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Full text of "La renommée de Montaigne en Allemagne"

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LA  RENOMMEE  DE  MCNTAIŒÏJE  EN  ALLEMAGNE 


V.   Bouillier 


PQ  1644 

B68 

1921 


STORAGt-ITÊM 
LPC 


LPA-Û46E 

U.B.C.  LIBRARY 


THE  LIBRARY 


THE  UNIVERSITY  OF 
BRITISH  COLUMBIA 


VICTOR    BOUILLIER 


LA    RENOMMÉE 


MONTAIGNE 


ALLEMAGNE 


PARIS 

LIBRAIRIE  ANCIENNE   EDOUARD   CHAMPION 

5,  Quai  Malaquais 
1931 

Tous  droits  réserves 


LA    RENOMMEE 


MONTAIGNE 


ALLEMAGNE 


OUVRAGE    DU    MÊME    AUTEUR 

En  vente  à  la.  même  librairie 


Georg  Christophe  Lichtenberg  (17/12-1799).  Essai  sur  sa 
vie  et  ses  œuvres  littéraires,  suivi  d'un  choix  de  ses  apho- 
rismes.  igiA,  in-8,  248  pages,  portrait.  7  fr.  50 


VICTOR    BOUILLIER 


LA    RENOMMEE 


MONTAIGNE 


EN 


ALLEMAGNE 


PARIS 

LIBRAIRIE   ANCIENNE   ÉDOLARD   CHAMPION 

5,  Quai  Malaqlais 

1921 

Tous  droits  réservés 


Hors  de  France,  c'est  en  Angleterre,  sans  con- 
teste, que  Montaigne  a  obtenu  le  succès  le  plus 
rapide,  le  plus  grand  et  le  plus  persistant.  Dès  i6o3, 
c'est-à-dire  huit  ans  après  l'édition  complète  des 
Essais,  un  littérateur  en  renom,  possédant  de  nom- 
breuses relations  aristocratiques  et  littéraires,  John 
Florio,  publiait  sa  célèbre  traduction,  encore  réé- 
ditée de  nos  jours.  Et  déjà  dans  les  années  précé- 
dentes, Montaigne  avait  commencé  à  être  connu, 
non  seulement  par  les  quelques  lecteurs  du  texte 
français,  mais  par  un  certain  nombre  de  privilégiés, 
dont  Shakespeare  peut-être,  qui  avaient  eu  commu- 
nication de  fragments  manuscrits  de  la  traduction 
Florio.  Dès  lors,  la  réputation  et  même  l'influence 
de  Montaigne  ne  cessèrent  de  s'accroître  :  la  biblio- 
graphie seule  de  tous  les  écrivains  anglais  qui  l'ont 
traduit,    imité,    étudié,   incidemment  commenté  ou 


b  LA    RENOMMEE    DE    MONTAIGNE 

cité,  serait  un  travail  de  longue  haleine  et  presque 
impossible  à  réaliser  sans  omissions.  Mais  notre 
but  n'est  pas  de  retracer,  même  sommairement, 
l'historique  de  Montaigne  en  Angleterre.  La  qucs 
tion  a  été  abondamment  traitée  par  la  critique 
anglaise;  et,  chez  nous,  M.  Pierre  Villey  lui  a  con- 
sacré de  remarquables  études  partielles,  en  atten- 
dant l'ouvrage  d'ensemble  qu  il  a  annoncé.  Il  suf- 
fira de  noter  ici  que  «  dès  le  début,  Montaigne  a 
«  été  accepté  en  Angleterre  presque  comme  s'il 
c<  était  un  écrivain  anglais  »,  ainsi  que  le  dit  un 
de  ses  plus  récents  et  plus  autorisés  biographes 
d'Outre-Manche  (i). 

Dans  l'examen  de  la  fortune  de  Montaigne  à 
l'étranger,  l'Allemagne  ne  doit  être  classée  qu'au 
second  rang,  mais  bien  avant  l'Italie  ou  l'Espagne. 
Disons-le  tout  de  suite  ;  si  tentant  que  ce  soit  de 
faire  une  découverte  dont  personne  encore  ne  sest 
avisé,  ces  pages  ne  concluront  pas  à  une  influence 
proprement  dite,  même  temporaire  on  limitée,  que 
Montaigne  aurait  exercée  en  Allemagne  ;  elles  ten- 
dent simplement  à  montrer  qu'il  y  a  trouvé  de 
nombreux  lecteurs  et  amis,  parmi  lesquels  figurent 
des  noms  illustres.  Ce  n'est  pas  une  révélation,  sans 
doute  ;  c'est  un  point,  cependant,  qui  a  été  très 
négligé  jusqu'ici.  Soit  dans  la  mo/itaignologie  fran- 
çaise ou  anglaise,  si  riche  pourtant,  soit  même  dans 
l'allemande  —  bien   moindre,  il  est  vrai,  —    nous 

I.  Edward  Dowden,  Michel  de  Montaiyrn',  p.  Sj;.  Londres,  njoo. 


EN    ALLEMAGNE  7 

navons  renconlré  qu'un  trop  faible  nombre  d'in- 
dications propres  à  simplifier  notre  tâche.  Aussi, 
malgré  toutes  les  recherches  auxquelles  nous  nous 
sommes  livré  dans  les  auteurs  chez  qui  la  trace  de 
Montaigne  était  présumable  (recherches  qui  n'épui- 
sent certainement  pas  la  matière,  vu  surtout  qu'il 
leur  a  manqué  d'être  complétées  dans  les  biblio- 
thèques allemandes),  nous  ne  nous  dissimulons  pas 
que  mainte  omission  pourra  être  relevée  dans  notre 
travail. 

Pourquoi  le  succès  de  Montaigne  a-t-il  été  plus 
restreint  et  beaucoup  plus  tardif  en  Allemagne 
qu'en  Angleterre  P  Faut-il  en  demander  l'explication 
à  la  psychologie  des  peuples  .'  On  a  dit  souvent  que 
Montaigne  avait  des  affinités  avec  l'esprit  anglais 
par  sa  sagesse  pratique  et  mondaine,  par  son  élec- 
tisme,  par  son  humour  ;  en  un  mot.  qu'il  pouvait 
être  considéré  comme  un  type  supérieur  de  gen- 
tleman. Il  doit  y  avoir  du  vrai.  Au  contraire,  on  a 
dit,  quoique  plus  rarement,  qu'il  était  trop  frivole, 
trop  superficiel,  trop  terre  à  terre,  pour  s'acclimater 
franchement  chez  un  peuple  oii  l'esprit  est  porté  à 
la  spéculation,  à  l'abstraction,  à  la  métaphysique  (i). 
C'est  soutenable  aussi,  bien  que  peu  susceptible  de 
démonstration.  Mais,  sans  exclure  absolument  les 
explications  intuitives,  toujours  vagues  et  discu- 
tables,  nous  croyons  qu'il  ne  faut  pas  en  exagérer 


I.  Voir  les  dissertations,  signalées  plus  loin,  de  MM.  Navon  et 
Paul  Schwabe,  qui  se  bornent,  d'ailleurs,  à  émettre  l'idée,  sans  la 
développer. 


8  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

la  valeur.  La  psychologie  des  peuples  est  une  science 
très  incertaine,  surtout  quand  on  prétend  l'ap- 
pliquer aux  milieux  intellectuels,  qui  présentent  de 
si  nombreuses  tendances  et  individualités  diverses, 
hétérogènes.  Au  surplus,  la  théorie  des  affinités 
n'est  pas  toujours  décisive  ;  ainsi,  les  gens  cultivés 
recherchent  volontiers  dans  leurs  lectures  (comme 
dans  le  commerce  de  la  vie)  les  esprits  différents 
deux-mêmes,  doués  des  qualités  qui  leur  manquent. 
Alfieri  et  Byron,  par  exemple,  se  plaisaient  avec  le 
sage  Montaigne.  D'ailleurs,  il  y  a  de  tout  dans  les 
Essais  ;  ils  peuvent  offrir  de  l'intérêt  aux  têtes  les 
plus  philosophiques.  On  verra  que  Kant,  Scho- 
penhauer,  les  lisaient,  mieux  qu'à  titre  de  simple 
passe-temps,  et  même  que  l'histoire  philosophique 
en  Allemagne  s'est  attachée,  plus  d'une  fois,  à 
dégager  et  à  coordonner  les  doctrines  qui  s'y  trou- 
vent en  germe  ou  éparses.  Enfin,  n'oublions  pas 
que  dans  l'Allemagne  du  xvn"  siècle,  malgré  la 
glorieuse  exception  de  Leibniz,  et  dans  celle  de 
l\^  Au/klcirang  n,  de  la  philosophie  populaire,  les 
esprits  n'étaient  certainement  pas  hantés  par  la 
métaphysique. 

A  défaut  de  l'explication  psychologique,  le  pro- 
blème reçoit  par  l'Histoire  une  solution  plus  simple, 
plus  sûre  et  très  suffisante  à  elle  seule.  Lors  de 
l'apparition  des  Essais,  tandis  que  l'Angleterre  tra- 
versait une  période  de  prospérité  matérielle  et  de 
floraison  littéraire,  l'Allemagne  s'absorbait  dans 
les    controverses  théologiques,  se   consumait  dans 


EN    ALLEMAGNE  Q 

de  violentes  dissensions.  Cette  atmosphère  biblique 
ei  cette  surexcitation  des  esprits  excluaient  fatale- 
ment tout  prêcheur  de  tolérance,  ou  de  scepticisme 
même  mitigé.  Bientôt  la  guerre  de  Trente  ans  et 
sa  lente  convalescence  entravaient,  pour  de  longues 
décades,  la  culture  intellectuelle  dans  un  pays  pres- 
qu'entièrement  ravagé,  ruiné.  Quand  elle  reprit  peu 
à  peu,  l'influence  dominante  du  siècle  de  Louis  XIV 
ne  favorisait  pas  les  progrès  de  Montaigne,  qui,  en 
France  même,  subissait  une  éclipse  notable.  Non 
seulement  les  critiques  et  le  blâme  tombaient  sur 
lui,  et  de  très  haut  (Pascal,  Port-Royal,  Bossuet, 
Malebranche),  mais  on  ne  publiait  à  Paris,  de  1669 
à  1725,  aucune  édition  des  Essais,  tandis  que  précé- 
demment elles  se  succédaient  à  peu  d'années  d'in- 
tervalle. 

Aussi,  pendant  le  xvu^  siècle  et  la  première  partie 
du  xvnr,  on  ne  découvre  en  Allemagne  la  trace  de 
Montaigne  que  chez  des  érudits  ou  théologiens,  dont 
les  œuvres  sont  presque  toujours  latines,  ou  chez 
de  rares  auteurs  particulièrement  familiers  avec  la 
littérature  et  la  langue  française. 

Occupons- nous  d'abord  des  premiers.  Thomas 
Lansius  (1577-1657),  professeur  de  Droit  et  délégué 
ducal  {Visitalor  ou  Commissarius)  à  l'Université  de 
Tubingue,  semble  avoir  la  priorité  parmi  les  voix 
allemandes  qui  ont  parlé  de  Montaigne,  Vraisem- 
blablement, il  avait  commencé  à  connaître  les 
Essais  lors  d'un  séjour  qu'il  fit  à  Paris,  peu  après 
l'année     1600,    en    compagnie    d'un    gentilhomme 


lO  LA.    RENOMMEE    DE    MOXTAIG.NE 

autrichien  ;  à  celte  occasion,  il  entra  en  rapports 
avec  des  membres  de  l'Université  de  Paris  et  divers 
savants  français.  Dans  ses  Oraliones  seu  consullatio 
de  principatu  inler  provincias  Europse  (ïubin- 
gue,  i6i3),  exercices  académiques  où  les  mérites  et 
les  défauts  de  chaque  nation  font  successivement 
l'objet  d'une  oralio  pro  et  dune  oratio  contra^ 
Lansius  en  vient  à  Montaigne,  très  incidemment. 
{Oratio  contra  Galliam).  Lui-même  s'excuse  de  sa 
digression  en  disant  que  VAmor  Montant  l'a  un  peu 
entraîné  hors  de  son  sujet.  Toutefois,  après  avoir 
proclamé  Montaigne  :  Galllse  sapienteni  («  le  Français 
le  plus  sage  qui  ait  jamais  existé  »,  dira  Sainte- 
Beuve),  Lansius  ajoute  qu'il  n'oublie  pas  les  criti- 
ques sévères  de  Baudius,  et  il  leur  donne  la  plus 
grande  place  dans  son  morceau.  Il  cite,  sans  les 
discuter,  les  railleries  bien  connues  que  l'érudit 
flamand  a  émises  sur  le  prétendu  défaut  de  mémoire 
et  sur  la  vanité  de  Montaigne,  qui  prétend  ne  pou- 
voir se  rappeler  les  noms  de  tous  ses  domestiques, 
etc.(i). 

Bien  que  Moschcrosch  (i  601-1669)  appartienne 
plutôt  à  la  catégorie  des  «  Dichter  »  par  son  ouvrage 
principal  {Gesichte  Philanders  von  Sittewalt),  fiction 
satirique  librement  imitée  des  Siieilos  de  Quevedo, 
nous  le  placerons  ici  au  milieu  des  érudits,  puisque 
nous  avons  à  le  considérer  surtout  dans  un  de  ses 
traités   en    langue  latine.    L'Alsacien    Moscherosch 

I.  Baudii  Poemula.  Lyon,  1C07.  Noies  à  la  pièce  adressée  à  M"'  de 
Gournay,  lambicorum  Ub.  II. 


EN    ALLEMAGNE  I  I 

—  bon  luthérien,  mais  bon  humaniste  aussi  — , 
apprit  sans  doute  à  goûter  Montaigne  pendant  un 
séjour  d'études  à  Paris,  entre  1624  et  1626.  Au 
début  de  la  5"  des  Visions  de  Phikuider  [Le  Jugement 
final),  publiée  pour  la  première  fois  vers  lë/jo,  à 
Strasbourg,  il  cite  le  passage  où  Montaigne  dit  que 
«  les  songes  sont  loyaux  interprèles  de  nos  inclina- 
u  lions  »  {Essais,  IIÏ,  i3),  et,  à  ce  propos,  il  qualifie 
l'auteur  d'  «  honnête  et  sage  Français  »>  {redlicher 
Franzose)  et  son  livre  d'  «excellent))  (vortre/Jlich). 
Mais,  c'est  dans  la  Dissertatio  de  politico{i)  que  ses- 
éloges  deviennent  presque  hyperboliques.  Parmi  les 
lectures  qu'il  recommande  aux  jeunes  gens  qui  se 
préparent  à  la  carrière  politique,  il  inscrit  les  Essais 
du  Socralis  Gallici:  «  Œuvre  telle  que  ni  la  France^ 
(c  ni  les  autres  royaumes  de  l'Europe  n'en  ont 
«  jamais  vu  de  plus  belle.  TKuvre  envers  laquelle 
«  on  n'acquittera  jamais  les  louanges  qu'elle  mérite. 
«  Œuvre  qui  rend  tellement  l'homme  à  lui-même 
«  {hominem  tani  reddil  ipsi),  que  sans  elle  je  suis 
«  profondément  convaincu  que  le  sens  commun 
((  serait  atteint  d'aveuglement  (cœciilire).  Celui  qui 
«  ne  la  connaît  pas,  je  ne  peux  le  tenir  que  pour  un 
u  pauvre  et  froid  ami  des  lettres  {in  lileris  languere 
«  ac  Jrigere  prœsunm).  »> 

Au  cours  de  nos  recherches,  nous  avons  constaté 
que  ces  lignes  de  Moscherosch  étaient  généralement 


I.  Strasbourg:,  iCSa.  —  C'est  la  réédition,  très  augmentéo  par 
Moscherosch,  d'un  opuscule  publié,  une  trentaine  d'années  aupara- 
vant, par  le  juriste  Georg  Gumpelzhaimer. 


12  LA    RENO^IMEE    DE    MONTAIGNE 

altribuces  à  Schurlzfleisch  (1641-1708),  philologue, 
professeur  à  Wiltenberg.  L'erreur  est  imputable 
aux  éditeurs  posthumes  de  ce  dernier  (notamment 
à  Grosschuf  :  Nova  librorum  rar'ionun  Conlectio, 
t.  HT.  Halle,  1709-17 16),  qui,  en  dépouillant  les 
manuscrits  de  ses  leçons,  ont  pris  pour  original  ce 
qui  n'était  qu'une  citation. 

Vers  le  dernier  tiers  du  xvii'"  siècle,  la  Logique  de 
Port-Royal,  ou  plutôt  son  édition  latine  :  ArsCogitandi 
très  répandue  dans  l'Europe  savante,  contribue 
à  propager  Montaigne,  mais  sous  un  renom  assez 
fâcheux.  Aussi,  pendant  les  décades  suivantes, 
lorsque  les  professeurs  et  théologiens  allemands  par- 
lent de  lui,  sont-ils  préoccupés  surtoutdesaccusations 
de  pyrrhonisme,  d'impiété  et  d'immoralité,  formu- 
lées par  Nicole,  et  ensuite,  avec  plus  de  modération, 
par  Malebranche. 

Le  professeur  de  Halle,  Christian  Thomasius 
(1653-1728),  esprit  vaste  et  novateur,  fut  un  des 
premiers  à  prendre  la  défense  de  Montaigne,  et  à 
protester  contre  «  la  marque  d'athéisme,  par  laquelle 
((  les  auteurs  de  la  Logique  voulaient  flétrir  cet  écri- 
<(  vain  célèbre  ».  (Gemischie  Hândel,  t.  Hl.  Lber  die 
yorurtheile,l{a\\e,  1725). 

Buddeus  (1667-1729),  professeur  de  théologie 
à  léna,  plus  ou  moins  piéliste,  dissertant  sur  la 
question  de  savoir  s'il  y  a  des  athées,  conclut  ainsi 
sur  Montaigne  :  «  Qu'il  ait  été  un  homme  profane, 
((  nul  n'en  saurait  douter  après  avoir  lu  les  Essais 
<(  {Teniamina).    Toutefois,   quand    ses    dires  pèchent 


EX    ALLEMAGNE  l5 

«  contre  la  piété  ou  la  prudence,  ils  paraissent  prove- 
((  nir  d'une  sorte  de  jactance  ou  d'ostentation,  plu- 
«  tôt  que  de  conviction  d'esprit.  Montaigne  semble,  en 
{(  effet,  rechercher  je  ne  sais  quelle  gloire  en  fai- 
((  sant  montre  de  liberté  dans  ses  pensées.  On  ne 
0  peut  pourtant  nier  que  son  livre  contient  beaucoup 
«  de  choses  justes  et  sages  »,  Thèses  theologicœ  de 
atheismo,  (C.  I,  §  20.  léna,  1722). 

On  trouve  une  indulgence  équivalente  chez  Reim- 
mann  (Jacob    Friedrich,    1668-1-43),   théologien  et 
érudit,  surintendant  ecclésiastique  àHildesheim.  «  Il 
((  ne  faut  pas,  dit-il,  être  trop  exigeant  à  l'égard  d'un 
«  auteur  qui  n'a  jamais  compté  au  nombre  des  éru- 
((  dits,  et    qui  tient  lui-même  son   œuvre  pour  im- 
«  parfaite.  C'est  au  lecteur  de  suppléer  par  son  bon 
((  jugement.  S'il  trouve  des  passages  trop  libres,  qu'il 
«  les  tempère  par  une  appréciation  bienveillante,  ou 
«  qu'il  les  marque  parfois  d'un  petit  signe  correctif 
«  (pbelo).  Mais  on  ne  doit  pas,  pour  quelques  taches, 
«  répudier  l'ouvrage  entier,  alors  surtout  qu'on  n'y 
((  découvre   pas  de  traces   manifestes    d'athéisme.  » 
{Hisloria  atheisml.    S.    III.   C,  5  §  i5,    Hildesheim, 
1725). 

Citons  enfin  Jacob  Brucker  ([696-1770),  pasteur 
à  x\ugsbourg,  considéré  souvent  comme  le  père  de 
l'histoire  de  la  philosophie,  celui  que  Schopenhauer 
a  appelé,  pour  son  labeur  et  sa  conscience  :  der 
wackere  Brucker.  Il  déclare,  dans  son  Hisloria  critica 
philosophiœ  (T.  Y.  Leipzig,  1744),  que  Montaigne, 
quoique  n'étant  ni  un  philosophe  ni  un  érudit,  s'est 


I^  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

acquis  un  renom  immortel.  Puis  après  avoir  relaté 
impartialement  les  louanges  et  les  critiques  dont  les 
Essais  ont  été  l'objet,  il  se  rang-e  du  côté  de  l'éloge, 
avec  de  ïhou,  du  Perron,  Juste  Lipse,  etc.,  mais 
en  ajoutant  cette  réserve  :«  Nous  avouons  cependant 
«  que  ce  livre  demande  un  lecteur  prudent  et  avisé, 
n  sérieusement  versé  dans  les  doctrines  morales,  et 
<(  qui  ne  se  laisse  pas  séduire  par  cette  nouveauté 
«  dans  la  dissertation,  par  ces  hardiesses  insolites, 
«  par  ces  défauts  élégants  et  agréables,  jusqu'au 
«  point  de  ne  plus  jiouvoir  discerner  ce  qui  est  prê- 
te cieux  ou  vil,  droit  ou  oblique,  vrai  ou  faux,  w 

Que  Leibniz  (1646-1716)  ait  plus  ou  moins  lu 
Montaigne,  c'est  probable,  mais  lui  doit-il  quelque 
chose  ?  Dans  une  note  intitulée  :  «  Leibniz  iind  Mon- 
taigne »  {Archivfur  Geschichte  der  Philosophie.  i88g), 
M.  Gregor  Itelson  émet  l'avis  ou  tout  au  moins  l'hy- 
pothèse que  Montaigne  aurait  suggéré  à  Leibniz 
l'idée  première  de  son  système  des  perceptions 
obscures  ou  ^<  petites  perceptions  d.  En  effet,  dans 
le  court  chapitre  des  Essais  {II,  i.\)  :  c  Comme  notice 
<(  esprit  s'empêche  soi-même  »,  Montaigne,  combat- 
tant la  liberté  d'indifférence,  symbolisée  par  l'âne 
de  Buridan,  conclut  ainsi  :  «  Il  se  pourrait  dire,  ce 
«  me  semble,  plutôt,  que  aucune  chose  ne  se  pré- 
((  sente  à  nous  où  il  n'y  ait  quelque  différence,  pour 
<i  légère  qu'elle  soit,  et  que,  ou  à  la  vue  ou  à  l'attou- 
«  chement,  il  y  a  toujours  quelque  chose  qui  nous 
«  tente  et  attire,  quoique  ce  soitimpercepliblement  ». 
Et  ce  dernier  mot  fournit  à  M.  Itelson  un  arsumeno 


EX    ALLEMAGNE  10 


de  texte,  puisque  Leibniz  donne,  dans  sa  Théodicée, 
le  nom  d'imperceptibles  à  ces  perceptions  qu'ailleurs 
{Nouveaux  Essais .  par  exemple)  \\  di^^eWe  insensibles . 
Ce  rapprochement  ne  manque  pas  d'ingéniosité. 
Mais,  fùt-il  incontestable,  la  portée  en  demeure  à 
peu  près  insignifiante.  A  concéder  même  que  la 
doctrine  des  perceptions  inconscientes  fût  en  germe 
dans  ces  quelques  mots  vagues  de  Montaigne,  le 
génie  consistait  à  la  développer,  et  à  l'ériger  en  un 
système  d'où  se  déduisent  les  conséquences  les  plus 
étendues.  Au  reste,  ce  germe  se  retrouverait  bien 
avant  Montaigne,  dans  la  philosophie  ancienne  et 
dans  la  philosophie  scolastique.  Ne  peut-on  pas  dire 
qu'il  est  né  dès  le  moment  où  l'étude  de  Tàme  a 
commencé  .^  En  définitive,  le  plus  vraisemblable  est 
de  supposer  avec  divers  commentateurs,  que 
la  théorie  des  petites  perceptions  fut  suggérée  à  Leib- 
niz par  celle  du  calcul  infinitésimal. 

Pendant  cette  période  d'un  siècle  et  demi,  la 
littérature  proprement  dite  n'apporte  qu'une  faible 
contribution  à  notre  sujet. 

On  n'est  pas  trop  surpris  de  voir  dans  les  poésies 
de  Hofmann  von  llofmannswaldau  (1618-1679)  une 
version  de  la  chanson  amoureuse  des  cannibales; 
le  poète  silésien  était  familier  avec  la  littérature 
française  et  avait  longuement  pris  l'air  de  Paris, 
vers  sa  vingtième  année.  Hofmann,  qui  a  montré 
souvent  une  virtuosité  plus  grande,  délaie  et  alour- 
dit le  texte  alerte  et  charmant  de  Montaigne  :  «  Cou- 
«  Icuvre,  arrête-toi,  arrête-toi,   couleuvre,  afin  que 


l6  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

((  ma  sœur  tire  sur  le  patron  de  ta  peinture  la  façon 
((  et  l'ouvrage  d'un  riche  cordon  que  je  puisse  don- 
((   ner  à  m'amie.  » 

«  0  aller  Schlangen  Pracht.  komm  doch  was  za  verweilen. 

Hall  an  dein  Ischischend  eilen, 

Verbleib  doch  was  allhier, 
So  thust  du  einen  Dienst  der  Liebchen  undauch  mir.  » 


Suivent  trois  strophes  analogues  (i). 

Nous  retrouverons  cette  chanson  plus  heureuse- 
ment traduite  ou  imitée  par  Ewald  de  Kleist,  par 
Herder  et  surtout  par  Goethe. 

Aux  environ. de  1720,  Montaigne  est  en  honneur 
auprès  des  futurs  chefs  de  l'Ecole  Zurichoise,  alors  à 
peine  âgés  d'une  vingtaine  d'années,  et  encore  très 
imbus  de  l'influence  française  qui  dominait  dans  les 
cercles  lettrés  de  Zurich.  Bodmer  dit  que  c'est  chez 
Montaigne  qu'il  a  d  appris  à  connaître  le  cœur 
«  humain  n  ;  Breitinger,  que  «  le  grand  Montaigne 
a  est  le  docteur  de  la  nature  ».  Toutefois,  on  ne  lit 
cela  que  dans  leur  correspondance  (2).  Dans  les 
«  Diskurse  der  Malerii  n,  ce  recueil  hebdomadaire, 
satirique  et  moral,  à  la  manière  d'Addison,  qu'ils 
publièrent  de  1721  à  1728,  Montaigne  n'est  cité 
que  très  rarement,  et  beaucoup  moins  que  Charron. 


1.  Celte  pièce  de  Hofmannswaldan  figure  dans  une  préface  ovi  il 
esquisse  lliistolre  de  la  poésie  Ivrique  chez  tous  les  peuples. 
{Gedichle.  Breslau,  16S9). 

2.  Voir  Hans  Bodmer,  Die  GesellschaJ't  der  Malcr  in  Zurich  und  ihre 
Diskurse.  Zurich,  i8g5. 


EN    ALLEMAGNE  I7 

PoLulant,  il  semble  bien  que  Bodnier,  même 
après  qu'il  devint  le  champion  du  germanisme 
littéraire,  n'a  jamais  abandonné  complètement 
Montaigne.  En  effet,  le  poète  Hagedorn  lui  écrivait, 
le  24  septembre  lyôi,  une  lettre  qui  suppose  chez 
l'un  et  l'autre  une  certaine  confraternité  en  Mon- 
taigne. L'anacréontiqiie  de  Hambourg,  après  avoir 
parlé  de  son  propre  goût  à  se  montrer  sincèrement 
tel  qu'il  était,  continue  ainsi  :  ((  En  cela,  du  moins, 
«  je  suis  semblable  à  Montaigne,  quoique  je  ne 
<(  croie  pas  opportun,  en  notre  siècle,  de  parler  de 
«  moi  aussi  souvent  et  autant  qu'il  l'a  fait  ;  ce  dont 
«  je  lui  sais,  d'ailleurs,  beaucoup  de  gré.  Je  me  suis 
«  réjoui  de  voir  que  Schurtzfleisch,  de  qui  je  ne 
<(  l'aurais  pas  attendu,  a  eu  pour  lui  une  estime 
«  aussi  extraordinairement  haute  {ihn  so  ungemein 
«  hochgeschcifzt  hat).  Je  trouve  que  j'ai  beaucoup  des 
«  défauts  de  Montaigne,  et  je  voudrais  bien  les 
<(  échanger  contre  ses  perfections  (i).  » 

Evidemment  Hagedorn.  partageant  l'erreur  signa- 
lée plus  liaut,  attribuait  à  Schurtzfleisch  ce  qui  était 
de  Moscherosch. 

Ce  poète  aimable  a  même  consacré  à  Montaigne, 
«  favori  de  la  nature  »  une  petite  pièce  de  vers 
(dans  ses  Epigrainmaiische  Gedichte),  où  il  célèbre 
sa  belle  nonchalance  et  son  doute  plein  de  leçons 
(nachUissig  schon  und  lehrreich  zweifeUtaft  ,  et  termine 
par  un   écho  de  Moscherosch  :   «  Et  peut-on  juste- 

I.  Friedrich  \on  Hagedorn  ,  Poetiscite  \]'erke,  éclilion  Eschenburg. 
Hambourg,  1600. 


l8  LA    RENOMMEE    DE    MONTAIGNE 

«   ment  qualifier  de  letlré    celui   qui   n'accroît  pas 
«  dans  ton  livre  son  goût  et  son  savoir?  » 

Und  heissl  wohl  der  mit  Recht  gelehrl, 
Deni  nicht  dein  Bach  Geschmack  und  Kennlniss  mehrl? 

Montaigne,  considéré  sous  un  jour  factice,  c'est- 
à-dire  comme  un  ancêtre  de  l'incrédulité  voltai- 
rienne,  obtient  dans  la  France  de  l'Encyclopédie  un 
regain  de  faveur,  auquel  l'Allemagne  de  VAufkld- 
riing  ne  reste  pas  insensible.  Aussi,  la  première 
traduction  allemande  des  Essais  apparaît-elle  à 
Leipzig,  en  1753.  Cette  traduction,  parfois  men- 
tionnée comme  anonyme  (l'auteur  n'ayant  signé 
qu'à  la  fin  de  sa  préface  du  3"  et  dernier  volume), 
est  due  à  Titius  (pu  Tietz),  alors  âgé  de  2/i  à  25  ans 
et  Privat-docent  à  l'Université  de  Leipzig.  C'était, 
avant  tout,  un  mathématicien  et  physicien,  qui  pro- 
fessa longtemps  comme  tel  à  l'Université  de  Wilten- 
berg.  A  cette  époque,  le  cumul  des  sciences  et  des 
lettres  n'était  pas  rare,  et  l'on  peut  citer,  par 
exemple,  deux  de  ses  contemporains  et  collègues, 
Ksestner  et  Lichtenberg,  qui,  tout  en  occupant  à 
Gôttingue  leurs  chaires  de  mathématiques  et  de 
physique,  se  sont  acquis  leur  plus  durable  renom 
dans  les  Lettres,  l'un  comme  épigrammatiste, 
l'autre  comme  humoriste.  Titius,  mort  en  1796  à 
l'âge  de  67  ans,  fut  un  polygraphe  fécond  et  varié. 
La  liste  de  ses  écrits  allemands  ou  latins  remplit 
près  de  cinq  pages  dans  le  Lexikon  de  Meûsel  ;  ils 
concernent    non  seulement  les  mathématiques,   les 


EN    ALLEMAGNE  !() 

sciences  physiques  et  naturelles,  mais  aussi  les 
questions  économiques,  morales,  philosophiques  ; 
ils  comprennent,  en  outre,  des  traductions  de  l'an- 
glais et  du  français,  notamment  celle  du  Discours 
de  J.-J.  Rousseau  sur  les  sciences  elles  arts. 

Lessing  annonça  les  deux  premiers  volumes  de 
la  traduction  Titius  dans  la  «  Berlinische  privilegierte 
Zeitung  »  des  19  mai  et  20  novembre  1-53.  Voici 
les  passages  essentiels  de  ses  deux  compte-rendus 
sommaires  (1),  qui  sont  simplement  ceux  d'un  jour- 
naliste alerte  et  superficiel.  Lessing  était  tout  jeune 
encore,  —  exactement  de  l  âge  de  Titius  —  et  absorbé 
par  de  multiples  travaux.  Du  reste,  il  semble  n'avoir 
jamais  eu  de  familiarité  avec  Montaigne,  et  nous  ne 
voyons  pas  qu'il  en  ait  reparlé  ultérieurement. 

((  Les  Essais  de  Montaigne  sont  un  des  plus 
«  anciens  et  des  plus  beaux  ouvrages  français.  Jus- 
«  qu'à  ce  jour,  aucun  de  nos  traducteurs  n'avait 
((  voulu  s'y  attaquer,  peut-être  parce  qu'il  faut,  pour 
«  les  comprendre,     acquérir    une    seconde    langue 

{(  française Montaigne  a   déjà  été  l'objet  de 

«  trop  d'éloges  pour  que  nous  prenions  la  peine 
u  inutile  d'y  ajouter  les  nôtres.  Contentons-nous  de 
('  louer  la  traduction  qui  rendra  un  véritable  ser- 
«  vice,  même  aux  gens  capables,  à  la  rigueur,  de 
«  lire  Montaigne  dans  sa  langue.  Les  bonnes  éditions 
«  françaises  sont  trop  coûteuses,  et  les  mauvaises 
<i  trop  désagréables  et  trop  difficiles  à  lire 

I.  Reproduits  dans  les  Œm'res    de    Lessing,    éd.    Lachmann,     t.  V, 
ou  éd.  de  la  Deutsche  .\at.  Bibl.,    t.  IV,  i. 


20  LA.    RENOMMEE    DE    MONTAIGNE 

«  On  doit  se  réjouir  de  voir  se  continuer  si  heu- 
«  reusement  cette  belle  traduction  d'un  des  plus 
((  grands  écrivains  français,  qui  n'a  rien  perdu  de 
«  sa  véritable  valeur,  malgré  le  goût  mobile  de  ses 
((  compatriotes,  et  malgré  l'aspect  suranné  que  lui 
«  donne  son  langage  plutôt  gaulois  {galllsch)   que 

((  français On  peut  affirmer,  dans  toute  la  rigueur 

«  des  termes,  que  vous  n'avez  rien  lu  de  beau  d'un 
«  Français,  si  vous  n'avez  pas  lu  Montaigne.  » 

((  Belle  traduction  >,  c'est  trop  dire.  Il  serait  facile, 
et  long,  de  relever  les  inexactitudes  et  les  omissions 
deTitius,  mais,  en  somme,  l'œuvre estconsciencieuse, 
et  même  elle  ne  manque  pas  de  passages  heureux. 
Alors  qu'il  s'agit  d'un  des  auteurs  les  plus  malai- 
sément traduisibles  qui  soient  au  monde,  c'est  le 
cas  d'invoquer,  au  bénéfice  de  Titius,  le  précepte 
de  Baltasar  Graciân  :  «  Le  sage  estime  volontiers, 
((  parce  qu'il  sait  ce  que  les  choses  coûtent  à  les 
<(  faire  bien,  «  (lo  que  ciiestan  las  cosas,  de  hucerse 
bien.  Oraciilo  Manual,  igô).  On  éprouve  même  un 
étonnement  presqu'admiratif  si  l'on  songe  à  la 
jeunesse  de  Titus,  et  à  sa  qualité  de  scientijîque.  Sa 
traduction,  quoique  n'ayant  pas  obtenu  les  honneurs 
de  la  réimpression,  a  certainement  contribué  d'une 
manière  efficace  à  propagerMontaignc  en  Allemagne, 
pendant  les  quarante  ans  qui  se  sont  écoulés  jusqu'à 
la  traduction  de  Bode. 

Ce  qui  confirme  les  progrès  de  la  renommée  de 
Montaigne,  c'est  que  son  Voyage,  publié  pour  la 
première   fois    par    Querlon   en    1774,   fut    traduit 


EN   ALLEMAGNE  21 

(anonymement)  à  Halle,  dès  1777.  Cet  ouvrage  ne 
pouvait  que  plaire  à  l'Allemagne,  en  raison  des 
appréciations  favorables  que  Montaigne  émet  sur  les 
coutumes,  la  police  et  l'édilité  du  pays. 

Il  est  évident,  néanmoins,  qu'à  celte  époque  l'in- 
térêt du  public  allemand  était  beaucoup  moins  sol- 
licité par  Montaigne  que  par  Voltaire,  d'Alembert, 
Diderot,  Rousseau.  Ainsi,  le  grand  Frédéric  n'avait 
pas  les  Essais  dans  sa  bibliothèque  privée,  exclusi- 
vement française,  et  riche  en  auteurs  du  xvii"  et 
du  xvin^  siècle.  L'époque  antérieure  n'y  est  repré- 
sentée que  par  Brantôme  (i). 

Ainsi  encore,  Lichtenberg,  assez  grand  liseur, 
qui  cite  fréquemment  nos  Encyclopédistes  dans  ses 
Aphorismes  et  s'en  inspire  parfois,  n'a  eu  que  peu  de 
commerce  avec  Montaigne,  malgré  certaines  affi- 
nités d'esprit  qu'il  semblerait  avoir  avec  lui.  D'après 
une  note  de  ses  Cahiers,  Lichtenberg  ne  s'est  procuré 
un  exemplaire  de  Montaigne  (en  français  probable- 
ment) qu'en  1779,  c'est-à-dire  à  l'âge  de  87  ans.  La 
principale  et  presque  la  seule  réflexion  que  sa  lec- 
ture lui  ait  suggérée,  est  celle-ci  :  «  Parmi  tous  les 
u  chapitres  que  nous  a  laissés  cet  agréable  bavard 
IV  de  Montaigne  (angenehmer  Schwâtzer),  celui  qui 
"  traite  de  la  mort  a  toujours  été,  malgré  d'excel- 
«  lentes  pensées,  celui  qui  m'a  plu  le  moins.  On  y 
((  voit,  à  travers  tout,  que  ce  brave  philosophe  a 
((  très  peur  de  la  mort  ;   par  l'énorme  anxiété  avec 

I.  Voir  Bûsching,  Character  Friedrichs  des  Zweilen.  Halle,  1788. 


LA    RENOMMEE    DE    NFONTAIGNE 


<(  laquelle  il  en  tourne  et  retourne  la  pensée  jusqu'à 
<(  faire  des  jeux  de  mots,  il  a  donné  un  très  mauvais 
<(  exemple.  Celui  qui  vraiment  n'a  pas  peur  de  la 
«  mort  ne  s'avisera  guère  d'invoquer  à  son  sujet 
«  les  mesquines  consolations  qu'apporte  ici  Mon- 
«  taigne  (i).  » 

A  ceux  que  choquerait  cette  appréciation  ou 
boutade,  il  est  à  propos  de  rappeler  que  Brunetière 
a  dit,  encore  plus  sévèrement  :  «  Ce  frisson  de  la 
«  mort  n'est  pas  un  sentiment  très  noble.  Et  pour- 
((  tant  c'est  cette  crainte  qui  hante  Montaigne  (2).  » 

Le  mot  célèbre  :  «  Chaque  homme  porte  la  forme 
((  entière  de  l'humaine  condition  »  {Essais,  III,  2) 
était  sans  doute  présent  à  la  pensée  de  Lichtenberg, 
lorsqu'il  écrivait  l'aphorisme  suivant,  dans  lequel 
on  peut  voir  un  judicieux  amendement  de  la  for- 
mule trop  absolue  de  Montaigne  :  «  Dans  chaque 
((  homme,  il  y  a  quelque  chose  de  tous  les  hommes. 
<(  C'est  un  principe  auquel  je  crois  depuis  fort 
<(  longtemps  ;  quant  à  sa  démonstration  complète, 
((  on  ne  peut,  il  est  vrai,  l'attendre  que  de  la  sincère 
<(  description  de  soi-même,  à  supposer  d'ailleurs 
<'  qu'elle  fût  entreprise  par  un  grand  nombre  de  per- 
((  sonnes.  »  {Vermischle  Schriflen,  I,  p.  170). 

On  remarque  dans  les  Crt/ife;'5  de  Lichtenberg  une 
note  faisant  allusion  à  un  plagiat  qui  aurait  été 
commis  par  Zimmermann  aux  dépens  de  Mon- 
taigne :  «  Dans  la  Bibliothèque  universelle  allemande , 

I.  Vermischte  Schriften,  I,  p.  286.  2°  éd.  Gôttingue,  184/1. 
3.  Histoire  de  la  UUérature  française,  I,  p.  60S. 


EN    ALLEAIAOE  2D 

t(  il  est  dit,  à  propos  du  comple  rendu  d'un  ouvrage 
«  d'éducation,  que  Zimmermann  aurait  emprunté  à 
<{  Montaigne  la  matière  de  son  livre  sur  la  Solitude.  » 

En  se  reportant  à  la  Bibliothèque  Universelle 
(année  1790,  t.  I,  p.  220),  on  y  trouve  une  courte 
notice  signée  Sw.  (initiales  usitées  par  le  Pasteur 
Hupel),  sur  une  brochure  pédagogique  publiée  par 
un  instituteur  Esthonien.  Nous  en  extrayons,  un 
peu  abrégé,  le  passage  dont  il  s'agit  :  c  Pourquoi 
«  l'auteur  tire-t-il  une  si  profonde  révérence  devant 

«  tout  auteur  qu'il  cite  ? Ainsi,  il  proclame  son 

«  admiration  pour  le  livre  du  Chevalier  de  Zimmer- 

«  mann    sur   la  Solitude A-t-il    bien    réfléchi  ? 

«  Et  si  de  pareils  éloges  étaient  justifiés,  Montaigne 
«  devrait  y  être  associé,  car  c'est  à  lui  que  Zimmer- 
((  mann  a  emprunté,  pour  la  plus  grande  part,  la 
<(  matière  de  son  livre.  » 

Cette  accusation  est  mal  fondée,  inexcusable 
même.  Elle  s'explique  uniquement  par  les  antipa- 
thies que  Zimmermann  s'était  attirées  en  raison 
de  ses  polémiques  violentes.,  de  son  humeur  irri- 
table et  de  sa  vanité.  Certes,  nous  n'alfirmons  pas 
absolument  que  si  l'on  examinait  à  la  loupe  son 
traité  volumineux,  suranné,  déplaisant  par  de  sottes 
diatribes  contre  les  ordres  religieux,  on  ne  réus- 
sirailpas  à  y  découvrir  quelques  légers  échos  de  Mon- ??<*■*<' 
taigne.  Mais,  dans  l'ensemble,  le  plan  et  les  dévelop- 
pements de  Zimmermann  n'ont  rien  de  commun 
avec  le  petit  chapitre  des  Essais  :  De  la  Solitude.  Il 
V  a  même  une  dissemblance  fondamentale  entre  les 


24  LA    RENOMMEE    DE    MONTAIGNE 

deux  auteurs.  Le  goût  de  Montaigne  pour  la  soli- 
tude, relative  et  intermittente,  n'a  rien  que  de  très 
normal  :  c'est  simplement  celui  du  sage,  c  amant 
des  loisirs  studieux  ^  comme  on  disait  jadis.  Zim- 
mermann  est  un  solitaire  plus  absolu.  C'est  même 
un  hypocondriaque  assez  caractérisé  :  lui-même 
paraît  s'en  rendre  compte,  puisque  son  livre  est^ 
en  partie,  celui  d'un  médecin  qui  analyse  les  pen- 
chants à  la  solitude,  et  qui  cherche  à  déterminer, 
au  point  de  vue  pathologique,  ses  avantages  et  ses 
inconvénients. 

Dans  le  camp  des  adversaires  de  VAiiJkUirung^ 
Montaigne  compte  en  Hamann  (1730-1788)  un  ami 
assez  inattendu  de  prime  abord.  Entre  le  grand  Péri- 
gourdin  et  le  ('  Mage  du  Nord  »,  passionné,  biblique, 
mystique,  oraculaire,  les  contrastes  abondent  et 
sautent  aux  yeux.  Mais  Hamann  était  un  grand 
Biicherwurm  (comme  il  le  dit  dans  une  lettre  à 
Lavater).  et  très  éclectique  dans  ses  lectures.  11  possé- 
dait parfaitement  la  langue  française,  dont  il  s'est 
servi  pour  plusieurs  de  ses  opuscules.  De  plus,  il  y 
avait  tout  au  moins  un  point  sur  lequel  il  pouvait 
fraterniser  avec  Montaigne  :  la  méfiance  et  le  mépris 
de  la  raison.  Il  a  donc  pratiqué  les  Essais  avec  une 
certaine  persévérance.  Il  cite  ou  mentionne  Mon- 
taigne, à  maintes  reprises,  dans  ses  écrits  ou  sa 
correspondance  (i),  en  lui  accolant  des  épithètes 
sympathiques  :    «  le  vieux,   l'honnête,  le  sage  {der 

I.  Voir  Unger  (Rudolf),  Hamann  und  die  Aufklarung.  léna,  1911. 


EN    ALLEMAGNE  2D 

«  aile,  ehrliche,  weise,  kluge),  le  bonhomme  Mon- 
((  taigne  »  (sic,  dans  l'opuscule  en  français  :  Le  Ker- 
mès du  \ord). 

Donnons  seulement  la  citation  la  plus  impor- 
tante, dans  laquelle  Montaigne  est  invoqué  à  l'appui 
d'un  assaut  contre  la  morale  rationaliste.  Ilamann 
dit  :  (I  Car  l'obéissance  par  saine  raison,  que  Ion 
u  essaie  d'ériger,  est  une  exhortation  à  la  rébellion 
«  manifeste  :  c'est  rompre  les  liens  de  toute  subordi- 
«  nation ,  celle-ci  n'étant  pas  possible  sans  reniement 
«  et  soumission  de  la  raison  ;  et  la  vraie  raison  ne 
((  doit  montrer  sa  santé  et  sa  force  que  par  la 
«  pratique  et  l'accomplissement  des  lois,  sans  sub- 
«  liliser  sur  leur  convenance.  —  Si  lu  juges  la  loi, 
((  lu  n'es  pas  ohservaleur  de  la  loi,  mais  lu  l'en  Jais  le 
"  Ji^O^  (Epitre  de  Jacques,  Y,  ii)(i).  »  Et,  dans 
une  note  que  nous  abrégeons,  Hamann  reproduit 
les  opinions  conformes  de  Montaigne  :  «  On  cor- 
rompt lofRce  du  commander,  quand  on  y  obéit 
u  pardiscrélion,nonparsubjection  (1,17).  —  La  reli- 
«  gion  chrétienne  a  toutes  les  marques  d'extrême 
((  justice  et  utilité,  mais  nulle  si  apparente  que 
«  l'exacte  recommandation  de  l'obéissance  du  magis- 
«  trat  et  manutention  des  polices...  Car  qui  se  mêle 
«  de  choisir  et  de  changer'  usurpe  l'autorité  de 
«  juger...  »  (1,23). 

L'apparition  de  la  traduction  de  Bode,  dans  les 
années    1793    et    suivantes,    peut    être    considérée 

I.  Zweifel   und  EinfuUe  — .  Œuvres  de    Hamann,    éd.    Roth,    \\\ 
p.  333-i.  "Berlin,  iSai'-AS). 


-26  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGXE 

comme  l'événement  piincipal  de  l'histoire  de  Mon- 
taigne en  Allemagne.  C'est  un  assez  curieux  person- 
nage que  Bode  (Cliristoph),  dont  la  biographie  par 
Bottiger  est  insérée  en  tête  du  6"  volume  de  la  tra- 
duction (i).  Né  en  ï~3o  dans  le  Brunswick,  fils  de 
pauvres  paysans,  jusqu'à  l'Age  de  quinze  ans  il 
^arda  les  moutons  et  ne  reçut  d'autre  instruction 
que  celle  de  l'école  du  village.  Trop  faible  physi- 
quement pour  être  bon  aux  travaux  agricoles  (dans 
sa  famille  on  l'appelait  le  dumme  Chrisloph),  il 
obtint  d'èlre  mis  en  apprentissage  chez  un  musi- 
cien. Apres  quelques  années  d'études  musicales,  soit 
à  Brunswick,  soit  à  Helmstœdt,  il  jouait  non  seule- 
ment du  basson  et  du  violon,  qui  furent  ses  instru- 
ments préférés,  mais  aussi  du  hautbois,  de  la  flûte 
et  du  piano.  Il  fut  pendant  trois  ans  hautboïste  dans 
un  régiment  hanovrien.  Entre  temps,  il  employait 
tous  ses  loisirs  à'se  donner  une  instruction  littéraire, 
à  apprendre  les  langues.  A  Hambourg,  où  il  s'était 
fixé  comme  maître  de  musique,  instrumentiste,  et 
parfois  chef  d'orchestre,  il  commence  en  1709  sa 
carrière  de  traducteur,  surtout  par  de  petites  pièces 
de  théâtre,  françaises  et  italiennes.  Un  peu  enrichi 
par  son  mariage  avec  une  de  ses  élèves  de  piano, 
Bode  renonce  à  la  pratique  musicale  pour  se  faire 
imprimeur  et  libraire.  Par  parenthèse,  il  se  maria 
trois  fois  et  eut  toujours  le  malheur  de  perdre  femme 


I.  Bottiger  (Cari  Aufr.),  alors  Directeur  du  <ï}-mnase  de  Weimar, 
■devint  plus  tard  Associé  de  notre  Académie  des  Inscriptions,  à  titre 
d'archéologue. 


EN    ALLEMAGNE  2"] 

et  enfants.  De  1768  à   1776.  il  donne  les  tiaductions 

de  Sterne,    de  Smollet  et  de  Goldsmith.  qui  passent 

encore   aujourdliui  pour   excellentes.   En    1778,    il 

quitte   Hambourg  pour  AA  einiar,   où  il  se  consacre 

dès  lors  aux  traductions.   Ce  sont  notamment  celles 

de  To/n  Jones,  des  Incas,  et  même  des  Mémoires  de 

Latude.   Enfin,  vers  le  milieu   de  l'année   1792,   il 

entreprend  la   traduction  des  Essais  :  il  y   travaille 

treize  mois  sans  répit,  et  meurt,  le  i3  décembre  1793, 

l'ayant  entièrement  achevée,  mais  non  encore  livrée 

à  l'impression.  11  se  préparait  à  traduire  Rabelais. 

en  lisant  Hans  Sachs  et  les  Tischreden  de  Luther.  Sur 

la  manière  dont  Bode  procédait,  spécialement  pour 

Montaigne,  Bottiger  fournit  des  renseignements  qui 

peuvent  être  médités  avec  pi'ofit  par  les  traducteurs  : 

«  Il  commençait   par   lire  un  chapitre,    dans   la 

«  vieille  édition  parisienne  in-folio  (Camusat,  i635), 

'<  lentement    et  avec   la   plus  attentive    méditation 

<(  sur  le   développement  des   idées   de    son  auteur. 

<(  Puis,  il  se  promenait   de  long  en  large   dans  son 

<(  vaste  cabinet,  en  réfléchissant,  cette  fois,    à   l'en- 

<(  semble  du   chapitre,  de   manière  à  s'en  assimiler 

<(  l'esprit.  Après  quoi,  il  prenait  la  plume,  et,  avec 

«  l'original  sous  les  yeux,  il  traduisait  presque  sans 

«  s'arrêter,    sauf  à   laisser   en  blanc   sur  le    papier 

u  quelques    expressions     ou     tournures     difficiles. 

<(  C'était    son  premier  jet   qui.    lors   des    révisions 

«  ultérieures,  ne   subissait  que  rarement  des  modi- 

Il  fications   essentielles.    Il    s'occupait     ensuite    de 

«  remplir  les  lacunes  laissées,  à  quoi  il  n'épargnait 


28  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIOE 

((  ni  sa  peine  ni  son  temps.  Souvent  il  passait  des 
«  heures  à  rechercher  l'expression  la  mieux  adaptée. 
((  Frisch  était,  en  l'afTaire,  son  vieux  et  fidèle  com- 
((  pagnon  (i).  Quand  le  travail  était  à  ce  point,  il 
«  le  laissait  reposer  pendant  quelques  semaines, 
(I  pour  le  soumettre  enfin  à  une  dernière  révision, 
((  qui  nétait  rien  moins  que  superficielle.  » 

Bode  est  très  supérieur  à  son  devancier  Titius. 
Il  manie  la  langue  allemande  avec  plus  d'aisance 
et  de  soin.  Il  est  plus  constamment  fidèle  à  l'ori- 
ginal, et  il  s'efforce  même,  avec  succès  assez  fré- 
quent, d'en  reproduire  l'allure,  les  tours  particu- 
liers, les  expressions  populaires  et  jusqu'aux  gas- 
conismes.  Quant  aux  mots  «  sales  et  déshonnêtcs  », 
il  accueille  largement  les  premiers  ;  il  est  plus 
réservé  pour  les  seconds,  qu'il  transpose  de  la  cru- 
dité à  la  grivoiserie.  Il  désirait,  selon  Bottiger, 
qu'une  dame  n'eût  pas  à  rougir  d'avoir  cette  tra- 
duction sur  la  tahle  de  son  boudoir.  Programme 
qui,  à  l'époque,  n'était  point  trop  difficile  à 
remplir. 

La  traduction  de  Bode  (rééditée  en  1908  par 
Weigand  et  Flake)  mérite  donc  sa  réputation,  qui 
n'a  cessé  de  persister  en  Allemagne.  C'est  assuré- 
ment un  des  meilleurs  ouvrages  dans  ce  genre 
ingrat.  Et  Jean-Paul  Richter  a  pu  dire,  sans  trop 
d'exagération   :   v  Bode,    dont    les    traductions    de 


I.  Frisch,  Nouveau  Dictionnaire  des  passagers  français-allemands  et 
allemands-français.  1712.  Plusieurs  fois  réédité  juqu'en  lygS.  —  Malgré 
son  titre,  cet  ou^^age  a  une  valeur  philologique. 


EN    ALLEMAGNE  29 

«  Sterne  et  de  Montaigne  sont  des  chefs-d'œuvre 
((  de  reproduction.  »  (Esthétique,  I,  §  56). 

Il  eût  été  intéressant  pour  notre  objet  que  Bode 
eût  écrit  une  préface,  dans  laquelle  il  aurait  sans 
doute  donné  quelques  renseignements,  positifs  ou 
négatifs,  sur  les  précédents  de  Montaigne  en  Alle- 
magne. Mais  il  n'en  a  rien  fait,  de  propos  délibéré. 
Dans  quelques  lignes  familières  à  son  éditeur, 
publiées  en  tête  du  deuxième  volume,  il  dit  à  peu 
près  :  A  quoi  bon  une  préface  ?  Les  mérites  de 
Montaigne  sont  bien  connus  ;  sa  vie,  il  en  raconte 
tout  ce  qui  peut  intéresser  le  lecteur.  Quant  à  appré- 
cier moi-même  mon  propre  travail  [mich  selbst 
recensiren),  ce  n'est  pas  dans  mes  goûts  ;  on  est 
trop  exposé  à  ces  deux  dangers  :  u  L'encens  qu'on 
«  se  brûle  à  soi-même  a  mauvaise  odeur  (Eigenloh 
(i  stinkt),  et  :  qui  se  coupe  le  nez  déshonore  son 
«  visage.  Lorsqu'un  danseur  dit  que  s'il  ne  danse 
((  pas  plus  légèrement,  c'est  qu'il  a  des  sabots,  le 
<i  public  est  en  droit  de  lui  crier  :  Quitte  les  sabots 
«  et  va  prendre  des  chaussons  1  » 

Bode  n'a  pas  perdu  à  ne  point  «  se  recenser  » 
lui-même.  Sa  traduction  n'était  encore  publiée  qu'à 
moitié  lorsqu'une  série  d'articles  aussi  élogieux 
qu'approfondis  lui  fut  consacrée  dans  VAllgeineine 
Literalur-Zeitung ,  d'iéna  (n"'  go,  96  et  290,  du 
20  mars  et  du  3  septembre  1794),  le  journal  le  plus 
autorisé  de  l'Allemagne  littéraire  et  savante,  l'or- 
gane des  partisans  de  la  philosophie  Kantienne. 
Selon  l'usage,   ces  articles  ne  sont  pas   signés,  pas 


3o  LA    nCNOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

même  d'initiales;  mais  il  semble,  d'après  quelques 
indices,  qu'ils  sont  attribuables  à  Schùtz  (Christian 
Gottfried),  directeur  du  journal  et  professeur  de 
philologie  ancienne  à  l'Université  d'iéna.  L'auteur 
paraît  familiarisé  avec  Montaigne  ;  il  le  goûte  sans 
réserves,  excuse  ses  licences  en  matière  de  morale, 
et  refuse  de  s'associer  aux  critiques  partiales  {ein- 
seiiig)  d'un  Balzac,  d'un  Malebranche,  et  même  d'un 
Pascal  et  d'un  Bayle.  Il  est  très  flatteur  pour  Bode, 
ce  qui  ne  l'empêche  pas  de  relever  quelques  menues 
erreurs,  en  philologue  expert  et  qui  a  comparé  plu- 
sieurs éditions  des  £'55«w.  Pour  mieux  faire  ressortir 
le  mérite  de  la  traduction  Bode,  il  en  publie  de  longs 
extraits  et  place  en  regard  le  texte  de  Montaigne  et 
celui  de  Titius.  Il  se  plaît  notamment  à  montrer  la 
dextérité  avec  laquelle  Bode  s'est  tiré  de  certains 
passages  scabreux,  de  ceux  entre  autres  où  Mon- 
taigne (I,  11.  De  la  Force  de  l'Imagination)  disserte 
sur  «  l'indocile  liberté  »  de  nos  membres.  Cette 
dextérité  étant  assez  loin  de  ressembler  à  de  la 
timidité,  nous  nous  abstiendrons  de  reproduire  ce 
spécimen  des  équivalents  de  Bode,  de  ses  trans- 
positions empruntées  parfois  au  langage  de  la 
musique. 

Pendant  la  période  qui  a  été  appelée  l'âge  d'or  de 
la  littérature  allemande,  Montaigne  a  compté  des 
admirateurs  illustres  et  qui,  le  plus  souvent,  le 
lisaient  dans  l'original. 

Herder  n'a  pas  ignoré  Montaigne,  qui  peut-être 
lui  avait  été  signalé  par  Hamann.   Mais   il  semble 


EN    ALLEMAGNE  3l 

ne  s'y  être  intéressé  que  sur  un  point  particulier. 
Dans  sa  préface  des  Volkslieder  (1779),  il  cite  ce 
passage  des  Essais  (I,  54)  :  «  La  poésie  populaire 
«  et  purement  naturelle  a  des  naïvetés  et  grâces  par 
«  où  elle  se  compare  à  la  principale  beauté  de  la  poésie 
«  parfaite  selon  l'art.  »  Herder  ajoute  que  ce  témoi- 
gnage sur  les  Volkslieder  suffit  à  lui  seul,  sans  qu'il 
soit  besoin  d'en  invoquer  d'autres.  Il  s'est  occupé 
aussi  de  Montaigne  pour  traduire  en  vers  la  chanson 
de  la  couleuvre  ;  mais  celte  traduction  est  restée 
dans  ses  papiers  et  n'a  été  publiée  que  longtemps 
après  sa  mort  (i).  Son  principal  mérite  est  d'être 
plus  fidèle  que  celles  de  ses  devanciers. 

Mentionnons  à  ce  propos  qu'entre  Hofmanns- 
waldau  et  Herder  s'est  placé  un  autre  interprète  de 
la  même  chanson,  Ewald  de  Kleist  (17 15-1749),  dont 
la  version  est  en  petits  vers  agréables,  mais  qui  rem- 
placent par  une  élégance  un  peu  mièvre  la  saveur 
primitive  de  l'original. 

Goethe  racontant  qu'à  Strasbourg  il  se  détourna 
de  la  langue  française,  dit  qu'en  sa  première  jeu- 
nesse Montaigne,  Amyot,  Rabelais,  Marot  étaient 
ses  amis  et  excitaient  sa  sympathie  et  son  admira- 
tion {Dichtung  iind  Wahrheil,  111,  i).  Montaigne  n'a 
pas  été  pour  lui  un  livre  de  chevet  ;  Gœthe  n'en  a 
jamais  eu,  et  pour  maintes  raisons  ne  pouvait  en 
avoir  aucun.  Toutefois,  ses  œuvres  témoignent,  à 
diverses  époques,    qu'il   n'a    pas  oublié  Montaigne 

I.  couvres  de  Herder,  dans  la  Deutsche  .\ational  Bibliothek,  tome  7^, 
2'  partie. 


32 


LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 


ot  qu'il  lui  a  conservé  les  mêmes  scnlimcnls. 
En  1783,  il  publie  dans  le  Tiefurt,er  Journal  la  tra- 
duction, en  vers  trochaïques  non  rimes,  des  deux 
chansons  des  Cannibales  :  «  Kommt  nur  kilknlich, 
<(  Kommt  nur  aile  !  ))  (a  Qu'ils  viennent  hardiment  tré- 
<(  tous....  )■)),  et  :  nSchlange  warte,  luarte  Schlange{i)  ! 
Il  reviendra  sur  celte  dernière  chanson  pour  en 
faire  une  seconde  version,  plus  libre,  mais  plus 
ciselée,  qui  sera  insérée  en  1826  dans  Kunst  und 
Aller thum  (V,  3). 

Citons  ce  modèle  de  tradaction  poétique  : 


Schlange,  halte  slille  ! 

Halte  slille,  Schlange  ! 

Meine  Schwester  ivill  von  dir  ab 

Sich  ein  Master  nehmen  ; 

Sie  ivill  eine  Schnar  inir  flechlen, 


Reich  and  tant,  wie  du  bisl, 
Das  ich  sieder  Liebslen  schenke. 
Tnigl  sie  die,  so  wirsl  du 
Immerfort  vor  allen  Schlangen 
Herrlich  schôn  gepriesen. 


Enfin  Gœthe,  en  1822,  a  consacré,  d'une  manière 
un  peu  imprévue,  une  assez  longue  mention  à 
Montaigne  voyageur,  dans  sa  préface  au  livre  inti- 
tulé Der  deulsche  Gll-Blas,  de  Johann  Christoph 
Sachse  (2).  A  propos  de  la  sincérité,  de  la  naïveté 
dont  cet  ancien  ouvrier  et  domestique  fait  preuve 
dans  le  récit  de  ses  pérégrinations,  Gœthe  en  vient 
au  voyage  de  Montaigne,  et  regrette  qu'un  ouvrage 
si  curieux  n'ait  pas  été  accueilli  avec  une  attention 
suffisante,  même  en  France.  Il  résume  ainsi  ce  qui 
en  fait,  à  ses  yeux,  la  valeur  principale  :  «  Montaigne, 


1.  Ed.  de  la  Deutsche  Nat.  Bibliolhek,  vol.  8i,  ii. 

2.  Id.,  vol.  ii3. 


EN    ALLEMAGNE  33 

u  un  chevalier  plein  de  fidélité  et  de  zèle  pour 
«  léglisc  romaine  comme  pour  la  royauté,  enlre- 
K  prend  son  voyage  huit  ans  après  la  Saint-Barthé- 
('  lemy  ;  et  il  recherche  avec  empressement,  en  Alle- 
«  magne,  de  libres  entretiens  avec  les  catholiques 
a  aussi  bien  qu'avec  les  pasteurs  et  instituteurs 
((  protestants  sur  les  divergences  de  croyances  et 
«  d'opinions  religieuses  ;  il  se  sert,  à  cet  effet,  de  la 
«  langue  latine  qui  lui  est  familière.  Et  alors,  quoi- 
w  que  tenant  fermement  à  certains  préjugés,  à 
«  certaines  habitudes,  il  considère  avec  l'esprit  le 
«  plus  libre,  avec  la  justice  et  l'équité  la  plus 
((  sereines,  des  états  de  choses  si  étrangers  pour 
((  lui,  et  il  sait  à  tel  point  les  apprécier  qu'il  préfère 
«  entièrement  les  mœurs  et  façons  allemandes  à 
«  celles  de  la  France,  soit  pour  les  édifices,  le  mobi- 
((  lier,  les  domestiques  et  la  table,  soit  aussi  pour 
«  les  règlements  de  police  et  la  propreté.  )) 

Il  faudrait  parler  longuement  de  Gœthe,  si  on 
partageait  l'opinion  à  laquelle  un  érudit  très  esti- 
mable s'est  laissé  entraîner  par  son  zèle  pour 
Montaigne.  Dans  son  Introduction  aux  Essais  (i), 
M.  Edme  Champion  compare  Montaigne  à  Faust: 
('  Il  aspirait,  comme  Faust,  à  une  vie  moins  uni- 
«  forme,  moins  languissante,  sans  cesse  variée.  Le 
«  besoin  de  goûter  jusqu'en  ses  derniers  jours 
<i  une  perpétuelle  variété  des  formes  de  notre  na- 
II  tare,    l'avidité    de    voir   des   choses    nouvelles  et 

I.  Paris,  ir)oo. 


34  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

((  inconnues  portaient  témoignage  d'inqaiéladc »> 

Non  content  d'avoir  découvert  cet  écho  général, 
M.  Edme  Cliampion  précise  deux  échos  particuliers. 
Le  premier,  au  Prologue  dans  le  Ciel  :  «  Ihn  Ireibl  die 
((  Gdhrung  in  die  Ferne...  («  L'inquiétude  le  pousse 
((  dans  l'espace  ;  il  connaît  à  moitié  sa  folie  :  il  deman- 
((  de  au  Ciel  les  plus  belles  étoiles  et  à  la  terre  les  plus 
u  sublimes  jouissances  ;  et  tout  ce  qui  est  proche, 
«  tout  ce  qui  est  éloigné  ne  satisfait  point  son  cœur 
«  profondément  agité.  »  —  Trad.  Porchat).  M.  Edme 
Champion  ajoute  textuellement,  et  sans  plus  :  <(  Ce 
((  que  Méphistophélès  dit  là  de  Faust  est  la  traduction 
«  presque  littérale  de  ce  que  Montaigne  dit  de  lui- 
«  même  dans  son  livre  III.  Ceci  également  :  «  Ihm 
«  liai  das  Schicksal  einen  Geisl  gegeben...  ->.  Le  sort 
«  lui  a  donné  un  esprit  qui  se  porte  sans  cesse  en 
«  avant  avec  une  ardeur  indomptable,  etc.  »  {Faust, 
Cabinet  de  travail.) 

Passons  ;  c'est  simplement  un  cas  de  ce  que 
Faguet  appelait  a  la  manie  du  rapprochement  ". 
Chose  curieuse  !  M.  Edme  Champion  n'est  pas  tout  à 
fait  seul  à  avoir  rapproché  Goethe  et  Montaigne.  Dans 
le  Montaigne  de  Guillaume  Guizot,  recueil  posthume 
d'études  et  fragments  (i  ),  on  lit  cette  réflexion,  isolée 
et  dépourvue  de  tout  commentaire  :  «  Montaigne  est 
une  espèce  de  Goethe  superficiel  ».  On  ne  peut  savoir, 
si  c'était  là  une  idée  en  germe,  que  l'auteur  eût  déve- 
loppée,  ou  une  boutade    fugitive  qu'il  eût  suppri- 

I.  Pari?,  i8t)f). 


EN    ALLEMVGNE  35 

mée,    sil  lui   avait  été  donné  d'achever  son  œuvre. 

M'""  de  Staël  a  écrit  :  d  L'esprit  de  Jean  Paul 
<(  ressemble  souvent  à  celui  de  Montaigne  »  {De 
VAllemagne.  II,  28).  En  s'y  appliquant,  on  décou- 
vrira toujours  et  partout  des  ressemblances  qui 
échappent  aux  yeux  ordinaires  I  II  faut  accorder, 
sans  doute,  que  Montaigne  et  Jean  Paul  ont  un 
point  commun  :  la  manière  décousue,  le  dédain  de 
la  composition.  Ce  qui  ne  leur  est  nullement  spécial. 
Mais,  à  part  cela,  quelle  comparaison  est-elle  pos- 
sible!' Et  si  Montaigne  avait  vécu  deux  siècles  plus 
tard,  quel  cas  aurait-il  fait  du  Titan,  et  même  des 
Flegeljahre^yi""' de  Staël  n'aura  procédé  ici  que  par 
vague  intuition,  méthode  plus  brillante  que  sûre. 
Jean  Paul  Richter  ne  paraît  même  pas  avoir  réservé 
à  Montaigne  une  part  privilégiée  dans  son  immense 
lectuie.  11  en  fait  pourtant,  i?i  et  là,  de  rares  men- 
tions ou  citations,  sans  importance.  Notamment, 
une  de  ses  héroïnes  du  Titan  (lY,  m),  Linda.  qui  ne 
lit  que  des  auteurs  fiançais,  a  sur  son  étagère  Mon- 
taigne, à  côté  de  La  Vie  de  M'""  Gayon,  du  Contrat 
social  et  de  L'influence  des  passions,  par  M"""  de  Staël. 
Sélection  pleine  de  contrastes,  comme  lame  de  celte 
ïitanide  1 

Est-il  nécessaire  de  dire  que  Montaigne  ne  mérite, 
à  aucun  degré,  le  titre  de  précurseur  de  Kaut  ?  Il 
vise  à  démontrer  l'impuissance  de  la  raison  hu- 
maine :  Kant,  à  mesurer  exactement  sa  puissance, 
^lontaigne  raille  et  méprise  l'instrument  ;  Kant 
l'analyse,  le  définit,  et  enseigne  la  manière  de  bien 


36  I^  V    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

s'en  servir.  Tout  ce  qu'on  peut  noter,  c'est  que  Kant 
connaissait  Montaigne.  Dans  sa  Crilique  de  lu  raison 
pratique  (Livre  I,  ch.  i).  il  inscrit  «  L'éducation 
d'après  Montaigne  »  parmi  les  principes  empiriques 
de  la  moralité,  c'est-à-dire  parmi  ceux  qui  sont 
incapables  de  fournir  le  principe  universel  de  la 
moralité. 

Citons  aussi  ce  passage  de  V Anthropologie  :  «  La 
((  crainte  de  la  mort,  naturelle  à  tous  les  hommes, 
«  aux  plus  malheureux  comme  aussi  au  plus  sage, 
«  n'est  donc  pas  l'effroi  de  mourir  ;  mais,  comme 
«  le  dit  avec  raison  Montaigne,  c'est  l'effroi  causé 
((  par  la  pensée  d'être  mort.  Car  le  candidat  de  la 
((  mort  s'imagine  qu'il  aura  encore  cette  pensée 
((  quand  il  ne  sera  plus  qu'un  cadavre  ».  A  la 
vérité,  dans  ses  fréquentes  réflexions  sur  le  sujet, 
Montaigne  a  généralement  attribué  la  peur  de  la 
mort  à  l'imagination  de  ce  qui  la  précède,  dou- 
leur, apprêts,  bien  plutôt  que,  comme  Kant  le  lui 
fait  dire,  à  la  pensée  de  ce  qui  la  suit.  Pourtant,  on 
peut  relever  ces  mots  à  l'appui  du  sens  en  question  : 
('  >>i  ce  qui  va  devant,  ni  ce  qui  vient  après,  n'est 
«  des  appartenances  de  la  mort,  o  (Essais,  I,  i4). 

En  résumé,  aux  confins  du  xvni*'  et  du  xix''  siècle 
Montaigne  était  très  répandu  dans  les  milieux  lettrés. 
On  en  voit  la  preuve  dans  un  mémoire  lu  à  l'Aca- 
démie de  Berlin,  le  3o  juin  i8o3,  par  Jean  Bastide, 
magistrat,  philologue  amateur,  issu  d'une  famille 
de  réfugiés.  Ce  mémoire  (en  français,  selon  l'usage 
de   l'Académie  à  l'époque)   est  intitulé    :  Montaigne 


EN    ALLEMAGNE  87 

commenté  à  neuf.  L'auteur  s'y  livre  exclusivement  à 
des  observations  de  détail,  philologiques  ou  fami- 
lières, sur  divers  passages  des  Essais,  sans  considé- 
rations ou  remarques  générales  d'aucune  sorte 
sur  Montaigne  et  son  livre,  ce  qui  montre  qu'il  les 
tient  pour  parfaitement  connus  des  auditeurs. 

Au  xix"  siècle,  surtout  dans  sa  dernière  période, 
le  développement  des  études  historiques  et  critiques 
suscitera  en  Allemagne  un  nombre  assez  important 
de  travaux  relevant  de  la  Montaignologie.  Mais  on 
ne  rencontrera  que  peu  d'écrivains  ayant  pratiqué 
Montaigne  sans  un  but  spécial  d'étude,  par  plaisir, p/*o 
remedio  animée ,  éventuellement  pour  y  trouver  quel- 
que aliment  de  leur  pensée.  Il  est  clair,  en  effet,  que 
Montaigne  était  trop  prosaïque  pour  les  roman- 
tiques de  toutes  écoles,  et  trop  inactuel  pour  les 
Tendenzdichter .  Puis,  et  ceci  peut  se  dire  aussi  pour 
la  Fi'ance  :  à  une  époque  où  le  champ  des  lectures 
s'est  singulièrement  agiandi,  et  oîi,  d'autre  part,  les 
conditions  delà  vie  ne  laissent  plus  les  mêmes  loisirs 
que  jadis,  il  ne  saurait  y  avoir,  en  dehors  des  spé- 
cialistes, que  peu  de  personnes  qui  aient  le 
goût  et  le  temps  de  s'adonner  à  un  vieil  auteur, 
volumineux,  touffu,  archaïque.  Et,  le  plus  souvent, 
ces  amateurs  se  recrutent  parmi  des  gens  qui  ne  font 
pas    profession    d'écrire    et    demeurent     inconnus. 

Parlons  d'alîord  des  écrivains  qui  ont  été,  non 
des  commentateurs,  mais  de  simples  amis  ou  lecteurs 
de  Montaigne,  plus  ou  moins  désintéressés.  Si  cette 
catégorie  est    peu    nombreuse,     en     revanche   elle 


38  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

compte  deux  noms  célèbres  :  Schopenhauer  et 
Nietzsche. 

Parmi  les  auteurs  français  que  Schopenhauer  a 
lus  et  cités  avec  prédilection,  Montaigne,  trop  opti- 
miste sans  doute,  est  primé  par  Aollaire,  Helvétius, 
Chamfort,  mais  il  vient  encore  en  bon  rang.  Scho- 
penhauer le  lisait  dans  l'original,  puisqu'il  dit  inci- 
demment :  «  Motif  oigne  ist  ganz  lesbar.  »  Il  se  plaît 
à  constater  que  Montaigne  a  été  un  grand  dormeur, 
comme  c"est  le  besoin  des  cerveaux  les  plus  déve- 
loppés et  les  plus  actifs.  Ailleurs,  il  renvoie  aux 
réflexions  que  Montaigne  fait  dans  le  même  sens 
que  lui  sur  l'amour,  v  vaine  occupation,  messéante, 
«  honteuse  ».  {Essais,  TU,  5).  Enfin,  dans  \e  Fonde- 
ment de  la  morale,  à  l'appui  de  sa  thèse  que  le  caractère 
inné  est  le  facteur  essentiel  de  la  moralité,  il  cite 
ce  passage  des  Essais  (11,  ii)  :  c  Serait-il  vrai 
((  que  pour  être  bon  tout  à  fait,  il  nous  le  faille  être 
«  par  occulte,  naturelle  et  universelle  propriété» 
«  sans  loi,  sans  raison,  sans  exemple^  (i)   » 

On  lit  dans  Léopold  de  Ranke  une  remarque  in- 
téressante, et  qui  devait  avoir  à  l'époque  (i852)  un 
mérite  de  nouveauté  qu'elle  a  peut-être  perdu  depuis 
lors  :  «  Montaigne  n'a  pas  représenté  l'homme  en 
«  général,  mais  le  Français  avec  tous  les  doutes  et 
ti  toutes  les  erreurs  qui  l'oppressent,  avec  les  jouis- 
«  sances  qui  le  charment,  avec  les  vœux  et  les  espé- 
«  rances    qu'il    nourrit,    avec    tout    son   être  si  vif 

I.  Schopenliauer,  éd.  GriscLach,  IT,  page  i^G.  —  II,  p.  aS'j.  —  III, 
p.  GSa. 


EN    ALLEMAGNE  3ç) 

«  d'esprit  et  de  sensualité.  »  {Franzosische  Geschichte, 
tome  [,  p.  277.) 

L'éminent  historien  auiaitdû,  sans  doute,  ajouter 
qn'un  esprit  tel  que  celui  de  Montaigne  dépasse  à 
maints  égards  les  bornes  de  sa  nation,  de  son  temps, 
de  sa  caste.  Toutefois,  on  ne  saurait  refuser  à  sa 
remarque  une  part  de  A-érité. 

Le  poète  et  romancier  zurichois  Conrad  Ferdinand 
Meyer  (1825-1898)  a  eu  l'idée  originale  d'introduire 
Montaigne  comme  personnage  épisodique  dans  sa 
nouvelle  historique  :  Das  Amiilet  (1873),  —  dont  le 
mérite  serait  plus  grand  si  elle  n'imitait  parfois 
d'un  peu  près  la  Chronique  de  Charles  IX,  de  ^lérimée 
Nous  y  voyons  Montaigne  à  Paris,  peu  de  jours  avant 
la  Saint-Barlhélemy,  en  visite  chez  son  ami  Châtil- 
lon,  calviniste,  conseiller  au  Parlement.  Montaigne, 
sur  le  point  de  regagner  le  Périgord,  redouble  d'ins- 
tances pour  l'emmener  avec  lui  dans  son  château, 
où  ils  liront  Horace  ensemble.  —  Y  a-t-il  une  con 
juration  en  train  contre  nous  autres  Huguenots,  lui 
demande-ton  ?  —  Pas  que  je  sache,  répond  Montai- 
gne, mais  Aous  avez  contre  vous  les  quatre  cinquiè- 
mes de  la  nation  ;  aous  voulez  les  contraindre  à  ce 
qu'ils  ne  veulent  pas,  c'est-à-dire  à  la  guerre  en 
Flandre  ;  cela  rend  l'atmosphère  orageuse.  «  Et, 
u  ne  vous  formalisez  pas,  si  je  vous  dis  que,  vous 
«  autres  Huguenots,  vous  manquez  au  premier  prin- 
«  cipe  de  la  sagesse  dans  la  vie,  à  savoir  qu'il  ne 
«  faut  pas  offenser  le  peuple  au  milieu  duquel  on  vit, 
((  en  méprisant  ses  coutumes.  »  —  c<  Rangez-vous  la 


^O  I.A    RENOMMEE    HE    ArONTAIGNE 

«  religion  parmi  les  coutumes  d'un  peuple  ■*  -),  lui 
demande  avec  indignation  un  jeune  calviniste  pré- 
sent à  l'entretien,  a  Dans  un  certain  sens,  oui, 
((  réplique  Montaigne,  mais,  cette  fois,  je  ne  pensais 
<(  qu'aux  usages  delà  vie  quotidienne.  Aous,  Ilugue- 
((  nols,  vous  portez  des  vêtements  sombres,  vous 
«  arborez  une  mine  sévère,  vous  ne  comprenez 
u  aucune  plaisanterie,  et  vous  êtes  aussi  raides  que 
((  vos  cols.  Bref,  vous  faites  bande  à  part,  et  cela 
((  ne  se  pardonne  pas,  dans  une  capitale  pas  plus 
«  que  dans  un  village,  d 

Nietzsche  est  un  des  plus  fervents  admirateurs 
que  Montaigne  ait  jamais  eus.  A  la  lin  de  décembre 
1870,  c'est  à-dire  à  l'âge  de  vingt-six  ans,  étant 
à  Tribschen  (près  Lucerne)  chez  Richard  Wagner, 
il  écrit  à  sa  mère  et  à  sa  sœur  que  ses  hôtes  lui 
ont  donné  en  cadeau  de  Noël  «  une  magnifique 
((  édition  complète  de  Montaigne  — que  je  vénère. 
«  {Den  ich  selir  verehre)  (  i  ) .  » 

A  travers  les  évolutions  successives  de  sa  pensée, 
Nietzsche  restera  toujours  fidèle  à  Montaigne.  Dans 
son  dernier  ouvrage  :  Ecce  liomo,  composé  en 
octobre-novembre  1888,  soit  quelques  semaines 
avant  le  naufrage  de  sa  raison,  il  écrit  :  c(  Au  fond, 
«  c'est  à  un  petit  nombre  de  vieux  auteurs  français 
<(  que  je  reviens  toujours  ;  je  ne   crois  qu'à  la  cul- 

«  ture    française Si    j'ai    quelque     chose   de 

((  l'humeur    capricieuse    {Muthwille)  de   Montaigne 

1.  Probablement  rédition  J    V.  Le  Clerc:  Paris,  i8G5-i80G,  'i  vol.  8°. 


EN    ALLEMAGNE  4l 

«  dans  l'esprit,  et  qui  sait  ?  peut-être  aussi  dans  le 

«  corps ,   cela    n'empêche  pas   les  plus   récem- 

«  ment  venus  parmi  les  Français  d  être  aussi  une 
<(  charmante  société  pour  moi.  » 

On  voit  combien  Nietzsche  s'exagérait  ses  affinités 
avec  Montaigne,  dont  il  n'avait  certes  pas  la  nature 
saine  et  pondérée. 

En  1874,  l'admiration  de  Nietzsche  pour  Mon- 
taigne est  dithyrambique  :  u  Je  ne  connais  qu'un 
«  seul  écrivain  que,  sous  le  rapport  de  la  probité, 
<i  je  place  au  rang  de  Schopenhauer,  et  même  plus 
«  haut  :  c'est  Montaigne.  Qu'un  tel  homme  ait 
«  écrit,  vraiment  le  plaisir  de  vivre  sur  cette  terre 
i'  en  a  été  augmenté.  Pour  moi  du  moins,  depuis 
((  que  j'ai  fait  connaissance  avec  celte  àme  si  libre 
"  et  si  puissante,  j'en  suis  venu  à  tel  point  que  je 
<(  dois  dire  ce  que  lui-même  dit  de  Plutarque  :  c  Je  ne 
«  le  puis  si  peu  raccointer  que  je  n'en  tire  cuisse  ou 
«  aile  (i).  »  C'est  à  son  côté  que  j'irais  me  ranger  s'il 
«  fallait  réaliser  la  tache  de  s'acclimater  sur  cette 
<■  terre.  —  Schopenhauer  a  encore,  outre  la  probité, 
<;  une  autre  qualité  en  commun  avec  Montaigne  : 
<(  une  gaieté  franche  et  communicative.  Aliis  hiHas, 
<(  sibi sapiens.  «  {Schopenhauer  als  Erzieher,  §  2). 

C'est  là  un  témoignage  à  opposer  à  J.-J.  Rous- 
seau qui  dans  un  passage  bien  connu  des  Conjes- 


i.  Nous  rétablissons  le  texte  de  Montaigne,  sur  lequel  Nietzsche  a 

commis  le  contre-sens  suivant  :  «  que  je  ne  me  sente  une  jambe 

«  ou  une  aile  de  plus  (so  ist  mir  ein  Bein  oder  ein  Flii'jel  iiewachsen).  » 
Ce  centre-sens  n'existant  ni  dans  Titius.  ni  dans  Bode,  il  en  résulte 
que,  cette  fois.  Nietzsche  avait  exclusivement  recouru  à  l'original. 


Ii2  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

sions,  dénonce   la    fausse    sincérité    de   Montaigne. 

Un  ou  deux  ans  plus  tard,  Nietzsche  évoque  Mon- 
taigne dans  des  pages  où  il  préconise  l'élude  de  la 
philosophie  et  de  l'histoire  en  tant  que  moyens  d'ar- 
river à  une  sagesse  supérieure  :  «  Ce  que  Montaigne 
«  est  seul  à  représenter  au  milieu  des  agitations  de 
«  l'esprit  de  la  Réforme,  le  repli  et  le  repos  en  soi- 
«  même,  une  façon  d'être  paisiblement  à  soi  et  de 
«  reprendre  haleine  —  et  c'est  ainsi  que  l'a  certai- 
((  nement  compris  son  meilleur  lecteur,  Shakespeare 
«  — ,  c'est  ce  que  l'histoire  est  maintenant  pour 
((  l'esprit  moderne.  »  (Richard  Wagner  in  Bayreuth, 
§3.) 

Sans  épuiser  la  liste  des  passages  oii  Nietzsche  a 
parlé  de  Montaigne,  continuons  à  donner  les  plus 
significatifs,  par  ordre  chronologique  : 

((  La  descente  dans  l'Hadès.  Moi  aussi,  je  suis 
«  descendu  aux  Enfers,  comme  Ulysse,  et  j'y 
«  retournerai  souvent  encore  ;  et  je  n'ai  pas  seule- 
«  ment  sacrifié  un  bélier  pour  pouvoir  parler  avec 
«  quelques  morts,  mais  je  n'ai  pas  non  plus  épargné 
<i  mon  propre  sang.  Il  y  eut  quatre  couples  qui  ne 
«  se  refusèrent  pas  à  moi  le  sacrifiant  :  Epicure  et 
((  Montaigne,  Gœthe  et  Spinoza,  Platon  et  Rousseau, 
((  Pascal  et  Schopenhauer.  C'est  avec  eux  qu'il  me 
«  faut  m'expliquer  quand  j'ai  longtemps  voyagé 
«  solitaire  ;  c'est  par  eux  que  je  veux  me  faire 
«  donner  tort  ou  raison  ;  c'est  eux  que  je  veux 
«  écouter  lorsqu'à  ce  propos  ils  se  donneront  entre 
«  eux-mêmes   tort  ou    raison.  »    {Humain,  trop  Ha- 


EN    ALLEMAGNE  /^S 

îuain.  II.  Opinions  et  Sentences  mêlées,  n"  '108.  Ecrit 
en  1S79). 

Celte  sélection  très  éclectique  et  ces  accouple- 
ments plus  ou  moins  étranges  montrent  quil  ne  faut 
pas  ti'op  chercher  à  expliquer  logiquement  toutes 
les  admirations  de  Nietzsche.  Elles  sont,  d'ailleurs, 
sujettes  à  de  brusques  variations.  Ainsi,  après  avoir 
bizarrement  associé  Platon  et  Rousseau,  il  ne  tar- 
dera guère  à  témoigner  à  celui-ci  son  antipathie  et 
son  dégoût  (Crépuscule  des  Idoles  et  Volonté  de  Puis- 
sance, ce  qui.  du  reste,  est  beaucoup  plus  com- 
préhensible, étant  donné  la  nature  aristocratique 
de  Nietzsche. 

Dans  un  de  ses  schémas  pour  la  Volonté  de  Puis- 
sance, tracé  en  1886,  il  déplore  chez  Luther  une 
trop  grande  déperdition  de  forces  pour  des  problèmes 
insipides  {abgeschmackt).  et  s'écrie  à  ce  propos  :  «  Et 
«  cela,  dans  un  temps  011  en  France  le  vaillant  et 
<i  joyeux  scepticisme  de  Montaigne  était  déjà  pos- 
«  sible  (  1  )  !  » 

Réflexion  qui  semble  dénoter  que  Nietzsche  voyait 
Montaigne  à  travers  des  lunettes  un  peu  spéciales, 
et  qu'il  n'en  aurait  pas  été  un  exégète  parfaitement 
sur. 

Il  lisait  encore  Montaigne,  assez  fréquemment, 
dans  la  dernière  période  de  sa  vie  lucide,  comme 
en  témoignent  plusieurs  de  ses  lettres,  et  notam- 
ment celle-ci,  écrite  de  Nice  à  Peter  Gast,  le  27  oc- 

1.  M"'  FursterMeIzsclie,  Vie  de  .\iet:scUe,  U,  p.  787. 


ixlx  LA    RENOMMKE    DE    MONTAIGNE 

tobre  1S87  :  «  Votre  Icltrc  vient  de  m'arriver  alors 
«  que  j'étais  en  train  de  lire  Montaigne,  pour  faire 
«  diversion  à  un  moment  de  noires  lubies  et  de 
<(  surexcitation.  » 

Par  parenthèse,  ce  n'est  pas  toujours  dans  l'ori- 
ginal, mais  surtout  peut-être  dans  la  traduction 
Titius  que  Nietzsche  lisait  les  Essais.  La  preuve  en 
€st  que  l'une  au  rrioins  de  ses  citations  est  textael- 
lement  empruntée  à  Titius  ;  elle  concerne  le  pas- 
sage célèbre  :  «  Les  lois  de  la  conscience  que  nous 
((  disons  naître  de  la  nature,  naissent  de  la  cou- 
A.  tume.  Etc.  (i).  »  Autre  preuve  encore  :  dans  une 
lettre  à  sa  mère  (de  Sils-Maria,  20  septembre  i884), 
il  la  prie  de  lui  envoyer  le  premier  volume  de  u  son 
<(  Montaigne  allemand,  en  trois  volumes,  un  vieux 
<(  bouquin  {eiii  aller  Schmoker).  » 

En  définitive,  faut-il  conclure  a  une  influence  de 
Montaigne  sur  Metzsche  ?  Assurément,  il  n'est  pas 
difficile  de  signaler  entre  eux  un  certain  nombre 
d'analogies  :  scepticisme  (à  un  degré  très  différent)  ; 
dépréciation  du  remords  et  de  la  pitié  ;  mépris  pour 
les  caractères  et  les  cœurs  trop  faibles  ;  médiocre 
estime  pour  les  femmes  en  général  ;  l'amour  placé 
au-dessous  de  l'amitié  ;  l'admiration  pour  Plutarque. 
Mais  ces  analogies,  et  d'autres  encore  qui  pour- 
raient être  invoquées,  n'existent  pour  la  plupart,  et 
surtout  pour  les  plus  importantes,  qu'à  un  état 
vague   et   incomplet  ;   elles  sont,    d'ailleurs,    com- 

I.  Xach'/elassenc  Werke.  XIII  §  789.  (Aus  der  L'iu'ceiilumgszeit,   1882- 
188S). 


EN    ALLEMAGNE  ^S 

munes  à  bien  d'autres  penseurs.  11  y  a  lieu  de  faire 
remarquer  que,  comme  Montaigne  a  disserté  de 
omni  re  scibili  en  matière  de  littérature  morale,  et 
qu'il  s'est  ingénié  à  retourner  les  idées  dans  tous 
les  sens,  on  réussira  presque  toujours  à  établir  des 
rappi'ochements,  plus  ou  moins  spécieux,  entre 
lui  et  un  antcar  quelconque  ayant  touché  aux 
mêmes  questions. 

Quant  aux.  ditlerences  de  fond  et  de  forme  entre 
Montaigne  et  Nietzsche,  ne  sont-elles  pas  évidentes, 
aveuglantes  ?  L'un  dit  :  Que  sais-je  '?  Et  encore 
excepte-t-il  de  son  doute  la  religion,  la  morale,  la 
patrie.  L'autre  dit  :  Rien  n'est  vrai.  L'un  est  le 
génie  du  bon  sens  ;  l'autre,  celui  du  paradoxe.  Quant 
à  la  forme,  l'un  emploie  le  ton  de  la  causerie  ; 
l'autre  un  style  sentencieux  et  à  facettes,  qui  n'est 
pas  sans  rappeler  le  conceptismc  espagnol.  Et  lénu- 
mération  des  contrastes  pourrait  être  indéfiniment 
continuée. 

Tout  compte  fait,  il  n'apparaît  nullement  que 
Nietzsche  serait  autre  ou  moindre  s'il  avait  ignoré 
ou  négligé  les  Essais.  ^lontaigne  a  été  simplement 
pour  lui  un  ami.  qui  distrait,  console,  qui  excite 
l'esprit  et  lui  procure  parfois  quelques  suggestions. 
Le  parallèle  que  nous  venons  d'esquisser  a  été 
tout  récemment  étudié  par  un  maître,  M.  Andler, 
qui  dans  ses  Précurseurs  de  .\iel:sche  consacre  à 
Montaigne  un  chapitre  de  treize  pages.  La  littérature 
comparée  possède  peu  d'ouvrages  aussi  remarqua- 
bles, aussi  attachants  que  celui  ci  ;  la  seule  réserve 


^6  LA    RENOMMEE    DE    MOMT\IGNE 

possible,  c'est  qu'il  est  parfois  animé  d'une  ardeur 
comparalisle  qui  inquiète  un  peu  les  esprits  enclins 
à  la  timidité,  au  minutieux  souci  des  textes.  Pour 
€e  qui  concerne  Montaigne  et  Nietzsche,  nous  avons 
€u  cependant  la  satisfaction  de  constater  que  nos 
résultats  ne  présentaient  pas  de  désaccord  essentiel 
avec  ceux  de  M.  Andler,  puisqu'il  conclut  que  la 
lecture  de  Nietzsche,  «  même  à  l'époque  socratique 
<(  et  française,  entre  1876  et  1882,  ne  laisse  pas  l'im- 
((  pression  de  Montaigne.  »  Mais  si  M.  Andler 
renonce  à  revendiquer  pour  Montaigne  une  influence 
proprement  dite  sur  Nietzsche,  en  revanche  il  voit 
—  plus  que  nous  ne  saurions  le  faire  —  des  affi- 
nités marquées  et  des  «  points  de  contact  o  entre 
les  deux  penseurs.  Il  estime,  par  exemple,  que  o  la 
<(  pédagogie  entière  de  Nietzsche  est  imbue  de  Mon- 
<(  taigne  »,  et  que  u  il  n'y  a  pas  un  détail  de  l'édu- 
«  cation  rationnelle  proposé  par  Montaigne,  qui 
<(  n'ait  passé  dans  Nietzsche.  »  N'y  a-t-il  pas  pourtant 
une  différence  capitale,  sans  compter  les  autres  ? 
Montaigne  veut  que  son  disciple  quitte  l'école  à 
quinze  ou  seize  ans,  c  le  demeurant  étant  dû  à 
l'action.  »  Nietzsche,  lui,  trouve  déplorable,  scan- 
daleux (et  théoriquement  il  n'a  pas  tort),  qu'un  jeune 
homme  soit  obligé  de  finir  ses  études  et  de  choisir 
une  carrière  dès  l'âge  de  vingt-trois  ans,  alors  que 
<(  à  trente  ans,  on  n'est  encore,  au  point  de  vue 
<'  de  la  haute  culture,  qu'un  commençant,  un 
('  enfant.  »  (Crépuscule  des  Idoles,  $  32).  Ce  point  ne 
suffit-il  pas.  à   lui  seul,  pour  impliquer  une  diver- 


E.N    AIXEMAr;5E  4? 

gcncc  radicale  entre  les  deux  plans  d'éducation  ?  En 
somme,  tandis  que  Montaigne  se  contente  de  former 
de  bons  gentilshommes,  Metzsche  vise  à  produire 
des  surhommes,  des  génies  (au  pis  aller,  peut  être, 
des  artistes,  des  hellénistes,  d'éminents  professeurs  ; 
ses  idées  sont  variables,  incomplètes,  et  difficiles  à 
démêler,  quand  il  ne  se  borne  plus  à  la  critique 
négative  des  systèmes  d'éducation). 

Arrivons  maintenant  aux  études  spéciales  dont 
Montaigne  a  été  l'objet  en  Allemagne,  depuis  une 
trentaine  d'années  surtout.  Parmi  elles,  on  compte 
d'assez  nombreuses  disserfalions  inaugurales,  autre- 
ment dit  thèses  de  doctorat,  qu'il  suffira  le  plus 
souvent  de  mentionner  à  la  Bibliographie.  On  sait 
qu'en  Allemagne  le  doctorat  en  philosophie  n'exige 
pas  les  mêmes  conditions  et  ne  confère  pas  les 
mêmes  prérogatives  que  notre  doctorat  es  lettres  ou 
es  sciences.  Sauf  rare  exception,  la  thèse  allemande, 
en  matière  de  lettres,  n'est  qu'une  dissertation  de 
quatre-vingt  à  cent  pages,  présentée  par  un  étudiant 
âgé  de  vingt-trois  à  vingt-quatre  ans  :  ce  n'est,  par 
conséquent,  qu'un  travail  scolaire  et  non  une  œuvre 
de  maître.  Néanmoins,  ces  thèses  ne  sont  pas  à 
dédaigner,  et,  à  défaut  de  vues  larges  ou  originales 
(que  le  candidat  parait  même  éviter  prudemment), 
on  y  trouve  presque  toujours  des  données  utiles.  Ce 
sont,  pour  employer  une  expression  bureaucra- 
tique, des  travaux  d'ordre  faits  avec  beaucoup  de 
soin. 

Prenons    d'abord    les    auteurs    qui    ont   envisagé 


l\8  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

Montaigne  tout  entier,  sans  se  limiter  ù  un  de  ses 
côtés  particuliers. 

Dans  une  thèse  supérieure  à  la  moyenne  (Berne, 
1906),  M.  JNavon  étudie  avec  sagacité  les  idées  de 
Montaigne  en  matière  de  croyances,  de  morale, 
de  pédagogie,  etc.,  et  leur  répercussion  en  France 
et  au  dehors.  Quoiqu'il  soit  très  sommaire  en  ce 
qui  concerne  l'Allemagne,  nous  lui  devons  pourtant 
certaines  indications. 

La  hrochure  de  M.  Emile  Kûhn  sur  l importance  de 
Montaigne  pour  notre  temps  (Strasbourg,  igo/j)  est 
une  apologie  presqu'absolue  de  la  morale  et  du 
caractère  de  Montaigne,  avec  vœu  que  notre  époque 
prenne  chez  lui  des  leçons  de  tolérance.  Précédem- 
ment, M.  Kiihn  avait  publié  une  traduction  d'Essais^ 
choisis  de  Montaigne  (5  petits  volumes,  Strasbourg, 
1900).  Autant  qu'il  est  permis  d'en  juger  par  la 
comparaison  de  quelques  passages,  cette  traduction 
évite  tout  plagiat  de  Bode  ;  elle  est  plus  constam- 
ment littérale,  mais  elle  rappelle  moins  la  libre  et 
familière  allure  de  l'original. 

Comme  introduction  à  sa  réédition  de  Bode, 
M.  Wilhelm  Weigand,  essayiste,  romancier  et 
auteur  dramatique,  a  publié  sur  Montaigne,  en  1908, 
une  étude  biographique  et  critique  qui  forme  un 
véritable  volume.  M.  Weigand  est  bien  documenté 
et  expose  agréablement  ;  sa  monographie  peut  sou- 
tenir la  comparaison  avec  les  meilleures  de  France 
et  d'Angleterre.  Mais  elle  n'offre  que  peu  de 
contribution  à  notre  sujet,  M.   Weigand  estimant,. 


EN    AI.LEMVGXE  ^9 

dune  manière  générale,  que  Monlaigne  n'a  pas 
influé  sur  la  cuUure  allemande,  si  ce  n'est  par 
l'intermédiaire  de  Rousseau.  Nous  ne  clierclicrons 
pas  à  suivre  celte  piste,  lintluence  de  Montaigne  sur 
Rousseau  lui-même  étant  déjà  si  restreinte,  si  pro- 
blématique, sauf  en  matière  de  pédagogie.  Ne 
quittons  pas  M.  AVeigand,  sans  lui  emprunter  un 
<létail  assez  curieux,  qu'il  fournit  d'après  ses  souve- 
nirs personnels.  Dans  les  années  qui  suivirent  1870, 
Montaigne  était  très  goûté  par  plusieurs  peintres 
municliois,  et  notamment  par  AN  ilhelm  Leibl,  qui 
disait  y  trouver  des  passages  confirmant  son  prin- 
cipe de  vision  libre  et  personnelle. 

Il  est  à  remai'quer  que  la  philosophie  allemande 
s'est  plus  occupée  de  Montaigne  que  la  philosophie 
française.  Sans  doute,  la  matière  philosophique  des 
Essais  a  été  chez  nous  l'objet  d'études  qui  paraissent 
l'avoir  épuisée,  mais  leurs  auteurs  étaient  des  lettrés, 
tels  que  Sainte-Beuve,  Faguet,  Strowski,  Yilley,  Ar- 
maingaud.  et  non  des  philosophes  proprement  dits. 
?sos  historiens  de  la  philosophie.  Cousin  en  tête,  hyp- 
notisés par  Descartes,  ont  à  peine  accordé  quelques 
mots  à  ^lontaigne,  le  considérant  comme  un  philo- 
sophe mondain,  qui  relève  de  la  littérature,  et 
n'éprouvant,  au  surplus,  ni  sympathie,  ni  cuiiosité 
pour  ses  idées  qui  leur  apparaissaient  très  analogues 
au  pyirhonisme  de  l'antiquité.  L'exemple  de  cette 
prétérition  avait,  d'ailleurs,  été  donné  outre  Rhin 
par  ïennemann,  Hegel.  Dans  son  Histoire  de  la 
Philosophie  Hegel  d'.'c!are  que  Montaigne,  Charron, 

4 


5o  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

Machiavel  et  autres  hommes  remarquahles  de  la 
Renaissance  «  n'appartiennent  })as  à  la  philosophie 
«  proprement  dite,  mais  à  la  civilisation  générale.  » 
En  effet,  continue  Hegel,  s'ils  ont  fourni  des  obser- 
vations et  réflexions  fort  intéressantes  sur  eux- 
mêmes,  sur  la  vie  humaine,  sur  les  rapports  sociaux, 
sur  le  Droit  et  le  Bien,  ils  n'ont  pas  abordé  le  pro- 
blème essentiel  de  la  philosophie,  c'est-à-dire  l'étude 
de  la  pensée  pure,  de  la  pensée  qui  se  pense  elle- 
même. 

Quoi  qu'il  en  soit,  tous  les  philosophes  allemands 
ne  se  sont  pas  arrêtés  à  cette  interprétation  restric- 
tive. Ainsi,  l'historien  de  la  philosophie  moderne, 
Kuno  Fischer,  bien  que  son  plan  Icût  autorisé  à 
passer  Montaigne  sous  silence,  lui  consacre  deux 
pages  qui  se  résument  en  ces  termes  :  Montaigne 
se  tient  au  seuil  de  la  philosophie  moderne  et  ne  le 
franchit  pas.  Celle-ci  commence  où  il  finit,  c'est-à- 
dire  avec  le  doute  fondé  sur  l'observation  critique 
de  soi-même,  le  doute  qui  cherche  et  engendre  la 
connaissance,  celui  qui  anime  Bacon  et  Descartes, 
les  fondateurs  de  la  philosophie  moderne  (i). 

Eucken  fait  une  assez  large  place  à  Montaigne 
dans  ses  Vues  des  grands  penseurs  sur  la  vie  (2).  Selon 
lui,  Montaigne  est  le  principal  représentant  de  l'es- 
prit émancipateur  de  la  Renaissance.  Dans  sa  critique 
d'une  civilisation  artificielle  et    trop    rigide,    dans 

1.  Fischer   (Kuno),    (leschichte    der    neuern    Philosophie,    ],    Heidel- 
berg,  1897  (Ed.  du  Jubilé) 

2.  Eucken    (Rudolf),    Die   Lcbensanschaïuingen   der   grossen    Denker. 
2'  éd.  Leipzig,  1896. 


EN    ALLEMAGNE 


son  thème  que  l'homme  de  la  nature  est  plus  heu- 
reux et  meilleur  que  l'homme  civilisé,  l'auteur  des 
Essais  est  pleinement  le  devancier  de  Rousseau. 
Mais  la  différence  entre  eux  surgit  pour  le  remède  : 
tandis  que  le  grand  radical  de  Genève  veut  tout 
démolir  pour  reconstruire,  Montaigne,  en  relativiste, 
se  contente  de  prêcher  l'émancipation  intérieure  de 
l'individu,  et  évite  de  porter  atteinte  aux  institu- 
tions sociales.  On  pourrait  traduire  en  d'autres 
termes  la  pensée  d'Eucken,  si  on  disait  que  chez 
Montaigne  se  retrouve  la  théorie  sto'icienne  de 
Véccnomie  ou  de  l'accommodement  :  le  sage  voit  les 
choses  de  ce  monde  avec  indifférence  et  dédain  ;  mais, 
dans  la  pratique,  il  les  respecte. 

Eucken  conclut  que  Montaigne,  malgré  ses  grands 
mérites,  a  tort  de  concevoir  une  vie  trop  facile,  trop 
eudémonique,  plus  préoccupée  des  choses  de  la  terre 
que  des  choses  éternelles,  en  quoi  il  est  le  repré- 
sentant le  plus  complet  du  Français.  Les  réserves 
d'Eucken  sur  la  morale  de  Montaigne  ne  sont  pas 
nouvelles  :  en  France,  depuis  Pascal  jusqu'à  Guil- 
laume Guizot,  elles  ont  été  formulées  souvent  et 
avec  heaucoup  plus  dâpreté.  Quant  à  la  personni- 
fication du  parfait  Français  dans  Montaigne,  accep- 
tons-la hien  volontiers.  Un  peuple  formé  à  cette 
image  n'off'rirait  ni  des  saints,  ni  de  purs  stoïciens 
(où  sont-ils  ?),  mais  il  se  composerait  d'excel- 
lents citoyens,  honnêtes,  éclairés,  patriotes,  tolé- 
rants, et,  en  outre,  vigoureux  et  exercés  au  phy- 
sique. 


52  L\    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

Dans  son  étude  sur  la  conception  et  l'analyse  de 
r homme  au  XV'  el  au  XVI'^  siècle  (i  ).  Dilthey,  profes- 
seur à  l'Université  de  Berlin,  classe  Montaigne 
parmi  les  stoïciens,  par  la  raison  qu'au  point 
central  de  sa  doctrine  on  trouve  la  formule  que  la 
vertu  consiste  dans  une  vie  conforme  à  la  nature. 
On  pourrait  discuter  ce  classement,  car  si  Mon- 
taigne dit  avec  les  stoïciens  :  naturam  serjni,  il  ne 
comprend  pas  la  nature  exactement  comme  eux. 
Montaigne,  cest  la  nature  au  complet,  selon  le  mot 
de  Sainte-Beuve,  tandis  que  les  stoïciens,  plaçant 
la  nature  sous  la  loi  de  la  raison,  en  bannissent  plus 
rigoureusement  les  éléments  inférieurs.  Toutefois, 
Dilthey  nest  pas  sans  avoir  prévu  l'objection,  car  il 
ajoute  que  Montaigne  est  un  stoïcien  souriant, 
heureux  de  vivre. 

D'après  Kreibig,  auteur  d'une  étude  historique 
et  critique  sur  le  scepticisme  moral,  Montaigne  a 
été  un  des  premiers  à  chercher  une  morale  indé- 
pendante des  dogmes.  Cette  morale,  il  ne  trouve  à 
la  fonder  ni  sur  l'expérience,  ni  sur  la  raison,  mais 
seulement  sur  sa  propre  conscience,  accommodée 
dans  la  pratique  avec  les  lois  et  coutumes.  En 
matière  religieuse,  Kreibig  considère  Montaigne 
comme  un  déiste  sincère,  par  conviction  théorique 
autant  que  par  besoin  de  conscience  ;  mais  son 
déisme  diffère  de  celui  qui  sera  professé  ultérieu- 
rement   par    les     Anglais  :    Montaigne    est     pour 

I.  Archiv  fur  die  GescJiichte  der    Pltilosojdtie.   1891. 


EN    ALLEMAGNE  53 

une  religion  d'autorilé,  non  pour  une  religion  de 
raison  (i). 

On  n'ignore  pas  que  l'Allemagne  possède  une 
abondante  liltcraturc  sur  la  pédagogie.  Il  serait 
peu  intéressant  d'énumér-er  tous  ceux  de  ces  écrits 
où  a  été  mentionné  Montaigne,  d'autant  moins 
qu'il  n'a  exercé  d'influence  sur  la  pédagogie  alle- 
mande que  d'une  manière  très  limitée  et  très 
indirecte,  par  l'intermédiaire  de  Locke  et  de  Rous- 
seau. Nous  ne  signalons  que  les  deux  principaux 
parmi  les  auleui-s  qui  se  sont  spécialement  occupés 
de  lui  à  ce  point  de  vue. 

Raumei",  dans  sa  grande  Histoire  de  la  Pédago- 
gie (2),  est  plus  impartial,  plus  bienveillant  pour 
Montaigne,  qu'on  aurait  pu  l'attendre  d'un  piéliste 
fervent.  Après  avoir  longuement  analysé  et  cité 
les  pages  des  Essais,  relatives  à  l'éducation,  et  en 
dernier  lieu,  le:  «  \on  vitœ,  sed  scholse  discimus  », 
il  conclut  par  ces  mots  :  «  Sur  quoi,  nous  prenons 
((  congé  de  cet  homme  si  hautement  original,  avisé, 
«  ironique,  qui  avec  son  solide  bon  sens  naturel  a 
(I  su  voir  beaucoup  plus  claiiement  C[ue  les  savants 
((  figés  dans  leurs  méthodes  classiques  et  mortes. 
u  Dune  manière  hardie  et  frappante,  il  a  exprimé 
«  ses  idées  sans  se  gêner  (ungenirt),  et  sans  se  deman- 
(I  der  ce  que  les  |)édanls  pourraient  en  penser.  » 
Raumer  ajoute  toutefois    que  Montaigne  a  du  une 

I.  Krcibig  (J.  Cl.),  Gcschicidc  nnd  Kritik  des  ethischcn  SIccplicimus. 
Vienne,  1896. 

3.  Ranmer  (Karl  von),  Gesc/i/c/i/f  der  P(ida<jo<jie,  I.  Stuttgart,  i8^3- 
18.^7. 


O.'i  L\    RENOMMEE    DE    MONTAIGNE 

partie  de  son  succès  à  sa  légèreté,  à  sa  frivolité 
épicuriennes  :  c  Nous  avons  toujours  aflaire  à  un 
«  homme  qui  peut  instruire  beaucoup,  mais  qui 
((  peut  non  moins  égarer.  » 

Le  professeur  de  théologie  à  Leipzig,  Baur  (Gus- 
tave), donne  à  peu  près  la  même  note.  Montaigne,  dit- 
il,  met  en  théorie  l'éducation  qu'il  a  reçue  lui-même, 
soit  une  éducation  individuelle,  agréable,  physique. 
«  Toutes  ces  revendications  étaient  fondées  vis-à-vis 
(I  de  l'esprit  trop  exclusif  qui  régnait  dans  l'éducation 
((  d'alors  ;  mais  son  zèle  d'opposition  l'a  entraîné 
{(  bien  souvent  au  delà  des  bornes  de  la  vérité  et 
«  vers  l'extrémité  contraire  :  l'enseignement  dégé- 
«  nérait  en  jeu  (i )  )k 

Reste  à  parler  des  publications  allemandes  sur 
l'influence  de  ^lontaigne  dans  la  littérature  anglaise. 
La  question  Montaigne-Shakespeare  est  un  exemple 
mémorable  des  abus  que  peut  entraîner  la  chasse 
aux  emprunts,  verbaux  ou  intellectuels,  lorsqu'elle 
est  pratiquée  avec  la  passion  d'un  sport.  La  manie 
d'attribuer  à  Montaigne  une  influence  considérable 
sur  Shakespeare  a  peut-être  débuté  en  France,  avec 
Philarète  Chasles,  qui  affirmait,  en  i846  :  ((  retrouver 
(I  Montaigne  à  tout  bout  de  champ  dans  Hamlet. 
(I  dans  Othello,  dans  Coriolan  (2)  ».  Mais,  c'est  en 
Angleterre  que  la  thèse  de  Montaigne  inspirateur 
de  Shakespeare  a  rencontré    ses    principaux    défen- 

1.  lîaur  (Gust.),  GrundzUge  der  Erciehungslehre.  Giessen,  1887. 

2.  Pli.  Chasles.  Shakespeare  traducteur  de  Montaujne.  Etude  publiée 
d'abord  dans  les  Débats  du  7  novembre  iSiO,  reproduite  dans 
L'Angleterre  au  \1 1'  siècle  (Paris,  1S79), 


EN    ALLEMAGNE  00 

seurs.  notamment  Jacob  Fcis.  le  plusexagéré,  et  John 
M.  Robeitson.  moins  extrême.  On  a  plaisir  à  voir 
que  la  critique  française,  malgré  la  séduction  oflcrle 
à  l'amour-propre  national,  a  fait  preuve  d'une 
réserve  prudente  et  scientifique.  MM.  Paul  Stapfer, 
Jusserand  et  Villey  s'accordent,  à  très  peu  près, 
dans  les  conclusions  suivantes  :  ce  qu'il  y  a  seule- 
ment de  certain,  c'est  que  Shakespeare  a  plus  ou 
-moins  lu  Montaigne-Florio.  et  qu'il  a  paraphrasé, 
dans  le  deuxième  acte  de  La  Tempèle,  quelques  lignes 
du  chapitre  Des  Cannibales.  Tout  le  reste  n'est  que 
rapprochements  très  douteux  ou  purement  fantai- 
sistes, comme  on  pourra  toujours  en  faire  entre 
auteurs  .  dissertant  sur  des  lieux  communs  ausssi 
vieux  que  l'humanité. 

Mais  nous  n'avons  à  nous  occuper  ici  que  de  la 
part  prise  au  débat  par  l'Allemagne.  Dans  les  Sha- 
kespeare-Slndien  d'Otto  Ludwig.  recueil  posthume  de 
notes  et  réflexions  écrites  poui-  lui-même  pendant 
les  années  de  1860  à  iS65  (publié  en  1872),  on  lit  : 
(I  Shakespeare  et  Montaigne  ont  dans  leurs  raisonne 
(I  ments  une  ressemblance  remarquable,  qui  peut 
is  s'expliquer  soit  par  le  fait  cju'ils  sont  presque  con- 
<(  temporains.  soit,  en  partie,  par  la  connaissance 
«que  Shakespeare  aurait  eue  des  œuvres  de  Mon- 
«  taigne.  Chez  Montaigne  aussi,  on  trouve  ce  sang- 
«  froid  dans  la  réflexion,  qui  caractérise  la  santé  de 
ti  l'esprit  ;  de  même,  il  rappelle  Shakespeare  et  les 
«  anciens  en  ce  qu'il  prend  comme  base  impertur- 
«  bable  l'expérience  et  la  réalité.  Un  drame  de  Sha- 


56  L\    r.E>OMMtE    DE    MONTAIGNE 

«  kcspeare  n'cst-il  pas,  en  quelque  sorte,  un  essai  de 
«  Monlaignc,  mis  sous  forme  d'action  et  de  dialo- 
«  gue  ?  Combien  lechapilre  20  du  livre  premier  que 
u  philosopher  c'est  apprendre  à  mourir)  ne  fait-il  pas 
u  songer  à  Hamlet  '?  Le  :  c  être  prêt,  c'est  tout,  the 
(I  readi/iess  is  uU  »  Hamlet,  V,  i*  sonne  à  chaque 
((  phrase  de  Montaigne  comme  un  refrain  qui  trouve 
«  écho  dans  notre  âme.  Maints  passages  d"//fl/??/('/  :  d  si 
«  ce  n'est  pas  aujourd'hui,  ce  sera  demain  >>,  etc. 
((  sont  comme  transférés  de  cet  E-s-sa/ dans  la  tragé- 
u  die.  Comme  l'avoue  Montaigne,  c'était  là  sa  con- 
«  sidératioii  favorite.  Ce  serait,  tout  de  même, 
«  bien  curieux  es  ivdre  doch  ivunderbar),  si  ce  Mon- 
«  laigne,  c'est-à-dire  Montaigne  tel  qu'il  se  dépeint 
<(  lui-même  dans  les  Essais,  était  le  prototype 
«  d'IIamlet,  et  si  l'objet  du  poète  avait  été  de  mettre 
((  en  lumièie  la  destinée  typique  d'un  homme  ainsi 
«  conditionné.  En  effet,  la  réllexion  dans  Hamlet 
0  est  la  représentation  d'un  personnage  réfléchis- 
«  sant  :  ce  n'est  pas  la  réllexion  cle  Shakespeare. 
((  mais  c'est  la  représentation  de  la  réflexion  en  géné- 
«  rai.  Tout  comme  Shakespeare,  dans  d'autres  pièces,^ 
«  areprésentéd'autres passionsetd'autresétatsd'àme, 
«  en  les  objectivant  dans  un  personnage,  de  même 
«  a-t-il  procédé  ici  pour  la  réflexion  devenue  un  élatdes 
(V  passions.  Quand  il  veut  montrer  comment  l'excès 
«  de  réflexions  et  lairaissement  de  l'activité  par 
«  l'abus  de  la  spéculation  peuvent  conduire  à  sa  perte 
((  l'homme  le  mieux  doué  par  la  nature  et  le  plus 
«  favorisé  par  la  fortune,  eh   bien    I  il   doit  figuier 


EN    ALLEMAGNE  07 

((  dans  un  personnage  cet  excès  de  réflexions  cl  cet 
«  abus  de  la  spéculation.  Et,  effectivement,  ce  n'est 
a  pas  la  philosophie  de  Shakespeare,  mais  celle 
«  d'Hamlet,  ou  si  Ton  veut,  celle  de  Montaigne.  Sha- 
«  kespeare  n'est  pas  lui-même  Hamlet.  Il  en  est 
u  le  créateur  dramatique.  » 

Ludwig,  dans  cette  petite  dissertation,  avait  pour 
propos  essentiel  dargumenter  en  faveur  d'un  de  ses 
thèmes  favoris  :  il  est  bon  d'employer  la  réflexion 
dans  le  drame,  pourvu  quelle  soit  dramatique^ 
naturelle  ;  elle  doit  être  celle  du  personnage,  et  non 
celle  de  l'auteur.  Mais,  en  même  temps,  il  suggérait 
le  paradoxe  d'identifier  Hamlet  avec  Montaigne,  et 
il  paraît  bien  en  avoir  la  priorité. 

En  1871,  Stedcfeld  (F.),  Conseiller  de  Justice  mi- 
litaire, publiait  un  petit  livre  (i)  (qui  semble  être 
son  unique  ouvrage,  en  dehors  dune  ou  deux  bro- 
chures édifiantes.)  dans  lequel  il  soutenait  la  thèse 
suivante.  Shakespeare  a  écrit  IJ amie t  pour  se  libérer 
des  fâcheuses  impressions  causées  sur  lui  par  la 
lecture  de  Montaigne,  et  pour  faire  l'apologie  d'un 
christianisme  pratique,  flamletest.  comme  Monlai- 
g"ne,  le  type  du  sceptique.  Il  manque  de  piété  chré- 
tienne, de  foi,  d'amour,  d'espérance.  Ses  mots  :  «  The 
rest  is  silence  »  prouvent  qu'il  n'attend  pas  une  vie 
future.  Ne  croyant  pas  à  un  Dieu  qui  régit  le  monde, 
à  un  ordre  moral  dans  l'univers,  il  doit  fatalement 
succomber,  quelle  que  soit  la  justice  de  sa  cause. 

I.  Sledefeld  (F.),  Ilamlel.  ciii  Tcndaizdraina  Shakespeare  s. 


58  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

Un  écrivain  anglais  (d'origine  h  a  m  bourgeoise), 
Jacob  Fcis,  a  repris  celte  thèse,  en  la  modifiant 
plus  ou  moins,  et  en  restant  mieux:  sur  le  terrain 
littéraire.  Il  croit,  lui  aussi,  que  Shakespeare  a 
<:omposé  Jfamlet  pour  réfuter  les  idées  de  Montaigne 
placées  dans  la  bouche  du  protagoniste.  Mais,  plus 
familier  que  Stedefeld  avec  les  éléments  du  dossier, 
il  ne  voit  d'incrédulité  religieuse  ni  dans  Montaigne 
ni  dans  Ilamlet.  Sa  thèse  est  plus  subtile,  et  voici 
comment  il  la  résume  :  «  Le  regard  prophétique 
((  de  Shakespeare  voyait  le  caractère  pernicieux  de 
<.  l'inconstance  des  pensées  de  Montaigne.  Celui-ci, 
<i  incapable  de  nous  placer  en  relation  solide  avec 
«  l'univers,  n'aboutit  quà  faire  des  hommes  qui 
«  passent  leur  vie  dans  des  réilexions  subtiles,  dans 
<(  une  inaction  sentimentale  et  peu  virile  (i).  » 

Il  serait  oiseux  de  discuter  le  paradoxe  Sledefeld- 
Feis.  Personne  ne  l'a  accepté,  fût-ce  pour  partie, 
pas  même  Robertson,  qui  pourtant  est  un  chaud 
partisan  de  l'influence  de  Montaigne  sur  Shakes- 
peare (2). 

Pour  clore  la  liste  des  travaux  concernant  la 
question  Shakespeare-Montaigne,  mentionnons  un 
article  de  M.  L.  Kellner  (auteur  d'une  monographie 
sur  Shakespeare),  dans  la  Dealsche  Rundschau  1910), 
à  propos  de  l'ouvrage  de  Robertson.  M.  Kellner 
dit,  en  passant,  un  mot  sur  les  hypothèses  de 
Stedefeld  et  de  Fcis  :  elles   supposent,  entre  autres 

1.  Feis  (Jacob).  Shakespeare  and  Monlaiijne.  LonJrc«,  iS8i. 

2.  Robertson  (John  M.)»   Montaigne  and  Shakespeare.  Londres,  1897. 


EN    ALLEMAGNE  Sg 

postulats,  des  spectateurs  familiarisés  avec  Mon- 
taigne, ce  qui  est  d'autant  plus  invraisemblable  que 
Shakespeare  destinait  ses  œuvres  au  grand  public. 
Quant  à  la  théorie  Robertsonienne,  M.  Kellner  la 
trouve  très  exagérée,  et  conteste  la  plupart  des  rap- 
prochements qu'elle  invoque.  Toutefois,  il  accorde 
à  Montaigne  un  peu  plus  que  les  principaux  cri- 
tiques français  ;  d'après  lui,  les  Essais  auraient  été 
pour  Shakespeare,  non  une  source  d'emprunts  de 
mots  ou  d'idées,  mais  une  lecture  bienfaisante, 
féconde,  et  correspondant  à  l'état  d'àme  dans  lequel 
il  se  trouvait  alors.  Il  s'y  serait  perfectionné  en  intros- 
pection, et  en  analyse  des  âmes  ;  il  y  aurait  gagné 
aussi  une  compréhension  plus  approfondie  de  l'his- 
toire et  de  Plularque. 

Un  jeune  docteur  de  vingt-trois  ans,  M.  Fritz 
Dieckow,  a  étudié  dans  sa  thèse  (Strasbourg,  igoS) 
la  traduction  de  Florio,  ainsi  que  les  rapports  de 
Bacon,  Ben  Jonson  et  Robert  Burton  avec  Mon- 
taigne. C'est  un  travail  intéressant,  utile  à  consulter, 
quoique  non  exempt  de  tendance  à  l'abus  des  rap- 
prochements. Malgré  de  nombreuses  critiques  de 
détail,  M.  Dieckow  fait  un  juste  éloge  de  la  traduc- 
tion Florio.  Il  tend  à  grossir  l'influence  de  Mon- 
taigne sur  les  trois  auteurs  précités.  Pour  ce  qui 
concerne  Bacon  et  le  Tiinber  de  Ben  Jonson,  les 
choses  ont  été  remises  au  point  par  des  études  de 
M.  Yilley.  Quant  à  Burton,  M.  Dieckow  a  pris  la 
peine  d'explorer  minutieusement  les  trois  gros 
volumes  de  ÏAnatomy  of  Melancholy,  dans   le    but 


6o  LA    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

de  démontrer  que  Montaigne,  cité  sept  fois  par 
l'auteur,  aurait  dû  l'être  plus  fréquemment.  Même 
en  adjugeant  à  M.  Dieckow  toutes  ses  conclusions, 
il  n'en  résulterait  aucune  atteinte  sérieuse  à  la  très 
réelle  originalité  de  l'œuvre  de  Burton. 

Comme  nous  l'avons  dit  au  début,  en  indiquant 
notre  excuse  principale,  cet  aperçu  du  rôle  de  Mon- 
taigne dans  la  littérature  allemande,  même  avec  les 
mentions  bibliographiques  qui  le  compléteront  ci- 
après,  n'est  certainement  pas  exempt  de  lacunes 
plus  ou  moins  nombreuses.  Nous  espérons  seule- 
ment avoir  évité  les  plus  graves,  D'ailleurs,  nous 
avons  sciemment  omis  :  des  auteurs  secondaires  (tels 
que  LiscoAv,  Thummel,  AA  eber  dit  Démocrile,  Main- 
lander),  qui  n'ont  fait  qu'emprunter  à  Montaigne 
quelque  citation,  sans  commentaire  intéressant  ; 
de  même,  les  traités  de  littérature  ou  d'histoire  dans 
lesquels  il  n'est  question  de  Montaigne  que  briève- 
ment et  d'après  les  travaux  français  ;  de  même  enfin, 
quelques  articles  sommaires  ou  fugitifs  de  journaux 
ou  périodiques. 

Telle  quelle,  cette  courte  revue  est  suffisante  pour 
montrer  que  l'auteur  des  Essais  a  obtenu  en  Alle- 
magne beaucoup  plus  de  faveur  que  ses  commen- 
tateurs ne  l'ont  supposé  jusqu'ici. 


NOTA 


En  cours  d'impression,  j'ai  appris  par  des  mentions  biblio- 
graphiques qu'Euphorion  (XXIII.  I)  venait  de  publier  un 
article  sur  Hippel,  dans  lequel  M.  Schneider  (F.  J.)  examine 
l'influence  de  Montaigne  sur  les  Lebenslauje  (parus  en  1778). 
Je  n'ai  pas  encore  pu  nie  procurer  ce  fascicule  d'Eaphorion. 
Mais  je  me  suis  reporté  aux  Lebenslaufe  dont,  je  l'avoue,  je 
ne  connaissais  précédemment  que  des  extraits.  Après  avoir 
parcouru  assez  attentivement  les  1600  pages  de  ce  roman,  ou 
de  cette  très  fantaisiste  auto-biographie  à  la  manière  de 
Tristram  Shandy,  je  vois  bien  qu'on  peut  signaler  quelques 
échos  de  Montaigne  dans  les  réflexions  diverses  —  particu- 
lièrement sur  la  mort  —  qui  se  mêlent  au  récit  et  le  surchar- 
gent trop.  Mais  ils  ne  sauraient  être  ni  importants,  ni  tous 
indiscutables.  On  distingue  plus  nettement  ceux  de  Rousseau. 
Et,  somme  toute,  Hippel  ne  manque  pas  de  côté  originaux. 


J 


BIBLIOGRAPHIE    ALLEMANDE 


MONTAIGNE 


I 
Traductions. 

MiciiAEi.s  IIerun  von  Mo.ntagne  Versuche.  —  3  vol.  8°^ 
Leipzig,  1753-175^.  (Xe  traducteur  Titius  ou  Tietz  (Johanrt. 
Daniel;,  ne  se  nomme  que  dans  sa  préface  au 3"  volumej. 

Reisen  dlrch  die  Schweiz,  Deltsciiland  lnd  Italien.  — 
2  vol.  S".  Halle,  1777-1779- 

MiCHAEL    MONTAIGNES    GeDANKEN   LND  MeINLNGEN   ÏBER   ALLERLEY 

GEGENSTANDE.  —  Par  Bodo  I  Christopli  I.  —  7  vol.  8".  Berlin, 
1793-1799.  — Réimpression  à  Vienne-Prague,  1797-1801.  — 
Réédition,  revue  par  Otto  Flake  et  Wilhclm  Wcigand, 
augmentée  du  Journal  de  voyage  traduit  par  Flake.  Avec- 
introduction  par  Weigand.   8  vol.  8".  Munich,  1908-1911, 

Essais  {in  Ausw'ahl).  Par  Dyrenfuhrt.  —  2  vol.  in-iC.  Breslau, 
189O-1898. 

Alsgew "hi-te  Essais.  —  Par  Emile  Kùhn.  5  vol.  8°.  Strasbourg, 
I 900-1 901 

Montaigne  in  auswahl.  —  Par  Erich  Meycr.  i  vol.  8°.  Stuttgart, 
1905. 

Mont.ugne.  Versuche,  1'^-  Buch.  —  Par  Wilhelm  VoUgrafî. 
Ed.  de  luxe  à  16  m.  Berlin,  1908. 

Alsgewaiilte  Essais.  —  Par  Tony  >"oali.  i  vol.  8°.  Berlin,. 
1911. 


BIBLIOGRAPHIE    ALLEMANDE  65 

Als  Micuael  MûNTAiGNES  Reise.    Von    Basel    nach   Lindau.  — 
Par  Johannes  Meyer.  (Schriflen  des  Vereins  fiir  Geschichte 
des  Bodensees.  Lindau.  igio). 
En  outre,   il  a  paru  dans  les  collections  pédagogiques  plu- 
sieurs traductions  du    chapitre   De   l'Instilidion    des   Enfants, 
par  Reimer  (  1871),  Ernst  Schmid  (  1876),  L.  Wattendorfl"(i894)^ 
Max  Kohn  ^igo^i,  et  par  d'autres  encore. 

II 
Etudes   sur    Montaigne  (i). 

A.  Biographie,  généralités. 

Kliin  (Emile).  —  Die  Bedeutang  Montaignes  fiir  unsere  Zeit.  8°, 

80  p.  (Strasbourg.  1904). 
Navon  (H.).  —  Montaignes  Lebensanschauang  und   ihre  Nach- 

wirkung.  (Thèse  ;  Berne,  1906). 
Weigand  (ir.).  —  Montaigne,   in-i6  (280  p.).    Munich,    1912. 

(Réimpression  de  son  Introduction  à  Bode). 
Blennerhasset   (Lady).    —   Montaigne.    (Deutsche    Rundschau, 

1913,  t.  i56).  —  Article  de  12  pages  à  propos  de  l'édition 

Strowski. 

B.  Philosophie,  Morale. 

Tiiimme    (Herm.).    —  Der    Skepiicismus    Montaignes.    (Thèse  ; 

léna,   187G). 
He>m>g    (Arend).   —    Der    Skepticismus   Montaignes.    (Thèse  ; 

léna,  1879;. 
Georgov  {Ivani.  —  Montaigne  als  Vertreler  des  Relativismus  in 

der  Moral.  (Thèse;  léna,  1889). 
Schwabe    [Paul).  —  Montaigne  als  philosophischer    Charakter. 

(Thèse  ;  Leipzig,  1899). 
Frankel  {Rudolf).   —  Montaignes   Stellung   :um   Staat  und   zur 

Kirche.  (Thèse;  Leipzig,  1907). 

I.  Nous  ne  mentionnons  ici  que  celles  dont  Montaigne  forme  spécia- 
lement le  sujet. 


<34  LA.    RENOMMÉE    DE    MONTAIGNE 

C.  Pédagorjle. 

Masius   (Erich).   —   Die  padayogisclien   Ansichlen   Monlaiynes. 

(Thèse;  Leipzig,  1890). 
Mehner  (C.  m.).  —  Der   Einjïiiss   Monlaignes  auf  die  pàdago- 

gischen  Ansichlen  von  John  Locke.  (Thèse:  Leipzig,    1891). 
ScHMiEDEU  (fsidon.  —  Die  piidagogischcn  Ansichlen  Monlaignes. 

(Thèse  ;  Leipzig,  1898). 

D.   Influence  de  Montaigne  en  Anglelerre. 

Stedefeld  (F.).  —  Hamlel,  ein  Tendenzdrama  Shakespeare's 
gegen  die  skeplische  iind  kosniopolitische  Weltanschauang 
des  Michael  de  Monlaigne.  (8°,  9^  p.  Berlin,  1871). 

DiECKOw  (Fritz).  —  John  Elorios  t'bersetzang  der  Essais  Mon- 
laignes, und  Lord  Bacons,  Ben  Jonson's  und  Robert  Burton's 
Verhdllnis  zii  Montaigne.  (Thèse  ;  Strasbourg,  1908). 

Klingenspor  (Franz).  —  Montaigne  und  Shaftesbury.  (Thèse  ; 
Erlangen,  1908). 

Kellneu  (L.).  —  Shakespeare  und  Montaigne.  (Deutsche  Rund- 
schau, 1910,  t.   1^3). 

E.  Sujets  divers. 

Glaumng.  —    Versuch   iiber  die   syntaktischen  Archaismen  bel 

Montaigne.  (Herrigs  Archiv,  t.  ^^9). 
Dembski   (Max).   —  Monlaigne    und    Voilure,    ein   Beitrag   zur 

Gescliichle   der  franzosischen  Synlax.  (îhèsQ  ;   Greifswald, 

18S8). 
Bruns  (Yvo).  —  Montaigne  und  die  Allen.   (Conférence   faite  à 

l'Université  de  Kiel  par  le  professeur  Bruns,  1898  . 
KuRT    Hei.ler.    —  Monlaignes    Einjïass    auf   die    Aerzlesliicke 

Molieres.  (Thèse  ;  léna,  1908). 


.VBBEMLLE.     —    IMPRIMERIE    F.     l'AlLLAUT. 


P4 

-    -M. 


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ù  la  Sorbonne.  Tome  I,  1921.  3  numéros  parus  (4  fasc.  par  an). 
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ZA^GRo^'Iz  (J.  de).  Montaigne,  Amyot  et  Saliat.  Étude  sur  les  sources 
des  Essais  de  Montaigne.  Petit  in-8.  9  fr. 

AHHEVILLE.    —    I.MPIII.MERIE    F.    PAILLART 


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