avoir quelque chofe
de fmgulier (à), &C que fon eau troubloit
l'efprit de ceux qui en buvoient , on
s'imagina d'abord qu'elle communiquait
le don de prophétie ; & quand il fut quef-
tion de jfçavoir d'où lui venoit cette ver-
tu , on inventa une Fable. Une Nymphe,
dit-on, fut aimée d'Apollon (i) ; comme ,, Lumî r
ce Dieu la pourfuivoit un jour , elle fe
jetta dans cette Fontaine : Apollon pour,
fe confoler de la perte de faMaîtrefTe,
communiqua à l'eau de cette Fontaine le
don de prophétie. Si les Grecs avoient
entendu la Langue Hébraïque , ils au-
roient bien vu que le mot Caftalie , vient ,
de Caftala , qui veut dire bruit (2) ; & ils (l) Bocfurfe
ne fe feroient pas jettes dans des Fables Cna«- i-L 11
ridicules , reflburce ordinaire de leur c' 1<s'
ignorance. On doit dire à peu près la
même chofe de l'origine de la fontaine
Hippocrene,qu'on dit que le cheval Pe-
gafe fit fortir d'un coup de pied fur le
mont Helicon , parce que le mot Pxgran
dont on fît Hippigrana & enfaite Hippo*
crtne , veut dire fortir de terre (£). La Fa-
(a) CafialiatjKefon ans liquide ; tde labitur utuLuV irç. in CiJi ce*
(b) Voyez BchmChari. ce; ideo Perfcfins labaUi-
1. i.c. 16. & M. le Clerc ntu^hinc naxa FabnU de foH-
fur Hefiode. De Pigran les te è terra editë eoui ungnU
Grecs ont fan i7çts-xkç1wvi çeratjf**
$4inquam ab eqno dedneia vb-
î 1 4 La Mythologie & les Fables
ble de la fontaine Arethufe & d' Alphée
fon Amant , qu'Ovide décrit û bien , n efi
fondée que fur une pareille équivoque.
Les Phéniciens étant arrivés en Sicile ,
voyant cette fontaine environnée de Sau-
(0 Bcchart. leS.' k ^^nt peut-être Alphaga ,
chan. i. u qui veut dire , la fontaine des Saules (î).
*«»« Les Grecs qui abordèrent enfuite dans
le même lieu , n'entendant pas la fignifi-
(2) il ccuie Cation de ce rTlot 5 & fe fouvenant de leur
a»$r£iide.ie fleuve Alphée (2), s'imaginèrent que
puifque la fontaine & le fleuve avoient à
peu près le même nom , il falloit qu'ils
euïTent la même origine ; & là deffus t
quelque bel efprit compofa le Roman des
Amours du Dieu du Fleuve , avec la
Nymphe Arethufe. Prefque tous ks His-
toriens enfuite furent la dupe de cette
Fable , & dirent que F Alphée traverfoit
la mer, & alloitrefTortirdansriflede Si-
cile, près de la fontaine d'Arethufe (a).
Une même racine Phénicienne du mot
fiahhafch pouvoit fîgnifîer également j
ou un Gardien , ou un Dragon : dès
qu'on lifoit une Hiftoire où ce mot fe
rencontroit , pour marquer le gardien de
quelque choïe précieufe , on ne man-
quoit pas de dire que c'étoit un Dragon.
W Bochart croit que le mot Arethufe vient du mot Phc*
Oicien Arith , <jui veut dire ruiflèau.
ExpLparPHift.Liv.I.CHkV.VI. iij
De là toutes ces Fables des fameux Dra-
gons , par lefquels on fait garder le Jar-
din des Hefperides , la Toifon d'or ,
l'antre de Delphes, & la fameufe fontai-
ne de Thebes : au lieu d'y mettre des
hommes , on y a mis des monftres ; & ce
qui a autorifé la liberté qu'on fe donnoit
de prendre dans cette fïgnification le mot
Phénicien , c'eft que pour être le gar-
dien d'une chofe précieufe , & veiller à
fa confervation , il faut être vigilant &
clair-voyant ; ce que les mots Grecs J>/*
^gi'««, fignifient(».Voilà ce qui a trompé
fouvent Palephate , Diodore , & quel-
ques autres , qui pour expliquer ces Fa-
bles en ont fubftitué d*autres en leur pla-
ce , & ont introduit des perfonnages à
qui ils ont donné le nom de Draco. De
même quand les Poètes difent que les
Dieux épouvantés par les menaces des
Géants , fe revêtirent en Egypte de la
figure de plufïeurs animaux (i), cela n'eft MJtl)L°v*
fondé que fur des allufions aux nomsPhe-
niciens ou Hébreux , qui donnèrent oc-
cafion à ces Fables. C'eft ainiî , pour me
fervir d'exemples , qu'on ne fçauroit COn-
fc) Le Clerc fur Hef. p le eft eamdem vocem Phenicik
63. ces mots, dit cet Auceur. lingua. (7 feront em CJ <"«/?»•
viennent à'v^o/u.eq & fof demjîgnificajjc.
k &p aj videre* Igitur aedibi-
4 16 La Mythologie & les Tables
teftpr que le Dieu Anubis fut change elf
chien , parce que nobeah fîgnifie aboyer :
Apis en bœuf, parce que abïr veut dire
un bœuf: Venus en poiïfonrJunon en va-
che, parce qu' Ajtarot qui étoit le nom de
Junon , fîgnifie des troupeaux : & Dag ,
qui étoit celui de Venus , ou Aftarté ,
veut dire un poiflbn. Je pourrois rap-
porter ici une infinité d'autres exemples ;
mais i'efpere dans la fuite en donner tant
de preuves, que je convaincrai les plus
incrédules.
Il me refle à prouver maintenant , que
non-feulement les équivoques des Lan-
gues Orientales ont donné lieu à une in-
finité de Fables , mais auffi celles de au*
très Langues.
Les mots équivoques de la Grecque ,'
par exemple , en ont produit un grand
>&!•>. nombre. De crias (i) , qui étoit le nom
du Gouverneur des enfans d'Athamas,
& qui fïgnifioit unbelier,ik ont compofé
la Fable du Bélier à la Toifon d'or , com-
me nous le dirons plus au long en l'expli-
quant. Ils ont changé de même Lycaon
en loup , parce que fon nom efi le même
que celui de cet animal. Ils ont publié
que Cyrus avoit été nourri par une chien-
ne , parce que la femme du Bouvier
d'Aflyage , qui le nourrit, s'appelloit eif
ExpLparrHift.Livl.Cnkv.Vl. rij
^rec Cyno ( I ) , & dans la Langue des (,) <&i <&
Medes Spaco , noms qui veulent dire »»f#V
chienne ( 2 ). Que Venus étoit fortie (2) Hcrod&
de l'écume de la mer , parce que Aphro- 1 *•
dite y qui étoit le nom qu'ils donnoient
à cette Déeffe , fignifîoit de l'écume.
Que le Temple de Delphes avoit été
conftruit avec de la cire , -& les ailes des
abeilles qu'Apollon avoit fait venir des
pays Hyperboréens , parce que Pte-
ras (3) dont le nom veut dire une plu- /-x^ft*
me , en avoit été l'Architecte. On doit o^Unna.
dire la même chofe des autres Fables,
où l'on trouve que quelques enfans ont
été nourris par des Chèvres , comme
/Egifte ; ou par une Biche , comme
Telephe , fils d Hercule , parce que
leurs noms répondent à ceux de ces ani-
maux.
Mais pour donner plus de vrai-fem- Quatottî*
blance à toutes ces origines , ileftbon mer°wce.
de faire voir en peu de mots , & par des
exemples inconteftables , que la plupart
des Fables des Grecs venoient d?Egyp«
te & de Phenicie.
Les Grecs ne font pas à beaucoup
près fi anciens que les autres peuples
d'Orient. Les Arts & la politeife rc-
gnoient en Egypte , lorfque les peuples
4'Occident vivoiçnt encore dans unç
i ï8 La Mythologie & les Fallet
brutale groflïereté : c'étoit par les Co*
lonies qui fortoient d'Orient , qu'ils ap«
prenoient à bâtir des Villes , à vivre en
focieté , & à s'habiller. C'eft delà que
venoient les cérémonies de la Religion,
le culte des Dieux , & les facrifices. On
n'en fçauroit douter après le témoigna-
ge formel des plus anciens Auteurs. Les
Fables étoient mêlées avec la Religion,
elles en étoient le fondement : c'étoit la
Fable qui avoit introduit ce grand nom-
bre de Dieux qu'on avoit fubftitué à la
place du véritable; ainfi en apprenant
. . la Religion des Egyptiens, les Grecs
apprenoient auiîi leurs Fables. Il eft
certain , par exemple , que le culte de
Bacchus étoit formé fur celui d'Ofïris;
L. i. Diodore le dit en plus d'un endroit (i).
Les repréfentations obfcenes de leur
Hermès & de leur Priape , n'étoient-el*
les pas les mêmes que le Phallus des
l.z. Egyptiens? Hérodote (2) a beau dire
que c'étaient les Pelafges qui leur a-
voient appris ces myflerieufes infamies :
les Pelafges , tout anciens qu'ils étoient
dans la Grèce , étoient modernes en
comparaifon des Egyptiens ; & comme
ils étoient vagabonds , quelqu'un d'eux
pouvoit être forti d'Arcadie , qui étoit
leur première habitation, & avoir voya*
Expl.parPHifl.Liv.ï.CHA*.VL 119
gé en Egypte. Cadmus & Melampe
avoient apporté ce culte dans la Grèce ;
& le premier ne fouffrit tant de per-
fecution , jufqu'à être chafle de (on
Royaume , que pour s'être oppofé aux
innovations qu'on avoit introduites dans
les Fêtes de cette ancienne Divinité.
Tel étoit le génie des Grecs ; ils chan-
geoient & les noms & les cérémonies
des Dieux d'Orient , pour faire croire
dans la fuite qu'ils étoient nés dans leurs
pays ; comme nous le voyons dans cet
exemple , dans celui d^Ifîs qu'ils appel-
aient Diane , Se dans une infinité d'au-
tres. La Fable deDerceto , oud'Ater-
gatis , n'eft-elle pas la même que celle
de Dagon ? Les Qrecs n'ont-ils pas com-
pofé ce nom de ceux $ Adir Se $Agony
grand poifTon ? comme Selden le dé-
montre ( 1 ) : & n'eft-ce pas pour cela (x) &&%
qu'Ovide dit que Derceto fut changée 4W' > 4>»' *•
en poiflbn ? La Fable de Venus Se d'A- c' 3*
donis n'étoit-elle pas originaire de Sy-
rie ? Et lî Ton publia que cette Déefle
étoit fortie de la mer , c'eft que fon culte
étoit paile des côtes de Syrie en Chy-
pre , de là à Cythere , Se enfuite dans
la Grèce. Io changée en vache , n'eft-
elle pas la même qu'Ifis adorée par les
(Egyptiens fous la figure de cet animal j?
1 10 La Mythologie & les Fables
{i) inifide. Et lî , félon Plutarque ( i ) , il y avoït
une ancienne Tradition qui portoit que
cette Déeffe avoit été métamorphofée
^ en Hirondelle , n'eft-ce pas , comme le
(2) Deani- remarque Bochart (2) , parce que dans
ÎMip.P' Z% ^es Langues d'Orient , Sis fignifie une
Hirondelle ? La Fable d'Arachné chan-
gée en Araignée , ne vient-elle pas de
FHebreu Arag , qui veut dire filer ? ter-
me que l'Ecriture employé pour les toi-
les mêmes que les Araignées filent. Cel-
le d'Efculape , nourri par une Chienne,
ne vient-elle pas de Phenicie ? Et quand
Sanchoniathon ne le diroit pas expreffé-
ment , ne verroit-on pas qu'on a com-
pofé ce nom & cette Fable de deux mots
Hébreux , Is Calibi , Vit Canin us , d'où
les Grecs ont fait leur Afclepos y & les
Latins leur Efculape ? Pourquoi , je
vous prie , difoit-on que Diane avoit
été changée en chat , finon parce que
(3) L. 2. cette DéeiTe , félon Hérodote (3), étoit
appellée en Egypte Bubafle y qui veut
dire un chat dans la Langue du pays ,
(4) in vue comme nous l'apprend Stephanus ( 4 )•
php* Le Mercure des Latins, l'Hermès des
Grecs , & le Teutat des Gaulois n'étoit-
il pas la copie de l'ancien Thot des
Egyptiens ? Tout l'attirail des Fables
que les Poètes mêlèrent dans UurAdès,
£9
Expl.par rHtft.LivJ.Cnkv.VÏ. rat
fcn un mot tout leur fyftême Poétique
de l'Enfer , ne vèhoit-il pas des Egyp-
tiens ? Diodore de Sicile ( i ) & Por- d)Lib. r;
phyre ( 2 ) le difent formellement , & (*) L&. &
nous le proverons fort au long dans la ^ ^
fuite. Pythagore n'avoit~il pas puifé
chez ce même peuple les rêveries de la
Métempfycofe , Se Homère la Fable des
Métamorphofes de Protée ? J'en pour-
rois rapporter encore plufieurs autres ;
mais en voilà plus qu'il n'en faut pour
prouver que le plus grand nombre des
Fables des Grecs & des Latins venoienc
d'Egypte & de Phenicie : que Bochart
êc quelques autres ont eu raifon d'en
chercher fouvent le dénouement dans
îes Langues Orientales ; & que fi on a
de la peine à les reconnaître , c'eft que
les Grecs qui avoient un penchant infini
pour les fixions , & qui d'un autre cô-
té vouloient pafTer pour anciens , aimant
mieux rapporter leur origine aux four-
mis de la forêt d'Egine , ou aux dents
ch^ Dragon de Cadmus , que de recon-
îioître qu'ils defeendoient des Peuples
étrangers , changeoient tout dans les
Fables , les noms , les avantures , & les
cérémonies de la Religion ; voulant fai-
re voir par là , que tout avoit commen-
cé parmi eux , & qu'ils n'étoient rede*
Tome L * Ç
122 La Mythologie & les Tahks
vables à aucun Peuple , ni de leufg
Dieux , m de leurs Héros. C'eil pour
cette raifon fans doute , que l'on trouve
dans les Poètes Grecs les Fables Egyp-
tiennes fi défigurées , qu'il feroit diffi-
cile fans le fecours des Langues , d'en
pouvoir découvrir l'origine ; & qu'il y
a tant de différence entre ce que Dio-
dore & Plutarque difent d'Ifîs & d'Ofi-
ris après les Prêtres d'Egypte , & ce que
les Poètes difent d'Io , de Bacchus &
de Diane , qu'on feroit tenté de croire
<[ue ce ne font pas les mêmes Divinités.
On a donné dans le premier Chapi-
tre des règles & des exemples pourcon-
noître en général , les Fables Orienta-
les , les Grecques & les Latines. Ce fe-
roit ici le lieu de dire en quel temps ont
commencé les Fables ; mais il eft impo£«
jible d'en fixer au jufte l'époque : on feait
feulement qu'elles font très-anciennes,
puifque nous les trouvons dans ce qui
nous refte de plus ancien dans l' Anti-
quité profane ; à quoi on peut ajoute*
*que la manière différente dont les racon-
tent les premiers Poètes , efl une preuve
inconteftable qu'elles étoient répandues
•avant leur temps , parmi les peuples
-dont apparemment elles contenoient
l'ancienne Tradition. Mais pour dire
Expl. pœrVHlJÎ JLiv.I.Cïiav.VL 12%
Quelque chofe de plus précis, je crois
que û avant le Déluge , les Fables n'ont
pas corrompu la Religion de Caïn&de
fa famille , ainfi que l'idolâtrie avec la-
quelle elles paroiffent fî naturellement
liées , elles ont du moins pris naifTance
peu de temps après , dans la famille de
Cham , & de Chanaan fon fils , pre-
miers auteurs de l'idolâtrie. Ainfî on
doit regarder la Phenicie & l'Egypte
comme le premier Théâtre des Fables,
d'où elles pafTerent avec les Colonies en
occident , & dans la Grèce fur -tout,
où elles multiplièrent infiniment , les *
Grecs ayant un génie porté aux fî&ions.
De la Grèce elles pafTerent en Italie, ôc
dans les autres pays.
Il efl confiant qu'en fuivant un peu
l'ancienne Tradition , on découvre ai-
fément que c'eft là le chemin de l'idolâ-
trie & des Fables , qui ont toujours
marché enfemble. Qu'on ne s'imagine
donc pas qu'Homère &Hefiode font le*
inventeurs de ces Fables : l'idolâtrie
étoit plus ancienne que ces deux Poètes,
& par confequent les Fables , qui y font
nécefTairement enchaînées , Tétoient
auflî. Les Poètes fqui avoient précédé
ceux que je viens de nommer, en avoient
apparemment rempli leurs Ouvrages , <5j
Fij
ï*4 ^ Mythologie & les Fables
je ne doute pas qu'Homère n'ait eu des
modèles qu'il a imité. La Poëfîe Grec-
que auroit-elle commencé par des Chefs-
d'oeuvres ? Il y avoit eu fans doute avant
lui des Poètes , qui avoient traité le fu-
jet de la guerre de Troye , & qui avoient
fait des lliades , où apparemment le com-
merce des Dieux avec les hommes , &
les autres Fables , regnoient comme
dans l'Iliade & l'Odyfïee ; car il ne faut
pas croire que les Dieux de la Grèce
doivent leur origine aux Poèmes d'Ho-
mère & d;Hefiode. Ces deux Poètes ,
& ceux qui les ont précédés , avoient
fuivi dans leurs Ouvrages les principes
de la Théologie de leurs pays , dont
le fyftême avoit été formé dès le temps
de Cecrops qui établit dans la Grèce le
culte des Divinités d'Egypte & de Phe-
nicie , comme il paroît par le témoigna-
ge des Anciens , ainfi qu'on peut le voir
(0 Dans le dans Saint Epiphane ( i ). Les autres
Liv.i. de fes Chefs de Colonies , tels queCadmus,
lwcfo,$.7. qui porta en Grèce les myfleres de Bac-
chus & d'Ofiris , fuivirent la même mé-
thode ; or ces Chefs de Colonies étoient
tous antérieurs de plufieurs fiécles à ces
deux Poètes. Mais pour tout dire en
un mot, k Poëfîe Grecque n'eft qu'une
ôopie de cette ancienne Poëiie fi con-
JExpLparPHîfi. Liv.I.Chap.VL 12 f
ïluë en Orient, & que Moyfe a fi heu-
reufement employée dans ces admira-
bles Cantiques , où il célèbre avec tant
de majefté les vi&oires du Dieu des Ar-
mées fur les ennemis des Hébreux ; <fc
peut-être même que c'efl ce commerce
facré du Dieu d'Ifraël avec fon peuple,
que fait fî fouvent fentir ce faint Legif-
lateur , qui a donné lieu dans la fuite aux
Poètes , de mêler à tous propos leurs
Dieux avec les hommes , n'ayant pas fçu
expliquer autrement cette divine Provi-
dence qui règle les évenemens , & qui
paroît dans ces divins Cantiques fi rem-
plie de foin & de follicitude. Ainfî les
premières vérités ont donné occalîon
aux Fables les plus anciennes, qui fe
font enfuite multipliées au gré du génie
des peuples qui les ont adoptées.
Il eft bon de remarquer encore , que
les Fables qui fortirent de la Phenicie
& de l'Egypte, ne prirent pas toutes la
route d'Occident , je veux dire de la
Grèce & de l'Italie; il y en eut beaucoup
qui paflerent dans les Indes- avec les Co-
lonies qui allèrent s'y établir ; & c'eft ce
qui fait qu'il y a peu de pays où l'on
n'ait trouvé une Tradition du combat
des Géants , & de la Guerre qu'ils firent
$ux Dieux, comme on le peut voir dans
1 26 La Mythologie & les Fables
plufieurs Relations (a). On trouve en-
core dans les pays les plus éloignés plu-
sieurs veftiges des anciennes Fables , où
elles ne font pas même allez défigurées,
pour n'être pas reconnues; ce qu'on doit
penfer aufli de l'idolâtrie de ces Peuples,
qu'on voit bien , malgré les changemens
qu'on y a faits , être la fuite de l'ancien-
ne , qui fut portée dans les climats éloi-
gnés avec les Colonies. Sur quoi on
peut confulter l'Ouvrage du P. Laffi-
teau j pour ce qui regarde les Sauvages
de l'Amérique , dont les mœurs , félon
lui , reffemblent à celles des premiers
hommes. Mais il eft temps de palier à
une autre fource.
Comme dans ces premiers temps l'art
de la Navigation étoit peu perfection-
né : & qu'on ne fçavoit guère bien la.
Géographie , les voyages de mer étoient
fort dangereux. Lorfqu'on vint enfuite
à faire des Relations de ces voyages ,
on y mêla plufîeurs Fables : on ne parla,
par exemple , de l'Océan que comme
d'un lieu couvert de ténèbres , où le
Soleil allqit fe coucher tous les foirs
( a ) Voyez ce que M. de Malabar , Se des pays voU
Dellon en a écrit dans fon fins : Se ce que le Père Laffi-
troisième Tome des Divinx- teau en a dit dans fes mœurs
tés qu'adorent les peuples des des Sauvages. T» iv
Indes j fer tout fur les cotes
Èxpl. par PHifl. Liv.I. Chap.VL 127
dans le Palais de Tethys (a).
Les Rochers qui compofent le Dé-
troit de Scylla & de Charybde , pafle-
rent pour deux monftres qui engloutif-*
foient les vaifTeaux. On publioit que les
Symplegades ou les Cyanées , qui font
à Tentrée du Pont-Euxin , s'entreheur-
toient pour engloutir les navires qui y
pafïbient. On regardoit les Cimmeriens,
comme un Peuple enfeveli dans des té-
nèbres éternelles : les Arimafpes & les
IfTedons, comme des hommes qui n'a~
voient qu'un œil : les Hyperboréens,
comme des gens qui vivoient mille ans
fans chagrin, fans maladie, &fansref-
fentir aucune des incommodités de la
vie. Ici , il y avoit un peuple couvert
de plumes; là, dés hommes fans tête,
ou Acéphales; des Cynocéphales, ou:
hommes à tête de chien ; d'autres , dont
les oreilles pendoient jufqu'aux talons ;
d'autres enfin qui n'avoient qu'un pied,
car c'efl ce que xontenoient les Rela-
tions des Indes & du Nord : partout des
monftres effroyables qu'il falloit domp-
ter. Si quelqu'un alloit dans le Golphe
de Pcrfe , on publioit qu'il étoit allé juf-
(a) .... Tarte fis JltbnUnti confcU Photbo ( i ). L(l) SiUtal*
freferat tccidHHS Tartefut tittWA PhaLs '( z\ # ? ^Z\ °Virl#
_F iiij
Met. L. i$.
ï 28 La Mythologie & les Fables
qu'au fond de FOrient , & au pays oà
Y Aurore ouvre la barrière du jour. Parce
que Perfée eut la hardiefle de fortir dw
détroit de Gilbraltar pour aller jufqu'aux
Ifles Qrcades , an lui donna 3e Cheval
Pegafe , avec Féquipage de Pluton &
de Mercure , comme s'il avoit été im-
pofïîbîe de faire un û long voyage , fans
quelque fecours fumaturel.
Que de Fables ridicules , que de fic-
tions puériles ne trouve-ton pas dans le
faux Orphée , dans Apollonius de Rho-
des , au fujet du retour des Argonau*-
tes ; combien de Pays & de Peuples in-
connus , ne leur font-ils pas rencontrer
dans ce voyage chimérique ? Qui eft-ce
qui peut dire où étoient les Cimmeriens
d'Homère , & FIfle de Calypfo ?
SemAïte &• On peut ajouter à toutes ces fources,
^ermere four- je fQ'm qU>on a pris fou vent de fauver
tendus com- Fhonneur de pluiieurs femmes* Lorfque
gerces des quelque Princeiïe avoit eu de la foiblefTe
pour fon Amant , les flatteurs ne man-
quoient pas d'appeller au fecours de fa
réputation quelque Divinité favorable :
il falloit que ce fût un Dieu métamor-
phofé , qui eût triomphé de Finfenfîbi-
lité de la Belle ; on fauvoit par là fa ré-
putation , & ces fortes de galanteries,
bien loin d'être diffamantes r étoxçfifi
JZxpLp.tr PHijl.Liv.L CdAP.VL 129
très -honorables. Il n'y avoit pas jus-
qu'aux époux trop faciles , qui ne les
favorifaffent ; & l'hiiloire de Pauline ôc
de Mundus , n'eft pas le feul monument
qui nous refte de la fotte crédulité des
maris. Mundus , jeune Chevalier Ro-
main , étoit devenu amoureux de Paur
line , & ayant employé inutilement tous
les moyens de la rendre fenfible , il s'a-
vifa de gagner les Prêtres d'Anubis , qui
firent fçavoir à Pauline que ce Dieu étoit
amoureux d'elle ; Pauline fut le. même
foir conduite dans le Temple par fou
mari. Quelques jours après , Mundus
qu'elle rencontra par hafard „ lui déclara
le fecret. Pauline au defefpoir s'en plai-
gnit à Tibère , qui tout Tibère qu'il,
étoit , fît Brûler les Prêtres d'Anubis ,
traîner fa Statue dans le Tybre , & fit.
exiler Mundus (i> _ : fi) Jb*fp&
Il efl fur qu'une infinité de Fables. Ant; l *«*
tirent leur origine de cette fource. Cel-
le de Rhea Silvia , mère de Remus $C
Romulus , en eft une preuve (2). - Amu- /*) .r>en,
lius fon oncle entra dans fa cellule , Se a^rS^.
Numitor fon père , fit courir le bruit i-iii*»-!*
que les deux enfans qu'elle mit au mon- ?e" L' lm
de avoient . pour père le Dieu de la
Guerre. Souvent même les Prêtres étant:
amoureux de quelque femme, luia*ï-
Fy
«30 La Mythologie & les Fables
nonçoient qu'elle étoit aimée du Dieœ
qu'ils fervoient , & elle fe préparoit à
aller coucher dans le Temple , où les
parens la conduifoient avec cérémo-
nie (i). A Babylone une femme , de-
celles que Jupiter-Belus avoit fait choi-
fîr par fon Prêtre , alloit coucher dans
fon Temple. De là ce grand nombre
<i'enfans qu'on donne aux Dieux.
CHAPITRE VIL
Dans lequel on recherche Vorigtne des
Metamorphofes d ) Ovide y & de quel*
ques autres Poètes*
POUR ne rien laifTer à délirer fur Po~
rigine des Fables , il faut ajouter à
ce que nous avons dit dans les Chapi-
tres precedens , que prefque toutes cel-
les qui fe trouvent dans les Metamor-
phofes d'Ovide , d'Hyginus , & d'An*
toninus Liberalis , ne font fondées que
fur des manières de s'exprimer figurées
& métaphoriques : ce font ordinaire-
ment de véritables faits , aufquels on a
ajouté quelque circonflance furnaturelle
pour les embellir. La vie retirée , par
temple > que menereAt en Illyrie £ad*.
ExplparrHift.Liv.LCHAT.YIL 131
mus & Hermione , après avoir été chaf-
fés du Trône de Thebes , donna fans
doute lieu à les faire changer en Ser-
pens ; furtout à l'aide des équivoques,
dont nous parlerons dans leur hiftoire.
La cruauté de Lycaon , qui immoloit
des vidâmes humaines à Jupiter Ly»-
caeus , Ta fait metamorphofer en loup.
Céyx & Alcyone ont été changés en
Alcyons , pour nous donner une idée
d'un amour parfait entre deux époux.
Quand quelque PrincefTe mouroit dç
douleur de la perte de fonmarioudefes
enfans , le dénouement de l'Elégie qui
étoit compofée à ce fujet:, étoit de la
changer en Fontaine ou en Rocher. L'a-
drefTe & l'agilité de Periclymene , frère
rie Neftor , qui fut tué par Hercule , ont
fait dire que ce jeune Prince prenoit tou-
tes fortes de figures , & qu'il fe chan-
gea en Aigle. On doit penfer de même
de Protée , de Thetis , & de Metra fille
d'Erefi&on. Si quelqu'un fe rendpit haï& ■
fable , comme Afcalaphe , on le chan-
g^oit en Hibou. La ftupidité de My«*
das , ou peut-être l'excellence de fon *
oùie , lui ont fait donner des oreille* s
d'âne. On dit qu' Amphion bâtit les mu-
railles de Thebes au fon défa Lyre , par-
ce qu'il fut aflez éloquent pour perfua-^
F vi
% 3^ La Mythologie & les Fables
der à un peuple barbare \ de bâtir une'
ville pour y vivre en focieté : qu'Or-
phée charma les Tygres & les Lions , Se
rendit les arbres & les rochers fenfibles
à fes accords , parce qu'il étoit fî infi-
rmant & perfuafif , que rien ne pouvoit
Tefîfler à la force de fon éloquence. Au
lieu de dire que quelqu'un étoit guéri
«d'une maladie defefperée , comme Hy-
polite -, on publioit qu'il étoit reffufeité ;
& le Médecin qui en avoit pris foin r
étoit toujours Efculape;
Quelquefois la reffemb lance des noms
donnoit lieu à la metamorphofe : ainiï
furent changés Picus en Pivert , Gygnus
en Cygne , Hierax en Epervier , Alo-
pis en Renard , les Cercopes en Singes;
Enfin on trouve des Fables , dont le fon*
dément eft le fruit de l'imagination de3
Poètes : ainfi pour nous apprendre que
•Cephale fe levoit de grand matin pour
aller à la ehafiè , on publia que l'Au-
Tore, qui en étoit amoureufe , venoit
l'enlever : qu'Hebé , Déefle de la jeu-
nefle j avoit rajeuni Iolas compagnon
d'Hercule ', parce qu'il vécut très-long
temps , & qu il eonferva fa vigueur juA
qu'à une extrême vieilleffe : que Gères
avoit aimé Jafion , pa?ce qu'il avoit per-
fectionné l' Agriculture , dont cet»
Expl.parPHiJl. Liv.I. Chàp.VÏI. 13 J
♦DéefTe avoit appris l'ufage à la Grèce :
que Diane venoitvifïter Endymion dans
les montagnes de la Carie, parce qus
ee Berger s'y appliquent à eonfiderer les
cours de la Lune; ainfi des autres.
On en trouve qui ne font que des
deferiptions métaphoriques de quelques
effets naturels ; ainfi: les amours d'A-
pollon & deDaphné, marquent laver-
dure perpétuelle du Laurier , appelle
Daphné par les Grecs. Enfin on doit
penfer que toutes les metamorphofes
qu'on attribue à Jupiter & aux autres
Dieux , n'étoient que des fymboles qui
nous marquoient les moyens dont les
Princes qui portoient ces noms , s'é^
toient fervis pour feduire leurs Maîtref-
fes. Ainfi l'or dont fe fervitPretus pour
tromper Danaé , fit dire qu'il s'étoit
changé en pluye d;or; ou bien, com-
me le remarque Eufîathe ( 1 ) , ces pré- (1 ) Sur te
tendues< metamorphofes n'étoient que J|^/' dcl^
des Médailles d'or , fur lefquelles on
les voyoit gravées , & que les Amans-
donnoient à leurs MaîtrefTes ; prefens*
plus propres par la rareté du métal & la*
finefTe de la gravure , à rendre fenfiblesr
les femmes , que de véritables metamor-
phofes.
JI efl nçcdîkije de remarquer ava«t
ï 34 La Mythologie & les Fables
que de finir cet article , qu'il n'y eut ja*
mais de Pays plus fertile en Fables-, que
la Grèce. Peu contente de celles qu'elle
avoit reçues d'Orient , elle en inventa
un nombre infini de nouvelles. Pour
s'en convaincre , il n'y a qu'à examiner
l'immenfe Recueil qu'Ovide en a fait,
£c on verra que de XV. Livres que com-
prend fon Ouvrage des Métamorpho-
ses , il y en a près de XIII. qui ne font
compofésque de Fables Grecques. J'ai
donné dans le premier Chapitre des rè-
gles & des exemples pour les distinguer.
La Langue dans laquelle elles paroif-
fént avoir été compofées , eft la plus
fûre. Si les noms font tirés des Langues
de l'Orient ., elles font étrangères à la
Grèce ; & s'ils font Latins , elles doi-
vent être regardées comme originaires
d'Italie. Or fur ce principe , il y en a
peu dans les Metamorphofes d'Ovide ,
qui ne foient Grecques d'origine ; car
fî vous exceptez celles du Chaos , de la *
formation de l'homme ; des compagnons
de Cadmus , fortis des dents du Serpent ;
celles de Derceto changée en poiflbny-
de Semiramis en colombe , de Pyrame
& de Thisbé , d'Ino & de Melicerte,
de Cadmus & d'Hermione , de Medufe,
4' Atlas ; d'Andromède } de Cer.ès , d'Aftr
Expl.parPHifl. Liv.LChap.VIL 13 $
Calaphe , des Dieux cachés en Egypte*
de Minerve , de Protée , de Byblis , de
Memnan , des Cabires , & peu d'au-
tres ; & celles enfin qui comprennent la
moitié du XIVe. Livre & le XVe. qui
Jbnt vifiblement compofés de Fables
purement Latines, toutes les autres font:
Grecques d'origine, comme.il efl aifé:
de s'en convaincre.
Telle efl l'origine de la plupart des
Fables ; & quand on n'en trouve pas
le dénouement dans les fources que j'ai
rapportées , on le trouve aifément dans
ces métaphores.-
Mais après avoir découvert les four- -
ces de tant de Fables particulières , il
faut remonter encore à une fource plus
éloignée , & donner THiftoire des Cof-
mogonies & des Théogonies des an-
ciens Peuples ; c'eft-à-dire , la manière
dont ils ont conçu l'origine & la forma-
tion du Monde , & les générations de
leurs Dieux : c'efl là principalement
qu'on verra à combien d'erreurs l'hom-
me eft livré , lorfqu'il n'a pour guide
gue fes feules lumières.
LIVRE SECOND,
Des différentes Théogonies dont f Anti-
quité nous a confervé la cotinoijjan*
ce 3 ou Sentiment des- Anciens , fut
ï origine du Monde & des Dieux.
Omme l'opinion des An-
ciens fur l'origine des Dieux,
étoît toujours mêlée avec cel-
le de l'origine du Monde ,
ainlî qu'un Sçavant Anglois l'a fort bien'
obfervé (ï) , & comme il eft aifé de le
juger par le fragment célèbre de San-
choniathon -, je me vois obligé d'expli-
quer également dans- ce Livre, leurs
Cofmogonies ôc leurs Théogonies,
Ceux qui ne connoiffent la Mytho-
logie que par les Ouvrages des Grecs
& des Latins , foit en vers ou en profe,
s'imaginent que le premier des deux
Peuples que je viens de nommer , eft
Éxpl.par PRift. Liv. II. Chàp.L 137
Fauteur & l'inventeur de ces erreurs
monftrueufes qui compofoient leur Re-
ligion, & de tous les Dieux qu'ils ado-
roient. Mais il eft certain que les Grecs
étoient modernes , eu égard aux Pen-
pies d'Orient ; que leur Pays a été peu-
plé tard , & que ce font les Colonies
venues de Phenicie & d'Egypte , qui y
apportèrent leur Religion , leurs céré-
monies & leurs myfteres. Ainfi c'eft
parmi les Peuples de l'Aiîe qu'il faut
chercher l'origine de l'idolâtrie. Je
commencerai par la Tradition des Chal-
déens , comme le plus ancien Peuple
que nous connoiflions , & enfuite je par-
ferai aux autres.
CHAPITRE L
Tradition des Chaldéens.
ON ne peut difputer aux Chaldéens
l'avantage d'être un des plus an-
ciens Peuples de la terre. Nembrot qui
en fut le premier Roi , vivoit du temps
même de Phaleg , & il eft regardé com-
me l'auteur du deffein infenfé de la Tour
de Babel. Ce Peuple , au rapport de
^ofeph (1.) r avoit eu foin dès les temps A^comi^
138 La Mythologie & les Fables
les plus reculés, de conferver par des
Infcriptions publiques , & par d'autres
monumens , lcfouvenirde ce qui s'étoit
paiTé , & de faire écrire fes Annales par
les plus fages de la Nation ; mais rien ne
prouve mieux l'antiquité des Chaldéens,
que le rapport de leur opinion fur l'ori-
gine du monde , fur les dix générations
qui précédèrent le Déluge, & fur les
dix autres qui fuivirent cet événement,
avec ce qu'en a dit Moyfe.
Quatre Auteurs anciens avoient écrit
Fhiftoire des Chaldéens , Berofe , Aby-
dene , Apollodore , & Alexandre Po-
lyhiftor : leurs Ouvrages font perdus,
mais il nous en refte quelques fragmens
dans Jofeph , dans Eufebe , & dans Syn-
. celle. C'eft dans ce dernier (1) qu'on
trouve le morceau de Berofe qui regar-
de^ leur Théogonie. Un homme , ou
plutôt un monftre moitié homme & moi-
tié poifïbn , forti de la mer Ery thréenne,
parut , difoit cet Auteur , près d'un lieu
voifovde Babylone. Il avoit deux têtes ;
celle d'homme étoit fous celle de poif-
fon. A fa queue de poiflbn étoient
joints des pieds d'homme -, &il en avoit
la voix & la parole; on conferve en-
core aujourd'hui fon image peinte. Be-
ro& dit de lui que Vétoit fe, ^m^'
ExpLparPHift.Liv.Tl.CKAV:L 13$
ce que Goar traduit , animal ratione def-
îitutum ; mais comme il paroît que ce
p'étoit point là l'idée qu'en avoit l'Au-
teur Chaldéen , & que le mot aphrenon
n'eft pas grec , il faut qu'il y ait faute
dans le texte de Syncelle , & il doit y
avoir *pp«n» ,Jlrenuus , comme l'a con-
jecture un Sçavant moderne. Quoiqu'il
en foit , ce monftre , félon l'Auteur
Chaldéen , demeuroit le jour avec les
hommes , fans manger , & il leur don-
noit la connoifTance des Lettres & des
Sciences, & leur enfeignoit la pratique
des Arts , à bâtir des Villes & des Tem-
ples , à établir des Loix , à s'appliquer
à: la Géométrie , à femer & à recueillir
les grains & les fruits ; en un mot, tout
ce qui pouvoit contribuer à adoucir leurs
mœurs. Au foleil couchant , il fe reti--
roit dans la mer , & paffoit la nuit dans
les eaux. Il en parut dans la fuite d'au-
tres femblables à lui 3 & Berofe avoit
promis de révéler cesmyfteres , dans les
Hiftoires des Rois , mais il ne nous en
eft rien refté. Le même Auteur ajoute
qu'Oannès avoit laiffé quelque Ecrit fur
les origines , dans lequel il enfeignoit-
qu'il y avoit eu un temps où tout n'é—
toit que ténèbres & eau , & que cette^
eau & les ténèbres renfermoient des ani*
*4° La Mythologie & Us Fables
maux monftrueux ; des hommes avec
deux ailes , d'autres qui en avoient qua-
tre, avec deux têtes dans un même corps,
1 une d'homme ôc l'autre de femme, avec
les deux fexes. Qu'on en voyoit avec
des jambes & des cornes de chèvre;
que d autres avoient ou la partie anté-
rieure , ou lapoftérieure du cheval,
comme les Hippocentaures. D'autres
naiffoient avec la tête d'un homme & le
corps d'un Taureau ; que les chiens
avoient quatre queues , ayant les par-
ties de derrière comme les poiiTons.
■Cnfen , que tous les animaux étoient d'u-
ne figure monfîrueufe &irréguliere, ôc
tels quon en voyoit les reprefentations
dans le Temple de Bel. Cet Auteur aiou-
toit encore, qu'une femme nommée
Omorca (a) , étoit la maîtrelTe de l'U-
nivers & que Bel la divifa en deux :
que dune defes parties il avoit formé
la terre , & de l'autre le ciel, & avoit
donne la mort à tous ces monftres, Ce
-Uieu partagea enfuite les ténèbres, fé-
*« du „pom d'e^w u:z&oitjré Tha-
M. Je m'en tiens au Svncell- t, ■ • V q"e J eai1 et0It
qui le dérive" K ^"f'P;. ^toutes chofes;
»om , dit-il , ouf lL &e ' UT "e h méme ch"fe
donnent à la mer ce qu. . £ÏÏKemenï avec Homere>
»»o« à une 7*^ ^^oule^ed*
Exp/.p^rHî/î.Liv.n.CHAp.ï. *4*
para la terre d'avec le ciel , & arrangea
l'Univers ; & après avoir détruit les ani-
maux qui ne pouvoient foutenir l'éclat
de la lumière , Se voyant le monde de-
fert , il ordonna à un des Dieux de lui
couper la tête à lui-même, de mêler
avec de la terre le fang qui couleroit
de la playe , & d'en former les hommes
& les animaux : après quoi il forma les
aftres & les planètes , & acheva ainfî la
production de tous les êtres.
Voilà , fçlon Alexandre Polyhiftor ,
ce que renfermoit le premier Livre de
Berofe ; c'eft-à-dire , une Phyfique grof-
fiere, & une Théogonie qui ne l'efl pas
moins. Il eft vrai que cet Auteur a pen-
fê que tout ce fyftême étoit^ allégori-
que ; mais quelles allégories pourraient
le rendre fupportable ? Difons cepen-
dant que quelque monftrueux qu'il foit,
il paroît n'être qu'une tradition défigu-
rée de PHifloire de la création , tirée
des écrits de Moyfe , ou puifée dans
une tradition encore plus ancienne. Il
eft inconteftable que l'endroit où il eft
parlé des ténèbres qui couvraient la ter-
re , mêlée alors avec l'eau , & tenebra
erant fîtper faciem abyjfîy (i) eft le fon- (i> Go;
dément de toute cette Cofmogonie , Cf I# Ym *•
dans laquelle les Chaldéens avoient
Ï42 La Mythologie & les Fables
imaginé les monftres dont on vient de
voir FHifloire , pour décrire d'une ma-
nière plus fenfîble & plus effrayante ,
cet état de confuiîon qui régna dans le
monde immédiatement après la créa-
tion.
Pour ce qui regarde la formation de
l'homme , on voit bien que l'Hiftoire
ç& eft prife aufïî de la d^fcription de
Moyfe , qui dit que Dieu , après s'être
comme exhorté lui-même à la produc-
tion de ce chef-d'œuvre , prit de la terre
qu'il détrempa avec de l'eau , & lui fouf-
fla un efprit de vie. Ces dernières pa-
roles ont apparemment donné occafion
à l'Auteur du fyfléme Châldéen , de di-
re que Bel s'étoit fait couper la tête ;
ou , fuivant une autre tradition , qu'il
avoit coupé lui-même celle d'Omor-
ca , d'où Berofe conclut que c'eft pour
cela que l'homme fut doué d'intelli*
gence.
Pour ces hommes monftrueux j qui
avoient deux têtes , quatre bras , & les
deux fexes , on peut penfer que l'idée
en étoit prife aufli dans ces paroles de
Moyfe , où cet Hiftorien faifant au Cha-
pitre II. une recapitulation de ce qu'il
avoit dit dans le premier , ajoute en par-
lant d'Adam & d'Eve > mafeulum &fc*
ExpLparVHijt. Liv.IL Cetap. I. 14$
rriinam creavit tllos : ôc c'efl; cette idée
des Chaldéens , pour le dire en paffant,
qui a donné lieu à la Fable des Andro-
gynes , lî célèbres dans le Dialogue de
Platon , intitulé h Banquet ; fable que
ce Philofophe fait débiter à Ariftopha-
ne , un des interlocureurs. Les Dieux,
dit-il (1) , avoient d'abord formé Thom- (1 ) vkto*
me d'une figure ronde, avec deux corps, aans le Banr
deux viiages , quatre jambes , quatre
pieds , Se les deux fexes. Ces hommesf
étoient d'une force fi extraordinaire
qu'ils refolurent de faire la guerre aux
Dieux. Jupiter que cette entreprife ir-
rita, alloit les faire périr, comme les
Géants qui avoient voulu efealader le
Ciel ; mais voyant qu'il faudroit entiè-
rement détruire le genre humain , il fe
contenta de les partager en deux , afin
qu'ainfi feparés en deux parties , ils
n'euffent plus déformais ni tant de force,
ni tant d'audace. Il donna en même
temps ordre à Apollon d'ajufter ces
deux demi-corps , & d'étendre fur la
poitrine & fur le refte , cette peau qui
y eft encore , & qui porte dans le nom-
bril la marque qu'elle y a été arrêtée,
& nouée , comme lorsqu'on ferme un
fac ou une poche : ces deux parties d'un
corps ainfi feparées cherchent à fe réu*
^44 La Mythologie & les Fables
ïiir , & voilà l'origine de l'amour.
Il eft aifé de juger que la fiétion de
ces hommes partagés en deux , eft tirée
de l'Hiftoire que raconte Moyfe de la
formation de la femme qui fut tirée d'u-
ne des côtes d'Adam , & qui étoit os de
lz) Gcn. i. fis os ? & chair de fa chair (i). L'efprit
humain fait en vain tous fes efforts pour
corrompre la vérité ; elle laifle toujours
quelque trace lumineufe qui la fait re-
connoître.
Il y a eu quelques Rabbins qui ne fe
font pas fort éloignés de l'opinion des
Chaldéens, en difant que le corps d'A-
dam avoit été créé double , mâle & fe-
melle , & que ces corps étant joints en-
femble par les épaules , Dieu les avoit
U) Voye* feparés. (*)
Heifeg. Hift. Pour dire maintenant ce que je penie
de^Parr.T.i. d>0annès & du fragment de Berofe , il
eft bon d'obferver que cet Auteur, après
avoir fait la defeription du pays de Ba-
bylone, i°. ajoute immédiatement a-
près , que la première année parut cet
homme extraordinaire , fans que cette
année foit relative à aucune autre ; ainfî
on ne peut rien conclure pour le temps
où il parut. 2°. Le nom d'Oannès , ou
Oès , comme le nomme Helladius } pa-
jroît être formé' du mot Syriaque Onedo,
qui
ExpL parPHip.Liv.il. Chàp.Ï. 147
'qui ngnifïe un Voyageur ou un Etran-
ger, Ainfï tout fe réduit à dire , que
dans un temps qu'on ne fçauroit déter-
miner , il arriva par mer un homme qui
donna aux Chaldéens quelques princi-
pes de Philofophie , & quelque connoif-
fance des anciennes traditions , & leur
laiffa des mémoires fur ce fujek On ne
Ta reprefenté comme une efpece de
inonflre , moitié homme , moitié poif-
fon , que parce qu'ifëtoit couvert d'é-
cailles : on n'a dit qu'il fe retirait la nuit
dans la mer , que parce qu'il rentroit
tous les foirs dans fon vaifTeau : qu'il ne
mangeoit point , parce qu'il prenoit Ces
repas dans fon bord ; ainfî du relie. Ce
que dit Helladius , dont nous avons un
fragment que Photius nous a confer-
vé (1), d'Oès , ou Oen, confirme l'ex- o) 2#Bib
plication que je viens de donner de cet- Cod- ^79. *
te Fable : car cet Auteur , dont le récit
convient aflez avec ce qu'en a rapporté
Berofe y ajoute qu'Oen , qui avoit des
mains , des pieds , Se une tête d'homme,
étoit réellement un homme , & n'avoit
été pris pour un poiiïbn, que parce qu'il
étoit couvert depuis la tête jufques aux
pieds , de peaux de poifTon. Ce qu'il
dit enfuite , qu'on publioit qu il étoit
Xbrti de l'œuf primitif, d'où tous les au-
Tome I. * G
* 4^ La Mythologie & les Fables
l'opinion des Chaldéens ; & la durée
de leurs règnes parSares. (a)
Suivant Af ri- '
canus.
i Alorus régna
io. Sares. . . .
2 Abfparus , 3
3 Ameion , 1 3
4 Amenon , 12
5 Metalarus 5 1 8
6 Daonus , 29
7 Evedorachus,l8
S Amphis , 10
9 Oriartes, 8
10 Xixutrus , 18
Suivant Aby-
dene dans le mê-
me Auteur,
1 Alorus, 10
Ala parus , 3
Amillarusj 13
Amenon , 1 i
M égala rus, 18
Daos , 10
EvedorefcuslS
8 Anedaphus 9
9
10 Sifuthrus ,
Suivant Apol-
lodore dans le
même Auteur.
1 Alorus , 10
2 Alaparus, . »
3 Ameion. . .
4 Amenon , , .
5 Megalarus, 18
6 Daomis, 10
7 Evedorifcus,l8
8 Amenpfînus, 1 o
9 Otiartes , g
10 Xixutrus , 18
Iln'eftpas douteux que comme Alorus
dans le fyftême des Chaldéens , eft in-
conteflablement Adam , Xixutrus ne foit
Noé. Auffi racontent-ils que ce fut de fon
temps qu'arrivale Déluge; en quoi , pour
le dire en paiïant , les Auteurs Chaldéens
{a) Les Anciens divi-
foient le temps en Sares , en
Neres, &enSofes. Le Sare,
fuivant Syncelie , marqnoit
trois mille fîx cens ans ; le
Nere , iîx cens , cV le Sofe,
feixante ; ce qui donnoit à
là durée des premiers règnes,
im nombre infini d'années,
chaque Roi ayant régné plu-
sieurs Sares , mais lorfqu'on
ne regarde les Sares que com-
me des années de jours , le
calcul de ces anciens Auteurs
fe rapporte afïèz. exactement
aux années données par
Moyfe aux premiers Pa-
triarches. Vovez fur cela
Scaliger , Petau , & les au-
tres Chronographes , & en
particulier THiftoire Uni*
verfelle donnée par une Sot
cieté d'Anglois.
ExpLpar PHift. LiV. IL ChaIp.L 149
font plus fidelles que Sanchoniathon , .
dont je parlerai dans la fuite , lequel rap-
portant les dix premières générations du
monde naifTant , & les dix qui les fuivi-
rent , par une prévarication inexcufable
ne fait aucune mention de ce célèbre évé-
nement. Voici ce qu'en rapportent les
Auteurs que je viens de citer (1). (l) v J
Chronus ou Saturne étant apparu en syncd. loc.
fonge à Xixutrus , l'avertit que le quin- CIU
ziéme du mois Dœfîus le genre humain
feroit détruit par un Déluge , & lui or-
donna de mettre par écrit Forigine 5 l'hif-
toire , & la fin de toutes chofes ; & de ca-
cher fous terre fes Mémoires , dans la
Ville du Soleil , nommée Sippara ; de
construire enfuite un VaifTeau , d'y met-
tre les provifîons neceflaires , & d'y en-
trer , lui , fes parens & fes amis , &c d'y
enfermer les oifeaux & les animaux à
quatre pieds. Xixutrus exécuta ponctuel-
lement fes ordres , & fit un Navire qui
avoit deux flades de largeur , & cinq de
longueur ; & il n'y fut pas plutôt entré
que la terre fut inondée.
Quelque temps après voyant les eaux
diminuées , il lâcha quelques oifeaux ,
qui ne trouvant ni nourriture , ni lieu où
Te repofer , retournèrent au Vaiffeau*
Quelques jours après il en lâcha d'autres,
Giij
iyo La Mythologie & les Fables
qui revinrent avec un peu de boue aux
pattes. La troifîéme fois qu'il les laiffe
envoler , ils ne parurent plus ; ce qui lui
fit juger que la terre commençoit à être
fuffifamment découverte. Il fit alors une
ouverture au Vaiffeau , & voyant qu'il
s'étoit arrêté fur une montagne , il en
fortit avec fa femme, fa fille , & le Pilote;
êc ayant adoré la Terre , élevé un An-
tel , Se facrifié aux Dieux , lui & ceux
qui Tavoient accompagné difparurent.
Ceux qui étoient demeurés dans le Vaif-
feau ne les voyant point revenir , forti-
rent & les cherchèrent vainement : feu-
lement une voix fe fit entendre,& leur an-
nonça que la pieté de Xixutrus lui avoit
mérité d'être enlevé dans le ciel , & d'ê-
tre mis au nombre des Dieux , avec ceux
qui Taccompagnoient. La même voix ,
les exhorta à être religieux, & à f e trans-
porter à Babylone , après avoir déterré à
Sippara les Mémoires qui y avoient été
dépofés. La voix ayant cefTé de fe faire
entendre, il allèrent rebâtir la Ville qu'on
vient de nommer ; & quelques autres.
ExpLparVHifl. Liv.II.Chap.IL ï;i
CHAPITRE IL
Théogonie des Phéniciens.
SAnchoni athon, Prêtre de
Beryte , qui vivoit à ce qu'on pré-
tend , avant la guerre de Troye . avoit
écrit fur la Cofmogonie , & fur la Théo-
gonie des Phéniciens. Eufebe qui nous
a confervé un long Fragment de ce Trai-
té (i) , rapporte en faveur de cet Auteur COFrep;
un paflage qui ne doit pas être fufpeft , vang'
puifqu'il eft tiré de Porphyre , le plus
grand ennemi que les Chrétiens ayent ja-
mais eu. Cet Auteur raconte que Sancho-
niathon avoit écrit fur les Juifs , des cho-
fes très -véritable s ; qu'il étoit conforme à
leurs Ecrivains , & qu'il avoit appris plu-
fieurs des circonjîances qu'il rapporte , de
Jerombaœl, Prêtre deJevo ; qu'il avoit de-
diéfon Ouvrage à Abib ail Roi de Phenicie:
que non-feulement ce Prince , mais ceux qui
•avoient ordre d'examiner les Livres , étoient
convenus de la vérité de VHifloire de cet
Auteur Enfin qu'il avoit tiré ce qu'il
avançoit , partie des Ailes des villes parti-
culières, & partie des Archives qui Je con*
fervoknt avec foin dans les Temples.
i S 2- La Mythologie & les Fables
Le temps nous a enlevé l'Ouvrage de
cet ancien Auteur ; il fubfiftoit encore
dans les premier? fïecles du Chriftianif-
ine , puifque c'efl vers ce temps-là , c'eft-
à-dire vers le règne des Antonins , que
Philon de Byblos le traduifît en Grec,
E^LSr S hr divifa5P neuf Livres (2). Dans les
rretaces qu il y avoit ajoutées , il difoit ,
» que Sanchoniathon , homme fçavant 8c
» de grande expérience , fouhaitant avec
a> paffion de connoîjtre les Hiltoires de
x tous les Peuples , & les connoître dès
» leur origine , avoit fait une perquiiî-
* tion exaéte des Ecrits de Taaut ., per-
» fuadé qu« comme il, avoit inventé
» les Lettres , il étoit auffi le premier des
» Hiftoriens », C'étoit donc dans les Ou-
vrages de ce chef des Sçavans , du célè-
bre Mercure , que l'auteur Phénicien
avoit puifé le fond defon Hiftoire. Après
cela il blâme les Grecs d'avoir tourné en
froides allégories , ou en explications
phyfiques , des faits très-réels ; & de ce
qu'ayant voulu allegorifer l'hiftoire des
Dieux , ils l'avoient entièrement renver-
fée , en introduifant à la place de la vé-
rité , des idées chimériques, & des myf-
teres qui n'avoient pas plus de réalité.
Cette Traduftion , quoique vifible-
blement interpolée par Philon ; & acr
ÎLxpL par VHifi.Liv.lI. Chap.IL i;3
commodée aux idées des Grecs de fon
temps , comme il paroît par ce qui nous
en eft refté , ne fubfifte plus prefente-
ment ; mais Eufebe nous en a confervé
un long fragment , & c'eft tout ce que
nous en avons.
Malheureufement encore , car il eft
bon de donner une idée nette & exafte
de ce fragment ; outre qu'il eft interpolé
par Philon , ainfi qu'on vient de le dire,
Eufebe en le rapportant , au lieu de l'a-
voir copié tel qu'il étoit , y a mêlé , conv-
me on jugera aifémentenle lifant avec at*
tention , rion-feulement les réflexions du
Traducteur Grec , mais aufïi les fiennes
propres ; ce qui diminue beaucoup l'au-
torité de ce précieux refte des antiquités
Phéniciennes : n'étant pas toujours aifé
de diftinguer ce qui eft de Sanehonia-r
thon , d'avec ce qui n'eft que de Philon
eu d'Eufebe. Il eft bien clair , par exem-
ple , que lorfqu'il eft parlé des Grecs ,
comme quand il dit que , trompés par
des mots équivoques , ils ont pris une-
chofe pour une autre ; ou lorfqu'en par-
lant de Thot ou Thaut, on ajoute que
c'eft le même que les Grecs nomment
Hermès ; il eft clair , dis- je , que ces
reflexions font de Philon ou d'Eufebe ;
car, fî Sanchonkthon eft aulîî ancien
G y
I J4 La Mythologie & les Fables
qu'on le prétend , les Grecs n'étoient
guère connus des Phéniciens du temps de
cet Auteur ; ou du moins leur Religion ,
qu'ils avoient reçue des Phéniciens eux-
mêmes par les Colonies qui étoient ve-
nues s'établir parmi eux , n'étoit pas en-
core changée au point qu'elle l'étoit du
temps d'Hefîode & d'Homère , qui n'ont
vécu que plus de quatre cens ans après
Sanchoniathon.
Quoiqu'il en foit , voici le fragment t
qui peut être divifé en trois parties. Ceux
qui en voudront voir la traduâion en-
tière , n'ont qu'à lire les Reflexions de
(i)Tom.i. M. Fourmont furies anciens Peuples(i).
i>. 4- & fui- La première contient la Cofmogonie des
Vantes ^ •
Phéniciens ; la féconde , PHifioire des
premiers hommes avant le Déluge, quoi-
que cet Auteur ne dife pas un mot de ce
célèbre événement ; & la troiiiéme parle
de ceux qui ont vécu après, & qui font
defeendus des premiers,
i°. Selon cet ancien Auteur, » le
» premier principe de l'univers a été
» un air ténébreux & fpiritueux ; un
30 chaos plein de confulîon & fans clarté ;
» éternel , ôc d'une durée fans fin. L'ef-
» prit devenu amoureux de fes principes,
» il s'en fit une conjonction , & cette
» conjonction fut appellée l'amour. De
Expl.par ftliji. Liv.II. Ckap .IL 1 75*
*> làfortit Mot ou Mod, c'eft-à-dire , ou
» un limon , ou plutôt un mélange a-
*> queux , qui fut le principe & la femen-
» ce de toutes les créatures , & la gène-
» ration de l'univers. Il y eut d'abord
» des animaux qui n'avoient aucun fen-
» timent , lefquels en engendrèrent d'in-
y> telligens , qui furent nommés Zophe*
» zemin , c'eft- à - dire , contemplateurs
» des cieux. Immédiatement après Mot ,
» le foleil , la lune , les étoiles , & les
*> autres Aflres commencèrent à paroître
» & à luire.L'air étant fortement illuminé
» par le violent degré de chaleur , corn-
»muniqué à la terre & à la mer, des-
» vents furent produits , avec des nuées
» qui tombèrent en pluyes ; & les eaux
* dont la terre venoit d'être inondée y
» attirées par l'ardeur du foleil, furent
» de nouveau réunies dans l'air, où pouf-
» fées les unes contre les autres , elles
» formèrent les éclairs & le tonnerre 5
» dont le bruit réveilla les animaux in--
» telligens, & les effraya tellement qu'ils
» commencèrent à fe mouvoir dans la.
» terre & dans la mer ».
Ce premier morceau du Fragment , ne*
regarde , comme on voit , que la forma-
tion des êtres , & mon objet n'eft pas de
^'étendre fur cette matière. Il fuffit d'obr
i $6 La Mythologie & fis Fables
ferver que ce fyftême desPheniciens con*
duifoit à. l'athéifme , Dieu n'ayant au-
cune part dans la formation de l'univers.
Sanchoniathon dit même quel'efprit , tel
qu'il le concevoit , ne connoiiToit pas fa
propre production.
2°.. L'Auteur Phénicien , après cette
Cofmogonie, commence l'Hiftoire du
premier homme & de la première fem-
me , que Philon fon Traducteur nom-
me Protogone & Mon , & ajoute que
» celle-ci trouva que les fruits des arbres
» pouvoient fervir de nourriture. Les en-
» fans de ces premiers parens du genre
» humain , qui furent Genus & Genea ,
» habitèrent dans la Phenicie. Une gran-
» de fechereiTe étant furvenue , il éten-
y> dirent les mains vers le foleil , qu'ils.
» regardèrent comme le feul Dieu & le
«> maître des cieux , & lui donnèrent le
» nom de Beelzemen y lequel enPheniciea
» lignifie , Seigneur des cieux. Genus
» dans la fuite engendra d'autres hom-
» mes , qui furent nommés Pkos , Pur ,
» Phlox., c'eft- à-dire > lumière 5 feu , &
y>flame : ce furent eux qui en frottant
y> deux pièces de bois l'une contre l'au-
« tre , trouvèrent l'ufage du feu. Leurs
a> enfans qui furent d'une grandeur dé-
* meiurée ; donnèrent leurs noms vaux
HxpL par THlfl. Llv. II. Chap. IL i;?
» montagnes qu'ils poïTedoient ; de là
» les noms du mont Caflîus , du Liban
» & Antiliban, du Brathys, &c. ».
» Les enfans de ces Géants furent
» Mtrmmmus , & Hypfuranius. Ce der-
9> nier habita à Tyr , & inventa Fart de
» conftruire des cabanes de rofeaux &
» de jonc , ôc le papyrus ; & fon frère ,
» avec qui il fe brouilla , apprit aux hom=-
» mes à fe couvrir de peaux de bêtes. Il
s» fit plus encore , car un vent impétueux
» ayant enflamé une forêt qui étoit près
« de Tyr , il prit un arbre , en coupa les
» branches , & l'ayant lancé dans la mer
» il le fit fervir de vaiffeau. Il rendit auffi
» un hommage religieux , & repandit le
» fang de quelques animaux en l'honneus
» de deux pierres qu'il avoit consacrées
au vent &. au feu ; & voilà -, pour le dire
en paflant , le fécond exemple d'un culte
rendu à des êtres créés , le foleil, com-
me on Fa vu , ayant été le premier objet
de l'idolâtrie,
^ Après la mort de Memrumus &
» d'Hypfuranius , continue Sanchonia-
» thon , leurs enfans leur confacrerent
» des morceaux informes de bois Se. de
ao pierre , qu'ils adorèrent , & établirent
» des fêtes annuelles à leur honneur *>*
£'eft ici la première fois cp'on rendit ua
I j"8 La Mythologie & les Fable f
culte religieux à des hommes morts.
» Plusieurs années après cette gênera-*
» tion , qui eft lafîxiéme , vinrent Agreus
y> & Halieus, inventeurs de la pêche & de
» la chafle , comme leurs noms le figni-
» fient. Ceux-ci eurent pour enfans deux
» frères qui inventèrent Fart de faire des
» inftrumens de fer. Celui des deux qui
» porta le nom de Chryfbr, & qui eft le
y> même que Hepheftus ou Vulcain , s'a-
» donna à la funeftefeience des enchante-
*> mens & des fortileges ; inventa Fhame-
» çon , F amorce & la ligne à pêcher , lu-
» fage des barques utiles à ce fujet , &
» même les voiles. Tant de découvertes
3o lui méritèrent après fa mort les hon-
» neurs divins , fous le nom de Zeumi~
» chius , ou Jupiter le machinifte. On
» croit encore que ces deux habiles fre-^
s» res inventèrent Fart de faire des murail-
3o les de brique. Ils eurent pour enfans
» Technites , ou Fartifte , & Geinus Au-
» toâhone, c'eft-à-dire ', né dans la terre
» même3leiquels ayant trouvé le fecretde
» mêler la paille avec labrique, en forme-
» rent des thuiles qu'ils firent feicher au
30 foleil. Leurs deux fils nommés Agraï,
» le champettre , ôc Agrotes , le labou—
au reur , s'adonnèrent à la vie ruftique , Se
» à la chaiTe, On les noxnma aufîî Akta
'ExpLparPRtjl. Liv.IL Chàp.IL if$
»& Titans. Enfin Amynus & Magus , le
*> contre-foreur Se Fenchanteur , furent les
» derniers de cette première race , & ils
» enfeignerent aux hommes Fart de bâ-
30 tir des villages , & d'y raffembler leurs
» troupeaux. Il y avoit auffi de leur temps
» aux environs de Byblos , un certain
» Elion , nom qu'on peut rendre en
-» Grec par celui d'HypJijîus , le plus haut,
» qui avoit pour femme, Beruth. Ils eurent
s© un fils nommé Epigée , qui fut dans la
*> fuite appelle Uranus , Se une fille qui
30 porta le nom de Gé , Se c'eft le nç>m de
» ces deux enfans que les Grecs ont
» donné au ciel & à la terre.
03 Hypfîftus étant mort à la chafle , on
» l'honora comme un Dieu , Se on lui fit
* des libations & des facrifices. Uranus
» s'empara du Royaume de fon père , &
» ayant époufé Géfa fœur , il en eut plu-
^ fîeurs enfans , Ilus , qui fut appelle
*> Chronos ou Saturne , Betylus , Dagon,
» & Atlas ».
Telles furent, félon l'Auteur Phéni-
cien, les dix premières générations , les-
quelles , fî on en excepte celle d'Elior*
ou Hypfîftus , font celles de la branche
de Caïn : furquoi il efl bon de faire qua-
tre remarques. La première , que cet an-
cien Ecrivain ; qui vouloit favorifer Vit*
i6o La Mythologie & les Fables
dolatrie , a afFefté de ne parler que des?
defcendans de Caïn , qu'on croit ayes
raifon en avoir été les premiers auteurs.
La féconde , qu'il ne fait aucune mei>
tion du Déluge , lequel félon les Pères
de l'Eglife , fut la punition des crimes de
cette race , dont le plus grand étoit le
culte facrilege qu'ils avoient rendu aux
créatures. La troifïéme , efl que Sancho-
niathon compte dix générations dans la
branche de Gain , quoique Moyfe n'en
mette que huit, pailant de la troifiéme ,
ou d'Henoc , à la fixiéme , ou à Irad*
Mais 5 on peut dire que Moyfe , dont ls
but étoit de parler principalement de la
race de Seth *ou de celle des Juftes,n'a
pas fuivi de même celle de Caïn, fur tout
la quatrième & la cinquième , parce que
peut-être c'étaient des hommes qui ne
meritoient pas d'être nommés ; car il n'y
a pas d'apparence que les huit gênera*
tions de Gain ayent duré auilî long-
temps que les dix de Seth , dont Moyfe
fait mention. La quatrième enfin , que
l'Auteur Phénicien attribue à ces defcen*
dans de Caïn la plupart des inventions
utiles, ainiî que Moyfë , quoique ces
deux Auteurs ne foient pas toujours d^ac-
cord fur le temps de ces découvertes-,
ai furies perfonnes qui les ont faites ^
Epi parP Hljl. Li v. II. Chap. IL 161
Sanchoniathon donnant à une race ce
que Moyfe donne à une autre , comme
on pourra s'en convaincre en lifant les
premiers Chapitres de la Genefe.
J'ai dit que ces dix générations regar-
doient les defcendans de Caïn , fi on en
exceptoit Hypfiftus , parce que les Sça-
Vants , après Cumberland qui a expliqué
dans un grand détail ce fragment de l'Au-
teur Phénicien , prétendent que cet Hy-
pfiftus étoit le père de Noé , & qu'il n'en
eft parlé que comme en paifant ,. parce
qu'il étoit ennemi des Idolâtres dont
Sanchoniathon plaide la caufe.
Pour la fatisfa&ion des Lecteurs, je vais
mettre ici les deux Tables des defceu-
•dans de Caïn.
Selon Moyfe» Suivant Sanchoniathon;
% Adam , Eve, i. Protogonus^or*.
a. Caïn, 2. Genus^ Genea ,
3 . Henoch > 3 . Phos, Pur , Phlox %
4 4. Caflius , Libanus ;
S y. Memrumus,ufous*
6. Irad, 6. Agreus , Halieus 9
7. Mehuiaet , 7. Chryfor ou He-
pheftus ,
8. Mathufael y 8. Thechnitès , Geî-
nus ,
9. Lameth, 9. Agrus, Agrotes,.
io. Jubal , Jujbal- 10. Amynus , Magus>
Tubulcaïa
1 62 La Mythologie & les Fables
Dans Moyfe, comme on le voit , h
race de Cain finit aux derniers hommes
que je viens de nommer, parce qu'eux-
mêmes , ou leurs defcendans , furent en-
gloutis dans les eaux du Déluge , fans
qu'il s'en fût fauve aucun. Comment^
<lira-t'on , a-t'elle donc été continuée par
Sanchoniathon dans la troiïîéme partie
de fon extrait que je vais rapporter ? Il
cft aifé de répondre à cette difficulté, en
<lifant qu'il a pris dans les defcendans de
JNoé, les periènnages de cette féconde
décade. La chofe paroîtra évidente par
les réflexions qu'on trouvera dans la
fuite.
*> 3^. De ceux-ci , dit Sanchoniathon ^
» c'eft-à-dire , d' Amynus & de Magus „
» n'aquirent Mifor & Sydic , le Libre , &
y> le Jujie , qui trouvèrent l'ufage du fd.
*> Le premier fut père de Thaautus, l'in-
* venteur des premières Lettres ; c'effe
» le Thoot des Egyptiens , le Thogit
» des Alexandrins , & l'Hermès des
» Grecs : & Sydic eut pour enfans les
« Diofcures ou Cabires , nommés dans
»la fuite Corybantes ou Samothraces.
*> Ceux-ci perfectionnèrent la naviga-
» tion , en faifant un vaiiTeau ; & parmi
*> leurs enfans, il y en eut qui trouvèrent
*> l'ufage des iîmples ; des remçdes corvj
Expl. par PHifi. Lrv. IL Chàp.IL i 63
9 tre la morfure des animaux , & enfin
» Part des enchantemens , ou la manière
» de guérir cêsmorfures par des paroles.
» Uranus , dont les enfans vivoient du
00 temps de ceux dont on vient de parler,
» ayant fuccedé à fon père Elion , eut
» de Gé fa £œur , les quatre enfans qu'on
* a déjà nommés , Chronus , Betylus ,
» Atlas , & Dagon ou Siton , qui fut
30 fur-nommé Zeus Arotrius , ou Jupiter
» le laboureur , lorfqu'il eut inventé Fart
» de femer le blé ; il eut auffi plusieurs
» autres enfans de différentes Concubi-
9 nés. Gé mécontente des galanteries de
« fon époux , lui en fit des plaintes ame-
» res ; ce que l'obligea à la répudier. Mais
» comme il Taimoit , il la reprit & en eut
» plufïeurs enfans , qu'il chercha dans la
33 fuite à faire périr. Chronus ayant at-
30 teint l'âge viril , époufa le reffenti-
m ment de fa mère , mit à la tête de fon
» Confeil Hermès Trifmegifte qui étoit
00 fon Secrétaire , s'oppofa vivement
*> aux deffeins d'Uranus , le chaiïa du
33 Royaume , fucceda à fon pouvoir ;
30 & ayant pris dans le combat une
« Concubine que fon père aimoit ten-
30 drement,il la donna,quoique déjagrof-
30 fe , en mariage à Dagon , chez qui el-
» le accoucha peu après d'un enfant ma*
i^4 La Mythologie & les Fables
-» le , qui fut nommé Demaroon.
» Pour fe mettre en fureté , Chronos
» bâtit une muraille autour de fa maifon ,
» & fonda Byblos , la première Ville de
,* Phenicie (a). Comme il conçut quel-
» que temps après un violent foupçon
m contre fon frère Atlas , il le fit jetter ,
» par le confeil de Trifmegifte , dans une
» foiTe où il périt. Chronos avoit alors
33 deux filles , Perfephoné ou Proferpine ,
a> & Athené ou Minerve , dont la pre-
=> miere mourut vierge ; & un fils , nom-
*> n^é Sadid , qu'il fît mourir. Il coupa
» même la tête à fa fille ; adions dont les
y> Dieux , c'eft-à-dire , ceux de fon parti ,
» qu'on nommoit Eloim (b) , furent fort
» étonnés. Vers ce temps-là , continue
» r Auteur Phénicien , les defcendans des
• » Diofcures ayant conftruit des Vai£-
a> féaux , fe mirent en mer , & furent je*-
» tés parle vent , près du Mont-Cafîus ,
» où ils bâtirent un Temple.
» Cependant Uranus, quoiqu'exilé ,
* fongeoit toujours à dreiTer des embû-
{a) L'Auteur Phénicien (£) Eloim eft le plu-iel
avoit déjà parlé de Tyr, corn- #EXodh,&Gçniiehs Dieux.
me la première Ville de ce Cumberland interprète- ci
pays-là: peut-être qu'elle n'é- mot par Chromons , c'eft-
toit compafée que de quel- à-dire , tes erens du parti afer
«jues cabanes , & , que By- Chronos.
bios fut une Ville plus régu*
ExpZ. par PHtJtJLiv. IL Cîtàp. IL i6ç
ches à fon fils Chronos , & il lui en-
voya, dans le deflein de le faire tuer,
trois de fes filles , Aftarté , Rhée & Dio-
ne ; mais celui-ci s'étant faifï d'elles , les
mit au nombre de Tes concubines auflî
bien qu'Eimarmené & Hora qui lui furent
envoyées dans le même deflein. Il eut
fept filles d'Aftarté , qui furent nommées
les Titanides ou Artemides, & deux fils ,
fçavoir Pothos & Eros , defir & amour.
De Rhée , il eut fept fils , dont le plus
jeune , que l'Auteur ne nomme pas , fut
mis au nombre des Dieux au moment
même de fa naiflance ; c'eft-à-dire , fut
confacré aux Dieux , Se au fervice di-
vin ; il eut auflî quelques filles de Dione ,
qui ne font point nommées. Le même
Chronos ou Saturne eut dans la Perée ,
trois fils , Chronos ; qui porte le même
nom que fon père , Zeus-Belus , ôc A-
pollon (a).
Sydic p ou le jufle , ayant époufé une
de ces Titanides dont on vient de parler ,
en eut un fils nommé Afclepius. Surquoi
il eft bon de remarquer avant que de paf-
(a) M. Fourmont dans la nos\rpèiÇ7w^^tÇj il en nom-
traduction de cet endroit du me quatre f chronos , Zeus
Fragment paroît s'être trom- ou jUpitcr , Belus & Ap^i- •
pé , a moins qu'il n'y ait une jon > pendant qu'il faut lire
faute d'impre/fion , car au Z6«fr-B*A©-,>£ A'mKêi.
lieu des trois enfans que San- _ r~ . ._. .. .*
«honiadion donne a Chro- «</•<>*. T. i . f. I S.
i &> L a Mythologie & les Fables
fer plus avant , que Sydic étant feloif
quelques Auteurs Sem , fils de Noé ou
Uranus , il faut félon Sanchoniathon ,
qu'il ait pafle dans la terre de Chanaan ,
Se y ait époufé une fille de Charn , qui
eft le Chronos de cet Auteur. Afclepius
fon fils , eft le feul des enfans de Sydic ,
dont cet Auteur ait fait mention ; car il
ne prenoit intérêt qu'à fon pays , qui
étoit la Phenicie , peuplée par Cham &
fes defcendans.
Quoiqu'il en foit, P Auteur ajoute que
ceux-ci furent contemporains de Pontus,
de Nereus (à) , fon fils , & de Typhon.
Pontus eut deux enfans , un fils nommé
Poféidon , ou Neptune ; & une fille ap-
pellée Sidon , laquelle ayant une voix
admirable , fut la première qui compofa
des Odes* Demaroon fut père de Meli-
certus i appelle autrement Hercule (b).
Ce fut alors qu'Uranus entreprit une
nouvelle guerre contre Pontus ; il fe fe-
para de lui & fe jognit à Demaroon. Ce-
lui-ci tombe fur Pontus qui le met en
(a) Cumberland ne doute l'Hiftoire univerfellep .247.
pas que Nereus ne fcit Ja- (b) C'eft l'Hercule Pheni-
phet , & il eft difficile de ne cien 'e plus ancien de-tous ,
pas fe rendre à fes raifons , lequel avoit un Temple , à
«jue l'on peut voir dans fon Gadira ou Gadis , qui fubfif-
Ouvrage , & dans une Note toit encore du temps de Si-
des Auteurs Anglois qui ont lius Italicus , qui en parle
donné.un premier volume d* dans foa fécond livre.
Expl. par PHift. Lîv. II.Chàp. II. 1 6y
fuite , de forte qu'il eft contraint de faire
un vœu aux Dieux pour fa propre vie.
Ilus, c'eft-à-dire,Chronos ou Saturne , la
trente-deuxième année de fon règne ,
s5 étant mis en embufcade dans un boca*
ge arrofé de fontaines & de ruiffeaux ,
pour furprendre fon père Uranus , il lui
coupa les parties d'un coup de fabre ; &
ce fut en cet endroit là même qu'Uranus
fût déifié. Il y avoit rendu l'efprit , & fon
fang forti par fa playe , s'y voit mêlé a-
vec les eaux : on montre encore l'endroit
où cela eft arrivé.
Voilà donc , ( & c'eft une refle-
xion qu'Eufebe joint au récit de l'Au-
teur Phenicien)voilà FHiftoire de Chro-
nos ou Saturne , & ce qu'il y a de véri-
table fur le règne d'un Prince que les
Grecs ont regardé comme fi heureux,
qu'ils en ont fait le fiecle d'or.
Après quelques autres chofes , l'Au-
teur continue ainfi (a). *> Aftarté la Gran-
di de , Jupiter Demaroon, & Adod le
*> Roi des Dieux, regnoient dans le pays,
y> fuivantles confeils de Chronps ou Sa-
»turne. Aftarté pour marque de fa
*> Royauté , mit fur fa tête celle d'un
y> taureau. Parcourant la terre , elle trou-
(a) Ce dernier asticle paroît fort mêlé des réflexions
«ie Philon.
ï68 Lt Mythologie & les Fabkr
y> va un aftre tombé du ciel (#) ; elle là
w prit & le conféra dans Tyr , PIfïe fain-
» te. Aftarté , fuivant les Phéniciens , eft
» Aphrodite ou Venus. Chronos faifant
^ aufîi fon tour de la terre donna à Athe-
» né fa fille , le Royaume de l'Attique.
ai Cependant la pelle &la famine s'étant
*> fait fentir , Chronos offre à fon père
» Uranus , fon fils Sadic , & fe circoncit ,
* ordonnant à tous les foldats de fon ar-
» mée d'en faire autant. Quelque temps
» après , un fils qu'il avoit eu de Rhea ,
» appelle Mouth , fut mis au rang des
» Dieux. Le nom que les Grecs donnent
3> à ce fils , peut fe rendre en Grec par
& Qet'vaïoç , ou Pluton. Chronos après ce-
» la donna deux de fes villes , fçavoir ,
» Byblos à la DéeiTe Baaltis ou Dioné ,
» Beryt à Neptune & aux Cabires, aux
33 Agrotès ou Laboureurs , Se aux Pê-
» cheurs , c'efl-à-dire , aux Dieux appel-
ï» lés Axiiïs. Mais avant ces chofes le Dieu
» Taaut fit auffi le portrait des autres
« Dieux , de Saturne ou Chronos , de
» Dagon ,.&c. pour en former les carac-
» teres facrés des Lettres. Pour ligne de
» Royauté , il donna à Chronos quatre
» yeux , deux devant & deux derrière.
(a) Un Aigle , comme on le dira dans les remarques fur ce
Fragment»
Êxpt. par PHIJÎ. Ltv.IL Chap. IL 16$
n De ces quatre yeux , deux fe fermoient
» pendant que les deux autres veilloient
?> (i) De même fur fes épaules il mettoit (o voiH
*> quatre ailes , dont deux étoient éten- i'0i*;?m- dc
» dues, les deux autres demeurant dans étoit le Saeu*.
» un état de repos ; fon idée étant ne des Launs*
» de faire entendre , par les yeux , que
» Chronos couché veilloit , & qu'éveil-
» lé il demeuroit couché & fe repofoit ;
» par les ailes , que fe repofant il ne cef-
»foit pas de voler, & qu'avec ce mou-
30 vement il demeuroit tranquille. Aux
» autres Dieux il ne donnoit que deux
» ailes , une fur chaque épaule , pour
30 montrer que leur vol étoit feulement
» pour accompagner Chronos. Il avoit
» même ajouté au portrait de Chronos
3«> deux autres ailes au haut de la tête; une
» pour marquer la fuperiorité de fon ef-
33 prit dans l'art de régner , l'autre pour
» defignerla delicatefîe de fes fenfations.
•j Chronos étant allé dans le pays du mi-
« di , donna toute l'Egypte au Dieu
» Taaut , pour en former un Royaume f
3> qui lui appartînt en propre *.
Après avoir traduit ce Fragment ,
Philon de Byblos ajoute , que cette hif-
toire avoit été laiffée aux defeendans de
Sydik , & que le fils de Thabion, c'eft?
-à-dire Sanchoniathon lui-même , après
Tome L * H
17^ La Mythologie & les Fables
l'avoir enveloppée , & y avoir mélJ
quelques idées phyfiques fur l'origine
du monde , en avoit tranfmis le fyftêm^
aux Prophètes des Orgies.
„ Les Grecs , dit encore le même Tra*
5, du&eur , qui par la beauté de leur ge-
„ nie Font emporté fur toutes les autres
5, Nations , fe font aproprié toutes les
5, anciennes Hiftoires , les ont ornées 9
„ & exagérées , n'ayant cherché qu'à di*
?, vertir par leurs récits ; & dès-là , ils
w ont infiniment changé ces mêmes Hi&
„ toires. C'eft de là qu'Hefiode & les au-
3, très Poètes Cycliques ont forgé de$
„ Théogonies , des Gigantomachies , des
„ Titanomachies , & d'autres morceaux
^ par lefquels ils ont comme étouffé la
5, vérité. Nos oreilles accoutumées dès
I, l'enfance à leurs fiétions , prévenues
„ d'opinions accréditées depuis plufieurs
„ lîecles , confervent comme un dépôt
& facré la vanité de ces fables. Et parce-*
9, que le temps a donné infenfiblement à
„ ces contes frivoles , la force de s'empa*
9, rer de nos efprits , ils en font tellement
„ en poffefïîon , qu'il eft très^-difficile do
», les rejetter. Il eft même arrivé par là
3, que la vérité , lorfqu'on la découvre
*, aux hommes , paroît avoit l'air du
$, menfonge > pendant que les narr^
texpl.parPHift. Lïv. IÏ.ChàP.IL ift
ç, tions fabuleules,quelqu'infenfées qu'el*
9, les foient , paflent pour les faits le»
t5 plus authentiques. „
Tel eft le Fragment de Sanchonia*
thon. Comme j'aurai occafion dans la
fuite de cet Ouvrage , de parler de tous
les perfonnages dont l'Auteur fait men-
tion , je ne joindrai ici que peu de re*
Vexions.
i °. Les Auteurs font fort partagés fur
l'authenticité de ce morceau ; & s'il y
en a quelques-uns qui ayent foutenu
qu'il eft véritablement de l'Auteur Phé-
nicien , quoiqu'interpolé par Philon fon
Traducteur , & mêlé de plufîeurs refle-
xions qui ne font pas de Sanchoniathon %
le plus grand nombre l'a toujours regar-
dé comme un ouvrage fuppofé. Le célè-
bre Cumberland & M. Fourmont l'ainé ,
font les deux qui en ont foutenu la vé-
rité avec le plus de force & d'érudition.
On peut voir dans ce dernier fur tout( i ), (l) Rcfl#
l'hiftoire des fentimens des Sçavans fur râ. fur ke i
ce fujet , & les raifons qu'il a eues de les JK £«*•
réfuter.
2°. Il n'eft pas douteux que Sancho-»
fliathon n'ait pris les idées de fa Théo-»
gonie dans des traditions très-anciennes %
mais déjà corrompues chez les Pheni-
«yens , par les fiftiojis qu'on y avoit mi?
h y
$0 La Mythologie & les Fable*
lées : mais il eft évident en même temps ±
que l'Auteur dans le deflein d'accrédi-
ter l'Idolâtrie , n'a parlé pour les Généa-
logies d'avant le Déluge, que de la bran-
che de Çaïn , fans faire aucune mention
de celle deSeth.
3°. L'Auteur eft plus clair & moins
interpolé pour ces dix premières Généa-
logies , dont nous avons donné la Table f
que pour celles qui ont fuivi le Déluge ,
fur lefquelles oi) trouve plus de confu-
{ion, & moins de liaifon ; quoiqu'on voyç
bien qu'il a voulu les conduire jufqu'à
la famille d'Abraham , & à quelques-uns
OVVoyex de fes defcendans (i).
laTablequ^ ^0? JJ paro|t que je but Je auteur %
Four^nt l ' après celui cju crédit qu'il vouloit don-
!»• h P> %6% ner à FIdolatrie , a été de faire connoître
les inventeurs des arts , en quoi il eft:
quelquefois d'accord avec Moyfe , & en
même temps l'hiftoire des Apotheofes ,
ne manquant jamais d'indiquer ceux qui
pour des inventions utiles,avoient été mis
au rang des Dieux , & honorés d'un cuir
te public.
D'où il fuit , yG. qu'ayant donné peu
ou point de part au fouyerain Etre , dan$
{%) V. Ep- la formation du monde , fa Cofmogoniç
febe loc. cit. eft un athéifme (2) ; & par une contra-
&U m^Foui- d^i°n des plus groflieres^ fa Theogppig
ExpLparïHift. Llv.II. Chav. II. 173*
eft une imagination extravagante.
6°. Dans les deffeins que nous venons
de donner à cet Auteur , & qu'il eft évi-
dent qu'il a eu , il n'a dû faire aucune
mention du Déluge , qu'il avoit fans dou-
te connu aufli-bien que les Chaldéens &
les Egyptiens qui en ont parlé.
70. Quand il ne feroit pas aufïï évi-
dent qu'il l'eft , que c'effc dans cette Hif-
toire Phénicienne que les Grecs ont puifé
leur Théogonie, ainfi qu'on le verra
dans la fuite , la reflexion du Philon de
Byblos , qu'on vient de voir à la fin du
fragment 3 ne laifferoit aucun lieu d'en
douter.
8°. Eufebe , à qui nous devons ce
fragment , a foutenu que la Cofmogonie
des Phéniciens introduit direftement l'a-
théifme , comme nous l'avons remar-
qué dans la cinquième reflexion , & il a
été fuivi en cela par le célèbre Cumber-
land , qui regardoit avec raifon ce fyftê-
me touchant l'origine du monde , com-
me uniquement deftiné à faire l'apolo jij
du culte idolâtre rendu à différentes par-
ties de l'univers & à des hommes mor-
tels ; Thaut ayant plongé Sanchonia-*
thon fon copifte , dans les ténèbres du
plus groflîer paganifme,qui eft l'oubli de
ï'Etre Souverain dans la formation &
Hiij
274 La Mythologie & les Vallès
dans le gouvernement du monde , 3$
ayant tâché d'introduire la religion des
Egyptiens & des Phéniciens , qui hono-
roient la .créature au lieu du Créateur»
<x)Cudword. Cependant un célèbre Moderne (x)pre-
tend qu en donnant une interprétation
favorable aux expreflïons de Sanchonia*
thon , il paroît que les Phéniciens fuppo^
foient deux principes , dont l'un étoit u$
chaos obfcur & ténébreux , & l'autre uît
vent , Tk?w* , ou plutôt une intelligence ,
douée de bonté , qui a arrangé le mon*
de dans l'état où il eft: & fi l'Auteur Phe-*
nicien dit que cette intelligence ne con*
noiffoit pas fa propre produftion , c?effc
qu'elle étoit éternelle , & n'avoit jamais
été produite.Mais cette Cofmogonie Phe*
nicienne étant tirée des livres de Thaut*
il eft bon de fufpendre notre jugement
jufqu'à ce que nous ayons donné la Cof-
mogonie & la Théogonie Egyptienne *
qui vont faire la matière du Chapitre fui*
Expl.pârmiJÏ.LivlLCHAvJlI. 17;
CHAPITRE III.
La Théogonie des Egyptiens.
LES Apologiftes du ChriftianifmQ
ont été obligés de chercher dans
l'antiquité la plus reculée , l'origine des
autres Religions , & perfonne n'y a tra-
vaillé avec plus de fuccès qu'Eufebe de
Cefarée. Que de morceaux précieux ne
nous a-t'il pas confervés , que l'injure
des temps auroit fait périr , fans les foins
qu'il a pris de les raflcmbler dans fon ou-*
vrage ? Outre le célèbre fragment , dont
nous avons parlé dans le chapitre précè-
dent , nous lui devons une infinité d'au-
tres morceaux fur l'ancienne Religion •
des Egyptiens, desGrecs,& depli-fieurs
autres Peuples. C'eft dans fes Ouvrages
qu'on remarque de quelle manière l'Ido-
lâtrie s'eft accrue ; quelle a été Pincerti*
tude & quelles ont été les variations des
Philofophes fur les principes Phyfîques ,
& fur l'origine du Monde en particulier.
Le fragment que nous venons de rap-
porter , ne regarde proprement que les
Phéniciens ; mais quels étoient les Dieu^
île la Phenicie , finpn les Dieux de TE*
Un
ij6 La Mythologie & le Fahles
gypte {a) ; & d'où la Grèce tenoit-elle
les fiens , fuivant Hérodote, Platon, Plu-
tarque , & tant d'autres , que de l'Egyp-
te & de la Phenicie ? Sanchoniathon pa-
roît avoir copié Thot , ou Thaut : or
Thot étoit Egyptien, & l'homme le plus
fçavant de fon temps. Il faut donc s'at-
tendre à trouver parmi les Egyptiens les
mêmes idées à peu près , fur l'origine du
monde & des Dieux , que celles des
Phéniciens , dont on vient de parler.
Diodore de Sicile nous les a dévelop-
pées dans l'endroit que je vais rapporter,
fans cependant avoir nommé les Egyp-
tiens en particulier ; & Eufebe femble
COEuf.Prcp. l'avoir copié (i) , quoique le chapitre où
JEvang. j| en parie5 f0jt intitulé, De la Cojmogonie
des Grecs. Mais on fçait que ceux-ci l'a-
voient reçue des Egyptiens.
Au commencement , dit Diodore de
Xi) Diod. L. Sicile (2) , le ciel & la terre n'avoient
*' * 7* qu'une forme , étant mêlés enfemble
par leur nature ; mais enfuite ayant été
îeparés , le monde commença à prendre
l'arrangement que nous y obfervons.
(a) On n'examine point trie paflà de l'Egypte dans
ici fi les Egyptiens ont reçu la Phenicie , parce qu'il
les Dieux des Phéniciens , eft impofïible de le décou-
commele prétendent de fça vrir , & ailés inutile (te le
*ans hommes ; *u û i'idoU- f javoic»
ÏÏxpl.par VHiJl. Liv.II.Chap.IIL 177
Vhf le mouvement de l'air les parties
ignées s'élevèrent , & donnèrent au So-
leil , à la Lune & aux autres aftres leur
mouvement circulaire. La matière foli-
de tomba en bas,& forma la mer & la ter-
re , d'où fortirent les poiflbns & les ani-
maux , à peu près comme on voit encore
en Egypte fortir de la terre détrempée
des eaux du Nil , une infinité d'infe&es
& d'autres animaux.
Eufebe a fort bien obfervéque ce fyf-
terne , non plus que celui des Phéniciens,
pris dans la même fource , ne donne au
Créatur aucune part dans la formation
de l'Univers. Pour confirmer fon juge-
ment , il rapporte un paflage de Porphy-
re , lequel , dans fon Epître à Anebo
Prêtre Egyptien , écrit que Chaeremon
& d'autres encore , avoient crû qu'il n'y
avoit rien d'antérieur àcertiondevifïble;
que les Planètes & les Etoiles étoient les
vrais Dieux des Egyptiens , & que le
Soleil devoit être regardé comme l'arti-
fan de l'Univers : & il eft bon de remar-
quer que c'efl à cela que revient P Abré-
gé de la Théologie Egyptienne , donné
par Diogene Laërce (1) , qu'il avoit Ùfi*) In P°€
ré lui-même de Manethon,& d'Hecatée, ml
qui avoient dit avant lui , que la matière
ctoit le premier principe , & que le Sa-
li v
ï 7S £<* Mythologie 6V les Fables
leil & la Lune étoient les premières Dî^
vinités de cet ancien Peuple , & adorées
fous les noms d'Ofiris&d'Ifis.
H eft bon de remarquer cependant
'(i)Ciulvvord. qu'un habile Moderne (i) a rendu plu»
Syft.mteU.F.cJe juftice aux Egyptiens , prouvant par
Eufebe lui-même , qu'ils avoient crû
qu'un Etre intelligent qu'ils nommoient
Cneph , avoit préfîdé à la formation du
monde. Ils reprefentoient cet Etre , fui-
vant Porphyre , fous la figure d'un hom-
me tenant une Ceinture & un Sceptre ,
avec des plumes magnifiques fur la tête ,
& de fa bouche fortoit un œuf, duquel
à fon tour fortoit un autre Dieu qu'ils
nommoient Pkta , & les Grecs Vulcain.
Ils donnoient eux - mêmes l'explication
de cette figure myflerieufe. Les plumes
dont fa tête étoit ombragée , marquoient
la nature cachée & invifible de cette in-
telligence , le pouvoir qu'elle avoit de
donner la vie , fà fouveraineté far toutes
chofes , & la fpiritualité de fes mouve-
mens. L'œuf qui fort de fabouche, de-
fignoit le monde , dont il étoit l'artifan.
Les mêmes Peuples reprefentoient auflî
quelquefois la Divinité , fous le fymbo-
le d'un Serpent , avec une tête d'Eper-
vier , lequel en ouvrant les yeux remplit
ie monde de lumière ; & en, les fermant
Expl.f^r rHî/?Xiv.ILCHAP.IIL 17*
le couvre de ténèbres. On peut confir-
mer lefentiment de Y Auteur moderne ,
par le témoignage de Jamblique , qui du
temps d'Eufebe , s'étoit fort appliqué à
étudier l'ancienne Théologie des Egyp-
tiens , & qui tâche de prouver comme
Chaeremon l'avoit avancé , qu'ils ne
croyoient pas généralement , qu'une na-
ture inanimée étoit l'origine de toutes
chofes , mais que dans le monde , aufiï
bien que dans nous-mêmes , ils recon-
noiflbient l'ame fuperieure à la nature ,
& l'intelligence qui a créé le monde ,
fuperieure à l'ame.
Quelques idées qu'on prête aux an-
ciens Philofophes Egyptiens , & à Thaut
qui en a été le Maître , il eft fur que leur
Théogonie eft une Idolâtrie groffiere ,
quia été l'origine & la fource de celle
des Grecs & de plufieurs autres Nations ,
comme on le verra dans la fuite. En effet
félon Socrate , dont le témoignage eft
rapporté par Eufebe (1) , les Egyptiens (ij î>fep. ev.
frappés à la vue du Soleil & des autres *- u**7*
aftres , s'imaginoient que ces corps lu-
mineux étoient les Maîtres du monde , &
les premiers Dieux qui le gouvernoient.
Ils nommèrent le Soleil , Ofiris , & la
Lune lfîs. Ofiris, difoient-ils , fignifte
pkin d'ytux y ou très-clair - voyant. Ifis
Hvj
I
80 La Mythologie & les Fables
eft la même chofe que UaxuU Y Antique
ou la vieille , & ce nom a été donné à la
Lune , à caufe de fa naiflance éternelle.
Mais on ne s'en tint pas là : dès qu'on
a fait le premier pas dans les ténèbres >
on s'égare à mefure qu'on avance. Dio-
dore de Sicile , qui avoit recueilli avec
foin les traditions Egyptiennes , dit que
leurs grands Dieux étoienttfW , le So^
leil , Xpovcç 9 Saturne. Rhea , z»* , JupL
ter , h>* , Junon , |i>w*f 9 Vulcain , eW
Vefta, i\jurtç , Mercure; qu'on regar-
dait celui-ci comme le demier,mais qu'on
ne convenoit pas lequel du Soleil , ou de
Vulcain , avoit régné le premier. Voilà ,
pour le dire en paffant , les huit grands
Dieux des Egyptiens , dont parle plu-
sieurs fois Hérodote , fans toutefois les
nommer.
Chronos , continue toujours Diodo-
re de Sicile , ayant époufé Rhea, devint ,
fuivant quelques-uns , père d'Oiîris &
d'Ifîs , & fuivant d'autres , de Jupiter &
de Junon. De Jupiter , félon ces der-
niers, étoient fortis cinq autres Dieux,
Ofiris , Ifis , Typhon , Apollon, & A-
phrodité ou Venus. Oiiris , ajoutaient-
ils , étoit le même que Bacchus , Ifis , la
même que Cerès. Anubis , & Macedo
étoient fortis d Apollon ; lequel aççom:
ÏSxpl.parPHifî. Liv.II.Chàp.IIL i&r
pagna Ofiris dans fes conquêtes. Ofiris
partant pour fes expéditions , avoit laifïe
en fa place fon. frère Bufïris ; à fon re-
tour des Indes Typhon l'aflaffina , Se on
le mit au rang des Dieux , à caufe de fes
belles aftions , & les boeufs Apis Se Mne-
vis qui lui avoient été confacrés , furent
eux-mêmes honorés comme des Divini-
tés. Mais comme dans les Apotheofes
on changeoit fouvent les noms des per-
fonnes déifiées , Ofîris fut appelle Sera-
pis , Dionylius , Pluton , Jupiter , Pan ,
&c. Ifis fa femme , fut mife auffi au rang
des DéefTes , & honorée fous les noms
de Tefmophoros , de Selené ou la Lune,
d'Hera , ou Junon , &c. Orus , fils d'Ilîs
& le dernier des Dieux , après s'être dé-
robé aux embûches des Titans , régna
fur l'Egypte , & après fa mort fut mis au
nombre des Dieux, & c'eft celui que les
Grecs nommoient Apollon.
Telle eft , félon Diodiore de Sicile , la
Cofmogonie & la Théogonie des Egyp-
tiens , & il efl aifé de voir que les Grecs
Tavoient corrompue & ajuftée à leur ma-
nière. Ce qu'on en peut conclure de plus
certain , eft que cet ancien Peuple recon-
noiffoit deux fortes de Dieux. Les aftres,
fur tout le Soleil & la Lune ; & les hom-
jues iUiiftres ^ aufquels pour leurs biccg
'ï!fe La Mythologie & les Fahlet
faits , ils avoient rendu un culte reli-
gieux.'Mais foit que cette Théologie ait
été tirée des Livres de Thaut , ou Thot,
ou de quelque tradition confervée par
les Prêtres Egyptiens , il eft fur que les
Grecs en ont formé leur fyftême , com-
me on le verra dans la fuite.
CHAPITRE IV.
Théogonie des Atlantides.
jfe Iiv- *• T*\ I o d o R E de Sicile (i) eft le feul
JL/ des Anciens qui nous ait confervé
la Théogonie des Peuples de la partie
Occidentale de l'Afrique , qu'on appel-
loit les Atlantides : Comme ces Peuples y
dit-âl j racontent fur V origine & la nalf-
fance des Dieux , des choies qui rejfemblent
ûffez a ce que les Grecs en dijènt eux-mê-
mes y il nefî pas hors de propos de les rap-
porter. Ilsfe glorifioient , continue notre
Hifîorien , de poffeder un pays où les
Dieux avoient pris naifTance , Se citoient
pour le prouver , l'endroit où Homère
fait dire à Junon , qu'elle alloit aux ex-
trémités de la terre , voir FOcean & Te-
thys j le père & la mère des Dieux.
■Uranus j ou le Ciel fuivant ces Peuples^
ExpLparPH'îJl.Liv.îLCnAv.W. iSj
avoit été leur premier Roi : ce Prince
obligea fes fujets, alors errants & vaga-
bonds , à vivre en focieté , à cultiver la
terre , & à jouir des biens qu'elle leur
prefentoit. Appliqué à FÀflronomie f
Uranus régla Tannée fur le cours du So-
leil , & les mois fur celui delà Lune ;&
fit par rapport au cours des affcres , des
Prédirions , dont l'acccompliffement
frappa tellement les Atlantides , qu'ils
crurent qu'il y avoit quelque chofe de
divin dans le Prince qui les gouvemoit ,
& après fa mort ils le mirent au rang des
Dieux. Uranus avoit eu de plusieurs
femmes quarante-cinq enfans ; Titée feu-
le lui en avoit donné dix-huit. Quoique
ces derniers euffent chacun leur nom , ils
furent en gênerai nommé Titans , de ce-
lui de leur mère. Cette PrincefTe étant
morte , reçut auffi les honneurs divins ,
& fon nom fut donné à la terre , comme
celui de fon mari avoit été donné au
Ciel.
Parmi les filles d'Uranus & de Titée ,
les deux aînées fe diftinguerent par leur
mérite & parleurs vertus. La première ,
qui fut nommée la Reine par excellence ,
& qu'on croit être la même que Rhea ou
Pandore , prit grand foin de l'éducation
4e ies frères & de fçs fœurs 5 & voilà;
I#4 L* -Mythologie & les Fables
remarque Diodore,la raifon pour laquel*
le on l'appella la Grande-Mere. Cette
Princefle qui avoit toujours fait profef-
fion d une grande chafteté , voulant en-
fin donner des héritiers à fon père , fe
maria avec Hyperion fon frère , & en eut
deux enfans , Helion & Selené , qui fe dif-
tinguerent autant par leur prudence &
parleur fageffe, qu'ils étoient remarqua-
bles par leur beauté. Leurs Oncles ja-
loux de voir dans Helion un Prince fi
parfait , & dans Selené la fille du monde
la plus belle & la plus fage , craignant
que l'Empire ne leur fût deftiné, maffa-
crerent Hyperion , & jetterent Helion
dans l'Eridan : Selené qui aimoit tendre-
ment fon frère , fe précipita du haut du
Palais. La Reine cherchant fon fils fur les
bords du fleuve , s'affoupit de fatigue &
de douleur ; & vit pendant fon fommeil,
-Helion qui lui prédit que les Titans fe-
yoient punis de leur cruauté , & qu'elle
& fes enfans feraient mis au rang des
, Dieux ; que le feu celefte qui nous éclai-
re , porteroit déformais le nom d'Helion,
& que- la Planète qui fe nommoit aupa-
ravant Mené , prendrait le nom de Sele-
r WCTeftîe né (i). Rhea s'étant reveillée , raconta
fa°Lune.T e f°n r^ve 9 ordonna qu'on rendît à fes en-
&as les honneurs divins l défendit cp'oa
Expl. par mtf. Liv.II.Chap. IV. itf
touchât jamais fon corps , & étant entrée
tout d'un coup dans une grande fureur ,
fe mit à courir les champs. , ayant les
cheveux épars, & tenant à la main des
Cymbales , dont le bruit mêlé avec fes
hurlemens , répandoit l'épouvante par-
tout où elle pafïbit. Ses fujcts qui virent
leur Reine dans un état fi déplorable ,
Voulurent l'arrêter ; mais lorfqu'une main
téméraire l'eut touchée , le ciel fe décla-
ra pour elle , & parut tout en feu : Il
tomba au bruit du tonnerre une grande
pluie , & ce fut pour la dernière fois
qu'on vit la Reine , qui difparut tout
d'un coup. Après cet événement les At-
lantides rendirent les honneurs divins à
leur Reine , qu'ils nommèrent la Grande-
Mere des Dieux , honorèrent les deux
aftres qui nous éclairent, fous les noms
d'Helion& de Selené.
Cependant les Princes Titans , princi-
palement Saturne & Atlas , après la mort
de leur père Uranus,diviferent fon Empi-
re. Les parties occidentales de l'Afrique
échurent au dernier , qui donna fon nom
à cette célèbre montagne qui depuis a été
appellée le Mont Atlas : & comme ce
Prince s'étoit entièrement adonné à l'af-
tronomie &à la connohTance delà fphe-
r e , on publia que cette montagne foute:
t&S ta Mythologie & les Fable*
îioit le ciel. Hefperus fut celui de fe$
fils qui fe diftingua le plus par fa pieté
& par fes autres vertus ; mais un jour
qu'il étoit monté fur F Atlas pour étudier
le ciel , il fut enlevé dans un nuage ,
& on ne manqua pas de le placer dans
Fétoile qui porte fon nom , & de lui
décerner les honneurs qu'on rend aux
autres Dieux.
Atlas avoit eu fept filles qu'on nom-?
ma les Atlantides , fçavoir , Maia , Elec-
tre , Taygete , Afterope , Merope ,
Halcyone & Celéno. Elles furent tou-
tes mariées à des Héros ou à des Dieux ;
& comme, plusieurs Peuples fe vantoient
d'en tirer leur origine , on les plaça
après leur mort dans le ciel , où elles
forment la conftellation des Pleïades.
Les Atlantides ne faifoient pas le mê-«
me éloge de Saturne , qui partagea FEm-
pire avec fon frère Atlas : il étoit cruel,
& d'une extrême avarice. Ce Prince
ayant époufé Rhea fa fœur , en eut Ju*>
piter , qui fut furnommé Olympien. Ils
jeconnoiffoient à la vérité un autre Ju-
piter , frère d'Uranus & Roi de Crète,
mais beaucoup moins célèbre que fon
neveu , qui après avoir fait la conquête
du monde , & avoir comblé les hommes
de fes bienfaits , devint le plus gr^nç} dç.
jous les Dieux»
Exptparmfl.Uvll.CKAT.ïV. iS?
Telle eft, félon Diodore de Sicile,
la Théogonie des Atlantides , qui eft
afTez femblable à celle des Grecs ; fans
qu'on puiffe fçavoir fi ceux-ci l'ont re-
çue de ces Peuples d'Afrique , ou fî
eux-mêmes l'ont apprife des Grecs. Je
n'ajouterai au récit de cet Hiftorien que
peu de remarques , parce que j'expli-
querai au long toute cette Mythologie,
dans l'Hiftoire des Dieux de la Grè-
ce (i). J'obferve donc qu'il eft furpre-
nant, l°. que Diodore ne faffe aucune
mention de Neptune , dont la connoif-
fance & le culte paiTerent , félon Héro-
dote (2), dans la Grèce, de la Libye (0 Liv.*3
où il étoit connu & adoré de temps im-
mémorial. 2°. Qu'il ne parle pas non
plus de Minerve Tritonienne , que les
Anciens croyoient être née fur les bords
du Lac Triton en Afrique , & qui de-
voit aufïî être connue des Atlantides.
■ Enfin je remarque en troifiéme lieu qu'il
paroît par tout ce qu'on vient de rap*
porter , que le culte des Aftres , & en
particulier du Soleil & de la Lune , a
été la première & la plus ancienne Reli-
gion de ces Peuples , comme de tous
les autres.
S 88 La Mythologie & les Fahter
CHAPITRE V.
La Théogonie des Grecs.
LA Grèce n'eut jamais qu'une idée
très-confufe de l'Hifloire de fa Re-
ligion. Dévouée fans referve , fur un
article û important , à fes anciens Poè-
tes , elle les regardoit comme fes pre-
miers Théologiens ; & cependant ces
Poètes , ainfi que le remarque judicieu-
fement Strabon (i) , foit par l'ignoran-
ce de l'antiquité , foit par flatterie pour
les Princes Grecs , avoient ajuiîé en leur
faveur toutes les Généalogies de leurs
Dieux, pour faire croire qu'ils en def
cendoient. Auflî quand il s'agit dans
leurs ouvrages de quelqu'un de leurs
Héros , il ne faut gueres remonter pour
trouver à la tête de leurs Généalogies,
Hercule , Jupiter , ou quelque autre
Dieu. La folle prétention de vouloir
pafier pour très-anciens , eft remarqua-
ble dans prefque tous les Peuples ; & les
Grecs en ont été les plus entêtés. Ainiï
nous voyons avec furprife qu'eux , qui
ne pouvoient ignorer qu'ils avoient re-
çu plufieurs colonies d'Egypte & de
Expl par PHifi. Liv.IL Chap.V. ït$
Yhenicie , & que ces colonies leur a*
voient apporté leurs Dieux , & les cé-
rémonies du culte qu'on devoit leur
rendre , ont toujours prétendu que ces
mêmes Dieux étoient originaires , ou de
la Grèce , ou de la Thrace , ou de I3
Phrygie ; car c'eft là où fe réduit tout
le fyftême de leurs Poètes. Deux mots
d'Hérodote , qui dit que les Dieux des
Crées venoient de l'Egypte, font pré-
férables à tout ce que leurs Poètes ont
débité fur ce fujet.
Quoiqu'il en foit , rapportons leur
Théogonie. C'eft d'Orphée & d'He-
ïïode que nous la tirerons ; car il eft vi-
(îble que les autres Poètes qui les ont
fuivis , n'ont fait que les copier. Il eft
vrai qu'il ne nous refte aucun ouvrage
d'Orphée ; mais on peut puifer fes fen^
timens , i°. dans les Philofophes Pytha-
goriciens qui renouvellerent fa doctri-
ne ; 2°. dans un Manufcrit de Damaf-
cius , intitulé ne^ *p£«v, cité par Çumber-
land (1) , & par Cudword (2) , 3 -. dans o ) Dans
l'Abrégé de la Cofmogonie Orphique, |Pn 5)^-
fait par Timothée le Chronographe. niathon P.
C'eft de ces fourees que nous déduirons ig0; c a .
iyiteme de cet ancien roete. tell.
On parle bien diverfement de la Théo-
logie d'Orphée. Comme il a été le pre*
fj)0 La Mythologie & les Fable f
fnier qui a introduit parmi les Grecs leS
rites religieux du Paganifme , on Ta at-
cufé d'avoir inventé les noms des Dieux,.
£c forgé leurs Généalogies ; en quoi
ajoûte~t-on , il a été imité par Homère
<& par Hefîode. Damafcius même dans
le MS. que je viens de citer , dit qu'il
reprefentoit un des principes du monde,
fous la figure d'un Dragon , avec une
jCi) v.Cum- tête de Taureau & une de Lion ( i ) ,
fecri. P. us. avec ja face gun jylcu au mjijeu ^ & çjçg
ailes dorées à fes épaules. Cependant
malgré cette extravagante affertion , on
le regardoit comme un profond Philo-
fophe , & comme un homme infpiré ; &
par le fecours de l'Allégorie on trou-
voit dans cette bizarre imagination , les
myfteres les plus fublimes. Quoiqu'il
paroiffe par ce que les Anciens ont cité
de ce Poëte , qu'on doit le regarder com-
me l'Apotre du Polythéifme , cepen-
dant plusieurs fçavans hommes font per-»
fuadés qu'il reconnoiflbit un Dieu fu-
prême & incréé , comme auteur de tou-
tes chofes ; & ils fondent leur préten-
tion, non feulement fur la grande efti-
me qu'avoient conçu de lui les Se&es
des Philofophes qui fe piquoient le plus
de Religion ; fçavoir, les Pythagori-
ciens & les Platoniciens, mais aulîîpar*
fcequ'il y a bien de l'apparence que c'eft
dans fes Ecrits que ces deux Se&es ont
puifé leurs idées Philofophiques &
Theologiques. Cette opinion avanta-
geufe d Orphée fera encore mieux fon-
dée , fi on ajoute foi à F Abrégé de Ti-
mothée ; car cet Auteur nous apprend
que cet ancien Poète , en racontant la
génération des Dieux , la création du
monde , & la formation de l'homme,
n'avoit rien avancé d'auflï extravagant ,
que ce que quelques Auteurs lui ont re-
proche. Suivant cet Abrégé , la Théo-
gonie d'Orphée revient à peu près à
ceci.
Au commencement Dieu forma Y JE*
ther , où les Dieux , & de chaque côté
de T^ther étoit ie Chaos , & la nuit
qui couvroit tout ce qui étoit fous P^E-
ther ; voulant fignifier par là , que la
nuit étoit avant la création ; que la ter-
re étoit invifible à caufe de l'obfcurité
qui la couvroit ; mais que la lumière per-
çant à travers de l'^Ether avoit éclairé
tout le monde. C'eft: cette lumière qu'il
appelle le plus ancien de tous les Etres,
auquel un Oracle avoit donné les noms
de Confeïl , de Lumière , de Source de
<vie. Timothée ajoute que félon la doc*
#ine d'Orphée , ç'çtoit par le pouvoir
ipl La Mythologie & les Tables
de cet Etre , qu'avoient été produit*
tous les autres Etres immatériels , aufïï
bien que le Soleil, la Lune , &c* Que
le genre humain avoit été formé de la
terre par la même Divinité , & que
l'homme avoit reçu d'elle une ame rai-
sonnable. Enfin le même Auteur afîïire
qu'Orphée avoit publié un autre ouvra-
ge , dans lequel il enfeignoit que tou-
tes chofes avoient été produites par un
feul Dieu , qui avoit trois noms , & que
ce Dieu étoit lui-même toutes chofes,
Quoiqu'il en foit ; car il efl bien aifé
de prêter des idées à un Auteur fi an-
cien , & dont les écrits étoient peut-
être perdus depuis long-temps , lorfque
Timothée écrivoit en fa faveur ; il efl:
fur que les premiers Pères de l'Eglife
ont préféré la Théologie d'Orphée , à
celles des autres Payens , Se dès-là il y
a apparence que fi cet ancien Poète a
introduit le Polythéifme , il l'a fait plu-
tôt pour fe prêter à la grofïïereté de
ceux qu'il vouloit civilifer , que parce
qu'il en étoit convaincu. Mais ce qu'il
y a de plus particulier à obferver fur la
doftrine de cet ancien Poëte , c'eft qu'il
eft le premier qui ait enfeigné aux Grecs
la doâxine de Fœuf primitif , d'où for-
tirent tous les autres êtres ( I ) ; opi-
nion
Expl. par. VHift. Liv JI. Cm ap. V. ip £
iiion très-ancienne , qu'il avoit apprife
fans cloute des Egyptiens , lefquels , ainfi
que plufieurs autres Peuples , repréfen-
toient le monde par ce fymbole. Les
Phéniciens donnoient à leurs Sophafe-
rmm> la forme d'un œuf, & fe fervoient
de cette reprefentation dans leurs Or-
gies. Le même fymbole étoit employé
par les Chaldéens , les Perfans , les In-
diens , & les Chinois même ; & il y a
bien de l'apparence que telle a été la
première opinion de tous ceux qui ont
.entrepris d'expliquer la formation de l'u-
nivers.
Les Orphiques , c'eft-à-dire , les myf-
teres établis par Orphée , du moins en-
tendus fuivant le fyftême deProclus,
Philofophe Platonicien , forment auiîï
une autre efpece de Théogonie. Sui-
vant ces Philofophes , Orphée croyoit
que le gouvernement du monde n' avoit
pas toujours appartenu au même Dieu,
& qu'il y en avoit eu fîx qui fe l'étoient
difputé Se arraché fucceflivement. Pha-
nés avoit obtenu ce titre à fon tour ; &
ce Phanès n'étoit autre que le Bacchug
«Egyptien , c'eft-à-dire , Ofîris.
Voici maintenant la Théogonie d'He*
(iode , dont je vais donner l'abrégé.
Au commencement étoit le Chaos |
Tome L * I
jp4 La Mythologie & les Fables
enfcite la Terre, puis 1 Amour, le plus
beau des Dieux immortels. Le Chaos
engendra l'Erebe & la Nuit , du mélan-
ge defquels naquit TiEther & le Jour.
La Terre forma enfuite le ciel & les
étoiles , fejour des Dieux immortels. El-
le forma auffi les montagnes , & par fon
mariage avec le Ciel , elle produifit l'O-
céan , & avec lui Cœus , Creius , Hy-
perion , Japet , Thea , Rhea , Themis ,
Mnemofyne , Phœbé , Tethys & Satur-
ne. Elle engendra auffi les Cyclopes ,
Brontès , Steropès & Argès , qyi forgè-
rent la foudre dont fut arméJupiter. Ces
Cyclopes reffembloient en tout aux au-
tres Dieux, à cela près, qu'ils n'avoient
qu'un œil au milieu du iront. Le Ciel
& la Terre eurent encore d'autres en-
fans , les fuperbes Titans , Cottus , Bria-
rée & Gygès , qui avoient cent mains
& cinquante têtes. Cependant le Ciel
tenoit fes enfans enfermés , & ne leur
permettoit pas de voir le jour ; ce qui
affiigeoit fi fort la Terre leur mère ,
qu'ayant fabriqué une faulx , Saturne
S'en feifit , & s'étant mis en embufcade,
furprit le Ciel qui venoit coucher avec
la Terre , & lui çuupa les parties. Du
fang qui fortit de la playe furent formés
les Géants , les Furies , & les Nymphes 5
Expl. par PHift. Liv. ILCh ap. V. r $$
éc ces mêmes parties jettées dam la lypc
& mêlées avec l'écume de Teau , don-
nèrent naiflance à la belle Venus , qui
alla habiter Cythere. On la nomma
Aphrodite , parce qu'elle étoit née de
l'écume de la mer ; Cyprine , parce que
ce fut près de l'Ifle de Cypre qu'elle
prit naiflance ; & Cytherée , parce qu'el-
le alla d'abord dans l'Ifle de ce nom.
L'Amour & Cupidon furent fes compa-
gnons inféparables , & cette Déeïîe fit
les délices des hommes & des Dieux.
Cependant le Ciel étoit toujours en que-
relle avec les Titans fes enfans , & me-
naçoit de les punir.
Outre cela , la Nuit toute feule , 3c
fans le commerce d'aucun autre Dieu,
engendra l'odieux Deflin & la noire Par-
que ; la Mort , le Sommeil & tous les
Songes ; puis Momus , ^Erumna , ou
l'Inquiétude , que le chagrin & la dou-
leur accompagnent; les Hefperides, qui
ont la garde des pommes d'or & des
arbres qui les portent , au delà de l'O-
céan ; les trois Parques , Clotho , La-
chefîs & Atropos , Déeffes feveres qui
filent nos jours , toujours prêtes à ven-
ger les crimes des hommes & des Dieux ;
Kemefis , toujours funefte aux hommes ;
la fraude & l'amitié j la vieillefle & là
îp 6 La Mythologie & les Fables
contention , laquelle mit au monde le
fâcheux travail , l'oubli , la famine & les
tnftes douleurs, les combats, les carna-
ges , les défaites & tout ce qui détruit
les hommes ; les querelles , les diffen-
tions , les difcours fourbes & trompeurs,
le mépris des loix ; la fourberie , le fer-
ment qui fert fi fouvent à féduire les
hommes lorfqu'on fe parjure.
Pontus de fon commerce avec la Ter-?
re , eut le jufte Nerée , Thaumas, Phor-»
cys , la belle Ceto & Eurybie. De Ne-
rée & deDoris fille de l'Océan vinrent
(0 On don- les Néréides (i), au nombre de cin-?
nomsimeuis.q^^e- Thaumas époufa Eleftra fille
de l'Océan , qui fut mère d'Iris , & des
(2) virgiîe Harpyes , Aëllo & Ocypete (2). Phor-?
LtUte Ce"cys eut de Ceto , Pephredo & Enyo,
aufquelles on donna le nom de Grées ,
parce qu'en venant au monde , elles
avoient déjà les cheveux blancs ; il eut
auffi de la même alliance les trois Gor-
gones , Stheno , Euryale , Se Medufe ,
du fang de laquelle , lorfque Perfée lui
eut coupé la tête , fortirent le Cheval
Pegafe, & Chryfaor ; lequel ayant épou-
fé Callirhoé , fille de l'Océan , en eut
Geryon à trois têtes. La même Cal-
lirhoé mit au monde un Monftre qui
ne reflembloit ni aux Dieux ni aux hoias
Êxpl.par PHifl. Ltv.IL Chàp.V. ïp?
fhes , Echidna , ayant la moitié du corps
d'une belle Nymphe , l'autre moitié
d'un ferpent affreux & terrible. Quoique
les Dieux la tinfTent enfermée dans un
antre de la Syrie , cependant elle eut
de Typhon , Orcus , le Cerbère , l'Hy-
dre de Lerne , la Chimère que tua Bel-
lerophon , le Sphinx , qui caufa tant de
ravages à Thebes , le Lion de Nemée
auquel Hercule ôta la vie. Ceto eut de
Phorcys , le Dragon gardien du jardin
des Hefperides. Tethys eut de l'Océan
tous les Fleuves , le Nil , Alphée , &c,
& un grand nombre de Nymphes qui
habitent les eaux & les fontaines. Ici
le Poè'te en nomme plufîeurs , & dit
qu'il y en avoit trois mille , ainfî que
trois mille Fleuves , tous enfans de FO
cean & de Tethys. Thea eut d'Hype-
rion , le Soleil , la Lune , & la belle Au*
rore ; & Creius de fon mariage aveC"
Eurybée , Aftreus , Perfé & Pallas. Per-
fé s'étant uni à l'Aurore , eut pour en-
fans les Vents , Lucifer , cette belle
étoile du matin , & les Aftres qui or-
nent le ciel. Du commerce de Pallas
avec Styx , fille [de l'Océan & de Te-
thys , naquirent Zelus , la belle Nice f
la Force & la Violence , compagnes ia-
feparables de Jupiter : car lorfque ç«
liij
*î p 8 La Mythologie & les Fable s
Dieu voulut fe venger des Titans , 8c
qu'il appella tous les Dieux à fon fe-
cours , Styx arriva la première à l'O-
lympe avec fes enfans ; ce qui caufa tant
de joye à Jupiter , qu'il rendit de grands
honneurs à cette DéefTe , la combla de
prefens , voulut que fon nom fût em-
ployé dans le ferment inviolable des
Dieux , & garda avec lui fes enfans.
Phœbé eut de Cœus l'aimable Latone,
& Afterie qui fut mariée depuis avec
Perfé j & devint mère d'Hécate , que
Jupiter honora plus qu'aucune autre
DéefTe , lui donnant un pouvoir abfolu
fur la terre , fur la mer & fur le ciel ,
en forte qu'on n'offre jamais aux Dieux
de facrifices ou de prières , fans l'in-
voquer. Elle préfide à la guerre , aux
confeils des Rois , & procure la vi&oire
dans les combats.
Rhea s'étant unie à Saturne , en eut
d'illuftres enfans , Vefta , Cerès , Ju-
non , Pluton , Neptune & Jupiter , le
père des Dieux & des hommes ; mais
ce Dieu ayant appris d'un oracle rendu
par le Ciel & par la Terre , qu'un de fes
enfans le détrôneroit , il les devoroit à
mefure que Rhea les mettoit au mon-
de ; ce qui la jettoit dans une extrême
affii&ion. C'eft pourquoi lorfqu'ello fut
ExplparPm.Uv.IL Chat.V. 199
prête d'accoucher de Jupiter , elle con-'
fulta fes parens pour fçavoir de quelle,
manière elle pourrok le dérober à la
cruauté de fon pere.& par leur confeil el-
le alla accoucher fecretement dans 1 111e
de Crète , & prefenta une pierre envi-
ronnée de langes à Saturne , qui 1 avala.
Jupiter devenu grand, délivra Cœlus
que Saturne avoit chargé de chaînes.'
Celui-ci pour le recompenfer , lui don-
na la foudre , qui le rendit le maître
des Dieux & des hommes.
Cependant Japet ayant époufé Cly-
mene fille de l'Océan, elle mit au mon-
de Atlas , Menetius , le rufé Promethée,
& l'infenfé Epimethée : Jupiter écrafa
d'un coup de foudre & précipita dans
les enfers Menetius , qui s'étoit fouillé
de plufieurs crimes y il chargea Atlas
du foin de foutenir le ciel fur fes épau-
les , dans le pays des Hefperides aux ex-
trémités de la terre ; & attacha à une
colonne avec de fortes chaînes Prome-
thée, dont une Aigle devoroit fans celle
le foye , qui renailfoit chaque nuit, pour
le punir de ce qu'il l'avoit trompé dans
un facrifice qu'il lui offroit.
Hefiode raconte enfuite la guerre de
Jupiter contre fon père Saturne & con-
tre les Titans , fur lefquels le père de?
I mj
£00 La Mythologie & les Fables
Dieux ayant remporté la vi&oire , il les
chafla de l'Olympe , & relégua dans le
fond du Tartare , aux extrémités de la
terre ] Cottus , Gygès, & Briarée. Nep-
tune prit ce dernier pour fon gendre ,
& lui donna en mariage fa fille Cymo-
polie.
Cependant la Terre 5 mariée avec le
Tartare , mit au monde le dernier de
fes enfans , Typhon , des épaules du-
quel naiffoient cent têtes de ferpens.
JLe feu fortoit de ks yeux , & d'horri-
bles voix fe faifoient entendre de toutes
fes bouches. Le ciel étoit en danger,
Se Jupiter lui-même rifquoit de perdre
fon empire ; mais ce Dieu avec le fe-
cours de fa foudre terraïTa le fuperbe
Géant , Se le précipita au fond du Tar-
tare. Ceft à ce Typhon que les Vents
doivent leur origine , fi on excepte No-
tus , Borée, & leZephire , qui font en-
fans des Dieux (a).
Jupiter , poiTeffeur paifible de l'O-
lympe Se maître des Dieux j époufa
-Métis (i), Déeffe dont les connoiffan-
cqs étoient fuperieures à celles de tous
les Dieux & de tous les hommes. Mai*
dans le temps qu'elle étoit prête d'ac-
çoucher de Minerve , Jupiter inftruit
*(<0 te yent de midi , celui de nord, & celui ducouchaatt -
Expl.par PHtfî. Liv .IL Chap.V. 201
Qu'elle étoit deftinée à être mère d'un
fils qui deviendroit le Souverain de l'u-
nivers , avala la mère & l'enfant , afin
qu'il pût apprendre d'elle le bien & le
mal. Après cela il époufa Themis qui
enfanta les Saifons , Eunomie , Dice *
Irène , & les trois Parques Clotho , La-
chefis , & Atropos, Il eut auflî d'Eury-
none , fille de l'Océan , les trois Grâces
Aglaïa , Euphrofyne , & Thalie ; & de
Cerès , Proferpine que Pluton enleva*
Devenu amoureux de Mnemofyne , il
la rendit mère des neuf Mufes ; Latone
lui donna pour enfans Apollon & Diane.
Enfin fa dernière femme fut Junon, qui
le rendit père d'Hebé , de Mars , & de
Lucine. Elle mit auflî au monde Vul-
cain , mais au moment de la naiflance
de ce dernier elle fe brouilla avec font
époux , qui de fon côté eut feul la fage
Minerve , l'ayant fait fortir de fon cer-
veau.
Neptune eut d'Amphitrïte, Triton;
& Venus eut de Mars , la terreur & la
crainte , qui accompagnent ce Dieu dans
les combats, & la belle Harmonie que
Cadmus époufa. Maïa fille d'Atlas de-
vint mère de Mercure qu'eiie eut de Ju-
piter , lequel eut auflî Bacchus , de Se-
mêlé fille de Cadmus , & Hercule d Alc-t
lv
202 La Mythologie & les Fable f
mené. Vulcain époufa Aglaïa la plus
jeune des Grâces ; Bacchus , Ariadne
fille de Minos ; & Hercule après fou
Apothéofe , la jeune Hebé, fille de Ju-
piter & de Junon. La belle Perféis don-
na pour enfans au Soleil , Circé & /Ee-
tès , lequel époufa par le confeil des
Dieux la charmante Idyia, fille de l'O-
céan , dont il eut Medée.
Après avoir ainlî rapporté les Généa-
logies des Dieux, Hefiode parle des en-
fans que les Déeffes eurent des hommes
mortels , & qui furent mis au nombre
des Dieux. Cerès devint mère de Plu-
tus , le Dieu des richeffes. Harmonie ,
fille de Venus , eut de Cadmus , Ino,
Semelé , Agave , & Autonoé qui épou-
fa Ariftée , & Polydore. Chryfaor eut
de la belle Callirhoé, fille de l'Océan,
le robufte Geryon , qui fuccomba fous
les efforts d'Hercule. L'Aurore donnar
pour enfans à Tithon , Memnon Roi
d'Egypte , Se Hemathion ; & à Cephale,
Phaëthon (à) , qui fut fi cher à Venus,
Jafon ayant époufé Medée fille d'iEetès,
en eut Medus. Pfamathé , une des Né-
réides , mariée à iEaque , fut mère de
Phocus. Thetis , époufe de Pelée , lui
(a) Il n'efl pas le même I 7Aet*m. L, 2. & qui étoif
qae celui dont parle Ovide, I fils du Soleil & deClymene»
ExpLpaYPHiJl.Liv.ïI.CRAT.V. 205
'donna pour fils Achille ; & Anchife eut
de Venus le pieux Enée , dans les forets
du mont Ida. Circé , fille du Soleil ,
eut d'UlyïTe Agrius 6c Latinus. Enfin
Calypfo donna au même Ulyfle deux
enfans , Naufithoiis , & Nauïinoiis.
Telle eft la Théogonie des Grecs ^
compofé monftrueux d'hiftoire & de far
blés , dans lequel on remarque à tous
momens une phyfïque grofîiere , confon-
due avec des-traditions défigurées ; des
générations naturelles , mêlées avec des
générations métaphoriques ; des noms
vifiblement allégoriques , à côté de
noms véritables : le tout recueilli par
Hefiode , dans une efpece de Poème
fans art , fans invention , & fans autre
agrément que celui de quelques épithe-
tes brillantes , dont il l'a orné. J'ai cru
cependant qu'il étoit neceffaire de la
rapporter , parce qu'elle eft le fonde-
ment des fables Grecques , que j'expli-
que dans la fuite de cet Ouvrage.
Ariftophane , le même à qui Platon
dans fon Banquet , comme nous l'avons
remarqué (1) , fait débiter la fable des
Androgynes , a auffi jette dans fa Comé-
die des Oifeaux , un abrégé de la Théo-
gonie & de la Cofmogonie des Grecs,
avec plus de méthode & plus de clarté
ïvj
!È04 La Mythologie & les Fables
qu'Hefîode. Au commencement, faît-îf
dire à on de fes A&eurs , étoient le
Chaos , le noir Erebe , & le vafte Tar-
tare ; mais il n'y avoit encore ni terre,
ni air , ni cieux. La Nuit avec des ailes
noires , mit le premier œuf dans le vafte
fein de l'Erebe , d'où fortit après quel-
que temps l'Amour bienfaifant , revêtu
d'ailes dorées. De l'union de l'Amour
& du Chaos , vinrent les hommes & les
animaux. Au refte il n'y avoit point de
Dieux avant que l'Amour eût mêlé tou-
tes ôhofes ; mais de ce mélange furent
engendrés les Cieux & la Terre, aufït
bien que la race des Dieux immortels.
Cette Théogonie , mife par derifîor*
dans une Comédie , faifoit fans doute
partie de quelque ancien fyftéme,dont
on ignore l'Auteur. Quoiqu'il en foit*
pour revenir à Heiîode, il paroît par
fes autres ouvrages que les hommes du
fiecle d'or , font devenus Démons ,
Amuù.iï, ou bons Génies : ce font, fé-
lon lui , ceux qui veillent fur les hom-
mes , & la terre eft leur partage. Ceux
de Page d'argent ont été changés en
Mânes , ou Génies fouterrains , heureux
mais mortels; comme s'ilpouvoit y avoir
de bonheur fans l'immortalité. Ceux du
|îecle d'airain font defeendus aux enfer§«
Ëxpl.parrHiJl.liv.lLCHkT.V. SoÇ
Enfin ceux de l'âge Héroïque font allés
habiter les Iflesfortunées, ou les Champ*
Elyfées, fîtués aux extrémités du monde.
On peut tirer encore une quatrième
Théogonie Grecque d'un Auteur très-
ancien , s'il eft vrai qu'elle ait été fuivie
par Pronapidès , Précepteur d'Homère,
ainfî que le prétend Bocace (i) , fur un (i) GeneaS».
fragment de Theodontius , qui exiftoit jTx. çTu
apparemment de fon temps. Suivant cet-
te ancienne Théogonie , la plus raifon-
nable de toutes , il n'y avoit qu'un Dieu
feul qui fût éternel , duquel tous les au-
tres Dieux avoient été produits. Il né-
toit pas permis de donner aucun nom à
ce premier Etre (a) , & on ne fçauroit
dire ce qu'il eft. Anaxagore croyoit l'a-
voir défini , en difant qu'il eft Tenten-
dément (2). Cependant comme les idées (2) Ntrig
les plus fîmples ont été altérées dans la
fuite, Laâance, Scholiafte de Staee ,
nomme cet Etre Souverain Daimogor*
gon , ainfî que fait après Theodontius
F Auteur que je viens de citer ; nom qui
veut dire le Génie de la terre , & qui
par la defeription qu'on fait de ce Dieu,
ainfî qu'on le verra en fon lieu , ne ré-
pond gueres à l'idée que les premiers
{ a ) Et triplids mundi fummum , yuan frire nefaflnm eji , ( 3 y Theb*"
jU»mfc4taceod du ùuce u)» L. *. v. ut*
'4o£ La Mythologie & les Fallet
Philofophes s'en étoient formée. CaÊ
enfin , & il eil bon de le remarquer , les
Poètes , qui ont été les premiers Théo-
logiens de la Grèce , ont pour ainfi di-
re, perfonifié leurs idées, & fait cha-
cun à leur mode des Théogonies ; mais
ils femblent toujours fuppofer un Etre
véritablement indépendant. Ils convien-
nent même la plupart d'une éternité,
d'une Ontogonïe , ou génération des E-
très , dont les uns font celeftes , les au-
tres terreftres ou infernaux ; mais Dai~
mogorgon ôc Acklys , font , dans leur
fyfteme , avant le monde , avant même
le Chaos. Leur Acmon , leur Hypfiftus
exiftent avant le Ciel , que les Latins
nomment Cœlus , & les Grecs Ouranos.
Selon eux encore la Terre , le Tartare,
& l'Amour , avoient précédé Cœlus y
puifqu'on trouve dans Hefiode que ce-
lui-ci eft lui - même fils de la Terre,
Phornutus , Hefychius , & Simmias de
Rhodes fon Scholiafte , regardent Ac-
mon comme le père de Cœlus ; & ce
même Acmon eft fils de Manès , dans
Polyhiftor & dans Stephanus. Cœlus
a été premièrement père des Hecaton-
chires , enfuite des Cyclopes , puis des
Titans , & de Saturne , qui à fon tour
eft devenu le père des autres Dieux. Les
Expl.par PEiJÎ. Liv.II. Chàp. V. 207 1
Géants , enfans de la terre , vinrent en-
fuite , & Typhon eft le dernier de tous.
Après les Dieux & les Géants, biendif-
ferens , comme on voit , des Titans , qui
étoient des Dieux de la race de Cœlus,
font venus les Demi-Dieux , du com-
merce des Dieux avec des mortelles , ou
des Déeffes avec les hommes.
En un mot , les Grecs regardoient
comme des Dieux , ceux qui avoient
vécu depuis le commencement du mon-
de , jufqu'au partage qu'ils font faire de
Funivers entre Jupiter , Neptune & Plu-
ton ; c'eft-à-dire , fi on veut concilier
les fables avec l'hiftoire , jufqu'au temps
de Phaleg & de Nemrod. Ils n'ont con-
nu que très - confufément les premiers
temps ; ce qui leur a été commun avec
tous les Peuples qui ont confervé d'an-
ciennes Annales , comme les Egyptiens,
les Chinois , &c. Il ell bien aifé de voir-
qu'ils n'ont fait qu'altérer l'ancienne &
véritable tradition , que Moyfe feul a
confervée , & qu'ils font tombés par là
dans les erreurs les plus monftrueufes.
En voici un exemple bien autentique,
qui fuffira pour le prefent.
On trouve dans le texte des Septante,
que les Géants font fortis du commerce
ctes Anges avec les filles des hommes*
4o§ La Mythologie & les Fabler
Cette opinion a même été fuivie parlcS
plus anciens Interprètes de l'Ecriture
Sainte ; de même que par Philon , Jo-
feph , S. Juftin , Athenagore , Clé-
ment d' Alexandrie , &c. Plufîeurs Sca-
vans Rabbins l'ont adoptée , & elle efl
encore généralement reçue par tous les
Mahometans. En a-t'il fallu davantage
à ceux qui ont connu cette tradition f
pour leur faire dire que les Dieux a-
voient été amoureux des femmes mor-
telles , & en avoient eu des enfans ? Les
Anges dans l'Ecriture font nommés fils
de Dieu ; ainfi il eft vraifemblable que
les Dieux des Grecs ont été imaginés fur
l'idée des Anges , bons & mauvais : de
là font venus les Egregores des Hébreux,
les Annedots des Chaldéens, les G'innes
enfin , les Génies , les Eons , les Archon-*
tes , les Titans , les Géants , & tous les
Dieux ou Demi-Dieux du Pagamfme.
Le Livre d'Henoca fans doute beau-
coup contribué à faire adopter l'opinion
du commerce des Anges avec les filles
des hommes. Cet ouvrage eft certaine-
ment fuppofé ; mais il eft très-ancien,
puifqu'il a été connu des Apôtres- qui
l'ont cité. Ainfî Dodwel , & le Père
Dom Pezron , ont tort de douter de for*
antiquité ; fur ce que les Grecs ne La-
Expl.parPWJl. Liv.II. Chàp.V. 2cjf
Voient pas connu ; comme s'ils avoient
eu connoiffance de tous les Livres an-
ciens , avant qu'ils euffent été traduits
en leur langue.
Mais puifque nous fommes tombés
fur l'article de ce Livre , il eft bon d'en
donner une idée abrégée , & de décou-
vrir enfuite l'origine de la Fable qu'il
contient , & que Philaftrius met au
nombre des Herefies. Lorfque les hom-
mes fe furent multipliés ^ dit l'Auteur
de cet Ouvrage , ils avoient des filles
d'une grande beauté , & fi aimables que
les Egregores , ou les Anges gardiens,
conçurent pour elles une violente paf-
fion. Ils dépendirent du Ciel, allèrent
fur le Mont Hermon , fe liguèrent en-
femble, & s'engagèrent par ferment de
fe foutenir l'un l'autre. Ayant après
cela eu commerce avec ces filles , elles
conçurent les Géants , les Nephelim,
fils des Géants , & de ceux-ci vinrent
les Eliud.
L'Auteur nomme vingt de ces chefs
des Anges , qui apprirent aux hommes
plufieurs Arts , fur-tout l'art funefte de
la Magie, & l'ufage des Armes. Il ajou-
te enfuite que Dieu , voyant les défor-
dres affreux où les Géants , & leurs en-
fcas étoient tombés > envoya fur la terre-
2T0 La Mythologie & les Fahles
Michel , Gabriel , Raphaël & Uriel.
L'Archange Michel fe faifit de Semixas ,
le chef de ces Anges rebelles , le lia a-
vec fes compagnons , & les relégua dans
les lieux les plus bas de la terre , où ils
doivent demeurer jufqu'au jour de leur
jugement. Il fema enfuite la difcorde en-
tre leurs enfans , qui s'exterminèrent les
uns les autres.
J'explique cette Fable dans l'article
(0 Voyez des Géants, (i) Elle n'eft fondée que fur
" un mot de l'Ecriture mal entendu , Se
fur une équivoque. Les premiers Inter-
prètes ayant vu dans Job le nom de Vils
de Dieu donné aux Anges , l'ont aufîî
interprété des Anges dans le paflage de
la Genefe , où il ne s'agit que des en-
fans de Seth , qui par oppofition aux
defcendans de Caïn , font appelles fils*
de Dieu : Vtdentes filii Dei plias homi-
> num y &c. (2) Ceux-ci ayant été frappés
de la beauté des filles de la race de Caïn,
fe marièrent avec elles , en eurent des
enfans , qui fe rendirent redoutables ,
plus par leurs défordres , que pour l'é-:
normité de leur taille : car le mot de
Nephelim , dont fe fert la Genefe pour
défîgner ces enfans, fignifie également
des Géants , & des gens tombés dans
les plus grands défordres par le dére-r
gleineut de km; yiç,
Expl par PH'îft. Liv.II. Chap.V. 2 1 1
Quoiqu'il en foit , j'adopte ici la ré-
flexion de M. Fourmont , qu'on doit
confulter fur cet article (i) , dans lequel ^ Refl;
il rapporte d'après le faux Henoc, les cm. Liv. 2. *
noms des vingt Anges rebelles , & les Sed* 2#
explique fçavamment. Cette reflexion
eft , que l'Auteur de ce Livre introduit
cinq fortes de perfonnages. i.Les hom*
mes nés d'Adam. 2. Les Egregores , ou
Anges du Ciel. 3. Les Géants fortis des
Egregores. 4. Les Nephelim, enfans des
Géants, y. Les Eliud, fils des Nephelim.
En quoi cet Auteur paroît conforme à
Hefiode , dans la Théogonie duquel
on trouve auffi , à peu près, ces cinq
clafTes , comme je l'ai déjà remarqué.
On me blâmeroit fans doute , fi après
avoir parlé dans ce Chapitre , d'Or-
phée , d'Hefîode , & de quelques autres
Poètes Grecs , je ne difois rien d'Home-
re , qui dans fon Iliade & dans fon O-
dyffée , a employé avec tant d'appareil
les mêmes Dieux qu'Hefïode & Orphée;
mais il eft bon de remarquer que ce
grand Poète n'a pas entrepris comme les
deux autres , de donner un Syftême fur , xrsXmL ,
ces mêmes Dieux , oc n a tait que le 1er- fur les Dieux
vir de la Théologie établie de fon temps. ^^"derA-
Homere , comme l'a judicieufement re- cad.des Beiiei
marqué JVL l'Abbé Fraguier,(2) n'eu J~ T' 3*
Si 2 La Mythologie & les Fables
qu'un Poëte ; s'il efl: Théologien , comâ
me il l'eft en effet , puifqu'il parle à tout
propos , & qu'il employé le miniftere
des Dieux , il ne l'eft que par occafion ,
& nullement par fyftême. Or qu'eft-ce
qu'un Poëte ? C^eft un Peintre , un Imi-
tateur : il ne produit pas fon objet , mais
il l'imite & le peint. Quelque idée qu'il
ait lui-même fur fes Dieux , comme il
en parle pour plaire , & pour être enten»
du , il ne fort point du fyftême reçu de
fon temps. Dès-là Homère , né dans le
fein du Paganifme , n'a pas dû reprefen-
ter les Dieux autrement qu'il ne les a
reprefentés. Il n'a pas inventé la Théo*
logie qu'il fuit , il Ta reçue ; mais comme
le temps qui détruit les erreurs , a refpec-
té fes Ouvrages , Se que ce grand Poëte
avoit fçû y mettre en œuvre tout ce
qu'une fauffe Religion lui fournifFoit,
on a cru dans la fuite qu'il étoit le père
& l'inventeur de tant de chofes extraor-
dinaires & bizarres , dont en effet il n'a
été que le Copifte & le Peintre.
Ciceron fe plaint qu'Homère a abbaif»
fé les Dieux jufqu'aux hommes , au lieu
d'élever les hommes jufqu'à la perfec*
tion des Dieux. Ce reproche eft injufte.
La plupart des Dieux d'Homère avoient
cté des hommes , qui par des afticmft
Expl.-parPHifl.Lvr.lî.Citkt.'V. 2ï$
d'éclat , & par l'invention des Arts ,
avoient mérité les honneurs divins ;
mais ces avions , quelques brillantes
qu'elles fuiTent , n'étoient pas toujours
fuivant les règles d'une exaâe probité.
La Moralp n'a pas toujours eu la pure*
té , à laquelle Pythagore & Platon l'ont
reftrainte dans la fpite. La force , les ta*
lens , & les dons de la nature , ont long-
temps tenu la place du vrai mérite ; Se
parce qus c'étoit-là ce qui avoit confa-
eré ces grands hommes , on croyoit ces
chofes dignes d'eux après leur confecra-
tion.
En un mot , des hommes déifiés te*
noient & de la perfe&ion divine , & do
la foibleffe humaine ; ainfi le Poète a
dû les reprefenter fuivant ces deux idées,
& dès-là on doit voir en lui un mélange
de grandeur & de petiteffe , de force ÔC
de fpiblefle , de majefté Se d'abbaifTe-*
ment , de vertus éclatantes ôç de vices
honteux.
On voit par ce que je viens de dire ,
que les Grecs avoient plufieurs Théogo-
nies , & qu'ils avoient réduit en fyftê-
me la Théologie qu'ils avoient reçue
des peuples de l'Orient. Les Romains
n'ont rien eu de femblable. Contents dç
h Religion des Grecs $#des autres Peut
2 1 4 La Mythologie & les Fables
pies qu'ils avoient vaincus , ils prirent
leurs Divinités, le culte , les cérémonies,
les facrifices , les Prêtres , les fêtes , en
un mot tout l'appareil que l'Idolâtrie
entraînoit avec elle , fans avoir jamais
fongé à réduire en fyfteme une Religion
fi bigarrée ; & la Ville du monde la plus
Idolâtre , fut celle de toutes qui négli-
gea le plus FHiftoire de fes Dieux. Ci-
ceron à la vérité donne dans fon Traité
de la nature des Dieux quelques Généa-
logies , mais comme il fe fert le plus fou-
vent des idées qu'il avoit puifées dans
les Livres des Grecs , & qu'il difpute fur
cette matière en Académicien , on ne
peut pas regarder fon Ouvrage comme
un fyfteme de Théologie.
Ce feroit ici le lieu de parler des diffe-
rens fentimens des Philosophes Platoni-
ciens , au fujet de leurs Dieux , & fur ce
qu'en avoient penfé les Anciens ; mais
outre que cette difeution m'écarteroit
trop de mon objet , les reflexions que je
fais fur cette Article à la fin du Traité de
l'Idolâtrie, fuffifent pour en donner une
idée exaéte. Après tout , que peut-on
conclure des differens partis où .fe jet*»
terent les Celfes , les Jambliques , les
Porphyres , & quelques autres , finon
que ces Philofophes, pour diminuer l'ab«
Expl.parVHift. Lïv.II. Chap.VL gi£
furdké & la groffiereté de lldolatrie do-
minante , & fe débaraffer en même-temps
des objections triomphantes des premiers
Pères de 1 Eglife , avoient cherché à al-
Jégorifer un fyftéme monftrueux ; mais
ces allégories , qui n'avoient d'autre fon-
dement que leur imagination , nJavoient
pas même été entrevues par ceux qui les
premiers avoient parlé des Dieux , & de
Jeurs générations.
CHAPITRE VI.
Cofmogonie & Théogonie d? Ovide.
EN F 1 N Ovide fidèle imitateur des
Poètes qui l'avoient précédé , eft
le dernier qui nous ait donné une Cof-
mogonie , au commencement de fes Mé-
-tamorphofes. « Avant que la Mer., la
» Terre , & le Ciel qui les enlevoppe ,
*> dit-il , fuflent formés , l'Univers entier
» ne prefentoit qu'une feule face Cet
*> amas confus , ce vain & inutile poids ,
»> dans lequel les principes de tous les
» Etres étoient confondus, c'eft ce qu'on
-*> a appelle leChaos.Le Soleil ne prètoit
9> point encore fa lumière au monde , la
jp Lune n'étoit point fujette à fes vici£
$ 1 6 LaMythologte & les Tables
* fitudes ; la Terre ne fe trouvoit point
yy fufpenduë au milieu des airs où elle fc
» foutient par fon propre poids ; la Mer
» n'avoit point de rivages ; l'eau & Pair
» fe trouvoient mêlés avec la terre , qui
» étoit fans folidité. L'eau n'étoit point
» fluide ; & l'air manquoit de lumière.
33 Tout étoit confondu. Nul corps n'a-»
» voit la forme qu'il devoit avoir ; & tous
» fe faifoient obftacle les uns anx autres,
a> Le froid combattoit contre le chaud ,
» le fec avec l'humide. Les corps durs
» attaquoient ceux qui ne faifoient point
» de réfiftance, & les pefants difputoient
*> avec ceux qui font légers. Dieu , ou la
*> Nature elle-même , termina tous ces
» différends , en féparant le Ciel d'avec
» la Terre , la Terre d'avec les eaux , &
» YJEther , ou l'air le plus pur , d'avec
y> celui qui eft plus groiîier. Le Chaos
» ainfi débrouillé, chaque corps fut pla^
33 ce dans le lieu qu'il devoit occuper >
od Dieu établit les Loix qui dévoient en
» former l'union. Le feu, qui eft des
33 Elemens le plus léger , occupa la re~
*> gion la plus élevée. L'air prit au-def-
?> fous du feu la place qui convenoit à fa
» légèreté ; la terre , malgré fa pefan-
33 teur , trouva fon équilibre , & l'eau
83 fut placée dans le lieu le plus bas.
» Après
ExplparP Hifi. Liv. IL Chàp.VL 2ï?
*> Après cette première divHion , ce
•» Dieu , quel qu'il aitété,arrondit la iur-
» face de la terre , & repandit les mers
» par-deffus. Il permit aux vents d'agi-
* ter les eaux , fans permettre toutefois
*> que les vagues puflent pafler les bor-
*> nés qui leur furent prefcrites. Il for-
*> ma enfuite les Fontaines , les Etangs 9
» les Lacs , & les Fleuves , qui renfer-
» mes dans leurs rives , coulent fur la
» terre Il commanda aufïi aux campa-
» gnes de s'étendre , aux arbres de fe cou-
„ vrir de feuilles , aux montagnes de s'é-
v lever , & aux vallées de s'abaiïTer. „
Ovide,après avoir décrit cet arrange-
ment,parle des cinq Zones, deux froides,
deux tempérées , êc une brûlante , qui
efl la Zone Torride. Il traite aufli des
vents , & marque les lieux- d'où ils
foufflent ; enfuite , après avoir fait men-
tion de la région des airs , où fe forment
la grele,les éclairs & le tonnerre , il pour-
suit ainfî ;
„ Dès que les limites;qui dévoient fer-
.„ vir de barrière aux différents corps qui
„ compofent l'Univers , furent réglées ,
„ les Aflres renfermés jufques4à dans la
ç, mafTe informe du Chaos , commence-
, , rent à briller ; & enfin que chaque ré-
*? Sion fût peuplée d'êtres animes , les
Tome L &
$l8 La Mythologie & les Fables
9, Etoiles , image des Dieux , furent pla*
„ cées dans le Ciel ; les poiflbns habite-
„ rent les eaux , les bêtes à quatre pieds
& eurent la terre pour demeure , & l'ai*
>? devint le féjour des Dieux.
5,Ilmanquoit encore au monde un Etre
15 plus parfait. Il en failoit un qui fût
„ doué d'un efprit plus élevé , & qui par-*
3, làfût en état de dominer fur les autres,
„ L'homme fut formé ; foit que l'Au-
j, teur de la Nature l'eût compofé de
j, cette femence divine qui lui eft pro?
5, pre , ou de ce germe célefte , que la
», terre , toute nouvelle , & qui ne venoit
Î5 que d'être féparée du ciel, renfermoit
.3, encore dans fon fein.Promethée ayant
5, détrempé de cette terre avec de l'eau
5, en forma l'homme à la reflemblance
5, des Dieux ; & pendant que tous les
5, autres animaux portent la tête pen?
„ chée vers la terre , 1 homme feul la le*
5, ve vers le ciel , & porte fes regards
9, jufqu'aux Aftres. C'eft ainfî qu'un
|j morceau de terre , qui n'étoit aupa*
„ ravant qu'une maiïe informe , parut
5, fous la figure d'un Etre ? juftjuVJoxs
v inconnu à l'Univers,
Expî.par PHifî. LiV.II.Chap. VI. si£
Réflexions fur les différentes Théogonie?
des Grecs.
Telles font les différentes Gofmogo-
ffies & Théogonies des Grées , fur leP
quelles je vais faire les reflexions fuivan*
tes.
Nous ne connoiffons pas aflez le Sys-
tème d'Orphée, pour fçavoir quelle part
il avoit donnée à Dieu dans la formation
tlu monde;& fi nous n'avons pas de preu-
ves fuffifantes , pour croire qu'il a penfé
comme les autres Poètes 8c les Phliofo-
phes les plus éclairés qui ont paru long-*
temps après lui , tels que les Pythago-»
riciens 6c les Platoniciens , nous n'avons
auffi aucun droit de confondre fon opi-
nion avec celle de Sanchoniathon , en*
-core moins avec le Syftêrae de Diodore
•de Sicile, 'qui fait naître les p remers
hommes à peu près comme les Egyp*
tiens croyoient , quoique fauffement ,
que naiffoient les Infeftes, après que les
£aux duNil fe font retirées.
Tous ces Syftêmes fuppofent que
î'Amour unit les principes différens *
dont le Chaos étoit formé , & que de
cette union fortirent tous les Etres. Mais
«ju'eft-ce que cet Amour , fi ce n'eft Tu-
ftion naturelle des Corps homogènes î
M
+L10 La Mythologie & les Fableè
Et fî les Auteurs de ces opinions extrd^
vagantes l'ont perfonifîé , on voit bien
que ce n'eft qu'un perfonnage métapho-
rique, qui n'exifta jamais que dans leur
imagination. La création efl un myftere
inconnu à la raifon humaine. Les Philo-
fophes , qui ne comprirent jamais que
de rien on pût faire quelque chofe %
avoient tous généralement adopté cet
Axiome : Ex nihilo nîhll , & in nibilum
ml pojfe revenu Ainfi voyant la forme adr
mirable de l'Univers , qu'ils attribuoient
ou à un Etre fuperieur à la nature , ou
plus fouvent encore à la nature même, ils
ont toujours fuppofé une matière pré*
exiftanite ; mais confufe & informe , qui
fut débrouillée dans la fuite; & ne fâchant
à qui donner la gloire d'avoir mis dans
le monde l'ordre qui y règne , ils imagir
ïierent leur Amour, qui lyeftque F union
caufée par le feul mouvement des corps.
Ovide , qui n'eft venu au monde que
huit cens ans , ou environ? après Her
fiode, a commencé comme lui fon grand
Ouvrage des Métamorphofes par le
Chaos ; mais il ne l'a imité qu'en cela ;
car pour lfl. manière de débrouiller ce
même Chaos , ij. diffère totalement du
Poète Grec. On ne voit point qu'il fàfTç
jnteryçnijr F Amour flzris çettç opera»^
ËxpLparVHtjl.Lw.ïLCXA*. VI. 22$
Cependant 5 comme il lui faut un Agent,
il ne fçait pas trop à quoi fe déterminer ,
& fon incertitude paroît dans ce vers. (1) ( 1 ) Mew-
morph. L. i-
Hanc Deus > & melior litem natura diremit* v. 2 1 .
Comme dans cet autre :
(-i) Sic ubi dijpofîtam, quifquisfuit ilk deortm , M M'd*
Congeriemjicuit , &c. v# 3it
Voilà donc ce Chaos & cet Erébe tant
Chantés par les Poètes, dont la première
idée femble prife dans Sânchoniathon ,
qui lui-même Favoit fafts doute emprun-
tée , ou de ces paroles de Moyfe : ( 3 )
Terra autem eràt inanis &* vàcua ,- Ù* tc-
webrœ erantfuperfaciem AbyJJi; ou plutôt
des Traditions répandues dans le pays
où vivoit cet Auteur Phénicien , & plus
anciennes que les Ecrits du faint Légis-
lateur des Hébreux.
Je fuis bien éloigné de trouver, com-
me quelques Sçavans , une grande con-
formité entre cette tradition de la créa-
tion du monde , & ce qu'en ont écrit ,
Sânchoniathon , Hefiode , & Ovide ;
mais je ne fuis pas aiïez prévenu pour n ;
pas croire que c'eft dans elle qu'ils ont
puifé Tidée de leur Chaos. Pour le refte,
rien de plus différent. Ce font des efprit»
yifs , (jui fur une fimple lueur , ont dou*
1L%
2522 La Mythologie & les fables
né carrière à leur imagination , qui ayant?
perdu un guide fidèle , s'eft égarée un
înftant après dans le vafte pays des fic-
tions. Mais un court parallèle du com-
mencement de la Genefe , & de la Théo-
gonie d'Hefiôde ; va mettre fous les yeux
du Leâeur ce. qui peut s'y trouver de
reïïemblance , ou de différence.
Je ne dis rien de la création ; ni He-*
ïîode , ni aucun Auteur profane ne l'ont
reconnue. Moyfe commence par dire
que la Terre étoit vuide , & que les ténèbres
étoient répandues fur la face de PAbyfmeé
Hefiode dit : le Chaos fut avant toutes
chofes ; enfuite la terre fpacieufe , de*
meure des Immortels , & le Tartare qui
en étoit fort éloigné. Moyfe ajoute , Se
Pefprit étoit porté fur les eaux ; & fpiritus
ferebatut fuper aquas. Hefiode au con-
traire parle immédiatement après ce que
j'en ai rapporté , de l'Amour , le plus
beau & le plus aimable des Dieux , qui
ôte les foucis & les chaffe du cœur des
hommes , & des Immortels. Moyfe ra~
conte enfuite , que Dieu avoit dit ,
fat lux , & luxfaâaefl ; que la lumière
foit faite ^ & la lumière fut faite : paroles
qu'un Auteur profane a trouvées fi fu-
fOL in t&mes- ( * ) Hefiode dit aufîi que de la
°nSin# nuit fortit T^Ether & le Jour. Le Lé-
ËxpU par mifl.Liv.ïl.CKAV.VL 215
gîflateur des Hébreux dit enfuite que
Dieu fit lé firmament j & \fecit Deusfir*
marnent um , & qu'il divifa les eaux qui
étoient au-dëfïus dû firmament ^ d'avec
celles qui étoient au-deifous. Il ajoute
immédiatement après 3 que Dieu avoit
ordonné que les eaux qui étoient fous
le Ciel fe raflembiaffent en un lieu , Se
qu'il appella cet affemblage d'eaux , la
Mer ; & la partie de la Terre , qui par-là
fe trouvoit defïechée , fut appellée , A*
ride : &* vocavit Deus àridam terrain t
çongregationefque aquarum appellavit ma*
na. L'Auteur de la Théogonie lui eft
encore aifez femblable en cela. La Ter-
re , dit-il , engendra d'abord le Ciel avec
les Etoiles , & de fon union avec le Ciel ,
elle eut l'Océan. Mais ici l'Auteur pro-*
fane s'égare > & quelque entêté qu'on
foit en fa faveur , je ne crois pas qu'on
puiffe lui trouver aucune reflemblance
avec Moyfe.
Ovide arrange autrement la formation
du monde , & fa defeription ne reffembie
nullement à celle d Hefîode , ainfi qu'oi
a déjà obfervé. Mais une chofe digne ds
remarque , c'efl qu'il regarde 1 homme
comme la dernière produdion de 1 Au-
teur de la nature. En quoi il relTemblp
plus à Moyfe qu'aucun autre Auteuç
Kiiij
&24 La Mythologie & les Tables
Payen. Un autre grand trait de refléta*
blance , c'eft qu'il dit que l'homme fut
formé avec de la boue détrempée dans
de l'eau ; mais quel étoit ce Promethée
qu'il donne pour l'auteur d'un fi bel ou-
vrage ? c'eft ce qu'on ne fçauroit devi-
ner. Jufques-là le Poète attribue l'arran-
gement de l'Univers ou à Dieu ou à la
nature ; Se lorfqu'il s'agit de former
l'homme , il fait paroître un Promethée
fans qu'il en ait rien dit auparavant. ( a )
jHefîode parle à la vérité de Promethée ,
mais il ne lui donne pas , comme Ovide,
la gloire d'avoir formé l'homme. Cet ef-
pnt de vie, au refte , que les Poètes
difent que Minerve infpira à l'ouvrage
de Promethée , eft visiblement imité des
paroles de Moyfe , qui dit que Dieu
ayant formé l'homme avec de la boue -y
. % luifouffla un efprit de vie , ( T ) infpiravit
infaciem ejusjpiraculum vît ce.
( a. ) Voyez ce qu'on dira de ce Promethée , dans l'HiT*
toire de Jupiter. Tome II.
HxpL par ?Ht(t. Li v. ILCtf AP.VI. 22^
CHAPITRE VIL
La Théogonie des Chinois Ù* des Indiens.
LE S Chinois ont commencé à culti-
ver les Lettres dès les premiers
temps de leur Monarchie , du moins de-
puis les. règnes d'Yao & de Chum , qui
vivoient plus de deux mille deux cens
ans avant Jefus-Chrift.C'eft une opinion
commune & univerfellement reçue par
ceux qui ont cherché à approfondir l'o-
rigine d'un Peuple fi inconteftablement
ancien, que les fils deNoé fe répan-
dirent dans l'Afie Orientale , & qu'il y
en eut parmi eux qui pénétrèrent dans la
Chine , peu de fîécles après le Déluge,
& y jetterent les premiers fondemens de
la plus ancienne Monarchie qu'on con-
noilTe dans lemonde.On ne fçauroit dis-
convenir que ces premiers Fondateurs ?
inftruits par une tradition peu éloignée
de fa fource , de la grandeur & de la
puiïïance du premier Etre , n'ayent ap-
pris à leurs defeendans à honorer ce fou-
verain Maître de l'Univers , & à vivrç
fuivant les principes de la loi naturelle ?
qu'il avoit gravée dans leurs cœurs.Leurs
Kv
226 La Mythologie & les Fabîes
Livres claffiques , dont quelques - un»
font du temps même des deux Empereurs
que j'ai nommés , ne laiflent aucun lieu
d'en douter. Les Chinois ont cinq de
ces Livres \ qu'ils nomment les Kink ,•
pour lefquels ils ont une extrême véné-
ration. Quoique ces Livres qui contien-
nent les Loix fondamentales de l'Etat ,
ne foient pas des Traités de Religion ,
& que le but que leurs Auteurs s'étoient
propofé , fût de maintenir la paix & la
tranquillité de l'Empire ; ils font cepen-
dant très-propres à nous apprendre quel-
le étoit la Religion de cet ancien Peuple!
puifqu'on y trouve à chaque page , que
pour parvenir à cette tranquillité & à
cette paix, il y avoit deux chofes né-
cessaires à obferver \ les devoirs de la
Religion , & les règles d'un bon gou-
vernement. Il paroît partout que leur
culte avoit pour premier objet un Etre
Suprême , Seigneur & fouverain Prin-
cipe de toutes chofes \ qu'ils honoraient
fous le nom de Chavgû , c'eft-à-d:re 5
Suprême Empereur , ou de Tien , qui
dans leur Langue fignifîe la même chofe*
Tien , difent les Interprètes de ces Livres ,
c'eft l'Efprit qui preiîde au Ciel. Il eft
vrai que fouvent chez les Chinois , ce
jnot fignîlîe auiîî îc ciel matériel ; & cpj*
Expl.parrHijl.LivlLCnkT.'VIÏ. 227
tlepuis quelques fiecles que l'athéisme
Veft introduit parmi les Lettrés de la
Chine, iinefignifie que cela; mais dans
leurs anciens Livres , on entendoit par
ce mot , le Maître du Ciel > le Souve-
rain du monde. On y parle à tout pro-
pos de la providence du Tien , des châti-
mens qu'il exerce fur les mauvais Empe-
reurs , des recompenfes qu'il envoyé
aux bons. Il y efl marqué qu'il fe laiiïe
fléchir aux vœux & aux prières , que
par les facrifices on l'appaife , & qu'on
détourne les fléaux dont l'Empire eft
menacé , & mille autres chofes qui ne
fçauroient convenir qu'à un Etre intel-
ligent. On n'a pour s'en convaincre ,
qu'à lire les extraits que le Père du Haldc
a faits de ces anciens Livres , dans le
fécond volume de fa grande Hiftoire de
la Chine , & ce qu'il en dit encore au
commencement du troifiéme.
La crainte d'être trop long & de m'é-
carter de mon but , doit me difpenfcr
de le copier ; mais on nefçauroit après
le long détail où il entre , ne pas conr
dure avec lui, qu'il par oit par la doc-
trine des Livres clafîînues des Chinois,
que depuis la fondation de l'Empire par
Fo-hi , & pendant une longue fuite de
fieçles , l'Eue fupreme connu chez eux
Kvj
Ï28 La Mythologie & les Fables
fous le nom de Changti ou de Tien , étoif
l'objet du culte public , & qu'on le re~
gardoit comme l'àme & le premier mo-
bile du gouvernement de la Nation ;
que ce premier Etre étoit craint, hono-
re , refpefté ; & que non feulement les
Empereurs -, qui de tous temps ont été
les Chefs & les Pontifes de la Religion 9
mais les Grands de l'Empire & le peuple
connoiffoient qu'ils avoient au-deffus
d'eux un Maître & un Juge , qui fçait
récompenser ceux qui lui obéiffent , Se
6c punir ceux qui l'offencent.
Il eft certain que fî l'on trouve dans
ces anciens Livres, des preuves de la*
connoilîance que les premiers Chinois
ont eu de l'Etre- fuprëme, & du culte
religieux qu'ils lui ont rendu pendant
une longue fuite de fîecles, il n eft pas
moins fur qu'on n'y voit nul veitige d'un
culte idolatrique. Mais cela paroîtra
moins furprenant , lorfqu'on fera atten-
tion , l°. que l'Idolâtrie ne s'eft repanr-
duë dans le monde , que lentement , Se
6c de proche en proche ; Se qu'ayant
vraifemblablement commencé ou dans
l'Aflyrie , comme le prétend Eufebe 9
où il ne parut même des Idoles que
long-temps après Belus , ou dans la Phe-
»icie^ ou dans l'Egypte, comme d'autre*
Expl. par PH#.Liv.II.Cif ap.VII. 22p
le prétendent , elle n'a pas dû pénétrer
fî-tôt iufqu'à la Chine , Peuple de tout
temps fequeftré des autres, & feparé
par les grandes Indes du centre de l'I-
dolatrie.
2°. Qu'il y a toujours eu à la Ch ne
un Tribunal fuprême (p>r pour avoir g^JJJ"1
foin des affaires de la Religion, & qu'il aa tes
a toujours veillé avec la dernière exac-
titude à fon objet principal. Ainfi il a
été bien difficile d'introduire de nou-
velles loix & de nouvelles cérémonies
chez un Peuple fi attaché à fes anciennes
traditions. D'ailleurs comme les Chinois
ont toujours écrit leur Hiftoire avec un
grand foin , & qu'ils ont des Hiftoriens
contemporains de tous les faits qu'ils
rapportent , on n'auroit pas manqué d a-
vertir des changemens qui feroient ar-
rivés en matière de Religion , comme
ils l'ont fait dans un grand détail , lorf-
que l'Idole de Fo & fon culte y ont
été introduits.
Telle fut la Religon dominante de
la Chine dans les premiers temps de leur
Empire : je dis la Religion dominante ,
parce que le peuple ne laiiToit pas de
reconnoître des Efprlts fubalternes qui
veiiloient fur les villes & fur les cam-
pagnes , & il les honoroit d'un culte fu-
&30 t>a Mythologie & les Patte*
perflitieux . pour leur demander la fau-
te , la réuffite dans les affaires , & d'a-
bondantes récoltes. 11 s'étoit mêlé dans
ce culte plulîeurs pratiques fuperiLtieu-
fes qui tenoient de la magie , à laquelle
Ce Peuple a été toujours fort addonné :
mais ce n'étoit pas la P^eligion de l'Etat ;
& le Tribunal des Rites a toujours con-
damné ces fortes de pratiques , quoi-
que fouvent quelques-uns des ?vlanda-
rins qui le compofoient, les euffent eux-
mêmes goûtées.
Ainfï , à parler exa&ement , les Chi-
nois n'ont point ce que nous appelions
Théogonie ou Cofmogonie. Leurs Phi-
lofophes y uniquement attachés à la mo-
rale 3 à la politique Si à Phiftoîre , ont
toujours négligé la phyfique , & on ne
trouve point dans leurs Ecrits , je parle
des anciens , ces fyflêmes fi connus en
Europe , en Egypte , & dans quelques
parties de l'Afie , fur la formation du
monde Se des corps qui le compofent ,
& fur les Dieux , dont on a fait tant
de Généalogies (a). J'ai dit , leurs Phi-
lofophes anciens , parce que les mo-
dernes , qui ont voulu donner des ef-
(a) On peut lire le? Extraits que le P. du Halde a faits de
fes anciens Livres , fur-tour des Kir-k ? qui font les pLs an-
ciens , dans k II. Volume de ion iiiiioire de la Chine.
ExpLparPUijl.LivlLCHkV.VÎl. ^t
peces de Cofmogonies , font tombés dan$
un athéifme femblable à celui de Stra-*
ton & de Spinofa*
On ne trouve pas non plus qu'ils ayent
parlé nettement de l'ame , ôc il paroît
qu'ils n'en avoient pas une idée exaâe.
Néanmoins on ne peut douter qu'ils ne
■ cruflent qu'elle fubfiftoit après la mort 9
non feulement par les hifîoires d'appa-*
ritions , qu'on trouve même dans les Li-
vres de Confucius , le plus fage ôc le
plus éclairé de leurs Philo fophes , mais
par l'opinion de la Metempfycofe , qu'ils
ont reçue depuis plusieurs fiecles.
Cependant comme l'homme privé d&
la révélation , & livré aux penchans de
fon cœur , a toujours été en proye à Y er~
reur , je fuis bien éloigné de croire que
les Chinois en ayent été exempts ; ÔC
c'eft avoir une idée bien favorable d'eux ,
que de penfer qu'ils fe livrèrent peut-
être un peu plus tard que les autres peu-
ples, aux pratiques idolâtres. Pvegardons-
les , fî on veut , comme les Philofophes
dont parle l'Apôtre , qui par les lu-
mières naturelles s'élevèrent jufqu'à la
connoifTance du premier Etre ; ne font-
ils pas auflî coupables qu'eux de l'avoir
connu , fans l'avoir glorifié ? Enfin la
Sefte des Tao-sé parut dans la Chine 9
9fyl La Mythologie & les VaMes
près de fix cens ans avant Jefus^
Chrift. Lao-Kiun eft le Philofophe qui
en fut l'Auteur. La naiffance de cet
homme , à en croire fes Difciples , fut
des plus extraordinaires : porté quatre-
vingts ans dans les flancs de fa mère ,
il s'ouvrit un pafTage par le côté gau-
che , & caufala mort à celle qui l'avoit
conçu.
La morale de ce Philofophe , appro-
che fort de celle d'Epicure , & il
couvrit fa phyfique d'une obfcurité im-
pénétrable : je n'en prends que ce qui
regarde la Cofmogonie. LeTao, difoit-
il, ou la Raifon a produit Un , Un apro-
duit Deux , Deux ont produit Trois , &
drois ont produit toutes chofes. Toute la
félicité de lhomme , félon ce Philofo-
phe j confifloit dans cet état de lame ,
que les Grecs appelloient Apathie , état
où l'homme fans crainte &fans chagrin,
doit être exempt de toute inquiétude ;
& comme il eft bien difficile de fe dé-
livrer de celle de la mort & de l'ave-
nir, ceux quifaifoient profeiTion de cette
Sefte , sadonnoient à la Magie & à la
Chimie , pour trouver le fecret de de-
venir immortels ; fe perfuadant que par
le miniftcre des Efprits qu'ils invo-
cjuoient , ils pourroient enfin le trou*
^ËxplparrUlfl.Liv.ILCnkv. Vïï. itf
ver. Il y en a eu quelques-uns qui fe
font flattés de cette découverte , pat
le moyen de certains breuvages qu'ils
compofoient , & plus d'un Empereur eft
a fait inutilement l'eiTaî.
Lorfqu'on connoît l'efprit de Thom*
me , on juge bien qu'une Sefte qui don-
noit de fi flatteufes efperances , fit bien-
tôt fortune ; & en effet il y eut plu-
sieurs Mandarins qui l'embrafTerent , &
qui s'adonnèrent entièrement aux pra-
tiques magiques qu'elle prefcrivoit ;
mais elle fit de plus grands progrès en-
core parmi les femmes , naturellement
curieufes & extrêmement attachées à \â
vie. Enfin l'Auteur de la Sefte fut mis
lui même au rang des Dieux ; on lui
éleva un Temple fuperbe , & l'Empe-
reur Hium-Tfong fit porter dans fon
Palais la Statue de ce nouveau Dieu*
On donna à fes Difciples le nom de
Dofteurs celeftes , & (es defeendans
font encore honorés de la dignité de
Mandarins. Ce font eux qui ont intro-
duit cette multitude infinie d'Efprits
fubordonnés au Souverain Etre , qu'ils
honorent dans des Temples & dans des
Chapelles particulières , & aufquels ils
facrifient trois fortes de victimes , un
jço chon , un poiiTon ; une pièce de voy
3^4 taMythologie & les Tables
îaille. Ils ont porté même la fuperfîî-
tion jufqu'à élever plusieurs Empereurs
au rang des Dieux ; & on voit par-là
que les Chinois , gens d'ailleurs très-
fpirituels, ne le cèdent en rien du côté
de la fuperftition & de l'idolâtrie , aux
autres Peuples , qu'ils fe font toujours
fait honneur de méprifer. Cette Sefte a
rempli la Chine de Devins & d'im-
porteurs , qui impofent au peuple , 8c
quelquefois aux Grands par des pres-
tiges & des cérémonies magiques , qui
ne font que trop capables de les aveu-
gler.
Enfin vers la foixante-cmquîéme an-*
fiée depuis Jefui-Chrift , l'Empereur
Mingti donna lieu par une vaine eu-*
rioiîté, à rintroduftion d'une Sefte en-
core plus dangereufé : Phiftoire que je
Vais en faire en peu de mots , rempli-
ra la féconde partie de ce Chapitre , fur
la Théogonie des Indes.
Cet Empereur frappé de quelques
paroles que Confucius avoit fouvent re*
petées , fçavoir , que fétoit dans POc-
cldent qu'on trouveroït le Saint , envoya
dans les Indes des Ambaffadeurs pour
ïe chercher , & pour apprendre la Loi
qu'il enfeignoit . Ces Envoyés crurent
gflfîn l'avoir trouvé parmi les adora*
ËxpLpar m^.Liv.ILCHÀP.VII. i&
teurs d'une Idole nommée Fo , ou Foé#
Ils tranfporterent à la. Chine l'Idole 9
& avec les Fables dont les Livres In-
diens étoient remplis , leurs fuperfti-
tions , la Metempfycofe , & enfin l'a-
théifme. Ils rapportèrent que dans cette
partie de l'Inde que les Chinois appel-
lent Chun-tien-cho, Moyé femme du Roi,
fongea qu'elle avaloitun Eléphant. Lors
que le temps de fes couches fut arrivé ,
l'enfant lui déchira le côté droit , ÔC
& dès qu'il fut forti du fein de fa mère *
il fe tint debout , fit fix pas , montrant
d'une main le ciel , & de l'autre la
terre , & prononça ces mots : Il n'y a
que moi dans le ciel & fur la terre , qui
mérite d?être honoré ; on lui donna le nom
de Che-Kia 5 ou Cha-Ka. A l'âge de
dix-neuf ans il abandonna fes femmes ,
fon fils , & tous fes foins terreftres ,
pour fe retirer dans la folitude , & fe
mettre fous la conduite de quatre Phi-*
lofophes. A tfente ans il fut tout-à-
fait pénétré de la Divinité , & devînt
Fo , ou Pagode , comme s'expriment les
Indiens , & ne fongea plus qu'à repan-*
dre fa do&rine de tous côtés. Ses pre£«
tiges furprirent tout le monde , lui at-
tirèrent la vénération de tout le pays,
& un uomjbre infini de Difciples > qui
fejff La Mythologie & les Fabtet
lui fervirent à infecter l'Orient de fe?
dogmes impies. Les Chinois nomment
cesDifciples , Ho-Chang ; les Tartares,
Lamas , les Siamois Talapoins , & les
Japonois Bonzes ; car cette Se&e s'eft
répandue chez tous les peuples que je
viens de nommer.
Cependant Fo parvenu à l'âge de 7p.
ans , aflembla quelques-uns de fes Difr
ciples , & après leur avoir expliqué fa
doétrme , il mourut ; & ils publièrent
cent fables fur cette mort. Comme la
Metempfycofe faifoit le principal arti-
cle de cette doctrine , ils dirent que leur
Maître étoit né huit mille fois , Se qu'il
âveit paru dans le monde , tantôt fous
la figure d'un Singe , tantôt fous celle
d'un Dragon , d'un Eléphant , Sec. C'é-
tait apparemment pour établir le culte
de cette prétendue Divinité , fous le
fymbole de ces diffèrens animaux ,
qui véritablement devinrent l'objet du
culte des Indiens.
Les Chinois ayant reçu cette Idole,
lui élevèrent une infinité de Temples ,
Se fa Seâe , quoique toujours proferite
par le Tribunal des Rites , a fait dans
le pays des progrès infinis , fous la di-
rection des Bonzes , les gens du mon-
jle ks plus méprifables , les plus fujpe*-
ftkieux j & les plus îgnorans.
Enfin pour abbreger ce qu'on trou*
Ve très au long au commencement du
troifiéme Tome de l'Hiftoire de la Chi-
ne , par le P. du Halde , la do&rine de
Fo fe divife en extérieure & en inte-*
rieure : la première , remplie de fuper-*
ftitions groiîîeres , eft enfeignée par le
plus grand nombre des Bonzes. La fe-*
conde eft refervée aux plus fçavans , &
^lle confîfte à dire que le vuide eft le
principe & la fin de toutes chofes ; que
c'eft du néant que nos premiers Pères
ont tiré leur origine , & qu'ils y font
retournés après leur mort ; que le vuide
eft ce qui conftitue notre être & notre
fubftance , & que c'eft de ce néant , &
<lu mélange des élemens , que font for-
ties toutes les productions, qui y re-
tournent dans la fuite : enfin que tous
les êtres ne différent les uns des autres 9
que par leurs figures & leurs qualités;
et ils prétendent que c'eft ainfi que leui
Maître mourant , expliqua fa doctrine ,
c'eft-à-dire , fon athéifme , à fes Difci«*
pies favoris.
Je dirai peu des chofes de Théogo-
nies des autres peuples ; parce qu'elles
paroiifent peu fyftêmatiques. Par exem-»
j3le> 4ans les Jndes Orientales les Brach*
JI-J-8 ta Mythologie & les Fables
inanes ont une Tradition de leur Dieu
yichnou , metamorphofé en Tortue , Se
51s difent pour l'expliquer , que par la
chute d une montagne le monde corn-
jnençoit à s'ébranler , & à s'enfoncer peu
à peu vers l'abyfme , où il auroit péri
fi leur Dieu bienfaifant ne fe fût meta'*
jnorphofé en Tortue pour le foutenir.
Les Chinois , dont nous venons de
parler , ont reçu cette Tradition 9 & ils
' fi)Ch.ïi-l,aPpk(ïuent » a^nfi que le remarque le
Juftw p. i87. Père Kirker (i), à leur Dragon volant ,
qu'ils difent être né d'une Tortue , &
être devenu le foutien de Funivers appuyé
fur lui. Les Troglodytes avoient appa-
remment parmi eux la même fable , pui£
.tju'ils avoient un grand refped pour la
Tortue , & qu'ils avoient en horreur les
Helinophages leurs voifins , ainfî nom-
niés , parce qu'ils fe nouriffoient de la
chair de Tortue..
ExpLpar rHlft.LiwîI.Ciî&v.VîI. *Jf
II— — Il II— IM — ■ ! — — ^— HMI ■—! ■! !■■■■■■! f ■■■■■M——
^— ■«
CHAPITRE VIIL
Théogonie des Bramines des Indes*
JE ne dois pas oublier la Théogonie dé
ces Prêtres des Indes que nous nom*
jnons Bramines ou Brachmanes (à). Ils
ont pris ce nom de Brahma , qui félon
la do&rine des Indiens , eft le premier
des trois Etres que Dieu a créés, & par
le moyen duquel enfuite il a formé le
monde. Ce Brahma compofa Se laifîà
aux Indiens , difent leurs Bramines , les
quatre Livres qu'ils appellent Betk ou
Bed (i) dans lefquels toutes lesfeiences &) V°l*&
ce toutes les cérémonies reiigieuies font or.p. i\z%
comprifes ; & voilà pourquoi les Indiens
xeprefentent ce Dieu avec quatre têtes.
Le mot Brahma y dans la Langue In-
dienne , fignifie celui quipenetre toutes cho*
fes. Les Bramines compofent la première
& la plus refpeâable Tribu des Indiens,
& font uniquement deftinés au culte de
leur Dieu, & aux cérémonies de la Re-
ligion. Un célèbre Bramine y nommé Be-
frergir, communiqua aux Mahometans,
(a) Ce font les mêmes que les Grecs nomm ient Gymne*
tbphites,Py ttogore avoir étudié leur doctrine & leurs mœur*
&jp La Mythologie & les Tables
dontilembraffa la Religion , VAmberth*
hend , qui contient les dogmes des In-
diens,
Le Père Kirker qui a fait graver la
figure du Dieu Brahma , s'eft affez è-
tendu fur la Mythologie des Indiens à
ce fujet(l). Les Dieux des Brarrsines ,
dit ce fçavant Jefuite , font Brahma ,
Veine ou Vichnou & Butzen , & ils
font les Chefs de tous les autres Dieux ,
dont le nombre va jufqu'à trente-trois
millions ; mais tous les hommes font for-
tis de Brahma , & ce Dieu a produit au-
tant de mondes qu'il y a de parties dans
fon corps. Le premier de ces mondes ,
qui eft au deflus du ciel , eft forti de
fon cerveau ; le fécond , de fes yeux ;
le troifîéme , de fa bouche ; le quatriè-
me , de l'oreille gauche ; le cinquième ,
du palais & de la langue ; le fixième,
du cœur ; le feptiéme , du ventre ; le
huitième , des parties que la pudeur en>
pêche de nommer ; le neuvième , de la
cuifïe gauche ; le dixième , des genoux ;
l'onzième , du talon ; le douzième , des
doigts du pied droit ; le treizième , de
la plante du pied gauche ; & le quatorz-
ième enfin , de l'air qui l'environnoit
dans le temps de ces productions. Si on
demande aux Braminçs les raifons d'unç
Jheologie
BxplparrHiJ}.LivJI.CHA?.VIlL2^t
Théologie fi impertinente , ils répon-
dent que les différentes qualités des hom-
mes y ont donné lieu. Les Sages & les
Sçavans defïgnent le monde forti du cer-
veau de Brahma ; les gourmands vien-
nent de fon ventre ; ainïî des autres. De-
là l'attention que ces Prêtres ont à la
phylîonomie & aux qualités personnel-
les , .prétendant par-là deviner à quel
monde chacun appartient.
Lorfqu'on eft une fois livré à la fu~
perflition, il n'y a point d'égarement o&
Ponnepuiffe tomber. Ces mêmes Bra-
mines ont imaginé fept mers: une d'eau 9
une de lait,une de fromage caillé.une qua-
trième de beurre , une cinquième de fel ,
une fixiéme de fucre,& enfin une feptiéme
de vin ; & chacune de ces mers a fes Pa-
radis particuliers , dont les uns font pour
les fages & les gens d'efprit , & les au-
tres pour les fenfuels & les voluptueux ;
avec cette différence que le premier de
ces Paradis , qui nous unit intimement à
la Divinité , n'a befoin d'aucune autre
forte de délices ; au lieu que les autres
font remplis de tous les plaifirs que l'on
peut imaginer.
Il paroit par ce que je viens de dire,
que £es Indiens fuivent l'ancienne
doftrine des Egyptiens , que l'Auteur
Tome I * L
&±2 La Mythologie & les Fables
tjue je viens de citer nomme^^pp?*^^
(i) Voyez ou Métamorphofe divine (i).
)ediP. Egypt. On ne parle pas ici des autres rêve-
îumên^Au—çg des lnc}iens fur la formation du
sur» ., . ^ f>>
inonde , qu ils croient être un Ouvra-
ge filé par une araignée , & qui fera
détruit lorfque l'ouvrage rentrera dans
le ventre de cet infefte ; parce que ce-
la regarde plus la Cofmogonie que la
Théogonie , qui doit être le principal
objet de ce Chapitre.
o
CHAPITRE IX.
Théogonie des Amerïquàins,
N ne doit pas s'imaginer que les
Sauvages de l'Amérique , peuples
errants & vagabonds, fe foient jamais ap-
pliqués à former un fyflême de Religion,
On trouve cependant parmi quelques-
uns d'eux des traditions , qui peuvent
former une efpece de Théogonie. Voi-
U) Menu* ci, félon le Père Laffiteau (2) , com-
tes sauvages ? ment les Iroquois , qui font parmi ces
IVi&'i»- Sauvages une des plus confiderables
ytarto. Nations , racontent l'origine du monde.
Dans le commencement , il y avoit ,
difent-ils , iîx hommes ( les Peuples dir
TSxpLpar PHift. Liv. IL Chàï». IX. 24?
Pérou & du Brefîl conviennent d'un pa-
reil nombre : ) comme il n'y avoit point
alors de terre, ces hommes étoient por-
tes dans les airs au gré des vents. N'ayant
point de femmes , ils voyoient bien que
leur efpece alloit finir; mais ayant appris
qu'il y en avoit une dans le Ciel , il fut
refolu que l'un d'eux , nommé le Loup,
s'y transporterait. L'entreprife étoit dif-
ficile & dangereufe ; mais les oifeaux l'y
élevèrent fur leurs ailes. Lorfqu'il y fut
arrivé , il attendit que cette femme fortît
à fon ordinaire , pour aller puifer de l'eau.
L'ayant apperçuë , il lui fit quelque pré-
fent & la féduifît. Le Maître du Ciel
s'en étant apperçu , la chaffa ; ôc une
Tortue la reçut fur fon dos. La Loutre
& les Poiflbns puifant de la boue dans
le fond de l'eau , formèrent du corps
de la Tortue une petite Ifle , qui s'a-
grandit peu- à-peu ; & voilà , félon ces
Sauvages , quelle eft l'origine de notre
terre.
Cette femme eut d'abord deux en-
fans , dont l'un qui avoit des armes ofFen-
fives , tua fon frère qui n'en avoit point.
Dans la fuite elle accoucha de plufîeurs
enfans ; dont les autres hommes font
fortis.
- Cette tradition , fi elle eft exa&ement
Lij
244 La Mythologie & les Table*
rapportée , eft fans doute un refte de lai
première Hifloire du monde, d'Eve chaf-
fée du Paradis terrefîre , ■& du meurtre
d'Abel par Caïn. Car enfin , il fe peut
que ces Sauvages , venus des autres hom-
mes vay eut confexvé un fouvenir , qu'ils
Gnt bien pu altérer , mais non pas effa-
cer totalement de leur mémoire.
Quoique nous ne connoifïïons pas les
traditions des autres peuples de T Amé-
rique 9 il y a bien de l'apparence qu'ils
penfoient la plupart comme les Iroquois ,
p.uifque les peuples du Pérou Se du Brefil
dans l'Amérique méridionale , convien-
nent du nombre d'hommes qu'il y avoit
dès le commencement , ainiî qu'on vient
de le dire. Mais ce n'eft p.as feulement
par leur Théogonie que les Ameriquains
ont égalé les Grecs & les autres peuples
de notre continent, dans le bizarre lif-
terne qu'ils ont imaginé touchant leur
origine ; ils leur relTemblent encore aflez
fouvent par leurs fables. Ils croyent ,
par exemple , que la pluye venoit de ce
qu'une jeune fille qui étoit dans les nues,
jouant avec fon petit frer.e , il lui cafloit
fa cruche pleine d'eau. Cda ne reflem-
ble-t-il pas fort à ces Nymphes des Fon-
taines , & à ces Dieux des Fleuves qui
v.erfent de l'eau de dedans leurs Urnes ?
Explpar PHift. Liv. IL Chat. IX. 24^
Ils étoient perfuadés aufîï comme les
Grecs, qu'il y aVoit des Dieux qui ha-
bitoient dans les Fleuves & les autres
amas d'eau, puifqu'en une de leurs fêtes,
les Peuples du Mexique noyoient fo-
lemnellement un petit garçon , pour te-
nir compagnie à ces Dieux. Selon les
traditions du Pérou , l'Ynca Manco-
Guina-Capac , fils du Soleil , trouva
moyen par fon éloquence de retirer du
fond des forêts les habitans du pays ,
qui y vi voient à la manière des bêtes,
& il les fit vivre fous des Loix raifon-
nables. Orphée en* fit autant pour les
Grecs , & il paflbit auffi pour être fils
du Soleil. Il eft fîngulier que les ima-
ginations de ces dieux Peuples , û éloi-
gnés les uns des autres , fe foient ac-
cordées à croire fils du Soleil , ceux
qui avoient des talens extraordinaires.
Si les Grecs , & à leur imitation nos
anciens Gltilois , avoient un refpeft re*
ligieux pour les arbres, & croyoient
qu'ils étoient le féjotir des Dryades &
des Hamadryades , les Abenaquis, ainfî
que le rapporte le P. Laffiteau , (a) a-
voient un arbre célèbre dont ils raCOn-
Çd) Mœurs des sauvages , Tome I. page 149. Comme j'ai
tiré de cet Ouvrage la plupart des exemples dont je me fers ?
iliiifiù de l'avok cité une fois.
L iij.
2^6 La Mythologie & les Fables
toient plufieurs merveilles, & qui étoic
toujours chargé d'offrandes ; & ils ne
doutoient pas qu'il n'eût quelque chofe
de divin. On. trouve même parmi eux
qu'ils avoient des Bois facres , à peu
près comme tout le refte du monde ido-
lâtre.
Pour ce qui regarde les Sortilèges ,
les Evocations , les Devins , les Enchan-
temens , ces Peuples du nouveau monde
ne reffemblent que trop à ceux de l'an-
cien : même croyance partout fur ces
Génies bienfaifans ou malfaifans , dont
on s'imaginoit que l'Univers étoit rem-
pli, aufquelsprelidoit, comme le Maître
Se le fouverain des autres Dieux , le
Jfâanttou des nations Algonquines , le
Oiemitn des Caraïbes , YOkki ou YAres-
Koiû des Hurons. Pour les fêtes & les
myfteres , qu'on life l'Auteur que je
viens de citer, &on trouvera que celles
des Ameriquains avoient beaucoup de
rapport avec les Orgies des Grecs. Sur
l'immortalité de Tarne , & fon état après
la mort , les Sauvages ont penfe à peu
çrès comme les Grecs , dans le temps
xnême qu'ils ont été le plus civilifés. Les
Ameriquains ne croyoient-ils pas que
les âmes de ceux qui avoient mal vécu ,
alloient habiter certains Lacs bourbeux
Explpar PHift. Liv. IL Chàp. IX. 247
& defagréables , comme les Grecs les
cnvoyoient fur les bords du Styx & de
l'Acheron ? Ne penfoient-ils pas aufli
que les âmes de eeux qui avoient mené
une vie régulière , avoient pour féjour
des lieux agréables , allez reiTemblants
aux Champs Elyfées ? Ils ont comme
les Romains leurs pleureufes à gages >
font comme eux les feftins pour les morts; d) voyex
& ce qui eft encore plus frappant , ils 5e ?u'?n ,dira
1.n. * t r~, rr^ , la-deflus dans
diitinguent comme les Lrrecs , lame de utroifiéme
fon ombre & de fon fïmulachre , (1) & [f^ny?
croyent que pendant que Famé eft dans
un féjour délicieux , l'ombre erre autour
du lieu de la fépulture.
Le feu facré , confervé par prefque
toutes les Nations du monde , comme
je le dirai dans l'Article de Vefta , étoit
auiîî l'objet du culte fuperftitieux des
habitans de l'Amérique. Les Nations les
plus voifînes de Y Afie , ont des Temples 5
où le feu facré eft entretenu avec foin ;
& ces Temples font la plupart faits en
rotonde \ comme l'étoient ceux de Vefta.
Dans la Louïfîane , les Natchez en ont
un où une garde veille fans ceiTe à la
confervation du feu qu'on ne lailTe jamais
éteindre. Perfonne n'ignore combien ces
Temples étoient célèbres fous le règne
«îes Yncas ; mais ce qui parut bien fm~
Liiij
'248 La Mythologie & les Fables
prenant . c'ét oient ces Communautés
de filles deftinées au fervice du Soleil,
dont lesLoix étoient encore plus feveres
(0 Garcii- que celles des Veftales Romaines , ( 1 )
ulfo, L. *- 1- & }es châtimens , lorfqu'elles manquoient
à leurs vœux, précisément les mêmes,
puifqu'onîes enterroit toutes vives. Ceux
^ui les avoient féduites étoient punis
bien plus rigoureufement qu'à Rome ,
puifque la peine s'étendoit non feulement
fur toute la famille , mais encore fur le
lieu où ils étoient nés ; on en faifok
périr absolument tous les habitans , &
on n'y laiflbit pas pierre fur pierre. Le
feu facré étoit également refpe&é dans
le Mexique , & confié à des Veftales
qui menoient une vie très-reguliere ;
& fi les Sauvages de ce vafte continent
n'avoient pas tous des Temples pour l'y
entretenir . les falles de leur Confeil ,
faites à peu près comme les Prytanes
des Grecs , étoient employées à cet
ufage , principalement chez les Iroquois
& les Hurons.
Les Idoles , fouvent monftrueufes ,
comme dans notre continent , ou char-
gées de fymboles , comme celles que
nous nommons Panthées , ou quelque
fois même femblables à celles de Priape ,
prouvent que. les Peuples dont je parle }
ExpLparPHift.Liv.ïl.CHAV.IX. 249
ne le cedoient en rien à ceux du pays
que nous habitons , par l'extravagance
de leur Idolâtrie & de leurs Fables. La
corruption du cœur humain pouvoit-
elle manquer de placer fur les Autels,
tout ce qui flattoit le crime 6c le dérègle--
ment des mœurs ?
La coutume de facrifier dans les lieux
élevés , coutume û ancienne & tant de
fois reprochée par les Prophètes aux
Peuples idolâtres, étoitauflî connue chez
les Ameriquains. On n^a qu'à lire pour
s'en convaincre , la Relation du Sieur
de Rochefort, (1) dans l'endroit où (,)H^r.
il parle de la montagne d'Olamii , fur Mer. des iût#
laquelle les Apalachites , Peuples de la Anîllies-
Floride, vont tous les ans facrifier au
Soleil, dans une Caverne qui fert de
Temple à cette Divinité. Leur refpeft
pour des Idoles, qui ne font que des
pierres informes , ou quelquefois d'une
figure conique , prouve encore que leur
Idolâtrie reflembloit à celle des Anciens,
qui avant l'art de la Sculpture, hono-
roient de femblables pierres , ou de
fimples colonnes, comme nous le dirons
ailleurs*
Les Sacrifices de ces Sauvages étoient
d'abord très-fimples , comme ils l'étoient
parmi les premiers Idolâtres de notre
Lv
2 yo La Mythologie & les Tables
monde ; & cette {implicite dure encore
parmi quelques-unes de leurs Nations,
où l'on fe contente d'offrir aux Dieux
les fruits de laterre,ou de leur faire des
libations avec de Peau. D'autres at-
tachent à des arbres ou à des colonnes
les peaux des animaux qu'ils ont tués
à la chaffe : il y en a qui jettçnt dans
le feu quelques feuilles de Tabac , en
Phonneur du Soleil , Se dans les fleuves
& les rivières , pour appaifer les Génies
qui y préiident. Les Caraïbes offrent la
Cajfave Se VOuicou , c'eft-à-dire , leur
pain & leur boiffon , aux Dieux qui veil-
lent à la confervation de ces plantes ,
comme les Grecs & les autres Peuples
offiroient leurs facrifices à Bacchus & à
Cerès. Qu'importe que les noms de ces
Dieux ne foient pas les mêmes dans les
deux continents ; ce font toujours les
mêmes idées , Se précifément la même
forte d'Idolâtrie.
Mais comme dans PAmerique , ainfii
que parmi nous , ces mœurs antiques ne
fubfifterent pas toujours dans cette pre-
mière llmplicité , qui fait le cara&ere des
premiers temps parmi tous les peuples
du monde ; ceux dont nous parlons por-
tèrent y comme lesPayens de notre con-
tinent , la fuperftition envers leurs Dieux^
Explparmijl. Liv. ILCitap. IX. 25- r
jufqu'à leur immoler des Viétimes hu-
maines. Ces fortes de facrifices étoient
en ufage fur-tout dans le Mexique , ôç
s'ils étoient moins connus parmi les autres
Sauvages , il y en avoit cependant qui
dans une faifon de rannée,offroient leurs
enfans aux Dieux qui veilloient à la con-
fervation des fruits de la terre. La Re-
lation du Sieur le Moyne de Mourgues
nous apprend que dans cette partie de
la Floride, qui eft proche de la Vir-
ginie , les Peuples de cette contrée qui
regardent leurs Chefs comme les fils du
Soleil , offrent à cetaftre, leur grande
Divinité , leurs enfans en facrifice, com-
me les Chananéens lesimmoloientàleur
Moloch , qui étoitauiïï le Soleil ; avec
cette différence feulement , que ceux-
ci les faifoient brûler dans le fourneau
qui étoit pratiqué dans leur Idole , com^
me je le dirai en parlant de ce Dieu 3
au lieu que ceux-là les affommoient au
milieu de l'afTemblée du peuple > & en
préfence du Chef , qui repréfentoit lui-
même le Dieu dont on le croyoit kx
fils.
Les Sacrifices dans le nouveau mondé
comme dans l'ancien , étoient accom-
pagnes d'inftrumens \ de danfes , &.de
toutes les marquas aune allegreiTe pu-
ll vj
2$ 2 La Mythologie & tes Tables
blique ; mais je ne poufferai pas plus
loin ce parallèle , pour lequel il faudroit
copier l'Ouvrage que j'ai cité y où le
fçavan* Auteur entre dans des détails
très-finguliers : ce que je viens de dire
fuffit pour faire eonnoître que Fefprit
de l'homme , abandonne à fes propres
lumières , n'eft porté qu'à- Terreur & à
Tilluiion , & que malgré le rafinement
des Nations les plus policées , on a pen-
ié àpeu-près de même dans tous les lieux
du monde oùia véritable Religion n'a pas
été connue.
Enfin il y a peu de Pays où l'on*
n'ait trouvé des Fables à peu-près fem-
blables. Partout des idées prodigieufes-i
des hommes extraordinaires , qui fe dî-
foient les enfans du Ciel , ou des Etoiles ,
ou des Fleuves , &c. Partout des fourbes-*
qui ont voulu împofer par l'hiftoire d'une
naiffance extraordinaire Se fînguliere.
Les Eyptiens , lés Phéniciens , defqueta
les Grecs & lé& Romains ont tiré leurs
Fables 3 ne font pas les feuls qui en ont
inventé : on en trouve de fémblables
aux leurs , chez d^s Peuples qu'on- ne
foupçonne pas les avoir apprifes d'eux».
Kai-Souven fe vantoit d'être né du Diea
d'un Fleuve , pour féduire plusaifément
h$ Peuples de la Corée par l'éclat d$
Expl.parPHifl.Lw.il. Chàp J5T. 2;3
cette naifTance imaginaire. Il falloit bien
que les Coréens attribuaient la Divi-
nité aux Fleuves & aux Montagnes ',
comme les Grecs & les Romains , puis-
que lorfqu'iis furent devenus- tributaires
de la Chine, l'Empereur confirma leur
Roi dans le privilège dont il jouifïbk
de facrifîer feul aux montagnes & aux
fleuves.
L'origine d'un Peuple de Tartares
Orientaux , nommés Kao-Kiuli , de là
race des Fou-Ya , reffemble aflfez pour
les Fables dont elle eft mêlée , à nos
Mions d'Occident ; & l'Hiftoire Ro-
maine , toute grave ôc ferieufe qu'elle
eft, nous prefente des idées iembla-
bles à celle que je vais rapporter de
ces Peuples. Le Prince des Kao-Kiuli
avoit en la puiflance une fille du Dieu
Hohang-Ho , qu'il tenoit renfermée dans
une prifon. Un jour qu'elle fut frappée
de la réverbération du Soleil \ elle con-
çut; & elle accoucha d'un Oeuf , qu'on
rompit-, & dans lequel on trouva un
enfant mâle. Lorfqu'il fut grand , on
lui donna le nom deTchu-Motig , qui
fignifie un bon Nocher. Le Roi du Pays,
qui le prit en affe&ion , le mena -un jour
à la chafle , & ayant vu fon adrefle,. il
conçut de la jaloufie contre lui. Tçhu^
£5*4 La Mythologie &les Fable f
Mong s'en étant apperçu, pritlafuke;
& prêt à tomber entre les mains de
ceux qui le pourfuivoient , au paffage
d'une Rivière ; il adrefla fa prière au
Soleil fon père. Alors les poifïbns de
la Rivière ayant paru fur la furface de
l'eau, lui fournirent un pont fur lequel
il la traverfa. Les Fables de la naiffance
de Perfée , & de celle des enfans de
Leda , font - elles moins extravagan-
tes ? O)
Si nous connoifTons des Peuples quï
facrifioient leurs enfans à leurs faufles
Divinités , & fi les Grecs immolèrent
Iphigenie pour obtenir un vent favora-
ble , le Père du Halde ne rapporte-t-il
pas qu'on lit dans les Hiftoires les plus
anciennes , qu'il y a des Infulaires dans
la mer Orientale , qui vont tous les ans
pendant la feptiéme Lune , noyer fo~
lemnellement une jeune Vierge f
SI les Romains publièrent que leur
Janus avoit deux , & même quatre fa-
ces , comme on le voit fur des monu-
mens anciens , les Indiens n'ont-ils pas
leur Idole Menipe , qui a plufîeurs tè-
tes de différentes figures ? Ces mêmes
Indiens ne publient-ils pas qu'il y a un
(*} Voyez le quatrième Vcîume de FHiftoiie cfe
h Chine du Père du Haide,pag. 343.
Expl. par VHift. Lïv.II.Ctf À?. IX. 4 jtf
Pays , où les hommes ont deux vifages^
qu'ils font d'ailleurs très - farouches ,
qu'ils n'ont aucun langage ? & fe laif-
fent mourir de faim quand on les a pris ?
Ils ajoutent qu'on en avoit pris un vêtu
de toile , qui fortoit de la mer : hiftoire
à peu prés femblable à celle d'Oannès*
dont on a parlé plus haut.
Si les Egyptiens , & Pythagore après
eux , ont enfeigné la Metempfycofe ,
cette doctrine n'eft-elle pas répandue
dans toutes les Indes , & ne fait-elle pas
le fond de l'idolâtrie deFoé? Ce qui efl
fi vrai que le grand Lama , qui fe dit un
Fo vivant , publie qu'il eft né plufieurs
fois , 8c qu'il renaîtra encore ; enforte
que quand il meurt , on cherche avec
foin l'enfant fous la figure duquel il re-
paraît , pour le mettre à fa place : &
quoiqu'on voye bien que c'eft un en-
fant qu'il a fçu difpofer à lui fucceder,
& dont les autres Lamas fes confidens
fçavent le myftere , cependant ce jeu
dure depuis plufieurs fîécles, fans que
le peuple ait là-deffus la moindre mér
fiance.
On a dit dans l'origine des fables
qu'une Philofophie groflïere avoit don-
né lieu à en introduire un grand nom-
bre : peut-être n'y en eut-il jamais une
5 J 6 La Mythologie & les Fables
aufli extraordinaire dans la Grèce , que
l'étoit celle des Philofophes Chinois au^
fujet du flux & reflux de la mer. Une
Princeffe , difoient-ils , eut cent enfansy
cinquante habitèrent les rivages de la
mer , & les cinquante autres les monta-
gnes. De-là vinrent deux grands Peu-
ples , qui ont fouvent guerre enfemble*.
Quand ceux qui habitent les rivages ont
l'avantage' fur ceux des montagnes , Se
les pouffent devant eux , c'eft le flux ;
quand ils en foat repoufTés & qu'ils
ftiyent des montagnes vers les rivages,
c'eft le reflux. Cette manière de philo-
fopher , dit Monsieur de Fontenelîe de
qui j'ai emprunté ce trait, reffemble af-
£ez aux Metamorphrofes d'Ovide : tant
il eil vrai que la même ignorance a pro-
duit à peu près les mêmes effets chez:
tous les Peuples.
Telles font les Cofmogonies & les*
Théogonies des Peuples les plus an-
ciens. Les autres dont la Religion &
les fables entreront dans la fuite de cet
ouvrage, quoique livrés aux ténèbres
de l'Idolâtrie la plus grofliere , n'a-*
voient pas Tefprit affez phiîofophique
pour rien imaginer fur la formation du
monde , ou fur l'origine des Dieux y
qu'ils fe contenaient- d'honorer fui^
vaut h tradition de leur pays.
ExplparPHiJï.Ln.ll. Chàp.X. i<tf
CHAPITRE X.
De la Théologie Payenne, & en particulier
de celle des Poètes,
AP r F* s avoir expofé les différen-
tes Théogonies des Anciens, c'eft-
à-dire , les Théologies particulières à
chaque nation , il ne fera pas inutile de
faire connoître plus en particulier la
Théologie générale du Paganifme, fur-
tout celle des Grecs & de leurs Poètes.
Mon deffein n'eft pas d'en développer
toutes les horreurs , la chofe feroit au-
jourd'hui inutile. Les premiers Pères
de l'Eglife T & les Apologifîes de la
Religion Chrétienne , qui s'y trou-
voient obligés , puifqu'il étoit nécef-
faire de fapper les fondemens du Paga-
nifme , qui étoit la Religion dominante
de leur temps , ont dû le faire , & ils
s'en acquittèrent avec tant d'érudition
& tant de force , qu'ils obligèrent enfin
les Philofophes les plus éclairés , à ex-
pliquer par des allégories. , fouvent in-
génieufes , un fyftême dont l'expofîtion
feule faifoit horreur. Ce fut là où les
reduifirent S^ Ju(tiu , Arnobe, Athe-
25*8 La Mythologie & les Fables
nagore , La&ance , Clément d'Alexan-
drie , Minucius Félix ; mais fur -tout
Tertullien parfon Apologétique, Tune
des plus excellentes pièces que l'anti-
quité nous ait confervée , & S. Auguf-
tin , dans fa Cité de Dieu ; ouvrage
qu'on peut regarder indépendamment
des autres vues de fon Auteur , comme
un tréfor de Littérature profane.
A parler exactement , les Philofophes
n'attendirent pas le temps des grands
hommes que je viens de nommer, pour
appercevoir le ridicule de leur Théolo-
gie. L'allégorie avoit commencé ave-
nir au fecours des fables monftrueufes,
mêlées avec la Religion, plus de 400.
ans avant l'Ere Chrétienne. Platon l'a-
voit mife en ufage , & (es Difciples la
firent valoir. Pythagore même , long-
temps avant Platon , avoit expofé la
Religion dominante de fon temps , d'u-
ne manière qui en faifoit difparoître une
partie des abfurdités ; mais ce que j'ai
voulu dire , c'effc que cette même allé-
gorie , ne fut jamais plus en vogue , que
du temps de Jamblique & de Porphyre,
qui vivoient l'un & l'autre dans les pre*
miers fiecles du Chriftianifme. J'exa-
minerai , dans les réflexions que je ferai
•fur l'Idolâtrie , le peu de fuccès qu'eut
ExpLparPHijl.Liv.il. Cjhav.X. 25$
la manière allégorique d'exp iquer les
fables & les myfteres de la Religion ;
& je ferai voir que malgré les fubtilités
des Philofophes qui Pemployoient , cet-
te même Religion & les fables , fur les-
quelles elle étoit fondée , fubfiflerent
toujours , jufqu'à la deftruétion entière
du Paganifme. Entrons maintenant en
matière.
Varron diftinguoit trois . fortes de
Théologies , la Fabuleufe , f**?*?* > la
Phyfïque fwii & la Politique y**htrix& ,
ce que S. Auguftin traduit par ces mots,
fabularis , naturalis , W philofophica ,
civilis. La première étoit la Théologie
des Poètes ; la féconde , celle des Phi-
lofophes ; & la troifiéme , celle des Mi-
niftres de la Religion. Varron a tâché
de faire valoir cette diftin&ion , dont
on croit auteur Quintus Scevola , fou-
verain Pontife , celui-là même qui fut
tué par un de ces meurtriers qu'em-
ployoit Marius.
La Théologie des Poètes étoit rejet-
tée par les fages du Paganifme. Varron,
ainfi que le rapporte S. Auguftin (1), (0 Deciri
avouoit qu'elle mettoit fur le compte Dcu
des Dieux , des aftions qu'on auroit
honte d'attribuer au dernier des hom*
jnçs. Denique> in hac omnia Dits attri+
'2.6o La Mythologie & les Fables
huuntur , quœ non modo in hominem >feà
eriam in contemptijjimum hominem cade-
re non pojfunt. Varron ne defaprouvoit
pas la féconde efpece de Théologie ,
qui étoit celle des Philofophes ; mais il
croyoit qu'elle devoit être renfermée
dans l'Ecole, parce qu'elle difcourok
librement de la nature des Dieux , ce
qui , félon lui , étoit dangereux.
La troisième efpece de Théologie
ibrmoit le fyftême de la Religion , Se
étoit le fondement du culte qu'on ren-
dfoit aux Dieux ; & fi elle nTétoit pas la
plus eftimée par les habiles gens , elle
étoit du moins la plus refpectée , & la
feule qui fût fuivie dans la pratique. La
Théologie poétique, étoit donc pro-
ferite , comme on vient de le voir ; ce-
pendant elle a trouvé des Partifans dans
ces derniers temps. Plusieurs Auteurs
modernes charmés des beaux traits
qu'on trouve de temps en temps dans
les ouvrages des Poètes , touchant les
vérités les plus fublimes , en ont parlé
avec tant d'éloges , qu'il fémble qu'on
doive les regarder comme d'excellens
Théologiens. Le Père Tomaflîn , Prê-
tre de l'Oratoire , a recueilli avec un
grand foin ( i ) tout ce qu'ils ont dit
for la Divinité & fur la morale ? & ih%
Expl.par PHlJî. Liv.ILChapX 261
crû y appercevoir plufieurs traits con-
formes à l'Ecriture Sainte & à la lumiè-
re naturelle. L'Auteur du Livre inti-
tulé Homère Hebraizant , ne s'eft: pas
contenté de regarder les Poètes comme
de grands Théologiens , il a entrepris
de prouver qu'Homère , dans fes deux
Poèmes , avoit copié en plufieurs en-
droits ? Moyfe & les Prophètes. Un cé-
lèbre Anglois .(1), après avoir fait Té- (i)Cucîwort;
loge de la Théologie des Poètes , fur- s?ft' intcU'
taut de celle d'Orphée , rapporte ce
qu'ils ont dit de plus beau fur la Divi-
nité. Enfin un Auteur moderne , à qui
fes ouvrages ont attiré plus d'une dif-
grace, eft allé encore plus loin que ceux
que je viens dénommer, puifque dans
fes remarques fur Virgile , il ne fait
point difficulté de préférer ce Poète à
la plupart de nos Théologiens : préten-
dant qu'il a eu fur la Divinité & fur la
Providence , les idées les plus orthodo-
xes. Il a eu même la témérité de com-
parer la conduite de Jupiter à l'égard
d'Enée , à celle de Dieu fur David.
A entendre ces Auteurs , prefque
toutes les vérités les plus effentielles fe
trouvent dans les ouvrages des Poètes.
La piété , & le culte du vrai Dieu y
font enfeignés d'une manière fublime ,
Ï62 La Mythologie & les Fables
quoiqu'enveloppés damages fenfibles.
Telles font parmi ces vérités , l'unité
d'un Dieu , fa toute-puiffance , fa bon-
té infinie , fon immenfîté , fon éternité.
Le Confeil des Dieux , dont parle Ho-
mère , & où Jupiter préfîde toujours,
eft félon eux, une imitation de ces con-
feils myfterieux que Dieu tient , dans le
Livre de Job , avec les Anges. LorA
qu'ils ont dit que tous les biens & tous
les maux partoient de la main de Dieu,
par le miniftere des Dieux fubalternes,
c'eft une copie de ce que l'Ecriture dit
des Anges, qui font fes Miniftres. Quand
ils donnent à Jupiter une prééminence
fi marquée , il eft évident , que fous ce
nom ils ont entendu le vrai Dieu , &
non Jupiter fils de Saturne , & Roi de
Crète. Enfin , lorfqu'Aratus dit que tout
eft plein de Dieu , la terre , la mer , les
campagnes , l'homme même , ou com-
me s'exprime S.Paul , fuivant les paro-
les mêmes de ce P oëte , fumus genus
Dei , in ipfo vivimus , movemur , & fu-
mus ( i ) , n'eft-il pas évident qu'il a
voulu parler de l'immenfîté de Dieu ?
A ces vérités fpéculatives , les Auteurs
dont je parle, joignent celles qui font
de pratique ; & trouvent établis dans
les Poètes , non feulement les devoirs
Expl.parPHiJl. Liv.II. Chap.X. 26$
envers Dieu , mais ceux des hommes
entre eux , ainfi que les autres précep-
tes d'une morale pure. Leur Enfer , &
leurs Champs Elyfées, font propres à
reprimer la cupidité, & porter à la pra-
tique de la vertu. Ces Juges , qui exa-
minent avec tant de feverité les actions
des hommes ; & les furies , qui châtient
iî rigoureufement les coupables ; tout
cela peut-il avoir été imaginé fans un
grand fond de morale ? Enfin , pour ex*
pofer le fentiment de ces Auteurs en
peu de mots , il fuffit de dire , qu'ils
font à tout propos des parallèles re-
cherchés entre les vérités qu'ils trou-,
vent dans les Poètes , avec celles de
l'Ecriture Sainte.
" J'avoue, pour moi , que la lefture
des Poètes m'a donné une toute autre
idée de leur Théologie. Il eft vrai qu'ils
parlent quelquefois de la Divinité d'une
Tiianiere fablime , mais ils ne fe foutien-
îient nullement fur ce fujet ; & après
avoir donné à leurs Dieux les épithetes
magnifiques d'Immortels , de Tout-puif-
fants , &c. ils les reprefentent avec des
foibleffes , qui ne conviennent , comme
nous venons de le dire , qu'aux der-
niers des hommes , Se aux plus corrom-
pus. Enforte que je fuis étonné que de
'â$4 La Mythologie & les Fabks
fçavans hommes ayent fi fort exalté leur
Théologie, pendant que Platon, pour
cette même Théologie qui lui paroif-
foit fi monftrueufe , les banniflbit de fa
République. Ciceron ne penfoit pas
auflî favorablement des Poètes que les
Auteurs dont je parle , il les blâme au-
contraire de nous avoir appris les dé-
bauches des Dieux, leurs querelles, leurs
combats , leurs diffentions : Nec multo
abfurd'iorafum ea quœ Poéuirmn <vocïbus
fufa y ipsâ fuavitate nocutrwn , qui &
ira inflammatos , & libidine furentes in-
duxerunt Deos , feceruntque ut eorum bel-
la , pugvas^ prϕta , vulnera vidtremus,
odia prxterea > dïjjldia > difcordias y or-
(ï) DeNat. tus , intérims , querelas , &c. ( i ) Ce
Dcor.L. i. même Auteur dit ailleurs ? que ces mê-
mes Poètes avoienjt décrit les débau-
ches des Dieux*, leurs adultères , &c.
Il efl vrai qu'ils les nomment Immor-
tels , ces Dieux fabuleux , mais en mê-
me temps il n'y en a pas un dont ils ne
nous apprennent la généalogie ; ils
nomment leurs pères , leurs mères , le
lieu de leur naiflance , & toutes les cir-
conftances de leur vie , depuis leur en-
fance. Ce font eux qui nous apprennent
que Jupiter , le plus grand des Dieux,
étok fils dç Saturne , & que Saturne
étoîl
Ex/?/, par VHîJI.Ltv11. Chap.X. 26c
étoit fils d'Uranus , ainfi des autres. Ils
parlent même quelquefois de leurs tom-
beaux. Dans Homère , le plus grand
de leurs Poètes , on voit les Dieux fer
quereller , fe battre , être bleffés par des
hommes , Se pouffer des cris Se des plain-
tes en voyant couler leur fang. Ils fe
difent à tout propos des injures grofïîe-*
res. Jupker & Junon y paroiffent tou-
jours dans une mésintelligence feanda-
leufe entre deux époux. Euripide vou-
lant exeufer Phèdre , qui avoit conçu
pour le fils de fon mari une violente paf-
ilon , en met la faute fur le compte de
Venus , qui vouloit fe venger du mé-
pris qu'Hippolyte faifoit de fon culte
Se de fes adorateurs. Une autre tradi-
tion , celle qu'a fuivi Racine (i) y non (0 Trage?
moins deshonorable pour Venus, por-^dePilc"
toit qu'elle fe vengeok ainfî de ce que
le Soleil , bifayeul de Phèdre , avoit
découvert fon intrigue avec le Dieu
Mars ; & c'eft par le même motif de
vengeance , que cette Déeffe avoit in-
fpiré à Pafiphaé , mère de Phèdre , cet-
te pafïîon honteufe qui fit tant de bruit.
Dans la même pièce , Euripide fait
intervenir Diane , & cette Déeffe pour
confoler Hippolyte mourant , lui dit
qu'elle ne fçauroit à la vérité changer
Tom L M
2&6 La Mythologie & les Tables
Tordre du Deftin , mais que pour le
venger , «lie tuera de fa propre main
un des Amans de Venus. % Voilà donc
ces Dieux fi puiflans , fournis au Deftin ,
& qui ne pouvant faire tout le mal qu'ils
fouhaiteroientjfont celui qu'ils peuvent.
Que peut-on penfer d'une Théologie,
dont le but a été d'élever l'homme juf-
qu'aux Dieux , & d'abaifTer ces mêmes
Dieux , je ne dis pas feulement à la
condition des hommes , mais jufqu'à
leurs plus grandes foibleïfes.
Peut-on concevoir rien de plus bizar-
re que l'idée que les Poètes donnent
de leurs Dieux ? Que dire de ce mé-
lange de puiflance & de foibleffe , d'é-
ternité & de mort , de félicite & de dou-
leur ] de tranquillité & de trouble? Que
penferons-nous des railleries que fait de
ces Dieux Ariftophane * dans quelques-
unes de Tes Comédies ,& des blafphêmes
<jue vomit contre eux Efchyle , dans
Ion Promethée ?
Mais , dit-on , les Poètes parlent
fouvent de la providence des Dieux,
J& du foin qu'ils prennent des hommes.
Quelle providence ! Choififfons un des
évenemens de la fable , où elle brille
davantage , & celui que les plus grands
Toetes ont décrit avec plus de foin j
Expl. parTHtft. Lïv. IL Chàp. X. 267
je veux dire la guerre de Troye. Cette
guerre fit périr une infinité de gens,
& ruina un beau Royaume : elle fut
foivie de miferes fans nombre , de tem-i
pêtes , d'incendies , & de tout ce qui a&r
compagne les grandes défolations. Tous
les Dieux y prirent parti , FOlympe
fe trouva divifé en deux factions : il n'y
eut point d'intrigue , de refTorts , de
finefles que chacun des Dieux n'em*
ployât ; on ne peut pas apurement les
accufer de négligence pendant toute cet-
te guerre ; leur providence ne manqua
pas d'emploi. Homère décrit tous leurs
mouvemens avec des détails infinis ; les
autres Poètes ont fuivi fôn exemplç.C'eft;
-donc-là un point de vue très-propre pour
nous convaincre de leur fentiment Theo-
logique fur la providence : voyons donc
quel fut le motif de cette guerre ; re-
montons à la fource.
S'agiflbit-il de châtier une nation im-
-pie , de venger l'innocent opprimé , ou
■les Dieux eux mêmes méprifés ; ou de
donner à l'univers un exemple fîgnalé
de juftice & d'équité ? Rien moins que
cela. Il s'agiffoit de venger une Déefle
du mépris qu'on avoit fait de fa beauté.
Au mariage de Thetis & de Pelée ,
la Difcorde jette une pomme pour la
Mij
ï£8 TLa Mythologie & les Tables
plus belle de la compagnie. Les Dieux
qui n'ofent fe rendre arbitres du différend
qui naît à ce fu jet entre trois Déeïfes,
tes envoyant en Phrygie fubir le juge-
ant d'un jeune Berger qui éîoit en
t éputation d'équité. Le Berger5que cha-
cune des trois De'effes veut feduire par
des promefles magnifiques , juge en fa-
veur de Venus ; elle étoit effectivement
îa plus belle , ainfî il n'y avoit rien à
dire à ce jugement. Cependant en voilà
affez pour irriter les deux autres. Junon ,
la fege Junon refout dans ce moment
îa perte , non pas de Paris , ce qui au-
rait même été une vengeance fort in-
juffé; ornais celle de: tout l'Empire de
^Priam fôn père , & de toute la Phrygie.
-L'enlèvement d'Helene , femme promife
à Paris , devint le fignal d'une fanglante
•guerre. La Grèce arme de toutes parts,
pendant que Junon par toutes fortes de
moyens tâche de mettre la troupe celefle
<dans fon parti. Elle ufe de mille ftrata-
rgêmes pour gagner les autres Dieux ,
& leur fait les promeffes les plus tou-
chantes : elle parcourt toutes les Villes
de la Grèce pour les animer à la guerre.
♦On^aflïege la Ville de Troye , & pen-
dant dix ans la Reine des Dieux fait le
-tnanége d'une femme forcenée , tâcte
ff endormir fon mari pour l'empêcher
de voir la déroute des Troyens , & le
refle. Minerve donne l'invention du Ch&
val de bois : Junon paroît armée , &
ouvre elle-même les portes de la Ville >
appellant les Grecs, trop lents pour fa
vengeance :
Hic Jtwo Scœas fzviflima portas
Prima tenet ,fociumquefurensa navibus agmen ,
Ferro accinttavocat (1 ) ,
pendant que Neptune fon allié abbat
les murailles à coups de Trident. Le?
Grecs entrent dans la Ville , on y com-
met mille defordres \ qu'il n'eft pas né?-
ceflaire de décrire ; mais il ne faut pas
oublier que Virgile a grand foin de nous
faire remarquer qu'il faut les attribuer
à la colère & à la vengeance des Dieux,
Verum inclementia Divûm
Has evertit opes,Jiernitque à culmine Trojam (a).
La Ville de Troye eft donc réduite en
cendres ; Paris , Priam & fes autres en-
fans maffacrés ou faits efclaves ; ainfï la
colère de Junon de voit être appaifée.
Mais chez les Poètes une DéelTe ou-
tragée au fujet de fa beauté , ne s'ap-
paife pas fi facilement. On la repréfente
pourfuivant avec une rage extrême le
geftç des. Troyens fugitifs ; elle veut les
M'iij
ùTjO La Mythologie & les Fables
empêcher de chercher dans l'Italie la
retraite que les Deflins leur promet-
taient.
Troas relliquias Danaum.... arcebat longé
Lotie y &c (i)
Ici elle fupplie d'une manière indigne
Eole , Divinité fubalterne, pour le por-
ter à exciter une tempête contre ' les
ordres de Neptune qui avoit changé de
parti , & dont la Providence s'interefibit
alors pour les Troyens. Tantôt elle tâ-
che d'arrêter Enée en Afrique par les
charmes de la volupté. Là elle fait pa-
roîtrelris fous la figure deBeroé, pour
obliger les Dames Troyennes à brûler
leur Flotte. Lorfqu'Enée eft arrivé en
Italie , elle envoyé les Furies chez Tur-
nus & Amate, pour les exciter à le chaP-
fer de leur pays , & allume une guerre
fanglante ; & ne pouvant pas abfolument
empêcher l'exécution des ordres du Def-
tin , elle tâche du moins de la retar-
der par toutes fortes de moyens. Com-
me l'arrêt du Defhin portoit que Lavinie
feroit la femme du Héros Troyen , elle
veut que le fang d'une infinité de Phry-
giens foit la dot avec laquelle ce Princo
achette cette alliance.
Non dabitur regnis , ejlo ^rohîbcn Latinis ;
ExpL par VHijï. Liv. IL Chap. X. 271
At trahere, a:que moras tamis Ucet addere rébus :
At Ucet amborumfofulos exfcindere Regum*
Hdc Gêner atque bocer cotant mercede fuorum*
Sanguine Trejano & Rutulo dotabere , Virgo. (i) (?) Eneid.
Perfonne n'ignore tout ce que fit cette
Déefle pour favorifer le parti de Tur*
nus, & tout le manège que Virgile lui
fait jouer pendant toute cette guerre.
Enfin voyant queleDeftin étoit le maî-
tre , elle tâche pour dernier trait de
vengeance , d'obtenir de Jupiter que
les Latins ne prendront point le nom
des Troyens leurs vainqueurs , afin que
Troye & fa mémoire fulTent plus facile*
ment abolies :
Ne vêtus Indigenas nomen mut are Latinos,
Neu Troas fieri jubeas,Teucrofque vocari.
Occidit , occideritquefmas cum nomine Troja.(i) (2) Enei&-
Peut-on concevoir une vengeance plus
complette ? & a-t-on jamais pouffé plus
loin le reïTentiment ? Peut-on en avoir
un fujet plus frivole ?
— ... Manet altâ mente refoflum
Jtidicium Pa idis ,ffretœque injuria forma,
Et rapti Ganimedis honores. (3)
r (3) Encid.
Vantez après cela la Théologie des
Poètes fur la Providence de leurs Dieux ,
& le foin qu'ils prennent des évenemens
les plus éclatans. Voilà les motifs qui
Miiij
272 La Mythologie *& les Tables
les font agir , félon eux : eh ! que pou-*
voit on apprendre de plus impie ? Quel
snodele de reffentiment âc de vengeance
pouvoient-ils donner , aux femmes fur-
tout , idolâtres de leur beauté ?
S'il m'étoit permis de parcourir les
autres exemples dont les Poètes font rem-
plis , on verroit que c'eft toujours la
vengeance , l'amour , ou quelqu'autre
paffion qui fait agir leurs Dieux : que
le véritable motif des voyages de Jupi-
ter fur la terre , n'étoit que pour fubor-
ner quelque MaîtrefTe; que pendant que
le prétexte étoit de venir reparer les
maux que fit le Déluge , ou l'incendie
de Phaëton , Califto & Europe étoient
les vrais fujets de fes pèlerinages ; que
fi Diane envoyé un Sanglier ravager les
champs de Calydon , c'eft qu'Oenéal'a-
voit oubliée dans un facrifice ;
Oeteos fpreta per agrot
Miji-t aprum. ( 1 )
Enfin que Venus jetta dans îe defordre
les filles de Tyndare par la même rai-
(2) sthefi *°n' (2) ^ Niobé voit fes quatorze en-
spud schoi. fans afTaflïnés fous fes yeux par des flèches
Oreit' m ^vifibles , c'eft qu'elle a eu la témérité
de s'égaler à Latone. Si Cadmus voit
& maifon remplie de defordre & de car-
Expl.parmift.Liv.lI.CnAV.X. 2J3
nage, A&eon fon petit-fils , déchiré par
fes chiens, Penthée mis en pièces par
les Bacchantes , & lui-même changé en
ferpent , c'eft qu'il avoit une fœur &
une fille dont la beauté avoit charmé
Jupiter , & excité la jaloufie de Junon.
Ino pour avoir nourri Bacchus , de-
vient furieufe, ainfi que fon mari Àtha-
mas : celui-ci écrafe fon fils contre un
rocher , & cette malheureufe Reine de.
Thebes fe précipite dans la mer avec
Melicerte. Si Andromède fe voit expo-
fée à lafurcur d'un Monflre marin , c'efï
parce que fa mère avoit égalé fa beauté
à celle des Néréides, (i) Venus pour L(I|Meum
fe venger de Diomede qui l'avoit blei-
fée au fiége de Troye , jetta fa femme
dans la proftitution.
Qu'on ait recours tant qu?on voudra
à l'allégorie 3 que pouvoit-on penfer
en voyant Cybele . cette grande mère
des Dieux, Lœta Deumpartu , centum
complexa nepotts , courir après le jeun©
Atys , faire tant d'avances pour le ren-
dre amoureux 3 & le punir fi féverement
de fon indifférence ?
Tels font les fujets de la vengeance
des Dieux 5 félon les Poètes , Se le plus
fouvent , ce n'eft pas fur les coupables
que tombent de fi horribles châtimens;,
Mv-
274 La Mythologie & ht Fables
ou fî cela arrive quelquefois , ce n*efE
pas pour les corriger , c'eft pour les
rendre plus criminels. Clio reproche à
Venus fa trop grande tendrefle pour
Adonis ; au lieu de profiter d'un avis
fi falutaire , la Déefle s'en venge en la
rendant amoureufe d'un jeune homme,
dont elle eut Hyacinthe. Cyanippe ou-
blie Bacchus dans un facrifice ; celui-
ci le fait enyvrer , & il tombe dans un
incefte. Les filles de Prœtus préfèrent
leur beauté à celle de Junon ; la Déefle
les rend furieufes , & les jette dans la
proftitution. Une des filles de Danaiïs
étant allée puifer de l'eau pour un fa-
crifice , fe vit attaquée par un Satyre
qui vouloit lui faire violence ; elle ap-
pella Neptune à fon fecours , qui après
ravoir délivrée des pourfuites du Sa-
tyre , lui fit la même infulte qu'elle ve-
noit d'éviter : quel fecours !
Voilà ce que nous enfeignent les
Poètes au fujet de la Providence de
leurs Dieux , Se de leurs vengeances :
une Providence inquiète, troublée : des
vengeances horribles pour des fujets fort
légers : des châtimens , non pour punir
le vice Se animer la vertu , ce qui feroit
une bonne Théologie ; mais exercés ex-
près pour venger quelque mépris ; non
ExpLparPHift. Liv. IL Chap. X, 27;
fur les coupables , mais fur lesinnocens;
ou fi les coupables eux-mêmes y font
enveloppés , ce n'eft que pour en faire
des fcelerats. Vous ne verrez pas ces
Dieux empreffés à châtier Pimpieté ou
l'injuftice ; ils ne s'acharnent que fur ceux
qui les oublient dans quelque facrifice ,
ou qui comparent leurs cheveux ou leur
teint à celui de quelque DéefTe : fem-
blables à ces petits Seigneurs de Pro-
vinces , qui fe foucient fort peu que leurs
VafTaux foient des fcelerats & des li-
bertins , pourvu qu'ils ne chaflent point
fur leurs terres , & qu'ils faiïent de temps
en temps des prefens à leurs femmes.
Y avoit-il rien de plus capable d'inf-
pirer l'ambition , & les projets les plus
injuftes , que FHiftoire de Saturne qui
avoit fi maltraité Uranus fon père , Se
celle de Jupiter qui en avoit ufé de même '
à. l'égard du fien , Se l'avoit détrôné?
Ce feroit ici le lieu d'expliquer la
Théologie des Poètes au fuj et des mœurs
de leurs Dieux ; mais je craindrois dé-
faire rougir le Le&eur , au récit des in-
famies qu'ils en racontent. Quel Dieu
que leur Jupiter ! Il n'y avoit point fur ~
la terre de chafteté à l'épreuve de Ces
violences ; point de figure de bêtes qu'il I
n'ait prifes pour féduire- tantôt de ver*
Mvj
ùTj& La Mythologie & les Vallès
tueufes PrinceïTes , tantôt d'innocentes
Bergères. Tous les autres Dieux avoient
les mêmes foiblelTes. Arnobe ; Laftance ,
& les autres Pères rapportent de ces*
Dieux, fuivant les Ecrits de ces Poètes ,
mille chofes qui font rougir (a). Point
de crimes , de defordres , d'ordures dont
ils ne fulTent coupables ; & les Poètes,
ces prétendus fublimesTheologiens, font
ceux qui ont pris le plus de foin de
nous en conferver le fouvenir. Homère,
& après lui Ovide , racontent comment
le Soleil furprit Mars & Venus en adul-
tère ; ce dernier y ajoute des reflexions
trés-libertines. En un mot , toutes les
métamorphofes dont il parle , font plu-
tôt des monumens de îa foibleiTe des
Dieux & de leurs débauches , que de
leur providence & de leur pouvoir. Ces
confîdérations doivent donc porter tou-
te perfonne raifonnable à fe défaire une
bonne fois de cette eftime que font tant
de gens de la Théologie des Poètes;
& faire connoître à ceux qui voudront
prendre leur défenfe , qu'excepté quel-
ques expreiîïons vagues qu'ils lailTent
échapper fur l'elîence immortelle de
leurs Dieux , fur leur vigilance, fur cet
Ça) Us en ufoient ainfî pour confondre ks Partifans de ÏV
Exph par VHifl. Liv. IL Cmap. X. 277
cfprit univerfel qui vivifie toutes chofes,
ce qui n'eft point foutenu dans le relie,
de leurs Ouvrages,, tout leur Syftême
confifte à nous repréfenter des Dieux
inquiets & intereïïes dans leur provi-
dence , paflionnés & emportés dans leur
vengeance , débauchés & infâmes dans
leurs mœurs.
Après tous ces préliminaires , que
j'ai cru devoir traiter avec quelque éten-
due , il eft temps d'entrer dans PHiftoire
de Tldolâtrie dont je vais examiner Fori-
gine & les progrès.
27$
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ékhé
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iÇ^^SgSS
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Wk*
*■ ^, \l! I f //i£jS>~~1fi «
X^<P0^ Vf^W (fjë.
^m*
LIVRE TROISIEME,
Oàilefî traité de Vldolâtrie.
AVANT- PROPOS.
UoiQu'à proprement par-
ler , toute cette Mythologie ,
du moins ce qui en compofe
les premiers Volumes , re-
garde l'Idolâtrie , puifqu'il n'y fera
parlé que des Dieux & du culte qu'on
leur rendoit ; cependant j'ai crû qu'il
étoit à propos d'en rechercher dans ce
Livre l'origine & le progrès ; d'y exa-
miner quels furent les premiers Dieux
du monde Payen ; de nommer la plu-
part de ces Dieux , de les divifer en
différentes claffes , & de parler de leur
nature & des rangs qu'ils tenoient dans
la Théologie des differens Peuples , qui
les adoroient ; car il s'en faut bien qu'ils
Expl. par PHifl. Liv. IILCfïAP. I. 279
fufTent tous égaux , Se que les fonc-
tions qu'on leur attribuoit , fuffent éga*
lement nobles. Enfin , d'y enfermer tout
ce qui regarde l'Idolâtrie en gênerai,
Temples, Autels, Sacrifices, Viftimes,
Fêtes , Supplications , Prêtres , inftru-»
mens des Sacrifices , Vœux , Oracles ,
&c. me refervant à donner dans les Livres
fuivans,rHiftoire particulière desDieux,
& du culte qui leur fut rendu.
Il efl néceiîaire , avant que d'entrer
en matière , de donner une notion des
mots Idolâtrie & Idoles. Le mot Ido-
lâtrie efl grec & compofé de deux au-
tres , qui fignifient culte , & représentation,
foit en ftatuë , foit de quelques autres
manières. Le terme $&**** comme Ta
fort bien remarqué Tertullien (1.) , efl; 0)Lib;âi
un diminutif de celui d'"^ qui veut dire; ° ' c# 3;
image : Ad hoc necejfaria efl vocabuli in-
terpretatio , '^^greece for^am fonat ; ab
eoper dirriinuùonem*^»^ deduftum , at+
que apud nos formulant fecit ; igitur om-
nis formula , vel forma y Idolum fe dici
expofeit. Cependant îe fçavant Rainoldus ^ ^^
(2) ne veut pas convenir de cette éty- deldoL
mologie , & foutient que le mot e «/«*«,
n'eft pas un diminutif de celui d'£'<^,
qu'il fignifie toutes fortes de formes &de
figures > même les plus grandes 3 en quoi
sSo La Mythologie & lesFahles
tout le monde fera d'accord avec lui;:
mais il n'a pas voulu remarquer que le
mot EÏ^^fignifie la forme eflentielle, in-
terne , & véritable d'une chofe, & que>
celui d'Idole defîgne la forme externe,
ou repréfentée de cette même chofe,
grande ou petite. En un mot , la. forme
& l'étendue réelle du corps humain ,.
confiflant dans l'afTemblage de fa chair r
de ks os & de fa peau , s'appelle iH&
mais larepréfentationdece même corps,
foit peinte , foit en relief, fe nommoifc
tWvxov petits forme , forme fauffe & feu-
lement apparente.
Il y a des Sçavans qui tirent l'étymo-
îôgie du nom d'Idole de deux mots
Grecs , dont un fignifie image > l'autre
douleur , conformément au mot Hébreu
Hatfabbim , qui veut dire la même chofe y
pour faire comprendre par là que les.
Idoles font la fource de la douleur, Ôc
en même temps des châtimens , dont
Dieu puniïïbit ceux qui s'abandonnoient
à leur culte.
; Cela pofé , par le mot d'Idolâtrie *
on doit entendre le culte qu'on rendoit
aux Statues & autres repréfentatiohs des?
Dieux , & par celui d'Idoles, tout ce qui
les repréfentoit.
Explpar TBft. Liv.IIL Chat. I. 2% 1
CHAPITRÉ L
VePorio-ine & du progrès de P Idolâtrie.
ON pourrait fe perfuader peut-être
que ce que je viens de rapporter
des Théogonies de divers Peuples , fuf-
firoit pour connoître Porigine de PI-
dolâtrie ; & certainement cette origine
s'y trouve renfermée. Mais il y a tant
d'autres chofes à dire fur cette matière ,
que j'ai cru la devoir traiter féparé-
ment. 9 (OAdv»
S. Epiphane (1) diftingue les ancien- haeffV.L.u
nés Religions en quatre. Le Barbarif-
me , qui dura depuis Adam jufqu'à Noé ;
le Scy thîfme , depuis Noé jufqu'à Sarug ;
l'Hellenifme , & le Judaïfme , qui com-
mença fous Abraham. D'autres Auteurs
divifent feulement les Religions de ces
premiers temps , en Sabifme & Hellenif-
me : la divifion de Saint Epiphane efl
plus jufte , & elle a pour elle PHiftoire
du monde. En effet, d'Adam à Noé
tout eft inconnu , iï on excepte ce qu'en
rapporte Moyfe ; ainfr S. Epiphane a
pu nommer ce temps -, le Barbariime.
]Les Nations Scythes ont eu une Re-
2. 82 La Mythologie & les Fables
ligion particulière , & différente de cel-
le des Grecs & des autres Peuples ; d'ail-
leurs la difperfîon de cts Peuples etl
très - ancienne : on a donc dû mettre
leur Religion avant l'Hellenifme, puis-
qu'une partie des Grecs & leur Reli-
gion venoient de Phenicie. L Heilenif-
me a dû être mis auflî avant le Judaïfmc
puifque cette fainte Religion dont A-
braham fut le père & le fondateur , eft la
reforme des autres > & la barrière la plus
ferme contre l'Idolâtrie , qui inondoit
la terre du temps de ce faint Patriarche.
Cependant la divifîon de Saint Epi-
phane n'a pas été reçue de tous les Sça-
vans. Le P. Petau dit , qu'elle n'a aucun
fondement ; & à dire vrai , elle efl im-
parfaite , puifqu'elle ne dit rien du Sa-
bifme, Religion des anciens Perfes ; qui
adoroient le feu , ainiî qu'on peut le
voir dans le fçavant Ouvrage de Tho*
vcï.Ip?rfRcL mas Hide (i) 3 Se dans Owen (2) ; d'ail*
(2) De orru leurs elle ne renferme pas totalement
*p^-Woi, l'Egyptianifme , dont parle l'Ecriture
Sainte.
siridolâtrie Au commencement , les hommes ne
a commencé connoiffoient & ne fervoient qu'un feul
avant le De- -■->. . ^ , ^ i -n ■ r
iuga. JJieu , Créateur , Eternel , X out-puii-
fant. Adam forti immédiatement des
mains de Dieu, en conferva dans fa,
Expl.par r&ft. Liv.IILChà*. I 283
famille Pidée la plus pure , & on ne fçau-
roit douter qu'elle n'ait duré dans la
branche de Seth jufqu'au Déluge. Dieu
s'étoit trop manifefté à nos premiers pa-
ïens , pour qu'ils puflent le méconnoî-
tre. Il ne s'étoit pas contenté de fe pein-
dre dans l'ouvrage du monde , & de
leur éclairer l'efprit par les lumières de
fa grâce , il avoit converfé avec eux , &
les avoit inftruits par lui-même , ou du
moins par le miniftere de fes Anges ;
ainfi ils eurent du fouverain Etre l'idée
la plus nette & la plus faine > que l'hom-
me puiffe avoir ; & dès-là le cuite qu'ils
lui rendoient, & que Dieu leur avoit
preferit lui-même , fut pur & fans tache.
On ne doit pas penfer de même de la
famille de Caïn : fes defeendans tom-.
berent non-feulement dans l'Idolâtrie,
mais dans tous les autres crimes qui atti-
rèrent le Déluge y dont fans doute l'I-
dolâtrie , que l'Ecriture nomme fouvent
ou un adultère , ou une fornication , fut
une des principales caufes. Les enfans
des hommes, c'eft- à-dire , félon les In-
terprètes , les defeendans de Caïn , fu-
rent addonnés aux pafîîons les plus infâ-
mes : l'idée pure d'un Etre très-parfait ,
commença infenfiblement à s'obfcurcir,
& parmi des hommes charnels elle prit
2&f La Mythologie & les Fables
commerce avec les fensrainfi on l'attacha
bien-tôt à des chofes feniibles ; & ce
qui parut le plus utile <5c le plus parfait à
leurs yeux , fut adoré comme leur plus
grand Dieu.
- Le fçavant Maimonides , dans ion
Traité fur l'origine de l'Idolâtrie , qu'on
trouve traduit en Latin dans l'ouvrage
que Voiîîus a fait fur le même fujet , s'ex-
plique ainfï. » La première origine de
*> l'Idolâtrie doit être rapportée au
» temps d'Enos, quand les hommes com-
» mencerent à étudier le mouvement
» des étoiles, ôcdesfpheres céleftes , 5c
» reconnurent que Dieu les avoit créées
30 pour gouverner le monde. Ils imagi-
er nerent que Dieu les avoit placées
» dans le ciel pour les faire entrer en
» partage de fa gloire , & pour lui fer-
s> vir comme de minières ; & conclu-
» rent que dès-là il étoit de leur devoir
» de les honorer. Sur ce fondement ,
» ils commencèrent à bâtir des Temples
» aux Etoiles , à leur offrir des facrifi-
» ces , & à fe profterner devant elles ,
» pour obtenir des faveurs de celui qui
3> les avoit créées ; & ce fut là la pre^
» miere origine de l'Idolâtrie. Ce n'eft
» pas qu'ils cruffent qu'il n'y avoit point
* d'autre Dieu que les Aftres ; mais
Expl. farTHift. Uv JÎI. CtfÀP.I &$£
» ils étoient perfuadés qu'en les adorant,
y> ils accompliffoient la volonté du Créa-
» teur. Avec le temps certains faux Pn>
* phétes s'élevèrent , prétendans être
* envoyés de Dieu , & difant qu'ils a-
» voient des révélations pour faire ado*
» rer tel ou tel Aftre , même pour faire
» offrir des facrifices à toute l'armée des
» cieux;& ils .en firent des figures, qu'ils
* expoferent au culte public. Là-deffus
» on commença à placer leurs repréfen-
» tations dans les Temples , fous les ar-
as bres , & fur le fommet des Montagnes*
y> On s'affembla en foule pour venir les
*> adorer , & on rapportoit la profperité
» dont on jouiffoit , au culte qu'on leur
* rendok De-là vint,conclud Mai-
» monides , que le nom de Dieu fut en-
» tierement banni de la bouche & an
* cœur des hommes* »
Tertullien , fans parler des autres ,'
qui a cru auffi que l'Idolâtrie avoit com-
mencé avant le Déluge , (i) appuyoit Id^î)c^&
fon opinion fur le Livre d'Henoc ; mais
on a fait voir que cet ouvrage , quoique
très-ancien , portoit toutes les marques
d'un Livre apocriphe.
C'eft auffi le fentiment de la plupart M<*> v°r*'
des plusfçavants Rabbins ; (2) ils fe fon- UoU.K.kvW*
dentfur un paflage de la Genefe (3) , où &^} c ^ y
286 La Mythologie & les Tables
il eil dit d'Enos , IJle cœpit invocare no*
men Domini ; ce qu'une autre verfïon
exprime ainfi : Tune profanatum eft in
invocando nomme Domini ; & cette dif-
férence vient du mot chalal , qui veut
«dire également, commencer, & profa-
ner. L'idée que les Livres faints , ain-
fi que les Auteurs profanes , nous don-
nent des anciens Géants , qu'ils repré*
fentent comme des hommes d'une info-*
lence outrée & d'une corruption infinie,
confirme aflez le fentiment de ces Rab-
bins : l'entreprife de ces hommes témé-
raires contre le ciel , ne défigne-t'elle
pas qu'ils vouloient lui difputer la Sou-
veraineté ? Mais il ne faut pas appuïer
davantage fur le temps qui précéda le
■Déluge ; temps fur lequel Moyfe s'effc
peu étendu , & de ce qu'il en dit , on ne
peut rien conclure touchant l'Idolâtrie.
Car enfin le païTage fur lequel feul on
fe fonde, eft très-difficile à entendre , Se
demanderoit des difcuilions qui m'éloi-
gneroient trop de mon fujet. On peut
consulter la fçavante Diflertation du
P. Souciet, & les Reflexions de M. Four*
mont , lequel , quoiqu'il convienne qu'on
n'en peut rien conclure pour l'Idolâtrie
devant le Déluge , ne laiiTe pas pour cela
de croire qu'elle commença dan$nce
Expï.parrHîJl.Liy.UI.CnAV.Î. 2&j
temps-là , & en afîïgne cinq caufes ,
<jui ont fubfifte également après Noé ;
l'admiration ; de-là le culte des Aftres >
fur tout du Soleil & de la Lune , ob-
jets fifrappans , fi utiles, & dès-là fi pro-
pres à attirer le culte des hommes. La
tendreffe ; une mère n'a qu'un fils qu'el-
le chérit, elle le perd , en fait faire une
Statue 3 & cette image devient la Divi-
nité tutelaire de la familie; ainfi qu on
le voit dans le Livre de la Sageffe : cet
exemple rapporté dans l'Ecriture n'eft
pas le feul qu'on puiffe citer. La crainte ;
tout le monde fçait cet ancien vers ,
Primas in orbe Deosfecit timor ;
Se perfonne n'a jamais mieux connu cet-
te foibleffe des hommes que nos Million-
naires de l'Amérique , qui entendoient
dire à tout propos ; fi Dieu eft bon , il
n'apasbefoin de notre culte": les Dé-
mons feuls 3 ou les Génies malfaifants ,
le méritent pour les empêcher de nous
nuire. De la mêm€ fource font fans dou-
te fortis parmi les Romains les Dieux
Avenunci , c'eft-à-dire , qui éloignoient
le mal ; de-là encore la DéefTe Angero-
na ; la fièvre , les maladies déifiées, & la
crainte elle-même , qui devint chez ce
Peuple une Divinité. L'efpérance ; c'eft
lS8 La Mythologie & les Fables
à elle qu'on doit l'origine des Dieu*
Salutaires , tels qu'Apollon , Efculape ,
& tant d'autres , fur le fecours defquels
on fondoit l'efpérance de la guérifon.
Enfin ia flatterie , & il n'eft pas nécef-
faire de citer des exemples des Dieux
qui lui doivent leur origine.
A ces cinq caufes on doit en ajouter
une fixiéme , la corruption du cœur : un
cœur corrompu adore fes défauts & fes
excès ;fes crimes font fes premières Di^
vinités.
Un Auteur moderne , perfuadé que
l'Idolâtrie ne commença qu'après k
Déluge , rapporte une caufe bien fingu-
liere de fon origine ; félon lui , Tathéif-
me s'étoit répandu dans le monde. *> Cet-
» te difpofition d'efprit à l'égard de
* Dieu , dit-il , eft k fouverain crime ;
i car les Athées font beaucoup plus o«
x> dieux à la Divinité que les Idolâtres.
* De plus ce fentiment eft plus propre
» à porter les hommes à cette exceffive
* corruption , dans laquelle k monde
y> tomba avant le Déluge. La connoiffan-
* cedr'xmDieu , continue-t'il , de quel-
» que nature qu'on le conçoive , & le
» culte de la Divinité , eft d^ foi propre
Ȉfervir de bride aux hommes ; c'eft
^> pourquoi l'Idolâtrie n'a pas été inutt»
le
Expl. par PHift. Li v\ III. Ckap. ï. s8p
*> le au monde pour en arrêter la cor-
» ruption. Il y a donc appparence que
» les vices horribles , où tomboient les
» hommes avant le Déluge, ne venoient
» que de ce qu'ils ne corihoiffoient point
*> Dieu , & ne le fervoient pas. Je crois
» même que l'Idolâtrie & le Polythéif-
» me , après le Déluge , tira fon origine
» de l'impiété & de l'athéifme qui avoit
» régné avant. C'efl-là Pefprit des hom-
*> mes : quand ils ont été féverement pu-
» nis pour quelque crime, ils fe jettent
» dans un autre extrémité. C'efl en effet
*> dit-il, ce qui arriva aux Juifs: com-
» me ils furent châtiés très-rigoureufe-
» ment pour s'être abandonnés à l'Ido-
» latrie, & avoir négligé la célébration
» du Sabbat , de retour de la Captivité
* de Babylone ils conçurent tant d'hor-
» reur pour les Idoles , qu'ils fe porte-
» rent plus d'une fois à la révolte , plû-
» tôt que de fouffrir que leurs Gouver-
» neurs portaffent les Enfeignes où é-
» toient peintes les Aigles Romaines ;
» & qu'ils fe biffèrent battre dans diffé-
ra rentes occasions, pour ne pas violer la
» célébration du Sabbat. Je conjecture ,
» conclut le même Auteur , qu'il eft ar-
» rivé quelque chofe de femblable aux
§> hommes après le Déluge. Comme ils
Tome I. * N
'2p0 La Mythologie & les Faites
» jugèrent que cet horrible châtiment J
*> qui portoit des marques fî évidentes de
*> la colère de Dieu , étoit arrivé pour
* punir TAtheifme , ils fe jetterent dans
w l'extrémité oppofée ; ils adorèrent tout
*> ce qui parut mériter leur culte ». On
convient aifément avec cet Auteur que
r Athéifine eft le plus grand de tous les
crimes , Se que l'Idolâtrie , malgré tout
ce que M. Bayle a dit pour détruire cet-
te prétention , peut fournir contre le dé-
règlement des mœurs un frein que Y A-
théifme ne donne pas ; mais où a-t-il pris
que les hommes d'avant leDeluge fe fuf-
fent portés à cet excès d'impiété ? Il de-
voit du moins en excepter la race choi-
fie , les defeendans de Seth. Moyfe dit
bien à la vérité Ça) , que du commerce
des Anges , c'eft-à-dire , des fuccefleurs
de Seth , avec les filles des hommes, par
où Ton doit entendre celles qui defeen-
doient de Caïn , naquirent les Nephelim ,
qui tombèrent dans les plus grands dé-
fordres, comme leur nom même le ligni-
fie ; mais il ne dit nulle part qu'ils devin-
rent des Athées. Orque peut-on fçavoir
de ces premiers hommes , que ce que ce
iaint Ecrivain en a raconté ?
(a) Voyez ce qui a e'té dit fur ce fujet dans le Livre pséc*3
asm , pag. 205. & fuivames.
Expl.parPHijt.Liv.îIl.CnAV.Ï. 291
Quoiqu'il en foit des commencemens
de l'Idolâtrie , il eft sûr que la connoif-
fance & le culte du vrai Dieu furent réu-
nis dans la famille de Noé , qui refta
feule fur la terre après le Déluge. Ce
faim Patriarche pour rendre grâces à
Dieu de l'avoir confervé*, lui offrit des
facriiîces folemnels de tous les animaux
purs qui étoient fortis de l'Arche ; &
fans doute qu'il ne manqua pas de re-
commander à fes enfans & à Ces petits-
fils, de conferver avec refpeâ le cuke
que Dieu lui avoit preferit lui-même.
Ainfï avant la divifion des langues , Se
pendant que les fils & petits-fils de ce
Patriarche ne compofoient qu'une fa-
mille Se qu'un peuple , il y a toute
apparence que la pureté de ce culte ne
•fut point altérée. Noé vivoit encore ,
il étoit le chef de ce peuple. Sem , Cham f
& Japhet, témoins eux-mêmes de h
vengeance de Dieu fur leurs contempo-
rains , vivant au milieu de leurs familles ,
auroient-ils fouffert que leurs enfans
eufTent abandonné ce même culte ? On
ne lit rien dans l'antiquité qui puiiTe nous
porter à le croire. Il y a donc toute forte
d'apparence que ce ne fut qu'après la
difperfion de ce peuple , que commença -
l'Idolâtrie ; & pendant que dans quel-
• Nij
2p2 La Mythologie & les Tables
ques familles , furtout dans celle d'où
fcrtit Abraham, on conferva plus long-
temps la véritable Pveligion , les au-
tres l'abandonnèrent pour adorer de
vaines Idoles , que leur ignorance \ ou
plutôt la corruption de leur cœur , avoit
formées.
Cependant Noé furvêcut à l'introduc-
tion de ce défordre , & ne put étouffer
entièrement le fatal penchant qu'avok
l'homme , à chercher des objets fenfibles
pour leur rendre fes hommages ; & de
fon vivant même ( car il ne mourut
qu'environ le temps de la naiiïance d'A-
braham ) l'Idolâtrie étoit fort répandue
fur la terre.
Il n'eft pas aifé de dire précifément
ni par qui , ni en quel temps , ni par quel
objet elle commença ; l'Ecriture Sainte
n'en parle qu'en paffant, & par occafîon.
La première fois qu'elle en fait mention ,
c'eft au fujet du fils de Zelpha , Ser-
vante de Lia. D'abord que cet enfant fut
né , Lia prononça ces deux mots , Ba-
Gad \ & elle lui donna le nom de Gad.
(i) vtDiis Selden dit (i) que les Hébreux interpré-
%&*• toient ce mot par celui d'Aftre favora-
(z) m»L ble (2), & que Gad en Arabe figmfie la
?ok. bonne fortune. Saint Auguftin prétend
que Lia parla en cette occafîon à lama--
ExpLpar PHift. Liv.III.Chàp.L ip}
niere des Idolâtres , & qu'elle invoqua
FAftre favorable à la naiflance de fon
fils. Ctrte aut Lia pr opter e a locuta eft ,
quod adhuc Gentilitatis confuetuditiem
retinebat. (i)Le même terme de Gad fe G)/» Geo!
trouve dans Ifaïe ; la Vulgate le traduit
par celui de fortune : Qmponitis fortunce
menfarriy (2) & les Septante par celui [0[z)VL6s*
de Démon , ^^«v, qui peut fignifier
tous les Dieux en général.
La féconde fois qu'il eft parlé d'Ido-
lâtrie dans la Genefe , c'eft lorfque Ja-
cob fortit de la maifon de Laban , & que
Rachel enleva fecrettement les Thera-
phirm de fon père. La Vulgate à traduit
ce mot par celui d'Idoles : Rachel furata
eft Idola patris fui (3) : ôc cette verfîon WGea.sw
fe juftifie par les paroles mêmes de La-
ban , qui fe plaignant à Jacob , lui dit :
Pourquoi avez-voas dérobé mes Dieux ?
Car fur at us es Deos meos (4) ? Ces paf- (4) #*£
fages marquent bien à la vérité que l'I-
dolâtrie regnoit du tems de Jacob , ce
qu'on ne fçauroit contefter ; elle étoit
même beaucoup plus ancienne que lui',
puifque la ville de Ur en Chaldée où
demeuraient fes ancêtres , étoit une vifë
le Idolâtre, qu'Abraham fon père ab-
bandona ; mais ils ne nous apprennent
pas l'époque de fon etabliïTement dans
|e monde. N iij
flp4 La Mythologie & les Fables
L'Auteur du Livre de la Sagefïe
nous propofe deux ou trois fources de
l'Idolâtrie. La première eft le regret &
l'amour d'un père qui a perdu fon fils
dans un âge peu avancé. Pour fe confo-
ler de fa mort , il fait faire la figure de
cet enfant, & lui rend dans fa famille
les honneurs divins. De fa famille ce cul-
te fe répand dans la Ville , & d'un Dieu
particulier , on en fait bien-tôt une Di-
0)Sa?.c. vinké publique (a). La féconde fut la
i3-J- '*• c beauté de l'Ouvrage d'un Sculpteur ; on
i*/v. 8. " crut que la Divinité habitoit dans des
Statues fi bien faites (2). La troisième ,
qui revient au même , eft lorfqu'un Ou-
vrier en argille , a fait une Statue bien
proportionnée , & l'a confacrée cosnme
une Divinité : Et cvtm labore vano Deum
fingit de eodem luto > &c. (3) Calvin,
Tnfc! i.. i.'o pour s'autorifer à rejetter le Livre delà
?fc Sageffe, a prétendu que l'Auteur s'étoit
grofîîerement trompé fur l'origine de l'I-
dolâtrie ; mais c'eft qu'il n'a pas voulu
voir que celui qui a compofé ce Livre, n'a
jamais eu deffein de traiter dogmatique-
ment de l'origine du culte des faux
Dieux , & qu'il n'a voulu que donner
(a) Acèfho enirn IhBh dolens pater , cito Çibi y -afii fr/iifecit
imaginent , <& illnm qui tune quafi homo mortuns fneïdt , nnne
t.wquam Deum colère ccepit..- Deiniie intervenknte tempore.-»
tyc çntar tanquam lex cuj}QciitH$ eft, (Jç. sap, 15 . Y. 15 . & 1$%
Expl.par VHift. Liv. III. Chap. I. 295:
en pafîant quelques exemples de cette
efpece d'Idolâtrie, qui porta les An-
ciens à adorer des Statues , & à rendre à
des hommes morts , les honneurs divins.
Ce n'efl: donc point dans les Livres
Saints , que nous pourrons apprendre
la véritable époque de l'établiïTement
de l'Idolâtrie , & nous a'avons dans l'An*
tiquité aucun Auteur qui mérite d'être
fuivi fur cette matière. Voici ce qu^il en
faut penfer.
Dieu s'étoit trop manifefté aux . Pa-
triarches , comme on Fa déjà dit , pour
qu'ils puflent le méconnoître & le laifTer
ignorer à leur pofterité. Ainfï les pre^
iniers defeendans de |Noé conferverent
la pureté du culte , dont Dieu leur a-*
voit lui-même *iiété les Loix. Ce culte
fe perpétua non feulement dans la bran-
che d'Abraham , ilfe trouva même quel-
quefois dans les pays les plus addon-
îles à l'idolâtrie , des hommes qui ado-
roient Dieu en efprit & en vérité. Mel-
chifedech Roi de Salem , Jethro beau-
pere de Moyfe , & Job , ne font peut-
être pas les feuls qui conferverent 1^
connoiïfance du vrai Dieu.
Cette Religion , pure dans fes corn*
mencemens , foufFrit de grandes altéra-»
jetions dans la fuite ; mais il n'eft pas
Niiij
2p6 La Mythologie & les Fables
poffible démarquer les véritables épo-*
ques des changements qui y furent faits.
On fçait feulement en gênerai , que l'i-
gnorance , & encore plus les pafîîons y
cauferent un mélange qui corrompit
tout. Dès-lors Tidée de Dieu s'obfcur-
cit : onfit entrer fes ouvrages en concur-
rence avec lui ; Se par un renverfement
bîen étrange, mais trop réel, au lieu
que îa beauté des Créatures devoit éle-
ver Phomme à la connoiflance du Créa-
teur , elle fit oublier celui qui les avoit
formées , & leur attira le culte qui lui é-
toit dû.
Une chofe bien digne de remarque 9
c'eft que quelque altération qu'ait fouf-
fert le culte primitif , le fond en a tou-
jours été le même. Parcourez toutes les
Religions du monde , & vous trouverez
que ce font prefque partout les mêmes
Miniftres des Autels , le même caractè-
re de Sacrifices, les mêmes obfervations
légales , ainfi qu'on le verra lorique je
parlerai du Sacerdoce ôc des Viftimes :
en forte qu'il femble qu'on peut dire du
culte en général , ce que Procope de
Gaze dit des Purifications en particu-
lier , lorfqu'il compare celles qui étoient
preferites par la Loy de Moyfe 3 avec
.celles qui étoient pratiquées dans le P%*
m
jËxpLparPHijl.Liv.IlL' CrfAP. I. 297
ganifme. Car la feule différence qu'il y
trouve , c'eft que les purifications Ju-
daïques étoient plus parfaites, & fans au-
cun mélange de fuperftition,pendant que
celles des Payens en étoient infeftées.
La dépendance qu'a l'ame de l'hom-
me , avec les fens & l'imagination , né
lui permettant pas de voir Dieu autre-
ment qu'en énigme , comme dit faint
Paul (1) , fait qu'en n'a pu nous le faire C- 13
connoître que fous des images fenfîbles ;
images qui étoient autant de fy mb oies
capables de nous élever jufqu'à lui , du
moins autant que le comporte l'état de
l'homme , comme le Portrait nous re-
met celui dont il ell la peinture. Ces
fymboles furent multipliés dans la fuite
à l'infini , & jetterent fur la Religion une
ebfcurité impénétrable.
Les Egyptiens portèrent plus loin que
les autres Nations cette feience fymbo-
lique & hiéroglyphique ; mais on n'ofe-
roit affurer qu'ils en furent les inven-
teurs. Il efl sûr du moins que dans toutes
les Religions que nous connoilfons dans
les Indes Orientales & Occidentales , il
n'y en a pas une dont la Théologie ne foit
remplie de pareils fymboles. Si nous
nous en rapportons àDiodore de Sicile
(2) les Cretois qui fe. vantoient que la.
N 7
(2) iàv.2.t;
i$$ La Mythologie & les Fable f
plupart des Dieux étoientnés chez-eux ^
le glorifîoient en même-temps d'être les
premiers qui leur avoient établi un culte,
desfacrifices , des myfleres, lefquels s'é-
toient répandus de chez eux , chez tous
les autres Peuples.
Quoiqu'il en foit , les Philofophes ,
fur-tout les Platoniciens , tâchoient d'é-
tablir , au fujet de l'origine de l'Idolâtrie
un fiftême particulier , qui feroit très-
capable , s'il étoit bien prouvé , d'en di-
minuer l'abfurdité. Us (outenoient que
l'idée que les Sages de l'antiquité s'é-
toient formée de Dieu , étoit celle d'un
Etre fuperieurà tout ce qui exifte ; d'un
Efprit répandu dans l'Univers , qui ani-
me tout, qui eft le principe de toute gé-
nération, & qui donne la fécondité à
tous les Etres ; d'une Hame vive , pure ,
Se toujours aétive ; d'une intelligence in-
finiment fage , dont la Providence veille
fans ceffe à tout & s'étend fur-tout; en
un mot , d'un Etre auquel , à raifon de fa
fuperiorité , ils avoient donné des noms
différents ; mais qui portoient toujours
le caraftere de ce domaine Souverain ,
qui ne convient qu'au Maître abfolu , &
à celui de qui tout émane.
sentira ens . — <
^payen^fur Porphyre , après Theophrafte , s'ef-
i °ioutr%de ^orÇa m^mc ^e Prouvef <luc *a Religion
Expl.parPHijlIiiv JILChavIIL 299
dans fes commencemens , étoit fondée
fur des pratiques très-pures , & fur des
idées bien différentes de celles qui re-
gnoient de fon temps. U prétend que
dans les commencemens on n'adoroit
aucune figure fénfible , qu'on n'offroit
aucun facrifice fanglant , & que les noms
ôc les généalogies de cette foule de
Dieux qu'on connoiïToit de fon temps ,
n'étoient pas même alors inventés. On
rendoit, difoit-il , au premier Principe de
toutes chofes des hommages purs , on lui
préfentoit des herbes & des fruits , & on
faifoitdes libations de liqueurs, pourre-
çonnoître par-là fon fouverain domaine»
Tel étoit , félon lui , le Paganifme ,
Bc la Religion des Sçavans ; celle que
Ton combattoit avec tant de fuccès,
n'étoit que celle du peuple ôc des igno-
rons. Ainfî cet habile Philofophe pré-
tendoit par un fyftême rafiné , exeufer
l'Idolâtrie ; mais on ne prit pas le chan-
ge. On lui foutint qu'on n'avoit jamais
trouvé nulle part, excepté parmi les
Patriarches , ôc chez les Juifs , une Re-
ligion telle qu'il dépeignoit; ôc. que
l'Idolâtrie la plus groffiere , étoit le
fyftême dominant. Il faut pour fe con^
duire dans la recherche de l'origine de.
l'Idolâtrie , des guides plus sûrs que
&tt Philofophes Payent . KL v j
300 La Mythologie & les Fables
Les Pères ont pris la chofe du côté
de la morale , & ils ont dit avec beau-
coup de raifon , que l'Idolâtrie n'eft
venue dans le monde , que par la cor-
ruption du cœur de l'homme. L'orgueil,
l'amour de l'indépendance , le penchant
aux plaifirs des fens , font les véritables
caufes de fon établiiTement , & on ne
fçauroit en difconvenir.
CHAPITRE IL
En quel temps commença V Idolâtrie..
M
Aïs en quel temps commença
__ ce defordre , & par quels degrés
arriva-t-il à ce comble d'horreur, qui fera
toujours rougir de honte l'humanité ? Su
(OLiv. i. Epiphane croit (i) que Sarug, ayeuî
dcb*ref> de Tharé pere d'Abraham , en ïxxt le
premier Auteur ; mais l'Ecriture infinue
z) Jofué 24. feulement (2) que les ayeuls de ce Pa-
triarche étoient engagés dans le culte
des Idoles , fans dire qu'ils en avoient été
CO Ant. L, les inventeurs. Jofeph (3) avance mêu
1 çht 9' me que ce mal étoit alors fi gênerai ,'
qu'Abraham fut le premier qui ofa dire
qu'il n'y avoit qu'un Dieu , & que tout
l'Univers étoit l'ouvrage de fes mains ;
§S
ExpLpar PHïJl. Liv.IJÏ. Chap.II. $ôt
& il y a des Pères qui n'ont pas même
fait difficulté de dire que ce Patriarche
lui-même avoit été Idolâtre : quoique
je fois du fentiment de Jofeph , &
des plus fçavans Rabbins qui le nient,
(a) il efl toujours sûr que l'Idolâtrie
étoit répandue de fon vivant, & (£ue
Dieu le préferva de cette contagion,
ou du moins l'en retira , en le faifant
fortir de la Chaldée où il demeuroit.
Il falut donc remonter plus haut. Nem-
rot efl- celui à qui on attribue ordinai-
rement l'origine de l'Idolâtrie : on pré-
tend que c'eft lui qui introduiiît le culte
du feu, qui a duré fi long-temps (r). 0) Hugo
La Ville d'Ur étoit ainfi appellée à^*£*f
caufe qu'on y adoroit le feu, & c'eft
ce qui a donné lieu à la fable, qui dit
que- le Roi qui regnoit du temps d'A-
braham, l'avokfait jetter dans le feu,
parce qu'il s'oppofoit à cette fuperfti-
tion , & que Dieu l'en avoit retiré mi-
raculeufement ; fable Rabbinique , fon-
dée fur ce qui efl dit dans l'Ecriture ,
que ce Patriarche fortit de Ur des Chal-
déens (J?). Mais quelqu'idée que l'Ecri-
ture nous donne de l'infolence de NemK
(a) Uabbi Maimonides croit cependant qu'il fut Idolatrfi
jufqu'à l'âge de quarante-huir ans.
H) yoyeis.Jçrgjfte, Q,ueii, Hebiaiques fur la Getttfe*
^oa La Mythologie & les Fables
rot , qui fut l'auteur du deflein de 1*.
Tour de Babel , deflein qu'on peut re-
garder comme une efpece de révolte
contre le Ciel , il n'eft dit nulle part
qu'il ait porté les Chaldéens à adorer
des Etres fenfibles.
On n'eft pas mieux fondé à. dire que
Ninus fut le premier auteur de l'Idolâ-
trie : elle eft plus ancienne que lui ,
puifqu'il ne vivoit que vers le temps
des premiers Juges , comme Uflerius le
prouve (a) fans réplique , & que l'Ecri-
ture. Sainte reproche long-temps aupa-
ravant à Tharé & à Nachor le culte
des Idoles. On peut dire feulement r
pour ne pas s'éloigner du fentiment de
faint Jérôme & de faint Cyrille r que
ce Fondateur de l'Empire des Aiîyriens ,
fut un des premiers qui introduifit cette
efpece d'Idolâtrie , qui eut pour objet
le culte des grands Hommes , ayant fair
bâtir un Temple à l'honneur de fon père
Belus : mais il y avoit une Idolâtrie bien
plus ancienne , comme nous le dirons
dans un moment.
(a) Cet Auteur place le règne de Bclu$ l'a» du R108d£
34Sir# celui, de Niflus en jtfgj.
ÏÏxpLparPHiJl. Liv.HL Chàp.IL 36I
Article Premier.
Que c*ejl dans VEgypte & dans la Phe«
nicie quelle commença.
C'eft fans cloute dans la famille de
Cham qu'il faut chercher la véritable
origine de l'Idolâtrie. Les enfans infor-
tunés d'un père maudit , oublièrent les
premiers les fages confeils de Noé ; &
fuivant le penchant de leur cœur , Se s'a-
bandonnant à leurs pafîïons , ils cher-
chèrent des ohjets fenfîbles , pour leur
offrir un culte fuperftitieux. Comme les
deux fils de Cham , Chanaan & Mif-
raïm , s'établirent 9 l'un dans la Pheni-
cie, & l'autre dans l'Egypte, c'eft dans
ces deux Royaumes que l'Idolâtrie prit
naïiïance. Je crois qu'elle commença plus
tard dans les pays peuplés par les defeen-*
dans de Sem & de Japhet.
L'Egypte Se la Phenicie font donc
les premiers berceaux de l'Idolâtrie ;
c'eft le fentiment d'Eufebe ( 1 ) , qui (0 Préptr:
avoit fort examiné cette matière; de &v*#ns'ch~**
Laétance (2) , Se de Caffian (3) , dont (2) peF*ih
le premier en rapporte l'origine à Cha- ^ cotu^
naan, & le fécond à Cham fon père ; s.c. **»
c'eft ce qu'ont penfé fur ce fujet plu-
304 La Mythologie & les Fable f
fieurs Rabbins , qui croyent même que
ces deux Patriarches étoient Idolâtres
avant le Déluge. Voffius (a) dit qu'il
eft hors de doute que l'Id'olâtrie a com-
mencé dans la famille de Cham , & par
conféquent dans l'Egypte. Cet Auteur
ajoute que tous les Anciens en convien-
nent ; & fans parler de Diodore , & de
plufîeurs autres , il fuffit de citer Lucien ,
£) **e De*(i) qui dit formellement que les Egyp-
tiens font les premiers qui ont honoré
les Dieux , & leur ont rendu un culte
folemnel. Hérodote , au commence*
fe) Ciiap.4. ment de fon Hiftoire, (2) n'eft pas
auffi précis là-deffus que Lucien , mais
ce qu'il en dit , revient à peu-près au
même. Les Egyptiens , au rapport de ce
fçavant Hiftorien , font les premiers qui
connurent les noms des douze grands
Dieux , & feft d?eux que les Grecs les
mt appris. Ge même Auteur affure là
Hiême chofe en plufîeurs endroits , ÔC
particulièrement dans le cinquième Cha-
pitre du fécond Livre , ainfî qu'on le
verra dans la fuite.
L'Egypte a toujours été regardée
comme le centre dé Pldolâtrie ; c'eft
l'idée que l'Ecriture en donne en plu-
(a) Remaries fol, k-Tîâté dç ]j£aié&9tiicte5 2 îmilmi
ExplparPHfi Liv.IILChap.IL ^
fieurs endroits. Là regnoient la Magie,
la Divination , les Augures , Tinter-
pretation des longes , malheureux fruits
d'un culte fuperftitieux. Dès le temps
même de Moyfc, l'Idolâtrie y étoit à
fon plus haut point , ce qui fuppofe une
grande ancienneté ; car enfin un fyfte-
me complet de Religion ne s'établit
qu'avec beaucoup de temps. Moyfe mê-
me ne femble avoir donné un ù grand
nombre de préceptes aux Juifs, que pour
les oppofer en tout aux cérémonies
Egyptiennes. Ce qui regarde les Sacri-
fices , l'ufage des viandes , & la Police,
ne fut établi que pour les éloigner des
pratiques de ce Peuple idolâtre.
Voilà fans doute le pays où com-
mença l'Idolâtrie : de-là elle pafla dans
la Phenicie , fi même elle n'y commença
pas en même temps (#); & de la Pheni-
cie elle fe répandit en Orient , dans les
lieux où habitoient les defcendans de
Sem , dans la Chaldée , la Mefopota-
mie , & les lieux voifîns ; & dans l'Oc-
cident où s'étoit établie la pofterité de
(a) Plusieurs Sçavans foutiennent que l'Idolâtrie com-
mença dans la Phenicie , & que de-là elle fe repandit en
Egypte. Il eft bien difficile de contefter un fait û ancien»
On accorde tout , en difant comme je le fais , qu'elle corn-
. mença peut être en même temps dans ces deux pays , peu-
plés run & l'autre par U rnirae famiik,
r$o6 La Mythologie & les Fables
Japhet , c'eft-à-dire , dans lcAfîc mi-
neure , dans la Grèce & dans les Mes.
C'eft le chemin qu'Eufebe & les autres
anciens Pères lui font prendre; & il ne
faut pas écouter les Grecs , quand ils
difent que l'Idolâtrie commença, ou
dans l'Ifle de Crète fous le règne de
Meliflus, ou à Athènes fous Cecrops,.
ou en Phrygie ; puifqu'ils ne connoif-
foient pas les véritables Antiquités , &
qu'il efl fur que leur Religion & leurs
cérémonies étoient venues d'Egypte
& d* Phenicie, avec les Colonies qui
leur arrivèrent de ces anciens Royau-
mes , comme tous les Sçavans en con-
viennent , & comme Hérodote le dit
formellement.
L'Egypte & la Phenicie font donc les
deux pays où l'Idolâtrie a pris naiffan-
ce. Je n'oferois décider fi elle com-
mença du vivant même de Cham , mais
il efl fur du moins qu'elle fut fort ré-
pandue fousle règne de Mifraïm fon fils*
Article IL
Quel fut le premier objet de P Idolâtrie^
Si après avoir trouvé l'époque ht,
plus probable de l'Idolâtrie , & décou*
Expï.parVHiJl.Liv. III.Chàp.ïI. 307
vert les lieux où elle a commencé,
flous voulons maintenant fçavoir quel
en fut le premier objet y il faut obferver
la même méthode , 5c rapporter les dif-
férentes opinions.ies Sçavans, Si nous
en croyons le célèbre Votfus (1) , , la^^*
plus ancienne Idolâtrie a ete celle des
deux Principes. Les hommes ayant vu ,
le monde rempli de biens & de maux ,
& ne pouvant s'imaginer qu'un Etre qui
eft effentiellement bon, pût être l'au-
teur du mal , inventèrent deux Divini-
tés égales en puifTance & éternelles. Ils
crurent que tout le bien venoit du bon
Principe , & que le mauvais faifoit tout
le mal qu'il pouvoit faire ; que celui-ci
voyant que le bon Principe vouloit créer
un monde, avoit traverfé fon deffem
autant qu'il avoit pu ; qu'il y avoit eu
à ce fujet une guerre très-vive entre ces
deux Etres , & que c'eft ce qui avoit
retardé cette création , jufques au mo-
ment où le bon Principe avoit eu le
defTus : que le mauvais pour s'en ven-
ger , y avoit répandu toutes fortes de
maux & de miferes. Ce fçavant Auteur
ajoute qu'on ne peut pas fixer au jufte
l'époque de cette erreur , ni dire quel
en fut le premier auteur ; mais ii penfe
avec raiibn qu'elle eft très-ancienne*
5°8 ^a Mythologie & les Fables
(i) in îfide. Plutarque (i) fait une longue énume-
ration de ceux qui Font enfeignée , noa
feulement parmi les Grecs , mais chez
les Barbares même ; & certes cette opi-
nion étoit bien ancienne chez les Perfes,
continue Volîius , puifque le fameux
Zoroaftre l'y trouva établie. Car quoi-
qu'on ne fçache pas qui étoit ce Zo-
roaftre , ni le remps auquel il a vécu ,'
on fçait bien qu'il eft très-ancien , & il
y a apparence que c'eft Mifraïm lui-
même ., fils de Cham, qui fut appelle
après fa mort Zoroaftre , comme qtfï
diroit Apre-vivant , parce qu'il avoit
porté les Egyptiens à rendre aux Aftres
un culte religieux.
On peut remarquer ici en pafTant
<z( Thomas qu'un fçavant Anglois (2) , qui con-
gioVdettn- n°iff°ît mieux que Voiîîus la Religion
cîens Pcifes, des anciens Perfes , a bien éclairci ce
h î* 1. &c qu« regarcje Zoroaftre ; il s'appelloit
Zeratucht ou Zerduckt y Se vivoit du
temps de Darius , fils d'Hyftafpès. Ce
grand homme , bien loin d'avoir intro-
duit FIdolâtrie chez cet ancien Peuple ,
employa tous fes foins pour la détruire,
ôc ramena les plus raifonnables à la con-
noiflance d'un feul Principe , Créateur
du ciel ôc de la terre , ainfi que Sem ôc
Abraham leurs premiers Patriarches, k:
Expl.parPHift. Liv. III. Chàp.II. 309
leur avoient enfeigné, Mais parceque le
Sabifme (a) , c'eft— à-dire , le culte des
Aftres & des Planètes , étoit la Reli-
gion dominante , il fut obligé d'ufer de
quelque tempérament ; & pour ne pas
effaroucher les efprits , il préfcrivit à
l'égard du Soleil & du feu , qui eft le
principe de la fécondité , une efpece de
culte fubordonné , & quelques cérémo-
nies purement civiles , telles qu'elles fe
pratiquent encore aujourd'hui dans les
Indes , fur-tout aux environs de Surate ,
par les Mages defeendans de ces anciens
Perfes , qui félon cet Auteur , ne font
nullement Idolâtres , quoiqu'en difent
les Mahometans , qui voudraient les at-
tirer à leur Religion ; puifqu'il eft vrai,
à ce qu'il prétend., qu'ils n'adorent
qu'un feul Dieu , premier principe de
tous les êtres , & qu'ils n'adreffent qu'à
lui leurs vœux & leurs prières : & s'ils
honorent le feu & le foleil , c'eft qu'ils
le regardent comme l'image la plus pure
du Créateur , & le Temple où il a éta-
bli fon Trône (b).
Mais pour revenir à l'Idolâtrie des
U) Ce mot veut dire Copia , & Sakàite , Copia-fins , com-
me qui diroit celui qui adore la milice. Voyez Hyde ,
loc . cit.
{b) Voyez l'Hiftoirc du Culte de Mithras, Liv. 7*
Ch«Ç. XI. p. 6io
5 ï o La Mythologie & les Tables
deux Principes , Vofïïus foutient qu'elle-
fe repandit en peu de temps dans toute
l'Egypte, fîvous exceptez laThebaïde,
où le culte du vrai Dieu s'étoit confer-
vé ; & il prétend que tout ce que les
Egyptiens publièrent d'Ofîris& de Ty->
phon , & des perfecutions de ce dernier
contre fon frère , devoit s'entendre de
ces deux Principes , & de leur guerre
éternelle : & c'efl: fans doute ce que cet
ancien Peuple , dont la Théologie étoit
toute remplie de fymboles , vouloit
nous apprendre par la fable myfterieufe,
qui difoit qu'Ofîris avoit enfermé dans
un œuf douze figures pyramidales blan-
ches, pour marquer les biens infinis
dont il vouloit combler les hommes ;
mais que Typhon fon frère ayant trouvé
le moyen d'ouvrir cet œuf, y avoit in-
troduit fecretement douze autres pyra-
mides noires , & que par ce moyen le
mal fe trouvoit toujours mêlé avec le
bien [à).
On peut ajouter que tout ce que les
Philofophes ont dit touchant ce bon Se
ce mauvais Principe ; tout ce que les
Perfes ont publié de leurs deux Divi-
nités , Oromafe & Ariman ; les Chai-
(*) Voyez l'Hiftoire cTOfîiis, Liv. 6. Chap. &
ért. i.
ExpI.parPHiji.LivlIL Chap.IL 31 1
tiéens , de leurs Planètes bienfaifantes
ou nuiïibles ; les Grecs , de leurs Gé-
nies ou falutaires ou pernicieux ; tout
cela , dis-je , tire fon origine de cette
ancienne Théologie des Egyptiens , en-
veloppée fous les fables d'Ofîris & de
Typhon. Cette opinion , fî nous vou-
lons remonter à fa véritable fource , ve-
noit de la peine qu'on avoit eu de tout
temps à accorder comment le mal pou-
voit s'être introduit dans le monde, qui
étoit l'ouvrage d'un Dieu infiniment bon
& bien-faifant. Pour ce qui regarde les
autres fables qu'on y mêla , elles pre-
noient fans doute leur origine dans la
tradition <lu combat des bons & des mau-
vais Anges.
Quoiqu'il en foit, cette opinion fit
des progrés infinis. Pythagore alla la
puifer en Egypte , pour la répandre en-
fuite dans toute l'Italie. Le fameux Mâ-
nes , fans parler des autres progrès de
cette erreur , la repandit dans le Chri£
tiamfme au quatrième fiecle , où il eut
plufieurs difciples. Saint Auguftin lui-
même la fuivit pendant quelque temps ,
mais en ayant connu le ridicule, il la
combattit dans la fuite avec tant de fuc-
cès , qu'on la regardoit depuis comme
une caufe tout-à-fait défefperée , lorf-
5 1 2 La My thologie & les Fable f
que M. Bajle .(a) réfolut de la relever;
& de fe rendre P Avocat des Manichéens;
foît , comme il eft très-vraifemblable ,
pour donner de l'exercice aux Théolo-
giens de tous les partis ; foît pour faire
voir que les caufes les plus defefperées,
û elles tombenr en de bonnes mains,
peuvent fournir de quoi embarraffer les
plus beaux efprits ; foit pour quelqu'au-
tre raifon qu'on ne veut pas pénétrer :
&s'étant vu attaqué de toutes parts par
d'illuftres adverfaires (b) , il a employé
tous les artifices d'un efprit fin & délicat,
pour donner quelque crédit à une fî
raauvaife caufe. Volfius croit que cette
erreur prit naiflance chez les Chaldéens,
d'où elle paffa chez les Perfes &les In-
diens , & prefque chez tous les Peuples
de la terre ; ce qui eft vrai , pourvu
qu'on ne regarde pas le Manichéifme tel
que Manès l'a enfeigné , & qu'on le con-
fïdere fous les différentes formes qu'il
eut.
De l'Idolâtrie des deux Principes,
,VofTius pafle à celle des Efprits ; & il
cherche les caufes qui portèrent les hom-
mes à les adorer. Il en trouve deux ; la
(a) Voyci dans fon Di&ionaire les articles des Mani-
chéens & des Pauliciens.
(£( Me/ïieurs Bing, le Clerc, Bernard, & Jaquelot.
con-
Expt.parPHifl. Liv.III. Chàp.IL 315
oonnoiffance qu'on avoit de l'excellence
de leur être , & les effets furprenans
qu'on croyoit qu'ils produifoient ; ÔC
fans doute que les Oracles , les Spedres
& les effets magiques ne contribuèrent
pas peu à faire reconnoître leur puiffan-*
ce & leur fouveraineté. Leur culte s'éta-
blit prefque par-tout , principalement
à l'égard des mauvais Anges, & c'efl:
fans doute ce que veut dire l'Ecriture
Sainte , quand elle appelle tous les
Dieux des Gentils , des Démons (1),
On trouve encore cette forte d Idolâ-
trie dans tous les Pays où l'Evangile n'a
pas été reçu, comme les Relations da
tous nos Miflionnaires en font foi. Mais
il faut appliquer ici la remarque judi-
cieufe de M. le Clerc (2) , qu'on fe
trompe fi l'on croit que ces Idolâtres
qui adorent deux Etres, Pun bienfaifant
& l'autre mauvais , entendent par-là les
bons & les mauvais Anges , comme s'ils
fçavoient le fyflême de la chute des uns,
& de la fidélité des autres ; au lieu qu'ils
entendent par les Génies , certaines Pui£
fances répandues dans le monde, qui y
font le bien & le mal.
Au culte des Génies, Voflîus joint
celui des âmes, qui s'établit en plusieurs
pays , fi nous en croyons Mêla , Hero^
Tome L O
314 La Mythologie & les Fables
dote & Tertullien ; fur tout en Afrique
où l'on avoit beaucoup de vénération
pour celles des grands hommes. Mais
comme c'efl ici l'efpece d'Idolâtrie qui
a fait dans le monde le plus de progrès,
puifque, comme nous le ferons voir,
la plupart des Dieux des Payens n'ont
été que les grands hommes qui fe font
diftingués parmi eux , donnons plus d'é-
tendue à cette penfée , & propofons les
conjectures d'un habile homme (a) fur
l'origine de cette efpece d'Idolâtrie.
Il croit que deux chofes l'ont intro-
duite dans le monde; la reconnoiffance,
&la crainte; ou le culte qu'on rendit
aux illuftres morts , & Papprehenfion
des maux qui pouvoient nous arriver.
Le refpeâ: qu'on portoit aux Ancêtres
fît établir la coutume des Pompes fu-
nèbres ; l'envie qu'on eut de plaire aux
vivans , fit louer avec excès les a&ions
des morts : on chantpit à leurs funérail-
les des Cantiques , on les élevoit jus-
qu'au ciel ; & comme avant l'introduc-
tion de l'Enfer Poétique & des Champs
Elyfées, on croyoit que les âmes er-
roient dans les maifons & dans les lieux
qu'elles avoient fréquentés pendant leur
(a) Le Père de Tournemine , yoyez. le Journal de Tré-
voux, année 1702.
Explpar VHifi. Liv .III. Chap.IL 3 iy
union avec leur corps , on éleva dans
l'endroit le plus refpe&able de la rnai-
fon des efpeces d'Autels , où l'on gar-
doit leurs portraits avec refpeâ, & on
y brûloit des paftilles & de Pencens. On
établiffoit quelqu'un pour avoir foin du
culte qu'on leur rendoit , & c'efl là où
Ton alloit dans les befoins preflans, pour
implorer leur fecours. L'envie de faire
durer un miniftere lucratif, faifoit in-
venter à ces Prêtres des Hiftoires , où
ils mêlqient beaucoup de furnaturel ôc
des miracles , tantôt pour épouvanter
les incrédules , tantôt pour animer les
dévots, Ces Miniftres compofoient aufîî
des Romans fur la vie de ces grands
hommes , qu'ils cachoient pendant long-
temps , & qu'ils faifoîent paffer dans la
Fuite pour de véritables hiftoires : Se
quoique les contemporains n'y fuilent
pas trompés , ceux qui vinrent long-
temps après, ne purent apprendre PHif-
toire de ces grands Hommes que de la
bouche de leurs Prêtres ; & comme tout
ce qu'on voyoit reffentoit la divinité , &
qu'à des Chapelles particulières avoient
fuccedé des Temples publics (a) , on
(a) Ou plutôt les Tombeaux qu'on leur avoir élevés ,
étoient fi luperbes, qu'ils- furent dans la fuite regardés com-
me des Temples , ainiî mie le remarque S. Clemem d'A-
lexandrie, -Supcrflitèo T'JmJa condere uer(aa:j , oua okm
Oïj
3 1 6 La Mythologie & les Fables
s'accoutuma tout de bon à honorer ces
premiers hommes comme des Dieux. Il
etoit même dangereux de vouloir péné-
trer la fource du culte établi; il penfa
en coûter la vie à£fchyle, .parœ qu'on
crut que dans une de fes pièces , il
avoit révélé quelque chofe des myfte-
res de Cerès. Aufiî voyoit-on dans les
Temples, fur tout dans ceux d'Ofiris,
une ftatue d'Harpocrate tenant un doigt
fur fa bouche , pour marquer , comme
le dit Varron, qu'il etoit défendu de ré-
véler le myftere de fa vie & de-fa mort ; Se
c'eft auffi ce que figriifioient dans lememe
pays les Sphinx , placés k l'entrée des
Templesjcomme des fymboles du filence.
La féconde caufe de l'Idolâtrie , fé-
lon le même Auteur , eil la crainte des
maux qui peuvent nous arriver : on s'i-
maginoit , par exemple , que les Aftres
caufoient plusieurs maux par leurs in-
fluences : on les croyoit animés & im-
mortels i parce qu'on les voyoit fans
aucune altération ; ainfî on imagina que
le moyen le plus sûr pour fe les rendre
favorables , étoit de les appaifer lors-
qu'on les croyoit irrités ; &dès-lors on
privA hemhtum fepuirhra fueruni magnificentiùs condita ,
Tem}lorum arpellathxe votât* \u,nt , Cj7c. & c'efl là fans
doute uae des principales fources de l'Idolâtrie.
Expl.parrHift.Liv.IIL Chap.IL 3 17
commença à fe profterner devant la Lu-
ne & le Soleil , & toute la milice du
Ciel j comme le reprochent fi fouvent
les Prophètes aux Nations. Ainfi , pour
le dire en deux mots -, le culte religieux
fut réglé félon les befoins des hommes :
les befoins de la fociété , firent naître
le culte des hommes illuftres ; ceux de
la nature donnèrent lieu à celui des cho-
fes inanimées.
Monfieur le Clerc (a) prétend que la
plus ancienne efpece d'Idolâtrie , eft cel-
le qui rendoit aux Anges un culte reli-
gieux. L'opinion où l'on étoit fur leur
médiation entre Dieu & les hommes ,
leur fit rendre par reconnoiffance & par
crainte quelques refpe&s, proportion-
nés aux biens qu'on croyoit en rece-
voir. Enfuite on leur rendit un culte
fubordonné à celui du premier Etre ;
enfin on les adora , & on n'épargna ni
encens , ni facrifîces pour les appaifer
lorfqu'on les crut irrités : Sacrificaverunt
DœmonitSy &non Dea (i). Du culte dès (,)
Anges, fuivant cet Auteur, on paffa à c- *2-
celui des âmes des hommes illuftres : en-
fuite , comme on s'avifa de dire que ces
âmes féparées des corps , étoient atta-
(a) Index P.hiUlog. ad H'iftor. Philofiph. Orient, in V9Cê
Angélus.
P iii
3 1 8 La Mythologie & les Fables
chées à certains Aftres, & qu'elles les
animoient, on en vint enfin à adorer ces
Aftres mêmes.
Sans vouloir entrer ici dans la criti-
que de ces différentes opinions , qui ne
manquent pas de vraifemblance , j'ex-
plique dans le Chapitre fuivant quel
eft mon fentiment fur une matière fi
ebfcure.
CHAPITRE III.
Ou Von prouve que V Idolâtrie a commencé
par le culte des Aftres.
JE fuis perfuadé que l'Idolâtrie a com-
mencé parle culte des Aftres , & fur
tout du Soleil. Comme on n'abandonna
le vrai Dieu , que parceque l'idée d'un
Etre purement fpirituel s'étoit effacée
dans le cœur des hommes devenus char-
nels (a) , il n'y a pas d'apparence qu'ils
ayent pris d'abord pour objet de leur
(a) Kern: ne s imbttillh întelleRàs non valent es ccrpovaHa
tranfeendere , non crediderunt aliquid ejjè ultra. îiatHram
Jenjibilem 5 C7 ideo inter corçoYaiia fofuerurtt pïxeminere C7*
dijfonere mnndam - y me putchrùraC? digniora eo vitébad-
tur ■ C-7 eis impendebant dtvinum cultum , £7 ejafrnodis funt
topor* ccehfiia , fcilicet Sel C7 Luna , C7 Stella* Oivus Tho*
inas, Opulç, de symbolo Apofl.
ExplparPHift. Liv. III. Ch.III. 319
adoration , clcs hommes femblables à
eux. Il eft bien vraifemblable qu'ils
cherchèrent des êtres fenfibles, qui por-
taient le caraflrere de la Divinité , dont
ils n'avoient pas entièrement perdu Pi-
dée , & qui en fût le fymbole plus ex-
prefïïf. Or rien n'étoit plus capable de
les fédaire que les Aftres, & le Soleil far
tout : fa beauté , le vif éclat de fa lu-
mière , la rapidité de fa courfe y exulta-
vit ut gigas ad currendam vlam ; (1) fa ^ l%*
régularité à éclairer tour à tour toute la
terre , & à porter partout la lumière ôc
la fécondité , caractères effentiels de la
Divinité, qui eft elle-même la lumière
& la fource de tout ce qui eft; tout cela
n'étoit que trop capable de faire croire à
des hommes groiîîers , qu'il n'y avoit
point d'autre Dieu que le Soleil , Ôc qne
cet Aftre brillant étoit le Trônç de la
Divinité : In Sole pofuh Tabemaculu?n
fuum (2). Dieu avoit établi fa demeure W B^M
dans le Ciel; Cœlum Cœli Domine (3),
& ils ne voyoient rien qui portât plus de
marques de la Divinité que le Soleil.
On ne fçauroit donc douter de l'an-
tiquité du culte du Soleil ôc des autre*
■ (3) Hefiode dit prefque mot à mot la même chofe ,
• 5" "USTÉpl^ro capta ru vaJfi qui fupremas habitat démos s
&Anilote, 1. 1. De Cœlo , ch. 3 » dit que tous les Peuple^
**flvienne.it que les Dieux habitent dans le Ciel.
p iiij
320 Lu Mythologie & les Fables-
Affres ; & s'il falloit joindre l'autorité' a
des raifons fi naturelles , j'aurois pour
moi non -feulement plufieurs grands
Hommes qui ont été de ce fentiment,
mais auffi prefque tous les Rabbins 3 &
fur tout le fçavant Maimonides , qui
dans fon Traité fur l'origine de l'Idolâ-
trie , croit que c'efl par-là qu'elle com-
mença, même avant le Déluge-
Dans l'ignorance où étoient les hom-
mes fur la nature du vrai Dieu , dit ce
fçavant Rabbin , rien n'a du les frapper
d'avantage que la vue du Soleil & des
autres Ailres. Les hommes n'ont jamais
perdu ce principe , que la Divinité ren-
ferme elfentieilement le beau ; & n'ayant
pas allez de lumières pour s'élever juf-
tju'à l'idée d'une fubftance immatérielle
ÔC invifîble , ils ne trouvèrent rien de
plus admirable dans la nature que le So-
leil & les Aftres. Lareconnoiflance allez
naturelle aux hommes , lorfqu'ils reçoi-
vent quelque bien , les fortifia encore
dans la même penfée. Ils ne pouvoient
clouter que le Soleil ne fût la fource de
la fécondité ; que c'étoit à fa chaleur
que devoit fé rapporter la fertilité de la
terre , qui fans fes rayons qui 1 échauf-
fent , ne feroit qu'une malle fterile, fans
arbres & fans fruits. Les révolutions. &
Expl. par PHiJl. Liv. III. Ch. III. 321
les mouvemens réguliers des Sphères
céleftes , les perfuaderent bien-tôt que
les Aftres étoient animés ; & cette er-
reur n'a eu que trop de partifans. Cette
opinion devint même celle des Sçavans
& des Pbilofophes , fur tout des Plato-
niciens & de Platon leur maître. Ce fut
dans cette Philofophie que Philon Juif
prit ce dogme , que les Aftres font des
âmes incorruptibles & immortelles (1),
C'eft fur les principes' de cette même
dodrine , qu'Qrigene s'efforça d'établir
la même opinion (2). Saint Auguftin
femble balancer fur ce fujet; mais il fe
retra&e dans la fuite (3). Il y a bien de
l'apparence que c'étoit auflî le fentiment
d'Ariftote ; car fi quelques-uns de fes
Commentateurs difent qu'il donnoit feu^
lement aux Aftres des Intelligences pour
les conduire , il y en a qui prétendent
qu'il regardoit ces Intelligences , comme
les formes internes & effentielles de ces
mêmesAftresv
Eufebe (4) eft celui qui s'expliqua
plus clairement fur cet article. *> Qus
» les premiers & les plus anciens des:
» hommes , dit-il-, ne fongeaffent à éle=-
(1) Lib. De Somntis.
(.1). Dans tes Livres intitulés, <z^4 A'pwv*
(3) Pvetraft. C. 7.
(4.) Prep.Iivang. 1* 2. c. 9*
O v
3 22 La .Mythologie & les Fables
» ver ni Temples , ni Idoles , n'y ayant
ao alors ni peinture , ni art de poterie , ni
» fcuipture même , ni maçonnerie ou ar-
:» chite&ure , je crois que tout homme
» qui penfe , l'apperçoit très-clairement:
»mais que pai-dellus tout cela, on ne
»> parlât pas même de ces Dieux & de
3> ces Hercs fi renommés depuis , &
» qu'il n'y eût alors ni Jupiter , ni Sa-
is turne , ni Neptune , ni Junon * ni Mi-
* nerve , ni Bacchus \ ni aucun autre
» Dieu mâle ou femelle , tels quil s'en
*> eft trouvé dans la fuite par milliers , &
» chez les Grecs , & chez les Barbares ;
»bien plus , qu'il n'y ait eu aucun De*
a> mon , ni bon ni mauvais, que les hom-
» mes reveraffent ; mais que l'on n'ado-
»rât feulement les Aftres , appelles $**U
3> de 5*'*, courir,CGmmz les Grecs le difent
» eux-mêmes: enfin, que les Aftres ne
* fuflent pas honorés comme ils le font *
» par des facrifices d animaux , ni par les
r> cultes depuis inventés , ce n'eft point
« un fait attefté par nous feuls \ mais un
*> témoignage que nous rendent les
a Payens eux-mêmes.
Je" pourrais joindre ici l'autorité des
Auteurs profanes , qui ont été de même
avis ; mais je me contente , I*. du té-
moignage de Diodore de Sicile * (i)
Explpar FHifi. Xiv. III. Ch. IIL 3 23
qui dit que : a Les premiers hommes
» frappés de la beauté de l'Univers , de
» l'éclat & de l'ordre qui y brillent de
* toutes parts \ ne doutèrent point qu'il
00 n'y eût quelque Divinité qui y pré-
» fîdât ; & ils adorèrent le Soleil & la
» Lune, fous les noms d'Ofiris & dlfis ».
Par où ce fçavant Auteur fait entendre
que le culte des Aftres fut le premier
objet de l'Idolâtrie , & que ce fut en
Egypte qu'elle commença,
2°. De celui de Platon , fi toutesfois
il eft l'Auteur du Dialogue intitulé ,
Epinomis , où il eft dit : Les premiers hùïti*
mes qui habitèrent la Grèce, félon ma
conje&ure, ne recovv.otjfoient point a* autres
Dieux, que ceux qui font encore aujourd'hui
les Dieux des Barbares y fç avoir le Soleil 5
la Lune , la Terre , les A (1res & le Ciel.
Je pourrois ajouterque c'eft auffi le fenti-
ment de Sanchoniathon , comme on l'a
vu dans le fragment que j'en ai rapporté.
Mais rien ne prouve tant l'antiquité
de cette efpece d'Idolâtrie , que' le loi».
que prenoit Moyfe de la profcrire I
» Prenez garde , difoit-il aux Ifraëlites,
» qu'élevant vos yeux au Ciel , & y
» voyant le Soleil & la Lune , & tousr
» les Aftres 5 vous ne tombiez dans l'il-
» ludion & 4ans l'erreur x &* que vous*
Ovj
3 24 La Mythologie & les Fables
» ne rendiez un culte d'adoration à des
» créatures que le Seigneur votre Dieu
*> a faites pour le jfervice de toutes les
» Nations qui font fous le Ciel : Ne fort*
élevés oculos tuos- in Cœlos , Ù* videns
Soient , & Lunam y & Stellas .&
impulfus adores atque colas ea\i). Sur
quoi R. Levi Ben Gerfon remarque ,
queMoyfe parle du Soleil avantles autres*
Aftres , parce que fa beauté & fon utilité
font plus propres à féduire, que celle,
de la Lune & des Etoiles,
Comme c'étoit après la fortie d'E-
gypte , & pendant que le Peuple Juif
étoit dans le Defert , que Dieu difta
ce Précepte de la Loi aux Juifs , il y
a tout lieu de croire que c'étoit pour
leur faire oublier les fupexftitions Egyp-
tiennes fur ce fujet , & les empêcher de
fe laifler furprendre à celles des autres
Peuples , parmi lefquels ils alloient bien-
tôt fe trouver ; car ce culte étoit dès-
lors répandu partout , comme nous le
ferons voir dans un moment, & c'eft
pour cela que Job pour marquer fon
innocence , dit : * Si f ai regardé le So-
»leil dans fon éclat, & la Lune lorf-
» qu'elle étoit la plus claire ; fi mon
3> cœur a reffenti une fecrette joie , et
» fi j'ai porté ma main à la bouche poux
ExpLparPHîfî.Liv.IILCHAV.in. $2f
*labaifer; ce quieftle comble de l'ini-
» quité , & le renoncement du Dieu
» très-haut : Si vidi Salem càmfulgtrety
Ù* Lunam incedentem cl are, , & Icetatum
efl in abfcondito cor meum , quee efl ini-
quitas maxima } & negatio contra Deum
altijjîmum. (i) ^ _ _ (i)Job.3r*
Sur quoi il efl: bon de faire ici quatre v.-i*.*7«*«»
remarques.La premiere,que c'étoit donc
là l'Idolâtrie de fon fîécle , & en même
temps la feule ; car certainement s'il y
en avoit eu d'autres , il s'en feroit éga-
lement, juftifié.
La féconde, qu'adorer le Soleil, c'é-
toit abfolument le reconnoître pour le
fouverain Dieu , fans en reconnoître d'au-
tre, abnegaJfemDeumdefuper; ou, com-
me dit laVulgate, negatio contra Deum
altijjîmum.
La troifiéme , que nous apprenons
parce paffage , non feulement l'antiqui-
té du culte du foleil , puifque Job vivoit
avant Moyfe (a) , mais aufïï qu'on re-
connoiflbit la. divinité de cet Aftre ea
portant fa main à fa bouche ; & cette
coutume fe pratiquoit même à l'égard
des autres Dieux , comme nous rappren-
nent plufîeurs Auteurs. Minucius Félix.
(<*) CeftleientimentdeBexie.VoyexU-deiîusles Interpré-
terai il n!«â pas nécei&iit li'enttw ini fam <***<* ikiçu&&*>
326 La Mythologie & les Fables
fe mocquoit de Cecilius , qui baifoit
fa main en paiTant devant la Statue de
ÏSerapis : Cœcdius fimulachro Strapidis
denotato , ut vulgus fuperjiitiofus folet ,
manurn oriadmovens , ofculum labhsïm-
(i) Dial. pwjfît C1)- Apulée au contraire reproche
fr.o&avKis. à un impie , qu'il navoit aucun refpeft
pour les Dieux , & qu'il pafToit de-
vant leurs Temples fans porter fa main
à fa bouche pour les faluer : Nulli Deo
ad hoc œvi jupplicavit , vullum Templum
frequenta-vit, Si Fanum aïiquodprœxertat y
ne fus habet , adorandi gratta , tnanum
(z) Apul. labiis admovere (2).
P *• La quatrième enfin , que c'étoit dans
la vue de reconnoître la divinité du So-*
leil, que les Payens pour prier, fe tour-
noient vers le lever de cet Afïre , & que
leurs Temples étoient tous dirigés du
côté de 1 Orient, pendant que les Juifs,
pour ne pas les imiter, avoient toujours
leur Sanftuaire du côté de l'Occident,
Les premiers Chrétiens avoient auffi ac-
coutume de tourner leurs Eglifes vers
le Levant , non pour adorer l'Aftre qui
nous éclaire , mais pour rendre leurs
hommages au Soleil de Juflice , qui ré-
pand la lumière fur l'efprit (a) , & é-
(a) Voyez faint Clément d'Alexandrie, S trom. 70. contra:
Vidmt. Guêtre 2. &c»
Expl.parPH'îfl.LivIILCHAV.IILiij
chauffe par fa grâce le cœur de ceux
qui l'adorent.
Les Auteurs ne s'accordent pas fur le
lieu où a commencé le culte du Soleil:
il y en a qui prétendent que c'eft* en
Chaldée , fondés fur ce que cet ancien
Peuple s'eft addonné de tout temps à
l'Aftronomie , & qu'il avoit le premier
obfervé le mouvement des A (très : com-
me s'il falloit pour admirer le Soleil &
connoître fes vertus , des Obfervations
Aflronomiques , & qu'il ne fuffit pas
d'ouvrir les yeux , pour être frappé de
fon éclat & de fa beauté. Il y a bien plus
d'apparence que c'efi dans l'Egypte , que
j'ai prouvé , il y a un moment , avoir été
le berceau de l'Idolâtrie , que l'on com-
mença à adorer le Soleil fous le nom
d'Ofiris.
De l'Egypte le culte du Soleil fe ré-
pandit clans les pays voifîns , ou pour
mieux dire , dans le monde , puifque cet
Aflre a été la Divinité de toutes les Na-
tions , même les plus barbares. Je n'en-
treprends, pas de prouver ici en détail
une vérité fi connue , je ne dirois rien
qu'on ne puiffe lire dans Voilïus , dans
le Père Thomaffin , qui n'a fait que
le copier, & dans plufieurs autres. Il
fuffit de dire que les Ammonites l'ado-
3 28 La Mythologie & les Fabter
rerent fous le nom dèMoloch , à qui ils-
facrifioient des enfans ; les Chaldéen&,
fous ceux de Belus , ou de Baal , ou de
Baal-Semen , qui veut dire , le Seigneur
du 'Ciel ; les Arabes leurs voifins , qui
(a)Liv. io;au rapport de Strabon (i) & de Ste-
(z) JLiv.^.phanus (2), lui offroient chaque jour
de l'encens & d'autres parfums, l'appel-
loient Adonée. Les Moabites, Beelphc*
gor ; les Perfes , Mithras. Il étoit nom-
mé Afabinus par les Ethiopiens ; Liber
ou Dionyftus, par les Indiens ; Apollon,
ouPhœbuspar les Grecs & lesRomains.
(3) Voye* (3). Enfin d'autres Pappelloient Hercule*,
fur tout cekBelenus, &c. En un mot, il. n'y eut
Vo/Tms , de ' • 1 t% 1 • i* J 1
JdoLiiv. 2. point de reuple qui ne rendit un culte
îuperftitieux à cet Aftre. Gefar nous
Rapprend en particulier des anciens Ger-
mains , qui au rapport de cet Auteur r
n'avoient d'autres Dieux que ceux dont
ils recevoient quelque bien , comme le
Soleil , le Feu , & la Lune : Deorum nu-
méro eos folàm ducunt , querumo pibus.
apertè jwvantur , Solem , Vulcanum > &
Lunam. Hérodote en dit autant des Maf-
fagetes , qui félon cet Hiftorien , lui
facrifioient des chevaux , pour marquer
par la légèreté de cet animal , la rapidité
(4) Herod. du cours du Soleil^). Enfin tous les
fa.hfonG. Yoyageurs 7 même les plus modernes &
Expl.parPHift. Liv.III.Chap.IIL 329
difent la même chofe dcprefque tous les
Peuples , dont ils nous ont laifTé des Re-
lations , fur-tout des Péruviens & des
Mexiquains. Si nous en croyons un Au-
teur qui a donné un fçavant Ouvrage
fur les moeurs des Sauvages ( 1 ) , il n V a W L^erc
dans le vaite continent de 1 Amérique Mœurl des
aucun Peuple connu , qui n'adore leSo- sauv* T#li pr
leil. Les Yncas même du Pérou , & au- 2
jourd'hui leurs defcendans , ainfi que les
Natchez de laLouifiane , femblabies aux
anciens Rois ou Héros , qui fe vantoient
d'être les fils de Jupiter ou d'Hercule ,
fe difent les enfans du Soleil , comme
nous l'avons déjà remarqué en parlant
de leur Théogonie. Les Juifs eux-mêmes
fe laiflerent aller quelquefois à cette fu-
perftition , puifque l'Ecriture nous en-
feigne que Jofîas tua les chevaux & brûla
les chariots qu'on avoit confacrés au So-
\eil:Et abolevït equos-quos de devant Reges
Juda.... Et currus Solis combujjît igni (2).
Dans l'Obelifque que Sixte V. fit éle- W 4. R&
ver auprès de faint Jean de Latran , qui
eft celui là même dont Hermapion avoit
traduit en Grec les carafteres Egyptiens
qui y étoient repréfentés , & dont Am-
mian Marcellin nous a confervé quelque -
fragment, le Soleil eft appelle le Maître
jdu- Ciel, le Créateur dumonde; le Mars l
3 3 O i^ Mythologie & les Fables
le Dieu de la Guerre. Les Ethiopiens
non-feulement reconnoiffoient le même
Aflre pour leur Divinité , comme nous
Pavons dé:a dit y mais leurs Princes fe
vantoient auiîi d'en defcendre , puifque
Heliodore ( i ) fait ainfî parler Chariclée ;
Soleil ^ auteur de V origine de mes Ancêtres.
RhamelTes , Roi d'Egypte prend la mê-
me qualité dans TObelifque dont je viens
de parler. Semiramis la porte aufîï , fur
quelques monumens dont les Anciens
ontparlé. Adad&Benadad , nomsdont
le premier fignifîe le Soleil , & le fécond
fils du Soleil 5 étoient des noms communs
aux Rois de Syrie, ainfî que le remarque
Marsham. Les Rois de Perfe prenoient
de femblables qualités , ainfî que plu-
sieurs autres Princes de l'Orient. JEëtçs
Roi de Colchide fe glorifïoit de defcen-
dre du même Aflre , ainfî que Medée y
Pafîphaé , & plufîeurs autres , dont
je n'ai pas deffein de donner une lifte
complette , ni de parler de toutes les
Villes qui portoient fon nom , ou qui
lui étoient confacrées/ J'en ai afTez dit
pour faire connoitre Puniverfalité de fou
culte.
On peut même aflùrer en gênerai
qu'on ne trouve aucun Peuple , dont la
Religion nous eft connue 2 ni dans nottQ
Exfil.parmift. Liv.IILChap.IIL 3 3 1
continent , ni dans celui de l'Amérique,
fî on excepte quelques habitans de la
Zone torride , qui brûlés par les rayons
de cet Aftre le maudiffent fans ceffe,
qui ne lui ait rendu un culte religieux.
Perfonne n'ignore que Macrobe (1)
avoit entrepris de prouver , que tous les
Dieux du Paganifme pouvoient fe ré-
duire au Soleil. Cet Auteur donne aux
Poètes la gloire d'avoir fouvent fuivi
les fentimens des Philofophes , fur tout
dans la réunion qu'ils ont faite de toutes
les Divinités au Soleil, qui étant le do-
minateur des autres Aftres , dont les in-
fluences agiiTent fur ce bas monde . doit
être par conséquent Fauteur de l'univers.
Il entre enfjite dans le détail de tous les
Dieux qui peuvent fe réduire au Soleil^
& il y trouve non feulement tous ceux
que nous avons nommés , mais encore
Cœlus , Saturne , Jupiter, Mars , Apol-
lon, Mercure, Ammon,Bacchus, Sera-
pis, Adonis, Efcuiape, Hercule , Atys,
Pan , & plufieurs autres.
Ce même Auteur , & Vofïîus après
lui , réduifent à la Lune prefque toutes
les Divinités du fexe féminin, comme
Cerès, Diane, Lucine, Venus, Ura-
nie, la Déefîe de Syrie, Cybele, Lis,
Vefta, Aftarté, Junon, Minerve, Ii-
3 3 2 La Mythologie & les Fables
bitine , Proferpine , Hécate , & plufîeurs
autres , qui n'étoient formées que d'a-
près la Déefle Ifis des Egyptiens , dont
le nom veut dire ancienne y êc qui étoit
parmi ce Peuple le fymbole de la Lune;
& voilà fans doute les premiers objets
de l'Idolâtrie , & le fondement de toute
Vo/r^/Tn1, la Théologie payenne (i).
**• De l'adoration du Soleil & de la Lu-
_ ne, on paffa à celle des autres Aftres',
fur-tout des Planètes > dont les influen-
ces étoient plus fenfibles , en un mot on
adora toute la milice du ciel.
On nomme Sahifme cette forte d'Ido*
lâtrie qui a pour objet de fon culte les
Aftres & les Planètes. Les Sçavans ne
conviennent pas entre eux de ce qui peut
avoir donné lieu à cette dénomination :
la chofe eft dans le fond allez inutile ;
mais ce qu'il eft plus effemiel de fçavoir,
c'eft que cette Seâe eft la plus ancienne
de toutes, comme on n'en fçauroit doub-
ler : elle a été la plus générale , & elle
dure encore aujourd'hui, principalement
en Afîe, parmi ceux qu'on appelle Phar-
fis , Mendaiens , ou les Chrétiens de
Saint Jean. Ceux qui croyent que c'eft
à Zoroaftre qu'on doit rapporter l'ori-
gine de cette forte d'Idolâtrie , fe trom-
pent certainement j car foit que cet
Expl.parPHift. Liv.IïL Ch. IIï. 333
homme , fî célèbre dans les Ecrits des
Anciens , ait vécu feulement du temps
de Darius , fils d'Hyftafpe , comme le
prouvant Thomas Hyde ( 1 ) & Monfieur y£p% **
Prideau.tr (2) , ou qu'il ait été beaucoup (2) Hift.des
plus ancien , ainfi que paroît le démon- 3™* *£ *•
trer M. Moyle (a) ; on ne peut pas le re-
garder comme l'auteur de cette Se&e ,
beaucoup plus ancienne que lui , puis-
qu'elle fubfiftoit du temps d'Abraham ,
& que la ville de Charan , où ce Patriar-
che fe retira en fortant de Ur , ou de
Qur de Chaldée , a toujours été regardée
comme la Métropole du Sabifme. Je
croirois même que ce ne fut pas tant le
Sabifme qui fut rétabli par Zoroaftre,
que le Magifme , autre Se&e très-ancien-
ne , dont le principal dogme étoit l'ado-
ration du feu. Celle-ci tiroit auffi foa
origine de Chaldée^ & regnoit princi-
palement dans la ville d'Our, où avoient
demeuré les ancêtres d'Abraham , & qu'il
abandonna lui-même dans la fuite. Cette
Sefte, qu'il faut bien diftingner du Sa-
bifme , quoique l'un & l'autre euiïent en
partie les mêmes dogmes (3)., dure en- ^^J*
core aujourd'hui , fi nous en croyons da'm l'endroit
Thomas Hyde, parmi les Gaures , ou v* i'ai «*•
(à) Voyez 1er Lettres fur ce fujet , dans le T. 6. de THif»
toire de M. Prideaux.
534 La Mythologie & les Fables
les Guebres,qui habitent aux extrémités
méridionales delà Perfe, près des fron-
tières du Mogol.
Il y a des Sçavans qui croyent que les
anciens Philofophes , fur-tout ceux de
Chaldée , avoient donné lieu au Sabif-
me, Il eft vrai en effet , qu'ils raifonnent
beaucoup fur les Aftres , fur leurs in-
fluences , & fur leur beauté , peut-être
même qu'ils crurent que c'étoit des êtres
éternels , & dès-là autant de Divinités,
ou que du moins il y avoit des Dieux
qui les habitaient, & en regloient le
cours & les influences. Ils débitoient
même , & cette opinion eft très-ancien*
ne , que le corps de l'Aftre n'étoit que
fa voiture , ou une efpece d'efquif qui
fervoit à porter les Dieux qui les con-
duifoient ; mais falloit-il tant de raifon-
tiemens à des hommes charnels & gref-
fiers pour les engager à addrefîer leurs
premiers vœux à ces corps brillans &
lumineux ? Ne leur fuffifoit-îl pas de
tourner les yeux vers le Soleil , de voir
comment , outre la manière dont il éclai-
re le monde, il lui procure la chaleur Se
la fécondité, pour juger qu'il étoit com-
me le père de la nature , qu'il la vivi-
fioit , & que fans lui elle ne feroitqu u-
ne étendue fans vie , fans lumière & fans
ExpLparVHift. Liv.IIL Ch.IIL 335
aucune production , ainfî qu'on Ta déjà
remarqué ? Tous les Peuples qui ont
adoré le Soleil , les Mexiquains, les Pé-
ruviens & les autres Sauvages du nou-
veau continent, ont-ils attendu les dé-
cidons des Philofophes pour addreffer
leurs vœux & leurs prières à cet Aftre
lumineux ? Quoiqu'il en foit , le Sabif-
me doit être regardé comme la plus an-
cienne Sefte du monde payen. Elle a
commencé peu de temps après le De-
luge , puifqu'elle étoit connue des An-
cêtres d'Abraham, de Tharé, & de Sa-
tug , & peut-être même avant eux. Elle
eft celle qui a fait le plus de progrès :
j'ai parlé des difFerens Peuples qui l'a-
voient adoptée ; & fi on en croit les plus
fçavans Rabbins , & les Auteurs Orien-
taux , elle a infefté prefque le monde en-
tier. Enfin , c'eft de toutes les Seftes cel-
le qui a duré le plus long-temps , puis-
qu'il y a encore un grand nombre dT-
dolâtres qui la fuivent.
CHAPITRE IV.
Du Progrès de Pldolâtrie.
Es premiers hommes, quelque temps
4 après leur feparation, étoient extrê-
3 3 6 La Mythologie & les Fables
mement groffiers ; & les Grecs qui de-
vinrent fî polis dans la fuite, ne le furent
pas moins d'abord , fi nous croyons Dio-
dore de Sicile , que ceux qu'ils s'accou-
tumèrent à appeller barbares. Ainfî, il
ne faut pas s'imaginer que dans les com-
mencemens l'Idolâtrie fût un fyftême
raifonné ; que la Théologie fe trouvât
alors chargée d-e cet attirail de cérémo-
nies qu'on y ajouta dans la fuite. Rien de
plus (impie , ni en même temps de plus
groflier que la Religion des premiers
Idolâtres. On ne faifoit guère de dépen-
fe ni pour repréfenter les Dieux , ni pour
leur rendre un culte religieux. Paufanias
nous apprend que les Athéniens , du
temps de Cecrops , n'offroient à Jupi-
ter celefle , que de lîmples gâteaux ; &
comme ils les nommoient Bous , on a
cru mal-à-propos qu'ils lui immoloient
des bœufs. Les Scythes, félon Saint
(0 Orat.adQement d'Alexandrie (i), adoroient
Génies. . V-»-
dans les anciens temps un Cimeterre;
les Arabes , une pierre brute & informe ;
& parmi les autres Nations on fe conten-
ait d'élever un tronc d'arbre , ou quel-
que colonne fans ornement. On nom-
moit ces Cippes , Zoara > parce qu'on
les peloit , s'ils étoknt de bois , & qu'on
les lifToit un peu , s'ils éroient de pierre.
Dans
Expl. par VHift. Liv. m. Ch. IV. 337
Dans l'Ifle d'Orcade , l'image de Diane
étoit un morceau de bois non travaillé ,
& à Cytheron la Junon Thefpia , n'étoit
«qu'un tronc d'arbre coupé ; celle de Sa-
mos, qu'une fimple planche, ainfi des
autres.
Ce qui commença à donner un grand
cours à l'Idolâtrie, & qu'on doit mettre
par conféquent parmi les principales
caufes de fes progrès, fut l'invention des
Arts , fur-tout de la Peinture & de la
Sculpture. Des Statues bienfaites attirè-
rent plus de refped , Se on eut moins de
peine à croire que les Dieux qu'elles re-
préfentoient, y habitoient. Souvent mê-
me les Statues augmentoient le nombre
des Dieux , comme S. Auguftin le re-
marque à l'occafion des Mufes , qui ori-
ginairement n'étoient que trois , comme
on le dira dans leur hiftoire ; mais ayant
été repréfentées par trois Sculpteurs
differens , leurs Statues parurent fi bel-
les , qu'on les confacra toutes neuf; Se
on augmenta ainfî le nombre de ces
DéefTes.
Du culte des Aftres que nous venons
de prouver dans le Chapitre précédent
avoit été les premiers Dieux du Paga-
mfme, on pafTa à celui des autre; cho-
ies matérielles ; fur-tout du Ciel , des
Tome I. * P
<5 3S La Mythologie &ïes Fable f
Elemens, desFleuves &<les Montagnes}
enfin au culte des Hommes qu'on plaça
au rang des Dieux.
J'ai dit les raifons qui portèrent les
hommes à adorer leurs femblables. La
reconnoiflance , l'amour d une époufe
pour un époux chéri, ou d'une mère pour
fon fils bien aimé ; la beauté de l'ouvra-
ge d'un Sculpteur , les belles actions ,
l'invention des Arts neceftaires; tout
cela fit honorer la mémoire de quelques
grands hommes, obligea à garder leurs
Portraits , à diftinguer leurs Tombeaux
qui devinrent enfin des Temples publics,
comme le prouvent Eufebe (1) & Saint
(i)Pr«par. Clément d'Alexandrie : tels étoient
J7S'L'2' les Tombeaux d'Acrife , de Cecrops,
d'Erichtonius,, d'ifmarus , de Cleoma-
que , de Cinyras , & de plufieurs autres.
On prouvera plus au long dans un arti-
cle feparé , pat l'autorité des Pères &
des Auteurs profanes , que la plupart
-des Dieux des Payens avoient été des
hommes.
Je fçais que Tordre que je viens de
mettre dans le progrès de l'Idolâtrie,
ne s'accorde pas avec Sanchoniathon,
qui place l'Apotheofe des hommes dans
les premiers temps ; mais il y a beaucoup
d'apparence qu'on ne fe porta pas d'*-
Explfarmift. Lïv.IÏI. Ch. IV. 53^
bord à cet excès de folie , & qu'on ado-
ra les Aflres , & les différentes parties
de Punivers , avant que de rendre aucun
culte à fes femblables.
Enfin, fi le progrès de l'Idolâtrie n'eft
pas précifémenttel que je viens de le dé-
crire , il eft du moins très-vraifemblable
tjue la chofe arriva comme je le dis ; car
enfin fi l'Auteur que je viens de nom-
mer y dit que Ccelus ou Uranus , qui eft
un des premiers hommes dont il parle ,
fut mis après fa mort au rang des Dieux ,
il reconnoît pourtant qu'il y avoit aupara-
vant une autre forted'Idolâtrie. ^LesPhe-
» niciens, dit il, & les Egyptiens font les
» plus anciens d'entre les Barbares, Se
*> ceux de qui tous les autres Peuples
» ont enîuite pris la coutume de mettre
» au nombre des grands Dieux tous ceux
» qui avoient inventé des chofes utiles
»a à la vie , & ils ont appliqué à cet ufage
3o les Temples qui étoitnt bâtis aupara-
avant ».
Quoiqu'il en foit 5 il paroît par cet
Auteur que ce fut encore dans la Phe-
nicie & dans l'Egypte que commença
cette forte d'Idolâtrie ; & il y a appa-
rence que ce fut , pour l'Egypte , peu de
temps après la mort d'Ofiris & d Ifis.
Comme ils s'étoient diftingués l'un ÔC
540 La Mythologie & les Fables
& Voyei l'autre par leurs belles a&ions (i ) , qu'ils
«Hift. d'ofir. avoient enfeigné l'Agriculture J8c appris
à leur Peuple plufieurs autres Arts né-
ceffaires à la vie , on crut oie pouvoir
-reconnoître les obligations immortelles
-qu'on leur avoit , qu'en les honorant
comme des Divinités. Mais parce qu'on
auroit été choqué de -voir qu'on rendoit
des honneurs divins à des personnes qui
venoient de mourir , on publia apparem-
ment que leurs âmes s'étoient réunies aux
Aflres , dont elles étoient forties aupa-
ravant pour venir animer leurs corps.
On les prit dès-lors pour le Soleil & la
Lune, & leur culte fut confondu avec
celui de ces deux Aflres , comme je l'ai
déjà dit.
Cette coutume de déifier les hommes ,
paffa d'Egypte chez les autres Peuples ,
& nous voyons que les Chaldéens mi-
rent prefque dans le même temps leur
Belus au rang des Dieux. Les Syriens ,
les Phéniciens, les Grecs enfin & les
Romains imitèrent les Egyptiens & les
Chaldéens 3 & le ciel fe trouva bien-tôt
peuplé de mortels déifiés , comme le re-
marque Ciceron : ce qui étoit encore
vrai dans un autre fens , puifqu'en fai-
Tant leurs apothéofes., on publioit que
îeurs âmes étoient attachées à quelque?
Expl par P'Hift. Liv. III Ch. IV. 34Ï
étoiles , qu'elles choîfï-flbient pour leur
féjour. Ainfï Andromède , Cephéc >
Perfée, & Caffiopée , compoferent les
conftellations qui portèrent leurs noms ;
Hippolite , lefigne du Chartier ; Efcula-
pe, les Serpens ; Ganimede, le Verfeau;
Phaëton , le Charriot ; Caftor & Pollux,
les Gémeaux ; Erigone & Aftrée , la
Vierge ; Atergatis , ou plutôt , Venus
& Cupidon, lespoifïbns ; ainfî des au-
tres. Cette coutume pafla dans prefque
tous les pays , Se pénétra même jufqu'à
la Chine, où les Aftronomes donnèrent
aux vingt-huit Conftellations, qui dans
leur fyftême renferment toutes les étoi-
les, le nom d'autant de leurs Héros, qu'ils'
afïurent avoir été changés en Aftres. Il
n'y eut que les Egyptiens qui donnèrent
aux Conftellations des noms d'animaux,
& c'eft ce qui fut caufe du culte que ce
Peuple leur rendit dans la fuite (a).
Tel eft le progrès cfe ITdolâtrie, qui-
fut portée enfin aux excès que je vais
décrire.
On n'adora d'abord , comme on l'a
dit , que les Aftres , le Soleil & la Lu-
ne; enfuite on regarda la nature elle-
même, ouïe monde, comme une Di^
(a) Voyez ce qui eft dit fur ce fujet dans le Livre fo
aîcaae.
P iij
54^ La Mythologie & les Fables
vinité. Les Affyriens- l'adorèrent fous le
nom de Belus ; les Phéniciens , fous ce-
lui de Moloch ; les Egyptiens, fous celui
d'Hammon ; les Arcadiens, fous celui de
Pan ; les Romains , fous celui de Jupi-
ter : & comme fi le monde avoit été trop
grand pour être gouverné par une feule
Divinité, on en aflïgna chaque partie
à un Dieu particulier , afin qu'il eût plu£
de loifïr & moins de peine à la gouver-
ner ; ou pour mieux dire, on voulut
adorer la nature en détail , & on fît pré-
fider une Divinité à chacune de fes par-
ties. On adora la terre , fous le nom de
Rhea , de Tellus, d'Ops, de Cybele,
de Proferpine, de Maïa, de Flore, de
Faune , de Paies , & de Vertumne : le
feu , fous ceux de Vuicain êc de Vefta :
l'eau de la mer & des fleuves , fous ceux
de FOcean , de Neptune , de Neréey
des Néréides , des Nymphes & des
Naïades ; l'air & xs vents , fous ceux de
Jupiter & d'Eole; le Soleil, fous ceux
d'Apollon, de Titan , d'Ofîris , &c. La
Lune, fous ceux de Diane, d'Ifîs , Sic*
Bacchus fut le Dieu du vin ; Cerès , la
DéefTe du bled ; chaque fleuve & cha-
que fontaine eut fa Divinité tutelaire ;
l'Enfer , fon Pluton; la mer, Neptune
& Tethys i les bois & les montagnes^
ExpLparPHijï. Liv.IIL Ch.IV. 34?
leurs Nymphes , & leurs Satyres.
Les Colonies de l'Egypte & de la
Phenicie qui vinrent s'établir dans la Grè-
ce , y portèrent leur culte religieux ? &
ce culte fe répandit peu-à-peu dans les
différentes Provinces qui la compofoient.
C'étoit même une des plus grandes
marques de confîdération qu'une villa
pût donner à fes voifins , d'adopter leuff
culte religieux & leurs cérémonies ; car
chacun avoit des Prêtres & d'autres Mi-
nistres qui regloient les chofes divines ,
ajoutoient & retranchaient au culte pri-
mitif. De tout cela il fe faifoit un mé-
lange confus , qui rendoit la Religion,
des Grecs , de toutes les Religions la
plus monftrueufe & la plus fuperftitieufe^
Lifez les Voyages de Paufanias , vous
trouvez à chaque pas des Temples , des
Autels , des Statues des Dieux de dif-
férent métail , de différentes formes , &
avec des noms particuliers , que, ou le
lieu , ou quelque prétendu prodige , ou
quelque voeu public , leur avoient fait
donner.
On aflîgna auflî des Divinités aux a£-
feftions & aux pallions : Venus & Priape
présidèrent à la génération ; Morphée
au fommeil; Hebé & Horta à la jeu-
ncÛLG 1 Juturne chez les Latins , & Hy*
? iiij
544 La Mythologie & les Fahles
gieïa chez tes Grecs , furent les DeeiTes
de la fanté ; & Jafo , de la maladie (à).
On établit une Bellone pour la guerre,
une Pomme pour les Jardins , des Fu-
ries pour les Enfers. Toutes ces Divini-
tés eurent des Temples , des Autels &
des Sacrifices ; & comme les pallions ne
s'oublient jamais , il n'y eut point de
crime qui n'eût un Dieu Patron. Les
adultères reconnurent Jupiter ; les Da-
mes galantes , Venus ; les femmes jalou-
fes y Junon; & les fîloux, Mercure &
la DéelTe Laveme. Ce n'eft pas tout ; il
y avoit des Parques pour régler toutes
les aftions de la vie. Au mariage préfî-
doient Junon, Hymenée, ThalaiÏÏus,
Lucine, Jugatinus , Domiducus, & plu-
sieurs autres dont les emplois infâmes
s. Av.. font rougir les honnêtes gens (i). Les
De Ov. £e:> r rr ° i J .
temmes groiies ou en couche, învo-
quoient ia bonne DéefTe , Junon , Lu-
cine , Hécate y Sofpita , Aîena , Nixii
Dei , Imercidona y Mater Matuta, De-
verra, Egeria, Fluovia, Pertunda, Pror-
fa, Pojlverta , Rumilia y Divinités dont
les noms , ainfi que ceux des autres
Dieux qui préfïdoient à toutes les ac-
{<ù On ne fera que nommer préfentement tous ces Dieu*,
Ils feront dans le troifieme Tome partie deTHiltoire des Di«r
viruté* Romaines,
A)
Expl. par PWjl. Li v. III. Ch. IV. ^4;
tions de la vie , defignoient les emplois.
Pour les enfans , on invoquoitla Déeffe
Nafcio , ou Natio , Opis , Rumina, Po-
tin a y Cunina , Levait a , Paventia , Car*
vea , Edufa , Ojjilago , Statilinus , Va-
gitanus, Fahulinus , Juventa, -Nondïna ,
Orbona; & cette dernière Déefîe étoit
pour les orphelins > ou pour confoler les-
pères & les mères de la perte de leurs
enfans. Lorfqu'on pofoit l'enfant à terre,
on le recommandoit aux Dieux Pilumnus
ÔC Picumnus : de peur même que le Dieu-
Sylvain ne lui nuisît , il y avoit trois au-
tres Dieux qui veilloient aux portes*
Intercido , Pilumnus , & De vert a. Car il
eft bon de fçavoir qu'à la naïffance d'un
enfant , on frappoit à la porte avec une-
hache , ou avec un maillet , & enfuite-
on balayoit le veftibule , & on croyoit
que Sylvain voyant ces trois marques,,
n'ofoit entreprendre de nuire aux enfans,
qu'il jugeoit par-là être fous la protec-
tion de ces trois Divinités, Statilinus.
prélîdoit à l'éducation de ces mêmes en-*
fans ; Fabulinus leur apprenoît à par-
ler*; Paventia en éloignoit les objets de
crainte & de frayeur ; Nondinà préfidoit
aux noms qu'on leur donnoit ; Cunina.
avoit foin du berceau ; enfin Rumia con-
fervok le lait à leurs mercs. Les Dieu^
E Y
3 46 £# Mythologie & les Vallès
Epidotes préfidoient à la croiflance des
enfans , comme leur nom le prouve (a).
S'il y avoit tant de Dieux pour veil-
1er à la naiflance & à la confervation des
enfans, il n'y en avoit pas moins pour les
fruits & les moiflbns. Saint Auguflin,
qui dans fes Livres de la Cité de Dieu
nous a confervé les noms de plufieurs
Dieux , qu'on chercherait vainement
ailleurs , en compte feize qui veil-
loient aux femailles & aux moiflbns»
Une Seici pour les bleds nouvellement
femés : Segetia, quand ils commençoient
à pouffer, Tutilina, pour les conferver
dans le grenier ; Proferpine , quand ils
germoient ; Patelina, quand ils étoient
prêts de pouffer l'épi ; Nodotus 5 quand
ils commençoient à nouer , PatUeva ,
Flora, Hojîiïma , Lacîitrtïa, Matuta%
Rumina Se Robtgus , & plufieurs autres ,
à qui on offroit des facrifices dans les
différentes faifons de Tannée. On avoit
encore Venus Libitina , pour prélîder à
ta mort; Plutus & Ops , pour les richef-
jes ; Janus y Forculus , Cardea & Limen-
tina^ pour avoir foin des portes; Clufius
êcPatuleius étoient les Dieux qu'on invo-
quoit en les ouvrant ou en les fermant (£)•-
(*) E'tt/A y fnperaddo , augeo , J'augmente*
(é) Forcuîus , efuafik Êttfè*s, ', Cafdea , à C*rdinibnt > L£
Expl.par VBJl. Liv.IIÏ. Ch.IV. 347
Laterculus & les Pénates , pour les
foyers ;Jupiter Erceus pour les murail-
les (1); les Déefles Flore, Pomone, & (1) W*««
les Dieux Vertumne & Priapeveilloient^^w*
à la confervation des vergers , des fleurs >
êc des fruits, comme Deverrona , à la ré-
colte. Le Dieu Terme prenoit foin des
champs & des bornes. On avoit auiîî une
Hippone pour les chevaux , Bubone
pour les bœufs , Mellone pour les abeil-
les. Murcea étoit la DéeïTe de la pareïTe;
OJJïlagOy étoit invoquée lorfqu'il s'agif-
foit de remettre les entorfes&les ruptu-
res des os. Agenorïa l'étoit pour donner
du courage* Hebé préfîdoit à la jeunef-
fe y Senuïus à la vieilleïïe ; Momus à la
raillerie ; àlajoye , Vetida> aux plaifïrs ,
Volopta yà la pauvreté F enta. Les grands
parleurs invoquoient Atus Locuttus :
Harpocrate & Sigalion étoient les Dieux
du filence. Pelloiiia étoit établie pour
éloigner les ennuis ; PQpulomayipour dé-
tourner toutes fortes de ravages. Oa
avoit divinifé la vie fous le nom de Vi-
tulusy & la Fièvre avoir auiîi fes Autels»
On avoit un Dieu de l'ordure, nommé
memina , à lim'me* Tous les autres Dieux avoient des noms
«onforrnes à leurs emplois > tant chez les Grecs que chez les
Romains.
Voyez faint Au^urun , de Uvitate Dzi > l. 4. $. fcf • La*~
tauc*, a£ res Paufauias , Piuie - &c.
34$ La Mythologie & les Vallès
Stercutius y un pour d'autres befoîns^
Crepitus ; une Déefle pour les Cloaques,-
Cloaciva.
A la Juftice préfîdoient Aftrée , The-
mis & Dicé. A la fabrique des mtmnoyes
de cuivre, ALs , JEfculanus y & JEres\
à toutes fortes d'efpeces , Juno-Moneta 9
ou fîmplement Moneta. Ariflée & Mel-
lonia étoient les Dieux des mouches à
miel; Salaria, la Déeife des tempêtes ;
Eole, le Dieu des vents. Valloma Se
Epimda avoient foin des chofes expofées
à l'air. Myagrus , Muyodes & Achor f
étoient les Dieux des mouches. Pavor 9.
Timor , Pallory étoient ceux que la crain-
te , l'effroi , & la pâleur qui les accom-
pagne , avoient fait inventer. L'impru-
dence elle-même avoit fa divinité tute-
laire , qu'on nommoit Coalemus : Catlus
rendoit fpirituel , & Cornus le Dieu des
feftins , gai & content. Enfin, il n'y
avoit rien d'efTentiel à la vie & aux plai-
firs , qui n'eût une Divinité favorable,
Les Romains en avoient deux pour l'a-
mour ; Tune pour les amours mutuels ,
l'autre pour venger les amours mépri-
fés {a) , & cette paiïïon étoit la Divini-
té la plus ancienne & la plus univerfel-
(m) Ovide l'appelle un amour d'oubli j Lethens armr. 1. ;u
Expl par PHîJl. Liv. IIL Ch. IV. 54^
lement adorée. Ce même Peuple avoit
auffi deux Temples de la Pudeur, uir
dédié à la pudicité des Nobles , & l'au-
tre à celle du peuple: enfin, onenvoyoit
partout d'élevés à la Paix, à la Victoire , .
à la Pauvreté . à la Foi, à la Clémence,,
à la Pieté, à la Juftice, à la Liberté, à.
la Concorde , à la Fortune , à la Difcor~
de, à l'Ambition. On appréhendoit le:
mal, on fouhaitoit le bien , on vouloir
fuivre Ces penchans fans remords ; & voi-
là l'origine de toutes ces Divinités na-
turelles ôc métaphoriques , dont les.
noms répondent aux emplois, & qu'on-
regardoit comme autant de Génies ré-
pandus dans le monde, qu'on croyoit
en régler les mouvemens , Ôc qu'on tâcha
de fe rendre favorables par les vœux ôc
les facrifîces, parce qu'on les croyoit
raalfaifants. Les Poètes invoquoient
Apollon, Minerve, & les Mufes; les
Orateurs , Suada & Pitho ; les Méde-
cins , Efculape . Meditrina , Confus , Hy~
gieia & Telefphore ; les Valets & les
Servantes , les Dieux nommés Aveuli Ù*
Anculœ^ les Bergers, le Dieu Pan ; les
Bouviers , la Deeile Bubona ; les Cava-
liers , Caftor & H'ypona.
Comme chaque profefîîon avoit fes
Dieux ; chaque action de h vie avoit
5 yû La Mythologie & les Vallès
auflï les fîens : ainfi préfidoient aux dif-
férentes actions , Volumnus , ¥olupiar
Libentia, Horfa, Horftliay Stimula y Stre—
mia> Stata , Adeoncr TAgeronia y Agonis,
JÎbeona yFejforia y Fugia , Pellonia y Ca~
tius, Fidtus y ou SanBus-Fidius y.Saniîusy
ou Dius, Murcïa y NanïaT Numerica>
Vacuna y Vertumnus y Vittus , Veflitus ^
Tibilia (a(. On avoit inventé auiïï des
Dieux pour chaque partie du corps ; le
Soleil préfidoit au cœur , Jupiter à la
tête & au foye. Mars aux entrailles,
Minerve aux yeux &aux doigts , Junon
aux fourcils, Pluton au dos, Venus aux
reins, Saturne à la rate, Mercure à la
langue , Tethys aux pieds , la Lune à
Teftomach , le Génie Se la Pudeur au
front , la Mémoire aux oreilles , la bonne
Foi à la main droite , laMifericorde aux
genoux. On avoit , comme nous l'avons
dit ci-devant, divinifé chaque Vertu ;
la Clémence , la Concorde, la Juflice ,
la Mifericorde, la Pieté , la Pudeur , la
Prudence , la SageiTe , l'Honneur , la
Vérité, la Paix, la Liberté ? & plufreurs-
sutres.
Ou ne s'attend pas que je donne une
(a) On ne cite point d'Auteurs pour tout ceci : il n'y a qu'à
lire les Hiftoires Grecques & Romaines , fur -tout Paufama$>
Strabon, Tite-Live, &c. & Saint Augu&A-
Expl. par mjl. Liv.ïIL Cu. IV. 35 ï
notion plus étendue de ces Divinités
fubalternes ; leurs noms défîgnent aflez
leurs emplois , Se il fuffit de les avoir
nommées , pour être au fait des Poètes
& des Mythologues qui en parlent. Je
remarquerai feulement : i° , Que pref*
que toutes ces Divinités étoient de l'in-
vention des Romains, comme leurs noms
le font aflez connoître ; & l'on voit par
là combien ces Maîtres du monde , qui
avoient adopté prefque tous les Dieux
des Peuples qu'ils avoient vaincus, en
avoient encore introduit d'inconnus à
ces mêmes Peuples : 2° , Que la plupart
de ces Divinités étoient de Finvention
des Peintres & des Sculpteurs : 30 , Qu'il
y en avoit qui étoient particuliers à quel-
ques familles , & même quelquefois à
de fimples particuliers: 40, Que toutes
ces vertus divinifées n'étoîent que des
fymboles, qui les repréfentoient , ou fur
des Médailles , où l'on en trouve un-
grand nombre , ou fur d'autres Monu-
mens <Sc dans les Infcriptions : 50, Que
leur culte n'étoit ni auffi célèbre ni auflî
étendu que celui des grands Dieux ; que
cependant il y en avoit un grand nombre
qui avoient des Autels &des Chapelles,
& qu'on invoquoit en certains temps;
comme, avant la récolte , aux vendan-
fjp La Mythologie & les Vables
ges, lorfqu'on cueilloit les fruits , dans
les maladies des hommes ou des be£>
tiaux, &c.
Outre ces Dieux , dont le nombre efl
déjà immenfe, il y en avoit de particu-?
liers à chaque Nation ; d'autres qui
étoient affe&és à certaines Villes : Rece-
la particulièrement chez les Grecs & chez
les Romains ; foit qu'on crût qu'ils
étoient nés dans ces Villes, ou qu'ils
leur accordaiïent une proteftion partie
culiere. En un mot, prefque' toute la
terre, avoit été partagée entre plufîeurs
Divinités , & à l'exception des grands
Dieux, qui étoient reconnus partout,
quoiqu'honorés plus particulièrement en
certains lieux , les autres n'étoient ado-
rés que chez quelques Peuples , & dans
de certaines contrées. C'eft de-là que ces.
Dieux étoient nommés Topiques, ou Po-
pulaires, & qu'ils ont tiré la plupart dé*,
leurs noms, comme on le verra dans leur.
Hiftoire , des différents lieux où ils*
étoient honorés.
Ainfî Jupiter l'étoît fpécialement dans-
l'Ifle de Crète, où Ton croyoit qu'il
avoit été nourri , à Difte , au mont Ida ,
au mont Olympe , au Pirée , dans TE—,
pire , à Dodone. Junon , à Argos , à
My cènes ; à Phalifque^. à Samos } à Car-
Expl. par VHïJl. Liv. III. Ch. IV. 37?
thage.Cerès en Sicile , & à Eleufis.Vefta
ou Gybele , dans toute la Phrygie , fur-
tout à Berecynthe , & àPeiîLunte. Mi-
nerve , à Alalcomene , à Athènes , &
à Argos. Apollon , à Chryfa, Ville de
Phrygie y à Delphes, à Cylla, àClaros,
une des Cyclades , à Cynthe, montagne
de Delos , à Grynée , à Lesbos , à Mi-
let , à Patare , à Phafelis y montagne de.
Lycie , àSmynthe à Rhodes, à Tene-
dos , à Cyrrha , chez les Hypperbo-
réens , 8c ailleurs. Diane à Ephefe , à
Delos, àMycenes, àBrauron dansFAt-
tique , à Magnefle r fur le mont Ménale 9
à Segefte , &c. Venus à Amathonte en
ChypVe, àCythere, àGnrde, àPaphos,
à Idalie , fur le mont Eryx dans la Si-
cile , fur l3Ida dans la Phrygie. Mars , à
Rome ; chez les Getes , & d'autres peu-
ples du Nord , comme les Scythes & les.
Thraces Vulcain, dans les Ifles Eolien-
nes , à Lemnos , auprès du mont Etna ;
& plus anciennement en Egypte , dont
fuivant les meilleurs Auteurs , il étoit
la première Divinité. Mercure, furl'He-
licon , fur les monts Cylleniens , à No-
nacrie , & généralement dans toute TAr-
cadie. Neptune , dans Tlfthme de Co-
rinthe , au Tenarc , & fur toutes les Mers.
Nerée, furies côtes des Mers, & par
5^4 ^a Mythologie & les Fables
les gens de marine. Saturne , dans plu~
fieurs lieux d'Italie. Pluton , dans tou&
les facrifîces qu'on offroit aux morts. Bao
chus, àThebes, àNyfa, àNaxos, &c*
Efculape, à Epidaure, à Rome ôc ail-
leurs. Pan , fur le Ménale en Arcadie, &c.
La Fortune à Antium , Eole , dans les
Ifles quiportoient fon nom. Tels étoient
les lieux principaux de la Grèce, de F Afîe
mineure, & de l'Italie, oùl'onhonoroit
les Dieux d'un culte particulier.
Enfin , pour comble d'ahfurdité , on
adora les animaux & les reptiles ; & ce
n'étoient pas feulement les particuliers
qui leur offraient de l'encens & des fa-
crifîces , mais les Villes entières où leur
culte fut établi : ainfi Memphis & Helio—
polis adoroientle bœuf; Sais & Thebes,
les brebis ; Cynopolis , les chiens ; Men-
ées , les chèvres & les boucs ( a ) , les
Afïyriens, les colombes. Dans quelques
Villes on adoroit les linges , dans d'autres
les crocodiles ôc les lezars , les corbeaux ,
les cigognes , l'aigle , le lion ; ôc ces
Villes portoient même fouvent le nom
des animaux qui étoient l'objet de leur
culte , comme Cynopolis , Leontopolis >
Mendès, &c.Les poiflbns devinrent auffi
(a.) On expliquera dans leLiv.vu ce <jt*'cm deitgenfer. d*
suki: seitf u aux animaux*
Bxpl.parPHift.Liv.III.CHAV.TV. 357
l'objet d'un culte fuperftitieux , non-feu-
lement parmi les Syriens , qui n'ofoient
pas même en manger ; mais auflî dans
plufîeurs Villes d'Egypte , de Lydie , &
dans d'autres pays. Les uns plaçoient fur
leurs Autels des anguilles , d'autres des
tortues , & d'autres des brochets (a).
On n'en demeura pas là : les infe&es,
les ferpens furent auflî adorés en Egypte
& dans plufîeurs autres pays. Epidaure Se
Rome avoient élevé des Temples à la
couleuvre * qu'ils croyoient repréfenter
Efculape. Il n'y eut pas jufqu'aux moin-
dres infeâes qui ne devinrent l'objet de
cette folle fuperftition. Les ThefTaliens
honoroient las fourmis, dont ils croyoient
tirer leur origine : les Acarnaniens y les
mouches ; & fi les habitans d'Accaron ne
les adoroient pas , ils offraient du moins
de l'encens au Génie qui les chafToit , Se
Béeîzebut étoit leur grande Divinité*
Enfin , les pierres elles - mêmes furent
l'objet d'un culte public ; comme celle
que Saturne avoit avalée au lieu de Ju-
piter , Se celle qui repréfentoit parmi les.
Phrygiens la mère des Dieux ; & le Dieu
Terme , qui étoit une efpece de borne
ou de rocher.
(a) Confultez, fur tout cela Volïius , de idoU qui en traita
fon au long».
3 y "(5 La Mythologie & les Fables
Que iî nous voulons parler maintenant
des Héros ou des demi-Dieux , quel pro-
digieux nombre n'en trouverons-nous
pas ? Leurs Temples étoient répandus
dans toute la terre \ & leur culte , quoi-
que moins folemnel que celui des Dieux y
faifoit une partie confiderable de la Re**
ligion payenne. Enée, furnommé Ju-
piter-Indigete , avoit une Chapelle éri-
gée en fon honneur fur les bords du
fleuve Numicus ; Janus , Faunus , Fi-
cus, Evandre, FatuaouCarmenta, Ac-
ca-Laurentia , ou Flore , Matuta , Por-
tumnus, Mania, Anna-Perrenna , Ver-
tumne , Romulus , & plufîeurs autres ,
étoient honorés dans le pays Latin. Her-
cule (a) , Thefée , Caftor & Pollux ,
Hélène , Agamemnon , ôC la plupart des
Héros de la Toifon d'or ou du fiege de
Troye , eurent des-Temples & des Au-
tels dans la plupart des Villes-de la Grèce.
La Laconie honoroitrHy acinthe , & Ti-
momarchus qui combattit pour les Lace-
demoniens contre le Peuple d'Amycles ,
fans parler d'Agamemaon , de Menelas,
de Paris & deDéiphobe. Les MeiTeniens
offraient de Pencens & des facrifiees à Po~
(a) ,1 n'y a pas de Dieu Ind gete dont le culte fut plus ré-*
pandu que celui d'Hercule. La Grèce, l'Italie, la Gaule^'EP*
pagne > l'Afrique , la Libye , l'Egypte , & la Phenicie, lui
ay oient élevé des Temples & d€s Autels»
JExpl parPHift. Liv.IILChap.IV. 3;?
lycaon , à fa femme Meflene , à leur fils
Triopas , & au célèbre Machaon filstd'Ef-
culape. Les Arcadiens accordèrent les
-honneurs divins à Califto , à fon fils Ar-
cas , à Ariftée qui avoit quitté lTfle de
Cos où il étoit né , pour venir en Arca-
clie apprendre à ce peuple l'art d'élever
les abeilles. Le peuple d'Argos honoroit
Perfée , Lyncée; Hypermneftre , Io ,
Apis. Les Acarnaniens reveroient Am-
philoque , & confultoient fes Oracles.
Le peuple. d'Athènes avoit rempli cette
célèbre Ville des Temples de Cecrops ,
de fes filles , Agraule , Herfé & Pan-
drofe ; de Celeus & de Triptoleme fon
fils , d5Erechteugv& de fes filles. On y
trouvoit aufîî les Temples d'Egée , de
Thefée 5 de Dédale, de Perdix fon ne-
veu , d' Androgée , d'Alcmene , d'Eaque,
«dTolaiïs, ce fameux compagnon des tra-
vaux d'Hercule , de Codrus , & d'une
infinité d'autres. A Delphes on voyoit
celui de Neoptoleme ; à Megare , celui
d'Alcathoiis ; chez les Oropiens celui
d'Amphiaraiis ; Thebes étoit célèbre ,
non-feulement par le culte de Bacchus ,
deSemelé, de Cadmus, d'Hermione,
mais auffi de toute cette illuftre famille :
ainfi Ino & Meiicerte y eurent leurs Tem-
ples & leurs Autels, aulîi-bien qu'Her?
3 y S La Mythologie & les Fahles
cule , Iolaiis & Amphiaraiis. Dans FElide
les femmes facrifioient une fois par an à
Hippodamie , fille de Pelops. Telefphorc
étoit honoré à Pergame > Damta ou La*
w/Vz TétoitàEpidaure> Nemefis à Rham-
nus , Sanéîus , ou Sangus chez les Sa-
bins j Adramus Se Fallcus en Sicile , Co-
ronis à Sicy one P Théagene chez les Tha-
iîens , Boréè en Thrace , Pater - Curts
chez les Volfques , Tellenus à x\quilée,
Tanaïs en Arménie , Ferentina à Feren-
tum , Tagès en Etrurie , aujourd'hui la
Tofcane ; Feronia , dans plufieurs lieux
d'Italie , Marie a à Minturne , les Grâces ,
à Orchomene , les Mufes , dans la Piérie
6c àLesbos , & Amphiloque à Oropos.
La TheïTalie facrifioit à Pelée , à Chiron ,
à Achille. L'Ifle de Tenedos à Tenès ,
celle de Ghio à Ariftée & à Drimachus,
celle de Samos à Lyfandre , celle de Naxe
à Ariadne , les Eginetes à Eaque , ceux
de Salamine au fameux Ajax , fils de Te-
lamon , Tille de Crète , à Europe , à I-
domenée 5 à Molon ? & à Minos. On
voyoit en Afrique les Temples de plu-
fieurs Rois. Les Maures honoroient
Juba ; ceux de Cyrene , Battus ; les
Carthaginois y Didon , Amilcar , Sec.
Les Thraces , Orphée , Se leur Légif-
lateur Zamolxis.
ExpLpar VHift. Liv .XILChap JV. 3;$
On ne finiroit pas fïl'on vouloît par-
courir tous les autres lieux célèbres par
le culte de quelque Divinité particulière ,
puifque toute la terre étoit remplie de
Temples & d'Autels , élevés non-feule-
ment aux grands Dieux , mais auflî aux
Indigetes (à) , & que chaque Peuple &
chaque Ville , généralement parlant, a-
voit mis au rang des Dieux ou des Héros,
fes Fondateurs & fes Conquérans. Si Ton
croit avoir befoin de preuves, pour tout
ce que je viens de dire dans ce dernier
article , on n'a qu'à lire Paufanias , qui
parle des Temples confacrés à tous ces
Héros, Strabo.n , & parmi les modernes ,
Meurfius dans fon excellent Traité des
Fêtes de la Grèce ; le premier Livre de
Voffius, &Rofin(i). 0)Liv.
Enfin, fi l'on joint à tant de Dieux, les &3e
Génies & les Junons qui étoient comme
les anges gardiens de chaque homme ôc
de chaque femme , on n'aura pas de peine
à croire ce que dit Pline , que le nombre
des Dieux excedoit celui deshommes (&),
ni ce que rapporte Varron , qui faitmon-
(a) Confultez pour tous ces Indigetes & leur culte, Paufa-
nias , 3c Strabon , & parmi les modernes Meuriîus , Gracia
Ferïat.i , de Voflius 5 de idol Liv. i .
(b) Ma)or cœlitum pc-pulus etiam quam homrnwm intdligi potefly
tnm finguliquaque ex ftmetipjis totidem Decs fadant jjnnones}
GcnhfqHe adfiptandojibi. Pline , Liv* 2.
3^0 La Mythologie & les Faites
ter ce nombre à trente mille.
Je ne prétends pas dire qu'il n'y ak
eu de tout temps dans prefque tous les
pays du monde , quelqu'un qui ait rejet-
té dans le fond du cœur ces Divinités
ridicules , du moins pour la plupart. Je
fçais que Dieu le conferva quelques fer-
viteurs parmi les Nations les plus Ido-
lâtres ; que Salem eut fon Melchifedgch ,
les Iduméens leur Job , les Chaldéens
leur Abraham ; mais à cela près on doit
croire que toute la terre étoit couverte
des ténèbres de l'Idolâtrie ; qu'il n'y eut
que le peuple Juif dans un coin du monde ,
qui conferva l'idée & le culte du vrai
Dieu ; encore ce même Peuple trop in-
grat & toujours charnel , malgré les bien-
faits vilîblcs qu'il recevoit de fon Dieu ,
& les défenfes continuelles des Prophè-
tes , ne fe laiffa que trop fouvent entraî-
ner au fatal penchant qu'il avoit pour
l'Idolâtrie.
On pourroitoppofer à ce que je viens
de rapporter des progrès de l'Idolâtrie ,
que toutes les faufles Divinités des Pa-
yens , r^ét oient que difFerens attributs du
vrai Dieu ; qu'ils adoroient , par exemple,
fa milice dans Themis , fa puiiTance Sou-
veraine dans Jupiter , fon éloquence dans
Mercure , fa fagefle dans Pallas , ainfi des
autres j
Explpar rHjft.Uv JILChap.IV. 36 r
autres ; mais ils n'en feroient pas pour
cela plus excufables , ayant ainlî diftri-
bué & partagé entre plufieurs Dieux , les
perfe&ions d'un Etre qui eft un par eC-
fence. On peut p enfer la même chofc
des Poètes & des Philofophes , qui
croyoient que Dieu étoit lame de ce
vafte univers , qui lui donnoit le mouve-
ment & la vie.
Spiritus in us -alit , tôt an? que Infufa per anus
Mens agirai moîem , & magnofe cor-pore rnifcet.
Deum namque ire fer omnes
Terrafque , traclufque maris , cœlumquo pro-
fcniW (1). CD Enei*
C'étoit le fentiment favori des Stoïciens, L'6'
au rapport de Ciceron (2; ; chacun don- Ac(a2d}# guc*<
na à cette ame univerfelle du monde ,
le nom de quelque Divinité. Straboa
difoît que c'étoit Jupiter ; félon Denys
d'Halicarnaffe , c'étoit Saturne ; Macro-
be vouloit que ce fût le Soleil; Apulée,
la Lune : d'autres , Pan , ou Junon , ou
Minerve; ou plutôt félon le fentimentde
Zenon (3), c'étoit cette même ame du^^y*
monde, qui prenoit tous ces diffe- ^ ***'
rens noms , fuivant les différons rap-
ports de fa puiiTance: qu'elle s'appel-
loit Dios , parceque c'eft par elle que
tout fe fait ; Athena y parceque foi em-
pire eft dans les Cieuxj Hera> ou Ju-
Tome I. Q
%$2 LaMythologie & les Fables
non , parce qu'elle préfîde à l'air ; Po^
feidon ou Neptune , parce qu'elle réfide
dans l'eau; Vulcain, parce qu'elle habite
(rt c'étoit dans le feu (i). Reconnoître & adorer,
mSVdeTar- comme une Divinité , cette ame uni-
Ton. verfelle , qui eft une portion du monde ,
Aug°D*ci-v." étendue comme le corps qu'elle anime,
d«\L 27. c c'eft à la vérité une efpece d'Idolâtrie
aa* plus rafinée que celle du peuple ; mais
c'eft toujours rendre à une chofe maté-
rielle les hommages qui ne font dûs qu'à
Dieu ; ou plutôt c'étoit un athéïfme fera-
blable à celui de Straton,dePline,de Spi-
îiofa, & de la plupart des Lettrés Chinois.
Mais après avoir prouvé que Pldo la-
trie n'étoit parvenue que par degrés au
point d'abfurdité où on vient de la voir,
il faut dire en peu de mots de quelle
manière le culte qu'on rendoit aux faux
Dieux , monta jufqu'au comble de Ta*
bomination.
Coiftme dans les premiers temps, la
plupart des Peuples ne connoiflbient ni
villes ni maifons , & n'habitoient que
dans des huttes, ou fous des tentes por-
tatives , & qu'ils erroient dans differens
endroits, pour chercher des établifïe-
mens folides , il ne leur étoit ni facile
ni convenable de conftruire des Temples
<& de faire des Idoles j & c'eft ce qui les
Expi.parVHifl. Liv.III. Cu. IV. 36$
obligea d'abord à choiïîr pour l'exercice
de leur Religion, les cavernes, les bois,
& les montagnes , les Prêtres & les Le-
giflateurs ayant regardé ces lieux retirés,
comme très-propres à rendre les myfte-
res de la Religion plus refpeélables. Pli-
ne s'explique clairement fur cette matiè-
re. Les arbres , dit-il , & les champs fu-
rent autrefois les Temples des Dieux.
Arbores fuere Numinum Templa , pr'ifco-*
que ritujimpliciâ rura. Voilà ce qui don-
na lieu à la confecration des bois , dont
l'ufage n'a cefTé qu'avec l'idolâtrie.
Il faut remarquer, en premier lieu,
que lorfqu'on vint à bâtir des Temples ,
on n'abolit pas l'ufage des bois facrés ,
& qu'on en planta fouvent autour. Se-
condement , que ces premiers Temples
n'avoient point d'Idoles. L' Archite&ure
fut inventée avant que l'art de faire des
figures fût connu. Hérodote (1) & Lu- M *• «s
cien (2) nous 1 apprennent des &gyp- sjria.
tiens & des Scythes. Sinous en croyons
Plutarque après Varron (3), les Ro- 0)Voyex$.
mains furent 170. ans fans Statues ni Ido- t^tcH^
les , 5c même Numa Pompilius les avoit
profcrites par une Loy également fage
& judicieufe : auffi quand on trouva les
Livres de ce Prince , qui avoient été
long-temps perdus , on les fit brûler >
3#4 î*a Mythologie & les Fables
parce qu'ils condamnoient apparemment
une coutume trop univerfelle alors ,
pour être abolie , à moins qu'on ne veuil-
le dire qu'on les fît brûler comme des
Livres apocryphes & fuppofés.SiliusIta*
licus dit de même, que le Temple de Ju-
piter Ammon étoit fans aucune Idole,
& que le feu éternel qu'on y confervoit ,
repréfentoit la Divinité qui y étoit ado-
rée. Enfin , pour ne pas ennuyer par un
trop grand nombre ce citations , Ter-
tullien nous apprend que de fon temps
même il y avoit pluiîeurs Temples fans
aucune Statue ; & c'eft ce que veut dire
l'Auteur du. Livre de la SagefTe en par-
lant des Idoles : Neque enim trant ab ini-*
tio 9 neque eruntin perpetuurn.
11 faut remarquer en troifîeme lieu,
qu'avant que l'art de faire des Statues
fût inventé, on rendit un culte religieux
à des pierres informes , à des colomnes,
& autres chofes de cette nature ; c'eft ce
que nous apprenons de plufieurs Au-
teurs. Sanchoniathon dit que les plus an-
ciennes Statues n'étoient que des pier-
res brutes , qu'il appelle Bœtilia ; &
ce mot vient apparemment de Bethel ,
nom que Jacob donna à la pierre qu'il
éleva comme un Autel après fon combat
^vec l'Ange (i). Paufanias parle des
ExpLparPnift. Liv.IÏI. Ch. IV. $6$
Statues d'Hercule & de Cupidon , qui
n'étoient que deux mafTes de pierre. Ce
même Auteur ajoute qu'onwoyoit en un
même endroit trente pierres quarrées,
aufquelles on donnoit les noms d'autant
de Divinités. Les Scythes , au rapport
d'Hérodote (i) , adoroient une épée qui 0) *■•
repréfentoit le Dieu Mars. D'autres
Peuples , félon Juftin , rendoient leur
culte à une lance; & c'eft de-là qu'eft
venue la coutume de donner des lances
aux Statues des Dieux, Ab origine rerum
pro Dits immortalibus haflas coluerunt ;
ob cujus Relig'onis memoriam , adhuc Deo~
mm fimulachris haflœ adduntur. L. 43»
Le fameux Sceptre d'Agamemnon dont
parle Homère , fut adoré par le Peuple
de Cheronée , comme un fymbole de
Jupiter. Enfin Arnobe nous apprend,
que les Perfes adoroient le feu & les
fleuves ; les Arabes , une pierre informe;
les Thefpiens, un rameau; les Cariens,
du bois ; ceux de Peffinunte , un caillou ;
les Romains , la lance de Romulus ; &
les Samiens , un puits. Videtis temporibus
prifeis Perfas fiuvios coluijfe y memoralia
ut indicant feripta ; informem Arabas la-
pidem, acinacem Scythiœ nationes 5 ramum
pro Cynthia Thejpios : lignum Cariis pro
Diana cokbatur^ PeJJlnuntios fdicem pro
Q «j
$66 La Mythologie & les Fables-
d)AmobeDeâm matre ' VT0 MaYte Romanos hûP
-tdoJtoU. tam y Puteum Samios pro Junove (i).
Lorfque l'aifcde faire des Statues, dont
on donne la gloire à Promethée , fut in-
venté, & que Dédale l'eut perfe&ionné,
on rejetta toutes ces Divinités informes ,
& dès-lors l'Idolâtrie commença à faire
beaucoup de progrès : on porta même
la fuperftition jufqu'à croire que les Di-
vinités elles-mêmes venoient habiter dans
les Statues qui les repréfentoient ; 8c ce
fentiment étoit reçu fî univerfellement,
que lePhilofophe Stilpon ayant entrepris
de prouver que la Minerve de Phidias
n'étoit pas un Dieu , fut déféré à l'Aréo-
page , où il fut obligé , pour fe juftifier*
de chercher une pitoyable défaite, Se de
dire qu'il avoit avancé que cette Statue
n'étoit pas un Dieu , puifque c'étoit une
Déefle ; ce qui n'empêcha pas toutefois
qu'il ne fût banni.
Comme toute Religion demande né-
ceffairement un culte , après avoir traité
de l'origine & du progrès de l'Idolâtrie ,
& des Dieux qu'elle avoit introduits, il
eft neceffaire de parler du culte qu'on
rendoit à ces différentes Divinités ; des
Autels, des Temples, des Prêtres, des
Sacrifices, des Vi&imes , des Inftrumens
des Sacrifices , des Oracles > des ¥4*
ExplparPBJf. Liv.IILCh.V. 367
tes , &c. ce qui fera la matière d'autant
de Chapitres,
CHAPITRE V.
DesTempler des Payens , de leur Forme?
de leur Ancienneté 9 &c.
L'Antiquité' des Temples eft
auiïi inconteftable , que le temps
auquel on a commencé d'en avoir , eft
incertain. Comme ceft dans la Phenicie
& dans PEgypte que l'Idolâtrie a com-
mencé peu de temps après le Déluge, il
n'efl; pas douteux que c'eft dans ces deux
Pays qu'il faut chercher l'origine de
tout ce qui concerne le culte des faux
Dieux, & l'ufage des Temples qui a com-
mencé chez eux. Hérodote & Lucien
ledifent formellement des Egyptiens;
mais auffi il faut obferver en même temps,
que le fyftême de cette faufle Religion
n'a pas été établi tout d'un coup , & que
les cérémonies ne l'ont été que peu-à-
peu. D'abord on n'honora les Dieux ,
que d'une manière groflîere : de iîmples
Autels de pierre brute ou de gazon, éle-
vés au milieu de la campagne , étoient
les feuls préparatifs des Sacrifices qu'on
3 68 ta Mythologie & les Fables
leur offroit. Les Chapelles, c'eft-à-di*e;
des lieux fermés , & enfin les Temples
ne font venus que dans la fuite ; & on
ne voit pas en effet , que les Egyptiens
en euiTent du temps de Moyfe : il en
auroit parlé , puifqu'il en a eu fouvent
occafîon. Ainfi j'ofe décider que le Ta-
bernacle qu'il fit dans le defert , & qui
ctoit un Temple portatif, eft le premier
Temple qu'on connoifle , & peut-être
le modèle de tous les autres. Le Taber-
nacle avoit un lieu facré, SanÛa Sanc-
torum y qui répond aux lieux faints & ca-
chés des Temples des Payens , & qu'ils
nommoient Adyta. Ce Temple , expofé
à la vue des Nations voifînes des lieux
que parcoururent les Ifraèlites pendant
quarante ans, a pu donner occafîon à
ces Peuples Idolâtres d'en conftruire de
femblables, fans être portatifs ; du moins
eft-il certain qu'ils en avoient avant la
conftru&ion du Temple de Jerufalem*
Le premier dont il eft fait mention dans
l'Ecriture , eft celui de Dagon chez les
Philiftins. Quoiqu'il en foit , la coutume
de bâtir des Temples en l'honneur des
Dieux, venue d'Egypte, païTa chez les
(0 DeDea autres Peuples. Lucien (i) dit que ce
&"* fat de ce pays qu'elle fut portée chez les
Afîyriçns , & par-là il doit comprend^
' ExpLparPHiJt. Liv.IIL Chap.V. 369
tous les Pays d'alentour, la Phenicie,
la Syrie, & d'autres encore. De l'Egyp-
te & de le Phenicie , elle paffa dans la
Grèce avec les Colonies , & de la Grèce
à Rome ; c'eft le chemin des Fables ôc
de l'Idolâtrie , comme nous le difons
tant de fois dans cet Ouvrage ; & cette
opinion eft fondée fur Hérodote , & fur
tout ce que l'Antiquité a de plus certain.
On donne à Deucalion pour la Grèce,
& à Janus pour l'Italie , la gloire d'y
avoir bâti les premiers Temples; d'au-
tres afïurent que pour l'Italie , l'honneur
* en eft dû à Faunus , d'où eft venu le
nom de Fanum, qui parmi les Latins
lignifie un Temple ; mais toutes ces re-
cherches font auffi frivoles qu'incertai-
nes. Ce qu'il y a de plus afîuré , c'eft
qu'à de petites Chapelles, élevées la
plupart par de (impies particuliers, & au
milieu des champs , fuccederent bientôt
des bâtimens réguliers, & enfin des
Chefs-d'œuvres d' Architecture. On peut
voir dans Hérodote, & dans d'autres
Auteurs , qu'elle étoit la magnificence
du Temple de Vulcain en Egypte , que
tant de Rois eurent bien de la peine à
achever : c'étoit une grande gloire fi
d. tv un long règne un Prince avoit pu
en çonftruire un portique. Vous verrez-
370 La Mythologie & les Fables
dans Paufaniasla defcription du Temple
ii)inMg. de Jupiter Olympien (i) , que Redon-
nerai à la fin de ce Chapitre, avec celle
des autres Temples que je nomme ici.
Celui de Delphes , auflï célèbre par (es
Oracles que par les prefens immenfes
dont il étoit rempli , mérite d'être connu.
Celui de la Diane d'Ephefe , ce chef-
d'œuvre de Part, & fi renommé qu'un
. infenfé (2) crut fe rendre immortel en le
brûlant, étoit auiîi riche que magnifi-
que. Le Panthéon, ouvrage de la magni-
ficence d' Agrippa, gendre d'Augufte,.
fubfîfte encore, & eft dédié à tous les
Saints , comme il Pétoit auparavant à
tous les Dieux. Enfin celui de Belus, ou
plutôt cette grande & magnifique Tour,
compofée de fept étages , dont le plus
élevé renfermoit la Statue de ce Dieu>
avec les autres chofes dont parle Héro-
dote, comme il étoit le plus ancien de
tous ceux dont je viens de parler , il étoit
auflî le plus fîngulier & le plus magni-
fique.
Voilà les Temples les plus fuperbes
des Payens , dont PHiftoire nous ait
confervé la mémoire. Les autres , moins
célèbres , font en fi grand nombre , qu'il,
faudroit des Volumes pour les décrire %
& la chofe feroit fort inutile ; on croit
Expl.parmjl. Liv.IIL Chap.V. 371
qu'il y en avoit plus de mille , grands ou
petits, dans la feule ville de Rome. Les
Antiquaires ont fait deffiner le plan &
l'élévation de quelques-uns de ces Tem-
pies t fur-tout le P. d^Montfaucon(i), h^r^\
que 1 on peut confuiter. 54. & fuiv.
Comme les Latins expriment le mot de
Temple de plufieurs manières , Tem-
plumy Fanum, JEdes y Sacrarium, De-
labrum, &c. les Grammairiens & les
Commentateurs ont cherché l'étymolo-
gie de chacune de ces dénominations ;
mais tout bien examiné , il paroît que ces
noms fîgnifioient des lieux confacrés aux
Dieux, differens entre eux plus par la
grandeur que par la forme , quoique de
très-bons Auteurs y ayent mis quelque-
fois d'autres différences. Il paroît que
dans les premiers temps , Fanum fîgni-
fîoit la place deftinée à un Temple > &
que le même mot fut employé dans la
fuite , pour marquer un petit Temple ,
de même que le mot Sacrarium. Cice-
ron en effet (2) , employé deux fois ces : (*);»*
dfeuxmots, pour décrire un petit Tem- ^rur-^m9
pie que Cerès avcit à Catane en Sicile.
Cet Orateur employé ailleurs le mot de '
Sacrarium, pour les Chapelles particu-
lières que chacun avoit dans fa maifon;
jaaisçes Chapelles étoient plus fouvent
3 7 2 La Mythologie & les Fables
exprimées par le mot Laràrium. JEdes ,
fi nous en croyons Varron, dont le té-
moignage eft rapporté par Aulu-Gelle,
marquoit que le Temple étoit établi par
les Augures ; d'où il conclut que tout ce
qu'on appelloit JEdes , n'étoit pas ua
Temple ; mais cette diftin&ion eft fans
fondement , car les Auteurs fe fervent
également des deux exp reliions , pour
les bâtîmens confacrés aux Dieux. Il n'en
eft pas de même du mot Delubrum , qui
fîgnifîoit proprement T félon Afconius ,
un Temple confacré à plusieurs Divini-
tés , & dans lequel il y avoit plufieurs
Chapelles , comme le Panthéon étoit un
Temple confacré à tous les Dieux. Le
mot Templum , ne marquoit pas même
toujours un bâtiment , puifque les Au-
gures l'employ oient pour les enceintes
fermées de paliffades ou de toiles , qu'ils
formoient avec le bâton Augurai, pour
tirer les Augures.
Les Temples des Anciens étoient par-
tagés en plufieurs parties qu'il eft bon de
diftinguer , pour entendre les defcrip-
îions qu'ils en font. La première étoit le
Veftibule , où étoit la Pifcine , dans la-
quelle les Prêtres, JEduuiy puifoient
l'eau luftrale pour expier ceux qui vou-
loient entrer dans les Temples^ la Nef>
Expl. par PHïft. Liv. II I. Ch. V. 375
n&} & le lieu Saint appelle penetrale , fa*
crarium , adytum , dans lequel il n'étoit
pas permis aux particuliers d'entrer ; &
enfin l'arriére Temple ô7n<&c&>'p<&< ; mai*
tous n'avoient pas cette partie. Les Tem-
ples avoient fouvent des Portiques , &
toujours des marches pour y monter. Il y
en avoit aufli avec des galeries autour ;.
ces galeries étoient formées d'un rang
de colonnes , pofées à un certain efpace
du mur , couvertes de grandes pierres :
ces Temples étoient nommés Peripteres ,
c'eft-à-dire , ailes; ôc Diptères, quand la
galerie avoit deux rangs de colonnes;
Frojîyles , lorfque les colonnes formoient
le Portique fans galerie ; & enfin Hype-
thresj quand ils avoient en dehors deux
rangs de colonnes , & autant en dedans,
tout le milieu étant découvert, à peu
près comme nos Cloîtres* Vitruve re-
marque encore d autres particularités,
qu'on peut voir dans fon Ouvrage.
L'intérieur des Temples étoit fouvent
très-orné, car outre les Statues des
Dieux , qui étoient quelquefois d'or,
d'y voire, d'ébene , ou de quelque autre
matière précieufe , & celles des grands
hommes (à) qui étoient quelquefois en
[a] Voyez, la defcription des Temples les plus célèbres , à
1% fin <k ce Çh»pi«c*
3 74 È* Mythologie & les Fables
grand nombre , il étoit ordinaire d'y voit
des peintures , des dorures , & d'autre»
embelliffemens , parmi lefquels il ne faut
pas oublier les offrandes , ou les Ex voto ;
c'eft-à-dire , des Proues de Vaiffeau ,
lorfqu'on croy oit avoir été garanti du
naufrage par le fecours de quelque Dieu;
des Tableaux , Tabellas , pour la gué- -
rifon d'une maladie ; les Armes prifes
fur les ennemis , les Drapeaux , des Tre~ -
pieds , & des Boucliers votifs , tels que
font les deux qui fe trouvent dans le Ca-
binet des Médailles du Roi , & dont
l'hiftoire efl dans le neuvième Volume
des Mémoires de l'Académie des Belles^
Lettres (a). Il y avoit fur-tout dans le
Temple de Delphes, & dans plufîeurs
Temples de Rome, des richeflesimmen--
fes de ce genre. Outre ces fortes d'or-
nemens , on ne manquoit gueres au jour
g de Fêtes de parer les Temples de bran-
ches de laurier , d'olivier , & de lierre.
Lorfqu'on vouloit bâtir un Temple, ,
les Arufpices étoient employés à choiU
fir le lieu, & le temps auquel on devoir
en commencer la conftrudion. Ce lieu-
étoit purifié avec grand foin; on l'en-
vironnoit même de rubans & de couron—
TicicHiffr nes ^^ ^es Veftales accompagnées de
4* i M Voyez, le Traité de Dmariis, par Thomaûrmio
Expl.parPHiJi.Liv.IILCHAv.V. yft
jeunes garçons & de jeunes filles , la-
voient cet efpace avec de l'eau pure &.
nette, & le Pontife l'expioit par un Sa-
crifice folemnel. Enfuite il- touchoit la-
pierre qui devoit fervir la première à
former le fondement, & qui étoit liée
d'un ruban ; & le peuple animé d'un
grand zèle , l'y jettoit,- avec quelques
pièces de monnoy e , ou de métal qui n'a-
voit pas encore paffé par le creufet.
Lorfque l'édifice étoit achevé, la con-
fécration s'en faifoit aufîï avec de gran-
des cérémonies , & c'étoit le Pontife ,
ou en fon abfence , quelqu'un de fon
Collège qui y préfidoit.
Tacite (i) parlant du rétabliffegpent (OHift.
du Capitole, nous a confervé la f^rmu-
le , & les autres cérémonies de la consé-
cration du lieu deftiné à bâtir un Tem-
ple. Vefpafîen , dit-il , ayant chargé L,
Veftinus du foin de rétablir le Capitole *
ce Chevalier Romain confulta les Aruf-
pices , & il apprit d'eux qu'il falloit com-
mencer par tranfporter dans des marais
les reftes du vieux Temple , & en bâtir
un nouveau fur les mêmes fondemenst.
L'onzième jour avant les Kalendes de
Juillet , le Ciel étant ferain, tout l'efpa-
ce deftiné pour l'édifice fut ceint de ru-
bans & de couronnes. Ceux des Soldats
57*> La Mythologie & les Fable?
dont le nométoit de bonne augure, en^
trerentdans cette enceinte avec des ra-
meaux à la main ; puis vinrent les Vef--
tales, accompagnées de jeunes garçons,
& de jeunes filles, dont les pères & mè-
res vivoient encore, qui lavèrent tout
ce lieu avec de Peau de fontaine , de lac,
ou de fleuve. Alors Helvidius Prifcus
Préteur , précédé de Plaute Elien Pon-
tife, acheva d'expier l'enceinte par le
facrifice d'une vache, & de. quelques
taureaux, qu'il offrit à Jupiter, à Ju-
non, à Minerve , & aux Dieux Patrons
de l'Empire, &les pria de faire enforte
que le Bâtiment que la pieté des hommes
avoit commencé pour leur demeure , fût
heureufement achevé. Les autres Magif-
trats , qui aflîftoient à cette cérémonie ,
les Prêtres , le Sénat , les Chevaliers &
le Peuple, pleins d'ardeur & de joye ,
fe mirent à remuer une pierre d'une grof—
feur énorme, pour la traîner au lieu où
elle devoit être mife en oeuvre. Enfin ,
on jetta dans les fondemens plufieurs pe-
tites monnoyes d'o-r , & d autres pièces
de métal, comme nous le venons de
dire.
De ces Temples , il y en avait quel-
ques-uns qui ne dévoient pas être bâtis
dans l'enceinte des Villes > mais hors les
Expl par TÏÏtfl. Lîv. III. Ch. V. 377
murs ; comme ceux de Mars , de Vul-
cain & de Venus , pour les raifons qu'en
apporte Vitruve (1). » Quand on veut , c^ mt«
« dit cet Auteur , bâtir des Temples aux
* Dieux , fur-tout a ceux qui font les
*> Patrons de la Ville , fi c'eft à Jupiter,
*> à Junon t ou à Minerve , il faut les
» placer aux lieux les plus élevés , d'où
» l'on puifle voir la plus grande partie
m des murs de la Ville. Si c'eft à Mereu-
*> re , on doit les mettre à l'endroit ou fe
» tient le marché , ou la foire , amfi
* qu'on l'obferve pour ceux d'Ifîs & de
» Serapis. Ceux d'Apollon , ou deBac-
» chus doivent être près du Théâtre,
*Ceux d'Hercule , lorfqu'il n'y a ni
» Gymnafe , ni Amphithéâtre , doivent 7
» être placés près du Cirque. Ceux de
* Mais, hors de la Ville, & dans les
» champs ; comme ceux de Venus , aux
» portes de la Ville. On trouve , ( c'eft:
* toujours le même Auteur qui parle , )
» dans les écrits des Arufpices Etrufques,
« qu'on a coutume de mettre les Tem-
m pies de Venus , de Vulcaiw & de Mars,
* hors des murs , de peur que fi Venus
» étoit dans l'intérieur de la Ville-.me-
» me , cela ne fût une occafion de dé-
*> bauche pour les jeunes gens , & pour
v les mères de famille. Vulcain devoit
$7^ La Mythologie & les Fables
» être auffi en dehors , pour éloigner der
» maifons la crainte des incendies. Mars
» étant hors des murs, il n'y aura point de
» diiTention entre le peuple ; & déplus,
» il fera là comme un rampait pour ga*
» rantir les murailles de la Ville des pé~
» rils de la guerre. Les Temples de Ce-
» rès étoient auflî hors des Villes , en des
» lieux où on n'^lloit guère que pour
33 lui offrir des facrifices , afin que la pu-
33 reté n'en fût point fouillée 33. Cepen-
dant ces diftin&ions ne furent pas tou-
jours obfervées exa&ement.
On ne peut rien ajouter au refpeét que
les Idolâtres avoient pour leurs Tem-
ples. Si nous en croyons Arien , il étoit
défendu de s'y moucher & dy cracher;
& Dion ajoute que quelquefois on y
jnontoit à genoux. Ils étoient un lieu
d'afyle pour les coupables & pour les
débiteurs , comme nous le dirons dans
le Chapitre fuivant. Enfin , dans les ca-
lamités publiques , les femmes fe prof-
ternoient dans les lieux facrés , & en ba-
layoient le pavé avec leurs cheveux. Il
efi arrivé cependant quelquefois , que
les malheurs publics ne ceiTant pas , le.
peuple perdoit tout le refpeâ dû aux
Temples ,. & s'emportoit jufqu'à jetter
des pierres contre les murailles , comme
Expl parPHijl Liv.IIL Chàp.V. 379
pour les lapider ; ainfi qu'on le voit dans
Suétone (1).
Quoique communément les hommes
& les femmes entraient dans les Temples,
il y en avoit dont l'entrée étoit défendue
aux hommes , comme celui de Diane à
Rome , dans la rue nommée Vicus Patri-
dus , ainfi que Plutarque nous l'apprend ,
quoiqu'ils puffent entrer dans les autres
Temples de cette- Dédie; on croit que
la raifon de cette défenfe venoit de ce
qu'une femme qui prioit dans ce Temple >
y avoit reçu le plus fanglant affront.
Après avoir donné une idée abrégée
des Temples des Payens , je crois qu'il
ne fera pas hors de propos de faire une
defcription particulière de quelques-uns
des plus célèbres. On jugera par là à quel
point on avoit porté la magnificence &
la profufion.
Temple de Belus >
Si ce Temple étoit le plus ancien de
tous ceux du Paganifrne , comme on r^tn
fçauroit douter , il étoit aufïï le plus lîn-
gulier par fa ftru&ure. Berofe , au rap-
port de Jofeph (2) , en attribue la conf-
truftion à Belus , qui y fut lui-même ado-
ré après fa mort. Mais il efl certain que
Ci le Belus de cet Hiflorien eft le même
3 80 La Mythologie & les Fables
que Nemrod , comme il efl bien vrai-fem-
blable, fon deffein ne fut pas de bâtir
un Temple, mais d'élever une tour, qui
pût le mettre à couvert lui & fon peule ,
des inondations ,- s'il en arrivoit de fem-
* blables au Déluge. On fçait de quelle
manière Dieu arrêta ce deffein infenfé.
L'ouvrage demeura en l'état où il étoit
au moment de la confufïon des langues ,
& fut deftiné dans la fuite à fervir de
Temple à Belus , qui après fa mort méri-
ta les honneurs divins. Cette fameufe
tour, qu'on appelle vulgairement la Tour
de Babel , formoit dans fa bafe un quarré ,
dont chaque côté contenoit un ftade de
longueur [a) , ce qui lui donnoit un demi-
mille de circuit. Tout l'ouvrage étoit
compofé de huit tours bâties Tune fur
l'autre , & qui alloient toujours en dimi-
nuant. Quelques Auteurs , comme le re-
(OHift.des marque M. Prideaux (i) , trompés par
Jmfs,com.x. la Verfîon Latine ^Hérodote , préten-
dent que chacune de ces tours ait été
haute d'un ftade , ce qui monterait à un
mille de hauteur pour le tout ; mais le
texte Grec ne porte rien de femblable,
& il n'y efl fait aucune mention de la
hauteur de cet édifice (b). Strabon qui a
(a) La ftade étoit une efpace de fîx vingt toifes.
(b) Hérodote dit feulement que ce bâtimem avou u»
ftade de iongeur , fur un ftade de largeur.
Expl.parVHljl. Liv.ïïl. Ch. V. 381
fait auffi la defcriptionde ce Temple, ne
lui donne qu'un ftade de haut , & un de
chaque côté. Le fçavant Editeur de l'im-
preiîîon de l'Ouvrage de M. Prideaux
faite à Trévoux, dit qu'en fuivant la me-
fure des ftades qui étoient en ufage du
temps d'Hérodote , le feul des Anciens
qui parle pour avoir vu cet édifice , il ne
ctevoit avoir que 6p. toifes de haut , ou
environ , c'eft-à-dire un peu plus d'une
fois la hauteur des tours de l'Eglife de
Paris ; ce quin'eft pas fï excefïif , vu la
magnificence de quelques bâtimens de
l'Europe. Le même Editeur remarque
encore , que comme cet oavrage n'étoit
fait que de briques , que des hommes por-
taient fur leur dos , comme nous l'appre-
nons des anciens (1), ainfî que l'Ecriture- M Heroa.
Sainte le dit de la tour de Babel, faconf- 1*. froide
tru&ion n'a rien qui doive furprendre ; sic- L.*<Am|
& quoiqu'il fût plus haut de cent dix-neuf ' 7'
pieds que la grande Pyramide , comme
elle étoit bâtie , ou du moins couverte
de pierres d'une longueur excefîîve , qu'il
falloit guinder à une fi prodigieufe hau-
teur , elle doit avoir été infiniment plus
difficile à conftruire. Quoi qu'il en (oit,
nous apprenons d'Hérodote qu'on mon-
toit au haut de ce bâtiment par un degré
<jui alloit en tournant , & qui étoit en
%%2 La Mythologie & les Tables
dehors. Ces huit tours compofoient com-
me autant d'étages , dont chacun avoit
foixante & quinze pieds de haut , & on
y avoit pratiqué plufîeurs grandes cham-
bres foutenues par des pilliers , & de plus
petites , où fe repofoient ceux qui y mon-
taient. La plus élevée étoit la plus ornée ,
& celle en même temps pour laquelle on
avoit le plus de vénération. Ceft dans
cette chambre qu'étoient , félon Héro-
dote , un lit fuperbe , & une table d'or
mafïîf , fans aucune ftatuë.
Jufqu'au temps de Nabuchodonofor
ce Temple ne contenok que la Tour, &
les chambres dont on vient déparier , &
<jui étoient autant de chapelles particu-
lières ; mais ce Monarque , au rapport
JoÏaLÎS dfBerofeCi) , lui donna beaucoup plus
" d'étendue par les édifices qu'il fit bâtir
tout autour , avec un mur qui les enfer-
moit , & des portes d'airain , à la conf-
tru&ion defquelles la mer du même mé-
tal , & les autres uftenciles du Temple
de Jerufalem , avoîent été employés. Ce
Temple fubfiftoit encore du temps de
(z) Herod. Xerxès (2) , qui au retour de fa malheu-
Li.Arneni.7- reufe expédition dans la Grèce , le fit
démolir , après -en avoir pillé les immen-
ses richeffes , parmi lefquelles étoient
des ftatues d'or maffif ? dont il y en avoiç
Expl.parPRift.Liv.IIl.cn av. V. 385
tme , au rapport de Diodore de Sicile
(1) , qui étoit de quarante pieds de haut , (1) iW. tl
& qui pouvoit bien être celle queNabu-
chodonofor avoit confacrée dans la
plaine de Dura. L'Ecriture , à la vérité,
donne à ce Coloffe po. pieds de haut ;
mais on doit l'entendre de la ftatue où
de fon pied-d'eftal pris enfemble.
Il y avoit auflï dans le même Temple
plufîeurs Idoles d'or matfïf , & un grand
nombre de vafes facrés du même métal ,
dont le poids ? félon le même Diodore ,
alloit à yo^o. talens ; ce qui joint à la
ftatue , montoità des forames immenfes.
G'étoit au refte \ du Temple aggrandi
par Nabuchodonofor , qu'Hérodote ,
qui l'avoit vu , fait la defeription dans
fon premier Livre (2) ; & fon autorité ^ufy^lîU
doit l'emporter fur celle de Diodore de
Sicile , qui n'en parloit que fur quelques
relations. Hérodote dit à la vérité que
dans une Chapelle baffe de ce Temple ,
étoit une grande ftatue d'or de Jupiter ,
c'eft-à-diredeBelus; mais il n'en donne
ni le poids ni la mefure , fe contentant
de dire que la ftatue , avec une table
d'or, un trône, & un marche-pied, étoient
tous enfemble eftimés par les Babylo-
niens , huit cens talens. Le même Auteur
ajoute que hors de cette Chapelle étoit
384 LaMy thologte & les Fables
aufli un Autel d'or, & un autre plus
grand fur lequel on immoloit des animaux
d'un âge parfait , parce qu'il n'étoit pas
permis d'en offrir de pareils fur l'Autel
d'or j mais feulement de ceux qui tettoient
encore ; & qu'on brûloit fur le grand Au-
tel chaque année le poids de cent mille
talens d'encens. Enfin , il fait mention
d'une autre flatue d'or maffif , qu il n'a-
voit pas vue , & qu'on lui dit être haute
de douze coudées,c'eft-à-dire,de dix-huit
pieds. C'efi fans doute de la même que
parle Diodore , quoiqu'il lui donne 40.
pieds de hauteur , en quoi il eft plus
croyable , fi c'étoit celle de Nabucho-
donofor, comme il y a toute forte d'ap-
parence.
Quoiqu'il en foit , j'ai dit d'après Hé-
rodote , que dans la plus haute tour H
y avoit un lit magnifique , & cet. Auteur
ajoute qu'il n'étoit permis à perforée d'y
coucher , excepté une femme de la Ville
que le Prêtre de Belus choififïbit chaque
jour , lui faifant accroire qu?elle y étoit
honorée de la préfence du Dieu.
Temple de Vulcain à Memphis.
Les Egyptiens , fuivant Hérodote ,
font les premiers de tous les Peuples -,
qui ont confirait des Temples en Fhon-
rieur
Expl. par PHijl. Liv. III. Ch. V. 38;
neur des Dieux. Je n'ai pas deffein de
parler de tous ceux qui étoient dans
ce pays ; mais celui de Vulcain & quel-
ques autres , méritent à caufe de leur an-
cienneté , que nous entrions dans quel-
que détail à leur fujet.
Quoique nous n'ayons aucune des-
cription bien détaillée du Temple de
Vulcain , on peut juger par ce qu'en dit
Hérodote (1) en differens endroits de (i)lïy.z.O
fon Hiftoire , qu'il devok être de la ""
dernière magnificence. Son antiquité
d'abord ne doit pas paraître douteufe ,
puifque cet Hiftorien dit qu'il fut bâti
par Menés, le premier qui régna en
Egypte après les Dieux & les demi-
Dieux. Ce ne fut pas apparemment ce
Prince qui donna à cet ouvrage toute la
beauté qu'on y admira dans la fuiteyquoi-
que Hérodote dife que dès-lors il étoit
grand & très-renommé, puifque les pre-
miers bâtimens n'annonçoient qu'une no-
ble {implicite. Mais les fucceiTeurs de
Menés fe firent gloire d'embeliir à l'envi
les uns des autres l'ouvrage du fondateur
de leur Monarchie , & d'y mettre les fta-
tues dont nous allons parler ; car fui-
vant les meilleurs Historiens , il n'y en
avoit aucune dans les anciens Temples
^'Egypte. Mœris, Prince puiflaat &
Tome L R
386 La Mythologie & les Fables
extrêmement riche , ajouta à ce premier
Temple , le fuperbe Veftibule qui étoit
du côté du feptentrion. Rhamfînite fuc-
cefleur de Protée , fit , félon le même
Auteur , élever celui qui regardoit l'Oc-
cident , & pofer vis-à-vis du Veftibule ,
deux ftatues coloflales chacune de vingt-
cinq coudées , c'eft-à-dire , de trente-
fept ou trente-huit pieds de hauteur.
L'une , que les Egyptiens adoroient ,
étoit appellée par eux l'Eté, parcequ'elle
regardoit le Septentrion ; l'autre pour
laquelle ils n'avoient aucun refpeft, étoit
nommée l'Hiver , & regardoit le Midi.
Enfin , Amafis fit placer devant le même
Temple une ftatue renverfée qui étoit
haute de 75*. pieds , & fur ce coloife qui
fervoit de fondement , ou plutôt de pied-
d'eftal , il fit élever deux autres ftatues ,
chacune de 20. pieds de hauteur, & du
même marbre que la grande.
Il eft aifé de juger par le récit d'Hé-
rodote, de la magnificence & de l'éten-
due de ce Temple. Cependant l'inté-
rieur de cet édifice , bien loin de mériter
l'admiration de ceux qui y entroient ,
ne fit qu'exciter les mépris & les raille-
ries de Cambyfe , qui fe mit à éclater de
rire , en voyant la ftatue de Vulcain &
celle des autres Dieux, fembiables à des
Explparl'Hift. Liv.IIL Ch. V. 387
Pygmées (1), lefquelles véritablement j^^eT*
dévoient faire un contrafte bien ridicule bires , îiv. <>.
avec les colofles qui étoient dans les
Veftibules dont on vient de parler. Peut-
être étoit-ce le même Temple qu'avoit
fait bâtir Menés. Car les ouvrages des
Egyptiens étoient faits pour durer long-
temps.
L'Egypte avoit encore un grand nom-
bre de Temples plus riches les uns que
les autres ; tels que- celui de Jupiter à
Thebes ou Diofpolis , & à Hermunthis,
celui d'Andera; celui deProtée à Mem-
phis , dont Hérodote fait mention , &
celui de Minerve à Sais , que le même
Auteur dit avoir été embelli par les foins
d'Amafis , d'un Veilibule qui furpaflbit
de beaucoup en grandeur & en magnifi-
cence , tous les monumens que les Rois_
fes Prédecefleurs avoient laifles. Ce mê-
me Prince y ajouta des ftatues d'une
grandeur prodigieufe ; car les Egyptiens
aimoient les figures coloiïales , fans par-
ler des pierres immenfes pour leur énor-
me gro fleur , & qui venoient la plupart
d'Elephantine , Ville éloignée de Sais
de vingt journées de navigation. Les dé-
tails où il faudroit entrer pour faire con-
noître tant de beaux Ouvrages , me mè-
neraient trop loin^ mais je ne fçaurois
3 88 La Mythologie & les Fables
in'empêcher de parler d'une efpece de
Temple unique en fon genre , je veux
dire, de cette Chapelle d'une feule pier-
re , que le même Amafîs avoitfait tailler
dans les carrières de la haute Egypte,
& fait venir avec des foins & des peines
incroyables jufqu'à Sais , où elle devoit
être placée dans le Temple de Minerve.
Voici ce qu'en rapporte Hérodote :
» Mais ce que fadmire pardeflus tous les
»> autres ouvrages faits par les ordres
» d' Amafîs , dit cet Auteur , il fit appor-
» ter d'Elephantine une maifon faite d'u-
» ne feule pierre , que deux mille hom-
» mes , tous Pilotes & Marins , ne purent
& amener qu'en trois ans. Cette maifon
(0 Trente- ^ avoit de face vingt-une coudées (i),
demF.1^ * » fur quatorze de largeur , &huit de hau-
» teur , & dans œuvre cinq coudées de
*> haut , & dix-huit de long.
Cette maifon n'entra jamais dans le
Temple de Minerve , & fut laiffée à la
porte , foit qu' Amafîs fût piqué d'avoir
vu l'Archite&e qui la conduifoit fe
plaindre par fes foupirs delà fatigue que
lui avoit caufé cet Ouvrage , ou parce
qu'un de ceux qui aidoit à ta conduire
fur le Nil , avoit été écrafé , ainfi que le
dit le même Hiftorien.
Expl. par VElft. Liv. IIL Ch. V. 38^
Le Temple de Diane à Ephefe.
Ce Temple qui a pafle pour une des
fept merveilles du monde , étoit très-
ancien ; mais il n'étoit pas d'abord auffi
magnifique qu'il le devint dans la fuite , >
puifque, félon Pline (1) , toute l'Aiîe « *-"'. 3*,
r * ! 1 • ch. 14.
concourut pendant deux cens vingt ans ,
ou comme il le dit dans un autre endroit,
durant quatre cens ans f à l'orner & a
l'embellir. Pindare y dans une de fes
Odes , dit que les Amazones l'avoient
bâti lorfqu'elles allèrent faire la guerre
aux Athéniens & à Thefée; mais Paufa-
nias affûre que ce grand Poëte ne con-
noifToit pas l'antiquité de ce Temple ,
puifque ces mêmes Amazones étoient
venues des bords du Thermodon pour
facrifîer à la Diane d'Ephefe dans fon
Temple , dont elles avoient connoiffan-
ce, parceque quelque temps auparavant,
défaites par Hercule , & précédemment
encore par Bacchus , elles s'y étoient ré-
fugiées comme dans un afyle.
Denys le Géographe nous apprend
qu'il y en avoit encore un plus ancien,
bâti par les mêmes Amazones y qui an-
nonçoit bien la fimplicité des premiers
temps , puifqu'il ne confiftoit que dans
une niche creufée dans un orme , où étoit
r a*, ;
3P0 La Mythologie & les Fables
apparemment la ftatue de Diane. Celui
dont je vais parler étoit moins ancien:
voici la defcription que fait Pline de ce
magnifique Ouvrage. Il fut bâti , dit-il ,
dans un lieu marécageux pour le garan-
tir des tremblemens de terre , & des ou-
vertures qui s'y font quelquefois; & afin
que les fondemens d'un fi pefant édifice
cufTent de la folidité dans cette terre
molle & détrempée par les eaux , on y
mit du charbon pilé , & par-deflus des
peaux de mouton avec leur laine. Ce
Temple -, continue le même Auteur ,
avoit quatre cens vingt-cinq pieds de
long fur deux cens de large. Les cent
vingt-fept colonnes qui foutenoient l'é-
difice , avoient été données par autant
de Rois , & avoient chacune foixante
pieds de haut. De ces colonnes il y en
avoit trente-fix de cifelées , & une de la
main du célèbre Scopas. L'Archite&e
qui conduifit ce grand Ouvrage , fut
Cherfiphron, ouCtefiphon; & c'eftune
merveille qu'on ait pu mettre en ufage
des Architraves d'un fi grand poids. L'ar-
tifice dont fe fervit cet habile Ouvrier
pour en venir à bout eft fingulier ; il
étendit fur le haut des colonnes de grands
facs pleins de fable, puis taillant couler
doucement ce fable , les Architraves pri-
Expl. par VHijl. Liv. III. Ch. V. 391
rent infenfiblement leur affiette. Cherfï-
phron eut encore plus de pe.ne à pofer
une pierre d'un bien plus grand poids ,
au-deflus de la porte du Temple : on
croiroit que Pline avoit , faute de rela-
tion , imaginé de quelle manière on avoit
pu réuflir à placer cette maffe énorme;
mais au lieu de cela il rapporte froide-
ment une vifîon de l' Architeâe auquel
Diane apparut, l'exhortant à prendre
courage , & dit que le lendemain matin
on vit la pierre defcendre d'elle-même ,
& fe placer où elle devoit être : Atque
ita poflridie appariât , lapis , pondtreque
ipfo ^correéîus videbatur. On pourra bien
croire que le toit 4u Temple étoit fait
de planches de cèdre , comme le dit Ip
même Auteur ; mais je ne fçais^ fi on
ajoutera foi à ce qu'il dit de l'efcalier par
lequel on montoit jufqu'au faîte , qui
étoit fait d'un feul cep de vigne. Cherfi-
phron, ni fon fils Metagene, n'achevè-
rent pas un ouvrage fi grand & fi magni-
fique : d'autres Archite&es y travaillè-
rent , & ce ne fut qu'après un efpace de
220. ans qu'il fut entièrement fini.
Les riche/Tes de ce Temple dévoient
être immenfes , puifque tant de Rois
avoient contribué à Pembellir , & qu'il
n'y avoit rien de plus fameux en Afie
R iiij
3^2 La Mythologie & les Fables
que cet édifice , tant par la dévotion, que
par le concours infini de monde qui abor-
*0 Afci*. doit àEphefe.Ce que raconte S.Paul (i)
de la féditiôn traînée parles Orfèvres de
cette ville , qui gagnoient leur vie à faire
de petites Statues d'argent de Diane, eft
bien propre à nous prouver la célébrité
du culte de cette Déefle.
Il y a apparence au refte , que la def-
cription que fait Pline , regarde le Tem-
ple qui fut brûlé par Eroftrate , de la ma-
nière que chacun fçait. Car celui qui
fubfiftoit de fon temps avoit été conf-
truit par Cheiromocrate , le même qui
bâtit la ville d'Alexandrie, & qui du
Mont Athos vouloit faire une Statue
d'Alexandre. Ce dernier Temple que
Strabon avoit vu , étoit auffi beau &
aufîi riche que le premier & on y voyoit
des ouvrages des plus habiles Sculpteurs
de la Grèce. L'Autel étoit prefque tout
de la main de Praxitèle. Xenophon parle
d'une Statue d'or maffif , dont Hérodo-
te qui avoit vifité ce Temple ne dit rien.
Strabon affure auffi que les Ephefîens,
par reconnoiflance , avoient placé dans
le même lieu une Statue d'or , en l'hon-
neur d'Artemidore. Vitruve dit que ce
Temple , d'ordre Ionique , étoit Dipte-
rique , c'efl-à-dire , qu'il regnoit tout
%ExpL par VRlfl. Liv.III. Ctf.V. 393
a Fentour deux rangs de colonnes , en
forme d'un double portique ; qu'il avoit
71. toifes de longueur , fur plus de 36.
de largeur, & qu'on y comptoit 127,
colonnes de 60. pieds de haut.
Ce Temple étoit un afyle des plus ce^-
lebres, qui , félon le dernier Auteur que
je viens de citer , s'étendit à 125-. pieds
aux environs. Mithridate l'avoit borné
à l'efpace d'un trait de flèche. Marc- An-
toine doubla cette étendue , mais Ti-
bère, pour éviter les abus qui fe corn-
mettoient à l'occafion de ces fortes de
droits , abolit cet afyle.
Ajourd'hui on ne trouve plus d'un fî
fuperbe édifice que quelques ruines,
dont on peut voir la relation dans le
voyage de Spon. Les Médailles nous
repréfentent fouvent ce Temple , avec
la figure de Diane; mais le fromifpice,
à caufe du peu d'efpace que laiflent ces
fortes de Monumens , n'y eft chargé au
plus que de huit colonnes, quelquefois
defix, de quatre , ou de deux feulement*
Temple de Jupiter Olympien.
La Grèce avoit un û grand nombre
de Temples , de Chapelles & d'Autels,
qu'on en trouvoit à chaque pas, dans
fes villes, dans les bourgades, & dans
R v
394 La Mythologie & les Fables
les campagnes. Pour s'en convaincre il
n'y a qu à lire les Anciens, & fur-tout
Paufanias , qui s'eft particulièrement at-
taché à les décrire , & qui en parle pref-
que à chaque page de fon Voyage de la
Grèce.
Parmi tant de Temples , Vitruve en
admiroit fur-tout quatre, qui étoient bâ-
tis de marbre , & enrichis de fi beaux
ornemens, qu'ils faifoient l'admiration
des plus habiles connoiffeurs , & étoient
devenus le règle & le modèle des bâti-
mens dans les trois ordres d' Architectu-
re, le Dorien, l'Ionien & le Corin-
thien. Le premier de ces beaux ouvra-
ges étoit le Temple de Diane à Ephefe ,
dont on vient de voir la defcription. Le
fécond celui d'Apollon dans la ville de
Jvïilet, l'un& l'autre d'ordre Ionique.
Ce célèbre Archite&e mettoit dans le
troifieme rang le Temple d'Eleufîs , bâti
en l'honneur de Cerès & de Proferpine,
qu'I&inus fit d'ordre Dorique , d'une fi
vafte étendue qu'il étoit capable de con-
tenir trente mille perfonnes ; car il s'en
trouvoit du moins autant , & fouvent
plus , à la célébration des Myfteres de
(i) voy» ces deux DéeïTes (i). D'abord, remar-
ÏÏ$£*: q*e Vitruve , ce Temple étoit fans co-
JL*.P' 365. bnnes au dehors , pour lailier plus de
Expl. par PHiJl. Liv. III. Ch. V. 39;
place & de liberté aux cérémonies reli-
gieufes qui fe pratiquement dans les Sa-
crifices ; mais Philondans la fuite y ajou-
ta un Portique magnifique. Le quatriè-
me étoit le Temple de Jupiter Olym-
pien à Athènes , d'ordre Corinthien. Il
avoit été commencé d'abord par les foins
de Pififtrate ; mais les troubles qui fui-
virent fa mort , laifTerent pendant près
de trois cens ans l'ouvrage imparfait,
jufqu'à ce qu'enfin Antiochus Epiphane
Roi de Syrie , fe chargea de faire la dé-
penfe néceffaire pour achever la Nef,
qui étoit fort vafte , & pour les colonnes
du Portique. Coflutius , Citoyen Ro-
main , habile Archite&e , fut choiiî pour
exécuter ce grand ouvrage ; & il y réiif-
fit fi bien , qu'il y eut peu d'édifices qui
l'égalaient en grandeur & en magnifi-
cence.
Pour fuivre le deiTein que je me fuis
propofé, jechoifïs deux de ces Temples,
celui de Jupiter Olympien , & celui
d'Apollon à Delphes , qui étoient les
deux plus magnifiques. Le premier, fé-
lon Paufanias (i) , & la Statue de Jupi-
ter qu'on y admiroit , étoient le fruit des
dépouilles que les Eléèns avoient rem-
portées fur les Pifans & leurs Alliés ,
lorfqu'ils faccagerent la ville de Pife. Ce
R vi
3 S>6 La Mythologie & les Fables
Temple , dont Libon originaire du pays
avoit été.l'Archite&e, étoit d'ordre Do-
rique , & tout environné de colonnes
en dehors, enforte que la place où il étoit
bâti formoit un fuperbe Periftyle. On
avoit employé à cet édifice des pierres
du pays , mais qui étoient d'une nature
& d'une beauté finguliere. La hauteur
de ce Temple , depuis le rez de chauffée
jufqu'à fâ couverture , étoit de foixante
& huit pieds , fa largeur de quatre-vingt
quinze , Se fa longueur de deux cens
trente. La couverture étoit non de tui-
les , mais d'un beau marbre tiré du Mont
Pentelique , & taillé en tuiles. Du mi-
lieu de la voûte pendoitune Viftoire de
bronze doré , & au-deffous de cette Sta-
tue étoit un bouclier d'or, fur lequel on
voyoit la tête de Medufe ; & aux deux
extrémités de la même voûte étoient aufîî
fufpendues deux chaudières dorées. Par
dehors , au deffus des colonnes , regnoit
autour du Temple un cordon , auquel
étoient attachés vingt Se un boucliers do-
Tés , confacrés à Jupiter par Mummius,
après le fac de Corinthe. Sur le fronton
de devant étoit repréfenté avec un art
infini, le combat de Pelops avec Oeno-
maiis , Se Jupiter au milieu. Oenomaiis
& fa femme Sterope 3 une des filles d' At-
Ex/?/, par VHiJl. Liv. III. Ch. V. 397
las , le char à quatre chevaux , & Myrtil
l'Ecuyer du ce Prince , étoient à la
droite du Dieu; Pelops , Hippodamie,
& l'Ecuyer avec fes chevaux , occu-
poient la gauche. Toutes ces figurer
étoient d'un Peonien , originaire de
Thrace. Le fronton de derrière , ouvrage
d'Alcamene , le meilleur Statuaire de
fon tems , après Phidias , repréfentoit le
combat des Centaures , & des Lapithes,
à l'occafion des noces de Pirithoiis. Une
grande partie des travaux d'Hercule
étoit fculptée dans l'intérieur de cet édi-
fice ; & fur les portes, qui étoient toutes
d'airain , on remarquoit entre autres
chofes , la chafle du Sanglier d'Eryman-
the, & les explois du même Hercule
contre Diomede Roi de Thrace , con-
tre Geryon . &c. Enfin , car on ne peut
pas tout détailler, il y avoit deux rangs
de colonnes qui foutenoient deux gale-
ries fort exhauffées , fous lefquelks on
pafïbit pour arriver au Trône de Ju-
piter.
Ce Trône & la Statue du Dieu étoient
le chef-d'œuvre de Phidias, & l'Anti-
quité n'offroit rien de fi magnifique, ni
d'auffi parfait. La Statue, d'une immenfe
hauteur , étoit d'or & d'yvoire , fi artif-
tement mêlés qu'on ne pouvoit la regay-
3p8 La Mythologie & les Fables
der fans être frappé d'étonnement, Ce
Dieu portoit fur fa tête une couronne
qui imitoit parfaitement la feuille d'oli-
vier, & tenoit à fa main droite une Vic-
. toire , auffi d'or , & d'y voire , & de la
gauche un Sceptre d'une extrême délica-
teffe, & où reluifoient toutes fortes de
métaux 3 qui foutenoit une Aigle. La
chaufTure & le manteau du Dieu étoient
d'or, & fur le manteau étoient gravés
toutes fortes d'animaux & de fleurs. Le
Trône étoit tout brillant d'or & de pier-
res précieufes. L'y voire & l'ébene, les
animaux qui y étoient repréfentés , &
plufieurs autres ornemens y faifoient par
leur mélange , une agréable variété. Aux
quatre coins de ce Trône étoient quatre
Vi&oires, qui fernbloient fe donner la
main pour danfer , fans parler de deux
autres qui étoient aux pieds de Jupiter.
Les pieds du Trône , du côté du devant ,
étoient ornés de Sphinx, qui arrachoient
de tendres enfans du fein des Thebaï-
des ; & au-deflbus on voyoit Apollon
& Diane qui tuoient à coup de flèches
les enfans de Niobé. Quatre traverfes
qui étoient aux pieds du même Trône ,
& qui alloient d'un bout à l'autre, étoient
ornées d'une infinité de figures d'une
extrême beauté 5 fur une étoient repré-
ExplparPHift. Liv.III. Ch. V. 399
fentes fept vainqueurs aux jeux Olympi-
ques ; on voyoit fur une autre Hercule
prêt à combattre contre les Amazones ,
& le nombre des combattans de part &
d'autre étoit de vingt-neuf. Outre les
pieds du Trône , il y avoit encore des
colonnes qui le foutenoient. Enfin une
grande baluftrade , peinte & ornée de
figures , enfermoit tout l'ouvrage. Pa-
nenus , habile Peintre de ce^ temps-là,
y avoit repréfenté avec un art infini , At-
las qui foutient le Ciel fur fes épaules ,
«Se Hercule qui femble prêt à fe charger
de ce fardeau , Thefée & Pirithous , le
combat d Hercule contre le Lion de Ne-
mée , l'attentat d'Ajax fur CafTandre ,
Hippodamie avec fa mère , Promethée
enchaîné, & mille autres fujets de l'Hif-
toire fabuleufe. A l'endroit le plus élevé
du Trône , au-defTus de la tête du Dieu,
étoient les Grâces & les Heures, les
unes & les autres au nombre de trois. Le
pied-d'eftal, qui foutenoit cette mafle,
étoit auffi orné que le refte. Phidias y
avoit gravé fur or, d'un côté le Soleil
conduifant fon char , de l'autre Jupiter
& Junon , les Grâces , Mercure & Vef-
ta. Venus y paroiffoit fortir du fein de
la mer , & être reçue par l'Amour , pen-
dant que Pitho , ou la Déefle de la per-
400 La Mytkologie& les Fables-
fuafion , lui préfentoit une couronna.
Apollon & Diane n'avoient pas été
oubliés fur ce bas-relief, aon-plus que
Minerve & Hercule. On remarquoit au
bas de ce pied-d'eflal Amphitrite &
Neptune ,. & Diane ou la Lune qui pa-
roiftbit galoper fur un cheval. Enfin un
voile de laine , teint en pourpre & brodé
magnifiquement, préfent du Roi Antio-
chus, pendoit du haut jufqu'en bas. Je
ne dis rien des autres ornemens de ce fu-
perbe édifice , ni du pavé qui étoit du
plus beau marbre , ni des préfens que
plufieurs Princes y avoient confacrés, ni
du nombre infini de Statues qui y étoient,
ainfî qu'aux environs. On peut fur tout
cela confulter Paufanias, qui m'a fourni
cette defcription. J'ajoute feulement que
pour juger de la grandeur de la Statue
de Jupiter , fur laquelle les Anciens
ne font pas d'accord ,, il iuffit d'obfer-
ver que le Trône & la Statue alioient
depuis le pavé jufqu'à la voûte, dont
j'ai marquél'élevation. On n'aura pas de
peine à avouer qu'un pareil ouvrage,
d'une fi vafte étendue, d'une élévation fî
confîderable y où l'or mêlé avec Fé-
bene & Fy voire jettoit un grand éclat ,
où l'on voyoit tant de figures, de bas-
reliefs & de peintures , le tout de laraaia
Expl. parVHiJl. Liv.IIL CH.V.401
des plus grands Maîtres > devoit faire un
effet bien agréable fur ceux qui entroient
dans le Temple. N'oublions pas de dire
que cet édifice étoit d'ordre Dorique ,
le plus ancien de tous les ordres d'Ar-
chitedure , & celui en même temps qui
convient le mieux aux grands ouvrages.
Temple cP Apollon a Delphes.
Si le Temple d'Apollon à Delphes
n'étoit pas auflï magnifique , pour fa
ftruâure, que celui que je viens de dé-
crire , il étoit beaucoup plus riche par les
préfens immenfes qu'on y avoit envoyés
de toutes parts. Je dis plus riche , lî tou-
tefois on peut eftimer le chef-d'œuvre
de Phidias, D'abord le Temple de Del-
phes fut très-peu confiderable. Une ca-
verne, d'où fortoie'nt quelques exhalai-
fons , qui donnoient de la vivacité &de
renthoufiafme à ceux qui s'en appro-
choient , ayant fait croire qu'il y avoit
quelque chofe de divin r on établit un
Oracle en cet endroit , comme je l'ex-
pliquerai dans un plus grand détail , en
parlant des Oracles (1). Le concours Li[°4^
qu'attira cette prétendue merveille, ob-
ligea les habitans du voifinage à confa-
crer ce lieu . & on y bâtit d'abord une
Chapelle, ou plutôt une Cabane faite de
204 La Mythologie & les Fables
branches de laurier. On dit, ajoute Pau-
lin Phoc. fanias(2), que les abeilles y élevèrent
une féconde Chapelle qui étoit de cire,
êc qu'Apollon l'envoya aux Hyperbo-
réens. On voit bien que ce n'eft qu'une
fable , que j'expliquerai dans le Chapitre
des Oracles , & Paufanias en a jugé de
même. Le troifiéme Temple de Delphes
fut bâti de cuivre ; ce qui ne doit pas
paroîtrefort étonnant , comme le remar-
que l'Auteur que je viens de citer, &
que je copie prefque mot-à-mot; puif-
qu'Acnfius Roi d'Argos avoit fait faire
. une chambre de cuivre pour y enfermer
fa fille Danaé ; & que 1 on voycit enco-
re de fon temps à Sparte le Temple de
Minerve Chalciœcos , ainfi appelle parce
qu'il étoit tout de cuivre. Mais que ce
Temple , dit Paufanias , ait été bâti par
Vulcain , c'eft ce qu'il ne croy oit pas y ni
qu'il y eût au lambris des Vierges d'or
qui avoient une voix charmante , com-
me Pindare l'avoit imaginé , fans doute
d'après les Sirènes d'Homère. Les An-
ciens n'étoient pas d'accord fur la maniè-
re dont ce Temple avoit été détruit. Les
uns difoient que la terre s'étoit entr'ou-
verte, & l'avoit englouti; les autres,que
le feu y ayant pris , le cuivre dont il
étoit fait fe fondit. Quoiqu'il en foit t
ExpL par VHift. Liv.IIL Ch. V. 403
ce Temple fut bâti une quatrième fois ,
& il eut pour Archite&es Agamede &
Trophonius : pour lors on n'y employa
que de la pierre. Cet édifice fut confumé
par les fiâmes , la première année de la
cinquante-huitième Olympiade. Le der-
nier enfin , qui fubfîfloit du temps de
Paufanias , & qui étoit le plus grand &
le plus riche , avoit été conitruit par les
foins des Amphiftyons , des deniers
que les Peuples avoient confacrés à cet
ufage.
Quoique nous n'ayons pas de defcrip-
don détaillée de ce dernier Temple , il
eft aifé de juger de fon étendue , & des
richefles immenfes qu'il renfermoit ', par
le foin qu'eurent tant de Rois ,• & des
Peuples entiers , d'y envoyer des pré-
fens. Onn'ailoit gueres confulter l'Ora-
cle d'Apollon y ( & qui efl-ce qui n'y
alloit pas , ou qui n'y envoyoit pas ? )
fans y apporter quelque offrande ; & il
falloit que le nombre en fût infini , puif-
que quoique ce Temple eût été pillé
plufieurs fois , comme on le peut voir
dans l'Auteur que je copie, Néron en
enleva cinq cens Statues toutes de bron-
ze, tant des Hommes illuftres, que des
Dieux.
404 La Mythologie & les Fables
Le Panthéon de Rome.
Rome & l'Italie n'avoient pas moins
de Temples que la Grèce. On en trou-
voit par-tout , & plufieurs étoient re-
marquables, ou par leur fingularité , ou
par leur magnificence. On doit mettre
au nombre des plus beaux celui de Jupi-
ter , fur le Capitole , & celui de laJPaix ,
qui félon Pline étoient deux des plus
beaux ornemens de Rome. Mais comme
je n'en connois pas de plus fuperbe, ni
de plus folidement bâti que Le grand Pan-
théon , nommé vulgairement la Rotons-
dé , puifqu'il fubfifte encore aujourd'hui
dans fon entier, fous le nom de l'Eglife
de tous les Saints , aufquels il eft con-
facré , comme il l'étoit dans le Paganif-
me à tous les Dieux , je le choifîs préfe-
rablement aux autres , pour en donner
la defcription. On en peut voir le deflein
dans le Tome IL de YAnt. Exp. par le
P. de Montfaucon , qui l'a pris pour le
plan dans Serlio , & pour le profil dans
Lafreri.
L'opinion la plus commune eft qu'il
fut bâti par les foins & aux frais d' Agrip-
pa gendre d'Augufte ; 41 y a cependant
des Auteurs qui foutiennent qu'il étoit
plus ancien que lui, & qu'il ne fit que le
Expl.parPHift.Liv.IÎI.CHA?. V. 407
reparer , & y ajouter le beau Portique
qu'on y voit encore. Quoiqu'il en foit 9
ce fuperbe édifice , qui ne prend jour
que par un trou qui efl au milieu de la
voûte , & qui efl fi ingénieufement mé-
nagé qu'il en efl: éclairé fuffifamment,
efl de figure ronde , & il femble que l' Ar-
chite&e ait voulu, comme on le remarque
dans un grand nombre d'autres Temples
delà première antiquité , imiter en cela
la figure du monde. C'efl du moins le
fentiment de Pline : Quod forma ejus
convexa fajligîatam cxl'i fimilitudinem
ojlenderet.
Le Portique , ouvrage d'Agrippa ,
plus beau & plus furprenantque le Tem-
ple même , efl compofé de feize colon-
nes de marbre Granité , chacune d une
feule pierre. Ces colonnes ont cinq pieds
de diamètre , & plus de trente-fept pieds
de hauteur , fans y comprendre la bâfe
& le chapiteau. De ces feize colonnes
il y en a huit de face , & huit derrière :
le tout d'ordre Corinthien. Comme on
trouva du temps du Pape Eugène , près
de cet Edifice, une partie de la tête
d'Agrippa en bronze , un pied de Che-
val , & un morceau de roue du même
métal , il y a apparence que ce grand
Homme étoit repréfenté lui-même en
4o<5 La Mythologie & les Fables
bronze fur ce Portique , monté fur un
char à quatre chevaux.
Quand j'ai dit que ce Temple fubfîf-
toit aujourd'hui en entier , on doit l'en-
tendre du corps de l'ouvrage , pofé fur
défi folides fondemens, que rien n'a été
capable de les ébranler. Auffi félon un
Archite&e Romain , dont le Manufcrit
eft entre les mains du P. de Montfaucon,
ces fondemens étoient une maiïe qui non-
feulement s'étendoit fous tout l'édifice ,
mais encore bien avant au-delà de fes mu-
railles. Pour les ouvrages fuperbes , les
ftatues, & autres chofes précieufes dont
il étoit rempli , tout a été diflipé. Les
plaques de bronze doré qui couvraient
toute la voûte, furent enlevées par l'Em-
pereur Confiance IIL Le Pape Urbain
VIII. fe fervit des poutres du même mé-
tal pour faire le Baldaquin de faint Pier-
re , & les groffes pièces d'Artillerie qui
font au Château Saint- Ange. Les ftatues
des Dieux , qui étoient dans les niches
qu'on voit encore dans l'intérieur du.
Temple , ont été ou pillées , ou enfouies ,
& il n'y a pas bien long-temps encore ,
qu'en creufant près de cet Édifice , on
trouva un lion de Bifalte , qui eft un
beau marbre d'Egypte , & puis un autre ,
qui fervirentàorner la Fontaine de Sixte
Expl.par PHift. Liv.IILChap.VL 407
V. fans parler d'un beau & grand vafe de
porphire , qu'on plaça près du portique.
En gênerai cet Edifice étoit très-magni-
fique , parfaitement bien bâti , dans de
juftes proportions , & il fait encore un
des beaux ornemens de la Ville de Rome.
CHAPITRE VI.
Des Autels.
AP r e's avoir traité fommairement
de ce qui regarde les Temples , il
efl neceiTaire de parler des Autels. Mais
comme nous fuivons toujours la même
méthode , en ne rapportant que ce qu'il
y a d'efTentiel fur chaque fujet , & que
nous renvoyons aux meilleurs Traités
ceux qui veulent entrer dans de plus
longs détails , nous avertiiTons d'abord
que le Père Berthaud, de l'Oratoire , en
•a compofé un fur les Autels , qui laiffe
peu de chofes à défîrer ( 1 ) ; nous allons (x) Tra8.
en donner 1 abrégé , renvoyant aux An-^^ri^é
tiquaires pour les figures. à Nantes en
- Sans nous arrêter à Tétymologied'^/- x63*" in 1Zm
tare , nom qu'on croit communément
«avoir été donné aux Autels, parce qu'ils
font élevés , nous dirons avec Servius ,
408 La Mythologie & les Fables
que les Anciens mettoient quelque diffé-
rence entre Altare & Ara : car quoique
le dernier fût employé également lors-
qu'il étoit queftion des Dieux du Ciel &
de l'Enfer, cependant le mot Altare étoit
fpécialement confacré pour marquer les
Autels des Dieux céleftes : Novimus >
inquity aras Dits ejfefuperts & inferis con-
formas , alterna verb ejfe fuperorum tan-
(i) serv. fur mm Deorum ( i ). Telle étoit la diltndion
la 5. Bgi.de Je Servius , quoique d'autres Auteurs
VirS' en mettent une autre , & difent , qu'on
facrifioit aux Dieux céleftes fur des Au-
tels ; & aux Dieux terreftres fur la terre
même, & dans des foffes aux Dieux in-
fernaux. Le P. Berthaud ajoute , qu'on
îmmoloit les vi&imes aux Nymphes dans
des antres & des cavernes.
L'antiquité des Autels n'eft pas dou-
teufe : elle a précédé fans doute , com-
me nous l'avons déjà infinué , la conf-
truâion des Temples , non-feulement
parmi les Patriarches , mais auffi chez les
Payens. Et comme le culte fuperftitieux
du Paganifme a commencé en Egypte ,
ainfi que nous l'avons dit , il y a apparence
que c'eft dans ce pays que furent conf-
truks les premiers Autels. C'eft auffi le
fentiment d'Hérodote , & de Cœbus
, , v,r Rhodiginus qui l'a copié (2). La fimpli-
ic&W. clte
Expl.par rHr/Ï.Liv.IILCHAP.VI.,40p
cité ayant toujours fait l'appanage des
ufages nouvellement inventés , il eft clair
que les premiers Autels n'ont été que de
fîmples monceaux de terre ou de gazon,
qui s'appelioient Arx cefpithiœ ou gta?
mireœ ; ou de pierres trutes , &c. & les
Idolâtres imitèrent d'abord cette manière
lîmple d'élever des Autels , pratiquée par
Noé & les autres premiers Patriarches ;
mais dans la fuite la matière & la forme
des Autels changèrent tout-à-fait. Le
Paganifme en effet en avoit de différentes
formes ; de quarrés , de quarrés-longs,
de ronds , de triangulaires; comme de
différente matière ; de pierre , de marbre ,
de bronze , & d'or même , du moins Hé-
rodote (i)le dit de la Table qui étoit (0 Lfc.u
dans le, Temple de Belus à Babylone.
Paufanias remarque qu'il y en avoit auflî
de bois , mais qu'il étoit rare d'en trou-
ver de cette efpece. Celui de Jupiter
Olympien r/étoit qu'un tas de cendres ;
d'autres n'étoient, qu'un fimpleamas de
cornes de differens animaux : innumems
jlruciam de cormbus aram , comme le dit
Ovide. Euflathe , qui fait mention de
cet Autel (2) , dit qu'il étoit à Ephefe 3 (t) Sut le l.
&qu'Apollon4'avoitconftruit des cornes 8* del'iliadc,
des chevreuils que Diane avôit tués à la
cîiaffe. Moyfe parle fouvent des cornes
Tome L S *
410 La Mythologie & les Fables
des Autels,mais dans un autre fens,n'ayant
entendu par-là que leurs angles.
Les Autels ne dlfferoient pas moins
par le plus ou le moins d'élevatioa , que
par leur matière &par leur forme. Il y en
avoit qui n'alloient pas à la hauteur du
genou , d'autres alloient jufques à la
ceinture ; quelques-uns étoient encore
plus élevés , fur-tout ceux de Jupiter
(OVitruve & jes autres Dieux céleltes (i), pendant
7' que ceux de Vefta , & des autres Divi-
nités terreftres , étoient les plus bas. Par-
mi ces Autels , il y en avoit de mafïîfs ,
d'autres étoient creux par le haut , pour
recevoir les libations & le fang des Vic-
times ; d'autres enfin, étoient portatifs,
pour s'en fervir dans les voyages , & dans
d'autres occafions. Les Autels n' étoient
pas tous dans les Temples ; il y en avoit
dans les Bois facrés , & en plein air au
milieu des champs ; comme ceux du Dieu
Terme , de Sylvain ^ de Pan , de Ver-
tumne , & ceux qu'Epimedes obligea les
Athéniens affligés parlapefte , d'élever
dans les lieux où des Vi&imes lâchées
au hazard , s'arrêteroient. Ce font les
mêmes dont parle faint Paul , & qui é-
toient dédiés aux Dieux inconnus. Mais
il étoit encore plus ordinaire d'élever les
Autels fur les montagnes , ou étoient
ExpLpnr /TOXivJILChap.VI. 41 r
suffi fouvent les Bois facrés ; & cette
coutume d aller facrifîer fur l'es lieux
hauts , étoit iî ancienne & fi univerfelle ,
que l'Ecriture Sainte (i) la reproche fans (1) Dans les
ceffe aux Ifraèlites , & blâme même les ^?s des
meilleurs Rois de ne Favoir pas abolie :
attamen excelfa non tulit.
Comme les Grecs appelloient l'Autel
Bû>p>V? ilsnommoient T£/.£*^oV? un triple
Autel. Il y en avoit un de cette forte
dans le Temple d'Efculape à Rome , fui-
vant une Infcription rapportée par les
Antiquaires. Une autre Infcription qui
fe trouve dans Fabretti , prouve , félon
cet habile homme , que le Tribomos fe
trouvoit dans plufieurs autres Temples ;
âc il y a apparence que c'étaient trois
Autels adoiîes l'un contre l'autre defti-
nés à trois Divinités. Hérodote dit (2) (2)inE«tj
qu'en Egypte , dans un grand Temple
d'Apollon , il y avoit ?"£** T&q>*<rtot 9 ces
trois Autels étoient pour Latone , pour
Apollon, & pour Diane.
Parmi les Autels que le temps nous a
confervés , & dont on trouve la repré-
fentation dans les Antiquaires , il y en a
de iîmples & fans aucune figure, d'autres
fur lefquels font des bas-reliefs de plu-
fieurs Divinités , de Génies, de Joueurs
de flûtes 9 & d'autres figures. La plupart
412 La Mythologie & les Fables
ont aux quatre coins des têtes d'animaux ,
de bœufs , de béliers , &c. Enfin , chaque
particulier avoit dans fon Laraire , c'eft-
à-dire dans le lfeu defliné à honorer les
Dieux Lares , ou les Dieux Pénates , les
Génies , & les Junons qui étoient les
Génies des femmes , de petits Autels fur
lefquels ii leur facrifioit.
On avoit grand foin , avant que de
facrifier , d'orner les Autels , & on ne
rçanquoit pas d'employer pour cela les
chofes qu'on croyoit agréables à chaque
Divinité. Comme nous aurons occafion
dans le Chapitre fuivant de parler des
plantes & des arbres qu'on croyoit être
particulièrement confacrés à chaque
Dieu , il fuffit de dire ici que c' étoient
des branches de ces arbres qu'on ornoit
les Autels.
Il faudroît un volume pour décrire tous
les Autels dont parlent les Anciens ; le
nombre en étoit infini. Athènes & R orne,
ainiî que toutes les autres Villes payen-
nés , en étoient remplies. Virgile re-
marque qu'Hiarbas en avoit élevé cent ,
t Se autant de Temples , au feul Jupiter
(i). On en trouvoit partout, dans les
campagnes , fur hs montagnes , dans les
carrefours des Villes, & des grands che-
mins 3 dans les Cirques , dans les Hip-
; Expl. par l 'WJt.Li v.III.Chap. VI. 41 3
podromes , dans le Stade d'Olympie ,
& dans mille autres endroits : en un mot,
on en avoit élevé non-feulement à tous
les Dieux , mais à des Villes-même & à
deshomitiesvivans.AinfîAugufte , fans
parler des autres Empereurs , avoit Ces
Autels en plufieurs endroits. On peut
confulter pour tous ces détails le P. Ber-
thaud , que j'ai cité au commencement
de cet article : mais comme parmi ces
Autels il y en, avoit de finguliers j il eil
à propos d'en dire un mat.
Nous trouvons dans l'Antiquité deux
Autels , aufquels on avoit donné le nom
d'Aramaxima : le premier, dans la Grèce,
étoit élevé en l'honneur de Jupiter
Olympien, comme nous l'apprend Pau-
fanias ; le fécond , en Italie , avoit été
construit pour Hercule , après la défaite
de Cacus , ainfi que le raconte élégam-
ment Virgile (1), en faifant parler E- CD E:-e;i.;
vandre de la forte ; * lîî'?\r
Sil.lt..]. J-v. 7,
Ex Mo cekbraiur hortos , Ixtique minores . ~ *
c 1. r -, r. tacite,!, 15.
Servavere diem ; primufque Pùtitius author , l'appelle feu-
Et domus Herculei euftos Pinaria facri , kmer i
. Hanc aram lucoJîatuH , quz maximafemper magna.
Dicetur nobis , & erit quœ maxima femper.
Cet Autel élevé dans la campagne , au
lieu même où depuis fut bâtie" la Ville
deRome,étoit dans le Marché aux bœufs,
S iij
414 La Mythologie & les Fables
près de la Porte Carmentale ; les Potî-
tiens feuls & les Pinariens pouvoîent y
facrifier. Après l'extinftion de ces deux
familles , le foin de cet Autel fut donné
aux Efclaves., ainfï qu'on l'apprend de
(ODecad.i. Tite-Live (1) & de Valere Maxime (2),
u/l.i. c.2. °lu* dit que ce fut Appius Claudius Cen-
feur , qui fit ce changement. Il n'étoit
point permis aux femmes d'approcher
de cet Autel , ni d aflïfter aux facrifîces
qu'on y ofFroit , félon Alexander ah Aie-
xandro , lequel ajoute qu'on en éloignoit
avec foin les Efclaves , les Affranchis ,
Gen% les chiens & les mouches (3).
Il y avoit un autre Autel encore plus
fîngulier. C'étoit celui qui étoit dans
le' Ciel , fous le nom de la Conftellation
de l'Autel. Hygin dit que cet Autel
étoit celui fur lequel les Dieux prêts à
combattre les Géants 5 avoient facrifîé &
avoient juré une ligue offenfive & défen-
lîve , contre ces redoutables ennemis.
Comme les Payens croy oient que les
Dieux habitoient dans les Temples, dans
leurs Statues , & dans les Autels , on
ne doit pas être furpris du grand refpeâ:
qu'ils avoient pour toutes ces chofes ;
mais parce que leur vengeance éclatoit >
à ce qu'ils s'étoient imaginé , d'une ma-
nière plus fenfible dans certains endroits
Ex;/.p^rH^Liv.riI.CHAP.VL4i;
que dans d'autres , leur vénération aug-
mentent pour ces lieux-là. Ainii rienn'e-
toit plus refpeâable, ni en même-temps
plus redouté , que les Autels des Dieux
ralices, où les parjures étoient punis par
ces deux Divinités , & précipités dans
le Lac près duquel ils avoient juré , com-
me nous le dirons dans leur Hiftoire. Tel
étoit auffi le célèbre Autel de Lyon , fi
redoutable aux Orateurs.
Ce grand refpeâ: pour les Autels avoit
fait établir la coutume d'y avoir recours
dans toutes les occafions. On y faifoit
les Alliances , les Traités de paix , les
réconciliations , les mariages , &c. Vir-
gile , fi fçavant dans les ufages de fon
pays , fera notre premier garant , pour
ce qui regarde les Traités de paix.
PgJî iidem , interfepofito cert aminé > Reges
Armati Jovis ante aras 3 fartera/que tenentes^
Stabant^ & cafâfirmabantfœdera porcâ (i).
Ce même Auteur fait ainfi parler Enée
qui fe plaint de Finfra&ion des Rutules :
Multa Jovem , & Itzji teftatur fœderis arai.
Silius Italicus reprochant aux Carthagi-
nois leur infidélité , au fujet des Traités
faits avec les Romains , parle du même
-ufage :
Sedpaçisfaciem , &pQllutarfœderis~aras> &C.
Siiîj
4î 6 La Mythologie & les Fahler
Dans l'occafion dont je parle, lorfqu'on
juroit la paix , on embraflbit l'Autel , ou
on le touchoit feulement ; ce que Vir-
gile a très-bien expliqué au fujet du
Traité fait entre Enée & Latinus.
Tango aras > me diof que ignés , & numina teftor,
Nuit a diespacem hanc ltalis,necfœdera rumpet %
(i)En.l.i2. Q}*° res cumque cadent (i).
Et Juvenal :
Atque adeo intrepidi quœcumque altaria tm~
f2)SaM3. gunt C'4
Comme les hommes ont toujours cher-
ché à fe tromper les uns les autres , peu
raffurés par des Traités de paix & d'al-
liance faits à la face des Autels , on y
ajoutoit encore la religion du ferment ,
(s) Vpyei qui fe prêtoit en touchant l'Autel (fQ,
lucien,?>.>- comme nous aujourd'hui dans de pareil-
Tite-S^îîv. les occafions ] nous employons les Li-
kii>olyb.l;3. vres facrés de l'Evangile, tes Magis-
trats avant que d'entrer dans les charges
de la Judicature , prêtoient auffi ferment
auprès de l'Autel de Themis. Saint Am-
(4) Ep.3. broife nous apprend cet ufage (4) dans
cette belle Epitre où il exhorte l'Empe-
reur Valentinien à ne point faire rétablir
un des Autels de cette Décile qui étoit
ruiné.
Pour les mariages qu'on célebroit à.i&
Expl. par PHljl. Liv. III. Cet. VI. 417
face des Autels 3 fur-tout de Junon , ou
deLucine, on peut confuker le. Père
Berthaud , qui rapporte plusieurs auto-
rités pour le prouver ; & quelques exem-
ples qui le confirment. Enfin, c'étoit
près des Autels qu'on faifoit des repas
publics ; ainfî qu'on peut le voir dans plu-
fieurs endroits de Virgile (1) &ailieurs. . (OGeorg.
liv. 4.
__ Eneid.l.S.&c.
CHAPITRE VIL
Des Bois f acres.
OUtre les Temples , les Chapel-
les , les Laraires , les Autels , le Pa-
ganifmeavoît encore d'autres lieux defr
tinés au culte des Dieux. C'étaient les
Bois facrés , dont 1 etabliffement eft iî
ancien , qu'on croit qu'il précède même
celui des Temples ôc des Autels. Com-
me les Romains nommoient ces Bois ,
Luci, Servius croit qu'ils prirent ce nom,
parce qu'on allumoit du feu pour éclai-
rer les myfteres qu'on y celebroit , Luci>
à lucendo, Car foit qu'on eût choifi pour
cela des Bois que la nature fourniiïbk
anciennement dans tous les lieux , com-
me il y a bien de l'apparence qu'on le
pratiqua d'abord ; foit qu'on en plantât
S v
418 La Mythologie & les Fables
exprès , comme on fit dans la fuite ; c'é-
toient toujours des Bois des plus épais,
des lieux obfcurs , impénétrables mêmes
aux rayons du Soleil.
Ce fut dans ces lieux ténébreux , pro-
pres à infpirer je ne fçais quelle horreur,
que furent célébrés les premiers myfte-
res du Paganifme. C'étoit là que s'af-
fembloient nos anciens Druides, qui
prirent leurs noms mêmes des chênes de
leurs forêts.
Cependant il paroît que les Anciens
ont cru que ces Bois d'abord confacrés à
Lucine , qui étoit la même que Diane
& Hécate , avoient été ainfî appelles du
nom de cette Déefle (a).
Quoiqu'il en foit, Pufage des Bois
facrés pour y célébrer les myfteres , eft
très-ancien , & peut-être celui de tous
qui fut le plus univerfel. D'abord il n'y
avoit dans ces Bois ni Temples , ni Au-
tels : c'étoient de fîmples retraites im-
pénétrables aux profanes; c'eft-à-dire,
à ceux quin'étoientpas deftinés au culte
des Dieux. Dans la fuite on y bâtit des
Chapelles & des Temples ; & pour con-
ferver même un ufage fî ancien , on ne
(a) Voyex le schol. de stace , fur le quatrième Livre de
la Thebaïde. Horace , art. Poet. Virgile , En. liy. 6. & Ser-
vius fon Commentateur.
E-plpar PWjl. Liv.IIL Ch. VIL 419
manquoit pas, lorfqu'on le pouvoit, de
planter des Bois autour des Temples &
des Autels , de les environner de murail-
les, de hayes , ou des folles; & ces
Bois étoient non-feulement confacrés
aux Dieux en Phonneur defquels avoient
été conftruits les Temples , qui étoient
au milieu de ces Bois , mais ils étoient
eux-mêmes un lieud aiyle pour les cou-
pables qui s'y retiraient.
Moyfe pour empêcher les Hébreux ,
trop enclins aux pratiques idolâtres des
peuples qui les environnoient , de fuivre
ce pernicieux ufage , leur défend de
planter des Bois autour des Autels du
vrai Dieu : Ne conferito tibi lucum ullis
arbonbus fecundum ait are lehovœ Del tuiy
quodfeceris tibi (1). Toutes les fois me- l6[[) Deuc#
me que ce faim Législateur préferit aux
Juifs de détruire les Idoles , il leur or-
donne en même temps de couper les Bois
facrés : Aras eorum deftrue t & confringe
(lamas , lucofque fuccide (2) , & ailleurs: (0£xoa.M.
JT / ' s s A a & ailleurs.
Lucos tgne combunte (3/. Le même or- (3)Deut.n.
dre fut renouvelle à Gedeon , &les Pro-
phètes parlent toujours avec indignation
des Rois de Juda&dTfraël, qui avoient
coutume de facrifier dans les Bois facrés.
Les Juifs étoient fï portés à imiter en
cela les peuples idolâtres, qu'un de leurs
S vj
ép.0 La Mythologie & les Fables
Rois pouffa Timpicté jufqu'à faire plan-
ter à Jerufalem un de ces Bois-, que Jo~
fias fit couper & brûler dans la vallée de
(1)4. Reg. Cedron (1). Les Rabbins ajoutent qu'il
€• 23. ° n'étoit pas permis aux Juifs de paffer
dans ces Bois , d'en couper un arbre
pour leur ufage , de s'y repofer à l'om-
bre , de manger les œufs ou les petits
des oifeaux qui y nichoient, ni de pren-
dre le bois mort, ni de manger même
du pain qui auroit été cuit au feu de ce
* bois; furquoi les curieux pourroit con-
(i)Dff^fulterSelden (2).
lut. C7 àenu Les B0is facrés devinrent dans la fuite
^**** extrêmement fréquentés : on s'y affem-
bloit aux jours de fêtes , & après la cé-
lébration des myfteres , on y faifoit des
repas publics accompagnés de danfes ,
& de toutes les autres marques de la joye
la plus vive. Tibulle décrit ces Fêtes &
ces repas , d'une manière très-fpirituelle.
Rufticus èlucoquevehit, maie fobrèus ipje ?
ti)L.i.El. Uxorem flattjtro , frogeniemque domum (3).
On ornoit ces bois avec loin, de Heurs,
de couronnes , de guirlandes & de bou-
quets ; & on y fufpendoit les dons & les
offrandes , avec tant de profufion , que
quand ils auroient été moins épais &
touffus r ils en auroient été totalement
Explpar PRift. Liv. III. Ch. VIL 421
•obfcurcis , & impénétrables à la lumière
du jour ; ce qui fait dire à Stace :
• . . Hic arcus &fejfareÇoneretela>
Ârmaque curva fnum & vacuorumterga leonum
Figere ,. & ingénies œquantia cornuafylvas.
Vix y amis locus } &c. ( 1 )
& Ovide dit :
Equidem fendentia vidi
Sert a fufer ramos (2).
Couper des Bois facrés > ou les dégra-
der, étoit unfacrilege , & peut-être ce-
lui qu'on croyoit le plus irremifîîble.
Lucain parlant H es arbres que Cefar fît
abattre près de Marfeille , pour en faire
des machines de guerre , peint bien la
confternationdes Soldats qui refufoient
de fe prêter à cet ouvrage, jufqu'à ce
que ce Prince prenant une coignée , en
abattit un lui-même. Saifis cVun refpeéî
religieux pour la fainteté de ce Bots ^ ils
crvyo-ewt que s^îls avoient la témérité d'en
vouloir couper quelque arbre , la coignée
rebroujjercit fur eux.
Se à fortes teputre mamis , motique verendâ-
Majiftate loci , fi robora facr a j erirent ,
In fua crcdebant redituras membra lituras.
Cependant il étoit permis de les élaguerr
de les éclaircir , & de couper les arbres
qu'on croyoit attirer le tonnerre. Les
Anciens nous ont confervé rhiftoire
422 La Mythologie & les Fables
de quelques-uns de ces Bois facrés,
comme de ceux de Lucine , de la Déef-
feFeronie, d'Augufte , & de quelques
autres. Ils fe reffembloient tous, &
étoient tous en une égale vénération.
CHAPITRE VIII.
Des Afyles.
LE S Temples , les Autels , & les
Bois facrés ayant été parmi les
Payens des lieux d'afyle pour les crimi-
nels, il faut expliquer en quoi confiftoit
le droit d'afyle, quels en étoient les privi-
lèges^ découvrir quelle en fut l'origine.
Dès que les hommes ont commencé à
d) Voye* deftiner des lieux au culte des Dieux (1),
5^jLrait£ela pour les reconnoître dans ces endroits
Simon fur les d une manière authentique & folemnelle
£fyiesi v » comme leurs Maîtres & les arbitres de
des BeLLettr. leur deltinee , oc qu ils ont eipere d en
T. 3. p. 37. obtenir du fecours , ils ont cru qu'ils y
étoient préfens d'une manière particu-
lière ; & dès-là pour ne pas paroître in-
flexibles à l'égard des autres , lorfqu'ils
cherchoient à fléchir les Dieux en leur
faveur , il eft très-croyable qu'ils regar-
doient ces lieux facrés où les coupables fe
retiraient; comm e des afyles inviolables.
Explpar PHiji. Liv.IIL Ch.VIII. 423
Le Tabernacle & le Temple de Jeru-
falem étoient des lieux d'afyle (1), & (1) Marh»
fans doute que les premiers Autels éle- L-2-c-+°*
vés parles Patriarches l'étoient auffi, puif»
que Moyfe exclut les affaffins , qui fe re-
ftigioient auprès de ceux qui avoient éle-
vés lui-même. Les Villes de refuge de-
fignées par Moyfe , & établies par Jo-
fue, étoient auffi des afyles (2). Le Pa- (2)Num.$5>
ganifme qui avait imité plufieurs ufages Dfut- 4. Jo-
du Peuple de-Dieu , en avoit auffi fans fue' 20*
doute pris celui du droit d'afyle ; aînfi
l'époque de la fondation des premiers
Temples & des Autels parmi eux, fe-
roit , fî on la fçavoit, celle de l'origine
de ce droit. Tout ce qu'on peut affurer
c'eft qu'il eft très-ancien , fans qu'on
puifle déterminer au jufte le temps où il
a commencé. Nous fçavons par Paufa-
nias(j), que Cadmus l'accorda à la Vil- ,,
le, ou à la Citadelle. qu'il fit cpnflruire 3
enBeotie; &ilya apparence, comme
le remarque M. Simon, que ce Prince,
originaire de Phenicie, & voifîn de la
Paleftine , ayant appris combien le con-
cours des Coupables & des Débiteurs
dans les Villes de refuge parmi les Juifs*
avoit fervi à ces peuples , employa le
même moyen , pour attirer des habitans
dans la fienne. Thefée pour Athènes*
4^4 La Mythologie & les PaBles
& Romulus pour fa nouvelle ville (a)r
uferent de la même politique, fi nous en
(:) inThef. croyons Plutarque (i). Diodore de Si- '
(i) in Rom. Giie (2) aflùre que Cybele avoit fondé
le droit d'afyle dans la Samothrace. Her-
cule l'Egyptien paffoit pour l'auteur de
celui de Canope: celui de Diane Stra-
tonia à Smyrne , Se celui de Neptune
Tenéen dévoient leur inftitution à la
réponfe des Oracles.
Mais comme ce droit accordé aux
Coupables , non feulement dans les
Temples & près des Autels , mais dans
les Villes mêmes qui prétendoient l'a*
_ voir , & en jouiffoient véritablement de-
puis un temps immémorial , auroit pu
avoir des fuites fâcheufes , & autorifer
le crime par l'efperanee de l'impunité ,
Fafyle n'étoit que pour des délits invo-
lontaires. C'eft ce que repondoient les
jj3) Hift.in. Athéniens , fuivant Thucydide^), aux
reproches des Béotiens , en leur faifant
entendre que leurs Autels n'étoient des
afyies, que pour ces fortes de crimes.
(4)Dec. s. Nous fçavons par Tite-Live (4) que le
*** meurtrier du Roi Eumenes , fut obligé
d'abandonner le Temple de Samothrace,
où il s'étoit réfugié.
(a) Cet afyle de Romulus étoit entre deux Boi§ facrés , &
|fut nommé pour cda , inîer dms l»coi+
Exfd.parPHifi.LivIlL Ch.VIIL 425-
Ainlï les afyles étoient proprement
pour les fautes involontaires , pour ceux
qui étoient opprimés par une puiffance
injufte • pour des efclaves outragés par
des maîtres cruels , & pour des débi- •
teurs traités indignement. Mais comme
l'abus fe mêle toujours parmi les ufages
le plus fagement établis, les criminels
même condamnés à mort, trouvoientun
afyle affuré dans le Temple de Pallas à
Lacedemone ; les banqueroutiers dans
celui de la DéeiTe Hebé , àPhlius ; &
dans celui de Diane à Ephefc (i j, m £££££
Ce n'étoient pas feulement les Villes cicer. s. in
& les Temples qui fervoient d'afyle ;les VerreDCU
Bois facrés , les Autels en quelque lieu
qu'ils fulfent, les Statues des Dieux,
celles des Empereurs , & les Tombeaux
des Héros , avoient le même privilège;
& il fuffifoit qu'un coupable fût dans l'en-
ceinte de ces Bois , ou qu'il eût em-
braïfé un Autel , ou la Statue de quel-
que Dieu , pour être en fureté. Le
droit d'afyle une fois faiii, le criminel
demeuroit aux pieds de l'Autel ou de la
Statue, & s'y faifoit apporter à manger,
jufqu'à ce qu'il pût fe fauver commodé-
ment , ou appaiier fes Parties.
L'afyle ne fut pas toujours inviolable ;
ou onarrachoit quelquefois de force le,
426 La Mythologie & les Fables
coupable , ou on l'y laiiToit mourir de
faim , fo it en lui coupant- les vivres , ou
en murant le lieu où il s'étoit réfugié ,
comme firent les Ephores à l'égard de
Paufanias , ainlî que nous l'apprenons de
(i)lnPauf. Cornélius Nepos (i). La fainteté des
afyles auroit fans doute été violée plus
fouvent qu'elle ne Ta été , fans les châ-
timens que les Dieux & les hommes
avoient établis contre les profanateurs*
J'ai dit les Dieux, pareeque les calami-
tés qui fuivoient quelquefois la profana-
tion de ces lieux , étoient regardées
comme l'effet de la vengeance divine.
Ce fut en effet le jugement que Ton por-
ta au fujet des maux qui defolerent TE-
pire, après le meurtre de Laodamie, qui
fut tuée dans le Temple de Diane. Voici
comme Juftin raconte cette hiftoire. IL
ne reftoit dans toute l'Epire , du fang
royal, que Neréïs & Laodamie fa fœur.
La première époufa le fils de Gélon Roi
de Sicile , & Laodamie qui s'étoit ré-
fugiée à l'Autel de Diane , y fut affom-
înée par le peuple : mais les Dieux ven-»
gèrent ce facrilege par des fléaux & des
calamités , qui firent périr prefque toute
la Nation. A la fterilité, à la famine-, à
la guerre civile , fuccederent d'autres
guerres qui achevèrent de tout perdre j
Expl. par PHift. Li v.IIL Ch.VIIL 427
& Milon , celui-là même qui avoit porté
le coup mortel à cette malheureufe Prin-
ceffe, devint furieux jufqu'au point de
fe déchirer les entrailles, & expira dans
les douleurs le douzième jour après le
meurtre (1). ^ j «JuftinL.
On porta le même jugement > à Foc- 3*
cafion de la, maladie honteufe qui termi-
nales jours de Sylla, qui avoit violé le
droit des afyks. Les Oracles confultés
après de pareilles profanations, préfcri-
voient, non feulement pour les coupa-
bles , mais pour des villes entières , des
expiations folemnelles , ou des répara-
tions publiques ; & c'efl ainfî que les
Lacedemoniens furent obligés d'élever
deux' Statues d'airain au malheureux
Paufanias , dans le lieu même où il étoit
mort.
Quoique M. Simon, dont je viens
d'abréger la Diiïertation , femble croire
que tous les Temples, les Bois facrés,
les Autels, &c. fuffentdes afyles , il y
a cependant beaucoup d'apparence que
tous ces lieux ne jouiflbient pas de ce
droit ; car les exceptions que font les
Anciens , en l'attribuant à certains lieux,
fans rien dire des autres, en font, félon
moi , une preuve convaincante, Ainfi ,
fuivant Servius , le Temple de la'Mife-
428 La Mythologie & les Fables
ricorde étoit un lieu d'afyle à Athènes,
& apparemment à Rome où l'on en bâtit
un à la même Divinité. De même , le
Temple de Diane d'Ephefe , jouiffoit
U) In Ver- du même droit, fuivant Ciceron (1);
aufl» bien que celui qui étoit bâti en
l'honneur de la même DêefTe en Epire,
(2) L. 28. comme nous l'apprenons de Juflin (2).
Quoiqu'il en foit, les afyles cauferent
plus de maux , par l'impunité qu'ils pro-
curèrent aux coupables, qu'ils ne firent
de bien en fauvant quelques innocens ,
& Tibère , comme nous l'avons dit , fut
obligé de les abolir.
CHAPITRE IX.
Des Statues des Dieux, & de quelle ma
nïere on Us reprefentoit.
APres avoir parlé des Temples &
des Autels , il eft neceffaire de di-
re quelque chofe des Statues des Dieux,
des lieux où on lesplaçoit, & de la ma-
nière dont ces mêmes Dieux étoient re-
prefentés. Pour renfermer dans quelques
bornes une matière qui d'elle-même ert
très-étendue, j'examinerai 1°. ce qu'é-
îûient les figures des Dieux avant que
Expl. par PHifl. Liv. III. Ch. IX. 42$
l'art delà Sculpture fût inventé. 2°. Ce
qu'elles furent, lorfque cet art étoit en-
core groiîjer & imparfait. 3 \ Le point
de perfe&ion où la Statuaire fut portée
dans la fuite. 4". La matière qu'on em-
ployoit aux Statues des Dieux. y°. L'ex-
trême grandeur, & l'extrême petiteffe de
quelques-unes de ces figures. 6\ Les
lieux où on les plaçoit le plus ordi-
nairement. j\ Enfin , par quels fym-
boles les Dieux y étoient diftin-
gués.
Pour le premier article , il fuffit de fe
rappeller ce que nous avons dit dans le
Chapitre IV. fur la manière groffiere
dont on reprefentoit les Dieux , avant
que l'art de la Sculpture fût en ulage.
Il eft impoffible , & en même temps inu-
tile de rechercher en quel temps, &
par qui cet art fut inventé. Son origine
fe perd dans la plus profonde antiquité.
Il fuffit de fçavoir que les Egyptiens le
poffedoient du temps de Moyfe, & peut-
être long-temps auparavant- Les Statues
de leurs Dieux , dont il eft parlé dans
les Livres de ce faint Legiflateur , Se cel-
les de leur Dieu Apis , -trop fidèlement
imitées par les Ifraèïites , qui l'adorè-
rent dans le defert, fous la forme d'un
fcœuf ou d'un veau , le prouvent fans
4 3 o La Mythologie & les Fables
réplique ; & je ne'doute pas que dans le-
temps même que les peuples encore bar-
bares & greffiers adoroient ou des maf-
fes informes , ou de Amples troncs d'ar-
bres , la Sculpture ne fût alors connue
non feulement en Egypte , mais encore
dans la Syrie & les Pays voifins. Car les
arts,originaires des Pays que je viens de
nommer , ne pénétrèrent que peu-à-peu
dans l'Occident.
D'abord même la Sculpture fut tres-
groffiere , & ne monta que lentement à
ce haut point de perfe&ion où elle fe fit
edmirer, fur-tout dans la Grèce, parles
chef-d'œuvres qu'elle forma. Dès-là on
doit fuppofer que les premières Statues
desDieux,quoique dirigées par ce nouvel
art, étoient encore très-groffieres. Les
jambes , ni les bras n'étoient point fépa-
rés , mais joints avec le refte de la ma-
tière dont on s'étoit fervi pour en for-
mer la figure. Elles avoient les yeux fer-
més, & tout au plus les bras pendans,&
comme collés le long du corps , & les
pieds joints ; rien d'animé , nulle attitu-
de , nul gefte. C'étoient pour la plupart
des figures quarrées & informes, qui le
terminoienten guaîne. Les cabinets des
curieux fourniflént plufieurs modèles de
ces Statues; on en déterre encore tous
Expl.par PHîjî. Liv. III. Ch.IX. 43 1
les jours , fur-tout en Egypte , & la
marque la moins équivoque de leuranti-
quité,eitlorfqu'ellesfont comme je viens
de les décrire.
Elles demeurèrent dans cet état , du
moins dans l'Occident , jufqu'à Dédale ,
c'eft-à-dire , jufqu'au temps de Minos
fécond , & de Thefée. Ce n'efl pas ici le
lieu de parler de ce célèbre Ouvrier,
fon article fe trouvera à fa place ; mais
je dois dire qu'il fçut donner à fes Sta-
tues des yeux , des pieds & des mains.
Il y mit en quelque façon de Famé & de
la vie , & on fut lî furpris de ce change-
ment , que la renommée publia qu'il les
animoit , les faifoit marcher , &c. Lt^
Statues des Dieux y gagnèrent , c6 fut
à les perfectionner que s'appliquèrent
fur-tout les Ouvriers les plus habiles ; &
avec le temps on vit paraître les chef-
d'œuvres des Phidias, des Praxiteles,
des Myrons , qui firent le principal orne-
ment de la Grèce , & attirèrent , comme
font encore aujourd'hui celles qui nous
reftent , la jufte admiration des connoif-
feurs. Telles font entr'autres la Venus
de Medicis , l'Antinous, l'Hercule , &
le beau Jupiter qu'on voit encore à Ver-
failles.
Cependant, par je ne fçais quel refpeft
43 2 La Mythologie & les Fables
pour l'antiquité, on conferva encore
l'ancien goût dans ces Statues , qu'on
nommoit Hermès.
On appelloit de ce nom celles des Sta-
tues de Mercure , qui étoient d une fi-
gure quarrée , ordinairement fans bras &
fans pieds , & qu'on plaçoit dans les car-
refours , fur les grands chemins, devant
les Temples, & devant les maifons.
Ciceron remarque à cette occafion,
qu'il n'étoit pas permis d'en mettre fur
les feoulchres , mais il n'en rend par la
raifon. Il fembleroit au contraire , que
c'étoient les lieux où elles convenoient
le mieux , puifque ce Dieu avoit foin
des âmes, & que c'étoit lui qui les con-
duisit dans les Enfers , & qui les en ra-
menoit.
Quoique les Hermès ne dufient être
que pour les Statues de Mercure, puis-
qu'elles portent fon nom , on le donnoit
cependant à toutes celles qui en îmi-
toient la forme. Ainfi quand c'étoitApoL-
lon qu'elles repréfentoient , on les nom-
moit Hermapollons. Si c'étoit une tête de
Minerve , en Grec Jthetié, on les ap-
pelloit Hermathenes ; & Hermeros, celles
qui repréfentoient la tête de Cupidon ,
dont le nom Grec étoit Eros , ainfi des
autres. Enfin cette manière antique fut
encore
Expl. par PHiJÏ. Liv. III. Ch. IX. 435
encore confervée dans les Statues du
Dieu Terme, qui n'étoient que des
pierres informes.
Les Villes de la Grèce, malgré le
progrès de la Sculpture ; étoient rem-
plies de ces fortes de Statues; & Thu-
cydide nous apprend qu'une nuit on
avoit coupé les têtes de toutes celles qui
étoient à Athènes. On fçait qu'Alci-
biade fut foupçonné de cet attentat, &
qu'il fut banni pour cela. Il n'y avoit
rien de preferit touchant la manière dont
dévoient être les Statues des Dieux.
Comme la Sculpture eft un art qui par
le moyen du deflein , & de la matière
folide imite la nature , elle a pour ma-
tière le bois, la pierre, le marbre, l'y-
voire , difFerens metautf , comme l'or ,
l'argent , le cuivre , les pierres précieu-
fes , &c. qu'elle comprend auffi la fon-
te , qu'on fubdivife , en l'art défaire des
figures en cire, & en celui de jetter en
fonte toutes fortes de métaux. Les Sta-
tuaires avoient la liberté d'ufer de tou-
tes ces matières , & de toutes ces formes
pour les Statues des Dieux. L'hifloire
nous apprend qu'il y en avoit de toutes
ces fortes, on en faifoit desbois les plus
précieux, & les moins fujets à fe cor-
rompre. Celle de Jupiter à Sycione étoit
Tome L * T
434 La Mythologie & les Fables
de buis ; ôck Ephefe , celle de Diane
étoit de cèdre. Ailleurs on en trouvent
de citronnier, cîe palmier, d'olivier,
d'ébene , & de cyprès. Nous avons dé-
jà parlé de celles d'or qui étoient dans le
Temple de Belus à Babylone,& d'Apol-
lon à Delphes. Nous avons fait la def-
cription de celle de Jupiter Olympien,
où For étoit habilement mêlé avec Fy-
voire, Fébene, & les pierres prêcieu-
fes ; chef-d'œuvre que perfonne , félon
Pline , n'ofa imiter : Prater Jovem Olym-
tô Pline L. mura, qtiemnemo œmulatur (i). Il feroit
,4-* -* inutile de s'étendre fur celles de marbre
ou de pierre , dont le nombre étoit infi-
ni ; j'ai nommé les principaux Ouvriers
qui de ces différentes matieres^ avoient
feu faire des chef-d'œuvres. Si on a la
curiofité de {trouver des Statues de
Dieux, de toutes les formes , & de tou-
tes les matières dont j'ai parlé, on n'a
qu'à lire Paufanias , qui en décrit de
toutes les fortes.
Généralement parlant les Statues des
Dieux , apièsFinvention de la Sculptu-
re , n étoient que de terre moulée , &
fragiles comme de (impies vafes. Cet art
* de jetter la terre ou 1 argile en moule ,
eft nommé fitfïlis > & les ouvrages qui
en fortent , ficnlïa. L'Ecriture Sainte ,
Expl.parVHift. Liv.III. Ch. IX. 435
les Prophètes fur-tout reprochent fans
ceiTe aux Payens d'adorer de ces fortes
d'Idoles. Dans la fuite on chargea ces
Statues de différentes couleurs, & enfin
on les dora. Les Romains dont la Re-
ligion annonça long-temps la {implicite
de leurs mœurs, ne commencèrent que
fort tard à avoir de ces Statues dorées;
les leurs n'avoient eu jufques-là que la
couleur de la terre dont elles étoient
faites. Pline loue cette première {impli-
cite Romaine. Des hommes, dit-il, qui
honoraient jincerement de tels Dieux yne
doivent pas nous faire honte. Hœ tum effi-
gies Deorum étant laudatiffimx , nec pœ-
mtet nos illorum qui taies Deos coluere.
Ils ne faifoientcas de l'or, continue cet
Auteur , ni pour eux , ni pour leurs
Dieux. Juvenal parlant de la Statue de
terre que 1 arquin l'ancien fît mettre dans
le Temple de Jupiter , l'appelle le Ju-
piter de terre , que Torn'avoit point gâ- *
té, ni fouillé.
Ficliiis, & nullo violatus Jupiter auro.
Tite-Live nous a appris l'époque de Pin*
trodu&iondes Statues dorées , dans Ro-
me , & ce fut , félon lui , fous le Confu-
lat de P. Cornélius Cethegus, 1 an delà
fondation de cette Ville y 71. ou J72.
^6 La Mythologie & les Fables
Comme il n'y avoit rien de prefcnt
fur la matière des Statues des Dieux , il
n'y avoit rien non plus d'établi fur la
grandeur qu'on leur devoit donner , & il
dépendoit du caprice des Ouvriers, ou
de la volonté de ceux qui les employ oient
de les faire grandes'ou petites. Ainfi pen-
dant que les Egyptiens fe faifoient hon-
neur de ces Statues coloffales , qu'on
voyoit dans les veftibules de leurs Tem-
ples , on ne trouvoit fouvent dans l'inté-
rieur de ces édifices que des Marmou-
zets , de petits Pygmées , qui attiroient
le mépris & les railleries de ceux a qui il
étoit permis de les voir , comme il arriva
à Cambyfe, lorfqu'il fut introduit dans
le Temple de Vulcain à Memphis, amii
que nous l'avons dit. .
La Grèce voulut quelquefois imiter
la manière Egyptienne dans ces Coloffes,
ÔC elle avoit plufieurs Statues de fesDieux
' d'une énorme grandeur. Celle de Jupi-
ter à Olympie , dont j'ai donné la deicnp-
tion, & plufieurs autres encore, étoient
beaucoup plus grandes que na-ture ; mais
le plus extraordinaire de tous ces Co-
loffes,étoitceluideRhodes,quirePrefen-
toit Apollon , & qui fut regarde com-
me une des fept merveilles du monde.
Cette Statue, ouvrage de Chares, qui
Explpar PHift. Éiv.IIL Ch.IX. 457
fut douze ans à la faire , avoit foixante &
dix coudées de haut ; Se comme elle étoit
placée de manière que les deux pieds
pofoient fur deux môles , qui formoient
le Port de la ville de Rhodes , les vaif-
feaux paffoient à pleine voile entre fes
jambes. Pour juger de l'énorme grandeur
de ce Coloffe , il fuffit de dire qu'il y
avoit peu de perfonnes qui pulîènt em-
braffer un de fes pouces. Malgré la pe-
fanteur de cette prodigieufe maffe, mal-
gré les dangers de la mer , & le temps
aufquels elle étoit expofée, elle demeu-
ra cependant far pied Tefpace de 1560.
ans , & ne tomba que par un tremble-
ment de terre. Un Marchand Juif Tache-
ta des Sarrafins, & Payant fait mettre en
pièces , en chargea neuf cens chameaux-
Ce n'étoientpas feulement lesEgyp^
tiens & les Grecs , qui avoient de ces
figures coloffales , les Romains voulu-
rent les imiter en cela , & on comptoit à
Rome cinq de ces colofles , deux d Apol-
lon , deux de Jupiter , & un du Soleil >
car le Soleil étoit fouvent dîftingué d'A-
pollon ; fans parler de deux autres 9
dont l'un repréfentoit Domitien , l'autre-
Néron : mais comme fi ces fortes de Sta- -
tues aavoient du appartenir qu'aux:
Dieux , on fit mettre fur cette dernière:
xme tête d'Apollon* T ii]
4*1 8 La Mythologie & les Fables
C etoient-la des ouvrages linguiiers ;
mais ordinairement les Statues des Dieux
îmitoient la belle nature, fur-tout quand
elles dévoient être pofées à portée de la
vue. Ainfi celles des Dieux étoient un
peu plus grandes & plus fortes que cel-
les des DeefTes ; au fujet defquelies les
Ouvriers habiles s'attachoient far-tout
à imiter la deiicateiTe & la mollefTe du
fexe.
Il y avoit cependant des Dieux dont
les Statues étoient ordinairement peti-
tes, & peut-être qu'elles dévoient l'être.
Celles des Pataïques , ou Pataeques ,
qu'on mettoit fur la pouppe des vaif-
feaux, étoient de ce genre , fi nous en
croyons Hérodote (i) , ainfi que celles
des Dieux Lares , des Cabires , & quel-
crues autres. Il y en avoit dont les Sta-
tues étoient moniirueufes , & qui repre-
fentoient des têtes de chien , de chat ,
de bouc, de finges, de lion , &c. com-
me nous le dirons en parlant des Dieux
d'Egypte.
Le nombre des Statues des Dieux etoit
îmmenfe , non feulement dans la Grèce
& dans l'Italie , mais auffi dans les pays
Orientaux; & rien n'eft plus propre à le
faire connoître que Pexpreffion de l'E-
criture Sainte , qui nomme la Chaldée
Expl.par PHIjI.Liv.IILChatJX. 43$
une terre d'Idoles. Ainfî on en trouvoit
par-tout , dans les Temples , où elles
étoient far des pieds-d'eftaux , ou pla-
cées dans des niches ; dans les places
publiques , aux portes des maifons ; &
hors des villes, dans les grands chemin1?,
& dans les champs. On ne peut rien
ajouter au refpeft qu'on avoit pour elles :
Iorfqu'on paflbit auprès, on fe profter-
noit , ou on portoit la main à la bouche,
pour marquer qu'on les adoroit. C'etoit
en elles qu^on mettoit toute fa confian-
ce. On leur faifoit des vœux, on leur
oiïroit des facrifices , on leur adreffoit
les prières : c'était d'elles qu'on atten-
dait la fanté & les autres biens , comme
la délivrance des maux, & des calamités
publiques. Ce reipeft & cette confiance
étoient fondés non feulement fur ce
qu'elles reprefentoient les Dieux , mais
parce qu'on croyoit auffi qu'ils y habi-
toient eux-mêmes , 6c écoutoient de-là
les vœux & les prières. Au jour des Fê-
tes de chacun de ces Dieux , on avoit
foin de parer leurs Statues , de tout ce
qui paroilToit devoir les embellir , ru-
bans , bandelettes , rameaux; tout étoit
employé. On les oignoit avec de F huile ,
ou on les frottoit avec de la cire pour
les rendre plus luifantes ; & cet ufage
T iiij
44^ La Mythologie & les Fables
étoit fur-tout pratiqué à l'égard; des
Dieux Lares & des Pénates. Quoique la
manière de reprefenter les Dieux ne fût
pas uniforme , il y avoit cependant des
ufages affez généralement obfervés.Ainfï
on donnoit à Jupiter un air noble & ma-
jeftueux , qui annonçoit le Maître du
monde, & il paroît toujours avec de la
barbe. Apollon qui eft peint en jeune
homme , n'en porte point ; Bacchus en
a quelquefois, & alors on l'appelle le
Barbu , plus fouvent il n'en a point.
Junon paroît avec un air digne de l'épou-
fe de Jupiter , & de la Reine des Dieux»
Minerve a une beauté mâle & douce y
telle qu'il convenoit à la plus fage & à
la plus charte des DéefTes. Celle de Ve-
nus au contraire prefente je ne fçai quoi
de mol & d'efféminé, qui annonce la
mère d'Amour. Mars a l'air guerrier y
Neptune a de la fierté , &c.
Les Dieux portoient ordinairement
fur leurs Statues , les fymboles qui leur
étoient confacrés. Ainfî paroiftent Ju-
piter avec, fa foudre , Apollon avec fa
lyre , Neptune avec fon trident , Pluton
avec le même fceptre , mais feulement à
deux fourches. Bacchus y tient à la rnain.
des grappes de raifin; Cerès, des épis
de bled ; Hercule , fa. maflue, & Dim&
Expl. par PHift. Li v. III. Ch. IX. 441
porte fes flèches & fon carquois. Le chien
paroît dans les Statues de Mercure , la
chouette dans celles de Minerve , & le
ferpent entourtillé autour d'un cippe ,
dans celles d'Efculape. Le char de Nep-
tune eft attelé à des chevaux marins^ ce-
lui de Venus à des colombes , celui de
Junon à des Paons , & celui de Cybele
à des lions. Quelquefois ces fymboles .
font uniques , quelquefois ils font multi-
pliés ; & quand il paroît qu'ils font pro-
pres à plufieurs Dieux, on nomme Pan-
thées les Statues qui les portent , telles
que font ordinairement celles d'Harpo-
crate , & quelques autres. Les Statues
Egyptiennes étoient plus chargées de ces
fymboles que celles des Grecs & des
Romains , comme on peut le voir dans
les Antiquaires. Ces fymboles étoient
pris ou des arbres, ou des plantes, ou
des animaux qmpar des raifons particu-
lières étoient chers aux Dieux, ainfî que
nous le dirons en parlant des Sacrifices, ,
des Offrandes & des Viftimes, qu'on 1
prenoit ordinairement parmi les chofes *
qu'on croyoit leur être agréables.
Les raifons de cette prédile&ion des ■
Dieux étoient quelquefois myflerieufesy.
&les Anciens n'ont pas ofé les rappor—
ter., fouvent aufll elles font connuës»r-
Ty-
442 La Mythologie & les Fables
Ainfi , pour en donner feulement quel-
ques exemples , le laurier étoit cher à
Apollon , à caufe de Daphné ; le pin à
Cybele , à caufe d'Atys ; & le peuplier
à Hercule , parce qu'il en avoir apporté
un du Pays des Hyperboréens , &c.
Pfefque toujours les Statues des Dieux
étoient fimples & ne prefentoient qu'une
feule figure ; quelquefois elles étoient
grouppées , & en contenoient plufieurs.
Le Philofophe Albricus qui nous a laifle
un petit Traité Latin fur la manière de
repréfenter les Dieux , femble s'être at-
taché particulièrement à ces dernières fi-
gures , comme il eft aifé de s'en convain-
cre en lifant ce petit Ouvrage, & par
l'exemple de Saturne que je vais rap-
porter.
Saturne, dit-il, le premier des Dieux y
étoit peint fous la figure d'un vieillard,
les, cheveux blancs, la barbe longue y
courbé , l'air trifte , la tête voilée , & la
couleur blême, tenant de la. main gau-
che une faulx , ôc un ferpent qui fe mor-
doit la queue , & de la droite un jeune
enfant qu'il portoit à la bouche pour le
dévorer. Il avoit près de lui Jupiter,
Neptune , Pluton , Junon& Opsrfafem-
3ne, dont une main étoit étendue , pour
marquer qu'elle étoit prête de fecourk
ExpL par PHijT. Liv. ITL Ch. X. 443
tout le monde , pendant que de l'autre
elle prefentoit du pain à ceux qui pou-
vaient en avoir befoin.
On rapportera dans l'hiftoire particu-
lière de chaque Dieu, la manière dont
on avoit coutume de le reprefenter.
CHAPITRE I
Des Sacrifices & des Vifiunes.
LE Sacrifice eft unafte de Religion,
par lequel l'homme reconnoît la Di-
vinité de celui à qui il l'offre , prétend
l'honorer de la manière la plus authen-
tique , le remercier des biens qu'il croit
en avoir reçus, & lui eh demander de
nouveaux. Dans les premiers temps du
Paganifme , le culte qu'on rendoit aux
Dieux étoit très-fimple : les Egyptiens ,
fi nous en croyons Theophrafte , cité
par Porphyre (i),offroient anciennement (1) Lib,
à leurs Dieux, non de l'encens & des £bft-aP,E:
parfums , mais de Pherbe verte qu'ils ucLZ '
cueilloient avec les mains , Se qu'ils leur
prefentoient comme les premières pro-
duirions de la nature. Ovide peint très-
bien la fimplicité de ces premiers Sacri-
fices : V encens y dit-il, nrétoit point en-
are. venu des bords de VEuphrate , nx U
CÏr
444 La Àlythologie & les Fables
cofîus de P extrémité de F Inde. On ne con-
fioijfoît pas encore lefafran ^&onfe con-
tent oit de mettre fur F autel de F herbe ou du.
raurier.
Thuya nec Eufhrates , me miferat India coftum ,
Kecfuera7it rubri cegnitafiia croci.
fJÛ Faft» !•!• ^ra àabatfumos herbis contenta Sabinis ,
Et non exiguo Laurus adiiftafoco (i).
Le même Theophrafte ajoute qu'on joi-
gnoit la libation à ces anciens Sacrifices ;
c'étoit de l'eau fans doute qu'on répan-
doit à l'honneur des Dieux , car les Egyp-
tiens dont il parle , ne fe fervoient point-
d'autre liqueur , comme nous le dirons
dans la fuite. Pline , Macrobe , Plutarque >
Denys d'Halicarnafle , & Thucydide ,
parlent fouvent de la {implicite des Fêtes
Se des Sacrifices des anciens Egyptiens ,
des Grecs & des Romains y comme on.
ii)DeOrig. peut je wo'ir jans Voffius, qui les a cités
doi. pour prouver cette vente (2;.
Cette première (implicite dura très-
long-temps ., & il y eut des lieux où elle,
p) in Au. fubfifta toujours. Paufanias (3) parlant
d'un Autel d' Athenes,confacré à Jupiter
le Grand , dit qu'on n'y offroit rien d'a-
nimé , & qu'on fe contentoit d'y faire
de fimples offrandes l fans fe fervir megae.
Bxpl.parPHifl. Liv. III. Chàp. X. 447
de vin dans les libations. Cette coutume
venoit de Cecrops , lequel en réglant
le culte des Dieux & les cérémonies qu'il
avoit apportées d'Egypte dans la Grèce,
avoit ordonné qu'on ne facrifiât rien qui
eût vie , & qu'on fe contentât d'offrir de
fimples Gâteaux, ainfîque nous l'appre-
nons du même Auteur (1). (I) Ia ****
Comme Ton facrifioit les mêmes chofes
dont on fe nourriffoit , lorfqu'aux herbes
on commença à fubftituer le pain > on
employa dans les Sacrifices de la farine
& des Gâteaux qu'on pétriffoit avec un
peu de fel. Horace fait allufïon à cette
coutume :
Non fumptuofa blandior hqflia
Mollibit averfos Pinatzs
. Farre pio , & f aient e mica (s.)-. (2)L»3«Oi.
On joignoit à ces Sacrifices les fruits de
la terre , le miel , l'huile , le vin ; mais
lorfqu'on vint dans la fuite à fe nourrir
de la chair des animaux , on commença
aufïi à en immoler en l'honneur des
Dieux: car il y a toujours eu un rapport
marqué , entre la nourriture des hommes
& la matière des Sacrifices , puifque la
Loi ordonnoit qu'on en mangeât une *
partie , & qu'ils étoient toujours fuivis
du feftin., comme on le verra dans#la
fuite.,
23.
44^ La- Mythologie & les Fable*
II feroit difficile de décider en quel
temps commença parmi les Payens , l'u-
fage des Sacrifices fanglans. On ne pren-
dra pas pour garant de cette découverte
Ovide , qui prétend que la truye fut la
première Viftime animée qu'on offrit,
à Cerès , à caufe des ravages que cet ani-
mal fait dans les champs. Ctrèsfut la pre-
mière qui prit plaifir à voir couler le favg
(Tune truye , pour venger par la mort de
cet animal , les ravages qu'il fan dans les
champs :
Prima Ceres aviàot gavfacjl [angine for c <z ,
G) Faft. la. Ulta[uas mente cœde nocentis opes ( i ).
Homère nous apprendra du moins que
l'ufage de ces fortes de Sacrifices étoit
_ commun du temps de la guerre de Troye,
& je ne crois pas que nous ayons d'exem-
ples plus anciens. Je fçais que Paufanias
parle de la Victime humaine que Ly caon-
(2) Voyez offrit à Jupiter Lycaeus (2) ; que les Au-
^faj>«s, /» teurs des Argonautiques difent que les
Héros de la Toifon d'or avoient mis dans
leur Navire une Hécatombe, pour l'of-
frir à Apollon : qu'ils parlent d'un Sa-
crifice de bêtes fauves prifes à la chaffe,
que ces mêmes Héros immolèrent à la
place des autres animaux ; mais ces au-
torités font moins refpe&ables qu'Ho-
mère, le plus ancien des Poètes, &.dè&-
Expl.parPHift. Liv.IIL Ch.X. 447
là j plus proche des évenemens qu'il ra-
contait.
Quoi qu'il en foit , on ne fçauroit dou-
ter que Tufage des Sacrifices fanglans
ne foit très-ancien dans le Paganifme ,
s'il eft vrai , comme l'ont avancé quel-
ques Pères de l'Eglife > que Dieu n'agréa,
ces fortes de Sacrifices , & que Moyfe
ne les ordonna aux Ifraëlites que pour
les empêcher d'en offrir aux Dieux , com-
me le pratiquoient les Nations voifînes.
Mais cette idée n'eft nullement exaéte ,
& il eft certain que dans la vraie Reli-
gion , ces Sacrifices font auffi anciens que
le monde , puifque Caïn offroit à Dieu
les fruits de la terre -, Abel lui facrifioit
des Victimes prifes dans fes troupeaux ,
Facium efl autem.... ut ojferret Gain de
fruclibus terrœ munera Domino. Abel quo-
que obtulït de primogenitis gregis fui y Ù*
de adiplbus eouim (1).. Noé au fortir de y it2^^
l'Arche , offrit à Dieu un Sacrifice de
tous les animaux purs : Et tollens de
cunâiis pecoribus & volantibus mundisob-
tulit holocauftwn fuper altare (2). Or (2) Goût, .
comme l'Idolâtrie n'eft qu'une corrup- Vt 20
fîon de la vraie Pvdigion , il n'eft pas
douteux qu'elle en ait pris les pratiques y
êc en particulier l'ufage des Sacrifices fan-
glans , & cela > dès les premiers iîécles.
448 La Mythologie & les Fables
Cependant il n'en eft pas moins vrai qu'ïf
y eut des Pays où cetufage ne fut prati-
qué que fort tard , & qu'on ne l'y reçut
qu'avec une répugnance , que le fait que
je vais raconter , marquoit affez. Parmi
les Athéniens le Vi&imaire , après avoir
frappé l'animal qui devoit être immolé ,
étoit obligé de s'enfuir de toutes fes>
forces : on le fuivoit, & pour n'être pas-
arrêté j il jettoit la hache dont il s'étoit
fervi , comme étant feule coupable de
la mort de l'animal qu'on alloit immoler.
Ceux qui le fuivoient , fe faifiiïbient de.
cette hache , & lui intentoient un procès*
Celui qui en prenoit la défenfe , alleguoit
qu'elle étoit moins coupable , que le Re-
mouleur qui l'avoit aiguifée ; le Remou-
leur pris à partie , jettoit la faute fur la
pierre qui avoit fervi à Taiguifer , ainiî
de fuite, enforteque le procès ne finif-
foit jamais ; cérémonie ridicule à la vé-
rité , mais qui prouvoit Taverfion que.
les Athéniens avoient pour les Sacrifices
fanglans.
Mais il eft bon de remarquer , que dans
le temps même qu'on immoloit des Vic-
times vivantes , on n' avoit pas oublié l'an-»
cienne forme des Sacrifices , qui ne con-
jfiftoient qu'en herbes , en fel , & en fa-
rine ; & on Pemployoit toujours commq
Expl.parPHiJl. Liv. III. Ch. X. 44P
la plus propre à appaifer les Dieux \ ce
qui fait dire à Horace :
Te nthil attinet
Tentare miùtâ czàe biàentium (1). (0 L.3. 0<?«
Àinfî j au rapport de Feftus & de Servais,
on jettoit toujours de la farine & du fel
fur les Viftimes , fur le feu , & fur les
couteaux facrés. Sal & far, quod dicitur
mol a jalfa > quâ & frons viâiimœ , foci y
& cultri afperguntur (2). Numa Pompi- (2)Scm«^
lius , félon Pline , avoit même interdit m-2-Ea*
aux Romains les Viétimeslanglantes, &
leur avoit défendu tout autre Sacrifice ,
que ceux où Ton employoit les fruits , le
fel & la famine (3 ). Denys d'Halicarnaf- 0) Plin. U
fe (4) femble attribuer à Romulus, ce I8^ 1^.2.
que nous venons de dire de Numa , &
il ajoute, que cet ufage duroit encore
de fon temps , quoiqu'on y eût joint ce-
lui des Sacrifices fanglans. Plutarque
nous fait remarquer qu'il y avoit des
Dieux parmi les Romains, entre-autres
le Dieu Terme, à l'égard defquels on.
confervoit toujours Fufage ancien , de ne
leur rien offrir d'animé»
Enfin, on porta dans lafuite la fuperfti-
tion , jufqu'à immoler des Viftimes hu-
maines. On ne fçait pas qui a été le pre-
mier auteur de ces Sacrifices barbares;
é£0 La Mythologie & les Fables
mais que ce foit Chronos , ou Saturne y
comme on le trouve dans le Fragment
de Sanchoniathon, ou Lycaon, comme
Paufanias femble l'infinuer, ou queh
qu'autre" , il eft fur que cette barbare
coutume paiTa chez prefquetous les Peu-
ples connus. Les pères eux-mêmes,pou£-
fés par une aveugle fureur ? immoloient
leurs enfans , Se les brûloient au lieu
d'encens. Ces horribles facrifices , pref-
crits même par les Oracles des Dieux,
étoient connus des le temps de Mcyfe,
& faifoient partie de ces abominations
que ce faint Légiflateur reproche aux
Amorrhéens. Les Pvioabites immoloient
leurs enfans à Moloch , & les faifoient-
brûler dans le creux de la Statue de ce
d) Levit. Dieu (i). Selon Denys d'Halicarnaf-
€ (2)°liv. 5. & (2) onfacrifïoit des hommes à Satur-
ne, non-feulement à Tyr Ôc à Cartha-
ge , mais dans la Grèce même & dans
l'Italie. Les Gaulois , fi nous en croyons
Ci) Liv. 3. Diodore de Sicile (3) , immoloient à
leurs Dieux leurs prifonniers de guerre ;
ceux de la Tauride , tous les étrangers
qui y abordoient. Les habitans de Pella.
facrifîoient un homme à Pelée. Ceux de
Tenufe , ainfî que le raconte Paufanias ,
offraient tous les ans une fille vierge au
Génie d'un des Compagnons d'Ulyfle
Expl.parPHÎft. Liv.IILCh.X. 471
qu'ils avoient lapidé ; & Ariftomene
Meffenien , immola pour une feule fois,
trois cens hommes. Strabon (1) parle de
ces Sacrifices abominables, offerts par
les anciens Germains. Saint Athanafe (2)
dit la même chofe des Phéniciens & des
Cretois ; & Tertullien , des Scythes Se
des Afriquains. On voit dans Flliade
d'Homère, douze Troyens immolés par
Ach.Ule , aux mânes de Patrocle. Enfin,
Porphyre fait un long dénombrement de
tous les lieux où l'on immoloit autrefois
des hommes , entre lefquels il met Rho-
des, Tlfle de Chypre , l'Arabie , Athè-
nes , &c.
De tous ees témoignages joints en-
fembîe , & de plusieurs autres qu'il effc
inutile de rapporter , il refuite que les
Phéniciens, les Egyptiens , les Arabes,.
les Chananéens , les habitans de Tyr &
de Carthage ; ceux d'Athènes & de La-
cedemone , les Ioniens , toute la Grèce ,
les E.omains & les Scythes îles Alba-
nois ; les Allemans , les Anglois , les Es-
pagnols, & les Gaulois, étoient égale-
ment plongés dans cette horrible fuperf-
tition.
Feu M. l'Abbé de Boiffi , dans une
Differtation qu'il lut à l'Académie des;
Belles. Lettres , & dont l'extrait efi im-
4$ 2 La Mythologie & les Fables
h) Mem.de primé (i), rapporte l'origine de la bar-
VAc. des Bel. bare coutume d'immoler des hommes , à-
,I,p'47' une connoifTance imparfaite du Sacrifice
d'Abraham. Les Chananéens , dit-il, les
Amorrhéens & les autres Peuples voifins
des lieux où ce feint Patriarche avoir
pafle fa vie , entendirent fans doute van-
ter le zèle & la fermeté de ce faint hom-
me , qui n'écouta pas un moment les fen-
timens de fa tendreiïe pour un fils uni-
que ; ils fçurent apparemment quelque
chofe des récompenfes que Dieu pro-
mit à fa fidélité ; & ignorant que le Sa-
crifice n'avoit pas été accompli à l'égard-
. de ce fils bien aimé , ils prirent la chofe*
à la lettre 3 & crurent en imitant une ac-
tion fi héroïque , s'attirer les mêmes bé—
tiédiftions du Ciel. En effet , ce fut Sa-
turne , félon les Poètes & les Hiftoriens ,
qui introduifitla déteftable coutume de
facrifier des hommes. Or Saturne, au'
jugement des meilleurs Auteurs, efl le
même qu'Abraham. Les preuves en font
claires , mais je ne dois les rapporter que '
dans l'Article de ce Dieu.
Les Anciens ouvrirent enfin les yeux
fur ces Sacrifices inhumains , & les éve-
nemens que je vais raconter, les firent
enfin ceffer peu à peu. Un Oracle dit
Plutarque; ayant ordonné aux Laccder
Sxpl. par fflï/f. Liv.III. Ch.X. 45-3
moniens affligés de la pefte , d'immoler
une Vierge ; & le fort étant tombé fur
une jeune fille nommée Hélène, un Aigle
enleva le couteau facré, & le pofa fur
la tête d'une Geniffe , qui fut facrifiée à
fa place. Le même Plutarque raconte que
Pelopidas chef des Athéniens , ayant été
averti en fonge , la veille d'une bataille,
d'immoler une Vierge blonde aux mânes
des filles de Scedafjs qui avoient été
violées & maflacrées dans le même lieu,
ce Général effrayé, tint confeil fur Tin-
humanité de cette forte de Sacrifice,
qu'il croyoit déplaire aux Dieux ; &
avant vu une Cavalle rouffe , il l'immola
parle confeil du Devin Theocrite , ÔC
remporta la viâoire. En Egypte , Ama-
fis ordonna qu'au lieu d hommes , on of-
frît feulement des figures humaines. Di~
philus fubftitua dans l'Ifle de Chypre ,
des Sacrifices de bœufs à ceux des hom-
mes ; & Hercule étant en Italie , des tê-
tes de cire , nommées OfcilLe , à des vé-
ritables hommes.
. Anciennement les chefs de famille en
étoient également les Rois & les Ponti-
fes , & c'étoient eux qui offroient les Sa-
crifices ; mais dans la fuite on eut dans
chaque état des Prêtres & d'autres Mi-
niiîres pour cette fon&ion , comme nous
4J4 La Mythologie & les Fables
le dirons dans le Chapitre fuivant : ce-
pendant dans le temps même qu'il y avoit
<les Prêtres établis , ces chefs de famille
conferverent toujours le même droit.
Ainfi on peut difcinguer deux fortes de
Sacrifices ; les particuliers, que chacun
pouvoit offrir chez foi à fes Dieux La-
res , ou Pénates {a) , & les Sacrifices
publics , établis par les Loix , & pour
lefquels il y avoit des Miniftres autori-
fés , & un Pontife qui y préfidoit. Ces
fortes de Sacrifices s'offroient à Rome
& dans la Grèce 5 félon certaines règles ,
qu'on étoit obligé d obferver exa#e-
ment. Ciceron s'explique ainfi : » Nos
*> Ancêtres , dit-il , ont donné des règles
« pour les chofes divines ; enforte que
» pour les cérémonies établies aux gran-
» des folemnités , on ait recours aux
» Pontifes qui en font bien inftruits ;
» que pour gérer les affaires de la Re-
» publique , on s'adrefTe aux Augu-
*> res , Sec.
Le principal foin de ces Miniftres con-
fîftoit à bien choifir les Vi&imes ; car el-
les dévoient avoir pour être agréables
aux Dieux , certaines qualités , dont je
(aS Voyez Virgile , Eneid. îiv. 3- Qui parle du Sr-crince
qu'Enée offrait le matin a Tes Dieux Pénates, qui lui avaient
apparu en fcnge.
Expl. par PHiJî. Liv. III. Ch. X. 4; J
parlerai dans un moment. On leur don-
noit auffi plusieurs noms. On appelloit
Frjccïdaneœ hoJHx y celles qu'on immo-
loitle jour d'avant la folemnité , comme
on nommoit prxc-:danea porca-) la truye
qu'on facriîioit à Cerès avant la moiiïbn.
On nommoit [Succidanex hojliœ , celles
qu'on facrifioit lorfqu'on avoit manqué
d'immoler les premières, qui dévoient
précéder ; Se c'eft ainii qu'on expioit
Fomiflîon. Il y en avoit d'autres qu'on
nommoit Eximiœhofliœ; ce mot qui ligni-
fie excellent y n'étant pas pris dans fa pro-
pre lignification , mais pour marquer
qu'on retiroit ces Vi&imes du troupeau,
pour être immolées , eximehantur greg?»
Les brebis qui avoient deux agneaux ,
qu'on immoloit avec la mère, étoient
nommées Ambigu* o-ves, &les Vi&imes
-dont les entrailles étoient adhérentes,
Harungœ y ou Harugœ (1), celles qui M Fai*e8*
étoient confumées , Vrodïgix , celles qui
avoient les dents plus élevées que les
autres , Bidentes (2). (z) H/gin
De quelque nature que fuflent les Vic-
times , il en falloit faire un grand choix ;
Se les mêmes défauts , qui parmi les Juifs
les excluoient des Sacrifices (3), les (3) Voy«
rendoient auffi défeâueufes parmi les leLcvit-
Payens, qui paroiflbient par-là avoir era-
*tf'6 La Mythologie & les Fables
prunté plufieurs ufages des Hébreux.
Voflïus , dans fon fçavant Traite de 1T-
dolâtrie , eft entré fur ce fujet dans des
délaits Philologiques extrêmement re-
cherchés , aufquels je renvoyé les Sça-
vans. Il fuffit de dire ici avec JùL Pol-
r- lux (-1 ) , que la Victime devoit titre pu-
* re , non mutilée , fans tache , fans dé-
faut , faine , ni boiteufe ni contrefaite :
blanche Se en nombre impair pour les
Dieux celeftes , noire & en nombre paix
pour les Dieux infernaux. Enfin , choifie
parmi les animaux , les plantes, ou les
fruits, agréables aux Dieux aufquels on
les offroit; car on n immoloit pas toutes
fortes de Vi&imes indifféremment à cha-
que Divinité. Ordinairement c'étoit une
truye pleine qu'on offroit à Cybele &
à la DéefTe Tellus ; le taureau à Jupiter;
à Junon , des géniffes , des agneaux fe-
melles , des brebis , & à Corinthe on lui
facrifioit une chèvre. A Neptune , un
taureau & des agneaux , comme il paroît
par Homère. A Pluton, aufli un taureau
noir , & à Proferpine une vache noire ;
& lorfqu'on prenoit cette Déeffe pour
Hécate , on lui immoloit un chien , ani-
mal qu'on croyoit éloigner en abboyant
les fpe&res qu envoyoit cette Déeiïe.
La viâime la plus agréable à Cerès,
étoit
jExpL par PHifl. Liv. III. Ch. X. 45*7
létoient le verrat & la truye. On lui of-
froit aufïï du miel & du lait. A Venus 9
la colombe , le bouc , la genifle , un©
chèvre blanche , &c. A Bacchus , un
bouc. On immoloit la vache Se le tau-
reau à Hermione , comme nous l'appre-
nons d'Elien (1), qui ajoute , que dans
ces Sacrifices un taureau, qu'à peine dix
hommes avoient pu dompter, fuivoit de
lui-même une vieille Prêtreffe jufqu'à
l'autel. Au Soleil, quelquefois du miel ,
mais les Arméniens & les Maffagetes lui
îmmoloient des chevaux. A Apollon ,
car fou vent il étoit diflingué du Soleil ,
on ofFroit le bélier , la chèvre , la bre-
bis y Se le bouc ; Se quand on le confon-
doit avec le Soleil, un jeune taureau aux
cornes dorées , pour marquer fes rayons:
on lui ofFroit aufli un corbeau. A Mars,
le cheval, le taureau > le verrat, Se le
bélier: les Lufitaniens lui immoloient
des boucs, des chèvres, & quelquefois
leurs ennemis. Les Scythes lui offraient
des ânes, &lesCariens des chiens. Ho-
mère nous apprend que les Vi&imes les
plus agréables à Minerve , étoient le
taureau Se l'agneau , ou , félon Fulgen-
ce Planciadès, des bœufs qui n'avoient
point encore été feus le joug. A Diane,
des cerfs, des chèvres, fur-tout parmi
Tome I. Y
4) 8 La Mythologie & les Fables
les Athéniens , & en quelques endroits ,
des vaches. Aux Dieux Lares , un jeune
taureau , ou un agneau femelle , félon les
facultés de ceux qui facrifïoient. On leur
immoloit auffi des cocqs & des hiron-
delles, & le cochon, d'où ils prirent lç
nom de Grunatles.
Enfin, chaque Dieu avoit fon animal,
ou fon arbre , ou fa plante favorite. Par-
mi les animaux le lion étoit confacré à
Vulcain ; le loup à Apollon & à Mars ;
le chien , aux Dieux Lares & à Mars ; le
dragon, à Bacchus & à Minerve; les
griffons à Apollon \ les ferpens à Efcu-
lape ; le cerf à Hercule ; l'agneau à Ju~
lion ; le cheval à Mars ; la geniffe à Ifis.
Parmi les oifeaux, l'aigle l'étoit à Jupi~
ter; le paon à Junon; la chouette à Mi-
nerve ; le vautour & le pivert à . M ars ; le
cocq, au même Mars, à Efculape, à
Apollon & à Minerve ; la colombe & le
moineau à Venus ; les alcyons à Tethys;
Je phénix au Soleil , & la cigale , efpece
d'infefte qui vole , à Apollon. Parmi les
poiffons , qui appartenoient tous à Nep-
tune, la conque marine, & le petit poif-
fon nommé Apua , que Feftus dit être
produit par la pluye, étoient chers à
Venus , & le barbeau , à Diane. Parmi
les arbres & les plantes, le pin étoit con^
Expl. par Vtëfl. Liv. III. Ch. X. 4;<j
fâcré à Cybele , 'à caufe d' Atys ; le hêtre
à Jupiter ; le chêne & fes différentes es-
pèces j à Rhea ; l'olivier , à Minerve ; le
laurier, à Apollon, après l'avanture de
Daphné; le rofeau, à Pan, après celle
de Syrinx; le lotus , & le myrte, étoîent
auiîî confacrés à Apollon & à Venus ; le
cyprès, àPluton ; lenarciffe&l'adiante,
qu'on nomme aullï le clou de Venus , à
Proferpine ; le frêne & le chiendent , à
Mars ; le pourpier , à Mercure ; le myr-
te & le pavot, à Cerès; la vigne St le
pampre, à Bacchus ; le peuplier à Her-
cule ; le dyftime & le pavot , à Lucine ;
Fa 1, aux Dieux Pénates ; l'aune, ie cè-
dre , le narcifle & le genièvre , aux Eu-
menides ; le palmier , aux Mufes ; le pla-
tane ; aux Génies; l'aulne , au Dieu Syl-
vain ; le pin à Pan , &c.
Si vous exceptez quelques raifons
fymboliques qu'on a rapportées en pa£-
fant , de ces fortes de confécrations , il
n'eft pas pofïïble de diviner les autres : il
y a apparence que , comme ancienne-
ment , & dès les premiers temps, l'Ido-
lâtrie ne connoifîbit pas toutes ces dif-
tin&ions, ni de Viftimes , ni d'êtres fpe-
cialement confacrés à quelque Divinité,
à Pexciufîon des autres , tout ce raffine-
ment fut imaginé par les Prêtres , qui fe
Vij
4^0 La Mythologie &les Fables
propofoient d'imprimer par-là plus de
vénération pour les Dieux,
La Viftime étant choifie de la maniè-
re que j'ai dit, on la paroit de rubans &
de bandelettes ; on lui doroit les cor-
nes , on mettoit fur fa tête des gâteaux,
Cî^toutccla du fruit &de l'encens mâle (i) ; c'eft ce
^eraiPp°our <}u?on appelloit l'immolation , immolant
Enfuite venoit la libation ; c'étoit du vin
qu'on prenoit foi-même , & qu'on fai-
foit goûter aux affiftans. Puis Ihabatur ;
c'eft-à-dire , que le Prêtre prenoit quel-
ques poils entre les cornes de la Vîôi-
me , les jettoit dans le feu , & enfin après
s'être tourné du côté de l'Orient , or-
donnoit au Viftimaire d'égorger la Vic-
time. A peine étoit-elle morte , que le
Prêtre lui enfonçoit dans les entrailles le
couteau facré, pour voiriî le Sacrifice
étoit heureux, an perlit atum foret > Se
l'Harufpice les examinoit, pour^en tirer
un augure favorable. Enfuite on coupoit
la Vi&ime en pièces, on lesfaifoil cuire,
& on les diftribuoit pour le feftin. Ceux
qui l'égorgeoient , étoient nommés Vie-
tïmarii, Popœ , Cultrariï. Le Prêtre , ou-
tre les habits deftinés à fes fondions , ne
manquoit pas de porter fur fa tête une
couronne de branches ou de feuilles de
£arbre qui étoit fpécialement confacré
Expl. par PHijï. Liv. III. Ch. X. 46r
au Dieu pour qui étoit le Sacrifice ; com-
me, de chêne pour Jupiter, de laurier
pour Apollon , de peuplier blanc pour
Hercule, de pampre pour Bacchus, de
cyprès pour Pluton ; ainfï des autres.
Mais comme il y avoit différentes for-
tes de Sacrifices, Pholocaufte , le Sacri-
fice expiatoire , le Sacrifice d'aétions de
grâces , & plufieurs autres, on agifîbit
différemment par rapport à la Viftime.
Dans Pholocaufte , elle étoit entière-
ment confumée par le feu , fans qu'il en
reftât rien. Quelquefois on repandoit
feulement le fang autour de Pautel ; on
brûloitdeffuslesgraiffes qui entouroient
les vifceres> & on emportait le refte, ou
on le mangeoit près du lieu même de
l'immolation. Il y avoit des portions
aufquelles le Prêtre feul avoit droit de
toucher, les autres étoient diftribuées
ou emportées. Il paroît même que par-
mi les Gentils , tout ce qui étoit pour Yur
fage de la nourriture ordinaire , fur-tout
la chair des animaux, avoit été offert
auparavant en Sacrifice ; & de-là vint
l'attention qu'avoient les premiers fidè-
les , lorfqu'ils vivoient au milieu des
Payens , de prendre garde de ne point
manger de viandes qui euffentété offer-
tes aux Idoles. Si cette idée, qui a été
Y iij
4^2 La Mythologie & les Fables
fuivie par quelques Auteurs , & qui pâ-
roît fondée fur l'Antiquité , n'eft pas
exaftement jufte , du moins eft-il vrai que
tous les feflins publics étoient précédés
de Sacrifices , dont on mangeoit les
viandes , ainfï que le dit formellement
* Athénée (i) : pour s'en convaincre , on
n'a qu'à lire Homère , Virgile , & d'au-
tres Anciens.
On peut conclure de ce qu'on vient de
dire, qu'il devoit y avoir dans les Tem-
ples , & dans les autres lieux où on fa-
crifîoit, différentes places marquées; les
unes pour préparer la Viftime , d'autres
pour l'égorger, d'autres pour en faire
cuire la chair, d'autres enfin pour célé-
brer le feftin ; lequel , quoiqu'un afte de
Religion , étoit fort gai , & toujours ac-
compagné de danfe , de mufique , &
d'hymnes chantés en l'honneur des
Dieux. Les Devins, chez les Grecs,
comme Calchas, Mopfus, Amphiarée,
& plulieurs autres; & les Harufpices
chez les Romains , affiftoient aux Sacri-
fices, pour confulter les entrailles de la
Viftime , & en dire leur fentiment. C'é-
toient eux qui ordonnoient le temps, la
forme, & la matière des Sacrifices, fur-
tout dans les occalîons importantes ; &
on ne manquoit guère alors de les con-
Ëxpl. par PHijl. Liv. III. Ch. X.^6^
fulter , & de fuivre leurs décidons.
11 n'étoit pas toujours neceffaire de
Conduire la Viftime vivante auprès des
Autels , puifque faute d'autres animaux,
on en alloit tuer à la chaffe , comme nous
l'avons dit, pour les immoler enfuite.
L'animal même n'étoit pas offert entier
aux Dieux ; les cuifTes étoicnt le mor-
ceau qui leur étoit deftiné , ainfî que Pau-
fanias (i) l'a remarqué en gênerai pour ^OinAt^!.
les Sacrifices des Grecs; & on faifoit pf^W A
brûler cette partie de la Viftime fur un
feu clair , de bois coupé par éclats.
Apollonius de Pvhodes (2) dit la même (1) |iîv. 1.
chofe : Ils égorgent, dit-il , deux bœufs 5 * 43i*
les coupent par quartiers, & enfuit e par
morceaux, ils en feparent les civffes voti-
ves ; & après les avoir couvertes de la
gra'Jfe , ou de Tomentum qui ef gras , ils
les font griller fur des éclats de bois.
Les libations accompagnoient tou-
jours les Sacrifices : c'étoit une liqueur
qu'on repandoit en l'honneur du Dieu à
qui on offroit le Sacrifice , & fou vent le
Sacrifice même n'étoit qu'une fimple li-
bation. Anciennement ce n'étoit que de
l'eau qu'on repandoit , lorfque Pufage
du vin n'étoit pas établi , ou ne l'était
qu'en quelques endroits; & ce qui pa-
roîtra furprenant , c'eft que pkifieurs
V iiij
4^4 La Mythologie & les Fables
Peuples qui celebroient les Orgies , oh
les Bacchanales , ignoroient , ou du
1 1 J i;r. i moms ne faifoient aucun ufage du vin.
' Les Perfes , au rapport d'Hérodote ( i ),
nebeuvoient que de Peau. On doit dire
k même chafe des Nations du Pont, des
Cappadociens , & des Scythes. Com-
ment les Arcadiens, qui anciennement
ne vivoient que de glands , ou plutôt de
quelques châtaignes fauvages ; comment
les Troglodytes , le Lfthyophages , Se
une infinité de Peuples errants , qui vi-
voient au milieu des bois ou dans des
grottes , auroient-ils connu lufage du
vin ? Ils avoîent cependant une Reli-
gion^ des Sacrifices &: des Libations»
Des Peuples même plus polis, & qui en
connoiiîoknt l'ufage , tels que les E-
De îfid gyptiens , n'ofoient , fi nous en croyons
k ofc! * ' Plutarge (2 • , en porter dans les Tem-
ples. En effet avant Pfammeticus , les
Egyptiens n'en ufoient point du tout*
& n'en offroient point à leurs Dieux,
croyant qu'il ne leur étoit pas agréable,
puisqu'ils le regardoient comme le fang
des Titans , qui mêlé avec la terre , après
que Jupiter les eut foudroyés, avoit pro-
duit la vigne.
Quoiqu'il n'y eût point de temps mar-
qué pour les Sacrifices particuliers y oa
Expl.parPHiJl. Lïv. III. Chap. X. 465*
ebfervoit cependant très-religieufement
dans les Sacrifices publics , de prendre
le matin pour les Dieux celeftes , & le
foir ou la nuit, pour les Dieux terres-
tres ou infernaux. Les Sacrifices faits en
l'honneur de ces derniers, exigeoient des'
cérémonies quileur étoient particulières.
On ne leur immoloitque des vi&imes
noires ; on faifoitune foffepour enrece-
voir le fang , & on y jettoit le vin de la-
libation. On brûloir la viftime entière
comme dans les holocauftes , fans en re-
ferver rien pour le feftin ; car il n'étoit
pas permis de manger les viandes qui
étoient offertes aux Dieux infernaux <5c
aux Mânes (1). rn Voyew
* Enfin il eft bon de remarquer après* oree~"
Lucien (2) , que les Sacrifices étoient 00 Detfao»-
differens félon la qualité des perfonnes*-
Le Laboureur , dit-il , immole un bœuf;--
k Berger y tm agneau ; le Chevrier, une-
chevre : il y en a qui n'offrent que de [im-
pies gâteaux ou de V encens \ & le pauvre
faitjonfacrifice en baifantfa main droite»-
Remarquons encore que les Sacrifices
étoient devenus fi communs, qu'on erv
offroit dans prefque toutes les occafïons
de la vie ; puifqu'outre. ceux qui éioienfc:
prefcrits par les Rituels, les Généraux.
d'armée en. officient avant la bataàUe^
^66 La Mythologie & les Fables
amiî qu'on le voit dans les anciens Au-
j):nMen. teurSjparticulierementdansPaufanias (i):
ceux qui vouloient fonder quelque ville,
(i) ibid. comme ilparoît par le même Auteur (2) :
lorfqu'on vouloit entreprendre quelque
voyage : dans les maladies , dans.les af-
faires y après quelque fonge ; enfin on
n'entreprenoit rien de considérable, fans
avoir auparavant imploré le fecours des
Dieux par cetafte de Religion.
;3) Prep. Eufebe rapporte (3) un païîàge de
»ng- ' 3' Porphyre au fujet d'un Oracle d'Apol-
lon 3 qui prefcrivoit la forme des Sacri-
» fices. » Il y a, difoit Porphyre, d'après
» un Oracle \ des Dieux de la terre , &
» des Dieux des enfers. On leur offre
» des victimes à quatre pieds , de cou-
* leur noire ; mais avec cette différence ,
» que pour les Dieux terreftres , on pre-
» fente les vi£Hmes fur des Autels , &
» pour les Dieux infernaux dans des fo£»
» fes, & dans des lieux creux. Aux Dieux
» de Fair on immole les oifeaux , dont
» on brûle tout le corps en holocaufle ,
* & dont on répand le fang autour de
» l'Autel. On offre aufli des volatiles
» aux Dieux marins , mais il faut qu'on
* jette la libation dans les flots , & que
» les oifeaux foient de couleur noire ».
D'où Ton peut conclure cja'on offroit
Expl.parrnljl.Uv.îlî. Ch. X. 467
aux Dieux celeftes des oifeaux blancs,
ainfi que les vi&imes blanches , comme je
l'ai déjà remarqué. Mais il faut obferver
encore, r. qu'à Rome, lorfque la vic-
time avoit quelques taches , on la blan-
chiiîoit avec de la craye , & cette forte
de vi&ime s'appelloit , bos cretatus.
2°. qu'on offroitaux Dieux terreftres des
bêtes à quatre pieds , pourvu qu'elles
fuiTent noires ; comme devoit être le co-
chon qu'on immoloit à Cerès , parce
que , comme le remarque le même Por-
phyre , la terre eft de couleur brune.
3~. Enfin, que comme les bandelettes ,
dont on ornoit la tête des viftimes offer-
tes aux Dieux du ciel , dévoient être
blanches , celles dont on paroit les ani-
maux deftinés aux Sacrifices qu'on faifoit
aux Dieux terreflres & infernaux dé-
voient être noires (a).
Les Sacrifices ne fe faifoient pas tou-
jours , comme on l'a remarqué , en im-
molant des animaux : fouvent on ne
prefentoit aux Dieux que des fruits & des
plantes, comme à Pomone & à d'autres
Divinités ; fouvent delà farine cuite, ou
des gâteaux de fatine de bled , ou d'or-
|V] le mot litin cœnclcus , dont on fe fert pour exprimer
la couleur de ces bandelettes , eft fouvent pris par les meil-
leurs Aireurs , pour marquer le noir , quoiqu'il s'entende
ordinairement du bleu foncé
V vj
468 La Mythologie & les Fables
ge. Les Grecs en offroient dans tous leurs
Sacrifices , de quelque nature qu'ils fuf-
fent. Homère nomme ces gâteaux &>#%>-
••ruç ; d'autres s'appelloient popaua & pro~
■fhymata-y & ceux-ci étoient principale-
ment offerts à Efculape. Une autre for-
te de gâteau étoit nommé bos , le bœuf,
farce qu'on y figuroit des cornes , &
il étoit deftiné à Jupiter celefte , à A-
pollon , à Diane , à Hécate & à la
Lune. Il y en avoit d'autres qu'on nom-
moit melyta , parce qu'ils étoient pétris
avec du miel , & ceux-ci étoient offerts
à Trophonius. Enfin, pour tout dire,
51 y avoit une autre forte de gâteaux ,
qui fe nommoit Artfca, une autre appel-
■îéeHygiea, qu'on offroit à la DéefTe de
la fanté.
A Rome c'étoitavec de la farine de
bled & du fel , que fe faifoient ces gâ-
teaux j qu'on nommoit Ador , & les Sa-
crifices qu'on en faifoit Adorea Sacrifi-
cia. Suivant la Loi de Romulus , ces gâ-
teaux dévoient être cuits au four; &il
inftitua pour cela la Fête appellée For-
tiacaïia • d'où vint dans la fuite la DéefTe
Fornax.
Après que la viétime étoit égorgée,,
\\ y avoit des Miniftres qui tenoient des
irafes prêts pour en recevoir le iàng.*
Explpar PHift. Liv.IIL Ch.X. 469
d'autres qui avoient à la main des inftru-
mens , ou pour l'écorcher , ou pour la
couper en plufieurs morceaux. J'ai dit
que l'Harufpice, le Flamine, ou le Prê-
tre examinoit les entrailles delà viétime,
Exta , pour en tirer des Augures favo^
râbles, il faut ajouter ici, i°. que le
cœur , le foye, le poulmon &la rate,
étoient le principal fujet de leur atten-
tion : 2°. que c'étoit de l'infpeâion de&
entrailles , qu'étoit venue la manière de
deviner, qu'on nommoit Extifpicium ~
30. qu'on obfervoit auïïï le mouvement
delà queue , au moment que la viôime
©xpiroit. Si elle fe tordoit, cela mar-
quoit une entreprife difficile : lorsqu'el-
le fe tournoit en bas, on en auguroit*
une défaite ; & fi elle s'élevoit en haut 5
c'étoit la marque d'un triomphe completr
40. qu'on tiroit encore des prefages fur
la manière dont l'encens petilloit en brû-
lant , ainfi que de la fumée «Se de fes dif-
ferens mouvemens ou contours.
Lorfque le Sacrifice étoit fini , fi l'au-
gure en étoit favorable , c'étoit alors un
Sacrifice parfait, ce qu'on exprimoit par
Ife feul mot Lit are ; car tous n'étoient pas
agréables à la Divinité à laquelle on les
odîroit, comme le dit Martial ( 1 ) , [1] iiv. »,
ïaten qiiacumquç manu viCîima exfa Ut ai, * '
47^ La Mythologie & les Fables
«InPœn. piaute dit auffi (l) ,
5/ Hercule iftv.c unquamfafium efl , mm me
JiipterfaciatyUtfim^erfùcrifcem^nuncjianliie'm.
Si je fuis coupable de ce dont vous rrïac*
cujezyje confens que Jupiter ne reçoive fa-
vorablement aucun des Sacrifices que je lui
offrirai.
Ainfî il ivy avoit point de véritable
Sacrifice fans la Litation , s'il efl permis
de rendre ce motfrançois.
Tous les Afliftans étoient obligés de
garder le filence pendant qu'on égorgeoit
la viétime > & qu'elle brûloit fur l'Autel :
dans l'intervalle de ces deux opérations ,
on pouvoit s'entretenir les uns avec les
autres ; d'où étoit venu le proverbe ,
inter cœfa& porrecîa.
Lorfque le Prêtre alloit facrifier , un
Héraut crioit devant lui , hoc âge, foyez
uniquement attentif à ce que vous allez
faire. Et en Grèce , lorfqu'il approchoit
de l'Autel y il demandoit ; Qui efl ici ?
êc les Afliftans rep ondoient : Plufeurs
pers de bien. Alors le Prêtre prononçoit
la formule , Loin dywi toutfcelerat , que
les Romains rendoient par ces mots ,
procul ejle prof ara. On avoitfur-tout grand
foin d'enchalTer les voleurs , les meur-
triers , & tous les gens de mauvaife vie :
mais cela n'étoit pas gênerai > du moins
Expl.par PBJî. Liv.IIL Cx apX 471
dans la Grèce , pour tous les Sacrifices.
Les Prêtres qui facrifioient avoient
ordinairement la tête voilée ; je dis or-
dinairement , parce qu'il y avoit des Sa-
crifices où ils dévoient être tête nue. On
n'eft pas trop d'accord fur cette diftinc-
tion ; cependant Fabretti (1) croit qu'on (i)CoLTïA
fe voiloit la tête , pour facrifier aux douze p' l69'
grands Dieux , & qu'on facrlfioit aux
autres la tête découverte. Plutarque
femble infinuer que le Prêtre ne fe cou-
vroit la tête que lorfqu'il facrifioit aux
Dieux celeftes , puifqu'il dit que celui
qui offroit le Sacrifice à Saturne , avoit
la tête nue , parce que c'étoit un des
Dieux infernaux. Les bas-reliefs antiques
qui reprefentent les Sacrifices , tels qu'on
peut les voir dans le P. de Montfaucon
(2) Se ailleurs , n'autorifent gueres ces Ci) Anc.Efp*
diflinftions. On fçait feulement qu'en T'z*
Grèce , le Sacrificateur étoit toujours
tête nue.
Le Prêtre , avant que de facrifier y
devoit s'y préparer fur-» tout par la con-
tinence , durant la nuit qui le précedoit *
& par l'ablution ; & c'eft pour cela qu'à
l'entrée du Temple il y avoit ordinaire-
ment de l'eau , où il fe purifioit. Il paroît
qu'anciennement on alloit fe laver dans
quelque fleuve > du moins Virgile (3) fait (i)En.L.a*
4?2 La Mythologie & les Fables
dire à Enée prêt à offrir un Sacrifice r
qu'il ne facrifiera point avant que de
s'être purifié dans Peau d'un fleuve :
Donec meflumine vivo
Abluero.
Mais il eftbon de remarquer que cette:
ablution n'étoit requife que dans les Sa-
crifices qu'on offroit aux Dieux céleftes;.
l'aiperfion étant fuffifante pour les Dieux;
terreftres & infernaux. On ne facrifioit
jamais à Rome, qu'on n'eût' commencé
par adreffer une prière à Janus , par la
raifon , dit Ovide , qu'il étoit gardien de-
la porte qui conduifoit aux autres Dieux.
Cette prière étant finie , on en faifoit une.
féconde à Jupiter , puis une troifieme à
Junon , ou félon d'autres , à.Vefta. Le
Prêtre faifoit enfuiteplufieurs fois le tour
de l'Autel , &portoitlamainàlabouche;
puis il verfoit du vin fur le même Autel
avec la patere : enfin il ordonnoit au Vic-
timaire de frapper la victime ; ce qu^il fai-
foit , ou avec le' couteau nommé Stctf-
pita , ou il l'aïTommoit d'un coup do
maillet.
Le P. de Montfaucon (i) explique la
plupart des Sacrifices qu'on trouve en-
core reprefentés fur des marbres , & fun
des bas-reliefs; ce qui me difpenfe d'enu
garlerici; d'autant plus que fes exglka-
Expl. par PHift. Li v.III. ChapX 475
tions fuppofent les figures qu'on doit
avoir devant les yeux ;inais comme par-
mi le grand nombre de ces Sacrifices , il
y en avoit de plus folemnels que les
autres , tels que font PHecatombe , le
Taurobole , le Criobole , & quelques
autres , je crois qu'on attend de moi que
j'en donne ici un détail abrégé. Hécatombes.
Dans les grandes victoires , ou dans le
temps de quelque calamité publique , on
immoloit quelquefois dans le même Sa-
crifice , jufqu'à cent bœufs , ou cent
autres animaux ; c'eft ce qu'on appelloit
Hécatombe : quelquefois jufqu'à mille ,
ce qui e: 6k très-rare , & c'eft ce qu'on
nommoit Chillombe.
Capitolin (1) parlant de l'Hécatombe [i]lnBalfe*
qui fut offerte par l'Empereur Balbin ,
après la défaite de Maximin , nous ap-
prend en même temps de quelle manière
s'offroit cette forte de Sacrifice. » On
» drefle en un lieu marqué cent Autels
» de gazon, & on immole cent moutons
» & cent cochons ; fi le Sacrifice eft Im-
* perial , on immole cent lions , cent
^ aigles , âc cent autres animaux. Les
» Grecs , ajoutecet Auteur , faifoientla
» même chofe lorfqu'ils étoient affligés
» de la pefte. » Athénée ajoute qu'on en
wfoit de même après des vi&oires fîgna^
474 fyf Mythologie & les Fablef
lées , ôc cite pour cela l'exemple de Co-
non, Capitaine Lacedemonîen; qui offrit,
dit-il , une vraie Hécatombe. Par ce mot
de vraie Hedatombe , l'Auteur nous fait
entendre que ce General fît immoler vé-
ritablement cent boucs , car quelquefois
on donnoit ce nom à des Sacrifices , où
les cent animaux étoîent d'une autre ef-
pece.Par le partage de Capitolin , on peut
réfuter l'erreur de ceux qui foutiennent
que l'Hécatombe étoit ainfi nommée 9 à
caufe des cent bœufs ou taureaux qu'on
y immoloit. Hefychius ôc plufieurs autres
Auteurs , confirment ce que dit Capito-
lin , qu'on facrîfioit dans les Hécatombes,
d'autres animaux que des boeufs. Au refte
ce Sacrifice étoit très ancien , puifqu'il
• en eft fait mention dans Homère ( i ) , qui
dit que Neptune alla en Ethyopie rece-
voir le Sacrifice des Hécatombes , de
taureaux & d'agneaux. On fçait que Py-
thagore offrit une Hécatombe , pour
avoir trouvé la démonflration de la qua-
rante-feptieme propofîtion du premier
Livre d'Euclide.
Nous ne devons pas oublier le Sacri-
fice d'Agrotere , où l'on immoloit cinq
cens chèvres tous les ans à Athènes , en
Phonneur de Diane , furnommée Agro~
tere, foit de la ville Agros dans TAttique >
ExpLpar VHifl. Liv.III.Chap.VL 47;
foit d'un furnom de cette DéefTe , qui lui
fut donné, félon Rhodiginus, parce qu'el-
le étoit toujours dans les champs. Xeno-
phon rapporte l'inftitution de ce Sacri-
fice , au vœu que firent les Athéniens
d'immoler à cette DéefTe autant de chè-
vres , qu'ils auroient tué de Perfes ; mais
ils en firent un tel carnage , qu'il fut im-
poiîible d'accomplir ce vœu à la lettre ,
ce qui les obligea à faire un Décret , par
lequel ils s'engageoient d'immoler tous
les ans cinq cens chèvres en fon honneur;
ce qu'ils continuoient encore du temps
de cet Hiftorien.
Le Taurobole étoit un Sacrifice offert
à la mère des Dieux. Ce Sacrifice ne pa-
roît pas avoir été connu dans les premiers
temps du Paganifme , puifque la plus an-»
cienne Infcription qui en faiTe mention,
& qui efi celle qui fut trouvée à Lyon
en 1704. dans la Montagne de Four-
viere , nous apprend que ce Taurobole
fut offert fous le règne de l'Empereur
Antonin, l'an de Jefus-Chrift 160. Une
finit aufli que fort tard ; la dernière Inf-
cription qu'on en connoifTe , efl: de l'Em-
pire de Valentinien III.
Comme perfonne n'a mieux expliqué
les cérémonies du Taurobole que M. de
Bofe , dans la DifTertation qu'il fit fur
47^ La Mythologie & les Fables
rïlNdesmBd. Inscription de Lyon (i) , j'y renvoyé-
icttr.T. 3. les Curieux ,• me contentant, pour en
donner quelqu'idée , d'obferver que ce
n'efl gueres que par les Inscriptions qu'on
eonnoît cette forte de Sacrifices , les An-
ciens , du moins ceux qui nous reftent ,
gardant fur cet article un profond filence;
û on en excepte Julius Firmicus , Au-
teur chrétien , Prudence , Se peut-être
Lampridius , qui parlant d'Heliogabale,
dit qu'il étoit fi dévot à Cybele , qu'il
recevoit le fang des taureaux qu'on im-
moloit à cette Déefle. Ce Sacrifice étoit
offert à Cybele pour la confecration du
Grand Prêtre , pour l'expiation des pé-
chés , ou pour la fanté du Prince , ou
de ceux qui l'offroient. C'étoit une es-
pèce de baptême de fang, dans lequel
on croyoit trouver une renaiffance fpiri-
tuelle , & dont le rit & les cérémonies
étoient différentes des autres Sacrifices.
Mais comme le Poète Prudence fait une
defeription détaillée du Taurobole,nous
allons donner, pour mettre nos Leâeurs
au fait , une traduftion de fes vers.
» Pour confacrer le Grand Prêtre,
» dit-il , c'eft-à-dire , pour Tinitief au
y> Taurobole , onfaifoit une grande foffe,
» dans laquelle il entroit , paré d'un habit
:» extraordinaire ^ & portant une cou-r
ExpLpar PHiJl. Liv.III. Ch. X. 477
*> ronne d'or, avec une Toge de foye,
» ceinte à la manière des Sabins. Au
« deffus de la foffe , il y avoit une ef-
» pece de plancher , dont les planches
» mal jointes laiflbient plufieurs fentes ,
» & outre cela , on les perçoit de plu-
» lîeurs trous .... On amenoit enfui-
» te un grand Taureau couronné de fef-
» tons , portant fur les épaules des ban-
» delettes couvertes de fleurs , & ayant
*> le front doré. On égorgeoit cette vic-
»-time, enforte que le fang tout chaud,
*> & à grands flots , couloit fur le plan-
*> cher , lequel étant criblé de trous , laif-
*> foit tomber dans la foffe comme une
« pluye de fang , que le Prêtre recevoir
» fur fa tête , fur fon corps , & fur fes
» habits. Non content de cela , il ren-
» verfoit aufîî la tête pour recevoir ce
» fang fur fon vifage, il en faifoit tora-
y> ber fur lune & fur l'autre joue , fur fes
» oreilles , fur fes lèvres , fur fes narines ;
» il ouvroit même la bouche , pour en
» arrofer fa langue , & en avaler. Lorf-
» que la viétime avoit rendu tout fon
*> fang , on la retirait , Se le Grand Prê-
*> tre fortoit delà foffe. C'étoit un fpec-
* tacle horrible que de le voir ainfi latê-
*> te couverte de fang , la barbe chargée
» de grumeaux, & tous fes habits fouil-
47 S La Mythologie & les Fables
» lés. Cependant lorsqu'il paroiffoit >
» tout le monde le faluoit , & l'adoroit
» même fans ofer en approcher, le re-
» gardant comme un homme purifié &
*> fan&ifié ».
Ceux qui avoient ainiî reçu le fang
tîu Taurobole , portoient le plus long-
temps qu'ils pouvoient leurs habits ainiî
fouillés y comme une marque fenfible de
leur régénération.
2°. Ce n'étoit pas toujours pour les
particuliers que fe faifoit le Taurobole :
on en faifoit la cérémonie pour les Corps
de Ville , pour des Provinces entières ,
pour la profperité de l'Empereur , &c.
Quelquefois ces régénérations étoient
pour vingt-ans ; quelquefois enfin PAr-
chigalle , ou le Grand Prêtre de Cybë-
le, l'orclonnoit dans certaines occa-
fions (a).
3°. Ce Sacrifice de régénération n'exi-
geoit pas toujours qu'on immolât un
Taureau :1a v;étime étoit quelquefois
un bélier , & alors il fe nommoit Criobole.
Quelquefois une chèvre, & alors il por-
toitle nom à'Egibole y ou ALgobole. Plu-
lîeurs Sçavans ne conviennent pas que
cette dernière vi&ime ait été employée
(a) Tout cela eft tiré des Infcriptions , & de la Diflèrta-
tion de Mon/leur de iiofe.
Expl.par PHiJl. Liv. III. Ch. X. 47P
dans les Tauroboles , mais feulement le
taureau , & quelquefois le bélier , lors-
qu'on vouloir honorer Atys, favori de
Cybele , à laquelle le Taurobole étoit
uniquement confacré;quoique Duchoul,
Cambden, Selden & quelques autres
ayent cru qu'il s'oiFroit auflï à l'honneur
de Diane.
Finiflons ce Chapitre par quelques ob-
fervations générales au fojet des formu-
les de prières qu'on y faifoit. Comme on
croyait que iesDieux eux-mêmes a voient
dicté ces formules . en les regardoit com-
me quelque chofe de fi eflèntièl . que il
celui qui étoit chargé de les prononcer,
en oublioit ou tranfpofoit feulement
quelque mot , on étoit perfuadé que le
Sacrifice devenoit inutile. Aaflî quand
le Confiai Decius fe dévoua aux Dieux
infernaux , & avec lui les Trouoes en-
nemies , il avertit le Pontife Valere Ma-
xime de prononcer exactement la formu-
le prefente en cette occafion. Il y avoit
même des hommes prépofés pour pren-
dre garde qu'on n'oubliât rien du For-
mulaire ; , & pour qu'ils puiTent enten-
dre celui qmleprononçoit, fansenoer-
dre aucune parole, ils impofoient filer -
ce aux AMans. La plupart de ces for-
mules, fi nous en croyons Jamblique (i),f !) D^Myft.
480 LaMjthologie & les Fables
comme celle de la Theurgïe , efpece de
magie dont on parlera dans la fuite,
avoient d'abord été compofées en Lan-
gue Egyptienne , ou en Langue Chal-
daïque. Les Grecs & les Romains en les
traduifanty avoient laifle beaucoup de
mots de ces Langues étrangères, ce qui
les rendit fouvent un langage barbare &
inintelligible, mais toujours d'autant plus
refpeftable qu'il étoit plus inintelligible
& plus barbare.
CHAPITRE XL
Des Inflrumens dont on fefervoit dans les
Sacrifices & dans d? autres Cérémo-
nies religieufes.
APre's avoir traité des Sacrifices
& des Viétimes , je dois parler des
Inflrumens facrés ; mais comme il eft
difficile d'en faire bien entendre la def-
cription fans figures, les Le&eurs auront
recours aux Antiquaires qui les ont fait
graver.
Celui qu'on nommoit Acerra, étoit un
coffret dans lequel on mettoit l'encens ,
à-peu-près comme nous en avons dans
nos Eglifes ; car ceux des Anciens , que
le temps nous a confervés , & qu'on voit
dans
Expl.par PWflUrJWCnk^ XL 4S1
•dans les cabinets des curieux , n'étoient
pas faits fur le même modèle , ni de me-
me meral. Ce coffret ou cette boè'te de
parfums , fe voit fouvent fur les Monu-
mens anciens , entre les mains des Ca-
milles , quelquefois entre celles des
Veftales.
L'Encenfoir , ou Thurtbulum , étoit
connu des Anciens . mais on n'en voit
aucune reprefentatkm dans les Monu-
mens. Les Grecs nommoient cet inftru-
ment Thymiaterion , & on voit bien quel
en devoit être Tufage.
Le Preftricule étoit un vafe qui con-
tenoit la liqueur dont on fe fervoit dans
les Libations. Le Difque, un Baffin où
Ton mettoit les viandes des viétimes.
LAfperfoir. qui étoit à-peu-près com-
me hs nôtres , de crin de cheval , ou de
quelqu'autre animal , avec un manche ,
fervoit pour les afperfîons d'eau luftrale,
qui étoit contenue dans un vafe , dont
les monumens nous ont confervé quel-
que reprefentation.
La'Patere, étoit un inftrument ordi-
nairement rond , un peu creux , & avec
un manche. Elle fervoit à recevoir la li-
queur qu'on y verfoit du vafe , & à la ré-
pandre fur la viftime ; ce que Virgile
explique très-nettement :
Tome I. X
482 La Mythologie & les Fables
Ipfa temni àtxtrâ pateram pîiLhenima Dido
Cadentis vaccx rntUia zraer cornuafudit (1).
La belle Didon tenant la patere de la
main droite, la verfa entre les cornes de
la Genijfe blanche. Cet infiniment, fait
de differens métaux , avec quelques va-
riétés pour fa forme , eil celui que lç
temps a le plus refpefté , & il y a peu
d'Antiquaires qui n'en ayent plusieurs.
Le Simpulum , qui approchent affez
par fa forme de la Patere , étoit une cf-
pece de cuelller , dont , félon Feftus, on
fe fervoit dans les Sacrifices pour faire
. les Libations du vin. Pline (2) nomme
cet inftrument Simpuviurn , & dit qu'il y
en avoit de terre cuite.
Le Bâton augurai , qu'on appelloit
Lituus, ainfi qu'une forte de trompette,
étoit un peu recourbé par le bout , & les
Augures , qui vouloient examiner le vol
des oifeaux pour en tirer quelque préfa-
ge 5 le tenoient à la main : on le trouve
communément fur les Monumens & fur
les Médailles.
. Le Maillet , mulleus , fervoit pour al-
fommer la victime , aînfi que la Hache ;
car on voit ces deux fortes d'inftrumens
fur les bas-reliefs indifféremment entre
les mains des Vi&imaires.
Le Secêjpita , étoit un Coutelas qui
Expl. par VHift. Lïv. III. Ch. XL 4^
fervoit à égorger la viâime : il y en avoit
de différentes formes , & même àguaîne.
La définition qu'en donne Feftus eft
julte : c'étoit, dit-il , un couteau de fer,
long , à manche rond & d'y voire , orné
au pommeau de bandes d'or & d'argent,
dont les Flamines & les Pontifes fe fer-
voient pour facrifier.
Le Ligula , ou Lingulay était une ef-
pece d'Efpatule dont fe fervoient les
Harufpices pour fouiller dans les entrail-
les des vi&imes.
Le Candélabre étoit un chandelier à
plufieurs branches, fur lequel on met-
toit les torches qui brûloient pendant le
Sacrifice.
Le Dolabrey un grand couteau qui
fervoit à découper la viftime {a).
VEnclabrèsy dont parle Miffon dans
fon Voyage d'Italie , étoit la Table fur
laquelle on pofoit lavi&ime, pout en
confiderer plus commodément les en-
trailles , & en tirer les augures.
UOfïa y étoit la Marmite dans laquel-
le les Prêtres faifoient cuire la portion
de la vi&ime, qui leur avoit été deftinée.
La trompette étoit une efpece de Cor
ou de Clairon, dont onfonnoit dans la
(a) On en trouve la reprefentation dans le cinquième
Tome des Mémoires de l'Académie des Belles -Lettres.
Xij
484 Lu Mythologie & les Fables-
cérémonie des Hécatombes ; mais dans
tous les Sacrifices c'étoit toujours un
joueur de flûte, qui accompagnoit la
yiftime , lorfqu'on la conduifoit dans le
lieu 011 on devoit l'immoler, & qui jouoit
de ks deux flûtes pendant le Sacrifice ,
comme on le voit dans prefque tous les
monumens qui nous reftent fur ce fujet.
UUrceolas, étoit unpetit va e,de bron-
ze y d'argent , de terre , ou de quelque
autre m aller e , qui avoit un col retreffi ,
oc l'ouverture large , à peu près comme
&os burettes, que portaient les Miniftres
fubalternes , pour laver les mains des
Prêtres. On en trouve fouvent , fur les
monumens antiques , entre les mains de
Ces fortes de Miniftres.
Quoiqu'on ne doive pas mettre les
Trépieds au nombre des Inftrumens dont
onfe fervoit dans les Sacrifices , cepen-
dant comme il y en avoit fouvent dans
les Temples ? fur-tout dans ceux d'A-
pollon , & qu'ils fervoient quelquefois à
îbutenir les vafes facrés , il eft neceifaire
d'en dire ici quelque chofe. Sans m'ar-
rêter à la diftin&ion d' Athénée qui n'en
admet que de deux fortes , qui fe redui-
fent aux grands Se aux petits Trépieds ,
je les divife en trois efpeces. Je mets dans
la première , ceux qui fervoient à la Py-
ÊxpLparPHift. Liv. IILCh. XL 48}
Ihîe lorsqu'elle rcndoit les Oracles d'A-
pollon dans le Temple de Delphes.
Comme l'exhalaison qui lui înfpîroit Ta-»
venir fortoit d'une caverne , aînfi que
nous le dirons dans l'Hiftoire des Ora-
cles, & qu'on pouvoity tomber en s'en
approchant de trop près , ce qui étoit
arrivé quelquefois, on inventa une ma-
chine foutenuë fur trois pieds qui por
foientfurle roc, & la PrêtrefTe s'y af-
feyoit , pour recevoir commodément &
fans danger l'exhalaifon de la caverne.
C'eft cette forte de Trépieds dont il efl
tant parlé dans PHiftoire ancienne. La
féconde efpece comprend tout ce qui
étoit appuyé fur trois pieds , vafes , ta-
bles , ou quelque autre chofe que ce fut ;
& de ceux-ci il y en avoit un grand nom^
bre. Je mets dans la troiiîéme les Tré-
pieds votifs , que des Princes ou des
Particuliers confacroient dans les^ Tem-
ples d'Apollon. Hérodote ( 1 ) parle (l) LiV-
d'un Trépied d'or , que les Grecs vic-
torieux des Perfes envoyèrent à Del-
phes : Dans le partage qu'Us firent de?
dépouilles des ennemis ? dit cet Auteur,
ils mirent V argent à part , en prirent un
dixième , pour le Dieu qu'on honorait à
Delphes \ & ils firent de cette portion un
Trépied $or qifils lui confacrerent , &
X iij
486 La Mythologie & les Fables
qu*on 'voit encore fur un Serpent d? airain à
trois têtes. Il paroît par ces dernières
paroles , que ce Trépied d'or étoit fou-
tenu fur un autre efpece de Trépied re-
prefenté par les trois têtes d'un ferpent ;
ce qui eft confirmé par Paufanias, qui
« inPhoc dit (1), que le Trépied d'or donné par
les Grecs 5 après la bataille de Platée ,
étoit foutenu par un dragon d'airain.
On ne s'attend pas que je mette dans
aucune de ces efpeces de Trépieds , ceux
dont parle Homère , qui alloient tous
feuls à TeiTemblée des Dieux : fiai on
poétique par laquelle il a voulu nous
faire comprendre l'excellence des ouvra-
ges de Vulcain.
Rien n'eft plus commun dans les ca-
binets des Curieux , & dans les ouvrages
des Antiquaires que les Trépieds, on y
en trouve de toutes fortes de figures ,
& même d'ailez fînguliers. La plupart
font d'airain ou de bronze.
CHAPITRE XII.
Des Prêtres , & des autres Minières
des Sacrifices.
APre's avoir parlé des Sacrifices,
desVi&imes^ & des Inftrumens
Èxpl.par PHiJl. Li v. III. Ch. XII. 487
dont on fe fervoit pour les immoler , il
faut maintenant dire quelque chofe des
Prêtres & des Miniftres. Comme il n'y
a point de Nation , quelque fauvage
qu'elle foit , qui n'ait quelque Religion ,
il n'en eft aucune auflî qui n'ait des Mi-
niftres pour y prefider; mais nous ne par-
lerons gueres dans ce Chapitre, que de
ceux des Grecs & des Romains. Le nom
gênerai que les premiers de ces deux
Peuples donnoientàleurs Prêtres, étoit
celui de i'fpm^ quoiqu'ils differaffent en-
tre eux par des noms & par des fondions
particulières. Pour en parler avec quel-
qu'ordre , nous prendrons pour guide
rilluftre M. Potter qui a fait un excellent
Ouvrage fur l'Archéologie Grecque.
Je crois d'abord , comme je l'ai déjà
înfinué , qu'anciennement le Sacerdoce
appartenoit aux Chefs de famille ; du
moins avoient-ils la liberté de facrifîer,
quoiqu'il y eût des Prêtres d'office: c'eit
ainfi qu'au fiege de Troye y pendant
que Chrysés & d'autres encore étoient
Prêtres , nous voyons dans Homère que
les Rois , les Princes , & les Chefs de
l'armée , ne laiffoient pas d'offrir des
Sacrifices.
Lorfqu'il s'agiiîbit de choiilr unPrêtre,
on examinoit fa vie, fes mœurs , & :;.
X iiij
*4$3 La Mythologie & les Fables
me fes qualités corporelles , & il falloit
qu'il fût exempt des défauts qui cho-
quent; à peu prés comme nous voyons
que dans l'Ecriture Sainte les borgnes,
les boiteux, lesboffus, Sec. étoient ex-
clus du Sacerdoce. Les Athéniens de-
mandoient même dans les Miniftres de
la Pveligion, une vie chafte & pure , &
on fçait que leurs Hiérophantes fe fer-
voient de quelques herbes froides , com-
me de la ciguë, pour devenir continens.
Généralement il étoit permis aux Prêtres
de fe marier ; fouvent les fécondes noces
leur étoient interdites , quoique PHiftoi-
re nous apprenne que cette règle n'a pas
toujours été obfervée.
Les Grecs & les Romains avoient une
Hiérarchie, des Souverains Pontifes,
des Prêtres, & des Miniftres fubalternes-
qui les fervoient dans leurs fondions ;
mais comme les Grecs étoient divifés en
plulîeurs Etats indépendants les uns des
autres , cette Hiérarchie n'étoit pas par-
tout uniforme. Il y avoitmême des Vil-
les, comme Argos & quelques autres,
où les femmes préfîdoient à la Religion.
Rien n'eft. plus célèbre que ces Prêtref-
fes d' Argos , puifque leur Sacerdoce
fervoit d'époque dans les évenemens
publics. Les noms de la plupart de ces.
Èxpl.parPH'iJl. Liv.III. Ch.XII. 489
Prêtreifes n'étoient plus connus, lorfquc
J\Zt. Fourmont le jeune trouva, pendant
fon voyage de la Grèce, une Infcrip-
tion fort étendue qui en contient un am-
ple catalogue, & dont il fedifpofe à don-
ner l'hiftoire. Minerve Poiiade, la Pa-
trone d'Athènes , avoit une Prêtreffe
pour prefider à fon culte, & Piutarque ,
dans fes morales, nomme une Lyfima-
que qui exerçoit cette fonfnon. Les Pe-
dafiens, félon Hérodote (1), avoient (ï> ïnCli0'
auffi pour leur Minerve une Prêtreffe*
Il y en avoit auffi une à Catane pour Ce-
rès, à Clazomene pour Palias , &c.
A Delphes il y avoit cinq Princes des
Prêtres, & avec eux des Prophètes qui
prononçoient les Oracles. A Opunte
deux Souverains Pontifes feulement,
dont l'un prefîdoit au culte des Dieux
celeftes, qu'on nommoit Ouranius ; l'au-
tre aux Dieux terreftres & infernaux , <Sc
ce dernier étoit appelle Catacthonien.
Le Sacerdoce de Syracufe, lequel,
félon Ciceron (2), étoit d'une très- (OmTerr.*,-
grande confideration , ne duroit qu'un
an. Les Hiérophantes étoient des Prêtres
très-celebres à Athènes : leur nom vient
de deux mots Grecs U^ç > facré, 3c Q*it* ,
je parois. Selon Apollodore , c'étoit
lui qui étoit prépofé pour enfeigncr ks;
X y,
490 La Mythologie & les Fables
chofes facrées & les myfteres à ceux qui
vouloient être initiés; ce qui, avec le
nom d'Hiérophante , lui avoit aufîi fait
donner le nom de Prophète. Ce Minif-
tre avoit fous lui d'autres Officiers qui
Taidoient dans cette fonction & dans les
autres ; on les nommoit Exegetes , & quel-
quefois , Prophètes. Il ornoit auffi les
Statues des Dieux , & les portoit dans les
cérémonies publiques. Leurs femmes fe
mêloient auflî du culte divin , & étoient
nommées Hierophantides. Ce Prêtre avoit
encore le foin du culte de Cerès & de
fes myfteres. On peut confalter pour
tous ces articles les Notes de Saumaife
fur Solin.
Comme les Hiérophantes & leurs fem-
mes étoient deftinés au culte de laDéef-
fe Hécate & de Cerès, les Orgiophan-
tes , & les femmes nommées Orgiafies y
prefidoient aux Orgies ; & le Daduque
ou Lampadophore aux Fêtes nommées
Daduquies , dont nous parlerons dans
l'article des Fêtes des Grecs.
Si nous en croyons Pollux (i) , il J
avoit feize fortes de Miniftres des Tem-
ples ; les Prêtres ; les Garde-Temples ou
Bedeaux; ceux qui avoient foin des
chofes facrées ; les Prophètes , les Hy-
poprophetes , ou les Subdelegués des
ExpLpar Wtf. Liv. III Cn. XII. 491
Prophètes , qui publioient l'Oracle ; les
Sacrificateurs, ceux qui initioient, les
Adminiftrateurs des chofes facrées,les
Purificateurs, les Devins ou Infpirés,
les Sortilegues , ceux qui raflembloient
les difcours de bonne avanture , les
Crefmothetes , c'eft-à-dire , ceux qui don-
noient les forts à tirer , les Saints ou Dé-
vots, les Thuriféraires ou porte-encens,
les Hyparetesy & les Serviteurs (a) ou
Camilles.
Le même Auteur remarque enfuite (1) (0 ch- *•
1 a u ' J < art. 17.
que les mêmes noms etoient donnes aux
differens Ordres de PrêtrelTes , dans les
lieux où les femmes étoient les Miniftres
des Temples , & que la PrétrefTe d'A-
pollon à Delphes , portoit par excel-
lence le nom de Pythia. Il pouvoit ajou-
ter encore, qu'à Clazomene la Prêtre/Te
de Pallas étoit nommée Hefychia ? celle
de Bacchas Thyas, & en Crète celle de
Cybéle , Melijfe. Il pouvoit remarquer
suffi que parmi les Athéniens, les Mi-
niftres fubalternes s'appelloient Parû-
tes ; ce nom n'étant pas alors une injure ,
comme il l'eft à prefent. L'acception de
ce mot dans le fens que je l'ai prife , fe
tire d'une Infcription d'Athènes , où il
(a) Cette lifte n.'eft pas complette, comme on le verra
dans la fuite de ce Chapitre.
492 La Mythologie & les Fables-
cil: dit, que des deux Taureaux immolés*,,
une partie fer oit retenue pour les Jeux^
Fautre partagée entre les Prêtres & les
Parafites. La fon&ion principale de ces
Paiafites;, qui avoient féance entre les
premiers Magiftrats , étoit de choifïr le
froment deftiné aux Sacrifices.
Il y avoit encore une autre efpece de
gens deflinés à fervir dans-les Sacrifices ;
c'étaient les Ceryces, ou les Crieurs, dont
la fon&ion étoit d'annoncer publique^
ment les chofcs , tant civiles que facrées.
Aufïi, félon Athénée 5 ondevoit en élire
deux , & on trouve en effet ce nombre de
; deux Ceryces , dans la belle Infcription
d'Athènes ., expliquée dans la Paleogra-
p. h*, phie (i) , l'un pour Aréopage, l'autre
pour rArchonte. Ils dévoient être tirés
delà famille Athénienne, laquelle, fé-
lon Ifocrate , portoit le nom de Ceryce,
d'un certain Ceryx, . fils de Mercure, &
de Pandrofe , fille de Cecrops..
Surquoi nous remarquerons en paf-
fant , qu'il y avoit des familles Sacerdo-
tales , defquelles dévoient être tirés les
Prêtres; comme , à Athènes celles des
Eumoïpides , pour le culte de Cerès &
les myfteres Eléufiniens , & à Rome
celles des Pinariens & des Potitiens, pour
celui d'Hercule* -,
Expl.parPHijt.Liv.IlI. CHAP.XII.4p5
A Athènes l'Archonte fe faifoit hon-
neur de la qualité de Prêtre : tel etolt^
entre autres Xénon, qui fut Archonte
fous le Confalat de Drufus, là féconds
année de Tibère , & qui prend la quali-
té dePrêtre dans Tlnfcription dont nous
venons de parler ; & fi rtous en croyons
Spon , le même Drufus étoit en même
tems Conful, Archonte & Prêtre. L'o-
rigine du .Sacerdoce des Archontes , fé-
lon Demoflhene (1) , vint de ce qu'an- (i)Orat.'*âi
ciennement les Rois & les Reines d'A- Neœrana^
thenes étoient les Souverains Pontifes.
La Pvoyauté ayant été abolie , on con-
tinua de choifir un Roi & une Reine 5
pour préfider aux chofes facrées, ce qui
enfuite paffa aux Archontes , & à leurs
femmes. Les Epimeletes fervoient le Roi
dans les chofes facrées , Se dès femmes
nommées Genres, affiftoient la Reine au
nombre de quatorze. Le Ceryce la fer-
voit auflï dans les myfteres les plus fe-
crets de la Religion.
Indépendamment de tous ces Minis-
tres , il y avoit auiîî un Pontife , ou plu-
tôt un Archiprêtre «^epefo,. qui pré3-
doit aux chofes facrées. Quelquefois il
ne l'étoit que d'une ville ; quelquefois
de toute une Province. Il avoit aulS
jfbuvent cetta qualité , à vie ; quelque-
4P4 La Mythologie & les Fables
fois pour cinq ans. Comme il y avoit
des Archiprêtres , on trouve aufîî des
ArchiprêtrefTes ; car parmi les Grecs ,
les femmes étoient auffi fouvent que les
hommes admifes aux Minifteres facrés .
Ces ArchiprêtrefTes étoient les Supé-
rieures des Prêtreffes , & étoient choi-
fies dans les meilleures maifons. De tou-
tes les PrêtrefTes des Payens , la plus cé-
lèbre étoit la Pythie , mais nous en par-
lerons ailleurs.
Les Neocores avoient des emplois qui
répondoient à ceux de nos Sacriftains :
ils dévoient en effet avoir foin d'orner
les Temples , & de tenir propre les va-
fes & les uftenciles qui fervoient dans
les cérémonies de la Religion. Theodc-
r' 3' ret'2) eft le feul qui parle de deux autres
fondions des Neocores. L'une , de fe
tenir à la porte des Temples pour jetter
de Peau luftrale fur ceux qui y venoient,
afin de les purifier. L'autre , de jetter de
la même eau fur les viandes fervies à la
table des Empereurs. Julien PApoftat ,
dit cet Auteur , alloit dans le Temple
du Génie public de la Ville d'Antio-
che ; ôc les Neocores y debout des deux
cotés delà porte du Temple , jettoient de
Veau luftrale fur ceux qui entroient , pré-
tendant par-là les juflifier.
16
Expltar rUifl. Liv. III. Ch. XII. 4P ;-
Le même Auteur nous apprend la
féconde fon&on dont on a parlé, dans
l'hiftoire que je vais raconter : c'eft à
Toccafion d'un jeune Neocore qui fe
faifoit inftruire dans la Religion Chré-
tienne , mais qui ne put refufer d'accom-
, pagner le même Empereur dans un fef-
tin, où il devoit faire la fonction de bé-
nir avec l'eau luftrale les viandes qu'on
fervoit dans le repas. Sur quoi Théo-
doret remarque , que quoique la fête ,
que donnoit Julien dans le Faubourg
de Daphne , aux Habitans d'Antioche ,
durât plusieurs jours , le jeune Neoco-
re , qui étoit debout auprès de cet Em-
pereur, après avoir jette l'eau luftrale
fur les viandes , fe retira fecretement ,
& ne parut plus aux feftins des jours
fuivans. Cet office devint très-confîde-
rable ; car les Neocores , qui d'abord
n'étoient chargés que d'emplois fervi-
les, furent dans la fuite des Miniftres
fuperieurs , des fouveraints Pontifes ,
qui iacrifioient pour le falut de l'Em-
pereur. On trouve fur les médailles ,
où le nom de Neocore eit fouvent em-
ployé , celui de Frytane qui leur étoit
accordé quelquefois, avec celui d'Af-
gonothete , ou Diftributcur des prix dans
les Jeux publics. Les Villes mêmes &
49^ La Mythologie & les Parler
celle- d'Ephefe , fut la première , félon*
Van-Dale , prirent le nom de Neoco-
res,fur quoi on peut confulter Vaillant,
& les autres Antiquaires.
Avant que de parler' du Sacerdoce
des Romains , je dois dire quelque cho-
fe des trois fortes de Prêtres, qui leur,
étoient communs avec les Grecs, Les
premiers étoient ceux de Cybele : les
féconds , ceux de Mithras : les troisiè-
mes , ceux des Orgies, ou des myftefes
de Bacchus.
Rien n'eft plus célèbre dans l'anti-
quité, & en même tems plus méprifabie
que les Prêtres de Cybele , qu'on nom-
moit Galles ou Archigalles , d'un fleuve
de Phrygie , appelle Gallus. Van-Dale
regarde ces Galles , & avec raifon, com-
me des coureurs5des bandits & des char-
latans , qui alloient de ville en ville ,
jouant des cymbales & des crotales,por-
tant fur leur fein de petites images de la
mère des Dieux, pour ramaffer quel-
ques aumônes ; gens de la lie du peuple,
félon Apulée; dés fanatiques, des fu-
rieux, & d'une débauche infâme. On
convient avec ce fçavant Auteur , dû
portrait qu'il fait de ces Miniftres; mais
on ne fçauroitêtre de fon avis, lorfqu'il
<Ut que quoiqu'ils fuffent confacrés au
Expt.par riîijl. Liv.IIL'Ch. XII. 497
fervice de Cybele , ils n'avoient pas la
qualité de Prêtres , puifque leur Sacer-
doce efl: une choie inconteftable. Pline,
Apulée & Suidas , difent formellement
qu'ils étoient Prêtres , & leur donnent
ce titre ; & Lucien (r) qui décrit la ce- (i)DeDea
remonie de leur initiation , ne laifle au- S} ria*
cun lieu d'en douter.
On ne fera pas étonné de voir dans
Clément d'Alexandrie , dans La&ance ,
dans S. Jean Chryfoftome , & dans S.
Auguftin-, le portrait qu'ils font de ces
malheureux Prêtres, puifque les Au-
teurs profanes ont eu un égal mépris
pour eux. Cependant la Loiavoit pour-
vu à leur fubfiftance , puifque félon Ci-
ceron (2), elle marquoit les jours où il (2) tiv. u'
leur étoit permis de demander Faumô- e es"
ne , & pendant lefquels il étoit défendu
à toute autre perfonne de mendier : ¥rœ~
ter Ide&matrïs famulos , eofque juftis die-
bus , ne quis Jîïpem cogito. Cette quête,
autorifée par la Loi , fe faifoit apparem-
ment chaque mois,puifqu'on avoit don-
né à ces Prêtres le nom de Menargyrtes
& Metragyrtes ; parce que c'étoit pour
la mère des Dieux qu'ils recueilloient
ces aumônes. On avoit ajouté à ces
noms , par dériiîon , celui à'Agidies ,
comme qui diroit; faifeurs de tours de-
49§ ta Mythologie & les Fables
paflè-pafTe , pour avoir de l'argent ;
joueurs de gobelets. Clément d'Alexan-
drie ajoute aux qualifications qu'il don-
ne à ces Galles , celle de preftigiateur &
de Devin , parce qu'ils fe mêloient en
effet de prédire l'avenir. Ils étoient tou-
jours accompagnés de vieilles femmes
qui paflbient pour des forcieres. Plutar*
i Dansfes que (i) qui parle des vers qu'ils chan-
Riorales 407. ^._ • „. j- ,T • S , X>
toient, dit qu ils a voient rendu la Poè-
fie des Oracles û méprifable , qu'ils
avoient fait tomber les vrais Oracles du
Trepié; c?eft-à-dire, de Delphes. Ce
même Auteur ajoute qu'ils rendoient
leurs Oracles fur le champ , ou qu'ils les
tiraient au fort dans certains Livres
qu'ils portaient avec eux , & vendoient
leurs miferables prédirions à des fem-
melettes, qui étoient charmées de la ca-
dence de leurs vers.
A ce portrait des Galles, nous de*
/bcoci': VOns aiouter ce <ïue Lucien (*) nous
apprend de la grande fête qui fe celé-
brpit en Syrie , & de la fureur où jet-
toit l'initiation de ces miferables Minif-
tres. A cette fête, dit -il, fe rendent
quantité de Galles , qui célèbrent leurs
myfteres. Ils fe tailladent les coudes, &
fe donnent mutuellement des coups de
fouet fur le dos. La troupe qui les en-
Expl. par PHifl. Liv. III. Ch. XII. 499
vironne , joue de la flûte & du tympa-
non, pendant que d'autres faifîs d'un en-
thoufiafme divin, chantent des chanfons
qu'ils font fur le champ. C'eft ce jour-là,
ajoute Lucien , qu'on fait des Galles.
Comme le fon de la flûte infpire aux
alîîftans une efpece de fureur, le jeune
homme qui doit être initié, jette fes ha-
bits , & faifant de grands cris , vient au
milieu de la troupe , qui eft hors du
Temple, dégaine fon épée, & fe fait
Eunuque lui-même ; puis courant par la
ville , tenant à la main les marques de fa
mutilation , il les jette dans une maifon ,
où il prend l'habit de femme. Cette mu-
tilation fe faifoit ailleurs , félon Pline 5
avec les fragmens d'un pot de terre de
Samos , & étoit par conséquent > & plus
longue Se plus douloureufe.
On fçait que c'étoit en l'honneur
d'Atys , favori de Cybele , que fe com-
mettait cette barbarie , dont il avoit lui-
même donné l'exemple : mais tirons le
rideau fur ces infamies, & difons un mot
feulement du Grand-Prétre de cette mi-
ferable troupe. Ce Chef fe nommoit
l'Archigaile , & étoit ordinairement d'u-
ne famille coniîderable ; du moins lifons-
nous dans Gruter une infeription de
l'Archigaile Camerius Crefcens , qui
f&S La Mythologie & les Fables
avoit à fa fuite un grand nombre d'E£
claves & d'Affranchis. On trouve dans
le premier Tome de l'Antiquité expli-
quée , la figure d'un Archigalle avec
une longue tunique qui defcend jufqu'à
terre, &pardefïus, un grand manteau
retrouffé , avec un collier qui lui def-
cend fur la poitrine , fur laquelle font
tfepréfentées , dans deux Médaillons ■■,
deux têtes d'Atys , fans barbe, avec le
bonnet Phrygien : plus bas fe voit le
frontifpice d'un temple , à l'entrée du-
quel paroît la Déefle Cybele , recon-
Boiffable aux tours & aux créneaux
qu'elle porte fur la tête. Jupiter & Mer-
cure qui font à côté d'elle, marquent
qu'elle étoit la mère des Dieux. Cette
figure , à laquelle il manque la tête , Se
qui appartenoit autrefois à M. Baude-
lot, eft, je crois, préfentement en An-
gleterre.
Outre ces Galles êc ces Archigalles-,
Cybele avoit encore d'autres Prêtres
qui n'étoient pas mutilés , & des Prê-
treffes, dont on trouve les noms dans
Gruter. On connoît parmi ces Prêtre£-
fes, une Dame, nommée Laberta Fali-
cla , qui étoit la fouveraine Prêtreffe de
la mère des Dieux ; c'efl-à-dire , qui
préfidoit .aux autres 7 comme l'Archi-
Expl p^rH,j?.Liv.IILCHAP.XIL jor
galle préfidoit aux Galles.
Nous devons remarquer , que tous
les Prêtres & Pretrefles de la mère des
Dieux, établis d'abord dans la Phry-
gie , s'étoient enfuite répandus dans la
Grèce, & dans l'Empire Romain, dès
Ip tems même de la République.
Je dirai peu de chofes des Prêtres de
Mithras , dont le culte fut porté à Ro-
me , fi nous en croyons Plutarque, du
temps de Pompée, & plus tard, félon
Van- D aie , parce que j'en parierai au
long dans l'hiftoire de ce Dieu {a). Il
fuffit de fçavoir pour le préfent , que
Mithras avoit un Miniftre qui fe nom-
moit le Père des myfteres facrés ; Pater
facrorum , & des PrêtrefTes qu'on appel-
loit Maires facrorum ; que ces Prêtres
étoient furnommés Lions y&c les Prêtref-
fcs Hyems£e\pn Porphyre : de-là étoient
appelles Leontiques , les myfteres Mi-
thriaques , .& Paniques, à caufe des Pè-
res qui y préfidoient; que d'autres Mi-
res de ce Dieu étoient nommés Co-
r-aces j les corbeaux , ou Hierocoraces y
corbeaux facrés ; ou Heliaques, à caufe
du Soleil que Mithras repréfentoit. En-
fin , que ceux qui vouloient être initiés
aux myfteres de ce Dieu , dévoient p-a£-
(a) Voyci l'article des Divinités <ks R2&&
Prêtres des
|02 La Mythologie & les Fables
fer par des expiations auffi longues, que
douloureufes , comme nous le dirons en
fon lieu.
Enfin , comme les Grecs & les Rc-
mains célebroient également les grands
myfteres de Bacchus , ou les Orgies , je
dois mettre dans cette claffe commune ,
les Prêtres & les Prêtreffes qui y préfi-
doient ; mais comme il en fera quefhon
dans l'hiftoire de ces myfteres, je me
contenterai de dire ici que ces Mmif-
tres portoient differens noms , puifqu'on
trouve dans les Anciens , que les Bac-
chantes étoient appellées Bacchx , Me-
nades, Baffarides , Thyades, Mtmallom-
des , Edonides, Elyades , Eleides ; tous
noms tirés ou de leur manière de cner,
ou de leur fureur. Mais il eft temps de
parler des Prêtres des Pxomains.
La Ville de Rome n'ayant été d'a-
Eomains. bord qu'un affemblage de bandits & de
fugitifs , que Romulus avoit ramafles, ce
Prince fongea peu à la Religion, & cet-
te Religion, empruntée des Albains &
de quelques autres peuples voifins , fut
dans ces premiers temps très-fimple &
très-unie. Des Temples & des Chapel-
les fans ornemens & fans Statues; car ,
félon Plutarque, il fe pana 171. ans,
fans qu'on y en vît aucune j des Sacn-
ExpL par PHift. Liv. III Ch. XIL ;oj
fices offerts fans appareil , faîfoient tout
le cérémonial de cette Ville naiïTante.
Nous trouvons cependant dans Denys
d'Halicarnaflc (i) , que Romulus ayant
divifé Rome en trente Curies, il.avoit
établi deux prêtres pour chacune; ce
qui f4foit en tout foixante.
Numa Pompilius , plus appliqué aux
affaires de la Religion qu'à celles de la
guerre, fit plufieurs changemens dans la
Hiérarchie Romaine, ainfi que quel-
ques-uns de Ces Succefleurs , comme on
peut le voir dans Tite-Live, dans De-
nys d'Haiicarnaffe , & dans Dion. Voi-
ci ce qu'on en peut dire de plus aflu*
ré. Les Prêtres établis par Romulus ,
dévoient avoir au moins 5*0. ans , être
distingués par leurs mœurs , par leur
naiiïance , & avoir de quoi s'entretenir
honorablement , & être fans aucun dé*
faut corporel : tant il eft vrai que même
dans les Religions les plus grolïïeres, on
a toujours obfervé de n'admettre pour
Minières, & de n'offrir pour Viftimes ,
que ce qu'il y avoit de plus parfait &
de plus propre à honorer la Divinité.
Comme dans le miniftere de ces Prê-
tres , il y avoit des chofes qui ne pou-
voient être exercées que par des per*
fonnes du fexe, & d'autres où il falloit
5*04 La Mythologie & les Fables
en être aidé , c'étoient les femmes mê-
mes & les enfans de ces Prêtres , qui
étoient chargés de ces fondions. D'a-
bord les feuls Patrices exerçoient le Sa-
cerdoce , mais le Peuple piqué de cette
préférence, eut le crédit de partager le
Sacerdoce avec le Sénat, & mêipe de
fe faire transférer , fous le Tribunal de
Cn. Domitius, le privilège qui étoit au-
paravant refervé au Collège des Patri-
ces , d'élire les Prêtres ; ce qui fut enco-
re changé une fois , & il fut établi que
le Collège éliroit, & que le Peuple con-
firmerait l'éleétion. Enfin, après quel-
ques autres variations, qu'il feroit inu-
tile de rapporter, les Empereurs s'ar-
rogèrent le droit d'élire les Prêtres ,
Se devinrent eux - mêmes les Souverains
Pontifes ; ce qui commença h Jules Ce-
for. Lcrfque l'éle&ion des Prêtres faite
par le Collège qui avoit ce droit , étoit
confirmée par le Peuple on procedoit à
l'inauguration , qui étok comme une pn-
fe de poffetfîon, faite avec cérémonie,
& qui fe terminoit par un repas que
donnoient les nouveaux Prêtres. Dès
ce moment ils prenoient la Toge , qui fe
nommoit Toga pretexui , & l'ornement
de tête, appdlé Apex., Gahrus,Albo-
QaUrus, & qui confiftoit en uneefpe-
ce
Expl.parPHijl. Liv.III. Ch.XîL |p,c
ce de bonnet blanc, furmonté fouvent
d'une couronne.
Les Prêtres dans Rome jouiiîbient
de plusieurs privilèges , & ils pouvoient
afllfler au Sénat; mais ce droit leur fut
ôté dans la (uite (i). Ils étoient exempts (l)T v
des .Charges onereufes de TEtat , & dif- Dec. 3V7?
penfés d'aller à la guerre. On portait
ordinairement devant eux un flambeau
Se une branche de laurier; & il leur
étoit permis de monter au Capitole fur
un char , qu'on appeiloit Carpentum. Il
y avoir des Prêtres dont le Sacerdoce
étoit à vie , d'autres qu'on, deitituoit;
mais les Augures ne pouvoient l'être ,
pour quelque caufe que ce fût. Chaque
ordre de Prêtre avoit fon Collège, par-
ticulier , & des appointemens pour les
Sacrifices. Gomme dans les Provinces
les Prêtres étoient obliges de fournir à
la dépenfe des Jeux publics , & que dès-
là le Sacerdoce leur étoit fouvent à
charge, on ne contraignoit performe à
l'accepter.
. Dans Tordre de la . Hiérarchie Ro-
maine, les Pontifes étoient les premiers.
.D'abord il .n'y en eut que quatre; mais
ce nombre ayant été augmenté dans la
fuite , on les diftingua en Pontifes ma-
jeurs, & eu Pontifes mineurs: les uns
Tome L Y
$oô La Mythologie & les Fables
£c les autres fournis au Souverain Pon-
tife , dont l'autorité étoit fi grande , que
les Empereurs ne crurent pas cette char-
ge indigne d'eux , comme je viens de le
dire. Maître de toutes les cérémonies de
la Religion , & du premier Collège , le
Souverain Pontife étoit extrêmement
Tefpe&é : fon chariot, nommé Tkenfa y
étoit différent de celui des autres Prê-
tres , ainfi que fon habillement & le ref-
te de fon équipage. Il ne lui étoit pas
permis de fortir d'Italie ; comme c'étoit
une efpece de profanation pour lui de
voir un corps mort,lorfqu'il atfiftoit aux
funérailles , on mettoit un voile entre
lui & le cercueil du défunt : c'eft Se-
neque qui nous apprend cette particula-
rité , plus inftruit en cela que Dion ^ le-
quel parlant de la Pompe funèbre d'A-
grippa , à laquelle Augufte , Souverain
Pontife , affilia , dit qu'il ne fçait pas la
raifon pour laquelle on avoit mis un
Toile entre cet Empereur & le cercueil,
& que c'eft une erreur de croire qu'il
n'eft pas permis au Souverain Pontife
de voir un mort.
On m'objeftera peut-être que Cefar
étant Souverain Pontife, alla faire la
guerre dans les Gaules, & qu'amfi j'ai
tort de dire qu'il n'étoit pas permis a
ExplparPHift. Liv.IIL Ch. XII. 507
celui qui poiïedoit cette Charge de ior-
tir d'Italie. Mais on peut répondre i°.
Qu'il y a des occasions , où les Loix,
qui n'ont pas tout prévu, ne font point
obfervées. 2*. Que l'exemple de Cefar
ne prouve rien , puifqu'il ne les refpec-
toit, qu'autant qu'elles flattoient fon am-
bition.
Après le Souverain Pontife venoient
les Flamines , qui n'étoient d'abord que
trois , établis , félon Plutarque, par Ro-
mulus , ou plutôt fuivant Tite-Live, par
Numa Pompilius; le Flarnen Dt'alis, ou
de Jupiter , le Manialis , de Mars, & le
jQuîYÏnalis , de Quirinus. C'étoit le Peu-
ple qui les élifoit, & le Souverain Pon-
tife en confirmoit l'éleftion. Comme ces
trois Flamines étoient en une grande
considération , & qu'ils joiiiflbient de
plufieurs privilèges, quoiqu'ils ne fuf-
fent pas de l'ordre des Pontifes, ilspre-
noient place parmi eux dans les affaires
de confequence. Cet ordre fut augmen-
té dans la fuite , & il y eut jufqu'à quin-
ze Flamines , dont trois étoient tirés du
rang des Sénateurs , & étoient nommés
Flamines majeurs, & les douze autres ,
appelles Flamines mineurs, étoient pris
parmi le Peuple. Chaque Flamine étoit
«deftiné au culte particulier d'une Divi-
'£o8 La Mythologie & les Fables
mté , & fon Sacerdoce étoit à vie ; quoi-
-qu'il pût en être dépofé pour des cho-
ses graves , ce qui s'exprimoit par ces
mots , Flaminio abire , quitter le Sacer-
doce.
Comme Jupiter étoit parmi les Ro-
mains le plus grand des Dieux, fon Prê-
tre étoit auffi le plus confideré ; mais en
même temps il étoit fournis à des prati-
ques aflez gênantes : fuivant Aulu-Gel-
dYNocAtt. je (i) 3 il ne lui étoit pas permis d'aller
' i0'c' I5' à cheval; de voir une Armée hors de
la ville , rangée en bataille ; de jurer ; &
il ne pouvoit porter qu'une forte d'an-
neau-, percé -d'une certaine manière. Il
étoit défendu d'emporter du feu de
chez lui , hors le feu facré ; & il falloit
un homme de condition libre , pour lui
couper les cheveux. Aflïs à la première
place dans les feftins, il ne la cedoit qu'à
celui qui étoit nommé le Roi Sacrifica-
teur. Il lui étoit défendu de faire divor-
ce avec fa femme, de fortir fans fon
bonnet Sacerdotal , d'entrer dans une
maifon où il y avoit un mort, encore
plus de toucher un cadavre , &c. V ar-
ron ajoute que le Flamen Dialis étoit
le feul qui pût porter le Bonnet blanc ,
YAlbo-Gaïerus , dont nous avons par-
le. Les privilèges des deux autres Fia-
Expl. par PHifi. Liv. III. Ch. XII. 509
mines majeurs étoient aufli fort étendus T
quoique moindres , & il falloit fur-tout
qu'ils fuflent de famille Patricienne.
Les Flamines mineurs , pris parmi le
Peuple, étoient moins confiderés,, & le
nombre n'en a pas toujours été fixé à
douze. Il fuffit de les nommer pour con-
noître leurs fondions. Le Flamine Car*
mentaîis -, étoit le Prêtre de la DéefTe
Carmenta. Le Falace étoit ainiî appelle
d'un ancien Dieu de ce nom. Floralis f
de la Qéeiïe Flora ; Furinalis > de Furi-
na, de laquelle Varron fait mention»
Laurentalis y$ Acca Laurentia ; Lucina-
lis , de Lucine ; Falatinalts , de la Déef-
fe Falatina, la prote&rice du Palatium^
Pomonalïs , de Pomone; Virhialïs , de^
Virbius , ou Hippolite ; Volcatmlis > de
Vulcain ; Volturnalis > du Dieu du fleu-
ve Vulturne. Les Empereurs , dont on
avoitfait l?Apotheofe,avoient aufli leurs
Flamines. Ainfi on trouve dans les In£*
criptions un Prêtre d'Augufte, Flamen
Auguflalts ; un Prêtre de Cefar , Fla^
men Cafaris; & Marc- Antoine voulut
bien par flaterie prendre cette dignité ;
un Prêtre de l'Empereur Claude , Fla-
men CI audit ; un d'Hadrien , Flamen Ha~
drianaVis. Enfin il y a voit un Flamine,
gui apparemment fe mêloit du culte de
j I O La Mythologie & les Fables
tous les Dieux , & qui étoit nommé Fia-
men Divorum omnium^ le Prêtre de tous
les Dieux , ce qui étoit pourtant contre
les anciennes conftitutions (a). Feftus
prétend que les femmes des Flamines
Diales , ou de Jupiter, étoient des Prê-
trèfles , & fe nommoient Flaminiques >
Se félon Aulu-Gelle , elles jouiflbient
des mêmes privilèges que leurs maris ,
& les mêmes chofes leur étoient défen-
dues (b).
Le Roi Sacrificateur, nommé Rex
Sacrificulus , fut établi après qu'on eut
chafle les Rois de Rome , pont confer-
0)1. x. ver . £t DenyS d'Haïicarnaffe (l); le
fouvenîr des grands biens qu'avoient
fait à Rome quelques-uns de leurs Rois.
On ordonna que les Pontifes & les Au-
gures defigneroient un des plus anciens,
pour avoir foin du culte divin ; mais de
peur que le nom de Roi ne fût encore
fufpeft, on établit en même temps que
le Roi Sacrificateur feroit fournis au
Souverain Pontife. On lui donnoit auffi
le nom de Rex Sacrorum , & à fa fem-
me celui de Regina Sacrorum. Macrobe
(a) Tous ces noms font tirés de Feftus & de plufîeun
autres Anciens , ou des Infcriptions dont la plupart ,e trou-
vent dans Gruter. . x . \ -.,
(b) Exdem fermé cevemcnU Junt , yuas FUmmicas Uifr
hs fior/îm aiunt obfcrvitare. Aulu-G,
Expl.parVHift.Liv.JIL Ch. XIL ;iï
(i) , qui Tappelle le Pontife mineur, dit (OSauir.U-
qu'il facrifioit à Junon dans la Curie
Calabra, ainfi que fa femme qui immo-
loit à cette Déefife une Truye ou un
Agneau femelle.
J'ai dit qu'il y avoit à Rome, comme
en Grèce , des familles Sacerdotales :
telle étoit dans cette Ville la famille des
Potitiens & celle des Pinariens , pour le
culte d'Hercule > & ce Sacerdoce y du-,
ra long-temps. L'origine en remontoit
au temps d'Evandre , & en voici Thif-*
toire. Hercule étant chez ce Prince >
Arcadien d'origine, mais établi en Ita-
lie , lui preferivit la manière dont il vou-
loit être honoré , & chargea dç ce foin
deux vieillards , dont l'un fe nommoit
Potitius , & l'autre Pinarius. Dans le
premier Sacrifice qui lui fut offert le
foir, ( Denys d'Halicarnaffe dit que ce-
la arriva au Sacrifice du matin ) Potitiua
arriva le premier , & Pinarius ne vint
que lorfque la cérémonie étoit prefque
achevée ; ce qui engagea Hercule à le
punir de fa lenteur , en ordonnant que
dans la fuite les Pinariens ne feroient
que les Miniftres des Potitiens : ce qui
fut exactement obfervé jufqu'à Tan 461*.
de Rome, que ce Sacerdoce fut aboli*
On voit bien que cette fable eft fon-
Y iiij
512 La Mythologie & les Fables
dée fur ce que le culte d'Hercule ayant
été porté en Italie par Evandre , on
établit les Potitiens & les Pinariens
pour en avoir foin , avec la dépendan-
ce dont nous venons de parler.
A toutes ces fortes de Minidres on
iiYMpknes. doit joindre encore les Epulons (i) ,
qui exerçoient le Sacerdoce parmi les
Romains. Les Pontifes ne pouvant va-
quer à tous les Sacrifices qui fe faP
ioient à Rome, pour îe nombre infini de
x)ieux qui y étoient honorés , instituè-
rent trois Miniftres qu'ils appelèrent
Epulons j Trlum-vïn Epulotrum y par ce
que leur fonction confîftoit à préparer
les féftiris facrés dans les Jeux (olem-
neîs, comme nous Rapprenons de Fef-
tus (ftV$ & à dreffer les lits fur lefquels
on fe plaçoit pour manger. Ces feftins ,
qui n'étoient que pour les Dieux , 8c
fur-tout pour Jupiter \ s'appelloient les
(i)Liv. 33. Leâifternes (2), comme nous le dirons
dans l'article des Fêtes. Les Epulons
avoient le privilège de porter la Robe
bordée de pourpre , comme les Ponti-
fes , ainlî que le dit Tite-Live. Le nom-
bre de ces Miniftres fut augmenté d'à-
(a) Epuhws dicebant JlniiqvÀ , cjuos Hu;k Epvlones dicU-
mus , datum auttm ejl bis iv.me." > nusd eçnlas mdicmdi^G^.
vi , cœterifîjiie diis pteftatem habcunt.
Expl. parmjl. Liv. III. Ch. XII. 5-15
bord de deux , puis encore de deux au-
tres , Se enfin jufqu'à dix dans le temps
que Jules Cefar étoit Pontife. Voilà les
Triumviriy les fhtvntumviri , les Septem-
viri & les Decemviri Epulonum , dont il
eft parlé dans l'Hiftoire Romaine.
Parmi les autres privilèges accordés
aux Epulons, le plus confiderable étoit
de n'être point obligés de donner leurs
filles pour être Veftales, & ils avoient
cela de commun avec d'autres Minif-*
très , ainfî que nous l'apprenons d'Au-
Îu-Gelle ( i ■). Cet Auteur parlant des (i)L»i.*«N
filles Romaines qui pouvoient s'exemp-
ter d'être- Veftales, dit : Sedeam, cujus
for or ad id Sacrijîciurn leâa fit , exeufa-
tionem mereri avunt. Item cujus pater Fia-
men y aut Augur , aut fhiindtcimvir Sa-
cris faaendis , aut qui Septtmvir Epuh~
ttum , &c.
On connoît par Tite-Live la date de
la première inftitution des Epulons, ce
fut l'an J y 8. de la fondation de Rome 9
fous le Confulat de Lucius Furius Pur--
pureo, & de M. Claudius Marcellus (a);
enforte qu'on eft juftement furpris que
Pamponius Laetus dife qu'an ne peut -
(a) Rjmœ eo \rimum anno Triumvir i Eçulones fx&i , Cahttt
X-itinius Luatllus , T. Romuleins , qui Legern- de creanàii
ha t*kr*t7 & P» Forcim UcçiU.
y 14 La Mythologie & les Fallet
pas découvrir l'époque de cette pre-*
iniere inftitution (a).
Je dirai peu de chofe prefentement
des Prêtres établis pour la garde des
Livres Sibyllins , me refervant à en par-
ler dans l'article des Sibylles. Tarquin
le Superbe ayant acheté ces Livres , ins-
titua deux Minrftres pour les garder foi-
gneufement : l'an de Rome trois cens
quatre-vingt-huit , on en créa huit au-
tres; & enfin on y en ajouta encore
cinq du temps de Sylla , ce qui fit quin-
ze. Ce Miniftere , fort refpefté à Rome,
dura jufqu'au temps de Theodofe, à
l'an de l'Ere Chrétienne 388.
Les Romains avoient encore d'autres
ordres de Prêtres & de PrêtreiTes ; com-
me les Veftales, dont nous parlerons
au long dans l'hifcoire de la DéeiTe ,. de
laquelle elles avoient pris leur nom : les
vSibylles , dont nous ferons un article fé-
paré : les Saliens, Prêtres de Mars dont
il fera parle dans l'hiftoire de ce Dieu :
les Prêtres Arvales qui facrifioient pour
la fertilité des champs, Arva : les Péda-
les qui alloient déclarer la guerre ou
Tefbudre la paix : les Phœbades , qui
avoient foin du culte d'Apollon ; & les
(*) Voye*. Vigenere fur le premier Livre de Tite-Live*
f. 310* Ù Hl*
Expl.par PHijl. Liv JILChàf.XII. yiy
Bajfarides , pour celui de Bacchus : les
Luperces 9 pour le Dieu Pan, Se quel-
ques autres encore qui étoient deftinés
au culte de quelques Divinités particu-
lières ; fans parler de plusieurs Miniftres
fubalternes , qui fçrvoient les Prêtres
dans leurs fondions ; comme les Camil-
les, qui étoient ainfï appelles d'un nom
donné à Mercure , parce que ce Dieu
étoit le Miniftre , où plutôt le Serviteur
de Jupiter (a).
Indépendamment de ces Miniflres 7
les Grecs & les Romains en avoient
d'autres , qui étoient aufli deftinés au
culte des Dieux, tels que les Augures
& les Arufpices, dont je parlerai dans
l'article de la Divination.
Pour ce qui concerne les habillemens
des difFerens Prêtres , Se des autres Mi-
niflres dont il a été parlé dans ce Cha-
pitre , je renvoyé aux Antiquaires qui
les ont fait defïîner fur les monumens.
La limple infpeftion des figures fupplée
à de longues Se fouvent inintelligibles
explications,
Difons , avant que de finir cet article^
que chaque ordre de Prêtres , confa-
£rés à quelque Divinité , avoit un Col-
lège particulier , qui étoit comme la.
{*) Voyez Tiiiiioire de Mercme, To-m? r:oi£é.-ue,
ji6 La Mythologie & les Fable? .
Communauté de laquelle il relevoit, &
dans laquelle fe faîfoient les éle&ions.
Ces Collèges portoient le même nom
que ces Prêtres : derlà le Collège des
Arvales ,' pour les Dieux des champs ;
de Sylvain , pour ceux de ce Dieu ;
des Saliens, pour ceux de Mars; celui
des Feçiaies: celui des Luperces , Se
tant d'autres, dont les noms fe trouvent
fou vent dans les Hiftoires & fur les an-
ciennes Inscriptions-..
/ ,
5gg ■■un wii wniiii >■■—■!.■ i»'i— ■■ il ipiiin^tiw **»■«■ iQMrnTiwgBB^
CHAPITRE XIII.
Des Fêtes des Grecs & des Romains.
Es. Grecs & les Romains , fans par-
_ 1er des Egyptiens & des autres
Peuples avoient un fi grand nombre de
Fêtes, qu'il feroit bien difficile d'en
donner un détail exaft ; & comme nous
avons plufieurs Traités fur cette matiè-
re , il faut commencer par les indiquer.
Meurfïus en a compofé un fur les Fe-
(i) Gt*c. tes des Grecs (î) , qui contient fix fi*
V2)be-Feah vres : Fafuldus & Caftellanus (2) , ont
Gsçc travaillé fur le même fujet , aînfî que le
célèbre M. Potter , dans fon Archéolo-
gie Grecque, Beger & d'autres encore.
Ovide dans fes Faites, ôc. Rofin dans
1
péri.
Expl.parPHifi. Liv. III. Ch. XIII. 5*17
fes Antiquités Romaines , nous inilrui-
fent fuffifamment fur les Fêtes des Ro-
mains , & ceux qui veulent étudier ce
fujet à fond , peuvent les confulter. Ce-
pendant, pour ne pas laifTer ma Mytho-
logie incomplette , & foulager ceux , ou
qui n'ont pas ces Ouvrages , ou qui
n'ont pas le temps de les confalter , je
vais donner une idée abrégée de la plu-
part d£ ces Solemnités. Les plus gran-
des de toutes étoient les Myileres ; mais
j'en parlerai ailleurs.
Les Romains avoient emprunté des
Grecs plufieurs de leurs Fêtes, comme,
ceux-ci en avoient emprunté des Egyp-
tiens & des -Phéniciens. Ils en avoient
auffi de particulières; c'eft ce que nous
aurons foin de remarquer; entrons dans
quelque détail. J^efpere qu'on me par-
donnera la fécherelTe de ce Calendrier
en faveur de quelques traits d'hiftoire y
qui ont donné Heu à l'inftitution de ces
Fêtes.
Celles des Grecs étoient en très-
grand nombre ; parlons des principales.
Les Achillées étoient en Thonneur d'A-
chille. Paufanias, qui dit (1) qu'elles fe
eelebroient àBrafeis, où ce Héros avoit
un Tempk , ne nous en apprend aucun
détail. Les Atfiaques, qu'on celebroit; ea
f 1 8 LaMytholbgie & les Fables ^
l'honneur d'Apollon , avoient pris leur
nom du Promontoire d' Aétium \ où étoit
un Temple de ce Dieu, On danfoit pen-
dant la célébration de cette Fête , & on
tuoit un bœuf pour les mouches , qui
s' étant raffafîées de fon fang , s'envo-
loient& ne revenoient plus.
Les Agrames , ou Agrïanies , étoient
tme Fête inftituée à Argos enfaveur d'u-
ne fille de Prœtus. Les Agraulies étoient
ainfî nommées parce qu'elles dévoient
leur inftitution aux Agraules, Peuples
de l'Attique , de la Tribu Ere&heïde ,
laquelle avoit pris fon nom d'Aglaure j
fille de Cecrops , PrêtrefTe de Minerve ,,
en l'honneur de laquelle la Fête étoit
célébrée.
Plutarque décrit ainfî la Fête des
ï)In Symp. Agriomes (i). Les femmes , dit-il , y
cherchent Bacchus; & ae le trouvant pas,
elles ceflent leur pourfuite , difant qu'il
s'efl retiré près des Mufes. Elles foupent
enfemble , & après le repas elles fe pro-
pofent des énigmes ; myftere qui figni-
fioit que l'érudition & les Mufes doivent
accompagner la bonne chère : & fi l'y-
vreffe y furvïent , fa fureur eft cachée
par les Mufes qui la retiennent chez el-
les , c'eft-à-dire, qui en répriment l'excès.
Nous ne dirons rien ici des Agmtres->
ExpLparPBJt. L. IIL Ch. XIII. ;i9
Fête de Diane , où on immoloit cinq
cens chèvres , parce que nous en avons
fuffifamment parlé dans le Chapitre des
Sacrifices.
Dans les Ematuries > célébrées en
l'honneur de Pelops , les jeunes garçons
fe foiiettoient jufqu'au fang. Les Ajax~
ties , Fête de Sala-mine , étoient célébrées
en Phonneur d'Ajax, fils de Telamon.
Les Eories , Fête d'Athènes en l'honneur
d'Erigone , fille d'Icare, avoient été
ïnftituées fur ce que cette fille , qui fe
pendit de defefpoir, avoitprié les Dieux
de faire périr de la même forte les filles
des Athéniens, s'ils nevengeoientpas la
mort defonpere. Plufîeurs filles en effet
fe pendirent. Apollon confulté , ordon-
na l'etabliffement d'une Fête , pour ap-
paifer les mânes d'Erigone.
Je ne ferai que nommer les Alées cé-
lébrées en Arcadie en l'honneur de Mi-
nerve Alxa : les Aloties que le même
Peuple folemnifoit pour avoir pris beau-
coup de prifonniers Lacedemoniens ; les
Alies y Fêtes d'Apollon, ou du Soleil :
les Alcathées , en l'honneur d'Alcathoùs
fils de Pelops : les Aloes , ou la Fête des
Aires , pendant laquelle on offroit à Ce-
rès & à Bacchus les prémices de la ré-
colte : les Àtnbrofies , célébrées au temps
yao La Mythologie & les Fables
' de la vendange en l'honneur du même
Dieu : les Amphiarées , Fête du Devirr
Àmphiaraiis : les Anacées , en l'honneur
de Caftor & Pollux , nommés Anaâes 9
ou Anaces , qui veut dire, Princes, Sou-
verains, &c. Les A n agogies, célébrées*
à Eryx en Sicile , en l'honneur de Venus :
les Androgenws , oLue Minos établit à
Athènes, où fon fik Androgéeavoitété
affaflîné (a) : IzsAnthefphorïes, en Vhon~y
neur de Proferpine, Fête ainfi nommée4
parce qu'elle fut enlevée dans le temps
qu'elle cueilloit dès fleurs : les Apobo-
mies , qui prirent ce nom , parce que
dans leur folemnitéonfacrifioit, non fur
un Autel , mais à terre.
Les Anthifteries , ainfi nommées du*
mois d5 Antilïerion , qui repond en partie-
au mois de Novembre , avoient cela der
particulier, que les Maîtres fervoient k
table leurs Efclaves , pendant les trois
jours qu'elles duroient ; ce que les Ro-
mains imitèrent dans leurs Saturnales. La
Fête finie on faifoit fortir ces Efclaves \
& comme ils étoient prefque tous de Ca^
rie , de-là le Proverbe : hors dyici Ca~
riens y lesAnthifttries font finies. .
Les Apaturies > Fête des Athéniens,
dont le nom venoit d'A'*^, trompine ±
{a) \cyt% Thiftoire de, Muios» ,
ExpL parmjL L. III. Ch. XIII. p t
Revoient leur origine à l'hiftoire que je
vais reconter. Les Béotiens ayant décla-
ré la guerre aux Athéniens, àl'occafîon
du territoire de Céléne ou d'Onoé , que
ces deux Peuples fe difputoient y Xan-
the, Chef des Béotiens , offrit de termi-
ner le différend dans un combat fingulier.
Thymete , Roi d'Athènes , ayant refufé
le défi , fut depofé , & Melanthe qui
l'accepta , fut mis en fa place. > Celui-ci
voyant approcher fon ennemi , lui dit
que ce n'étoit pas agir en galant hom-
me , de venir accompagné dans un
Duel. Xante tourna la tête pour voir fi
effectivement il lui venoit un fécond , &
pendant ce temps-là , Melanthe lui paffa*
fon épée au travers du corps. Cette .fê-
te duroit trois jours: pendant le premier
on celebroit un feftin; on facrifioit au
fécond , & le troifîeme on infcrivoit dans-
chaque Tribu les jeunes gens qui dé-
voient y être reçus.
Voici le fujet qui fit établir les Apol-
lonies par les Peuples d'Egialée. Apol-
lon après la défaite de Python [ fe retira
à Egialce avec Diane fa fœur: mais en
ayant été chaffë, il fut obligé d'aller
chercher une retraite dans i'Ilîe de Crè-
te. Cependant la pefte faifant de grands
ravages dans la ville que ce Dieu ve-
$22 La Mythologie & les Fables
noit d'abandonner , on alla confulter
l'Oracle, & on apprit qu'il falloit dépu-
ter fept jeunes garçons & un pareil nom-
bre de jeunes filles, pour chercher Apol-
lon & Diane , ôc les ramener chez eux.
Cette députation plut aux deux Divi-
nités offenfées, & elles revinrent à Egia-
lée , où l'on dédia un Temple à Pytho,
Déeffe de la perfuafion ; Se en mémoire*
de cet événement, on faifoit fortir tous
les ans le même nombre de garçons &de
filles , comme pour aller chercher Apol-
lon & Diane.
Les Aphrodtjtes étoient célébrées en
l'honneur de Venus dans rifle*de Chy-
pre , & en plulîeurs autres endroits. Pour
être initié à cette Fête , on donnoitune
pièce d'argent à Venus, comme à une
fille de mauvaife vie , & on en recevoir
des préfens dignes de la Déeffe.
Voici une foule d'autres Fêtes qu'il
fuffira prefque de nommer. Les Aratéesy
d) vied'A- dont parle Plutarque (i) , étoient célé-
brées en Thonneur d'Aratus. Les Ariad-
nées y en l'honneur d'Ariadne, fille de
Minos. Les Artermfies , étoient célébrées
en plufieurs lieux de l'Afie mineure Se
de la Grèce , en l'honneur de Diane
qu'on nommoit Artemts. A Delphes on
tmmoioit à la Déeffe un poifîbn app
ExpLparPHift. L.III Ch.XIII. p$
k; Mulet. Les Afclepies , pour Efcula-
pe, étoient célébrées dans toute la Grè-
ce , fur-tout à Epidaure , où on les nom-
moit Megalafclepia , les grandes Afcle-
piades.
Les Boédromies, Fête d'Athènes,
pendant lefquelles on couroit & on
crioit de toute fa force , avoient pris leur
nom de Boè , cri , & de Dromos , courfe.
Elles fe celebroient vers le mois d'Août;
d'où le mois Athénien qui y répond, a
été nommé Boédromion. Cette Fête fé-
lon Plutarque , fut inftituée lorfque les
Amazones fe rendirent MaîtreiTes d'A-
thènes. Les Boréefines étoient célébrées
auilï à Athènes pour appaiferle vent Bo-
rée. Les Euphonies j autre Fête d'Athè-
nes , prenoient leur nom du bœuf qu'on
y immoloit à Jupiter Polien : les Athé-
niens celebroient auflï anciennement la
Fête nommée Diipolie, en Thonneur du
même Jupiter.
Les Cabiries avoient été inftituées dans
l'Ifle de Samothrace , en l'honneur des
Cabires , & fe celebroient encore en
d'autres endroits de la Grèce. Les Cal-
liftes , ainiï nommées parce que les fem-
mes s'y difputoient le prix de la beauté,
étoient particulières à l'Ifle de Lesbos.
Les Carnées , dont parlent Hérodote (1) (0 iiy. 7.
y 24 La Mythologie & les Fables
[x) riv-. 5. & Thucydide (i), fe celebroient fur-
tout chez lesLacedemoniens, en Thon-
neur d'Apollon Carnéen ; & les Caries
en l'honneur de Diane , furnommée Ca~
riatis. Les Chanties etoient la Fête des
Grâces. Les Cijjotonies, ainfî nommées du
lierre qu'on portoit à cette Fête, infti-
tuée en l'honneur d'Hebé, DéeiTe de la
jeuneffe. Les Corées etoient la Fête de
Proferpine , nommée Coré. Les Coryban-
tiques etoient célébrées dans lTiTe de
Grete , en l'honneur des Corybantes y
dont nous parlerons en fon lieu. Les
Chronies , célébrées à Athènes à l'hon-
neur de Saturne , etoient à peu près lesr
mêmes que les Saturnales des Romains»
Cynophoris étoit une Fête d'Argos célé-
brée aux jours caniculaires , pendant la-
quelle on tuoit tous les chiens ; ce qui
donna le nom à cette Solemnité.
Dades , Fête qui prenoit fon nom des
b) L*ïtu torches (2) qu'on y allumoit , duroit
trois jours : le premier étoit en mémoire
des douleurs de Latone , lorfqu'elle ac-
coucha d'Apollon ; le fécond étoit pour
honorer la naiffance de Glycon , & des
Dieux ; & le troifiéme en faveur des no-
ces de Podalirius & de la mère d'Alexan-
dre. Les Dédales dont parle au long,
b> in.Bcot. Paufanias (3), etoient de deux fortes;..
ExpJ. par THljl. L. III. Ch. XIII. p;
rîes petites , que les Platéens celebroient
,touslesans ; & les grandes, quin'étoient
célébrées que tous les foixante ans , en
mémoire de Fexil des Platéens, qui avoit
duré un pareil nombre d'années. Les
Argiensavoientune Fête nommée Dau-
lis y pour renouveiîer le fouvenir du
combat de Prœtus contre Acrifius. A
JEgine étoit la Fête nommée Delphime ,
en Ihonneur d'Apollon de Delphes. Les
Délies dévoient leur origine à Thefee ,
lorfqu'à fon retour de Crète , il plaça
dans un Temple la Statue de Venus,
qu? Ariadne lui avoii donnée.
Les Ephefties étoient des Fêtes de Vut-
cain , où trois jeunes garçons portant des
torches allumées , couraient de toute
leur force, .& celui qui atteignoit le but
le premier fans avoir éteint fa torche ,
gagnoit le prix deitiné'à cette courfe.
Les Ephejlries , qu'on celebroit à Thebes,
avoient quelque chofe de bien fîngulier.
On habiiloit le Devin Tirefias en femme,
■.puisonledeshabilioitj, & onluidonnoit
un autre habit, pour marquer qu'il avoit
changé de fexe , comme nous le dirons
dans fon hiftoire ; & comme Ephejîrie
lignifie une forte d'habit, une efpecede
furtout, ce mot devint celui de la Fête.
Il arrivait fouvent aufli que les Fêtes
526 La Mythologie & les Fables
des Grecs tiroient leur nom du lieu où
elles étoient célébrées. Les Gerejîies ,
Fêtes de Neptune, étoient ainfi nommées
de Gerefte , bourg de PEubée. Les Itho-
mées , pendant lefquels les Mufîciens
jouoient à l'envi de leurs inftrumens en
l'honneur de Jupiter , tiroient leur nom
d'un lieu nommé Ithome. Les Geronthées y
Fêtes du Dieu Mars, du lieu appelle
Geronthé , ainlî de plufîeurs autres.
Quelquefois elles prenoient leur nom
de la chofe qu'on y offroit aux Dieux.
Les Hecatombées , étoient ainfî appellées,
parce qu'on y immoloit cent bœufs. Les
Galavies, Fêtes d'Apollon , parce qu'on
ofrroit à ce Dieu une bouillie d'orge &
de lait. Les Hecatonphonies , marquoient
chez les Lacedemoniens qu'ils avoient
tué cent de leurs ennemis. Les Elapho-
bolies , dans laquelle on immoloit à
Athènes des cerfs à Diane , parce que ce
mot fignifie que cette DefTe les tuoit à
la cbalfe.
Plus fouvent encore des Dieux ou des
Héros en l'honneur defquels elles étoient
inftituées ; ainlî on voit bien , fans qu'il
foit befoinde s'étendre fur ce fujet, que
les Heraclées étoient les Fêtes d'Hercu-
le , les lier mées , les Fêtes de Mercure ;
les Hyacinthwées , la folemnité ou le
Expl. par PHijl. L. III. Ch. XIII. 527
deuil que les Lacedemoniens celebroient
en l'honneur d'Hyacinthe. luesEumeni-
des y les Fêtes des Furies ; les Erotides ,
celles de l'Amour, ou de Cupidon ; c'é-
toient les Thefpiens qui celebroient cette
Fête: les Iolees y celles d'Iolaiis, com-
pagnon d'Hercule : les Ifées , celles d'I-
iîs. Les Leonidées , celles de Leonidas.
Les Inoées , celles d'Ino. Les Limnati-
des y celles de Diane furnommée Lim-
natis. Les Lïnïes ? celles de Linus. Les
Lycurgiesy celles de Lycurgue. Les Mu-
fées y celles des Mufes. Les Pelopies,
étoient les Fêtes de Pelops ; les Paufa-
riiesy celles de Paufanias , Roi de Spar-
te : les Promethées y celles de Prome-
thée. Les Protef-lées y celles de ce Pro-
tefïlas qui fut tué furie rivage de Troye.
Les Pofidonies , celle de Neptune, fur-
nommé par les Grecs Pofeidon. Les TY-
tanies , celles des Titans ; les Trophoniesy
celles de Trophonius. Les Theféïdes ,
celles de Thefée ; les Diocléïdes y celles
du Héros Dioclès, fans parler d'une in-
finité d'autres.
Enfin elles prenoîent leur dénomina-
tion des furnoms des Dieux ; comme les
Eleutheriesy de Jupiter Eleutherien , ou
Libérateur ; les Dyflinnies y de Diane
Dyâinne y & plusieurs autres.
528 La Mythologie &Us F,dks
Voici deux Fêtes qui demandent un
.peu plus de détail. La première étoit les
Daphnephones y qui fe celehroient tous
les neuf ans. On mettoit un Globe de
cuivre fur une branche d'Olivier , duquel
pendoient piufîeurs autres petits Globes :
le premier defignoît le Soleil, ou Apol-
lon ; le fécond, un peu plus petit, ce-
ïîgnoit la Lune ; & les autres, les Etoi-
les. Les couronnes qui environnoient
ces Globes , marqu oient les jours de
J'année. Cette branche ainfi ornée étoit
portée en pompe par un jeune homme,
qui tenoit auffi en main une branche de
laurier , & pour cela étoit nommé Da-
phnephore. Ce jeune homme, choifi par-
mi les meilleures familles, devoit être
bienfait, fort & robufte , comme nous
( i) inBecu l'apprend Paufanias ( i ). La féconde
. étoit la Fête de la flagellation, nommée
Diamaftigote par les Grecs. Tertullien
qui en parle , dit qu'à Lacedemone , où
cette Fête étoit célébrée , les jeunes en-
cans de la première NoblefTe , fe tenoient
devant l'Autel , où en prefence de leurs
.parens ils étoient fouettés avec tant de
cruauté , que quelquefois ils en mou-
roient , & cela fans fe plaindre , ni don-
ner la moindre marque d'impatience :
ceux qui étoient les vi&imes de cette
barbarie
Expl. par VHifl. L.III. Ch. XIIL s 29
barbarie , étoient couronnés avant que
d'être mis en terre. Dans la fuite on fc
contentoit de fufliger ces jeunes gens y
jufqu'au premier fang. Pendant la céré-
monie le Prêtre tenoit à la main une Sta-
tue de Diane, très-legere; mais qu'il
difoit s'appefantit lorsqu'on fe relâchoit
durant cette opération.
Les Dtonyfiaques étoient auflî des Fê-
tes célèbres 5 non feulement à Athènes,
mais auflî dans toute la Grèce ; leur nom
marque allez qu'elles étoient inftituées
en l'honneur de Bacchus, nommé Dio~
nyfius. Elles fe divifoient en grandes , en
petites , en anciennes Se en nouvelles ; &
chacune avoit des fingularités qui les
diflinguoient : dans toutes , regnoientla
licence 5c la débauche. Ce Dieu avoit
auflî plufïeurs autres Fêtes, comme , les
Trïéterides 9 ainfî nommées parce qu'on
les celebroit tous les trois ans ; on les
appelloit à Rome les Triennales , pour
la même raifon.
Le jour de la Dédicace de chaque
Temple, étoit célébré par une Fête par-,
ticuliere , qu'on nommoit les Encenies*
Les quatre Saifons de l'année a\ oient
auflî leurs Fêtes qu'on nommoit Horées,
du nom Grec des Saifons , £&i ; & dans
chacune de ces Fêtes on faifoit un repas
Tome I. Z
Ç$0 La Mythologie & les Fables
folemnel des fruits de la terre. A chaque
nouvelle Lune fe faifoient les Fêtes
nomméesNeomenies.ljes Fêtes des morts,
étoient appellées les Nemefees , parce
qu'on croyoit que la Déefle Nemefis
prenoit foin d'eux. Au mois de Janvier,
étoit la Fête des noces , célébrée en
l'honneur de Junon Gamelta , qui prefï-
doit aux mariages. C'eft de cette Fête
que le mois auquel elle fe celebroit , a
pris le nom de Gamelton.
La Fête des Lampes fe celebroit trois
fois Tan. La première s'appelloit Athé-
née, la féconde Hephejliée ou Vulcaniey
Se la troisième Prometkée. La cérémonie
confîiloit fur-tout à allumer des Lampes
?endant la nuit. Cellequ'on celebroit à
ellene en Thonneur de Bacchus, & dans
laquelle on allumoit aufli des Lampes,
étoit nommée les Lampteries. Les Egyp-
tiens du temps des Ptolemées, avoient
une Fête qu^onnommoit la Oetiophorie,
parce que ceux qui dévoient aflïfter au
feflin qu'on faifoit dans le tempsde cette
Fête, portoient à la main des bouteilles
de vin. Les Pelories , célébrées par les
Theflaliens , & inftituées par Pelorus ,
avoient beaucoup de rapport avec les Sa-
turnales : les Maîtres y fervoient leurs
valets à table , comme dans les Chromes
ExpLpar PHifi. L. III. Ch. XIII. ;5 1
célébrées à Athènes en l'honneur deChro-
nos ou Saturne. Les Sabafies étoient des
Fêtes nofturnes en Fhonneurde Jupiter
Sabafîen , ou de Bacchus qui avoit le
même furnom ; nous examinerons ce que
ce mot fîgnifîoit , dans Thiftoire des myf-
teres de Mithras. Les Thargelies , Fête
qui donna fon nom au mois Tkargelion,
qui repond à notre mois d'Avril, étoient
diftinguées des autres parle Sacrifice de
deux hommes , ou d'un homme & d'u-
ne femme, qu'on avoit foin d'engraifTer
auparavant. Les Plymeries étoient des
jours de Fête de Minerve , qu'on croyoit
malheureux, & pendant lefquels, félon
Xenophon , on fermoit les Temples de
cette DéefTe. Il étoit défendu expref-
fement de travailler à quelqu'ouvrage
que ce fat, pendant le jour que devoit
durer cette Fête , même en cas de ne-
ceffité. Il étoit permis alors, par la Lof
de Solon, de jurer par les trois noms de
Jupiter , propice , expiateur , & dé-
fenfeur.
Telles étoient les principales Fêtes
des Grecs : celles dont je n'ai point fait
mention , font refervées pour l'hiiloire
des Dieux ou des Héros , dont je parle-
rai dans la fuite. Ainfî on trouvera la
defeription des Panathénées & des Pan*
Zij
r 3 2 La Mythologie & les Fables
Hellenies dans l'Hiftoire de Minerve;
les Oly>np.:es dans la defcription de ces
Jeux ; les Leontiques dans lesmyfteres de
Mithras , dont elles faifoient partie ; les
Eléufinesy ÔcThefmophories, dans l'I'
toire de Cerès ; les fêtes Egyptiennes,
à la fuite de l'article d'Ofiris , &c.
Le Calendrier Romain étoit encore
plus chargé des Fêtes que celui des
Grecs (a), puifqu'outre celles qu'ils en
avoient empruntées , ils en avoient mfti-
tué plufieurs inconnues aux autres Peu-
ples : commençons par celles qu'ils
avoient prifes des Grecs.
Comme ceux-ci celebroient les Chro-
mes en l'honneur de Saturne , les Ro-
mains avoient leurs Saturnales qui furent
célébrées pour la première fois , au mois
de Décembre , l'an de Rome i;7- Pen-
dant cette Fête , fi nous en croyons Ac-
cius , cité par Macrobe , qui a décrit fort
(0 l. sat. au long cette Fête (i) , le Sénat ne s'af-
c- '' fembloit point , & les Ecoles publiques
étoient fermées. Tout le monde prenoit
le bonnet nommé Pileus , pour marque
de la liberté, & des habits particuliers a
cette Fête. On fe regaloit ; on s'envoyoït
des prefens ; les Maîtres fervoient les
M Voyei pour cetartiîle Ovide , Rofmus , Beger , &
Demfpterus.
ExpLparPHift. L. III. Ch. XIII. S33
valets à table , & les traitoient magnifi-
quement : enfin tout refpiroit la liberté ,
& rappelloit le fouvenir du fiécle d'or,
pendant lequel Saturne avoit régné , &
**ii tout étoit commun. Selon Macrobe
que nous venons de citer , cette Fête
commençoit anciennement le 14. avant
les Kalendes de Janvier ; mais lorfque
Cefar eut ajouté deux jours à ce mois ,
elle fut reculée au 16.
La Fête nommée Jovialia , étoit la
même que celle que les Grecs appelloient
Diajia, & elle fe celebroit en l'honneur
de Jupiter. Les Megalefes , chez l'un 8c
l'autre Peuple , étoient inftituées en
l'honneur de Cybele , ou de la grande
Mère. Les Romains qui celebroient cet-
te Solemnité au mont Palatin , près du
Temple de cette Déefle , y avoient ajou-
té deux jours , nommés Megalefiens.
La Fête Herea , que les Grecs avoient
établie en l'honneur de Junon , fe nom-
moit à Rome , Junonia > & étoit la mê-
me. Les Céréales & les Ambarvales des
Romains , étoient auflî les mêmes que les
Demetries & les Thefmophories des Grecs >
& les unes & les autres , des Fêtes de
Cerès ; comme les Mangelies de ceux-là
étoient les Panathénées des Grecs ea
l'honneur de Minerve ; les Mercurïalia
Z ii j
y 3 4 La Mythologie & les Fables
des Romains , les mêmes que les Hermia
des Grecs. Chez l'un & chez l'autre
Peuple , les Orgies , les Triéteries > les
Nyfiilées Scies Bacchanales y étoient les
Fêtes de Bacchus. Mais parce qu'à Poc-
cafion de ces dernières Fêtes les Ro-
mains firent quelques changemens, il eft
bon de les indiquer. D'abord ils ne cele-
broient leurs Bacchanales , que trois fois
Tannée; enfuite on les folemnifa tous
les mois. Voici ce qu'au rapport de Ti-
(0 Qnatrié- te-Live (i) , Hifpala Fecenia , Affran-
m-x Dec. 1. $• cfeQ . ^çlara fur cela au Conful Pof-
thumius.
» Dans les premiers temps , lui dit-
» elle , les Bacchanales n'étoient cele-
» brées que par des femmes , fans qu'on
» y admît aucun homme. Il y avoit trois
» jours de l'année , choifis pour initier à
» ces myfteres , & la cérémonie s'en fai-
» foit de jour. Les Matrones choifîf-
y> foient entre elles les PrêtrefTes qui de-
» voient y prefider. Paculla Miniachan-
» gea tout ; initia fes deux fils , fit faire
» la cérémonie la nuit , 5c au lieu de trois
* jours } eHe en établit cinq dans chaque
» mois de l'année. Ce mélange d'hom-
» mes Se de femmes , donna lieu à des
33 defordres affreux , Se s'il fe trouyoit
è quelqu'un dans la compagnie qui en:
Expl.parPHifl; L.IIL Ch.XIIL ^
» marquât de l'horreur , on l'immoloit
» comme une victime agréable au Dieu
& qu'on honoroit , ou on le faifoit difpa-
« roître par le moyen de quelque ma-
» chine , & on publioit qu'il avoit été
» enlevé dans le ciel.
» Pendant cette Fête, (c'eft toujours
» le récit de l'Affranchie ) les hommes
» contrefaifant les infenfés , & faifant di-
» vers mouvemens de leur corps , prédi-
*> fent l'avenir , pendant que les femmes
3D vêtues en Bacchantes , & toutes éche-
» velées , courent vers le Tybre , des
» torches allumées à la main , qu'elles
« plongent dans le fleuve , où elles ne
y> s'éteignent point , parce qu'elles font
» faites avec dufouphre & de la chaux «*
Le Sénat , pour remédier à ce defordre*
fît un Décret qui fupprïma la célébra-
tion de ces infâmes myfteres dans Rome,
& dans toute l'Italie ; mais on conferva
les Libérales, autre Fête de Bacchus.fur-
nommé Liber Pater y qu'on folemnifoit
le 17. de Mars , parce qu'elles étoient
moins licentieufes. On y offroit une li-
queur, compofée de miel, qu'on jettoit
au feu.
Les Lupercales étoient célébrées éga-
lement en Grèce & à Rome , en l'hon-
neur de Pan. Ce fut Evandre , au rap-
Z iiij
J3 6 La Mythologie & les Fables
(OLiv.M. perde Tite-Live (i), de Plutarque (2)
(2) In Rom. ar 1 T n- / N v / f v >
û) L.43.1, <* de J.u™n (3) 5 qui en apporta les cé-
rémonies d'Arcadie en Italie. Les jeunes
gens ? pendant cette Fête , couraient
tout nuds , tenant des fouets à la main,
frappant indifféremment tous ceux qu'ils
rencontraient. Les femmes, même cel-
les de qualité, croyant que ces coups de
fouet avoient 1a vertu de les rendre fé-
condes, ou de les faire accoucher heu-
reufement quand elles étoient enceintes,
s'approchoient pour les recevoir. Valere
4-)L.ii.€.:. Maxime (4) prétend que cette Fête ne
commença que du temps de Romulus ,
à la parfuafion du Berger Fauftulus.
Dans la première célébration on immola
des chèvres au Dieu Pan, Les Bergers
qui y étoient invités , s'étant échauffé la
tête dans le feftin, fe partagèrent en
deux bandes , & coururent en folâtrant ,
revêtus des peaux des vi&imes qu'on ve-
noit d'immoler. Pour rendre cette Fête
plus folemnelle , les Romains avoient
établi deux Collèges de Luperces, nom-
més les Fabiens, &les Quintiliens ; dans
la fuite on en créa untroifiéme en l'hon-
neur de Cefar , encore vivant.
Les Efculapies des Romains, les Mu-
fées y les Anaces , & quelques autres,,
étoient des Fêtes empruntées des Grecs,..
Expl.parPHifi. L.III. Ch.XÎIT. j.37
<lue les uns & les autres celebroient en
l'honneur d'Efculape , des Diofcures 9
& des Mufes. Parlons maintenant de
celles qui étoient d'inftitution Romaine.
Les Agonales , ou Agonies , inftituées
par Numa Pompilius , fe celebroient
trois fois Tannée , le 1 1. de Janvier , le
21. de Mai, & le 13. Décembre. On
croit communément que Janus étoit
l'objet de cette Fête ; cependant Feftus
dît que c'étoit le Dieu Agonius. Varron
nous apprend (1) qu'on y immoloit un LmefLar"
Bélier. L'étymologie du nom de cette^
Fête efl conteftée. Il y en a qui pen-
fent qu'elle étoit tirée delà Formule que
prononçoit le Prêtre avant que de facri-
fier ,. Agon , ferai-je? D'autres préten-
dent qus ce nom vient du mont Agon5
où Ton celebroit cette folemnité ; mais
l'opinion la plus fuivie , Se qui efl celle
d'Ovide, eft que cette Fête fut ainfr
nommée, à caufe dès Jeux, ou plutôt
des combats qui Paccompagnoient , que
les Grecs nomment dy ■«»**.
Les Ageronales y Fête d'Àgerona \
DéefTe du filence, comme Harpocrate
en étoit le Dieu parmi les Grecs , fe ce-
lebroient le 21. Décembre.
UArmiluflre y Fête du dix-neuviéme
jour d'Oftobre , avoit cela de particu-
Z Y
$ 3 S La Mythologie & les Fables
lier , qu'on étok tout armé au Sacrifice
qu'on y offrait. On confond fouvent cet-
te folemnité avec celle que celebroient
les Saliens , Prêtres du Dieu Mars , &
pendant laquelle ils portoient les Ana-
les, qui étoient de petits boucliers , dont
je parle ailleurs : mais il faut les distin-
guer , i°. Parce que cette dernière Fête
arrivoit le deux de Mars, 2°. On jouoit
de la flûte à la fête de YArmiluftre , & de
la trompette à celles des Anciles.
Les Caprotines , célébrées le neuf Juil-
let, étoient une Fête de Junon furnom-
mée Caprotine , où il n'y avoit que des
femmes pour Miniftres des Sacrifices.
Les Servantes , pour qui on les celebrok,
couroient pendant cette folemnité, & fe
battoient à coups de poing & de fouet,
Celle des C arment aie s , célébrée le
quinze Janvier, étoit pour les Mères de
famille. Je parle ailleurs de la Prophe-
tefle Carmenta, mère d'Evandre.
Dans les Charmes y dont la fête tom-
boit au onzième des Calendes de Mars,
lesparenss'affembloient, & fe faifoient
des prefens les uns aux autres.
Comme les Caprotines étoient pour les
Efclaves dufexe, les Compitales, ou la
fêl e des Carrefours, inftituée par le vieux
Tarquin 3 étok celle des hommes Efcla*
ExpLpar PHifî. L.IIL Ch.XIIL s 39
Ves , qui feuls pouvoient y aflifter, & y
ofFrir les facrifices aux Génies des carre-
fours , en l'honneur de qui fe faifoit la
fète (*)• . . (i) Denys
Les Confuales y dédiées au Dieu Con- d'Haï, l.^
fus, étoient célébrées dans une Chapelle
fouterraine du Cirque , confacrée à cette
Divinité. Pendant ce jour-làles chevaux
& les mulets ne travailloient point. Cette
fête, comme la plupart des autres, avoir
des jeux , ainfîque des facrifices & des
libations.
Dans les Faunales, célébrées aux No~
nés de Décembre en Fhonneur de Fau-
nus , onimmoloit des boucs , & on faifoit
des libations de vin : c'étoit au milieu des
bois qu'on s'aïTembloit pour cela.
Les Ferales , qu'Ovide dit avoir été
înftituées par Enée , étoient une fête
des Morts, dans laquelle on portoitaux
fepulcres des viandes , pour y célébrer
un feflin.
Les Fontinales , ainlî nommées parce
que ce jour-là on jettoit dans les fontai-
nes des couronnes,qu'on mettoit fur la te-
te des enfans, arrivoient le 1 3 . d'Oftobre*
Les Fordicales , du mot forda, qui
veut dire , une vache pleine, arrivoient
le 1 y. d'Avril , & on immoloit une vache7
avant qu'elle eût mis bas.
Z vj'
J4° Là Mythologie & les Fables
Les Fornacales , qui dévoient leur inC-
titationàNumaPompilius, & qu'on ce-
lebroit le 12. avant les Kalendes de
Mars, étoient une fête au jour de laquel-
le on mettoitde la farine dans une four-
naife, en l^honneur de laDéeffe Fornax.
Comme Laverna étoit parmi les Grecs
la Divinité des voleurs , Farina l'étoit
chez les Romains , qui avoient inftitué
une Fête en fon honneur, nommée Fu*
rinalia y qu'on célebroit , félon Rofîn ,
le 12. de Kalendes de Juillet. Le Prêtre
de cette Déeffe étoit appelle FlamenFa-
rinalis. Elle avoit auflï un Bois facré,
dans lequel ,.au rapport de. Plutarque ,
C. Gracchus fut tué.
Les Hilaries , dont le nom marque af-
fez que la fête étoit gaye , fe célebroient
en l'honneur de Cybele, le 8. avant les
Kalendes d^ Avril. On y portoit fes plus
beaux habits ; on y changeoit même ceux
de fa condition , contre ceux d'une autre,
& on faifoit conduire devant foi3ce qu'on
avoit de plus beau & de plus fîngulier
dans fa maifon.
Les Laurent aies , inftituées en l'hoa-
neur d'Acca Laurentia , femme du Ber-
ger Fauftulus, & nourrice de Romulus
êc de Remus , tomboient fur le dixième
avant lés Kalendes de Janvier. Les Pou-
Explparmfl. L. III Ch.XIII. y4i
tifes y offraient les facrifices dans le Ve-
lâbre près du Tybre.
Les Feries Latines ne fe célébraient
pas à Rome , mais à Albe , où les villes
Latines , au nombre de quarante-fept ,
avec les Magiftrats Romains s'affem-
bloient , pour y facrifîer tous de con-
cert , en l'honneur de Jupiter Latialis >
un Taureau v dont chacun après l'immo-
lation avoitune partie. On,y offroitaufli
du lait f du fromage , & d'autres efpeces
de libation , que ceux qui venoient à cet-
te folemnité , y apportoient. D'abord
elle ne duroitque deux jours, puis on y
en ajouta un troifîéme , & enfin un qua-
triéme. Macrq.be (r) obferve qu'il n'étoit M Sat. îiv>
pas permis de commencer, la guerre pen-
dant les jours de cette Ferie , qu'il nom-
me , après Varroa, Latiar.
LtCsLemuries étoienf établies pour ap-
paifer les Génies malfaifans , qu'on nom*
moit Lemuria. On croyoit qu'on pouvoit
les chaffer des maifons , où ils caufoient
de l'épouvante pendant la nuit, en leur;
jettant des fèves.
Les Fêtes Romaines avoient toujours
quelque motif de leur inflitution ; on y
demandoit aux Dieux y ou une bonne re-*
coite , ou quelqu'autre bien. On y ap-
pcûfoit ceux qu'on croyoit avoir offenfés;
i.ck. 16.
£42 La Mythologie & les Fables-
on vouloit détourner les maux dont onr
étoit menacéjComme qji peut l'avoir ju-
gé par Phiftoire de celles dont je viens
de parler. Souvent c'étoit pour fe ref-
fouvenir d'un bienfait reçu;ot telle étoit
la fête nommée les Luceries , mot tiré de
Lucus , bois facré. Cette folemnité fe
célebroit dans un de ces bois ,. qui étoit
entre la Voye Salarie & le Tybre , en
mémoire de ce que les Romains pour—
fuivis par les Gaulois , y avoient trou-
vé une retraite qui les avoit fauves : ou
bien pour conferver la mémoire d'un
mauvais événement ; telle étoit la Fête
des Populifugies, établie pour renouvel-
1er le fouvenir du jour auquel le Peu-
ple, Se les Gardes mêmes' de Romulusr
avoient pris la fuite , lorfqu'on apprit la
confpiration des Fidenates & des autres
Peuples Latins , contre les Romains*
Quelquefois feulement pour s'exciter à
îa joye;telle étoit la Fête des Maiames9
ainfî nommée , parce qu'on la célebroit
le premier Mai, jour auquel les princi-
paux de la ville fe rendoient à Oftie 9
où ils prenoient toutes fortes de diver-
îifTemens. Comme les folemnités où le
plaifïr domine , font celles qu'on a le
plus de peine à abolir, celle-ci dura
long-temps 3 même fous les Empereurs
Chrétiens*
Expl.parFBJt. Liv.IIL Ch. XIII. f^
Nous avons vu qu'il y avoit des Fê-
tes propres à certains états , comme les
Caprotines pour les Servantes, & d'au-
tres pour les Valets; en voici encore
du même genre. Les Marchands eri
avoient une , qu'ils célébraient au mois
de Mai , en Fhonneur de Mercure , là
Dieu du Commerce.
Les Matrales étoient la Fête des Ma-
trones,en l'honneur de la DéefTe Matu*
ta , à laquelle on offroit des libations
ruftiques , cuites dans des pots de terre :
ce font ces libations qu'Ovide (i) nom- 0) Fa*U
me Flava liba. Mais comme la gran- hv' **•■
deur veut fe foutenir partout , même jus-
qu'au pied des Autels , les Dames Ro-
maines qui excluoient toutes les Efcla-
ves de cette Fête, en faifoient venir
une feule qu'elles foufflettoient large-
ment. Ces Matrones avoient encore une
autre Fête nommée Matronalia , qu'el-
les célebroient en l'honneur du Dieu
Mars , le premier du mois qui porte le
nom de ce Dieu. Ovide (2) rapporte (2)Fafo
cinq raifons de l'inftitution de cette Fê- liv' 3-
te. La première. , en mémoire de la paix
faite entre les Sabins & les Romains, à
laquelle les Sabines , femmes de ces der~
niers , eurent tant de part. La féconde *
afin que Mars rendît ces Dames Ro-
5:44 La Mythologie & Us Fabler
maines aufîTheureufes que Romulus Con
fils. La troifîéme , afin que la fécondité^
que le mois de Mars procure à la terre*.
leur fût accordée. La quatrième , parce,
que c'étoit à pareil jour qu'on avoit dé-
dié au mont Efquilin un Temple à Lu-
cine , la DéelTe des accouchemens. La
cinquième , quï revient à la même , par-
ce que Marsétoit fils de Junon, laquel-
le préfide aux mariages.
Les Paftres *& les Bergers avoient
auffi leur Fête; c'étoit celle des Paît-
lies, dédiée à Paies leur DéefTe. Ce
jour-là le peuple avoit foin de fe puri-
fier avec des parfums , mêlés- de fang de
cheval, de cendres d'un veau qu'on fai-
foit brûler au moment qu'on l'avoit tiré
Ci) les Vef- ^ ventre de fa mère (i) , & de tiges de
aies avoient ^
feules le droit fèves. Les Bergers, dès le matin du jour
fle brâkr ce de la Fête , purifioient auffi leurs ber-
cails & leurs troupeaux , avec de 1 eau.
& du fouphre , & faifoient brûler l'her-
be nommée Sabine, dont la fumée fe
répandoit dans tout le bercail. Après.
cela , ils facrifioient à la DéeiTe, du lait,
du vin cuit , & du millet ; puis fuivoit
te feftin. Le foir ils faifoient brûler de
îa paille ou du foin , & fautoient par-
defTus : Ovide décrit fort au long toute
cette folemnité* Ces cérémonies étoiem;
p/.^rrH^.Liv.IILCHAP.XIII.y47
accompagnées d'inflrumens , tels que
des flûtes , des cymbales & des tam-
bours ; qui jouoient toute la journée.
Enfin les jeunes gens & les Ecoliers
avoient auffi leur Fête , nommée Quin-
quatrtes , mot dont on peut voir l'éty-
mologie dans Varron & dans Feftus. Ce
jour-là les Ecoliers faifoient des prefens
à leurs Maîtres : cette Fête tomboit le.
24. avant les Kalendcs d'Avril.
Terminons cette Lifte par quelques
autres Fêtes moins célèbres , fur les-
quelles nous dirons peu de chofes. Les.
Meditrvi ailes > étoient les jours qu'on
goûtoit le vin nouveau. Les Romains
avoient une DéefTe Meditrirah , & c'é-
toit en fon honneur que la Fête étoit
înftituée.
Les Opalies , étoient la fête d'Ops>
la même que Cybele. Anciennement
on la célebroit le même jour que les Sa-
turnales, mais Cefar, dans la reforma-
tion du Kalendrier, la remit à un autre
temps.
Les Quinnales , étoient la fête de
Romulus,fumommé^#inW.r. Elle étoit
nommée la fête des fous , parce que ce,
jour-là ceux qui avoient oublié de cé-
lébrer les Fornacaks , dont nous avons
parlé; étaient obligés pour expier leuu
546 La Mythologie & les Tables
faute , de facrifier à Quirinus.
Le Regifuge avoit été inftitué pour
conferver le fouvenir de l'expulfîon de
Tarquin ; & ce jour-là le Roi des Sacri-
ficateurs prenoit la fuite dès que le Sa-
crifice étoit offert. Plutarque (1) don-
ne une autre origine à cette fête ; mais
(2) Faft. 2. Ovide (2) & Feftus font en cela plus
croyables que lui.
Comme la crainte dts maux à venir
avoit beaucoup de part dans le culte re-
ligieux des Payens, ils avoient établi
des fêtes pour en être prefervés : celle
qu'on appelloit Roèîgalia , du Dieu i?0-
bigus y qu'on croy oit garantir les bleds
de la rouille , étoit de ce nombre. On
la célebroit fur la fin d'Avril , & on of-
frait à cette Divinité une brebis & un
chien , avec du vin & de l'encens.
Le Septimonium étoit une fête établie
à Rome , lorfqu'on mit une feptiéme
montagne dans fon enceinte. Cette fête
pendant laquelle on ofFroit fept facrifi-
ces en differens lieux , tomboit au mois
de Décembre ; & les Empereurs fai-
foient ce jour -là des libéralités au
peuple.
Les Terminale s étoient ainfî nommées
ft)Dci.Lat. félon Varron(3), parce qu'elles fe cé-
tv* 5" lebroient au dernier jour de Février ^
ExpLpar PHijl. Liv.III. Ch.XIIL ^47
qui terminoit Pannée Romaine : ou plu-
tôt , comme le prétend Denys d'Hali-
earnaffe (1) , parce quelles étoient inf- (*) Liv* *
tituées par Numa en l'honneur du Dieu
Terme , lorfque ce Prince établit qu'on
jnettroit des bornes aux champs y afin
que chacun reconnût l'étendue du fîen.
Cette fête étoit totalement champêtre ,
ÔC il n'étoit pas permis d'y rien 'offrir ,
qui eut été animé y de peur d'enfan-
glanter les bornes , auprès defquelles
on prefentoit des fruits au Dieu qui y
préfidoit , & on lui faifoit des libations
de lait & de vin. Il faut cependant que
dans la fuite du temps ? on ait fait quel-
que changement là-deiTus, puifque nous
apprenons de Plutarque (2) que les Pay- ^ ^
fans s'affembloient ce jour-là auprès des
bornes , & y immoloient une truye ou
un agneau. Quoiqu'il en foit, il n'y
avoit rien de plus facré parmi les Ro-
mains , que les bornes des champs ; &
ceux qui avoient l'audace de les chan«*
ger, étoient dévoués aux Furies , & il
étoit permis de les tuer.
Les Tubilaflrts étoient une fête du
mois d'Avril 5 inflituée pour purifier les
Trompettes : on facrifioit pour cela un
agneau femelle. On faifoit auffi la mê-
me purification aux Vulcanaks , fête ce-
5-48 La Mythologie & les Fables
lebrée le 10. avant les Kalendes de Mai
en Thonneur de Vulcain , le Dieu du
feu; & c'eft pour cela qu'on jettoît au
jour de cette fête des animaux dans le
feu*
Vertumne , Pomone , & un grand
nombre d'autres Dieux ou demi-Dieux,
avoient aufîî leurs fêtes , fur lefquelles ,
comme il n'y a rien de particulier à ap-
prendre, je renvoyé à Ovide, 6c à Ro-
fin qui a donné un Kalendrier Romain
avec toutes fes fêtes & feries (1).
Finitions cette Lifte par les Vinales ,
qu'on célebroit deux fois Tannée , le 9.
avant les Kalendes de Mai, & le 13,
avant celles de Septembre. Les pre-
**• mieres, établies félon Pline (2) pour
goûter le vin , n' avoient aucun rapport
à la confervation des vignes ; les fé-
condes étoient pour obtenir un temps
favorable à la vendange.
Telles étoient les Fêtes des Romains,
marquées dans leur Kaiendrier ; & fi on
en célebroit quelquefois d'extraordinai-
res , comme les jours deftinés aux Sup-
plications publiques > c'étoit le Magis-
trat qui les indiquoit dans des cas ex~
traordinaires.
Expl.parVHiJl.Liv.IlI.CHAv.XÏV.^p
CHAPITRE XIV.
Des Supplications publiques y des Le&i-
fternes, des Evocations & des Dé-
vouements.
LEs Supplications publiques fe fai^
foient ou dans les occafions prêt-
antes; comme dans le temps de pef-
te , ou de quelque maladie populai-
re ; ou après quelque vi#oire inefpe-
rée , lorfque celui qui venoit d'être élu
General , demandoit au Sénat fa confir-
mation , & en même tems la Supplica-
tion pour fe rendre les Dieux favora-
bles, & pour d'autres fujets encore. Ces
Supplications étoient des jours folem-
nels, où il n'étoit pas permis de plaider
pour quelque fujet que ce fût, & on les
célebroit par des Sacrifices, des priè-
res , & des feftins publics. Quelquefois
le Sénat bornoit à un jour la durée de
cette fête, quelquefois on y en em-
ployoit plufieurs , & l'Hiftoire nous ap-
prend qu'il y en a eu qui ont duré jus-
qu'à cinquante jours.
On ne dit rien des Supplications par-
ticulières , qui n'étoient autre chofe que
£ 5 O La Mythologie & les Fables
les prières que chacun faîfoit aux Dieux
ou pour obtenir la fanté , une bonne ré-
colte, &c. ou pour les remercier des
biens qu'on en avoit reçus. Une feule
formule des prières des Payens y fuffira
pour en donner quelque idée : en voici
(2) Gruter une _ COnfervée dans une infcription (1)
que Camilla Amata fait à la Fièvre
pour fon fils malade. Divinœ Febri ,fanc-
tce Febri , magnœ Febri 9 Camilla Amata
pro jilio malè affeéio. P. Camilla Amata
offre fes prières pour fon fils malade à la
divine Fièvre y a la fainte Fièvre y à la
grande Fièvre.
ïcaiftcmium D J avoit une autre efpece de Sup-
plication publique, qu'on nommoit le
O) Macrot. Le&ifterne (2). Cette cérémonie con-
*** 3* fîftoit en un feftin que Ton préparoit ,
& que Ton donnoit dans un Temple ;
& parce que félon la coutume de ces
temps - là , on dreiïbit des lits autour
des tables , & que Ton plaçoît fur ces
lits les Statues des Dieux en l'honneur
defquels la fête fe célebroit , de même
que les hommes s'y couchoient dans
leurs repas , on Pappella Le&ifterne {a).
Les Epulons dont j'ai parlé dans l'arti-
cle des Prêtres , préiîdoient à cette cé-
(*) Ce mot efl compofé de ceux de lit , Uftus , & de
jltmere , dreflèr , préparer.
Expl. par PHijl. Liv. III.Ch. XIV. ;? r
remonie, & en étoient les ordonnateurs*
Valere Maxime ( I ) fait mention d'un fi) Liv. a.
Le&ifteme célébré en l'honneur de Ju- ch' I#
piter. Ce Dieu , c'eft-à-dire , fa Statue ,
y étoit couchée fur un lit, pendant que
celles de Junon & de Mercure étoient
fur des fîeges : Nam Jovis epulo ipfe in
Leâulum , Juno & Mercurius in Jèllas
ad cœnam invitantw.
Tite-Live, Ciceron, Lampridius &
d'autres encore , parlent fouvent de cet-
te cérémonie; & le premier de ces Au-
teurs en rapporte Finftitution à l'an de
Rome 35*4.. (2), à l'occafion de la pefte (2) Ur.sl
qui ravageoit cette ville. Ce Leftifterne ch% I5%
dura huit jours , & fut célébré en l'hon-
neur d'Apollon y de Latone , de Diane,
d'Hercule , de Mercure ôc de Neptune.
Valere Maxime , à la vérité , fait men-
tion d'un autre plus ancien , puifque fé-
lon lui , il fut célébré fous le Confulat
de Brulus , & de Valerius Poplicola ,
mais apparemment qu'il fut moins fo-
lemnel, ou que Tite-Live ne Ta pas
connu.
Jufqu'au temps de Cafaubon on avoit
crû que le Leftifterne étoit d'inflitution
Romaine , & qu'il n'étoit pas connu hors
de l'Italie ; Mais ce fçavant Critique ,
examinant un endroit du Scholiafte de
<; 5 2 La Mythologie & les Fables
• Pindare ( i ) & trouvant qu'il y étoît
parlé de ces oreillers qu'on mettoit fous
les ftatues des Dieux , en a conclu avec
raifon , que le Le&ifterne étoit en ufage
dans la Grèce. Les Auteurs font venus
au fecours de cette découverte , & c'eft
une vérité qui n'eft plus aujourd'hui
conteftée. En effet Paufanias parle en
pluïîeurs endroits de ces fortes de couf-
iîns , & rapporte dans fon voyage d'Ar-
cadie , qu'on en mettoit fous les ftatues
de la Paix ; & dans celui de la Phocide,
il parle de ceux fur lefquels on placoit
• celles d'Efculape. Valere Maxime (2)
en dit autant des ftatues d'Harmodius ,
& d'Ariftogiton. « Les ftatues de ces
» deux Héros , dit-il , qui avoient tant
x travaillé à délivrer Athènes de la ty-
» rannie qui les opprimoit , ayant été
» enlevées par Xerxes,Seleucus les ren-
*> dit dans la fuite; &lorfque le vaiffeau
» qui les portoit arriva à Rhodes , les
» chefs de la ville les vinrent prier d'ac-
» cepter Phofpitalité , & les placèrent
» fur l'oreiller : Rhodli quoque eas urbi
face appulfas y cùmm in hofpitium publiée
invitaient > facris ettam pulvinaribus col-
locaverunt. Et Suétone met ces oreil*
lers , que les Latins nommoient pulvi-
nariay & les Grecs fcXiWj au nombre
des
ExplparPHift. L. III. Cfï. XIV. 573
des chofcs qui n'étoient employées que
pour les Dieijx , lorfque parlant de Ce-
far, il dit (1) : Sed & ampliora kwnano U) r» c*f.
fajligio decernifibi pajfus efl. . . . Te?npla, ch* T6'
aras ,fimulachra juxta Deos , Yulvinary
Flametiy Lupercos , &c. <* Il fouffrit mê-
» me qu'on lui décernât des honneurs
» au-deflus de ceux qu'on rend aux hom-
» mes , des temples , des autels , des fta-
» tues auprès de celles des Dieux , ïoreil-*
*lery un Prêtre, des Luperces , &c.
Arnobe (2) dit de même en parlant aux (*) Arfr.
Payens de quelques-uns de leur£ Dieux:
» Il faut bien, dit-il , que vous les ayez re-
*> connus pour tels,puifque vous leur con-
*> facrez des Temples , des oreillers> &c.
Jacques Spon , dans fon voyage de la
Grèce , dit qu'on voy oit encore à Athè-
nes le Le&ifterne d'Ifîs 6c de Serapis.
C'étoit un petit lit de marbre de deux
pieds de long , fur un de hauteur , fur le-
quel ces deux Divinités étoient repre-
fentées afïîfes. Ce fçavant Voyageur dit
qu'on en trouvoit d'autres femblables
dans la même ville , comme auffi à Sala-
mine, & encore ailleurs. Nous appre-
nons par cette Relation la vraie forme
des Leftifternes & des couffins. C'étoient
de petits lits ou de marbre, ou de pier-
re , ou de bois , fur lefquels on plaçait
Tome L A a
| y 4 La My thologie & les Fables
les flatues des Dieux , en l'honneur def?
quels on preparoit un feftin.
Après ce que nous venons de dire , il
eft évident que le Le&ifterne étoit éga-
lement en ufage dans la Grèce & dans;
l'Italie. Ajoutons que les jours deftinés
à cette fête , étoient des plus folemnels,
pendant lefquels il n'étoit pas permis
d'envoyer perfonne au fupplice, & qu'on
donnoit même la liberté aux coupables.
C'étoit le premier Magiftrat , ou le fou-
verain Pontife qui les indiquoit, & l'ob-
jet étoif d'appaifer les Dieux , ou de leur
demander quelques grâces. FinilTons en
difant que la table du feftin , & les lits
où dévoient repofer les Dieux , étoient
ornés de rameaux , de fleurs & d'her-
bes odoriférantes. En voilà afTez fur ce
fujet ; difons un mot des Evocations.
ocrons. Il y en avoit de trois fortes ; les pre-
mières étoient des opérations magiques
qu'on employoit pour évoquer l'ame des
morts; & j'en parlerai dans F Article de
la Magie. Les fécondes , dont il fera ici
queftion, étoient employées ordinaire-
ment , pendant le fiege de quelque ville,
qu'on ne croyoit pas pouvoir 5 ni mê-
me devoir prendre , fans avoir invoqué
les Dieux, fous la prote&ion defquels
$) s* h elle étoit. Maqobe (i) nous a confères
Èxpl.parPHift.Liv.lll.Cn.XlV. ;yj
une formule d'Evocation , qui mettra les
Leéteurs au fait , mieux que tout ce qu'on
pourroit dire fur ce fujet. » Si c'eft un
» Dieu , iï c'eft une DéefTe fous la garde
» de laquelle efl la ville & le peuple de
» Carthage , je vous prie , je vous con-
3* jure, & je vous demande en grâce,
» grands Dieux , qui avez pris cette vil-
» le & ce peuple fous votre protection,
» d'abandonner ce peuple & cette ville,
*> de quitter toutes ces demeures , Tem-
» pies , lieux facrés; de les délaiffer,
» de leur infpîrer la crainte^ la terreur
x & l'oubli ; & de vous retirer à Pvome
» chez notre peuple : que nos demeures,
33 nos Temples, nos chofes facrées, &
» notre ville vous foient agréables. Fai-
» tes-nons entendre que vous êtes mon
» Protecteur ,- celui du Peuple Romain,
» & de mes Soldats. Si vous le faites ,
» je m'engage à fonder des Temples <5c
» des Jeux.
Enfin y la troifiéme forte d'Evocation,
étoit celle qui étoit employée pour évo-
quer les Dieux. Pour entendre ce que je
vais dire à ce fujet , il faut fçavoir que
la Théologie payenne enfeignoit que
les Dieux préfidoient particulièrement
fur quelques lieux, & que fouventily
gvoit plusieurs de ces lieux qui étoien|
A a i j
$ $6 La Mythologie & les Fables
fous la prote&ion du même Dieu ; 8c
comme il ne pouvoit être partout en
même temps , il étoit neceffaire d'ufer
de la cérémonie de l'évocation , quand
on croyoit avoir befoin de fa préfence.
On avoit pour cela des Hymnes propres
à cette opération , qu'on appelloit
xMriKoi , comme font la plupart de ceux
qu'on attribue à Orphée , & ceux^ du
Poète Proclus. Ces Hymnes étoient
compofés pour l'ordinaire de deux par-
ties. La première étoit employée à louer
les Dieux , & à parler des lieux differens
qui étoient fous leur protection. La fé-
conde contenoit la prière par laquelle
on s'efForçoit de les attirer, & de les
faire venir dans les lieux où leur préfence
étoit neceffaire. Lorfqu'on croyoit que
le Dieu Patron étoit arrivé , on celebroit
des fêtes qui étoient nommées *V«5V"*<-
Telles étoient quelques-unes de celles
des.Argiens en l'honneur de Junon, &
de celles des habitans de Delos & de Mi-
let , pour Apollon.
Lorfque le danger qui avoit fait ap-
peller les Dieux , étoit païTé , on leur
permettoit de s'en aller ailleurs , & on
avoit encore d'autres Hymnes pour ce-
(i)Poët.î.3.1ebrer leur départ. Jules Scaliger, que
cvnz.113. fôn peUt confulter fur cefujct(i)/>bler*
Expl.pàr rHift. L. III. Ch. XIV. 5-57
ve que ces Hymnes qu'on nommoit
ÙTrovi/LtriKot 3 & dans lefquels excelloit fur-
tout Bacchyllide, Poète lyrique , étoient
plus .longs que ceux qu'on employoit
pour faire venir les Dieux, afin de re-
tarder autant qu'on pouvoit leur éloi-
gnement. Car quand nous defirons , dit-
il , nous voulons que ce qui eft l'objet
de nos fouhaits , arrive proraptement ,
& que ce foit le plus tard qu'il eft pofïî-
ble , que nous en foyons privés.
Aux Evocations je dois joindre les Les Dovouc-
Devouemens , que les Romains appel- mcn5'
loient Dvvotio. Il y en avoit de particu-
liers, comme ceux des deux Decius , &
de Marcus Curtius, qui fe dévouèrent
pourlefalutdes Romains ; & de publics,
faits par le Didateur ou le Conful , à la
tête des armées. En voici la formule,
confervée par le même Macrobe (i). (0 Macrob.
*>Dis le père, (Pluton) Jupiter, Ma- sat.L3.c9.
» nés , ou de quelque nom qu'on puiffe
» vous appeller , je vous prie de remplir
*> cette Ville de Carthage , & l'armée
a dont je veux parler y de crainte & de
a terreur : Faites que ceux qui portent
» les armes contre nos Légions & contre
» notre armée , foient mis en déroute ;
» que ceux qui habitent leurs villes , &
» leurs campagnes , avec leurs habitais
A a iij
yy8 ta Mythologie & Us Parler
30 de tout âge , vous foient dévoués fe*
» Ion les loîx, fuivant lefquelles les plus
*> grands ennemis vous font dévoués. Je
35 les dévoue par l'autorité de ma.char-
*> ge , pour le Peuple Romain \ pour no-
» tre Armée , & pour nos Légions , afin
» que vous conferviez & les Comman-
» dans , & ceux qui fervent fous leurs
» ordres.
L'Antiquité ne nous a pas c'onfervé la
formule des Devouemens particuliers,
mais il eft fur qu'il y en avoit une ; Se
lorfque Decius fe dévoua , il avertit y
comme je le dirai dans une autre occa-
fîon , le Pontife Valere de prononcer la
formule du Dévouement : Deorum opey
dit-il , Valeri , opus efl ; agedum , prœi
verba qulbus mepro Legibm devoveam.
Lorfque la Loi devouoit quelqu'un à
la mort , il étoit permis de le tuer. Il y
en avoit une de Romulus qui étoit con-
çue en ces termes : Si Patronus Clientî
fraudemfaxit y facer efto. Si quelque Pa-
tron fait tort afon Client y qurîlfoït dévoué.,
C'étoit à Pluton, pu Dis , & aux autres
Divinités infernales , que les criminels;
étoient dévoués.
Je ne dirai rien ici des Supplications
& des Vœux fairs par des particuliers :
on voit jt>ien que le détail en feroit infiai»
ExpL par mjt. L. III. Ch. XIV. 579
£c nous apprendroit feulement que les
Dieux ayant toujours été regardés par
les Payens comme les auteurs de tous
les biens & de tous les maux , on ne
manquoit pas de leur demander ces biens,
& la délivrance des maux ; que dans le
danger ou dans les maladies , on leur fai-
• foit des vœux pour en être délivré, &
pour obtenir le recouvrement de la fan-
té ; qu'enfin on mettoit dans les Tem-
ples , en reconnoiflance , les membres
: de la guérifon defquels on croyoit leur
être redevables. Les Antiquaires en ont
confervé un grand nombre , comme on
peut le voir dans leurs Ouvrages. Parmi
ces vœux , il y en avoit qui portoieat
des cara&eres de differens Dieux , com-
me celui qu'on nomme la main d'Enée ,
fur laquelle il y a Votum Cecroptsy & qui
a été expliqué dans un petit Ouvrage
deThomafîm. Quelquefois c'étoit une
fimple main, un bras, une jambe, un
œil , fans aucun fymbole. Ce qu'an
trouve de plus fingulier parmi ces vœux ,
eft une Table de cuivre fur laquelle il
eft fait mention de toutes les guerifons
opérées par Pinterçeffion d'Efculape.
5<>0 La Mythologie & les Fables
CHAPITRE XV-
Des Cérémonies Religieufes pratiquées à
la fondation des Villes,
3 'Ai dit,il y a un moment,que les évo-
cations fe faifoient lorfqu'une Ville
étoit aflîegée, pour invoquer les Dieux,
fous la prote&ion defquels elle étoit ; &
comme ces mêmes Dieux en devenoient
les Patrons au temps de la fondation de
chaque Ville , il eft neceflaire de dire un
mot des cérémonies qui fe pratiquoient
en cette occafîon. Feftus nous apprend
que les Etruriens avoient des Livres qui
contenoient les cérémonies ufitées à la
fondation des Villes , des Autels , des
Temples , des Murailles & des Portes ;
&Plutarque dit que Romulus voulant
jetter lesfondemens de la ville de Rome,
fit venir d'Etrurie des hommes qui lui
apprirent de point en point toutes les
cérémonies qu'il devoit obferver. Selon
Denys d'Halicarnaffe , on commençoit
par offrir un facrifîce , après lequel on
allumoit des feux près des tentes; & ceux
qui dévoient avoir quelque fonftion
dans la conftruftion de la Ville , fau-
Expl. par VBft. Liv.IIL Ch.XV. ;<5i
toient pardeffus ces feux , pour fe puri-
fier. Enfuite on creufoitune foiTe , dans
laquelle on jettoit les prémices de toutes
les chofes qui fervoient à la nourriture
de l'homme , &une poignée de terre du
pays d?où étoient venus chacun de ceux
qui affiftoient à la cérémonie.
On confultoit en même temps Jes
Dieux, pour fçavoir fi l'entreprife leur
feroit agréable , & s'ils approuvoient le
jour qu'on avoit pris pour la commen-
cer. Enfuitê on traçoit l'enceinte par une
traînée de terre blanche , qu'on appel-
loit Terre pure ; & faute de cette efpece
de craye, onfe fervoit de farine , com-
me fit Alexandre , au rapport de Strabon,
lorfqu'il jetta les fondemens d'Alexan-
drie. Cette première opération achevée,
on ouvroit un fiilon auffi profond qu'il
étoitpofïible , avec une charrue d'airain,
& on attachoit à cette charrue un taureau
blanc, & une génifTe blanche. Toutl'ef-
pace que la charrue avoit ouvert étoit
réputé faint. Pendant qu'on formoit l'en-
ceinte , on s'arrêtoit de ten^ps en temps
pour renouveller les facrifices , & on
marquoit les lieux où ils étoient offerts ,
par un tas de pierres, qu'on nommoit
Cippes. On invoquoit dans ces facrifices ,
le* Dieux fous la prote&ion defquels on
5*62 La Mythologie & les Fables
mettoit la nouvelle Ville , ainfî que le5
Dieux du pays , nommés Dit patrii Indu
getes; ce qui fe faifoit fecretement, par-
ceque les Dieux tutelaires de chaque
ville dévoient être inconnus au vulgaire*
Ovide, dans fes Faftes > nous a ccnfervé
la formule de prière queRomulus adrel-
fa ^ux Dieux qu'il vouloit rendre favo-
rables à fon entreprife.
Vox fuit hxc Régis : Condenti Jupiter Urbem
Et genitor Mavsrs > Ve flaque mater ades.
Qjiûfque piurn efi aàhibere Deos, advenue cuntti,
Aufpkibus vobis hoc mihi furget ofus , &c.
Enfin , le jour de la fondation d'une
Ville étoit fi refpe&able , qu'on en re-
nouvelait le fou venir dans une Fête
annuelle,& cette Fête étoit à Rome celle
qu'on nommoit les Faillies , ainfî que
nous l'avons dit. Monfîeur Blanchard ,
dans une DiïTertation ; dont l'extrait eft
imprimé dans le troifîéme Tome des
Mémoires de l'Académie des Belles
Jt) Page 6i. Lettres (i), rend raifon de cette céré-
monie , & de quelques autres qui n'ont
pas un rapgprt effentiel avec la Reli-
gion payenne» Ovide a heureufement
renfermé toutes ces cérémonies dans les
& Faft. 1 4. vers fuivans (2).
Afta dies legitur , quâ mœniafignet aratro.
Sacra Palis fuberant ; inde. rnovetur c$us$ s
Bxpl. parVHifl. t, III. Ch. XV. $6%
Fojjafit ad folidum , fruges jaciuntur in imâ ,
Et de victno terra fetitafoto*
Fojfa repktur humo , flenœque imponitur ara ,
Et nevus accenfo finduur ignefocus.
Inde premens Jîivam defignat mœniafulco ,
Albajugum niveo cum bove vacca tulit.
On a vu dans ce Livre PHiftoire de
l'origine & du progrès de l'Idolâtrie.
J'ai parlé de ce qui concernoit le culte
rendu aux Dieux ; des Temples , des
Autels , des Sacrifices , des Prêtres , des
Fêtes qu'on célebroit en leur hon-
neur , &c. il refte encore à examiner plu-
fieurs Articles importans qui regardent
l'Idolâtrie, dont je vais parler dans Ig
Xivre fuivant.
Fin du premier Tome.
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UNIVER9ITY OF ILUNOI9-URBANA