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Full text of "L'art chinois"

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THE  LIBRARY 

OF 

THE  UNIVERSITY 

OF  CALIFORNIA 

LOS  ANGELES 


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COLLECTION  PLACEE  SOUS  LE  HAUT  PATRONAGE 

DE 

l' AD  M  INI  STR  A  TIC  N      I    E  S    BEAUX-ARTS 

COURONNÉE     PAR     l' ACADÉMIE     FRANÇAISE 
(Prix    Montyoïi) 

ET 

PAR    J, 'académie     des     BEAUX-ARTS 

(Prix  Bordin) 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés. 

(^et  ouvrage  a  été  déposé  au  Ministère  de  l'Intérieur 

en  décembre  1S87. 


BIBLIOTHEQUE    DE    L' E  N  S  E  I  G  N  E  M  E  B  T    DES    BEAUX-ARTS 

IMJHLIÉK     SOUS     LA     IllIlECTlON      DU     M.    .1  U  L  I{  S     COMTK 


L'ART 


CHINOIS 


PAR 


M.   PALÉOLOGUE 


SECRETAIRE     D    AMBASSADE 


PARIS 

MAISON    QUANTIN 

COMPAGNIE    GENERALE    D'IMPRESSION    ET    D'EDITION 

7,     RUE     SAINT-BENOIT 


Art 
LibFary 

MONSIEUR    G.  COGORDAN 

MINISTRE    PLÉNIPOTENTIAIRE 


Je  vous  offre  ce  volume,  mon  cher  ami,  en  témoi- 
gnage de  mon  affectueux  dévouement,  —  en  souvenir 
de  nos  longues  causeries  à  travers  les  rues  de  Pékin, 
sur  les  bords  du  Peï-lio,  sur  les  routes  de  Corée. 


Novembre  18S7. 


SoGO^l 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lartchinoisOOpale 


PRÉFACE 


Dans  un  temps  où  la  critique  a  porté  ses  efforts 
sur  des  sujets  si  variés  et  par  des  voies  si  diverses 
qu'elle  semble  n'avoir  rien  laissé  d'inexploré  dans 
le  domaine  des  connaissances  accessibles,  l'art 
chinois  a  eu  la  singulière  fortune  d'échapper  à 
toute  recherche.  Parmi  tant  d'excellents  travaux  où 
l'on  s'est  proposé  d'assigner  à  la  civilisation  de 
l'Empire  du  Milieu  sa  place  dans  l'histoire  du 
monde  et  de  déterminer  sa  signification  dans  le 
développement  de  l'humanité,  il  n'en  est  pas  un  qui 
présente  sur  les  manifestations  esthétiques  du  génie 
chinois  des  idées  générales  ni  des  vues  particulières. 
Une  longue  suite  d'œuvres,  d'une  inspiration  puis- 
sante ou  délicate,  ont  été  créées;  —  des  générations 
d'artistes  doués  d'une  manière  originale  de  penser 
et  de  sentir,  émus  d'une  façon  particulière  aux 
spectacles  de  la  nature  et  de  la  vie,  se  sont  succédé; 
—  tout  un  monde  de  formes  gracieuses  ou  gran- 
dioses a  été  évoqué,  pendant  près  de  quarante  siècles, 


PREFACE. 


et  l'histoire  n'en  est  même  pas  encore  ébauchée. 
Ni  l'architecture,  ni  la  sculpture,  ni  la  peinture,  ni 
ces  arts  qu'on  est  convenu  d'appeler  secondaires, 
n'ont  été  l'objet  d'une  étude  d'ensemble  ou  de 
recherches  spéciales.  Seule,  la  céramique,  dont  les 
produits  ont  depuis  longtemps  accaparé  la  curiosité 
européenne,  a  donné  lieu  à  des  monographies 
complètes. 

Entrepris  dans  de  pareilles  conditions,  le  présent 
ouvrage  est  nécessairement  condamné  à  plus  d'une 
erreur,  à  plus  d'une  lacune.  Il  me  faut  donc  faire 
appel  dès  maintenant  à  l'indulgence  du  lecteur.  Je 
ne  me  suis  proposé  d'ailleurs  que  de  réunir  le  plus 
grand  nombre  de  faits  possible,  de  les  contrôler,  de 
les  classer  et  de  tirer  de  leur  groupement  les  pre- 
mières conséquences  :  je  voudrais  avoir  tracé  de  l'art 
chinois  et  de  son  histoire  une  esquisse  que  quelque 
personne  plus  autorisée  reprendrait  plus  tard.  C'est 
la  seule  ambition  qui  m'ait  tenté. 

Ce  livre  pourra  paraître  fort  incomplet  à  un 
certain  point  de  vue.  Ce  n'est  pas,  en  effet,  un 
manuel  du  collectionneur.  Il  m'a  semblé  plus  inté- 
ressant d'étudier  l'art  chinois  dans  ses  grandes 
lignes,  d'en  montrer  les  caractères  généraux,  d'en 
marquer  les  progrès  et  les  transformations,  et  d'en 
définir  les  styles.  Je  n'ai  donc  indiqué  que  som- 


PREFACE.  9 

mairement  les  procédés  qui  permettent  de  contrôler 
l'authenticité  d'un  objet  et  d'en  déchiffrer  les  mar- 
ques. De  parti  pris  aussi,  j'ai  laissé  hors  de  mon 
étude  tous  les  objets  qui  —  pour  précieux  qu'ils 
pussent  être  aux  yeux  des  collectionneurs  —  pré- 
sentaient un  intérêt  de  curiosité  et  non  une  valeur 
d'art. 

Je  m.e  suis  servi,  à  la  fois,  des  notes  que  j'avais 
prises  à  Pékin  et  des  documents  bibliographiques 
dont  on  trouvera  la  mention  dans  le  cours  de  l'ou- 
vrage. Les  collections  particulières  qui  m'ont  été 
ouvertes  à  Paris  m'ont  fourni  aussi  de  très  précieux 
éléments  d'étude  et  ont  complété  ou  rectifié,  sur  bien 
des  points,  mes  souvenirs  de  voyage.  MM.  L.  Gonse, 
S.  Bing,  H.  Cernuschi,  R.  de  Semallé  et  M.  Gentien 
voudront  bien  trouver  ici  l'expression  de  ma  grati- 
tude pour  l'empressement  avec  lequel  ils  ont  mis  à 
ma  disposition  les  spécimens  d'art  chinois  réunis 
par  leurs  soins. 

Je  priverais  cet  ouvrage  de  sa  plus  sérieuse  re- 
commandation si  je  ne  témoignais  du  concours 
obligeant  que  m'ont  prêté  MM.  G.  Deveria,  secré- 
taire-interprète du  Ministère  des  affaires  étran- 
gères, et  A.  Vissière,  premier  interprète  de  la  Léga- 
tion de  France  à  Pékin.  Leur  expérience  m'a  été 
d'un  grand  profit,  particulièrement  pour  l'indication 


10  PREIACE. 

et  la  critique  des  sources,  pour  la  traduction  des 
textes  et  le  déchilîrement  des  inscriptions.  Je  dois, 
en  outre,  à  M.  G.  Deveria  la  communication  d'études 
historiques  encore  inédites  où  j'ai  puisé  d'intéres- 
sants renseignements,  et  d'un  important  dossier  de 
notes  qui  m'a  fourni  la  trame  même  du  chapitre 
consacré  à  l'histoire  de  la  peinture. 


L'ART   CHINOIS 


LE  BRONZE 


LES     BRONZES     RITUELS 


/V/^;ilrr"?  DÈS  la  plus  haute  anti- 
'  n -*i^ w    quite  dont  les  annales 
-   (  ^       _:'    OU  les  traditions   nous 
y'.f     -'-»    aient   transmis  le  sou- 
V         venir,  les  Chinois  con- 
■■-^     naissaient  Part  de  fabri- 
quer  et   de   décorer  le 
'-^yj   bronze,  et  Ton  peut  dire 
\^   que  cet  art  a  été  le  lan- 
[ij,\v^,\é^)    gage  spontané  des  épo- 
ques archaïques  de  leur 
histoire,  le  moule  naturel  de  leur  pensée  primitive. 

Dans  les  temps  les  plus  reculés,  à  la  limite  même  de 
Tère  mythique  et  de  la  période  positive,  c^est-à-dire 
vingt-sept  siècles  avant  notre  ère,  on  savait  fondre  et 
ciseler  Tairain,  et,  en  Pan  2220,  la  technique  du  bronze 


L'ART    CHINOIS. 


était  assez   perfectionnée  pour  que  l'empereur  Yu  pût 

faire  graver  sur  des  vases 
la  description  figurée  des 
neuf  provinces  de  son  em- 
pire^ 

Quelque  réserve  que 
Ton  doive  apporter  dans 
l'admission  de  faits  aussi 
anciens  et  dans  l'adoption 
d'une  chronologie  qu'au- 
cune critique  sérieuse  n'a 
encore  rectifiée,  on  peut 
affirmer  qu'à  la  fin  de  la 
deuxième  dynastie,  —  celle 
des  Chang,  qui  gouverna 
la  Chine  de  1783  à  11 34 
av.  J.-C,  —  le  travail  des 
métaux  avait  tous  les  ca- 
ractères d'un  art  avancé. 
Ainsi  que  nous  le  verrons 
par  la  suite,  il  est  établi, 
en  effet,  que  sous  le  règne 
des  premiers  souverains 
de  la  dynastie  suivante-, 
Kou,  roDR  CONTENIR  LE  Ics  artlssns  chinois  créè- 
rent des  formes  et  une  dé- 
coration très  savantes.  Or, 

à  moins  d'admettre  que  ceux-ci  parvinrent,  d'un  seul 


VIN     SU     SACRIFICE. 

(D"nprès  le   Ta-Ths'ing-houei-iicn  ) 


1.  Cf.    Ed.    Biot,    Considérations   sur    les    anciens    temps  de 
rhistoire  chinoise.  Joiirn.  asiat.,  VIII,  4*  série. 

2.  Dynastie  des   Tcheou.  (ii34-23b  av.  J.-C.) 


LE    BRONZE.  ij 

effort  de  leur  imagination,  à  une  science  aussi  consom- 


//.'fz/oirti-lJ.'' 


VASE     HI-GHEOU-IEÏ,     POUR     CONTENIR    l'eAU    DU    SACRIFICE. 

(D'après  le   Ta-Thsing-hoiicï-tini.) 

mée,  sans  jamais  connaître  ni  timidité  dans  Tinspira- 
tion  ni  tâtonnements  dans  les  procéde's,  on  est  amené 


1+  L'ART    CHINOIS. 

à  penser  que,  longtemps  avant  eux,  Tart  chinois  avait 
commencé  de  naître,  et  que,  pendant  plusieurs  siècles 
sans  doute,  il  avait  cherché  sa  voie  et  ébauché  ses  pre- 
mières conceptions. 

Par  ses  formules  comme  par  son  objet,  l'art  du 
bronze  était  intimement  lié  aux  anciennes  croyances 
de  la  Chine. 

Le  Ciel  et  la  Terre  étaient  adorés  comme  les  formes 
matérielles  d'un  a  Souverain  suprême  »,  Chmig-ti, 
dont  les  attributs  restaient  vagues  et  indéfinis.  L'Em- 
pereur seul  avait  le  droit  desacrifier  à  cet  Être  suprême, 
et  ce  privilège  lui  est  encore  réservé. 

A  côté  de  ce  culte  supérieur,  on  adorait  les  Esprits 
des  Montagnes,  des  Vents,  des  Astres,  des  Fleuves.  Il 
semble  que,  comme  les  Aryens  de  l'époque  védique,  les 
Chinois  des  temps  primitifs  concevaient,  au  delà  de  ces 
phénomènes,  les  forces  dont  ils  émanent,  et  que,  sans 
croire  à  leur  réalité  personnelle,  ils  leur  prêtaient  la 
vie  et  la  puissance. 

Enfin,  le  Culte  des  Ancêtres,  qui  consistait,  comme 
aujourd'hui  encore,  non  pas  en  pratiques  d'idolâtrie, 
mais  en  actes  d'hommage  et  de  respect  envers  la  mé- 
moire des  défunts,  complétait  la  religion  officielle,  la 
seule  qui  existât  alors  par  toute  la  Chine,  si  l'on  ne 
tient  compte  des  superstitions  accréditées  çà  et  là  dans 
le  peuple  *. 

I.  L'histoire  de  la  religion  des  Chinois  dans  les  temps  anciens 
n'a  jamais  été  traitée  avec  une  méthode  vraiment  scientifique  ni 
avec  une  critique  suffisamment  éclairée.  L'étude  de  leur  méta- 
physique religieuse  et  des  origines  de  leurs  rites,  dont  la  con- 
naissance exacte  éclairerait  bien  des  points  de  leur  art  primitif, 
n'est  même  pas  ébauchée.  On  ne  possède  encore  à  cet  égard  que 


LE    BRONZE. 


'S 


Le  philosophe  Confucius  (Koung-fou-tse)  ,  qui 
vivait  au  vr  siè- 
cle avant  notre 
ère  et  dont  les 
idées  morales 
ont,  pour  ainsi 
dire,  façonné 
Tesprit  chinois 
tel  qu'il  est  en- 
core aujour- 
d'hui, a  enve- 
loppé dans  sa 
doctrine  les  tra- 
ditions religieu- 
ses primitives,  et 
le  Culte  d'État 
n'a  plus  fait 
qu'un  seul  corps 
de  prescriptions 
et  de  pratiques 
avec  le  Confu- 
cianisme. 

La  fabrica- 
tion des  objets 
sacrés  destinés 
aux  cérémonies 
de  cette  religion    a   été   la    première  manifestation   de 


VASE      NEl-YEN-YOU. 

(D'après  le   Ta-Ths'uig-hotui-tien.) 


des  notions  incertaines  et  des  interprétations  mal  justifiées. 
Nous  nous  sommes  borné  à  résumer  dans  ce  chapitre  les  don- 
nées fournies  par  l'ouvrage  d'Edkins,  Religion  in  China,  ch.  ii  et 

VIII. 


,r,  L'ART   CHINOIS. 

l'art  chinois  et  elle  lui  a  inspiré  ou  plutôt  dicté,  dès 
Torigine,  àts formes  et  un  décor  particuliers. 

Les  formes.  —  Par  une  particularité  de  Pesprit  chi- 
nois, toutes  les  formes  qui  furent  créées  alors  nous  ont 
été  religieusement  transmises  et  conservées. 

On  sait,  en  effet,  que  dès  la  plus  haute  antiquité 
toutes  les  manifestations  de  la  vie  individuelle,  re- 
ligieuse, sociale  ou  politique  ont  été  soumises  en 
Chine  à  un  formalisme  rigoureux,  à  la  loi  sévère  des 
Rites. 

Or  les  mêmes  Rites,  qui  ont  réglé,,  en  tous  ses  dé- 
tails, le  culte  primitif,  ont  déterminé  en  même  temps 
les  formes  des  vases  réservés  à  l'accomplissement  de 
ces  cérémonies,  et  ils  y  ont  pourvu  avec  une  précision 
si  minutieuse  et  si  impérative,  que  les  bronzes  fabriqués 
aujourd'hui  pour  les  sacrifices  officiels  sont  encore 
composés  du  même  alliage,  ont  le  même  galbe,  les 
mêmes  dimensions  en  tous  sens  et  le  même  poids  que 
ceux  qui  furent  fondus  dans  le  même  but  il  y  a  plus  de 
2,5oo  ans. 

Des  Rituels  étaient  rédigés,  où  toutes  ces  formes, 
toutes  ces  mesures  se  trouvaient  consignées.  Tels 
étaient  le  Y-li,  le  Tcheou-li^  et  le  Li-ki,  qui  faisaient 
partie  des  livres  canoniques,  ou  Kings.  D'autres  Rituels 
ont  été  composés  postérieurement  par  lés  dynasties 
qui  se  sont  succédé  au  trône  de  Chine,  et  ont  assuré  à 
travers  les  siècles  la  suite  des  traditions.  Parmi  les  ca- 
talogues officiels  reproduisant  les  objets  de  l'art  primitif 

I.  Cf.  Biot,  le  Tcheoii-li  ou  les  «  Rites  des  Tcheou  »  (ii34  à 
255  av.  J.-C).  Le  marquis  d'Hervey  Saint-Denis  a  achevé  la  tra- 
duction des  dernières  sections  de  cet  ouvrage. 


LE    BRONZE.  17 

destinés  au  culte  et  à  raccomplisscment  des  Rites,  il 
faut  citer  : 

1°  Le  Po-kou-toii^  ou  «  Figures  à\\n  grand  nombre 
d'antiquités  »  composé  vers  l'an  1200,  sous  la  dynastie 
des  Soung; 

2°  Le  Si-tlising-kou-kic?i,  ou  «  Mémoire  des  anti- 
quités de  la  pureté  occidentale  ^  »,  ouvrage  en  quarante- 
deux  volumes,  composé  par  ordre  de  l'empereur  Kien- 
long  en  1749,  et  contenant  la  description  et  la  gravure 
de  tous  les  objets  anciens  déposés  au  Palais  impé- 
rial ; 

3°  Le  Ta-Thsing-IîOueï-tten,  ou  Recueil  des  statuts 
delà  dynastie  actuelle  des  Thsing. 

Ainsi,  à  son  origine  même,  à  cette  heure  —  impor- 
tante entre  toutes  dans  les  civilisations  primitives  —  oti 
les  formes  se  créent  et  les  types  se  formulent,  à  ce  mo- 
ment où  les  arts,  prenant  leur  essor,  ont  le  plus  besoin 
de  liberté  et  de  franchise,  quand  tout  doit  être  inven- 
tion spontanée  et  imagination  active,  —  l'esthétique 
chinoise  se  trouva  étroitement  enserrée  entre  les  pres- 
criptions obligatoires  et  routinières  des  Rites. 

Par  là,  la  convention  et  la  routine  qui  n'apparais- 
sent généralement  dans  l'art  que  chez  les  peuples  vieillis, 
épuisés  par  une  trop  féconde  production  ou  las  d'une 
trop  longue  activité,  s'imposèrent  dès  le  premier  jour 
aux  artistes  de  l'Empire  du  Milieu,  les  dispensèrent  de 
toute  interprétation  personnelle,  de  toute  recherche 
expressive,  et  les  astreignirent  à  répéter  lidèlement,  ser- 

I.  Ainsi  qualifié,  parce  que  ces  antiquités  ont  été  trouvées 
principalement  dans  les  provinces  occidentales  de  la  Chine  où 
les  trois  premières  dynasties  avaient  leur  cour. 

l'art  chinois.  3 


i8  L'ART    CHINOIS. 

vilement,  avec  une  exactitude  machinale,  des  types  im- 
muablement arrêtés. 

Ce  fut  en  outre,  pendant  près  de  quinze  siècles,  la 
singulière  fortune  de  la  Chine  de  demeurer  presque 
étrangère  au  reste  du  monde  et  d^échapper  à  ces  grands 
mouvements  philosophiques  ou  religieux  qui,  en  re- 
nouvelant les  idées  et  la  conscience  d^un  peuple,  modi- 
fient par  contre-coup  ses  conceptions  esthétiques  et 
l'affranchissent  plus  ou  moins  de  ses  traditions. 

Jusqu'à  l'introduction  du  bouddhisme,  en  effet, 
c'est-à-dire  jusqu'à  la  fin  du  i"  siècle  de  notre 
ère,  l'Empire  chinois  offrit  le  spectacle  d'une  civi- 
lisation sans  contact  continu  et  sans  mélange  avec 
les  civilisations  étrangères,  et  d'un  art  immobile,  se 
répétant  indéfiniment,  sans  progrès,  sans  luttes  d'é- 
coles. 

Ce  qu'ont  pu  être  les  œuvres  produites  sous  une 
pareille  inspiration,  on  le  pressent  aisément.  Si  quel- 
ques vases  ont  de  l'élégance,  de  la  pureté  de  contours, 
la  plupart  des  formes  sont  lourdes,  barbares,  mal  équi- 
librées dans  leurs  proportions.  On  y  devine  la  préoccu- 
pation de  l'artiste  ou,  pour  mieux  dire,  de  l'ouvrier,  de 
respecter  le  canon  qui  lai  est  imposé,  de  mesurer  avec 
précision  la  courbe  d'une  panse,  l'évasement  d'un  col, 
le  profil  d'une  gorge,  l'écartement  des  pieds,  de  repro- 
duire fidèlement  le  dessin  du  décor  et  le  symbolisme 
des  figures. 

Même  dans  les  galbes  les  plus  heureux,  on  sent  je 
ne  sais  quelle  gaucherie,  quelle  raideur  hiératique.  Les 
vases  dits  cornets,  les  lagènes,  quelques  spécimens  de 
coupes,  des  cratères  révèlent  en  effet  un  sentiment  plas- 


LE    BRONZE.  19 

tique  assez  élevé  :  il  faudrait  peu  de  chose  pour  en  faire 


VASE      Hl-rS    OUEN,      POUR     RECEVOIR     LE     SANG 
DE      LA     VICTIME. 

(D'après  le   Ta-Thsing-hoiieï-tien.') 


des  œuvres  irréprochables  et  de  grand  style;   mais  ce 
qui  manque,  c^est  précisément  cette  liberté  d^inspiration 


20  L'ART    CHINOIS. 

et  cet  amour  des  lignes  pures  qui  guidaient  la  main 
des  bronziers  et  des  céramistes  d'Athènes  ou  de  Co- 
rinthe. 

Nous  les  retrouverons  plus  tard,  toutes  ces  formes 
archaïques,  quand  une  influence  étrangère,  renouvelant 
Tart  chinois,  les  empruntera  pour  les  assouplir,  les 
alléger  et  en  mieux  pondérer  les  éléments,  et  nous  sen- 
tirons mieux  alors  de  quel  poids  a  pesé  sur  les  artistes 
primitifs  le  rituali^me  du  culte  officiel. 

Le  décor.  —  Les  motifs  ornementaux  que  Ton  re- 
trouve sur  les  bronzes  primitifs  sont  de  deux  sortes  : 

1°  Des  motifs  géométriques,  simples  ou  compliqués, 
symétriques  ou  dissymétriques; 

2"  Des  formes  naturelles,  que  Tartiste  a  tantôt  repro- 
duites conformément  au  modèle  placé  devant  ses  yeux 
(animaux,  profils  de  montagnes,  nuages,  etc.),  tantôt 
transfigurées  par  un  effort  de  son  imagination  (dragons, 
chimères,  phénix,  etc.). 

1°  Parmi  les  motifs  de  la  première  catégorie,  le  plus 
usité  est  la  grecque,  appelée  par  les  Chinois  leï-oiien, 


LEl-  O  U  E  N, 


«  festons  ayant  la  forme  du  tonnerre  «,  que  Ton  retrouve 
sur  les  produits  de  la  poterie  hellénique  et  étrusque.  Il 
est  à  remarquer  que,  tandis  que  ce  dessin  décoratif  ne 
figure  qu'à  titre  accessoire  sur  les  terres  cuites  de  la 


LE    BRONZE. 


céramique  occidentale,  elle  est  le  plus  souvent,  sur  les 
bronzes  chinois,  le  principal  et  quelquefois  même  le 
seul  ornement. 


VASE     HI-TS'OUEN,     POUR      RECEVOIR     LE      SANG      DE     LA     VICTIME 

(D'après  le    Ta-Thsiiia-houct-tien.) 


On  a  pensé  pouvoir  conclure  de  cette  ressemblance 
entre  deux  motifs  décoratifs,  adoptés  par  deux  arts  dif- 
férents, à  une  influence  de  Tun  de  ces  arts  sur  Tautre, 
C'est  une  opinion  que  rien  ne  justifie.  Suivant  toute  pro- 


22  L'ART    CHINOIS. 

habilité,  en  effet,  il  n'existait  pas  de  rapports,  aux 
époques  reculées  dont  nous  nous  occupons,  entre  les 
civilisations  établies  aux  deux  extrémités  de  TAsie,  — 
et  il  est  plus  rationnel  de  reconnaître  que  le  dessin  en 
forme  de  méandre  a  dû  se  présenter  naturellement  à 
l'esprit  des  premiers  artistes  chinois,  puisqu'on  le  trouve 
dans  presque  tous  les  arts  primitifs i. 

S'il  fallait  absolument  indiquer  une  origine  à  la 
grecque  qui  figure  sur  les  bronzes  chinois,  nous  incli- 
nerions plutôt  à  croire  qu'elle  n'est  qu'un  dérivé  d'une 
figuration  symbolique  qui  date  des  plus  anciennes  tra- 
ditions de  la  Chine,  les  koua.  C'est  un  motif  formé  de 
deux  lignes,  l'une  continue,  représentant  le  principe 
rang,  c'est-à-dire  le  principe  mâle,  — l'autre  coupée  en 
deux  traits,  représentant  le  principe  j^m,  c'est-à-dire  le 
principe  féminin.  Ce  symbole  a  donné  naissance  à 
quatre  diagrammes  figurant  les  forces  et  les  puissances 
de  la  nature.  Enfin,  ces  quatre  diagrammes  développés 
ont  produit  huit  trigrammes  ou  Pa-Koua  qui  symboli- 
sent le  ciel,  les  cours  d'eau,  le  feu,  le  tonnerre,  le  vent, 
l'eau,  les  montagnes  et  la  terre. 

Ces  figures,  de  provenance  surnaturelle,  furent 
vues,  disent  les  traditions,  par  l'empereur  Fou-hi,  fon- 
dateur de  l'empire  chinois  (2800  av.  J.-C),  sur  le  dos 
d'un  cheval  dragon. 

2°  Les  formes  de  la  seconde  catégorie  sont  plus  va- 


I.  Les  Chinois  semblent  même  avoir  ignoré,  jusqu'au  i''' siècle 
avant  notre  ère,  l'existence  des  pays  de  l'Asie  antérieure  situés 
sur  le  versant  méditerranéen.  Leurs  notions  ne  sont  devenues  un 
peu  précises  sur  ces  régions  que  vers  le  milieu  du  11'  siècle 
ap.  J.-C.  Cf.  Hirth,  China  and  the  Roman  Orient,  p.  i38. 


LE    BRONZE.  aj 

riées;  elles  offrent,  en  outre,  au  point  de  vue  de  Fart,  un 
plus  sérieux  intérêt,  parce  qu'elles  sont  la  première 
interprétation  que  les  Chinois  aient  donnée  de  la  nature. 
Cette  interprétation  ne  s'est  exercée  toutefois  que  sur 
des  types  peu  nombreux,  car  il  est  à  noter  qu'il  n'existe 
sur  les  œuvres  des  époques  primitives  aucune  représen- 
tation de  la  figure  humaine  ni  des  productions  du  monde 
végétal. 

C'est  le  monde  animal  qui  a  d'abord  fourni  ses  mo- 
dèles, et  l'artiste  chinois  s'en  est  inspiré  soit  directe- 
ment, cherchant  à  reproduire  telles  qu'il  les  voyait  les 
formes  qu'il  avait  devant  lui,  —  soit  indirectement,  en 
s'élevant  par  la  pensée  à  la  conception  d'une  animalité 
surnaturelle,  terrifiante  et  grimaçante.  Cette  imagination 
du  mojîstre,  d'êtres  fantastiques  et  gigantesques,  plus 
puissants  que  l'homme  et  semblables  à  ses  plus  affreuses 
visions  de  rêve,  a  été  une  création  originale  du  génie 
chinois. 

Si  haut  que  l'on  remonte  dans  ses  légendes,  on  la 
retrouve  toujours,  et  les  trois  Hoang  qui,  à. la  fin  des 
temps  préhistoriques,  se  partageaient  la  souveraineté  du 
ciel  et  de  la  terre,  sont  encore  représentés  comme  ayant 
des  corps  de  serpent,  des  pieds  de  cheval  et  des  visages 
humains. 

Quatre  animaux  surnaturels  ont  été  ainsi  créés  au 
début  de  l'art  chinois  et  figurent  sur  ses  premières  pro- 
ductions. Ce  sont  : 

1°  Le  dragon^  — long; 

2°  La  licoî'ne,  —  lin; 

3°  Le  phénix, — fong; 

4°  La  tortue,  —  kotieï. 


«4  L'ART    CHINOIS. 

1°  Le  dragon  est  le  symbole  de  l'orient  et  du  prin- 
temps. Il  a  la  faculté  de  se  rendre  invisible  ou  d'em- 
brasser rimmensité  du  ciel  en  se  développant.  C'est  lui 
qui  soutient  la  voûte  du  ciel,  qui  distribue  la  pluie  et 
régit  les  cours  d'eau.  Depuis  le  règne  de  l'empereur 
Kao-tsou,  des  Han  (206  av.  J.-C),  le  dragon  est  l'em- 
blème de  la  puissance  impériale  :  ses  pattes  sont  alors 
armées  de  cinq  griffes. 

Lorsqu'il  figure  comme  attribut  des  Princes  du  sang, 
il  n'a  que  quatre  griffes. 

2°  La  licorne  a  le  corps  d'un  cerf,  la  queue  d'un 
bœuf  et  une  seule  corne  au  front  ;  elle  est  l'incarnation 
des  cinq  éléments  primordiaux,  l'eau,  le  feu,  le  bois, 
le  métal  et  la  terre.  Elle  est  l'emblème  de  la  perfection, 
et  la  durée  de  sa  vie  est  de  mille  ans. 

3°  Le  phénix  a  la  tête  du  faisan,  le  col  de  la  tortue, 
le  bec  de  l'hirondelle  et  le  corps  du  dragon. 

On  le  représente  aussi  avec  la  tête  du  faisan  et  le 
corps  d'un  paon  aux  ailes  éployées.  L'apparition  du 
phénix  annonce  des  hommes  d'Etat  vertueux.  C'est 
l'emblème  des  Impératrices. 

4"^  La  tortue  est  considérée  comme  rincarnation 
divine  de  l'étoile  Yao-Kouang  (dans  la  Grande-Ourse). 
Elle  est  l'emblème  de  la  force. 

D'autres  animaux  ou  figures  d'animaux  sont  encore 
représentés  sur  les  vases  anciens  :  le  plus  commun 
est  le  t'ao-t'ié,  littéralement  «  le  glouton  j). 

Le  t'ao-t'ié  a  des  mandibules  puissantes,  des  crocs 
aigus  et  des  yeux  énormes.  Dans  les  époques  posté- 
rieures, on  a  reproduit  aussi  cette  tête  grimaçante, 
mais   en  la   traitant    avec  plus  de  liberté,  en  dénatu- 


LE    BRONZE.  25 

rant  pour    ainsi  dire  les  traits,   en    faisant   de  chaque 


VASE     RITUEL      PORTANT      l'eFFIGIE     DU     t'AO-i'iÉ. 

H.,  o"\6o. 
(Collection  Je  M.  H.  Cernusclii.) 

détail  un   motif  ornemental,  de  sorte  que  parfois   on 


26  L'ART    CHINOIS. 

ne  retrouve  plus  du  type  originel  que  les  yeux  et  la 
mâchoire.   (Voy.  p.  25.) 

Une  des  conséquences  de  la  réglementation  qui, 
en  se  perpétuant  à  travers  Thistoire  chinoise,  a  déter- 
miné les  formas  et  le  décor  des  objets  rituels,  est  de 
rendre  presque  impossible  toute  attribution  de  date  aux 
bronzes  de  cette  sorte  qui  ne  portent  point  d'inscrip- 
tions. Souvent  même  ces  inscriptions  sont  insuffisantes 
à  déterminer  exactement  l'époque  où  elles  furent  gravées, 
soit  par  la  concision  symbolique  de  leur  style,  soit  par 
rimpossibilité  ou  sont  les  sinologues  et  les  Chinois 
eux-mêmes  d'en  tixer  le  sens. 

Les  éléments  principaux  des  bronzes  primitifs  étant 
ainsi  déterminés,  il  nous  est  permis  d'aborder  mainte- 
nant Tétude  des  spécimens  qui  nous  ont  été  transmis  à 
travers  les  générations  ou  dont  des  dessins  authentiques 
nous  donnent  la  copie. 

Ces  spécimens,  dont  les  types  ont  été  arrêtés  sous  la 
dynastie  des  Tcheou  qui  gouverna  la  Chine  pendant 
879  années,  de  1134  à  255  av.  J.-C,  et  quelques-uns 
même  sous  la  dynastie  des  Chang  qui  régna  de  1783  à 
1 134,  peuvent  se  classer  en  deux  catégories  : 

1°  Les  bronzes  rituels; 

2°  Les  bronzes  honorifiques. 

Les  premiers  étaient  destinés  exclusivement  et  ser- 
vent encore  aux  cérémonies  du  culte  officiel  ;  les  autres 
participaient  au  culte  des  ancêtres  ou  étaient  offerts  par 
l'Empereur  aux  dignitaires  de  l'Etat  et  aux  personnages 
ayant  rendu  d'importants  services. 

1°  Les  bronzes  7'ituels  étaient  de  formes  différentes 
suivant  qu'ils    devaient  contenir  le  vin,  les  fruits,  le 


LE    BRONZE.  27 

grain  bouilli,   les    animaux   sacriliés,  offerts    au    Sou- 


VASE     T  EOU. 

(D'après  le   Ta-Tbslng-hoaci-lien.) 


verain    Suprême,  aux    Dieux  des  Vents,  des   Monta- 
gnes, etc. 

Voici  les  principaux  types  de  ce  genre  : 
Les  vases  tsouen.  Il  y  en  a  de  six  espèces. 


2!! 


L'ART    CHINOIS. 


<J.  —  Le  tchoîi-ts'oiicn  est  un  vase  sans  pieds,  avec  deux 

têtes  d'animaux 
en  guise  d'anses. 
Il  est  destiné  à 
contenir  le  vin. 

b.  —  Le  hoii- 
tsouen,  destiné  au 
même  usage,  est 
décoré  de  nuages 
gravés  à  la  pointe 
et  de  licornes 
sculptées  en  relief. 

c.  —  Le  siang- 
ts'ouen,  ou  «  vase 
de  Téléphant  » , 
est  ainsi  nommé 
parce  qu'il  est 
supporté  par  Ta- 
nimal  de  ce  nom. 
Il  n'est  pas  éton- 
nant que  Télé- 
phant  ait  été 
connu  en  Chine 
du  temps  des 
Tcheou,  puisque 
des  rapports  exis- 
taient déjà,  à  cette 
époque,  avec  les 
pays  de  Tlndo- 
Chine. 

d.  —  Le  chan-ts'oueiu  ou  «  vase  de  la  montagne  », 


VASE     TS'OUEN. 

H.,  o",58. 
(Collection  de  M.  H.  Ccrnuscbi.) 


Lli    Bl'vONZE.  2p 

porte  comme  décor  des  proiils  de  montagnes  grave's 
à  la   pointe,  et  des  grecques. 

c.  —  Le  hi-ts'^ouen,  ou  «  vase  de  la  victime  »,  re- 
cevait la  forme  de  Tanimal  au  sacrifice  duquel  il 
figurait.  (Voy.  p.  19  et  21.) 

Quatorze  sortes  d'animaux  pouvaient  ainsi  être  sa- 
crifiées sur  les  autels:  le  cheval,  le  bœuf,  le  mouton, 
le  porc,  le  chien,  le  coq,  le  cerf,  Tours,  le  san- 
glier, Pantilope,  le  lièvre,  la  caille,  le  faisan  et  le 
pigeon. 

Le  corps  du  vase  servant  à  recevoir  le  sang  de  la 
victime  était  fixé  sur  le  dos  de  Panimal. 

f.  —  Le  taï-ts'oiien,  ou  «  grand  vase  «,  avait  la  forme 
d'une  jarre,  sans  ornement,  et  contenait  de  Peau. 

Il  faut  encore  classer  parmi  les  ts'ouen  un  vase  de  la 
collection  Cernuschi,  qui  est  d'un  aspect  très  archaïque. 
C'est  un  vase  à  panse  large,  surmonté  d'un  couvercle  ; 
le  décor  se  compose  d'un  semis  àhimbos  recouvrant 
toute  la  surface,  et  d'une  grecque  se  déroulant  à  la  base. 
Mais  ce  qui  fait  l'intérêt  particulier  de  cette  pièce,  ce 
sont  les  empreintes  de  deux  mains  creusées  dans  les 
flancs  du  vase  pour  aider  à  le  saisir  et,  sans  doute  aussi, 
à  le  porter  dans  les  cérémonies  religieuses.  Ces  em- 
preintes sont  admirablement  prises;  il  s'y  voit  encore 
des  taches  d'or.  Dans  l'intérieur  du  couvercle  est  gravée 
une  inscription  en  caractères  antiques^. 


I.  Cette  inscription,  comme  d'ailleurs  presque  toutes  celles 
qui  datent  des  premiers  temps  des  Tcheou,  est  intraduisible.  Les 
archéologues  chinois  eux-mêmes  ne  craignent  pas  de  reconnaître 
que  le  sens  des  caractères  kou-ouen  est  le  plus  souvent  impossible 
à  restituer  et  que,  pour  fixer  l'époque  des  objets  qui  les  portent, 


30 


L'ART    CHINOIS. 


Les  vases  tsio,  de  forme  assez  élégante,  ressem- 
blaient à  un  casque  renversé  monté  sur  trois  pieds.  Ils 
servaient  aux  libations. 


COUPE     TSIO,      POUR     LES     LIBATIONS     S  A  C  R  I  F  I  C  A  T  O  I  R  E  S. 

H.,  o"',2S. 

(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 

Lqs,  \asQs  pao-tsio  figuraient  dans  les  sacrifices  aux 
céréales  et  dans  les  cérémonies  du  Temple  du  ciel.  La 

on  ne  doit  consulter  que  l'aspect  extérieur  des  inscriptions.  A  nous 
placer  à  ce  point  de  vue,  c'est  au  x^  siècle  environ  avant  notre 
ère  que  nous  attribuerons  le  vase  aux  mains. 


LE    BRONZE. 


î' 


forme  de  ce  genre  de  vases  est  celle  d'une  calebasse 
montée  sur  trois  pieds.  Le  couvercle  est  muni  d'un 
bouton  d'onyx. 


KOUlii,      BOITE      POUR     RENFERMER      LE     GRAIN      BOUILLI 
DU     SACRIFICE. 

(D'après  le   Ta-Thsiiig-hoitei-l!en.) 


Le  grain  bouilli  était  présenté  dans  des  sortes  de 
boîtes  appelées  fou  ou  koiiet,  suivant  qu'elles  étaient 
de  forme  carrée  ou  de  forme  ovale.  On  plaçait  les 
fruits  dans  des  coupes  dites  pien   ayant  la  forme  d'une 


Î2 


L'ART    CHINOIS. 


sphère  écrasée  et  montées  sur  un  pied  ciselé  à   jour. 


//,  >  <-t.<^a,«V_ 


VASE      HONORIFIQUE. 
H.,    0"',6l, 

(Collection  de  M.  H.  Cernuscki  '  .) 


Une  des  formes  les  plus  heureuses  des  bronzes  pri- 


1.  Ce  vase  porte  une  inscription  en  caractères  ta-tchoiian.  — 
S.  Exe.    Tciieou,    directeur  de   la  mission   chinoise    à  Paris,   a 


LE    BRONZE.  j, 

mitifs  est  celle  des  vases  nei-yen-you  qui  sont  richement 
ornés,  surmonte's  d'un  couvercle  et  munis  d'une  anse 
mobile  qu'une  chaînette,  terminée  généralement  par 
une  boucle  de  jade,  rattache  à  une  potence  de  bois  dur. 
Les  Rituels  ont  reconnu  de  nombreuses  variantes  de 
ce  type,  soit  dans  le  galbe  du  vase  qui  est  plus  ou 
moins  élancé,  soit  dans  le  décor  qui  admet  tous  les 
animaux  symboliques  et  tous  les  motifs  géométriques 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  (Voy.  p.  i5.) 

Signalons  encore,  puisque  nous  ne  pouvons  que 
faire  un  choix  parmi  tant  de  formes  variées,  les  vases 
appelés  hi-cheoii-leï  et  leï-ouen-hoUy  qui  servaient  éga- 
lement aux  sacrifices  rituels  et  qui  sont  intéressants  par 
leur  galbe  ou  leur  ornementation.  (Voy.  p.  i3.) 

2°  Les  bronzes  honorifiques ,  destinés  à  perpétuer  le 
souvenir  d'un  personnage  célèbre  par  ses  vertus  ou  ses 
exploits.  Les  vases  de  cette  catégorie  se  distinguent  gé- 
néralement des  premiers  par  des  formes  plus  heureu- 
ses, par  un  style  moins  sobre  et  moins  sévère. 

Le  galbe  le  plus  usuel  est  celui  d'un  cornet  à  trois 
compartiments,  avec  des  anses  dont  le  développement 
atteint  parfois  toute  la  hauteur  de  la  pièce  qu'elles  sont 
destinées  à  porter.  Des  inscriptions  placées  sous  la  base 
rappellent  les  conditions  dans  lesquelles  le  vase  a  été 
décerné   par  l'empereur   ou  les  princes  du    sang. 


bien  voulu  nous  déchiffrer  cette  marque,  dont  le  sens  est  :  «  Que 
mes  fils,  mes  petits-fils  à  jamais  conservent  (ce  vase  comme  un 
obiet)  pre'cieux.» 


t  ART    CHINOIS. 


34  L"ART    CHINOIS. 

II 

LES    BRONZES     BOUDDHIQUES 

Vers  la  fin  du  r""  siècle  de  notre  ère,  un  fait  se  pro- 
duisit qui  modifia  profondément  Part  chinois  en  renou- 
velant les  conceptions  dont  il  s^était  inspiré  jusqu'alors: 
le  bouddhisme  s'introduisit  en  Chine. 

Ce  fut  en  l'année  6i  ap.  J.-C.  que  l'empereur 
Ming-ti,  ayant  vu  en  rêve,  disait-il,  un  Dieu  étranger, 
expédia  des  messagers  vers  l'Inde  pour  y  chercher  la 
doctrine  et  les  livres  du  bouddhisme.  Ces  envoyés 
revinrent  en  l'an  6y,  rapportant  les  images  peintes,  les 
eflfigies  sculptées  et  les  livres  sacrés  de  la  religion  que 
Çakya-Mouni  avait  prcchée  dans  l'Inde  600  ans  aupa- 
ravant ^ 

I.  Dès  l'année  200  av.  J.-C,  les  Chinois  avaient  entendu  par- 
ler de  la  grande  révolution  religieuse  dont  Çakya-Mouni  avait 
été  le  promoteur  à  la  fin  du  vu'  siècle.  Des  missionnaires  boud- 
dhiques étaient  même  venus  prêcher  leur  doctrine  jusque  dans 
la  capitale  de  la  Chine,  qui  était  alors  située  au  Chen-si;  mais 
leur  tentative  était  demeurée  infructueuse.  Cf.  Edkins,  Chinese 
Buddhism;  Eitel,  Lectures  on  Biiddhism  {Chinese  Recorder,  1870) 
et  Schott,  Ûber  den  Buddhaismus  in  Hoch  Asien  und  in  China.  Ce 
dernier  ouvrage,  qui  est  antérieur  aux  grands  travaux  de  Bur- 
nouf,  Foucaux,  Vassiliew  et  Senart  sur  le  Bouddhisme,  ne  doit 
être  consulté  qu'avec  réserve  sur  les  points  d'histoire  et  de  doc- 
trine où  ces  érudits  ont  appliqué  leur  critique;  mais  il  contient 
de  précieux  renseignements  sur  le  culte  et  la  liturgie  boud- 
dhiques en  Chine,  \oyez  également,  sur  l'introduction  du  boud- 
dhisme dans  l'Empire  du  Milieu  et  les  conditions  dans  lesquelles 
il  s'y  est  développé,  E.  Renan,  Nouvelles  études  d'histoire  reli- 
gieuse, p.  102  et  suiv. 


LE    BRONZE.  jj 

Lcnomde  «  Bouddha  »,  transcrit  en  chinois,  devint 


BOUDDHA.    (•■>->■} 

H.,    0'",50. 

(Collection  de  M.  H.  Cernuschi  ) 

Fo-tho  et  se  réduisit  bientôt  au  seul  radical  de  Fo^. 

I.  Le  son  Fo,  dans  les  provinces  de  l'ouest,  où  était  alors  la 
capitale  de  TEmpire  chinois,  se  confond  encore  avec  les  sons 
Bo,  Po  et  Ho. 


}<î  L'ART   CHINOIS. 

La  doctrine  bouddhique  ne  réussit  pas  tout  d'abord 
à  s'implanter  dans  l'Empire  du  Milieu;  mais,  dans  les 
premières  années  du  m''  siècle,  ellQ  commença  de  deve- 
nir populaire:  le  «  Lotus  de  la  bonne  Loi  »  était  traduit 
en  chinois,  des  temples  de  la  religion  nouvelle  s'éle- 
vaient dans  les  grandes  villes,  des  monastères  se  con- 
struisaient dans  les  campagnes,  et,  Tan  38 1,  l'empereur 
Hiao-0'u-ti,  de  la  dynastie  des  Tsin,  consacrait  à 
Fo  une  pagode  dans  son  palais  de  Nankin.  La  doc- 
trine se  répandit  dès  lors  rapidement  à  travers  toute  la 
Chine,  faisant  partout  des  adeptes.  Quelques  persé- 
cutions, ordonnées  au  début  du  v*^  siècle,  puis  bien- 
tôt abandonnées,  ne  firent  que  la  rendre  plus  popu- 
laire. 

Pendant  tout  le  vi*  siècle,  la  Chine  continue  à  se 
couvrir  de  temples  et  de  couvents  bouddhiques  :  des 
prêtres  hindous,  chassés  de  leur  pays  par  la  réaction 
brahmanique,  affluent  à  la  cour  des  Empereurs;  des 
ambassades  chinoises  vont  en  Inde  et  en  Birmanie 
pour  y  chercher  des  reliques,  des  livres  canoniques,  des 
images  et  des  statues  sacrées;  enfin  des  souverains  abdi- 
quent le  pouvoir  impérial  et  se  font  moines  ou  bonzes. 
Il  y  a,  dans  toute  la  Chine,  deux  millions  de  religieux 
bouddhistes  et  trente  mille  temples. 

Les  relations  des  pèlerins  chinois  qui  se  rendaient 
dans  PHindoustan  pour  s^  inspirer  de  la  foi  bouddhi- 
que nous  fournissent,  au  point  de  vue  qui  nous  inté- 
resse, de  curieux  renseignements.  La  plus  célèbre  de 
ces  relations  est  celle  de  Hiouen-Thsang  qui,  parti  en 
Tan  622  des  bords  du  fleuve  Jaune,  traversa  au  milieu 
de  difficultés  inouïes  les  déserts  de  la  Dzoungarie  et  les 


LE    BRONZE. 


37 


régions  de  la  Transoxiane,  visita  les  royaumes  de  Sa- 
marcande,  de  Balk  et  de  Caboul,  atteignit  le  Cachemire 
et  parvint  enfin  dans  le  bassin  du  Gange,  où  il  demeura 


LION     DE      FO     (bouddha). 

H.,  o"',3(î. 

(Collection   de    M.    H.    Ceruuschi.) 


près  de  douze  années.  Quand  il  revint  en  Chine,  il  rap- 
porta avec  lui  une  précieuse  collection  de  statues  et  de 
livres  religieux.  On  l'accueillit  dans  sa  patrie  avec  les 
plus  grands  honneurs,  et  la  réception  des  objets  sacrés 


3« 


L'ART   CHINOIS. 


qui  formaient  son  convoi  donna   lieu  à  d'imposantes 
cérémonies  ^ 

Ainsi,    des    spécimens    d'une    esthétique    nouvelle 


/t',  ^^ueA.ec/u) 


BRULE-PARFUMS.     XVI^^    SIÈCLE. 

H.,  o"',33. 
(Collection   de    M.    H.    Ccrnuschi.) 

s'introduisaient    en    Chine,  et  ils    rencontraient,  pour 


I.  Stanislas  Julien,  Histoire  de  la  vie  de  Hiouen-Thsaug.  On 
peut  consulter  sur  les  rapports  de  la  Chine  avec  l'Inde,  du 
n*  siècle  av.  J.-C.  jusqu'au  xvii°  siècle  de  notre  ère,  un  mémoire 
publié  par  G.  Pauthier  dans  le  Journal  asiatique  (3*  série, 
t.  VIII)  sous  le  titre  :  Examen  méthodique  des  faits  qui  concernent 
le  Thien-tchu  (l'Inde)  (traduit  en  partie  d'un   ouvrage   chinois). 


LE    BRONZE.  jp 

s'y  répandre,  les  conditions  les  plus  favorables  à  la 
propagation  des  formes  d'art,  rétablissement  d'une 
religion. 

Les  disciples  de  Confucius  et  ceux  de  Lao-tse  ne 
pouvaient  voir  avec  indifférence  cette  fortune  inouïe  du 
bouddhisme.  Au  vin*  siècle,  une  réaction  se  forma,  qui 
alla  toujours  grandissant  et  qui  finit  par  triompher 
vers  le  milieu  du  ix®  siècle.  Un  édit  de  Tempereur 
Hiouen-Tsong  (845  apr.  J.-C.)  ordonna  la  destruction 
de  45,000  temples  ou  monastères.  Cette  mesure  icono- 
claste acheva  sans  doute  de  détruire  ce  qui  avait 
échappé  aux  persécutions  du  v*  siècle,  et  il  est  probable 
que  des  premières  productions  de  l'art  bouddhique  en 
Chine,  peu  ont  survécu  et  ont  pu  parvenir  jusqu'à 
nous. 

L'avènement  de  la  dynastie  mongole  des  Youen, 
en  1260,  fut  pour  le  bouddhisme  le  signal  d'une  nou- 
velle prospérité,  et  en  quelques  années  les  bonzes 
eurent  reconquis  la  situation  dont  ils  jouissaient  aux 
vi^  et  vu*  siècles. 

Sous  la  dynastie  des  Ming  (i368-i643)  et  sous  la 
dynastie  actuelle  des  Thsing,  le  bouddhisme  continua 
de  vivre  sans  être  inquiété;  mais  il  perdit  peu  à  peu  son 
prestige  par  suite  de  l'opposition  savante  des  lettrés,  de 
la  concurrence  peu  loyale  des  Taoïstes,  ou  disciples  de 
Lao-tse,  de  l'extension  croissante  de  l'influence  lamaï- 
que  (bouddhisme  réformé)  et  surtout  de  l'indifierence 
religieuse  où  se  complaît  actuellement  la  masse  des 
esprits  en  Chinée 

I.  Cf.  Edkins,  CInnese  Buddhism,  ch.  vi,  et  Bazin,  Recherches 
sur  les  ordres  religieux  dans  V Empire  chinois. 


40  L'ART    CHINOIS. 

Au  point  de  vue  de  Part,  rintroduction  de  la  doc- 
trine bouddhique  dans  Tempire  chinois  a  eu  des 
conséquences  capitales  :  elle  lui  a  apporté  des  formes 
et  des  idées  nouvelles,  elle  a  changé  la  façon  de 
voir  et  de  sentir  de  ses  artistes,  elle  leur  a  donné 
quelque  chose  de  Timagination  des  Aryens  et  de  leur 
idéalisme. 

Avec  le  bouddhisme  apparaissent  des  œuvres  d^une 
pureté  de  galbe  qu^on  n'avait  point  connue  jus- 
qu'alors; il  y  a  désormais  une  variété  infinie  dans  les 
types,  de  Pélégance,  de  la  souplesse  et  de  la  fantaisie, 
une  habileté  parfaite  à  établir  les  proportions  d'un 
vase  ou  d'un  brûle-parfums  et  à  les  équilibrer. 

Si  parfois  il  est  fait  emprunt  de  formes  et  de  décors 
anciens,  ce  n'est  plus  pour  les  copier  servilement,  c'est 
avec  un  judicieux  esprit  d'imitation,  avec  la  volonté 
sincère  d'ajouter  au  modèle  quelque  chose  du  sentiment 
propre  à  l'artiste. 

Les  motifs  ornementaux  sont  plus  nombreux  et  plus 
riches  aussi  :  sur  la  panse  des  bronzes  courent  de 
délicieux  rinceaux,  des  branchages,  des  guirlandes,  des 
fleurs;  des  animaux  surnaturels  ou  réels,  si  finement 
modelés  qu'ils  semblent  moulés,  serpentent  sur  l'anse 
des  vases  ou  se  dressent  sur  le  couvercle. 

Enfin,  et  pour  la  première  fois,  les  artistes  chinois 
traitent  la  figure  humaine,  évoquent  un  monde  de  dieux 
et  de  déesses,  de  personnages  héroïques,  de  sages  im- 
mortels et  de  penseurs  divins  et  font  entrer  dans  l'art 
un  élément  mystique  et  spiritualiste.  Si,  dans  cet  ordre 
d'idées,  ils  n'ont  jamais  pu  concevoir  l'harmonie  su- 
prême des  formes  corporelles  consacrées  par  la  sculp- 


LE    BRONZE. 


4' 


lure  antique,  ni  la  beauté  accomplie  des  (tuvies  de  la 
Renaissance  ita- 
lienne, du  moins 
ils  en  ont  eu  par- 
fois le  pressenti- 
ment et  la  vision 
presque  directe.  Il 
est  à  noter  cepen- 
dant que,  s'ils  ont 
souvent  donné  à 
leurs  créations  la 
gravité  solennelle 
des  lignes,  la  sim- 
plicité majestueuse 
des  draperies,  la 
sérénité  de  la  pen- 
sée et  la  noblesse 
des  attitudes ,  ils 
n'ont  jamais  su 
leur  attribuer  la 
force  passionnée 
des  mouvements  ni 
la  grandeur  pathé- 
tique des  gestes. 
Il  faut  remarquer 
encore  que,  en  de- 
hors des  types  re- 
ligieux, ils  n'ont 
jamais  songé  non  plus  à  idéaliser  la  figure  humaine. 
Il  fallait  que  la  poésie  du  sujet  leur  fût  dictée,  impo- 
sée, pour  ainsi  dire,  parles  croyances,  esquissée  déjà  dans 


VASE    DE      BRONZE.    X  V  «^     SlÊ 

H.,    O'",^^.. 

(Collection   de    M.    H.  Ceniiischi. 


42  L'ART    CHINOIS. 

la  conscience  de  chacun,  dans  l'imagination  de  tous. 

En  même  temps  que  les  formes  se  renouvellent,  les 
procédés  techniques  se  perfectionnent. 

Les  alliages  sont  plus  savamment  combinés,  les 
patines  mieux  nuancées,  et  le  bronze  prend  alors  toutes 
les  teintes,  depuis  le  vert  olive  très  clair  et  très  uni. 
jusqu'au  brun  noirâtre,  sombre  et  profond, 

La  méthode  de  fonte  la  plus  suivie  est  celle  de  la 
cire  perdue  :  elle  est  exécutée  avec  une  sûreté  de  main 
que  les  bronziers  japonais  du  xvji«  siècle  ont  seuls 
égalée.  Le  fini  de  certaines  pièces  est  poussé  à  son 
dernier  degré  de  précision.  On  n'y  sent,  même  dans  les 
plis  et  les  fonds  les  plus  fouillés,  aucune  imperfection, 
et  cependant  on  n'y  voit  aucune  reprise  de  ciselure  ni  de 
réparation.  Le  métal  semble  avoir  pris  au  premier  jet 
tous  les  accents  du  modèle.  Les  plus  beaux  spécimens 
apparaissent  au  début  du  xv  siècle,  vers  1426,  sous 
l'empereur  Siouan-te  des  Ming,  puis  sous  les  empe- 
reurs Thien-ki  et  Tsoung-ching,  de  la  même  dynastie 
(1621-1643). 

Sous  l'empereur  Khang-hi ,  de  la  dynastie  tartare 
des  Thsing  (1662],  l'art  du  bronze  est  à  son  point  cul- 
minant et  s'y  maintient  à  peu  près  jusqu'à  l'avènement 
de  son  successeur,  Young-tching  (1723).  A  partir  de 
cette  époque,  il  n'y  a  plus  chez  les  bronziers  chinois 
une  inspiration  aussi  heureuse,  un  goût  aussi  sobre, 
une  étude  aussi  consciencieuse  du  modèle  naturel; 
mais  l'habileté  d'exécution  est  intacte  encore  dans  les 
œuvres  du  règne  de  l'empereur  Kien-long,  c'est-à-dire 
pendant  la  deuxième  moitié  du  xvni<^  siècle. 

Ces  notions  générales  étant  établies,   à  quels  carac- 


LE    BRONZE. 


4) 


tères   peut-on    reconnaître    un    objet    du    culte   boud- 
dhique? 


BRUtE-PARFUMS      BOUDDHI  Q.U  E.    NIEN-HAO      :      SIOUAN-TE 

(1+26-I436). 

H.,  o'",ij. 
(Collection   de   M.  H.  Cenuischi.) 

1°  Inscriptions  en  pâli  ou  en  sanscrit.  Les  premiers 
livres  bouddhiques  que  les  Chinois  ont  reçus  de  Plnde 
étaient  composés  en  langue  et  caractères  pâlis*;  les  in- 

I.  Cf.  E.  Burnouf  et  Lassen,  Essai  sur  le  pâli,  ch.  11. 


+t  L'ART   CHINOIS. 

scriptions  gravées  sur  les  documents  iconographiques 
qui  leur  parvinrent  dans  le  même  temps  étaient  de  la 
même  écriture.  Mais,  dès  le  début  du  n''  siècle,  les 
ouvrages  sanscrits  affluèrent,  et  Pétude  du  pâli  fut 
complètement  abandonnée. 

Si  quelques  bronzes  portent  encore  des  inscrip- 
tions en  cette  dernière  langue,  on  peut  donc  les  con- 
sidérer comme  les  plus  anciens  spécimens  de  Fart 
bouddhique  en  Chine,  ou  tout  au  moins  comme  la 
reproduction  d'œuvres  remontant  aux  ii"  ou  ni®  siè- 
cles. 

L'écriture  sanscrite  a  fourni  aux  artistes  bronziers 
de  très  heureux  motifs  de  décoration,  moins  riches  et 
moins  entrelacés  que  les  caractères  arabes,  mais  se 
prêtant  tout  aussi  bien  aux  courbes  d'un  vase,  aux 
lobes  d'une  coupe,  au  modelé  d'un  brûle-parfums.  Le 
sens  de  ces  inscriptions  est  généralement  une  prière,  ou 
quelque  formule  d'incantation. 

2°  Une  série  de  figures  symboliques,  spéciales  au 
bouddhisme,  permet  encore  de  reconnaître  aisément 
les  objets  qui  relèvent  de  ce  culte  et  de  son  inspi- 
ration. 

La  plus  fréquemment  employée  est  le  lotus,  lien- 
lioa,  la  fleur  sacrée,  celle  dont  l'empreinte  est  gravée 
sous  le  pied  du  Bouddha.  On  la  rencontre  partout;  elle 
s'enroule  sur  le  col  des  vases  et  la  tige  des  flambeaux, 
elle  s'épanouit  sur  les  parois  des  brûle-parfums,  elle 
tapisse  le  socle  des  statues,  elle  entr'ouvre  son  large 
calice  dans  la  main  du  divin  Çakya. 

Le  lotus  est  généralement  entouré  de  sept  autres 
emblèmes,  qui  sont  :  la  cloche,  tchong,  —  la  coquille 


LE    BRONZE. 


4S 


univalve,  lo,  —  le  parasol,  san,  —  le  baldaquin,  h-ai, 
—  le  vase  à  cou- 
vercle, koiian,  — 
les  deux  poissons, 
j^îi,  et  enfin  le 
nœud,  tchang. 

On  trouve 
presque  aussi 
souvent  les  feuil- 
les du  figuier 
[pippala.  ficus  re- 
ligiosa]  :  c'est  Par- 
bre  sacré  de  Bo- 
dhimanda,  .  sous 
les  branches  du- 
quel Çakya-Mou- 
ni  demeura  tout 
un  jour  et  toute 
une  nuit  en  mé- 
ditation, au  sortir 
de  sa  retraite 
d'Ourou  vil  va. 
Quand  l'aurore 
parut,  il  sentit 
qu'il  revêtait  la 
qualité  de  Boud- 
dha accompli 
et  qu'il  atteignait 

«  l'intelligence  parfaite  et  la  triple  science  »,  Cet  arbre, 
qui  exista  réellement,  fut  pendant  de  longs  siècles 
l'objet  de  la  vénération  des  fidèles,  et  Hiouen-Thsang, 


VASE     DE     BRC.NZi:.—    XV<^    SIECLE. 

H.,  o'",ss. 
(Collection  de  ^[.   H.   Cernusclii.) 


+•5 


L'ART   CHINOIS. 


le  pèlerin  chinois,  qui  vovagca  dans  Flnde  en  Tan  632 
de  notre  ère,  affirme  en  avoir  vu  les  restes. 

Lepabiiier,  pci-to  {en  sanscrit  patra,  borassus /la- 
belliformis],  qui,  d'après  la  légende  hindoue,  ne  perd 
jamais  ses  feuilles,  est  également  d'une  reproduction 
fréquente.  Il  serait  trop  long  de  donner  la  liste  com- 
plète de  toutes  les  espèces  végétales  qui  se  trouvent 
figurées  sur  les  objets  bouddhiques  et  que  Tartiste  a 
tantôt  copiées  fidèlement,  tantôt  ornemanisées.  Signa- 
lons encore  les  feuilles  triangulaires  de  Parbre  fabu- 
leux appelé  le  tchan-pou  (en  sanscrit  djambii],  —  les 
baies  parfumées  du  Nj'ctanthes ,  mo-li  (en  sanscrit 
mallika]  et  les  fleurs  luxuriantes  du  man-fo-lo  [Ery- 
thrina  fui  gens,  en  sanscrit  mandârà\. 

L'animal  symbolique  par  excellence  du  bouddhisme 
est  Véléphant,  qui  est  Tattribut 
des  boddhisatvas,  c'est-à-dire 
des  êtres  qui  n'ont  plus  à  tra- 
verser qu'une  seule  existence 
humaine  avant  d'arriver  à  l'état 
de  bouddha. 

Le  lion  de  Fo  [che-tse]  par- 
ticipe autant  de  l'art  indien  que 
de  l'art  chinois  qui  a  imaginé 
les  monstres  primitifs.  La  face 
de  l'animal  est  grimaçante,  la 
gueule  entr'ouverte  laisse  voir  des  crocs  aigus,  la  cri- 
nière enveloppe  tout  le  sommet  de  la  tête  et  est  frisée. 
La  bête  est  généralement  représentée  assise  sur  son 
train  de  derrière,  dressée  sur  ses  pattes  de  devant.  On 
la  place  à  l'entrée  des  temples  et  des  palais. 


FA-CHE-LO. 

(Symbole  bouddhique.) 


LE    BRONZE. 


+7 


D'autres  ornements  symboliques,  perdus  souvent 
dans  le  détail  du  décor,  permettent  de  reconnaître  les 
objets  bouddhiques.  Cest  d^abord  \q  fa-che-lo  (en  sans- 
crit vadjra),  emblème  d^Indra,  dieu  du  brahmanisme, 
adopté  par  le  bouddhisme,  mais  considéré  comme  infé- 
rieur à  Çakya  Mouni.  Cet  objet,  lorsqu'il 
est  isolé,  sert  dans  les  exorcismes  et  les 
pratiques  de  sorcellerie. 

Leouan  (en  sanscrit  svastika),  sorte  de 
croix  gammée,  est  le  symbole  du  cœur  de       ouan. 
Bouddha  :  il  est  ^ravé  sur  la  poitrine.  Voici   fSymboie  boud- 
encore,  comme  symbole  du  même  ordre, 

le  che-li-mo-ts'o  (en  sanscrit  sriva- 
staya)  ^ 

Enfin,  le  bouddhisme  a  enseigné 
aux  artistes  chinois  la  reproduction 
de  la  figure  humaine.  La  doctrine 
de  Çakya-Mouni  est  en  effet  arrivée 
dans  TEmpire  du  Milieu  avec  une 
(Symbole  bouddhique.)  icouographie  Complète,  que  ses  nou- 
veaux adeptes  ont  d'abord  copiée  telle  qu'ils  la  rece- 
vaient de  l'Hindoustan,  puis  qu'ils  ont  variée  en  sïns- 
pirant  autant  du  génie  propre  à  leur  race  que  des 
modèles  indiens. 

De  tous  les  types  ainsi  reproduits,  celui  qui  a  con- 
servé le  plus  longtemps  le  caractère  que  lui  avaient  at- 
tribué les  artistes  hindous,  c'est  le  Bouddha  lui-même. 
Les  bronziers  chinois  s'appliquèrent  à  imiter,  avec  une 


CH  E-LI-M  0-TS    O. 


I.  Cf.  D''EiteI,  lland-bookfor  the  student  of  chinese Biiddhism  ; 
passim. 


48  L'ART    CHINOIS. 

fidélité  pieuse,  les  effigies  que  les  missionnaires  du 
II*  siècle  rapportaient  du  Népal  ou  du  Pendjab  et  qui 
faisaient  connaître  les  traits  du  Dieu  nouveau.  On  avait 
enfin  la  physionomie  vraie  de  celui  que  les  Livres  sacrés 
dépeignaient  ainsi  :  «  Il  a  le  front  large  et  uni;  —  Toeil 
semblable  au  pétale  du  Nymphœa  bleu;  —  les  lèvres 
pareilles  au  fruit  du  Wimba  ;  —  les  veines  cachées  ;  — 
les  épaules  parfaitement  arrondies  ;  —  le  corps  comme 
le  tronc  du  figuier;  —  les  membres  et  les  flancs  parfai- 
tement ronds  et  polis  ;  —  la  rotule  pleine;  —  les  pieds 
et  les  mains  doux  et  délicats;  —  les  doigts  longs;  —  le 
talon  développé;  —  le  cou-de-pied  saillant;  —  les  che- 
villes cachées^... ,  » 

Quelque  différence  qu"'il  y  ait  entre  le  type  classique 
du  Bouddha  et  les  types  de  la  race  jaune,  et  si  étrange 
que  dût  paraître  aux  artistes  chinois  Testhétique 
aryenne,  ceux-ci  en  ont  cependant  saisi  tout  de  suite  le 
caractère  ;  ils  ont  su  rendre  admirablement  le  modelé 
gras  et  plein,  les  formes  rondes  et  presque  féminines  du 
Bhagavat  et  tous  les  traits  physiques  de  sa  personnalité 
sacrée.  Mais  ce  qui  est  plus  singulier,  c''est  qu^ils  aient 
su  comprendre  et  exprimer  aussi  la  beauté  morale  de 
sa  figure  pensive,  la  sérénité  rêveuse,  le  majestueux 
recueillement  du  héros  divin  sur  son  lit  de  lotus.  Pour 
la  première  fois  dans  les  œuvres  des  artistes  de  la 
Chine,  on  aperçoit  une  âme  et  la  physionomie  qui 
manifeste  cette  âme.  C'a  été  le  plus  grand  bienfait  que 
Part  chinois  ait  reçu  du  bouddhisme  :  il  lui  doit  la  ré- 
vélation   d'un    idéal    plus   élevé,  une  conception  plus 

I.  Lotus  de  la  bonne  loi.  E.  Burnouf,  appendice  VIII. 


LE    BRONZE. 


49 


haute  de  son  objet,  un  peu  de  ce  qui  a  fait  la  noblesse 
et  la  grandeur  des  arts  occi- 
dentaux. 

Le  Bouddha  qui  est  repré- 
senté plus  haut  (p.  35)  est  le 
type  universellement  adopté 
en  Chine,  à  quelques  détails 
près.  Il  est  assis  sur  des  lotus, 
les  jambes  croisées,  la  plante 
des  pieds  en  dessus.  Les  che- 
veux sont  crépus  ou  frisés, 
et,  sur  le  sommet  de  la  tête, 
il  a  la  protubérance  de  la  sa- 
gesse, surmontée  générale- 
ment d'un  diadème  conique 
oli  piriforme.  Les  deux  mains 
posées  Tune  sur  Tautre,  la 
paume  en  dehors,  tiennent 
quelquefois  le  vase  pàtra. 
Quelques  signes  symboliques 
sont  gravés  çà  et  là  sur  le 
corps  ;  les  plus  importants 
sont  Voumd,  au  milieu  du 
front,  et  Voitan,  ou  croix  gam- 
mée, sur  la  poitrine. 

Quelquefois  le  Bouddha 
est  figuré  debout.  M.  Cernus- 
chi    en   possède   un    qui   est 


LA      DEESSE      KOUAN-YIN 

H.,   o">,58. 

dans  cette  attitude.  Il  tient  la  (Collection  de    m 
main    droite    haute   et    deux 


H.     Cernuschi.) 

doigts  levés,  dans  le  geste  d'un  prêtre  qui  donne  la  bé- 


L  ART   CHINOI 


jo  L'ART   CHINOIS. 

nédiction.  Ses  yeux,  sous  Tarcade  sourcilière  très  avan- 
cée, sont  à  demi  clos;  la  physionomie  est  noble,  recueil- 
lie; elle  a  la  sérénité  calme  d'une  âme  supérieure  aux 
agitations  humaines.  La  dimension  des  statues  de  Fo 
est  très  variable  :  elles  ne  mesurent  parfois  que  i5  à 
20  centimètres  lorsqu'elles  sont  destinées  à  des  autels 
domestiques;  elles  atteignent  14  et  i5  mètres  lors- 
qu'elles décorent  des  édifices  religieux.  Il  n'existe  pas 
en  Chine,  à  notre  connaissance  du  moins,  de  statues  de 
bronze  du  Bouddha  qui  soient  comparables,  pour  les 
proportions,  à  celle  du  temple  de  Nara,  au  Japon,  qui 
n'a  pas  moins  de  26  mètres  d'élévation. 

Si  les  Chinois  n'ont  pas  cherché  à  augmenter  l'effet 
imposant  de  leurs  idoles  bouddhiques  par  l'exagéra- 
tion des  dimensions,  du  moins  ils  semblent  s'être 
proposé  le  même  but  en  les  recouvrant  d'or.  Cette  ha- 
bitude de  dorer  les  statues  devint  générale  vers  le 
viii*^  siècle,  et  les  adversaires  du  bouddhisme  en  firent 
même  un  griet  aux  bonzes,  les  accusant  de  gaspil- 
ler ainsi  les  fortunes  des  particuliers  et  le  trésor  de 
l'État. 

En  dehors  du  Bouddha  lui-même  ,  les  artistes 
chinois  n'ont  su  reproduire  qu'un  type  qui  procédât 
d'une  inspiration  aussi  élevée  et  qui  participât  encore  à 
la  beauté  de  ses  formes  comme  à  la  noblesse  de  son 
expression,  —  c'est  celui  de  la  déesse  Kouan-yin. 

C'est  une  Boddhisatva,  déesse  de  la  Miséricorde  : 
elle  a  une  pitié  inépuisable  pour  l'humanité  qu'elle 
voudrait  sauver  ;  elle  est  la  figure  la  plus  touchante,  la 
plus  gracieuse  du  panthéon  bouddhique,  celle  qui  a  le 
mieux  inspiré  ses  peintres  et  ses  sculpteurs. 


LE    BRONZE. 


On  la  représente  sous  les  traits  et  avec  les  vête- 
ments d'une  femme  (p.  49),  mais  elle  peut  prendre 
aussi  bien  la  forme  masculine.  Parfois  elle  tient  contre 
son  sein  un  enlant.  Souvent  aussi  elle  a  seize  bras  qui 
symbolisent  son  désir  'ardent  de  secourir  toutes  les  mi- 
sères humaines. 

Bien  que  cer- 
taines statuettes 
de  Kouan-yin 
soient  remar- 
quables par  la 
grâce  du  style  et 
la  chasteté  de 
l'expression  , 
bien  que  quel- 
ques-unes d'en- 
tre elles  soient 
même  compara- 
bles ,  pour  le 
charme  mélan- 
colique et  la 
piété  virginale 
de  la  physiono- 
mie, à  telle  œu- 
vre de  Donatello 
ou  de  Ghiberti,  ce  n'est  pas  à  la  statuaire  que  nous 
demanderons  le  type  le  plus  accompli  de  cette  déesse  : 
la  peinture  nous  en  fournira  un  modèle  où  nous  mesu- 
rerons le  [plus  haut  point  qu'ait  pu  atteindre  un  artiste 
d'extrême  Orient  dans  l'expression  synthétique  d'un 
sentiment  humain. 


COUPE      DE     BRONZE.     XV  1"=     SI 

H.,    0'",22. 

(^Collectiou  de  M.    H.  Ccrnusclii.) 


$2  L'ART    CHINOIS. 

A  côté  du  Bouddha  et  de  la  déesse  Kouan-yin, 
nous  n^avons  plus  à  faire,  pour  ainsi  dire,  qu'un  cata- 
logue des  divinités  bouddhiques  qui  ont  été  le  plus 
fréquemment  reproduites  par  les  bronziers  chinoise 

C'est  d'abord  Mi-li-fo  (Maitreya-Boddhisatva)  ou 
«  le  Bouddha  qui  doit  venir  »,  celui  qui  dans  trois 
mille  ans  apparaîtra  aux  hommes  quand  ils  auront 
perdu  le  souvenir  des  prédications  de  Çakya-Mouni.  Il 
est  représenté  sous  les  traits  d'un  homme  obèse,  à  la 
face  souriante. 

C'est  encore  Brahma  (en  chinois,  Fan-fien]  sortant 
d'un  lotus  ou  tenant  sur  ses  genoux  Lakshmé,  déesse  de 
la  beauté,  —  Civa  (en  chinois,  Ta-tsi-taï-fien]^  dieu  de 
la  destruction,  avec  huit  bras  armés  d'un  trident,  d'une 
massue,  d'un  arc,  etc.,  — ■  Ti-tsang^  qui  s'efforce  de  re- 
tirer les  damnés  de  l'Enfer  ou  les  ont  plongés  leurs 
fautes  ;  il  est  corpul&nt  et  porte  une  couronne  de  lotus; 
parfois,  il  est  entouré  des  dix  dieux  infernaux,  — 
Pou-liien,  dieu  de  la  prudence,  monté  sur  un  éléphant, 
—  Maritchi,  déesse  de  la  paix  et  de  la  lumière,  avec 
huit  bras  dont  deux  tiennent  en  l'air  un  soleil  et  une 
lune,  —  Ta-mo  (Boddhidarma),  vêtu  d'un  linceul  et 
traversant  sur  une  branche  de  bambou  les  flots  du 
Gange  pour  rentrer,  mort,  dans  sa  patrie  après  ses 
longs  voyages  en  Chine,  etc.,  etc. 

Viennent  enfin  les  statuettes  innombrables  de  pa- 
triarches, d'ascètes,  de  personnages  mystiques,  qui 
sont  vénérés  par  les  bouddhistes  et  qui  encombrent 
leurs    temples.    Signalons,    dans   cette    catégorie,     un 

I.  Cf.  Edkias,  Chinese  Buddhism,  ch.  xiv. 


LE    BRONZE. 


Sî 


ascète  en  méditation  de  la  collection  Cernuschi.  Sa 
physionomie  et  son  at- 
titude expriment  une 
sorte  de  résignation 
douloureuse;  mais  sa 
maigreur  n'est  pas  seu- 
lement physique,  ma- 
ladive. Ce  que  le  sculp- 
teur chinois  a  rendu 
par  ces  traits  émaciés, 
ces  muscles  décharnés, 
ces  os  saillants  sous  la 
peau,  c'est  une  idée 
plus  profonde  et  vrai- 
ment artistique,  —  la 
déformation  du  corps 
par  les  passions  de 
Tâme. 

L'influence  indienne 
s'est  fait  puissamment 
sentir  sur  les  formes  et 
les  décors  que  le  boud- 
dhisme a  empruntés  à 
Part  archaïque  et  dont 
il  a  fait  usage  dans  les 
objets  de  son  culte. 

Un  autel    bouddhi- 


A  s  C  E  r  E      EN       MEDITATION. 
H..    0'",28. 

(Collection  lie  M.  H.  Ceriiusclii.) 


que     se     compose,    en 

dehors  de  la  statue  de 

Fo  devant  laquelle  il   est    dressé,    de   cinq  pièces  :  un 

brûle-parfums,  deux   vases    et   deux  chandeliers.  Ces 


5+  L' ART    CHINOIS. 

pièces  sont  gcncralement  de  bronze,  quelquefois  de 
porcelaine,  rarement  de  jade. 

L''usage  de  brûler  des  parfums  devant  les  divinités 
est  dû  probablement  au  bouddhisme  et  les  autres  reli- 
gions de  la  Chine  Pont  adopté  après  lui.  Les  plus 
beaux  spécimens  de  brûle-parfums  appartiennent  en 
tout  cas  au  culte  de  Fo  et  en  portent  les  emblèmes.  Sur 
ces  bronzes,  comme  sur  ceux  de  Fart  primitif,  on  voit 
aussi  des  dragons  et  des  animaux  fabuleux;  mais 
quelle  différence  d'inspiration  et  d'exécution  !  Avec 
quel  sentiment  de  la  vie  est  rendue  cette  animalité  fan- 
tastique et  contournée!  Les  parties  tour  à  tour  lisses 
et  rugueuses,  saillantes  et  rentrantes,  les  fines  cassures 
des  plis  de  la  peau,  les  striures  de  Tépiderme,  le  bril- 
lant humide. des  écailles,  tous  les  moindres  détails  du 
corps  sont  aussi  bien  observés  que  traités  :  l'artiste  sait 
désormais  animer  son  œuvre  d'une  sorte  de  souffle 
frémissant  et  donner  au  métal  quelque  chose  de  la  pal- 
pitation des  chairs.  11  n'est  pas  jusqu'à  la  patine  qui  ne 
contribue  à  revêtir  le  bronze  des  tons  chauds  et  colorés 
de  la  vie. 

Les  fleurs  et  les  branchages  qui  ornent  les  objets 
d'autels  et  serpentent  sur  la  panse  des  vases,  sur  la 
tige  des  flambeaux  ou  les  flancs  des  cassolettes  sont  re- 
produits dans  le  même  esprit  :  la  sève  végétale  circule 
dans  la  pulpe  des  feuilles,  dans  les  fibres  des  tiges, 
dans  les  lobes  épanouis  des  lotus.  On  ne  saurait  trop 
le  répéter,  c'est  le  bouddhisme  qui  a  appris  aux  Chi- 
nois à  voir  et  à  comprendre  la  nature. 

Vers  le  milieu  du  xi«  siècle,  une  réforme  du  boud- 
dhisme s'opéra  au  Thibet  :  l'athéisme  du  culte  primitif 


LE    BRONZE.  SS 

se  changea  en  théisme  par  la  création  d'un  Adi- 
bouddha  ou  Bouddha  suprême;  des  rites  nouveaux, 
offrant  une  ressemblance  singulière,  mais  proba- 
blement fortuite  avec  ceux  du  catholicisme,  furent  en 
outre  introduits  et  modifièrent  assez  la  religion  an- 
cienne pour  former  à  côté  d'elle  un  culte  séparé,  le 
lamaïsme. 

La  réforme  lamaïque,  partie  du  Thibet,  où  elle  a 
encore  son  grand  chef  spirituel,  le  Dalai-lama,  s'est 
étendue  peu  à  peu  sur  toute  la  Chine  (xiv"  siècle),  et 
elle  a  ses  prêtres,  ses  temples  et  ses  offices  à  côté  de 
ceux  du  bouddhisme  ^ 

Au  point  de  vue  de  Tart,  le  seul  qui  doive  nous 
occuper  ici,  le  lamaïsme,  s'il  n'a  pas  créé  des  types  ico- 
niques  nouveaux,  a  parfois  modifié  les  types  anciens, 
et  il  a  marqué  de  symboles  spéciaux  les  objets  de  son 
culte. 

L'écriture  thibétainc  a  été  introduite  comme  motit 
d'ornementation,  et  la  souplesse  de  ses  traits,  l'élégance 
allongée  de  ses  pleins  et  de  ses  déliés  ont  fourni  souvent 


PRIÈRE    B0UDDH1Q.UE     EN     CARACTÈRES    THIBÉTAINS. 

aux  artistes  d'heureux  effets  décoratifs.  C'est  presque 
toujours  la  même  formule  mystique  que  l'on  retrouve 
ainsi  gravée  sur  les  bronzes  et  les  cloisonnés,  l'éternelle 

I.  Cf.  Schlagintweit,  Buddhism  in  Tibet. 


S6 


L'ART    CHINOIS. 


invocation  que,  d'un  bout  à  l'auire  de  TAsie,  murmu- 
rent tous  les 
croyants  boud- 
dhistes :  Om 
m  an  i  p  ad  m é 
lioum  !  «  Salut  ! 
perle  enfermée 
dans  le  lotus.  » 
Une  autre  fi- 
gure symboli- 
que, très  fré- 
quemment re- 
produite sur  les 
objets  du  culte 
lamaïque,  est  la 
roue  de  la  loi, 
fa-loucn  (en 
sanscrit  tcha- 
kra).  Cette  roue 
était  figurée 
sous  le  pied  du 
Bouddha  et  for- 
mait le  trente  et 
unième  signe  de 
sa  personne. 
L'expression 
«  tourner  la  roue 
de  la  loi  )',  dans 
le  sens  de  «  prê- 
cher la  doctrine  bouddhique  »,  devint  sacramentelle 
depuis  le  jour  où  Çakya-Mouni  en   fit  usage  dans  sa 


MOULIN     A     PRIERES. 

H,,  o"',43. 
(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 


LE    BKONZE.  57 

première  prédication  à  Bc'narès.  On  trouve  dans  les 
temples  des  lamas  toutes  les  statues  du  bouddhisme; 
mais  la  plus  vénérée  est  celle  (X'Amitâbha  [O-mi-to- 
/b),  qui  règne  dans  les  cieux  occidentaux  et  qui  est  la 
première  divinité  du  Thibet.  On  le  représente  tenant 
un  lotus  à  la  main  et  souvent  aussi  une  corde  ou  lacet, 
thagpa,  dont  il  se  sert  pour  amener  vers  lui  les  créa- 
tures qu'il  veut  sauver.  Près  de  lui  sont  généralement 
les  statuettes  de  ses  deux  boddhisatvas  préférés  :  Ta- 
chi-shi  et  Kouan-yin,  qui  revêtent  indifféremment  les 
formes  féminine  ou  masculine. 

Parmi  les  autres  objets  du  culte  thibétain,  nous  pou- 
vons citer  encore  le  moulin  à  prières  qnt  les  fidèles  font 
tourner  pour  expédier  plus  rapidement  un  plus  grand 
nombre  d'oraisons,  et  qui  est  bien  le  symbole  le  plus 
saisissant  de  la  pensée  bouddhique  tournant  éternelle- 
ment sur  elle-même,  dans  le  vide  de  ses  conceptions. 

La  collection  Cernuschi  en  possède  un  curieux  spé- 
cimen :  c'est  un  cylindre  de  bronze  ciselé,  monté  ver- 
ticalement sur  un  axe  encastré  dans  un  élégant  cadre  de 
bois  de  fer  :  des  caractères  thibétains  dorés  sont  gravés 
sur  le  pourtour  du  moulin. 


III 


LES     BRONZES     TAOÏSTES 

Quand  le  bouddhisme  s'introduisit  en  Chine,  il  y 
trouva,  à  côté  du  culte  officiel,  une  doctrine  philoso- 
phique déjà  ancienne  et  qui  commençait  à  se  formuler 


L'ART    CHl  NOIS. 


en  religion,  la  doctrine  du  Tao.  Elle  avait  été  fondée, 
au  vi*  siècle  avant  notre  ère,  par  le  philosophe  Lao-tse, 
dont  les  sectateurs   ont  fait  presque   une   divinité.  Le 


LAO-TSE. 

H.,     o-»,S2. 
(Collection  de  M.   H.  Cernuschi.) 


«  Tao-te-King  »,  ou  «  Livre  delà  Raison  suprême  et  de 
la  Vertu  »,  qu'il  composa  vers  la  fin  de  sa  vie,  est  Pévan- 
gile  de  ses  disciples. 

D'après   Lao-tse,   TÉtre  primordial,  cause  de  tout. 


LE    BRONZE.  jp 

est  le  a  Tao  »  ou  la  «  Raison  suprême  »  ;  le  Tao  a  deux 
natures  ou  modes  d'être  :  le  mode  mate'riel  et  le  mode 
immatériel.  C'est  de  la  nature  spirituelle  que  l'homme 
est  émané  et  il  doit  s'efforcer  d'y  retourner  en  s'affran- 
chissant  de  la  matière.  Lao-tse  admet  encore  que  «  les 
modes  d'être  contingents  ne  sont  que  des  formes  passa- 
gères de  l'existence,  et  que,  une  fois  aépouillés  de  ces 
formes,  les  êtres  reviennent  à  leur  principe  ». 

Cette  doctrine,  c|ui  réunit  en  Chine  au  moins  autant 
d'adeptes  que  le  culte  de  Fo  (Bouddha),  a  vite  dégénéré 
de  ses  conceptions  premières.  Un  siècle  à  peine  après 
l'introduction  du  bouddhisme,  sa  transformation  était 
commencée,  et  elle  ne  tardait  pas  à  devenir  ce  qu'elle 
est  actuellement,  c'est-à-dire  une  religion  matérialiste 
avec  une  mythologie  d'emprunt,  avec  des  pratiques  de 
magie  et  de  sorcellerie  ^ 

Quelques  figures  symboliques  permettent  générale- 
ment de  reconnaître  à  première 
vue  un   objet   servant  au   culte 
taoïste  ou  destiné  à  en  représen- 
ter les  idées. 

Les  principales  sont  :  le  dia- 
gramme appelé  faï-ki,  qui  re- 
présente les  principes  masculin 
et  féminin  ;  —  la  pêche  de  lon- 
gévité; —  la   chauve-souris;  —  t  ai-ki. 

,  ,  (Symbole    taoïste.) 

une     sorte    de     sceptre     appelé 

jou-y^  etc.  Nous  serons  amené  plus  loin  à  reparler  de 

ces  différents  symboles. 

I.  Cf.  Chalmerà,  Tauisin;  China  Rcview,  l,  201). 


Go  L'ART    CHINOIS. 

Les  bronzes  taoïstes  les  plus  inte'ressants,  au  point 
de  vue  de  Fart,  sont  les  statues  ou  statuettes  des  divi- 
nite's  que  les  sectateurs  de  Lao-tse  ont  créées  pendant 
les  premiers  siècles  de  notre  ère,  pour  les  opposer  aux 
idoles  bouddhiques.  Ces  statuettes  ne  procèdent  plus 
de  Part  indien  :  on  y  sent  Tintention  de  constituer,  pour 
ainsi  dire,  une  iconographie  nationale,  à  l'exclusion  de 
tout  élément  étranger.  Les  types  et  les  attitudes  qui  leur 
ont  été  attribués  varient  à  Tintini.  Il  y  a  plus  de  mou- 
vement et  d^animation,  une  observation  plus  précise  de 
la  réalité  et  souvent  aussi  une  plus  habile  facture  que 
dans  les  œuvres  du  bouddhisme  ;  mais  celles-ci  sont 
supérieures  par  la  noblesse  de  l'expression,  par  la 
recherche  de  la  sérénité  dans  la  physionomie,  par  la 
simplicité  des  lignes  et  par  la  disposition  sobre  et  majes- 
tueuse des  draperies.  Il  semble  que  Tartiste  taoïste, 
n'ayant  pas  été  distrait  par  le  souci  de  donner  à  ses 
figures  telle  physionomie  morale,  telle  nuance  de  carac- 
tère, ait  pu  créer  des  êtres  d'une  vérité  physique  et  ana- 
tomique  plus  précise.  Aussi,  c'est  surtout  la  laideur 
expressive,  la  vulgarité  réelle,  et  cette  difformité  grima- 
çante que  l'on  retrouve  dans  certaines  œuvres  du  moyen 
âge  chrétien,  qu'il  s'est  attaché  à  reproduire.  L'impres- 
sion générale  que  laissent  toutes  les  œuvres  de  cette 
espèce  est  celle  d'un  naturalisme  sans  élévation  qui 
s'est  borné  à  copier  les  formes  et  à  manier  la  matière 
sans  y  rien  mettre  de  la  personnalité  de  l'ouvrier,  sans 
y  déposer  une  parcelle  de  sentiment  élevé  ni  d'idéal. 

Lao-tse  est  représenté  soit  assis ,  soit  monté 
sur  un  buffle  ou  sur  un  cerf.  Le  philosophe  divin 
a  le   crâne    monstrueusement   développé    par    l'inten- 


LtlBRONZE.  6, 

site  de  sa  méditation;  la  barbe  est  longue  et  les   sour- 


POU-TAl,      DIEU      DE      LA     SENSUAtlïE. 

H.,  o'^ip. 
(Collection  de  M.  H.  Ceniusclu.) 

cils  épais;  l'expression  est  doucement  souriante,  vide 
de  pensée.  Généralement,  il  tient  à  la  main  la  pêche 
fabuleuse  qui  ne  mûrit  que  tous  les  trois  mille  ans,  ou 


62 


L'AJtT    CHINOIS. 


bien   il   est  entouré  de  champignons  de  Tespèce  ling- 

tchy,  qui  assurent  Tim- 
mortalite'. 

A  côté  de  lui,  sur  le 
même  autel,  figurent  les 
Pa-sien  ou  les  huit  Immor- 
tels. Bien  que  ces  person- 
nages aient  été  vénérés 
pour  leur  sainteté  dès  leur 
disparition  de  notre  terre, 
c'est-à-dire  dès  leur  entrée 
dans  la  vie  éternelle,  les 
légendes  qui  les  ont  déifiés 
et  qui  ont  déterminé  leur 
véritable  caractère  symbo- 
lique sont  probablement 
toutes  postérieures  au 
xiir  siècle.  Il  y  aurait  donc 
imprudence  à  attribuer 
une  date  antérieure  aux 
œuvres  qui  s'en  sont  inspi- 
rées. 

Voici  les  noms  des  Pa- 
sien  et  leurs  attributs  : 

Le  plus  grand  des  Im- 
mortels est  Tchong  Li- 
k'iuan  :  ses  emblèmes  sont 
un  éventail  de  plumes  et 
une  cigogne  qui  lui  ap- 
porte un  bâton  ;  Tchang 
Koîio,  qui  vient  ensuite  dans  la  vénération  des  fidèles, 


LI     T    lE-KOUAl,      L    UN      DES 
IMMORTELS. 

H.,  o-,3i. 
(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 


LE    BRONZE. 


61 


est  représenté  monté  sur  une  mule,  un  long  ctui  (en 
forme  de  carquois)  à  la  main  ;  Lm  Tong-pin  se  recon- 
naît au  chasse-mouches  placé  dans  une  de  ses  mains  et 
àl'épée  fixée  derrière  son  dos,  qui 
servaient  à  ses  incantations  magi- 
ques ;  Ts'ao  Kouo-kieou  porte 
comme  insignes  deux  plaques  lon- 
gues attachées  en  forme  de  croix  ; 
Li  T'ie-koiiaï  a  les  traits  d'un 
mendiant  boiteux  et  bossu,  s^ap- 
puyant  sur  une  béquille  de  fer 
(voy.  p.  62)  ;  Han  Siang-tse  a  pour 
emblème  un  chalumeau  ;  enfin 
Lan  Ts'ai-ho  Qi  Ho  Sien-Kou,  qui 
sont  du  sexe  féminin,  sont  repré- 
sentées Pune  en  haillons,  un  pied 
déchaussé  et  tenant  à  la  main  une 
sarclette,  —  Tautre  marchant  sur 
des  nuages  et  portant  un  bouquet 
de  fleurs. 

Les  emblèmes  des  Immortels 
sont  souvent  groupés  ensemble, 
comme  motif  de  décoration.  Ils 
impliquent  un  souhait  de  longé- 
vité et  de  bonheur.  On  les  désigne 
sous  le  nom  de  Pa-pao,  «  les  huit 
joyaux^  ». 

Les  taoïstes  ont  déifié   un   grand  nombre  d'autres 
personnages    célèbres   par   leur  piété,    leur   érudition, 


VASE     DE     B  RONZE 

ORNÉ     DES 

PÈCHES    DE    lONGÉVITÉ, 

XVI^     SIÈCLE. 

(Collection   lie  M.  S.  Biiig. 


I.  Cf.  Mayers,  The  Chinese  reader's  manital;  passim. 


6+ 


L'ART   CHINOIS. 


leur  courage,  etc.  Une  étoile,  disaient-ils,   descendait 
du  ciel,  s'incarnait  en  eux  et  leur  donnait  le  caractère 

divin.  La  liste  de  ces  dieux 
serait  trop  longue  à  four- 
nir; nous  nous  bornerons 
à  citer  les  suivants  : 

K'oueï'Sing^  dieu  de  la 
littérature,  habite  la  cons- 
tellation de  la  Grande- 
Ourse.  On  le  représente 
sous  la  forme  d'un  démon 
qui  s'enlève  sur  un  dra- 
gon ou  qui  frappe  de  son 
pied  la  mesure  Teoii  (le 
Teou  désigne  les  quatre 
dernières  étoiles  de  la 
Grande-Ourse).  Il  semble 
poursuivi  par  une  chauve- 
souris,  symbole  de  Tinspi- 
ration  littéraire,  et  tient 
un  pinceau  à  la  main.  Les 
statuettes  qui  le  représen- 
tent sont  souvent  remar- 
quables par  le  mouve- 
ment hardi  du  corps  qui 
paraît  s'enlever  vers  les 
astres,  et  par  la  légèreté 
des   draperies   qui    flottent   au   vent. 

Kouan-ti,  dieu  de  la  guerre,  vivait  au  ii«  siècle 
après  J. -G.  Il  s'était  acquis  la  célébrité  par  ses  exploits 
héroïques  et  sa  fidélité  à  la  dynastie  des  Han.  Sanctifié 


KOUEl-SINC, 
DIEU      DE     LA      LITTÉRATURE. 

(Appartenant  à  M.  Guérard.) 


LE    B  KO  N  Z  F..  65 

en  1 128,  il  fut  reconnu  dieu  de  PEtat  sous  les  Ming  en 
1594.  11  esi  vêtu  en  guerrier. 


VASE     DE     BRONZE. 

H.,  o"',5s. 
(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 

Pou-taï,  dieu  de  la  sensualité,  a  le  corps  et  les  traits 
d'un  homme  obèse,  au  visage  vulgaire  et  toujours  rica- 
nant. 11  est  couché  et  s'appuie  contre  une  outre  qui 
renferme  les  biens  et  les  jouissances  terrestres. 

l'art  chinois.  5 


66  L'ART    CHINOIS. 

Pe'i-ki-tcheng-vou  est  le  génie  du  Nord  ;  ses  quatre 

.isamsÊA 


y,  fi-cis^ia-Z^ . 


VASE     PORTANT     LES     SYMBOLES     TAOÏSTES. 

H.,  o"\sa. 
(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 

attributs  sont  le  glaive,  le  serpent,  la  tortue  et  les  sept 
étoiles  de  la  constellation  du  «  Boisseau  »  où  passe 
Taxe"  du  monde. 


LE    BRONZE. 


rtr 


Nous  arrêterons  là  cette  nomenclature  des  dieux  du 
taoïsme  pour  terminer  ce  qui  concerne  ce  culte  par 
Pexamen  rapide  de  quelques  bronzes  qui  s'y  rattachent  *. 

Les  formes  de  ces  bronzes,  vases  ou  brûle-parfums, 
ont  été  le  plus  souvent  empruntées  soit  au  culte  officiel, 


MIROI  R     T  AOIS  T  E. 

H.,  o-,u- 
(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 

soit  au  bouddhisme.  Voici,  par  exemple,  un  remar- 
quable spécimen,  appartenant  à  M.  Cernuschi  et 
rappelant,  par  son  galbe,  des  types  que  nous  avons  déjà 
étudiés.  Les  pêches  de  longévité  qui  servent  d'anses 
permettent  de  le  considérer  comme  bronze  taoïste.  La 

I.  Pour  plus  de  détails  sur  l'iconographie  religieuse  de  la 
Chine,  cf.  J.-R.  Morrisson,  Mythology  of  China,  cité  par  Cor- 
dier,  Bibliotheca  sinica,  \,  298. 


<58  L'ART    CHINOIS. 

patine  qui  recouvre  cette  pièce  est  admirable  de  pro- 
fondeur et  d'éclat. 

Quelques  objets  cependant  sont  bien  spéciaux  au 
taoïsme,  entre  autres  les  miroirs  symboliques.  Ce 
sont  des  disques  de  métal,  polis  sur  une  de  leurs 
faces,  et  décorés  en  relief  sur  l'autre.  Ces  miroirs  sont 
supportés  par  un  des  quatre  animaux  fantastiques  du 
culte  primitif,  généralement  la  licorne.  Leur  destina- 
tion est  de  figurer  dans  les  temples  du  Tao  à  titre  de 
symboles  des  dieux  qui  président  aux  révolutions  du 
cycle  duodénaire.  C'est  pourquoi  le  décor  habituel  de 
ces  bronzes  est  la  figuration  des  douze  animaux  du 
zodiaque  chinois,  qui  sont  le  rat,  le  bœuf,  le  tigre,  le 
lièvre,  le  dragon,  le  serpent,  le  cheval,  la  chèvre,  le 
singe,  le  coq,  le  chien  et  le  porc.  Chacun  de  ces  ani- 
maux exerce  une  influence  mystérieuse  sur  la  période 
du  cycle  à  laquelle  il  appartient. 

Cette  superstition  est  d'origine  étrangère  et  semble 
venir  des  peuplades  tartares  qui  vivaient  au  nord  et  à 
l'ouest  de  la  Chine.  La  première  mention  qui  soit  faite 
de  la  désignation  des  années  par  ces  noms  d'animaux 
se  trouve  dans  une  histoire  de  la  dynastie  des  Thang 
(618-907);  il  y  est  relaté  qu'un  ambassadeur  de  la 
nation  des  Kirghiz  était  venu  traiter  de  faits  qui 
s'étaient  produits  «  dans  les  années  du  lièvre  et  du 
cheval  ».  Mais  il  est  probable  que  cette  façon  de  dater 
ne  devint  populaire  qu'à  l'avènement  de  la  dynastie 
mongole,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  du  xiii"  siècle.  C'est 
à  cette  date  seulement  qu'il  est  permis  de  faire  remon- 
ter les  plus  anciens  spécimens  de  miroirs  symboliques 
que  nous  connaissions. 


LE    BRONZE. 


69 


IV 

LES     BRONZES     DE    STYLE    ARABE    OU     PERSAN 

Dès  le   VII'   siècle,  la    Chine  était    entre'c  en   rela- 
tions avec   le  monde  de   ITslam.   Les  auteurs  chinois 


BKONZE     MUSULMAN.    —    X  ^'  ^    SIÈCLE. 

(Collection  de  M.  Schefer.) 

rapportent  que,  pendant  les  années  Ou-te  du  règne 
de  Tempereur  Kao-tsou,  des  Thang  (618-626),  quatre 
saints  personnages  arabes  étaient  venus  de  Médine 
par  la  voie  de  mer,  pour  instruire  Fempire  chinois 
dans  la  religion  du   Prophète.   Parmi    eux  se  trouvait 


70  L'ART    CHINOIS. 

le  Saad  ibn  abou  Ouaccas,  oncle  maternel  de  Mahomet, 
qui  mourut  à  Canton,  ou  Ton  voit  aujourd'hui  son 
tombeau,  Tannée  de  Tavènement  d'Omar  au  califat,  en 
634.  Plusieurs  ambassades  arabes,  dont  quelques-unes 
avaient  un  caractère  commercial  plutôt  que  politique, 
sont  signalées  aux  viir  et  ix'  siècles. 

Ces  premiers  rapports  qui,  par  Tinsuffisance  des 
connaissances  nautiques  et  par  la  longueur  des  tra- 
versées, demeurèrent  très  rares  jusqu'au  xiv'  siècle,  ne 
semblent  pas  avoir  eu  au  point  de  vue  artistique  une 
influence  appréciable.  Ce  ne  fut  que  six  cents  ans 
après  l'arrivée  de  Saad  ibn  abou  Ouaccas  à  Canton  que 
Fart  arabe  fut  mis  en  contact  plus  intime  avec  Part  chi- 
nois et  y  laissa  sa  tracée 

Au  cours  de  la  seconde  moitié  du  xiii''  siècle,  un 
événement  considérable  se  produisit  en  Chine  :  la  con- 
quête mongole.  Koubilaï-khan  (en  chinois  Hou-pi-lie), 
petit-fils  de  Gengis-khan ,  renversa  la  dynastie  des 
Soung,  et,  pour  la  première  fois  après  trente  siècles 
d'histoire,  la  race  chinoise  obéit  à  des  souverains 
étrangers  (1260). 

Les  conséquences  de  ce  fait  politique  —  d'une 
portée  moindre,  il  est  vrai,  que  celles  de  l'introduction 
du  bouddhisme  au  i"  siècle  de  notre  ère  —  furent  ce- 
pendant très  importantes  au  point  de  vue  du  dévelop- 
pement de  la  pensée  chinoise.  La  Chine  dut,  en  effet,  à 
ses  empereurs  mongols  le  précieux  bienfait  d'être  mise 
en  rapports  avec   les    civilisations    occidentales  et  de 


I.  Cf.  Reinaud,  Relations  des  voyages  faits  par  les  Persans  et 
les  Arabes  en  Chine,  et  Yule,  Cathay  and  the  way  thither. 


LE    BRONZE.  71 

participer  pendant  tout  un  siècle  (i26o-i368)  au  vaste 
mouvement  d^echanges  qu'ils  entretenaient  sur  tout  le 
monde  civilisé. 

C'est  un  point  qu'Abel  Re'musat  a  fort  bien  éclairé. 
En  Chine,  comme  partout  ailleurs  où  ils  s',établirent, 
les  Mongols  provoquèrent  une  grande  révolution  mo- 
rale en  faisant  naître  des  rapports  entre  des  peuples 
jusqu'alors  inconnus  les  uns  aux  autres.  «  L'irruption 
des  Mongols,  en  bouleversant  tout,  franchit  toutes  les 
distances,  combla  tous  les  intervalles  et  rapprocha 
tous  les  peuples.  Les  événements  de  la  guerre  trans- 
plantèrent des  milliers  d'individus  à  d'immenses  dis- 
tances des  lieux  où  ils  étaient  nés  ^  » 

La  cour  de  Koubilaï-khan  à  Pékin  offrit  ainsi  un 
spectacle  des  plus  curieux  :  il  y  eut  là,  dans  ce  palais 
de  Khan-bâlik,  que  Marco  Polo  nous  a  décrit  et  qui 
s'élevait  sur  l'emplacement  même  de  la  résidence  ac- 
tuelle du  Fils  du  Ciel,  une  affluence  de  savants,  de  let- 
trés, d'artistes,  de  religieux,  d'hommes  politiques,  de 
négociants,  d'aventuriers,  originaires  de  toutes  les 
contrées  du  monde.  Il  en  vint  de  l'Inde,  de  Siam,  du 
Pégou  et  du  Thibet,  des  royaumes  bouddhiques  de 
l'Asie  centrale,  de  la  Perse  et  du  Khorassan,  où  domi- 
naient aussi  des  princes  mongols,  des  grands  centres 
de  civilisation  arabe  qui  avaient  survécu  à  la  destruc- 
tion des  califats  fatimites  et  abbassides;  il  en  vint 
même  de  l'Europe,  de  la  Moscovie,  de  la  Pologne,  de 

I.  Cf.  Second  Mémoire  à  l'Ac.  des  Insc  vu,  325  et  suiv.  Voy. 
aussi,  sur  l'influence  de  la  conquête  mongole  dans  l'Asie  orien- 
tale, l'ouvrage  du  même  auteur  intitulé  Recherches  sur  les 
langues  tartares,  p.  197  et  19g. 


L'ART    CHl  NOIS. 


la  Hongrie,  des  Flandres,  du  Frioul,  des  républiques 

marchandes  de  Gênes, 
Pise  et  Venise  \  etc. 
Nous  aurons  plus 
d\ine  fois,  dans  le 
cours  de  cette  étude, 
l'occasion  de  signaler 
rimportance  des  rela- 
tions qui  s'établirent 
de  la  sorte  à  travers 
PAsie,  aux  xui''  et 
XIV-  siècles,  au  point 
de  vue  de  Tinfluence 
réciproque  que  subi- 
rent Tart  européen  et 
Tart  chinois.  Pour 
rinstant,  nous  ne 
voulons  indiquer  que 
les  emprunts  faits  par 
les  artistes  chinois 
aux  œuvres  de  style 
arabe  ou  persan  qu'il 
leur  fut  donné  de  con- 
naître au  temps  de  la 
conquête  mongole. 

De  cette  époque 
date  l'adoption  en 
Chine    de    toute  une 

série  de  formes  et  de  dessins  décoratifs,  dont  la  Perse 


BRONZE      MUSULMAN.    XV^     SIÈCLE 

(Collection  de  M.  Schefer.) 


I.  Cf.  Abel  Rémusat,  loc.  cit.  et  Nouv.  mélanges  asiatiques.  En 


LE    BRONZE. 


7i 


des  Sassanidcs  et  plus  tard  les  califats  arabes  de 
l'Iran  et  de  PAsie  antérieure  avaient  cre'é  les  types.  Ce 
tut  alors  que  les  bronziers  chinois  et,  bientôt  après,  les 
céramistes,  commencèrent  de  donner  parfois  à  leurs 
vases  certaines  formes  ovales,  des  évidements  de  gou- 


BRONZK      MUSULMAN.     XV"    SIECLE. 

(Collection  tie  M.  Scbefer.) 

lot,  des  renflements  de  col,  des  évasements  de  bords, 
des  courbes  d'anse,  des  panses  sphériques  ou  lenticu- 
laires, des  couvercles  piriformes,  que  ni  Part  ancien  ni 
Part  bouddhique  n'avaient  connus.  En  même  temps 
apparurent,  dans  le  décor,  des  motifs  plus  cursifs,  des 
arabesques  plus  variées,  des  rinceaux  d'une  élégance 
plus  allongée;  le  style  des  bordures  devint  plus  savant; 

ce  qui  concerne  plus  particulièrement  les  rapports  de  la  Chine 
et  de  la  Perse  au  xiv"  siècle,  voy.  E.  Quatremère,  Hist.  des 
Mongols  de  la  Perse,  par  Raschid  Eldin,  2"  partie,  xc  (collection 
orientale). 


7+  L'A  1\T    CHINOIS. 

on  vit  aussi  figurer  dans  rornementation  quelques 
fleurs  qui  n'y  avaient  point  paru  jusqu'alors,  des  pal- 
mes, des  pampres  et  quelquefois  même  des  tulipes  et 
des  iris. 

Les  objets  où  les  styles  arabe  et  persan  se  révèlent  le 
plus  clairement  sont  des  aiguières  (voy.  p.  79  et  240),  des 
surahés  (voy.  p.  77),  des  gourdes  plates  (voy.  p.  21 5)  et  cer- 
tains brûle-parfums  posés  sur  des  plateaux  à  larges  bords. 

On  trouve  assez  fréquemment  en  Chine,  particuliè- 
rement dans  les  provinces  septentrionales,  des  bronzes 
décorés  de  caractères  arabes.  Ce  sont  des  vases  servant 
au  culte  islamique.  La  religion  de  Mahomet  a  été  im- 
portée en  Chine,  ainsi  que  nous  Tavons  vu,  vers  Tan 
6 1 8,  par  Saad  ibn  abou  Ouaccas  ;  mais  la  prédication  de 
ce  saint  personnage,  se  produisant  au  moment  de  la 
plus  grande  ferveur  bouddhique,  ne  se  répandit  guère 
en  dehors  de  la  ville  de  Canton.  Une  immigration  de 
colonies  iraniennes,  qui  se  continua  presque  sans  in- 
termittence du  XIII'  au  xvi<^  siècle,  peut  être  considérée 
à  plus  juste  titre  comme  Porigine  véritable  de  rétablis- 
sement de  la  foi  musulmane  dans  TEmpire  du  Milieu. 
Aujourd'hui,  les  Mahométans  constituent,  dans  le  nord 
de  la  Chine,  le  tiers  de  la  population;  dans  le  sud,  ils 
sont  en  bien  plus  faible  proportion. 

Trois  pièces  composent  les  garnitures  de  vases  des- 
tinés au  culte  musulman  :  une  boîte  à  renfermer  les 
parfums,  une  cassolette  pour  les  brûler,  un  vase  pour 
mettre  les  spatules  de  bronze  avec  lesquelles  on  prend 
Tencens  et  Ton  attise  la  braise. 

Le  décor  se  compose  de  larges  cartouches  où  sont 
gravés,  en  caractères  arabes,  des  versets  du  Coran.  11 


LE    BRONZF.  75 

n^  ^»  pas  d'autre  ornementation,  sinon  parfois,  sur  le 
bord,  une  grecque  ou  une  arabesque. 

Les  familles  musulmanes  placent  ces  vases  sur 
leurs  autels  domestiques. 

M.  Schefer,  directeur  de  TEcole  des  langues  orien- 
tales, possède  une  précieuse  collection  de  bronzes  mu- 
sulmans provenant  de  Chine.  Les  spécimens  représen- 
tés ci-dessus  lui  appartiennent;  ils  datent  des  premières 
années  du  xv^  siècle,  ainsi  qu'en  font  foi  les  marques 
gravées  sous  la  base. 

Nous  pouvons  citer  encore,  parmi  les  œuvres  de 
bronze  où  se  révèle  l'influence  arabe,  quelques-uns 
des  instruments  astronomiques  conservés  à  l'Observa- 
toire de  Pékin  et,  en  particulier,  une  grande  sphère 
céleste  de  six  pieds  de  diamètre  supportée  par  quatre 
dragons  de  bronze  qui  sont  d'un  modelé  vigoureux  et 
souple.  Ces  instruments  ont  été  construits,  vers  l'an 
1280,  sous  la  direction  des  astronomes  arabes  que  l'em- 
pereur Hou-pi-lie  (Koubilaï-khan)  entretenait  dans  son 
palais  ^ 


V 


LES  BRONZES  INCRUSTES  ET  DAMASQUINES 
LES  BRONZES  DORES 

Comme  tous  les  peuples  de  l'Orient,  les  Chinois  ont 
cherché  à  rehausser  l'aspect  de  leurs   bronzes  par  des 

I.  Les  autres  instruments  qui  figurent  à  cet  observatoire  ont 


7(5  LART   CHINOIS. 

incrustations  métalliques  ou  par  la  damasquine,  et  ils 
y  ont  réussi  au  moins  autant  que  les  Arabes  et  les 
Persans.  Le  cadre  restreint  de  cet  ouvrage  ne  nous  per- 
met que  de  signaler  en  passant  Theureux  parti  que  les 
artisans  de  TEmpire  du  Milieu  ont  su  tirer  de  ces  pro- 
cédés de  surdécoration. 

Il  ne  paraît  pas  que  la  damasquine  ait  été  connue 
dans  l'antiquité,  et  il  est  probable  qu'elle  a  été  importée 
de  rinde  au  moment  de  la  propagation  du  bouddhisme, 
ou  plutôt  encore  des  pays  islamiques  vers  le  xw  siècle 
de  notre  ère. 

Quant  à  Yincrustation  proprement  dite,  c'est-à-dire 
l'application  d'un  métal  ductile  dans  de  larges  creux 
évidés  à  l'aide  de  l'échoppe  sur  le  bronze  à  rehausser, 
les  Chinois  l'ont  pratiquée  dans  les  temps  les  plus 
reculés  et  avec  une  perfection  dont  ils  n'ont  jamais 
livré  le  secret.  Parfois,  en  effet,  au  lieu  de  simples  cor- 
dons métalliques  matés  dans  les  tailles,  de  grandes 
taches  d'or  sont  incorporées  au  bronze,  comme  si  elles 
y  avaient  été  fondues.  Ces  taches  représentent  tantôt 
des  choses  aux  formes  indécises,  telles  que  des  nuages 
ou  des  flots,  tantôt  même  des  figures  aux  contours  plus 
précis,  des  phénix,  des  dragons.  Certains  bronzes  ac- 
quièrent ainsi  un  charme  de  couleur  qui  semblait  re- 
fusé aux  surfaces  métalliques  et  réservé  aux  seules 
œuvres  de  la  céramique  :  l'éclat  adouci  des  ors  se  fond 
harmonieusement  avec  les  nuances  sombres  de  la  patine 
et  les  fait  paraître  plus  riches,  plus  puissantes,  presque 


été    fabriqués    au  xviii"  siècle,  sous    la  direction     des    mission- 
naires jésuites. 


LE    BRONZE. 


71 


vibrantes.  La  lumière  produit  parfois  sur  ces  pièces  rares 
de  véritables  enciiante- 
ments  ;  on  dirait  c]ue  la  ma- 
tière en  fusion  coule  en- 
core sur  le  galbe  du  vase, 
et  les  macules  d'or  sem- 
blent noyées  dans  les  colo- 
rations chaudes  du  bronze 
aux  tons  chatoyants. 

M.   Cernuschi   possède 
un  vase  hou  incrusté  d^or, 
qui    peut    être    considéré 
comme    la   pièce   la    plus 
parfaite    de    sa    précieuse 
collection.    Un    décor    de 
lancis  orne  la  partie  supé- 
rieure de    la    panse  et   se 
reproduit  sur  le  couvercle 
qui  est  surmonté  d'un  lion 
de  Fo,  d'or  aussi.  La  pa- 
tine  du    bronze    est   d'un 
vert     olive,      absolument 
unie,  onctueuse  à  la  vue. 
La  délicatesse  et  le  goût  du 
travail  d'incrustation  sont 
certes   merveilleux  ;    mais 
ce  qui  donne  à  cette  œu- 
vre toute  sa  valeur  esthé- 
tique, c'est  l'admirable  mo- 
delé  de   la   surface   restée 
nue.    L'artiste  s'est  bien  gardé,  pour  lui  attribuer  sa 


.ç;,,,.. , 


SURAHÉ     INCRUSTÉE      d'or, 
H.,    0"',45. 

(Collection  de  M.  H.  Ceriuischi.) 


78  L'ART    CHINOIS. 

forme,  d'employer  le  tournage  dont  les  produits  cou- 


vase     HOU,     INCRUSTK     D    OR.     NIEN-HAO    :     SIOUAN-TF.. 

(l^2Û-i4}6).  —  H  ,  o"'.j7. 
(Collection  de  M.  H.  Cernuschi.) 

servent  toujours  quelque  chose  de  raide,  de  trop  régu- 


LE    BRONZE. 


79 


lier;  il  a  façonné  à  la  main  le  galbe  qu^il  rêvait,  il  lui 
a  donné  une  suavité  de  contours,  une  grâce  souple  et 
caressante,  une  douceur  incomparable    de   lignes;  on 


BUIRE    DE      BRONZE      DORE. 
H.,    0"',39. 

(Collection    de  l'auteur.) 


dirait  qu'il  l'a  modelé  amoureusement  comme  un 
sculpteur  modèle  le  sein  d'une  femme.  Cette  pièce  porte 
le  nien-hao  de  Siouan-te  et  date  par  conséquent  de 
l'année  1430  environ,  c'est-à-dire  de  la  première  épo- 
que des  Ming. 


8o 


L'ART    CHINOIS. 


Les  Chinois  font  i;rand  usage  du  bronze  doré.  C'est 
le  bouddhisme  qui  Va  vulgarisé  parmi  eux  en  rem- 
ployant pour  enrichir  ses  statues  sacrées  et  ses  objets 


/V.^M. 


CLOCHE     DE     BRONZE      DORE. 
PÉRIODE     KHANC-HI,      l6Û2-I722. 

(Collection  de  M.  le  V"  de  Semallc.) 


rituels;  mais  rien  ne  permet  d'affirmer  que  les  procédés 
de  la  dorure  ne  fussent  connus  déjà  à  une  époque  an- 
térieure, c^est-à-dire  avant  notre  ère. 

Le  procédé  le  plus  communément  usité  est  celui  de 


LE    BRONZE.  8i 

l'application  au  mercure.  Nous  le  trouvons  exposé, 
ainsi  qu'il  suit,  dans  un  ouvrage  technique  publié  à  la 
fin  de  la  dynastie  des  Ming  (vers  1600),  le  Thien-'Kong 
Khaï-ou  :  on  laissait  séjourner  les  objets  à  dorer 
«  dans  une  solution  de  salpêtre  additionnée  de  suc  de 
fruits  acides  1  »  pour  les  décaper;  puis  on  chauffait  le 
métal,  on  le  frottait  avec  du  mercure  etonappliquaitdes 
feuilles  d'or  sur  la  surface  ainsi  amalgamée.  On  vola- 
tilisait ensuite  le  mercure  par  la  chaleur  et  on  achevait 
le  travail  en  donnant  à  l'or  resté  adhérent  le  poli  du 
brunissoir. 

L'or  dont  on  se  servait  était  tiré  du  Yunnan,  du 
Ho-nan  et  du  Chen-si  :  on  le  réduisait  en  feuilles  par 
le  battage.  On  distinguait  enfin  quatre  espèces  d'or,  sui- 
vant la  nuance  des  reflets  du  métal  :  l'or  rouge,  l'or 
violet,  l'or  jaune  et  l'or  verdâtre. 

I.  Cette  solution  tenait  lieu  des  acides  sulfurique,  acétique, 
chlorhydrique,  etc.,  dont  l'industrie  chinoise  ignorait  encore  la 
préparation.  Voy.  sur  l'état  des  connaissances  industrielles  des 
Chinois  au  xvi<=  siècle,  une  note  de  Biot,  insérée  au  Journal 
asiatique,  i835,  t.    XVI. 


L  ART     CHINOIS. 


L'ARCHITECTURE 


LES    PRINCIPES     ET    LES     PROCEDES 

La  première  impression  qui  se  dégage  à  la  vue  d'une 
ville  chinoise  —  que  ce  soitTien-tsin,  avec  les  i5o,ooo 
maisons  de  sa  population  bourgeoise  et  ouvrière,  ou 
Pékin,  avec  ses  temples,  ses  palais  impériaux  ou  prin- 
ciers et  ses  édifices  publics  —  est  celle  d'une  certaine 
monotonie  résultant  de  la  prédominance  d'un  type  ar- 
chitectural unique.  Après  un  long  séjour,  cette  impres- 
sion persiste  encore,  et  quelques  constructions  seulement 
paraissent  irréductibles  à  la  formule  générale. 

La  Chine,  en  effet,  n'a  eu,  à  toutes  les  époques  de 
son  histoire  et  pour  tous  ses  édifices  civils  ou  religieux, 
publics  ou  privés,  qu'un  seul  modèle  d'architecture. 

En  ce  qui  concerne  l'antiquité  chinoise,  nous 
sommes  obligés  de  nous  en  référer  aux  documents 
écrits  et  aux  reproductions  graphiques  ;  car  il  n'existe 
pas  dans  tout  l'Empire  du  Milieu  de  monument  anté- 
rieur au  xi^  siècle  de  notre  ère.  Les  voyageurs  et  mis- 
sionnaires qui  ont   parcouru   toutes   les   provinces  de 


L'ARCHITECTUK  E.  fij 

rintérieur  soni  unanimes  sur  ce  point  :  il  n'y  a  pas  de 
ruines  en  Chine*.  La  cause  en  est  à  la  fois  dans  la  qua- 
lité des  matériaux  employés  (bois  et  brique)  et  dans  la 
légèreté  du  type  de  construction  adopté;  les  pièces  de 
charpente  ont  été  détruites  par  le  feu,  Thumidité,  etc.  ; 
Pappareil  des  briques  était  si  mince  qu^il  s'est  toujours 
effondré,  sans  laisser  ces  grandes  ruines,  ces  pans 
entiers  d'argile  cuite  qui  permettent  de  reconstituer 
encore  après  2,5oo  ans  les  palais  de  Chaldée  et  d'As- 
syrie. 

Les  documents  graphiques  que  nous  possédons  - 
permettent  d'affirmer  que,  quatre  ou  cinq  cents  ans 
avant  J.-C,  les  Chinois  construisaient  déjà  leurs  monu- 
ments et  leurs  maisons  sur  le  plan  dont  ils  se  servent  en- 


1.  «  Il  n'y  a  rien,  dans  tout  l'Empire  du  Milieu,  qui  mérite  le 
nom  de  ruine  architecturale,  rien  qui  nous  apprenne  si  les  géné- 
rations précédentes  construisaient  des  édifices  plus  splendides  ou 
plus  pauvres  que  ceux  d'aujourd'hui.  »  Williams,  Middle  King 
dont,  1,  72b. 

Seule,  la  Grande-Muraille  fait  exception.  Elle  s'étend  depuis 
le  golfe  du  Liao-toung,  dans  le  fond  du  G.  du  Petchili,  jusqu'à 
l'extrémité  occidentale  de  la  province  du  Chen-si,  sur  un  espace 
de  cinq  à  six  cents  lieues.  Elle  fut  construite,  pendant  les  pre- 
mières années  du  m"  siècle  av.  notre  ère,  par  l'empereur  Thsin- 
chi-hoang-ti  pour  défendre  l'Empire  contre  les  incursions  des 
Tartares  Hioung-nou.  C'est  l'œuvre  la  plus  gigantesque  qui  ait 
été  jamais  exécutée  par  les  forces  humaines.  Elle  mesure  environ 
20  pieds  de  hauteur  et  12  d'épaisseur;  elle  est  Hanquée,  tous 
les  5oo  mètres,  de  tours  hautes  de  40  pieds.  Les  matériaux  em- 
ployés sont  tantôt  la  pierre  de  taille,  tantôt  la  brique.  Sur  cer- 
tains point  du  parcours,  le  rempart  ne  se  compose  que  d'un  ter- 
rassement. La  Grande-Muraille  détache  plusieurs  ramifications 
qui  couvrent  des  provinces  entières. 

2.  Voy.,  entre  autres  documents,  les  albums  chinois  cotés 
Oe.  14,  Oe.  23,  Oe.  16  et  Oe.  17  au  Département  des  Estampes. 


i^^  L'ART    CHINOIS. 

core  aujourd'hui.  A  y  regarder  de  prés,  cette  fixité  d'un 
type  architectonique  conservé  intact  à  travers  les  siècles 
n'a  rien  qui  doive  surprendre  en  Chine,  surtout  si  Ton 
se  rappelle  que  les  formes  décoratives  des  autres  arts 
ont  si  peu  changé.  De  toutes  les  formules  d'art,  celles 
de  Farchitecture  sont, en  effet,  les  plus  lentes  à  se  renou- 
veler chez  un  peuple,  parce  qu'elles  sont  l'expression  la 
plus  manifeste  et  la  plus  solide  de  ses  instincts,  de  ses 
habitudes,  de  ses  besoins,  de  son  caractère  et  de  ses  tra- 
ditions. Or,  comme  précisément  les  Chinois  ont  poussé 
l'observance  des  traditions  plus  loin  qu'aucune  nation 
au  monde,  comme,  d'autre  part,  leur  tempérament  po- 
sitif et  leur  pauvreté  d'imagination  leur  ont  épargné  les 
brusques  changements  d'idéal  et  les  grandes  révolutions 
morales  qui  ont  si  fréquemment  renouvelé  l'inspiration 
des  artistes  occidentaux^  ils  ont  pu  se  contenter  pen- 
dant plus  de  vingt-cinq  siècles  d'un  seul  mode  de  con- 
struction pour  y  abriter  la  pratique  de  leur  vie  privée 
ou  politique  et  l'exercice  de  leur  foi  religieuse. 

Seul,  le  bouddhisme,  qui  s'introduisit  en  Chine  vers 
la  tin  du  T"  siècle  de  notre  ère,  fut  assez  puissant  pour 
suggérer  quelques  formes  nouvelles  ou  plutôt  pour 
faire  sentir  que  les  formes  anciennes  ne  suffisaient  pas  à 
exprimer  les  sentiments  éveillés  par  la  doctrine  de 
Çakya-Mouni. 

La  brique  et  le  bois  ont  été,  de  tout  temps,  les  prin- 
cipaux, presque  les  seuls  matériaux  de  construction  usi- 
tés en  Chine.  Il  est  difficile  de  détermi_ger  les  raisons 
pour  lesquelles  les  Chinois  ont  fait  si  rare'iwcnt  usage  de 
la  pierre  dans  leurs  édifices.  Ce  n'est  pas  la  rareté  de  la 
pierre  :  on  en  trouve,  en  effet,  et  en  abondance,  dans 


L'ARCHITECTURE.  85 

toutes  les  provinces;  d\ailleurs  la  plupart  des  villes  ont 
des  quartiers  entiers  paves  de  larges  dalles.  Ce  n''cst 
pas  la  difficulté  du  transport  des  blocs,  ni  la  dépense 
quMl  eût  imposée,  puisque  les  jardins  impériaux  et 
princiers  sont  semés  de  rocs  énormes  amenés  là  par  des 
procédés  de  traction  très  perfectionnés,  et  que,  d'autre 
part,  le  système  de  construction  adopté  a  toujours  né- 
cessité l'emploi  de  colonnes  de  bois  qu'il  a  fallu,  dans 
certains  cas,  faire  venir  d' Indo-Chine  à  prix  d'or,  les 
forets  chinoises  ne  fournissant  pas  d'essences  sulfisam- 
ment  robustes.  Ce  n'est  pas,  enfin,  la  prévision  des 
tremblements  de  terre,  ces  phénomènes  étant  beaucoup 
inoins  fréquents  sur  le  continent  asiatique  que  dans  l'ar- 
chipel du  Japon. 

Les  seules  constructions  qui  soient  toutes  de  pierre 
sont  \q%  paï-sang  ou  -paï-leou,  sortes  d'arcs  de  triomphe, 
d'une  hauteur  de  12  à  i5  mètres,  percés  de  trois  ou 
cinq  baies  et  chargés  de  sculptures.  Ces  paï  ont  pour 
but  de  rappeler  c[uelque  fait  mémorable  de  l'histoire  ou 
quelque  action  méritoire  d'un  particulier.  C'est  géné- 
ralement sur  décret  impérial  qu'on  élève  ces  arcs.  Le 
plus  remarquable  est  celui  qui  précède  l'entrée  du 
temple  de  Confucius  à  Pékin  ;  nous  en  donnons 
plus  loin  la  reproduction. 

L'unique  raison  qui  nous  paraisse  justifier  l'emploi 
presque  exclusif  que  les  Chinois  ont  toujours  fait  des 
matériaux  légers  est  l'idée,  toute  différente  de  la  nôtre, 
qu'ils  ont  conçue  de  la  durée  à  assigner  aux  construc- 
tions. Avec  leur  esprit  éminemment  positif,  sans  grande 
vue  ni  ambition,  ils  estiment  qu'un  édifice  qui  est  de- 
meuré debout  autant  que  la  génération  qui  l'a  vu  élever, 


66  L'ART    CHINOIS. 

a  satisfait  à  sa  destination.  A  quoi  bon  bâtir  pour  un 
avenir  incertain,  pour  des  descendants  inconnus?  Si 
Ton  considèrp  que,  dans  l'esprit  chinois,  le  souci  des 
descendants,  la  préoccupation  de  leur  laisser  fortune, 
honneurs,  considération,  en  un  mot  le  désir  de  se  per- 
pétuer en  eux  n'existe  pas,  comme  chez  les  races  occi- 
dentales, —  que,  par  un  singulier  contraste  avec  elles, 
par  une  étrange  déviation  psychologique,  ces  senti- 
ments d'hérédité  se  sont,  pour  ainsi  dire,  retournés  et 
reportés  vers  les  ancêtres  seuls,  à  tel  point  que  les 
anoblissements  concédés  par  Tempereur,  au  lieu  de 
rejaillir  sur  les  générations  à  venir,  remontent  vers  les 
ascendants  et  profitent  à  toute  la  ligne  ancestrale,  — on 
comprendra  que  les  constructions  de  la  Chine  portent  si 
rarement  ce  caractère  de  durée  que  nous  sommes  habi- 
tués à  rechercher  dans  les  édifices. 

Les  Chinois  ont  connu  de  toute  antiquité,  semble- 
t-il,  la  voûte;  mais  ils  en  ont  fait  rarement  usage.  Ils  Tont 
réservée  pour  les  portes  de  remparts  et  les  ponts; 
dans  ce  cas  ils  Font  employée  avec  hardiesse  et  les 
spécimens  qui  nous  en  restent  ne  manquent  pas  de 
grandeur.  La  figure  ci-contre  représente  une  des  portes 
voûtées  de  Pékin;  construite  en  1274  sous  la  dynastie 
des  Youen,  elle  a  été  restaurée,  ainsi  que  toute  Tenceinte 
fortifiée  dont  elle  fait  partie,  par  l'empereur  Young-lo, 
des  Ming,  en  1409  ^ 

Il  est  à  noter  que  les  Chinois  n'ont  pas  su  tirer  de 
la  voûte  tous  les  partis  qu'elle  aurait  pu  leur  fournir; 
ils  n'ont  jamais  construit  de  coupole  et  ils  se  sont  in- 

I.  Cf.  Marco  Polo,  ch.  lxxxiv. 


L'ARCHITECTURE. 


87 


tcrdit  ainsi  lés  lieureuses  créations  des  arciiiiccturcs 
persane  et  byzantine.  Seuls  quelques  monuments  boud- 
dhiques, les  stoupas  (voy.  p.  i  iq)  affectent  exté- 
rieurement la  forme  d'une  coupole  ;  mais  ce  ne 
sont  que    d'épais  massifs  de  maçonnerie   sans    aucun 


PORTIQUE     DU      TEMPLE      DE      CONFUCIUS,      A     PEKIN. 

des  caractères  essentiels  de  ce  type  architectonique. 
La  formule  générale  des  constructions  chinoises  est 
le  fing.  C'est  un  toit  recourbé  et  surplombant,  reposant 
sur  des  colonnes  courtes.  Quelle  en  est  l'origine?  Est-ce, 
comme  on  l'a  déjà  remarqué,  la  tente  primitive  des 
hordes  asiatiques?  Le  t'ing^  avec  ses  extrémités  recour- 
bées comme  le  sont  les  angles  d'une  tente  relevés  par 
des  piques,  avec  cette  incurvation  du  milieu  de  la  pente 
qui  rappelle  le  creux  formé  par  la  souplesse  pesante  de 


88  L'ART    CHINOIS. 

la  toile,  présente  en  cftet  une  ressemblance  frappante 
avec  une  tente  :  Tabsence  du  plafond,  des  fenêtres  laté- 
rales, et  généralement  aussi  d''étage  supérieur,  est  un 
trait  commun  de  plus.  Le  respect  que  les  Chinois  ont 
toujours  professé  pour  les  traditions,  et  la  permanence 
des  types  primitifs  à  travers  toutes  les  époques  de  leur 
histoire  permettent  de  croire  que  le  t'ing^  arrêté  dans 
ses  formes  à  une  époque  très  reculée,  provient  de  la 
tente  et  n'est  qu'un  souvenir  effacé  de  la  vie  nomade. 

Tous  les  édifices,  temples,  palais,  hiaisons  particu- 
lières, portes  de  ville,  arcs  de  p-ioraphe,  etc.,  sont  conçus 
sur  le  plan  du  fing;  tous,  sauf  quelques  constructions 
bouddhiques,  reproduisent  le  mémtî  schéma.  De  là 
vient  cette  impression  de  monotonie  que  le  fouillis 
d'ornements,  de  moulures  et  de  sculptures,  dont  sont 
parfois  surchargés  les  monuments,  ne  parvient  jamais 
à  effacer. 

La  toiture  est  la  partie  principale  des  constructions, 
celle  dont  Tédifice  tire  ses  caractères  de  grandeur  ou  de 
simplicité,  de  force  ou  d'élégance.  Cette  prépondérance, 
attribuée  à  une  partie  du  bâtiment  qui  est  généralement 
sacrifiée  dans  l'architecture  occidentale,  se  justifie  par 
le  peu  d'élévation  du  plan  vertical  :  les  toits  sont,  en 
effet,  ce  qui  se  voit  le  plus  dans  une  construction  chi- 
noise. Pour  en  varier  l'aspect,  on  a  imaginé  de  les 
doubler  et  parfois  même  de  les  tripier.  La  figure  de  la 
page  91,  qui  représente  le  temple  principal  de  la  sépul- 
ture où  repose  l'empereur  Young-lo,  des  Ming,  aux  en- 
virons de  Pékin,  nous  fournit  un  exemple  de  deux  toits 
superposés.  Cette  disposition,  qui  est  adoptée  sui'tout 
pour  les  palais  et   les    temples,  semble   reculer  l'inté- 


L'A  RCHITF.CTURE. 


89 


rieur  de  Pedifice,  l'envelopper  d'ombre,  et  est  parfois 
d'un  effet  assez  puissant.  Mais  c'est  surtout  par  la  de- 


PORTE     DES     REMPARTS     DE     PEKIN. 


XV*-     SIECLE. 


coration  que  les  arcliitectes  chinois  ont  cherché  à  don- 
ner à  la  toiture  toute  son  importance,  à  concentrer  sur 
elle  tous  les  regards. 


90  L  ART    CHINOIS 

La  forme  adoptée  pour  le  t'ing  et  Timportance  qui 
lui  a  été  donnée  ont  rendu  nécessaire  Femploi  multiple 
de  la  colonne  et  lui  ont  assigné  une  fonction  de  premier 
ordre  :  il  a  fallu,  en  effet,  répartir  sur  des  points 
d'appui  nombreux  la  charge  écrasante  de  la  toiture. 

La  pierre  a  été  rarement  utilisée  pour  la  construction 
des  colonnes;  c'est  le  bois  qui,  de  tout  temps,  a  été 
communément  employé.  Dans  les  maisons  ordinaires 
on  se  sert  de  bois  d'essences  communes  :  les  forêts  de 
la  Chine  en  fournissent  d'abondantes  quantités.  Pour 
les  palais  et  les  grands  temples,  on  emploie  de  préfé- 
rence le  cèdre  (iian-moii),  qu'il  faut  faire  venir  des  pro- 
vinces du  sud  de  l'empire  ou  de  l'Indo-Chine.  Le  Jian- 
moii  est  celui  de  tous  les  arbres  qui  fournit  les  troncs 
les  plus  droits  et  les  plus  hauts;  c'est  aussi  une  essence 
qui  gagne  à  vieillir  :  le  grain  s'adoucit,  la  fibre  se  dur- 
cit, le  bois  prend  une  couleur  feuille  morte  et  conserve 
une  odeur  aromatique  que  les  siècles  ne  peuvent  lui 
enlever.  Les  superbes  colonnes  de  cèdre  que  l'on  voit 
dans  la  sépulture  de  l'empereur  Young-lo,  près  Pékin, 
datent  du  xv"  siècle  et  exhalent  pourtant  encore  un 
vague  parfum. 

Le  fût  des  colonnes  est  généralement  svelte,  il  est 
cylindrique  et  parfois  polyédrique;  il  n'est  jamais 
cannelé. 

Le  chapiteau  n'est  le  plus  souvent  qu'une  sorte  de 
console  simplement  équarrie  ou  formulée  en  tête  de 
dragon. 

La  base  n'est  qu'un  encastrement  de  pierre;  nous 
ne  croyons  pas  que  les  architectes  chinois  aient  jamais 
songé  à  donner  pour  piédestal  à  leurs  colonnes  un  des 


92  L'ART   CHINOIS. 

animaux  symboliques,  le  dragon,  la  licorne,  le  chien 
de  Fo,  etc.,  de  même  que  les  architectes  assyriens  ont 
employé  leurs  sphinx,  leurs  taureaux  ailes  et  leurs 
griffons  pour  le  soutien  de  leurs  pilastres. 

On  a  souvent  reproché  aux  Chinois  de  n''avoir 
jamais  admis  d'éléments  géométriques  dans  leur  archi- 
tecture et  de  n'avoir  pas  connu  les  proportions  qui 
seules  peuvent  donner  à  un  édifice  les  apparences  de 
stabilité,  de  majesté,  d'élégance,  d'ordre  et  d'harmonie 
que  nous  aimons  à  reconnaître  dans  nos  monuments. 
C^est  une  critique  imméritée.  Les  architectes  de  la 
Chine  ont,  de  tout  temps,  eu  le  sentiment  des  rapports 
proportionnels  qui  doivent  exister  entre  les  différents 
éléments  d'un  bâtiment  et  en  dehors  desquels  il  n'y  a 
ni  équilibre  des  parties  ni  grandeur  de  l'ensemble. 
Dans  le  grand  recueil  d'architecture  officielle  qui  fut 
publié  au  xv!!!*"  siècle  par  ordre  de  l'empereur  Young- 
tching  et  qui  ne  comprend  pas  moins  de  5o  volumes, 
les  proportions  à  observer  entre  les  parties  principales 
d'un  édifice  sont  minutieusement  indiquées.  Les  règles 
adoptées  pour  les  colonnes  portent,  par  exemple,  que 
la  hauteur  du  fût  doit  être  de  sept  à  dix  fois  son  dia- 
mètre, et  que  la  hauteur  de  la  base  ne  doit  pas  être 
supérieure  au  diamètre  du  fût*. 

Les  constructions  chinoises  se  développent  surtout 
en  surface.  Il  y  a  donc  prédominance  des  lignes  hori- 
zontales. Le  principe  qui  détermine  le  tracé  du  plan  de 
projection  est  celui  de  la  symétrie.  C'est  un  principe 


I.  Voy.  aussi  le  Kong-tching-tso-fa,  ou  Traité  de  l'art  de  bâtir, 
coté  n»  SyS  au  Département  des  ms.  de  la  Bibliothèque  Nationale. 


L'ARCHITECTURE. 


9î 


absolu  :  les  corps  de  bâtiment  et  les  ailes,  les  avenues, 
les  cours,  les  pavillons,  les  motifs  de  la  décoration, 
toutes  les  parties  entin,  sont  distribués  symétriquement. 

Les  architectes  chinois  ne  se  départissent  de  cette 
règle  formelle  que  dans  le  plan  des  résidences  d'été, 
qui  est,  au  contraire,  conçu  de  la  façon  la  plus  capri- 
cieuse. Ce  ne  sont  alors  que  kiosques  élevés  au  hasard, 
édicules  détachés,  ailes  sans  pendant,  au  milieu  d'une 
nature  tout  artificielle  et  compliquée,  faite  de  rochers 
apportés,  de  pièces  d'eau,  de  vallonnements,  etc. 

Le  plan  vertical  n'attribue  généralement  qu'un  seul 
étage  aux  édifices.  Cependant  les  palais  impériaux,  cer- 
taines maisons  de  ville  telles  que  les  restaurants  et  les 
théâtres,  enfin  les  résidences  de  campagne  des  princes 
et  des  particuliers  comportent  souvent  un  deuxième 
étage.  La  figure  de  la  page  gS  représente  une  de  ces 
constructions  surélevées.  D'après  les  proportions  com- 
munément admises,  la  hauteur  du  deuxième  étage  doit 
être  égale  aux  deux  tiers  du  premier,  et  le  diamètre  de 
ses  colonnes  égal  aux  quatre  cinquièmes  de  celui  des 
colonnes  inférieures. 

Il  semble  que  les  Chinois  aient  eu  conscience  de  la 
pauvreté  de  la  conception  première  qui  inspire  leurs 
œuvres  architecturales  et  qu'ils  aient  essayé  de  la  dissi- 
muler sous  la  profusion  des  détails  décoratifs.  Des 
dragons,  des  chimères,  des  phénix,  des  tortues,  toute 
une  zoologie  fabuleuse  et  fantastique  de  bois  sculpté  ou 
de  terre  cuite,  surchargent  les  faîtières  ou  courent  sur  les 
frises;  des  figurines  et  des  fleurs  d'argile  peinte  écrasent 
les  corniches,  les  larmiers  et  les  frontons;  des  couleurs 
voyantes,  souvent  criardes,  bariolent  les  chapiteaux  des 


94-  L'ART    CHINOIS, 

colonnes  et  les  architraves;  des  tuiles  vernissées  de 
jaune,  de  bleu,  de  vert,  font  briller  les  toitures;  — une 
ornementation  touffue  et  désordonnée  envahit  toutes 
les  parties  de  la  construction  ;  —  mais  sous  le  fouillis  des 
lignes  reparaît  toujours  la  monotonie  du  type  originel. 
La  richesse  de  la  décoration  ne  parvient  ni  à  en  varier 
Paspect  ni  à  en  détourner  Pesprit.  C'a  été  la  grande 
supériorité  de  Tarchitecture  japonaise.  Avec  les  mêmes 
éléments,  les  mêmes  matériaux,  le  même  schéma  archi- 
tectonique  (qu'elle  avait  emprunté  d'ailleurs  aux  Chi- 
nois), elle  a  revêtu  ses  édifices  d'un  caractère  esthétique 
individuel  que  n'ont  jamais  eu  les  monuments  de  l'Em- 
pire du  Milieu.  On  sait  le  parti  que  les  artistes  du  Nip- 
pon ont  su  tirer,  à  cet  effet,  de  la  décoration.  Dans  le 
désordre  des  motifs  ornementaux  du  prototype  chinois, 
ils  ont  su  trouver  l'harmonie  des  lignes  ;  à  la  poly- 
chromie violente  du  modèle  dont  ils  s'inspiraient,  ils 
ont  substitué  les  nuances  plus  discrètes  de  leur  palette, 
les  tons  adoucis  de  leurs  laques  et  l'éclat  amorti  de 
leurs  ors;  enfin  ils  ont  donné  à  leurs  sculptures  l'accent 
d'une  vie  si  intense,  si  exubérante  et  si  épanouie  que 
tout  le  monument  en  a  été  comme  animé  et  éclairé  :  de 
leur  part,  l'ornementation  a  été  œuvre  d'artiste,  —  en 
Chine,  elle  est  demeurée  œuvre  d'ouvrier. 

Les  Chinois  attachent  une  importance  capitale  à 
Vorientation  de  leurs  édifices,  temples,  tombeaux,  pa- 
lais, maisons  particulières,  etc.  C'est,  en  effet,  une 
croyance  établie  parmi  eux  depuis  la  plus  haute  anti- 
quité et  reconnue  officiellement  depuis  le  xi«  siècle  de 
notre  ère,  que  des  influences  mystérieuses  naissent  de 
la  configuration  des  terrains,  de  la  direction  des  cours 


96  L'ARTCHINOIS. 

d'eau,  des  courants  magnétiques  qui  traversent  le  sol, 
des  fluides  qui  y  résident,  des  vapeurs  qui  s'en  élèvent, 
des  astres  qui  se  meuvent  au-dessus,  etc.  L'ensemble 
de  ces  influences  forme  ce  qu'on  appelle  le  Fong-choiii, 
littéralement  «  le  vent  et  l'eau  ».  C'est,  en  fait,  un  sys- 
tème de  géomancie  où  se  retrouvent  tout  à  la  fois  des 
principes  scientiflques,  des  pratiques  astrologiques,  des 
préceptes  d'hygiène,  des  croyances  religieuses  et  de 
grossières  superstitions  empruntées  au  taoïsme  et  au 
bouddhisme.  Le  Fong-choui  se  rattache  aussi,  et  très 
étroitement,  au  culte  des  ancêtres,  car  il  procède  de  cette 
idée  que  les  âmes  des  morts  ont  le  pouvoir  d'intervenir 
dans  le  monde  des  vivants  ;  il  est  l'objet  d'un  tel  respect 
et  il  est  entré  si  profondément  dans  l'esprit  des  Chinois 
qu'il  domine  toutes  les  manifestations  de  leur  vie  intime 
et  sociale  i. 

En  ce  qui  concerne  l'architecture,  le  Fongrchoui 
édicté  des  règles  minutieuses  que  seuls  lesgéomanciens 
officiels  peuvent  connaître  et  interpréter.  Il  est  indis- 
pensable de  les  consulter  pour  déterminer  la  situation 
précise  et  l'orientation  d'un  édifice  à  construire,  de 
façon  que  les  influences  subtiles  dont  il  sera  entouré 
ne  soient  pas  hostiles  à  ceux  qui  y  établiront  leur 
demeure. 

Après  ces  brèves  indications  sur  les  principes  et  les 
procédés  de  l'architecture  chinoise,  il  nous  est  permis 
d'étudier  l'application  qui  en  a  été  faite  :  —  i°  dans  les 
édifices  civils;  —  2°  dans  les  édifices  religieux. 


I.  Cf.  Eitel,  Feng-shui,  or  tlie  Rudiments  of  natural  science  in 
China. 


L'ARCHITECTURE.  97 


II 


L    ARCHITECTURE     CIVILE 


Un  principe  domine  Parchitecture  civile  en  Chine: 
elle  est  soumise  à  une  réglementation  officielle. 

Cette  réglementation  est  aussi  ancienne  que  Pétat 
social  en  vue  duquel  elle  a  été  édictée,  et  nous  la  trou- 
vons consignée  déjà,  mille  ans  avant  notre  ère,  dans 
le  Tcheou-li.  Elle  porte,  d'une  manière  générale,  sur 
la  hauteur,  la  largeur  et  la  longueur  des  bâtiments, 
sur  le  nombre  des  cours,  sur  Télévation  de  la  plate- 
forme qui  sert  de  soubassement  au  rez-de-chaussée, 
sur  le  nombre  des  colonnes,  etc.  La  mesure  de.^es  dif- 
férents éléments  va  en  augmentant  du  simple  particu- 
lier au  lettré,  du  lettré  au  grand  mandarin,  du  grand 
mandarin  au  prince  et  du  prince  à  l'empereur.  Ainsi, 
le  corps  de  logis  principal  d'une  maison  ne  doit  avoir  * 
que  trois  entre-colonnes  de  façade  si  elle  appartient  à 
un  lettré,  —  cinq,  si  elle  est  habitée  par  un  mandarin  du 
premier  rang,  —  et  sept,  si  c'est  la  demeure  d'un  prince. 
Les  palais  de  l'empereur  seuls  en  comptent  neuf  ou  da- 
vantage. 

On  conçoit  aisément  l'influence  qu'ont  dû  avoir  sur 
l'architecture  chinoise  des  règles  aussi  étroites,  se  per- 
pétuant pendant  plus  de  vingt-huit  siècles.  Elles  ont 
tari  toute  inspiration   chez  les   architectes,   qui  n'ont 

L'ART    CHINOIS.  7 


98  L'ART   CHINOIS. 

plus  eu  à  exercer  leur  fantaisie  que  sur  les  hors-d'œu- 
vre  et  les  parties  accessoires  des  édifices,  sur  le  détail  de 
la  décoration. 

Les  palais.  —  Le  cadre  restreint  de  cet  ouvrage  ne 
permet  pas  d^entreprendre  la  description  détaillée  d'un 
palais  impérial  en  Chine.  Celui  de  Pékin  se  compose 
d'une  succession  régulière  et  symétrique  de  cours  rectan- 
gulaires et  de  jardins  renfermant  quarante-huit  vastes  pa- 
lais, environ  autant  de  temples  et  un  nombre  plus  grand 
encore  de  kiosques,  d'arcs  et  de  portiques.  C'est  toute 
une  ville  :  une  enceinte  fortifiée  l'enveloppe  entièrement. 

Ces  bâtiments  sont  conçus  sur  le  type  éternel  du 
t'ing ;  mais  les  différents  éléments  qui  figurent  dans  la 
construction  ont  reçu  leurs  plus  grandes  dimensions. 

La  composition  architectonique  en  est  donc  fort 
simple  et  n'offre  rien  qui,  en  soi,  doive  produire  une 
impression  puissante.  Et  pourtant,  Timpi-ession  que  l'on 
ressent  en  présence  d'un  palais  chinois  est  assez  gran- 
diose. C'est,  en  effet,  de  l'ensemble  qu'elle  se  dégage.  La 
largeur  des  cours  et  des  esplanades,  le  développement 
horizontal  des  édifices,  l'ordonnance  symétrique  du  bâ- 
timent principal  et  des  constructions  environnantes,  un 
tel  déploiement  d'espace  et  une  disposition  si  régulière 
de  toutes  les  parties  suffisent  à  éveiller  dans  l'esprit  des 
idées  d'ordre,  de  puissance  et  de  gravité  majestueuse. 

Il  y  eut  cependant  une  époque,  au  commencement 
de  la  dynastie  des  Tcheou  (xi*'  siècle  av.  J.-C),  ou  l'ar- 
chitecture chinoise  eut  pour  les  palais  de  ses  empereurs 
de  plus  hautes  visées.  On  construisit  alors  des  monu- 
ments, appelés  taï  ou  hou,  qui  mesuraient  jusqu'à  cent 
mètres  d'élévation;  on  accédait  au  sommet  par  un  esca- 


L'ARCHITECTURR. 


99 


lier  extérieur.  Pendant  plusieurs  siècles,  ce  l'ut  le  grand 
luxe,  la  ruineuse  folie  des  Fils  du  Ciel.  Au  milieu  du 
111°  siècle  avant  J.-C,  Tempereur  Thsin-chi-hoang-ti 
en  fit  construire  dans  toutes  ses  résidcnA:es,  par  tout 


T  AI  -HO- TIEN,    SALLE    DE    LA    SOUVERAINE    CONCORDE,   AU     PALAIS 
IMPÉRIAL,    A    PÉKIN. 

(D'aprùs  une  peinture  chinoise  appartenant  à  M.  G  .  Deveri.i.) 

Tempire.  Les  princes  voulurent  imiter  les  souverains 
et  firent  élever  aussi  des  taï  dans  leurs  palais.  Mais  des 
édits  impériaux  leur  interdirent  bientôt  ce  luxe  qui  fut 
réservé  désormais  à  Pempereur  seul.  A  partir  du  xiir  siè- 
cle, c''est-à-dire  de  Favènementde  la  dynastie  mongole, 
on  renonça  à  ces  constructions  dispendieuses,  et  aujour- 
d'hui il  n^en  reste  même  plus  de  ruines. 


100  L'ART    CHINOIS. 

Les  taï  ou  hou  sont  souvent  cités  par  les  poètes. 
Sou-chi-pa  disait  dans  une  ode  (vers  200  avant 
J.-C.)  :  «  Quand  j'élève  mes  regards  vers  le  hou  de 
pierre,    il  me  faut  chercher  son  toit  dans  les   nues.  » 

Tou-pe  décrit  ainsi  le  taï  qui  s'élevait  dans  la  capi- 
tale des  Thang  :  «  L'émail  de  ses  briques  rivalise 
d'éclat  avec  l'or  et  la  pouVpre,  et  réfléchit  en  arc-en- 
ciel  les  rayons  du  soleil  qui  tombent  sur  chaque  étage  1.  » 
Enfin,  Te-li,  parlant  d'un  taï  haut  de  plus  de  iSo  mè- 
tres, s'écriait  dans  une  de  ses  strophes  :  «  Je  n'oserais 
pas  monter  jusqu'à  la  dernière  terrasse  d'où  les  hommes 
n'apparaissent  que  comme  des  fourmis.  Monter  tant 
d'escaliers  est  réservé  à  ces  jeunes  impératrices  qui  ont 
la  force  de  porter  à  leurs  doigts  ou  sur  leur  tête  tous 
les  revenus  de  plusieurs  provinces.  » 

Quelle  fut  Torigine  des  taï?  Les  Chinois  ont-ils  créé 
de  leur  propre  génie  ce  type  architectonique  qui  est  si 
différent  de  leur  formule  habituelle?  L'ont-ils  emprunté, 
et  à  qui  ?  La  date  éloignée  à  laquelle  on  a  commencé 
de  construire  des  taï  en  Chine  impose  une  grande  réserve 
dans  la  détermination  des  influences  étrangères  qui  ont 
pu  s'exercer  à  cette  époque  sur  Part  chinois.  Les  annales 
de  l'Empire  du  Milieu  mentionnent  cependant  certains 
faits  qui  permettent  de  croire  qu''au  xvir'  siècle  avant 
notre  ère  il  existait  déjà  des  rapports  entre  cet  empire 
et  les  civilisations  de  l'Asie  occidentale.  Le  premier  de 
ces  faits  est  l'arrivée  en  Chine,  «  dans  la  3*  année 
du  règne  de  Tai-Ou  »  (1634  av.  J.-C),  d'ambassa- 
deurs expédiés  par  les  Si-joung  ou  «  barbares   occiden- 

I.  Cf.  Mémoires  concernant  les  Cliinoii,  II,  363. 


TAl     DON      PALAIS     IMPERIAL. 

(D'après  une  peimurc  chinoise  du  Département  îles  Esumpes.) 


102  L'ART  CHINOIS. 

taux  «.  On  lit,  en  outre,  dans  les  grands  Tableaux 
Chronologiques  chinois  que  ces  qpvoyés ,  «  partis 
de  régions  éloignées,  venaient  de  76  royaumes  «. 
Quelles  causes  extraordinaires  déterminèrent  la  mis- 
sion simultanée  de  ces  ambassadeurs  à  la  cour  de  la 
dynastie  des  Chang?  Fut-ce  uil  appel  des  monarchies 
occidentales,  une  demande  de  secours  contre  la  grande 
invasion  qui  semble  s'être  produite,  dans  le  même  temps, 
en  Asie  centrale  et  où  les  historiens  grecs  ont  vu,  par 
erreur,  la  suite  des  conquêtes  de  Ramsès  1 1  ?  On  ne  sait  ; 
mais  il  est  certain  que  depuis  cette  époque  des  relations, 
très  intermittentes,  il  est  vrai,  firent  connaître  à  la  Chine 
les  civilisations  étrangères  qui  l'entouraient  vers  Touest. 
Cinq  cents  ans  plus  tard  environ, Pempereur  Mou-Ouang, 
des  Tcheou  (1001-946)  accomplit  un  voyage  «  dans  les 
contrées  situées  à  Poccident  de  la  Chine  »  ;  il  fut  ébloui 
par  la  somptuosité  et  la  grandeur  architecturales  des 
villes  qu'il  y  visita,  et  il  ramena  avec  lui  des  architectes 
et  des  ouvriers  dans  le  but  de  faire  reproduire  les  mer- 
veilleux monuments  qu'il  avait  admirés  ^  Quelles 
étaient  au  juste  ces  contrées  et  ces  villes  ?  Etait-ce  la 
Médie,  la  Chaldée,  l'Assyrie,  Suse,  Babylone,  Ninive? 
On  ne  sait  non  plus.  Mais  parmi  les  ruines  qui  ont 
permis  de  reconstituer  les  types  principaux  de  l'archi- 
tecture chaldéo-assyrienne,  se  trouvent  précisément  les 
restes  de  ces  grandes  tours  à  sept  étages  et  à  escaliers 
extérieurs  dont  la  Chaldée  et  l'Assyrie  avaient  adopté 
la  forme  pour  les  plus  grands  de  leurs  temples.  Ces 
monuments,    tels  que  nous  les   montre  la  restitution 

I.  Pauthier,  Chine  ancienne,  1,95. 


TAÏ   d'un    palais    impérial. 

(D'après  une  peinture  chinoise  du  Département  Jes  Estampes.) 


10+  L'ART    CHINOIS. 

tentée  par  M.  Perrot  dans  son  ouvrage  sur  l'Art  dans 
Vantiquitc^^  offrent  une  ressemblance  singulière  avec 
les  figures  que  nous  représentons  ci-contre  et  qui  pro- 
viennent cfun  carton  chinois  du  Département  des  es- 
tampes. Cette  ressemblance,  qui  se  révèle  autant  dans  le 
plan  général  de  Téditice  que  dans  les  détails  (escalier 
extérieur,  superstructure  légère,  etc.),  est  trop  frappante 
pour  être  fortuite.  Si  l'on  tient  compte,  en  outre,  de  la 
date  à  laquelle  cette  forme  architecturale  est  apparue 
pour  la  première  fois  dans  TEmpire  du  Milieu,  on  sera 
admis,  peut-être,  à  attribuer  une  origine  chaldéo- 
assyrienne  aux  anciens  taï  chinois-. 

Les  maisons  PARxicuLiinŒs.  —  La  réglementation  of- 
ficielle laisse  moins  de  place  à  la  fantaisie  dans  les 
maisons  particulières  que  dans  les  palais.  Construites 
toujours  sur  le  type  du  fing,  elles  ne  diffèrent  guère 
que  par  le  nombre  de  leurs  entre-colonnements,  la  hau- 
teur et  la  largeur  de  leurs  divers  éléments  et  le  tracé  du 
plan  horizontal. 

Si  Papplication  des  édits  sur  les  constructions  était 
rigoureuse,  il  devrait  suffire  de  voir  une  maison  pour 
connaître  le  rang  que  tient  dans  TEtat  la  personne  qui  y 


1.  Cf.  Chaldée  et  Assyrie,  H,  p.  879  et  suiv. 

2.  Cette  attribution  nous  paraît  d'autant  plus  admissible  qu'il 
n'est  pas  douteux  que  la  civilisation  chaldéo-assyrienne  ait 
exercé  sur  la  Chine,  vers  la  même  époque,  des  influences  d'un 
autre  ordre.  L'astronomie  primitive  des  Chinois  est  incontesta- 
blement de  provenance  chaldéenne.  (Cf.  D""  Chalmers,  Chinese 
c/a5S2C5.)  Certaines  idées  philosophiques  et  religieuses  accueillies 
plus  tard  par  Lao-tse  (vi"  siècle  av.  J.-C.)  renferment  également 
des  éléments  étrangers  dont  l'origine  occidentale  est  certaine. 
(Cf.  Edkins,  Chinà's  place  in  philology,  I.) 


L'ARCHITECTURE. 


los 


demeure.  Mais  de  grands  tempéraments  ont  été  apportés 
dans  la  pratique.  Les  promotions  officielles,  les  dis- 
grâces, les  transferts  de  propriété,  etc.,  rendaient  l'exé- 
cution stricte  de  la  loi  l'ort  difficile  et  onéreuse.  On 
imagina  alors  dMndiqucr  la  classe  de  Timmeuble  par 


mMÊ^ 


>\Vv^ 


TCHAO-P'iNG      d'un      TRIBUNAL     CIVIL. 

(D'aprcs  U'ie  peinture  chinoise  du  Département  des  Estampes.) 


une  disposition  architecturale  qui  pût  être  aisément 
modifiée  ou  remplacée  suivant  les  changements  apportés 
à  la  situation  sociale  du  propriétaire. 

Cette  disposition  est  le  tchao-p'ing.  C'est  un  pan  de 
mur  isolé,  une  sorte  d'écran  élevé  vis-à-vis  de  la  porte 
d'entrée,  à  deux  mètres  environ  en  avant.  La  décoration 
du  tchao-p'ing  varie  suivant  la  qualité  des  personnes 
dont  il  précède  la  demeure. 

Les  édifices  publics  ont  également  un  tchao-p'ing 


lofî  L'ART    CHINOIS, 

qui  indique  Timportance  du  service  administratif,  judi- 
ciaire ou  religieux  qui  y  est  installé. 

Les  superstitions  populaires  attribuent  à  cet  écran 
de  maçonnerie  le  privilège  de  détourner  les  mauvais 
esprits  de  la  maison  dont  il  masque  Tentrée.  Il  dis- 
pense, en  outre,  de  Pohligation  imposée  par  la  loi  de 


MAISON     d'un      particulier. 

(D'après  une  peinture  chinoise  du  Département  des  Estampes.) 

descendre  de  cheval  ou  de  charrette  devant  la  porte  des 
palais,  temples  officiels  et  tribunaux,  puisque  cette  porte 
est  ainsi  dissimulée  aux  yeux  des  passants. 

Suivant  les  cas,  le  tchao-p'ing  prend  les  noms  de 
tchao-pcï  et  de  tchao-hiang. 

Une  autre  façon  de  tourner  les  édits  architecturaux 
s'est  introduite  dans  l'usage  et  semble  tolérée  partout 
actuellement  :  il  suffit  que  la  porte,  le^  mur  de  façade, 
les  bâtiments  sur  la  rue  ci  la  première  cour  soient  con- 


L'ARCHITECTURE, 


formes  au  type  réglementaire.  Dans  les  dernières  cours, 
on  laisse  toute  liberté  au  propriétaire,  pourvu  toutefois 
que  le  luxe  et  la  hauteur  de  ses  constructions  n'attirent 
pas  l'attention  du  de- 
hors. 

L\rchitf,cturk  des 
JARDINS.  —  La  place 
nous  fait  défaut  ici  pour 
parler  des  maisons  de 
campagne  et  des  jardins 
en  Chine.  Les  Chinois 
ont  une  conception 
toute  particulière  de  la 
décoration  de  leurs  vil- 
las de  plaisance  et  ils  y 
ont  mis  toute  la  fantai- 
sie qui  leur  était  inter- 
dite dans  les  villes. 
Renonçant  absolument 
à  leur  principe  de  sy- 
métrie, ils  n'ont  eu 
d'autre    but   que    d'ap-  kiosq^ue. 

DrOD'"ier  leUl'S  COnStrnr-     (D'aprcsuue  peinture  chinoise  du  Département 

des   Estampes.) 

tions  au  terrain,  de  les 

encadrer  dans  le  paysage,  de  tirer  parti  du  pittoresque, 

des  accidents  de  terrain,  des  bois  et  des  eaux. 

Le  kiosque,  t'ing-tse,  est  le  type  habituel  de  ces 
constructions.  L'ornementation  en  varie  à  l'infini.  La 
toiture  est  faite  de  tuiles  vernissées  jaunes,  vertes,  vio- 
lettes, bleues,  brunes,  rouges,  etc.  Les  colonnettes  de 
bois  sont  peintes  en  couleur  carmin  ou  vert  foncé.  Des 


io8  L'ART    CHINOIS. 

plantes  grimpantes,  clématites,  vignes  vierges,  roses  tré- 
mières,  s'attachent  généralement  à  la  charpente  légère 
de  ces  édicules  et  les  recouvrent  presque. 

Les  Chinois  ont  de  tout  temps  fait  contribuer  les 
poiits  à  la  décoration  de  leurs  parcs.  Les  formes  les  plus 
diverses  ont  été  adoptées  :  à  tablier  horizontal,  à  tablier 
en  dos  d'âne,  à  tablier  à  deux  plans  inclinés.  Les  histo- 
riens et  les  poètes  nous  ont  laissé  de  nombreuses  des- 
criptions de  ponts  remarquables  par  leurs  proportions 
et  leurs  ornements;  il  y  en  avait  qui  mesuraient  plus  de 
3o  mètres  de  large;  d'autres  étaient  chargés  de  bas-re- 
liefs Jusque  dans  Peau,  ou  bordés  d'une  double  allée 
d'arbres,  ou  recouverts  d'un  long  péristyle.  Marco  Polo, 
qui  visita  la  Chine  et  demeura  à  la  cour  de  l'empereur 
Koubilaï-Khan  auxiii®  siècle,  vit,  sur  la  rivière  Houen- 
ho,  un  pont  de  marbre  qui  avait  vingt-quatre  arches 
et  dont  les  parapets  portaient  cent  quarante  colonnes 
séparées  par  des  bas-reliefs*. 

Le  pont  qui  est  représenté  à  la  page  109  s'élève 
près  de  Pékin,  dans  les  dépendances  du  Palais  d'Eté  et 
date  de  la  tin  du  xvir  siècle. 


III 

l'architecture    religieuse 

Ainsi  que  nous  l'avons  indiqué  au  début,  les  édifices 
religieux   n'ont  pas  de  formes  qui  leur  soient  propres, 

I.  Ce  pont  existe  encore. 


110  L'ART    CHINOIS. 

et  à  première  vue  il  peut  être  malaisé  de  distinguer  un 
temple  d'un  palais. 

Les  temples  du  culte  off-jciel. —  Le  Temple  du  ciel 
à  Pékin  est,  sans  contredit,  le  plus  remarquable  entre 
tous.  C'est  plutôt  un  autel  qu'un  temple  proprement 
dit,  car  tout  le  monument  se  développe  en  plein  air, 
sans  toiture  ni  parois. 

Trois  terrasses,  de  forme  circulaire  et  entourées  de 
balustrades  de  marbre,  se  superposent  et  supportent  une 
table  de  pierre  destinée  aux  sacrifices  officiels;  la  ter- 
rasse inférieure  a  120  pieds  de  diamètre;  la  terrasse 
supérieure  s'élève  à  25  pieds  au-dessus  du  sol.  Un 
grand  rideau  d'arbres  séculaires  s'étend  tout  autour, 
voilant  la  vue  sur  les  côtés  et  l'élevant,  pour  ainsi  dire, 
vers  la  voûte  céleste. 

C'est  là  que  l'empereur  vient,  trois  fois  Tan  (aux 
deux  solstices  d'hiver  et  d'été  et  au  début  du  prin- 
temps), sacrifier  au  Ciel  dont  il  est  l'émanation  sur  la 
terre. 

Cet  édifice  a  été  construit  sous  l'empereur  Young-lo, 
3"  souverain  de  la  dynastie  des  Ming,  en  142 1.  Jusqu'en 
i53i,  les  sacrifices  que  l'empereur  doit  à  la  Terre  s'y 
célébraient  également;  mais,  depuis  cette  époque,  ils 
sont  offerts  sur  un  autel  particulier  qui  s'élève  de  Tautre 
côté  de  l'esplanade  où  est  l'entrée  principale  du  temple  *. 

Ces  deux  monuments,  consacrés  à  un  culte  spécial 
et  dont  l'empereur  est  le  seul  officiant,  sont  uniques  de 
leur  espèce  et  font  exception  à  l'identité  de  schéma 
adoptée  en  Chine  pour  les  édifices  de  toutes  les  reli- 

I.  Cf.  Edkins,  Religion  in  China,  p.  18  et  suiv. 


L'ARCHITECTURK. 


gions.  Ils  nous  présenteni  sans  doute  le  type  primitif  des 

tcmplcschinois,  Tau- 
tel  en  plein  air  dans 
un  enclos  sacré,  [de- 
menas  aryen.  LUdée 
de  loger  la  divinité, 
de     lui      construire 
une   maison  close  et 
couverte,    ne     pou- 
2       vait  venir   aux   pre- 
w       miers  Chinois,    qui 
^       ne       personnifiaient 
^•^       pas  leurs    Dieux    et 
•^       qui,    tout  en   sacri- 
s       fiant  aux  Puissances 

o 

a       naturelles,  les    ado- 

>j 

^       raient     comme     des 

H  symboles  et  non 
p  comme  des  réalités. 
2  Ce  ne  fut  que  plus 
u  tard,  dans  la  suite 
des  temps,  lorsque  le 
culte  se  fut  compli- 
qué, lorsqu'aux  pra- 
tiques simples  et 
naïves  des  époques 
archaïques  vint  s'a- 
jouter un  enseigne- 
ment philosophique, 
—  que  l'on  songea  à  abriter  sous  un  toit  et  entre  des 
murs  les  pratiques  de  la  vie  religieuse.  Plus  tard  encore, 


112  L'ART    CHINOIS. 

lorsqu^au  ii''  siècle  de  notre  ère  le  Bouddhisme  apporta 
sa  liturgie  et  son  imagerie  sacrées,  le  plan  des  temples 
subit  de  nouvelles  modifications  et  reçut  tout  le  déve- 
loppement, toute  rimportance  architecturale  qu'il  a 
conservés  jusqu'à  nos  jours. 

En  dehors  des  deux  autels  du  Ciel  et  de  la  Terre, 
les  édifices  dédiés  au  culte  officiel  et  à  Confucius  ren- 
trent dans  le  type  commun.  Ils  se  composent,  d'une 
façon  générale,  de  plusieurs  bâtiments  disposés  sur  le 
même  axe  et  séparés  par  des  cours  intérieures.  Les  con- 
structions ne  s'élèvent  que  d'un  étage. 

La  décoration  intérieure  est  des  plus  simples  ;  elle 
procède  d'une  inspiration  toute  chinoise,  où  l'on  ne 
sent  aucune  influence  étrangère.  Des  tablettes  d'ébène, 
portant  en  lettres  d'or  le  nom  de  Confucius  et  de 
soixante-dix  de  ses  disciples,  sont  appendues  au  mur 
dans  la  salle  principale  du  temple.  Les  adorations  et 
les  prosternemcnts  rituels  se  font  devant  ces  inscrip- 
tions qui  personnifient  les  âmes  du  grand  philosophe  et 
de  ceux  qui  ont  illustré  sa  doctrine. 

Il  n'y  a  ni  statues  ni  peintures  pour  évoquer  l'image 
de  leur  physionomie  ou  pour  rappeler  les  épisodes  de 
leur  vie  passée.  Seuls,  sur  des  tables  basses,  des  vases 
de  bronze  aux  galbes  archaïques  témoignent  qu'au 
temps  où  vivait  Confucius  il  y  avait  en  Chine  un  art 
plastique.  On  saisit  là  l'imagination  chinoise  dans  son 
indigence  primitive,  dans  son  impuissance  à  donner 
une  forme  concrète  à  ses  conceptions  idéales. 

Le  temple  de  Confucius  à  Pékin  est  situé  au  nord 
de  la  ville.  Une  avenue  de  cyprès  conduit  du  portique 
de  l'entrée  au  bâtiment  principal,  où  se  font  les  sacri- 


L'ARCHITECTURE.  XIJ 

fices  des  équinoxes  d'automne  et  de  printemps.  Des 
quartiers  de  viande  sont  offerts  sur  des  plats,  devant  la 
tablette  portant  le  nom  du  philosophe.  On  ne  lui 
adresse  pas  de  prières,  on  se  prosterne  en  silence  :  ce 
n'est  qu'un  hommage  de  respect  et  de  vénération. 

Dans  une  des  cours  du  temple,  les  empereurs  qui  se 
sont  succédé  à  la  cour  de  Pékin  ont  fait  graver,  sur  des 
pierres  dressées,  des  éloges  qu'ils  ont  composés  de 
leur  main. 

Il  existe  dans  la  province  du  Chan-tong,  à  Khiu- 
feou,  patrie  de  Confucius,  un  temple  remarquable  que 
desservent  en  son  honneur  ses  derniers  descendants.  Le 
principal  d'entre  eux  porte  le  titre  de  «  Duc  toujours 
saint»  et  reçoit  une  pension  de  l'Etat.  Le  temple  est  de- 
venu un  lieu  de  pèlerinage  ;  les  documents  officiels  le 
désignent  sous  le  nom  de  «Temple  du  premier  saint  et 
du  premier  instituteur  des  hommes  »  [thi  ching  siân  sse 
miao],  (Voy.  p.  1 15.) 

Les  temples  bouddhiques.  —  L'aspect  extérieur  des 
temples  bouddhiques  ne  diffère  pas  de  celui  des  édifices 
consacrés  au  confucianisme;  mais  la  décoration  inté- 
rieure en  est  conçue  d'après  de  tout  autres  principes. 

Les  temples  dédiés  au  culte  de  Fo  sont  orientés  dans 
la  direction  sud-nord;  ils  se  composent,  comme  ceux 
du  culte  officiel,  de  plusieurs  corps  de  bâtiments  en  en- 
filade, séparés  par  des  cours. 

Dès  l'entrée,  sous  une  forme  de  vestibule,  on  remarque 
généralement  quatre  statues  de  bois,  placées  symétrique- 
ment de  chaque  côté.  Ce  sont  les  grands  rois  des  Dévas 
[Si-ta-tien-ouang]  qui  exercent  leur  empire  sur  les  ré- 
gions  situées   aux    quatre    points  cardinaux  du   mont 

l'art  chinois.  8 


n^.  L'  ART    CHINOIS. 

Mérou,  centre  du  monde.  Ces  divinités  interviennent 
dans  les  affaires  humaines  et  veillent  à  Tobservance  de 
la  loi  de  Bouddha. 

Entre  ces  statues  et  le  mur  de  façade,  s''en  dressent 
deux  autres,  d'attitude  belliqueuse,  revêtues  d'un  appa- 
reil guerrier.  Ce  sont  les  dieux  Tseng  et  Ho,  défenseurs 
du  temple. 

On  voit  encore  dans  le  vestibule  d'entrée  Peffigie  de 
Maitreya-Bouddha  [Mi-li-fo]  ou  «  le  Bouddha  qui  doit 
venir  «,  celui  qui,  dans  des  millions  d'années,  apparaîtra 
aux  hommes  et  leur  enseignera  la  voie  du  repos  éternel. 
Il  est  représenté  la  face  riante,  la  poitrine  découverte, 
le  corps  obèse. 

Les  personnages  dont  les  statues  figurent  ainsi 
dans  cette  première  partie  du  temple  sont  des  Dévas, 
c'est-à-dire  appartiennent  encore  à  cette  catégorie 
des  êtres  qui  ne  sont  pas  délivrés  de  la  métempsycose. 

En  arrière  de  ce  vestibule  se  dresse  le  corps  prin- 
cipal du  monument,  le  Ta-hioung-pao-tien  ou  a  salle 
précieuse  du  grand  héros  divin  ».  C'est  laque  se  trouve 
la  statue  de  Çakya  Mouni,  méditant  sur  son  lit  de  lo- 
tus. A  sa  droite  et  à  sa  gauche  sont  ses  deux  disciples 
favoris,  Ananda  [O-nan)  sous  les  traits  d'un  jeune 
homme  et  Kashiapa  [Kia-che]  avec  la  physionomie 
d'un  vieillard.  Ces  deux  apôtres  préférés  du  maître  sont 
au  premier  des  quatre  degrés  qui  constituent  les  avatars 
bouddhiques,  celui  des  Schràvakas  [Cheng-oiien  ou 
«  auditeurs  »). 

Sur  les  bas  côtés,  dix-huit  disciples,  parvenus  au 
rangd'Arhans  (A-h-haii),  semblent  écouter  l'exposition 
du  «  Lotus  de  la  bonne  Loi  »  ou  des  soutràs  sacrés,  tan- 


L'ARCHITECTURE. 


"S 


dis  que  des  animaux  sauvages,  symboles  des  influences 
surnaturelles  dont  ils  sont  investis,  sont  (dans  les 
grands  temples,  au  moins)  couche's  à  leurs  pieds. 


TEMPLE     DE     CONFUCIUS     A     KHIy-FFOU. 

(D'après  une  peinture  chinoise  du  Département  des  Estampes  ) 

Derrière  les  trois  statues  centrales,  trois  autres,  de 
moindre  dimension,  sont  placées  face  au  nord:  ce  sont 
celles  de  Kouan-yin,  «  déesse  de  la  Miséricorde  »,et  des 
deux  Boddhisatvas  Pou-hien  et  Ouen-chou. 


iirt  L'ART    CHINOIS. 

Cette  distribution  des  statues  sacrées  est  quelquefois 
modifiée.  Ainsi,  au  lieu  de  dix-huit  disciples  parvenus 
au  rang  d'Arhans,  on  place  quelquefois,  dans  les  bas 
côtés,  des  statuettes  du  Bouddha,  ou  les  trente-deux 
particularités  de  son  corps  sont  mises  en  lumière.  Le 
nombre  des  idoles  exposées  varie  aussi,  et  certains 
sanctuaires,  comme  celui  de  Pi-yun-sse,  près  Pékin,  en 
renferment  plus  de  cinq  cents. 

Les  quatre  degrés  de  la  métempsycose  indienne 
ont  ainsi  leurs  représentants  dans  le  bâtiment  principal, 
depuis  le  Bouddha  lui-même  jusqu'aux  simples  «  audi- 
teurs ».  C'est  comme  la  vision  raccourcie  des  cercles  de 
transmigration  qu'il  faut  traverser  avant  d'entrer  dans 
le  grand  reposa 

On  conçoit  l'impression  profonde  que  dut  faire  sur 
les  premiers  adeptes  du  culte  de  Fo  l'aspect  de  pareils 
temples.  Rien  jusqu'alors,  dans  les  édifices  réservés  au 
culte  primitif,  ne  les  avait  préparés  à  une  telle  magni- 
ficence ;  toutes  ces  statues,  dorées  pour  la  plupart  et 
apportées  directement  de  l'Inde  dans  les  premiers  temps, 
leur  apparaissaient  comme  des  figures  étranges,  apparte- 
nant à  un  autre  monde  et  supérieures  à  la  race  humaine. 
Il  se  produisit  alors,  dans  l'Empire  du  Milieu,  un  mou- 
vement analogue  à  la  grande  crise  mystique  qui  exalta 
les  âmes  du  moyen  âge  chrétien  et  leur  fit  concevoir 
l'architecture  gothique.  Les  Chinois  connurent,  mais  à 
un  moindre  degré  (leur  imagination  ne  se  prêtant  pas 
à  de  si  puissants  écarts),  ce  besoin  de  sensations  esthé- 
tiques multiples,  extrêmes  et  raffinées,  qui  se  traduisit 

I.  Cf.  Edkins,  Chinese  Buddkism,  ch.  xiv. 


L'ARCHITECTURE. 


en   Europe,  aux  xiii^  et  xiv  siècles,  par  la  conception 
grandiose  et  compliquée  des  cathédrales  gothiques. 


PAGODE     D-E     OUAN-CHEOU-CHAN      (pALAIS-    d'ÉtÉ) 
PRÈS      PÉKIN. 


C'est  pour  satisfaire  à  ce  besoin  que  la  Chine 
bouddhique  a  emprunté  à  Plnde  quelques  formes  ar- 
chitecturales différentes  du  type  général  de  construction 
qui  lui  avait  suffi  jusqu'alors.  Les  principales  de  ces 
formes  sont  les  pagodes  ou  fa  et  les  stoupas. 


ii8 


L'ART    CHINOIS. 


Les  pagodes  sont  des  sortes  de  tours  polygonales 
divisées  en  cinq,  sept,  neuf,  onze  et  quelquefois  treize 
étages.  Les  ambassadeurs  persans  de  Chah-Rokh,  qui 
traversèrent  la  Chine  au  commencement  du  xv°  siècle, 
parlent  même  d'une   pagode   à   quinze    étages,   située 


MONASTERE    BOUDDHI  Q.U  E     DES    CINQ_   PAGODES,     OU-T     A-SSE, 
PRÈS      PÉKIN. 


dans  la  ville  de  Kan-tcheou  (province  du  Kan-sou). 
L'idée  qui  a  inspiré  ce  singulier  type  de  construc- 
tion est  une  conception  bouddhique;  les  étages  accumu- 
lés représentent  symboliquement  les  cieux  superposés 
au-dessus  de  la  terre  ou  les  Boddhisatvas  vont  attendre 
rinstant  de  leur  apparition  dans  le  monde  en  qualité  de 
Bouddhas  accomplis.  On  ne  trouve  plus  de  ces  tours 
dans  rinde,  où  elles  ont   été  détruites  lors  des  grandes 


L'ARCHITECTURE. 


119 


STOUrA     DU      PE     t'a-SSE,      A      PEKIN.     XII  l''     SlÈCtE. 


persécutions    brahmaniques;  mais  on   en  a   découvert 


120  L'ART   CHINOIS. 

dans  TAfghanistan,  c'est-à-dire  dans  Tancien  empire 
indo-bactrien,  dont  la  population  a  professé  autrefois 
le   bouddhisme. 

C'est  donc  surtout  dans  la  hauteur,  parfois  exagérée, 
du  monument  que  les  Chinois  ont  cherché  Teffet  archi- 
tectural de  leurs  pagodes;  c'est  dans  le  revêtement  exté- 
rieur de  rédifice  qu'ils  en  ont  cherché  Teffet  décoratif. 

Ce  revêtement  est  tantôt  de  pierre,  tantôt  de  marbre, 
tantôt  de  cuivre,  de  faïence  ou  de  porcelaine.  Telle 
était  la  fameuse  tour  de  porcelaine  qui  s'élevait  prés  de 
Nankin,  dans  le  «  Temple  de  la  gratitude  et  de  la  recon- 
naissance extrêmes  »  [Ta-pao-ngan-sse).  Ce  monument, 
éditié  sous  les  Thsin  au  iv*^  siècle  de  notre  ère,  fut 
presque  entièrement  reconstruit  au  commencement  du 
xv*^  siècle,  sous  l'empereur  Young-lo,  de  la  dynastie 
des  Ming,  et  restauré  encore  en  1664  par  l'empereur 
Khang-hi.  Il  fut  détruit  en  i853,  pendant  la  révolte 
des  Taïpings. 

La  hauteur  totale  de  la  tour  était  d'environ  100  mè- 
tres, et  sa  largeur  à  la  base  de  3o  mètres.  L'édifice  se 
composait  de  neuf  étages  percés  de  niches  extérieures 
qui  étaient  ornées  de  statuettes  bouddhiques.  l<e  revête- 
ment de  chaque  étage  était  fait  de  plaques  de  porcelaine. 

Les  stoiipas  sont  également  d'origine  indienne  et  da- 
tent du  bouddhisme. 

On  en  a  découvert  dans  toutes  les  régions  de  l'Asie 
où  la  doctrine  de  Çakya-Mouni  a  été  florissante,  au 
Népal,  dans  le  Pendjab,  dans  l'Afghanistan,  en  Birma- 
nie ^  La  forme  en  est  très  variable  :  c'est  tantôt  un 

I.  Cf.  Cunningham,  Buddhist  monuments  of  central  Asia. 


L'ARCHITF.CTURE.  121 

cône,  tantôt  une  sorte  de  tour  à  renflements  au  sommet 
de  laquelle  se  détache  une  superstructure  rappelant, 
par  son  profil,  les  coupoles  des  églises  russes.  Le  revê- 
tement qui,  assure-t-on,  était  parfois  jadis  fait  de  pla- 
ques dorées  ou  argentées',  est  de  pierre  nue,  de  terre 
vernissée  ou  de  pierre  sculptée. 

La  destination  primitive  de  ces  monuments  était  la 
conservation  des  reliques  de  Bouddha;  on  y  enfermait 
un  os,  des  cheveux,  un  morceau  de  vêtement,  un  objet 
quelconque  ayant  appartenu  au  divin  Çakya-Mouni. 
Quand  on  n'y  déposait  pas  de  reliques,  la  construction 
prenait  le  nom  de  chi-ti  (en  sanscrit  chaïtyà]  et  n'avait 
alors  d'autre  but  que  de  rappeler  la  naissance  de 
Bouddha,  son  entrée  dans  le  Nirvana  ou  tel  autre  fait 
mémorable  de  sa  vie. 

Les  plus  anciennes  stoupas  furent  élevées  au  vir  siècle 
de  notre  ère.  Le  fameux  religieux  bouddhiste  Hiouen- 
Thsang  en  fit  construire  une  au  midi  de  la  porte  du 
couvent  de  Hong-fo-sse  et  y  enferma  les  livres  et  objets 
sacrés  qu'il  avait  rapportés  de  l'Inde.  La  figure  ci-contre 
représente  la  stoupa  du  Pe-t'a-sse  de  Pékin.  Ce  monu- 
ment date  du  xii"  siècle  ;  mais  la  décoration  n'en  fut 
achevée  qu'en  1271  par  l'empereur  Koubilaï  Khan  :  le 
caractère  indien  en  est  très  frappant. 

Les  temples  taoïstes.  —  Les  temples  de  la  religion 
taoïste  sont  construits  à  peu  près  sur  le  même  modèle 
que  les  temples  dédiés  au  culte  de  Fo.  Les  sectateurs 
de  Lao-tse  ont  ejnprunté  aux  bonzes  la  décoration  in- 
térieure de  leurs  édifices  sacrés,  de  même  qu'ils  leur  ont 

I.  Cf.  Marco  Polo,  ch.  cxxiv. 


122  L'ART    CHINOIS. 

pris  la  représentation  plastique  des  divinités,  Padora- 

tion  des  idoles  et  la  plupart  de  leurs  pratiques  rituelles. 

Les    statues    de     Lao-tse    et   des    huit    immortels 

(voy.  p.  60)  remplacent  celles  de  Bouddha  et  de  ses  dis- 


MOSQ.UEE,      DANS     tA     VILLE     IMPERIALE,      A     PEKIN. 

ciples.  Les  flambeaux,  brùle-parfums  et  autres  objets  du 
culte  portent  les  symboles  du  taoïsme. 

Les  mosquées.  —  Ainsi  que  nous  Pavons  vu  plus  haut 
(p.  74),  le  mahométisme  compte  en  Chine,  à  côté  du 
confucianisme,  du  taoïsme  et  du  bouddhisme,  de  nom- 
breux adeptes,  20  millions  environ. 

De  même  que  pour  les  temples  bouddhiques,  rien 
dans  les  mosquées  chinoises  n^indique  à  Textérieur  Pori- 
gine    étrangère    du    culte   auquel   elles  sont   affectées. 


L'ARCHITECTURE.  123 

Elles  sont  de  style  chinois;  seuls,  quelques  détails 
de  la  décoration  révèlent  la  religion  qu'on  y  professe. 
Des  inscriptions  tirées  du  Coran  et  écrites  en  caractères 
arabes,  ouïgours  ou  turcs-djagataï,  servent  de  motifs 
ornementaux  ;  ces  inscriptions  sont  généralement  les 
mêmes  que  celles  qui  figurent  dans  les  mosquées  de 
l'islam  occidental  :  La  ila  lii  il  allah.  (Il  n'y  a  pas 
d'autre  Dieu  que  Dieu.)  Et  La  ila  la  allaW  a:[ii.  (11  n'y 
a  que  Dieu  qui  soit  infiniment  haut),  etc. 

A  l'intérieur,  les  mosquées  sont  divisées  en  cinq  nefs 
par  trois  rangs  de  piliers  de  bois.  A  l'extrémité  de  la 
nef  centrale  est  le  Mirhab,  ouang-yu-lo. 

Généralement,  il  n'y  a  pas  de  minaret  dans  les  mos- 
quées chinoises;  le  muezzin  annonce  la  prière  à  la 
porte  d'entrée. 

A  côté  de  la  mosquée  proprement  dite  s'élèvent  des 
bâtiments  qui  servent  de  logement  aux  mollahs  [man- 
ia)^ à  l'iman,  au  muezzin  et  au  katib.  Dans  la  même 
enceinte  se  trouve  aussi  une  école  où  les  Jeunes  musul- 
mans qui  se  destinent  au  culte  étudient,  sur  des  textes 
arabes  ou  persans,  les  livres  sacrés  de  leur  religion. 

Les  mosquées,  dont  le  nom  chinois  est  Li-paï-sse 
«  temples  des  cérémonies  rituelles  »,  sont  nombreuses 
dans  l'Empire  du  Milieu.  La  plus  ancienne  est  celle 
du  «  Saint-Souvenir  »,  à  Canton.  Construite  en  629  par 
Saad-ibn-abou-Ouaccas,  oncle  maternel  de  Mahomet, 
qui  vint  prêcher  l'islamisme  en  Chine,  elle  a  été  incen- 
diée en  1341,  réédifiée  peu  de  temps  après,  puis  com- 
plètement restaurée  en  1699. 

On  compte  environ  20,000  familles  mahométanes 
(soit   de    60,000  à  80,000   individus)   et   1 1   mosquées 


124  L'ART    CHINOIS. 

à  I^ékin.  Les  musulmans  de  cette  ville  ont  à  peu  près  le 
monopole  des  boucheries  et  des  bains  publics.  L'en- 
seigne de  leurs  boutiques  est  généralement  surmontée 
d'un  croissant. 


IV 


L    ARCHITECTURE     FUNERAIRE 

Le  principe  d'après  lequel  les  Chinois  ont  construit 
leurs  sépultures  découle  de  Tidée  qu'ils  se  sont  formée 
des  destinées  réservées  à  l'homme  après  la  mort.  C'est 
une  croyance  établie  en  Chine,  depuis  une  très  haute  an- 
tiquité, que,  le  dernier  souffle  expiré,  une  vie  nouvelle 
commence  pour  le  défunt  :  il  subsiste  de  lui  une  sorte 
de  fantôme  réunissant  les  linéaments  de  sa  personna- 
lité physique  et  les  traits  de  sa  physionomie  morale, 
une  ombre  vague,  animée  de  la  vie  indécise  du  rêve, 
une  image  effacée  de  ce  qu'il  a  été  jadis  et  comme  un 
autre  exemplaire  de  son  corps  et  de  son  âme.  Cette  se- 
conde existence  est  conçue  sur  le  type  de  celle  qui  vient 
de  prendre  fin  :  le  mort  est  doué,  dans  la  tombe,  de  sen- 
sibilité; il  connaît  à  nouveau  tous  les  besoins  matériels 
et  intellectuels  d'une  créature  humaine.  De  là  l'impor- 
tance des  rites  funéraires  destinés  à  assurer  la  subsis- 
tance, le  bien-être,  la  dignité  du  mort  dans  les  régions 
mystérieuses  de  l'au  delà. 

En  introduisant  en  Chine,  au  i'"  siècle  de  notre  ère, 
la  croyance  à  un  monde  où  les  actions  d'ici-bas  sont 
jugées,  punies  ou  rémunérées,  le  bouddhisme  n'a  pas. 


L'ARCHITECTURE.  ,25 

semble-t-il,  modifié  les  iJces  générales  que  les  Chinois 


TOMBEAU     D     UN      MANDARIN      DE     RANG     SUPERIEUR 

(D'après  une  peinture  chinoise  du  Département  des  Estampes.) 

tenaient  héréditairement    de  leurs  premiers    ancêtres. 
Ces  idées  subsistent  entières,  aujourd'hui  encore. 


12(5  L'ART    CHINOIS. 

D'après  ces  conceptions,  qui  paraissent  avoir  été'  com- 
munes à  presque  toutes  les  races  primitives,  la  sépul- 
ture chinoise  est  une  demeure,  la  «demeure  éternelle  » 
des  Egyptiens,  où  Ton  enferme  à  la  fois  le  corps  et 
Pâme.  Elle  a  pour  but  d''abriter  le  mort  pendant  son 
existence  immatérielle,  comme  Tabritait  la  maison  qu'il 
possédait  sur  terre  de  son  vivant,  et  surtout  de  défendre 
son  cercueil  contre  le  malheur  irréparable  d'une  pro- 
fanation. Mais,  ce  qui  est  bien  spécial  à  la  race  chi- 
noise, c'est  sa  croyance  aux  influences  secrètes  qu'exer- 
cent sur  la  tranquillité  et  le  bonheur  du  mort  la  confi- 
guration du  terrain  où  il  repose,  la  direction  des  cours 
d'eau  voisins,  la  situation  des  astres  dans  le  ciel  au  jour 
de  ses  funérailles,  les  fluides  magnétiques  qui  traver- 
sent le  sol  à  proximité  de  sa  tombe,  etc.  L'effet  de  ces 
influences  ne  peut  être  rendu  propice  au  défunt  que 
par    l'intervention   des  géomanciens    du    Fong-choui. 

Aussi,  la  première  règle  à  suivre  pour  l'édification 
d'une  tombe  est-elle  de  consulter  le  Fong-choui 
(voy.  p.  94);  les  géomanciens  officiels  peuvent  seuls  in- 
diquer, d'après  le  Tsang-chou^,  «  livre  des  funérailles  », 
l'emplacement  et  l'orientation  à  donner  à  la  sépulture, 
de  telle  sorte  qu'aucune  étoile  ni  planète,  aucun  élé- 
ment terrestre,  aucun  courant  magnétique,  aucun 
souttie,  aucune  vapeur,  aucune  configuration  fâcheuse 
d'une  colline  ou  d'un  cours  d'eau  ne  puisse  troubler 


I.  Le  Tsang-chou,  attribué  à  Ko-po,  est  le  livre  classique  du 
Fong-choui.  Cet  ouvrage  fut  composé  probablement  au  vu*  siècle 
ap.  J.-C,  quoique  les  géomanciens  chinois,  pour  en  accroître 
l'autorité,  aient  cherché  à  lui  attribuer  une  origine  beaucoup 
plus  reculée. 


L'ARCHITECTURE.  127 

le  mort  dans  le  monde  mystérieux  où  il  va  vivre  sa 
seconde  vie. 

On  retrouve,  pour  les  constructions  funéraires,  une 
réglementation  officielle  analogue  à  celle  qui  régit 
l'architecture  civile;  les  inégalités  sociales  se  continuent 
après  la  mort  et  chacun  reste  à  sa  place  hiérarchique. 

Sous  la  dynastie  des  Tcheou  (ii34  av.  J.-C),  les 
morts  des  classes  inférieures  étaient  enterrés  dans  les 
plaines,  les  princes  sur  des  collines  de  peu  d'élévation, 
les  empereurs  sous  un  tumulus  édifié  sur  le  sommet 
des  hautes  montagnes.  La  tête  du  mort  était  tournée 
vers  le  nord. 

Le  tumulus  élevé  sur  les  tombeaux,  qui  dans  le 
principe  était  réservé  aux  sépultures  impériales,  fut 
adopté,  vers  le  vni*^  siècle,  par  les  gens  du  peuple.  Con- 
fucius  protesta  contre  cette  dérogation  aux  traditions 
primitives;  il  finit  pourtant  par  s'y  soumettre  :  à  l'en- 
terrement de  sa  mère,  il  consentit  à  laisser  élever  un 
tertre  sur  la  tombe,  mais,  dit-on,  cette  construction 
était  à  peine  achevée  qu'il  survint  une  grande  pluie  qui 
fit  ébouler  la  terre  et  nivela  le  sol  \ 

I.  Nulle  part  plus  qu'en  cette  matière  nous  n'avons  eu  à 
regretter  l'insuffisance  des  connaissances  critiques  que  l'on  pos- 
sède sur  la  Chine  ancienne.  Quelles  étaient  au  juste  les  idées  des 
Chinois  sur  la  mort,  dans  les  premiers  siècles  de  leur  histoire^ 
Quel  était  le  sens  précis  des  divers  symboles  funéraires.'  Dans 
quelle  mesure  les  doctrines  de  Confucius  et  de  Lao-tse  ont-elles 
modifié  les  croyances  primitives  et,  par  suite,  l'expression  plas- 
tique qu'elles  avaient  revêtue .'  En  quoi  la  tombe  de  l'époque  des 
Chang  (1783-1 134  av.  J.-C.)  différait-elle  de  celle  du  temps  des 
Thsin  (255-206  av.  J.-C.)  ?  Ici,  comme  sur  bien  d'autres  points, 
on  ne  saisit  que  l'ensemble  et  les  rapports  de  similitude;  les  dif- 
férences sont  impossibles  à  marquer. 


128  L'ART    CHINOIS. 

Cependant,  d'importantes  différences  ont  été  main- 
tenues entre  les  sépultures  des  diverses  classes  de  TEtat, 
et  elles  sont  strictement  observées. 

Les  tombes  impériales   nous   présentent  le   type  le- 
plus  complet  de  la  sépulture  chinoise.  Elles  se  com- 


ARC     DE      PIERRE/    A     l'eNTRÉE     DE     LA     SEPULTURE      DES      MIN  G 
(XV*     SIÈCLE). 


posent  de  deux  parties  distinctes:  le  tombeau,  les 
temples  qui  Tentourent. 

Le  tombeau,  proprement  dit,  est  un  caveau  creusé 
dans  un  tertre  ou  sur  le  flanc  d'une  colline  :  un  long 
corridor  voûté  y  conduit,  la  porte  en  est  murée  dès  que 
le  cercueil  y  a  été  déposé. 

Les  temples  sont  disposés  en  avant  du  tertre;  on  y 
célèbre  les  cérémonies  funéraires  devant  une  tablette 
où  est  gravé,  en  caractères  d'or,  le  nom  du  défunt. 

Les  révolutions  dynastiques  qui  ont  été  si  fré- 
quentes en  Chine  ont  détruit,  à  peu  d'exceptions  près, 


L'ARCHITECTURE. 


129 


toutes  les  sépultures  impériales  *,  et  nous  ne  pouvons 
nous  faire  que  par  des  des- 
criptions ou  des  dessins  l'idée 
de  la  magnificence  qu'on 
avait  déployée  pour  les  édi- 
fier. Les  empereurs  mongols, 
qui  régnèrent  de  1260  à  i368 
ap.  J.-C,  s'appliquèrent  par- 
ticulièrement à  ne  laisser 
subsister  aucun  tombeau  qui 
perpétuât  le  souvenir  des  dy- 
nasties précédentes.  Ce  fut  au 
contraire  l'honneur  des  Ming 
de  faire  restaurer,  dès  leur 
avènement  au  trône,  les  mo- 
numents funéraires  des  prin- 
cipaux souverains  de  la 
Chine.  Une  trentaine  de  sé- 
pultures ont  été  ainsi  recon- 
struites. 

Les  tombeaux  que  les 
Ming  se  sont  élevés  à  eux- 
mêmes  se  voient  encore  aux 
environs  de  Pékin%  dans  une 
large  vallée  déserte,  qui  s'é- 
tend au  pied  de  la  Grande 
Muraille.  Des  temples  en- 
fouis sous  la  verdure  sont  groupés  devant  chaque  sé- 
pulture qui  est  creusée  dans  les  parois  mêmes  des  col- 

1.  Cf.  Mémoires  concernant  les  Chinois,  II,  556. 

2.  Les  deux  premiers  emoereurs  de  cette  dynastie  ont  été  en- 


PLAN      DE      LA     SÉpULTURE 

DE      l'empereur    YOUNO-tO, 

DE      LA      DYNASTIE 

DES      MING,      PRÈS      PEKIN. 

XV'=     SIÈCLE. 


L  ART    CHINOIS. 


ijo  LART    CHINOIS. 

lines  formant  renceinte.  A  Tentrée  de  la  vallée,  un  arc 
de  pierre  sculpte'e  et  une  large  chaussée  dallée,  que  bor- 
dent des  statues  gigantesques  d'hommes  et  d'animaux 
(voy.  p.  141),  forment  une  avenue  monumentale  con- 
duisant à  la  nécropole  impériale.  Les  sépultures  de  la 
dynastie  actuelle  des  Thsing,  qui  succéda  en  1643  à 
celle  des  Ming,  s'élèvent  aussi  à  peu  de  distance  de 
Pékin;  elles  sont  du  même  style  que  celles  des  Ming. 

Les  tombeaux  des  particuliers  sont  construits  avec 
moins  de  luxe  et  de  développement  que  ceux  des  Em- 
pereurs ;  mais  la  même  idée  a  présidé  à  la  conception 
de  l'ensemble  et  à  la  disposition  des  parties.  Les  per- 
sonnages d'un  rang  élevé  dans  l'Etat  sont  toujours  en- 
terrés à  la  campagne  :  le  tertre  qui  recouvre  leur  cercueil 
est  situé  au  milieu  d'un  jardin;  un  petit  temple  ou  un 
simple  autel  abrité  sous  un  fing  est  construit  près  de 
l'entrée,  à  l'intérieur  de  l'enclos  funèbre.  Des  dalles  de. 
marbre,  où  sont  gravées  des  sentences  morales  ou  des 
prières  bouddhiques,  se  dressent,  en  avant  de  la  tombe, 
sur  des  tortues  de  pierre  sculptée,  symboles  de  félicité 
éternelle. 

Les  prêtres  bouddhistes  se  font  enterrer  générale- 
ment sous  une  stoiipa,  les  musulmans  sous  un  massif 
de  maçonnerie  ayant  la  forme  trapézoïdale. 

Les  tombes  populaires  se  composent  d'un  simple 
tumulus  devant  lequel  est  placée  verticalement  une 
pierre  portant  quelque  emblème  d'heureux  augure  ou 
une  courte  prière. 


terrés  près  de  Nankin  :  la  capitale  des  Ming  n'a  été  transférée  à 
Pékin  qu'en  1410  par  l'empereur  Young-lo. 


LA   PIERRE    SCULPTEE 

Il  n'est  pas  d'art  en  Chine  dont  les  origines  soient 
plus  obscures  que  celui  de  la  pietve  sculptée. 

Et  cependant  ces  origines  ne  semblent  pas  fort  re- 
culées :  suivant  toute  vraisemblance,  elles  ne  remontent 
pas  plus  haut  que  le  ni"  ou  le  iv"  siècle  avant  notre  ère. 

D'ailleurs,  les  monuments  qui  subsistent  sont  peu 
nombreux.  La  sculpture  ayant  toujours  été  comprise 
en  Chine  comme  l'accessoire  de  l'architecture,  et  par- 
ticulièrement de  l'architecture  funéraire,  les  œuvres 
des  statuaires  ont  presque  toutes  disparu  avec  les  édi- 
fices qu'elles  avaient  pour  but  de  décorer.  Nous  avons 
vu,  en  effet,  au  chapitre  de  l'architecture,  qu'à  plusieurs 
époques  des  dynasties  nouvellement  élevées  au  trône 
avaient  ordonné  la  destruction  de  tous  les  monuments 
rappelant  le  passé,  palais,  tours,  arcs  et  portiques, 
temples  et  tombeaux. 

Les  rares  spécimens  sculpturaux  qui  ont  échappé  à 


lyi  L'ART    CHINOIS. 

Taction  combinée  des  hommes  et  du  temps  ont  été  notés 
et  reproduits  dans  un  ouvrage  fort  curieux,  le  King- 
che-so,  «  Penchaînement  des  métaux  et  des  pierres  ». 
Cet  ouvrage,  sorte  de  Corpus  inscriptiomim,  contient, 
par  ordre  chronologique,  le  texte  ou  la  représentation 
figurée  des  plus  anciennes  inscriptions  et  sculptures 
de  la  Chine  :  il  fut  composé  au  xviir  siècle. 

Le  monument  le  plus  ancien  signalé  par  le  King- 
che-so  est  une  série  de  dix  bas-reliefs  décorant  un 
palais  situé  à  Hiao-t'ang-chan,  dans  la  province  du 
Chan-tong.  La  date,  authentiquement  constatée  sur 
le  monument  même,  est  celle  du  ii*  siècle  avant  notre 
ère.  L^aspect  très  archaïque  de  ces  sculptures  témoigne 
d^un  art  tout  à  fait  primitif  et  ne  permet  guère  de  faire 
remonter  à  plus  d^un  ou  deux  siècles  auparavant  Tori- 
gine  de  la  sculpture  sur  pierre  en  Chine. 

Les  figures  représentées  sur  ces  dix  pierres,  qui 
semblent  monolithiques,  sont  sculptées  en  bas-relief, 
non  pas  d'après  le  procédé  de  la  sculpture  grecque  où 
le  sujet  s'enlève  sur  le  parement  du  fond,  mais  d'après 
le  procédé  qui  consiste  à  tenir  la  surface  des  figures 
dans  le  môme  plan  que  le  champ,  en  les  cernant  sim- 
plement d'un  contour  creux  à  angles  émoussés.  Dès 
lors,  il  n'y  a  plus  de  modelé,  il  ne  reste  qu'une  sil- 
houette. C'est  le  procédé  employé  par  presque  tous  les 
sculpteurs  des  époques  primitives  et,  pour  ne  citer 
qu'un  exemple,  par  les  artistes  égyptiens  dans  la  déco- 
ration du  Ramesséum  et  du  grand  temple  de  Médinet- 
Abou^ 

I.  Cf.  Perrot,  Hist.  de  l'art  dans  Vantiquité,  I,  ySS. 


LA    P  I  E  R  R  i:    S  C  U  L  P  T  li  E. 


m 


BAS-RELIEF      DE     H  I  A  O  ■  T  '  A  N  G  -  C  H  A  N  .     II"     SIÈCLE     AV.      J.-C. 


Les  sujets  représentés  sont  tantôt  historiques,    tan 


i}+  L'ART   CHINOIS. 

tôt  légendaires.  Ainsi,  pour  la  décoration  du  bas- 
relief  qui  est  reproduit  ci-dessus,  le  sculpteur  s'est 
inspiré  d'un  ouvrage  datant  du  iv=  siècle  avant  notre 
ère,  le  Chan-haï-king,  «  Livre  des  montagnes  et  des 
mers  »,  où  sont  décrits  des  régions  merveilleuses,  des 
mondes  fantastiques. 

Il  y  a,  dans  un  de  ces  pays,  un  peuple  d'hommes 
qui  ont,  de  naissance,  un  trou  dans  la  poitrine;  quand 
ils  veulent  se  faire  porter,  on  leur  passe  à  travers  le 
corps  une  hampe  de  bambou  et  deux  esclaves  les  em- 
portent sur  leurs  épaules. 

Sur  une  autre  façade  du  monument,  l'artiste  a  traité 
une  scène  d'histoire  :  Tcheou-Koung,  régent  de  l'em- 
pire pendant  la  minorité  de  son  neveu  Tching-Ouang 
(iiio  av.  J.-C),  reçoit  les  envoyés  du  roi  des  Yue- 
tchang-che  (voy.  p.  i35).  Ce  peuple  habitait  l'Indo- 
Chine  et  était  renfermé  à  peu  près  dans  les  limites  de 
l'Annam  actuel.  Les  anciens  auteurs  chinois  rappor- 
tent que  ces  ambassadeurs  offrirent  à  la  cour  de  Chine 
des  éléphants  et  des  faisans  blancs  et  que,  pour  leur 
retour,  Tcheou-Koung  leur  fit  présent  de  «  chars  qui 
montraient  le  Sud  ».  On  a  voulu  voir  dans  ces  chars 
magnétiques  la  première  application  des  principes  de 
la  boussole  ^ 

Parmi  les  sculptures  appartenant  à  la  même  dynastie, 
nous  trouvons,  dans  le  King-che-so,  un  ensemble  de 
bas-reliefs  décorant  «  le  temple  des  ancêtres  Ou- 
leang-tse,  au  pied  de  la  montage  Tse-yun-chan,  à 
26//  (environ    12  kilomètres)  au  sud    de    Kia-tsiang- 

I.  Cr.  Pauthier,  Chine  ancienne,  p.  87. 


LA    PIERRK    SCULPTER. 


'3$ 


hien,  dans  la  provii>ce  du  Chan-tong*  ».  Ces  œuvres, 
bien  que   portant   la  date  authentique   des  Han,  sont 


BAS-RELIEF     DE     HIAO-TANG-CHAN. 


ri^     SIECLE     AV.     J.-C- 


évidemment  postérieures,    par    le  style  et  le  caractère 


I.  Ces  sculptures  existent  encore,  en  parfait  état  de  conser- 
vation. Un  voyageur  anglais  les  a  vues,  en  décembre  iS86.  Cf.  The 
Chinese  recorder,  xviii;  3. 


ij6  L'ART   CHINOIS. 

de  Texécution,  à  celles  de  Hiao-t'ang-chan  et  furent 
sculptées  sans  doute  sous  les  derniers  souverains  de 
cette  dynastie,  c'est-à-dire  vers  le  ii^  siècle  après  J.-C. 
Les  sujets  traites  appartiennent  également  soit  à  la 
légende,  soit  à  Thistoire. 

A  en  juger  par  ces  spécimens,  la  sculpture  chinoise, 
du  ir  siècle  avant  J.-C.  jusqu'au  iii^  siècle  après  J.-C, 
en  était  encore  aux  premières  formules  de  l'art  plasti- 
que, aux  procédés  et  aux  conventions  qui  caractérisent 
chez  tous  les  peuples  la  sculpture  archaïque. 

De  là  vient  sans  doute  la  ressemblance  qu'offrent, 
à  première  vue,  quelques-unes  des  œuvres  reproduites 
dans  le  King-che-so  avec  certains  bas-reliefs  de  l'art 
chaldéo-assyrien.  Il  y  a  entre  telle  sculpture  de  Hiao- 
t'ang-chan  et  tel  fragment  de  Khorsabad  un  air  de  pa- 
renté qui  pourrait  faire  croire  à  une  communauté  d'ori- 
gine et  d'inspiration,  si  le  contrôle  des  dates  n'interdi- 
sait un  pareil  rapprochement.  Nous  avons  cru  pouvoir 
admettre,  en  effet,  que  des  influences  venues  de  la 
Ghaldée,  de  la  Susiane  ou  de  l'Assyrie,  s'étaient  exer- 
cées jadis  sur  l'architecture  chinoise.  Mais  les  monu- 
ments où  ces  influences  étaient  saisissables  remontaient 
authentiquement  au  x«  siècle  avant  notre  ère,  c'est- 
à-dire  à  une  époque  où  les  civilisations  de  Ninive  et 
de  Babylone  étaient  encore  vivantes  et  florissantes.  En 
ce  qui  concerne  les  sculptures  chinoises,  au  contraire, 
les  plus  anciennes  qui  nous  soient  connues  ne  sont 
certainement  pas  d'une  date  antérieure  au  ir  siècle 
av.  J.-C.  Or  Ninive  était  détruite  alors  depuis  plus  de 
400  ans,  et  Suse  était  un  monceau  de  ruines;  quant  à 
Babylone,  nous  savons  qu'elle  était  déserte  lorsque  Stra- 


LA    PIERRE    SCULPTEE. 


«J7 


bon  la  visita,  précisément  à  l'époque  où  les  Han  ré- 
gnaient en  Chine.  Notons,  en  outre,  que  si  les  artistes  de 
TEmpire  du  Milieu  avaient  cherché  à  imiter  les  œuvres 


>A  s- RELIEF     DE     HIAO-t'ANCCHAN. 


il  i;CL  E     AV.     J.  -c. 


chaldéo-assyriennes,  il  est  vraisemblable  quMls  auraient 
essayé  de  copier  les  sculptures  savantes  de  la  période 
classique,  celles  du  palais  d'Assourbanipal,  par  exemple, 
et  non  les  œuvres  imparfaites  de  Tépoque  archaïque.  Au- 
cun texte  d'ailleurs,  dans  les  auteurs  chinois,  n'indique 
cette  source  d'inspiration.  Dans  ces  conditions,  et  tant 


ij8  L'ART   CHINOIS. 

que  l'archéologie  de  l'Empire  du  Milieu  ne  sera  pas 
établie  sur  des  documents  plus  nombreux,  plus  anciens 
et  mieux  critiqués,  il  nous  paraît  impossible  d^admet- 
tre  que  la  sculpture  chinoise  procède  de  celle  qui,  cinq 
ou  six  siècles  auparavant,  était  arrivée  à  son  complet 
développement,  à  Toccident  de  PAsie. 

Les  caractères  communs  que  présentent  certaines 
figurations  plastiques  de  ces  deux  civilisations,  qui 
furent  si  éloignées  dans  le  temps  comme  dans  Tespace, 
proviennent  de  cette  loi  qui  impose  à  tous  les  arts 
naissants  les  mêmes  procédés  et  les  mêmes  conventions, 
parce  que,  dans  son  inexpérience,  Tesprit  humain,  à 
son  éveil,  est  soumis  aux  mêmes  conditions,  a  partout 
les  mêmes  ressources  et  les  mêmes  exigences  expres- 
sives. En  tout  pays,  en  effet,  Tartiste  placé  pour  la  pre- 
mière fois  en  présence  de  la  forme  vivante  qu'il  veut 
reproduire,  rencontre  les  mêmes  obstacles.  La  transfor- 
mation en  une  image  plane  de  la  vision  réelle  et  palpa- 
ble qu'il  a  dans  les  yeux,  les  effets  de  la  perspective, 
ceux  des  ombres  et  de  la  lumière,  la  réduction  ou 
l'agrandissement  proportionnels  de  toutes  les  parties  du 
modèle,  cent  autres  considérations  encore  l'embarras- 
sent, sinon  l'arrêtent  à  ses  débuts.  De  là,  une  série  de 
conventions  et  d'artifices  formant  un  minimum  indicatif 
dont  toutes  les  civilisations  archaïques  se  sont  conten- 
tées. 

Et  d'abord,  c'est  presque  toujours  de  profil  que  la 
figure  humaine  a  été  reproduite  :  la  silhouette  est,  en 
effet,  nette  et  aisément  saisissable.  Aussi,  presque  tous 
les  personnages  des  bas-reliefs  du  Chan-tong  sont 
aperçus  de  côté.    La  représentation  des  deux  moitiés 


LA    PIERRE    S  C  a  L  P  T  t;  E. 


'39 


symétriques  de  la  face  est  trop  difficile  encore  :  on  ne  la 
tente  que  pour  le  personnage  principal  du  sujet,  pour 
le  roi  ou  pour  la  figure  qui  est  le  centre  de  la  compo- 
sition. Souvent  aussi,  comme  dans  les  bas-reliefs  égyp- 
tiens, Poeil  est  dessiné  de  face  dans  un  visage  de  pro- 
fil :  le  raccourci  de  Toeil  vu  de  côté  est  trop  compliqué 
à  rendre.  Les  animaux  sont  représentés  également  de 


■REIIEF     DE      OU-LEANG-TSE. 


Il''      SIÈCLE     A  P.      J.-C. 


profil;  mais  quelques  têtes  de  chevaux  sont  traitées  de 
face,  le  corps  restant  de  côté.  De  même  encore,  lorsque 
le  sculpteur  chinois  veut  montrer  un  ensemble  de  per- 
sonnes ou  d^objets  disposés  sur  un  plan  horizontal,  il 
les  superpose  verticalement.  Cependant  il  y  a  çà  et  là 
quelques  essais  heureux  de  perspective  :  ainsi,  dans  les 
attelages  du  cortège  du  grand  Roi.  Comme  les  Egyp- 
tiens et  les  Assyriens  aussi,  Tartiste  chinois,  pour  mar- 
quer la  supériorité  hiérarchique  ou  morale  d'un  person- 
nage dans  sa  composition,  lui  a  généralement  attribué 


140  L'ART   CHINOIS. 

une  taille  plus  haute,  une  plus  large  stature  qu'à  ceux 
qui  l'entourent. 

Il  n'y  a  pas  d'expression  dans  les  physionomies  : 
les  sentiments  des  personnages  ne  se  traduisent  que  par 
les  gestes.  Enfin,  il  y  a  peu  de  variété  dans  les  attitu- 
des, elles  sont  indéfiniment  répétées. 

On  constate  dans  toutes  ces  œuvres  primitives  une 
ignorance  absolue  du  corps  humain,  de  ses  propor- 
tions, de  son  modelé,  de  sa  beauté  formelle.  Les  artistes 
chinois  n'ont  pas  la  vision  nette  de  la  forme  nue;  non 
pas  qu'ils  n'aient  occasion  de  la  voir,  les  gens  du  peu- 
ple vivant  et  travaillant  presque  sans  vêtement  pendant 
les  chaleurs  accablantes  des  étés  de  Chine,  mais  sans 
doute  parce  que  le  sens  plastique  leur  fait  défaut.  Ce- 
pendant les  animaux,  les  chevaux  principalement,  sont 
assez  bien  saisis  dans  leur  physionomie  particulière, 
dans  leur  attitude  ou  leur  allure. 

Nous  arrivons  enfin  au  fait  capital  de  l'histoire  de 
l'art  en  Chine  :  l'introduction  du  bouddhisme.  Nous 
avons  vu,  au  chapitre  précédent,  l'influence  considé- 
rable que,  du  vr  au  vu*  siècle  après  J.-C,  l'introduction 
de  cette  religion  et  l'importation  des  statues  sacrées  de 
l'Inde  avaient  eue  sur  l'art  du  bronze.  A  l'origine, 
cette  influence  ne  fut  pas  moindre  sur  la  sculpture  lapi- 
daire. 

Il  semble,  en  effet,  que  les  idoles  bouddhiques  rap- 
portées du  Népal  et  du  Pendfab  parles  pèlerins  chinois 
inspirèrent  aux  sculpteurs  de  l'Empire  du  Milieu  leurs 
premières  statues.  Jusque-là,  ils  n'avaient  traité,  dans 
la  pierre,  que  le  bas-relief,  et  un  bas-relief  sans  saillie, 
sans  modelé  :  ils   ne  s'étaient  pas  essayés  à   la  ronde 


LA    PIERRE   SCULPTF:e. 


141 


bosse,  qui  dégage  complètement  et  affranchit,  pour 
ainsi  dire,  Teffigie  de  sa  paroi  de  pierre;  ils  n'avaient 
pu  s'élever  Jusqu'à  la  statue. 

C'est  ainsi  que  les  plus  anciennes  statues  qui  soient 
connues  en  Chine  sont  la  représentation    des  divinités 


STATUES     D     ANIMAUX. 

Avenue  conduisant  à  la  sépulture  des  Ming,  près  Pékin.  —  xve  siècle. 


bouddhiques.  Telles  sont  les  deux  idoles  gigantesques 
que  l'on  voit  encore  à  Hang-tcheou  et  à  Sin-tchang, 
dans  la  province  du  Tche-kiang.  Sculptées  dans  le  roc, 
dont  llles  se  détachent  presque  entièrement,  elles  me- 
surent, Pune  40  pieds  et  Tautre  70.  Toutes  deux  datent 
de  la  fin  du  vnr  siècle.  L'élévation  de  ces  statues  nous 
donne  lieu  de  croire  qu'elles  représentent  non  pas 
Çakya-Mouni,    dont    la    taille    traditionnelle    est    de 


1+2  L'ART    CHINOIS. 

i6  pieds,  mais  Maitreya,  le  Bouddha  à  venir,  qui  aura 
60  pieds  de  haut  quand  il  apparaîtra,  dans  trois  mille 
ans,  pour  rappeler  au  monde  les  prédications  oubliées 
du  divin  Çakya. 

Ces  deux  figures,  assez  grossièrement  taillées  et  mal 
proportionnées  dans  leurs  formes,  ont,  dit-on,  une  cer- 
taine grandeur,  une  majesté  calme  et  sereine  où  se 
reflète  vaguement  la  mansuétude  infinie  du  Dieu  à  naître. 

Les  œuvres  de  cette  dimension  sont  assez  rares  en 
Chine  :  elles  sont  d'inspiration  directement  indienne 
et  ont  été  exécutées  généralement  vers  les  viiie  et  ix'  siè- 
cles de  notre  ère,  c'est-à-dire  dans  le  temps  des  grands 
pèlerinages  bouddhiques. 

Les  artistes  chinois  continuèrent  ainsi  pendant 
quelque  temps  de  reproduire,  de  copier  servilement  les 
idoles  que,  dans  Tardeur  de  leur  foi  nouvelle,  les 
croyants  des  premiers  jours  étaient  allés  chercher  sur 
les  bords  de  Tlndus  et  du  Gange. 

Mais,  par  un  singulier  contraste,  Faction  du  boud- 
dhisme, qui  fut  si  puissante  sur  Part  du  bronze,  qui 
renouvela  le  génie  des  ciseleurs  chinois,  qui  leur  in- 
spira des  œuvres  si  libres,  si  hardies  et  si  sincères,  — 
s'arrêta  net  dans  la  sculpture  lapidaire,  et  la  statuaire 
de  pierre  en  demeura  toujours  à  la  première,  étape  de 
son  développement.  En  même  temps,  la  production 
cessait  et  c'est  à  peine  si  nous  avons  quelques  œuvres  à 
signaler.  Qu'on  regarde  les  statues  de  la  grande  avenue 
qui  conduit  aux  tombeaux  des  Ming  (1420)  ou  de  celle 
qui  mène  aux  sépultures  des  Thsing  (1644),  qu'on  étu- 
die les  bas-reliefs  qui  ornent  les  arcs  de  triomphe,  les 
pagodes  et  quelques  temples,  palais  ou  tombes  de  Pékin, 


LA    PIERR  E    SCU  LPT1:  E.  I4J 

la  même  impression  se  dégage,  celle  d'un  tirt  incom- 


STATUEDEMANDARIN. 

Avenue  conduisant  à  Li  sépulture  des  Ming,  près  Pékin.   —  xv<  siècle. 

plet,  sans  élévation,  sans  idéal  et  sans  fantaisie,  inca- 
pable dMnterpréter  les  formes  de  la  vie  physique  et  les 
aspects  de  la  vie  morale,  indifférent  à  la  beauté  plas- 
tique ou  impuissant  à  la  dégager.  Il  faut  peut-être  cher- 


14+  L'ART    CHINOIS.. 

cher  la  cause  de  cette  décadence  prématurée  de  la  sta- 
tuaire dans  la  conception  toute  particulière  que  les  Chi- 
nois se  font  de  la  personnalité  humaine.  Les  traits  phy- 
siques d'une  créature  vivante  leur  importent  peu  quand 
ils  veulent  la  représenter  ou  en  éveiller  Tidée  ;  avec  une 
imagination  tout  abstraite,  ils  estiment  que  leur  écri- 
ture, dont  les  milliers  de  caractères  représentent,  comme 
Ton  sait,  non  des  sons,  mais  des  idées  et  des  nuances 
d'idées,  est  un  procédé  supérieur  à  tous  les  arts  pour 
exprimer  l'ensemble  de  qualités  et  de  particularités  qui 
constitue  une  personne.  Et  c'est  ainsi  que  la  Salle 
des  Ancêtres,  que  l'on  trouve  dans  chaque  palais  et 
dans  chaque  maison  particulière,  présente  aux  yeux  des 
descendants  non  pas  une  série  de  bustes  de  marbre  ou 
de  bronze,  comme  les  effigies  funéraires  de  l'antiquité 
gréco-latine,  mais  une  collection  de  planchettes  de  bois 
noir  sur  chacune  desquelles  est  gravé  en  caractères  d'or 
le  nom  symbolique  du  défunt. 

Même  lorsqu'il  s'est  agi  de  représenter  les  animaux, 
dont  les  sculptures  primitives  ont  cependant  toujours 
aimé  à  reproduire  les  formes  franches,  nettement  saisis- 
sables,  plus  faciles  à  observer  et  à  rendre  que  les  mode- 
lés complexes  du  corps  et  du  visage  humains,  les 
sculpteurs  chinois  sont  restés  au-dessous  du  médiocre. 
En  visitant  nous-meme  les  tombeaux  des  Ming,  près 
de  Péki'n,  et  en  voyant  les  statues  d'animaux  que  nous 
reproduisons  ci-contre,  nous  nous  rappelions  involon- 
tairement les  effigies  si  puissantes,  si  personnelles  et  si 
expressives  des  lions,  des  chevaux  et  des  onagres  dont 
la  sculpture  assyrienne  décorait  ses  palais  royaux,  et  ce 
souvenir   nous  révélait  combien  le  génie  plastique   a 


LA    PIEKK  E    SCULPTEE. 


«4$ 


manqué  aux  Chinois,  puisque,  entres  dans  la  civilisa- 
tion vers  le  même  temps  que  PAssyrie,  ils  n'ont  jamais 
pu  se  hausser,  dans  la  statuaire,  jusqu'au  point  ou  les 
artistes  primitifs  de  Ninive  s'étaient  élevés  d'instinct 
et  presque  au  premier  effort,  vingt-cinq  siècles  aupa- 
ravant. 


BAS-RELIEF    DE    HIAO-t'anG-CHAN      —    11'    SIÈCLE    A  P.    J.-C. 


l'art    chinois. 


LE    BOIS   ET    L'IVOIRE    SCULPTES 


LE    BOIS    SCULPTE 

Il  ne  semble  pas  que  la  sculpture  sur  bois  ait  été 
pratiquée  en  Chine  d'une  façon  artistique  avant  le 
H*"  siècle  de  notre  ère.  Ici  encore,  comme  dans  tant 
d'autres  branches  de  l'art  chinois,  c'est  à  l'introduc- 
tion du  bouddhisme  et  à  l'importation  des  œuvres  in- 
diennes qu'il  convient  d'attribuer  l'origine  delà  trans- 
formation opérée  dans  une  industrie,  sans  doute  très 
ancienne,  mais  qui  n'avait  jamais  produit  que  des  œu- 
vres sans  valeur  esthétique.  Nous  avons  vu  ailleurs  que 
parmi  les  objets  sacrés  rapportés  de  l'Inde  par  les  pèle- 
rins chinois,  qui,  du  in®  au  vin'"  siècle,  allaient  s'y  ins- 
truire dans  la  doctrine  du  Bouddha,  figuraient,  en  grand 
nombre,  des  statues  de  bois  représentant  le  divin 
Cakya  et  tout  son  cortège  de  dieux,  de  déesses,  d'as- 
cètes et  de  personnages  mystiques. 

On  reproduisit,  par  la  suite,  ces  modèles  religieux, 
et  bientôt  la  sculpture  sur  bois,  profitant,  pour  ainsi 
dire,  des  progrès  que  réalisaient  les  autres  arts  plasti- 
ques, parvint  à  un  degré  très  élevé  dans  la  série  des 
arts  industriels. 


LE   BOIS    ET    L'IVOIKE    SCULPTKS, 


147 


L'extrême"  rareté  des  bois  sculptés  qui  sont  paivenus 
Jusqu'à  nous  impose  une  grande  réserve  dans  la  cri- 


STATUETTE     DE      BOIS     SCULPTE 

(Collection  de  M.  S.  Bing.) 


tique  de  cette  branche  de  l'art  chinois.  Cependant  quel- 
ques pièces  attestent  une  telle  perfection  de  travail,  un 
style  si  caractérisé,  qu'on  est  obligé  de  croire  à  la  con- 


1^8  L'ART   CHINOIS. 

tinuité   d'une    tradition,    à   une    suite    d'œuvres   dont 
quelques  spécimens  seuls  ont  survécu. 

Telle  est,  par  exemple,  la  statuette  qui  est  figurée 
ci-contre  (p.  147).  C'est  un  personnage  glabre,  tête 
nue,  vêtu  d'une  robe  large  et  sans  ornements  :  il  est 
assis  dans  une  pose  négligée  et  tient  un  rouleau  de 
papier  dans  sa  main.  L'attitude  et  la  physionomie  sont 
d'un  naturel  parfait,  d'une  étonnante  réalité;  la  sta- 
tuette a  la  sincérité  d'un  portrait.  On  songe,  en  la  regar- 
dant, au  scribe  égyptien  du  Musée  du  Louvre,  au 
Cheik-el-béled  du  Musée  de  Boulaq.  On  y  trouve  le 
même  caractère  de  vérité,  on  est  saisi  par  le  même 
accent  dévie;  l'exécution  est  d'une  largeur,  d'une  sû- 
reté, d'une  décision  magistrales. 

A  quelle  époque  faut-il  attribuer  cette  statuette  ?  Un 
détail  —  la  tête  rasée  du  personnage  —  donnerait  lieu 
de  croire  qu'elle  date  de  la  dynastie  actuelle,  par  qui 
cet  usage  fut  imposé  (1644),  Mais  le  style  est  d'une  fer- 
meté et  d'une  sobriété  qu'on  ne  retrouve  plus  guère 
après  les  Ming. 

Les  bois  employés  par  les  Chinois  pour  la  sculpture 
sont  le  bambou,  les  bois  de  tek,  de  cèdre  et  de  cam- 
phrier, le  bois  de  santal  et  de  rose,  le  bois  de  fer  et  le 
bois  dur. 

Le  bambou  est  commun  dans  tout  l'extrême  Orient. 
On  en  travaille  soit  la  tige,  qui  est  lisse  et  droite,  soit 
les  racines,  qui  sont  noueuses,  contournées  et  à  fibre 
compacte.  La  nature  même  de  ce  bois,  dont  l'intérieur 
est  creux,  ne  permet  pas  d'attribuer  aux  objets  qu'on  en 
fabrique  une  grande  variété  de  formes.  On  en  fait  prin- 
cipalement  des  pi-tong^   «  étuis  à   pinceaux  »,  et  des 


LE    BOIS    ET    L'IVOIRE    SCULPTKS. 


'49 


t 


appuis-maiii  pour  écrire.  Ces  pi-tong  sont  des  sortes 

de  cylindres  formés  par  la  section 

normale  de  la  tige  du  bambou,  à 

douze  centimètres  au-dessus  et  à 

un  ou  deux  centimètres  au-dessous 

d'un  nœud  ;  le  nœud  sert  ainsi  de 

fond.  Dans  la  partie  ferme  du  bois, 

qui  atteint  parfois  cinq  ou  six  cen- 
timètres d'épaisseur,  on  sculpte  le 

décor.  Tantôt  de  simples  fleurs  se 
déroulent  sur  la  paroi  du  cylindre, 
tantôt  des  dragons  ou  des  phénix  ; 
le  plus  souvent,  ce  sont  des  per- 
sonnages illustres  dans  l'histoire 
littéraire  et  philosophique  de  la 
Chine. 

Les  bois  de  cèdre,  de  tek  et  de 
camphrier  servent  à  de  plus  impor- 
tants travaux.    Le  sculpteur  y  re- 
présente généralement  des  dragons 
ou  quelque  autre  animal  fantasti- 
que qu'il  traite  avec  une  énergie  un 
peu  rude  et  non  sans  grandeur,  où 
l'on    aimerait    peut-être    un    faire 
plus   gras  et  plus  souple.  Mais  le      '^.  ^'«-TITr 
plus  souvent  il  compose  des  sujets       pi-tong  de  bois 
entiers,  des  scènes  tirées  de  l'his-   (Coiiec.ionrM^c  vicomte 
toire  religieuse   ou  politique,   des  '^^  Semaiié. 

romans  célèbres,  etc.  Dans  ce  cas,  ce  ne  sont  plus  des 
bas-reliefs  proprement  dits  qu'il  cisèle,  c'est-à-dire  des 
sculptures  à  peine  détachées  du  fond  et  ayant  chacune 


y^f^. 


150  L'ART    CHINOIS. 

une  saillie  à  peu  près  e'galc  :  ce  sont  de  véritables 
tableaux  de  bois,  avec  des  plans  différents,  des  objets 
diminués  dans  leurs  proportions  en  raison  de  leur  éloi- 
gnement  dans  la  perspective,  la  représentation  pitto- 
resque de  tout  un  paysage,  le  développement  de  toute 
une  action.  Tel  est,  par  exemple,  un  bois  sculpté  de  la 
collection  Thiers,  au  Louvre,  où  trois  cavaliers  che- 
vauchent à  travers  une  nature  accidentée,  dans  un 
ravin  planté  d'arbres.  Suivant  une  pratique  habituelle 
aux  artistes  de  Textrême  Orient,  le  sculpteur  a  placé 
son  point  de  vue  très  haut;  il  a  rendu  les  effets  de  la 
perspective  par  une  superposition  des  plans. 

Le  bois  de  7'ose  est  apprécié  particulièrement  à  cause 
de  la  belle  patine  rousse,  rouge  châtaigne,  qu'il  est  sus- 
ceptible de  prendre  avec  le  temps.  On  le  réserve  pour 
faire  des  coffrets,  des  cabinets,  des  boîtes  à  pinceaux  et 
on  le  décore  de  nacre  et  d'ivoire. 

Le  bois  de  fer  sert  généralement  de  fond  aux  in- 
crustations d'ivoire,  de  jade,  de  lapis,  de  corail,  etc.  — 
Cependant,  malgré  sa  compacité,  on  le  trouve  parfois 
sculpté  en  statuettes,  en  animaux  marins,  crustacés  et 
poissons,  avec  tout  le  fini  d'un  bronze  ciselé.  Il  en  est 
de  même  du  bois  dur  [seciirineg-a  des  Indes)  :  on  le  décore 
également  de  nacre,  de  jade,  de  corail,  de  malachite 
d'or  et  d'argent. 

II 

l'ivoire   sculpté 

Les  Chinois  ont  toujours  été  amateurs  trop  pas- 
sionnés des  différents  aspects  de  la  matière,  indépen- 


I.E    nOlS    ET    L'IVOlRo   SCULI'TKS. 


CARACTERE     CHEOU      <C     LONGEVITE     )), 
ORNÉ     DE      FIGURINES    d'IVOIRE. 

Fragment  d'un  panneau  décoratif  provenant  du  Palais  d'été.  —  xviii"  siècle. 
(Musée  de  Fontainebleau.') 


damment  du  travail  d'art  que  Findustrie  humaine  lui 


152  L'ART    CHINOIS. 

fait  subir;  ils  ont  eu,  à  cet  égard,  le  sens  trop  délicat  et 
trop  raffiné  pour   n'avoir  pas  de  tout  temps  apprécié 
rivoire,    cette  substance  séduisante,    tantôt    ferme    et 
claire,  tantôt  tendre  et  d'une  chaude  pâleur,  aux  trans- 
parences laiteuses  ou  doucement  jaunâtres,  aux  reflets 
chatoyants  et  ambrés.  Personne  mieux  qu'eux  n'a  com- 
pris comment  il  le  fallait  travailler  pour  en  faire  valoir 
le  grain,  le  poli  et  les  veines,  pour   donner  à  ce  qui  en 
constitue  Pépiderme  un  éclat  harmonieux,  une  douceur 
charmante.  Seuls,  les  ivoiriers  des  xv  et  xvi''  siècles  en 
Europe,  et  ceux  du  xviii"  au  Japon,  sont  arrivés  à  une 
pareille  maîtrise.  D'une  façon  générale,  les  ivoires  chi- 
nois dénotent  un  travail  franc,   énergique,  très  ferme, 
une  ciselure  sans  hésitation,  incisive;  le  tissu  serré  de 
la  matière  est  attaqué  vigoureusement,  fouillé  avec  des 
contours  brefs,  des  faces  nombreuses  ou  la  lumière  se 
glisse,  s'éparpille  et  se  reflète.  Cette  méthode  n'exclut 
pas  les  accents  souples  et  larges  :  certaines  pièces  doi- 
vent précisément  leur  séduction  à  ce  qu'il  y  a  de  moel- 
leux, de  tendre  et  presque  de  caressant  dans  leur  mo- 
delé. Ce  qui  a  manqué  plutôt  aux  sculpteurs  chinois, 
et  ce  qui  fait  l'incontestable  supériorité  des  Japonais, 
c'a  été  l'originalité  et  la  sobriété  du  style,  la  verve  et 
la  fantaisie  dans  l'imagination,  la  finesse  et  l'esprit  dans 
l'observation  du  modèle. 

Les  beaux  ivoires  chinois  sont  d'une  excessive  ra- 
reté. Nous  ne  traiterons  pas,  en  effet,  comme  œuvres 
d'art,  cette  infinité  de  figurines,  hâtivement  confection- 
nées à  Canton  pour  les  besoins  de  l'exportation  euro- 
péenne, ni  ces  travaux  bizarres  et  compliqués,  tels 
que  boîtes  encastrées,  sphères  concentriques,  etc.,  qui 


LE    BOIS    ET   L'IVOIRE    SCULPTES. 


'5Î 


sont  peut-être  des  prodiges  de  ciselure,  des  mer- 
veilles de  patience  et  d'ingéniosité  technique,  mais  ou 
rinspiration  et  le  goût  font  absolument  défaut. 

Les  statuettes  bouddhiques  nous  offrent  les  plus  in- 
téressants spécimens 
d'ivoire  sculpté.  La 
déesse  Kouan-yin,  en 
longs  vétementsaux  plis 
enveloppants,  la  tête 
demi- voilée,  s'avance, 
tenant  à  la  main  une 
tige  de  lotus  :  la  phy- 
sionomie est  d'une 
grâce  mélancolique, 
pleine  d'onction,  et  la 
statuette  exhale  un 
charme  tout  mystique; 
Ta-mo,  drapé  dans  son 
linceul,  et  prêt  d'attein- 
dre à  «  l'intelligence 
parfaite  »  des  boud- 
dhas, traverse  le  Gange 
sur  un  rameau  de  bam- 
bou pour  rentrer  dans 
sa  patrie  :  l'étisie  des 
traits,  l'émaciation    du 

corps,  le  tannage  de  la  peau  sont  rendus  avec  un  réalisme 
saisissant;  mais  le  visage  respire  un  calme  supérieur, 
une  absolue  sérénité  ;  la  princesse  Ouen-tcheng,  déi- 
fiée après  sa  mort,  est  assise  sur  un  lit  de  nymphœas,  la 
jambe  droite  pendante,  une  fleur  épanouie  à  la  main  : 


A   i\c^ 


STATUF.  TTE     D     IVOIRE     SCIUTTE. 

(Collection  de  M.  S.  Bing.) 


IS+  L'ART    CHINOIS. 

le  corps  est  délicatement  modelé  sous  les  voiles  qui  le 
recouvrent;  le  cou,  légèrement  incliné,  est  long;  les 
doigts  qui  tiennent  la  fleur  sont  effilés,  —  Pexpression 
de  la  figure  est  douce,  recueillie,  d\me  poésie  déli- 
cieuse. 

On  fait  également  en  ivoire  des  étuis  à  pinceaux  ou 
pi-tong,  et  surtout  des  sortes  d'appuis-main  pour  sou- 
tenir Tavant-bras  pendant  qu'on  manie  le  pinceau  en 
écrivant. 

Il  est  à  remarquer  que  les  bois  et  les  ivoires  sculptés 
ne  portent  jamais  la  signature  de  Tartiste  qui  les  a  ci- 
selés. Aux  Miva,  Ikkô  et  Bokousai  du  Japon,  la  Chine 
n'a  pas  un  nom  à  opposer.  Une  des  conséquences  de  ce 
défaut  de  signature  est  de  rendre  fort  difficile,  sinon 
impossible,  l'attribution  d'une  date  à  un  objet  de  bois 
ou  d'ivoire  :  on  n'a  d'autre  critérium,  à  cet  effet,  que 
l'aspect  général  du  décor  et  l'apparence  de  la  patine. 


m 


LES   PIERRES   DURES 


LK    JADK 


Le  jade,^r«,  est  une  pierre  dure,  pesante,  translu- 
cide, d^un  grain  très  tin,  onctueuse  à  la  vue  et  au  tou- 
cher i,  et  dont  les  tons  varient  du  blanc  graisseux  au 
vert  olive  foncé,  suivant  les  proportions  d''oxyde  de  fer 
et  d'oxyde  de  chrome  qu^il  renferme-.  Sa  dureté  est  telle 
qu'il  raye  le  verre  et  le  quartz. 

Les  principaux  gisements  de  jade  sont  dans  l'ancien 
Turkeslan  chinois,  près  de  la  ville  de  Khotan  et  de  celle 
de  Yarkandc,  dans  le  pays  appelé  par  les  Chinois  Yii- 
thian  «  pays  du  Jade  ».  Dès  la  plus  haute  antiquité,  les 
empereurs  de  Chine  en  tiraient  de  grandes  quantités, 
et  l'on  voit  fréquemment  que  les  rois  du  Yu-thian  en 

1.  Lq  jade  et  le  jaspe  sont  deux  mine'raux  absolument  diffé- 
rents :  le  jade  est  un  silicate  d'alumine  et  de  chaux,  —  le  jaspe  est 
un  quartz. 

2.  Quelques  auteurs  citent  aussi  des  types  de  jade  jaune  et  de 
jade  orange  ;  mais  il  n'y  a  là  qu'un  malentendu  et  l'on  a  appelé  à 
tort  du  nom  de  jade  des  variétés  de  sardoine. 


ijC  L'ART    CHINOIS. 

expédiaient  à  leurs  suzerains  d'importants  chargements 
à  titre  de  présents  ou  de  tributs  ^ 

L'excessive  dureté  du  jade  impose  à  l'artisan  qui  le 
façonne  des  conditions  particulières  de  travail.  C'est 
d'abord  une  patience  à  toute  épreuve;  pour  lui  donner, 
en  effet,  outre  la  forme,  tout  le  poli  et  tout  Péclat  dont 
il  est  susceptible,  il  faut  souvent  cinq  ou  six  cents  jour- 
nées de  main-d'œuvre. 

L'ouvrier,  ayant  arrêté  son  parti  après  examen  atten- 
tif de  la  pierre  brute,  de  sa  forme,  des  irrégularités 
visibles  ou  probables,  la  dégrossit  en  pratiquant,  avec  une 
fraise  à  pointe  de  diamant,  une  série  de  trous  juxtapo- 
sés, de  profondeur  variable,  et  en  faisant  sauter  à  la  bou- 
terolle  les  parties  restées  pleines  entre  ces  trous.  Il  re- 
nouvelle cette  opération  jusqu'à  ce  que  l'objet  qu'il  se 
propose  de  fabriquer  apparaisse  dans  ses  lignes  principa- 
les. Le  décor  est  travaillé  soit  par  la  ciselure  à  la  pointe 
de  diamant,  soit  par  Pusure  à  la  pierre  de  jade.  Le  polis- 
sage est  obtenu,  pour  le  premier  état,  par  une  série  de 
frottements  sur  des  pierres  communes  à  polir  ;  il  est 
achevé  à  la  poudre  d'émeri  et  parfois  à  Pégrisée. 

Le  jade  est,  sans  contredit,  la  matière  à  laquelle  les 
Chinois  attachent  le  plus  de  prix;  ils  le  considèrent 
comme  la  plus  belle  substance  où  puisse  s'incorporer 
la  pensée  humaine. 

Les  raisons  de  cette  prédilection  qui  remonte  aux  plus 
hauts  temps  de  l'histoire  chinoise,  sont  assez  délicates 
à  indiquer.  Pour  des  yeux  européens,  elle  semble  quel- 

I.  Cf.  Abel  Rémusat,  Histoire   de  Khotan  (traduite  des  livres 
chinois),   et  Stanislas  Julien,    Voyage  des  pèlerins  bouddhistes, 

p.   223. 


LES    PIKKRF.S     DURES. 


'57 


que  peu  exagére'e:  si  pur  que  soit  le  jade,  il  n'a  en  effet 
ni  l'éclat  du  cristal  de  roche,  ni  les  teintes  diaprées  de 
la  cornaline,  ni  les  riches  colorations  de  la  sardoine,  ni 


COUPE     DE    JADE     BLANC. 
H.,    0"',IJ5. 

(CoUectiou    de    M.    M.     Gentien.) 

les  transparences  irisées  de  Tonyx  et  de  Tagate  orien- 
tale; Taspect  graisseux  qui  lui  est  particulier  ne  permet 
au  contraire  de  lui  donner,  par  le  travail  le  plus  déli- 
cat, qu'une  vague  translucidité  et  le  laisse  terne  à  côté 
dô6  tons  riches  et  chatoyants  des  pierres  quartzeuses. 


15»  L'A  RT    CHINOIS. 

Ce  n'est  pas  non  plus  la  rareté  qui  en  fait  seule  le 
prix;  car,  bien  qu'il  y  ait  quelque  difficulté  à  rencontrer 
des  fragments  d'une  pureté  parfaite,  sans  veines  ni 
taches,  les  gisements  du  pays  de  Khotan  sont  très  abon- 
dants, et  la  production  à  laquelle  ils  suffisent  depuis 
plus  de  vingt-cinq  siècles  ne  paraît  pas  sur  le  point 
d'ctre  tarie. 

C'est  d'abord  la  dureté  du  jade  qui,  dans  l'antiquité, 
en  a  fait  la  matière  impérissable  par  excellence,  la  sub- 
stance destinée  à  fabriquer  les  plus  précieux  objets 
consacrés  par  les  rites. 

Par  cette  raison,  il  fut  établi,  lorsqu'on  arrêta  vers 
le  xn^  siècle  avant  notre  ère  les  types  de  ces  objets,  que 
les  plus  importants  d'entre  eux  seraient  faits  de  la 
pierre  dej'ii,  et  que  le  bronze  servirait  à  la  fabrication 
des  autres.  Le  jade  tint  donc  lieu,  dans  ces  temps  re- 
culés, de  Tor  et  de  l'argent  que  l'on  ne  pouvait  se  pro- 
curer que  par  trop  petites  quantités  pour  en  fondre  des 
pièces  entières,  et  que  l'on  ne  savait  pas  encore  utiliser 
en  incrustations  pour  le  rehaut  des  bronzes. 

Parla  suite,  le  respect  des  rites  —  dont  les  prescrip- 
tions déterminaient  non  seulement  les  cérémonies  offi- 
cielles et  religieuses,  mais  la  forme,  les  proportions 
et  la  matière  même  des  objets  qui  y  figuraient  —  a  con- 
tribué à  conserver  au  jade  le  caractère  de  substance  très 
précieuse  qu'il  avait  ainsi  reçu  aux  premiers  temps  de 
l'art  chinois. 

Le  jade  a,  en  outre,  aux  yeux  des  Chinois,  une  va- 
leur symbolique,  correspondant  à  des  conceptions  que 
nous  avons  peine  à  comprendre,  mais  qui  forment  la 
base  de  presque  tous  leurs  systèmes  philosophiques. 


LES    PIERRKS    DURES. 


'S9 


Le  Li-Ki,  qui  fut  composé,  dit-on,  d'après  des  ma- 
nuscrits laisses    par  Confucius  ou   d'après  ses  leçons 


COUPE     DE     JADE. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  <ic  Semallé,) 


orales,  rapporte  en  effet  qu'un  jour  Tse-Kong,  son  dis- 
ciple, le  questionna  en  ces  termes  : 

«  Oserais-je  vous  demander  pourquoi  le  sage  estime 
le  jade  et  ne  fait  aucun  cas  de  la  pierre  liiien^?  Serait- 

I.  Cette  pierre,  qui  a  l'aspect  du  jade,  n'en  a  ni  la  dureté  ni 


i^o  L'ART   CHINOIS, 

ce  parce  que  le  jade  est  rare  et  que  la  pierre  hue/i  est 
très  commune?  »  Confucius  répondit  :  «  Ce  n'est  pas 
parce  qu'il  y  a  de  la  pierre  hiien  en  abondance  qu'elle 
n'a  aucun  prix,  ni  parce  qu'il  y  a  peu  de  jade  qu'il  est 
très  estimé;  mais  c'est  parce  que,  dés  les  temps  an- 
ciens, le  sage  a  comparé  la  vertu  au  jade.  A  ses  yeux, 
le  poli  et  le  brillant  du  jade  figurent  la  vertu  d'huma- 
nité; sa  parfaite  compacité  et  sa  dureté  extrême  repré- 
sentent la  sûreté  d'intelligence;  ses  angles,  qui  ne 
coupent  pas,  bien  qu'ils  paraissent  tranchants,  symbo- 
lisent la  justice;  les  perles  de  jade,  qui  pendent  au  cha- 
peau et  à  la  ceinture,  figurent  le  cérémonial;  le  son  pur 
et  soutenu  qu'il  rend  quand  on  le  frappe  et  qui  à  la  fin 
s'arrête  brusquement  est  l'emblème  de  la  musique  *; 
son  éclat  irisé  rappelle  le  ciel  ;  son  admirable  substance, 
tirée  des  montagnes  et  des  fleuves,  représente  la  terre... 
Voilà  pourquoi  le  sage  estime  le  jade.  )> 

Les  objets  rituels  et  officiels,  fabriqués  en  pierre  de 
jade,  peuvent  être  classés  en  deux  catégories  :  les  uns 
étaient  employés  dans  les" cérémonies  du  culte  civil,  les 
autres  servaient  d'insignes  hiérarchiques  aux  fonction- 
naires qui  en  étaient  porteurs. 

Parmi  les  premiers  étaient  principalement  les  coupes 
ts'io  et  les  vases  neï-yen-you  (voy.  pour  la  forme  de  ces 
objets  le  chapitre  des  bronzes),  et  enfin  les  instruments 
de  musique  dont  se  composaient  les  orchestres  religieux. 

l'éclat.  On  l'appelle  aussi  «  pierre  de  lard  »  (voy.  plus  loin);  c'est 
la  «  pagodite  »  de  Brongniart. 

I.  11  est  à  remarquer,  en  effet,  que  les  vibrations  sonores  du 
jade  ne  s'éteignent  pas  progressivement  comme  celles  des  mé- 
taux, mais  qu'elles  cessent  tout  net. 


LES    PIERRES    DURES. 


I-ÎI 


On  suspendait,  par  des  cor- 
delettes de  soie,  de  minces 
plaques  de  jade  à  des  cadres 
de  bois  dur,  et  on  les  frap- 
pait avec  un  marteau  d^é- 
bène.  Ces  instruments  por- 
taient le  nom  de  king;  quel- 
ques-uns comptaient  jus- 
qu'à seize  plaques  de  jade 
donnant  chacune  un  son 
différent. 

En  dehors  des  objets  ré- 
servés au  culte,  le  jade  avait 
une  autre  destination  offi- 
cielle; il  servait  à  fabriquer 
les  ornements  rituels,  les 
insignes  hiérarchiques  du 
souverain,  de  sa  cour  et  des 
milliers  de  fonctionnaires 
qui  gouvernaient  Tempire. 
Chaque  rang  avait  sa  mar- 
que distinctive. 

Dès  le  vr  siècle  avant 
notre  ère,  Pempereur  portait 
une  sorte  de  mitre  ornée  de 
douze  médaillons  AQyu;  des 
plaques  de  jade  blanc  pen- 
daient à  sa  ceinture.  Ces  or- 
nements variaientsuivant  les    ï'O'^^IONNAIRE    EN   COSTUME 

,      ,  .  D  E     COUR 

cérémonies  pour  lesquelles     portant  un  chu  de  jade. 
le  Fils  du  Ciel  s'en  revêtait.  Il  y  avait  déjà,  sous  la  dy- 

i'art  chinois. 


1(52 


L'ART   CHINOIS. 


nastie  des  Tcheou  (r  134  avant  J.-C.)?  un  fonctionnaire 
du  palais  prépose  spe'cialement  à  la  garde  des  «  maga- 
sins de  jade  »  où  étaient  renfer- 
més les  insignes  impériaux. 

Les  fonctionnaires,  en  cos- 
tume officiel,  se  ceignaient  aussi 
d'une  ceinture  formée  de  mor- 
ceaux de  jade  fixés  sur  un  ceintu- 
ron de  soie  ou  de  cuir.  Des  plaques 
de  la  même  matière,  enfilées  et 
entremêlées  de  pendeloques  d'or 
et  d'argent,  s'en  détachaient 
comme  un  chapelet  et  tombaient 
jusqu'à  terre.  Cet  ornement  s'ap- 
pelait Peï.  Au  moindre  mouve- 
ment, les  pendeloques  métalliques 
entre-choquaient  les  plaques  de 
pierre  et  les  faisaient  résonner. 

Les  Rites  [Li-Ki,  ch.  xii)  re- 
commandaient aux  fonctionnaires 
de  s'habituer  dans  leur  démarche 
à  les  faire  ainsi  tinter. 

Dans  les  plus  importantes  cé- 
rémonies, l'empereur  et  les  hauts 
personnages  de  sa  cour  tenaient 
devant  leur  bouche  «  pour  arrêter  leur  haleine  »  une 
mince  tablette  de  jade. 

La  tablette  du  souverain,  tin,  avaic  la  forme  d'un 
long  parallélogramme  «  taillé  carrément  en  haut  et 
en  bas,  symbole  de  la  droiture  avec  laquelle  il  gou- 
verne son  empire  »  ;  celle  des  fonctionnaires,  chu,  était 


CHU     DE     JADE. 


LES    PIERRES    DURES. 


l6j 


S^^%' 


ogivale  ou  pointue  à  sa  partie  supérieure,  «  en  symbole 
de  leur  soumission  à  Pempereur  *  «.  La  Hgurc  de  la 
page  i6i  représente  un  fonction- 
naire tenant  un  chu  devant  sa  bou- 
che ;  elle  provient,  comme  celles  des 
pages  163  et  i63,  du  Kou-yu-thou^ 
chapitre  détaché  du  catalogue  rituel 
appelé  Po-kou-thou  et  qui  fut  com- 
posé au  commencement  du  xm"  siècle 
de  notre  ère.  Signalons  encore,  parmi 
les  insignes  fabriqués  en  jade,  les 
jou-j',  sorte  de  sceptres  qui,  à  Tori- 
gine  du  moins,  furent  usités  sur- 
tout dans  les  cérémonies  officielles. 
(Voy.  p.  298.) 

Les  femmes  portaient  à  la  cour 
des  agrafes  de  robe  et  des  épingles 
de  tête,  faites  de  jade  aussi,  et  desti- 
nées à  indiquer  le  rang  qu'elles  te- 
naient au  palais. 

Les  formes  et  le  décor  de  ces  diffé- 
rents attributs  ont  varié  suivant  les 
dynasties.  Nous  reproduisons  plus 
loin  un  bouton  de  parure  officielle 
du  temps  des  Ming  (i 368-1643). 

Cette  sorte  de  consécration,  donnée  au  jade  par  les 
rites  et  par  la  philosophie  chinoise,  n'est  pas  la  seule 
considération  qui  le  fasse   estimer  à   un  si   haut  prix 


CHU     DE     JADE. 


I.   Li-Ki    ou   Mémoral   des  rites,  chap.    xii.    Voy.    aussi    le 
Tcheou-Li  ou  Rites  des  Tcheou,  passim. 


I(Î4 


L'ART    CHINOIS. 


dans  l'Empire  du  Milieu.  D'aijtres  raisons,  postérieures 
à  celles-là  et  reflétant  une  certaine  physionomie  du 
caractère  chinois,  ont  répandu  ce  goût  pour  la  pierre 
de  yii. 

Un  épicurisme  très  raffiné  s'était,   en  effet,  déve- 
loppé en  Chine  vers  le  vi«  siècle  de  notre  ère:  la  civili- 


/y  ^<ev.  X 


BOUTON     DE     PARURE     OFFICIELLE, 

Dynastie  des  Ming  (1368-1645). 
(Collection  de  M.  le  vicomte  de  Semallé.) 


sation  chinoise  avait  déjà  plus  de  i,6oo  ans  d'existence 
historique,  et  d'une  existence  traversée  de  tant  d'épreu- 
ves, de  tant  de  luttes,  d'oppressions  et  de  malheurs 
publics,  qu'un  sentiment  de  lassitude  d'abord,  puis  de 
mélancolie  résignée,  avait  peu  à  peu  envahi  tous  les 
esprits.  L'influence  des  croyances  bouddhiques  y  con- 
tribuant, on    ne    conçut   plus    ni    grandes    espérances 


LES    PIERRES    DURES. 


i6s 


ni  robustes  ambitions.  L'insignifiance  de  la  vie,  Tin- 
stabilite  des  choses,  la  rapidité  du  moment  qui  passe, 
et,  partant,  la  nécessité  de  se  hâter  de  jouir,  de  goûter 
l'heure  présente  sans  souci  du  lendemain,  furent  le 
thème  habituel  de  toutes  les  discussions,  le  sujet  de 
toutes  les  œuvres  littéraires. 

L'idéal  de  vie  des  classes  élevées  fut  dès  lors  une 


TASSES     DE     JADE,     PROVENANT     DU     PALAIS     DETK. 

(Musée  de  Fontainebleau.) 


existence  où  l'action  personnelle  et  la  passion  forte 
n'avaient  plus  de  place,  où  chacun  avait  conscience  de 
l'inutilité  définitive  de  sa  tâche,  où  l'on  cherchait  dans 
le  charme  du  rêve,  dans  l'agrément  de  la  conversation 
et  de  la  culture  littéraires,  daas  une  sorte  de  volup- 
tueuse insouciance,  dans  la  douce  ivresse  de  l'eau-de- 
vie  de  riz,  l'oubli  des  misères  humaines. 

Les  poètes  de  la  grande  dynastie  des  Thang,  Li- 
taï-pe,  Thou-fou  et  tant  d'autres,  nous  ont  dépeint  cet 
état  des  âmes,  et  leurs  œuvres  sont  un  appel  constant  à 


i66 


L'ART    CHINOIS. 


l'insouciance,  à  la  volupté,  à  Tivresse  qui  fait  songeri. 
On  se  réunissait  ainsi  pour  boire  et  pour  converser, 
dans  des  pavillons  ornés  d'objets  précieux  qui  étaient 

peu  nombreux,  mais  de 
qualité  rare.  La  tasse  à  la 
main,  on  y  composait  de 
courtes  poésies,  on  y  par- 
lait une  langue  choisie  et 
ornée;  le  pinceau  et  le 
cahier  de  papier,  posés 
près  de  la  main  des  cau- 
seurs, leur  permettaient, 
à  tout  instant,  de  donner 
à  leur  pensée,  par  récri- 
ture, une  forme  plus  déli- 
cate, plus  nuancée.  C'était 
une  fête  douce  des  sens 
autant  que  de  Tintelli- 
gence,  une  discussion  con- 
ciliante, un  peu  cérémo- 
nieuse, ou  l'on  cherchait 
moins  à  se  convaincre  qu'à  être  aimable  ou  à  briller. 
La  porcelaine  n'étant  pas  encore  connue  à  cette 
époque,  c'était  dans  des  coupes  et  des  vases  de  jade  que 
se  faisaient  les  libations.  On  y  mêlait  des  fleurs  au  vin 
de  riz,  comme  dans  la  gracieuse  «  Improvisation  »  du 
poète  Tsin-tsan  :  «  . . .  Le  parfum  de  ces  pauvres  fleurs 
pénètre  jusque  dans  les  coupes  de  jade  et  le  vin  d'au- 
tomne en  est  embaumé.  » 


BLOC     DE     JADE     CISELE    A      JOUR. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  de  Semallé.) 


I.  Cf.  marquis  d'Hervey  Saint-Denis,  Poésies  de  l'époque  des 
Thanff 


LES    PIC  RHI-.S    DUIU.S.  xGj 

Les  porte-pinceaux,  les  godets  à  encre,  les  brùlc- 
parfums,  les  presse-papiers,  les  sceaux,  les  porte-bou- 
quets, tous  les  menus  objets  dont  les  causeurs  aimaient 
à  s"'entourer  étaient  de  jade  aussi.  La  vague  transluci- 
dité de  la  matière  et  le  travail  délicat  dont  elle  est 
susceptible  la  faisaient  moins  priser  que  Pagréable  sen- 
sation qu'elle  procure  au  toucher,  une  sensation  à  la 
fois  ferme  et  onctueuse,  comparable  pour  le  tact  à  celle 
que  donne  au  regard  la  patine  d'un  beau  bronze,  une 
sorte  de  caresse  au  bout  des  doigts. 

De  cette  époque,  c'est-à-dire  de  la  dynastie  des 
Thang  (vu"  siècle  après  J.-C),  date  ainsi  ce  caractère 
de  sensualisme  qui  ira  toujours  en  se  développant  dans 
l'art  chinois  à  côté  du  hiératisme  des  rites,  et  qui  finira 
par  dominer  dans  la  céramique,  dans  l'émaillerie,  et,  le 
plus  souvent  même,  dans  la  peinture. 

Le  jade  devint  de  la  sorte  la  substance  vraiment 
précieuse,  celle  qui  donnait  les  plus  fines  sensations, 
qui  suggérait  les  plus  gracieuses  pensées  et  les  plus  déli- 
cates impressions.  On  en  fit  mille  objets  divers,  d'usage 
familier,  que  l'on  s'offrait  en  présent,  qu'on  se  laissait 
en  souvenir,  où  chacun,  en  s'en  servant,  mettait  quel- 
c]ue  chose  de  sa  personnalité  comme  ces  bijoux  que  nous 
portons  et  qui  nous  deviennent  intimes.  C'est  dans  ce 
sens  que  Li-taï-pe  fait  dire  à  une  femme  :  'c  Ces  hiron- 
delles de  jade,  ornement  de  ma  coiffure,  elles  étaient 
sur  ma  tête  le  jour  où  je  me  donnai  à  toi;  je  te  les  offre 
aujourd'hui  comme  souvenir;  ne  manque  pas  de  les 
essuyer  souvent  avec  ta  manche  de  soie.  » 

C'était  précisément  l'instant  où  le  bouddhisme  ap- 
portait de  l'Inde  les  conceptions  d'une  esthétique  plus 


i68  L'ART    CHINOIS. 

élevée,  apprenait  aux  Chinois  à  mieux  voir  et  compren- 
dre la  nature  et  faisait  prédominer  désormais  dans  les 
œuvres  d'art  le  sentiment  individuel  sur  les  conventions 
classiques. 

On  vit  alors  créer  dans  le  jade,  de  même  que  dans 
le  bronze,  une  infinie  variété  de  formes,  élégantes,  as- 
souplies, inspirées  directement  de  la  nature,  empruntant 
au  monde  organique,  au  monde  végétal  surtout,  ses 
plus  séduisantes  créations. 

Avec  la  matière  dure  entre  toutes,  l'artiste  chinois 
excella  à  rendre  l'élasticité  serpentine  d'un  dragon  fan- 
tastique, la  molle  flexuosité  des  lotus,  les  fines  décou- 
pures d'un  feuillage  de  fougère  ou  de  mimosa,  la  pulpe 
tendre  d'un  magnolia  épanoui. 

Les  difficultés  ne  sont  pas  évitées,  loin  de  là  ;  elles 
sont  abordées  de  front,  compliquées  et  multipliées  à 
plaisir.  Voici,  par  exemple  (p.  i66),  un  bloc  de  Jade 
appartenant  à  M.  le  vicomte  de  Semallé  :  c'est  un  fouil- 
lis de  fleurs,  de  liges  et  de  feuilles,  sculptées  à  jour,  en 
couches  superposées.  Le  travail  est  si  légèrement  traité, 
si  prpfondément  fouillé,  qu'on  demeure  confondu  à  la 
pensée  des  prodiges  d'habileté  réalisés  pour  ciseler  cette 
dentelle  de  pierre  dure,  pour  atteindre  avec  la  bouteroUe 
le  centre  du  bloc,  pour  manœuvrer  la  pointe  de  l'ou- 
til à  travers  l'enchevêtrement  des  couches  superficielles. 

Là,  cependant,  l'ouvrier  chinois  n*a  fait  preuve  que 
de  patience  et  d'ingéniosité.  Mais  nous  nous  rappelons 
avoir  vu  à  Pékin,  chez  les  marchands  de  jade  établis 
près  du  temple  de  Long-fou-sse ,  tel  brûle-parfums 
supporté  par  des  phénix  aux  ailes  éployées,  tel  vase 
dont   les  anses  étaient  deux  dragons  contournés,  telle 


LES    PIERRES    DURES. 


169 


statueue    bouddhique    enveloppée    de    lotus,   d'autres 
œuvres   encore  où  nous  croyions  constater  cette  lutte 


/-/  Cnn^nD 


PANNEAU      DE     BOIS     DUR     INCRUSTE     DE     LOTUS      DE     JADE. 

(Collection  de  M.  S.  Bing.) 


puissante  et  généreuse  que  recherchaient  parfois  les  ar- 
tistes de  la  Renaissance  lorsqu'ils  accumulaient  les 
obstacles  de  Fexécution   pour  étreindre  la  nature  avec 


17Ô  L'ART   CHINOIS, 

tous  ses  caprices,  toutes  ses  bizarreries,  pour  vaincre  la 
matière  et  la  mieux  saisir. 

Afin  de  varier  Taspect  du  jade,  les  Chinois  ont  eu 
parfois  Fidée  de  le  rehausser  d'or  et  de  pierres  pré- 
cieuses. Comme  spécimens  de  ce  genre  ,  nous  indi- 
querons deux  pièces  de  la  collection  Semallé  :  Tune 
est  une  plaque  de  jade  vert,  de  style  persan,  sur  laquelle 
sont  ciselés  des  rinceaux  terminés  par  des  fleurs  de  gre- 
nat, de  saphir  et  de  nacre:  l'autre  est  un  livre  dont  les 
feuilles  sont  de  minces  plaquettes  de  yii  sur  lesquelles 
sont  finement  gravées  des  pièces  bouddhiques  en  carac- 
tères d'or. 


II 


LES     PIERRES     DE     QUARTZ 

Les  Chinois  ont  toujours  eu  un  goût  très  vif  pour 
les  pierres  de  quartz,  et  Part  de  travailler  ces  gemmes, 
d'en  faire  valoir  l'éclat,  la  transparence,  les  colorations 
riches  et  harmonieuses,  les  veines  imprévues  et  chan- 
geantes, est  arrivé  de  bonne  heure  à  un  haut  point  de 
perfection.  Il  en  devait  être  ainsi,  en  effet,  si  l'on  con- 
sidère que  l'art  dont  nous  nous  occupons  est,  avant  tout, 
sensualiste,  et  que  l'artiste  chinois  s'est  généralement 
assigné  pour  but  de  procurer  par  ses  œuvres  des  sensa- 
tions vives  ou  raffinées,  un  ravissement  des  yeux,  un 
plaisir  du  toucher,  et  non  d'évoquer  ce  monde  de  pen- 


LES     PIF.RRKS    DURES. 


'7« 


sées,  d'cmotions  et  de  rêveries  qu'une  esthétique  supe'- 
ricure  se  plaît  à  révéler. 


FEUILLE      DE     LOTUS      DE     CRISTAL     DE     ROCHE. 

H.,  o"',23S. 
(Collection  de  M.  M.  Gentîen.) 

Les  pierres  les  plus  recherchées  sont  le  quartz 
hyalin  ou  cristal  de  roche,  pe-che-yng  ;  —  Taméthyste, 
tse-che-yng;  —   la  cornaline,  hong-ma-nao  ou  che-nao, 


L'ART   CHINOIS. 


rouge  cerise  vaguement  tachetée  de  jaune  orangé;  —  la 
calcédoine,  tïang-yu  [jade  a^ur],  ou  yu-souï  [moelle  de 

jade],  ou  bien  en- 
core che-soui 
[moelle  de  pierre) , 
d'un  blanc  lai- 
teux, nébuleux, 
avec  des  teintes 
blondes  ou  azu- 
rées; —  rhélio- 
trope ,  Hong- pan 
lu-ma-nao,  vert 
foncé,  semé  de 
points  rouges;  — 
la  chrysoprase, 
/eï-isoui-yii  [jade 
de  mar  tin- pê- 
cheur) ou  lu-ma- 
nao  [agate  verte], 
d'un  vert  très 
pâle;  —  la  sar- 
doine,  ma-nao, 
aux  tons  rougeâ- 
très,  fauves  et 
chauds;  Ponyx, 
pi-yu,  combinant 
harmo  n  i  e  u  se  - 
ment  dans  ses  couches  parallèles  les  colorations  pré- 
cédentes ;  enfin  toutes  les  variétés  de  Tagate  orientale. 
Plus  que  le  jade  encore,  ces  pierres  imposent  à 
l'ouvrier  qui  les  travaille    une   patience   inépuisable. 


FLEUR     DE     MAGNOLIA     d'aMÉTHYSTE. 
H.,    0"',2I. 

(Collection  de  M.  M.  Geniien.) 


LES    PIERRES    DURES. 


'7Î 


DOUBLE      VASB     DE     CRISTAL     DE     ROCHE. 
H.,    0'»,27. 

^Collection  de  M.  M,  Geiuien.) 

Elles  exigent,  en  outre,  de  lui  une  souplesse  d'imagina- 


174 


L'AKT    CHINOIS. 


tion,  une  ingéniosité  prodigieuses.  A  toute  heure  de 
son  travail,  en  effet,  il  est  soumis  aux  caprices  de  la 
matière  dont  les  aspects  se  modifient  à  chaque  coup  de 
bouteroUe.  Le  noyau  principal  est-il  régulier?  La 
gangue  se  détachera-t-elle   complètement    ou  pousse- 


TABATIÈRE      DE     SARDOINE. 


TABATIERE     DE     CALCEDOIiNE. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  de  Semallé.) 

t-elle  quelque  filon,  quelque  filament  dans  la  partie  pré- 
cieuse de  la  géode?  Les  veines  sont-elles  continues  ou 
brisées?  Lestaches  sont-elles  profondes  ousuperficielles  ? 
Ainsi,  à  chaque  instant,  les  conditions  d'exécution  se 
modifient  :  d'une  sardoine,  Partisan  pensait  faire  d'a- 
bord une  pêche  retenue  à  sa  tige;  après  deux  mois  de 
travail,  une  adhérence  profonde  de  la  gangue  en  un 
point  le  force  à  changer  son  idée  première,  et  il  fait  une 


LES    PIERRES    DURES. 


17$ 


grenade  ouverte  ;  six  mois  plus  tard,  quand  son  œuvre 

est  déjà  fort  avancée,  des  macules  roussatres  Tarrètent 

encore;  il  en  tire   parti,  les  cisèle,  par   exemple,    en 

forme    de   feuilles    et 

trouve   moyen  de  les 

relier   par  des  veines 

laiteuses,    perdues   çà 

et  là,  dont  il  fait  des 

rameaux  en   relief. 

Ainsi    encore,    d'une 

veine  blanche  d'onyx, 

il  improvise  un  dragon; 

d'une    tache    d'oxyde 

de    chrome    dans    un 

quartz   hyalin,    il  fait 

une  libellule. 

Dans  de  pareilles 
conditions  de  travail, 
l'artisan  est  parvenu 
cependant  à  faire  des 
œuvres  remarquables 
par  la  largeur  du 
style,  par  l'apparente 
liberté  de  la  composi- 
tion, par  le  charme 
délicat  et  imprévu  du  décor,  par  la  souplesse  et  l'élé- 
gance infinies  de  l'ensemble. 

Mais  c'est  particulièrement  dans  l'art  de  faire  valoir 
les  couches  -inégales  d'un  camée  que  les  Chinois  ont 
toujours  excellé.  La  collection  de  tabatières  de  M.  de 
Semallé  nous  offre,  à  cet  égard,  les  spécimens  les  plus 


ry.f,.:. 


BRANCHE     DE     PIN 

FORMÉE      d'une      agate 

VEINÉE    DE    CALCÉDOINE. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  Je  Semallé.) 


I7<5 


L'ART    CHINOIS. 


accomplis  :  la  variété  des  motifs  reproduits  y  révèle 
une  finesse  incroyable  d'exécution,  un  sentiment  déco- 
ratif exquis,  et  cette 
aisance  de  facture  que 
la  dureté  de  la  matière 
semble  interdire. 

Le  travail  de  certai- 
nes pierres  plus  ten- 
dres que  le  jade  et  les 
pierres  de  quartz  a  eu, 
de  tout  temps,  en  Chine, 
une  grande  importance. 
Parmi  ces  pierres,  la 
plus  estimée  est  la 
stéatite  ou  pierre  de 
lard,  appelée  par  les 
Chinois  huen  ou  lioa- 
che  (graisse  de  pierre], 
La  stéatite  est  une  va- 
riété de  talc,  douce  et 
savonneuse  au  toucher, 
à  structure  compacte, 
qui  se  laisse  couper  et 
tourner  avec  la  plus 
grande  facilité,  mais 
qui  ne  reçoit  jamais  un 
poli  parfait.  11  y  en  a  de  plusieurs  nuances  :  des 
blanches,  pe-chc-tche,  des  violettes  teintées  de  rose, 
kan-che-tche,àQsvo\is,Qà\Yts,  tche-chc-tche,  des  Isabelle, 
thao-hoa-tche  ijleiir  de  pêcher).  On  en  fabrique,  en 
quantité  considérable,  des  coupes,  des  vases,  des  porté- 


es ^<^>^ 


CARPES     DE     CRISTAt     DE      ROCHE. 

Collection  de  M.  le  vicomte  de  Semallè.) 


LES    pif:  KKKS    DUKKS. 


pinceaux,  des  bouts  de  pipe,  des  tigurines  religieuses,  etc. 
Mais  ces  objets  ont  rarement  une  réelle  valeur  d'art. 


COUrK     DONYX,      PROVENANT     DU      PALAIS     DETE. 

(Musée  de  Fontaiiicble.iu.) 

Notons  encore  quelques  schistes  à  plusieurs  couches 
qui  sont  parfois  Tobjet  d\in  travail  ingénieux  et  déli- 
cate 

I.  Dès  la  dynastie  des  Tcheou  (i  i  34-255  av.  J.-C),  les  Chinois 
savaient  falsifier  les  pierres  dures,  le  jade  et  certains  quartz.  Ils 
employaient  à  cet  effet  une  sorte  de  verre  ou  plutôt  de  pâte 
d'émail  fort  dur,  mais  très  fusible.  Actuellement,  l'industrie  des 
pierres  fausses  est  très  perfectionnée. 


L  ART    CHINOIS. 


LA  CÉRAMIQUE 


LA     TECHNIQUE 

Il  résulte  de  documents  historiques  certains  que, 
dès  Tan  1700  av.  J.-C,  les  Chinois  connaissaient  l'in- 
dustrie de  la  poterie  :  ils  fabriquaient  ainsi  des  terres 
cuites  destinées  aux  usages  domestiques,  sans  valeur 
d'art. 

Sous  la  dynastie  des  Han,  vers  Pan  180  av.  J.-C, 
la  céramique  réalise  un  premier  progrès.  On  commence 
de  faire  alors  des  «  vases  brillants.  .  «,  «  de  couleur 
bleue...  »,  «  réservés  à  l'Empereur*  ».  Ce  n^était encore 
que  des  pièces  cérames  sans  transparence,  enduites  d'un 
émail  bleu.  On  donnait  le  nom  de  thao  à  ces  produits. 

I.  Cf.  King-te-tchin-thao-loii,  «  Histoire  des  porcelaines  de 
King-te-tchin  ».  Cet  ouvrage,  publié  en  i8i5  par  Tching-thing- 
Koueï  et  traduit  en  i856  par  Stanislas  Julien,  est  le  premier  qui 
ait  apporté  sur  la  porcelaine  chinoise  des  renseignements  sérieux 
et  des  vues  d'ensemble.  Nous  y  renverrons  souvent  dans  le  cours 
de  ce  chapitre.  Nous  nous  référerons  également  à  l'ouvrage  de 
M.  du  Sartel,  la  Porcelaine  de  Chine  (Paris,  1881).  Signalons  en- 
core, parmi  les  écrits  qui  nous  ont  fourni  sur  ce  sujet  des  docu- 
ments précis  et  bien  coordonnés,  le  livre  de  M.  Franks  :  Oriental 
porcelain  and  pottery  (London,  1878). 


LA    CEllAMIQUE.  I7p 

Puis,  jusqu'à  la  fin  du  vu"  siècle,  Pindustrie  céramique 
reste  stationnaire.  Sous  les  Thang  (618-907)  on  voit 
apparaître,  dans  Farrondissement  de  Youci-tcheou,  des 
vases  dont  la  matière  «  ressemblait  tantôt  au  jade, 
tantôt  à  la  glace  ».  Cette  comparaison  indique  évidem- 
ment que  ces  produits  avaient  une  certaine  transluci- 
dité. On  les  recouvrait  d'un  émail  qui  était  bleu,  jaune 
ou  noir. 

Vers  le  milieu  du  ix'=  siècle,  les  céramistes  de  Ta-i, 
dans  la  province  du  Sse-tch'ouen,  cherchant  à  perfec- 
tionner leurs  procédés,  parvinrent  à  produire  des  pièces 
«  minces,  solides  et  gracieuses,  qui  étaient  de  couleur 
blanche  et  rendaient  un  son  clair^  ».  La  porcelaine  était 
inventée. 

La  porcelaine  est  un  compose  de  deux  parties  dis- 
tinctes :  l'une,  fusible,  donne  à  la  poterie  la  transpa- 
rence qui  est  son  principal  caractère  :  elle  est  fournie 
par  une  roche  pétro-siliceuse;  on  l'appelle  pe-tun-tse. 
L'autre  partie  composante  est  infusible  ;  c'est  l'élément 
plastique  de  la  porcelaine  ;  elle  sert  de  corps  à  la  pote- 
rie et  lui  donne  la  propriété  de  supporter  la  température 
nécessaire  pour  vitrifier  l'élément  fusible.  Cette  matière 
est  le  kao-lin;  c'est  de  l'argile  presque  pure. 

Les  limites  de  cet  ouvrage  ne  nous  permettant  pas 
d'entrer  dans  le  détail  des  opérations  que  subissent  les 
pâtes  avant  d'être  mises  au  four  et  pendant  la  cuisson, 
nous  nous  bornerons  à  les  indiquer  sommairement,  en 
renvoyant  le  lecteur,  curieux  de  renseignements  plus 
complets,  au  livre  que  M.   Deck   a   publié  dans  cette 

I.  King-te-tchin-thao-lou,  1,  §  10. 


i8o  L'ART    CHINOIS. 

même  collection  sur  /t7  Porce/iTz/zf.  Ces  indications  don- 
nées, nous  ne  nous  occuperons  plus,  au  cours  de  cette 
étude,  que  des  procédés  qui  touchent  à  la  décoration. 

Au  point  de  vue  de  la  composition  des  pâtes  cérami- 
ques, les  porcelaines  se  divisent  en  deux  classes,  les  por- 
celaines à  pâte  tendre^  les  porcelaines  à  pâte  dure.  Les 
premières  sont  fusibles  à  une  température  d'environ 
800  degrés  ;  les  autres,  au  contraire,  restent  inatta- 
quables à  i,5oo  degrés  et  au-dessus. 

Le  façonnage  des  pièces  s'effectue  par  l'ébauchage, 
le  moulage,  ou  le.tournassage  ;  les  Chinois  ne  parais- 
sent pas  avoir  connu  le  procédé  du  coulage. 

Le  vase  ainsi  arrêté  dans  sa  forme  est  mis  ensuite  en 
couverte,  c'est-à-dire  qu'on  le  recouvre  d'un  enduit  fusi- 
ble, transparent  après  vitrification  et  destiné  à  lui 
donner  un  aspect  poli  et  brillant.  Il  est  prêt  dès  lors  à 
subir  la  cuisson.  Après  cette  opération,  le  vase  est  cuit 
en  blanc.  Quand  on  veut  obtenir  des  pièces  d'un  blanc 
mat  et  non  vernissées,  on  les  place  au  four  immédiate- 
ment après  le  façonnage  et  sans  les  mettre  en  couverte  : 
ces  pièces  sont  dites  cuites  en  biscuit. 

L'application  de  décorations  colorées  sur  la  porce- 
laine se  fait  de  deux  manières  :  i"  avant  la  cuisson  :  les 
matières  colorantes  employées  doivent  être  inattaquables 
à  la  chaleur  même  que  subit  la  pièce  pendant  cette  opé- 
ration ;  aussi  les  appelle-t-on  couleurs  de  grand  feu; 
elles  sont  soit  mélangées  à  la  couverte,  soit  appliquées, 
suivant  les  contours  d'un  dessin,  sur  cru  et  sous  cou- 
verte; 2"  après  la  cuisson  :  les  couleurs  ne  sont  appli- 
quées que  sur  des  vases  cuits  en  blanc  ou  en  biscuit  ;  elles 
doivent  être  capables  de  se  fixer  sur  les  pièces  à  la  tem- 


LA    CERAMIQU  E.  i8i 

pérature  peu  élevée  que  celles-ci  pourront,  de  nouveau, 
supporter  ;  ces  couleurs  sont  désignées  sous  le  nom 
{.Véniaiix  de  demi-grand  Jeu  K 


II 


L    HISTOIRK 

LMiistoire  de  la  porcelaine  en  Chine  se  divise  en 
sept  grandes  époques  ; 

i"""  époque.  —  Période  primitive  (850-1426); 
2®  époque,  —  Période  Siouan-te  (1426-1465)  ; 
3"  époque.  —  Période  Tching-hoa  (1465-1573); 
4''  époque.  —  Période  Ouan-li  (i  573-1 662); 
5*-"  époque.  —  Période  Khang-hi_(i662-i723); 
6"  époque.  • —  Période  Young-tching   et  Kien-long 
(172  3- 1796); 

7^  époque.  —  Période  contemporaine   (1796-188.). 


!•'''    EPOQUE 
PÉRIODE     PRIMITIVE     (85O-I426) 

Ainsi  que  nous  Pavons  vu,  c'est  vers  le  milieu  du 
ix"  siècle  environ  que  furent  fabriqués  à  Ta-i,   dans  le 

I.  11  existe  cependant  des  spécimens  de  porcelaine,  à  fond 
bleu  principalement,  où  le  décor  est  peint  avec  de  l'émail  blanc 
de  grand  feu  posé  sur  couverte  à  cru. 


i82  L'ART   CHINOIS. 

Sse-tch'ouen,  les  premiers  produits  céramiques  ayant 
tous  les  caractères  de  la  porcelaine,  à  savoir  la  transpa- 
rence, la  dureté  et  la  sonorité. 

Ces  premières  porcelaines  étaient  blanches,  d'un 
blancd'ivoire.  Cest  en  y  faisant  allusion  que  Thou-fou, 
le  poète  de  la  dynastie  des  Thang,  disait  :  "■  Quand 
on  frappe  les  tasses  de  Ta-i,  elles  rendent  un  son  plaintif 
comme  les  coupes  de  jade.  Les  tasses  blanches  de  Votre 
Seigneurie  effacent  Téclat  de  la  neige.  Envoyez-moi 
promptement  une  de  ces  tasses  dans  mon  humble  pa- 
villon d'études.»  La  décoration  de  ces  pièces  primitives 
était  dessinée  au  trait  ou  peut-être  même  moulée  en 
relief  avant  la  cuisson  :  les  sujets  représentés  étaient 
simples,  des  poissons,  des  fleurs,  des  veines  imitant  les 
rides  de  Teau. 

Vers  le  même  temps  aussi,  on  fabriqua  à  Youeï- 
tcheou,  pour  l'usage  de  PEmpereur,  des  porcelaines 
dites  Pi-se-yao^  '<  porcelaines  de  couleur  cachée.  »  Quel 
sens  exact  faut-il  attribuer  à  ces  mots  «  de  couleur 
cachée  »?  Doit-on  penser,  avec  Fauteur  du  King-te- 
tchin-thao-loii,  qu'on  signifiait  par  là  que  ces  pièces  céra- 
miques étaient  réservées  au  Fils  du  Ciel  et  que  les  par- 
ticuliers n'avaient  pas  le  droit  d'en  posséder?  Faut-il 
croire,  comme  l'affirme  M.  du  Sartel,  qu'il  s'agit  déjà 
de  couleurs  transparentes  posées  sous  couverte  ?  Les 
éléments  que  Ton  possède  sur  cette  question  délicate 
sont  insuffisants  à  la  résoudre. 

Au  x«  siècle,  la  céramique  réalise  d'importants  pro- 
grès :  les  procédés  se  sont  perfectionnés,  le  talent  des 
décorateurs  se  forme.  D'ailleurs,  c'est  l'époque  où  l'art 
chinois  est   sous  l'influence  toute-puissante  du   boud- 


LA    C  F,  R  A  M  I  Q  U  E. 


ifi, 


dhisme  et  où,  sous  l'action  des  idées  indiennes,  le  goût 
des  artistes  s'élève  et  s'épure.   La  céramique   profue  de 


STATUETTE      BCUDDHI  Q_U  E      ET      LION      DE      FO     (bOUDDHA) 

Dccoréc  d'émaux  jaune  et  bleu  turquoise, 

XIII''     SIÈCLE. 

(Collection  de  M.  S.  Bing.) 

cette  rénovation  des  conceptions  esthétiques  que  nous 
avons  constatée  dans  les  bronzes,  dans  les  jades  et  dans 
les  peintures. 

Les  auteurs  chinois  nous  apprennent  que  «  lorsque 


18+  L'ART    CHINOIS. 

les  Soung  furent  montés  sur  le  trône  (960  ap.  J.-C.)  on 
fabriqua  des  porcelaines  qui  étaient  bleues  comme  le 
ciel,  brillantes  comme  un  miroir,  minces  comme  du 
papier  et  sonores  comme  une  plaque  de  jade.  Elles 
étaient  lustrées  et  d'une  finesse  charmante.  Il  y  en  avait 
qui  se  distinguaient  par  la  tinesse  d'e  la  craquelure  et 
la  pureté  de  la  couleur.  Elles  effaçaient  par  leur  beauté 
toutes  les  porcelaines  précédentes'.  «  On  dit  qu^un 
Jour,  l'empereur  Che-tsong  (vers  954),  ayant  été  prié 
d'indiquer  la  couleur  des  vases  que  Ton  devait  fabriquer 
à  son  usage,  écrivit  de  son  pinceau  sur  le  placet  qui  lui 
était  présenté  :  «  Qu'à  Tavenir  on  donne  à  mes  porce- 
laines la  teinte  azurée  du  ciel,  après  la  pluie,  telle 
qu'elle  apparaît  dans  les  intervalles  des  nuages.  »  De 
là  est  venu  le  nom  de  yii-kouo-thien-  tsing^  «  bleu  de 
ciel  après  la  pluie  »,  qui  a  désigné  dans  la  suite  les 
imitations  de  cette  porcelaine. 

Ces  pièces  délicates  furent  comme  une  révélation 
pour  le  goût  artistique  des  Chinois.  Elles  furent  esti- 
mées à  si  haut  prix  et  devinrent  si  rares  que,  «  lorsqu'on 
avait  le  bonheur  de  se  procurer  un  vase  brisé  ou  seule- 
ment de  menus  fragments,  on  en  faisait  des  ornements 
de  coiffure,   des  chapelets,  des  objets  de  curiosité  -  ». 

Cependant,  d'importantes  manufactures  de  porce- 
laines étaient  ouvertes  dans  tout  Tempire,  sous  la 
protection  ou  même  sous  la  direction  immédiate  du 
gouvernement,  La  plus  importante  de  ces  fabriques 
est  celle  de  King-te-tchin,  dans  la  province  du  Kiang- 


1.  King-te-tchin-lhao-lou,  I,  §  i3. 

2.  King-te-tchin-thao-lou,  I,  S  i3. 


LA    CERAMIQU  F..  185 

Si  :  fondée,  en  Pan  ioo5,  pur  l'empereur  King-te  (d'où 
lui  est  venu  son  nom),  elle  fournit  encore  aujourd'hui 
les  porcelaines  destinées  au  Fils  du  Ciel. 

Dans  l'activité  de  la  production,  les  progrès  se  suc- 
cèdent rapidement.  C'est  de  cette  époque,  en  effet  (fin  du 
x' siècle),  que  datent  les  premières  applications  d'émaux 
coloriés  sur  des  pièces  cuites  en  biscuit.  Il  s'agissait 
sans  doute  d'émaux  plombeux.  Les  nuances  étaient 
déjà  très  variées  :  violet  pâle,  violet  aubergine,  jaune 
d'ocre,  bleu  de  ciel,  bleu  turquoise,  bleu  prune.  Le 
décor  de  ces  vases  est  peu  compliqué  et  d'aspect  ar- 
chaïque :  il  se  compose  des  personnages  symboliques 
du  bouddhisme  ou  du  taoïsme,  de  fleurs  ou  simplement 
de  caractères  anciens,  ciselés  à  la  pointe  et  coloriés 
ensuite.  Souvent  aussi,  le  décor  consiste  en  filets  en 
relief,  avec  réserves  en  biscuit.  A  côté  de  ces  porcelaines 
figurent,  dès  lexm^  siècle,  les  craquelés,  tsoui-khi-yao. 
«  Au  sortir  du  four,  nous  dit  l'historien  de  King-te- 
tchin  %  les  vases  offraient  des  veines  qui  couraient  en 
tous  sens  comme  s'ils  eussent  été  brisés  en  mille  pièces. 
Avec  de  l'encre  commune  ou  de  la  terre  rouge  (de  l'ocre), 
on  frottait  les  fêlures  de  l'émail;  puis,  le  vase  étant 
achevé,  on  enlevait,  en  essuyant,  le  superflu  de  la  cou- 
leur. On  voyait  alors  un  réseau  de  charmantes  veines 
rouges  ou  noires,  imitant  les  fêlures  de  la  glace.  Il  y 
avait  aussi  de  ces  vases  où  Ton  ajoutait  des  fleurs  bleues 
sur  le  fond  uni,  couvert  de  veines  craquelées,  »  Ces 
fendillures  provenaient  d'une  différence  de  dilatabilité 
entre  le  corps  de  la  pâte  et  la  glaçure  vitreuse  qui  l'en- 

I.  IH,  §  98 


i8<î  L'ART   CHINOIS. 

veloppe  :  rharmonie  de  retrait  e'tant  rompue  entre  ces 
deux  éléments,  il  se  produisait,  au  refroidissement,  un 
craquelage  que  le  céramiste  pouvait  graduer  par  une 
modification  savante  de  la  composition  formant  la  cou- 
verte. Lorsque  les  mailles  sont  très  resserrées,  le  cra- 
quelé prend  le  nom  de  truite  :  Taspect  de  la  surface 
rappelle,  en  etfet,  les  écailles  de  la  truite. 


2®  EPOQUE 
PÉRIODE    SIOUAN-TE* (1426-1465) 

Si  importants  que  soient  les  progrès  réalisés  pendant 
la  fin  de  la  première  époque,  la  céramique  chinoise 
n'est  encore  qu'à  Tétat  d'industrie  imparfaite,  d'art  en 
formation.  Elle  n'arrive  à  un  complet  développement 
que  sous  la  dynastie  des  Ming,  à  Tavènement  de  l'em- 
pereur Siouan-te,  en  1426. 

Le  type  caractéristique  de  cette  période  est  la  porce- 
laine décorée  de  fleurs  bleues  sous  couverte.  Le  bleu 
dont  on  se  servait  était  le  Sou-ni-po  :  c'était  un  arsé- 
niure  de  cobalt,  qui  prenait  après  la  cuisson  une  teinte 
bleu  pâle,  légèrement  agatisée.  Les  pièces  de  cette  épo- 
que sont  infiniment  estimées  des  Chinois  :  elles  ont,  en 
effet,  un  charme  doux  de  coloris  et  de  composition,  une 
pureté  de  ton,  une  délicatesse  d'aspect  qui  n'ont  jamais 
été  surpassés. 

On  commença  aussi  à  employer  le  rouge  de  cuivre  en 


I.  Cette  période  comprend   les  règnes  de  Siouan-te,  Tching- 
toung,  King-t'aï  et  Tliien-choun. 


LA    CF.  RAMIQUE. 


l97 


rincorporant  à  rémail  avant  que  le  vase  ait  c'ic  mis  sous 
couverte.  Pour  obtenir 
un  rouge  très  profond, 
on  se  servait  parfois  de 
poudre  de  cornaline. 
On  fit  ainsi  un  grand 
nombre  de  vases  dont 
Panse  e'tait  ornée  d\in 
poisson  rouge.  Voici, 
comme  spécimen  de  ce 
genre,  un  vase  de  la 
collection  du  Sartel  : 
c^est  une  potiche  dé- 
corée de  bordures  en 
mosaïque;  la  panse  est 
divisée  en  trois  com- 
partiments qui  sont 
remplis  par  un  lion  de 
Fo.  Les  couleurs  em- 
ployées sont  le  rouge  de 
cuivre  et  le  bleu,  en 
teintes  pâles  ou  très  fon- 
cées. La  décoration  sur 
biscuit  se  perfectionne 
aussi  de  Jour  en  jour  : 
on  associe  le  bleu  de 
cobalt  au  rouge  de 
cuivre,  tsi-hong-yeoit. 

A  côté  de  la  porce- 
laine, d'autres  produits 
céramiques,  très  recherchés  aussi,  venaient  prendre  place. 


VASE      CORNET 

Décoré  sur  cru  de  peintures 

en  bleu  et  ronge  de  cuivre  avec  pa  rties 

céladonnées  et  gravées  en  relief. 

(nIEN-HAO   :       SIOUAN-TE,       i+art-i^jfî.) 

(Ancienne  collection  du  Sjirtel.) 


i88 


L'ART    CHINOIS. 


C'était  une  poterie  de  grès,  à  pâte  très  fine,  très  serrée,  de 
couleur  rouge,  grise  ou  brunâtre,  que  Ton  enduisait  d'une 
couverte  épaisse  et  qu'on  décora  plus  tard  de  brillants 
émaux  bleus,  blancs,  jaunes  et  rouges.  Les  Portugais 
la  désignèrent  sous  le  nom  de  boccaro  qui  lui  est  resté. 


courf.    en    forme    de    pêche    de    longevite.   boccaro. 

(période    siouan-te,    1426-1^65.) 
(Collection  de  M.  S.  Bing.) 

On  fabriquait  ainsi  des  pièces  délicates,  et  particu- 
lièrement des  théières  aux  formes  les  plus  imprévues  et 
les  plus  variées. 

Le  boccaro  de  qualité  plus  ordinaire  fournissait 
la  pâte  des  plaques  de  recouvrement  qui  ornaient  les 
parois  de  certains  monuments.  Tels  étaient,  par 
exemple,  les  grands  panneaux  à  décor  en  relief  qui 
revêtaient  la  Tour  de  porcelaine  de  Nankin,  commen- 
cée en  141 5  et  terminée  en  1430. 


LA  ci:n  AM  iQu  i;. 


iH'j 


-■)  ''    !■:  i^  o  Q  u  n 

IMÔ  lî  1  O  D  F.    T  C  H  I  N  C.  -  fl  O  A  ^    (  I  4  6  5  -  I  5  J  3  I 

La  troisième  époque  s'ouvre  avec  Tempercur  Tching- 
hoa,  des  Ming,  en  1465. 


BRULE-PARFUMS     EN     FORME     DE     CHAT. 

Décoré  d'émaux  au  grand  feu. 
(période   tching-hoa,    1465-1S7J.) 

(Collection  de  M.  L.   Gonsc.) 

A  cette  époque,  on  faisait  encore  des  porcelaines  à 
décor  bleu;  mais  on  en  avait  tant  fabriqué,  dans  la  pé- 
riode précédente,  que  le  beau  bleu  Ac  Sou-ni-po  vint  à 
manquer  et  qu''on  dut  employer  du  cobalt  de  qualité 
moins  pure.  Cette  infériorité  fut  compensée,  en  partie, 

1.  Cette  période  comprend  les  règnes  de  Tching-hoa,  Houng- 
tche,  Tching-te,  Kia-tsing  et  Loung-king. 


I}>0 


L'ART   CHINOIS. 


par  un  progrès  notable  dans  Thabileté  du  dessin  et  dans 
la  disposition  des  couleurs.  Si 
les  nuances  ne  sont  plus  aussi 
délicates  qu'autrefois,  il  y  a  plus 
de  grâce  et  de  légèreté  dans  les 
contours  des  sujets  représentés, 
un  art  plus  heureux  dans  la  com- 
position. 

Mais,  un  demi-siècle  plus 
tard,  en  i52i,  sous  Tempereur 
Tching-te,  on  se  procura  fort  à 
propos  un  bleu  nouveau,  d'une 
couleur  franche  et  foncée,  avec 
lequel  on  obtint  tout  de  suite  des 
produits  fort  remarquables  et  que 
les  Chinois  ont  toujours  estimés 
à  très  haut  prix.  C'était  proba- 
blement un  silicate  de  cobalt.  Le 
nom  qu'on  lui  donna,  Hoéi- 
tsing,  «  bleu  des  musulmans  )>, 
permet  de  croire  que  ce  furent 
les  marchands  arabes  des  comp- 
VASE  toirs  de  Canton  qui  llmportè- 

à  fond  noir  èmaiiié,         rent  en  Chine. 

décoré  en  vert  et  lilas 

sur  biscuit  A  côté  des  porcelaines  bleues, 

(période  TCHiNc-HOA,  commcncèrent  à  apparaître  les 
(Coiicctilfa!  M.  M^'oemien.)  prcmières  peintures  sur  porce- 
laine cuite  en  blanc.  L'applica- 
tion des  émaux  de  demi-grand  feu  sur  couverte  ouvrit  à 
la  céramique  chinoise  un  champ  nouveau,  et  Ton  peut 
dire  que  de  ce  jour  elle  fut  en  possession  de  tous  les 


LA    CÉRAMIQUE. 


ICI 


procédés  qu^elle  perfectionna  plus  lard  à  un  si  liaui  degré. 

Au  lieu  de  peindre  sous  couverte,  comme  on  Pavait 
fait  jusqu^alors,  on  appliqua  le  décor  et  les  couleurs  sur 
des  pièces  déjà  cuites  et  terminées.  On  appelait  ces 
sortes  de  porcelaines 
Ou-tsaï-yao^  litt.  des 
«  porcelaines  aux  cinq 
couleurs  »,  non  pour 
indiquer  que  les 
émaux  dont  on  faisait 
usage  étaient  de  cinq 
nuances  seulement , 
mais  pour  exprimer 
au  contraire  la  variété 
de  ces  nuances  :  si 
rapproché  qu'il  soit 
de  Punité,  ce  nombre, 
en  effet,  sert  fréquem- 
ment, dans  la  langue 
chinoise,  à  signifier 
une -pluralité  indéter- 
minée d'objets.  Les 
nuances  que  l'on 
trouve  principalement 
sur  les  Ou-tsaï  sont  le  vert  oxyde  de  cuivre,  le  jaune 
brun,  le  bleu  clair,  le  bleu  sombre  presque  noir,  le 
violet,  le  rouge  de  fer,  et  le  noir  qui  servait  soit  à  es- 
quisser simplement  le  décor,  soit  à  émailler  tout  le 
fond. 

Avec  ces  ressources  de  palette,  l'artiste  chinois  se 
sentit   plus  libre,   plus  dégagé  dans   ses   allures,  et  il 


//./,. 


THÉIÈRE 

décorée  en  verl  sur  biscuit 
(période  tching-hoa,   1465-1573.) 

(Collection  de  M,  Grandidier.) 


ly» 


L'ART   CHINOIS. 


iiborda  dans  le  décor  des  sujets  plus  hardis.  Il  ne  se 
contenta  plus  de  ne  peindre  que  des  ornements  symbo- 
liques, des  fleurs,  des  animaux;  il  traita  la  figure  hu- 
maine, il  reproduisit  des  scènes  légendaires  ou  religieu- 
ses, des  événements  historiques,  des  paysages  entiers. 

Les  porcelaines  où  le  vert 
dominait  furent  particulière- 
ment prisées.  Dans  la  période 
précédente,  on  avait  déjà  fabri- 
qué, sous  le  nom  de  Tien-pe- 
khi,  des  pièces  dans  la  décora- 
tion desquelles  cette  couleur 
tenait  une  grande  place.  Mais  on 
ne  peut  les  classer  avec  celles  de 
la  3«  époque  dont  nous  nous 
occupons.  Elles  n^ont,  en  effet, 
d'autre  analogie  entre  elles  que 
la  coloration  verte;  les  procédés 
de  fabrication  diffèrent  absolu- 
ment. Les  Tieji-pe-khi  sont  or- 
nés d'émaux  appliqués  sur  bis- 
cuit*, tandis  que  les  porcelaines 
vertes  de  la  S*"  époque  sont 
décorées  d'émaux  sur  couverte.  On  peut  citer  comme 
spécimen  de  la  première  famille  verte  une  théière 
appartenant  à  M.  Grandidier,  dont  la  forme  compli- 
quée représente  le  caractère  cheou,  «  longévité  ». 

Dès  le  début  de  la    S*"  époque,  vers   1480,  on  tenta 
un  nouvel  essai  de  décoration  verte  qui  n'a  laissé  que 


G  O  U  R  D  U  , 

décorée  en  émaux 

de  la  famille  verte 

(nien-hao  tchi  nc-hoa, 

1465-1  +  88.) 

(Ancienne   collection    du    Sartel.) 


I.  King-te-tchin-thao-loii,  II,  §  80. 


LA    CKRAMIQUE.  I93 

de  très  rares  types,  celui  de  rémail  «  vert  d'huile  », 
teou-jreou-che  ycoii.  Cet  émail,  qui  avait  de  beaux  tons 
d'olive,  recouvrait  entièrement  la  pièce  qui  était  laissée 
nue  ou  que  Ton  décorait  préalablement  de  dessins 
exécutés  soit  à  la  pointe,  soit  au  trait  noir. 

Si  intéressants  que  soient  ces  premiers  types  de  la 
famille  verte,  il  faut,  pour  en  admirer  les  plus  beaux 
spécimens,  attendre  que  la  céramique  chinoise  qui,  dans 
cette  3«  époque,  vient  d'inventer  les  émaux  sur  co.u- 
verte,  en  ait  perfectionné  le  procédé. 

Signalons  encore,  parmi  les  produits  de  la  période 
Tching-hoa,  de  nombreuses  pièces  décorées  en  bleu 
turquoise  sur  biscuit. 


4^    EPOQUE 
PÉRIODE    OUAN-LI    ^     (15-3-1662) 

La  4^  époque,  qui  s'ouvre  avec  l'empereur  Ouan-li, 
des  Ming,  en  i  S/S,  et  qui  s'étend  Jusqu'à  l'avènement  de 
l'empereur  Khang-hi,  des  Thsing,  en  1662,  est  caracté- 
risée par  la  prépondérance  que  prennent,  dans  la  fabri- 
cation des  porcelaines,  la  famille  verte  et  les  peintures 
sur  couverte  des  Ou-tsaï. 

Deux  faits  importants  venaient,  en  effet,  de  res- 
treindre tout  d'un  coup  les  ressources  de  la  céramique  : 
le  bleu  des  Musulmans  était  devenu  introuvable  et 
disparaissait  du  marché,  comme  avait  disparu  aussi, 

I.  Cette  période  comprend  les  règnes  de  Ouan-li,  Taï-tchang, 
l'art  chinois.  ij 


19+ 


L'ART    CHINOIS. 


cent  ans  plus  tôt,  le  bleu  Sou-ni-po;  en  outre,  Targile 

Ma-thsun^  dont  on  faisait 
la  porcelaine  fine,  était 
épuisée  ^,  et  les  terres  que 
Ton  pouvait  encore  se  pro- 
curer ne  donnaient  que 
des  produits  grisâtres. 

Les  procédés  décoratifs 
de  la  famille  verte  et  des 
Ou-tsaï  étaient  bien  ceux 
qui  pouvaient  le  mieux  at- 
ténuer ce  dernier  inconvé- 
nient :  la  richesse  écla- 
tante de  leurs  émaux,  d^une 
part,  et,  d''autre  part,  l'im- 
portance superficielle  qu'ils 
prenaient  sur  le  vase,  dis- 
simulaient la  qualité  de  la 
pâte  laissée  en  blanc  et  en 
dissimulaient  la  surface. 
Quant  au  bleu,  on  dut  y 
renoncer.  Cependant,  avec 
ceque  Ton  en  possédait  en- 
core, on  put  dans  les  pre- 
miers temps  décorer  quel- 
ques pièces  à  cru  et   sous 

couverte.  On  n'appliquait  la  couleur  que  très  sobrement,  • 


VASE     CO  RN  ET 

décoré  en  bleu  sous  couverte. 

(période    ouan-li, 

1573-1662.) 

(Collection  Je  M.  L.   Gonse.J 


Thien-ki  et.Tsoung-tching  de  la  dynastie  des  Ming,  —  et  ceux 
de  Thien-ming,  Thien-tsoung,  Tsoung-te,  et  Chun-tche  de  la 
dynastie  des  Thsing. 

I.  King-te-tchin-tliao-loii,  VII,  §  3. 


LA    C  tlRAMIQUE. 

en  la  réservant  aux  mo- 
tifs principaux  du  décor, 
aux  personnages,  aux 
animaux  ;  on  achevait 
ensuite  l'ornementation 
avec  des  émaux  rouges 
ou  verts  de  demi -grand 
feu.  Les  spécimens  les 
plus  remarquables  de  ce 
genre  sont  des  vasques 
destinées  à  recevoir  de 
l'eau,  ou  l'on  entretenait 
des  cyprins  dorés  et  des 
plantes  aquatiques.  Sur 
le  pourtour  extérieur  de 
la  vasque,  des  dragons  et 
des  poissons  peints  en 
bleu  foncé  nageaient 
dans  des  flots  d'émail 
vert  ou  rouge. 

Parmi  les  produits 
céramiques  fabriqués  en 
extrême  Orient  vers  le 
milieu  du  xvn"  siècle, 
figure  un  certain  nombre 
de  pièces  dont  Porigine 
précise  a  longtemps  in- 
trigué les  connaisseurs. 
Ce  sont  des  vases  à  dé- 
cor archaïque,  d'une  pâte 
blanche  et  mate,  à  cou- 


'9Î 


^^ 


décoré  671  émaux  de  la  famille  verte. 
(période    ouan-li,    1^7  j-  1662, 

(Ancienne  collection  Ju   Sartel.) 


ipû 


L'ART    CHINOIS. 


verte  unie,  mais  non  vitreuse.  Les  émaux  qui  les  ornent 
sont  d'une  tonalité  très  douce,  du  bleu  céleste,  du  vert 

pâle,  du  rouge  mat;  et 
la  sobriété  avec  laquelle 
ils  sont  distribués  sur  la 
surface  laisse  au  blanc 
d'ivoire  du  fond  toute  sa 
valeur.  M.  Jacquemart  ^, 
croyant  reconnaître,  dans 
le  décor,  des  caractères 
à  la  fois  japonais  et  chi- 
nois, voulut  voir  dans  ces 
pièces  des  spécimens  de 
la  Porcelaine  de  Corée. 
Rien  ne  Justifie  Tat- 
tribution  de  produits 
aussi  délicats  aux  manu- 
factures coréennes.  Au- 
cun document,  en  effet, 
ne  nous  autorise  à  croire 
que  Tart  céramique  soit 
jamais  parvenu  en  Co- 
rée à  un  si  haut  point 
de  développement.  Pen- 
dant le  séjour  que  nous 
avons  fait  en  ce  pays,  les  seuls  cérames  indigènes  que 
nous  ayons  vus  étaient  des  coupes  ou  écuelles  coniques, 
d'une  pâte  brune  ou  blanchâtre,  et  enduites  d'une 
épaisse  couverte  sous    laquelle    un  décor   était   parfois 


GOURDE 

de  forme  persane,  décorée  sous  couverte. 

(PKRIODE     OUAN-LI,     l$7J-l662.) 

(Collection  de  M.  L.  Gonse.) 


I.  Cf.  Histoire  de  la  céramique,  p.  117. 


LA    CKRAMIQUE.  ,97 

gravé  au  trait.  L'aspect  de  ces  pièces  rappelait  tout  à  fait 
celui  des  porcelaines  des  Soung. 

Les  porcelaines  dites  de  Corée  ne  sont  que  d'an- 
ciennes porcelaines  coloriées  du  Japon,  qui  furent 
fabriquées  à  Hizen  vers  i65o. 


5"    ÉPOQUE 
PÉRIODE    KHANG-Hl(l  662-1723) 

Cette  période,  qui  correspond  au  siècle  où  l'art  chi- 
nois, dans  toutes  ses  branches,  est  arrivé  à  l'apogée, 
comprend  le  long  et  brillant  règne  de  l'empereur 
Khang-hi.  C'est  la  belle  époque  de  la  porcelaine.  Les 
procédés  se  sont  perfectionnés,  les  ressources  des  céra- 
mistes et  des  peintres  sont  plus  riches  ;  d'autre  part,  les 
formes  sont  plus  heureuses  et  mieux  pondérées,  la  com- 
position plus  savante  et  plus  variée;  les  colorations  ont 
une  harmonie  douce  ou  une  puissance  d'éclat  que  les 
pièces  anciennes  avaient  rarement  réalisées. 

Les  produits  principaux  de  cette  période  peuvent  se 
grouper  en  quatre  catégories  : 

i"  Les  porcelaines  delà  famille  blanche; 

2°  Les  porcelaines  de  la  famille  verte  ; 

3°  Les  porcelaines  de  la  famille  rose; 

4"  Les  porcelaines  à  couverte  colorée. 

i*^  Les  porcelaines  de  la  famille  blanche.  — L'auteur 
à\x  King-te-tchin-thao-lou^  nous  apprend  que,  vers  le 

1. 1,  S  37- 


198  L'ART    CH  INOIS. 

milieu  du  xvii«  siècle,  on  recommença  de  faire  des  por- 
celaines blanches.  La  manufacture  où  on  les  fabriquait 
était  à  Te-hoa,  dans  le  Fo-kien.  «La  plupart  des  tasses 
et  des  coupes  qui  en  proviennent,  nous  dit- il,  ont  les 
bords  légèrement  déprimés.  On  les  appelle  Pc- 1 se  (por- 
celaines blanches).  Elles  ont  beaucoup  de  lustre  et  de 
poli  ;  seulement  elles  sont  fort  épaisses.  Les  statuettes 
de  Bouddha  qu'on  y  fabrique  sont  extrêmement  belles.» 
C'est  surtout,  en  effet,  à  la  confection  d'idoles  bouddhi- 
ques que  Ton  a  fait  servir  la  porcelaine  de  Te-hoa,  qui 
était  laiteuse,  vaguement  transparente  et,  pour  ainsi 
dire,  coulante  et  onctueuse  d'aspect.  Certaines  sta- 
tuettes faites  de  cette  pâte  ont  un  charme  singulier;  une 
déesse  Kouan-yin,  que  nous  vîmes  à  Pékin,  avait,  dans 
son  immobilité  hiératique,  une  délicatesse  de  formes, 
une  grâce  pensive,  une  douceur  de  physionomie  et  une 
suavité  d'expression  que  n'ont  jamais  dépassées  les 
plus  beaux  bronzes  sacrés. 

Des  manufactures  de  Te-hoa  sont  sortis  aussi  des 
vases,  des  buires,  des  coupes  et  des  théières.  La  déco- 
ration se  composait  généralement  de  méandres  en  relief 
couvrant  toute  la  pièce,  ou  bien  encore  de  fleurs  jetées 
très  sobrement  sur  la  panse,  et  parfois  même  de  sujets 
figurés. 

M.  S.  Bing  qui,  par  la  sûreté  de  son  goût  et  par  le 
sentiment  délicat  qu'a  développé  en  lui  une  longue 
pratique,  est  un  maître  dans  la  connaissance  des  arts 
d'extrême  Orient,  a  réuni  une  collection  inappréciable 
de  porcelaines  de  cette  famille  :  toute  la  gamme  des 
blancs  v  est  représentée,  le  blanc  opaque,  le  blanc 
translucide,    le    blanc    laiteux,   le   blanc    d'amande,    le 


LA   CERAMIQUE.  IP9 

blanc  dMvoire,  le  blanc  de  cire,  le  blanc  de  céruse,  le 
blanc  pulpe-de-magnolia,  etc.  La  théière  reproduite 
ci-dessous  provient  de  cette  collection. 

2°  Les  porcelaines  dk  la  kamillk  verte.  —  Dans  les 


THÉIÈRE 

de  porcelaine  blanche  transparente 
(période    khang-hi,    1622-1723.) 

(Collection  de  M.  S.  Bing.) 

premières  années  du  règne  de  Khang-hi,  il  se  produi- 
sit, parmi  les  peintres  qui  traitaient  particulièrement  la 
famille  verte,  une  scission.  Deux  écoles  se  formèrent. 
L^une  continua  à  s'inspirer  des  modèles  anciens;  mais 
elle  en  perfectionna  le  style,  y  mit  plus  de  grâce  et  de 
finesse,  avec  une  distribution  plus  heureuse  des  mo- 
tifs, avec  plus  de  précision  dans  le  dessin.  Ce  fut  elle 


aoo  L'ART    CHINOIS. 

qui  créa  cette  série  nombreuse  de  flacons,  de  vases 
et  de  potiches  où,  dans  des  compartiments  bordés  de 
grecques  et  de  mosaïques,  des  fleurs  largement  dessi- 
nées, des  branchages  en  pleine  frondaison,  des  grami- 
nées touffues  jaillissent  d'un  arbre  ou  d'une  rocaille, 
sous  un  vol  d'oiseaux,  de  coléoptères  ou  de  libellules. 
Le  vert  tendre  domine  dans  le  décor,  à  côté  du  rouge 
de  fer  qui  le  rehausse;  mais  il  y  a  aussi,  çà  et  là,  sur 
l'aile  des  oiseaux,  sur  les  élytres  des  papillons,  sur  la 
corolle  des  fleurs,  des  touches  de  jaune,  de  bleu  et  de 
violet. 

Ces  produits  céramiques  exprimèrent  à  leur  heure 
le  goût  particulier  que  les  Chinois  professent  pour  les 
fleurs,  la  jouissance  douce  qu'ils  éprouvent  à  les  regar- 
der, l'ivresse  légère  qu'ils  ressentent  à  en  respirer  le 
parfum.  Nulle  poésie  plus  que  la  leur  n'a  chanté  les 
beautés  du  monde  végétal,  les  couleurs  tendres  des 
plantes  à  leur  première  floraison,  l'éclat  opulent  de 
leur  épanouissement,  les  nuances  maladives  qu'elles 
revêtent  quand  elles  se  fanent.  Ce  culte  délicat  de  la 
nature,  qui  a  dicté  aux  poètes  et  aux  romanciers  de  la 
Chine  tant  d'œuvres  émues,  tant  de  comparaisons  gra- 
cieuses ou  mélancoliques,  a  bien  inspiré  ses  peintres 
céramistes  et  a  trouvé  parfois,  sous  leur  pinceau  chargé 
d'émaux,  son  expression  la  plus  pittoresque  et  la  plus 
brillante. 

La  seconde  école,  attribuant  moins  d'importance  au 
coloris,  a  produit  des  œuvres  d'une  composition  sa- 
vante, d'un  dessin  soigné,  recherché  même.  L'esquisse 
du  décor  était  faite  sur  cru  au  trait  bleu  ou  au  rouge  de 
fer.    Les    sujets  traités    étaient    des   scènes  historiques 


LA    CERAMIQUK. 


OU    religieuses,    pleines    de    vie    ei    de     mouvement. 

Les  porcelaines  de  la  famille  verte,  à  grandes  com- 
positions, eurent  dès  leur  apparition  un  succès  consi- 
dérable ;  mais  les  artistes 
qui  sY  adonnèrent  n'eu- 
rent guère  le  temps  de  sW 
perfectionner,  car  un  édit 
impérial,  publié  en  1677, 
les  rappela  au  respect  des 
traditions  en  interdisant  la 
reproduction  sur  porce- 
laine des  sujets  historiques 
et  religieux. 

3°   Les   porcelaines  de 

LA     FAMILLE     ROSE.    VcrS 

l'année  1680,  on  décou- 
vrit trois  couleurs  nou- 
velles qui  donnèrent  aux 
peintres  céramistes  des 
ressources  inconnues  jus- 
qu'à ce  jour  :  c'était  le 
carmin  tiré  du  chlorure 
d'or,  —  le  jaune  franc  ob- 
tenu de  l'antimoine,  —  et 
le  blanc  extrait  de  l'acide 
arsénieux.  Pour  employer 
ces  couleurs,  on  les  mêle  à  un  véhicule  abondant,  et 
elles  forment  relief surla  couverte.  Ce  rouge  d'or,  qui  est 
notre  pourpre  de  Cassius,  fournissait  les  roses  les  plus 
pâles,  avec  des  nuances  d'une  douceur  exquise.  Les 
sujets  le  plus  habituellement  traités  sont  des  fleurs,  des 


VASE      BALUSTRE 

décore  d'un  émail  bleu  turquoise 

(période    khang-hi, 

I622-I723.) 

(CoUccuoii  Jj   AL  L.  Goiise.) 


202  L'ART    CHINOIS. 

pivoines,  des  chrysanthèmes,  des  œillets  épanouis,  des 
lotus,  etc.  Quelque  charme  dont  soient  revêtues  ces  pre- 
mières pièces  de  la  famille  rose,  nous  attendrons,  pour 
en  dérinir  le  style,  d'en  être  à  l'e'tude  de  Tépoque  sui- 
vante, ou  ce  genre  atteint  à  son  plus  haut  degré  de  per- 
fection. 

4"  Les  PORCELAINES  A  COUVERTE  COLOREE.  —  Il  s'agit  ici 
de  porcelaines  dont  le  fond  est  décoré  soit  sur  cru  de 
couleurs  de  grand  feu,  soit  sur  biscuit  de  couleurs  de 
demi-grand  feu  :  elles  ont  des  tons  dMne  rare  délica- 
tesse ou  d'un  éclat  vif  et  profond.  Nous  distinguerons 
particulièrement,  dans  celte  classe,  les  céladons  et  les 
/ïambes. 

Les  céladons  sont  bleu  turquoise,  vert  de  mer,  vio- 
let pensée.  Ces  teintes  sont  souvent  associées  sur  la 
même  pièce.  On  en  fabriquait  déjà  dans  les  périodes 
précédentes,  mais  ce  ne  fut  guère  que  sous  le  règne  de 
Khang-hi  qu'on  parvint  à  composer  des  émaux  qui,  par 
la  pureté,  la  douceur  ou  la  puissance  du  coloris,  riva- 
lisaient avec  les  gemmes  et  les  productions  les  plus 
brillantes  de  la  nature. 

Les  céladons  dits  «  bleu  de  ciel  après  la  pluie  », 
en  souvenir  des  porcelaines  de  Che-tsong  dont  ils 
étaient  l'imitation  %  nous  offrent  les  plus  délicats  spé- 
cimens de  ce  genre.  Mais  les  céladons  ornés  de  dessins 
gravés  ou  imprimés  en  relief  dans  la  pâte  du  fond  sont 
encore  plus  séduisants  peut-être  par  les  effets  de  modelé 
et  de  coloration  que  réalise  la  couverte  accumulée  sur 
le  décor  :  la  fluidité  des  teintes,  la  sorte  d'ombre  dont 

I.  Voy.  p.  184. 


LA    CÉRAMIQUF,. 


20} 


elles  s'enveloppent  par  places  n'ont  jamais  pu  être  re- 
produites   dans    les    porcelaines   de    fabrication   euro- 
péenne. Notons  enfin,  dans  le  même  groupe  céramique, 
les  céladons  bleu  empois 
dont  la  couverte,  prépa- 
rée au    cobalt, 'a  un  as- 
pect    lumineux,     semi- 
translucide. 

En  ce  qui  concerne 
les  flambés,  nous  en 
avons  réservé  Pétude  à 
la  période  suivante,  où 
ces  produits  furent  le 
plus  recherchés.  Voici 
cependant,  parmi  les 
œuvres  du  règne  de 
Khang-hi,  un  des  spéci- 
mens les  plusintéressants 
du  genre  flambé.  C'est 
un  vase  à  quatre  pans 
sur  les  parois  duquel  se 
sont  fixées  des  coulées 
d'émail  bleu  violacé  et 
d'émail  rouge  sang  de 
bœuf  :  par  la  puis- 
sance et  l'éclat  des  tons, 
le  vase  semble  fait   de  pierres   précieuses   en   fusion. 

Je  pourrais  citer  encore,  dans  la  môme  vitrine,  à 
côté  de  cette  pièce  accomplie,  un  petit  nombre  d'œuvres 
de  la  même  époque  que  M.  L.  Gonse  a  choisies  avec  un 
discernement  si  délicat,  avec  une  sûreté  de  goût  si  par- 


vase   flambe 
(période   khang-hi, 

1622-1723.) 

(Collection  de  M.  L.  Gonse.) 


204 


L'ART    CHINOIS. 


faite  que  chacune  d'elles  est  en  soi  le  type  de  toute  une 
série  céramique.  Deux,  entre  autres,  méritent  de  retenir 

Tattention  par  la  grâce 
heureuse  de  la  forme  et 
par  la  beauté  de  la  ma- 
tière :  ce  sorlt  deux  vases ba- 
lustres  couverts,  Tun  d'un 
émail  bleu  turquoise,  l'au- 
tre d'un  émail  violet  auber- 
gine. (Voy.  p.  201  et  204.) 
Nous  avons  vu  que, 
dans  la  première  période, 
on  fabriquait  des  porce- 
laines craquelées  qui 
étaient  fort  estimées.  Sous 
le  règne  de  Khang-hi,  le 
procédé  du  craquelé  s'était 
perfectionné  :  les  artisans 
étaient  plus  habiles  encore 
à  modifier  la  couverte  de 
façon  à  la  rendre  dilatable, 
à  leur  gré,  et  à  obtenir  un 
degré  précis  de  craque- 
lure. De  cette  époque  da- 
tent   les    céladons    truites 


VASE      BAtUSTRE 


décoré  d'un  émail  violet  aubergine,     q^j     jouirent     de     tant     de 

(PÉRIODEKHANG-HI,  T- 

1Û62-1723.)  vogue  en  France  au  xvni' 

(Collection  de  M.   L.  Goiise.)  siècle. 

Les  plus  beaux  spéci- 
mens de  la  porcelaine  dite  de  Long-Thsiouen  peu- 
vent  être  attribués   à   la   période    Khang-hi.   Ce  sont 


LA    CERAMIQUF. 


20$ 


de  fins  craquelés  de  couleur  vert  paie  ou  vert  foncé. 

La    manufacture   de   Long-thsioucn    (province    du 

Tche-Kiang)  était  en  activité  déjà  sous  la  dynastie  des 


Ll  N  G-T  CH  Y, 

Porcelaine  décorée  d'émaux  flambés, 
(période    khanc-hi,    1622-1723.) 

(Collection  de  M.  S.  Bing.; 

Soung  (iioo  environ  ap.  J.-C.)  ;  mais,  pendant  plu- 
sieurs siècles,  elle  ne  fabriqua  que  des  produits  gros- 
siers, d'un  bleu  très  sombre  et  sans  craquelures. 

Nous  classerons,  à  la  suite  des  céladons,  des  porce- 
laines unies  à  couverte  de  grand  feu,  dites  porcelaines 


ao6 


L'ART    CHINOIS. 


de  Tlisang,  du  nom  du  mandarin  qui  dirigeait,  sous  le 
règne  de  Khang  hi,  la  manufacture  de  King-te-tchin. 

L'émail  qui  décorait  ces 
porcelaines  était  vert 
«  peau  de  serpent  »  [che- 
pi-lii),  jaune  d'or  [kin- 
hoang-yeou],  jaune  pâle, 
violet  et  vert  pâle.  Il  y 
avait  aussi  des  vases  tse- 
kin-che,  à  fond  laque,  qui 
étaient  susceptibles  de 
recevoir  toutes  les  colo- 
rations du  bronze  et  qui 
étaient  très  recherchés. 
A  l'occasion  de  ces  por- 
celaines unies,  nous  de- 
vons noter  l'idée,  très 
différente  de  la  nôtre, 
que  se  font  les  Chinois 
en  ce  qui  concerne  l'é- 
galité dans  l'épaisseur  et 
le  glacé  de  la  couverte. 
Tandis  qu'à  Sèvres,  par 
exemple,  on  considère 
comme  un  grave  défaut 
^**'''  ^    ,  le  miroitageque prennent 

dccore  en  verl  sur  fond  noir.  '-'     ^       ' 

(l'ÉRioDE  KHANG-Hi,  16(52-1723.)  certalucs  de  ces   pièces, 
(Collection  de  M.  L.  Gonse.)  ^^  Chine,  au  coutralrc, 

on  estime  cette  sorte  de  moirure  qui  est,  pour  ainsi 
dire,  la  modulation  de  la  couleur  du  fond. 

Les  porcelaines  à  fond  noir  sont  intéressantes  par 


LA    CERAMIQUE.  207 

la  façon  dont  cette  coloration  est  obtenue  :  elle  provient 
le  plus  souvent  de  Pépaisseur  considérable  d'une  cou- 
verte colorée  dans  la  masse;  dans  ce  cas,  Tintcnsité  du 
ton  fait  paraître  la  teinte  noire.  D'autres  fois,  le  même 
effet  est  produit  par  la  superposition  de  deux  couleurs 
différentes,  le  bleu  sur  le  brun  laque,  par  exemple.  Ce 
procédé  est  usité  non  seulement  pour  les  vases  à  cou- 
verte unie,  mais  aussi  pour  les  pièces  à  décor  multicolore. 
Il  existe  une  série  curieuse  de  vases  à  couverte  colo- 
rée, dits  «  vases  souflflés  »  ;  ce  sont  des  pièces  sur  les- 
quelles la  couleur  a  été  projetée  à  travers  un  morceau 
de  gaze  fixé  à  l'extrémité  d'un  tube  de  bambou.  En 
soufflant  dans  cet  appareil,  l'ouvrier  couvre  toute  la 
surface  du  vase  de  gouttelettes  pulvérisées  qui  lui  don- 
nent un  aspect  finement  grenu,  chagriné,  l'apparence 
d'une  peau  d'orange.  Certains  vases  ont  reçu  ainsi  des 
couches  successives  de  couleurs  différentes. 


6®    ÉPOQUE 
PÉRIODE   YOUNG-TCHING    ET   KIEN-LONG^    (1723-I796) 

On  peut  dire  que,  dès  l'avènement  de  l'empereur 
Young-tching,  qui  succéda  en  1723  à  l'empereur 
Kang-hi,  la  céramique  chinoise  entre  dans  une  ère 
nouvelle,  dans  la  première  phase  de  l'école  moderne. 
Au  point  de  vue  des  procédés  et  de  l'habileté  tech- . 
nique,  les  peintres  de  la  période  que  nous  abordons 
ne  le  cèdent  en  rien  à  leurs  devanciers  ;  ils  leur  sont 

I.  Young-tching  a  régné  de   1723  à  lySô  et  Kien-long  de  lySô 
à  1796. 


208 


L'ART    CHINOIS. 


même  supérieurs  sur  quelques  points.  D'abord  les 
pièces  sur  lesquelles  ils  travaillent  sont  de  forme  plus 
heureuse;  il  v  a  plus  de  variété  dans  les  types  et  peut- 
être  plus  de  grâce  et 
de  souplesse  dans  les 
galbes.  Ensuite,  le 
dessin  est  plus  savant, 
d'une  finesse  qui  par- 
fois—  dans  les  porce- 
laines «  coquilles 
d'oeuf  «,  par  exemple 
—  touche  à  la  minia- 
ture. La  composition 
est  mieux  comprise  et 
plus  élégante.  La  pa- 
lette, qu'aucune  cou- 
leur nouvelle  n'est 
venue  cependant  en- 
richir, fournit  des  res- 
sources plus  variées 
par  la  combinaison, 
presque  inconnue 
jusqu'alors,  des 
émaux  de  la  famille 
rose  et  de  la  famille 
verte,  ou  par  leur 
mélange    avec  du    blanc   opaque. 

Mais,  à  côté  de  ces  progrès,  on  aperçoit  déjà  les 
causes  éloignées  de  la  décadence  où  la  porcelaine  chi- 
noise tombera  dès  le  début  du  xix'  siècle  :  il  y  a  parfois 
de  la  recherche  et  de  la  surcharge  dans  la  décoration. 


Ell-A-i^^^Sk 


STATUETTE      DE     BOUDDHA 

en  porcelaine  dorée  et  dccorée  d'cmaux 

de  la  famille  rose. 

(période    young-tching, 

1723-1736.) 

(Collection  de  M.  le  vicomte  de  Seniallé.) 


LA    CERAMIQUE. 


ao9 


dont  les  arabesques,  les  rinceaux  compliqués,  le  fouillis 
de  fleurs  et  de  feuillages  tendent  à  recouvrir  toute  la 
surface  des  pièces  ; 
enfin,  la  préoccupa- 
tion d'adoucir  les 
teintes  commence 
déjà  à  faire  perdre 
aux  couleurs  leur 
éclat  d'autrefois. 

Dans  la  prodi- 
gieuse variété  des 
produits  delà  période 
Kien-long,  les  types 
principaux  peuvent 
se  ranger  en  quatre 
classes  : 

1°  Les  porcelaines 
de  la  famille  rose; 

2°  Les  porcelaines 
«  coquilles  d'œuf  «  ; 

3°  Les  porcelaines 
flambées; 

4°  Les  porcelaines 
d'exportation. 

1°  Les  porcelai- 
nes     DE      LA     FAMILLE 


.-i^.c 


PETIT     VASE    A      POUDRE     DE     THE, 

famille  rose. 

ROSE. Le  rétine  de  (période  young-tching,  i723-i73<îO 

-  .  ,  (CoUcctioa  de   M.  L.    Gonse.) 

Young-tching  est  la 

belle  époque  de  la  famille  rose,  dont  nous  avons  déjà 

parlé  au  paragraphe  précédent. 

A  côté  du  rouge  et  du  rose  tirés  du  chlorure  d'or, 


I,  ART     CHINOIS. 


I* 


L'ART    CHINOIS. 


les  peintres  se  servent  du  bleu  pâle,  du  vert  tendre,  du 
lilas  clair.  Le  décor  habituel  consiste  en  fleurs,  en  ani- 
maux, en  arabesques  et  en  rinceaux,  d'une  grâce 
charmante  de  composition  et  d'une  harmonie  délicieuse 

de  couleurs.  Ces  porce- 
laines sont  peintes  d'une 
touche  légère ,  avec  des 
émaux  translucides,  pres- 
que aqueux,  qui  rappellent 
la  fraîcheur  délicate  des 
tons  de  l'aquarelle.  Par- 
fois, de  grands  sujets  se 
développent  sur  la  panse 
des  vases  :  des  person- 
nages, historiques  assistent 
à  quelque  cérémonie  de 
cour,  ou  combattent  dans 
une  mêlée  de  chevaux  et  de 
guerriers.  Souvent  aussi, 
la  scène  est  empruntée 
à  quelque  poésie  célèbre, 
comme  la  Chanson  des 
Lotus,  de  Ouang  tchang- 
ling,ou  celle  du  C/?<i^r/«,  de  Litaï-pe:  elle  se  déroule  alors 
dans  un  paysage  aux  teintes  fines  et  douces,  dans  une 
nature  où  les  tons  sont  légers  et  diaphanes,  où  les  formes 
sont  toujours  sveltes  et  délicates.  Les  drames  de  l'époque 
classique  offrent  également  aux  peintres  de  la  famille 
rose  d'heureux  motifs  de  décoration,  et  en  particulier  le 
Pi-pa-ki,  litt.  «  l'Histoire  du  luth  »,  et  le  Si-Siang-ki, 
litt.  '<  l'Histoire  du  pavillon  d'Occident  »,  La  gracieuse 


TAB  ATI  ERE 

en  porcelaine  coquille  d'œuf. 

(période         YOUNC-TCHING, 

1723-1  73(î-) 
(Collection  de  M.  L.  Gonse.) 


LA    CERAMIQUE.  ait 

héroïne  de  ce  dernier  ouvrage  se  retrouve  à  tout  in- 
stant, sur  le  flanc  des  potiches  de  cette  classe,  apparais- 
sant à  son  amant  telle  que  la  dépeint  le  poète  :  «  Elle 
incline  avec  grâce  ses  épaules  parfumées  et  sourit  en 
tenant  un  bouquet  de  fleurs.  Ses  sourcils,  noblement 
arqués,  s^arrondissent  comme  la  lune  nouvelle...  Dé- 
ployant comme  une  habile  danseuse  ses  membres  sou- 
ples et  gracieux,  elle  ressemble  à  un  saule  qui  se  ba- 
lance au  gré  du  soir.  » 

3"  Les  porcelaines  k  coquilles  d'œuf  »,  à  la  fabri- 
cation desquelles  les  artisans  des  époques  précédentes 
s^étaient  déjà  essayés,  apparaissent  dans  toute  leur  per- 
fection à  la  fin  du  règne  de  Young-Tching,  c'est-à-dire 
vers  1732.  On  les  appelait  des  tho-taï-khi,  «  vases  sans 
embryon  ».  «  L'expression  tho-taï  (enlever  l'embryon) 
veut  dire  qu'on  enlève  [tho]  la  matière  qui  constitue  le 
vase  brut  [taï]^  et  que  ces  porcelaines  semblent  seu- 
lement faites  avec  de  l'émail*.  »  Le  mot  taï^  littérale- 
ment «  embryon  »,  désigne  la  matière  qui  constitue  le 
corps  ordinaire  d'un  vase  de  porcelaine  brute,  et  sur 
laquelle  on  applique  la  couverte.  Dans  les  «  coquilles 
d'œuf  »,  cette  matière  est  réduite  à  la  moitié  de  son 
épaisseur,  et  même,  dans  les  pièces  très  fines,  elle 
paraît  tout  à  fait  supprimée,  comme  si  la  porcelaine  ne 
se  composait  plus  que  de  glaçure.  Les  tho-taï-khi^  qui 
sont  soit  tournées,  soit  coulées,  exigent  une  habileté 
et  une  légèreté  de  main  incroyables  de  la  part  de 
l'artisan  qui  les  confectionne.  C'est  la  matière  indus- 
trielle   la    plus    délicate ,     la    plus    parfaite    qui    soit 

I.  King-te-tchin-thao-lou,  II,  §  79. 


L'ART    CHINOIS. 


jamais  sortie   des  mains  de  l'homme.     Sur   cette    pâte 

blanche  et  transparente,  les 
émaux  roses,  bleus,  noirs 
et  verts  ont  des  douceurs 
exquises ,  des  tendresses 
lumineuses  que  rehaussent 
à  peine  des  tons  d'or. 
M.  E.  de  Concourt  a  fort 
bien  montré  ce  qu'ont  de 
particulier  à  l'extrême 
Orient  les  procédés  décora- 
tifs de  la  famille  rose  et  des 
«  coquilles  d'œuf  ».  Ces 
deux  séries  offrent ,  nous 
dit-il,  «  les  échantillons  sur 
lesquels  s'épèle  le  mieux  la 
différence  de  la  porcelaine 
de  l'Orient  avec  celle  de 
l'Occident.  Chez  nous,  les 
porcelainiers  peignent  avec 
les  procédés  de  l'aquarelle. 
C'est  delà  peinture  étendue 
au  pinceau.  En  Chine  et 
au  Japon,  toute  autre  chose. 
Rien  que  des  tons  posés 
avec  une  matière  colorante 
toujours  pénétrée  de  fluide 
vitreux  :  en  un  mot,  de  la 
peinture  avec  des  émaux  et  non  avec  des  couleurs.  Et 
tout  ce  que  celte  peinture,  cependant  si  fondue  et  si 
harmonieuse,  accorde  à  la  fonte  et  à  l'harmonie  géné- 


CO  RN  ET 

de  porcelaine  blanche  opaque 

(période      YOU N G-TCHl N g  , 

1723-17}  6.) 
(Collection  ûc  M.  S.  Bing.) 


LA    C  FUI  AMI  QUE.  2ij 

raie,  consiste  seulement  dans  une  de'gradation  des 
épaisseurs  de  rémail...  Au  fond,  cette  peinture,  la 
vraie  peinture  de  la  porcelaine,  est,  pour  ainsi  dire, 
de  la  gouache  translucide.  » 

3°  Les  porcelaines  flambkks.  —  On  fabriquait  déjà 
au  xiii^  siècle  des  vases  dont  les  couvertes  de  grand 
feu  prenaient  au  four,  par  le  hasard  de  la  cuisson,  des 
colorations  étranges  et  puissantes.  On  les  nommait 
Yao-pien,  «  porcelaines  de  transmutation  «,  pour  signi- 
fier que,  soumises  au  feu,  elles  se  transformaient,  se 
transmutaient,  pour  ainsi  dire,  en  une  matière  aux  tons 
chatoyants,  aux  veines  irisées  et  diaprées,  semblable  à 
de  Tagate,  à  du  jaspe,  à  du  porphyre,  à  des  pierres  pré- 
cieuses en  fusion.  Ces  aspects  différents  de  la  couverte 
s^obtenaient  par  Tintroduction  rapide  de  courants 
d'oxygène  dirigés  sur  la  pièce  pendant  la  cuisson.  Il  y 
fallait  un  tour  de  main  hardi,  une  rare  justesse  de  coup 
d'œil,  une  pratique  consommée  :  sur  dix  essais,  c'est  à 
peine  si  un  seul  réussissait. 

Il  semble  que  le  secret  de  la  fabrication  des  Yao-pien 
se  soit  perdu  pendant  plusieurs  siècles,  car  on  n'en 
signale  pas  dans  les -périodes  Siouan-te,  Tching-hoa  et 
Ouan-li,  c'est-à-dire  du  xv*  siècle  jusqu'à  la  fin  du  xvir. 
Dans  les  dernières  années  du  règne  de  Khang-hi,  on 
recommença  d'en  confectionner  i;  mais  la  technique  n'en 
fut  parfaite  que  sous  Kien-long.  En  vrais  coloristes,  les 
céramistes  chinois  ont  cherché  à  copier  tous  les  produits 
de  la  nature  qui  leur  offraient  des  tons  riches  et  cha- 
toyants, et  ils  ont  été  choisir  des  modèles  dont  les  ar- 

I.  Voy.  à  la  p.  2o3  le  vase  tiambé  de  la  collection  dcM.  L.  Gonse. 


21+  L'ART    CHINOIS. 

tisres  occidentaux  n'auraient  jamais  songé  à  s'inspirer. 
C'est  ainsi  que  Tauteur  du  Kïng-te-tchin-thao-lou  nous 
apprend  qu'il  y  avait  des  émaux  couleur  «  d'aubergine  », 
kia-hoa-tse-yeou,  —  de  «  foie  de  mulet  «,  lo-kan-yeou, 
de  «  poumons  de  cheval  »,  «  ma-Jvï-j^eou  »,  etc. 

Les  beaux_/7rt!;7zZ't\v  ont  des  colorations  rouge  sombre, 
pourpre  vineux,  violet  foncé,  bleu  lapis,  vert  éme- 
raude,  dont  les  reflets  sont  imprévus,  changeants  et 
capricieux;  des  gouttelettes  d'oxyde  restent  figées  sur 
la  couverte  :  on  dirait  que  des  coulées  d'émail  débordent 
sur  les  parois  du  vase,  et  les  flammes  qui  l'ont  léché 
dans  le  four  y  semblent  visibles  encore. 

4°  Les  porcelaines  d'exportation.  —  Nous  ratta- 
cherons, pour  ordre,  à  la  période  Kien-long  trois  caté- 
gories de  porcelaines  qui,  fabriquées  exclusivement 
pour  l'exportation,  ont  reçu  une  forme  ou  une  décora- 
tion particulière,  suivant  le  goût  ou  les  besoins  des 
peuples  auxquels  elles  étaient  destinées. 

Telles  sont  d'abord  les  Porcelaines  à  Mandarins. 
Elles  sont  ainsi  nommées  parce  qu'elles  représentent 
des  scènes  historiques  ou  familières  où  figurent,  avec 
les  attributs  et  insignes  de  leur  costume  officiel,  des 
fonctionnaires  de  la  dynastie  de  Thsing.  Les  plus  an- 
ciennes pièces,  qui  datent  de  la  fin  du  règne  de  Kang-hi, 
sont  composées  de  réserves  occupées  soit  par  le  sujet 
principal,  soit  par  des  oiseaux  et  des  fleurs  en  camaïeu 
rose  ou  noir,  et  d'un  fond  semé  de  rinceaux  et  de  fili- 
granes d'or,  ou  gaufré  avec  de  fines  dentelures  en  bleu 
sous  couverte.  Ces  porcelaines  jouirent,  dès  qu'elles 
apparurent  en  Europe,  d'une  telle  vogue  que,  pour 
satisfaire  aux  commandes,  la  confection    en    dut  être 


LA    CÉRAMIQUE. 


21$ 


négligée  :  les  décors  furent  dès  lors  sans  charme,  sans 
originalité,  les  colorations  mal  combinées,  crues  et 
criardes,    Tensemble   sans    intérêt,  sans    valeur   artis- 


COURDEPLATE 

décorée  en  bleu  sous  couverte 
(nien-hao    kien-long,    1736-1791Î.) 

(Collection  de  l'auteur.) 

tique.  D^ailleurs,  la  plupart  des  potiches  à    mandarin 
ont  été  fabriquées  au  Japon. 

Nous  rangerons  aussi  parmi  les  produits  cérami- 
ques destinés  à  l'exportation  les  Porcelaines  à  décor 
persan.  Ces  porcelaines  ont  longtemps  intrigué  les  con- 
naisseurs.   Elles  avaient   été  trouvées  en    Perse,  et  la 


2irt  L'ART    CHINOIS. 

forme  comme  le  décor  en  étaient  généralement  per- 
sans; mais  on  y  constatait  les  mêmes  procédés  de  fa- 
brication et  les  mêmes  colorations  d^émaux  que  dans  les 
produits  d'origine  chinoise. 

On  a  cru  d'abord  que  ces  pièces  avaient  été  fabri- 
qués dans  riran,  que  des  ouvriers  chinois  y  étaient 
venus  sans  doute  enseigner  leurs  procédés  aux  potiers 
persans,  mais  que  ceux-ci  n'avaient  pas  tardé  à  devenir 
leurs  rivaux  et  même  leurs  égaux.  Il  est  reconnu  aujour- 
d'hui que  les  porcelaines  kaoliniques  à  décor  persan 
que  l'on  trouve  dans  l'Iran  sont  de  fabrication  pure- 
ment chinoise  :  la  forme  et  l'ornementation  en  ont  été 
copiées  sur  des  poteries  ou  des  bronzes  apportés  de 
Perse;  elles  ont  été  exécutées  sur  commande  et  pour 
l'exportation. 

A  cette  classe  des  produits  céramiques  destinés  à 
l'étranger  se  rattachent  enfin  les  Porcelaines  pour  sur- 
décorations européennes.  Ces  surdécorations  ont  été 
exécutées  en  Europe  dès  les  premières  années  du 
XVIII®  siècle. 

Les  faïenciers  de  Delft,  ayant  découvert,  vers  1700, 
le  secret  de  la  préparation  des  couleurs  de  petit  feu, 
eurent  l'idée  de  les  appliquer  sur  des  porcelaines  chi- 
noises toutes  blanches  ou  dont  la  composition  primitive 
laissait  de  larges  surfaces  sans  décor.  «  De  là,  dit 
M.  du  Sartel,  sortit  de  toutes  pièces  une  industrie  nou- 
velle qui  eut  ses  peintres  et  ses  ateliers  spéciaux  et  à 
qui  la  découverte  de  nouveaux  émaux,  le  jaune,  le 
blanc  et  les  carmins  violacés,  permit  bientôt  de  repro- 
duire les  décors  que  la  Compagnie  des  Indes  faisait 
exécuter  en  Chine  et  au  Japon. 


LA    CERAMIQUE.  atj 

Dans  ces  circonstances,  la    Compagnie    s'aperçut 


GARNITURE      D  '  A  U  T  E  L     B  O  U  D  D  H  I  (1_U  E. 

Porcelaine    décorée    en     bleu    sous    couverte. 
(période    kien-long,   I  7  j  6- I  796.) 

(Collection  de  l'auteur.) 


qu'elle    perdait   un    temps    énorme   à    transmettre   ses 
ordres  jusque  dans  Pextrême  Orient,  à  y  faire  parvenir 


2i8  L'ART    CHINOIS. 

les  modèles  indiqués  et  à  en  rapporter  entin  les  com- 
mandes que  lui  avaient  faites  les  grands  seigneurs  ou 
les  riches  bourgeois.  Elle  trouva  dès  lors  plus  simple 
de  faire  venir  à  Tavance  des  vases,  des  services  de  table 
et  toutes  sortes  de  pièces  en  blanc  ou  à  demi  décorées 
de  bleu  sous  couverte.  Elle  les  vendait  en  cet  état  à 
Gerrit  van  der  Kaade  ou  à  ses  émules.  Ceux-ci  les  déco- 
raient de  chiffres,  d'armoiries,  de  sujets  chinois,  japo- 
nais, ou  même  hollandais,  selon  le  désir  de  T acheteur  ^  )i 
Le  succès  qui  accueillit  ces  produits  hollandais 
donna  aux  Saxons  Tidée  de  les  imiter,  et  c'est  ainsi 
qu'une  série  de  pièces  chinoises  ou  japonaises,  surdéco- 
rées à  Dresde,  envahit  le  marché.  La  manufacture  de 
Venise  entra  bientôt  aussi  dans  la  voie  qu'avaient  ou- 
verte les  céramistes  de  Delft.  Il  est  souvent  fort  délicat 
de  distinguer  ces  porcelaines  et  de  déterminer  leur 
caractère  apocryphe  :  une  étude  attentive  des  émaux, 
de  leurs  qualités  au  point  de  vue  de  la  transparence  et 
de  l'irisation,  de  la  façon  dont  ils  ont  été  appliqués, 
l'observation  minutieuse  des  défauts  et  des  raccords,  et 
enfin  l'examen  du  style  général  de  la  pièce  y  suffisent 
à  peine. 

7*    ÉPOQUE 
PÉRIODE     CONTEMPORAINE-      (1796-188..) 

Cette  époque,  qui  compte  déjà  près  d'un  siècle,  ne 

1.  La  Porcelaine  de  Chine,  p.  216. 

2.  Cette    période  comprend    les  règnes    de    Kia-king,    Tao- 
kouang,  Hien-foung,  Tong-tche  et  Kouang-siu. 


LA    CEHAMIQUK.  219 

se  signale  par  aucune  découverte  céramique,  par  aucun 
progrès  dans  les  procédés  ;  elle  est  marquée,  au  con- 
traire, par  Toubli  des  traditions  techniques  chez  les 
artisans,  par  Tabsence  du  style  chez  les  décorateurs. 

Les  seules  pièces  qui  présentent  quelque  intérêt 
datent  du  règne  de  Kia-king  (1796-182  r)  ou  des  pre- 
mières années  de  son  successeur,  Tao-kouang,  et  encore 
ce  ne  sont  que  des  reproductions  de  types  exécutés  aux 
époques  précédentes,  principalement  dans  la  période 
Kien-long.  A  partir  de  Tannée  1840  environ,  l'excès  de 
la  production  causé  par  le  développement  du  com- 
merce occidental,  —  la  préoccupation  de  satisfaire  à  Ten- 
gouement  irréfléchi  et  au  goût  inexpérimenté  des  ache- 
teurs européens  pour  les  provenances  de  Pextrême 
Orient,  —  et  sans  doute  aussi  un  certain  abaissement  du 
sens  artistique  chez  les  Chinois  de  notre  temps,  ont  dé- 
terminé la  décadence  où  tombe,  chaque  jour  plus  pro- 
fondément. Part  céramique  qui,  il  y  a  moins  d'un 
siècle,  brillait  encore  d'un  si  vif  éclat. 


LE    VERRE 


L    HISTOIRK 


Les  annales  de  la  dynastie  des  Han  rapportent  que, 
sous  le  règne  de  Pempereur  Hiao-wou-ti  (140-86  av. 
J.-C.)?  il  y  avait  en  Cliine  une  manufacture  de  lieou-li. 
Ce  mot  ayant  servi,  plus  tard,  à  désigner  d'une  fa- 
çon générale  les  produits  de  la  verrerie,  on  a  cru 
pouvoir  penser  que  le  verre  était  connu  des  Chinois 
dès  le  II"  siècle  avant  notre  ère  *.  Il  semble,  au  con- 
traire, que  le  lieoii-li  n'était  qu'une  sorte  d'émail, 
opaque  ou  vaguement  translucide.  Quand,  en  effet,  on 
sut  fabriquer  en  Chine  le  verre  véritable,  un  mot  nou- 
veau fut  inventé  pour  le  distinguer  :  po-li.  Par  la  suite, 
on  se  servit  indifféremment  des  deux  expressions  pour 
désigner  toutes  les  matières  vitrifiées. 

Deux  cent  cinquante  ans  environ  avant  de  fabriquer 
le  verre,  les  Chinois  en  avaient  reçu,  par  le  commerce 
étranger,  des  spécimens  manufacturés,  des  fioles,  des 
coupes,  etc.  Ces  produits  leur  venaient  des  grandes  ver- 

I.  Cf.  Mémoires  concernant  les  Chinois,  par  les  missionnaires 
de  Pékin,  II,  463. 


LE  VERR  i:,  221 

reries  d'Egypte  et  de  Syrie.  Dès  le  I"  siècle  de  notre 
ère,  en  effet,  des  relations  commerciales  s'étaient  éta- 
blies entre  TEmpire  du  Milieu  et  les  pays  de  TAsie 
antérieure  placés  sous  la  domination  romaine.  Nous 
avons  vu  (p.  22)  qu'avant  cette  époque  les  Chinois 
ignoraient  jusqu'à  l'existence  de  ces  régions  :  ce  fut  seu- 
lement sous  la  dynastie  des  Han  (206  av.  J.-G.  —  265 
ap.  J.-C),  qu'ils  en  prirent  la  notion  et  les  désignè- 
rent sous  le  nom  générique  de  Ta-ts'in.  Leurs  données 
se  précisèrent  assez  rapidement,  en  particulier  sur  le 
royaume  des  Parthes  [An-si^  <(.  Arsak  »  ?)  et  sur  la  Ba- 
bylonie  (Viao-tchej^  qui  venait  de  passer  sous  la  do- 
mination romaine. 

A  la  fin  du  11'  siècle,  le  trafic  était  presque  constant, 
elles  routes  que  suivaient  les  caravanes  nous  sont  con- 
nues ^  Par  les  provinces  occidentales  de  la  Chine,  on 

I.  Cf.  Hirth,  China  and  Roman  Orient.  Cet  ouvrage,  très 
consciencieusement  étudié  et  d'après  les  sources  chinoises  les 
plus  anciennes,  est  le  premier  qui  ait  éclairé  cette  question  des 
rapports  de  la  Chine  avec  l'empire  romain.  L'identification  des 
noms  chinois  aux  noms  latinisés  des  localités  traversées  par  les 
caravanes  a  été,  en  particulier,  l'objet  d'une  élude  très  attentive, 
dont  les  conclusions  paraissent  tout  à  fait  justifiées. 

En  ce  qui  concerne  les  connaissances  des  Grecs  et  des  Ro- 
mains sur  la  Chine,  cf.,  Yule,  Cathay  and  the  way  thither. 
Les  Grecs  et  les  Romains  ont  su  qu'il  y  avait  une  civilisation 
chinoise,  bien  avant  que  les  Chinois  aient  soupçonné  l'existence 
du  monde  occidental.  11  est  fait  fréquemment  allusion  aux  Seres 
dans  les  auteurs  anciens.  Cf.  Strabon,  XV,  25;  —  Virgile,  Géorg. 
II,  120;  —  Horace,  Odes,  1,  12  et  29;  111,  29;  IV, 1 5  ;  —  Pomponius 
Mêla,  111,  7;  —  Pline,  Hist.  nat.,  VI,  20;  XII,  i  et  41.  L'assertion 
de  Florus  {Epitome,  IV,  12),  au  sujet  de  l'ambassade  chinoise 
envoyée  à  la  cour  d'Auguste,  est  une  erreur  historique.  Les  an- 
nales des  Han,  qui  relatent,  dans  les  moindres  détails,  l'histoire 
de  cette   dynastie,  n'en  font  pas  mention.   En  outre,  elles  nous 


222  L'ART    CHINOIS. 

gagnait  le  Turkestan,  dont  Mou-lou  (Antiochia  Mar- 
giana,  Mourou,  Merv)  était  le  centre  commercial.  De 
Mou-lou,  on  allait  à  Ho-tou 
Hecatompylos),  puis  à  .4 -ma/z 
(Ecbatana).  En  poursuivant  la 
route  jusqu^au  Tigre,  on  pas- 
sait le  fleuve  à  Sou-pin  (Cté- 
siphon)  ,  en  face  de  Sou-lo 
(Séleucie),  et  on  arrivait  à 
Yu-lo  iHîra),  sur  les  lacs  de 
Chaldce,  d^ou,  par  le  cours 
de  TEuphrate,  on  atteignait 
le  golfe  Persique.  On  doublait 
ensuite  toute  la  péninsule  ara- 
bique, on  remontait  la  mer 
Rouge  jusqu'au  fond  du  golfe 
^lantique  et  Ton  abordait  à 
M\d,  :  il  fallait  deux  mois  de 
navigation  de  H  ira  jusqu'à  ce 
port.  De  yEla,  par  Petra  [Li- 
kan,  Rekem),  on  gagnait  Gaza 
ou    quelque  autre  ville  de   la 


TABATJERE  DE  VERRE. 


DEUX   COUCHES  TEINTEES 

(  Collection 
de  M.  le  vicomte  de  Semallé.) 


cote  syrienne' 


Plus  tard,  à  partir  du  nf  siècle,  le  commerce  suivit 
aussi  une  autre  route.  Depuis  Hîra,  on  remontait  TEu- 


apprennent  que  le  premier  Chinois  qui  ait  pénétré  dans  le  Ta- 
ts'in  fut  Kan-Ying  qui  alla  jusqu'en  Chaldée  (T^iao-tclie)  (n'^  siè- 
cle ap.  J.-C). 

I.  Pour  de  plus  amples  renseignements  sur  la  voie  commer- 
ciale qui,  dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère,  reliait  la  Méso- 
potamie à  la  Syrie  par  le   golfe  Persique,  la  mer  Rouge  et  les 


LE    VERRE.  aaj 

phrate  et,  par  Palmyre  [Tsic-lan]  et  Emèse  [Sou- 
fou],  on  arrivait  à  Antioclie  [An-tuu]^  résidence  du  pro- 
consul de  Syrie  et  que  les  auteurs  chinois  ont  toujours 
considérée    comme   la    capitale   de    Tempire    romain. 

Les  commerçants  qui  faisaient  ainsi  passer  des  mar- 
chandises à  travers  toute  TAsie  n^étaient  pas  des  Chi- 
nois. Jusqu'à  nos  jours,  en  effet,  la  race  chinoise  n'a 
jamais  été  voyageuse  :  aucun  peuple,  peut-être,  ne  s'est 
attaché  plus  solidement  au  sol  où  il  était  né,  et  l'on 
sait  que  les  coolies  chinois,  que  les  grands  courants  de 
l'émigration  vont  porter  actuellement  sur  tous  les 
points  du  monde,  ont  la  constante  préoccupation  du 
retour  sur  la  terre  chinoise.  Suivant  toute  probabilité, 
c'étaient  des  Syriens  qui  s'enhardissaient  ainsi  à  im- 
porter leurs  marchandises  jusque  dans  l'extrême 
Orient.  Cette  opinion  paraît  confirmée  par  la  singu- 
lière aventure  de  ce  marchand  syrien,  surnommé 
Ts'in-loun  par  les  auteurs  chinois,  qui,  vers  l'an  23o 
de  notre  ère,  parvint  à  la  cour  de  l'empereur  Ta-ti, 
après  avoir  erré  plusieurs  années  à  travers  l'Annam  et 
le  Tonkin.  Ce  souverain  lui  confia  la  direction  d'une 
mission  qui  devait  se  rendre  dans  l'empire  romain, 
Ta-ts'in,  et  y  nouer  des  rapports  officiels.  Les  en- 
voyés chinois  qui  la  composaient  périrent  en  route, 
et  Ts'in-loun  seul  put  poursuivre  son  voyage;  mais 
on  ne  sut  jamais  s.'il  parvint  au  terme. 

Parmi  les   articles  les  plus  importants  de  ce  com- 


villes  de  l'Arabie-Pétree,  —  cf.  Reinaud,  Mém.  sur  les  royaumes 
de  Mésène  et  de  Kharacène,  et,  du  même  auteur,  Mém.  sur  le 
périple  de  la  mer  Éi-ythrée,  au  tome  XXIV  des  Mémoires  de 
V Académie  des  Inscriptions, 


22+  L'ART    CHINOIS. 

merce  transasiatique,  figurait  le  verre  ^  L^auteur  du 
Oueï-lio  nous  apprend  qu'il  y  en  avait  de  dix  colora- 
tions différentes  :  blanc,  noir,  vert,  jaune,  bleu  sombre, 
bleu   clair,  rouge  sombre,   rouge  clair,   rose  et  brun. 

Ainsi,  dès  la  fin  du  n"  siècle,  les  Chinois  connais- 
saient le  verre.  Ce  ne  fut  qu'au  V  siècle  qu'ils  apprirent 
à  le  fabriquer. 

Les  historiens  chinois  nous  fournissent  sur  ce  point 
des  données  précises.  D'après  le  Peï-tche,  des  marchands 
étrangers  2,  partis  du  pays  de  Ta-yue-chi  (situé  sur  la 
frontière  nord-ouest  de  l'Inde),  vinrent  à  la  cour  de 
Tai-ou  (424-452),  de  la  dynastie  des  Oueï  septentrio- 
naux ^.  Ils  prétendaient  trouver  sur  place  les  matières 
nécessaires  à  la  vitrification,  et  ils  fabriquèrent,  en  ef- 
fet, du  verre  qui  était,  dit-on,  plus  brillant  et  plus  trans- 
parent que  celui  qu'on  recevait  de  l'Ouest.  Le  Peï-tche 
assure  qu'à  partir  de  cette  époque  le  prix  du  verre 
baissa  considérablement  en  Chine. 

Quelques  historiens  ont  revendiqué  pour  l'empereur 
Ouen-ti  (424-454),  de  la  dynastie  des  Liou  Soung, 
contemporain  et  rival  de  Tai-ou,  l'honneur  d'avoir 
fait  adopter  les  procédés  de  la  vitrification.  Quoi  qu'il 

1.  Les  autres  produits  principaux,  expédiés  d'Occident  en 
Chine  en  échange  de  la  soie,  étaient  les  tissus  de  laine  brodés 
et  teints,  les  drogues  et  les  aromates,  les  pierres  précieuses  et  les 
perles.  Cf.  dans  Hirth,  les  citations  du  ûiœi-lio,  ou  Histoire 
abrégée  de  la  dynastie  des  Oueï,  ouvrage  de  la  fin  du  ni^  siècle. 
Les  pierres  précieuses  provenaient  des  tailleries  d'Alexandrie. 
Cf.  W.  Jones,  History  of  precious  stones.  London,  1880. 

2.  De  quelle  nationalité  étaient  ces  marchands?  Indiens?  Sy- 
riens? L'auteur  chinois  a  négligé  de  le  spécifier. 

3.  La  cour  des  Oueï  septentrionaux  était  près  de  la  ville  ac- 
tuelle de  Ta-t'oung-fou,  dans  la  province  du  Chen-si. 


LK    VERRE.  225 

en  soit,  la  date  du  début  de  la  fabrication  du  verre  en 
Chine  demeure  établie  :  elle  se  place  entre  les  années 
424  et  452. 


II 


LA    TECHNIQUE 

Bien  qu'aucun  spécimen  ancien  de  la  verrerie  chi- 
noise ne  soit  parvenu  Jusqu"'à  nous,  il  semble  que  la 
technique  du  verre  se  soit  rapidement  perfectionnée 
dans  PEmpire  du  Milieu.  Nous  savons,  en  effet,  par 
les  auteurs,  que,  dès  le  ix"  siècle,  on  le  réservait  à  une 
fabrication  de  luxe.  On  le  considérait  presque  comme 
une  matière  précieuse.  Le  poète  Li  taï-pe,  parlant  de 
la  belle  T"'aï-tchen,  Tune  des  beautés  classiques  de  la 
Chine,  la  représente  pressant  des  grappes  de  raisin 
dans  des  coupes  de  verre  et  dans  des  vases  d'or,  de 
jade,  d'émeraude,  etc. 

Les  Chinois  ont  toujours  su  colorer  le  verre  dans 
la  masse  :  les  colorations  les  plus  fréquemment  usitées 
sont  le  rouge  de  grenat  ou  de  calcédoine,  le  rose  de 
corail,  le  violet  clair  et  le  violet  pensée,  le  bleu  de  sa- 
phir, le  blanc  opaque,  le  vert  d'émeraude  ou  de  jade. 
L'intensité  et  la  pureté  des  tons  donnent  parfois  à  la 
matière  l'aspect  d'une  pierre  dure,  d'une  agate  orientale 
sans  défaut.  Ils  ont  excellé  également  à  foudre  en- 
semble des  verres  de  couleurs  différentes,  soit  sans  les 
mêler,  soit  en   introduisant  dans  la  pâte  même  l'une 

l'art    CHINOH.  IS 


2  26 


L'ART  CHINOIS. 


des  matières  composantes,  sous  forme  de  macules,  de 
veines  ou  de  rubans,  etc.  La  pièce  qui  est  représentée 
ci-dessous,  et  qui  provient  de  la  collection  de  M.  L. 
Gonse,  nous  offre  un  des  spécimens  les  plus  caracté- 
ristiques et  les  plus  délicats  de  ce  genre. 

On  a  fabriqué  en  Chine  et  on  y  fabrique  encore  des 
verres  décorés  d'émaux  trans- 
lucides, Koii-yiie-siien.  Quel- 
quefois le  verre  est  légère- 
ment craquelé  par  la  cuisson 
qui  a  fixé  Témail. 

Suivant  toute  probabilité, 
c'est  aux  Arabes  que  les 
Chinois  doivent  la  technique 
du  verre  émaillé.  LMntro- 
duction  des  premiers  mo- 
dèles a  dû  s'effectuer  sous 
la  dynastie  mongole  (1260- 
i368).  C'est  en  effet  le  mo- 
ment où  la  verrerie  arabe  a 
produit  ses  œuvres  les  plus 
accomplies  et  celui  où  les 
relations  entre  la  Chine  et  le  monde  islamique  ont  été 
le  plus  suivies  (voy.  p.  70).  Cette  origine  nous  paraît 
confirmée  encore  par  la  présence  en  Chine,  principale- 
ment dans  les  provinces  de  l'ouest,  d'un  certain  nombre 
de  lampes  de  mosquée,  en  verre  émaillé,  à  forme  éva- 
sée, décorées  de  caractères  et  de  motifs  arabes. 

Les  Chinois  n'ont  pas,  à  notre  connaissance  du 
moins,  décoré  d'émaux  des  pièces  importantes.  Ce  ne 
sont  généralement  que  des  tabatières.  La  collection  de 


TABATIÈRE     DE     VERRE. 

(Collection  de  M.  L.  Gonse.) 


LE    VERRE. 


M.  le  vicomie   de  Semallé  en  possède    quelques  spé- 
cimens. 

Tous  les  procédés  employés  en  Occident  pour  le 
travail  du  verre  ont  été  pratiqués  dans  l'Empire  du 
Milieu  :  le  soufflage,  le  coulage  et  le  moulage  y  ont 
toujours  été  usités; 
mais  c'est  par  la 
taille,  et  surtout  par 
la  ciselure  profonde 
des  verres  à  plusieurs 
couches  colorées,  que 
les  verriers  chinois 
ont  créé  leurs  œuvres 
les  plus  originales. 
Dans  ce  genre  de  tra- 
vail, ils  ont  atteint  à 
une  sûreté  de  main,  à 
une  délicatesse  de 
goût,  à  une  fermeté  de 
style,  que  la  maîtrise 
des  ouvriers  de  Bo- 
hême du  xvi"  siècle  n^a 
certes  pas    dépassées. 

Les  verres  chinois  sont  le  plus  souvent  de  petite 
dimension  et  de  formes  peu  variées  :  ce  sont  des  coupes 
ou  des  tabatières.  Les  coupes  sont  formulées  en  ove, 
en  calice  de  nelumbium  ou  de  magnolia  :  elles  sont 
décorées,  sur  le  pourtour,  d'un  dragon,  d'un  phénix, 
d'une  branche  de  lotus,  de  quelque  figure  symbolique 
du  bouddhisme  ou  du  taoïsme,  etc.  Les  tabatières  ont 
des  décors   plus  variés   :  la  fantaisie  de   l'artiste  y  a 


TABATIERE      DE     VERRE 
A      DEUX      COUCHES      TEINTEES. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  de   Semallé.''^ 


228  L'ART   CHINOIS. 

gravé  des  fleurs,  des  animaux,  des  sujets  familiers,  etc. 
Souvent,  ces  tabatières  sont  ornées  d'un  décor  colorié 
à  la  main.  Dans  ce  cas,  Tapplication  de  la  couleur  est 
faite  à  Tintérieur  même  de  l'objet  :  ce  n'est  que  par  des 
prodiges  d^habileté  et  de  patience  que  Touvrier  peut 
arriver  à  manier  son  pinceau  à  travers  Tétroit  goulot 
et  à  tracer  son  décor  sur  la  paroi  interne  du  verre. 

Les  objets  de  verrerie  ancienne  sont  en  Chine  d^ne 
rareté  excessive.  La  mode  des  tabatières,  très  répandue 
actuellement,  ne  date  guère  que  du  règne  de  Khang-hi 
(1662-1723),  et  nous  n'en  avons  point  vu,  à  Pékin,  qui 
fussent  antérieures  au  xviir  siècle.  On  trouve  assez 
fréquemment  des  coupes,  dont  la  décoration  sobre, 
ferme  et  large,  présente  tous  les  caractères  du  style  des 
Min?. 


LES    EMAUX 


LES     EMAUX     CHAMPLEVES     ET     CLOISONNES 

Dans  leur  recherche  de  tout  ce  qui  pouvait  contri- 
buer à  rehausser  les  bronzes,  les  Chinois  ont  été 
amenés  à  les  décorer  d'' émaux  champlevés  et  dC émaux 
cloisonnés. 

On  sait  en  quoi  consistent  ces  deux  procédés  de  déco- 
ration. Dans  le  premier  cas,  on  creuse  dans  le  bronze 
même,  et  d'après  un  contour  donné,  une  concavité  où 
Ton  dépose  un  émail,  c'est-à-dire  une  composition 
d'oxydes  métalliques  que  Ton  vitrifie  en  soumettant  au 
feu  la  pièce  ainsi  préparée.  Dans  le  second  cas,  on 
applique  de  champ,  sur  le  métal  destiné  à  servir 
de  fond,  des  rubans  de  cuivre,  d'argent  ou  d'or  qui, 
suivant  le  tracé  d'un  dessin,  divisent  la  surface  en  au- 
tant de  compartiments  ou  cloisons  qu'il  y  a  de  parties 
diversement  teintées.  Ces  cloisons  font  de  la  surface  à 
décorer  un  réseau  métallique,  un  treillis  de  cellules 
dans  lesquelles  on  introduit  ensuite  l'émail  en  poudre 
mêlée  d'un  peu  d'essence.  On  passe  enfin  au  four  qui 


230  L'ART   CHINOIS. 

fixe  les  couleurs  sur  le  fond  sans  détruire  les  cloisons. 

C'est  rOccident  qui  a  importé  en  Chine  le  procédé 
du  cloisonné,  qu'elle  a  ensuite  poussé  à  un  si  haut  point 
de  perfection. 

Cette  origine  nous  paraît  indiquée  d''abord  par  le 
nom  chinois  de  Témail  cloisonné,  /a-lan,  dont  le  sens 
littéral  est  «  émail  franc  ».  Ce  mot  désignait  autrefois 
en  Chine  tout  ce  qui  était  de  provenance  occidentale. 
En  enveloppant  ainsi  sous  la  rubrique  générale  de 
«  Francs  «  l'ensemble  des  peuples  situés  à  l'ouest  de 
TAsie,  les  Chinois  ne  tirent  qu'adopter  l'expression  par 
laquelle  les  Orientaux,  à  la  suite  de  la  prédominance 
de  l'influence  française  dans  le  Levant,  ont  désigné, 
jusqu'en  notre  siècle,  la  masse  des  pays  chrétiens,  sans 
distinction  de  nationalité.  Le  sens  du  mot  était  général 
et  ne  s'appliquait  pas  encore  exclusivement  aux  Fran- 
çais. 

A  l'appui  de  cette  interprétation,  nous  trouvons 
dans  un  ouvrage  officiel  chinois  que  «  la  8*  année  Kia- 
tsing  (en  i529,  sous  les  Ming),  on  fabriqua  des  p'ao 
ou  canons  que  Ton  nomma  canons  francs  (fa-lang-ki- 

p'ao) Fa-lang-ki    est  un   nom  de   royaume   (Koue 

ming  y  e).  A  la  fin  de  la  période  Tching-te  (vers  i52i) 
les  vaisseaux  de  ce  royaume  étant  arrivés  à  Canton,  on 
obtint  d'eux  un  modèle  de  leurs  canons  et  on  en  fabriqua 
de  pareils  en  cuivre  ^  )<  Il  n'est  pas  vraisemblable  qu'un 
vaisseau  français  se  soit  rendu  à  Canton  en  i52i; 
mais  il  est  très  probable  qu'un  des   navires  de  Magel- 


1.  Hoang-tchdo-li-ki  tliou-tchi,  «  Modèles  des  objets  rituels  ». 
(Section  des  instruments  de  guerre.) 


LES    EMAUX.  2JI 

lan,  qui  prcciscmeiit  avait  franclii  en  i52o  le  dciroit 
qu'il  a  baptisé  de  son  nom,  et  qui  dans  cette  année  avait 
découvert  les  Philippines,  ait  été  reconnaître  la  côte 
voisine  de  Chine  et  visiter  Canton.  Cet  exemple  suffit 
à  démontrer  qu'au  commencement  du  xvi"  siècle  les 
Chinois  désignaient  confusément  sous  le  nom  de 
«  francs  «  tous  les  pays  d'Europe,  et  que  le  nom  de 
fa-lan  donné  aux  cloisonnés  témoigne  bien  d'une 
origine  occidentale. 

L'étude  attentive  des  plus  anciens  cloisonnés  nous 
fournit  également  des  preuves  de  cette  provenance  eu- 
ropéenne :  ces  oeuvres  présentent  parfois,  en  effet,  de 
singulières  ressemblances  avec  certains  émaux  de  l'école 
byzantine  :  mélange  d'émaux  différents  entre  les  parois 
d'une  même  cloison  ,  —  emploi  d'incrustations  d'or 
pour  traiter  les  figures  et  les  mains,  etc. 

Cette  origine  ainsi  indiquée  d'une  façon  générale, 
comment  et  à  quelle  époque  se  fit  l'importation  des  cloi- 
sonnés en  Chine?  Nous  ne  pouvons  présenter  ici,  en 
manière  de  solution,  que  deux  hypothèses. 

1°  Les  Chinois  ont  reçu  le  cloisonné  par  des  arti- 
sans isolés,  voyageant  à  travers  toute  l'Asie,  et  créant  des 
ateliers  dans  les  grandes  villes  qu'ils  visitaient,  comme 
firent  à  peu  près  ces  petites  colonies  d'ouvriers  syriens 
qui  parcouraient  la  France  à  l'époque  mérovingienne 
et  y  apportaient  également  les  procédés  byzantins*. 

Nous  avons  eu  déjà  (voy.  siiprà,  p.  70)  l'occasion  de- 
signaler   les    conséquences    considérables    qu'entraîna 


I.  Cf.  fiayet,  l'Art  by:^antiii,  p.  291.  (Bibl.    de   l'enseignement 
DES  Beaux-Arts). 


2J2  L'ART    CHINOIS. 

rétablissement  d''une  dynastie  mongole  en  Chine  dans 
la  seconde  moitié  du  xixr  siècle,  au  point  de  vue  de 
Pouverture  de  l'Asie  orientale  aux  idées,  aux  connais- 
sances scientifiques,  aux  procédés  industriels  et  aux 
formules  d'art  des  civilisations  occidentales. 

Les  relations  qui  existaient  alors  entre  la  Chine  et 
l'Europe  par  la  voie  de  terre,  c'est-à-dire  par  la  Perse 
et  le  Turkestan  ou  par  la  Sibérie  et  la  Mongolie, 
étaient  moins  rares  qu'on  ne  le  pense.  La  cour  que  les 
Grands  Khans  tenaient  [à  Karakorum  était  le  lieu  de 
rendez-vous  d'une  foule  d'envoyés  politiques,  de  reli- 
gieux, de  commerçants,  d'aventuriers  qui  venaient 
de  tous  les  points  du  monde  civilisé.  Beaucoup  de 
religieux  italiens,  français,  flamands  sV  rendirent, 
chargés  d'une  mission  de  la  cour  de  Rome  :  un  fran- 
ciscain du  royaume  de  Naples  y  passa  pour  se  rendre  à 
Pékin,  où  le  pape  l'avait  institué  évêque  ^  Lorsqu'en 
i25i  le  moine  Guillaume  de  Rubrouck  y  parvint,  les 
premières  personnes  qu'il  y  rencontra  furent  «  maître 
Guillaume  Boucher,  orfèvre  parisien,  qui  avait  de- 
meuré sur  le  Grand-Pont  à  Paris  »,  et  «  une  femme  de 
Metz  en  Lorraine,  nommée  Paquette,  qui  avait  été 
faite  prisonnière  en  Hongrie  »  ;  ce  Guillaume  était  or- 
fèvre du  grand  khan  qui  allait  devenir  empereur  de 
Chine-.  11  y  avait  encore  à  Karakorum  des  Arabes, 
des  Syriens,  des  Moscovites.  Il  y  avait  aussi  des  mar- 
chands génois,  pisans  et  vénitiens.   Le  voyage  du  père 

I.  Cf.  Abel  Rémusat,  Second  Mémoire  a  V Académie  des  Jiisc, 
VII,  335,  et  Mélanges  asiatiques. 

?..  Cf.  Voyage  de  Guillaume  de  Rubrouck  en  Orient,  annoté 
par  de  Backer. 


LES    EMAUX. 


2J} 


et  de  ronclc  de  Marco  Polo  en  Tartarie  (i356)  n'était 
pas,  en  effet,  le  premier  qu^eussent  tente  les  Vénitiens 
pour  chercher  vers  Textréme  Orient  des  débouchés  à 


BOITE      DEMAU     CLOISONNE,      XVl''     SIECLE. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  de  Semallé.) 


leur  commerce.  Des  artisans  de  Pologne,  de  Bohême 
et  de  Hongrie  avaient  pris  également  la  route  de  la 
Mongolie  et  de  Cathay  :  Jean  du  Plan  Carpin,  légat  du 
Saint-Siège  en  Tartarie,  fit  le  voyage  avec  des  gens  de 
Breslau  et  de  Prague,  et,  quelques  années  plus  tard, 
quand  Jean  de  Montecorvino,  religieux  de  TOrdre  des 


23  + 


L'ART    CHINOIS. 


Frères  Mineurs,  partit  pour  la  Chine,  un  artisan  italien 
l'accompagnait  ^ 

Lorsque  Koubilai-khan,  à  la  suite  de  ses  conquêtes, 
établit  sa  cour  à   Pékin   et  assura  sa   domination  sur 

tout  l'Empire  du 
Milieu,  la  barrière 
que  la  Grande  Mu- 
raille opposait  aux 
influences  occiden- 
tales cessa  d'exister. 
Tous  ces  étrangers, 
savants,  religieux, 
commerçants,  arti- 
sans, dont  il  aimait 
à  s'entourer  à  Kara- 
korum,  le  suivirent 
dans  sa  nouvelle  ca- 
pitale et  bientôt  la 
Chine  fut  ouverte 
—  pour  un  temps 
qui  ne  dura  guère, 
il  est  vrai  —  à  l'action  extérieure.  Nous  savons  par 
les  récits  de  Marco  Polo  de  quel  crédit  les  Euro- 
péens jouissaient  auprès  de  l'empereur  mongol  et  en 
quelle  faveur  ce  souverain  tenait  tout  ce  qui  était  d'ori- 
gine étrangère.  Les  marchands  et  artisans  qui  faisaient 
route  vers  la  Mongolie  poursuivirent  désormais  leur 
chemin  Jusqu'au  centre  même  du  Cathay,  et  le  francis- 
cain Odoric  de  Pordenone,  composant  à  son  retour  en 

I.  Voy.  d'autres  exemples  encore  dans  Cord[tiT,BibliothecaSi- 
nica,  II,  p.  884  et  suiv. 


.SE      D     1  ;  M  A  I  L       C  L  O  I  S  O  ,\  N  h  . 

H.,  o"\i6. 

XVl*^     SIÈCLE. 

(Collection  de  M.  L.  Gouse.) 


LLS    EMAUX. 


23S 


Europe  la  relation  de  son  voyage  en  Chine  ei  de  son 
séjour  à  Hang-tcheou  qu'il  avait  visité  en  i325,  put 
écrire   ces    lignes   :    «    La  cité   de   Cansay   est   la    plus 


^Ct-C-r  < 


VASE    d'Émail   cloisonné. 
H.,  o",i2s. 

XVl"     SIÈCLE. 

(Collection  de  M.  L.  Gonse.) 

grande  ville  du  monde;  j'ose  à  peine  donner  cette  indi- 
cation; car  il  y  a  tant  de  gens  à  Venise  qui  y  ont  été  ^  » 

I.  Cansay,  la  Quinsay  de  Marco  Polo,  la  Khanzai  d'ibn-batou- 
tali,  est  Hang-tcheou-fou,  autrefois  King-sse,  l'ancienne  capitale 
des  Soung.  Cf.  Yule,  Cathay  and  the  way  tliither,  l,  p.  ii3. 


2]6  L'ART    CHINOIS. 

Si  Ton  accorde  que  les  voyages  dont  le  souvenir 
nous  a  été  ainsi  conservé  ne  sont  qu'en  petit  nombre 
à  côté  de  tous  ceux  qui  furent  entrepris  par  des  mar- 
chands ou  des  artisans  demeurés  plus  obscurs,  on  re- 
connaîtra que  certains  procédés  de  l'industrie  occiden- 
tale, ceux  de  Témaillerie  en  particulier,  avaient  pu 
passer  en  Chine,  à  travers  toute  TAsie,  vers  la  fin  du 
xiii"  siècle. 

2°  Les  navigateurs  arabes  ont  éié  les  importateurs 
du  cloisonné.  Nous  avons  parlé  déjà  (voir  p.  70)  du 
commerce  établi  entre  la  Chine  méridionale  et  le 
monde  islamique.  L'importance  que  ce  commerce  prit, 
vers  le  xiv  siècle,  donnerait  à  penser  que  les  émaux 
des  «  pays  francs  »  ont  été  introduits  plutôt  par  la  voie 
de  mer  que  par  la  longue  route  de  terre.  Nous  devons 
cependant  signaler  un  passage  du  Ko-koii-yao-loiin, 
ouvrage  publié  au  début  du  xv°  siècle,  où  il  est  fait 
mention  de  vases  arabes  de  cuivre  émaillé  «  semblables 
aux  bronzes  fa-lan  »  :  cette  distinction  tend  à  faire 
croire  que  les  fa-lan,  aux  yeux  des  Chinois  de  cette 
époque,  n'étaient  pas  de  provenance  arabe,  et  que,  des 
deux  hypothèses  que  nous  venons  de  présenter,  la  pre- 
mière est  la  plus  admissible. 

Les  émaux  dont  on  se  servait  et  qu'on  emploie  en- 
core en  Chine  sont  d'une  grande  variété  de  nuances  : 
le  bleu  est  obtenu  par  Toxyde  de  cobalt,  le  rouge  par 
Toxyde  de  cuivre  et  le  sulfate  d'argent,  le  vert  par 
l'oxyde  de  chrome,  le  violet  par  l'oxyde  de  manganèse, 
le  jaune  par  le  chlorure  d'argent,  le  blanc  d'opale  par 
Toxyde  d'étain,  le  blanc  vif  par  les  oxydes  d'étain  et  de 
plomb,  le  noir  par  un    mélange    des   oxydes  donnant 


BRULE-PARFUMS      d'ÉMAIL     CLOISONNE,      PROVENANT     DU     PALAIS 

d'Été   (nien-hao   :     kien-long,    1736-1796). 
H.,   i'",6s. 

(Musée  Je  Fontainebleau.) 


2jJ  L'ART    CHINOIS. 

dans  leurs  valeurs  les  plus  intenses  le  bleu,  le  vert  et  le 
violet.  Ces  émaux  prennent  au  feu  une  certaine  trans- 
lucidité qui  leur  donne  Téclat  chatoyant  des  pierres  pré- 
cieuses. Pour  les  rendre  opaques,  il  suffit  de  mêler  à 
leur  fondant  un  peu  d'émail  blanc;  alors,  ils  absorbent 
la  lumière,  éteignent  leurs  tons  et  prennent  Taspect  plus 
doux  de  la  turquoise,  du  lapis-lazuli,  de  Pivoire,  etc. 

Les  Chinois  n'ont  pas  disposé,  dès  le  début,  d'une 
si  riche  palette.  Au  commencement  de  la  dynastie  des 
Ming,  c'est-à-dire  dès  les  premières  années  du  xv^  siè- 
cle, les  cloisonnés  sont  de  couleur  très  foncée  :  on  y 
trouve  surtout  des  bleus  sombres,  des  jaunes  profonds, 
du  violet  pensée,  des  blancs  troubles  et  mats.  Il  y  a 
aussi  parfois  des  parties  de  fond  laissées  nues  ou  re- 
vêtues d'or.  La  qualité  de  la  poudre  d'émail,  quand  elle 
ne  se  compose  pas  de  pierres  fines  pulvérisées  (amé- 
thyste, turquoise,  grenat),  est  souvent  imparfaite;  elle 
se  comporte  mal  au  feu  et  se  pique  d'une  infinité  de 
petits  trous.  Vers  le  milieu  du  xv  siècle,  sous  l'empe- 
reur King-t'aï,  la  technique  du  cloisonné  réalise  des 
progrès  sérieux  :  le  cloisonnage  est  moins  grossier  et 
permet  un  décor  plus  savant  ;  les  émaux  sont  d'une 
qualité  plus  fine  et  de  nuances  plus  délicates. 

Sous  l'empereur  Khang-hi,  des  Thsing  (1662-1723), 
Part  de  l'émaillerie  atteint  à  la  perfection  ;  c'est  un  art 
robuste  et  délicat  à  la  fois,  créant  des  œuvres  d'un 
style  simple  et  large,  d'un  coloris  opulent,  d'une  exé- 
cution forte  et  originale.  Il  reste  ainsi  à  son  apogée  jus- 
que vers  la  fin  du  règne  de  Kien-long  (1736-1796). 
A  cette  époque,  il  est  capable  encore  de  produire  des 
chefs-d'œuvre  de  forme  élégante  et  hardie,  de  coloration 


LES    KM  AUX.  2J9 

riche  et  harmonieuse.  Mais  après  celte  longue  période 
d'incomparable  éclat,  il  entre  en  décadence,  et,  à  partir 
de  la  fin  du  xviii*  siècle,  il  n'est  plus  qu'une  simple 
industrie,  où  l'instinct  de  la  décoration  et  les  dons 
de  coloristes  des  artisans  chinois  trouvent  parfois  à  se 
manifester  encore,  mais  où  l'inspiration  heureuse,  le 
sentiment  délicat  des  lignes  et  des  nuances,  le  goût  par- 
fait et  le  style  manquent  désormais  :  ici,  comme  dans 
tant  d'autres  branches  de  l'art,  l'abus  de  la  production, 
causé  par  la  vogue  des  cloisonnés  en  Europe,  a  exercé 
la  plus  fâcheuse  influence,  et  il  n'est  pas  de  cloisonné 
moderne  qui  puisse  soutenir  la  comparaison  des  gran- 
des œuvres  des  xvi^'  et  xvni''  siècles. 


II 


LES     EMAUX     PEINTS 

Les  émaux  peints^  furent  mis  à  la  mode,  en  Chine, 
au  xviii^  siècle,  par  les  missionnaires  européens  qui  en 
enseignèrent  les  procédés  aux  peintres  des  ateliers  im- 
périaux. Les  modèles  qui  furent  ainsi  reproduits 
d'abord  étaient  sans  doute  des  émaux  de  Limoges,  à 
en  juger  par  ceux  que  l'on  retrouve  encore  chez  les 
marchands  de  curiosités  de  Pékin.  Mais  la  direction  de 
ces  ateliers  ne  demeura  pas  assez  longtemps  entre  les 
mains  des  pères  jésuites  pour  qu'ils  aient  pu   fonder 

I.  En  chinois,  Yang-tse,  «  porcelaine  des  étrangers  ». 


a+o 


L'ART    CHINOIS. 


une  sérieuse  école.    Aussi   l'art  des  émaux  peints  n''a 
jamais  réalisé,  en  Chine,  ce  qu'il  semblait  devoir  y  pro- 


AICUIKRE      DÉCOR  lÎE      d'ÉMAUX,      PROVENANT      DU      PALAIS     d'ÉtÉ. 

H.,  o'",^o. 
(nien-hao:    kien-long,    1736-1796.) 

(Musée  de  Fontainebleau.) 


duire,  et  la  technique  en  demeura  toujours  imparfaite- 
Néanmoins,  quelques  pièces  sont  d'une  coloration  déli- 
cate et  d'une  heureuse  composition  décorative. 


LA  PEINTURE 


LES  CARACTERES  GENERAUX,  LES  PROCEDES, 
LES  GENRES 

Comme  tous  les  arts  que  nous  avons  étudiés  jus- 
qu'ici, la  peinture  a  subi,  en  Chine,  une  évolution 
historique.  Cependant,  à  travers  la  diversité  des  épo- 
ques, la  variété  des  genres  et  la  différence  des  écoles, 
on  démêlé,  dès  les  premiers  temps  de  cette  histoire, 
une  certaine  unité  de  principes,  un  ensemble  continu 
de  caractères  communs,  et,  pour  ainsi  dire,  un  accord 
instinctif  entre  tous  les  peintres  dans  la  façon  d'inter- 
préter l'apparence  matérielle  des  choses  et  des  êtres, 
d'en  dégager  le  sens  intime,  d'exprimer  les  sensations 
et  les  idées  qu'ils  éveillaient  dans  leur  esprit,  de 
traduire,  en  un  mot,  la  vision  intérieure  qu'ils  évo- 
quaient en  eux. 

De  tous  les  caractères  généraux,  le  plus  frappant, 
celui  qui  a  persisté  avec  le  plus  de  force  à  travers  le 
long  développement  historique  de  la  peinture  chinoise, 
c'est  le  caractère  graphique  de  cette  peinture  :  les 
peintres  chinois  ont  été,  avant  tout,  des  dessinateurs  et 
des  calligraphes. 

l'art  chinois.  i6 


2+2  L'ART    CH  I  NO  IS. 

L'ecriiure  chinoise,  en  effet,  a  procédé  d'abord  à  la 
notation  des  idées  par  la  figuration  plus  ou  moins 
exacte  des  objets:  Télément  idéo-phonétique  n'a  été  in- 
troduit que  postérieurement  à  une  époque  très  avancée, 
semble-t-il,  du  développement  de  Tesprit  chinois. 
«  L'écriture  est  destinée  à  donner  la  ressemblance  des 
objets  «,  —  tel  fut  son  premier  but  :  le  nom  de  oiien, 
«  peinture  des  objets^  »,  par  lequel  Tsang-hie  désigna 
les  caractères  primitifs  dont  il  fut,  dit-on,  l'inventeur, 
confirme  cette  citation  du  Tse-ho-tien. 

D'ailleurs,  la  nature  même  de  l'écriture  chinoise 
impose  à  celui  qui  en  veut  tracer  les  caractères  une 
étude,  une  éducation  de  l'œil  et  de  la  main,  analogues 
à  celles  qu'exige  le  dessin.  Les  traits  de  ces  caractères 
ont,  en  effet,  des  ténuités,  des  souplesses,  des  brusque- 
ries d'arrêt,  des  grâces  de  courbure,  des  énergies  sou- 
daines ou  des  écrasements  progressifs,  qu'un  très  long 
apprentissage  du  coup  de  pinceau  peut  seul  donner. 
C'est,  en  outre,  une  opinion  reçue  des  lettrés  en  Chine, 
que  les  caractères  de  l'écriture  transmettent  à  l'idée 
qu'ils  expriment  quelque  chose  de  leur  beauté  gra- 
phique, et  que  la  pensée  qu'ils  enveloppent  prend  en 
eux  une  nuance  délicate,  un  tour  particulier. 

L'enseignement  du  dessin  se  fait,  en  Chine,  suivant 
la  même  méthode  que  celui  de  l'écriture.  Chaque 
motif  de  composition  se  divise  en  un  certain  nombre 
d'éléments  que   l'artiste  s'étudie  à  traiter  séparément, 

I.  Cette  traduction  du  mot  ouen  nous  est  tournie  par  la  pré- 
face du  Cliou-oiien:  «  la  classe  des  caractères  qui  ont  quelque 
ressemblance  avec  les  objets  est  celle  de  ceux  quijigurent  la  forme 
{siang-hing);  c'est  pourquoi  on  les  nomme  ouen,  ou  peinture  des 
objets  ». 


LA   PEINTURE.  2^3 

de  même  qu'il  apprend  à  tracer  isolement  chacun  des 
traits,  des  pleins  et  des  délies,  qui  forment  les  carac- 
tères. Voici,  par  exemple,  la  figure  humaine  :  on  n'en- 
seignera pas  à  l'élève  à  la  saisir  dans  son  ensemble; 
on  lui  démontrera  d'abord  qu'il  y  a  huit  manières  de 
dessiner  un  nez  de  face,  et  il  reproduira  patiemment 
chacune  de  ces  manières  comme  on  copie  une  page 
d'écriture;  il  passera  ensuite  à  l'étude  de  la  bouche, 
des  yeux,  des  sourcils,  etc.,  qui,  vus  de  face  ou  de 
profil,  comportent  un  certain  nombre  de  types,  etc.  ; 
on  lui  apprendra  encore  que  la  barbe  est  composée  de 
cinq  parties,  enfin  qu'il  y  a  dans  le  visage  humain 
cinq  points  culminants  dont  la  saillie  doit  être  plus 
ou    moins  accentuée  suivant  l'âge  du  modèle. 

Le  groupement  de  tous  les  éléments  du  visage  et  les 
proportions  qu'il  faut  leur  attribuer  sont  déterminés 
par  des  sortes  de  canons.  Chaque  région  de  la  figure 
humaine  a  reçu  un  nom  symbolique 

Cette  méthode  d'enseignement  du  dessin  s'applique 
à  tous  les  genres  de  composition  :  personnages,  ani- 
maux, fleurs,  paysages,  fabriques,  etc. 

Cette  façon  de  comprendre  la  représentation  figurée 
des  choses  devait  amener  les  Chinois  à  attribuer  au 
dessin  linéaire  une  importance  extrême  :  les  corps  leur 
apparurent,  non  pas  tels  qu'ils  sont  dans  la  réalité, 
c'est-à-dire  tournants  et  avec  une  lumière  tournant  au- 
tour d'eux,  mais  circonscrits  dans  un  trait  précis,  sé- 
parés de  l'air  ambiant  par  un  tracé  visible.  Aussi,  les 
peintres  de  l'Empire  du  Milieu  n'ont-ils  jamais  eu  le 
sentiment  de  la  substance  réelle,  du  modelé  des  corps 
et  du  relief  des  objets  :  même  aux  plus  belles  époques 


2+t  L'ART   CHINOIS. 

de  leur  art,  ils  sont  demeurés  incapables  de  repré- 
senter des  formes  solides  et  vivantes,  et  après  dix-neuf 
siècles  de  production,  ils  en  sont  encore  ou  en  était  la 
peinture  italienne  au  temps  de  Giotto  et  de  Simone 
Memmi;  leurs  aspirations  n'ont  pas  été  plus  loin. 

A  cette  insuffisance  d'imagination  plastique  corres- 
pond une  ignorance  absolue  de  Tanatomie  humaine. 
Le  relief  des  os,  Tentrelacement  et  le  soulèvement  des 
muscles,  le  contour  fuyant  des  membres  ou  la  plissure 
des  chairs,  la  saillie  des  artères  et  des  veines  sont  au- 
jourd'hui encore  inconnus  aux  peintres  chinois.  Tout 
au  contraire,  les  personnages  qu'ils  représentent  sont 
dessinés  sans  le  moindre  souci  de  la  vérité  anatomique  : 
les  bras  et  les  jambes  sont  attachés  et  articulés  on  ne 
sait  comment;  les  proportions  du  corps  sont  faussées; 
la  tête,  trop  forte  généralement,  est  rigide  et  paraît  ne 
pas  pouvoir  se  mouvoir  autour  du  cou;  les  mains  ne 
sont  jamais  traitées  avec  leur  aspect  et,  pour  ainsi  dire, 
leur  physionomie  particulière  :  elles  sont  les  mêmes 
pour  tous. 

Si  la  vision  nette  des  formes  plastiques  a  été  refusée 
aux  peintres  chinois,  ils  ont  eu  du  moins  un  sentiment 
assez  juste  de  la  perspective  linéaire  :  ils  ont  observé, 
en  effet,  que  l'éloignement  modifie  les  dimensions  appa- 
rentes des  objets  et  que  leur  grandeur  varie  pour  l'œil 
en  raison  inverse  de  la  distance  où  ils  sont  placés  de 
l'observateur.  Mais  ils  n'ont  jamais  pu  atteindre  à  la 
connaissance  des  lois  exactes  du  raccourci  des  figures. 
Le  plus  souvent,  lorsqu'ils  veulent  donner  l'illusion  du 
recul  des  plans,  ils  ont  recours  à  un  procédé  particu- 
lier :  ils  placent  très  haut  le  point  de  vue  de  leur  com- 


LA    PF.INTURF.  a+j 

position  et  échelonnent,  en  les  superposant,  les  person- 
nages ou  objets  qui  y  prennent  place;  les  dimensions 
de  ces  personnages  ou  objets  vont  en  diminuant  au  fur 
et  à  mesure  quMls  se  rapprochent  de  la  partie  supé- 
rieure de  Tencadrement  :  en  un  mot,  ce  qu'un  peintre 
d'Occident  met  dans  le  lointain  de  son  tableau,  l'artiste 
chinois  le  place  dans  le  haut  de  sa  décoration. 

Au  point  de  vue  de  la  composition  et  de  l'ordon- 
nance des  sujets,  certaines  peintures  chinoises  révèlent 
un  sentiment  juste  de  l'harmonie  générale  qui  doit 
régner  dans  une  œuvre,  en  combiner  les  lignes  princi- 
pales, en  distribuer  les  figures,  en  répartir  les  masses. 
La  symétrie  paraît  avoir  été  le  premier  principe  adopté 
en  matière  de  composition  :  la  disposition  symétrique 
donne  en  effet  à  la  composition  un  caractère  de  raideur 
hiératique,  de  solennité  mystique,  un  aspect  grave  et 
immobile,  qui  conviennent  bien  aux  sujets  sacrés  ;  or 
l'on  verra  plus  loin  qu'à  son  début  la  peinture  chi- 
noise a  été  exclusivement  religieuse. 

Plus  tard,  lorsque  le  mouvement  et  la  vie  ont  été 
introduits  dans  la  peinture,  les  procédés  de  mise  en 
scène  se  sont  perfectionnés.  Dans  le  désordre  apparent 
des  groupes  on  aperçoit  le  lien  qui  les  rattache,  on 
saisit  l'intention  de  remplir  par  des  accessoires  les  vides 
qu'ils  laissent  entre  eux.  Cette  intention  est  souvent 
même  trop  manifeste. 

Parmi  tous  les  procédés  de  composition  dont  les 
Chinois  ont  fait  l'essai,  il  faut  noter  celui  qui  consiste 
à  représenter  simultanément  toutes  les  phases  d'une 
action.  C'est  le  procédé  qu'ont  suivi  autrefois  les 
peintres  primitifs  des  écoles  italienne  ou  allemande. 


34<5  L'ART    CHINOIS. 

lorsqu'ils  figuraient  sur  la  même  toile  les  scènes  suc- 
cessives de  la  Passion,  de  l'Adoration  des  mages,  etc. 

Le  reproche  le  plus  sérieux  que  Ton  puisse  adresser 
aux  peintres  chinois  en  matière  de  composition  est 
de  ne  s^être  que  trop  rarement  résignés  à  sacrifier  les 
détails  à  Tunité  du  sujet.  Les  parties  secondaires  sont 
traitées  avec  autant  de  soin  que  la  partie  principale. 
Nulle  part  ce  défaut  n'est  plus  choquant  que  dans  la 
peinture  de  portraits,  où  les  détails  du  costume,  les  bro- 
deries de  la  robe,  les  plaques  de  jade  qui  pendent  au 
collier  ou  à  la  ceinture,  les  passementeries  et  le  bouton 
du  chapeau,  reçoivent  autant  d'importance  que  le  visage 
et  les  mains. 

En  dehors  des  qualités  de  dessin,  les  peintres  chi- 
nois ont  eu,  de  tout  temps,  le  sentiment  de  la  couleur  : 
s'ils  n'en  ont  jamais  formulé  scientifiquement  les  lois, 
ils  les  ont  du  moins  appliquées,  par  intuition,  avec  une 
sûreté,  une  délicatesse  parfaites. 

Mais  c'est  surtout  par  le  parti  qu'ils  ont  su  tirer  de 
la  vibration  des  couleurs  que  les  Chinois  se  sont  révé- 
lés coloristes.  L'instinct  et  l'observation  leur  ont  appris 
qu'en  modulant  les  tons  sur  eux-mêmes  on  leur  donne 
une  profondeur  singulière,  une  puissance  intense.  Dans 
la  peinture  sur  porcelaine,  plus  encore  peut-être  que 
dans  la  peinture  sur  soie,  ils  ont  fait  vibrer  et  tressail- 
lir leurs  couleurs  en  mettant  bleu  sur  bleu,  rouge  sur 
rouge,  rose  sur  rose,  Jaune  sur  jaune,  depuis  la  teinte 
la  plus  claire  jusqu'à  la  plus  sombre. 

Il  est  un  don  qu'on  a  toujours  refusé  aux  peintres 
chinois,  celui  de  sentir  et  de  rendre  les  effets  de  la  lu- 
mière et  de  l'ombre,  c'est-à-dire  le  clair-obscur.  Cette 


LA    PEINTURE.  2+7 

observation  n'est  Juste  qu'en  ce  qui  concerne  leur  façon 
d'interpréter  la  figure  humaine.  Il  est  certain,  en  ctfet, 
qu'ils  n'ont  jamais  su  modeler  une  tîgure  dans  la  lu- 
mière, marquer  la  saillie  éclairée  des  frontaux  et  des 
pommettes,  la  cavité  sombre  de  l'arcade  sourcilière,  la 
profondeur  mystérieuse  du  regard,  la  traînée  lumineuse 
qui  éclaire  une  joue,  qui  anime  les  lèvres,  l'ombre 
fuyante  du  cou,  toutes  ces  dégradations,  ces  ombres  et 
ces  demi-teintes  sans  lesquelles  l'évocation  de  la  forme 
humaine  ne  se  produit  qu'incomplètement  à  nos  yeux. 
Même  aux  époques  très  avancées  de  son  histoire,  la 
peinture  chinoise  s'est  contentée,  à  cet  égard,  d'un  mi- 
nimum de  conventions  que  nos  écoles  artistiques  d'Oc- 
cident ont  toujours  cherché  à  dépasser  dès  leurs  premiers 
essais  et  qui,  par  exemple,  ne  suffisaient  déjà  plus  aux 
artistes  italiens  de  la  fin  du  xiv«  siècle.  Nous  trouvons, 
sur  ce  point,  dans  la  Relation  du  voyage  de  lord  Ma- 
cartney,  ambassadeur  du  roi  Georges  IH  en  Chine,  le 
récit  d'un  fait  curieux.  Lorsqu'il  exposa  à  Pékin  les 
tableaux  qu'il  avait  apportés  d'Europe  pour  les  offrir  à 
l'empereur,  les  mandarins  manifestèrent  un  vif  éton- 
nement  à  la  vue  des  lumières  et  des  ombres  qui  étaient 
marquées  sur  les  figures  ;  ils  lui  demandèrent  sérieuse- 
ment si  les  originaux  de  ces  portraits  avaient  un  côté 
du  visage  d'une  couleur  différente  de  l'autre.  »  Ils 
regardaient  l'ombre  du  nez,  nous  dit-il,  comme  un 
grand  défaut  dans  la  peinture,  et  quelques-uns  d'entre 
eux  croyaient  qu'elle  y  avait  été  placée  par  accident  *.  » 


ï.  An   authentic   accoiint  of  an   Embassy  to  tlie  emperor  of 
China,  II.   I.ondon,  1797. 


2+8  L'ART   CHINOIS. 

Mais,  tout  au  contraire,  dans  rinierprétation  de  la 
réalité  pittoresque,  dans  la  peinture  de  paysage,  les 
Chinois  ont  atteint  parfois  à  l'expression  la  plus  savante 
des  plus  délicats  effets  du  clair-obscur.  La  grande  école 
paysagiste  des  Thang  a  produit,  dans  cet  ordre,  des 
œuvres  parfaites.  On  trouvera,  d'ailleurs,  de  plus  longs 
développements  sur  ce  point,  dans  la  partie  historique 
de  ce  chapitre. 

Il  n'est  guère  de  genres  que  les  peintres  chinois 
n'aient  abordés:  ils  ont  traité  tour  à  tour  les  sujets  reli- 
gieux et  historiques,  les  scènes  que  leur  offrait  la  vie 
réelle  et  Journalière  et  celles  dont  l'inspiration  leur 
était  donnée  par  la  poésie  ou  le  roman,  la  nature  morte, 
le  paysage,  le  portrait,  etc. 

C'est  le  bouddhisme  qui  a  inspiré  toute  la  peinture 
religieuse.  Ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin,  la  reli- 
gion bouddhique  a,  pour  ainsi  dire,  créé  l'art  pittores- 
que dans  l'Empire  du  Milieu,  en  y  apportant  les  prin- 
cipes, les  procédés  et  les  modèles  d'une  esthétique 
nouvelle.  Elle  apporta  en  outre  aux  Chinois  ce  qui  leur 
avait  fait  défaut  jusqu'à  ce  jour,  elle  leur  donna  la  ma- 
tière morale  sur  laquelle  s'exerça  par  la  suite  leur  génie 
national.  Les  premiers  peintres,  qui  furent  pour  la  plu- 
part des  moines,  des  bonzes,  des  cénobites,  s'adonnè- 
rent à  la  peinture  comme  à  une  tâche  pieuse,  et  les 
œuvres  qu'ils  créèrent,  toutes  empreintes  de  sentiment 
religieux,  de  piété  sincère  et  de  candeur  mystique,  furent 
presque  des  actes  de  foi  et  d'adoration.  Dans  le  genre 
religieux,  ils  arrivèrent  ainsi  jusqu'au  style  poétique, 
ils  pénétrèrent  très  avant  dans  le  monde  moral,  par  la 
sincérité  des  émotions  qu'ils  cherchaient  à  traduire,  par 


LA   PEINTURE. 


249 


l'élan  de  leur  cœur,  par  la  noblesse  et  le  détachement 
de  leur  pensée.  Mais  la  naïveté,  Paspiration  à  Pidéal  et 
ce  sens  du  divin  qu'exige  Part  religieux,  leur  tirent 
bientôt  défaut,  et  les  scènes  de  la  vie  de  Cakya-Mouni, 
qui  avaient  été  la  source  d'une  si  pure  inspiration  pour 
les  artistes  de  la  première  époque,  ne  furent  plus  que 
des  prétextes  à  de  savantes  compositions,  à  de  brillan- 
tes figurations.  La  pensée  religieuse  ne  s'y  révéla  plus 
à  aucun  degré;  de  tous  les  sentiments  que  l'artiste  cher- 
chait à  y  exprimer,  aucun  ne  dépassa  la  réalité. 

A  côté  de  la  peinture  religieuse,  le  genre  où  les  Chi- 
nois ont  atteint  au  point  le  plus  élevé  de  l'art  est  celui 
du  paysage.  On  verra  plus  loin  quel  sentiment  pas- 
sionné leur  a  inspiré  la  nature,  avec  quel  charme 
délicat,  quelle  poésie  sincère  et  émue,  ils  en  ont  inter- 
prété tous  les  aspects. 

Ils  n'ont  compris  la  peinture  d'histoire  qu'au  point 
de  vue  anecdotique,  sans  aucune  curiosité  de  la  couleur 
locale,  sans  aucun  souci  de  la  différence  des  temps,  des 
races,  des  sentiments  ni  des  costumes,  en  un  mot,  sans 
aucune  prétention  à  ressusciter  l'aspect  moral  ni  phy- 
sique d'une  époque  ;  on  ne  constate  non  plus,  dans  leurs 
compositions  historiques,  ni  exagération  épique  ni 
tendance  vers  le  genre  héroïque. 

La  littérature  a  été  pour  les  artistes  chinois,  après  la 
religion,  la  source  d'inspiration  la  plus  abondante.  Il 
en  faut  chercher  la  cause  dans  la  conception  parti- 
culière qu'on  s'est  faite,  en  Chine,  du  but  assigné  à  la 
peinture  et  du  rôle  attribué  au  peintre.  Avant  d'être  ar- 
tiste, le  peintre  est  homme  de  lettres,  poète,  roman- 
cier; le   dessin  et  la  peinture  sont  des  moyens  d'ex- 


250  L'ART    CHINOIS. 

pression  par  lesquels  tout  esprit  cultivé  doit  savoir 
donner  à  sa  pensée  un  tour  plus  précis,  des  nuances 
plus  délicates.  C'est  un  point  que  nous  nous  bornons 
à  signaler  dans  cet  aperçu  rapide  des  caractères  géné- 
raux de  la  peinture  chinoise  et  qui  retiendra  plus  loin 
notre  attention  (voy.  p.  267). 

,  Les  Chinois  ont  conçu  d'une  façon  toute  particulière 
la  peinture  de  portraits.  Ils  estiment  d'abord  que  le 
modèle  doit  poser  de  face,  de  manière  que  les  deux 
côtés  du  visage  soient  également  représentés,  et  regar- 
der fixement  le  spectateur  qui  est  censé  placé  droit 
devant  lui.  En  ce  qui  concerne  la  manière  de  traiter  la 
figure  humaine,  nous  avons  vu  plus  haut  à  quel  point 
leurs  idées  difîèrentdes  nôtres.  D'ailleurs,  dans  un  por- 
trait, la  personne  physique  leur  semble  presque  secon- 
daire :  l'artiste  n'attache  guère  du  prix  qu'à  la  reproduc- 
tion minutieuse  de  certaines  particularités  du  visage, 
telles  que  les  plis  des  paupières,  les  cils,  les  sourcils  et 
les  poils  de  la  barbe.  Le  sujet  qui  pose  devant  lui  ne 
lui  apparaît  pas  non  plus  comme  un  être  sentant  et 
pensant,  dont  il  lui  faut  exprimer  la  physionomie  inté- 
rieure et  dégager  le  type  moral,  mais  comme  un  per- 
sonnage ayant  tel  rang  dans  l'Etat,  telle  charge  à  la 
cour,  tel  grade  aux  examens,  telles  fonctions  dans  la 
grande  hiérarchie  de  la  société  chinoise.  Toute  l'atten- 
tion, toute  l'habileté  du  peintre  se  concentrent  donc  sur 
la  représentation  scrupuleuse  et  aussi  finie  que  possible 
des  détails  du  vêtement,  de  la  coiffure  et  des  insignes 
qui  indiquent  cette  situation  officielle.  Avec  de  pareil- 
les conceptions,  il  était  interdit  aux  portraitistes  chinois 
de  s'élever  jusqu'au  grand  art,  et,  de  fait,  nous  ne  con- 


LA   PEINTURE. 


251 


naissons  aucun  portrait  chinois  qui  nous  ait  laisse  Tim- 
pression  d'une  œuvre  forte  et  vivante. 

Il  nous  reste  à  signaler,  pour  terminer  cet  exposé 
préliminaire,  la  peinture  d'animaux  et  de  fleurs  où  les 
Chinois  ont  de  tout  temps  excellé,  avec  un  sentiment 
plus  ou  moins  sincère,  suivant  les  époques,  mais  avec 
une  maîtrise  de  facture  qui  est  toujours  demeurée 
égale. 


I 

l'histoire 

f"    ÉPOQUE 

DEPUIS  LES  ORIGINES   JUSQu'a  l'iNTRODUCTION  DU  BOUDDHISME 
(2600  ?  AV.   J.-C.  25o  AP.  J.-C,  1) 

S'il  fallait  en  croire  les  historiens  chinois,  les  ori- 
gines de  la  peinture  en  Chine  remonteraient  jusqu'à  la 
plus  haute  antiquité.  Che-hoang,  qui,  au  xxvir  siècle 
avant  notre  ère,  fut  ministre  de  l'empereur  Hoang-ti, 
en  serait  l'inventeur.  Il  était  contemporain  de  Tsang- 
hie^  qui,  le  premier,  enseigna  aux  Chinois  à  tracer  des 
caractères  d'écriture  avec  un  pinceau. 

1.  La  date  que  nous  donnons  ici  pour  l'introduction  du  boud- 
dhisme n'est  exacte  qu'en  ce  qui  concerne  l'influence  que  ce  culte 
a  exercée  sur  l'art  chinois.  Importée  en  l'an  79  de  notre  ère  dans 
l'Empire  du  Milieu,  la  religion  bouddhique  n'a  commencé  à  s'y 
répandre  que  vers  la  fin  du  ii''  siècle.  (Voy.  supra,  p.  34.) 

2.  Quelques  auteurs  chinois  ne  veulent  voir  dans  Che-hoang 
et  Tsang-hie  qu'un  seul  et  même  personnage. 


253  L'ART    CHINOIS. 

Il  est  probable  que  Che-hoang  n'était  pas  un  dessi- 
nateur, au  sens  précis  du  mot,  mais  plutôt  un  calli- 
graphe,  et  que  Pélégance  des  caractères  graphiques  qu'il 
savait  tracer  le  lit  considérer  comme  un  artiste.  Nous 
avons  déjà  insisté  d'ailleurs  sur  l'étroite  connexion  qui 
a  toujours  existé,  dans  l'esprit  des  Chinois,  entrai' écri- 
ture et  le  dessin,  au  point  de  leur  faire  considérer  l'une 
comme  une  application,  un  dérivé  de  l'autre. 

Sous  la  dynastie  des  Tcheou,  vers  le  xii"  siècle  av. 
J.-C,  l'idée  de  se  servir  de  couleurs  pour  décorer 
les  objets  destinés  aux  cérémonies  publiques  et  reli- 
gieuses avait  certainement  reçu  de  nombreuses  appli- 
cations. Le  Tcheou-li^  ou  «  Rituel  de  la  dynastie  des 
Tcheou  «,  fait  allusion  à  une  industrie  qui  consis- 
tait à  appliquer  des  couleurs.  S'agissâit-il  déjà  de 
peinture  proprement  dite,  comme  l'admettait  Biot, 
le  savant  traducteur  de  cet  ouvrage?  Ne  s'agit-il  pas 
plutôt  de  la  teinture  d'étoffes,  de  l'application  unie  de 
couleurs  sur  des  surfaces  murales?  On  ne  sait  au  juste. 

Le  papier  n'étant  pas  encore  inventé,  et  les  tissus 
de  soie  étant  encore  trop  grossiers  pour  recevoir  le 
dessin  et  les  couleurs,  la  peinture  murale  fut  sans 
doute  la  première  que  l'on  pratiqua.  Les  annales  chi- 
noises parlent,  en  effet,  fréquemment  d'empereurs  qui 
faisaient  couvrir  de  peintures  les  murs  de  leurs  palais. 
Les  historiens  nous  ont  aussi  conservé  le  souvenir  de 
deux  artistes  qui,  au  x''  siècle,  étaient  arrivés  à  la  célé- 
brité; mais,  en  nous  transmettant  leurs  noms,  Feng- 
mo,    surnommé    Mo-tien-tse,    et    Yen-che^,    ils     ont 

I.  Cf.  Mayers,  The  Chinese  reader's  Maniial,  914'. 


LA   PEINTURE.  253 

négligé  de  nous  donner  aucun  renseignement  sur  le 
genre  de  leur  peinture,  ni  sur  les  procédés  qu'ils  em- 
ployaient. 

Sous  la  dynastie  des  Thsin,  vers  l'an  25o  av.  notre 
ère,  on  savait  peindre  sur  des  tablettes  de  bambou  et 
sur  des  tissus  de  soie  fine,  dont  le  prix  était  encore 
fort  élevé.  C'était,  sans  doute,  sur  des  panneaux  de  soie 
qu'étaient  peints  ces  dragons  et  ces  phénix  que  Lie-jr 
offrit  à  l'empereur  Che-hoang  en  221.  C'est  la  pre- 
mière mention  qui  soit  faite  «  d'images  peintes».  Il  ne 
s'agissait  plus  seiflement  de  dessins  traités  à  l'encre  de 
Chine,  mais  de  véritables  peintures  de  couleurs. 

Pendant  le  11*  siècle  av.  J.-C,  la  peinture  chinoise 
réalisa  un  progrès  considérable  :  pour  la  première 
fois,  elle  chercha  à  représenter  la  figure  humaine.  Il 
semble  qu'elle  ait  réussi  très  vite  à  donner  à  ses  fi- 
gures une  certaine  expression  de  vie.  En  tout  cas, 
l'impression  produite  par  les  premiers  portraits  fut  si 
vive  qu'on  attribua  à  une  influence  magique  l'imitation 
de  la  réalité  vivante.  On  raconte,  en  effet,  que,  l'empe- 
reur Han-wou-ti  (140-86  av.  J.-C.)  ayant  commandé 
le  portrait  de  sa  concubine  favorite,  dont  il  déplorait 
la  perte,  des  magiciens  animèrent  ses  traits  et  donnèrent 
à  son  image  tous  les  accents  de  la  vie. 

Suivant  quelques  auteurs  chinois,  ce  ne  serait  que 
cinquante  ans  plus  tard  environ ,  sous  l'empereur 
Yuan-ti,  des  Han  (48-32  av.  J.-C),  qu'aurait  été 
tentée  la  première  représentation  de  la  figure  humaine, 
et  l'honneur  en  reviendrait  à  Mao-yen-choii.  Il  n'est 
fourni  aucune  indication  sur  les  œuvres  de  cet  ar- 
tiste. 


aS4  L"ART    CHINOIS. 

■  Au  cours  du  i"  siècle  de  notre  ère,  une  invention 
fut  réalisée  qui  mit  à  la  disposition  des  peintres  de  pré- 
cieux moyens  d^étude  et  de  composition  :  le  papier  fut 
inventé.  Ce  n^était  d'abord  quMne  pâte  imparfaite,  d'une 
consistance  insuffisante,  appelée /zo-?/;  mais,  en  Tan  io5, 
Ts'aï-louen  parvint  à  fabriquer  avec  des  fibres  végé- 
tales un  produit  qui  avait  toutes  les  qualités  du  papier 
dont  on  se  sert  encore  en  Chine  ^ 

Dès  lors,  le  goût  et  la  pratique  de  la  peinture  se 
répandirent  avec  rapidité  parmi  les  Chinois  des  hautes 
classes.  Ceux  qui  s'y  livraient  n'étaient  pas  exclusive- 
ment des  artistes,  c'étaient  des  lettrés,  des  philosophes, 
des  hommes  d'Etat,  qui  s'y  adonnaient  comme  à  une 
occupation  supérieure,  digne  des  loisirs  des  esprits 
élevés,  intimement  liée  à  la  culture  littéraire,  excellente 
à  affiner  la  pensée  et  à  lui  fournir  des  moyens  d'expres- 
sion délicats  et  variés. 

Tel  fut  Tsaï-yong^  smv nommé  Po-Ki aï  (i5o  ap.  J-C), 
qui  était  à  la  fois  grand  fonctionnaire,  homme  de  let- 
tres, musicien,  peintre  et  poète  ;  tels  furent  aussi  Liou- 
paOj  gouverneur  d'une  province,  sous  le  règne  de  Heng- 
ti  (i58-i6i),  qui  excellait  dans  la  peinture  des  «  nuages 
chassés  par  le  vent  du  nord  »,  et  Tchou  ko-leang,  sur- 
nommé K'ong-ming,  généralissime  des  empereurs 
Han  (23o  apr.  J.-C),  qui  cherchait  à  rallier  à  sa  cause 
les  chefs  des  pays  conquis,  en  leur  montrant  les  pein- 
tures qu'il  avait  faites  des  cérémonies  et  des  coutumes 

I.  Cf.  A.  Wylie.  Notes  on  Chinese  littérature.  — Cependant, 
d'après  quelques  auteurs  chinois,  le  secret  de  fabriquer  le  papier 
aurait  été  découvert  par  Moung-tien,  général  de  Thsin-chi- 
hoang-ti.  (210  av.  J.-C.) 


LA    PEINTURE.  255 

chinoises.  Tel  fut  enfin  Tsaofou-hing^  (240),  dont  les 
dragons  et  les  phénix  semblaient  d'une  rcaliié  saisis- 
sante. 


2<-'    ÉPOQUE 

DEPUIS  l'introduction  DU   BOUDDHISME  JUSQu'a    LA   DYNASTIE 
DES  THANG   (35o-6  1  S   AP.  J.-c]  ^ 

Nous  avons  montré  plus  haut,  dans  le  chapitre  consa- 
cré à  l'étude  des  bronzes,  les  conséquences  capitales 
qu'a  eues  pour  l'art  chinois  l'introduction  du  boud- 
dhisme indien.  En  apportant  dans  l'Empire  du  Milieu, 
qui  jusqu'à  ce  jour  était  demeuré  presque  complète- 
ment fermé  aux  influences  extérieures,  des  idées  et  des 
aspirations  nouvelles,  en  y  introduisant  du  même  coup 
les  monuments  figurés  d'une  esthétique  toute  différente, 
la  religion  bouddhique  renouvela  la  face  de  l'art  en 
extrême  Orient. 

Les  peintures  et  les  stîftues  rapportées  de  l'Inde 
furent  une  révélation  pour  les  artistes  chinois.  Un  monde 
inconnu  jusqu'alors  s'ouvrit  pour  eux  :  la  réalité  phy- 
sique et  matérielle,  qu'ils  interprétaient  avec  tant  de 
peine  et  si  imparfaitement,  n'était  donc  pas  le  seul  but 
de  l'art;  on  pouvait  traduire  les  sentiments  humains, 
les    passions   du   cœur,  faire    passer  dans   une  œuvre 

1.  Cf.  Mayers,  The  chinese  reader''s  Manual,  760.  Tsao  tou- 
hing  fut  connu  au  Japon  sous  le  nom  de  So-futsii-ko.  Cf.  Ander- 
sen, Catalogue  of  Japanese  paintings,  p.  482. 

2.  En  ce  qui  concei'ne  la  date  de  l'introduction  du  bouddhisme 
en  Chine,  voy,  supra,  p.  iSi,  note  i. 


35(î  L'ART    CHINOIS. 

peinte  ou  sculptée  un  redet  de  cette  flamme  intérieure, 
de  cette  vie  intime  qui  est  Tâme  des  êtres. 

Il  faut  se  reporter  aux  historiens  contemporains  pour 
se  rendre  compte  de  la  grandeur  du  mouvement  reli- 
gieux qui  s'empara  des  consciences  chinoises,  à  partir 
de  Pan  25o  environ,  et  pour  comprendre  ce  qu'il  y 
eut  de  piété  fervente  et  sincère,  de  mysticisme  délicat 
et  élevé,  de  foi  enthousiaste  et  naïve  chez  les  premiers 
adeptes  du  culte  indien.  Dix  siècles  plus  tard,  les  âmes 
en  étaient  encore  imprégnées  ^ 

On  se  borna  d'abord  à  copier  fidèlement  les  spéci- 
mens d'iconographie  religieuse  rapportés  du  Pendjab 
et  du  Népal  par  les  prêtres  indiens  et  les  pèlerins 
chinois. 

Le  plus  souvent,  c'étaient  les  religieux  indiens  eux-' 
mêmes  qui  exécutaient  ou  corrigeaient  les  œuvres  des- 
tinées à  la  décoration  des  temples  nouveaux. 

Aussi  ne  relève-t-on  que  peu  de  noms  chinois  sur  les 
compositions  bouddhiques  du  iv''  siècle.  L'artiste  qui 
parvint  à  la  plus  grande  réputation  dans  ce  genre  et  à 
cette  époque  est  Ouei-sie  (3i5  ap.  J.-C.)  :  c'est,  dit-on, 
le  premier  peintre  chinois  qui  ait  signé  une  peinture 
bouddhique  :  son  chef-d'œuvre  représentait  «  les  sept 
Bouddhas  ». 

Il  fallut  près  d'un  siècle  encore  pour  que  le  boud- 
dhisme produisit  une  influence  décisive  sur  la  pein- 
ture chinoise,  renouvelât  les  traditions  et  formât  des 
écoles  nationales.  La   création    des    monastères    boud- 

I.  Pour  les  renseignements  bibliographiques  sur  l'établisse- 
ment et  l'influence  du  bouddhisme  en  Chine,  nous  renvoyons 
aux  notes  du  chapitre  des  bronzes. 


LES    LAQUES.  J05 

sées  ayant  chacune  leur  style,  leurs  traditions  et  leurs 
tendances. 

Il  semble  q[ue   les   procédés  du   tsi  et  du  t'iao-tsi 
aient  été  connus  dès  les  premiers  siècles  de  notre  ère; 
mais  les  plus  anciens  spécimens  que  nous  connaissons 
ne  datent  que  de  la  fin  des  Ming,  c''est-à-dire  des  der- 
nières années  du  xvr  siècle.  Les  laques  sculptés  de 
cette  époque  sont  fort  rares,  et  les  Chinois  les  estiment 
à  très  haut  prix  :  le  vernis  en  est  très  épais,  le  travail 
en  est  ferme,  d'un  style  sobre  et  sévère.  Sous  Tempe- 
reur  Khang-hi,  de  la  dynastie  des  Thsing  (16Ô2),  les 
artistes  laqueurs  réalisent  dans  ce  genre  de  sérieux  pro- 
grès, tant  au  point  de  vue  de  la  qualité   de  la  matière 
qui   est  plus  compacte  et    plus   grasse   d'aspect  qu'au 
point  de  vue  de  la  décoration  qui  est  plus   libre,  plus 
large  et  d'une  inspiration  plus  franche.  Sous  Kien-long 
(1736-1796),  on   fabrique    aussi    des    t'iao-tsi  de  beau 
stvle;  mais  ce  sont  surtout  les  laques  peints  qui  nous 
offrent  les  spécimens  les   plus   intéressants.   Les  plus 
remarquables  d'entre  ceux-ci  proviennent  des  ateliers 
du    palais.    M.    de    Semallé   possède    une    dizaine    de 
pièces  ayant,  sans  aucun  doute,  cette  origine  :  ce  sont 
des   coupes   formulées   en  calices  lobés,    légères  à  la 
main  et  délicatement  modelées   :    l'une  est  d'un  bleu 
paon  à  reflets   verts,  chatoyant  et  intense  comme   un 
émail  ;    une   autre    est    d'un   rose    très    pâle    que    re- 
hausse un  rose  de  corail,  et  l'ensemble  est  d'une  dou- 
ceur de  tons  incomparable;  une  autre  encore  est  d'un 
noir  uni  et  profond,  de  ce  beau  noir  si  apprécié  des 
Japonais;  signalons  entin,  dans  la  même  collection,  un 
laque  avehturiné,  à  incrustations  d'or  et  d'argent  tigu- 

l'art  chinois.  20 


jo(5  L'ART    CHINOIS, 

rant  des   lotus,  qui   est  une  merveille   de  goût  et  de 
finesse. 

Ces  pièces  comptent  à  nos  yeux  parmi  les  rares  ob- 
jets de  laque  chinoise  peinte  qui  mériteraient  de  figurer 


COUPE     DE     LAQUE.      X  V  I  I  I  "     S  I  È  C  l  E. 

(Collection  de  M.  le  vicomte  de  Semallé.) 

dans  la  collection  d'un  amateur  au  Japon.  En  existe- 
t-il  beaucoup  de  semblables  en  Chine?  Nous  ne  le  pen- 
sons pas,  car  nous  n'en  avons  vu  qu'un  petit  nombre 
pendant  notre  séjour  à  Pékin  ;  mais  il  est  probable  que 
les  tsi  qui  sont  sortis  des  ateliers  impériaux  [au 
xvm"  siècle  sont  encore  au  palais  ou  dans  les  rési- 
dences princières,  et  il  est  permis  d'espérer  que  quelques 
spécimens  en  viendront  encore  en  Europe. 


CONCLUSION 


Les  idées  générales  qui  se  dégagent  de  l'étude  de  l'art 
chinois  ont  été  exposées  avi  cours  de  cet  ouvrage  :  le  cadre 
étroit  qui  m'est  imposé  ne  me  permet  pas  de  les  reprendr  e 
dans  une  vue  d'ensemble. 

J'ai  tenté  (particulièrement  dans  les  chapitres  consacrés 
au  bronze,  à  la  pierre  sculptée,  aux  pierres  dures  et  'à  la 
peinture)  de  définir  les  caractères  de  l'imagination  esthé- 
tique et  du  sens  plastique  chez  les  Chinois;  j'ai  recherché 
la  forme  artistique  dont  ils  ont  revêtu  leur  pensée  religieuse  , 
l'idéal  de  beauté  sensible  que  le  bouddhisme  leur  a  révélé , 
le  sentiment  que  leur  a  inspiré  la  nature  et  la  façon  dont 
ils  l'ont  transcrit.  Chacun  de  ces  points  a  été  traité  à  l'occa- 
sion du  genre  d'œuvres,  sculptées,  ciselées  ou  peintes,  qui 
le  mettait  le  mieux  en  lumière. 

Il  est  un  autre  point,  qui  domine  cette  étude  et  que  je 
me  suis  efforcé  d'éclairer  par  un  grand  nombre  d'exemples 
et  de  docunients,  je  veux  dire  l'évolution  historique  de  l'art 
en  Chine  au  contact  des  civilisations  étrangères.  Contraire- 
ment à  une  opinion  qui  est  admise  même  par  des  personnes 
d'une  critique  exercée,  j'ai  été  amené  à  penser  que  la  Chine 
n'est  pas  demeurée  immuable  à  travers  les  siècles  et  fermée 
au  monde  extérieur,  mais  que  des  actions  puissantes,  parties 
du  dehors,  ont   insensiblement  modifié    ses  traditions    et 


3o8 


L'ART    CHINOIS. 


transformé  les  conceptions  de  ses  artistes;  j'ai  essayé  de 
montrer  que  de  grands  courants  d'influences  sont  venus, 
tour  à  tour,  de  la  Chaldée  et  de  l'Assyrie  (p.  102),  de  l'Inde 
(p.  34),  de  l'Empire  romain  (p.  220),  des  pays  arabes  (p.  69), 
de  la  Perse  (p.  72)  et  de  l'Europe  (p.  232).  Je  serais  heu- 
reux d'avoir  apporté  quelques  idées  et  ouvert  quelques 
aperçus  dans  cet  ordre  de  faits. 


APPENDICE 


TABLEAU    CHRONOLOGIQUE 


DES     DYNASTIES    CHINOISES 


Commencement  des  temps 

historiques   ......  2637  av.  J.-C. 

Dynastie  des  Hia 22o5  — 

—  des  Chang  ....  lySS  — 

—  desTcheou^.    .    .  11 34  — 

—  des  Thsin   .    .    .  255  — 

—  des  Han 206  — 


265  ap.  J.-G. 


I.  En  ce  qui  concerne  les  faits  et  les  dates  antérieurs  à  la  dy- 
nastie des  Tcheou,  les  annales  chinoises  ne  doivent  être  consultées 


479 


jio  L'ART  CHINOIS. 

Dynastie  des  Oueï 220  ap,  J.-C.      264  ap.  J.-C. 

—  des  Ou 222        —  277        — 

—  des  Tsin 265        —  419        — 

—  des   Liang  posté- 

rieurs    400        —  420        — • 

—  des  Liou  Soung  .  420        — 

—  des  Tsi   méridio- 

naux       479        —  5oi         — 

—  des  Liang  ....  5o2        —  556        — 

—  des  Tchin  ....  557        —  587        

—  des    Oueï   septen- 

trionaux ....  386        —  532        — 

—  des  Tsi  septentrio- 

naux   55o        —  577        — 

—  des  Tcheou    sep- 

tentrionaux  .    .  557        —  58 1        — 

—  des  Souï 58 1        —  618        — 

—  des  Thang .    ...  618        — 

—  des    Liang   posté- 

rieurs    907        —  921         — 

—  des    Thang  posté- 

rieurs     923        —  984        — 

• —      des     Tsin     posté- 
rieurs      936        —  944        — 

—  des  Tcheou  posté- 

rieurs    951         —  960        — 

—  des   Thang    méri- 

dionaux ....  937        —  958        — 

—  des     Chou     anté- 

rieurs    908        —  925         — 

qu'avec  une  grande  réserve.  Traduites  par  fragments,  elles  n'ont 
jamais  été  l'objet  d'une  critique  sérieuse.  D'autre  part,  l'archéo- 
logie et  la  philologie  chinoises  n'existent  pas  comme  sciences  : 
la  Chine  attend  encore  un  Burnouf  et  un  Mommsen.  La  chro- 
nologie que  nous  donnons  ici  est  celle  qui  a  été  adoptée  par 
Mayers. 


907 


APPENDICE. 


î'« 


Dynastie  des    Chou    posté- 
rieurs     9^4  ap.  J.-C.       9G4  ap.  J.-C. 

—  des  Ou-yuc.   .    .    .  92G  —  gSa  — 

—  des  Léao gi6  —  1168  — 

—  des  Soung.    .   .    .  960  —  1278  — 

—  des  Kin iii5  —  1234  — 

—  des  Youen  .   .   .    .  1260  —  i3b8  — 

—  des  Ming   ....  i368  —  1643  — 

—  des  Thsingi  .   .    .  1644  —  18^*  — 

I.  Les  Ming  continuent  de  régner  jusqu'en  1662  sur  une 
partie  de  l'Empire,  les  Thsing  commencent,  en  i6i6,  à  régner 
sur  les  provinces  du  Nord. 


TABLEAU    CHRONOLOGIQUE 


DES   EMPEREURS   DES   DEUX  DERNIERES  DYNASTIES 


d'après   LE    NOM    (nIEN-HAO)    ATTRIBUÉ    A     LEUR?    ANNÉES    DE   RÈGNE 


1°  Dynastie  chinoise  des  Ming'. 

Houng-ou ^^  ^     •    ■    ■      i36S  ap.  J.-C. 

Kien-ouen ^  X     •    •    •      '^99  — 

Young-lo   .....     ^1^     •    •    .      1403  — 

Houng-hi ^^  !?!;     ■    •  •     '42  3  — 

Siouan-te ^  |È    .    .    .      142G  — 

Tching-toung   •    •    •     lE  ^     •    •    •      '430  — 

King-t'aï ^  ^    ■    •    •      "4-0  — 

Thien-choun    ...      ^  ||^    •    •    •      '4^7  — 

I.  Succédant  à  la  dynastie  mongole  des  Yoiien. 


A  I'  P  li  N  D  1  C  E. 


3'3 


Tching-hoa  . 
Houng-tche  . 
Tching-te  .  . 
Kia-tsing  .  . 
Loung-king . 
Ouan-li  .  .  . 
Taï-tchang  ^ 
Thien-ki  .  . 
Tsoung-tching 


mm 


14G5  ap.  J.-C. 
148S   — 
i5oG   ~ 

l522     — 

i5G7 

1573  — 

1620  — 

1621  — 

ir)2S(-i- 1643). 


2"  Dynastie  tartare-mandchoue  des  Thsmg. 


Thien-ming.    ...  ^  -^    . 

Thien-tsoung    .  .    .  ^  H^     . 

Tsoung-te ^  ^iM     . 

.  Chun-tche* "j|p  '/j^    . 

Khang-hi }jfC  «ifi    • 

Young-tching  .   .    .  |p  lE    • 


1616  ap.  J.-C. 

1627  — 
i636 

.  1644  — 

1662  — 

1723    — 


1.  Les  Tartares  Mandchoux,  maîtres  d'une  partie  de  la  Chine, 
coramencent  à  régner  en  1616. 

2.  A  partir  de  l'année  1644,  la  dynastie  des  Thsing  a  établi  son 
autorité  sur  toute  la  Chine  et  règne  seule. 


31+  L'ART   CHINOIS. 

Kien-long    ....  ^ti  ^        ■   •  '736  ap.  J.-C. 

Kia-king MM    •       '  '796  —           '      ^ 

Tao-kouang    .  .    .  »M"  -^    ...  182 1  —                 ■ 

Hien-foung.   ...  |^  g    •    •    •  i85i  — 

Tong-tche    ....  ^  fa            '  '^^^  ~" 

Kouang-siu ,   ...  %    ^  •   •    •  1875  —                ^  J 


Les  noms  d'empereurs,  énumérés  ci-dessus,  sont  souvent 
inscrits  sur  les  bronzes,  les  jades,  les  porcelaines,  etc.,  et 
peuvent  servir  à  en  fixer  la  date.  Dans  ce  cas,  chaque  nien- 
hao  est  précédé  du  nom  de  la  dynastie  à  laquelle  appartient 

le  souverain  et  suivi  des  deux  caractères       *       ^.men-tchy. 


dont  le  sens  est   «  fabriqué  pendant  la   période  ».  Voici  la 
marque  des  deux  dernières  dynasties  chinoises  : 


± 


DYNASTIE 
DES     MING    (lj68-I(3  +  3).  DES    THSING    (164+). 


A  1'  P  E  N  D  1  C  E. 


3«$ 


Nous  croyons  utile,  en  outre,  de   reproduire,  en  carac- 
tères sigillographiques,  les  nien-han  des  derniers  empereurs: 


J 


!¥ 


rHiLLllS 

YOUNG-TCHINGj 

1723  -<  73(3. 


1^ 

KIEN-LONC, 
I7JÛ-I796. 


II 


£S»K 


n-n 


K 1  A-  Kl NC , 
I7i,'6-l82I 


i 


m 


TAO-KO  U  AN  G , 
1821-1851. 


I 


HIEN-FOUNG, 
1851-1862. 


an 


B 


TONG-TCHE, 
1862-1875. 


TABLE    DES    MATIERES 


Pages. 
Préface 7 

LE    BRONZE. 

I.  —  Les  bronzes  rituels.  —  L'art  primitif ii 

IL  —  Les  bronzes  bouddhiques.  —  Influence  du  boud- 
dhisme sur  l'art  chinois  ;  rapports  de  la  Chine  avec 
rinde 34 

III.  —  Les  bronzes  taoïstes 07 

IV.  —  Les  bronzes  de  style  arabe  ou  persan.  —  Rapports 
de  la  Chine  avec  le  monde  islamique  ;  conséquences  de 

la  conquête  mongole 69 

V.  —  Les  bronzes   incrustés  et  damasquinés;  les  bronzes 

DORÉS 75 

L'ARCHITECTURE. 

I.  —  Les  principes  et   les  procédés.  —  Les  matériaux  et 

les  modes  de  construction;  les  types  architectoniqucs.   .       82 

IL  —  L'architecture  civile.  —  Les  palais  :  influence  pro- 
bable de  l'art  chaldéo-assyrien.  Les  maisons  particu- 
lières :  réglementation  officielle.  L'architecture  des  jar- 
dins           97 

IlL  —  L'architecture  religieuse.  —  Les  temples  du  culte 
officiel  :  type  primitif  du  temple  chinois.  Les  temples 
bouddhiques  :  influence  de  l'architecture  indienne;  les pa- 


3i8  L'ART   CHINOIS. 

Pages 

godes  et  les  stoupas.  Les  temples  taoïstes.  Les  mosquées.     loS 
IV.  —  L'architecture  funéraire.  —  Idées  des  Chinois  sur 
la  mort  :  type  de  la  tombe  chinoise. 124 


LA    PIERRE    SCULPTEE. 

Les  œuvres  de  la  statuaire  en  chine.  —  Le  sens  plastique 

chez  les  sculpteurs  chinois i3i 

LE  BOIS   ET   L'IVOIRE    SCULPTÉS. 

I.  —  Le  bois  sculpté 146 

IL  —  L'ivoire  sculpté i5o 

LES   PIERRES    DURES. 

L  —  Le   jade.  —   Histoire  du   jade;   consécration  de  cette 

pierre  par  les  rites.  Le  sensualisme  dans  l'art  chinois   .     i55 
IL  —  Les  pierres  de  quartz 170 

LA   CÉRAMIQUE. 

I.  —  La  technique 178 

H.  —  L'histoire. 

i''*  époque  :  Période  primitive  (850-1426) 181 

2*  époque  :  Période  Siouan-te  (1426-1465).  Le  décor  bleu. 

Les  grès-cérames l86 

-?•  époque  :  Période  Tchitig-hoa  (1465-1573).  Les  émaux 

de  demi-grand  feu iSq 

4*  époque  :  Période  Ouan-li  {i5y3-x662) 19? 

5' époque  :  Période  Khang-hi  (i662-ij23).  Les  familles 

blanche,  verte  et  rose.  Les  céladons  et  les  flambés.   .     i()7 
6'  époque  :  Période  Youngtching  et  Kien-long  (1723- 

1796).    La  famille   rose,   les  porcelaines   «   coquilles 

d'œuf  »,  les  flambés,  les  porcelaines  d'exportation.   .     207 
7*  époque  :  Période  contemporaine 2 1  q 


TABLE    DES    MATIERES.  J19 

LE    VERRE. 

Pages. 
I.  —  L'histoire.    —    Rapports  de  la  Chine  avec    l'Empire 

romain 220 

IL  —  La  technique 225 

LES   ÉMAUX. 

L  —  Les  émaux  champlevés  et  cloisonnés.  —  Origine  de 
l'e'maillerie  chinoise.  Rapports  de  la  Chine  avec  l'Europe, 
sous  la  conquête  mongole 229 

IL  —  Les  ÉMAUX  peints 239 

LA   PEINTURE. 

I.  —  Les  caractères  généraux,  les  procédés  Et  les 
genres.  —  L'art  du  dessin  et  la  calligraphie  ;  le  sens 
plastique  chez  les  peintres  chinois;  la  perspective  et  le 

clair-obscur.  Différents  genres  de  composition 241 

IL  —  L'histoire. 

i"'  époque  :  Depuis  les  origines  jusqu'à  l'introduction  du 
bouddhisme  (2600?  av.  J.-C. —  25o  ap.  J.-C).  Le  dessin 
calligraphique;  les  premiers  essais  de  peinture  ...  25 1' 
2"  époque:  Depuis  l'introduction  du  bouddhisme  jusqu'à 
la  dynastie  des  Thang  (25o-6i8  ap.  J.-C).  Influence 
du  bouddhisme.  Les  écoles  de  peinture  des  monas- 
tères bouddhiques.  Le  sentiment  religieux  dans  l'art 

chinois 255 

3°  époque  :  De  la  dynastie  des  Thang  à  la  dynastie  des 

5ojmg- (618-960).  Écoles  du  Nord  et  du  Midi 261 

4^  époque  :  Dynastie  des  Soung  (960-1278).  Personnalité 
de  l'artiste  en  Chine.  Le  sentiment  de  la  nature  dans 

la  peinture  chinoise 266 

5*  époque  :  Dynastie  mongole  des  Youen  (i  260-1 368).  .  .     274 
6*  époque  :  Dynastie  des  Ming  (i368-i643).  Forme  der- 
nière du  grand  art.  Symptômes  de  la  décadence  de  la 
peinture  chinoise 279 


320  L'ART    CHINOIS. 

P.>ges 
7*  époque  :  Dynastie  des  Tlising {i6^3-i88.)i  Art  conven- 
tionnel. Influence  des  missionnaires  européens  .   .   .     285 

LES    LAQUES. 
Les  laques  peints  et  les  laques  sculptés 295 

Conclusion Soy 

Appendice Sog 


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Paris.  —  Maison  Quantir,  ",  rue  S;àut-Bcaoit. 


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